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135-20090923-ORA-01-01-BI
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CR 2009/18 (traduction)

CR 2009/18 (translation)

Mercredi 23 septembre 2009 à 10 heures

Wednesday 23 September 2009 at 10 a.m. - 2 -

12 Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est

ouverte et je donne la parole à M. Alan Boyle. Vous avez la parole, Monsieur.

M. BOYLE : Monsieur le président, Messieurs de la Cour, puis-je commencer ce matin par

dire que M. Reichler répondra à la question du juge Bennouna demain matin.

L E DROIT SUR LA PRÉVENTION DE LA POLLUTION ,L’ÉVALUATION D ’IMPACT SUR
L’ENVIRONNEMENT ,LA SURVEILLANCE ET L ’ÉQUILIBRE
ÉCOLOGIQUE DU FLEUVE

1. Ce matin, je me propose d’aborder certain es questions juridiques fondamentales qui sont

au cŒur de la thèse environnementale de l’Argentin e. Premièrement, j’examinerai les dispositions

clés du statut de 1975 relatives à la pollution et à la protection de l’équilibre écologique du fleuve

⎯ à savoir les articles 40, 41 et 36. Je montrerai qu’en ce qui concerne l’usine Botnia, l’Uruguay

ne viole aucun de ces articles et, dans ce contexte, j’étudierai aussi le rôle joué par les normes de

qualité des eaux de la CARU dans la structure du statut. J’exposerai ensuite les arguments de

l’Uruguay sur l’évaluation d’impact sur l’environnement et la surveillance. Enfin, je parlerai de la

charge de la preuve et tirerai quelques conclusions. C’est M.McCaffrey qui me succédera à la

barre.

I.IL N’Y A PAS EU VIOLATION DES DISPOSITIONS DU STATUT DU FLEUVE U RUGUAY DE 1975
SUR LA PRÉVENTION DE LA POLLUTION ET LA PROTECTION DE
L’ENVIRONNEMENT AQUATIQUE

2. Permettez-moi donc de commencer par les dispositions environnementales du statut.

3. Les principales prétentions juridiques de l’Argentine concernent le fait que l’Uruguay a

1
violé l’article41 du statut sur la prévention de la pollution, ainsi que l’article 36 sur «l’équilibre

écologique» du fleuve.

1
L’Argentine invoque aussi les articles 35 et 37. Ses ar guments à cet égard peuvent êt re rejetés sommairement.
L’article35 dispose que «[l]es Parties s’engagent à adopter le s mesures nécessaires afin que l’exploitation du sol et des
forêts, l’utilisation des eaux souterraines et celle des affluents du fleuve ne causent pas d’ altération nuisant sensiblement
au régime du fleuve ou à la qualité de ses eaux». Toutefois, l’Argentine n’expose aucun argument fondé sur la gestion du
sol ou des forêts de l’Uruguay. Elle n’a pas non plus formul é d’allégations relatives aux eaux des affluents. L’article 37
prévoit que «[l]es Parties conviennens règles qui régiront les activitépêche sur le fleuve relatives à la
conservation et préservation des ressources vivantes». Cependant, le ne fait nullement ét at d’une demande
fondée sur des «activités de pêche». - 3 -

4. Les deux arguments reposent sur une seule et même prémisse factuelle : que les rejets de

l’usine Botnia constituent une pollu tion si nocive à l’environnement du fleuve qu’ils sont interdits

par le statut de 1975 . Si, comme je l’ai dit lundi (CR 2009/16), l’usine ne «pollue» pas au sens du

13 statut, les arguments de l’Argentine reposant su r l’article36 ne sont dès lors pas fondés et

l’Uruguay a clairement fait tout ce qu’il devait faire en vertu de l’article 41.

A. Les effluents de l’usine Botnia n’ont pas causé une pollution du fleuve Uruguay

5. J’en viens maintenant à ma première pr oposition, selon laquelle les effluents de l’usine

Botnia n’ont pas causé une pollution du fleuve Uruguay. L’article40 du statut définit la

«pollution» en ces termes : «Aux fins du présent stat ut, le terme «pollution» désigne l’introduction

directe ou indirecte par l’homme de substances ou énergies nocives dans le milieu aquatique.»

6. Deux éléments de cette définition retienne nt l’attention. Prem ièrement, elle renvoie

uniquement à «l’environnement aquatique». Elle ne couvre pas la pollution atmosphérique ou

olfactive qui n’a aucun effet sur le milieu aqua tique. Deuxièmement, des «effets nocifs» doivent

être observés sur le milieu aquatique. Le digest e de la CARU définit ainsi l’expression «effets

nocifs» : «tout changement de la qualité des eaux qui empêche ou entrave leur utilisation légitime,

produisant des effets délétères ou portant atteinte aux ressources vivantes, un risque à la santé

humaine, une menace aux activités aquatiques y comp ris la pêche, ou la réduction des activités de

récréation» 3. Au vu de ces dispositions, la Cour co mprendra aisément que l’introduction de

substances dans le fleuve ne constitue pas en soi une pollution, mais peut le devenir lorsque ces

substances commencent à causer l’un des dommages vi sés ci-dessus. L’obligation de prévenir la

«pollution» désigne donc l’obligation d’empêch er que les effluents ou autres substances

n’atteignent un taux ou une concentration susceptib le de causer un dommage au milieu aquatique.

Tel est le point clé.

7. Pour comprendre le sens de l’article40, il convient dès lors de déterminer quelles

substances peuvent avoir des effets nocifs, et à que lles concentrations. C’est là où, Monsieur le

président, Messieurs de la Cour, les normes de la CARU deviennent pertinentes. En vertu de

2
MA, par. 5.20-5.53, 5.78-5.83.
3
Digeste de la CARU, point E 3, titre 1, chap. 1, sect. 2, art. 1.5 c), CMU, vol. IV, annexe 60, p. 1. - 4 -

l’article56, la CARU est notamment habilitée à ét ablir des règles relatives à la prévention de la

4
pollution. Sur cette base, elle a adopté des normes de qualité des eaux ⎯ que j’ai évoquées lundi.

Une fois que les Parties sont convenues de nor mes de qualité des eaux au sein de la CARU,

celles-ci servent à définir ce qui constitue la pollution aux fins de l’article 40. La CARU fixant une

norme pour chaque substance, on peut présumer que l’eau qui satisfait à cette norme n’est pas

14 polluée et que les rejets d’effluents qui n’ entraînent pas un dépassement de ce taux ne sont pas

nocifs pour le milieu aquatique. Si ce n’était pas le cas ⎯ si un Etat pouvait être jugé responsable

de «pollution» à des taux qui n’excèdent pas la norme convenue ⎯ les normes de la CARU ne

seraient manifestement d’aucune utilité.

8. Selon l’Uruguay, les normes de qualité des eaux de la CARU constituent pour les Parties

le principal moyen de donner effet aux obligati ons réglementaires prescrites par l’article41 du

statut. Et l’Argentine en convient. Elle reconnaît que les règles environnementales contenues dans

les sections pertinentes du digeste de la CARU sont ⎯et je cite un passage de son mémoire ⎯

«l’expression directe de la volonté des parties et de leur interprétation des dispositions du statut

de 1975» 5. Dans une note diplomati que de1990, l’Argentine a indiqué que les normes de la

CARU exposées au point E3 du digeste ⎯et je la cite encore ⎯ «déterminent les principes

normatifs essentiels pour prévenir la contaminati on des eaux du fleuve et définir les standards de

qualité de ces eaux» 6.

9. En particulier, les normes énoncées au point E3 visent notamment à :

⎯ protéger et préserver le milieu aquatique ainsi que son équilibre écologique ;

⎯ garantir une utilisation légitime des eaux tenant compte des besoins à long terme et notamment

des besoins de la consommation humaine ; et à

⎯ prévenir toute nouvelle forme de pollution et obtenir sa réduction lorsque les valeurs des

normes adoptées pour les différentes utilisations légitimes des eaux sont dépassées.

10. Deux aspects de ces dispositions méritent d’être soulignés ; premièrement, les Parties ont

l’obligation d’empêcher que des utilisations légitimes du fle uve n’entraînent la violation des

4 Les normes sont exposées dans le di geste de la CARU, point E3, titre 2, chap. 4, CMU, vol. IV, annexe60,
p. 7-13.
5
MA, par. 3.147.
6 Ibid., par. 3.148. - 5 -

normes de qualité des eaux. Cela confirme, selon l’Uruguay, que les normes de la CARU servent à

déterminer dans quelle mesure il est satisfait à l’obligation de prév enir et de réduire la pollution

énoncée à l’article41. Et, comme je l’ai expl iqué lundi, tant le rapport d’EcoMetrix que la

surveillance de la DINAMA et mê me le propre rapport scientifique de l’Argentine établissent que

les effluents de l’usine Botnia n’ont entraîné ni une modification de la qualité de l’eau ni une

inobservation des normes de la CARU ⎯ même l’Argentine ne prétend pas le contraire. Pour cette

raison, les effluents rejetés par l’usine ne peuvent constituer une «pollution» au sens des

dispositions du statut. Même si l’Uruguay avait tort d’interpréter l’article 41 comme une obligation
15

de comportement ⎯et c’est un point sur lequel je reviendrai dans un moment ⎯ et non comme

une obligation de résultat, cela n’aurait guère d’importance s’il est établi qu’il n’y a pas de

pollution interdite, ce qui est bien évidemment la position de l’Uruguay.

11. Deuxièmement, le texte du digeste montre également qu’une eau qui respecte les normes

de qualité de la CARU ne peut constituer un danger pour les besoins à long terme de l’utilisation du

fleuve tels que définis conjointement par l’Argen tine et l’Uruguay. C’est là, tout simplement, la

raison pour laquelle aucun des arguments de l’Arge ntine sur le risque environnemental causé au

fleuve ne tient. Les normes de la CARU ont pour objectif ⎯selon les termes du digeste ⎯ de

répondre aux «besoins à long terme» de la protection du fleuve ⎯ aux «besoins à long terme» de la

protection du fleuve. Ceci signifie nécessairement que, dans l’esprit des Parties, elles doivent

assurer une utilisation durable du fleuve et le protég er contre les risques à long terme. Dans son

exposé d’hier (CR2009/17), M.McCaffrey a attiré l’attention sur l’importance de l’utilisation

durable des cours d’eau soulignée dans la conve ntion des NationsUnies de1997 sur les cours

d’eau internationaux et le statut de 1975. Les di spositions du digeste de la CARU sont pleinement

compatibles avec cet important développeme nt du droit contemporain des cours d’eau

internationaux. Elles interdisent catégoriqueme nt d’affirmer que les normes de qualité des eaux

sont destinées à répondre uniquement aux besoins à court terme des Parties.

12. L’Argentine affirme que le fleuve Uruguay est très vulnérable aux rejets de nutriments,

l’azote et le phosphore notamment, qui provoquen t des proliférations d’algues. La réponse

évidente est que les Parties ont déjà pris des di spositions à cet effet par le biais des normes de

qualité des eaux adoptées par la CARU ou par les Parties elles-mêmes conformément aux - 6 -

articles36 et 41 du statut. Ces normes sont, ap rès tout, conçues précisément pour le fleuve

Uruguay ⎯il ne s’agit pas de normes hypothétiques a pplicables à tous les fleuves. Elles sont

adaptées à la situation du fleuve Uruguay telle que les Parties la c onçoivent. L’Argentine ne peut

jouer sur les deux tableaux. Si les normes de la CA RU sont suffisantes, elles protégeront le fleuve

et son écosystème sur le long terme, aussi vulnérabl es soient-ils, et la seule question importante est

ainsi de savoir si l’Uruguay les a respectées ⎯ ce qu’il a fait bien entendu.

13. Si, subsidiairement, l’Argentine allègue réellement que les normes de qualité des eaux de

la CARU ne sont pas suffisantes pour protéger le fleuve, alors pourquoi l’Argentine les a-t-elle

acceptées et pourquoi n’a-t-elle pas proposé à la CARU de les renforcer? Les normes de qualité

des eaux de la CARU sont le résultat d’un accord mu tuel des Parties, et M. McCaffrey en dira plus

sur la question après moi. L’Argentine ne peut faire valoir que les normes de la CARU sont
16

insuffisantes alors même qu’elle les a expressément acceptées et a participé à leur élaboration sur

un pied d’égalité. Ces normes peuve nt être modifiées par les Parties, et elles l’ont été, ainsi que

M.McCaffrey l’a souligné hier. Mais si, par ex emple, le phosphore n’est pas réglementé par la

CARU ⎯et il ne l’est pas ⎯ c’est parce que les Parties, y compris l’Argentine, ont choisi de ne

pas le réglementer.

14. Le point essentiel à retenir à propos de l’article 40 est donc qu’il ne peut être interprété ni

appliqué sans référence aux normes de la CARU.

B. L’Uruguay s’est conformé à l’article 41

15. Nous pouvons donc maintena nt en venir à l’article41, qui est la principale disposition

relative à la protection de l’environnement.

16. Permettez-moi de rappeler à la Cour que cet article dispose que les Parties s’engagent,

«[s]ans préjudice des fonctions assignées à la Commission en la matière», à

«protéger et à préserver le milieu aquatique et, en particulier, à en empêcher la

pollution en établissant des normes et en adoptant les mesures appropriées,
conformément aux accords internationaux applicables et, le cas échéant, en harmonie
avec les directives et les recommandations des organismes techniques
7
internationaux» .

7
Statut du fleuve Uruguay (ci-après statut de1975), art.41a), 26février1975, CMU, vol.II, annexe4.
L’Argentine n’a pas formulé de demande distincte fondée sur l’article 27, car celui-ci a pour seul objet de préciser que les
dispositions des articles 7 et suivants s’appliquent aux usines. - 7 -

17. Ainsi que l’Uruguay l’a précisé dans son contre-mémoire, l’article 41 crée une obligation

8
de diligence . Cette disposition a d’ailleurs établi un précédent qui a été suivi dans d’autres traités

relatifs à des cours d’eau et adopté par la Commissi on du droit international aux articles 7 et 21 de

ce qui est désormais la convention des NationsUnies sur les cours d’eau internationaux 9. Or, la

17 CDI dans ses commentaires et d’éminents auteurs s’accordent à considérer les articles7 et21 de

ladite convention comme des obligations de diligence, et non de résultat 10. Selon l’Uruguay,

8 e
CMU, par.4.9-4.13 et 4.69-4.70; voir également l’ Annuaire de la CDI , 1994, vol.II, 2 partie, p.103, par.4
(«[l]’Etat pourra être tenu pour responsable…de n’avoir pas pris les mesures législatives voulues, de n’avoir pas fait
appliquer les lois…, de n’avoir pas empêché une activité illégal e ou de n’y avoir pas mis fin ou de ne pas en avoir châtié
le responsable»).
9
L’article 7 de la convention des Nations Unies dispose :

« Obligation de ne pas causer de dommages significatifs

1. Lorsqu’ils utilisent un cours d’eau international su r leur territoire, les Etats du cours d’eau prennent
toutes les mesures appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux autres Etats du cours
d’eau.

2. Lorsqu’un dommage significatif est néanmoins causé à un autre Etat du cours d’eau, les Etats dont
l’utilisation a causé ce dommage prennent, en l’absen ce d’accord concernant cette utilisation, toutes
les mesures appropriées, en prenant en compte comme il se doit les dispositions des articles5 et6 et
en consultation avec l’Etat affecté, pour éliminer ou atténuer ce dommage et, le cas échéant, discuter
de la question de l’indemnisation.»

L’article 21 dispose :

« Prévention, réduction et maîtrise de la pollution

1.Aux fins du présent article, on entend par « pollution d’un cours d’eau international» toute
modification préjudiciable de la composition ou de la qualité des eaux d’un cours d’eau international
résultant directement ou indirectement d’activités humaines.

2. Les Etats du cours d’eau, séparé ment et, s’il y a lieu, conjoint ement, préviennent, réduisent et
maîtrisent la pollution d’un cours d’eau internationa l qui risque de causer un dommage significatif à
d’autres Etats du cours d’eau ou à leur environn ement, y compris un dommage à la santé ou à la
sécurité de l’homme, ou bien à toute utilisation positive des eaux ou bien aux ressources biologiques

du cours d’eau. Les Etats du cours d’eau prennent des mesures pour harmoniser leurs politiques à cet
égard.

3. A la demande de l’un quelconque d’entre eux, les Etats du cours d’eau se consultent en vue d’arrêter
des mesures et mét hodes mutuellement ac ceptables pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution
telles que :

a) définir des objectifs et des critères communs concernant la qualité de l’eau ;
b) mettre au point des techniques et des pratiques pour combattre la pollution de sources ponctuelles

ou diffuses ;
c) établir des listes de substances dont l’introduc tion dans les eaux d’un cours d’eau international

doit être interdite, limitée, étudiée ou contrôlée.»
10 Voir l’Annuaire de la CDI, 1994, vol. II, 2 partie, p. 103 et 124 ; McCaffrey et Sinjela, 92 AJIL (1998) 100 ;

Bourne, 35 CanYbIL, 1997, 223-225. L’obligation expresse consistant à «f[aire] preuve de toute la diligence voulue»
figurant dans le projet d’article7 rédigé en1994 par la CDI a été remplacée par l’expression «pr[endre] toutes les
mesures appropriées» dans le texte de la convention adoptée en1997, ce qui n’a cep endant pas modifié le sens de cette
disposition. La même formulation est employée dans de nombreux autres trai tés sur l’environnement, y compris au
paragraphe 1 de l’article 2 de la conve ntion relative aux cours d’eau transfrontaliers adoptée en 1992 par la Commission
économique des Nations Unies pour l’Europe. Parmi d’autres variantes, on mentionnera l’expression «toutes les mesures

nécessaires». Voir la partie XII de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982). A comparer au projet
d’article7 rédigé en1991 par la CDI, ai nsi libellé: «Les Etats du cours d’eau exploitent un cours d’eau international
sans causer de dommages significatifs à d’autres Etats du cours d’eau.» - 8 -

l’article 41 du statut doit donc être interprété de la même manière. Si tel est le cas, cela implique

que la Cour doit, en premier lieu, se pencher sur le sens de l’expression «en établissant des normes

et en adoptant les mesures appropriées, conformément aux accords internationaux applicables», etc.

En second lieu, cela implique que la Cour doit se demander si l’Uruguay a fait preuve de la

diligence requise en approuvant le type de techniques utilisées par l’usine Botnia.

18. Permettez-moi d’ouvrir une courte pa renthèse avant de développer ces deux points.

L’Uruguay n’accepte pas l’argument subsidiaire de l’Argentine selon lequel l’article41 créé une

obligation de résultat. Supposons toutefois, arguendo, qu’elle l’accepte. Dans ce cas, les objectifs

pertinents ⎯ à savoir la protection de l’environnement aquatique et la prévention de la pollution ⎯

ont effectivement, au vu des éléments de preuve dont nous disposons en la présente affaire, été

atteints. Si, comme il a été indiqué précédemment, les effluents de Botnia n’ont pas altéré la

qualité des eaux ni entraîné un dépassement des normes de la CARU en la matière, alors la

pollution telle que définie par le statut a été pr évenue. Et si, comme cela a aussi été indiqué

précédemment, les normes de la CARU en matière de qualité des eaux ont pour objet et pour but

d’assurer la protection à long terme du milieu aqua tique, alors le respect desdites normes devrait

garantir ce résultat. En tout état de cause, il r essort des éléments de preuve qu’aucun dommage dû

aux rejets d’effluents de Botnia n’a été causé au milieu aquatique ; même la prolifération d’algues

18 du 4 février n’a pas pu, comme nous l’avons vu hier, être causée par les effluents de l’usine Botnia.

19. Revenons-en donc à l’article41. S’agissant de cette disposition, je me contenterai de

formuler deux propositions simples :

⎯ premièrement, l’Uruguay s’est acquitté de son oblig ation de réglementer les rejets d’effluents

conformément aux normes en matière de qualité des eaux et de rejets établies par la CARU ou

par les parties agissant en application de l’article 41 ; et

⎯ deuxièmement, les techniques employées par l’usine Botnia sont conformes à toutes les normes

énoncées dans le statut de1975en matière de pr évention de la pollution et de protection de

l’environnement, ainsi qu’au principe de précaution.

20. Examinons à présent chacune de ces propositions. - 9 -

C. L’Uruguay s’est acquitté de son obligation de réglementer les rejets d’effluents
conformément aux normes en matière de qualité des eaux et de rejets
établies par la CARU ou par les parties agissant

en application de l’article 41

21. Hormis le cas des nonylphénols, l’Argen tine ne soutient pas que l’Uruguay a manqué à

son obligation d’adopter des règles conformément à l’article41. De plus, comme la Cour s’en

souviendra, le décret 253/79 de l’Uruguay portant réglementation de la qualité des eaux a fixé les

limites maximales en matière de rejets ainsi que l es normes de qualité des eaux en ce qui concerne

différents polluants, y compris le phosphore 11. Aux termes des permis accordés à Botnia, l’usine

12
est tenue de se conformer à cette réglementation , sachant bien sûr que les rapports de surveillance

que nous avons examinés lundi conf irment que les rejets d’effluent s de l’usine sont bien en-deçà

13
des limites fixées .

22. Un examen plus approfondi de la ques tion des nonylphénols serait sans doute purement

académique à ce stade. Permettez-moi simplement de relever que l’Argentine ne réglemente pas

ces substances, que la CARU ne les réglemente pas et que la convention sur les POP ne les

réglemente pas non plus. Dès lors, on ne voit p as bien sur quel fondement il pourrait être allégué
19

que l’Uruguay a violé l’article 41 en ce qui concerne les nonylphénols.

23. L’engagement de l’Uruguay en faveur de la protection du fleuve trouve son expression

14
dans son système juridique, y compris sa constitution . La législation uruguayenne relative à

l’environnement a été présentée en détail à la Cour en2006 et, de nouveau, dans le

contre-mémoire. Je vous en ép argnerai donc un nouvel exposé. L es experts techniques de la SFI

ont conclu que la «procédure d’octroi de perm is utilisée par la DINAMA [était] pratique et

11
CMU, par. 4.19 et 4.39.
12
Ibid., par. 4.33.
13Documents nouveaux produits par l’Uruguay, 30 juin 2009, annexe S7, EcoMetrix, monitoring indépendant de
la performance environnementale de l’us ine réalisé à la demande de la SFI (phase3: examen de la performance

environnementale de l’année2008), (ci-ap rès troisième rapport d’EcoMetrix), mars 2009, par.3.3.3, p.34; Voir aussi
documents nouveaux fournis par l’Uruguay le 15 septembre 2009 en vue de la procédure orale. Rapport semestriel de la
DINAMA sur la performance envi ronnementale (22 juillet 2009), p.5 (tableau2), 9 (graphi que6), 14 (tableau4), 17
(graphique 21) et 18 (tableau 5). Version originale espagnole sur l’hyperlien intitulé «Informe Emisiones Semestre
novembre2008-mai2009» à l’adresse ht tp://www.mvotma.gub.uy/dinama/index.php?option=com_docman&Itemid=
312; traduction communiquée à la Cour le 15septembre2009. Voir égal ement documents nouveaux produits par
l’Uruguay, 30juin2009, annexeS2, DINAMA, Rapport d’éval uation de la performance pe ndant la première année
d’opération de l’usine Botnia et de la qualité de l’environnement dans la zone d’influence (mai 2009) (ci-après rapport de
la DINAMA sur la performance de Botnia pendant la première année), p. 3 et annexe IV, p. 30.

14Voir l’article 47 de la Constitution de l’Uruguay de 1967, CMU, vol. II, annexe 5. - 10 -

15
rigoureuse» . Là encore, je ne reviendrai pas sur les détails mais me conten terai de signaler une

chose, à savoir que les usines ⎯y compris Botnia ⎯ doivent renouveler leur s permis tous les

16
trois ans . Or, la procédure de renouvellement comprend une revision et une mise à jour des plans

de gestion de l’environnement et des autorisati ons relatives aux émissions , notamment aux rejets

d’effluents 17. De plus, lors de chaque renouvellement, la DINAMA peut, au besoin, imposer de

nouvelles mesures de protection et même, si nécessaire, suspendre les activités présumées

dangereuses pendant qu’elle mène ses investigations 1.

24. Selon moi, Monsieur le président, Messi eurs de la Cour, il apparaît donc désormais

clairement que l’Uruguay a fait tout ce qu’on p ouvait raisonnablement attendre de lui aux termes

de l’article41 pour «établir des normes et adopter les mesures appropriées» , et assurer le respect

des normes de la CARU en matière de qualité des eaux. Il l’a fait de manière bien plus rigoureuse

que l’Argentine. Par conséquent, il n’a nullement violé l’article 41.

D. Les techniques employées par l’usine sont conformes à toutes les normes énoncées

dans le statut de 1975 en matière de prévention de la pollution et de protection
de l’environnement ainsi, qu’au principe de précaution

25. Qu’en est-il des techniques employées par l’us ine? Permettent-elles de protéger et de

préserver le milieu aquatique ainsi que l’impose l’article 41 ? Tout au long de la présente instance,

l’Uruguay s’est efforcé de démontrer à l’Argentine et à la Cour que l’usine de pâte à papier Botnia

emploie les techniques les plus modernes et les plus récentes auxquelles recourent d’autres Etats

avancés sur le plan technologique. Ainsi que cel a ressort abondamment du dossier de l’affaire,

19
20 Botnia est comparable aux usines de pâte à papier modernes d’autres pays . Comme cela a été

indiqué, les techniques qu’elle utilise éliminent quasi ment tout risque de pollution et de dommages

environnementaux.

26. Il est remarquable qu’un petit pays en dé veloppement ait choisi une technologie aussi

avancée. L’Uruguay se félicite que l’Argentine pense, tout comme lui, que les techniques

15
Etude d’impact cumulé finale, annexe A, p. A6.7, CMU, vol. VIII, annexe 174.
16 o
o Décret n 349/005, revision du règlement relatif à l’évaluation de l’impact sur l’environnement (ci-après décret
n 349/005), art. 23, 21 septembre 2005, CMU, vol. II, annexe 24.
17
Ibid., art. 24, par. 2.
18 Ibid.

19 Rapport Exponent, p. xii. DU, vol. IV, annexe R83. - 11 -

industrielles ne répondant pas à de telles normes ne conviennent pas à des pays ayant leur niveau

de développement. Ce qui divise les Parties, ce ne sont donc pas leurs vues sur des questions

juridique ou politique, mais simplement sur la question de savoir si l’ usine Botnia répond aux

normesMTD (meilleures techniques disponibles). Pour les raisons exposées hier, l’Uruguay est

convaincu que tel est le cas.

27. Le fait que l’Uruguay ait opté pour les meilleures techniques disponibles et les meilleures

techniques d’exploitation est important pour deux raisons. Premièrement, cela devrait une nouvelle

fois démontrer, s’il en était besoin, que l’Urugua y s’est conformé à son obligation de prendre les

mesures nécessaires pour «veiller à ce que les activités exercées dans les limites de [sa] juridiction

ou sous [son] contrôle respectent l’environneme nt dans d’autres Etats», pour reprendre la

formulation de la Cour dans l’avis consultatif rendu en l’affaire des Armes nucléaires (Licéité de la

menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p.241-242,

par. 29) 2.

28. J’ai démontré précédemment à la Cour que l’usine Botnia respectait la réglementation

applicable en matière de pollution. Ses efflue nts respectent les normes en matière de qualité des

eaux et n’ont pas causé de dommage significatif au fleuve. Bien qu’une us ine de pâte à papier

conçue, construite et exploitée conformément aux normes les plus strictes ne soit sans doute pas le

seul moyen d’atteindre de tels résultats, elle y contribue assurément.

29. Deuxièmement, le recours à ces techni ques démontre que l’Uruguay a adopté une

approche de précaution et de prévention en matière de lutte contre la pollution, approche tout à fait

conforme aux normes modernes et qui favorise le développement durable. L’Uruguay admet que

le principe ou l’approche de précaution puisse, conf ormément au principe15 de la déclaration de

Rio, se révéler pertinent aux fins de la gestion de certaines activités lorsqu’il existe une incertitude

scientifique importante et un risque de dommage s graves ou irréversibles. Le principe15 a

d’ailleurs été transposé en droit uruguayen et la DINAMA est tenue de lui donner effet dans le

cadre de ses fonctions réglementaires 21.

20
Déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement, principe 2.
21Loi 17 283 de l’an 2000, conforme au principe 15 de la déclaration de Rio. - 12 -

21 30. L’agenda21 de la conférence de Rio de 1992 a énoncé quelques priorités à cet égard.

L’élément le plus pertinent est qu’il a fait sienne la notion de gestion écologiquement rationnelle,

22
donnant la priorité à la réduction des déchets . Les accords environnementaux récents, tels que la

convention de Londres de 1996 sur l’immersion de d échets, la convention de Bâle de 1989 sur les

mouvements transfrontières de déchets dangereux et la convention de2001 sur les polluants

organiques persistants (POP) reflètent tous cette démarche 23. Ces traités ont, en général, retenu une

approche de précaution. Ils ont notamment pour objet de mettre un terme à la production et à

l’utilisation des substances chimiques les plus dangereuses et encouragent le recours à des

techniques de production plus propres afin de ré duire la production de déchets toxiques et

dangereux.

31. Comme cela a été indiqué hier, un traite ment tertiaire augmenterait la production de

déchets par l’usine. Les techniques actue llement utilisée par Botnia répondent donc aux

préoccupations que suscitent actuellement les déchets dangereux rejetés par d’autres usines de pâte

à papier. Cela traduit une approche de précaution quant à la réduction des effluents. Le moyen le

plus simple de mesurer la réduction des déchets est de s’intéresser à l’efficacité environnementale

de l’usine, à savoir la quantité d’effluents générée par tonne de pâte à papier produite. A l’aune de

ce critère, Botnia est extrêmement efficace. Dans la plupart des cas, la quantité de déchets générée

par tonne de pâte à papier produite est nettement inférieure aux niveaux escomptés, ce qu’attestent

24
tous les rapports qui ont été versés au dossier de l’affaire .

32. En outre, ainsi que le soulignent les c onsultants de la SFI, les substances les plus

dangereuses susceptibles d’être rejetées par une usine de pâte à papier, telles que les dioxines et les

25
furanes, ont été largement éliminées du fa it de la suppression du blanchiment au chlore . En ce

qui concerne les nonylphénols, comme la Cour le sait maintenant grâce à la déclaration sous

22
Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, 1992, agenda 21, chap. 19 et 20.
23Voir, par exemple, la convention de Bâle de 1989 sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets
dangereux et leur élimination, la conve ntion de Londres sur l’immersion dedéchets, la convention de2001 sur les
polluants organiques persistants.

24Troisième rapport d’EcoMetrix (mars2009), p.3.2-3.5 (p ar.3.3) et p.3.7 (tableau3.4); rapport de la
DINAMA sur la performance de Botnia pe ndant la première année (mai2009), op. cit., p.3 et annexeIV; rapport
semestriel de la DINAMA sur la performance environnementale, juillet 2009, op. cit., p. 18 (tableau 5).

25Troisième rapport d’EcoMetrix (mars 2009), p. 3.5, par. 3.3.6. - 13 -

serment de Mme Torres , l’usine Botnia n’utilise pas ces com posés, que ce soit comme détergents

ou à d’autres fins. Aussi, tout nonylphénol rejeté par l’usine provient de l’eau du fleuve qu’elle

utilise.

22 33. Il n’est donc pas nécessaire que j’insi ste davantage sur ces conclusions déjà fort

convaincantes. Après presque deux ans d’exploita tion, il ressort clairement de l’examen des

données du monitoring effectué par la DINAMA pour le compte de l’Uruguay et par des experts

indépendants au nom de la SFI, que les prévisions de la DINAMA —lesquelles ont été avalisées

par la SFI —, étaient correctes. L’usine Botnia recourt aux meilleures techniques disponibles. Ses

techniques de réduction et de gestion des déchet s sont tout à fait conformes à l’approche de

précaution consacrée par la conférence de Rio et retenue dans certains traités modernes sur la

gestion des déchets.

34. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, voilà qui —je l’espère— suffit à écarter

les arguments de l’Argentine relativement à l’article 41. Nous pouvons donc maintenant en venir à

l’examen de l’article 36 et de la question de l’équilibre écologique du fleuve.

E. Les Parties ont coordonné, par l’intermédiaire de la CARU, les mesures visant à prévenir
toute altération de l’équilibre écologique du fleuve, conformément à l’article 36

35. L’article36 dispose que «[l]es parties coordonnent, par l’intermédiaire de la

Commission [c’est-à-dire de la CARU], les mesures propres à éviter une modification de l’équilibre

écologique et à contenir les fléaux et autres facteurs nocifs sur le fleuve et dans ses zones

d’influence». Je n’ai, s’agissant de cet article, qu’une chose à dire à la Cour: les parties ont

effectivement coordonné les mesures pertinentes par l’intermédiaire de la CARU, conformément à

cette disposition. Si ces mesures se révèlent inadaptées pour prévenir une modification de

l’équilibre écologique, il est de la responsab ilité et du pouvoir des parties de coopérer pour

négocier des mesures plus appropriées dans le cadre de la CARU.

36. L’Argentine a avancé que l’article36 inte rdisait «tout changement dans l’équilibre

écologique». Si, arguendo, cette interprétation pour le moins audacieuse était fondée, alors la

réponse qui s’imposerait serait qu’il ne saurait y a voir violation de l’article36 dès lors que

26
Commentaires de l’Uruguay relatifs aux documents nouveaux fournis par l’Argentine, 15juillet2009,
annexe C24. - 14 -

l’Uruguay a agi conformément à toutes les obligations qui sont les siennes en vertu des règles de la

CARU actuellement applicables en matière de protection de l’équilibre écologique, règles énoncées

aux sujetsE3 etE4 du digeste de la CARU. Or , l’Argentine n’a allégué aucune violation de ces

règles.

37. Une réponse encore plus évidente est que l’obligation énoncée à l’article36 n’est pas

celle que l’Argentine prétend être. Le sens or dinaire de cette dispos ition, replacée dans son

contexte et lue à la lumière de son objet et de son but, contredit l’inte rprétation de l’Argentine 27.
23

L’article36 prévoit une action des deux parties, à savoirla «coordination» de mesures de

protection de l’environnement. Il s’agit là, de par sa nature même, d’une obligation à exécuter

conjointement. L’Argentine n’a pas précisé ce que l’on pourrait attendre de plus de l’Uruguay en

vertu de l’article 36, celui-ci ayant coopéré en adoptant les règles nécessaires par l’intermédiaire de

la CARU, règles qui —comme cela a été indiqué— figurent dans le digeste. En outre, c’est

l’Argentine qui a refusé de participer aux progr ammes conjoints de surveillance antérieurement

approuvés ⎯je reviendrai sur ce point. Ces progra mmes auraient permis aux deux parties, si

nécessaire, de coordonner de nouvelles mesure s visant à protéger l’équilibre écologique,

conformément à l’article 36.

38. Le rôle central de la CARU dans la pr éservation de l’équilibre écologique du fleuve est

renforcé par l’article 56, lequel dispose qu’elle doit édicter des «normes réglementaires» intéressant

28
la «conservation et la préservation des ressources biologiques» . Dès lors, tout comme en ce qui

concerne la prévention de la pollution, les normes édictées par la CARU aux sujetsE3 etE4 de

29
son digeste donnent un contenu précis aux obligations de fond des parties en vertu de l’article 36.

Ainsi, le sujetE3 dispose expressément que l’un de ses «objets» est de protéger et de préserver

l’«équilibre écologique» du fleuve. L’Argentine a reconnu, dans une note diplomatique de1995,

que le sujetE4 du digeste «détermin[ait] le s règles pour rendre possible la conservation,

l’utilisation et la préservation des ressource s vivantes dans le tronçon du fleuve Uruguay

27Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969, art. 31.
28
Statut de 1975, art. 56 a) 2), CMU, vol. II, annexe 4.
29Digeste de la CARU, points E3 et E4. CMU, vol. IV, annexes 60-62. - 15 -

partagé» . L’Argentine et l’Uruguay conviennent d onc que la CARU a édicté des règles qui

donnent effet aux obligations de fond de l’article 36.

39. Les normes actuelles du digeste de la CARU ne sont pas non plus manifestement

insuffisantes pour protéger l’équilibre écologique du fleuve : ainsi que cela a déjà été indiqué à la

Cour—et les éléments contenus dans le dossier de l’affaire le confirment—, ni les experts

argentins ni les experts uruguayens en matière de pêcherie n’ont décelé le moindre élément de

preuve de ce que les effluents émanant de l’usine Botnia auraient des effets préjudiciables sur les

stocks de poisson ou la faune et la flore marin es. Il ressort également des éléments dont nous

disposons que l’usine n’est pas à l’origine de la pr olifération d’algues. Cependant, si la preuve de

tel ou tel préjudice était rapportée, la solution qui s’imposera it serait que l’Argentine propose à la

24 CARU de procéder aux modifications nécessaires du digeste. A ce jour, comme cela a été indiqué

à la Cour, l’Argentine n’a formulé aucune propositi on de cette nature. J’en conclus qu’il n’y a eu

aucune violation de l’article 36.

40. La Cour a désormais pleinement conna issance des très nombreuses mesures prises par

l’Uruguay pour réglementer et maîtriser les risques de pollution de l’usine Botnia, pour protéger la

qualité de l’eau et l’écosystème aquatique ainsi que pour assurer le respect des normes nationales,

des normes de la CARU et des normes internationales applicables. Examinons maintenant d’autres

réponses que l’Uruguay a apportées au problème de l’ incertitude scientifique. Le premier élément,

et le plus évident, est qu’il a effectué, conformément au droit international, une évaluation détaillée

et exhaustive des risques potentiels. Deuxièm ement, dans la mesure où des incertitudes

subsisteraient quant aux impacts à long terme de l’usine Botnia, l’Uruguay estime que le meilleur

moyen d’y répondre est le programme de surveillance complet qu’il a mis en place. J’examinerai

brièvement chacun de ces points.

II.L’ USINE A FAIT L ’OBJET D ’UNE ÉVALUATION D ’IMPACT SUR L ’ENVIRONNEMENT
CONFORME À TOUTES LES PRESCRIPTIONS DE LA LÉGISLATION URUGUAYENNE

ET DU DROIT INTERNATIONAL EN MATIÈRE DE RISQUE TRANSFRONTIERE

41. Commençons par l’évaluation d’impact su r l’environnement. L’év aluation d’impact sur

l’environnement, que j’appellerai ci-après l’évalua tion, est «une procédure nationale ayant pour

30
MA, par. 3.149. - 16 -

31
objet d’évaluer l’impact probable d’une activité proposée sur l’environnement» . L’Uruguay

reconnaît bien entendu que, conformément à la pratique internationale, une telle évaluation

s’imposait dans le cas de l’usine Botnia. Et il a toujours soutenu que l’évaluation à laquelle il a

soumis l’usine Botnia est conforme à toutes les pr escriptions du droit international en matière de

prévention des dommages transfrontières.

42. L’Argentine s’obstine pourtant à prétendre de manière tout à fait fallacieuse que

l’évaluation de Botnia n’a pas été terminée avant l’autorisation de la construction. Le dossier lui

donne tout simplement tort. L’autorisation environnementale préalable, qui n’autorisait ni la mise

en chantier ni la mise en service, a été délivr ée le 14 février 2005 — quelque onze mois après que

Botnia eut soumis son évaluation préliminaire, le 31mars2004, et troismois après qu’elle eut

présenté le texte définitif du rapport supplémentaire demandé par la DINAMA 32, soit le

12novembre2004. Par souci de clarté, il s’agit là de la date de présentation des informations

requises. Pour étayer son argument relatif aux délais, l’Argentine affirme donc que l’évaluation

25 était inadéquate, qu’elle ne pouvait être corrigée dans le cadre des évaluations ultérieures de la SFI,

et que le processus d’évaluation tout entier do it, dans ces conditions, être considéré comme

foncièrement vicié. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, cet argument n’est pas seulement

infondé sur le plan juridique ; il est contraire au bon sens.

43. Le principe17 de la déclaration de Rio prévoit qu’une évaluation d’impact sur

l’environnement «doit être entreprise dans le cas des activités envisagées qui risquent d’avoir des

effets nocifs importants [«significant adverse impact» en anglais] sur l’environnement et dépendent

33
de la décision d’une autorité nationale compétente» . Une terminologie analogue est utilisée dans

34
la convention sur la diversité biologique , et les buts et principes de l’évaluation de l’impact sur

l’environnement établis par le PNUE visent également les «activité[s] … susceptible[s] d’avoir des

35
effets sensibles sur l’environnement» . En outre, aux termes du prin cipe 5 du PNUE, «[l]es effets

31 Voir la convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement de 1991, art. 1, al. vi).
32
CMU, par. 4.117-4.133.
33 Déclaration de Rio de 1992, principe 17 ; les italiques sont de nous.

34 Convention de1992 sur la diversité biologique, art.14, par.1, al. a) («significant adverse effects», ou «nuire
sensiblement» dans le texte français).

35 Buts et principes de l’évaluation de l’impact r l’environnement établis en1987 par le Programme des
Nations Unies pour l’environnement, principe 1. - 17 -

sur l’environnement devraient être évalués, dans une EIE, à un niveau de détail correspondant à

leur importance probable du point de vue de l’environnement».

44. L’usine de pâte à papier Botnia de Fray Bentos a été soumise à un processus d’évaluation

rigoureux financé par la Banque mondiale. Tous les éléments du projet ont fait l’objet d’une

36
évaluation nationale réalisée sous la direction de la DINAMA . Ils ont ensuite été examinés non

pas une mais deuxfois dans le cadre d’un pr ocessus d’évaluation international—il s’agit de

l’étude d’impact cumulé—et l’étude d’impact cu mulé finale a été réalisée pour la SFI par le

37
cabinet canadien de consultants EcoMetrix .

45. L’empreinte possible de l’usine sur l’environnement a été analysée tant dans l’évaluation

de Botnia que dans l’étude d’impact cumulé finale , et elle a chaque fois été jugée minime. Pas

même significative. En l’occurrence, ces prévis ions se sont vérifiées: nul ne peut décemment

affirmer que le processus d’évaluation tout entie r n’a pas fait apparaître une empreinte écologique

acceptable. Cela vaut également pour la performance concrète de l’usine : l’appréciation formulée

dans l’étude d’impact cumulé finale était juste et, comme la Cour l’a entendu lundi, elle a été

confirmée par les données empiriques recueillies dans le cadre du troisième rapport d’EcoMetrix et

de la surveillance exercée par la DINAMA.

46. La législation uruguayenne exige une a ppréciation rigoureuse des effets possibles sur

l’environnement. Elle rejoint en ce sens les nor mes internationales. Avant que des projets

38
d’envergure tels que l’usine Botnia n’obtiennent le feu vert , une quantité d’informations doit être

soumise à la DINAMA, dont une évaluation d’imp act sur l’environnement. Le contre-mémoire
26

exposant déjà par le menu ce qu’une évaluation do it contenir au regard de la législation

uruguayenne, je ne m’étendrai pas ici sur ce point, si ce n’est pour vous rappeler quelques-uns des

éléments à évaluer, à savoir l’«environnement récepteur» et les «zones sensibles ou à risque»,

«l’eau, le sol, le paysage», «la faune, la flore, [et] les biotopes aquatiques», et l’«environnement

anthropogénique» 39. L’évaluation doit contenir une «comparaison objective des conditions avant et

36
Rapport de l’évaluation d’impact environnemental de la DINAMA (11 février 2005), CMU, vol. II, annexe 20.
37
EcoMetrix, étude d’impact cumulé finale, septembre 2006, CMU, vol. VIII, annexes 173-177.
38Décret n 435/994, règlement relatif à l’ évaluation d’impact sur l’envi ronnement (ci-après décret n 435/994),
art. 1 (21 septembre 1994), CMU, vol. II, annexe 9.

39Ibid., art. 12, par. I. - 18 -

après l’exécution du projet» 40, désigner des mesures d’atténuati on pour réduire l’empreinte sur

l’environnement et comprendre un «[s]uivi, [un] contrôle et [un] plan de vérification» 41.

47. L’Argentine a reproché la semaine dern ière à l’Uruguay de ne pas avoir honoré son

obligation de «due diligence» lorsqu’il a pesé les risques posés par l’usine. Pourtant, à en juger par

l’ensemble de la documentation réunie, le choix du s ite de FrayBentos a été mûrement réfléchi.

L’éventuel effet trans frontière de l’usine 42, les caractéristiques du débit du fleuve, y compris le

43 44 45 46
phénomène d’inversion du courant , la pollution de l’air , la qualité de l’eau , la biodiversité et

47
les épisodes de prolifération d’algues , pour ne nommer que quelques aspects parmi tant d’autres,

ont tous été analysés par Botnia, par la DINAMA, et par les experts consultants dont la SFI s’est

attaché les services. Ainsi, la barre a été placée tr ès haut. Si la Cour de vait conclure qu’une telle

évaluation est tout de même inadéquate, elle cr éerait un précédent dont les conséquences seraient

très lourdes pour le développement futur de tous les Etats, y compris l’Argentine. Elle contredirait

aussi directement le point de vue adopté après mûre réflexion par la SFI et remettrait en cause les

éléments sur lesquels cette organisation internationale s’est fondée pour approuver le plan.

48. Les experts techniques de la SFI ont ex aminé le régime uruguayen de protection de

l’environnement et ont jugé «les modalités de délivrance de permis appliquées par la

48
DINAMA … réalistes et rigoureuses» . Très approfondie, l’évaluation contenait une pléthore

d’informations techniques et de données sur l’environnement 49. Elle était aussi complète que
27

possible et que nécessaire à ce stade. Selon l’ Uruguay, une telle évaluation répond parfaitement

50
aux normes actuelles du droit international .

40 o
Décret n 435/994, art. 4, 10 et 11.
41Ibid., art. 12, par. IV.

42Rapport de l’évaluation d’impact environnemental de la DINAMA (11 février 2005), CMU, vol. II, annexe 20,

par. 4.1 et 4.2.
43Ibid., par. 3.2.

44Ibid., par. 4.2 et 6.2.

45Ibid., par. 3.2, 4.1 et 6.1.

46Ibid., par. 3.5 et 6.6.
47
Ibid., par. 6.1.
48
Etude d’impact cumulé finale, annexe A, op. cit., p. A6.7, CMU, vol. VIII, annexe 174.
49
CMU, par. 4.117-4.139.
50
Ibid., par. 4.88-4.139 ; DU, par. 5.28-5.88. - 19 -

49. J’en veux également pour preuve le contenu qui, d’après la Commission du droit

international, doit figurer dans une évaluati on d’impact sur l’environnement à l’échelle

transfrontalière. Se fondant sur son appréciation de la pratique des Etat s, la Commission du droit

international a, dans ses articles de2001 sur la prévention des dommages transfrontières, exigé

uniquement que l’évaluation envisage les effets possibles sur les personnes, sur les biens et sur

l’environnement des autres Etats, en dehors de quoi, ainsi qu’il ressort des débats de la

Commission, celle-ci a délibérément laissé à chaque Etat le soin de décider du contenu précis de

51
l’évaluation . L’Uruguay s’est incontestablement livré à une évaluation qui remplit les conditions

envisagées par la Commission du droit international 52.

Monsieur le président, je passerai le paragraphe suivant, qui sera supprimé.

50. L’insistance de l’Argentine sur l’idée que tous les aspects de l’évaluation auraient dû

avoir été réglés avant même l’acquisition par Botnia du terrain nécessaire, avant la notification à la

CARU, et bien avant l’autorisation de la mise en chantier ou de la mise en service de l’usine, non

seulement est dépourvue de fondement juridique, mais est également illogique et irréaliste.

Comme l’Uruguay l’a relevé dans son contre-mémoire, en procédant ainsi, il ne serait plus possible

de prendre en considération d’éventuelles rema rques de l’Argentine ou de revenir sur un

53
quelconque aspect du projet à un stade ultérieur . La conception de l’Argentine fait primer la

forme sur le fond. Elle fait du processus d’évaluation tout entier un événement purement

mécanique qui est bien éloigné de la prot ection de l’environnement ou d’un processus

décisionnaire de qualité. Cela ne va pas dans le sens du principe de précaution qui est consacré au

principe 15 de la déclaration de Rio.

51. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, l’Argentine a formulé un autre argument la

semaine dernière au sujet de l’évaluation d’imp act sur l’environnement: le public n’aurait pas

suffisamment eu la possibilité de participer au processus. L’Uruguay n’accepte pas le fondement

juridique de cet argument, tel qu’avancé par l’Argentine, mais quand bien même, aux fins du débat,

une obligation de consultation tran sfrontière du public pourrait être lu e dans le statut et dans le

51Article 7 et commentaire, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, p. 405, par. 7 et 8.
52
CMU, par. 4.107-4.144.
53Ibid., par. 4.95. - 20 -

28 principe17 de la déclaration de Rio, l’Uruguay y aurait en fait satisfait. Ainsi qu’exigé par la

législation uruguayenne, le processus d’évaluation entrepris par la DINAMA a compris une

consultation du public su sceptible d’être touché 5. Les habitants de FrayBentos et des régions

voisines d’Uruguay et d’Argentine y ont particip é, y compris des représentants de localités

55
argentines de la province d’Entre Rios —ce qui est consigné dans le dossier. La DINAMA a

tenu compte de toutes les observations formulée s lorsqu’elle a décidé d’approuver l’évaluation

établie par Botnia sous sa direction et de recommander l’octroi d’une autorisation

56
environnementale préalable . D’ailleurs, l’autorisation elle-même fait largement état des questions

soulevées à l’occasion de cette consultation 57.

52. Il est clair, à la lumière de ces informations, que la participation du public susceptible

d’être touché en Argentine était prévue et qu’elle a effectivement eu lieu. Même si l’article 2 de la

convention CEE-ONU de1991 sur l’évaluation de l’im pact sur l’environnement était applicable

dans la présente affaire—ce qu’elle n’est év idemment pas, puisqu’européenne—, elle

n’imposerait pas à l’Uruguay d’alle r au-delà de ce qu’il a déjà fait. Cette convention offre

uniquement «au public des zones susceptibles d’êt re touchées la possibilité de participer aux

58
procédures pertinentes d’évaluation de l’impact sur l’environnement» . Monsieur le président,

l’Uruguay estime avoir donné cette possibilité aux populations concernées.

53. Certes, dans le cadre d’un avis prélim inaire, l’ombudswoman de la SFI a critiqué la

59
mesure dans laquelle le public avait été consulté , mais sa conclusion était toutefois fondée sur un

manquement aux normes fixées par la SFI elle-m ême, non sur une quelconque violation du droit

international ou de la législation uruguayenne. Il était loisible à la SFI de demander une nouvelle

60
consultation du public . Elle a effectivement ordonné une revision de l’analyse contenue dans

54 o o
Décret n 435/994, CMU, vol.II, annexe9; décret n 349/005, CMU, vol.II, annexe24; MVOTMA,
autorisation environnementale préalable pour l’usine Botnia, par. XI-XIII (14 février 2005), CMU, vol. II, annexe 21.
55Rapport de l’évaluation d’impact environnemental de la DINAMA (11février2005), par.1, CMU, vol.II,

annexe 20.
56Informations soumises à la commission interaméricaine des droits de l’homme, requête n 3.

57MVOTMA, autorisation environnement ale préalable pour l’usine Botnia, par.XIII (14février2005), CMU,
vol. II, annexe 21.

58Art. 2, par. 6.

59SFI/AMGI, bureau du conseiller en conformité /ombudsman, rapport d’évaluation préliminaire,
novembre 2005.
60
Banque mondiale, politique opérationnelle 4.01 régissant l’évaluation environnementale, par. 13. - 21 -

29 l’étude d’impact cumulé, une revision qui a été dûment réalisée par EcoMetrix . Voilà tout ce que

j’avais à dire sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement.

III. LE MÉCANISME DE SURVEILLANCE ACTUELLEMENT EN VIGUEUR SATISFAIT À TOUTES
LES CONDITIONS FIXÉES PAR LE STATUT ET LE DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL

54. Je vais maintenant passer ⎯ brièvement ⎯ à la question du monitoring, ou processus de

surveillance. La nécessité de prendre en considération les risques pour l’environnement ne s’arrête

pas au stade de l’évaluation de l’impact sur l’e nvironnement ni, du reste, au stade de la mise en

service. Certains risques peuvent être intrinsèquement difficiles à anticiper ; d’autres peuvent être

trop improbables ou lointains, mais méritent néan moins, par précaution, de faire l’objet d’une

surveillance après la mise en servi ce ; d’autres, en réalité, ne se feront jour qu’après cette mise en

service.

55. La Cour se rappellera sans aucun dou te avoir, dans l’affaire relative au Projet

Gabčíkovo-Nagymaros, imposé aux Parties d’«examiner à nouve au les effets sur l’environnement

de l’exploitation de la centrale de Gabčíkovo» (Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie),

arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p.78, par.140). La démarche de la Cour, et celle adoptée par

l’Uruguay, revient, à juste titre, à traiter l’évaluation préalable de l’impact sur l’environnement et le

contrôle ultérieur des effets et des risques rest ants comme des éléments d’un processus continu, se

poursuivant pendant toute la durée de vie du projet. Cette vision de la relation entre l’évaluation de

l’impact sur l’environnement et la surveillance ( ou «analyse à posteriori») re flète la pratique des

Etats dans de nombreux systèmes nationaux et dans les dispositions de traités récents, tels que la

convention des Nations Unies sur le droit de la mer et la convention CEE-ONU sur l’évaluation de

62
l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière .

61
EcoMetrix, étude d’impact cumulé finale, septembre 2006, CMU, vol. VIII, annexe 173.
62Convention des NationsUnies sur le droit de la mer de 1982, art.204 et206; convention sur l’évaluation de
l’impact sur l’environnement de 1991, art. 2 et 7. - 22 -

56. Dans certains cas, les «risques» allégués par l’Argentine ne peuvent être gérés que par

une combinaison d’activités de surveilla nce et d’activités de réglementation 6. L’Uruguay affirme

que le programme détaillé de surveillance qu’il a mi s en place garantira que les effets réels de

l’usineBotnia seront détectés, évalués et, si né cessaire, pris en compte et traités grâce aux

programmes de réglementation et de surveillance existants.

30 57. L’usine Botnia fait à présent l’objet d’un tr ès exhaustif contrôle de la DINAMA au titre

64
de son plan de surveillance de mai2007 . Au total, ce programme de surveillance couvre un

segment du fleuve long d’environ 26,8 kilomètres ⎯ ce qui est largement suffisant pour déterminer

si des effets se font sentir en amont ou en aval.

58. La validité du monitoring préopérationne l ne saurait faire de doute. Les experts

techniques de la SFI ont procédé à une évalua tion des «programmes de suivi environnemental

distincts…mis en place par Botnia et la DINAMA», et notamment des programmes de

surveillance de «la qualité de l’eau, de la qualité des sédiments, et des indicateurs biologiques» 6.

Leur conclusion est catégorique et sans équivoque : «Dans l’ensemble, c es programmes de suivi

[ce sont leurs termes] sont extr êmement complets et vont au-delà des engagements identifiés dans

l’[étude d’impact cumulé].» 66

59. Botnia a assuré une surveillance conti nue pour assister la DINAMA et fournir une

garantie additionnelle que l’explo itation de l’usine ne porterait p as atteinte à l’environnement.

L’obligation faite par la SFI à Botnia de mettre en place un monitoring postopérationnel, sous la

direction et le contrôle de la DINAMA, a fait partie intégrante du processus d’approbation de la

DINAMA. Le monitoring postopérationnel réalisé par Botnia se poursuit au titre d’un plan de

63
Deuxième rapport Exponent, p. 6-3-6-6, DU, vol. IV, anne xe 83. Voir également le premier rapport Exponent,
p.30 («les incertitudes devraient être gérées et résolues pa r le biais d’un programme détaillé de surveillance»), CMU,
vol. X, annexe 213.
64 Plan de surveillance de la DINAMA de mai 2007, op. cit., annexe A, par. A1, CMU, vol. II, annexe 39.

65 [Evaluation du programme de surveillance de la performance environnementale de l’usine, réalisée par
EcoMetrix à la demande de la SFI ( phase1: examen avant mise en service) (Pre-Commissioning Review),
novembre 2007, DU, vol. III, annexe R50], p. ES.iii.

66 Ibid., p. ES.iv. - 23 -

surveillance approuvé par la DINAMA, plan qui est présenté en détail à l’annexe41 de la

duplique 6.

60 La plupart des activités de surveillance menées à bien par la DINAMA ont déjà été

exposées à la Cour, et je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit. Mais il convient d’ajouter que le

monitoring postopérationnel de la DINAMA porte notamment sur la confor mité de l’exploitation

de l’usine avec les dispositions du droit, et av ec les autorisations et plans de gestion de

l’environnement, de l’Uruguay. Ce mécanisme permettra à la DINAM A de détecter rapidement si

l’usine Botnia porte effectivement atteinte à l’environnement et de réagir comme il se doit et au

plus vite en contraignant Botnia à prendr e des mesures de dépollution ou de protection

supplémentaires.

61. L’obligation faite à Botnia de présenter le s résultats des relevés effectués dans le cadre

de la surveillance, conjuguée au monitoring postopérationnel mené à bien par la DINAMA

31 elle-même, assure l’exercice d’un contrôle constant et approfondi. Autrement dit, si des effets

inacceptables devaient effectivement se manifester, l’Uruguay aurait les moyens, puisqu’il possède

à la fois le régime juridique et le programme de surveillance requis, de veiller à ce qu’ils soient

détectés et réglés.

62. Plus important, la DINAMA et le ministère de l’environnement ont le pouvoir de

suspendre l’exploitation de l’usine de manière temporaire ou permanente en cas d’atteinte à

l’environnement, et d’exiger l’adoption de tec hniques antipollution plus rigoureuses ou de toute

autre mesure jugée nécessaire pour garantir la conformité aux normes requises en matière de

qualité de l’eau ou parer à un risque pour l’environnement . Même lorsqu’un projet est exploité

conformément aux critères qu’elle a approuvés, la DINAMA peut exercer ces pouvoirs s’il s’avère

que ce projet a néanmoins des effets dommageables.

67
Plan de monitoring et de suivi environnemental de l’usine Botnia, op. cit., DU, vol. II, annexe 41.
68Décret n o253/79, op. cit ., art.17, CMU, vol.II, annexe6, loi 17283, loi générale de protection de
l’environnement, art. 14, 28 novembre 2000. CMU, vol. II, annexe 11. - 24 -

63. Un exemple, puisé parmi plusieurs cas rapportés, montrera à la Cour comment le système

fonctionne concrètement 69. Le 26janvier2009, une fuite de gaz a été attribuée à une erreur

commise lors d’une opération de maintenance de routine à l’usine Botnia. Les mécanismes de

contrôle adoptés dans le cadre du plan d’interventi on d’urgence de la société sont donc entrés en

jeu. La DINAMA a inspecté l’us ine le lendemain matin, pour contrôler la situation et les mesures

adoptées par Botnia; elle a ordonné à la société de mettre en Œuvre des mesures de surveillance

supplémentaires et de revoir le protocole de main tenance des lignes de gaz contenant du soufre

70
réduit total (TRS) . L’une et l’autre de ces mesures ont été mises en Œuvre en temps voulu. Tous

ces faits sont consignés dans le dossier regroupant les rapports de surveillance de la DINAMA.

64. Les auteurs du rapport d’examen avant mi se en service diligenté par la SFI ont

spécifiquement approuvé les processus et protocoles relatifs à la surveillance de l’usine Botnia, et

conclu que «[l]es composantes du programme de surveillance suiv[aient] des protocoles bien

établis qui faciliter[aie]nt la concep tion, l’analyse et l’interprétation» 71. Mention était faite, en

particulier, des programmes de surveillance de «la qualité de l’eau, de la qualité des sédiments et

des indicateurs biologiques», et il était précisé que ces programmes étaient «semblables au

programme d’études de suivi des effets sur l’environnement (ESEE) exigées pour les usines de pâte

à papier et de papier au Canada».

32 65. Le troisième rapport EcoMetrix fournit un re levé détaillé des résultats de la surveillance

effectuée par la DINAMA et Botnia en 2008 7. Et, comme la Cour l’a entendu lundi dernier, il en

ressort que l’usine observe toutes les règles et normes environnementales applicables et n’a causé

ni pollution de l’air, ni pollution de l’eau. Ces conclusions, comme je l’ai dit lundi dernier, sont

69 DINAMA, rapport de juillet2009 sur la performance de l’usine Botnia, op. cit., p. 23-24 ; DINAMA, rapport

de juillet 2009 sur la qualité de l’eau de surface et des sédi ments (semestre janvier-juin 2009) (ci-après le «rapport de la
DINAMA sur la qualité de l’eau»), p.29; pour consulter la version originale espagnole, cliquer sur le lien «Informe
Agua Semestre Ene-J2u0n09» à l’adresse suiv ante : http://www.mvotma.gub.uy/dinama/index.
php?option=com_docman&Itemid=312. (Traduction anglaise soumise à la Cour le 14 septembre 2009.)
70
Résolution52/09 de la DINAMA, commentaires de l’Uruguay relatifs aux nouveaux documents produits par
l’Argentine, 15 juillet 2009, annexe C6.
71 Rapport d’examen avant mise en service, p. ES.iv, DU, vol. III, annexe 50.

72 Troisième rapport EcoMetrix, mars 2009, Documents nouveaux produits par l’Uruguay, annexe S7. - 25 -

pleinement corroborées par les données recueillies dans le cadre de la dernière surveillance réalisée

73
par la DINAMA .

66. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, vous serez peut être surpris d’apprendre

que, jusqu’en février 2006, la CARU assumait l’essentiel de la res ponsabilité de la surveillance de

la qualité et de la salubrité de l’eau du fleuve Uruguay. La CARU a élaboré deux plans: 1)le

programme de contrôle et de prévention de la pollution (ou «PROCON»); et 2)le plan de

monitoring de la qualité des eaux du fleuve Urugua y dans les zones d’implantation d’usines de

cellulose (ou «PROCEL»). Ces plans sont d ésignés d’après leurs acronymes espagnols. Le

PROCEL, je l’ai dit lundi, était conçu ⎯ ainsi qu’il ressort de son intitulé ⎯ spécifiquement pour

assurer une surveillance des usinesBotnia et EN CE. Outre la qualité de l’eau, la CARU a

également analysé d’autres paramètres de l’état environnemental du fleuve Uruguay et, notamment,

74
des données sur: 1)les contaminants organiqu es et métalliques contenus dans les sédiments ; et

2)différentes données concernant les communau tés de poissons, y compris la diversité des

populations , le frai et les concentrations de certains contaminants dans la chair des poissons . 77

67. Malheureusement, toutes ces activités de surveillance de la CARU ont été suspendues à

la demande instante de l’Argentine. L’Argen tine a commencé par empêcher la CARU de mener à

bien de nouvelles activités de surveillance au titr e du PROCON et du PROCEL, en janvier2006,

78
peu avant d’introduire la présente instance . Depuis lors, l’Argentine a systématiquement refusé

d’autoriser la reprise des activités de surveillan ce préalablement convenues au sein de la CARU.

73 DINAMA, rapport d’évaluation de la performance pendan t la première année d’opé ration de l’usineBotnia,
mai 2009, op. cit., Documents nouveaux produits par l’Uruguay, anne xeS7; DINAMA, rapport de juillet 2009 sur la
performance de l’usine Botnia, op. cit., rapport de la DINAMA de juillet 2009 sur la qualité de l’eau, op. cit. ; DINAMA,

rapport de juillet2009 sur la qualité de l’air (semestre: janvier-j uin2009) (ci-après «le rapport de la DINAMA de
juillet2009 sur la qualité de l’air»); pouconsulter la version originale espagnol e, cliquer sur le lien: «Informe Aire
Semestre Ene-Jun2009», à l’adresse suivante : http://www.mvotma. gub.uy/dinama/index.php
?option=com_docman&Itemid=312. (Traduction anglaise soumise à la Cour le 14 septembre 2009.)
74
Etude d’impact cumulé finale, annexe D, p. D.3.7, CMU, vol. VIII, annexe 176.
75
Ibid.
76
Ibid., p. D3.10.
77 Ibid., p. D3.16.

78 Voir, par exemple, la note diplomatique CARU-ROU n 024/06 adressée le 18 septembre 2006 au président de
la délégation argentine de la CARU par le président de la délégation uruguayenne de la CARU, p.1, CMU, vol.IV,
o
annexe120. Note diplomatique CARU-ROU n 033/06 adressée le 13octobre2006 au président de la délégation
argentine de la CARU par le président de la délégation uruguayenne de la CARU, p. 1, CMU, vol. IV, annexe 121. - 26 -

79
33 L’Uruguay a maintes fois exprimé le désir de voir relancer ce processus, mais en vain , et

l’Argentine continue d’opposer un véto à la repr ise d’activités de surveillance conjointes en ce qui

concerne l’usine Botnia 80.

IV. C’ EST À L ’A RGENTINE QU ’INCOMBE LA CHARGE DE LA PREUVE SUR TOUS CES POINTS ,

MAIS SI L ’U RUGUAY A PLUS QU ’ÉTABLI LE BIEN -FONDÉ DE SON ARGUMENTATION ,
TEL N ’EST PAS LE CAS DE L ’A RGENTINE

68. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , j’en viens, pour finir, à la question de la

charge de la preuve. C’est à l’Argentine qu’incombe cette charge, conformément à la

jurisprudence bien établie de la Cour 81.

69. L’Uruguay, néanmoins, a présenté à la Cour de très nombreuses données, recueillies

notamment dans le cadre d’évaluations d’impact sur l’environnement et de plans de surveillance

⎯menés à bien, pour beaucoup d’entre eux, par des consultants indépendants et de Botnia et de

l’Uruguay —, dont il ressort qu’il n’y a pas d’impact significatif sur l’écosystème ou la qualité de

l’eau du fleuve. En outre, les éléments de pr euve présentés par l’Argentine n’ont pas permis

d’établir ne serait-ce qu’un risque prima facie de pollution nocive ou de dommage écologique ni,

a fortiori, un risque de dommage grave ou irréparable résultant de l’exploitation d’une usine dont

les émissions et le fonctionnement sont pleineme nt conformes aux règles et normes applicables.

Ainsi, quand bien même l’Argentine aurait raison de faire peser sur l’Uruguay la charge de la

preuve, cela ne changerait rien, étant donné la faiblesse manifeste de sa propre thèse.

70. Les éléments de preuve militant en faveur de l’Uruguay sont considérables, ils sont

solides, et ils sont fondés sur d es donnés recueillies dans le cadre de programmes de surveillance

menés à bien sur des périodes de dix-huit mois. Et comme mon collègue M.Reichler l’a si bien

démontré, l’Argentine n’a présenté aucun élément digne de foi, ou digne d’être relevé, qui viendrait

79Voir, par exemple, la note diplomatique CARU-ROU n 024/06, op. cit., p. 1, CMU, vol. IV, annexe 120. Voir
également la note diplomatique CARU-ROU n 033/06, op. cit., p. 1, CMU, vol. IV, annexe 121.
80 o
Voir, par exemple, la note diplomatique DACARU n 019/06, adressée le 20octobre2009 au président de la
délégation uruguayenne de la CARU par le président de la délégation argentine de la CARU, CMU, vol. III, annexe 122.
81
Affaire relative à l’ Application de la convention pour la préven tion et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Serbie-et-Mont énegro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 , p.128, par.204 («En ce qui concerne la
charge de la preuve, il est constant que le demandeur est tenu d’étayer ses arguments, et qu’une partie qui avance un fait
est tenue de l’établir.»); affaire des Activités militaires et par amilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.
Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, C.J.I. Recueil 1984 , p.437, par. 101 («c’est…au plaideur qui
cherche à établir un fait qu’incombe la charge de la preuve»). - 27 -

les infirmer. Les moyens soumis à la Cour indiquent dans leur écrasante majorité que

l’exploitation de l’usine ne causera pas d’effets inacceptables ⎯ en tout état de cause pas d’effets

qui soient assimilables à des dommages graves ou irré versibles, au sens du principe15 de la

déclaration de Rio. L’Uruguay soutient que, s’il doit rapporter la preuve de ce qu’il avance en ce
34

qui concerne la pollution et les effets sur l’enviro nnement, il s’est plus qu’acquitté de cette tâche.

Et cela montre, bien mieux que toute énumération de lois, réglementations ou descriptions

techniques, que l’Uruguay a agi à tous égards avec diligence dans sa façon de gérer la question de

l’usine de pâte à papier Botnia.

V. CONCLUSIONS

71. Monsieur le président, la thèse de l’Argen tine ne saurait être accueillie parce que rien ne

justifie, en droit, d’ordonner la fermeture d’une installation industrielle se conformant pleinement à

toutes les réglementations environnementales applicables convenues entre les deux Parties

⎯fût-ce en vertu du principe de précaution. L’ argumentation de l’Argentine est centrée sur le

dommage et le risque environnemental prétendum ent causés par cette usine à cet endroit. Or,

comme l’a conclu la Commission du droit internatio nal au terme de plusieurs années de travaux 82,

le droit international oblige les Etats à agir avec diligence pour prévenir la pollution mais il

n’interdit pas, à l’intérieur du territoire d’un Etat , les activités par ailleurs licites pour la simple

raison qu’elles pourraient faire peser un risque sur l’envi ronnement si elles n’étaient pas

convenablement réglementées et contrôlées. Mons ieur le président, Messieurs de la Cour,

l’Uruguay a démontré que les activités de l’usin e Botnia étaient fort bien réglementées et

contrôlées par la DINAMA et par la CARU.

72. La Cour se trouve aujourd’hui dans une s ituation très semblable à celle qu’a connue la

Commission du droit international. Si elle fait droit à la demande —sans précédent— de

l’Argentine tendant à fermer l’usine au motif que celle-ci ferait peser un risque sur

l’environnement, et ce, en dépit des mesures prises par l’Uruguay en vue d’éliminer ce risque, la

82
Projet d’articles sur la prévention des dommages tansfrontières résultant d’ activités dange reuses et
commentaires y relatifs (2001), Nations Unies, doc. A/56/10. - 28 -

Cour prendra une décision lour de de conséquences non seulement pour l’industrie mondiale de la

pâte à papier, mais également pour des activités analogues.

73. Conformément aux accords de Rio et aux impératifs du développement durable,

l’Organisation des NationsUnies et la Banque mondi ale ont axé leurs efforts sur le renforcement

de la réglementation des activités industrielles et de la surveillance, la réduction des déchets,

l’amélioration de l’efficacité, l’intégration de la protection de l’e nvironnement dans le

83
développement économique ⎯ autant d’aspects sur lesquels la So ciété financière internationale a

insisté lorsqu’elle a accepté de financer l’usine Botnia. L’adopt ion d’une approche fondée sur le

principe de précaution et de prévention s’inscrit assu rément dans cette opti que et devrait, bien

évidemment, inviter les Etats à davantage de prudence, comme cela a été le cas en l’espèce, mais il

ne s’agit pas pour autant de proscrire tout ris que, aussi mineur ou improbable soit-il. L’Uruguay

35 soutient qu’il a plus que satisfait aux exigences associées aux principes de prévention et de

précaution en autorisant la construction et la mise en service de l’usine Botnia dans les conditions

dont il a rendu compte à la Cour.

74. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’ai conscience que ma plaidoirie a été

longue —excessivement longue, très certainement. Je vais donc terminer en résumant les

conclusions qui se dégagent de ma démonstration.

75. Premièrement, il n’y a pas eu de violation des dispositions du statut de 1975 relatives à la

prévention de la pollution et à la protection du milieu aquatique: l’Uruguay a agi avec diligence,

prenant toutes les mesures requises par le statut pour prévenir la pollution et protéger l’équilibre

écologique du fleuve.

76. Deuxièmement, les rejets de l’usine Botnia n’ont pas altéré la qualité de l’eau ni causé

une pollution du fleuve Uruguay, dont ils n’ont pas davantage altéré l’équilibre écologique.

77. Troisièmement, l’Uruguay s’est conformé aux dispositions de l’article41: il s’est

acquitté de son devoir de réglemen ter les rejets d’effluents dans le respect des normes établies par

83
CNUED, action 21, chap. 19-20. - 29 -

la CARU en matière de qualité de l’eau et d’émissions, ou aux termes de ses propres lois et

réglementations.

78. Quatrièmement, la technologie employée par l’usine satisfait à toutes les exigences en

matière de prévention de la pollution et de protection de l’environnement posées par le statut

de 1975, et est pleinement conforme aux principes de précaution et de prévention.

C7i9.uièmement ⎯ et je n’ai plus que quatre points ⎯, les Parties ont, par l’intermédiaire

de la CARU, coordonné les mesures nécessaires pour prévenir toute altération de l’équilibre

écologique du fleuve, conformément aux prescriptions de l’article 36, et toute nouvelle mesure qui

pourrait se révéler nécessaire devrait être coordonnée dans le cadre de la CARU.

80. Sixièmement, l’usine a fait l’objet d’une évaluation d’impact sur l’environnement qui

satisfait à tous les critères fixés par le droit uruguaye n et le droit international en matière de risque

transfrontières. Cette évaluation a été complète et elle a été réalisée en temps voulu.

81. Septièmement, le mécanisme de surveillan ce actuellement en vigueur satisfait à tous les

critères prévus par le droit uruguayen, le statut de 1975 et le droit international en ce qui concerne

le risque transfrontières.

82. Enfin, bien que la charge de la pre uve, à tous ces égards, incombe à l’Argentine,

l’Uruguay a plus qu’établi le bien-fondé de son argumentation, ce que n’a nullement fait

l’Argentine.

36 83. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , je vous remercie de votre attention, et vous

prierai à présent de donner la parole à M. McCaffrey.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Je remercie M. Boyle pour son

intervention et je donne maintenant la parole à M. Stephen McCaffrey. Vous avez la parole,

Monsieur.

M.McCAFFREY: Merci, Monsieur le préside nt. Monsieur le président, Messieurs les

juges, c’est un honneur de me présenter de nouveau devant vous au nom de la République orientale

de l’Uruguay. - 30 -

LES PROCÉDURES PRÉVUES PAR LE STATUT ET LE RÔLE DE LA CARU

I. NTRODUCTION

1. Monsieur le président, vous avez ma intenant entendu les arguments d’ordre

environnemental de l’Uruguay sur les questions so umises à la Cour. Comme l’ont démontré les

précédents intervenants, l’usine Botnia ne nuit pas, et ne pose aucun risque de nuire, à la qualité de

l’eau ou au milieu aquatique du fleuve Uruguay, et encore moins de leur nuire de manière

significative. Les arguments en sens contrair e avancés par l’Argentine ne résistent pas à un

examen rigoureux.

2. Après avoir démontré la fausseté des argum ents d’ordre environnemental de l’Argentine,

l’Uruguay se tourne à présent vers l’autre aspect de ce différend : les griefs d’ordre procédural de

l’Argentine. Mon rôle est maintenant de comme ncer à réfuter les allégations que vous ont tant

répétées les défenseurs de l’Ar gentine la semaine dernière, sel on lesquelles l’Uruguay aurait violé

les dispositions d’ordre procédural du statut de 1975.

3. Les observations que je ferai ce matin à ce propos se décomposeront en trois parties, dont

les deux premières seront brèves. Premièrement, je présenterai un rapide aperçu des règles

procédurales prévues par les articles 7 à 12 du statut, afin de synthétiser pour la Cour l’essentiel du

mécanisme procédural qui y est prévu. Deuxièmement, j’évoquerai l’objectif de ces règles. Enfin,

dans une troisième partie, qui o ccupera l’essentiel de mon temps, je démontrerai que, bien que la

CARU ait un rôle réglementaire extrêmement important en matière d’établissement des normes et

de surveillance de la qualité de l’eau ainsi qu’en matière de respect par les Parties de leurs

obligations de fond visant à empêcher la pollution, el le n’a au contraire qu’un rôle modeste dans le

processus consultatif entre les Parties en ce qui concerne les projets autorisés par l’une ou l’autre et

qui comportent l’utilisation du fleuve. A la su ite de mon intervention aujourd’hui et demain,

M. Martin démontrera que, contrairement à ce qui vous a été dit la semaine dernière, l’Uruguay n’a

37 pas violé l’article7 du statut de1975. M.C ondorelli démontrera ensuite, en se concentrant

particulièrement sur l’article 12, que l’Uruguay a respecté le reste du mécani sme procédural établi

par les articles8 à12 du statut, et il répondr a aux arguments de l’Argentine concernant

l’interprétation correcte de ces dispositions. - 31 -

II. APERÇU DES ARTICLES 7À 12

4. Monsieur le président, j’en viens donc au premier point de mes observations. Les

articles 7 à 12 du statut établissent une série de procédures à suivre lorsque l’un des Etats prévoit de

mettre en Œuvre, de son côté du fleuve Uruguay, un projet «suffisamment importan[t] pour affecter

la navigation, le régime du fle uve ou la qualité de ses eaux», pour reprendre les termes du statut.

Ces articles prévoient une série d’étapes qui abouti ssent, lorsque le différend persiste, à la saisine

de la Cour. Vous trouverez le texte des articles pertinents sous l’onglet n o1 du dossier des juges.

Je m’abstiendrai d’imposer à la Cour la lecture du texte intégral de ces dispositions.

A. L’article 7

5. L’énoncé du processus commence à l’article7. En vertu du premier paragraphe de cet

article, l’Etat qui prévoit de mettre en Œuvre un pr ojet «suffisamment importan[t] pour affecter la

navigation, le régime du fleuve ou la qualité de ses eaux» doit en informer la CARU, qui dispose

alors d’un très bref délai de trentejours pour dé terminer «sommairement» si le projet envisagé

«peut causer un préjudice sensible à l’autre Partie». Si la CARU décide qu’il n’en est rien, le

processus s’arrête là. Aucune procédure supplémentaire n’est prévue.

6. Si, au contraire, la CARU décide que le projet peut causer un préjudice sensible à l’autre

Partie ou si elle ne parvient pas à prendre une d écision sur cette question, le deuxième paragraphe

de l’article7 prévoit que l’Etat qui envisage le projet notifie ce dernier à l’autre Partie par

l’intermédiaire de la CARU. Le troisième para graphe de l’article7 précise la nature des

informations que l’Etat auteur de la notification doit fournir à l’Etat destinataire.

7. Il convient de souligner au moins deux poin ts essentiels à propos du texte de l’article7.

Tout d’abord, le champ d’application de cet artic le est matériellement limité. L’obligation de

notifier ne s’applique pas à tout projet que l qu’il soit, mais uniquement à ceux qui sont

suffisamment importants pour pouvoir potentiellement modifier ces trois seuls aspects du fleuve:

1) la navigation ; 2) le régime du fleuve ; ou 3) la qualité de ses eaux. Toutes les autres questions,

y compris celles qui sont d’ordre environnemental telles que la qualité de l’ air par exemple, sont

exclues du champ d’application de ces règles procédurales.

38 8. Le deuxième point essentiel en ce qui concerne l’article 7 est que le rôle de la CARU dans

ce processus est assez li mité. Mon collègue, M.Martin, vous en dira plus à ce sujet dans un - 32 -

moment, mais le point qu’il convient de garder à l’esprit est que, pour les projets relevant de

l’article 7 et qui sont notifiés à la CARU, la Commission se voit seulement confier la tâche limitée

de procéder à un examen «sommaire», et donc n écessairement assez superficiel, dans un délai de

trente jours. Ensuite, le rôle de la Commission dans le processus de consultation est effectivement

terminé, hormis seulement le fait qu’elle continue à servir d’intermédiaire pour les communications

entre les Parties ⎯elle est un «facteur», pour reprendre les termes utilisés par l’ambassadeur

d’Argentine, M.JulioCarasales, ancien chef de la délégation argentine à la CARU, ancien

président de la Commission et l’une des principale s autorités en Argentine en ce qui concerne le

statut de1975. Or cela revêt une importance ca pitale, car ce sont précisément des négociations

directes entre les deux Parties, de «gouvernement à gouvernement», qui ont été menées en l’espèce,

comme nous allons le voir à présent.

B. Les articles 8 à 12

9. Monsieur le président, j’en viens maintena nt aux articles8 à12 du statut. L’article8

accorde à l’Etat notifié un délai de cent quatre-vingts jours pour examiner les informations qui lui

ont été fournies par l’Etat auteur de la notificati on, afin «d’évaluer l’effet probable que l’ouvrage

aura sur la navigation, sur le régime du fleuve [et] et sur la qualité de ses eaux».

10. Ensuite, l’article 9 dispose que, si l’Etat notifié ne formule pas d’objections ou ne répond

pas dans le délai de cent quatre-vingts jours prévu à l’article 8, l’Etat auteur de la notification peut

mettre en Œuvre le projet sans avoir à resp ecter une quelconque autre obligation d’ordre

procédural, hormis celle de permettre à l’Etat notifié d’inspecter les ouvrages du projet

conformément aux dispositions de l’article 10.

11. L’article11 traite de l’autre éventualité , à savoir de ce qui se produit lorsque l’Etat

notifié aboutit à la conclusion que le projet envi sagé peut causer un préjudice sensible. Dans ce

cas, d’autres procédures doivent être suivies. Notamm ent, l’Etat notifié doit informer l’Etat auteur

de la notification de ses conclusions. Le second paragraphe de l’article 11 impose une lourde tâche

à l’Etat qui s’oppose à un projet, puisque celui-ci doit : - 33 -

«précise[r] quels sont les aspects de l’ ouvrage ou du programme d’opérations qui

peuvent causer un préjudice sensible à la navi gation, au régime du fleuve ou à la
qualité de ses eaux, les raisons techniques qui permettent d’arriver à cette conclusion
et les modifications qu’[il] suggère d’apporter au projet ou au programme

d’opérations».

39 12. La communication de l’Etat notifié a pour effet de faire courir un autre délai de 180 jours

réservé aux négociations entre les parties. Bien que les articles7 à12 ne prévoient pas

expressément de négociations en tant que telles, cette obligation découle de l’article 12, qui dispose

que, si les parties n’aboutissent pas à un accord dans un délai de 180jours à compter de la

communication visée à l’article 11, il convient de recourir à la procédure indiquée au chapitre XV

du statut. Ce chapitre se compose quant à lui de l’ article 60, qui établit la compétence de la Cour

internationale de Justice pour «tout différend concer nant l’interprétation ou l’application» du statut

qui «ne pourrait être réglé par négociation directe».

III. LE BUT DES DISPOSITIONS PROCÉDURALES DU STATUT

13. Monsieur le président, j’en viens à présen t au but des dispositions procédurales que je

viens de résumer. Lorsque l’on examine l’argum ent de l’Argentine selon lequel l’Uruguay a violé

les obligations procédurales auxquelles il est tenu, il importe d’avoir l’objectif de ces obligations à

l’esprit. Comme je vais à présent le démontrer, le but des dispositions procédurales du statut est

d’assurer que les parties se consultent et, en défi nitive, respectent les obligations de fond découlant

du statut. Ainsi, les mécanismes procéduraux prévus dans le statut n’existent pas pour eux-mêmes,

dans le vide, mais plutôt comme un outil permettant de faciliter la réalisation de ces objectifs en

garantissant que chacun des deux Etats riverains est pleinement informé, et a la possibilité d’être

consulté, sur les projets de l’autre, avant leur exécution. Ces procédures sont, en un mot, un moyen

utilisé en vue d’une fin. Un moyen important, certes, mais un moyen avant tout.

14. Pendant la procédure orale de juin20 06 consacrée à la demande en indications de

mesures conservatoires présentée par l’Argentine 8, l’Uruguay a dit que les dispositions

procédurales du statut de1975 ne pouvaient être examinées isolément, mais devaient être

interprétées à la lumière de leur but ultime au sein du statut. Je suis ravi de dire que l’Argentine a

84
CR 2006/49, p. 31 (Reichler). - 34 -

explicitement souscrit à cette observation de l’Ur uguay, tant dans son mémoire que dans sa

réplique . Dans cette dernière pièce de procédure par exemple, l’Argentine déclare ce qui suit :

«Les dispositions et obligations procédurales des parties en vertu des articles 7

40 à12 du statut de 1975 ne peuvent pas être considérées isolément, sans prendre en
compte la finalité de ces obligations précises et spécifiques, c’est-à-dire la réalisation
86
des obligations substantielles du statut.»

L’Uruguay n’aurait pas pu mieux le formuler, et fait siens les termes employés par l’Argentine.

15. Si nous souhaitons examiner de plus près le but des procédures prévues au chapitre II du

statut, il est utile de consulter M.JulioBarberis , l’une des grandes autorités argentines dans le

domaine du droit international de l’eau. M.Barb eris était également le chef de la délégation

argentine lors des pourparlers avec l’Uruguay qui ont mené à l’adoption du statut de 1975. Prenant

la parole lors d’une rencontre technique et juridique parrainée par la CARU en 1987, M. Barberis a

87
décrit assez longuement les fonctions de cette commission . L’Uruguay souscrit à cette

description, qui est reproduite dans son contre-mémoire 8. Au sujet des projets envisagés,

M. Barberis a dit ce qui suit :

«Lorsqu’un des Etats envisage de réaliser des travaux d’une ampleur suffisante
pour avoir une incidence sur le fleuve, il doit d’abord consulter son voisin riverain afin

de lui permettre de déterminer si les tr avaux en question lui causeront un préjudice
sensible. Les articles7 à13 du statut définissent la procédure à suivre à cette fin et
prévoient la participation de la commission.» 89

16. Il est intéressant de noter que selon M. Barber is, la plus grande autorité argentine sur le

statut de 1975, cet instrument dispose que l’Etat qui envisage un projet «doit d’abord consulter son

voisin riverain», et les «articles7 à 13…défi nissent la procédure à suivre à cette fin». Ces

dispositions ont donc pour «fin» de garantir la «consultation» du voisin riverain. Si M. Barberis ne

s’attarde pas ici sur la forme que doit prendre la participation de la commission, il la décrit ailleurs,

90
comme l’a fait l’Uruguay, comme une «par ticipation au régime de consultation» . Comme nous

85
Voir MA, par. 3.31 et 5.2, et RA, par. 1.28 et 1. 69.
86
RA, par. 1.69.
87Symposium technique et juridique de la CARU, 17-18 septembre 1987, CMU, vol IV, annexe 72.

88CMU, p. 140-141, par. 2.200.

89Symposium technique et juridique de la CARU, 17-18 septembre 1987, CMU, vol IV, annexe 72. Le passage
en question est cité dans le CMU, p. 141, par. 2.200.
90
Ibid. C’est ainsi que M. Barberis d écrit la cinquième catégorie des attibutions de la CARU. Pour la
formulation presque identique faite par l’Uruguay, voir CMU, p. 134, par. 2.189. - 35 -

l’avons vu, cette participation consis te à recevoir la notification initia le de la partie qui propose le

projet, réaliser un examen sommaire pour déterminer si le projet envisagé est susceptible de causer

un préjudice sensible à l’autre partie, et si la commission conclut que cela pourrait être le cas,

notifier les parties —à ce stade, la partie qui propose le projet doit notifier son projet à l’autre

partie par le biais de la commission. Par la suite, la CARU joue simplement un rôle

41 d’intermédiaire entre les Parties dans le cadre des communications relatives aux projets envisagés,

comme nous l’avons indiqué plus tôt.

17. La semaine dernière, M. Pellet s’est fait l’écho de cette interprétation quand il a affirmé

que la «CARU est essentiellement un cadre de concertation [ou de consultation] entre les

91
Parties» . Pour l’Uruguay aussi, le principal but d es dispositions procédurales du statut est de

garantir des consultations entre les Parties sur les types de projets qui relèvent de l’article 7.

18. Dans l’affaire qui nous intéresse, cet obj ectif a été atteint grâce à des consultations

directes entre l’Uruguay et l’Argentine au sujet du projet Botnia, dans le cadre du processus de

sixmois qui s’est déroulé sous les auspices du GTAN en2005. Il ne fait pas de doute que ce

processus, entamé par les deux parties par accord mu tuel à l’invitation de l’Argentine en mai 2005,

prévoyait l’engagement immédiat de négociations directes entre les deux Etats au lieu du stade

préliminaire, prévu à l’article7, d’une notification formelle et d’un examen préliminaire par la

CARU. Cependant, si l’objectif central des dispos itions procédurales du statut est de garantir des

consultations entre les parties sur tout projet comportant une utilisation du fleuve qui est

susceptible de porter préjudice à l’autre partie, eh bien, il n’y a pas de raison pour que les parties ne

se sentent pas libres d’adopter, par accord mutu el, ce qu’elles considèrent comme le meilleur

moyen de consultations dans le cadre d’un projet particulier, même s’il s’écarte des formalités

prévues à l’article 7.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de présiden:t MM . cCaffrey, ayant pris

connaissance du plan de votre judicieuse argumentati on d’aujourd’hui, le moment me semble bien

choisi pour prendre une pause étant donné que la deuxième partie de l’argumentation de l’Uruguay

est déjà bien entamée. La séance est donc suspendue pendant quinze minutes.

91
CR 2009/13, p. 26, par. 1. - 36 -

M. McCAFFREY : Je vous remercie, Monsieur le président.

L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 35.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de présiden:tVeuillez vous asseoir.

Monsieur Mc Caffrey, vous pouvez poursuivre et abor der le troisième point de votre plaidoirie de

ce matin.

42 M. McCAFFREY : Je vous remercie, Monsieur le président.

IV. LA NATURE DE LA CARU EN TANT QUE MÉCANISME INSTITUTIONNEL COMMUN

19. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi d’examiner à présent le

troisième sujet dont je voudrais vous parler: la nature de la CARU en tant que mécanisme

institutionnel commun. Comme l’Uruguay et l’Ar gentine l’ont tous deux fait observer, des

fonctions importantes ont été attribuées à la CARU afin qu’elle puisse mettre en Œuvre les

dispositions pertinentes du statut de 1975.

A. L’objectif de la CARU est de faciliter la coopération et non de l’empêcher

20. L’Argentine cherche toutefois à représenter la CARU comme une commission dotée de

pouvoirs et de caractéristiques que le statut ne lu i a tout simplement pas donnés. Elle semble, en

particulier, déterminée à donner l’impression que , dès lors que les Parties ont créé cette

commission par le statut de 1975 et s’agissant des sujets à l’égard desquels la CARU a compétence,

elles sont tenues de recourir à la commission et nesont pas libres de s’entendre pour s’affranchir

des procédures ou d’autres points relevant de la CARU. Ainsi, l’argumentation de l’Argentine

revient à considérer la CARU comme un organi sme autonome doté de pouvoirs supranationaux.

Mais c’est là se méprendre gravement sur la manière dont non seulement la CARU mais également

la plupart des autres commissions fluviales internationales fonctionnent réellement.

21. Ce ne sont pas des organismes autonomes, mais des mécanismes établis pour faciliter la

coopération entre des Etats riverains. Puisque ce sont les Etats qui en sont membres qui les ont

créés, ces mêmes Etats sont bien évidemment libres de s’écarter du mécanisme commun lorsque

cela sert leur objectif et c’est ce qu’ils font souvent . Pour ne citer qu’un exemple, le Canada et les - 37 -

Etats-Unis ont souvent traité de questions partic ulièrement importantes et sensibles en dehors de la

commission mixte internationale, ou CMI, l’in stitution hautement respectée que ces Etats ont

92
établie en vertu du traité relatif aux eaux limitrophes de 1909 . Pour ce faire, ces Etats, d’une part,

ont repris à leur charge des questions qu’ils av aient tout d’abord soumises à la CMI, et, d’autre

part, se sont abstenus d’en renvoyer d’autres à la commission ⎯tous ces sujets étant de ceux à

l’égard desquels la CMI aurait sinon eu compétence. Le différend de cette nature qui est peut-être

le plus célèbre est celui concernant le haut-four neau de Trail, en Colombie-Britannique, à propos

duquel la CMI a présenté un rapport mais que les de ux gouvernements ont finalement retiré à la
43

commission et soumis à l’arbitrage. Ce di fférend aboutit à la célèbre sentence arbitrale Trail

Smelter 9, que beaucoup considèrent comme la pie rre angulaire du droit international de

l’environnement. Parmi les autres différends qui re levaient de la compétence de la CMI mais que

les gouvernements ont eux-mêmes traités, on tro uve ceux concernant le projet de dérivation

Garrison et le détournement des eaux du bassin du lac Devils. Dans ce dernier cas, le secrétariat de

la commission de coopération environnementale de l’Amérique du Nord a d’ailleurs jugé, en

réponse à une pétition déposée par des citoyens, qu e les deux gouvernements n’étaient pas obligés

94
de soumettre les différends relatifs aux eaux limitrophes à la CMI .

22. Monsieur le président, en l’espèce, l’Argen tine et l’Uruguay n’ont pas été au-delà de ce

que le Canada et les Etats-Unis ont fait, à de nombreuses reprises, à l’égard de leur commission

mixte sur les ressources en eau douce partagées de même que d’autres Etats en ce qui concerne

leurs propres commissions fluviales mixtes.

23. Afin de dissiper tout doute possible, il me faut insister sur un point qui s’impose de

lui-même, à savoir que, comme l’a indiqué lundi M. l’ambassadeurGianelli, l’Uruguay respecte

beaucoup la CARU et la considère comme une ins titution indispensable à la gestion conjointe du

fleuveUruguay, qui exerce un éventail de fonctions importantes, telles qu’énoncées à l’article56

92
Traité entre la Grande-Bretagne (Canada) et les Etats-Unis relataux eaux limitrophes et aux questions
originant le long de la frontière entreCanada et les Etats-Unis, 11janvier1909, BFSP (British and Foreign State
Papers), vol. 102 p. 137.
93
Affaire Trail Smelter, sentence du 11 mars 1941, Recueil des sentences arb itrales des Nations Unies , vol. III,
p. 1938.
94 CCE (Commission de coopération envi ronnementale de l’Amérique du Nord),

doc. A14/SEM/06-002/12/DETN, 21 août 2006, peut être consulté sur
http://www.cec.org/files/pdf/sem/06-2-DETN_en.pdf (en anglais uniquement). - 38 -

du statut. Par conséquent, rien de ce que je dirai dans la suite de ma présentation ne devra en aucun

cas être considéré comme une critique de ma part à l’égard de cet organisme essentiel. Je cherche à

souligner son importance, en exposant très clairement à la Cour ce qu’est la CARU, et ce qu’elle

n’est pas, s’agissant de la présente affaire.

24. Sur le plan le plus fondamental, ce qu’ est la CARU, c’est un organisme qui appartient à

une longue tradition de commissions fluviales inte rnationales. Si les fonctions de chaque

commission sont adaptées aux circonstances et a ux besoins particuliers de chaque cas, elles

fonctionnent pour la plupart de la même manière. En créant la CARU, l’Argentine et l’Uruguay

ont suivi un modèle qui date de près de deux siècles.

25. Ce modèle, c’est un organisme que Paul Reuter a décrit comme la doyenne des

95
organisations internationales ⎯et pas uniquement des commissions fluviales ⎯ la commission

centrale pour la navigation du Rhin. La commission centrale, qui a servi de modèle aux

44 commissions fluviales créées plus tard, a été établie à l’occasion du congrès de Vienne de1815.

Aujourd’hui, elle adopte des résolutions à l’unani mité des représentants des cinq Etats membres,

conformément à la convention de Mannheim du 17 octobre 1868, telle qu’amendée pour constituer

la convention révisée pour la navigation du Rhin du20novembre1963. L’article46 de la

convention révisée dispose: «les résolutions adopté es à l’unanimité sont obligatoires», mais le

même article autorise un Etat contractant à refu ser son approbation dans le délai d’un mois,

annulant ainsi la force obligatoire de la résolution 9.

26. Ainsi, même dans ce vénérable orga nisme, le descendant de la «doyenne des

organisations internationales» qui s’est réunie pour la première fois en1816, même dans cet

organisme, les décisions sont prises à l’unanimité des représentants des Etats ⎯et pourtant, ces

décisions prises à l’unanimité peuvent encore fa ire l’objet d’une annulation ou d’une suspension

par l’action d’un seul des Etats membres. Ce régime décisionnel reflète l’importance fondamentale

des questions concernant la navigation sur le Rhin p our les Etats riverains. Il n’est donc nullement

surprenant que la CARU soit également composée de représentants de chaque Etat membre et que

95
Paul Reuter, International Institutions, New York, 1961, p. 207.
96Convention révisée pour la navigation du Rhin, 20 novembre1963, art.46, peut être consultée sur

http://www.ccr-zkr.org/. - 39 -

ses décisions soient adoptées à l’unanimité ou par consensus. Les commissions fluviales du monde

entier suivent le modèle de prise de décision par les représentants de chaque Etat qui a été établi par

la commission centrale ; c’est le ca s notamment de la commission du Danube 97, de la commission

98 99
du Mékong , et de la commission permanente pour les eaux de l’Indus . Aucun de ces

organismes n’est autonome; il s’agit, dans tous les cas, d’institutions créées par les Etats pour

encadrer et donc faciliter leur coopération.

27. La CARU ne fait pas exception. Ainsi, t out à fait concrètement, la CARU est constituée

par les Parties ⎯l’Argentine et l’Uruguay ⎯ agissant conjointement. Il s’agit d’une entité

binationale et non d’un organisme autonome.

28. Il ne saurait peut-être y avoir de preuve plus forte de cette proposition que les règles

relatives à la prise de décision au sein de la CARU qui figurent dans le statut. Ces règles sont

simples et directes ⎯tant et si bien qu’elles ne font en réalité qu’une, énoncée intégralement à

l’article55 du statut et libellée comme suit: «Aux fins de l’adoption des décisions de la

45 commission, chaque délégation dispose d’une voix.» Point. L’article 49 dispose que la CARU doit

être composée «d’un nombre égal de membres de chacune» des Parties. Ainsi, les «délégations»

étant constituées de membres représentant les Partie s, aucune décision ne peut être prise par la

CARU à moins que les deux Parties ne s’entendent à ce tte fin. Il n’y a pas d’autorité autonome au

sein de la commission pour prendre des décisions indépendamment des Parties, ou contre les

souhaits de l’une d’entre elles. Mais, encore une fois, cela n’est pas particulier à la CARU. Il

s’agit d’une caractéristique de la grande majorité des commissions fluviales internationales dans le

monde.

29. Le fait que le statut dispose en son ar ticle50 que la CARU «j ouit de la personnalité

juridique» et, dans son article54, que la commiss ion conclut «avec les deux parties, les accords

nécessaires pour préciser les privilèges et immunités reconnus à ses membres et à son personnel par

97
Convention relative au régime de la navi gation sur le Danube, Belgrade, 18août1948, Recueil des traités des
Nations Unies, vol. 33, p. 181, art. 11 (vote à la majorité des représentants des Etats Membres).
98Accord de coopération pour la mise en valeur durab le du bassin du Mékong, signé à Chiang Rai, Thaïlande,
5 avril 1995, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 2069, I-35844, art. 15 et 20 (vot e à l’unanimité des représentants

au niveau ministériel).
99Traité relatif à l’utilisation des eaude l’Indus, Karachi, 19septembre1960, Recueil des traités des
Nations Unies, vol. 419, p. 125, art. IX, par. 1 (les représentants doivent trancher toute question d’un commun accord). - 40 -

la pratique internationale» est commun aux co mmissions fluviales internationales et n’est

absolument pas incompatible avec ce que je viens de dire au sujet de la manière dont la CARU

adopte ses décisions. La CARU est une organisati on internationale, mais la manière dont elle

prend ses décisions la rend rigoureusement dépend ante de la volonté des deux parties agissant

conjointement.

30. En réalité, Monsieur le président, en pratique ⎯ dans la pratique réelle ⎯ la CARU est

un instrument des ministères des affaires étrangères des deux parties. C’est le ministère des

affaires étrangères de l’Uruguay qui nomme ses délégués auprès de la CARU et c’est à ce ministère

que ces délégués font rapport, en tant que fonctionna ires à leurs supérieurs. Il en va de même pour

l’Argentine.

31. Par conséquent, il est parfaitement natu rel que, devant un projet de cette ampleur ⎯ le

projet Botnia ⎯ les deux ministères des affaires étrangères aient décidé de traiter la question

directement, au plus haut niveau politique, plutôt que par l’intermédiaire de subordonnés de rang

intermédiaire les représentant auprès de la CARU. C’est pourquoi, en l’espèce, les ministres des

affaires étrangères ont convenu, à l’invita tion de l’Argentine, de créer le GTAN ⎯ le groupe

technique de haut niveau ⎯ pour mener les consultations et les négociations directes prévues par le

statut de 1975. Ils ont décidé délibérément de ne pas confier un projet d’une telle ampleur, ayant

des incidences politiques importantes dans les deux pays, à leurs subordonnés au sein de la CARU.

Ils ont jugé, avec sagesse, que cette question devait être traitée directement et au plus haut niveau.

32. Comme nous l’avons vu, Monsieur le président , le statut de 1975 ne contient rien, et on

ne trouve rien non plus dans la riche histoire des commissions fluviales en général, qui empêche les

Parties de s’entendre pour procéder de cette manière.

46 B. Les Parties conviennent que la CARU n’a pas compétence pour approuver des projets

33. Monsieur le président, l’Argentine affirme, dans son mémoire, que la CARU est habilitée

à «détermine[r] s[i l’Uruguay peut] construire ou délivrer l’autorisation de construire [l]es ouvrages
100
concernés» . Or, dans sa réplique, l’Argentine se contredit sur ce point, ce que l’Uruguay a

100
MA, par. 4.13. - 41 -

signalé dans sa duplique 101; mardi dernier, M. Pellet a expressément reconnu que la CARU n’a pas

102
compétence pour autoriser ou rejeter un projet . Il s’agit donc là d’un faux problème : les parties

ont reconnu d’un commun accord que la CARU n’est pas habilitée à approuver des projets.

34. Il était donc surprenant d’entendre, la se maine dernière, pas moins de trois avocats de

l’Argentine 103faire référence à une réponse donnée par un ancien président de la délégation

uruguayenne auprès de la CARU, Mme Martha Petr ocelli, en réponse à une question hypothétique

qui lui avait été posée devant la commission de l’environnement du Sénat uruguayen

le12septembre 2005. Cette question était la suiv ante: que se serait-il passé si la question des

usines avait été portée devant la CARU et «si [ce lle-ci] avait dit non» ? Mme Petrocelli a répondu

dans les termes à présent bien connus de la Cour : «On n’aurait pas fait les ouvrages».

35. L’échange entre MmePetrocelli et la commi ssion peut être interprété d’au moins deux

manières, dont aucune ne vient étayer la thèse de l’ Argentine. En fait, les conseils de l’Argentine

n’ont cessé d’aller et venir entre ces deux interp rétations, ne sachant trop à laquelle donner leur

préférence et se contredisant souvent entre eux. Selon certains des conseils de l’Argentine, la

question posée à MmePetrocelli portait sur la comp étence de la CARU pour rejeter les projets

proposés, et d’après sa réponse, MmePetroc elli estimait que la CARU pouvait avoir cette

compétence. Mais si c’est bien ainsi qu’il faut co mprendre la question et la réponse, l’incident est

sans importance. Aussi bien l’Uruguay que l’Ar gentine conviennent à pr ésent, comme ils l’ont

déclaré tous les deux devant la Cour, que la CA RU n’a pas compétence pour rejeter les projets

proposés. Si Mme Petrocelli l’entendait autrement, elle était dans l’erreur. En tout état de cause,

son avis est sans importance à ce stade de l’instance.

36. Les conseils de l’Argentine se sont égal ement servis de la réponse de MmePetrocelli

⎯et je me réfère en l’occurre nce à la manière dont M.Sands a tenté de présenter les choses ⎯

pour admettre que l’Uruguay n’avait pas entamé de consultations avec l’ Argentine parce que, si
47

l’Argentine avait dit «non» au projet, «[o]n n’aurait p as fait les ouvrages». Cette interprétation de

la réponse de Mme Petrocelli est manifestement erron ée. Déjà, si on lit toute la série de questions

101DU, p. 36-37, par. 2.13-2.14.
102
CR 2009/13, p. 28, par. 8.
103CR 2009/13, p. 46 (Béraud), p. 53 (Boisson de Chazournes) et p. 67 (Sands). - 42 -

et réponses, et non le fragment qu’en ont extrait M. Sands et les autres conseils de l’Argentine, il

est clair que l’ensemble de ces questions porte sur la compétence de la CARU, et non sur les

consultations avec l’Argentine. Mais ce qui est enco re plus déterminant à cet égard, c’est le fait

qu’au moment de cet échange, en septembre2005 , l’Uruguay était déjà tr ès engagé dans des

consultations directes avec l’Argentine dans le cadre du processus du GTAN, suite à un accord

passé entre les deux Etats en mai2005, quatre mois plus tôt. Donc, quels qu’aient pu être les

propos de MmePetrocelli, il ne pouvait s’agir d’un refus d’entamer des consultations avec

l’Argentine ni d’un droit de l’Argentine de rejeter le projet de l’Uruguay.

37. La tentative laborieuse des conseils de l’Argentine de se servir de Mme Petrocelli comme

d’un témoin pour corroborer leur thèse selon laquelle l’Uruguay n’a jamais consulté l’Argentine au

sujet du projet Botnia, révèle à quel point l’Argen tine est peu sûre de l’argument qu’elle avance au

sujet des consultations. Des consultations ont eu lieu, notamment dans le cadre du GTAN;

l’Argentine aimerait amener la Cour à penser qu’il n’y en a pas eu.

C. La décision commune d’engager des négociations intergouvernementales
directes au sujet de l’usine Botnia

38. Monsieur le président, l’Argentine a fait va loir à maintes reprises, aussi bien dans ses

pièces de procédure qu’à l’audience, que l’Urugua y aurait dû informer la CARU des projets

d’usines de pâte à papier conformément aux dis positions de l’article7 du statut, indépendamment

des discussions tenues, à l’invitation de l’Argentin e, entre les ministres des affaires étrangères des

deux pays. Mon collègue M.Martin examinera cet argument dans le détail tout à l’heure. Il

m’incombe simplement, pour le moment, de préparer le terrain pour la Cour en lui exposant le

consentement des Parties à chercher à résoudre la question des usines directement, dans le cadre de

pourparlers intergouvernementaux. L’Uruguay est persuadé que la Cour reconnaîtra qu’après avoir

tenu directement le type même de consultations prévues aux articles7 à12 du statut, il aurait été

superflu, voire absurde, de revenir devant la CARU pour repasser, indirectement, à travers le même

processus.

48 39 [Planche.] Monsieur le pr ésident, la détermination des Parties à résoudre directement la

question, en dehors de la CARU, ressort clairement de l’extrait d’une lettre du 5 mai 2005 que vous - 43 -

voyez à présent à l’écran, adressée par le mi nistre argentin des affaires étrangères,

104
M. Rafael Bielsa, à son homologue uruguayen .

40. M.Martin vous en dira plus au sujet de cette lettre; pour le moment, deux éléments

méritent d’être soulignés en ce qui concerne la le ttre et ce qu’elle a déclenché. Premièrement, elle

montre bien que c’est l’Argentine qui a invité l’Uruguay à tenter de résoudre la question

directement. Deuxièmement, l’«intervention plus directe» dont parle le ministre Bielsa, expression

mise en évidence vers le bas de l’écran, s’est traduite par la mise en place ⎯ par les deux ministres

des affaires étrangères, en application d’un accord passé entre les présidents des deux pays ⎯ d’un

groupe technique d’experts, désigné par l’acr onyme GTAN. Demain, mon éminent collègue,

M. Condorelli, examinera plus en détail les négociations menées sous l’égide du GTAN.

V. C ONCLUSION

41. Monsieur le président, Messieurs de la C our, je dirai pour conclure que, pour l’Uruguay,

la CARU est un dispositif conjoint important, utile et efficace, créé par les Parties pour les aider à

mettre en Œuvre les dispositions du statut de1975. Ce n’est pas une entité autonome habilitée à

agir indépendamment de la volonté des Parties. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire l’article 55

du statut, aux termes duquel la dé légation de chaque pays, celle de l’Argentine et celle de

l’Uruguay, dispose d’une voix aux fins de l’adoption des décisions de la commission. Ainsi, par

l’entremise de leurs ministères des affaires étrangères, les deux pays contrôlent la CARU, laquelle

ne saurait agir sans l’approbation des deux délégati ons. Il en découle que les deux Etats peuvent

décider d’agir sans recourir à la procédure de la CARU. Si l’un des pays a par la suite un accès de

frilosité, comme c’est manifestement le cas de l’Ar gentine en l’occurrence, il ne devrait pas être

autorisé à revenir sur sa décision. Pacta sunt servanda. Cela vaut particulièrement pour les

situations où l’autre Partie a cru de bonne foi pouvoir s’appuyer sur l’entente initiale, comme l’a

visiblement fait l’Uruguay en la présente espèce.

42. L’Argentine a maintenant renoncé à souten ir, comme elle le faisait au début, que la

CARU a compétence pour approuver des projets. Il s’agit donc d’un faux problème dans la

présente affaire.

104
DU, vol. II, annexe R15. - 44 -

43. Enfin, les Parties sont libres de décider de faire directement ce qu’elles avaient convenu

de faire par l’intermédiaire de la CARU dans le statut de 1975. Les négociations directes menées à

l’initiative de l’Argentine rendent superflues les procédures prévues aux articles7 à12 du statut.

D’ailleurs, comme M. Martin le montrera, il n’y a rien, dans la décision des ministres des affaires
49

étrangères de se charger directement de la question, qui suggère même la nécessité de revenir aux

procédures prévues à l’article 7.

44. Monsieur le président, voilà qui conclut mon exposé. Je vous prie de bien vouloir inviter

à la barre mon collègue M. Lawrence Martin, qui examinera la mise en Œuvre des dispositions de

l’article 7 du statut par l’Uruguay. Je vous remercie de votre attention.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de prési dent: Je remercie M.McCaffrey pour son

exposé et je donne à présent la parole à M. Lawrence Martin. Vous avez la parole, Monsieur.

M. MARTIN : Merci, Monsieur le président.

L’U RUGUAY N A PAS VIOLÉ L ’ARTICLE 7

1. Monsieur le président, Messieurs les jug es, c’est pour moi un très grand privilège de me

présenter devant vous aujourd’hui au nom de la Ré publique orientale de l’Uruguay. La tâche qui

m’incombe ici cet après-midi est simple. Je démontrerai que, contrairement à toutes les allégations

que l’Argentine a formulées devant vous la semaine dernière, l’Uruguay n’a pas violé l’article 7 du

statut de 1975.

2. Mon intervention comportera trois parties. Tout d’abord, j’examinerai le texte même de

l’article 7, en me concentrant tout particulièrement sur la nature de la mission confiée à la CARU.

Mon objectif est de mettre en évidence le rôle rela tivement limité que joue la commission dans les

mécanismes procéduraux établis par les articles 7 à 11 du statut. Ensuite, je démontrerai qu’il

n’existe aucune raison logique ou juridique qui em pêcherait les Parties de convenir de se dispenser

de l’intervention initiale de la CARU et d’en venir immédiatement aux négociations directes de

gouvernement à gouvernement mentionnées dans les derniers articles du statut. Enfin, je

présenterai les faits figurant au dossier ⎯ dont un grand nombre provienne nt de sources officielles

argentines ⎯ prouvant que c’est précisément ce que le s Parties sont convenues de faire. En - 45 -

particulier, étant donnés le caractère limité du rôle procédural confié à la CARU et le caractère

purement consensuel du choix des Parties de négoc ier directement, leur décision conjointe de

contourner la CARU ne constituait pas une violation du statut.

I. LE RÔLE DE LA CARU EN VERTU DE L ’ARTICLE 7

3. Pour juger de la valeur de l’argument av ancé par l’Argentine selon lequel, en n’informant

pas la CARU des projets ENCE et Botnia, l’Urug uay aurait violé l’article 7, il est important de

garder à l’esprit le rôle que joue la CARU dans le mécanisme procédural établi par le statut. Sans

50 minimiser aucunement les nombreuses fonctions essentielles et indispensables attribuées à la

commission, que M.McCaffrey vous a présentées précédemment, celle-ci n’a en fait qu’un petit

rôle à jouer dans les procédures prévues aux articles 7 à 12.

4. Comme il se doit, je commencerai mon analyse par l’étude du texte du statut. Nous avons,

certes, déjà beaucoup entendu parler de l’article 7, mais je ne suis pas convaincu que tous ces

propos aient été suffisamment concentrés sur la teneur effective de ce texte. [Planche 2 à l’écran.]

Le premier paragraphe de l’ article7 dispose ce qui suit ⎯ vous trouverez cette planche sous

o
l’onglet n 2 du dossier d’audience :

«La Partie qui projette de construire de nouveaux chenaux, de modifier ou

d’altérer de manière significative les chena ux existants ou de réaliser tous autres
ouvrages suffisamment importants pour affecter la navigation, le régime du fleuve ou
la qualité de ses eaux, en informe la Commission administrative, laquelle détermine

sommairement, dans un délai maximum de 30jours , si le projet peut causer un
préjudice sensible à l’autre Partie.» (Les italiques sont de moi.)

5. [Planche 3 à l’écran.] Le second paragraphe de l’article 7 stipule ensuite ce qui suit : «S’il

en est ainsi décidé ou si une décision n’intervient pas à cet égard, la Partie intéressée notifie le

projet à l’autre Partie par l’intermédiaire de la Commission.» (Les italiques sont de moi.)

6. Il découle clairement de ce texte que la tâche qui incombe à la CARU lorsqu’un projet lui

est notifié est limitée. Elle doit seulement déterminer «sommairement» ⎯ en espagnol

«sumariamente» ⎯ et dans un délai très bref qui n’est que de 30 jours, si le projet peut causer un

préjudice sensible à l’autre Etat. Comme l’a indi qué M.McCaffrey, l’Argentine a enfin reconnu

que cette disposition ne confère absolument pas à la CARU un pouvoir général d’autorisation ou de

refus des projets. Le pouvoir de la CARU est pl utôt de l’ordre de l’examen préliminaire, dont - 46 -

l’objectif est de déterminer s’il est ou non nécessaire de porter le projet à l’attention de l’autre

Partie, plutôt qu’aux seuls représentants de celle-ci à la CARU.

7. L’examen préliminaire de la CARU pe ut déboucher sur trois résultats possibles: la

commission peut 1) déterminer que le projet envisagé ne présente aucun risque ; 2) déterminer qu’il

présente effectivement un risque ; 3) ne pas parv enir à une conclusion sur la question, étant donné

qu’un blocage est toujours possible puisque chaque Partie dispose d’une voix. Si la commission

détermine que le projet ne présente pas de risque de préjudice sensible pour l’autre Partie, l’affaire

s’arrête là. Aucune autre procédur e n’est prévue. Si, au contraire, la CARU décide que le projet

présente bel et bien un risque, ou si elle ne peut pas parvenir à une conclusion, cela a pour effet de

déclencher les obligations de partage des informa tions et de négociation pr évues dans le reste des

articles 7 à 12.

51 8. Dans tous ces cas de figure, une fois que la CARU a procédé à l’examen initial, elle a fait

l’essentiel de son travail. Comme je viens de l’indiquer, si elle détermine qu’un projet ne présente

pas de risque, aucune autre procédure d’aucune sort e n’est nécessaire. Si elle décide au contraire

qu’il y a un risque potentiel, ou si elle ne parvient pas à prendre de décision, toutes les négociations

ultérieures ont lieu entre les Parties elles-mêmes ⎯c’est-à-dire entre les Gouvernements de

l’Argentine et de l’Uruguay. Le rôle de la CARU se limite seulement à faciliter les

communications entre eux. [Fin de projection de la planche 3.]

9. L’examen du reste des articles 7 à 12 permet également de conclure que la commission

n’a pas d’autre rôle à jouer dans les procédures prévues, à cette exception près que, en vertu de

l’article 8, elle peut proroger le délai applicable. Je n’imposerai pas à la Cour l’examen de chacune

de ces dispositions maintenant, mais je l’invite à y procéder elle-même. Ce faisant, elle pourra

apprécier la perspicacité de l’ancien président de la délégation argentine auprès de la commission,

M. l’ambassadeur Julio Carasales, lorsqu’il décrivait le rôle que joue la CARU après avoir achevé

son examen sommaire d’un projet comme celui d’un «agent postal» ⎯ «agente postal» dans la

version originale en espagnol ⎯ rien de plus. L’Argentine semb le particulièrement mécontente

que l’Uruguay lui rappelle les termes employés par M.l’ambassadeur Carasales. [Planche 4 à

l’écran.] De crainte d’être accusé de ci ter ses propos hors contexte, je citerai exactement ce qu’il - 47 -

dit du rôle de la CARU après l’examen préliminaire effectué dans un délai de 30 jours. Vous

trouverez également cette citation à l’onglet 4 du dossier des juges :

«[L]a question de fond ne relève plus de la compétence de la CARU. Il s’agit

d’une question, exclusivement, bilatérale devant être résolue de gouvernement à
gouvernement, le seul point de procédure étant que les communications doivent être
envoyées par l’intermédiaire de la [CARU], celle-ci jouant, cependant, un rôle d’agent
105
postal ne pouvant prendre aucune mesure de fond.»

10. Telle est également l’opinion de l’Uruguay.

II. LES PARTIES PEUVENT CONVENIR DE SE DISPENSER DE LA NOTIFICATION À LA CARU

PRÉVUE À L ’ARTICLE 7

11. Cela m’amène à mon deuxième point concer nant l’article 7, à savoir que l’Uruguay et

l’Argentine peuvent toujours convenir de se disp enser de la notification à la CARU prévue à

l’article 7, et de passer directement aux négociati ons bilatérales prévues dans les articles suivants,

sans pour autant violer les dispositions du statut. [Fin de projection de la planche 4.]

52 12. Les arguments en sens contraire avancés par l’Argentine ne sont défendables ni sur le

106
plan juridique ni sur le plan logique . L’Argentine qualifie d’«obligatoire» l’intervention de la

CARU dans la procédure prévue à l’article7 et elle décrit la notification à la CARU comme une

«formalité initiale et essentielle» 107. S’appuyant sur ces allégations, l’Argentine a soutenu que

«[e]n ne s’acquittant pas, dès l’origine, de l’ obligation de saisir la CARU, l’Uruguay a d’emblée

vicié toute la procédure…» 10. Ce même argument a été repris la semaine dernière par M.Pellet,

109
entre autres . L’Argentine semble soutenir que les Pa rties ne pouvaient valablement convenir de

se dispenser de cette formalité pr étendument «obligatoire» et «essen tielle» et que, ce faisant, elles

ont violé les dispositions du statut.

13. L’Argentine a tort. Si les dispositions procédurales du statut, y compris l’article 7,

constituent certes des éléments de la lex specialis en vigueur entre les Parties, il ne s’agit nullement

de normes de jus cogens. L’Argentine se garde d’ailleurs judicieusement de prétendre le contraire,

105CMU, vol. IV, annexe 77 (CARU, procès-verbal n 5/95, p. 712-713 ; (23 juin 1995).
106
RA, par. 1.161.
107
Ibid.
108Ibid.

109Voir, par exemple, CR 2009/13, p. 29, par. 9 (Pellet). - 48 -

et l’Uruguay se réjouit que M. Kohen ait e xpressément reconnu ce fait la semaine dernière 110. Par

conséquent, bien entendu, absolument rien n’em pêche les Parties de déroger aux formalités

procédurales prévues par le statut. Si les Pa rties conviennent de se dispenser de l’examen

préliminaire de la CARU prévu pa r l’article 7, et de procéder directement aux consultations de

gouvernement à gouvernement mentionnées dans les artic les suivants, rien ne les en empêche.

C’est une simple question de consentement.

14. Cela est d’autant plus vrai si l’on cons idère le caractère limité de l’examen initial auquel

procède la CARU et la fonction qui lui est dévolue dans le cadre du mécanisme établi par le statut.

Comme l’a expliqué précédemment M. McCaffrey, la fonction essentielle de l’examen préliminaire

effectué par la CARU est de déterminer s’il est vraiment nécessaire de poursuivre les négociations

directement entre les Parties. Si la commission décide qu’un projet ne présente aucun risque de

causer un préjudice, les contacts bilatéraux directs sont inutiles. Si elle parvient à la conclusion

contraire, ou si les deux délégations ne réussissen t pas à s’entendre, des consultations directes ont

lieu de gouvernement à gouvernement.

15. Si, comme c’était le cas en l’espèce, l’opinion des Parties su r un projet diverge

manifestement au point de rendre les négociations directes nécessaires, les Parties sont libres de

convenir de procéder immédiatemen t aux négociations directes sans être liées par les formalités

53 procédurales énoncées à l’article 7. Après tout, à quoi aboutit l’examen sommaire de la CARU

lorsque les deux délégations ne pe uvent parvenir à un accord? A des contacts directs entre les

deux gouvernements. Quel sens cela pourrait-il bien avoir d’insister pour que les Parties respectent

toutes les formalités préalables s’il est évident que celles-ci vont de toute façon déboucher sur des

négociations directes entre les Parties ? Aucun, bien évidemment.

16. A cet égard, j’ai écouté avec grand intérêt la semaine dernière mon ami, M.Sands,

affirmer avec éclat que, si l’Uruguay avait notifié à l’Argentine le projet Botnia par l’intermédiaire

de la CARU, «une telle objection aurait très certainement été présentée» 111. Admettons. Mais

alors, pourquoi donc se serait-on de nouveau tourné vers la CARU alors que l’impasse était

inévitable et que la nécessité d’entamer des né gociations directes était déjà d’une évidence

110
CR 2009/14, p. 13, par. 3 (Kohen).
111
CR 2009/13, p. 65, par. 8 (Sands). - 49 -

manifeste ? Il n’y avait aucune raison de le faire et, comme je vais l’expliquer, les Parties ne l’ont

pas fait.

17. L’interprétation raisonnable et pragmatique que l’Uruguay fait du statut est confortée par

le droit international général, dont M. Condorelli vous exposera la pertinence plus en détail demain.

Par exemple, l’article 18, paragr aphe 2, de la convention de 199 7 des Nations Unies sur les cours

d’eau dispose que, en cas de désaccord entre les Etats du cours d’eau quant à la nécessité de donner

notification, ceux-ci doivent engager direct ement des consultations et des négociations 11. Nul

besoin de décider d’abord s’il est nécessaire de don ner notification, puis de revenir au début du

processus pour finalement aboutir de nouveau aux négociations directes. Je le répète, l’irrationalité

des résultats parle d’elle-même.

18. Mais puisque l’Argentine se plaît à refo rmuler les arguments avancés par l’Uruguay,

j’aimerais être clair. Rien dans mes propos ne signifie que l’ une des Parties puisse se dispenser

unilatéralement de l’une quelconque des procédures prévues aux articles 7 à 12. Tout ce que je

veux dire, c’est que, si les deux Parties conviennent que leurs intérêts sont mieux servis par la mise

en Œuvre directe de négociations ⎯ce qui implique qu’elles sautent les étapes procédurales qui

précèdent normalement ces négociations directes et y conduisent ⎯ il leur est loisible de le faire.

19. Monsieur le président, Messieurs les j uges, avant de vous présenter les éléments de

preuve qui démontrent que les Parties ont décidé de traiter directement ensemble, hors du cadre de

la CARU, j’aimerais aborder une autre question. La récente dévotion exprimée par l’Argentine à

l’égard de la notification prévue à l’article7 est un véritable revirement. Le statut est entré en

vigueur en1976 et, au cours des33 années qui se sont écoulées depuis, l’Argentine a autorisé la

construction et l’exploitation d’ un grand nombre d’installations industrielles qui rejettent des
54

déchets dans le fleuve Uruguay et les cours d’eau qu i s’y jettent directement. Elle n’a pas notifié

un seul de ces projets à la CARU en vertu de l’article 7, et elle n’a pas non plus consulté une seule

113
fois l’Uruguay à ce sujet .

112
Convention sur le droit relatif aux utilisations dcours d’eau internationaux à des fins autres que la
navigation, 1997, art. 18, par. 2.
113CMU, par. 1.140-2.150. - 50 -

20. Dans ses écritures, l’Uruguay a nommément désigné de nombreuses installations

industrielles implantées en Argentine et pr écisé les risques que celles-ci posaient pour

114
l’environnement . L’Argentine n’a jamais fait le moindre effort pour réfuter ces informations.

En fait, MmeBoisson de Chazournes a reconnu que , depuis 1976, 170 installations industrielles

115
avaient été construites sur le fleuve Uruguay ou à proximité de celui-ci . Et comment a-t-elle

tenté de justifier que l’Argentine n’ait jamais no tifié un seul de ces projets à la CARU en vertu de

l’article 7 ? En soutenant qu’aucun d’entre eux n’était, du moins selon l’Argentine, suffisamment

important pour affecter la navigation, le régime du fleuve ou la qualité des eaux 11.

21. Monsieur le président, ce raisonnement est absolument incompatible avec les arguments

avancés par l’Argentine elle-même à propos du stat ut de1975. Combien de fois, la semaine

dernière, avons-nous entendu l’Ar gentine critiquer les actions pr étendument «unilatérales» de

l’Uruguay? Alors qu’il présentait un résumé de s arguments de l’Argentine jeudi dernier,

117
M.Kohen a déclaré qu’il n’y avait dans le statut «pas de place pour l’unilatéralisme» .

L’Argentine ne peut pas dès lors revendiquer sér ieusement pour elle-même le droit de décider

seule, indépendamment de la CARU et de l’ Uruguay, si un projet est ou non suffisamment

important pour affecter le fleuve.

22. J’ajouterai que l’explication avancée par Mme Boisson de Ch azournes est en outre

factuellement inexacte. Comme l’a démontré l’Uruguay dans ses exposés écrits, de nombreuses

usines argentines peuvent affecter le fleuve et l’ affectent effectivement. Je ne citerai qu’un seul

exemple, celui de l’usine chimique Fanaquímica, ex ploitée sur le fleuve Uruguay à Colón, dans la

province d’Entre Ríos. Elle fabrique des adhésifs , des plastiques, de la colle, des aérosols, des

insecticides et des enduits de silicone, et dévers e des effluents liquides dans le fleuve. En

l’an2000, elle a été sanctionnée par les autor ités argentines chargées de la protection de

l’environnement. Plus récemment, en janvier 2008, l’usine Fanaquímica a de nouveau été

sanctionnée après qu’une enquête eut révélé que les effluents rejetés par elle produisaient une tache

114CMU, vol. X, annexe224 (ministère de l’industrie, de l’énergie et des mines, «Travaux sur le fleuve
Uruguay»).
115
CR 2009/13, p. 32-33 [54], par. 23 (Boisson de Chazournes).
116
Ibid.
117CR 2009/15, p. 58, par. 6 (Kohen). - 51 -

noire à la surface du fleuve. Elle a même été temporairement fermée jusqu’à sa mise en conformité

55 avec le droit de l’environnement argentin. E lle est donc manifestement assez importante pour

affecter la qualité des eaux du fleuve, et pourtant l’Argentine n’a jamais adressé de notification ni à

la CARU ni à l’Uruguay avant d’accorder les perm is d’exploitation pour cette usine ou d’autoriser

sa remise en service en 2008.

III. LES ÉLÉMENTS DE PREUVE RELATIFS AUX ACCORDS ENTRE LES P ARTIES

23. Monsieur le président, j’en viens maintena nt aux éléments de pr euve montrant que les

Parties se sont entendues pour se dispenser de l’ex amen sommaire de la CARU prévu à l’article 7

et passer immédiatement à des entretiens directs. La question a été exposée en détail dans les

écritures des Parties, et je n’ai pas l’intention de répéter ici les explications qui y figurent. Vous

trouverez dans les notes de bas de page de mon intervention les renvois aux passages pertinents des

118
pièces des deux Parties .

24. Les faits essentiels sont les suivants. En octobre2003, l’Uruguay a délivré une

autorisation environnementale préliminaire pour l’usine ENCE. Pour les raisons que nous avons

exposées dans nos écritures, il n’a pas considéré, et il ne considère toujours pas, qu’il avait à en

119 120
donner notification à la CARU à l’époque . L’Argentine, bien entendu, est d’un autre avis .

Selon nous, les arguments de l’Urugua y sont de loin les meilleurs. Quoi qu’il en soit, le fait

incontesté est que, en conséquence de ce désacco rd, la CARU s’est trouvée «paralysée». C’est

121
d’ailleurs le mot qu’emploie l’Argentine . Et il correspond à la réalité. Au cours des six mois

compris entre octobre2003 et mars2004, la CARU ne s’est pas réunie. Pendant toute cette

période, il aurait donc été impossible à l’Uruguay d’ adresser à la CARU la notification prévue à

l’article 7, ou même d’informer l’Argentine par l’intermédiaire de la commission.

25. Que s’est-il donc passé pendant cette période? Le dossier le montre clairement. Le

27 octobre 2003, le ministère des affaires étrangères de l’Uruguay a adressé à l’Argentine une note

diplomatique à laquelle était jointe l’évaluation d’impact sur l’environnement concernant l’usine

118CMU, par. 3.45-3.74 ; DU, par. 3.10-3.71 ; MA, par. 2.32-2.35, 2.59, 2.61 ; RA, par. 2.51, 2.56.
119
Ibid., par. 2.52-2.71 et 3.7-3.17 ; DU, par. 2.35-2.52.
120
MA, par. 2.15-2.29.
121Ibid., par. 2.29. - 52 -

ENCE, datée du 22 juillet 2002, le rapport technique de la DINAMA sur l’évaluation d’impact sur

l’environnement, daté du 2octobre, et l’auto risation environnementale préliminaire, datée du

56 9 octobre 122. L’Argentine ne conteste pas ces faits, du moins pas dans ses écritures. Elle reconnaît

aussi que l’Uruguay a par la suite envoyé à l’Argentine tout son dossier sur le projet ENCE ⎯ près

de 1700 pages ⎯ le 7 novembre 2003 12.

26. Ce n’est pas tout. L’Argentine a alor s entrepris d’analyser ces documents et, en

février2004, ses conseillers techniques auprès de la CARU ont publié un rapport spécialement

consacré à l’impact de l’usine sur l’environnement 124. Monsieur le président, deux choses sont

également singulières à propos de ce rappor t. Premièrement, l’Argentine n’en a pas une seule fois

admis l’existence au cours de cette procédure. L’Uruguay a mis l’accent sur ce rapport dans son

contre-mémoire, défiant pour ainsi dire l’Argentine de réagir 125. Celle-ci ne l’a pas fait. Nulle part

dans sa réplique il n’est fait mention du rapport. Ce qui m’amène à la deuxième chose singulière :

le rapport concluait que l’usine n’aurait pas d’ incidences importantes sur l’environnement.

[Planche 5.] Permettez-moi de vous montrer ce qui est dit du rapport dans le rapport de fin d’année

établi pour 2004 par le chef de cabinet du conseil des ministres argentin. Vous trouverez la citation

sous l’onglet n o 5 de votre dossier :

«En février 2004, le rapport des conseillers de la CARU a conclu à l’absence

d’impact sensible sur l’environnement du côté argentin , cet impact se limitant, pour
l’essentiel, aux mauvaises odeurs généralement associées aux usines de pâte à papier,
qui pourraient atteindre la rive argentine du fleuve Uruguay.» 126

27. Il est aussi relevé dans ce même rapport : «Les contrôles sur les deux usines seront plus

complets que ceux auxquels notre pays soumet ses propres usines sur le fleuve Paraná, lesquels ont,

127
néanmoins, été approuvés par l’Uruguay.» Je reviendrai sur la référence aux «deux usines»

⎯c’est-à-dire l’usine EN CE et l’usine Botnia ⎯ dans un moment. [Fin de projection de la

planche 5.]

122
CMU, par. 3.40 ; MA, par. 2.23.
123
CMU, par. 3.40 ; MA, par. 2.25.
124Ibid., par. 3.42.

125Ibid., par. 3.42 ; DU, par. 3.41.

126CMU, vol. III, annexe 46 (déclaration du ministère argentin des affaires étrangères, du commerce international
et de la culture, figurant dans lepport de Alberto Angel Fernandez, chef de cabinet du Conseil des ministres de
l’Argentine, à la Chambre des députés, rapport n 64, p. 136, mars 2005).

127CMU, par. 3.43. - 53 -

28. Sur la base de ce rapport de fé vrier 2004, l’un des délégués de l’ Argentine à la CARU,

M.DaríoGarín, a ensuite fait cette déclaration cat égorique, qui est consignée au procès-verbal de

la CARU [planche 6] :

«Il est à remarquer, totalement et absolument, que des différents rapports

techniques, il n’apparaît pas que l’activité concernée génère un préjudice irréversible
et inévitable à l’environnement, du moins de l’envergure qui mènerait à préconiser la
suspension de l’usine ni l’opposition à sa c onstruction, au moins ayant un fondement
57 128
scientifique.»

Vous trouverez ce texte sous l’onglet n 6 de votre dossier.

29. Monsieur le président, je ne suis pas ici pour traiter de l’article9, mais je ne peux

m’empêcher de relever que le rapport de l’Argentin e de février 2004 a tout l’air de consigner une

absence d’objections au sens de cet article.

30. Cela étant, qu’est-il arrivé alors ? La CARU ne se réunissant toujours pas, les ministres

des affaires étrangères des deux pa ys se sont rencontrés le 2 mars 2004 et ils se sont mis d’accord

sur la marche à suivre 129. [Fin de projection de la planche 6.] Concrètement, ils sont convenus que

l’usine serait construite et que la CARU centrerait ses efforts sur le contrôle de la qualité de l’eau.

Dans un communiqué publié le 3mars2004 par le principal journal argentin, La Nación , le

ministre adjoint des affaires étrangères chargé des affaires latino-américaines,

M.l’ambassadeurEduardo Sguiglia, a ainsi présen té l’accord intervenu entre les ministres des

o
affaires étrangères [planche 7] ⎯ vous trouverez cette citation sous l’onglet n 7 de votre dossier.

«Il a été décidé que durant les 4 anné es de sa construction, une surveillance
complète serait mise en place, en vue de garantir le respect des directives

environnementales établies pour l’installa130n de l’établissement ⎯ une démarche qui
inclura une surveillance permanente.»

31. Après quoi M. Sguiglia et M. Pablo Sader, l’ambassadeur de l’Uruguay, ont échangé des

textes de l’accord en mars et avril 2004 en vue de le faire consigner au procès-verbal de la CARU à

sa séance suivante. [Fin de projection de la planche 7.] Il a en effet été consigné au procès-verbal

de la première réunion qu’a te nue la CARU après octobre2003, à savoir le 15 mai2004. Je dois

dire, Monsieur le président, que l’un des aspects le s plus frappants des plaidoiries de l’Argentine la

128 o
CMU, vol. IV, annexe 99 (CARU, compte-rendu n 01/04, p. 18-19 (15 mai 2004)).
129CMU, par. 3.45.

130CMU, vol. IX, annexe 183 ( La Nación (Argentina), «L’Uruguay promet de tenir le gouvernement informé au
sujet de la fabrique de papier» (3 mars 2004)). - 54 -

semaine dernière a été la manière dont elles se sont ingéniées à ne pas vous montrer cet accord.

M.Kohen avait une quantité de choses à en dire , mais il n’a pas osé vous le montrer vraiment.

Permettez-moi de le faire ici. [Planche 8.] Je vous rappelle que ceci est extrait du procès-verbal de

o
la CARU, et reproduit sous l’onglet n 8 de votre dossier :

«Le 2 mars 2004, les ministres des affaires étrangères de l’Argentine et de
l’Uruguay sont parvenus à un accord sur la manière de procéder à savoir que le
58 Gouvernement uruguayen fournirait les inform ations relatives à la construction de
l’usine et, en ce qui concerne la phase d’exploitation…la CARU surveillerait la
131
qualité de l’eau conformément au statut.»

32. Dans ses écritures, et la semaine de rnière encore, l’Arge ntine a cherché à vous

convaincre que cet accord n’est rien de plus qu’ une décision de renvoyer la question de l’usine

132
ENCE à la CARU pour examen sommaire en vertu de l’article 7 du statut . Nous disons que c’est

faux, et d’une inexactitude patente. D’abord à cause du texte. Celui-ci ne dit absolument rien du

renvoi de la question à la CARU pour examen en vertu de l’article7. Ce qu’il indique, en

revanche, c’est que la CARU «surveillera la qualité des eaux conformément au statut». Expressio

unius est exclusio alterius. Ce que montre l’accord, c’est que la construction et l’exploitation

ultérieure de l’usine sont des faits sur lesquels les deuxParties s’entendaient. Selon nous, il est

absolument impossible d’interpréter autrement la phrase selon laquelle l’Uruguay fournira des

informations «relatives à la construction de l’ usine» et que, «en ce qui concerne la phase

d’exploitation», la CARU se chargera de la surveillance. [Fin de projection de la planche 8.]

33. Deuxièmement, à cause des circonstances pratiques. L’Argentine voudrait vous faire

croire que les ministres des affaires étrangères de l’Argentine et de l’Uruguay se sont rencontrés, et

que deux représentants des ministères, ayant rang d’ ambassadeur, se sont entretenus pendant plus

d’unmois juste pour convenir de renvoyer la ques tion à la CARU afin que celle-ci procède à son

examen préliminaire dont l’objectif, nous l’avons vu, est de déterminer s’il est nécessaire d’engager

des négociations à un niveau plus élevé. Cela n’ a aucun sens. De plus, la vérité est que les

conseillers techniques de l’Argentine auprès de la commission avaient déjà examiné les

informations concernant l’usine et conclu à «l’a bsence d’impact sensible sur l’environnement du

côté argentin». Nul besoin donc de renvoyer la question pour examen, celui-ci ayant déjà eu lieu.

131 o
CMU, vol. IV, annexe 99 (CARU, procès-verbal n 01/04, op. cit., p. 33) ; les italiques sont de nous.
132Voir par exemple, RA, par. 2.106. - 55 -

34. Troisièmement, le comportement ultérieur. Rien dans le dossier n’indique que la CARU

se soit attendue ensuite à procéder à l’examen pr évu à l’article 7. Comme l’un de ses délégués l’a

déclaré officiellement le 15 mai 2004, «une contrain te importante dans [sa] position [était] l’accord

133
conclu par les ministres des a ffaires étrangères le 2mars2004» . Ce à quoi la CARU s’est

employée, c’est à concevoir le programme de cont rôle de la qualité de l’eau baptisé «PROCEL»,

dont M.Boyle a parlé tout à l’heure. Tous les projets concernant PROCEL sans exception, ainsi

que le plan final adopté par la CARU puis abandonné par l’Argentine, commencent exactement par

134
59 la même phrase : «Compte tenu de la constr uction future d’usines de pâte à papier…» Ici aussi,

la construction est un fait acquis et admis d’un commun accord.

35. C’est aussi ce qui ressort de nombreux au tres documents de l’Argentine, dont un grand

135
nombre sont cités dans les écritures ⎯du moins dans celles de l’Uruguay . Permettez-moi ici

d’en mentionner juste un. Selon une déclaration du ministère argentin des affaires étrangères, que

l’on trouve dans un rapport de fin d’année pour 2004 adressé au Sénat argentin [planche 9] et que

vous trouverez sous l’onglet n o9 de votre dossier :

«Le 2 mars 2004, les ministres des affaires étrangères de l’Argentine et de

l’Uruguay sont parvenus à un accord sur la manière de procéder. Le Gouvernement
de l’Uruguay fournira les informations rela tives à la construction de l’usine et, en ce
qui concerne la phase d’exploitation, donnera instruction à la CARU de continuer à

surveiller la qualité de l’eau du fleuve Uruguay … L’accord entre les ministres des
affaires étrangères, la note du gouverneur de l’Entre Rios et le rapport des experts

techniques concordent sur le fait que la CAR136evrait concentrer son activité sur la
question des mécanismes de contrôle.»

36. J’ai scrupule à me répéter, mais il est totalement impossible de donner à cette déclaration

une autre interprétation que celle-ci : il était ente ndu que l’usine serait constr uite et que la CARU

s’occuperait exclusivement de surveillance.

37. Monsieur le président, il a abondamment ét é question la semaine dernière de certaines

déclarations attribuées à l’ancien ministre des a ffaires étrangères de l’Uruguay, M.DidierOpertti,

et à l’un de ses ambassadeurs, M.FelipePaolillo. [Fin de projection de la planche9.] En ce qui

133 o
CMU, vol. IV, annexe 99 (CARU, procès-verbal n 01/04, p. 33, 15 mai 2004).
134 13CMU, par. 3.28.

135CMU, par. 3.46-3.49 et 3.54-3.58.
136
CMU, vol. III, annexe 47 (déclaration du ministère argentin des affaires étrangères, du commerce international
et de la culture, figurant dans le rapport établi par Alberto Angel Fernandez, chef de cabinet du conseil des ministres, au
Sénat argentin, rapport n 65, p. 617, mars 2005) ; les italiques sont de nous. - 56 -

concerne les déclarations faites par M. Opertti en 2003 au sujet de la CARU , l’Uruguay a déjà dit

très clairement à maintes reprises que tant l’us ine ENCE que l’usine Botnia relèvent de la

compétence de la CARU, si bien que la question est sans intérêt. Le fait que chacun des conseils

de l’Argentine, ou presque, se soit emparé de cet te même déclaration dénote surtout, je suppose,

une pénurie d’arguments. En outre, les déclarations attribuées à l’ex-ministre M. Opertti sont bien

antérieures à l’accord conclu entre l’Uruguay et l’ Argentine que je viens d’exposer à la Cour, et

elles se sont rapidement perdues de toute façon dans les sables de l’histoire.

38. En ce qui concerne la déclaration de M. Paolillo, dire que l’Uruguay n’a pas informé

l’Argentine des projets concerna nt l’usine ENCE par l’interméd iaire de la CARU, mais que

60 «d’autres procédures ont été décidées d’un commun accord au plus haut niveau», c’est somme

toute rendre compte assez exactement de la réalité. Selon nous, le fait essentiel est que l’Argentine,

comme l’a dit l’ambassadeu r Paolillo, a été pleinement informée et consultée, et ce au plus haut

niveau. De fait, elle est parvenue à la conc lusion expresse que l’usine ENCE était écologiquement

viable.

39. Voilà pour l’argument selon lequel l’Urugua y aurait violé l’article 7 en ce qui concerne

l’usine ENCE.

40. Les éléments de preuve montrent que l’Ur uguay n’a pas non plus violé l’article 7 en ce

qui concerne l’usine Botnia. Les faits indiquent au contraire que l’accord concernant l’usine ENCE

a ensuite été étendu à l’usine Botnia.

41. La meilleure façon de le démontrer est peut-être de renvoyer à un autre document officiel

argentin. Un rapport de fin d’année pour2004, établi par le directeur de cabinet du conseil des

ministres argentin, rend compte d’un échange extrêmement instructif ⎯et nous dirons décisif ⎯

de questions et réponses entre un député argentin et le ministre des affaires étrangères.

[Planche10.] Vous trouverez le texte complet sous l’ongletn o10 de votre dossier, et il est

137
actuellement à l’écran . Bien que ce rapport porte sur l’ann ée2004, il a en fait été établi en

mars 2005 138.

137CMU, vol. III, annexe 46 (déclaration du ministère argentin des affaires étrangères, du commerce international

et de la culture, figurant dans le raoport établi par Alberto Angel Fernandez, chef de cabinet du conseil des ministres, à la
Chambre des députés argentine, rapport n 64, p. 136, mars 2005).
138Ibid., page de couverture. - 57 -

42. Monsieur le président, je n’ai pas l’intenti on de lire le texte dans son intégralité. Ce qui

le rend particulièrement intéressant, toutefois et la raison pour laquelle nous vous le présentons,

c’est qu’il définit la manière dont l’Argentine perçoit la portée de son désaccord avec l’Uruguay, la

position de l’Argentine sur ce désaccord et l’arrangeme nt qui y met fin. Vous le voyez, le titre qui

précède la question et la réponse indique clairement qu’il s’agit de la «construction d’usines de

cellulose», pluriel qui indique qu’il s’agit des deux usines. La question concerne de même

l’installation des «usines», là aussi au pluriel. L’objet de ce qui est appelé «une réclamation

officielle» de l’Argentine ⎯ et donc du désaccord ⎯ est également «la construction des usines de

cellulose». Par conséquent, lorsque le rapport indique, comme vous le voyez au milieu de la page,

que le Gouvernement argentin a «[mis] fin au di fférend», cela ne peut viser que le différend

concernant les deux usines. Cette interprétation est confirmée par les paragraphes qui suivent, où il

est fait mention du moment où «les usines auront été mises en service» et du fait que les «contrôles

61 sur les deux usines seront [notez l’emploi du futur et non du conditionnel ⎯ le texte espagnol dit

«serán»] plus complets que ceux auxquels notre pays soumet ses propres usines». Il ne peut donc y

avoir de doute là-dessus : l’Argentine estimait que le différend portait sur «les deux usines» et qu’il

y avait été mis fin à la fois à l’égard de l’usine ENCE et de l’usine Botnia ⎯ et pas seulement de

l’usine ENCE.

43. Avant d’abandonner ce rapport, un autre point mérite d’être mentionné. Bien qu’il porte

sur les faits survenus pendant l’année2004, il a, co mme je l’ai déjà dit, ét é publié en mars2005,

soit un mois après que l’Uruguay eut délivré l’autorisa tion environnementale préliminaire

concernant Botnia en février2005. L’autorisa tion prétendument «unilatérale» accordée à l’usine

Botnia n’a donc pas suscité à l’époque une objection immédiate de l’Argentine au plus haut niveau.

o
Bien au contraire. En mars 2005, le différend était clos. [Fin de la projection n 10.]

44. Une fois de plus, le comportement ultéri eur de la CARU le confirme. [Planche11.]

Comme je l’ai déjà dit, chacun des projet s du programme de surveillance commun PROCEL

contient précisément le même membre de phrase: «compte tenu de la construction future des

usines de cellulose…». Vous trouverez le texte sous l’onglet n o11 de votre dossier d’audience, et

vous constaterez qu’il est encore question des «usin es», au pluriel. En fait, comme M.Boyle l’a

indiqué, le programme de surveillance PROCEL a été officiellement approuvé et adopté à la - 58 -

139
CARU le 12 novembre 2004 . Il a donc force d’accord international entre les deux Parties, et met

à la charge de l’Argentine une obligation contraignante, que celle-ci n’a pas respectée.

45. Monsieur le président, alors même que la CARU mettait la dernière main au programme

PROCEL [fin de la projection de la planche 11], le sol s’est presque littéra lement dérobé sous les

pieds de l’Argentine. L’opposition aux usines dans une partie de la population de Gualeguaychú a

explosé, de même que le mécontentement face à la manière dont le Gouvernement argentin

abordait le problème. L’illustration la plus frappante en est que, le 30 avril 2005, 40.000 Argentins

environ ont manifesté sur le pont General Sa n Martín reliant l’Argentine et l’Uruguay 14. Comme

M. Gianelli l’a dit, ils n’ont pratiquement pas cessé d’y être depuis.

46. Le résultat de cette pression intérieure croissante est que l’Argentine a commencé à

revenir sur son acceptation des usines, et que la CARU a été à nouveau bloquée. Le 5 mai 2005, le

ministre argentin des affaires étrangères, M.RafaelBielsa, a envoyé à son homologue uruguayen

62 une lettre demandant expressément la reprise des négociations sur les usines Botnia et ENCE, étant

précisé qu’elles devraient avoir lieu hors du cadre de la CARU. [Planche 12.] Voici le texte de la

lettre du ministre des affaires étrangèr es, que vous trouverez sous l’ongletn o2 du dossier

d’audience :

«Monsieur le ministre et cher ami,

Je vous écris à propos du projet de cons truction de deux usines … de cellulose
dans la région de Fray Bentos, en face de la ville argentine de Gualeguaychú, dans la

province d’Entre Rios.

A cet égard, je dois vous faire part une nouvelle fois de la profonde

préoccupation de la population et des autorités de cette province ⎯ préoccupation que
partage le Gouvernement fédéral argentin ⎯ au sujet de l’impact que l’exploitation de
ces usines pourrait avoir sur l’environnement.

Sans préjudice de la mission de contrôle et de surveillance de la qualité des
eaux incombant à la CARU, cette situatio n, en raison de sa gravité potentielle,

requiert une intervention plus directe des autorités compétentes en matière
d’environnement, avec la coopération des institutions académiques spécialisées.» 141

139 o
CMU, vol. IV, annexe 108 (CARU, procès-verbal n 08/04, 12 novembre 2004).
140CMU, par. 3.67.

141RU, vol. II, annexe R15 (lettre adressée au ministre uruguayen des affaires étrangères, Reinaldo Gargano, par
le ministre argentin des affaires étrangères, Rafael Bielsa (5 mai 2005)) ; les italiques sont de moi. - 59 -

47. Conscient de la situation politique délicat e dans laquelle se trouvait le gouvernement de

son très grand voisin, l’Uruguay a accédé à la demande de reprise des consultations et négociations

de l’Argentine. [Fin de projection de la planche 12.] Ainsi est né le GTAN. Comme il est dit dans

un rapport adressé en juillet 2005 par le chef de cabin et du conseil des ministres argentin au Sénat

[planche 13], dont vous trouverez le texte sous l’onglet n 12 :

«Le 31mai, après avoir échangé des propositions et contre-propositions, les
deux pays se sont mis d’accord sur ce qui suit :

«Suivant ce qui a été décidé par MM.les présidents de la
République argentine et de la République orientale de l’Uruguay, les
ministères des affaires étrangères d es deux pays constituent, sous leur
supervision, un groupe de techniciens chargé de procéder à des études et

analyses complémentaires, à des écha nges d’information et au suivi des
conséquences que le fonctionnement des usines de pâte à papier que l’on
construit dans la République orientale de l’Uruguay aura sur
142
l’écosystème du fleuve Uruguay qu’ils partagent.»

48. M. Condorelli vous en dira davantage demain sur le libellé de cet accord, et en particulier

sur le fait qu’il ne s’écartait en rien des accords précédents, sur lesquels l’Uruguay avait fait fond et

63 qui prévoyaient que les usines seraient construites. Ce sur quoi j’invite la Cour à centrer son

attention ici, c’est que c’est l’Argentine qui a proposé à l’Uruguay une «intervention plus directe»

des autorités des deux Etats, au lieu de passer par l’intermédiaire de la CARU en vertu de l’article 7

ou de toute autre manière. Même si, contrairemen t aux faits que je viens d’exposer, les plans de

l’usine Botnia avaient pu encore être soumis à l’examen sommaire de la CARU en vertu de

l’article 7, c’est l’Argentine qui a engagé l’Uruguay à sauter cette étape et à passer directement aux

consultations et négociations de ha ut niveau. Comme il est dit dans le dernier paragraphe de la

lettre de l’Argentine en date du 5 mai, «cette situ ation, en raison de sa gravité potentielle, requiert

une intervention plus directe des autorités compétentes en matière d’environnement». L’Argentine

ne peut pas maintenant se plaindre de ce que l’Uruguay ait accepté sa proposition. [Fin de

projection de la planche 13.]

49. Dans ses écritures, et à nouveau la sema ine dernière, l’Argentine a cherché à se

soustraire aux conséquences de cet accord en prétendant que, comme l’accord du 2mai 2004 sur

142RU, vol. II, annexe R14 (déclaration du ministre argentin des affaires étrangères, du commerce international et
de la culture figurant dans le rappadressé au Sénat argentin par M. Alberto Angel Fernandez, chef de cabinet du
o
conseil des ministres, rapport n 65 (juillet 2005)) ; les italiques sont de moi. - 60 -

l’usine ENCE, il ne fallait y voir qu’un accord pour renvoyer la question à la CARU pour l’examen

sommaire prévu à l’article7. Pourtant, ici encore, cet argument est dépourvu de sens.

Premièrement, comme je l’ai exposé, les Parties étaient déjà convenues que les deux usines seraient

construites et soumises à la surveillance de la CA RU. Deuxièmement, même si tel n’avait pas été

le cas, l’Argentine pense-t-elle sérieusement faire croire à la Cour que les présidents et ministres

des affaires étrangères de l’Argentine et de l’Ur uguay avaient consacré tant de temps et d’efforts

juste pour convenir de renvoyer la question à la CARU en vue d’un examen purement préliminaire,

d’autant que la seule décision possible à ce stade aurait été de poursuivre les entretiens directs entre

les deux gouvernements ? C’est tout à fait impossibl e. Troisièmement, et cela est très étroitement

lié à ce dernier point, renvoyer la question à ce stade à la CARU aurait été totalement vain.

L’Argentine elle-même a reconnu que c’est précisément parce qu’il était inutile de recourir à la

CARU à ce stade que le GTAN a été créé. Dans une note diplomatique importante datée du

12janvier 2006, sur laquelle M.C ondorelli reviendra plus en détail demain, le ministère argentin

des affaires étrangères lui-même a relaté comme suit les faits qui ont conduit à la création du

GTAN: «le désaccord au sein de [la CARU]… a conduit les gouvernements des deux pays à

traiter la question directement et à mettre en plac e un groupe technique de haut niveau (GTAN) en

143
mai 2005.»

64 50. Monsieur le président, je conclus respect ueusement que les éléments de preuve contenus

dans le dossier démontrent sans équivoque que l’Uruguay n’a pas violé l’article7 du statut

de1975. L’Uruguay et l’Argentine ont décidé en semble de sauter l’étap e de l’examen sommaire

qui avait été effectué en 30 jours par la CARU , pour passer aux négociations directes envisagées à

l’article12. Ces négociations directes ont été menées par le GTAN, qui a été spécialement établi

par les Parties à cette fin.

51. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie beaucoup de votre

attention et de votre patience. Demain, M. Condorel li relatera ce qui s’est passé dans le cadre des

travaux du GTAN, et il montrera que l’Uruguay s’est pleinement acquitté de toutes les obligations

143
CMU, vol.III, annexe 59 (note diplomatique adressée par le ministre ar gentin des affaires étrangères à
l’ambassadeur d’Uruguay en Argentine, 12 janvier 2006). - 61 -

que lui impose le statut de procéder de bonne foi à des consultations et à des négociations. Ainsi se

terminent les exposés de l’Uruguay pour aujourd’hui.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je vous remercie, Monsieur.

L’audience est levée et la Cour se réunira demain matin à 10heures pour entendre l’Uruguay

terminer son premier tour de plaidoiries.

L’audience est levée à 12 h 40.

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