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Uncorrected Translation
YUGONGE
CR 2004111(traduction)
CR 2004111(translation)
Mardi 20 avril 2004 a 10heures
Tuesday 20 April2004 at 10a.m. Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je déclare l'audience ouverte. Le
juge AI-Khasawneh, pour des raisons dont j'ai eu connaissance, est empêché de siéger ce matin.
Ce matin, la Courentendra les exposés orauxde l'Allemagne, de la France et de l'Italie. Je donne
la parole pour commencer à M.Thomas Laufer, agent de l'Allemagne.
Introduction
1. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, j'ai l'honneur etle privilègede
me présenter devant vous en tant qu'agent de la République fédérale d'Allemagne. Je suis
accompagné aujourd'huid'Edmund Duckwitz, ambassadeur d'Allemagne à La Haye, en qualité
d'agent, et de M. Chnstian Tomuschat, en qualitéde coagent et de conseil, qui plaideront notre
cause avec moi.
2. Comme les agents des autres Etats défendeurs,nous prions la Cour de rejeter la demande
de la Serbie et Monténégro au stade préliminaire.Ainsi que nous le montrerons, il n'y a pas de
fondementjuridiquejustifiant en l'espècel'examen au fond.
3. Nos exceptionspréliminaires ont été présentées en bonntedue forme, conformément àla
procédureen vigueur,et tout au long de nos plaidoiries nous les désignerons, ainsi que les annexes,
par l'expression ((exceptionspréliminaires del'Allemagne». Nous développerons aujourd'hui ces
exceptions. Nous sommes encore plus convaincus, àla lumière des exposés écrits dla Serbie et
Monténégrodes 18décembre 2002 et28 février 2003, que la Cour ne peut trouver aucunebase
juridique sur laquellefonder sa compétenceen l'espèce.
4. Monsieur le président, avec votre permission,je voudrais indiquer quelle sera la ligne
généralede notreargumentation. Je présenterai pourma part un bref résumé des faits pertineens
l'espèce. M. Tomuschat traitera ensuite de l'artiXlede la convention des Nations Unies pour la
préventionet la répression du crime de génocide, ci-après dénommée convention sluergénocide.
Il expliquera que cette disposition, invoquée par le demandeur comme unique clause
compromissoire à l'égard del'Allemagne, ne saurait servir à fonder la compétence dela Cour.D'ailleurs, il semble ressortir des observations écrites du 18 décembre2002 de la Serbie et
Monténégro -qui étaitencore:alors la République fédérale de Yougoslavie- que le demandeur
n'invoque plus cette clause dejuridiction.
5. M. Tomuschat démontrera que le demandeur a renoncé à son droit de faire valoir ses
prétentionsà l'encontre de l'Allemagne et qu'il est forclàspoursuivre la procédure en raison de
l'effet obligatoirede ses déclarations unilatérales. Brièvemettàtitre subsidiaire, M. Tomuschat
arguera que l'articleX de la convention sur le génocidene peut être invoqué comme basede
compétence, le demandeur ayant été dans l'incapacité de produire des faits pertinents relevant
ratione materiae de l'articIX: .n particulier, le demandeur n'a produit aucun élémentde preuve
a l'appui de l'intention génocidaire qu'aurait 1'Allemabmelorsqu'elle a participéàla campagne
d'opérations aériennes de l'OTAN contre l'ex-Yougoslavie.
6. Monsieur le présideni;,dans nos exceptions préliminaires, nous avons relatéen détailles
événements qui ont été à l'origine du conflit entre ce qui était alorsla République fédéralde
Yougoslavie et la communauttSinternationale,et qui ont conduit aux opérations aériennes menées
par I'OTAN en 1999. Il est inutile que je revienne encore une fois sur ces questions factuelles,
étantfermementconvaincu qui:la Cour n'a pas compétence etque l'affaire ne doitpas allerjusqu'à
la phase de l'examen au fond. Je me bornerai àrépéter que seule l'imminence d'une catastrophe
humanitaire au Kosovo, menaçant l'existence de centaines et de milliers de civils, a amené
l'Allemagne et ses alliés de I'OTAN à engager les opérations aériennespour prévenir cette
catastrophe.
7. En outre, avec votre permission, Monsieur le président, j'aimerais citerun extrait de la
déclaration que le chanceliere l'Allemagne a faite au peuple allemand le 23 mars 1999,au début
des opérations aériennes: «Cir soir, l'OTAN a lancédes attaques aériennesen Yougoslavie contre
des objectifs militaires. L'Alliance entend ainsi mettre un terme aux violations graves et
systématiques des droits deI'lhornrneet prévenir unecatastrophe humanitaire.)) Et le chancelier a
poursuivi : (([Ll'opérationmilitaire n'est pas dirigée contrele peuple serbe. Je tiànle dire en
particulierànos concitoyens yougoslaves. Nous ferons tout pour éviterde causer des pertes panni
lapopulation civile.)) [Traductiodu Greffe apartir del 'mzglais.1 8. Aprèsl'adoption, le 10juin1999, de la résolution 1244du Conseilde sécuritéi,l a émis
un terme àtoutes les opérations aériennes contrela RFY. L'Allemagne est un participant actif aux
présences internationales, civile et militaire, qui ont été mises en place auKosovo sous l'égidede
l'organisation des Nations Unies conformément à cette résolution. Des unitésmilitaires, des
officiers de police et des fonctionnaires allemands -placés sous la direction de la KFOR et la
MINUK - agissent donc de concert avec le personnel d'autres Etats d'envoi pour instaurer l'état
de droit et garantir a tous les habitants le respect des droits de l'homme. Les incidents déplorables
10 survenus récemment au Kosovo, dont a surtout étévictime cette fois la minorité serbe, ont
démontréune fois de plus que la protection de l'étatde droit et des droits de l'homme est
déterminantepour le maintien de la paix et de la stabilitédans la région.
9. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, depuis le 5juillet 2000, date du
dépôtpar l'Allemagne de ses exceptionspréliminaires,il s'est produit deux événements quetoutes
les Parties auxprésentes instancesconsidèrenten l'espèce commedécisifsL. a République fédérale
de Yougoslavie a étéadmise à l'organisation des NationsUnies, en tant que nouveau Membre, le
1 novembre 2000. Et le 12mars200 1,la Yougoslavie a adhéré à la convention sur le génocide,
avec une réserve concernant l'articleK. Conformément à une note émanantdu Secrétairegénéral
de l'organisation des Nations Unies, cette adhésiona pris effet le 10juin 2001.
10. Dans un exposéécritsoumis àla Cour le 18décembre2002, le demandeur mentionne
expressément ces deux événements. S'agissant des articles35 et 36 du Statut de la Cour, il
déclare :
«la Républiquefédéralede Yougoslavie étant devenuenouvellement Membre
de l'Organisation des Nations Unies le 1" novembre 2000, il en découle qu'ellene
l'était pas avant cette date. Il est donc maintenant établi que, avant le
lernovembre 2000, la République fédérale de Yougoslavie n'étaitpas et ne pouvait
pas être partie auStatut de la Cour en qualitéde membre de l'Organisation des
Nations Unies.))
11.A l'égardde la convention sur le génocide,le demandeurdéclare :
«la République fédéraldee Yougoslavie n'a pas assuré la continuité de la personnalité
juridique de l'ex-Yougoslavie ni de sa qualité de partie la convention, avec pour
conséquence,en particulier,que la Républiquefédéralede Yougoslavien'étap itas liée
par la convention sur le génocide avantd'y adhérer(avec une réservàl'articlIX) en
mars 2001 D. 12.En réponse à ces observations', nous avons souligné quela seule interprétation possible
de cette déclaration du demandeur est qu'il reconnaît officiellement que la Cour n'a pas
compétence en l'espèce. Puisque le demandeur n'étalt pas membre de l'organisation des
Nations Unies au moment où l'instance a étéintroduitecontrenous, il n'étaitpas non plus partie au
Statut de la Cour. Par ailleilrs, le demandeur ayant déclaré que la République fédéraldee
Yougoslavie n'était pas à l'époque partie à la convention sur le génocide, il en découle que
l'article IX de cette convention, unique clause compromissoire susceptible d'être invoquéeen
11 l'espèce contrel'Allemagne, n'est pas applicable. La Cousne peut donc pas exercer sajuridiction
raiionc personae. Enfin, il eistévidentque la demande n'est pas recevable ratione materiae:
1'Allcmagnel'a amplement démontré dansses exceptions préliminaires, etje ne répéterai pasici
nos arguments.
13. M.Tomuschat expliquera de manière détailléeque le demandeur est lié par ces
déclarationset qu'il ne peut plus invoquer aucune base de compétence. Il suffira de dire que, dans
une lettreà la Cour en date d.u28 février2003, le demandeura de nouveau émisexpressément
l'opinion que, avant le lernovembre 2000, la Républiquefëdéralede Yougoslavie n'étaitpas partie
au Statut de la Cour et qu'elle n'étaitpas liée parla convention sur le génocidejusqu'àce qu'elle y
adhéreen mars 2001.
14.Monsieur le président, avant de demander à la Cour de donner la paroleà notre coagent,
permettez-moi de formuler quelques observationsd'ordre plus politique. Dans la périodequi s'est
écoulée depuis le dépôt par l'Allemagne et les autres Etats défendeurs de leurs exceptions
préliminaires, l'ex-République fédérald ee Yougoslavie a connu des changements politiques
spectaculaires. Le 5 octobre ;!000, l'ex-président serbe SlobodanMilosevica été renversépar le
peuple serbe. Le 28juin ;!001, il a été transféré au Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie, où il est actuellement jugé, notamment pour actes de terreur et de violence
commis au Kosovo durant sa présidence. Le 17novembre2000, l'Allemagne et la République
fédéralede Yougoslavie - aplpelédésormaisla Serbieet Monténégro - ont rétablileursrelations
diplomatiques, que la République fédéralede Yougoslavie avait rompues pendant la campagne
Lettre au greffier de la Cour.en date du 26 février2003militaire d'opérations aériennes de l'OTAN. Aujourd'hui, l'Allemagne et la Serbieet Monténégro
entretiennent des relations cordiales et amicales. Nous soutenons activement le processus
d'intégration dela Serbie et Monténégro aux structures euro-atlantiques, notamment par notre
engagement substantiel en faveur du pacte de stabilitépourEurope du Sud-Est.
15. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remercie. Je vous
demanderai àprésentde bien vouloir donner la paroleà M. Tomuschat, qui poursuivra l'exposé de
l'argumentation de l'Allemagne.
Le PRESIDENT :Merci, Monsieur Laufer. Je donne àprésentla parole àM. Tomuschat.
M. TOMUSCHAT :
16. Monsieur le président, estimésmembres de la Cour, l'Allemagne, dans cette procédure
relativement complexe, tientàréaffirmer quela Cour n'est pas compétentepour examiner l'affaire
au fond. L'Allemagne a exposé sesvues de manière détaillée dans ses exceptions préliminaires,
qu'elle maintient sans réserve. Dans l'intervalle, cependant, il s'est produit d'importantes
évolutions nouvellesqui exigent un réexamende la situationjuridique.
A. Evolutions nouvellespostérieuresau dépôt des exceptions préliminaired se l'Allemagne
17. D'une part, la République fédérale de Yougoslavie (RFY), dontla dénomination
officielle està présent «Serbie et Monténégron(SM), a été admise à l'Organisation des
Nations Unies le 1" novembre 2000 en tant que nouveau Membre, en vertu de la résolution55/12
de l'Assemblée générale. D'autre part, aprèsson admission à l'ONU, la RFY a notifié au
Secrétaire généralde l'organisation, le 12mars 2001, son adhésion à la convention des
Nations Unies pour la préventionet la répressiondu crime de génocide (ci-après dénommé le
((conventionsur le génocide))).Invoquantces deuxévénementscomme des faits nouveaux,la RFYa
engagéune procédureen revision de l'arrêtrendu par la Cour le Il juillet 1996 dans l'affaire
concernant l'Application dela conventionpour laprévention etla répression ducrime de génocide2.
Dans cet arrêt,la Cour avait conclu que les exceptionspréliminaires soulevées palra RàYl'égard
de l'action intentée contreellepar laBosnie-Herzégovine,laquelle allégut commissiond'actesde
CIJRecuei1996,p. 595. génocide,n'étaient pas fondées.Comme nous le savons, cette demande en revision n'a pasabouti.
Ayant considéréque ces développementsne constituaient pas des faits nouveaux au sens de
l'article61du Statut,la Cour arejetélademandepour irrecevabilité3.
B. La Serbieet Monténégro elle-mêmeinfirmeles fondemend ts la compétencedela Cour
18.En ce qui concerne lsiprocédureengagéepar laWY contre l'Allemagne, la seulebase de
compétence concevable pourrait être I'articleIX de la convention sur le génocide. Aucune autre
base de compétencen'a jamais étéinvoquée parla RFI. Curieusement, dans ses observations
écritesdu 18décembre 2002, laRFY déclare cependantque, n'ayant pas assuréla continuité dela
personnalitéjuridique et dela qualitéde partie aux traitésde l'ex-Yougoslavie- c'est-à-dire de la
République fédérative socialistdee Yougoslavie (RFSY)--, elle n'étaitpas liée parla convention
sur le génocide avant d'y adhtjrer, en mars 2001. En outre, le demandeur attire l'attention sur le
fait que cette acceptation récentede la convention sur le génocide est limitée parune réserve
13
excluant expressément de soin champ d'application la clause compromissoire de l'article IX4.
Ainsi, le demandeurconcèdelui-mêmeouvertementqu'il n'existe aucune base decompétencepour
la procédure qu'ila engagée contre l'Allemagne. Indépendammentde la question de la date à
prendre en considérationpowr déterminersi les conditions de la compétence sontremplies, la
réserve quivient d'être mentionném e ontre clairement que laRFYne s'est pas, selon ses propres
déclarations, soumise à la compétence de la Cour, ce qui, selon le principe de réciprocité,lui
interdit de s'appuyer sur1'articIXede la convention sur le génocide.
19. En outre, le document soumis par le demandeur le 18décembre2002 indique qu'à la
date du dépôt de la requête,en 1999, la RFY n'était pas membre de l'organisation des
Nations Unies-comme en tiimoignele fait qu'elle y a étéadmise en tant que nouveau membre le
1"novembre 2000 - et que par conséquent elle n'était pas partieau Statut de la Cour. Làencore,
c'est un argument qui dénie irnplicitementtoute compétence à la Cour, puisque le paragraphe 1de
I'article35 du Statut réserve généralemenatux Etats parties au Statut l'accàs((l'organejudiciaire
Arrêtdu 3 février2003.
«La Républiquefédérade Yougoslavie ne se considèrepas liée parI'article IX de la convention
pour la prévention etla répression du crimede génocide;c'est pourquoi, pour qu'undifférend auquel la
République fédéraee Yougoslavie est partie puisealablement soumisa Cour internationalede
Justice en vertu dudit article, sonconsentement txprèsest nécessairedans chaque cas.» principal des Nations Unies)) -pour reprendre les termes de l'article 92 de la Charte des
Nations Unies. En admettant que la convention sur le génocide soit inapplicable,la requête ne
pourrait pas non plus s'appuyer sur le paragraphe2 de l'articleStatut.
20.Il est évident que nous nous trouvons là en présenced'une contradiction flagrante.
Lorsque la RFY a engagéune procédurecontre l'Allemagne et d'autres pays de l'OTAN, elle
affirmait êtreun Etat Membre de l'Organisation des Nations Unies et partiea convention sur le
génocide. A présent, ellea révisé sa position juridique. Ce changement fondamental d'attitude
aurait dû logiquement l'amener à retirer sa requête. Il n'y a pourtant eu de sa part aucune
déclaration en cesens. Le demandeur a demandé à la Cour de se prononcer sur sa compétence,
espérant apparemment retirer un certain bénéfice d'une telle décision sur le statut de
l'ancienne RFY.
l4 C. Position de l'Allemagne concernant la qualité de Membre de l'Organisation des
Nations Unies de la RFYISM et sa capacitéen tant que partie à la convention sur le
génocide
21.Comment réagir àcette contradictio? L'Allemagne est d'accord avecle demandeur sur
un point important. Comme la demande est toujours pendante, il faut que la Cour se prononce sur
sa compétence, de manière à régler ainsi définitivement la question. Pour le reste,en revanche,
l'Allemagne n'est pas d'accord avecle demandeur. Il ne suffit certainement pas qu'une paràie
une procédure pendante devantla Cour lance des affirmations sur ce qu'elle estime êtrela nature
véritable dela situationjuridique. D'une manière générale, de telles affirmations ne sauraient être
contraignantes ni pour le défendeur,ni pour la Cour. Ce n'est que dans une mesure limitéequ'une
partie peut décider unilatéralement d'une situation, commjee le montrerai plus en détaildans la
suite de mon exposé. La questionde savoir si une partie était ounon membre de l'organisation des
Nations Unies et si elle étaitou non partien traité particulier doit trouver sa réponsedans des
données juridiques objectives. Etre ou ne pas êtr:on se retrouve ici devant l'interrogation de
Hamlet, dans un contexte légèrementmodifié.
22. Dans ses exceptions préliminaires du5 juillet 2000, l'Allemagne n'a pas contestéla
capacitéde laRFY à ester devant la Cour en tant que paràla convention sur le génocide. Pour
admettre cette prémisse, elles'est appuyéesur l'arrêt rendupar la Cour lel juillet 1996 dans l'affaire concernant l'Application de la conventionpour lapréventionet la répressiondu crime de
génocide, Exceptions arrêt que nous avons déjà évoqué. Dans cette décisio ln,
Cour a jugé que la «Yougoslavie» était liée par la convention en toutcas à compter du
27 avril 1992, date à laquelle la naissance du nouvel Etat a été officiellement proclamée.
L'Allemagne est donc partie de:l'hypothèse quela relation de réciprocité qu'exige l'ariXcde la
convention sur le génocide était présente entreles deux parties au différend. Le revirement du
demandeurréduit à néant cette hypothèse.
23. D'autre part, l'Allemagne a toujours étéd'avls que la «Yougoslavie» a cessé d'être
Membre de l'Organisation des NationsUnies à la dissolution de la RSFY, entendant par là que la
RFY n'est pas devenue automatiquement membre de l'organisation mondiale puisqu'iln'y avait
pas identité entre lesdeux Etats. Le corollaire est que la «Yougoslavie» a cessé en même temps
d'être partiau Statut. Cet argument est longuement développédans les exceptions préliminaires
de l'Allemagne et il est inutile d'y revenir ici. L'Allemagne tient seulementouligner qu'elle le
maintient sans aucunerestriction.
15
D. La position de la Cour sur ces questions
24. L'Allemagne a conscience du fait que la Cour a eà plusieurs repriseàse prononcer sur
ces questions. Permettez-moi de rappeler brièvement les conclusions auxquelles elle est arrivée
antérieurement, afin d'avoirune image préciseet complète dela situationjuridique.
25. Le premier prononc;éjudiciaire sur les deux questions pertinentes en l'espèce date de
l'affaire relatiàel'Application de la conventionpour laprévention et la répressiondu crime de
génocide, mesures conservatoires. Dans son ordonnancedu 8 avril 1993~,la Cour n'a pas statuéde
manière définitive, déclarant:«la Cour n'a pas à statuer définitivement au stade actuel de la
procédure sur la question de !savoirsi la Yougoslavie est ou non Membre de l'organisation des
Nations Unies et,à ce titre, partie au Statut de la cour»'; elle s'est làconclure qu'elle avait
((compétencep ,rimafacie, tant rationepersonae queratione materiae, en vertu de l'artiiXede la
Voirci-dessus,note2.
C.I.JRecuei1993,p. 3.
Ibid.,p14,par18. convention sur le génocide»8.Eu égard aufait qu'il s'agissait en l'occurrenced'une demande en
indication de mesures conservatoires, cette réticence à entreprendre une étude complètede la
situationjuridique était manifestement dictée ples circonstances.
26. Dans l'arrêt qu'elle arendu le Il juillet 1996~,toujours dans l'affaire déjà mentionnée
Bosnie-Herzégovinec. Yougoslavie, la Cour s'est penchée sur la questionde savoir si la RFY
pouvait être considérée comme partie à la convention sur le génocide. Se fondant sur le fait que
l'ex-Yougoslavie - la République fédérative socialiste de Yougoslavi -e avait ratifié la
convention le 29 août 1950 et qu'à son avènement, le27 avril 1992, la RFY s'étaitengagée à
(crespecterstrictement tous les engagements que la République fédérative socialiste de Yougoslavie
a[vait] prià l'échelon international))l,a Cour a conclu que la «Yougoslavie», c'est-à-dire laRFY,
était liée depuis cette date parla convention. En revanche, la Cour s'est totalement abstenue
d'aborder la question du statut de laRFYen tant que membre de l'Organisation des Nations Unies.
27. Dans la présente affaire, cellede la Licéité 1'emploi delaforce (Yougoslavie [Serbie
et Monténégro] c.~llema~ne)", où la Cour a finalement rejeté la demande en indication de
16 mesures conse~atoires présentée parla RFY,la Cour a considéré qu'cil n'estpas contesté que tant
la Yougoslavie que l'Allemagne sont parties à la convention sur le génocide,sans réserves>)".
Aussi en a-t-elle déduit que l'artiiXede la convention sur le génocidepourrait fournir la base de
compétence nécessaire dansl'action introduite par la RFY. La Cour toutefois, n'a pas abordéla
question de la qualité de Membre del'organisation des Nations Unies de laFY.
28. Toutes ces déductionset conclusions se trouvent remises en question par la demande
yougoslave en revision de l'arrêtdu 11juillet 1996. La RFY a défendula thèse selon laquelle son
admission à l'ONU le 1" novembre 2000 constituait un fait nouveau dont il résultait clairement
qu'avant cette date elle n'en était tout simplement pas membre. En outre, puisqu'il y avait eu
succession d'Etats, elle n'étaitpas non plus partiàla convention sur le génocide à la date où la
Bosnie-Herzégovine avait déposé sa requête L.a réponse apportéepar la Cour à ces conclusions
Ibid., p. 18,par.32.
Voirplushaut,note2.
'OC.I.JRecuei1999,p.422.
" Ibidp.430, par.24.dans son arrêtdu 3 février200.3'~révèle quelques hésitations. La Coura considéré que,de 1992
à 2000, la RFY avait occupéune ((situationsui generias u sein de l'~r~anisation»'~. Elle a ainsi
évité d'avoirà trancher entre la qualité de Membreet de non-membre. Par ailleurs, s'agissant de la
situation de la RFY à l'égard de la convention sur le génocide, la Cour a souligné que les
résolutions adoptéespar l'Assembléegénérale ne touchaient pas à cette situationI4. Autrement dit,
l'arrêt postuleque la République fédérative socialistede Yougoslavie d'abord et la RFY ensuite ont
été liéessans interruption par la.convention.
29. La conclusion provisoire qui peut être tirée de cette remarque incidente dela
jurisprudence est que, selon la Cour, premièrement la RFY n'est pas restée en dehors de
l'organisation des Nations Uniiesentre le 27 avril 1992 et.le 1" novembre 2000 mais bénéficiait
pendant cette période d'un statutspécial «sui generis))et, deuxièmement la RFY est partie à la
convention sur le génocidedepuis qu'elle est née.
E. Lescontradictions
30. Ces conclusions semblent être en contradiction avec celles du demandeur tellesqu'il les
a exposées dans ses observations écrites du18décembre2002. Faut-il donc aujourd'hui, pour la
premièrefois, établir quelle est la véritablesituationjuridique? N'oublions pas cependant que la
jurisprudence que je viens de résumersuccinctement est essentiellement fondée sur le fait que le
statutde partieà la convention sur le génocidedela RFYn'avaitjamais été contesté avant le dépôt,
le 24 avril 2001, de sa deman'deen revision de l'arrêtdu Il juillet 1996 :toutes les parties aux
différentes procédures, y compris la RFY, étaienten réalité pleinement d'accordsur la question.
La RFY pouvait difficilement soutenir qu'il y avait eu succession d'Etats puisqu'une telle
conclusion aurait anéantisa prétention à être identifiéeà la République fédérative socialiste de
Yougoslavie. Par ailleurs, le:; demandeurs -la Bosnie-Herzégovine,et plus tard la Croatie-
n'avaient pasintérê àt nier que la RFY fût liéepar l'acte de ratification de la Républiquefédérative
" Demande en revrsionde l'arrêtdu Il juillet 1996en l'affaia~l'Application de la convention pour la
prévention et la répression ducrirne de génocide (Bosnie-Herzégov. ougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslaviec. Bosnie-Herzégovine).
" C.IJ Recueil2003, p. 20, par. 50
l4Ibid., p. 24, par.70.socialiste de Yougoslavie, datant d'août 1950. A présent, les circonstancesde fait ne sont plus les
mêmes.Le demandeur conteste la conclusion de la Cour selon laquelle il a toujours étépartieà la
convention sur le génocide.
F. L'autonomie des parties en matièreprocédurale
31. L'Allemagne considèreque ce nŒud gordien peut être tranché d'une manièrene portant
préjudice àaucun des acteurs concernés. Elle propose de se concentrer sur les faits de l'espèce,en
laissant de côté toutesles répercussions quela décision finalede la Cour pourrait éventuellement
avoir sur d'autres procédures,où laconfiguration forméepar les parties sera différente. L'arrêt de
la Cour n'aura autoritéde chosejugéequ'entre les parties effectivement en cause dans la présente
instance. Pour l'essentiel, deux arrêts rendus dans deux procédures différentesù les parties sont
différentesne sauraient se contredire.
32. L'élémentclé qu'ilfaut absolument garder à l'esprit concerne le pouvoir de décision
dont disposent les partieà une instance devant la Cour. Comme il a déjà été souligné le,s parties
n'ont aucun pouvoir de décision àl'égard de la situationjuridiquedefond. Le point de savoir si un
Etat, en tant que sujet de droit international, a certains droits ou certaines obligations doit être
apprécié au regard desrègles du droit international applicables. Cela dit, il est toujours loiàible
un Etat de renoncer aux droits dont il est titulaire. Il est moins aisé,en revanche, de répudier des
obligations.
33. En premier lieu, en vertu du principe fondamental du règlement juridictionnel
international des différends selonlequel la compétencedes cours et tribunaux internationaux n'a
pas un caractère obligatoire mais repose sur le consentement, il appartient aux parties à un
différend de décider si celui-ci sera soumis à règlement par tierce partie devant un organe
judiciaire. Même quandil existe un lien juridictionnel entre les parties au litige, c'estlles de
décider de leurplein gré d'utiliserou non le recoursjudiciaire disponible. n'existe pas de procès
d'office dans le cas des différends entre Etats. Aucun procureur ne peut contraindre un Etat à
comparaître comme défendeurdevant la Cour. Dans le cas où le paragraphe 1 de l'article 36 du
Statut trouve à s'appliquer par l'effet d'une clause attributive de compétencecontenue dans un
traitéou une convention en vigueur, un Etat peut introduire unilatéralementune instance contre un défendeur quia lui aussi acceptécette même clause. 'Telest la cas de figure envisagédans
l'articleIX de la convention sur le génocide. Il dépend ainsi entièrement de la volonté de1'Etat
concerné de porter un différend concret devant la Cour ou de rechercher un autre mode de
règlement.
34. En deuxième lieu,la.partie qui introduit l'instance détermine également le champ de la
demande sur laquelle la Cour est appelée à statuer. Ses conclusions délimitent le pouvoir
juridictionnel de la Cour. La Cour n'est pas autorisée ilaccorder à une partie plus qu'elle n'a
demandé. Dans l'affaire du Dktroit de orf fou' ^a,Cour a déclaré expressément qu'elle ne
«[pouvait] pas ...allouer [au Royaume-Uni] une somme supérieurea celle demandée dans ses
conclusion^» C''.st là une proposition généralequi ne s'applique pas uniquement à la question
de la réparationpécuniaire'7.C'est donc le demandeur qui définitl'objet et l'étenduede la tâche de
fond qu'aura à accomplir la Cour pour s'acquitter de sa fonctionjudiciaire.
35. De même, ce sont].esparties qui décidentdes moyens de défensequ'elles souhaitent
faire valoir. Leur pouvoir de décision est particulièrement évident en ce qui concerne les
exceptions préliminaires. Se'lonle paragraphe 1 de l'article 79 du Règlement de la Cour, les
exceptions préliminairesdoivent êtreprésentées dans un ddai de trois mois aprèsque le demandeur
a déposé son mémoire. Une fois ce délai écoulé, le défendee urt généralement forclos à contester
19 la compétence de lacour18. Plus particulièrement, en gardant le silence dans une situation où,
objectivement, la Cour n'est pas compétente, le défendeur a la possibilitéde laisser la procédurese
poursuivre. En pareil cas, la simple passivité peut établir lforum prorogatum. Cela reste vrai,
encore que la Cour se soit réservé le droitd'examiner d'office la question de sa compétence si les
circonstances particulières de I'affaireen cause lejustifient19.C'est ainsi qu'elle avait conclu, dans
I5C.I.J.Recueil1949, p. 244.
l6Ibid.,p. 249; dans le mêmeesprit, voir également laDemanded'interprétationde l'arrêtdu 20 novembre 1950
en l'affairedudrolt d'asile,C.I.J. Recueil 1950,p. 402.
l7 Voir Fitzmaurice, Gera:d«The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1951-1954:
Questions of Jurisdiction, Competericeandedure)),British YearBook of International Law, vol. 34, 1958, p.99;
Rosenne, Shabtai, TheLaw and Practice of the International Court1,320-1996,3eéd.,La Haye et al., MartinusNijhoff
Publishers, p. 594-596.
exceptions préliminaires duGuatemailadans son a18ênovembre 1953(C.I.J.Recueil 1953,11l), déclara ensuiterejeté les
la demande irrecevable par son arrêtil 1955(C.I.J.Recueil 1955,p. 26).
l9Voir Rosenne,note no 17ci-dessus,p. 928-932.l'Appelconcernant la compétencedu Conseil de 1'0~~1~~ :«La Cour ...doit ...toujours s'assurer
de sa compétenceet elle doit, s'il y a lieu, l'examiner d'offi~e.))~'Mais si le défendeury a donné
son consentement, fût-ce implicitement, la compétence dela Cour est fondée.
36. En dernier lieu, il est incontesté,en droit international général,qu'un sujet de droit
international peut renoncer de son plein gré à tout droit dont il serait titulaire. Ce pouvoir peut
comporter certaines limites. Ainsi, par exemple, les règles fondamentales du droit international
établiesau bénéfice des êtreshumains ne sauraient être récusées par les gouvernements, qui n sont
que les mandataires du peuple. Mais, d'une manière générale, le pouvoir de décisiov natrèsloin,
même à l'égardde droits souverains. En particulier, un Etat peut inviter les forces militairesd'une
nation étrangère à pénétrer sur son territoireaux fins de certains buts Dans le cadre
d'une alliance défensive, les Etats accueillent régulièremend tes troupes étrangères surleur sol.
Sans leur consentement à un tel déploiement, l'entrée de troupes étrangères sur leu rmtoire
constituerait une violation flagrante de la souveraineténationale.
G. La Serbieet Monténégro a renoncé à tout droit d'action
37. C'est cette règle générale du droit international qui offre la solution des difficultés
soulevées par notre affaire. En déclarant quela RFY m'était pas liée parla convention sur le
génocide avant d'y adhérer)), la Serbie et Monténégro elle-même n'entend pas se désister
implicitement de l'instance, puisqu'elle demande expressément à la Cour de statuer sur sa
compétence. Le demandeur n'a donc nullement l'intention de mettre fin unilatéralement à
l'instance. Toutefois,ce n'est pas sa volonté qui est l'élémen dtécisif. La phrase que nous avons
citéen'est pas vide de sens. Elle renferme un message clair, qui est que le demandeur ne souhaite
pas poursuivre l'affaire sur la base de l'articleIX de la convention sur le génocide. En d'autres
termes, le demandeur a renoncé au droit d'action qu'il revendiquait initialement lorsqu'il a
introduit la présente instance contre l'Allemagne et les autres membres del'organisation du Traité
de l'Atlantique Nord.
C.1.J.Recueil 1972,p. 46.
2lbid., p. 52,par. 13.
*'Voir l'étuderéaliséepar Georg Nolte, Eingreifen auf Einladung (intervention sur invitation), Berlinet al.,
Springer, 1999. 38. La renonciation qui doit nécessairement être inférée des observations écrites du
18 décembre2002 règlela question de la compétencede la Cour, qu'il existât ou non au préalable
un droit d'action au titre de l'articlee la convention sur le génocide. Si la RFY, aujourd'hui
devenue la Serbie et Monténégro, n'était pas liépear la convention sur le génocide lorsque les
opérations aériennes deI'OTAIVont eu lieu, elle ne pouvart en aucun cas tenir de cette convention
un quelconque droit d'action à raison des pertes en vies humaines causées par les opérations
aériennessur leterritoire yougoslave. Si, en revanche, la KFYa toujours été paàtla convention
depuis sa première heure d'existence,comme la Cour l'a considéré dans ses décisions précédentes,
alors la déclarationdéploie pleinement ses effets. Invoquer l'article la convention, comme la
RFY aurait peut-êtrepu le faire en tantque partie contractante,est désormaisexclu.
39. Que le demandeur ait renoncé à son droit d'action dans la présente instancene change
rien à la situation juridique otGective. Bien que ce soit une banalité, rappelons encoreune fois
qu'un Etat a le pouvoir de renoncer à ses droits, noà ses obligations. Dans le cas d'un traité
multilatéral créant des droitset des obligations dans les relations entre les différentes parties, les
transactions qui interviennent entre deux parties ne produisent pas d'effets juriàl'égard des
parties tierces. La règle de l'article 35 de la convention de Vienne sur le droit des traités selon
laquelle les traités ne peuvent imposer d'obligationsà des Etats tiers reflète un principe plus
fondamentaldu droit internatiainalgénéral,ui est qu'aucun Etat ou groupe d'Etats n'est en mesure
de faire naître des obligationà la charge d'Etats tiers en agissant unilatéralement. Toute autre
interprétation dela situationjuridique au regard du droit ~ntemationalgénél orterait atteinte au
principe de l'égalité souveraine dEtats. Ainsi, le fait que la RFY ait renoncé aux droits qu'elle
tenait de l'articD( de la convention sur le génocide nepeut pas, en droit, modifier les relations
juridiques existant entre la Serbie et Monténégroet ses voisins. Cela signifie également que si la
Cour conclut que le demandeur se trouve privéde la possibilitéde faire valoir ses griefs contre
l'Allemagne au titre de l'articliX de la convention siir le génocide, cette conclusion restera
limitée àla présente affaire. Elle n'interdira pàsla Cour de dire, dans un contexte procédural
différent,quela RFY a toujours étépartià la convention. H. Le principe de l'estoppel empêche la Serbie et Monténégro de modifier sa position
40. L'Allemagne considère que les conclusions auxquelles elle est parvenue sont en outre
confortéespar deux notions juridiques reconnues très clairement dans lajurisprudence de la Cour.
Elle veut parler, d'une part, du principe de l'estoppel et de l'autre, de l'effet obligatoiredes
déclarations unilatérales.En réalité, les observations écrites du18décembre2002 ont une qualité
particulière. Habituellement, les conclusions des parties à un différend international sont faites
d'explications détailléequi portent sur les sujets les plus divers, toujours dans le but d'étayer les
prétentions soumises au jugement de la Cour. Or, ici, le demandeur se contente de quelques
phrases, qu'on dirait gravées dans la pierre. Ces phrases se limitent à l'énoncéde deux
propositions axiomatiques, à savoir que la RFY, à l'époque pertinente, n'étaitpas membre de
l'organisation des Nations Unies, nipartieà la convention sur le génocide.
41. Une telle déclaration de principesne saurait se retirer aussi facilementque quelque autre
conclusion demandant à être adaptée à l'argumentation développéeen cours d'instance par une
partie adverse23. L'Allemagne estime que les observations écrites du 18décembre 2002 ont
complètementrestructuré l'ensemble dela configurationprocédurale, dansun sens qui correspond
parfaitement à la définition de I'estoppel telle que la Cour l'a formulée dans son arrêtdu
20 février1969 sur le Plateau continental de la mer du or&^ et confirmée dans l'affaire des
Activitésmilitaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, compétenceetre~evabilité~~.
Selon ces deux décisions, unepartie peut invoquer l'estoppel en se fondant, premièrement,sur un
comportementparticulier manifestépar un autre Etat ou sur des déclarations qu'il aémises. C'est
exactement ce que fait ici l'Allemagne, en invoquant la déclaration formelledu demandeur selon
laquelle la clause compromissoire de l'articleIX de la convention sur le génocideest inapplicable
entre les deux parties. De plus, les deux décisions précitées exigent que lrevirement du premier
22 Etat soit préjudiciableà 1'Etat qui attendait du premier qu'il s'en tienne à la ligne de conduite
annoncée parson comportement ou par ses déclarations. Cette condition est égalementremplie.
Le demandeur a fait naître une attente légitime, quiétaitque le différend se régleraitsur base de la
*' Voir également, en ce qui concerne la preuve, les conclusions de Les principes généraux du
contentieux internatiPans,1962,p.114-115.
24C.I.JRecueil1969,p. 26, par.30.
25Arrêtdu 26 novembre 1984,C.IRecueil 198p. 415, par. 51.prémisse selon laquellel'article:IX de la convention sur le génocidene peut être invoqué comme
fondementjuridique de la compétence dela Cour. Des déclarationscomme celles qui figurent dans
les observations écritesdu 18décembre 2002 doivent véritablementêtreprises au sérieux. Une
partie qui proclame publiquenient que ses demandes n'ont pas de fondement juridictionnel ne
saurait venir prétendrele lendemain qu'elle s'esttrompée etque son erreur doit êtrerectifiée.
1.L'effetobligatoire de certaines déclarations unilatérales
42. La doctine de l'estoppel n'est pastrès éloignée de cellqeui attribue un effet obligatoirà
certains types de déclarations unilatérales.On sait que dans les affaires des Essais nucléaire^ la^,
Cour a conclu que la France (?taitliée par les annoncesqu'elle avait faites quant à la politique
qu'elle entendait mettre en Œuvreen matière d'essais nuciléaires. Lepassage pertinent de l'arrêt
du 20 décembre1974est bien connu. Je n'en citerai que trois phrases, nécessaires pour démontrer
que, à cet égard également, le(demandeurne peut pas s'écarter de la position qu'ila formellement
faite sienne dans ses observi~tionsécrites du 18 décembre2002. Ces phrases clés sont les
suivantes :
«Il est reconnu que des déclarationsrevêtantla forme d'actes unilatérauxet
concernant des situatioris de droit ou de fait peuvent avoir pour effet de créerdes
obligations juridiques ... Quand 1'Etat auteur de la déclaration entend être lié
conformément à ses termes, cette intention confèreà sa prise de position le caractère
d'un engagementjuridique, 1'Etatintéressé étant désormais ten en droit de suivreune
ligne de conduite conforme àsa déclaration. Un engagement de cette nature, exprimé
publiquement et dans l'intention de se lier, même horsdu cadre de négociations
internationales, a un effetobligatoire.»"
Il ne fait pas de doute que le demandeur souhaitait indiquer clairement une fois pour toutes,
dans ses observations, que selon son appréciation dela situation juridique il n'existait, dans le
contexte de la convention sur le génocide, aucune relation juridique de quelque natureque ce fût
entre lui-même et l'Allemagne ainsi queles autres membres de l'Organisation du traitéde
l'Atlantique Nord. Sans~'adr~essea ru grand de facon indéterminée, les observations écrites
26Essais nucléaires (Austc. France),arrtu20décembre 1974,C.I.J.Recue1974, p253
27Ibidp.267,par.43.du 18décembre2002 étaientévidemment formuléesen direction de tous les Etats ayant un intérêt
concret dans l'affaire. De ce point de vue, elles revêtaientun caractèrelic», dans la mesure ou
elles débordaient indéniablement lcadre des instances internes du demandeur.
J. Conclusion à titre subsidiaire : les opérations aériennesde l'OTAN n'entrent pas
dans le champ d'application de l'article IXde la conventionsur le génocide
43. Vu la conséquence qui découledes observations qui précèdent, à savoir que le
demandeur est, et demeure, lié par sa renonciation à tout droit d'action éventuel au titre de
l'articlIX de la convention sur le génocide,les observations qui suivent ne sont présentées qu'a
titre subsidiaire. L'Allemagne est fermement convaincue que I'articleX n'est pas applicable dans
le cadre de ses relations avec le demandeur et, en principe, il n'y aurait nullement besoind'établir
que les faits de la cause n'entrent pas dans le champ d'application de l'articleIX : aussi nous
contenterons-nousde le démontrer sommairement.
44. Le demandeur n'a absolument pas démontré que l'Allemagne aitétémue par une
intention génocidaire. Aucundes faits invoqués ne fournitla moindre preuve circonstancielle
d'une telle intention, qui est l'un des éléments constitutifsdu crime de génocide,comme l'ont
relevé hier de nombreux intervenants. Ainsi quela Cour l'a fait observeràjuste titre lorsqu'elle a
rejetéla demande en indication de mesures conservatoires.de laRFY, faire la guerre et commettre
un génocide sont deux choses distinctes2'.Nul ne peut contester, ni ne conteste, qu'un conflit armé
entraîne des pertes en vies humaines. L'Allemagne regrette profondément et sincèrement que les
opérations aérienneslancées contre laRFYaient causéla mort d'un grand nombre de ressortissants
yougoslaves. Mais le génocide constitueun crime spécifique,où l'auteur s'en prend àdes êtres
humains en raison de leur appartenance à un groupe mational, ethnique, racial ou religieux))
particulier (convention sur le génocide, art. II). Il est de notoriété publique, comme nous l'avons
montré dansnos exceptions préliminaires (par. 2.1-2.37), que les opérations militaires lancées
contre la RFY l'ont été dansle but d'empêcher que les Albanais du Kosovo ne soient victimes
d'atrocités,et notamment d'actes de génocide,et ne soient chassésde leurs terres ancestrales.
L'Organisation du traitéde l'Atlantique Nord n'a jamais eu le dessein de détruirela population de
'*Voir ci-dessus,note 10,1,par.27.la RFY ni de nuire substantielilementde quelque autre manière à son intégrité. D'ailleurs,les
bombardements ont cesséle jour mêmeoù le Gouvernement de la RFY a accepté de retirer ses
forces armées de la province du Kosovo. Nous arrêterons là ce bref rappel historique.
L'Allemagnene souhaite pas aborder le fond du différend. En tout état de cause,le demandeur n'a
pas été en mesurede fournir la moindre preuve que les opérations aériennes aientfait partie
intégranted'une stratégie visant à nuire gravement au peuple serbe.
45. Enfin, l'Allemagne tient à souligner que les clauses attributives de compétence doivent
être interprétée est appliquéesavec la plus grande circonspection. Ce serait saper les fondements
du systèmede règlementjuridictionnel internationalquede permettre que de telles clauses, qui sont
toujours liéesà un objet précis, soient invoquées à propos de différends sans rapportquant au fond
avec cet objet. D'ailleurs, la Cour s'est toujours montrée très consciente des dangers inhérents à
une interprétation «dynamique» des clauses attributives tie compétence. Il ne suffit pas qu'une
partie affirme que sa demande satisfait aux exigences de fond énoncées dans ces clauses. Ainsi,
dans l'affaire des Plates-formes pétrolières29, la Cour a pris la peine d'examiner chacune des
prétentions avancéesparl'Iran, pour déterminersi elles étaient susceptibles d'entrer dansle champ
d'application des différentes dispositions de fond du traité d'amitié de 1955 signé entre les
Etats-Unis et l'Iran -condition exigée pour que la clause attributive de compétence figurantau
paragraphe 2 de l'article XXI d.ece traitépuisse entrer enjeu. La Cour a estimé qu'ellene pouvait
«se borner à constater que l'une des Parties soutient qu'il existe un tel différend etque
l'autre le nie. Elle doiitrechercher si les violatioris du traité de1955 alléguéespar
l'Iran entrent ou non dans les prévisions dece traitéet si, par suite, le différendest de
ceux dont la Cour est coimpétente pour connaître ratione materiae.. .»)O
46. On peut également évoquerun certain nombre de précédents dans lesquelsla Cour a
déclaré de façon constante qu'ellene permettrait pas que soient établis artificiellement des liens
fantaisistes et arbitraires entre les faits du différend et la clause compromissoire susceptible
d'ouvrir la porte àsajuridiction. Il n'est évidemmentpas possible,au moment de l'introduction de
l'instance, de prouver pleinement et de façon convaincanteque les questions soulevéesentrentbien
dans le champ d'application d'une telle clause. Mais, il faut à tout le moins que les faits invoqués
29Plafesiformes pétrolières(République islamiqued'c.Etats-Unis d'Amérique),excepfionpréliminaire,
C.I.J.Recue1996,p.803.
30Ibid.p. 810, par. 16. par le demandeur puissent en relever avec une certaine plaussibilité. Les faits doivent être pris tels
qu'ils sont. On ne saurait les pressurer et les modeler à sa guisepour qu'ils satisfassent aux critères
requis. Voilà plus d'un demi-siècle, laCour permanente a dit dans l'affaireAmbatielos :
25 «[L]a Cour doit s'assurer que les arguments avancés par le Gouvernement
hellénique au sujetdes dispositions du traité sur lesquellesla réclamation Ambatielos
est prétendument fondée sont de caractère suffisamment plausible pour permettre la
conclusion que la réclamation est fondée sur le traité. Il ne suffit pas que le
gouvernement qui présentela réclamation établisseun rapport lointain entre les faits
de la réclamation et le traitde 1886.))~'
Il s'agissait du traitéinvoquépour fonder le règlementdu différendpar la voie de l'arbitrage. Ce
dictum a étéconfirmédans des décisions ultérieures. Il nous suffira d'évoquer la déclaration
pertinente faite par la Cour dans l'avis consultatif sur les Jugementsdu Tribunaladministratifde
1'OITsur requêtes contr1 e'~nesco~~ d,ans laquelle la Cour, après avoir indiquéqu'une mention
purement verbale de certaines stipulations ou dispositions ne satisfaisait pas aux exigences de la
clause de juridiction pertinente, concluait qu'il fallait ((exigerque la requête fasse apparaîtreun
rapport réel entrele grief et les dispositions invoquées..»33.
47. Un tel (crapport réel))n'est pas perceptible en l'espèce. Assurément, les opérations
militaires lancées contrela RFY ont fait couler le sang et causé des pertes de vies humaines, mais
ces pertes tragiques sont à mille lieues de constituer un génocide. Ce serait dénaturerla réalité
historique que de les qualifier, ne fût-ce que provisoirement et aux seules fins de la clause de
juridiction énoncée à l'article IX de la convention sur le génocide, de faits éventuellement
assimilables à des actes de génocide. Des allégations aussi extravagantes que celle consistant à
affirmer que les forces de l'OTAN ont lancé leurs attaques dansle dessein de détruirela population
serbe sont tout bonnement indéfendables. Elles ne sauraient présenter la moindre pertinence
juridique.
31
C.I.J.Recueil 1953, p. 18.
-"C.I.J.Recueil 1956,p. 77.
-'Ibid.p. 89. 48. Tout ce qui doit être ditde la tentative faite par le demandeur d'invoquer l'arIXcde
la convention sur le génocidel'a déjà été palra Cour dans son ordonnance du 2juin 1999~~.Au
moment de statuer sur les exce:ptionspréliminaires,la Cour devrait simplement se fonder sur les
considérationsconvaincantesqu'elle avait formulées alors.
49. Enfin, l'Allemagne se contentera de noter,eu égarda l'affirmation du demandeurselon
laquelle il n'était paspartia la convention du génocide à la date pertinente, que les critèresde
l'articlIX de cette convention ne sont pas satisfaits. Il ne saurait exister de différend ausens de
l'articlIX qu'entre des partieà cet instrument.
26 K.Conclusions
50. En conclusion, l'Allemagne priela Cour de sedéclarer incompétente pour connaîtrede la
requête. Comme nous l'avons indiqué dans nos exceptions préliminaires, certaines partiesde la
requête devront en outre être considérées comme irrecevable Je.remercie la Cour de son attention
et de sa patience.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Tomuschat. Voilà qui clôt le premier tour de
plaidoiries de l'Allemagne.
L 'audienceest levéà 10 h 55.
34Voirnote10ci-dessus,p.41,par.25.
Traduction