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127-20030910-ORA-01-01-BI
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C6/ESH
C6/CR 2003/4 (traduction)
C6/CR 2003/4 (translation)
Mercredi 10 septembre 2003 à 15 heures
Wednesday 10 September 2003 at 3 p.m.
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The PRESIDENT OF THE CHAMBER: Please be seated. The sitting is open.
We are meeting today to hear the second round of oral argument by the Republic of
El Salvador in the case concerning Application for Revision of the Judgment of 11 September 1992
in the Case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras:
Nicaragua intervening) and I will immediately give the floor to Professor Maurice Mendelson on
behalf of El Salvador.
M. MENDELSON : Thank you Mr. President.
1. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Chambre, nous nous garderons, cet
après-midi, de répondre individuellement à nos éminents contradicteurs, préférant articuler notre
plaidoirie autour des différents thèmes qu’ils ont abordés. L’une des raisons, et non la moindre,
tient à ce que vous les avez entendu reprendre exactement la même antienne, chacun selon son
registre. Les voix étaient certes belles, mais, quant à la mélodie, eh bien, nous allons y revenir.
J’interviendrai en premier, essentiellement sur les thèmes que j’ai traités lors du premier tour de
plaidoirie; M. Remiro Brotóns se penchera plus précisément sur la question de l’uti possidetis et sur
les documents d’El Activo; Mme la ministre des affaires étrangères reviendra notamment sur les
allégations de mauvaise foi et de non-exécution de l’arrêt; enfin, l’agent d’El Salvador,
M. Gabriel Mauricio Gutiérrez Castro, formulera certaines observations finales avant de vous
présenter formellement nos conclusions. Je voudrais également préciser que les références ne
seront pas données oralement mais figureront en notes de bas de page dans les comptes rendus
d’audience et j’ajouterai, pour éviter tout malentendu, que nous concentrerons nos exposés sur ce
que nous estimons être les points les plus importants, qui appellent de notre part des
éclaircissements, pour répondre aux arguments développés à l’audience d’hier, et ne réagirons donc
pas à chacun de ces arguments.
A. Le Honduras n’a pas répondu aux arguments développés à l’audience par El Salvador
2. Je dois avouer que les thèses avancées hier par les éminents représentants du Honduras
nous ont plongés dans un état de stupeur, de confusion et d’embarras. Non que nous nous soyons
sentis honteux de la faiblesse de nos arguments ni terrassés par la puissance des leurs. Non, notre
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surprise et notre confusion tenaient au fait que, pour élégante que fût leur plaidoirie, les
cinq orateurs n’ont été capables de répondre pratiquement à aucun des points que nous avions
soulevés lundi matin. Par moments, j’en suis presque venu à me demander si nous n’habitions pas
des univers parallèles : l’un — le nôtre — dans lequel nous avons lundi répondu du mieux possible
aux thèses développées par le Honduras dans ses observations écrites, en leur opposant des
arguments détaillés; l’autre — le leur — dans lequel ce lundi n’a jamais existé ou, si journée de
lundi il y a eu, du moins s’est-elle écoulée sans plaidoirie d’El Salvador devant la Chambre. Parce
qu’en réalité, l’agent et plus particulièrement les conseils du Honduras se sont limités à nous servir
une version réchauffée de leurs observations écrites. Cette sensation croissante d’irréalité ne s’est
en fin de compte dissipée que lorsque le Honduras a singulièrement fait référence, encore que très
incidemment, à des propos tenus par l’un ou l’autre d’entre nous, mais, cela n’a réellement consisté
tout au plus qu’à furtivement prendre acte, en passant, de notre présence ce jour-là.
3. Si je souligne ce point, ce n’est pas parce que la ministre des affaires étrangères, mon ami
Remiro Brotóns ou moi-même aurions été blessés dans notre amour-propre, mais parce que cette
attitude soulève certaines questions essentielles.
4. Nous avions cru comprendre que la procédure orale était consacrée à l’examen des points
qui divisent encore les Parties, et que l’intérêt de tenir deux tours de plaidoirie était de permettre
une véritable confrontation des thèses et un véritable débat. Telle est, est-on en droit de penser, la
raison pour laquelle la Chambre a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît le
paragraphe 3 de l’article 99 de son Règlement pour donner aux Parties, à l’issue de la procédure
écrite, une nouvelle occasion de présenter leurs vues. En outre, le paragraphe 1 de l’article 60 du
Règlement dispose que les exposés oraux «portent sur les points qui divisent encore les parties, ne
reprennent pas tout ce qui est traité dans les pièces de procédure, et ne répètent pas simplement les
faits et arguments qui y sont déjà invoqués» (les italiques sont de nous). Et, comme le Honduras
n’est pas sans le savoir, l’instruction de procédure VI dispose notamment que «[l]a Cour exige le
plein respect de ces dispositions…».
5. D’où notre surprise et notre confusion. Mais d’où vient notre embarras ? Eh bien, de ce
que, quant à nous, nous ne voudrions pas commettre un abus de procédure ni insulter l’intelligence
de la Chambre. Comment réfuter, dans le cadre de ce second tour, les contre-arguments du
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Honduras s’il n’en a exposé aucun ? S’il ne nous a pas répondu, comment pouvons-nous lui
répondre aujourd’hui ?
6. J’espère que la Chambre saisira la difficulté dans laquelle nos contradicteurs nous ont
placés, non parce que leurs réponses seraient irréfutables, mais parce qu’elles sont
quasi inexistantes, et comprendra que nous soyons quelque peu amenés à nous répéter, puisqu’il
nous faut, une fois de plus, montrer en quoi nos adversaires se fourvoient entièrement à tant
d’égards. Mais je m’empresse de rassurer la Chambre : nous ne nous contenterons pas de réitérer
ce que nous avons dit lundi.
7. El Salvador prie également la Chambre de prendre acte de ce que le Honduras n’a répondu
à aucun, ou presque, de nos arguments, et d’en tirer deux conséquences en particulier. En premier
lieu, nous invitons la Cour à relever que le Honduras a de fait admis, en ne répondant pas aux
points que nous avons soulevés, qu’il n’avait rien à leur opposer. En second lieu, s’il s’avère que le
Honduras a agi ainsi dans le dessein d’obtenir un avantage procédural indu, en réservant sa réponse
à nos observations de lundi pour le second tour de plaidoirie, et s’il escompte, notamment, soulever
alors de nouvelles questions — auxquelles nous ne serons bien évidemment plus en mesure de
répondre —, nous demandons formellement à la Chambre de l’en empêcher, car, ce faisant, il
dérogerait au principe de l’égalité des parties et commettrait un abus de procédure.
8. J’en viens maintenant à une série de questions spécifiques au sujet desquelles le Honduras
a mal interprété ou dénaturé notre position, en fait ou en droit, et ce, qu’il entendît ou non y
répondre. Je commencerai par quelques remarques sur la nature de la procédure afférente à la
recevabilité d’une demande en revision et aux critères qu’il convient de retenir — d’un point de
vue relativement abstrait — avant d’appliquer ces critères à certains des faits spécifiques de la
présente espèce.
B. Caractère cumulatif des conditions imposées par l’article 61
9. Je me pencherai tout d’abord sur un argument que l’on aurait pu penser insignifiant s’il
n’avait été formulé par mon éminent contradicteur, et néanmoins ami, M. Dupuy. Dans une de ses
rares références aux arguments développés par El Salvador lundi, il indiquait que je m’étais gardé
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d’évoquer le caractère cumulatif des conditions énoncées à l’article 611
. Monsieur le président,
pensait-il réellement que cet argument pouvait être pris au sérieux ? Certes, je n’ai pas
expressément employé le mot, mais je prends le risque d’avancer que pas un membre de cette
honorable Chambre n’a douté un seul instant qu’il allait de soi, pour El Salvador, que ces
conditions étaient cumulatives, c’est-à-dire qu’elles devaient toutes être remplies. Après tout, si
elles n’avaient pas été cumulatives, elles auraient assurément été des conditions dont chacune serait
suffisante. Mais il eût été ridicule de soutenir devant la Chambre que chacune était suffisante, au
vu du libellé dénué d’ambiguïté du Statut, et de la genèse de ce texte, pour ne pas parler de la
conclusion explicite de la Cour dans l’affaire de la Demande en revision et en interprétation de
l’arrêt du 24 février 1982 dans l’affaire relative au Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe
libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), qui indiquait que chacune des conditions devait
être remplie2
. Et si, en effet, El Salvador tenait les conditions pour être chacune suffisante,
pourquoi, au lieu de procéder à un examen très détaillé ¾ exhaustif mais non, je l’espère,
excédant ¾ de chaque condition, ne se serait-il pas borné à affirmer que, puisque nul ne contestait
qu’il avait satisfait à l’une ¾ à tout le moins ¾ des six conditions, celle de la règle des dix ans, il
était en quelque sorte «quitte» ? Parce que ce serait là la logique qui sous-tendrait l’existence de
conditions dont chacune est suffisante. La réponse est évidente, et je ne m’attarderai pas davantage
sur ce point.
C. Allongement injustifié par le Honduras du délai dans lequel il est nécessaire de déployer la
diligence requise
10. En revanche, il me faut revenir sur la question de l’allongement injustifié par le
Honduras du délai dans lequel il est nécessaire de déployer la diligence requise. Lundi, j’avais
attiré l’attention sur le fait que, dans les observations écrites du Honduras, une question revenait
sans cesse ¾ celle de savoir pourquoi El Salvador n’avait pas découvert ni porté à la connaissance
de la Cour le moindre document nouveau dans les années qui avaient suivi l’arrêt de 1992, et ce,
jusqu’à ce qu’il introduisît sa requête en 2002. A plusieurs reprises, et dans des contextes
différents, j’ai souligné que c’était là dénaturer les dispositions du Statut — lequel exige clairement

1 C6/CR 2003/3, p. 18, par. 10.
2 C.I.J. Recueil 1985, p. 207, par. 29.
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que toute diligence soit faite avant le prononcé d’un arrêt, mais non après. Un Etat peut tout
simplement accepter — et acceptera généralement — l’arrêt, et ne réagir que si lui tombe du ciel
¾ si je puis m’exprimer ainsi ¾ un fait nouveau, dont il ressortirait que l’arrêt initial était fondé
sur un postulat de fait erroné. En outre, si cet Etat estime, par exemple, que de nouveaux moyens
scientifiques augmenteraient ses chances de démontrer ce qu’il n’était pas, dans un premier temps,
en mesure de prouver, il lui est loisible de diligenter une nouvelle étude, de même que, profitant
des progrès techniques, une personne reconnue coupable peut demander à bénéficier d’un test
d’ADN. Ces possibilités, ainsi que d’autres, sont prévues par le Statut, et celui-ci offre des
garanties suffisantes contre les abus en exigeant : que le fait ait été inconnu de la partie ou de la
Cour avant le prononcé de l’arrêt initial; qu’il n’y ait pas eu, de la part de la partie concernée, faute
à l’ignorer; que la demande en revision ait été formée dans un délai de six mois après la découverte
de ce fait et, enfin, qu’elle ait, en tout état de cause, été formée avant l’expiration d’un délai de
dix ans. De sorte que lorsque, dans sa plaidoirie, M. Dupuy3 ¾ comme le fera ensuite
M. Sánchez Rodríguez4 ¾ demandait, de manière purement rhétorique, des preuves et des
explications quant aux motifs pour lesquels El Salvador avait attendu la fin du délai de dix ans,
lorsqu’il s’enquérait des raisons pour lesquelles les documents invoqués aujourd’hui n’avaient pu
être consultés, ni les études scientifiques et techniques commandées auparavant, il avait déjà reçu
une réponse; El Salvador l’avait fournie lundi, et nous affirmons que cette réponse est irréfutable.
Une partie n’est nullement tenue de continuer à rechercher des documents ou de déployer toute
diligence pour ce faire après le prononcé de l’arrêt initial. Aussi n’y a-t-il là rien d’autre qu’une
mauvaise interprétation, délibérée ou involontaire de la part du Honduras — simple fleur de
rhétorique, sans doute.
D. La distinction entre une revision et un appel ou une cassation
11. J’en viens à ce qui est encore, peut-être, simple fleur de rhétorique de la part de nos
contradicteurs, mais que, par respect à leur égard, nous devons prendre au sérieux : je veux parler
de la distinction qu’ils s’efforcent d’établir entre, d’une part, la revision et, d’autre part, l’appel ou

3
C6/CR 2003/3, p. 28-29, par. 36.
4
Ibid., p. 55, par. 9.
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la cassation. Plusieurs conseils du Honduras ont accusé El Salvador de chercher, sous couvert
d’une demande en revision, à faire appel de la décision initiale ou d’en obtenir la cassation. Cette
affirmation incroyable repose manifestement sur l’idée que nous remettons en cause la décision
initiale et que nous aspirons à la faire infirmer. C’est là pure rhétorique et une affirmation dénuée
de tout fondement. El Salvador sait parfaitement qu’un recours en appel ou un pourvoi en
cassation est une démarche qui vise essentiellement, même si les modalités et la terminologie
diffèrent d’un système juridique à l’autre, à faire infirmer la décision initiale au motif qu’elle était
entachée d’erreurs de fait ou de droit, voire d’un excès de compétence. Une demande en revision,
en revanche, ne se fonde pas sur l’hypothèse que la juridiction ayant statué initialement a commis
une erreur ou n’avait pas compétence; elle se fonde sur le principe qui veut que, dans l’intérêt de la
justice, une décision ne saurait être maintenue si elle repose sur un postulat factuel qui, par une
découverte postérieure, s’est révélé erroné. Il ne s’agit pas de critiquer ¾ il n’est pas besoin de
critiquer ¾ la Chambre précédente : il se peut très bien qu’elle ait statué correctement à la lumière
des informations dont elle disposait. Et d’une façon générale, lorsqu’une partie demande la
revision d’une décision dans n’importe quel système juridique, elle ne critique rien, elle n’a besoin
de rien critiquer, pas même implicitement. Simplement, les informations sur lesquelles se trouve
fondée la décision initiale étaient fausses, et dans ce cas, tous les systèmes juridiques, aussi bien
civils que pénaux, aussi bien internationaux que nationaux, reconnaissent un droit de revision.
12. Il est vrai, bien entendu, que le demandeur aspire à une infirmation de la décision
antérieure. A cet égard, le remède qu’il espère obtenir est quelque peu similaire ¾ non par sa
forme, mais en substance ¾ à celui qu’il escompterait s’il pouvait interjeter appel ou se pourvoir
en cassation, ou s’il avait choisi de poursuivre l’objectif visé par lui en recourant à un autre moyen
tiré de quelque autre univers théorique. Mais, et alors ? Quelle importance si le résultat auquel
nous visons est similaire au résultat que nous atteindrions si nous devions obtenir gain de cause au
terme d’une procédure d’appel ou de cassation ? Que l’atteinte portée aux intérêts de la partie
concernée ait été causée par une erreur de droit ou de fait, ou par une décision qui, bien
qu’apparemment incontestable, recèle un vice latent du fait qu’elle repose sur un postulat factuel
dont seule une découverte subséquente pourrait mettre au jour la fausseté, ce que la justice requiert,
dans l’un et l’autre cas, c’est que la décision soit changée, comme l’ont parfaitement reconnu les
13
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rédacteurs du Statut. Avec tout le respect que je dois à M. Sánchez Rodríguez5
et à ses confrères, il
s’ensuit également, comme je l’ai déjà souligné lundi, qu’il n’est nullement inopportun ou
prématuré qu’El Salvador joue cartes sur table dès à présent, en indiquant quelle décision il
cherchera à obtenir si sa requête est jugée recevable. Et le fait que la décision qu’il vise à obtenir
soit la même que celle qu’il avait demandée dans la procédure antérieure n’a rien de condamnable;
car c’est celle, en toute logique, qui s’ensuivra si El Salvador démontre le bien-fondé de sa thèse
concernant l’avulsion ou le cours originel de la rivière, ainsi que des conclusions que la Chambre
de 1992 était prête à en tirer : si El Salvador démontre le bien-fondé de sa thèse, il s’ensuivra que
c’est par l’ancien cours que la Chambre aurait dû faire passer la ligne ¾ où elle l’aurait fait passer,
si l’on en croit l’arrêt de 1992.
13. En réalité, Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Chambre, ce n’est pas
El Salvador, loin de là, qui utilise la revision comme écran de fumée pour camoufler un appel ou
une cassation, mais bien le Honduras qui soulève cette question comme écran de fumée pour
essayer de détourner l’attention de ce qui est au cœur de la procédure, à savoir, comme la requête
l’énonce clairement d’emblée ¾ c’est écrit sur la couverture du document ¾, la recevabilité d’une
demande, l’admission d’une requête en revision fondée sur des faits nouveaux.
E. Les prétendues conséquences apocalyptiques de l’admission de la présente demande
14. De même, les conséquences soi-disant apocalyptiques pour le droit international qui
s’ensuivraient, selon nos éminents adversaires, si la présente demande en revision était déclarée
recevable, voire s’il y était fait droit, ne sont que des prédictions alarmistes. Qui sont d’autant
moins effrayantes si l’on se souvient que, à l’issue d’un débat très sérieux auquel participèrent
nombre d’éminents juristes, l’Assemblée de la Société des Nations, suivant le conseil de son
Comité consultatif de juristes, rejeta délibérément le principe — défendu par Martens, soit dit en
passant — du fiat res judicata, ruat coelum («la chose jugée prévaut quoi qu’il arrive»), au profit
d’un système plus équilibré accordant un droit de revision dans des circonstances pertinentes, parce
que «la justice a aussi ses légitimes revendications»6
.

5 C6/CR 2003/3, p. 57, par. 15.
6
Comité consultatif de juristes, Procès-verbaux des séances du Comité, 11 juin-24 juillet 1920, avec annexes,
p. 744.
14
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F. La question de la charge de la preuve
15. Lundi, El Salvador a fait valoir que, dans une procédure sur la recevabilité d’une
demande en revision, le niveau de preuve approprié était que les faits invoqués (et d’ailleurs aussi
leur caractère décisif) soient plausibles. Nous avons développé sur ce point une argumentation
motivée qui se fonde sur les termes de trois des versions faisant foi de la Charte ¾ ma
connaissance du russe était hélas insuffisante pour que je puisse ajouter une quatrième, et mon
chinois inexistant, mais je doute que les termes de ces deux autres versions soient différents ¾,
nous avons développé une argumentation motivée qui se fonde sur les termes du Statut, sur le but et
l’objet des dispositions régissant la revision, et sur ce qui, à notre sens, constitue un juste équilibre
entre le souci de diligenter une affaire et celui de protéger les intérêts des Parties. M. Dupuy et ses
confrères ont commencé par déformer nos propos, affirmant que nous prétendions que la Chambre
devait accepter, au stade de la recevabilité, n’importe quelle allégation, même infondée ou non
étayée. Or, ce n’est pas du tout ce que nous avons dit — en fait, nous avons précisément souligné
que nous ne demandions pas à la Chambre d’adopter pareille démarche. Cela aurait pu être tentant,
mais nous avons pensé qu’une démarche plus responsable et plus réaliste était préférable. Je vous
renvoie en particulier aux paragraphes 27-31 et 51-53 du compte rendu de mon intervention7
. Ce
que nous avons dit, c’est que les éléments de preuve devaient être raisonnablement plausibles, au
sens d’être raisonnablement susceptibles d’être crus. C’est ce que M. Dupuy et ses confrères
contestent maintenant, affirmant qu’il n’existe pas deux niveaux de preuve, l’un pour la phase de la
recevabilité et l’autre pour la phase du fond. M. Dupuy soutient qu’en matière de preuve, ce qui
différencie les deux phases d’une procédure de revision, c’est la nature de ce qui doit être prouvé et
non le niveau de preuve requis. Mais il n’explique pas ce qui doit alors être prouvé lors de la
deuxième phase. Rien du tout ? Si, pendant la première phase, le demandeur doit à la fois prouver
l’existence des faits nouveaux qu’il invoque et prouver de manière concluante le caractère décisif
desdits faits, que reste-t-il pour la seconde phase ? Consiste-t-elle simplement à tirer des
conclusions qui pourraient être très évidentes et à accomplir la formalité de revision de l’arrêt
initial ? S’agit-il d’entériner sans débattre, une fois surmonté l’obstacle non négligeable de la
recevabilité ? Il ne semble pas que ce soit là ce que prévoient le Statut et le Règlement ¾ et ce ne

7
C6/CR 2003/2, p. 33-34 et 41.
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serait pas non plus un usage très rationnel ou économique, si je puis m’exprimer ainsi, du temps
limité dont dispose la justice. Car dans ce cas, par souci d’équité à l’égard des deux Parties, il
devrait y avoir — en admettant que le niveau de preuve défendu par M. Dupuy et ses confrères soit
le bon — un procès beaucoup plus exhaustif pendant la première phase, avec échanges de longues
expertises détaillées, voire un interrogatoire et un contre-interrogatoire de témoins, etc. Alors
qu’une procédure qui filtre et exclue les affaires manifestement sans fondement — comme ce fut le
cas, au stade de la recevabilité, pour les deux autres affaires de revision soumises à la Cour — tout
en permettant que celles qui sont possibles, plausibles, fassent l’objet d’un examen plus approfondi
lors de la seconde phase, est une procédure plus rationnelle et plus économique. C’est la raison
pour laquelle, sans aucun doute, cette procédure fut incluse dans le Statut. En outre, notre thèse
s’accorde aussi largement avec la démarche adoptée par d’autres tribunaux internationaux, tels que
la Cour européenne des droits de l’homme8
, en matière de niveau de preuve requis au stade de la
recevabilité.
16. Bien entendu, comme je l’ai dit alors, El Salvador est convaincu de la qualité de ses
éléments probants, de ses preuves, et il pense satisfaire au critère requis, même si le critère retenu
était celui ¾ plus exigeant ¾ de preuve complète que le demandeur propose; d’ailleurs, je suppose
que pour la Cour la preuve complète s’apparente généralement davantage à la «preuve la plus
concluante» qu’à celle «au-delà de tout doute raisonnable». Mais nous ne doutons pas de pouvoir
satisfaire à un critère plus exigeant, quoique, si ce critère était effectivement retenu, la question que
nous venons d’examiner perdrait son objet. Toujours est-il que nous avons jugé opportun
d’analyser les principes qu’il conviendrait selon nous d’appliquer ¾ d’autant plus qu’il serait
présomptueux de notre part de préjuger d’une quelconque façon des vues de la Chambre sur ces
questions de critères.
G. Le Honduras s’obstine à obscurcir la notion de «faits (nouveaux)»
Restons-en pour le moment à la nature et aux critères de la revision. Lundi, mes collègues et
moi-même n’avons cessé d’attirer l’attention sur les tactiques utilisées par le Honduras dans ses
observations écrites, tendant à nier à tous les types de faits leur caractère de fait et à nier à tous les

8
Voir le paragraphe 3 de l’article 35.
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nouveaux éléments leur caractère nouveau. J’ai pour ma part largement analysé les notions de
«fait», de «découverte» et de «fait nouveau»9
. J’ai spécialement insisté sur la différence qui existe
entre un factum probandum et un factum probans et en ai déduit certaines conclusions. Je
n’abuserai pas de la patience de la Chambre en répétant mon raisonnement; je suis convaincu
qu’elle en saisit les visées, et tout cela est consigné dans le compte rendu.
17. Pour conclure ce raisonnement j’ai déclaré au nom d’El Salvador que :
a) il est tout bonnement faux d’affirmer que la preuve d’un fait ne constitue pas elle-même un fait;
b) il est tout bonnement faux d’affirmer qu’une nouvelle information constitue non pas un fait,
mais une simple construction intellectuelle;
c) il est tout bonnement faux d’affirmer qu’un document ou son contenu ne saurait constituer un
fait;
d) il est tout bonnement faux d’affirmer qu’un élément de preuve qui met à mal la crédibilité d’un
autre moyen de preuve n’est pas un fait nouveau; et
e) il est, de même, tout bonnement faux d’affirmer que l’on ne saurait prendre en considération
certains arguments rejetés dans le cadre de l’instance initiale10
.
J’ai également fait valoir lundi que ces conclusions se basaient sur des principes juridiques
fondamentaux universellement reconnus.
18. Il est donc particulièrement surprenant qu’aucun des conseils du Honduras n’ait répondu
hier à ce raisonnement, d’autant plus que ces arguments touchaient au cœur même de leur
argumentation écrite. Ils avaient parfaitement le droit de ne pas être d’accord, bien entendu; mais il
est certain que s’ils n’étaient effectivement pas d’accord, s’ils pensaient déceler la moindre faille
dans ce raisonnement, il était de leur devoir, non envers moi personnellement ni même peut-être
envers El Salvador, mais il était de leur devoir envers la présente Chambre d’expliquer exactement
pourquoi ils n’étaient pas d’accord ¾ de débattre cette question avec nous, au lieu de se borner à
répéter, dans une sorte de refrain repris tour à tour par leurs conseils, ce qu’ils avaient déjà dit à
satiété dans leurs observations écrites. Dans ces conditions, nous invitons la Chambre à conclure
de leur silence qu’ils n’ont rien à répondre à ces arguments ¾ ce qui ne nous étonne guère puisqu’à

9 C6/CR 2003/02, p. 36-50, par. 35-50.
10 Ibid., p. 40-41, par. 50.
16
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notre avis il n’y a vraiment rien à y répondre. En revanche, si leur silence tient au fait qu’ils ont
senti avoir besoin de quatre jours ¾ jusqu’à vendredi ¾ pour concocter une réponse, alors nous
demandons de nouveau à la Chambre de veiller à ce qu’il n’y ait aucun abus de la présente
procédure ni du principe de l’égalité entre les parties, surtout si les conseils du Honduras cherchent
à présenter de nouveaux arguments auxquels nous n’aurons pas la possibilité de répondre.
19. Pour ce qui concerne l’opinion individuelle du juge ad hoc Mahiou en l’affaire
Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine et sa définition d’un «fait nouveau», si souvent invoquée par le
Honduras dans ses observations écrites et hier dans ses plaidoiries, j’ai déjà montré lundi combien
cette affaire différait de la présente espèce, et que nos observations concordent avec la conclusion
du juge ad hoc sur les faits de cette affaire. Il n’est guère convaincant d’extraire certains termes
précis de leur contexte pour corroborer une définition hondurienne plus large ¾ mais
médiocrement motivée ¾ de ce qui constitue un fait; et j’ajouterai que, bien que M. Dupuy ait pris
le soin de souligner que le juge ad hoc Mahiou souscrivait aux vues de la majorité, la majorité n’a
pas pour autant adopté son langage. Quant à l’opinion dissidente du juge Vereshchetin, un examen
minutieux du paragraphe 10 donne à penser que ce texte est bien loin de conforter la thèse du
Honduras : il la contredit en vérité.
20. Ayant examiné les questions relatives au caractère de la procédure consacrée à la
recevabilité d’une demande en revision et aux critères qu’il faut appliquer, j’en viens à présent à
quelques questions de fait. La première à laquelle je voudrais répondre, si vous le permettez, est
celle de la prétendue négligence d’El Salvador pour n’avoir pas trouvé ou obtenu plus tôt ses
différents éléments de preuve.
H. La prétendue négligence d’El Salvador
21. Il y a en fait un point précis qui se dégage du discours tenu hier par mes éminents
collègues au sujet de la négligence, et que je dois évoquer. Aussi bien l’agent du Honduras que
plusieurs des conseils de cet Etat ont argué qu’El Salvador donnait la guerre civile pratiquement
comme seule excuse pour toute la négligence dont il aurait fait montre en n’obtenant pas ses
éléments de preuve avant l’arrêt de 1992.
17
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22. Relevons d’emblée que cela est tout simplement faux. Dans le cas des preuves
documentaires, nous avons aussi soutenu en premier lieu qu’une négligence ¾ ou, selon les termes
de nos adversaires, une «négligence coupable» ¾ ne saurait être déduite du simple fait qu’une
partie ne parvient pas à dénicher un document. La sagesse d’après coup n’est pas la sagesse du
moment, il n’y a pas de res ipsa loquitur ici. En deuxième lieu nous avons dit que, surtout dans le
cadre d’un litige très complexe ¾ et tout juriste international sait bien que l’affaire de 1992 était
remarquablement complexe de par le nombre de questions qu’elle soulevait et la complexité de
celles-ci ¾, un Etat partie au Statut ne peut généralement pas, dans une affaire si complexe, être
accusé de négligence simplement parce qu’il ne dispose pas des ressources financières et humaines
nécessaires pour explorer chaque piste imaginable, aussi maigres que soient les chances de trouver
à l’arrivée quelque chose de valeur, quelque pépite d’or. Ce n’est pas ainsi que la justice
fonctionne. En troisième lieu, dans le cas des éléments documentaires, nous avons invoqué des
motifs autres que la guerre civile, en particulier le fait qu’il était plutôt improbable à l’époque de
trouver des éléments clés en un lieu comme la Newberry Library. Bien entendu, même cette façon
de dire «en un lieu comme la Newberry Library» revient en quelque sorte à présenter les choses
sous un faux jour, car si l’on avait demandé à El Salvador «a-t-on pensé à la Newberry Library ?»,
il aurait peut-être été y trouver ce qu’il cherchait, mais la vraie question est celle-ci : eu égard aux
connaissances de l’époque, El Salvador a-t-il fait preuve de négligence en n’explorant pas chaque
recoin de la terre, chaque bibliothèque dotée d’un fonds quelconque, fût-il relativement pauvre,
concernant l’histoire coloniale de l’Amérique hispanique ? Quant aux preuves scientifiques, nous
avons aussi fait valoir qu’à l’époque El Salvador ne disposait ni des données pertinentes, ni de la
technologie, des moyens d’y accéder ou des connaissances voulues pour savoir comment l’utiliser
dans le cadre d’un différend frontalier ¾ moyens qui étaient tous hors de portée pour un pays tel
que le nôtre. Par conséquent, il est tout bonnement faux de dire qu’El Salvador impute à la guerre
civile l’ensemble de ses prétendues déficiences.
23. Je dois avouer que j’ai également été surpris d’entendre deux des éminents conseils du
Honduras (rien de moins) se reporter une fois de plus à ce que la Chambre a déclaré au sujet de la
guerre civile au paragraphe 63 de son arrêt, nonobstant le fait que nous avons pris le soin de
souligner lundi que le raisonnement énoncé dans ce paragraphe ne s’applique pas à la demande qui
18
- 14 -
nous occupe, car nous ne demandons pas à la présente Chambre de présumer l’existence de preuves
que nous n’avons pu produire à cause de la guerre civile, et nous vous demandons encore moins de
présumer que ces preuves hypothétiques, ces preuves dont nous ignorons complètement
l’existence, plaident en faveur de notre cause; or, c’était là tout le propos du paragraphe 63. De
même, nous avons été surpris d’entendre l’un des représentants du Honduras affirmer qu’il ne
s’attarderait pas sur les faits touchant la guerre civile puisque la Chambre a déclaré irrecevable la
deuxième partie du lot de nouveaux documents présenté à ce sujet par El Salvador. Cet argument
ne tient aucun compte du fait que, nous prévalant du droit que nous confère le Règlement, nous
avons remédié à cette déficience en citant la publication intitulée Keesing’s Contemporary
Archives, très connue et regardée en outre comme une source éminemment digne de foi par ceux
qui s’intéressent aux relations internationales. A propos d’un autre argument qui a été formulé,
j’ajouterai que Keesing’s faisait aussi état en particulier, outre les questions que j’ai évoquées, de la
présence de guérilleros dans la région du Goascorán11
.
24. Je ne me suis pas non plus borné à invoquer le tarissement des ressources financières et
humaines pour expliquer pourquoi El Salvador n’avait pas pu obtenir certaines informations
peut-être disponibles à l’époque. J’ai également insisté, preuves à l’appui, sur la véritable menace
que les guérilleros représentaient pour tout hélicoptère ou avion cherchant à réaliser un levé aérien,
à fortiori pour quiconque suffisamment téméraire pour tenter d’effectuer un levé au sol.
25. Mais El Salvador ne s’excuse pas pour autant d’invoquer les circonstances propres à sa
situation de l’époque, c’est-à-dire les terribles contraintes qui grevaient ses ressources humaines et
financières. Combien de pays, forcés de dépenser pratiquement la moitié de leur revenu national et
des milliards de dollars pour combattre une guerre civile, seraient capables de trouver des
personnes compétentes ou les fonds nécessaires pour mener une procédure internationale ¾ très
coûteuse, comme chacun sait ¾ avec le degré de perfection auquel nous aspirons tous ? Peu de
pays parties au Statut de la présente Cour, sauf votre respect. Il ne s’agit pas d’un argument
d’indigence tel que celui que la Cour a rejeté en l’affaire Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne; ce
que nous déclarons, comme le suggérait le juge Torres Bernárdez dans son article et d’autres

11 Keesing’s Contemporary Archives, vol. 29 (1983), 32425.
19
- 15 -
encore, c’est que, en toute circonstance, pour déterminer ce qui est raisonnable, ce qui constitue
une négligence, il faut prendre toutes les circonstances en considération. Et nous avons fait valoir
lundi que ces circonstances comprenaient la situation des Parties au litige. Si les rôles avaient été
inversés, cela aurait également pu s’appliquer au Honduras, quoique notre situation était quelque
peu plus grave.
26. Un dernier mot sur cette question de la négligence et de la guerre civile. Après le
discours d’ouverture émouvant de Mme Brizuela de Ávila sur les effets de cette guerre, il a été
d’autant plus douloureux pour El Salvador d’entendre les représentants du Honduras, qui
connaissent très bien l’histoire, déprécier les souffrances subies par un pays frère en une période si
tragique.
I. L’obtention prétendument illicite de preuves
27. Je vais à présent examiner la question de la prétendue illicéité des moyens par lesquels
les preuves techniques et certaines preuves scientifiques ont été obtenues.
28. Tout d’abord, Messieurs les Membres de la Chambre, nos contradicteurs aiment vous
dire qu’il revient au demandeur de tout prouver. En réalité, la règle est que c’est celui qui prétend
quelque chose qui doit le prouver, en particulier lorsqu’il s’agit d’illicéité ou de bonne foi,
lesquelles, comme vous le savez, ne peuvent être imputées à un Etat par de simples présomptions.
Certes, à l’annexe 6 de ses observations écrites, le Honduras a inclus une note de protestation
contre ce qu’il estime être une violation de son espace aérien et une intrusion dans son territoire en
juillet 2002. Mais il a aussi inclus à l’annexe 7 une note émanant d’El Salvador dans laquelle
celui-ci nie toute irrégularité. Qu’est-ce qui donne le droit au Honduras de dire que sa version est
digne de foi, et pas celle d’El Salvador ? Le Honduras ne s’est pas acquitté de la charge de la
preuve.
29. Pour éviter que l’on ne pense qu’El Salvador dissimule quelque chose d’inavouable
derrière une règle technique de preuve, derrière la règle de la charge de la preuve, permettez-moi
d’ajouter que lundi, avec l’autorité particulière que je tiens de mon appartenance au Gouvernement
d’El Salvador, j’ai affirmé devant cette Chambre qu’aucun fait illicite n’avait été commis lorsque
les preuves ont été recueillies. La prise de photographies satellitaires ne constitue, bien entendu,
20
- 16 -
pas une violation du droit international, et de toute façon les satellites n’auraient pu appartenir à
El Salvador. Les photographies aériennes plus anciennes, ai-je souligné, avaient été prises soit par
les Etats-Unis d’Amerique, soit avant l’arrêt de 1992, donc à une époque où on ne pouvait en aucun
cas dire avec certitude que le territoire était hondurien ¾ de sorte que prendre alors des
photographies n’avait rien d’illicite. Les photographies aériennes plus récentes, ai-je dit, ont toutes
été prises depuis le côté hondurien, et j’ai ajouté que le levé terrestre, même s’il est vrai que celuici
a été effectué en partie à partir du côté hondurien, était parfaitement licite. El Salvador tient à
être encore plus précis. Le 9 juillet, trois ressortissants salvadoriens, dont un photographe
professionnel, ont pris l’autoroute panaméricaine. A l’un des postes frontière ordinaires, ils ont
montré leurs cartes d’identité, le conducteur a montré son permis de conduire et ils ont rempli un
formulaire appelé, m’a-t-on dit, CA4, ce qui signifie Central America 4. Ce formulaire,
conformément à un accord intervenu entre El Salvador, le Honduras, le Guatemala et le Nicaragua,
facilite le transit par les pays concernés. Il a seulement été demandé au conducteur et aux
passagers de préciser quelle serait la durée de leur séjour, ce qu’ils ont fait de bonne foi en
répondant «une journée». On ne leur a pas demandé quel était le but de leur séjour, et ils ne l’ont
pas dissimulé.
30. Et qu’ont-ils fait une fois sur place ? Comme l’a vu la Chambre, ils ont simplement pris
des photographies de la rivière et de son ancien cours, comme tout touriste aurait pu le faire, en
toute légalité. Ils n’ont pas photographié d’installations militaires ni d’autre site secret ou sensible;
ils ont photographié un cours d’eau. Où était donc la violation de la souveraineté territoriale, où
était l’exercice par un Etat de sa souveraineté sur le territoire d’un autre ? A entendre les
comparaisons excessives faites hier avec l’opération Retail dans l’affaire du Détroit de Corfou, on
aurait pu croire que trois individus salvadoriens, armés seulement d’un appareil photo, équivalaient
à une flotte de dragueurs de mines «sous la protection d’une importante flotte de couverture
composée d’un porte-avions, de croiseurs et d’autres navires de guerre»12
.

12 C.I.J. Recueil 1949, p. 13 et 33.
21
- 17 -
31. Messieurs les Membres de la Chambre, le fait est qu’il n’y a eu aucune intrusion armée
dans le territoire d’un autre Etat, ni aucune violation de la souveraineté territoriale ni de
l’indépendance politique d’un autre Etat. Il ne s’agissait même pas d’espionnage, et de toute
manière l’opinion dominante est que, en temps de paix, l’espionnage ne constitue pas en soi une
violation du droit international13. Non pas qu’il y ait eu acte d’espionnage, mais même s’il y avait
eu pareil acte, il n’aurait pas été illicite.
32. Même si, par pure hypothèse, il y a eu un comportement illicite ¾ ce qu’El Salvador nie
fermement, autant du point de vue du droit que des faits ¾, quelles conséquences le Honduras
veut-il que cette honorable Chambre tire de ce fait allégué ? Il ne s’agit pas d’une affaire comme
celle du Détroit de Corfou, car dans ladite affaire un compromis donnait expressément autorité à la
Cour pour statuer sur la licéité non seulement du comportement de l’Albanie, mais aussi de
l’opération Retail menée par les Britanniques. Il existait dans l’affaire en question un titre de
compétence permettant à la Cour de se prononcer sur la licéité de la recherche des preuves; tel n’est
pas le cas en la présente espèce.
33. Et enfin, même s’il y avait eu un fait illicite, même s’il existait un titre de compétence,
nous ne connaissons aucune règle en droit international public de manière générale, ni dans la
jurisprudence ni la pratique de la Cour en particulier, qui permettrait de déclarer non admissibles
les preuves obtenues illicitement. Il ne s’agit même pas d’un principe général en droit interne,
comme nos contradicteurs le savent très bien.
34. Il s’ensuit que l’illicité excipée par le Honduras et les griefs qu’il n’a cessé de formuler,
non seulement dans ses observations mais aussi lors de ses plaidoiries d’hier ¾ malgré ce que nous
avons dit au sujet de la licéité de la recherche des preuves ¾, ne sont qu’une autre forme de
dénigrement d’El Salvador, un autre effort visant à prédisposer la Chambre contre lui. Ces
accusations et griefs ne trouvent aucun fondement dans les faits et, même s’il en était autrement, ils
n’auraient aucune pertinence en ce qui concerne les questions que vous avez à examiner.

13 Voir par exemple Berhardt (dir. de publ.), Encyclopedia of International Law, vol. 2, p. 116.
- 18 -
J. Les preuves scientifiques
35. Puisque j’ai examiné lundi de manière assez complète les preuves scientifiques ¾ des
preuves qui de toute manière se passent de commentaires ¾ et réfuté les critiques émises contre le
rapport de CEI par le Honduras et M. Kearney, je ne vais pas abuser de la patience de la Chambre
en me répétant aujourd’hui. Je tiens seulement à revenir très brièvement sur quelques points
évoqués par les conseils du Honduras, en particulier peut-être par M. Meese.
36. Mais peut-être devrais-je commencer par attirer l’attention sur ce qu’ils n’ont pas fait.
Bien que le rapport de CEI soit long, extrêmement détaillé et émane d’une source de haute
réputation, le Honduras n’a pas cherché à répondre systématiquement aux nombreux points de
détail et arguments, par exemple en ce qui concerne l’étendue relative des deux lobes; le
développement bien plus avancé du réseau hiérarchisé, composé de trois niveaux de défluents, du
bras Cutú par rapport au bras Ramaditas; l’importance du fait que de nombreux défluents de
l’ancien bras soient de longueur similaire; la preuve que constitue la présence d’une large
plate-forme deltaïque dans le premier cas ¾ du côté Cutú ¾ mais pas dans l’autre; les signes d’un
changement rapide et non pas progressif du cours, etc. Il n’y a pas de véritable examen de ces
points. Quant au fond, M. Meese s’est contenté, dans une large mesure, de quelques brèves
citations tirées du rapport de M. Kearney, indiquant par exemple qu’au lieu de s’attacher aux
modifications topographiques, on aurait pu avoir recours à la radarphotographie, qui permet de
traverser la couverture végétale, pour examiner le relief situé au-dessous de la canopée d’une
épaisse forêt ombrophile. Nous avons répondu lundi à la quasi-totalité des critiques émises par
M. Kearney. Quant à celles auxquelles nous n’avons pas répondu, elles ont été laissées de côté non
pas parce qu’il était impossible d’y répondre, mais tout simplement parce qu’elles semblaient trop
banales pour mériter une réponse détaillée. M. Kearney se plaint par exemple de la qualité des
photographies et fait valoir que celles-ci permettent difficilement de se prononcer. Il est certes
regrettable que la qualité des tirages se soit quelque peu détériorée mais, en premier lieu, elle est
suffisante selon nous pour permettre de se prononcer et, en second lieu, un CD contenant les
originaux des documents et du rapport scientifique accompagné de ses les photographies et autres
données a été soumis au Greffe en même temps que la requête lors du dépôt de celle-ci. De même,
selon M. Kearney, rien ne permet de dire que le changement de cours fût autre que mineur; or la
22
- 19 -
totalité du rapport scientifique, pratiquement tout le rapport, s’attache à démontrer qu’il a dû y
avoir changement de cours, que cela devrait s’être produit et que, dans ce cas, nous avons affaire à
un changement de direction de 90°. Voilà qui n’a rien de mineur, à quelque aune qu’on le mesure,
et les auteurs du rapport expriment l’idée, de manière très convaincante selon nous, qu’une
avulsion a eu lieu. M. Meese cite également les propos de M. Kearney selon lesquels rien
n’indique que nous avons affaire à un delta; or, comme je l’ai fait remarquer lundi, il a ajouté
¾ M. Kearney a ajouté ¾ qu’il y a des éléments deltaïques; en fin de compte, il ne s’agit là que
d’arguties sémantiques. Mais il y a une question plus importante ¾ enfin, pas forcément plus
importante, mais certainement d’importance et qu’il y a lieu d’examiner, une question que nous
avons traitée et à laquelle nos contradicteurs n’ont pas suffisamment répondu ¾ c’est, si vous
voulez, celle de la nouveauté du rapport ou, pour être plus précis, celle de savoir s’il s’agit d’un
rapport qui aurait pu être établi avant 1992, et si le fait de ne pas avoir fait cela prouve qu’il y a eu
faute. Ce point est traité dans le rapport. Les membres de la Chambre se rappelleront sans doute
que M. Kearney a émis plusieurs allégations sans fondement : il a par exemple écrit qu’aucune
image radar par satellite n’a été utilisée, alors que nous avons démontré que deux avaient été
utilisées, dont l’une était expressément désignée comme telle. Il y a une différence importante
entre les images satellitaires et les images radar par satellite, une technologie beaucoup plus
récente. Et nous avons souligné qu’il y avait deux images, l’une désignée comme étant une image
radar par satellite et l’autre qui, comme le verrait tout scientifique digne de ce nom, fait
manifestement appel en partie à la technologie radar par satellite.
Tout d’abord, ce sont de nouveaux types de données qui ont été utilisés pour élaborer le
rapport CEI. Ensuite, les données utilisées dans le rapport n’étaient pas directement disponibles
pour les scientifiques avant 1992, car c’est seulement depuis le boom, si je puis m’exprimer ainsi,
de l’Internet que les scientifiques ont eu la possibilité d’acquérir facilement des données de types et
d’origines variés. En outre, les technologies utilisées étaient nouvelles. Certes, dans un sens,
certaines d’entre elles existaient en 1992. Par exemple, les membres de la Chambre savent
probablement que les Etats-Unis d’Amérique disposaient de satellites capables ¾ il y a dix ans ¾
de prendre des photographies à très haute résolution, mais ils ne les ont mises à la disposition du
public que très récemment, parce qu’ils attachaient à ces photographies une certaine valeur sur le
23
- 20 -
plan de la sécurité. Mais la question de savoir si cette technologie existait d’une manière ou d’une
autre n’est pas ce qui est en cause. La question qui se pose est celle-ci : El Salvador aurait-il pu
obtenir cette technologie, soit par le biais de ses propres scientifiques, soit par les personnes qui
auraient raisonnablement pu y avoir accès ? Le rapport dit lui-même qu’il s’agissait d’une
technologie à laquelle un pays comme El Salvador n’aurait normalement pas pu avoir accès à
l’époque, ce que ni M. Kearney, ni ceux qui l’ont mandaté pour élaborer son rapport n’ont réfuté de
manière convaincante.
Et enfin, l’application, la méthodologie, est nouvelle car, comme le rapport lui-même le
précise, ce type de méthodologie ¾ celle utilisée par CEI ¾ a été auparavant employée avec
beaucoup de succès dans les domaines de la prospection d’hydrocarbures et de la gestion des
régions côtières. Mais il n’en avait jamais été question dans le cadre d’une procédure judiciaire et
il n’aurait certainement pas été raisonnable en 1992 d’attendre d’El Salvador ¾ d’autres pays
peut-être, mais certainement pas El Salvador, le pays concerné ¾ qu’il se rende compte que ce
type de moyen pouvait être utilisé et pouvait permettre de déterminer la réalité des faits concernant
l’histoire de cette région. Et, dès lors, pour toutes ces raisons, nous affirmons que ce n’est pas par
négligence que ces preuves n’ont pas pu être réunies auparavant, et que nos éminents
contradicteurs n’ont pas pu réfuter cela de manière convaincante.
Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Chambre, une brève observation pour
conclure. L’équipe d’El Salvador considère que sa fonction consiste à défendre et à promouvoir du
mieux qu’elle peut les intérêts du gouvernement qui lui a fait l’honneur de lui confier la défense de
sa cause en la présente affaire. Mais, au-delà de cette mission, nous pensons que notre tâche
consiste également, dirons-nous modestement, à essayer d’aider votre Chambre à rendre la bonne
décision, cela en présentant nos conclusions de manière contradictoire afin que, grâce à cette
manière de procéder ¾ celle choisie par les rédacteurs du Statut de la Cour ¾, cette juridiction
puisse parvenir le plus aisément possible à la manifestation de la vérité. Le refus de nos
adversaires de s’engager dans le débat contradictoire sur les conclusions que nous nous sommes
efforcés de vous présenter n’aide en rien la Chambre dans sa tâche, parce qu’il ne facilite en rien la
procédure engagée devant elle, ni ne sert en rien l’intérêt de la justice.
24
- 21 -
Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre mon collègue,
M. Remiro Brotóns.
The PRESIDENT: Thank you, Professor. I now give the floor to Professor
Antonio Remiro Brotóns.
Mr. BROTÓNS: Mr. President, Members of the Court, although El Salvador, complying
with the Court’s Rules and Practice Directions, has endeavoured to conduct its pleadings in the
light of the Written Observations of Honduras, the other Party has devoted the whole of the first
round to repeating what we had already had occasion to read in those Observations, so that up until
now its pleadings have offered little in the way of value added. Although it is possible to attribute
the failure of Honduras to reply to the allegations made by El Salvador to human factors, it should
not use the second round as an opportunity to introduce new elements. To do so would be contrary
to due process and to the principle of equality of the parties.
My speech today will deal with subjects I have already touched upon in the first round,
namely, the uti possidetis juris of 1821 and the El Activo documents, to which I shall add a brief
reference to the Saco negotiations. My speech will not be very lengthy, in view of the requirement
of Article 61, paragraph 1, of the Rules of Court that oral statements should be succinct and direct.
That said, I must revert to the points made in the Application and to the arguments put forward
orally in the first round, which Honduras has not even attempted to refute.
*
* *
I. THE 1821 UTI POSSIDETIS JURIS
1. Honduras perpetuates a deliberate confusion in referring to the critical date and the content
of the 1821 uti possidetis juris14. Honduras accuses El Salvador of seeking to contradict the

14C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Dupuy, paras. 26, 27; Meese, paras. 14, 19; Sánchez Rodríguez, paras. 13,
14, 17.
25
- 22 -
1992 Judgment on this point15. And, as is customary in its interventions, it seeks to make of this a
further indication that El Salvador’s Application is a challenge to the res judicata16, a surreptitious
appeal or application for cassation, “disguised”, its counsel say17, nothing less than an attack on the
international judicial system18. Honduras appears to be a devotee of derogatory terms and of the
doomsday vision of the administration of justice in which the revision of judgments is seen as a
powerful weapon of mass destruction.
2. Nevertheless, El Salvador has never disputed the critical date for the purposes of uti
possidetis juris, namely 15 September 1821. El Salvador has never claimed that in 1821 the
Goascorán River flowed into the Estero La Cutú. Nor has it ever argued the merits of the
Chamber’s finding that the frontier was the present course of the Goascorán River on the grounds
that that was the course of the river in 1821. El Salvador has no difficulty in accepting that that
would be the uti possidetis juris of 1821, if an avulsion had not taken place before that date and
subsequent to the establishment in the Goascorán River of the boundary between territories which
now belong to Honduras and to El Salvador, an avulsion, a sudden change in the river’s course
which has even been perpetuated in the local topography at the place known as the Rompición [rift]
de los Amates19
.
3. The 1992 Judgment bases its considerations and conclusions on discounting the possibility
of an avulsion, which, it states, was not proven. The ensuing paragraphs of the Judgment must still
be considered on the basis of that premise. If the Court accepts, on the basis of the evidence now
provided by El Salvador, that there was an avulsion, then the situation changes radically.
4. That is why we speak of a decisive fact: in the first place, one which is decisive only once
the occurrence of the avulsion has been proved. Honduras is wrong when, repeating its Written
Observations20, it concludes that the Chamber already knew of the facts invoked in support of the

15C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Dupuy, para. 13.
16C6/CR 2003/3, 9 September 2003, López Contreras, para. 1.19; Dupuy, paras. 4, 5, 13; Sánchez Rodríguez,
paras. 5, 12, 15.
17C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Dupuy, para. 13; Jiménez Piernas, para. 11; Meese, para. 4;
Sánchez Rodríguez, paras. 3, 12, 15.
18C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Sánchez Rodríguez, para. 5.
19C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Meese, para. 11.
20Written Observations of the Government of Honduras, paras. 1.12, 2.19.
26
- 23 -
Application and, in particular, that it is on precisely the same fact, already invoked before 1992 (the
existence of a previous course of the Goascorán River), that El Salvador seeks to base itself today.
5. This affirmation contradicts the same premises on which Honduras bases itself when
putting forward the notion of a fact for the purposes of a revision. The avulsion was not a known
fact before 1992, but a thesis put forward by El Salvador, what Honduras would call an intellectual
construct21. Honduras itself refers to the avulsion of the Goascorán River as a thesis22, as a
theory23, as one of the arguments of El Salvador24. If that had been an established fact, the
Chamber would have had to take account of it as a premise in its reasoning; it did not do so
precisely because El Salvador could not then prove what was for the Chamber at the time mere
conjecture. The avulsion has become apparent as a fact, and a new fact, now that El Salvador has
acquired the means with which to demonstrate that it actually took place. It is the evidence
obtained that transfers the fact that already existed at the time of the Judgment from the sphere of
the hypothetical to that of legal reality.
6. Furthermore, it is a decisive fact. And it is most surprising that our opponent repeatedly
accuses El Salvador of attacking and contradicting the ratio decidendi of the Judgment25, once
again voicing its same old refrain about El Salvador’s lack of respect for the authority of
res judicata or its submission of a covert appeal masquerading as an application for revision. Do
not the conditions set forth in Article 61 of the Statute expressly require the applicant effectively to
challenge the ratio decidendi, not on grounds of an error in iudicando, but precisely because new
facts have come to light?
7. Nevertheless, El Salvador was and is aware that the physical and historical fact of the
avulsion of the Goascorán River is not of itself sufficient to establish its decisive character for the
purposes of reconsideration of the 1992 Judgment. If the fact of the avulsion had no legal effect on
the location of a frontier on the grounds that the frontier changes when the course of the river
changes, the avulsion, were it to be proved, would not be a decisive fact.

21C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Dupuy, para. 25.
22C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Sánchez Rodríguez, para. 12.
23C6/CR 2003/3, 9 September 2003, López Contreras, para. 1.19.
24Written Observations of the Government of Honduras, para. 2.17.
25C6/CR 2003/3, 9 Sept. 2003, López Contreras, paras. 1.19 and 1.21; Sánchez Rodríguez, paras. 3, 12, 15.
27
- 24 -
8. The decisive nature of this fact thus relates to the existence of a rule in the applicable law,
namely Spanish colonial law, whereby the frontier remains in the alveus derelictus in the event of
an avulsion.
9. If the Chamber finds the Application for revision to be admissible, the Parties will debate
this point at greater length; but El Salvador was duty bound to submit it now in order to buttress its
justification of the decisive nature of the new fact brought before the Chamber.
10. If there was an avulsion, the course of the river in 1821 and the question whether it
coincides with the present course are insignificant in themselves. El Salvador notes with
satisfaction that Honduras does not oppose the use of Spanish colonial law as the rule applicable to
the avulsion, and consequently accepts that if the course of the river suddenly changed subsequent
to its adoption to delimit a boundary, that boundary remains the original river bed and does not
follow the new course of the river.
*
* *
II. THE “SPHERICAL CHART” AND LOGBOOK OF THE EL ACTIVO
1. The circumstances surrounding the discovery of the Ayer Collection documents were
described in the Application: “the [Salvadoran] Government scoured the most prestigious libraries
in the United States, looking for . . . information . . . , all to no avail”. Finally, in 2002, it learned
“that documents related to the subject . . . could be found in Chicago”26
.
2. El Salvador cannot but note that its opponent has not even attempted to rebut the extensive
and rigorous arguments that El Salvador put forward in order to rule out the possibility of
attributing to negligence the fact that until 2002 it was unaware of the existence of copies of the
El Activo documents in the Chicago Newberry Library’s Ayer Collection. These arguments rebut
the assertions of Honduras in its Written Observations, which it is now simply repeating27
.

26Application for revision of the Judgment of 11 September 1992, 10 September 2002, para. 84.
27C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Jiménez Piernas, paras. 6 et seq.
28
- 25 -
3. In its unjustifiable characterization as negligent of a party that dares to request the
revision of a judgment, Honduras is counting on prejudice to influence the value judgements which
must inevitably apply to a concept as elusive as negligence.
4. If, according to Honduras, El Salvador must prove an absence of negligence28, that is
because, in its view, there is a presumption of negligence. But where is such a stipulation to be
found? No burden of proof lies with El Salvador, least of all the burden of proving a negative, an
absence of negligence. Negativa non sunt probanda.
5. Honduras has affirmed that if there is one fundamental principle, it is the principle that the
burden of proof is on the applicant29. But Honduras misinterprets that principle. The adage actori
incumbit probatio does not mean that the applicant must always bear the onus of proof and yield in
case of doubt; one could ask that of any party formulating a claim, whether applicant or
respondent.
6. In a situation such as the one with which we are concerned, in which the intention is to
evaluate El Salvador’s conduct, one should speak not of proof or the burden of proof, but rather of
the duty of the Parties ¾ of both Parties ¾ to provide the Court with the information which, in
their view, supports the determination that they wish the Court to make.
7. In that regard, El Salvador has done everything within its power to demonstrate that it was
not at fault in being unaware before 1992 of the El Activo documents deposited in the Newberry
Library. I do not think it can be said that Honduras has made the same, indeed the slightest, effort
to demonstrate the contrary.
8. El Salvador also notes the silence of Honduras concerning the extensively documented
affirmation that there is no proof that the El Activo documents are the originals or at any time had
official status. One of Honduras’s counsel has simply said that Honduras “has never claimed to
discuss” these questions, which it regards as ¾ one can guess the adjective ¾ “contrived”.30

28Ibid., para. 22; Sánchez Rodríguez, para. 11.
29Written Observations of the Government of Honduras, para. 2.33.
30C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Jiménez Piernas, para. 21.
29
- 26 -
9. In actual fact, Honduras did not wish to discuss what El Salvador has duly rebutted
precisely because in its Written Observations, dancing to the tune of Ms Martín Merás, Honduras
affirmed that the Madrid copies were the original, official copies, whereas the Chicago copies were
imperfect, private copies31. Who introduced the debate on this question? Who enabled El Salvador
to search, to make enquiries and to discover matters relating to procedures and to the Spanish
Crown’s cartographic documents? Is this an invention, another manifestation of the fertile
imagination that one of the Honduran counsel has deemed to be at work in the Application of
El Salvador32? Perhaps it is a dream emanating from those parallel universes evoked by my
colleague, Professor Mendelson?
10. Honduras does not wish to begin to debate the authenticity and official status of the
El Activo copies because it knows that the Salvadoran argument is irrebuttable. And the only
device it can come up with is to invoke the sacrosanct prestige of an institution which, like the
officials who serve it, is fallible, in order peremptorily to dismiss El Salvador’s reasoned
argument33
.
11. Perhaps Honduras supposed that El Salvador would be incapable of seeing through the
over-simplifications that shelter behind the alleged scientific and professional authority of the Head
of the Naval Museum’s Cartographic Division ¾ an authority so meticulous, incidentally, that one
might mention in passing that the reference to the archives she makes in footnote 25 of her report,
citing the Instructions for Scientific Works produced by the celebrated Alejandro Malaspina34
,
actually relates to the sickbay log of the corvette Nautilus on its voyage of exploration to South
America between 16 October 1903 and 4 May 1904.
12. Incidentally, since one of the Honduran counsel has reverted to the matter35, we must
also make it clear that if, in the Application for revision, El Salvador referred to the fact that the
Naval Museum copy of the El Activo logbook is incomplete, that was due to the fact that, although

31Written Observations of the Government of Honduras, paras. 2.18, 3.32, 3.40, 3.41; Vol. II, Annex 4, p. 151,
para. 12, and p. 154, para. 24.
32C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Sánchez Rodríguez, para. 3.
33C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Jiménez Piernas, para. 4.
34Written Observations of the Government of Honduras, Vol. II, Annex 4, p. 151, note 25.
35C6/CR 2003/3, 9 September 2003, Jiménez Piernas, para. 14.
30
- 27 -
the logbook had been officially requested by El Salvador, only the part relating to the Gulf was
transmitted to it.
13. Honduras avoids the debate on the absence of authenticity or official status of the
El Activo documents in light of circumstances that emphasize the deficiencies of the various copies
over and above their differences, which, as was to be expected, Honduras denies or minimizes. On
this point El Salvador abides by the lengthy explanation it gave in its Application, and it notes that
the differences between those copies assume their full significance and importance in the light of
the discovery of the Chicago copy.
14. As regards the representation of the Farallones du Cosigüna, which resulted from the
great eruption of the volcano of that name in 1835, Honduras now asserts that a group of rocks was
to be found there prior to that date, inviting El Salvador to prove the contrary36. Enough is enough!
We have already observed that previously, according to known maps, what was at the location of
the Farallones was an island.
15. Honduras is now attempting to deny the weight of that cartography37. First of all, there
was the map of William Funnell, who participated in the Dampier expedition, from which he went
on to spend January and February 1704 in the Gulf of Fonseca. In 1707, Funnell published an
account of his voyage around the world, which included a map. On that map, an island appears in
the position of the Farallones Blancos.
16. The same island also appears, under the name of Cullaquina, on the maps by
Jefferys Thomas (1775), Thompson-Alcedo-Arrowsmith (1816) and Vandermaelen (1827)38
.
Honduras itself, in the past, has used for its own purposes the very same maps on which it is now
casting doubt. The maps of Jefferys Thomas, Thompson-Alcedo-Arrowsmith and Vandermaelen
were thus produced by Ms Mary W. Williams on behalf of Honduras in the United States-led
mediation over the border dispute between Honduras and Guatemala (1918-1919)39
.

36C6/CR 2003/3, 9 Sep. 2003, Meese, para. 15.
37WHO, para. 3.48; Vol. II, Ann. 5, p. 189, paras. 36 and 39.
38Application, Cartographic Annexes., Anns. 14-16.
39Fronteras de Honduras. Limites con Guatemala, Publicaciones de la Oficina de Estudios Territoriales, No. 9,
T. III, November 1930, Tipografia Nacional, Tegucigalpa, pp. 53-56.
31
- 28 -
17. The Farallones can certainly be found on all the El Activo copies, but they are placed in
different positions, which simply confirms the total lack of reliability of these copies. Once again,
the discovery of the Chicago documents provided the benchmark needed to assess those
discrepancies and to examine more closely the historical geography of the region.
18. The fact that Juan Pantoja is claimed to be the author of the “Carta Esférica” copies can
probably be put down to Honduras’s interest in hiding its insufficiencies behind an attribution to
that experienced navigator and cartographer, author of the other hand-drawn maps of that
expedition. In its Written Observations Honduras was categorical: “exhaustive research and a
meticulous examination of the cartographic work have shown that the charts were definitely drawn
up by Juan Pantoja”40
.
19 It was this surprising claim that led El Salvador, which logically speaking could not have
guessed it would be made when drafting its Application, to seek the Chamber’s authorization for
the production of new documents under Article 56 of the Rules of Court. The request, which was
opposed by Honduras, was not granted on that point by the Chamber; probably because it
considered that El Salvador, on the basis of the documents already produced, was able to rebut the
Honduran assertion, as has proved to be the case.
20. Honduras now concedes that the El Activo maps of the Gulf of Fonseca could have been
made by Juan Pantoja’s assistants and scribes, but that he himself, being the second navigator and
with the captain taken ill, was the intellectual author of the maps. This amounts to saying that
Juan Pantoja, the unquestionable author of the other maps produced by the El Activo expedition,
representing the coast between Acapulco and Sonsonate, was the spiritual author of maps of the
Gulf albeit made in a small local craft by his anonymous assistants and scribes, who are thus denied
any authorship by Honduras41. Maybe they [inaudible].
21. In our opinion, it could be suggested that Juan Pantoja quite simply left the cartography
and geographical description of the Gulf to other, less experienced people, having regard inter alia
to the Order of 7 December 1793 from Viceroy Revilla-Gigedo, which stipulated that the Gulf

40WHO, para. 3.43.
41C6/CR 3003/3, 9 Sept. 2003, Jiménez Piernas, para. 17 (e).
32
- 29 -
should be regarded as “secondary”. Pantoja already had enough work to do with the mapping of
the coastline between Acapulco and Sonsonate.
22. If we follow the hierarchical structure proposed to us by Honduras, the author of the
maps could a fortiori have been the expedition’s Commander Martinez Bruna, whom Honduras
claims to have been too ill to perform certain tasks, whilst he was as active as his crew for others.
And while we are about it, why should Viceroy Branciforte not be considered as responsible for the
maps in view of his liberty to correct them and to determine what he should do with them?
23. In view of the difficulty in establishing a historical reconstruction of the El Activo
expedition because, with little mention or recognition at the time, documentary records are very
scarce, how can Honduras venture to construct an entire academic thesis on the identity of the
author of the El Activo charts and logbook?
24. Honduras further fails to find any discrepancies between the two copies of the logbook.
25. However, anyone who takes the trouble to compare the two copies will see that the
Chicago copy is more complete, because it has an additional eight pages. The Madrid copy has no
page numbering, is poorly assembled and is difficult to read in certain places because of missing
pages, paragraphs and lines. Even more important is that in the Madrid copy, specifically, the
pages describing the Gulf were written in a different hand from that of the remainder of the
logbook.
26. In our first round of argument, we concluded that “at the time, no degree of reliability or
certainty was accorded either to the geographic description or to the cartographic representation of
the Gulf of Fonseca deriving from the El Activo expedition”. The Chicago copies highlighted the
inconsistencies of the Madrid documents in terms of providing support for the geographical fact
which produced such significant consequences in the 1992 Judgment when it came to determining
sovereignty and delimiting the land border in the Goascorán Sector. “The Chamber should not be
any less demanding than the expedition’s contemporaries themselves as regards the El Activo
expedition’s results.”
I shall conclude with some brief comments on the Saco negotiations.
33
- 30 -
III. THE SACO NEGOTIATIONS
27. El Salvador extensively addressed the Saco negotiations in its Application42, because the
Chamber43 attributed corroborative weight to them in respect of the conclusions drawn from the
El Activo document; since counsel for Honduras has referred to El Salvador’s analysis as a
“one-sided reading” of the negotiations44, El Salvador must stress the fact that its analysis was a
faithful reflection of the events that actually took place.
28. All the documents produced on the subject of those negotiations point to the conclusion
that their objective was solely to produce an agreement based on the principles of equity and
justice. The negotiators considered the mouth of the Goascorán as it existed at the time, without
relating it to uti possidetis juris, which was neither referred to in the negotiations nor in
the 1884 Convention that Honduras was never to ratify. In El Salvador’s opinion, the agreed line
was based on the implicit recognition of one single fact, i.e., that the Goascorán River flowed into
the Gulf of Fonseca; the precise location was not indicated. The minutes of the negotiations
contain nothing to support the argument that the mouth of the Goascorán was at that time the same
as that adopted by the Chamber in 1992. The declaration of 4 June 1880, which stated that from
the said mouth the Goascorán led upstream in a north-easterly direction, did not provide the
necessary basis to conclude that the mouth in question was actually the current mouth, given that
other esteros follow or followed the same direction.
29. On the other hand, the 1880 Declaration, far from confirming conclusions drawn from
the El Activo chart, actually contradicts them, because on that chart the Goascorán mouth takes a
north-westerly direction.
30. In conclusion, the Saco negotiations and 1884 Convention also refer to the maritime
boundary in a manner that would confirm the idea that the mouth of the Goascorán was not the
present-day mouth. I would simply refer you to what was stated on this matter in the Application.
I have thus come to the end of my oral statement and I would thank you most sincerely,
Mr. President and Members of the Chamber, for kindly listening to me so patiently and
courteously.

42Application for revision of the Judgment of 11 September 1992, 10 September 2002, paras. 119-143.
43I.C.J. Reports 1992, para. 317.
44CR 2003/3, 9 September 2003, Meese, paras. 9 et seq., para. 16.
34
- 31 -
I would now ask you, Mr. President, if you could kindly give the floor to the Minister for
Foreign Affairs of El Salvador, Madam María Eugenia Brizuela de Ávila.
The PRESIDENT: Thank you, Sir. I now give the floor to Her Excellency
Madam María Eugenia Brizuela de Ávila, Minister for Foreign Affairs of El Salvador.
Mme BRIZUELA de ÁVILA : Monsieur le président, Messieurs les Membres de la
Chambre. Hier, l’agent du Honduras, notre République sœur, a relevé que par le ton de mes
observations je m’étais placée quelque peu sur la défensive. Dans ma mission de ministre des
affaires étrangères, j’ai toujours eu pour souci de défendre les intérêts de mes compatriotes et de
mon pays. Ce dernier ayant été accusé, entre autres, d’avoir soumis une demande artificielle, j’ai
été dans l’obligation — et cela se comprend — de donner à la Chambre les explications nécessaires
à la défense de notre position. Comme nous nous sommes acquittés de cette obligation à l’égard de
la Cour, nous allons à présent, si vous le permettez, répondre aux arguments formulés par les
représentants du Honduras dans leurs plaidoiries.
Au vu de ce que nous avons dit lors du premier tour, nous pensions que le débat sur
l’exécution de l’arrêt était clos et que les représentants du Honduras engageraient une discussion
sérieuse sur les questions essentielles qui sont en cause.
Or nos éminents contradicteurs descendent de nouveau dans l’arène et, après avoir cité
certains articles de la Constitution du Honduras, affirment que durant les six premières années qui
ont suivi le prononcé de l’arrêt de 1992, El Salvador a subordonné la démarcation de la frontière
terrestre à la signature d’un traité sur la nationalité et la reconnaissance des droits acquis dans les
zones délimitées, bien que l’arrêt de 1992 ne contînt aucune exigence de cette nature.
Nous nous félicitons d’entendre, dans les accusations portées par l’agent du Honduras, une
reconnaissance des efforts déployés par El Salvador pour assurer le plein respect des droits de
l’homme des Salvadoriens et des Honduriens concernés par l’arrêt.
Toutefois, les représentants du Honduras omettent de retranscrire pour nous le texte intégral
des dispositions constitutionnelles qui portent sur le problème en question. Même s’ils citent un
article de la Constitution qui décrit le Honduras comme un pays attaché au droit international, ce
que, à l’évidence, nous sommes heureux d’entendre, ils omettent néanmoins de mentionner
35
- 32 -
d’autres dispositions de la Constitution qui sont de nature entièrement discriminatoire à l’égard de
ressortissants des pays d’Amérique centrale et qui font obstacle à la reconnaissance par le
Honduras de droits, tels que le droit de propriété et le droit de possession, notamment des
Salvadoriens dont les biens se trouvent dans le territoire accordé au Honduras en vertu de l’arrêt.
L’article 107 de la Constitution du Honduras prévoit que seuls les citoyens honduriens de
naissance sont autorisés à posséder ou à acquérir des biens immobiliers dans la zone des
40 kilomètres qui borde la frontière avec les Etats voisins (c’est-à-dire El Salvador, le Guatemala et
le Nicaragua). Même si aux termes de l’article 24 les ressortissants des pays d’Amérique centrale
ayant une résidence au Honduras depuis un an peuvent obtenir la naturalisation hondurienne, au
même titre que les étrangers, ils sont privés du droit de posséder des biens de cette nature. Il en est
résulté que les Salvadoriens se trouvant du côté hondurien de la frontière suite au prononcé de
l’arrêt de 1992 sont tombés sous le coup de ces dispositions.
Les représentants du Honduras avaient affirmé à l’époque que leur Constitution serait violée
si les Salvadoriens résidant dans les zones concernées par l’arrêt étaient autorisés à conserver leur
droit de possession et de propriété, et avaient ainsi rendu très difficiles la négociation et la signature
du traité sur la nationalité et la reconnaissance des droits acquis.
Ce problème a fini par être réglé, mais seulement à l’issue de longues négociations. Ainsi,
s’il a été donné effet à l’arrêt avec un certain retard, cela s’explique par la nécessité d’assurer la
protection des droits de l’homme fondamentaux des citoyens salvadoriens qui se retrouvaient du
côté hondurien de la frontière. A cet égard, nous nous sommes efforcés de respecter les directives
données par la Chambre au paragraphe 66 de l’arrêt. El Salvador était d’autant plus conscient de la
nécessité de protéger les droits de ces ressortissants que non seulement la nation tout entière avait
souffert de la guerre civile, mais aussi que les habitants des zones frontalières avaient subi des
épreuves particulières.
Les négociations avec les représentants du Honduras sur les questions territoriales ont
toujours été délicates, car la Constitution hondurienne contient une disposition dont la teneur est
telle qu’il suffit de la citer sans entrer dans les détails :
36
- 33 -
«Article 19. Aucune autorité ne conclut ou ne ratifie de traité, ni ne fait de
concessions, qui soient contraires à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à
l’indépendance de la République. Quiconque commet un tel acte est passible de
jugement pour crime de trahison envers la patrie. Dans ces circonstances, la
responsabilité n’est pas soumise au régime de limitations.»
Par ailleurs, El Salvador ne peut manquer de relever la tendance de certains représentants du
Honduras à appliquer à cette demande en revision les mêmes critères axiologiques, à faire les
mêmes appréciations et à attribuer les mêmes conséquences que ceux de la Chambre lorsque
celle-ci a eu à se prononcer sur l’affaire initiale.
A notre avis, les appréciations en question, pour légitimes qu’elles aient été, avaient été
faites dans le cadre de l’affaire examinée et jugée à l’époque; en d’autres termes, la Chambre a
raisonné d’une certaine manière, prenant en considération les arguments présentés par les parties et
surtout les moyens de preuve produits à l’époque.
Il va sans dire que, lorsque les faits matériels sur lesquels une chambre se fonde viennent à
changer, en particulier dans des affaires comme celle-ci, où la «valeur ajoutée» fondamentale
réside dans la découverte de faits nouveaux, la logique élémentaire veut que lorsque les prémisses
changent, les conclusions soient aussi appelées à changer. Il est donc déraisonnable de penser que
la Chambre actuelle est tenue d’être exactement du même avis que celle qui l’a précédée puisque,
comme nous l’avons expliqué, les termes de l’équation logique que la Chambre doit résoudre à
présent ne sont plus les mêmes. En outre, la revision ne constitue pas un recours, mais bien un
moyen de contester une décision.
En fait, la Chambre était unanime en 1992 et El Salvador ne conteste pas l’arrêt, ni ne
critique les juges de l’époque pour la décision qu’ils ont prise compte tenu des informations dont ils
disposaient alors. Il est normal que, ces informations s’étant révélées imparfaites, la décision des
juges, fondée sur des prémisses erronées, soit annulée.
Monsieur le président, je tiens à vous remercier de m’avoir permis de prendre la parole
devant cette Chambre de la Cour. C’est un réel privilège que de parler au nom de mon président et
de mon pays. Je réitère le respect que j’éprouve pour la République et le peuple du Honduras. Je
suis réellement convaincue que, de même qu’ici en Europe, où les régions frontalières sont parmi
les plus développées, offrent un niveau de vie élevé et rassemblent des individus de différentes
nationalités en quête de conditions de vie meilleures, nous avons, en Amérique centrale, les
37
- 34 -
moyens de transformer nos frontières actuelles, qui demeurent des zones où le pourcentage de
personnes en dessous du seuil de pauvreté est le plus élevé, où règne le sous-développement et qui
sont pour ainsi dire tombées dans l’oubli.
Le but que nous poursuivons, Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Chambre,
c’est que, grâce à la décision que vous rendrez, nous puissions continuer, en toute sécurité
juridique, de faire de nos frontières d’authentiques pôles de développement et des lieux d’échanges
et de fraternité où les peuples d’Amérique centrale pourront tirer parti de conditions propices, qui
leur permettront de se développer en tant que nations et en tant qu’individus.
Nos présidents ¾ les présidents actuels des pays d’Amérique centrale ¾ considèrent le
solide processus d’intégration que nous avons engagé comme la clé du progrès dans la région tout
entière. Ils ont donc reconnu qu’il fallait circonscrire les questions de frontières et en débattre dans
les instances appropriées, et ils persévèrent dans les efforts qu’ils déploient pour assurer un avenir
meilleur aux habitants de toutes les zones.
Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre notre agent,
M. Gabriel Mauricio Gutiérrez Castro, qui va présenter nos considérations et nos conclusions
finales. Je vous réitère mes remerciements.
The PRESIDENT : Je vous remercie, Madame le Ministre et je donne maintenant la parole à
l’agent de la République du Salvador, le docteur Mauricio Gutiérrez Castro.
M. GUTIÉRREZ CASTRO : Monsieur le président, Messieurs les juges, c’est un grand
honneur pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui en qualité d’agent de la République
d’El Salvador.
La Chambre permet aux Parties de répondre au cours d’un second tour. Dans ce contexte, je
ferai quelques dernières observations puis, en qualité d’agent d’El Salvador, je lirai les conclusions
finales conformément au paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement de la Cour. Je le ferai dans la
langue de mon pays en vertu du paragraphe 3 de l’article 39 du Statut et après avoir rempli les
conditions stipulées aux paragraphes 2 et 3 de l’article 70 et au paragraphe 2 de l’article 71 du
Règlement de la Cour.
38
- 35 -
Il y a précisément un an aujourd’hui qu’El Salvador a présenté sa demande en revision,
exerçant par-là le droit établi à l’article 61 du Statut de la Cour. Nous sommes reconnaissants à la
Cour d’être parvenue si rapidement à ce stade de la procédure, surtout si l’on considère l’ampleur
de l’affaire. Il va sans dire que l’exercice, par El Salvador, de son droit statutaire ne peut pas et ne
doit pas être considéré comme un usage abusif de la procédure judiciaire. Au contraire, ainsi que
notre ministre des affaires étrangères l’a si bien expliqué dans ses observations liminaires, ce n’est
rien de moins que l’expression de sa foi en la justice et les personnes qui l’administrent. L’ultime
objectif de toute procédure est de parvenir à la vérité et la découverte de la vérité ne peut que servir
la justice.
Les institutions judiciaires ne sauraient tirer leur existence de simples textes de droit. Elles
naissent, vivent et se développent par la pratique. La Cour internationale de Justice en a donné un
exemple clair lors de la procédure initiale entre El Salvador et le Honduras, sur laquelle porte la
présente demande en revision, en acceptant la demande d’intervention formulée par le Nicaragua.
En ce qui concerne le sujet même de mes observations, les éminents membres de la
délégation d’El Salvador qui m’ont précédé ont, dans leurs présentations, démontré au-delà de tout
doute raisonnable que la demande d’El Salvador est conforme au droit, qu’elle remplit les
conditions posées dans l’article 61 du Statut et qu’il y a lieu par conséquent de l’accueillir.
Le Honduras a reconnu implicitement la recevabilité de la requête d’El Salvador lorsque, par
lettre datée du 29 octobre 2002, il a fait connaître au président de la Cour sa volonté de demander à
celle-ci, conformément au paragraphe 3 de l’article 61 du Statut, de subordonner la recevabilité de
la demande en revision à l’exécution préalable de l’arrêt de 1992. Il a, en outre, fait savoir à la
Cour qu’il déposerait, à cet effet, une requête officielle auprès de la Chambre. Avec une si grande
équipe d’éminents avocats, le Honduras n’a pu prendre une décision de cette nature que parce qu’il
savait que la Chambre ne pourrait accepter la demande du Honduras qu’en rendant une décision
une fois que la requête d’El Salvador serait déclarée recevable. Le pas en arrière effectué par le
Honduras dans sa lettre datée du 24 juillet 2003 ne diminue en rien, voire confirme, la
reconnaissance de la recevabilité de notre demande par notre éminent adversaire dans sa
communication officielle à la Cour.
39
- 36 -
Mes prédécesseurs ont analysé, une par une et cas par cas, les conditions posées dans
l’article 61 du Statut. Il serait de peu d’utilité que je répète leurs convaincants arguments. La
demande remplit chacune des conditions sans exception et ce, sans l’ombre d’un doute. Nous ne
voyons par conséquent aucune objection au caractère exceptionnel et cumulatif des conditions,
puisque nous avons rempli chacune d’entre elles dans leur totalité. Notre requête a été déposée
dans les six mois suivant la découverte du fait nouveau et dans le délai de dix ans suivant la date de
l’arrêt. Le fait nouveau est de telle nature à avoir une incidence décisive. Ce sont des faits qui
étaient inconnus de la Chambre et d’El Salvador lorsque l’arrêt a été rendu et cette ignorance ne
peut être attribuée à la négligence.
Malgré ses efforts répétés, visant tous des questions de forme, le Honduras n’est jamais
parvenu à démontrer que les faits nouveaux présentés par El Salvador n’en étaient pas, au sens du
paragraphe 1 de l’article 61 du Statut. En réalité, les arguments du Honduras sur des aspects
essentiels du débat concernant les faits nouveaux semblent simplement confirmer leur existence.
En fait, les omissions intentionnelles du Honduras et ce qu’il n’a pas réussi à prouver nous en
disent beaucoup plus long que ce qu’il a effectivement dit au cours de la procédure.
A ce sujet, dans ses plaidoiries :
¾ Le Honduras a-t-il nié l’existence d’un lit abandonné par la rivière Goascorán, s’étendant de la
Rompición de Los Amates jusqu’au bras La Cutú ?
¾ Le Honduras a-t-il nié que la rivière Goascorán a coulé dans ce lit pendant la plus grande partie
de la période coloniale ?
¾ Le Honduras a-t-il nié l’existence des travaux des Honduriens Galindo y Galindo, Meza Cálix
et Canales Salazar, qui tous reconnaissent l’existence d’un précédent lit de la rivière Goascorán
se jetant dans le bras la Cutú ?
¾ Le Honduras a-t-il été en mesure de nier que l’île de Cuyaquina a existé jusqu’au moment de
l’éruption de 1835 ?
¾ Le Honduras a-t-il été en mesure d’apporter une explication raisonnable aux différences
importantes qui existent entre les «Cartas Esféricas» de Madrid et de Chicago ?
¾ Le Honduras a-t-il été en mesure d’expliquer les différences qui existent entre les
deux versions du journal de bord du brigantin El Activo ?
40
- 37 -
¾ Le Honduras a-t-il été en mesure de démontrer que le signe d’égalité qui apparaît dans la
version madrilène du journal de bord du brigantin El Activo signifie «par ordre de» ?
¾ A-t-il été en mesure de montrer que la «Carta Esférica» d’El Activo est la même que celle qui
apparaît sur la carte officielle de 1822 et, dans ce cas, a-t-il donné une explication rationnelle
de la raison pour laquelle la rivière Goascorán ne figure pas sur cette carte ?
Messieurs les juges, nous pourrions ainsi multiplier les questions parce que le Honduras
n’est pas parvenu à prouver une seule de ses affirmations; il a refusé d’entrer dans une discussion
portant sur le contenu des éléments de preuve et, lorsqu’il a tenté de le faire, il a produit un
spectacle embarrassant comme dans le cas de la lettre tronquée du vice-roi Revilla-Gigedo.
Une fois encore, nous regrettons que la stratégie hondurienne, consistant à répéter
invariablement la même chose sur des aspects purement formels et généraux, nous empêche de
discuter réellement de la valeur des faits nouveaux invoqués et gêne l’émergence, dans cette
affaire, d’un débat contradictoire légitime entre les Parties qui aide la Chambre dans sa quête de la
vérité.
Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Chambre, je vais maintenant procéder à
la lecture des conclusions finales de la République d’El Salvador :
Maintenant que la Cour, en constituant la présente Chambre, a accédé à la première demande
qu’El Salvador a formulée dans sa requête, ce dernier prie respectueusement la Chambre, rejetant
toutes revendications et conclusions contraires :
1. de dire et juger que la demande de la République d’El Salvador est recevable au motif qu’il
existe des faits nouveaux qui, par leur nature, donnent ouverture à la revision de l’arrêt aux
termes de l’article 61 du Statut de la Cour; et
2. de procéder, une fois la demande déclarée recevable, à la revision de l’arrêt du
11 septembre 1992 aux fins de déterminer dans un nouvel arrêt la ligne frontière dans le
sixième secteur en litige de la frontière terrestre entre El Salvador et le Honduras dont le tracé
sera le suivant :
«A partir de l’ancienne embouchure de la rivière Goascorán à l’entrée du bras
connu sous le nom d’Estero La Cutú, dont les coordonnées sont 13o
22' 00'' de latitude
nord et 87o
41' 25'' de longitude ouest, la frontière suit l’ancien lit de la
rivière Goascorán sur une distance de 17 300 mètres en amont jusqu’au lieu dit
41
- 38 -
Rompición de Los Amates, dont les coordonnées sont 13o
26' 29'' de latitude nord et
87o
43' 25'' de longitude ouest, et qui est l’endroit où la rivière Goascorán a changé de
cours.»
Conformément au paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement de la Cour, une copie du texte
écrit des conclusions finales que j’ai lues, portant ma signature, sera envoyée immédiatement à la
Chambre.
Au nom d’El Salvador, du président de la République, Francisco Flores, et de la délégation
qui m’accompagne, je voudrais vous exprimer ma gratitude, Monsieur le président et Messieurs les
Membres de la Chambre, pour l’attention et la courtoisie avec lesquelles vous avez écouté les
arguments présentés pour appuyer la demande en revision que mon pays a soumise à votre examen.
The PRESIDENT: Thank you, Sir. The Court takes note of the final submissions which you
have read out to us on behalf of the Republic of El Salvador. We shall meet again on Friday,
12 September 2003 at 10 a.m. to hear the second round of oral argument by the Republic of
Honduras. The sitting is closed.
The Chamber rose at 4.55 p.m.
___________

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Traduction

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