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126-20020613-ORA-02-01-BI
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CRW
CR 2002/37 (traduction)
CR 2002/37 (translation)
Jeudi 13 juin 2002 à 15 heures
Thursday 13 june 2002 at 3 p.m.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte et je vais maintenant donner
la parole à M. Gérard Gahima, agent pour la République rwandaise. Monsieur l’agent, vous avez la
parole.
M. GAHIMA :
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, plaise à la Cour,
1. J’ai l’honneur de me présenter devant vous, dans le cadre la présente affaire, en qualité
d’agent de la République rwandaise. Je suis assisté de S. Exc. Mme Christine Umutoni,
ambassadeur du Rwanda à Bruxelles, et également accréditée au Pays-Bas, et par
M. Christopher Greenwood, en tant que conseil du Rwanda.
2. Monsieur le président, la Cour a été soumis ce matin à l’audition d’un long catalogue
d’allégations contre mon pays, allégations à l’appui desquelles peu de preuves ou aucune preuve
n’a été fourni, et qui sont entièrement dépourvues de fondement. Dans toutes ces longues tirades
contre le Rwanda, pas un seul mot n’a été de fait dit par les représentants de la République
démocratique du Congo au sujet des épreuves qu’a connues le peuple rwandais au cours de la
dernière décennie, au sujet notamment de la mort de plus d’un million de personnes, d’hommes, de
femmes et d’enfants innocents, en 1994. Pourtant, il ne peut y avoir de doute que le peuple
rwandais, qui a été victime d’un génocide et de toutes les formes imaginables de crimes contre
l’humanité, a souffert, plus que toute autre nation dans la région des Grands Lacs ¾ voire plus que
toute autre nation du monde ¾, des horreurs perpétrées au cours des dix dernières années.
3. Les origines de la crise actuelle en République démocratique du Congo remontent aux
événements tragiques de 1994, lorsque les dirigeants du Zaïre, nom sous lequel était alors connue
la République démocratique du Congo, ont offert un sanctuaire sur leur territoire aux membres de
l’ancien Gouvernement du Rwanda, aux Interhamwe et aux miliciens rwandais, et ont permis à ces
groupes de se rassembler et de se réarmer pour préparer un retour au Rwanda afin d’y achever
l’action de génocide entreprise.
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4. Les gouvernements successifs de la République démocratique du Congo ont continué à
apporter un soutien à ces groupes armés, qui ne cachaient pas, sans remords aucun, leur volonté de
détruire le Rwanda et sa population. Comme M. Akele de la délégation de la République
démocratique du Congo l’a dit ce matin, le Rwanda mène depuis 1994 une guerre contre le
génocide.
5. C’est une ironie amère, Monsieur le président, que de voir le Congo, dont la contribution a
été d’offrir non seulement un encouragement mais aussi abri, sanctuaire, assistance matérielle,
militaire et politique à ceux-là mêmes qui ont perpétré ces terribles atrocités, vouloir aujourd’hui
jouer le rôle de la victime innocente en pointant un doigt accusateur vers le Rwanda.
6. Mais point n’est besoin pour moi de me prononcer sur ces accusations, parce que
l’instance actuelle peut être abordée de manière beaucoup plus simple. Cette éminente juridiction a
déclaré à de nombreuses reprises qu’une condition essentielle de l’exercice des pouvoirs qu’elle
tient de l’article 41 de son Statut est que, premièrement, le demandeur démontre qu’il existe une
base prima facie à la compétence de la Cour et, deuxièmement, que les mesures sollicitées par lui
sont nécessaires pour empêcher que les droits qui pourraient être l’objet de ladite compétence ne
subissent un préjudice irréparable.
7. En l’espèce, la République démocratique du Congo n’a en aucune manière rempli ni l’une
ni l’autre de ces deux conditions. Le Rwanda est d’avis en conséquence que la Cour devrait rejeter
la présente demande en indication de mesures conservatoires.
8. Au surplus, compte tenu de l’absence manifeste de compétence, le Rwanda estime que la
Cour devrait saisir cette occasion pour rayer de son rôle cette requête, comme elle l’a fait en 1999
dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force soumises par la République fédérative
de Yougoslavie contre l’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique. Les conclusions que nous
soumettrons à la Cour à cet égard seront présentées de façon plus détaillée par M. Greenwood.
9. L’absence d’une base prima facie à la compétence de la Cour me dispense de m’engager
dans une analyse quelconque des allégations avancées par le Congo à l’encontre du Rwanda. Je me
bornerai à observer que, lorsque l’histoire de cette période sera écrite, elle ne ressemblera en rien à
ce que vous avez entendu vous dire aujourd’hui les représentants de la République démocratique du
Congo.
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10. Plusieurs exemples pourraient aider à illustrer ce point. Tout d’abord, la requête
congolaise et les plaidoiries de ce matin ont passé sous silence ou ont présenté de manière erronée
les faits relatifs au processus de paix de Lusaka. Il est de fait que, depuis le mois de janvier 2001, il
existe un processus de paix qui est reconnu par la communauté internationale en général et par les
Nations Unies et l’Organisation de l’unité africaine en particulier comme le seul cadre acceptable
dans lequel un règlement du conflit au Congo peut être trouvé.
11. Le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’organe chargé du maintien de la paix et de la
sécurité internationales, et gardien de la Charte des Nations Unies, est saisi de la situation en
République démocratique du Congo depuis août 1998. Il a apporté son appui au processus de paix
en tant que cadre unique pour le rétablissement de la paix en République démocratique du Congo,
et l’ensemble des membres du Conseil de sécurité se sont plusieurs fois rendus dans la région des
Grands Lacs pour favoriser la mise en ouvre de l’accord de paix de Lusaka.
12. J’ajouterai également que, dans le cadre du processus de paix de Lusaka, un cessez-le-feu
est en vigueur depuis plus de deux années maintenant. Pour ce qui le concerne, le Rwanda a
pleinement apporté sa contribution à ce processus de paix, y compris en prenant régulièrement part
à des réunions entre les Gouvernements du Congo et du Rwanda et d’autres parties intéressées.
Ces réunions se sont tenues au niveau des responsables gouvernementaux, des ministres et même
des chefs d’Etat. Il y a eu, à ma connaissance, pas moins de quinze réunions du comité politique
composé de ministres et même de chefs d’Etat au cours des deux dernières années.
13. Le Congo a ainsi eu pleinement l’occasion de soulever, au cours de négociations directes
avec le Rwanda, l’objet de sa requête, mais s’est abstenu de le faire.
14. Monsieur le président, le Rwanda prend très au sérieux les obligations que lui imposent
les traités auxquels il est partie. Si le Congo nous avait fait connaître ses allégations, par exemple à
propos du mauvais traitement subi par des femmes, et invoqué les dispositions de la convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Rwanda aurait traité
lesdites allégations avec le plus grand sérieux.
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15. De même, si le Congo avait demandé un arbitrage en vertu de l’un quelconque des traités
qu’il invoque à présent, nous nous serions employés à organiser un arbitrage. Le fait est que le
Congo ne nous a jamais adressé de demande de négociation ou de demande tendant à accepter une
procédure d’arbitrage sur la base de l’un quelconque des traités dont il se prévaut aujourd’hui.
16. En deuxième lieu, Monsieur le président, bien que se référant au Conseil de sécurité des
Nations Unies, le Congo a totalement omis d’indiquer la nature véritable et l’effet des mesures et
des résolutions prises par le Conseil sur les questions se rapportant au conflit en République
démocratique du Congo. Un rapide coup d’œil sur les déclarations les plus récentes du Conseil de
sécurité ¾ et pour une demande en indication de mesures conservatoires présentées comme étant
de la plus extrême urgence, ce sont les déclarations les plus récentes qui sont les plus pertinentes ¾
permettrait de voir que le Conseil de sécurité a été loin de blâmer le Rwanda pour les maux dont
souffre le Congo, comme le Congo a essayé de le faire accroire aujourd’hui. A titre d’exemple, on
peut citer la résolution 1399 du 19 mars 2002 qui condamne une faction congolaise pour avoir
repris les combats et lance un appel au Rwanda pour que celui-ci use de son influence auprès de
ladite faction afin de la persuader de mettre en œuvre les dispositions de la résolution en question.
La résolution lance également un appel au Gouvernement de la République du Congo pour l’inviter
à reprendre les pourparlers avec d’autres parties congolaises.
17. Il me faut juste ajouter, Monsieur le président, qu’il a été beaucoup question aujourd’hui
de la situation à Kinshasa, et qu’il me faut rétablir les faits. Il n’y a pas de troupes rwandaises
aujourd’hui en République démocratique du Congo à Kisangani. De fait, il n’y en a pas eu du tout
depuis trois ans. La déclaration rendue publique par le président du Conseil de sécurité le
5 juin 2002, loin de blâmer le Rwanda, lance un appel à celui-ci pour qu’il exerce une influence sur
la RCD, ce qui montre que le Conseil de sécurité voit dans le Rwanda un partenaire dans la
recherche de la paix au Congo.
18. Avant de demander à la Cour d’appeler à la barre M. Greenwood, notre conseil, il y a
une question de nature procédurale que je dois évoquer. Les membres de la Cour auront noté que la
présente requête est la deuxième que la République démocratique du Congo a introduite contre
mon pays. En 1999, dans le cadre d’une instance qui a été inscrite au rôle de la Cour en tant
qu’affaire no
117, le Congo avait soumis une première requête. Les allégations contenues dans la
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requête en question étaient dans leur substance les mêmes que celles qui vous ont été exposées
aujourd’hui. Je voudrais, à ce sujet, Monsieur le président, vous inviter, ainsi que les autres juges
de la Cour à comparer, à votre aise, la présente requête à sa devancière de 1999.
19. Les chefs de compétence avancés en 1999 étaient clairement insuffisants : la convention
contre la torture, à laquelle le Rwanda n’est même pas partie à ce jour, la convention de Montréal
pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, qui n’était
manifestement pas applicable, et une invitation adressée au Rwanda pour qu’il consente sur une
base volontaire à la compétence de la Cour, invitation qui a été déclinée par le Rwanda, comme il
en avait pleinement le droit.
20. Le Rwanda aurait été tout à fait en droit, Monsieur le président, de rester partie à ladite
affaire et de ne soulever des exceptions préliminaires qu’après le dépôt du mémoire du Congo.
Mais cela aurait créé l’inconvénient pour votre éminente juridiction d’avoir sans nécessité l’affaire
inscrite à son rôle pendant une longue période et cela aurait entraîné pour un autre pays en
développement des dépenses considérables. Plutôt que d’agir de la sorte, nous avons d’emblée fait
clairement comprendre que nous soulèverions des exceptions à la compétence de la Cour et c’est le
Rwanda qui a exposé ses arguments dans un mémoire en avril 2000, mémoire dans lequel nous
avons démontré à la Cour qu’aucun des traités dont le Congo avait essayé de se prévaloir ne
pouvait servir de fondement à la compétence de la Cour. La réaction du Congo, après un retard de
neuf mois, a été de se désister de l’instance, tout en annonçant que le Congo se «réserv[ait] la
possibilité de faire valoir ultérieurement de nouveaux chefs de compétence de la Cour».
21. La République démocratique du Congo a laissé entendre que c’est ce qu’elle a fait dans
la présente requête, mais la réalité est tout autre. Les chefs de compétence invoqués par la
République démocratique du Congo dans sa nouvelle requête incluent, une fois de plus, la
convention contre la torture et la convention de Montréal, et cela en dépit du fait que le Rwanda a
démontré dans la première affaire qu’aucun des deux traités ne saurait servir de base à la
compétence de la Cour, un point de vue que le Congo avait accepté, si l’on en juge par sa décision
de se désister de la première instance. Toutefois, le Congo n’a même pas tenté de répondre à
l’argumentation présentée par le Rwanda sur ces questions.
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22. A ces traités qui ne sont manifestement pas applicables, la République démocratique du
Congo a ajouté cinq nouvelles conventions, qui sont toutes de nature spécialisée et dont aucune
n'offre de fondement à la compétence pour connaître d'une affaire qui est essentiellement la même
que l’affaire initiale de 1999.
23. Monsieur le président, la réalité est que les références faites cette fois-ci à des traités
comme la Constitution de l’OMS et la convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale ne constituent qu’un camouflage. Ce que le Congo tente de faire, c’est de
porter de nouveau devant vous la même affaire qu’en 1999 et la base de compétence invoquée pour
cette affaire n’est pas plus solide aujourd’hui qu’elle ne l’était alors.
24. De notre point de vue, il s’agit là d’un abus de la procédure de la Cour. Il ne devrait pas
être permis à un Etat de jouer de cette manière un double jeu devant cette éminente institution, en
particulier quand cet Etat invoque une compétence en matière d’indication de mesures
conservatoires pour obtenir une procédure accélérée, à un moment où la Cour se trouve déjà
pleinement occupée à examiner une autre affaire.
25. Dès lors, la République rwandaise prie respectueusement la Cour, non seulement de
rejeter la demande en indication de mesures conservatoires tendant à préserver des droits, mais
aussi à rayer immédiatement l’affaire de son rôle.
26. Monsieur le président, puis-je vous demander d’appeler à la barre mon collègue,
M. Greenwood.
Le PRESIDENT : Je vous remercie beaucoup, Monsieur l’agent. Je passe maintenant la
parole au professeur Greenwood.
M. GREENWOOD : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, plaise à la
Cour,
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I. Introduction
1. Permettez-moi tout d’abord de vous dire à quel point je suis honoré de me présenter à
nouveau devant vous, cette fois-ci au nom du Rwanda. Comme l’éminent agent l’a indiqué tout à
l’heure, j’exposerai en détail nos deux conclusions : à savoir, premièrement, que la demande en
indication de mesures conservatoires présentée par le Congo doit être écartée et, deuxièmement,
que la Cour devrait rayer cette affaire de son rôle.
2. A des fins de commodité, le Rwanda a communiqué à chaque membre de la Cour un
dossier comportant les dispositions conventionnelles invoquées par le Congo dans sa requête et sa
demande, ainsi qu’une série d’autres documents, parmi lesquels les textes des réserves formulées
par le Rwanda à ces traités et deux documents du Conseil de sécurité cités par M. Gahima dans son
intervention de cet après-midi. Je crains que certains de ces dossiers n’aient quelque peu souffert
durant leur transport — ils n’étaient pas tous en très bon état lorsque nous les avons déballés et je
dois prier Madame et Messieurs de la Cour de nous en excuser. Bien que tous ces documents
soient publics, nous avons communiqué copie de ce dossier aux représentants du Congo. Je ne me
propose pas d’inviter les membres de la Cour à examiner tel ou tel document en particulier au cours
de la présente audience, mais la version écrite de mon intervention comportera les références de
tous les documents auxquels je me rapporte.
II. La requête introductive d’instance du Congo et sa demande
en indication de mesures conservatoires
3. Monsieur le président, il ne sera pas inutile de rappeler d’emblée et en termes précis le
remède recherché par le Congo dans la présente instance. La requête a été lue à la Cour par le
greffier ce matin. Il a également lu les principaux passages de la demande en indication de mesures
conservatoires.
4. Mais je voudrais simplement résumer pour la Cour certains aspects des mesures
provisoires demandées par le Congo, étant donné qu’elles permettent de mieux saisir la manière
dont celui-ci perçoit cette affaire. Le Congo demande à la Cour (et, pour plus de brièveté, je
paraphraserai ici le texte de la requête) :
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¾ premièrement, d’ordonner que le Rwanda, ses agents et auxiliaires mettent fin et renoncent
immédiatement à l’agression contre le Congo, à l’occupation de son territoire, aux violations de
la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance du Congo, à toute utilisation de
la force, au siège de villes et d’agglomérations congolaises et à diverses autres manifestations
de l’emploi de la force;
¾ deuxièmement, de reconnaître que le Congo a «un droit inaliénable et souverain» à exiger que
son intégrité territoriale soit garantie, à exiger des Nations Unies que les troupes rwandaises
quittent son territoire, à jouir de ses ressources naturelles et à exercer son droit de légitime
défense selon l’article 51 de la Charte;
¾ troisièmement, de dire et juger que le Rwanda a violé la convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Charte des Nations Unies, la Charte
de l’Organisation de l’unité africaine, la Charte internationale des droits de l’homme et toute
une série d’instruments juridiques relatifs au droit international des droits de l’homme et au
droit humanitaire; que le Rwanda doit mettre fin à tout emploi de la force; qu’il est tenu de
verser au Congo des réparations; il vous est en outre demandé d’ordonner l’embargo sur les
fournitures d’armes à destination du Rwanda et sur l’acquisition de divers biens en provenance
du Rwanda, ainsi que la mise en place rapide d’une force d’interposition et d’imposition de la
paix le long de la frontière entre le Congo et le Rwanda.
5. Monsieur le président, par son ampleur, cette requête est proprement étonnante. La Cour
est invitée à prendre, sous forme d’une ordonnance en indication de mesures conservatoires, ce qui
équivaudrait à un arrêt définitif sur le fond; il lui est demandé d’ordonner des mesures à l’intention
d’Etats qui ne sont pas parties à cette procédure, et d’organisations internationales qui ne peuvent
pas être parties à cette procédure. La Cour est invitée à usurper l’autorité d’autres institutions en
créant sa propre force de maintien de la paix. Il s’agit là, Monsieur le président, de mesures qui ne
relèvent manifestement d’aucune compétence que la Cour pourrait exercer dans une affaire entre
deux Etats. Ces demandes présentent toutefois une utilité : elles nous montrent clairement
comment le Congo conçoit la présente affaire. Je voudrais maintenant vous inviter, Madame et
Messieurs de la Cour, au fur et à mesure que vous consulterez ce recueil des traités dont le Congo
estime qu’ils fondent la compétence de la Cour, à simplement comparer, ici ou là, les dispositions
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de chacun d’entre eux avec les mesures que le Congo vous invite à prendre, et à vous demander s’il
est possible de trouver un moyen par lequel l’embargo sur l’acquisition de diamants, la création
d’une force de maintien de la paix ou encore l’octroi de réparations au titre de la violation du droit
humanitaire ont quoi que ce soit à voir avec les actes constitutifs de l’Organisation mondiale de la
santé ou de l’Unesco, par exemple.
III. Les critères régissant l’indication de mesures conservatoires
6. Monsieur le président, j’en viendrai maintenant aux critères qui régissent l’indication de
mesures conservatoires : ceux-ci sont bien connus, et les Parties ne les contestent ni l’une ni l’autre.
La Cour a clairement précisé à plusieurs reprises qu’elle n’était en mesure d’indiquer des mesures
conservatoires que si, et seulement si, étaient remplies deux conditions.
7. Premièrement, bien qu’il ne soit pas besoin pour la Cour de s’assurer d’une manière
définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire, elle ne peut indiquer de mesures
conservatoires «que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer
une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait être fondée» (Affaire des Activités armées
sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), ordonnance en
indication de mesures conservatoires, 1er juillet 2000, par. 33).
8. Deuxièmement, dans la mesure où le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires
«a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en attendant [que la Cour]
rende sa décision, et présuppose qu’un préjudice irréparable ne doit pas être causé aux
droits en litige dans une procédure judiciaire … la Cour doit se préoccuper de
sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à
rendre pourrait éventuellement reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur
et … de telles mesures ne sont justifiées que s’il y a urgence» (affaire des Activités
armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
ordonnance en indication de mesures conservatoires, 1er juillet 2000, par. 39).
9. Monsieur le président, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, ces deux critères,
quoique distincts, sont étroitement liés l’un à l’autre. C’est en effet l’étendue de la compétence qui
peut découler des dispositions invoquées par le requérant qui déterminera, parmi les droits affirmés
par ce dernier, ceux (s’il y en a) qui sont susceptibles de faire l’objet d’une décision de la Cour et
peuvent donc être protégés par des mesures conservatoires. En bref, il ne suffit pas qu’un requérant
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démontre que peut exister une base de compétence in abstracto, encore faut-il qu’il démontre que
les dispositions qu’il invoque sont à même de conférer à la Cour une compétence à l’égard du
différend qu’il cherche à porter devant elle et à l’égard des droits qu’il lui demande de protéger.
10. Monsieur le président, nous invitons la Cour à conclure que, ni dans sa requête, ni dans
ses plaidoiries de ce matin, le Congo n’a été à même de s’acquitter de cette charge. Aucune des
dispositions invoquées à cet effet ne fournit ne fût-ce qu’une base prima facie à la compétence de
la Cour à l’égard du litige qui oppose le Congo et le Rwanda. En outre, pas même les instruments
qui auraient pu, en d’autres circonstances, contribuer à fonder cette compétence ne sont en mesure
de le faire à l’égard des droits que le Congo cherche aujourd’hui à faire valoir. J’examinerai
successivement chacun de ces points.
11. Mais permettez-moi de m’exprimer tout d’abord brièvement sur ce qui pourrait être
décrit comme l’un des leitmotivs de la plaidoirie de ce matin. Nous avons entendu à maintes
reprises de la part de ses représentants que le Congo éprouvait un grand respect pour la compétence
de la Cour, et que c’est la raison pour laquelle il avait choisi de porter devant vous tout litige qui
pourrait survenir. Parfois explicitement, parfois seulement implicitement, il a suggéré que, en
contestant la compétence de la Cour, le Rwanda avait clairement manifesté son manque de respect
à l’égard de cette dernière. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, vous
reconnaîtrez là sans peine l’une des ruses classiques à laquelle recourent les Etats lorsqu’ils
éprouvent quelque difficulté du côté de la compétence. Le Rwanda a pour la Cour le plus grand
respect. Nous respectons notamment la juridiction de la Cour et nos conclusions aujourd’hui
reposent sur cette juridiction, et ne visent en aucune manière à témoigner un quelconque manque de
respect — bien au contraire.
IV. L’absence de toute base de compétence
12. Dans sa requête, le Congo présente la compétence de la Cour comme fondée sur
huit bases distinctes. Ce matin il se peut — et je souligne : il se peut — qu’il en ait suggéré une
neuvième. Les huit premières, qui figurent à la fois dans la requête et dans la demande, sont les
suivantes :
1) la convention contre la torture de 1984;
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2) la convention sur le génocide de 1948;
3) la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965;
4) l’acte constitutif de l’Unesco;
5) la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
de 1979;
6) la convention de Montréal pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de
l’aviation civile de 1971;
7) le statut de l’Organisation mondiale de la santé et, enfin;
8) les obligations erga omnes découlant du jus cogens.
Or, ce matin, outre ces trois bases invoquées par le Congo, l’un des représentants de ce
dernier a fait état de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies. J’estime qu’il
est aujourd’hui trop tard pour que le Congo puisse ajouter cet instrument à ceux qui pourraient
fonder la compétence de la Cour, et je ne suis pas tout à fait certain d’avoir compris ce que ses
représentants cherchaient à faire. Cela devrait sans aucun doute se préciser demain. Mais pour
autant que le Congo cherche à s’appuyer sur cette convention, nous dirons qu’elle n’a strictement
aucune incidence sur la requête qui vous est soumise, et qu’elle ne peut constituer une base de
compétence à l’égard d’une demande en indication de mesures conservatoires.
Permettez-moi à présent d’examiner une à une chacune des bases de compétence invoquées.
1) Jus cogens
13. Le plus simple, Monsieur le président, sera peut-être de commencer par le jus cogens.
Le recours à ce concept de la part du Congo est selon nous totalement déplacé. Il ignore en effet le
principe — sur lequel la Cour, dans sa jurisprudence, a systématiquement insisté — selon lequel la
compétence de la Cour repose exclusivement sur le consentement des parties. Ce principe a été
rappelé tout dernièrement dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, affaires
dans lesquelles avaient été alléguées des violations du jus cogens. A cette occasion, la Cour a
affirmé que :
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«la Cour ne peut donc exercer sa compétence à l’égard d’Etats parties à un différend
que si ces derniers ont non seulement accès à la Cour, mais ont en outre accepté sa
compétence, soit d’une manière générale, soit pour le différend particulier dont il
s’agit» (Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique),
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 132, par. 20).
14. L’une des conséquences de ce principe est que, comme la Cour l’a exprimé à l’occasion
de ces mêmes affaires :
«Considérant qu’il existe une distinction fondamentale entre la question de
l’acceptation par un Etat de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains
actes avec le droit international; la compétence exige le consentement; la compatibilité
ne peut être appréciée que quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa
compétence et entendu les deux Parties faire pleinement valoir leurs moyens en droit.»
(Ibid., p. 140, par. 47.)
Qu’une règle de droit qu’un Etat est accusé d’avoir violée revête le statut de jus cogens ne modifie
pas d’un iota cette distinction. En particulier, une allégation de violation du jus cogens ne se
substitue pas, et ne saurait se substituer, au consentement de l’Etat défendeur de manière à créer
une compétence là où il n’y en aurait pas eu autrement.
15. La Cour ne saurait davantage avoir compétence à l’égard d’un Etat au motif que la norme
que ce dernier est accusé d’avoir violé serait une norme créant des obligations erga omnes. Ainsi
que la Cour l’a indiqué dans son arrêt rendu en l’affaire relative au Timor oriental, «l’opposabilité
erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la juridiction sont deux choses différentes»
(affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1984, p. 102, par. 29).
16. En une tentative de contourner ces principes très clairement énoncés, le Congo renvoie,
dans sa requête — bien que nous n’ayons rien entendu à cet égard ce matin —, à l’article 66 de la
convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, que Mme et MM. les Membres de la Cour
trouveront sous l’onglet 1 du dossier. Cette disposition est sans rapport aucun avec la présente
affaire. Contrairement à ce que la requête et la demande du Congo laissent entendre, l’article 66 ne
dispose pas que tout différend concernant la violation d’une règle du jus cogens doive être soumis à
la décision de la Cour. Au contraire, il ne concerne qu’un type bien précis de différend relatif à un
effet particulier de normes impératives.
17. L’article 66 fait partie intégrante du mécanisme de règlement des différends concernant
l’interprétation et l’application de la convention de Vienne sur le droit des traités. Il ne confère de
compétence qu’à l’égard des différends relatifs à la validité d’un traité présenté comme contraire à
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une norme impérative du droit international général. Il n’existe en l’espèce aucun différend de la
sorte et l’article 66 de la convention de Vienne ne peut davantage constituer une base de
compétence dans la présente affaire que ne le peuvent les normes du jus cogens auxquelles le
Congo a fait tant de fois référence ce matin.
2) Les dispositions conventionnelles
18. J’aborderai maintenant, Monsieur le président, les dispositions conventionnelles sur
lesquelles s’appuie le Congo. Chacun des textes en question revêt un caractère spécialisé, et traite
d’un sujet de nature spécifique et, en général, précisément défini. Les clauses de ces traités qui se
rapportent au règlement des différends — pour autant qu’elles confèrent une quelconque
compétence — ne concernent que les différends directement en rapport avec la matière couverte
par les traités en question, et uniquement dans les limites ainsi définies. Aucun de ces traités n’a de
rapport avec les principaux éléments de l’affaire que le Congo tente de soumettre à la Cour — en
effet, ainsi que le Congo le reconnaît franchement dans sa demande en indication de mesures
conservatoires, après avoir énuméré les traités qu’il invoque :
«La République Démocratique du Congo considère que toutes ces atteintes
trouvent leur cause fondamentale dans la persistance et l’aggravation de la violation de
l’article 2, paragraphes 3 et 4 de la Charte de l’ONU et de l’article 3 de la Charte de
l’OUA; autrement dit du non-respect de sa souveraineté; de son intégrité territoriale et
de son indépendance.» (Demande, p. 7.)
Tel n’est pas, Monsieur le président, ce dont il s’agit dans ces traités, et il nous semble parfaitement
clair qu’aucun d’entre eux, quelle que soit l’analyse qui peut en être faite, ne donne à la Cour
compétence pour ordonner les mesures considérables que le Congo demande. Permettez-moi
d’examiner ces instruments l’un après l’autre.
a) La convention contre la torture
19. Point n’est besoin pour nous de nous attarder sur la convention contre la torture, étant
donné que le Rwanda n’est pas partie à cet instrument. Celui-ci ne saurait donc, de quelque
manière qu’on l’envisage, fonder la compétence de la Cour. Si Mme et MM. les Membres de la
Cour veulent bien consulter, ultérieurement, le tableau reproduit sous l’onglet 2 du dossier, ils
pourront constater à sa lecture que le Rwanda n’a jamais été partie à cette convention. Et je dois
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vous avouer, Monsieur le président, que j’ai été quelque peu surpris de constater que mes éminents
confrères, les conseils du Congo, ont tenu à invoquer ce traité dans le cadre de leur demande, étant
donné qu’ils ont fait l’effort de rechercher quels étaient les autres traités auxquels le Rwanda serait
partie et que nous leur avons fait observer, dans notre mémoire sur les exceptions préliminaires
concernant leur précédente requête, que le Rwanda n’avait jamais été partie à la convention contre
la torture.
b) La convention contre le génocide
20. Nous pouvons à présent en venir à la convention contre le génocide [onglet 3]. Il s’agit
ici d’un traité qui revêt force obligatoire pour le Rwanda, et dont l’article IX comporte une
disposition qui prévoit de soumettre à la Cour les différends concernant son application. Toutefois,
au moment d’adhérer à cette convention, en 1975, le Rwanda avait formulé la réserve suivante
[dont le texte est reproduit sous l’onglet 5] : «la République rwandaise ne se considère pas comme
liée par l’article IX de ladite convention».
21. Or, le Rwanda est loin d’avoir été le seul à formuler une réserve de ce type : l’Espagne a
énoncé une réserve en des termes identiques. Les Etats-Unis d’Amérique ont pour leur part émis
une réserve qui, si elle diffère dans son expression, est identique dans ses effets. La Cour a
examiné ces réserves formulées par l’Espagne et les Etats-Unis d’Amériques dans les affaires
relatives à la Licéité de l’emploi de la force. A la lumière de ces réserves, la Cour a estimé, à une
très large majorité, que l’article IX de la convention contre le génocide «ne constitue
manifestement pas une base de compétence dans la présente affaire, même prima facie» (Licéité de
l’emploi de la force (Yougoslavie c. Espagne), C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 772, par. 33). Elle a en
conséquence rayé les deux affaires du rôle de la Cour.
22. Nous estimons en conclusion, Monsieur le président, qu’il n’y a aucun moyen d’opérer
une distinction entre la réserve formulée par le Rwanda et les réserves formulées par l’Espagne et
les Etats-Unis. Et pourtant, mes éminents collègues ont suggéré ce matin un certain nombre de
raisons qui pourraient faire que la réserve formulée par le Rwanda soit sans effet et, ne serait-ce
que par politesse, je leur répondrai.
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1. Ils ont tout d’abord affirmé que la convention sur le génocide énonçait des normes impératives
de droit international. Eh bien, tel est en effet le cas. Le Rwanda ne l’a jamais nié, mais ce
sont les dispositions de fond interdisant le génocide qui ont le statut de normes impératives, et
non la clause juridictionnelle de l’article IX. Cette affirmation du Congo, tout comme celle
dont j’ai parlé il y a quelques instants, et qui concernait le jus cogens, néglige la distinction
fondamentale entre le droit positif appliqué par la Cour et sa compétence à l’appliquer aux faits
d’une espèce particulière.
2. Il en va de même du deuxième argument, selon lequel l’interdiction du génocide est une norme
qui crée des obligations erga omnes. Eh bien, là encore, tel est bien le cas, mais cela ne
modifie en rien la position de la Cour à l’égard de sa compétence telle qu’elle l’a exprimée
dans l’affaire relative au Timor oriental.
3. Mon éminent collègue a suggéré que la République démocratique du Congo objecterait à cette
réserve du Rwanda. Eh bien, j’ai passé ma pause du déjeuner à consulter le site Internet du
Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, qui comporte une liste, non
seulement de toutes les réserves à la convention sur le génocide, mais également de toutes les
déclarations formulées en réaction à de telles réserves. Le Congo, quel que soit son nom
¾ Congo, République démocratique du Congo ou Zaïre ¾, n’a jamais émis la moindre
observation à l’égard de la réserve du Rwanda au moment où celle-ci a été formulée, pas
davantage qu’il n’a répondu aux réserves formulées en des termes identiques par un
quelconque autre Etat. Et il est trop tard, Monsieur le président, pour que les représentants du
Congo viennent nous dire aujourd’hui, vingt-sept ans plus tard, qu’ils ont des objections à cette
réserve.
4. Quant à l’avis consultatif rendu par la Cour en l’affaire des Réserves à la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, il est ici dénué de pertinence. Cet avis
consultatif ne permet en aucune façon de conclure que le Rwanda ne pourrait aujourd’hui
s’appuyer sur la réserve qu’il avait formulée à l’égard de l’article IX de la même manière que
l’ont fait l’Espagne et les Etats-Unis dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force.
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5. Enfin, Monsieur le président, nous avons entendu ce matin un argument tout à fait
extraordinaire, selon lequel, au motif que le Rwanda a demandé au Conseil de sécurité
l’institution d’un tribunal pénal ad hoc chargé de poursuivre les personnes accusées de
génocide, il aurait de ce fait, d’une certaine manière, renoncé à sa réserve à la convention sur le
génocide, ou se trouverait empêché, par une forme d’estoppel, de l’invoquer. Avec tout le
respect dû, cela n’a aucun sens. La juridiction pénale d’un tribunal institué par le Conseil de
sécurité et tirant son autorité de l’exercice de l’un des pouvoirs conférés à ce dernier par le
chapitre VII de la Charte en vue de juger des personnes pour crimes de génocide n’a
strictement rien à faire avec le pouvoir qu’a la Cour d’exercer sa compétence dans des
différends interétatiques, compétence qui ne peut être tirée que de l’article IX, lequel, ainsi que
la Cour l’a elle-même indiqué, peut faire l’objet de réserves.
23. Je voudrais simplement, en passant, faire une autre observation concernant la convention
sur le génocide, à savoir que nous n’acceptons pas un instant la distinction que mes éminents
confrères ont ce matin tenté d’opérer entre la base factuelle de cette affaire et la base factuelle des
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force. Nous n’acceptons pas qu’il puisse y avoir une
distinction, et maintenons que ce que le Congo cherche à faire est exactement ce que la
Yougoslavie avait alors cherché à faire, c’est-à-dire utiliser la convention contre le génocide
comme un moyen d’inviter la Cour à faire appliquer toute la panoplie des instruments du droit de la
guerre et du droit de la Charte. C’est là quelque chose qui, de toute évidence, ne saurait être
autorisé.
c) La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
24. J’en viendrai à présent à la convention sur la discrimination raciale. La situation est ici
exactement la même qu’à l’égard de la convention contre le génocide. L’article 22 de la
convention sur la discrimination raciale prévoit que les différends soient soumis à la Cour;
toutefois, lorsque le Rwanda a adhéré à cette convention en 1975, il a assorti cette adhésion d’une
réserve excluant l’intégralité de l’article 22. Le texte de cette réserve figure lui aussi sous
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l’onglet 5. Le Congo a peut-être objecté ce matin à cette réserve du Rwanda, mais il ne l’a
certainement pas fait en 1975. Cette convention ne peut non plus fonder la compétence de la Cour
à l’égard d’un quelconque différend auquel le Rwanda serait partie.
d) L’acte constitutif de l’Unesco
25. Le Congo invoque ensuite l’acte constitutif de l’Unesco [onglet 6] ¾ et je lui suis à cet
égard reconnaissant, dans la mesure où il m’a permis de relire un traité sur lequel je ne m’étais plus
penché depuis quelque temps. L’un et l’autre Etat sont en effet parties à cet instrument, dont le
paragraphe 2 de l’article XIV, sous le titre «Interprétation», énonce la disposition suivante :
«Toutes questions et tous différents relatifs à l’interprétation de la présente
convention seront soumis pour décision à la Cour internationale de Justice ou à un
tribunal arbitral, selon ce que décidera la conférence générale conformément à son
règlement intérieur.»
26. La Cour aura relevé que cette disposition — contrairement aux clauses de règlement des
différends telles qu’elles figurent dans la plupart des traités aujourd’hui — ne concerne que les
différends relatifs à l’interprétation, et non à l’application, de cette convention. Le Congo n’a
nullement abordé devant la Cour, même de loin, la question d’un quelconque différend relatif à
l’interprétation de dispositions de la convention de l’Unesco.
27. En outre, l’article XIV de cette convention ne prévoit le renvoi d’un différend devant la
Cour que «selon ce que décidera la conférence générale conformément à son règlement intérieur».
Il y a donc lieu de se référer à ce règlement intérieur [onglet 7]. Son article 38, intitulé
«Interprétation de l’acte constitutif», dispose, à son paragraphe 3, que le comité juridique :
«peut décider à la majorité simple de recommander à la conférence générale de
demander un avis consultatif à la Cour internationale de Justice sur toute question
d’interprétation de l’acte constitutif».
Ce même article poursuit, à son paragraphe 4 :
«Lorsqu’il s’agit d’un différend où l’Organisation est partie, le comité juridique
peut, à la majorité simple, recommander de le soumettre pour décision définitive à un
tribunal arbitral pour la constitution duquel le Conseil exécutif prend toutes
dispositions nécessaires.»
28. Ainsi que le prévoit explicitement l’acte constitutif, le règlement énonce les modalités
selon lesquelles les questions et différends concernant l’interprétation de cet acte constitutif
peuvent être soumis à la décision de la Cour. Or, les procédures énoncées dans le règlement n’ont
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nullement été suivies en l’espèce. L’article XIV, paragraphe 2 de l’acte constitutif ne prévoit
aucune autre base de compétence pour la Cour et ne saurait, par conséquent, constituer en l’espèce
une base de compétence pour la Cour, même prima facie.
e) La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
29. Nous examinerons à présent la convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes [onglet 8]. La clause relative au règlement des différends est
ici l’article 29 paragraphe 1, qui a été cité par le représentant du Congo ce matin; je demanderai
toutefois à la Cour de bien vouloir faire preuve d’indulgence en me permettant de le citer une
nouvelle fois; sa formulation est en effet extrêmement importante, et mon éminent confrère a
peut-être été un peu trop rapide sur ce point. Le libellé de l’article 29 paragraphe 1 est le suivant :
«Tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties concernant l’interprétation
ou l’application de la présente convention qui n’est pas réglé par voie de négociation
est soumis à l’arbitrage, à la demande de l’un d’entre eux. Si, dans les six mois qui
suivent la date de la demande d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à se mettre
d’accord sur l’organisation de l’arbitrage, l’une quelconque d’entre elles peut
soumettre le différend à la Cour internationale de Justice, en déposant une requête
conformément au Statut de la Cour.»
30. Monsieur le président, cette disposition énonce très clairement un certain nombre de
conditions préalables auxquelles il doit être satisfait pour que la compétence de la Cour soit
effective, même prima facie :
1) il doit exister un différend concernant l’interprétation ou l’application de la convention;
2) il doit s’être révélé impossible de régler ce différend par voie de négociation,
3) il doit y avoir eu une demande d’arbitrage;
4) il doit s’être révélé impossible d’organiser un arbitrage dans un délai de six mois.
31. Or, ces conditions ne sont pas de simples formalités. L’article 29 paragraphe 1 ne fait
pas de la Cour l’instance première dans la résolution des différends qu’il envisage — cette instance
première est une instance d’arbitrage : encore l’arbitrage ne doit-il être demandé que lorsqu’un
différend n’a pu être réglé par voie de négociation. Le rôle de la Cour n’est pas ici celui d’un
tribunal de première instance, mais celui de garant dans l’éventualité où les dispositions relatives à
la négociation et à l’arbitrage n’auraient pas permis de parvenir à une solution, c’est-à-dire où les
parties au différend ne seraient pas à même de résoudre leurs divergences par la voie d’une
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négociation et ne sauraient s’accorder sur l’organisation d’un arbitrage. L’incapacité à régler le
différend par voie de négociation et l’incapacité à convenir de l’organisation d’un arbitrage
constituent des conditions préalables à l’existence même d’une compétence de la Cour. Il incombe
donc à tout Etat requérant souhaitant saisir la Cour au titre de l’article 29 de démontrer que les
conditions prévues par cette disposition sont bien réunies.
32. Monsieur le président, aucune de ces conditions n’a été respectée en l’espèce.
Concernant la première d’entre elles — à savoir qu’il faudrait qu’existe un différend entre le Congo
et le Rwanda concernant l’interprétation ou l’application de cette convention —, la Cour a indiqué
à maintes reprises que l’existence d’un différend constituait une question objective et ne dépendait
pas des seules affirmations du requérant. Dans un passage souvent cité, la Cour a ainsi dit :
«il ne suffit pas que l’une des parties à une affaire contentieuse affirme l’existence
d’un différend avec l’autre partie. La simple affirmation ne suffit pas pour prouver
l’existence d’un différend, tout comme le simple fait que l’existence d’un différend est
contestée ne prouve pas que ce différend n’existe pas. Il n’est pas suffisant non plus
de démontrer que les intérêts des deux parties à une telle affaire sont en conflit. Il faut
démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de
l’autre.» (Affaire du Sud-Ouest africain, exceptions préliminaires, arrêt du
21 décembre 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 328.)
33. Dans la présente affaire, il n’y a eu de la part du Congo aucune réclamation
antérieurement au dépôt de sa requête. Il n’y avait tout simplement rien à quoi le Rwanda aurait pu
concrètement s’opposer. A aucun moment le Congo n’a formulé une réclamation selon laquelle le
Rwanda aurait violé la convention, ou n’a suggéré l’existence d’un différend concernant
l’interprétation d’une quelconque disposition de cette convention. Le Rwanda ne sait tout
simplement pas quelles sont les dispositions de la convention que le Congo considère comme étant
ici en cause. De fait, Monsieur le président, nous nous permettons de douter que le Congo en ait
lui-même quelque idée, et si tel est le cas, il ne s’agit pas d’une idée qu’il a choisi de partager avec
la Cour puisque, mis à part une référence fort vague aux termes généraux de l’article 1 et une
référence étonnante, ce matin, au préambule à ce traité, qui semblait donner à entendre que
quasiment toutes les obligations connues du droit international entraient dans le champ
d’application de cet instrument, le Congo n’a évoqué aucune disposition de la convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
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34. Mais même s’il existe aujourd’hui un différend entre les deux pays concernant
l’interprétation ou l’application de l’une quelconque des dispositions de la convention, il est clair
que le Congo n’a pas satisfait aux exigences essentielles énoncées au paragraphe 1 de l’article 29.
Il n’y a eu aucune tentative de régler ce différend par voie de négociation. Bien au contraire, le
Congo n’a jamais ne serait-ce que soulevé auprès du Rwanda la question de cette convention.
35. Le Congo n’a pas davantage proposé ou tenté de négocier l’organisation d’un arbitrage,
ainsi que l’exigerait l’article 29 paragraphe 1. Or il va de soi, Monsieur le président, qu’un
arbitrage est une procédure formelle, entamée par le biais d’une demande. En la présente espèce, il
n’y a eu aucune demande, ni aucune autre tentative de prendre la moindre des mesures nécessaires
à l’organisation d’un arbitrage.
36. Dans sa requête, ainsi que par la voix de son conseil ce matin, le Congo cherche à écarter
ces conditions préalables comme de simples questions techniques avec lesquelles la Cour ne
devrait pas perdre son temps. Il suggère que l’absence de relations diplomatiques et consulaires
normales signifie que toute proposition de négociation ou d’arbitrage aurait été vaine
— reconnaissant ainsi, d’une certaine manière, qu’il n’y a pas eu de demande en ce sens. Monsieur
le président, les assertions du Congo sont absolument infondées. Il ne s’agit pas ici de simples
aspects techniques, mais d’aspects qui tiennent à la manière même dont toute une série de clauses
qui, dans les principales conventions multilatérales, régissent le règlement des différends ont été
rédigées ces dernières années, pour faire de la compétence de la Cour une sorte de garde-fou. En
second lieu, quant à la vanité qu’aurait revêtu toute tentative de demander un arbitrage ou de
rechercher un règlement négocié, tel n’est tout simplement pas le cas. S’il est vrai que les relations
diplomatiques normales ont été suspendues, des rencontres entre représentants des deux pays n’en
ont pas moins lieu de manière régulière et fréquente à tous les niveaux — officiel, ministériel, voire
à celui des chefs d’Etat — dans le cadre du processus de paix de Lusaka. Ainsi que l’a exposé
M. Gahima cet après-midi, il y a eu de nombreuses rencontres de cet ordre à la fois cette année et
l’année passée. Le Congo aurait eu tout le loisir, lors de l’une de ces réunions, d’aborder avec les
représentants rwandais un éventuel différend quant à l’interprétation ou à l’application de la
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convention, mais il ne l’a pas fait, pas davantage qu’il n’a proposé le moindre arbitrage au titre de
cette convention. Tel a été le choix du Congo, mais il ne saurait aujourd’hui se plaindre des
conséquences de ce choix.
37. La présente instance est donc selon nous tout à fait différente de l’affaire Lockerbie entre
la Libye et les Etats-Unis d’Amérique que la Cour a examinée il y a quelques années de cela
(Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de
l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique),
C.I.J. Recueil 1997). Dans cette affaire, la Cour a relevé que la Libye — dont les relations avec les
Etats-Unis d’Amérique étaient à l’époque des faits sensiblement plus ténues et plus rares que les
relations que le Congo entretient avec le Rwanda — avait écrit au Gouvernement des
Etats-Unis d’Amérique pour lui proposer un arbitrage, invoquant à l’appui les dispositions de la
convention de Montréal. Or, comme vous le verrez d’ici un instant, les dispositions de la
convention de Montréal sont en substance les mêmes que celles figurant à l’article 29 paragraphe 1
de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La
proposition d’arbitrage n’avait reçu aucune réponse et c’était sur cette base que la Cour avait rejeté
l’argument avancé par les Etats-Unis selon lequel les conditions de saisine de celle-ci n’auraient
pas été remplies dans cette affaire Lockerbie. Mais ces considérations n’ont tout simplement pas
lieu d’être en ce qui concerne les faits de la présente espèce.
f) La convention de Montréal
38. Permettez-moi d’en venir à présent à la convention de Montréal [onglet 9]. Cette
convention, bien sûr, n’a pas simplement été invoquée cette fois-ci, mais l’avait déjà été à
l’occasion de la requête déposée en 1999 par le Congo. L’article 14, paragraphe 1, de cette
convention, que je vais à présent vous lire, énonce les mêmes conditions préalables à l’existence
d’une compétence de la Cour que celles qui figurent dans la convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes. Et là encore, le Congo n’a fait aucune tentative
pour satisfaire à ces conditions, bien que, et soyons bien clairs à cet égard, il ait eu largement
l’occasion de le faire, et à maintes reprises.
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39. Dans sa précédente requête — et l’allégation qui y figurait est ici répétée —, le Congo
avait prétendu qu’un aéronef civil avait été abattu en octobre 1998. Le Rwanda avait développé
des arguments détaillés concernant cette allégation — qui est d’ailleurs la seule de toute l’histoire
de ces deux affaires à se rapporter à la convention de Montréal — dans son mémoire de 2000
exposant ses exceptions préliminaires. Le Rwanda avait à cette occasion fait observer que
l’allégation était exposée de façon insuffisamment détaillée; que la même allégation exactement
avait été formulée à l’encontre de l’Ouganda et du Burundi, dans des procédures distinctes, sans
qu’il soit nulle part indiqué comment trois Etats pouvaient être accusés d’un seul et même acte. Le
Rwanda a démontré que le Congo n’avait nullement tenté de définir la nature du différend, pas
davantage qu’il n’avait tenté de chercher une solution par voie de négociation ou d’arbitrage, et ce
en nette contravention avec les termes de l’article 14. Je ne prendrai pas de son temps à la Cour en
répétant ces arguments, mais j’invite Madame et Messieurs de la Cour à lire le mémoire que le
Rwanda a déposé dans le cadre de la précédente requête du Congo.
40. Monsieur le président, c’était il y a plus de deux ans. Le Congo réagit en demandant une
prorogation du délai dans lequel il devait répondre à un mémoire qui ne comportait que
vingt pages. Ayant obtenu cette prorogation du délai, et laissé passer neuf mois, il décida alors, en
janvier 2000, d’abandonner son action, sans produire aucun commentaire concernant la convention
de Montréal. Lorsque le Congo se présente tout simplement à nouveau devant la Cour aujourd’hui,
en 2002, tirant parti de la priorité accordée aux demandes en indication de mesures conservatoires,
pour se borner à répéter des allégations vieilles de quatre ans sans seulement essayer de tenir
compte d’arguments juridictionnels dont il a lui-même reconnu qu’ils ont été à l’origine de
l’abandon de sa précédente requête au mois de janvier de l’année dernière, eh bien — et je pèse
mes mots — il s’agit là d’un exemple caractérisé d’abus de procédure.
41. En tout état de cause, Monsieur le président, il ne saurait y avoir aucun doute quant au
fait que les arguments que tire aujourd’hui le Congo de la convention de Montréal souffrent
exactement des mêmes faiblesses qu’en 1999. Le Congo n’a jamais cherché à caractériser
correctement un différend, n’a jamais essayé de négocier, n’a jamais recherché un arbitrage. Nous
affirmons en conséquence que l’article 14 de la convention de Montréal ne saurait constituer une
base de compétence pour cette Cour.
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g) La Constitution de l'OMS
42. Il ne reste donc plus que l’article 75 de la Constitution de l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) [onglet 10]. Cet article, qui, pour autant que je me souvienne, n’a pas été cité ce
matin dispose que :
«Toute question ou différend concernant l’interprétation ou l’application de
cette Constitution, qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou par l’assemblée
de la santé, sera déféré par les parties à la Cour internationale de Justice
conformément au Statut de ladite Cour, à moins que les parties intéressées ne
conviennent d’un autre mode de règlement.»
43. Là encore, Monsieur le président, avant le dépôt de la requête, rien ne donnait à penser
qu’il existât entre les deux Etats un différend concernant l’interprétation ou l’application de la
Constitution de l’OMS. Le Congo n’a pas pris la peine de préciser quelles dispositions de cet acte
constitutif étaient selon lui en cause. De même, il n’a aucunement cherché à satisfaire à la
condition de procédure requise pour saisir la Cour ¾ une condition aussi importante ici que le sont
les conditions énoncées par la convention de Montréal ou la convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’article 75 de la Constitution de l’OMS
dispose que la Cour a compétence si ¾ et seulement si ¾ le différend en question n’a pas été réglé
par voie de négociation ou par l’assemblée de la santé. Il n’est pas loisible à un requérant de
déclarer qu’un différend n’a été réglé par aucun de ces moyens s’il n’a lui-même fait aucun effort
pour y recourir. L’article 75 exige clairement qu’avant de chercher à saisir la Cour, un Etat doit
d’abord tenter de résoudre le différend par voie de négociation ou par l’intermédiaire de
l’assemblée de la santé. Or, le Congo n’a rien fait en ce sens. L’article 75 ne saurait en
conséquence fonder la compétence de la Cour dans la présente affaire.
44. Monsieur le président, permettez-moi de dire quelques mots concernant la convention
des Nations unies sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées, qui a été mentionnée
ce matin. Mentionnée pour la première fois, dois-je préciser. Ainsi que je l’ai déjà dit, je ne sais
trop si cette convention est invoquée comme base de la compétence de la Cour, mais, quoi qu’il en
soit, j’aimerais faire deux remarques à ce sujet.
45. La première est qu’à ce stade de la procédure orale, comme la Cour l’a souligné dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force introduites par la Yougoslavie à l’encontre de
la Belgique et des Pays-Bas, il est trop tard pour qu’un Etat puisse faire valoir une base de
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compétence totalement nouvelle en vue de saisir la Cour d’une demande en indication de mesures
conservatoires. La Cour a certes estimé que, dans l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000
(République démocratique du Congo c. Belgique), en raison de la spécificité de cette dernière, ces
précédents n’étaient pas applicables, mais cela concernait alors des déclarations faites au titre de la
clause facultative du Statut de la Cour, lesquelles entraient dans une catégorie quelque peu
distincte, du fait, en particulier, que tous les intéressés devaient nécessairement en connaître
l’existence.
46. La seconde remarque est que le Congo, jusqu’à ce matin, n’avait jamais mentionné un
quelconque différend l’opposant au Rwanda au sujet de la convention des Nations Unies sur les
privilèges et immunités des institutions spécialisées. Et même ce matin, il n’a pas précisé en quoi
consistait ce différend ¾ ou prétendu différend ¾ entre les deux Etats. Cela suffit à ôter toute
pertinence à la convention qu’il invoque aujourd’hui. Il pourrait y avoir ¾ les documents du
Conseil de sécurité cités par M. Gahima sembleraient aller dans ce sens ¾ un différend entre les
Nations Unies et le RCD-Goma, cette faction rebelle congolaise, en raison des traitements infligés
au personnel de la MONUC. Mais ce différend ne concernerait aucune des deux parties présentes
devant vous aujourd’hui. Le Congo n’a pas qualité pour intenter une quelconque action concernant
les traitements infligés aux membres d’une mission des Nations Unies par une faction rebelle de sa
population. Et le Rwanda ne peut être tenu pour responsable dans ce genre de circonstances. Une
fois de plus, monsieur le président, nous affirmons que la convention n’offre aucune base pour
établir la compétence de la Cour. Il convient de noter que nul n’a même prétendu que les
violations évoquées ce matin seraient le fait du Rwanda, plutôt que du RCD-Goma.
V. Les dispositions attributives de compétence invoquées par le Congo sont dénuées
de pertinence à l’égard du remède recherché
47. Cela en soi suffirait pour classer l’affaire, Monsieur le président. Aucune des bases
invoquées ne permet d’établir, ne serait-ce que prima facie, la compétence de la Cour. Mais, par
souci d’exhaustivité, j’ajouterai que la demande du Congo pêche également par un autre aspect.
48. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que cette dernière ne peut indiquer de
mesures conservatoires qu’en vue de préserver les droits susceptibles de constituer l’objet d’une
décision de sa part sur le fond. Ainsi qu’elle l’a bien précisé dans la deuxième ordonnance rendue
- 26 -
en 1993 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), la Cour ne saurait, en réponse à une
demande en indication de mesures conservatoires, ordonner des mesures autres que celles qui sont
nécessaires pour protéger les droits susceptibles de constituer l’objet d’un arrêt rendu en
application du ou des traités dont elle considère qu’ils lui permettent de se déclarer compétente
prima facie (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie, Nouvelles demandes en indication de mesures conservatoires,
ordonnance du 13 septembre 1993, I.C.J. Reports 1993, p. 325, par. 35-36).
49. En l’espèce, les seuls traités en vigueur entre le Congo et le Rwanda et contenant une
disposition relative au règlement de différends au sujet de laquelle aucune réserve n’a été formulée
sont la convention de Montréal, la convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes et la Constitution de l’OMS. Quant à l’acte constitutif de
l’Unesco, je pense qu’il peut être écarté pour la raison bien précise qu’il ne couvre pas, en tout état
de cause, les différends de ce genre. Même si, au rebours de ce que j’ai fait remarquer, les
conditions requises pour établir la compétence, ou de l’un seulement, étaient remplies à l’égard de
ces trois traités, cette compétence n’en serait pas moins limitée à l’objet desdits traités. Or, les
mesures conservatoires réclamées par le Congo vont manifestement au-delà de cet objet. En
résumé, Monsieur le président, il ressort clairement du remède demandé par le Congo que cette
affaire ne porte précisément pas sur l’objet de ces trois traités.
50. Examinons-les brièvement un par un. La convention de Montréal vise à réprimer les
atteintes à la sécurité de l’aviation civile. La seule pertinence qu’elle pourrait avoir ici, le seul lien
qui lui soit attribué avec la présente affaire réside dans un incident survenu il y a quatre ans. Quelle
que soit la manière dont on les considère, les droits reconnus au Congo par la convention de
Montréal n’ont aucun rapport avec les remèdes demandés par cet Etat. En outre, le simple fait
d’invoquer cette convention revient à bafouer l’article 41 du Statut de la Cour, qui subordonne
l’exercice des pouvoirs qu’il confère à celle-ci notamment à la notion d’urgence. On peut
difficilement prétendre qu’il est urgent de protéger les droits du Congo énoncés dans la convention
de Montréal, lorsque cette convention est invoquée uniquement en relation avec un incident qui
remonterait à octobre 1988 et qui a déjà fait l’objet d’une action, par la suite abandonnée.
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51. Les remèdes demandés n’entrent pas davantage dans le champ d’application de la
convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Il suffit
de comparer les dispositions de fond de cette convention avec la teneur de la requête et de la
demande du Congo pour constater qu’elles traitent à l’évidence de questions totalement distinctes.
On ne saurait en particulier affirmer que les droits qui, selon le Congo, seraient au cœur de la
présente affaire ¾ respect de la souveraineté, intégrité territoriale, indépendance, droits
inaliénables sur les ressources naturelles ¾ sont des droits susceptibles de constituer l’objet d’une
décision rendue dans l’exercice d’une compétence établie en vertu de l’article 29 de la convention.
Un simple coup d’œil aux remèdes réclamés par le Congo dans sa demande nous révèle l’abîme qui
les sépare du champ d’application de la convention.
52. Enfin, Monsieur le président, l’absence de tout lien entre la Constitution de l’OMS et la
présente affaire est flagrante. Le Congo prétend recourir à cette convention au motif que, puisque
l’OMS s’occupe de la santé et que la guerre en cours a des conséquences sur la santé des
populations, l’affaire relèverait du champ d’application de sa constitution. Il suffit pourtant d’un
coup d’œil à l’avis consultatif rendu par cette Cour, à la demande de l’OMS, dans l’affaire relative
à la Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, pour constater
combien cette thèse est erronée. En effet, à cette occasion, la Cour avait établi une distinction
catégorique entre les conséquences de la guerre sur la santé et la licéité du recours à la guerre, en
affirmant que l’OMS s’occupait de la première de ces questions et non de la seconde (Licéité de
l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996, p. 78-81, par. 25-26).
53. Or, la demande du Congo repose principalement ¾ voire exclusivement ¾ sur
l’allégation selon laquelle le Rwanda aurait eu recours de façon illicite aux moyens de guerre. De
ce fait, l’affaire n’a rien à voir avec la Constitution de l’OMS, et les droits que le Congo demande à
la Cour de protéger ne sont pas des droits susceptibles de constituer l’objet d’une décision rendue
en application de l’article 75 de cette convention.
54. En conséquence, le Rwanda prie la Cour de rejeter la demande en indication de mesures
conservatoires du Congo.
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VI. L’affaire devrait être rayée du rôle de la Cour
55. Mais il y a, Monsieur le président, une autre question que je dois brièvement aborder
avant de conclure. Ainsi que son éminent agent l’a clairement indiqué lors de ses observations
liminaires, le Rwanda demande également à la Cour d’ordonner la radiation de la présente affaire
de son rôle. Nous reconnaissons qu’il s’agit là d’une mesure exceptionnelle. Toutefois, que la
Cour soit à même de la prendre au stade de la procédure relative à des mesures conservatoires, c’est
ce qu’ont démontré les ordonnances qu’elle a rendues dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force introduites il y a trois ans par la République fédérale de Yougoslavie contre
l’Espagne et les Etats-Unis. La Cour avait alors conclu que les éléments avancés par le requérant
ne pouvaient manifestement fonder sa compétence et ordonné que ces affaires fussent
immédiatement rayées du rôle.
56. La décision concernant une éventuelle radiation du rôle de la Cour constitue bien
évidemment une mesure totalement distincte de la décision concernant l’existence d’une base de
compétence prima facie aux fins d’ordonner des mesures conservatoires. Les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force en fournissent une nouvelle illustration. La Cour avait alors estimé,
à une large majorité, que, dans six de ces affaires, il n’existait pas de base de compétence, même
prima facie, mais n’avait ordonné de radiation du rôle que pour deux d’entre elles. Il n’en est pas
moins manifeste que la Cour est en mesure de rayer une affaire de son rôle lorsqu’il ressort
clairement d’une procédure engagée à la suite d’une demande en indication de mesures
conservatoires qu’il n’existe aucune base susceptible de fonder sa compétence.
57. Le Rwanda soutient que tel est précisément le cas ici. Aucune des huit bases de
compétence ¾ neuf si l’on inclut celle invoquée ce matin ¾ avancées par le Congo ¾ aucune
d’entre elles, Monsieur le président ¾ n’offre une quelconque perspective de voir la Cour exercer
sa compétence sur le fond. L’une de ces bases (le jus cogens) a été clairement rejetée par la
jurisprudence de la Cour; une autre (la convention sur la torture) consiste en un traité qui n’est pas
contraignant pour le Rwanda; deux autres (les conventions sur le génocide et sur la discrimination
raciale) ont fait l’objet de réserves identiques à celles émises par l’Espagne et les Etats-Unis dans
les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, et excluent par conséquent la compétence
de la Cour.
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58. Des autres bases invoquées, l’acte constitutif de l’Unesco ne fournit de toute manière
aucune base à une juridiction contentieuse de la Cour. Quant aux trois autres traités, les conditions
préalables essentielles à l’établissement d’une compétence n’ont manifestement pas été réunies.
59. Il y aurait donc là suffisamment de raisons de voir la Cour rayer dès à présent l’affaire de
son rôle; mais un autre facteur doit également être pris en compte. Ce n’est pas la première fois
que le Congo se présente devant la Cour contre le Rwanda pour les mêmes faits. Il a en effet déjà
engagé, puis interrompu, une action, et conteste actuellement le déroulement de la procédure avec
l’Ouganda. Eh bien, de ce contexte procédural, deux éléments émergent dont nous estimons qu’ils
ne sont pas sans incidence sur l’issue de notre proposition de rayer l’affaire du rôle de la Cour. Le
premier d’entre eux est que le Congo, ayant déjà eu la possibilité de voir trancher cette question de
la compétence dans le cadre de l’action qu’il avait précédemment engagée, a préféré retirer cette
requête et revient aujourd’hui devant la Cour avec une requête qui, finalement, ne constitue qu’une
réplique de la précédente. Nous affirmons qu’il s’agit là d’un abus de procédure et que la Cour
devrait à présent agir et rayer l’affaire de son rôle si elle est convaincue ¾ comme nous pensons
qu’elle l’est certainement ¾ qu’il n’existe à cet égard aucune base de compétence.
60. Le deuxième élément réside en ceci qu’un rapide examen de la requête du Congo contre
l’Ouganda et de sa demande en indication de mesures conservatoires montre très clairement que le
Congo formule plusieurs allégations identiques à l’encontre des deux défendeurs, sans même une
ombre d’explication quant aux bases sur lesquelles il s’appuie pour ce faire. Ces arguments sont-ils
présentés à titre subsidiaire ? De l’Ouganda ou du Rwanda, qui est accusé d’avoir abattu un
aéronef ? Ou bien le Congo allègue-t-il une forme de responsabilité solidaire ?
61. Monsieur le président, nous affirmons qu’un Etat doit résoudre ce type de questions
avant de se présenter devant la Cour, avant de se précipiter alors que la Cour est en train d’entendre
les Parties dans une autre affaire, pour lui dire : «Notre requête et notre demande doivent avoir la
priorité, vous devez nous entendre immédiatement !» Nous affirmons que si un Etat introduit une
instance sur des bases de compétence si manifestement insuffisantes, alors la Cour se doit de rayer
immédiatement cette affaire de son rôle, plutôt que de la voir à l’origine d’un embouteillage de
procédure pour plusieurs années à venir.
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62. Ainsi, Monsieur le président, nos conclusions sont-elles doubles : nous demandons,
d’une part, que la requête en indication de mesures conservatoires soit rejetée et, d’autre part, que
cette affaire soit immédiatement rayée du rôle de la Cour. Monsieur, je vous remercie de votre
attention.
The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Greenwood. This statement concludes
this afternoon’s hearing. The Parties have informed the Court of their desire, since the opportunity
was offered to them, to be heard again in oral reply. The Democratic Republic of the Congo will
therefore take the floor tomorrow at 9.30 a.m. and the Rwandese Republic at 12 noon. Each of the
Parties will have a maximum of one hour for its reply. The session is closed.
The Court rose at 4.15 p.m.
___________

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