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090-20030217-ORA-01-01-BI
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CR 2003/5 (traduction)
CR 2003/5 (translation)
lundi 17 février 2003 à 15 heures
Monday 17 February 2003 at 3 p.m.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.
La Cour se réunit aujourd’hui, en application des articles 43 et suivants de son Statut, pour
entendre les Parties en leurs plaidoiries sur le fond de l’affaire des Plates-formes pétrolières
(République islamique d’Iran c. Eats-Unis d’Amérique).
Avant de rappeler les principales étapes de la procédure en l’espèce, il échet de parachever la
composition de la Cour. A dater du 6 février 2003, MM. Hisashi Owada, Bruno Simma et Peter
Tomka sont devenus membres de la Cour. En même temps, le juge Abdul Koroma et moi-même
avons été réélus pour une nouvelle période de fonctions. Nous adressons nos félicitations aussi
bien à nos nouveaux collègues qu’à notre collègue qui a été réélu, et nous sommes heureux de
pouvoir bénéficier de leur participation à l’œuvre de la Cour.
L’article 20 du Statut de la Cour dispose que «[t]out membre de la Cour doit, avant d’entrer
en fonction, prendre l’engagement solennel d’exercer ses attributions en pleine impartialité et en
toute conscience». Ainsi qu’il est précisé au paragraphe 3 de l’article 4 du Règlement de la Cour,
cette disposition ne concerne pas les membres de la Cour poursuivant leurs fonctions après
réélection. Je vais à présent présenter brièvement chacun des nouveaux membres de la Cour, avant
de les inviter, suivant l’ordre de préséance tel que déterminé en vertu du paragraphe 3 de l’article 3
du Règlement de la Cour, à faire leur déclaration solennelle.
Le juge Hishashi Owada, de nationalité japonaise, est titulaire d’un Bachelor of Arts de
l’Université de Tokyo et d’un Bachelor of Laws de l’Université de Cambridge. Il est entré dans le
corps diplomatique japonais en 1955 et a poursuivi une brillante carrière au sein du ministère des
affaires étrangères, tant dans son pays qu’à l’étranger; il a également représenté le Japon dans de
nombreuses conférences internationales. Il a été ministre adjoint et ensuite jusqu’en 1993
vice-ministre des affaires étrangères du Japon. De 1994 à 1998, il a été représentant permanent de
son pays auprès de l’Organisation des Nations Unies et, à partir de 1999, il a exercé les fonctions
de conseiller spécial du ministre des affaires étrangères du Japon et de conseiller principal auprès
du président de la Banque mondiale. Le juge Owada a mené parallèlement à cette carrière
diplomatique une remarquable carrière universitaire, en publiant de nombreux ouvrage portant sur
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le domaine du droit international et en dispensant des cours dans des établissements universitaires
prestigieux, y compris, ces dernières années, la Waseda University Graduate School, l’Université
de New York et l’Académie de droit international de La Haye.
Le juge Bruno Simma, de nationalité allemande, a étudié le droit à l’Université d’Insbruck,
où il a obtenu son doctorat en droit en 1966. Il est devenu professeur de droit international et de
droit communautaire européen en 1973, à l’Université de Munich, où il a poursuivi une carrière
d’enseignant depuis cette date et où il était directeur de l’Institut de droit international; il a été
doyen de la faculté de droit de ladite université de 1995 à 1997. Le juge Simma a également
dispensé des cours dans d’autres établissements universitaires prestigieux, comme l’Académie de
droit international de La Haye et, récemment, la faculté de droit de l’Université du Michigan. Ses
publications dans le domaine du droit international sont nombreuses et bien connues; je
mentionnerai en particulier sa collaboration avec Alfred Verdross à la publication de Universelles
Völkerrecht, son activité en tant que responsable de l’édition du commentaire sur la Charte des
Nations Unies, et sa participation à la création de la revue européenne de droit international. Par
ailleurs, le juge Simma ne se trouve pas en terrain inconnu au Palais de la Paix, puisqu’il est apparu
devant la Cour en tant que conseil en de nombreuses affaires. Au moment de son élection, il était,
et cela depuis 1966, membre de la Commission du droit international des Nations Unies.
Le juge Peter Tomka, de nationalité slovaque, a obtenu sa maîtrise en droit, summa cum
laude, à l’Université Charles de Prague, où il a également obtenu un doctorat en droit international.
Il a accompli sa carrière professionnelle au service du ministère des affaires étrangères de la
Tchécoslovaquie et, par la suite, de la Slovaquie. A Prague, il a été chef de la division du droit
international, avant d’occuper à New York les fonctions de conseiller et de conseiller juridique à la
mission permanente de la Tchécoslovaquie auprès de l’Organisation des Nations Unies. A partir de
1993, il était devenu successivement représentant permanent adjoint et représentant permanent par
intérim de la Slovaquie auprès de l’Organisation des Nations Unies. De retour à Bratislava, il est
ensuite devenu directeur général du département du droit international et des affaires consulaires du
ministère des affaires étrangères, avant d’assumer, en 1999, les fonctions de représentant
permanent de la Slovaquie auprès de l’Organisation des Nations Unies. Le juge Tomka a
représenté la Tchécoslovaquie et la Slovaquie à de nombreuses conférences et au sein de
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nombreuses institutions internationales; il a été agent de la Slovaquie devant la Cour en l’affaire
relative au Projet Gabèikovo-Nagymaros. Il a été élu membre de la Commission du droit
international des Nations Unies en 1999. Il a par ailleurs enseigné à l’Université Charles de Prague
et à l’Université Comenius de Bratislava, et a publié de nombreux travaux dans le domaine du droit
international.
Je vais maintenant inviter chacun des juges à prendre l’engagement solennel prescrit par le
Statut et je demande à toutes les personnes présentes à l’audience de bien vouloir se lever.
Monsieur le juge Owada.
Le juge OWADA :
«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes
attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et
en toute conscience.»
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Monsieur le juge Simma.
Le juge SIMMA :
«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes
attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et
en toute conscience.»
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Monsieur le juge Tomka.
Le juge TOMKA :
«I solemnly declare that I will perform my duties and exercise my powers as
judge honourably, faithfully, impartially and conscientiously..»
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir. La Cour prend acte des
déclarations solennelles faites par les juges Owada, Simma et Tomka et je les déclare dûment
installés comme membres de la Cour.
Il convient de rappeler à cet égard que, la Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la
nationalité de la République islamique d’Iran, cette Partie a usé de la faculté qui lui est conférée par
le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut de désigner un juge ad hoc pour siéger en l’affaire, et
qu’elle a, à cet effet, désigné M. François Rigaux, professeur à l’Université de Louvain (Blegique)
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et membre de l’Institut de droit international. En vertu du paragraphe 6 de l’article 31 du Statut,
l’article 20 ne s’applique pas à lui, le professeur Rigaux ayant fait sa déclaration solennelle le
16 septembre 1996, à l’ouverture de la procédure orale sur l’exception préliminaire des Etats-Unis,
et ayant alors été installé en tant que juge ad hoc en l’affaire; conformément au paragraphe 3 de
l’article 8, in fine, du Règlement de la Cour, il n’est pas tenu de faire une nouvelle déclaration pour
la phase actuelle de l’instance.
*
Le 2 novembre 1992, la République islamique d’Iran a déposé au Greffe de la Cour une
requête introduisant une instance contre les Etats-Unis d’Amérique au sujet d’un différend «a[yant]
pour origine l’attaque et la destruction de trois installations de production pétrolière offshore,
propriété de la compagnie nationale iranienne des pétroles et exploitées par elle à des fins
commerciales, par plusieurs navires de guerre de la marine des Etats-Unis, les 19 octobre 1987 et
18 avril 1988, respectivement». Dans sa requête, l’Iran soutenait que ces actes constituaient une
«violation fondamentale» de diverses dispositions du traité d’amitié, de commerce et de droits
consulaires entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Iran, signé à Téhéran le 15 août 1955 et entré en
vigueur le 16 juin 1957, ainsi que du droit international. La requête invoquait comme base de
compétence de la Cour le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955.
*
Par une ordonnance du 4 décembre 1992, le président de la Cour a fixé au 31 mai 1993 la
date d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire de l’Iran et au 30 novembre 1993 la date
d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire des Etats-Unis. Par une ordonnance du
3 juin 1993, le président de la Cour, à la demande de l’Iran, a reporté au 8 juin 1993 la date
d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire; la date d’expiration du délai pour le dépôt du
contre-mémoire a été reportée, par la même ordonnance, au 16 décembre 1993.
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L’Iran a dûment déposé son mémoire dans le délai ainsi prorogé.
*
Dans le délai, tel que prorogé, prescrit aux fins du dépôt de leur contre-mémoire, les
Etats-Unis ont soulevé une exception préliminaire à la compétence de la Cour, conformément au
paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour du 14 avril 1978. En conséquence, par une
ordonnance du 18 janvier 1994, le président de la Cour, constatant qu’en vertu des dispositions du
paragraphe 3 de l’article 79 du Règlement de la Cour la procédure sur le fond était suspendue, a
fixé au 1er juillet 1994 la date d’expiration du délai dans lequel l’Iran pourrait présenter un exposé
écrit contenant ses observations et conclusions sur l’exception préliminaire soulevée par les
Etats-Unis.
L’Iran a déposé un tel exposé dans le délai ainsi fixé, et l’affaire s’est trouvée en état pour ce
qui est de l’exception préliminaire.
Au cours d’audiences publiques tenues entre le 16 et le 24 septembre 1996, les Parties ont
été entendues sur les questions de compétence de la Cour. Par arrêt du 12 décembre 1996, la Cour
a rejeté l’exception préliminaire des Etats-Unis d’Amérique et a dit qu’elle avait compétence, sur la
base du paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955, pour connaître des demandes formulées
par l’Iran au titre du paragraphe 1 de l’article X dudit traité.
*
Par une ordonnance du 16 décembre 1996, le président de la Cour a fixé au 23 juin 1997 une
nouvelle date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire des Etats-Unis. Dans le délai
ainsi fixé, les Etats-Unis d’Amérique ont déposé leur contre-mémoire; celui-ci incluait une
demande reconventionnelle portant sur «les actions menées par l’Iran dans le Golfe en 1987 et
1988, qui comportaient des opérations de mouillage de mines et d’autres attaques contre des
navires battant pavillon des Etats-Unis ou appartenant à ceux-ci».
Par lettre du 2 octobre 1997, l’Iran a indiqué à la Cour qu’il considérait que «la demande
reconventionnelle telle que formulée par les Etats-Unis ne satisfai[sai]t pas aux exigences du
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paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement de la Cour» et qu’il souhaitait «soumettre un bref exposé
de ses objections à l’égard de la demande reconventionnelle». Lors d’une réunion que le
vice-président de la Cour, faisant fonction de président en l’affaire, a tenue avec les agents des
Parties le 17 octobre 1997, les deux agents ont accepté que leurs gouvernements respectifs
déposent des observations écrites sur la question de la recevabilité de la demande reconventionnelle
des Etats-Unis. Le 18 novembre 1997, l’Iran a fait tenir à la Cour un document intitulé «Demande
tendant à ce que les Parties soient entendues au sujet de la demande reconventionnelle des
Etats-Unis en application du paragraphe 3 de l’article 80 du Règlement de la Cour», document qui
contenait les observations de l’Iran sur la recevabilité de la demande reconventionnelle; par lettre
du 18 novembre 1997, le greffier a transmis copie de ce document au Gouvernement des
Etats-Unis. Par lettre du 18 décembre 1997, les Etats-Unis ont fait tenir à la Cour leurs
observations sur la recevabilité de la demande reconventionnelle formulée dans leur contremémoire,
compte tenu des observations présentées par l’Iran; par lettre du 18 décembre 1997, le
greffier a transmis copie de ces observations du Gouvernement des Etats-Unis au Gouvernement
iranien. Saisie d’observations écrites détaillées de chacune des Parties, la Cour a considéré qu’elle
était suffisamment informée de leurs positions respectives quant à la recevabilité de la demande
reconventionnelle.
Dans une ordonnance du 10 mars 1998, la Cour a jugé que la demande reconventionnelle
présentée par les Etats-Unis dans leur contre-mémoire était recevable comme telle et faisait partie
de l’instance en cours. Elle a également prescrit la présentation d’une réplique par l’Iran et d’une
duplique par les Etats-Unis, portant sur les demandes soumises par les deux Parties, et a fixé au
10 septembre 1998 et au 23 novembre 1999, respectivement, les dates d’expiration des délais pour
le dépôt de ces pièces de procédure. La Cour a enfin dit qu’il y avait lieu
«en outre, aux fins d’assurer une stricte égalité entre les Parties, de réserver le droit,
pour l’Iran, de s’exprimer une seconde fois sur la demande reconventionnelle des
Etats-Unis, dans une pièce additionnelle dont la présentation pourrait faire l’objet
d’une ordonnance ultérieure».
*
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Par une ordonnance du 26 mai 1998, à la demande de l’Iran, le vice-président de la Cour,
faisant fonction de président de la Cour en l’affaire, a reporté respectivement au 10 décembre 1998
et au 23 mai 2000, les dates d’expiration des délais pour le dépôt de la réplique de l’Iran et de la
duplique des Etats-Unis. Par ordonnance du 8 décembre 1998, à la demande de l’Iran, la Cour a
ultérieurement reporté les dates d’expiration des délais pour le dépôt de la réplique et de la
duplique au 23 novembre 2000 et au 10 mars 1999 respectivement.
L’Iran a dûment déposé sa «réplique et réponse à la demande reconventionnelle», et les
Etats-Unis leur duplique dans les délais ainsi prorogés.
Par une lettre du 30 juillet 2001 et reçue au Greffe le 7 août 2001, l’agent de l’Iran, se
référant à l’ordonnance susmentionnée du 10 mars 1998, a fait connaître à la Cour que son
gouvernement souhaitait s’exprimer une seconde fois par écrit sur la demande reconventionnelle
des Etats-Unis. Par une ordonnance du 28 août 2001, le vice-président de la Cour, compte tenu de
l’accord des Parties, a autorisé la présentation par l’Iran d’une pièce additionnelle portant
exclusivement sur la demande reconventionnelle soumise par les Etats-Unis et a fixé au
24 septembre 2001 la date d’expiration du délai pour le dépôt de cette pièce.
Cette pièce additionnelle a été déposée par l’Iran dans le délai ainsi prescrit et l’affaire s’est
trouvée en état pour l’examen au fond.
*
Lors d’une réunion tenue le 6 novembre 2002 par le président de la Cour avec les agents des
Parties, l’agent de l’Iran, sous réserve de confirmation, et l’agent des Etats-Unis ont exprimé leur
accord pour que la procédure orale sur le fond s’ouvre le 17 ou le 18 février 2003; l’agent de l’Iran
a par la suite confirmé l’accord de son gouvernement. Lors de cette réunion, les agents des Parties
ont en outre présenté leurs vues sur l’organisation de la procédure orale sur le fond. En application
des articles 54 et 58 du Règlement, la Cour a fixé au 17 février 2003 la date d’ouverture de la
procédure orale et a adopté le calendrier de celle-ci. Par lettres du 19 novembre 2002, le greffier a
porté cette décision à la connaissance des Parties.
*
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Au cours de la réunion susmentionnée du 6 novembre 2002, les agents des Parties ont fait
part au président de la Cour de leur décision de ne pas présenter de témoins lors de la procédure
orale. L’agent des Etats-Unis a néanmoins exprimé le vœu de son gouvernement de produire,
conformément aux dispositions de l’article 56 du Règlement, un document nouveau contenant une
analyse et des explications supplémentaires d’expert au sujet d’éléments de preuve déjà versés au
dossier de l’affaire. Le 20 novembre 2002, les Etats-Unis ont déposé un rapport d’expert daté du
18 novembre 2002, ainsi qu’une copie d’une note diplomatique, datée du 20 novembre 2002,
adressée au département d’Etat des Etats-Unis par l’ambassade du Royaume de Norvège à
Washington. Dans une lettre datée du 20 janvier 2003 et reçue au Greffe le 22 janvier 2003,
l’agent de l’Iran a fait savoir à la Cour que son gouvernement n’avait pas d’objection à la
production des documents susvisés par les Etats-Unis et a prié la Cour que, conformément au
paragraphe 3 de l’article 56 du Règlement de la Cour, les observations de l’expert de l’Iran sur le
rapport d’expert des Etats-Unis «soient versées au dossier de l’affaire».
Le 22 janvier 2003, la Cour a décidé d’autoriser la production desdits documents par les
Etats-Unis et la présentation des observations de l’Iran y relatives; le greffier a porté cette décision
à la connaissance des Parties par lettres datées du même jour.
*
Je voudrais ajouter que, après s’être renseignée auprès des Parties, la Cour a décidé,
conformément au paragraphe 2 de l’article 53 du Règlement de la Cour, que des exemplaires des
pièces de procédure et des documents annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture
de la procédure orale sur le fond. En outre, conformément à l’usage de la Cour, ces pièces de
procédure, sans leurs annexes, seront placées à dater de ce jour sur le site Internet de la Cour.
Je note la présence à l’audience des agents, conseils et avocats des deux Parties.
Conformément aux dispositions prises par la Cour en ce qui concerne l’organisation de la
procédure, la procédure orale comprendra un premier et un second tour de plaidoirie. Chaque
Partie disposera d’un total de cinq séances de trois heures chacune pour le premier tour de
plaidoirie et d’un total de deux séances de trois heures chacune pour le second tour.
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L’Iran sera entendu en son premier tour de plaidoirie portant sur ses demandes cet
après-midi, le mardi 18 février à 10 heures et le mercredi 19 février à 10 heures et à 15 heures. Les
Etats-Unis seront entendus en leur premier tour de plaidoirie portant à la fois sur les demandes de
l’Iran et sur leur propre demande reconventionnelle le vendredi 21 février à 10 heures, le lundi
24 février à 15 heures, le mardi 25 février à 10 heures et le mercredi 26 février à 10 heures et à
15 heures. L’Iran conclura alors son premier tour de plaidoirie sur la demande reconventionnelle
des Etats-Unis le vendredi 28 février à 10 heures.
L’Iran sera ensuite entendu en sa réplique orale le lundi 3 mars à 10 heures et disposera à
partir de 15 heures d’un temps de parole d’une heure et demi. Pour leur part, les Etats-Unis seront
entendus en leur réplique orale portant à la fois sur les demandes de l’Iran et sur leur propre
demande reconventionnelle le mercredi 5 mars à 10 heures et à 15 heures. L’Iran conclura son
second tour de plaidoirie sur la demande reconventionnelle des Etats-Unis le vendredi 7 mars à
10 heures, en disposant d’un temps de parole d’une heure et demi.
Je donne maintenant la parole à M. M. H. Zahedin-Labbaf, l’agent de la République
islamique d’Iran.
*
* *
M. ZAHEDIN-LABBAF : au nom de Dieu clément et miséricordieux.
1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur et un
privilège que de me présenter de nouveau devant vous aujourd’hui, dans une affaire aussi
importante, en qualité d’agent de la République islamique d’Iran. Je suis particulièrement heureux
de représenter maintenant mon pays dans la phase de l’examen au fond. Je suis également heureux
que les Etats-Unis continuent de participer à cette procédure judiciaire et qu’ils soient représentés
ici aujourd’hui.
2. Permettez-moi de saisir cette occasion pour féliciter, au nom de la délégation iranienne,
Messieurs le président et le vice-président de leur élection, et pour vous rendre hommage en même
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temps, Monsieur le juge Guillaume, pour le rôle que vous avez joué à la tête de la Cour au cours
des trois dernières années. Permettez-moi également de féliciter les nouveaux membres de la Cour,
Messieurs les juges Owada, Simma et Tomka.
3. Ainsi que je l’ai expliqué lors des audiences de 1996 sur l’exception préliminaire des
Etats-Unis, cette affaire porte sur des violations par les Etats-Unis du traité d’amitié qu’ils ont
conclu en 1955 avec l’Iran. Ces violations ont eu lieu en octobre 1987 et en avril 1988, lorsque la
marine américaine a attaqué et détruit trois groupes d’installations pétrolières commerciales de
l’Iran. Comme vous pouvez le voir sur la carte projetée devant vous (qui se trouve sous l’onglet 1
du dossier d’audience), ces installations étaient situées sur le plateau continental iranien, dans le
golfe Persique. Elles appartenaient à la compagnie nationale iranienne des pétroles qui les
exploitait.
4. Les Etats-Unis ont demandé que la requête de l’Iran soit rejetée au motif que la Cour
n’était pas compétente pour connaître de l’affaire. Néanmoins, dans un arrêt rendu le
12 décembre 1996, la Cour a rejeté l’exception préliminaire des Etats-Unis et s’est déclarée
compétente pour connaître des demandes formulées par l’Iran au titre du paragraphe 1 de
l’article X du traité d’amitié. L’Iran avait initialement invoqué d’autres dispositions de ce traité en
sus du paragraphe 1 de l’article X, mais respecte la décision de la Cour et s’y conformera dans la
présente procédure orale.
5. Le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié (dont le texte figure sous l’onglet 2 du
dossier d’audience) prévoit qu’«il y aura liberté de commerce et de navigation entre les territoires
des deux Hautes Parties contractantes». A cet égard, la Cour, dans son arrêt sur l’exception
préliminaire, a estimé que la destruction des installations pétrolières par les Etats-Unis était
susceptible d’avoir des conséquences sur l’exportation du pétrole iranien et de porter par suite
atteinte à la liberté de commerce telle qu’elle est garantie par le paragraphe 1 de l’article X du traité
d’amitié1
.
6. L’Iran montrera au cours de la présente procédure orale que les actions militaires menées
par les Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières iraniennes ont bien eu de telles conséquences

1 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 820, par. 51.
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et constituent donc violation par les Etats-Unis de l’obligation découlant du paragraphe 1 de
l’article X. L’Iran montrera également que ces violations ont causé un préjudice important à l’Iran
et que celui-ci est par conséquent en droit d’obtenir réparation à la fois sous forme de jugement et
sous forme financière, le montant de cette réparation-là étant à déterminer à un stade ultérieur de la
procédure.
7. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, avant de donner la parole aux
conseils de l’Iran, qui développeront plus en détail les questions de fait et de droit qui se posent en
l’espèce, j’aimerais dire quelques mots sur le contexte dans lequel ont eu lieu les attaques
américaines contre les plates-formes pétrolières iraniennes.
8. A l’époque de ces attaques, en 1987 et en 1988, l’Iran était plongé depuis plus de sept ans
dans un long conflit sanglant, la guerre entre l’Iran et l’Iraq. Cette guerre s’expliquait par une
agression perpétrée par l’Iraq contre l’Iran sans provocation préalable : l’Iraq a envahi et occupé un
territoire iranien. Dans un rapport2
au Conseil de sécurité, dont le texte figure sous l’onglet 3 du
dossier d’audience, le Secrétaire général des Nations Unies a reconnu que l’Iran avait été victime
d’une agression iraquienne. Ce fait a aussi été reconnu récemment ¾ bien que tardivement ¾ par
de hauts responsables américains, notamment par le président actuel des Etats-Unis3
.
9. A l’époque des attaques des Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières iraniennes, il y
avait déjà plus de six ans que s’était engagée dans le golfe Persique ce qu’on appelait «la guerre des
pétroliers». Là encore, si le conflit s’était étendu aux eaux du golfe Persique c’était à cause de
l’Iraq qui, en 1981, avait commencé à attaquer des navires, aussi bien des navires iraniens que des
navires neutres.
10. Chose curieuse, les Etats-Unis, dans leurs pièces écrites, évoquent à peine le fait qu’une
violente guerre faisait rage au moment où ils ont détruit les plates-formes pétrolières. L’Iraq n’est
presque jamais mentionné, et les Etats-Unis cherchent à donner au lecteur l’impression que l’Iran,
pour quelque raison connue de lui seul, était en train de créer délibérément et gratuitement une
situation dangereuse pour la navigation des navires neutres dans le golfe Persique.

2 Mémoire, annexe 42 (rapport complémentaire du Secrétaire général sur l’application de la résolution 598 (1987)
du Conseil de sécurité, 9 décembre 1991, Nations Unies, doc. S/23273).
3
Discours du président George W. Bush à l’Assemblée générale des Nations Unies, 12 septembre 2002
(Nations Unies, doc. A/57/PV.2).
- 13 -
11. Monsieur le président, la réalité est évidemment bien différente. L’Iran avait été malgré
lui contraint de faire la guerre, et, de même, s’était trouvé contraint de subir l’extension du conflit
au golfe Persique sans être nullement responsable de cette situation. Disons pour
simplifier ¾ M. Momtaz vous le démontrera plus en détail tout à l’heure ¾ que dans cette guerre,
l’Iran luttait pour survivre contre un ennemi qui, dans la conduite des hostilités, n’hésitait pas à
violer des règles fondamentales du droit international. Je regrette que la communauté
internationale n’ait pas condamné ni tenté de faire cesser les attaques répétées à l’arme chimique
commises par l’Iraq contre mon pays avec la vigueur dont elle fait preuve aujourd’hui pour
enquêter sur la simple menace éventuelle de l’utilisation à l’avenir d’armes chimiques par l’Iraq.
Lorsque l’Iran a eu besoin de la protection du droit international, peu de voix se sont élevées en sa
faveur. L’Iran est cependant convaincu que le droit international protège les Etats qui font l’objet
d’une agression armée, indépendamment des idées erronées qu’une grande puissance adopte à cer
égard. En vertu du droit international, l’Iran était fondé à se défendre contre les attaques, et était
parfaitement fondé à vouloir empêcher le transit par le golfe Persique des cargaisons de
contrebande destinées à soutenir l’effort de guerre de l’Iraq. L’Iran était également contraint de
consentir des efforts considérables pour protéger son économie, à la fois en assurant la défense de
ses installations pétrolières et en veillant à ce que les bateaux à destination des ports iraniens
puissent continuer de naviguer en toute sécurité dans le golfe Persique.
12. La Cour sait bien que l’industrie pétrolière était et continue d’être de loin le secteur le
plus important de l’économie iranienne, et il va de soi que cette industrie était vitale pour l’Iran
pendant la guerre contre l’Iraq. Pourtant, les Etats-Unis cherchent à donner un sens sinistre au fait
qu’un petit nombre de militaires fût basé sur les plates-formes pétrolières que leur flotte a détruites.
Or, quoi de plus normal que l’Iran, en temps de guerre, défende contre les attaques de l’ennemi
¾ l’Iraq ¾ et ses avions de guerre une infrastructure commerciale utile au secteur le plus essentiel
de son économie ? De fait, les plates-formes détruites par les Etats-Unis avaient déjà été attaquées
auparavant par l’Iraq, et il aurait été fort étonnant que l’Iran ne cherche pas à les défendre en y
consacrant les moyens limités dont il disposait.
13. Monsieur le président, ce n’est pas l’attitude de l’Iran qui était anormale, mais bien celle
des Etats-Unis qui affirmaient à l’époque et affirment encore aujourd’hui devant la Cour qu’ils
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étaient neutres dans ce conflit. Si tel était le cas, à un moment où l’Iran luttait pour sa propre
survie, on pouvait au moins attendre de la part d’un Etat neutre que celui-ci adopte un
comportement neutre, qu’il se montre impartial à l’égard de chacun des belligérants, et qu’il ne
soutienne pas l’un aux dépens de l’autre. Ainsi qu’elle l’a fait observer dans son arrêt du
12 décembre 1996, «[l]a Cour ne saurait perdre de vue que l’article premier [du traité d’amitié]
affirme en des termes généraux qu’il y aura paix stable et durable et amitié sincère entre les
parties». La Cour a également ajouté ceci :
«L’esprit qui anime cet article et l’intention qu’il exprime inspirent l’ensemble
du traité [d’amitié] et lui donnent sa signification; ils doivent, en cas de doute, inciter
la Cour à adopter l’interprétation qui semble la plus conforme à l’objectif général
d’établir des relations amicales dans tous les domaines d’activité couverts par le
traité.»4
14. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, de quelle manière les Etats-Unis
ont-ils respecté leur obligation générale de neutralité et se sont-ils conformés à l’objectif qui était
d’établir des relations amicales avec l’Iran comme le prescrivait le traité ? Aussi ironique que cela
puisse paraître pour qui observe l’actualité, les Etats-Unis ont soutenu activement l’Iraq, l’Etat
agresseur. Et cela malgré l’engagement qu’ils avaient pris dans les déclarations d’Alger de 1981
«de ne pas intervenir, que ce soit directement ou indirectement, politiquement ou militairement,
dans les affaires intérieures de l’Iran»5
et en violation des dispositions du paragraphe 1 de
l’article X du traité d’amitié qui, comme la Cour l’a fait observer, doit être lu et interprété à la
lumière de l’article premier dudit traité et dans l’esprit qui l’anime.
15. Vous avez certainement lu les articles de presse qui ont été publiés sur le sujet à la fin de
l’année dernière, et qui confirment les précédentes versions des faits que l’Iran a déjà évoquées
dans ses pièces écrites. M. Bundy vous dira plus en détail comment les Etats-Unis ont apporté un
soutien constant à l’Iraq pendant toute la durée de la guerre Iran/Iraq et vous dira quelles actions
hostiles les Etats-Unis ont menées contre l’Iran. Pour ma part, je me contenterai pour le moment
de souligner que ces articles de presse récents, dont on dit qu’ils seraient fondés sur l’examen de
«milliers de documents auxquels le Gouvernement des Etats-Unis a retiré leur caractère secret et

4
Arrêt du 12 décembre 1996, C.I.J. Recueil 1966 (II), p. 820 par. 52.
5
International Legal Materials, vol. XX, n°1, p. 224.
- 15 -
d’entretiens avec d’anciens responsables politiques»6
, confirment ce que l’Iran n’a cessé de répéter
pendant toute la procédure ¾ à savoir que les Etats-Unis ont toujours fourni renseignements et
soutien logistique à l’agression iraquienne contre l’Iran, et qu’ils «tenaient à ce que l’Iraq ne perde
pas la guerre».
16. En résumé, d’un côté, les Etats-Unis apportaient non seulement une aide active à l’Iraq
grâce aux renseignements qu’ils lui communiquaient et à leur soutien logistique ¾ qui consistait
notamment à lui fournir de «nombreux articles qui avaient des applications à la fois militaires et
civiles, en particulier des produits chimiques toxiques et des virus mortels»7 ¾ mais également à
fournir une assistance indirecte, c’est-à-dire à réimmatriculer et réescorter des pétroliers koweïtiens
transportant des cargaisons dont la vente servait à financer l’effort de guerre iraquien. M. Bundy
vous donnera plus de détails sur l’assistance financière considérable fournie directement et
indirectement par les Etats-Unis à l’Iraq.
17. Et d’un autre côté, les Etats-Unis imposent un embargo à l’Iran et détruisent
notamment ¾ lors des deux incidents qui font l’objet de la présente affaire ¾ des installations
commerciales de production de pétrole qui constituaient une pièce essentielle de l’économie
iranienne. J’ajouterai, même si ce n’est pas l’objet de la demande dont a été saisie la Cour, que les
Etats-Unis se sont vantés d’avoir détruit la moitié de la marine iranienne lors de l’attaque dirigée
contre les plates-formes de Salman et de Nasr en avril 1988. Cette attaque eut lieu ¾ et ce n’est
pas une coïncidence ¾ précisément au moment où l’Iraq lançait sa contre-offensive pour reprendre
à l’Iran la péninsule de Fao.
18. Contrairement à d’autres Etats qui, même s’ils assuraient être neutres, prêtaient en fait
assistance à l’effort de guerre iraquien pendant la guerre, les Etats-Unis n’ont jamais cherché à
présenter des excuses à l’Iran pour ne pas être restés neutres dans ce conflit. Le Koweït a présenté
des excuses publiques8
et un ministre des affaires étrangères britannique a déclaré que «les

6
Voir, par exemple, le International Herald Tribune, 31 décembre 2002-1
er janvier 2003.
7
Ibid.
8 Réplique, annexe 13 (divers articles de presse datant de 1990, 1992 et 1994).
- 16 -
Etats-Unis et la Grande-Bretagne avaient beaucoup à se faire pardonner pour avoir soutenu
l’Iraq»9
, mais l’Iran, en revanche, n’a reçu aucune excuse de la part des Etats-Unis eux-mêmes.
19. La seule explication que l’Iran puisse trouver au comportement des Etats-Unis, pendant
toute la guerre Iran/Iraq et à cette absence totale d’excuses ensuite, est que les Etats-Unis sont
foncièrement et instinctivement hostiles à l’Iran. Cette hostilité foncière n’a rien perdu de sa
virulence depuis l’époque de la révolution islamique, même si les tensions entre les deux pays ont
officiellement disparu avec les déclarations d’Alger. Les Etats-Unis n’avaient aucune raison
d’ordre logique ou juridique de soutenir l’Iraq contre l’Iran : l’Iraq était l’Etat agresseur qui avait
déclenché une invasion du territoire iranien en l’absence de toute provocation; c’était l’Iraq qui
utilisait des armes chimiques et lançait des missiles contre des civils iraniens; ce fut l’Iraq enfin qui
étendit le conflit au golfe Persique en attaquant aussi bien des navires iraniens que des navires
neutres. A l’inverse, l’Iran était la victime; l’Iran utilisait uniquement des armes conventionnelles
pour se défendre et respectait le droit de la guerre; c’était l’Iran enfin qui avait intérêt à maintenir le
golfe Persique ouvert à la marine marchande.
20. En ce qui concerne l’objet de la demande formulée par l’Iran en la présente espèce, les
Etats-Unis ne peuvent nier ¾ et, de fait, ils n’ont pas essayé de nier ¾ qu’ils soient responsables
de la destruction des plates-formes pétrolières. Au lieu de nier, ils ont avancé une série
d’arguments pour tenter de justifier leurs actes. Leur principal argument consiste à affirmer qu’ils
ont agi en état de légitime défense. A l’époque, ils ont expressément fait valoir que leur attaque
contre le complexe de Reshadat relevait de la légitime défense et faisait suite à une attaque au
missile dirigée contre le pétrolier koweïtien Sea Isle City réimmatriculé sous pavillon des
Etats-Unis, dans un port koweïtien; et leurs attaques contre les complexes de Salman et Nasr étaient
une réaction de légitime défense à la suite d’un incident au cours duquel le navire de guerre
américain Samuel B. Roberts avait heurté une mine dans la partie centrale du golfe Persique. Les
Etats-Unis font maintenant preuve de beaucoup moins de précision et prétendent, semble-t-il, avoir
pris ces mesures pour exercer une légitime défense à la suite d’un certain nombre d’autres
événements intervenus pendant la guerre Iran-Iraq ¾ tout comme ils fondent leur demande

9 Reuter News, 24 mars 2000.
- 17 -
reconventionnelle non seulement sur un certain nombre d’incidents isolés mais aussi, semble-t-il,
sur la situation globalement dangereuse qui régnait à l’époque dans le golfe Persique et dont les
Etats-Unis attribuent, semble-t-il aussi, toute la responsabilité à l’Iran. Comme cela sera montré
plus en détail pendant cette procédure orale, les arguments américains fondés sur la légitime
défense ne pourront pas tenir.
21. En outre, les Etats-Unis ne peuvent faire valoir sérieusement qu’ils ont agi comme ils
l’ont fait parce que leurs «intérêts vitaux sur le plan de la sécurité» étaient en jeu. Les Etats-Unis
n’avaient pas été envahis; les Etats-Unis ne combattaient pas pour leur survie; et aucune menace ne
pesait sur leurs réserves pétrolières ni même sur les prix du pétrole qui, pendant toute la durée de la
guerre, ont en réalité baissé de 50 %. Si tant est qu’on puisse dire qu’une quelconque menace
existait, elle était le fait de l’Iraq.
22. Ces faits soulignent la nullité de l’argument des Etats-Unis quand ceux-ci plaident la
légitimité des attaques dirigées contre les installations pétrolières commerciales de l’Iran parce
qu’elles étaient nécessaires à la protection de leurs intérêts vitaux en matière de sécurité. S’il y
avait un Etat dont les intérêts vitaux sur le plan de la sécurité devaient être protégés à l’époque,
c’était l’Iran qui subissait une agression de la part de l’Iraq et qui devait également faire face à une
absence de neutralité de la part d’un certain nombre de pays, dont les Etats-Unis n’étaient pas le
moindre. Pour des raisons qui vous seront expliquées par la suite par M. Crawford, l’Iran n’a
cherché à invoquer l’argument des «intérêts vitaux sur le plan de la sécurité» pour justifier aucun
des actes que les Etats-Unis lui attribuent dans cette affaire. Si toutefois l’Iran devait invoquer cet
argument, on constaterait qu’il n’est pas possible de comparer les intérêts vitaux de l’Iran sur le
plan de la sécurité et ceux dont excipent les Etats-Unis.
23. J’ajouterai que malgré ce déséquilibre manifeste entre les intérêts respectifs alors en jeu
sur le plan de la sécurité, un commandant des Etats-Unis en poste dans le golfe Persique a dit du
comportement des forces iraniennes qu’il était «ostensiblement non menaçant»10. Il est vrai que
l’Iran n’était guère heureux de laisser transiter par le golfe Persique des navires transportant
manifestement des marchandises de contrebande destinées à soutenir l’effort de guerre iraquien.

10 Mémoire, annexe 55 (commandant D. Carlson, «L’incident du Vincennes», Proceedings/Naval Review,
septembre 1989, p. 87).
- 18 -
C’est la raison pour laquelle l’Iran a procédé légitimement à des arraisonnements, conformément
au droit international. C’est ce qu’à l’époque des fonctionnaires des Gouvernements américain et
britannique ont confirmé11. Par opposition, le comportement des Etats-Unis a été qualifié
d’agressif et de provocateur. En juillet 1988, voici ce qu’affirmait un fonctionnaire américain des
services de la sécurité nationale qui avait à s’occuper de l’Iran : «[Des unités navales américaines]
ont été déployées comme si elles allaient procéder à des agressions et des provocations dans les
régions les plus dangereuses du golfe Persique», et «quand nous organisons ces patrouilles
agressives notre stratégie consiste à déclencher des combats, non à y mettre fin. Nous nous
comportons parfois comme si notre objectif était d’inciter l’Iran à nous faire la guerre.»12
24. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, voilà le contexte dans lequel, de
l’avis de l’Iran, il faudra toujours situer les plaidoiries que vous allez entendre.
25. Je vais maintenant vous indiquer quels seront l’ordre et le contenu des exposés présentés
par l’Iran pour étayer sa demande. Avec la permission de la Cour, M. Crawford donnera tout
d’abord un aperçu général de l’affaire sous l’angle juridique.
26. Plus tard dans l’après-midi, M. Momtaz traitera de la légitimité des différentes mesures
prises par l’Iran pour se protéger et protéger d’ailleurs aussi les navires neutres de l’agression
iraquienne. M. Momtaz s’attachera en particulier à traiter de la zone de guerre déclarée par l’Iran
le long de ses côtes du golfe Persique, et il montrera que, bien loin de procéder d’une intention
illicite ou malhonnête comme l’ont dit les Etats-Unis, cette zone fut déclarée zone de guerre pour
que les navires neutres soient avertis des dangers qu’ils courraient en naviguant dans les eaux en
question. M. Montaz vous montrera également que la situation autorisait l’Iran à opérer des
arraisonnements pour empêcher la contrebande maritime de marchandises destinées à soutenir
l’effort de guerre iraquien.

11 Réplique, vol. II, rapport Freedman, par. 34, note de bas de page 58; mémoire, annexe 115 (Hansard, Débats à
la Chambre des communes, vol. 91, col. 278-279).
12 G. Sick, «Failure and Danger in the Gulf», New York Times, 6 juillet 1988, p. A23.
- 19 -
27. M. Momtaz sera suivi par M. Bundy, qui donnera des précisions sur l’étendue du soutien
apporté par les Etats-Unis à l’Iraq et les mesures qu’ils ont prises contre l’Iran ¾ c’est au regard de
ce comportement qu’il faut examiner les attaques menées par les Etats-Unis contre les
plates-formes.
28. Demain matin, M. Pellet analysera le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié, que
les Etats-Unis ont violé en détruisant les installations pétrolières iraniennes lors des attaques
d’octobre 1987 et d’avril 1988. M. Pellet montrera en particulier que, en lançant ces attaques, les
Etats-Unis ont violé de façon flagrante l’obligation qui leur incombait de garantir la liberté de
commerce protégée par le paragraphe 1 de l’article X du traité.
29. M. Pellet sera suivi par M. Zeinoddin, le chef du service juridique de la compagnie
nationale iranienne des pétroles (National Iranian Oil Company), qui était propriétaire des platesformes
et les exploitait. M. Zeinoddin indiquera comment étaient conçues et exploitées les
différentes plates-formes, et donnera des précisions sur leur état au moment des attaques
américaines. Il expliquera également en quoi les attaques menées par les Etats-Unis contre ces
installations ont causé à l’Iran un préjudice commercial, le pétrole qu’elles produisaient étant vital
pour l’économie iranienne.
30. Nous en viendrons ensuite aux deux attaques lancées par les Etats-Unis et aux
deux événements particuliers qui, à l’époque, les auraient justifiées. Tout d’abord, M. Sellers nous
donnera des indications sur l’attaque du complexe de Reshadat en octobre 1987, qui aurait été une
action de légitime défense faisant suite à l’attaque par voie de missile du Sea Isle City. M. Sellers
montrera que les Etats-Unis n’ont pas prouvé comme la charge leur en incombait que le missile qui
a touché le Sea Isle City avait été lancé par l’Iran.
31. Ensuite, M. Bundy examinera les attaques menées contre les complexes de Salman et de
Nasr en avril 1988. Il montrera que, là encore, les Etats-Unis n’ont pas prouvé comme la charge
leur en incombait que le Samuel B. Roberts était la cible d’une mine iranienne ni établi un lien
quelconque entre cet incident et les plates-formes de Salman et de Nasr. M. Bundy montrera par
ailleurs que, même si la responsabilité de l’Iran pouvait être prouvée, ce qui n’est pas le cas, cela
n’aurait en aucun cas justifié la destruction des plates-formes de Salman et de Nasr ni du reste de la
moitié de la marine de guerre iranienne.
- 20 -
32. M. Bothe analysera ensuite le droit de la légitime défense et les obligations qui
incombent aux Etats neutres. A cette fin, il évoquera la prétendue situation générale d’agression
armée que les Etats-Unis semblent aujourd’hui invoquer pour justifier des mesures qui relèveraient,
selon eux, de la légitime défense, et il évoquera aussi les événements particuliers qui auraient
suscité par voie de réaction les attaques contre les plates-formes.
33. M. Crawford en viendra ensuite à la défense subsidiaire des Etats-Unis, laquelle est
fondée sur l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, la clause des «intérêts
vitaux … sur le plan de la sécurité». M. Crawford montrera que cette défense ne tient pas. Sur le
plan juridique, les Etats-Unis doivent établir qu’ils étaient forcés de prendre la mesure visée pour
protéger leurs intérêts vitaux en matière de sécurité. Il s’agit d’un critère objectif et, lorsqu’elle
l’appliquera, la Cour devra avoir à l’esprit que la question qui se pose en l’espèce est celle de
l’emploi massif de la force à deux reprises en violation de la Charte des Nations Unies. Compte
tenu de ces éléments et des faits de l’espèce tels que l’Iran les présente, on verra que l’Iran ne
menaçait aucun intérêt vital des Etats-Unis sur le plan de la sécurité. En outre, les mesures prises
n’étaient ni nécessaires ni même utiles aux fins de protéger éventuellement la sécurité requise pour
garantir la liberté de navigation ou l’acheminement continu du pétrole en provenance du golfe
Persique.
34. M. Pellet examinera ensuite l’argumentation des Etats-Unis relative aux «mains propres»
et montrera que, à l’instar des autres arguments des Etats-Unis, elle n’est pas fondée.
35. Enfin, M. Crawford reprendra la parole pour préciser quelles mesures de réparation l’Iran
cherche à obtenir de la part de la Cour.
36. Monsieur le président, l’Iran n’examinera pas la demande reconventionnelle des
Etats-Unis avant d’avoir entendu leurs exposés du premier tour de plaidoiries. Mais je vais dès
aujourd’hui dire quelques mots à ce sujet.
37. N’oublions pas tout d’abord que, si elle a dit dans son ordonnance du 10 mars 1998 que
la demande reconventionnelle est recevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 80 de son
Règlement, la Cour ne s’est pas prononcée définitivement sur toutes les questions de compétence et
- 21 -
de recevabilité. L’Iran a soulevé une série de questions de ce type dans sa réplique et sa réponse
additionnelle à la demande reconventionnelle des Etats-Unis13, et maintient au stade des plaidoiries
actuelles ses exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité.
38. En tout cas, la demande reconventionnelle des Etats-Unis n’est pas fondée, comme l’Iran
le montrera le moment venu. A ce stade, je rappellerai simplement à la Cour que les Etats-Unis
n’ont jamais formulé pareille demande ¾ pas même sur le plan diplomatique ¾ avant le rejet de
leur exception préliminaire dans l’arrêt de décembre 1996. En outre, si la flotte de beaucoup de
pays a subi des dommages pendant la guerre Iran/Iraq, aucun autre pays n’a jugé bon de demander
à l’Iran d’indemniser ces dommages. De l’avis de l’Iran, ces éléments suffisent à démontrer le
caractère artificiel de la demande reconventionnelle.
39. Avant de laisser la parole à M. Crawford, je me sens tenu de dire quelques mots au sujet
d’une allégation que les Etats-Unis formulent dans leur duplique. Ils prétendent que l’Iran aurait
fait de fausses déclarations à l’intention de la Cour dans ses écritures, en particulier dans ses
réponses aux déclarations des Etats-Unis relatives aux sites de missiles et aux mines14. Monsieur le
président, il s’agit là pour l’Iran d’une accusation très grave qui ne repose sur rien et que nous ne
saurions accepter. MM. Sellers et Bundy examineront les éléments de fait pertinents dans leurs
exposés. Pour ma part, je vous assure que l’Iran a toujours dit vrai dans les exposés qu’il adresse à
la Cour et continuera de dire vrai. L’Iran a le plus grand respect pour la Cour qui est l’organe
judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies.
40. Pour finir, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je m’estime tenu de
souligner que l’Iran continue d’attacher une grande importance à la primauté du droit et au
règlement pacifique des différends. L’Iran est persuadé que justice sera faite dans cette affaire et
que la Cour veillera à examiner les actions menées par les Etats-Unis en 1987 et 1988 comme
l’exige la primauté du droit.
41. Monsieur le président, ainsi s’achève mon exposé introductif. Je vous saurais gré de bien
vouloir donner la parole à M. Crawford pour la suite des exposés de l’Iran. Je vous remercie.

13 Réplique, par. 9.1 et suiv.; réponse additionnelle de l’Iran à la demande reconventionnelle des Etats-Unis, par.
5.23 et suiv.
14 Duplique, par. 1.06, 1.49, 1.68 et suiv.
- 22 -
Le PRESIDENT : Thank you, distinguished Agent of Iran. I now give the floor to
Professor Crawford
M. CRAWFORD :
Introduction et vue d’ensemble
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour :
1. Je vais, dans ces observations liminaires, situer l’affaire dans son contexte juridique et
vous donner une vue d’ensemble des exposés que l’Iran va présenter sur les questions de droit en
litige.
La décision de 1996 par laquelle la Cour a rejeté l’exception préliminaire des Etats-Unis
2. Je commencerai par la décision que la Cour a rendue en l’affaire sur l’exception
préliminaire, en 1996. La Cour à laquelle nous avons l’honneur de nous adresser est bien sûr la
même qu’en 1996 (Cour parfaitement permanente et établie : elle n’a plus à préciser sa permanence
dans son nom, comme le faisait la juridiction qui l’a précédée). Mais je ne puis m’empêcher de
faire observer que sur les seize juges qui ont pris part à cette décision, ils ne sont que huit à siéger
encore aujourd’hui. Cela me permet jusqu’à un certain point de rappeler ce que fut la décision à
l’époque. Car vous avez à la fois pris et donné : l’Iran accepte bien sûr loyalement les aspects
négatifs de votre décision en ce qu’elle concerne les articles I et IV du traité d’amitié, tout comme
il accepte ses aspects positifs, et s’appuie sur eux, en particulier ceux qui concernent la portée et
l’application du paragraphe 1 de l’article X.
3. Permettez-moi de commencer par un point important sur lequel les Parties s’entendent et
que la Cour a clairement confirmé. Le traité d’amitié était en vigueur à toutes les époques
pertinentes et l’est encore aujourd’hui15. Les Etats-Unis se sont fondés, avec succès, sur ce traité
dans l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire à Téhéran16
. Des particuliers et des
sociétés des Etats-Unis l’ont à maintes reprises invoqué devant des tribunaux internationaux, parmi
lesquels le Tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran, et aussi devant des juridictions américaines.

15 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 809, par. 15.
16 C.I.J. Recueil 1980, p. 28, par. 54.
- 23 -
Les dispositions du traité régissent les relations entre les parties. Si l’une ou l’autre partie se
comporte d’une façon que le traité envisage et qui est contraire à l’une des dispositions du traité, sa
responsabilité est engagée et l’autre partie a le droit d’invoquer le traité pour demander réparation
du préjudice qu’elle a subi17. C’est là un point sur lequel les parties sont d’accord.
4. On relève ensuite une série d’affirmations que les Etats-Unis ont à plusieurs reprises
discutées ou niées mais que la Cour a clairement exprimées dans son arrêt. Je vais en citer trois.
5. Premièrement, le traité interdit aux parties d’adopter un comportement contraire à ses
dispositions de fond. Par exemple, il les oblige à ne pas enfreindre la liberté de commerce entre
leurs territoires respectifs, la nature du comportement en cause étant sans importance à cet égard.
En fait, il ne s’agit pas ici d’un simple traité de commerce; l’acte s’intitule «Traité d’amitié, de
commerce et de droits consulaires». Mais même dans celles de ses dispositions qui traitent de
questions économiques et commerciales, comme le paragraphe 1 de l’article X, le traité établit des
normes générales applicables au comportement des parties, sans qu’il soit nécessaire que la
violation ait un caractère commercial. C’est ce que la Cour a expressément indiqué en 1996, au
paragraphe 21 de son arrêt, reproduit dans mon texte, mais que je ne lirai pas :
«Le traité de 1955 met à la charge de chacune des Parties des obligations
diverses dans des domaines variés. Toute action de l’une des Parties incompatible
avec ses obligations est illicite, quels que soient les moyens utilisés à cette fin. La
violation, par l’emploi de la force, d’un droit qu’une partie tient du traité est tout aussi
illicite que le serait sa violation par la voie d’une décision administrative ou par tout
autre moyen. Les questions relatives à l’emploi de la force ne sont donc pas exclues
en tant que telles du champ d’application du traité de 1955. L’argumentation exposée
sur ce point par les Etats-Unis doit de ce fait être écartée.»18
6. Je me permettrai toutefois de lire la paraphrase de ce paragraphe qui est due à la
Commission du droit international dans son commentaire de l’article 12 de ses articles sur la
responsabilité de l’Etat.
Le PRESIDENT : Puis-je vous interrompre un instant, M. Crawford ? Pourriez-vous parler
un peu moins vite, s’il vous plaît ? Merci.

17 Voir les articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite, annexés à la résolution de l’Assemblée générale 56/83 du 12 décembre 2001, art. 1, 12, 31, 42.
18 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811-812, par. 21.
- 24 -
M. CRAWFORD : Monsieur, j’espère que vous n’aurez pas à me le répéter, bien que je sois
en train d’essayer de rattraper le retard d’une demi-heure pris au début de la séance ¾ je vais parler
plus lentement. Cette conclusion, donc, a été réitérée par la Commission du droit international, qui
a cité la Cour dans son commentaire de l’article 12. Ce commentaire indique entre autres que : «la
violation par un Etat d’une obligation internationale constitue un fait internationalement illicite,
quel que soit l’objet ou le contenu de l’obligation violée et quelle que soit la nature du
comportement non conforme»19. Voilà ce que la Cour a dit et ce que la Commission a confirmé.
7. Deuxièmement, la Cour a affirmé que la disposition relative aux intérêts vitaux sur le plan
de la sécurité, le paragraphe 1 d) de l’article XX du traité, ne mettait pas en cause sa compétence,
mais offrait aux Etats-Unis (et d’ailleurs à l’Iran) «une défense au fond qu’il leur appartiendra, le
cas échéant, de faire valoir le moment venu»20. C’est comme cela que la Cour, en 1986, avait
interprété la disposition équivalente du traité de 1956 en l’affaire Nicaragua, ne voyant «aucune
raison d’aboutir à des conclusions différentes de celles auxquelles elle était parvenue» à l’égard de
cette disposition21. Je pourrais ajouter que, bien que les Etats-Unis aient soutenu dans leurs pièces
écrites que le paragraphe 1d) relevait de la compétence ¾ qu’il excluait les questions relatives aux
intérêts vitaux sur le plan de la sécurité comme constituant une question préliminaire à la
compétence de la Cour ¾ les Etats-Unis ont reconnu dans leurs plaidoiries que l’article XX
«relevait de l’examen au fond»22. De fait, je remarque que le juge Schwebel, dans son opinion
dissidente, a critiqué le conseil des Etats-Unis parce qu’il avait fait cette concession23. Mais la
Cour s’est prononcée clairement sur ce point ¾ tout comme le traité est clair. La compétence de la
Cour s’étend à l’interprétation et à l’application de l’ensemble du traité, y compris l’article XX.
L’Iran doit démontrer qu’il y a eu violation d’une disposition de fond du traité : en l’espèce, il

19 Articles de la Commission du droit international, commentaire de l’article 12, paragraphe 10.
20 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20.
21 Ibid.
22 Tel que cité par la Cour : ibid. Pour cette concession, voir le CR 96/13, p. 32-33 (M. Crook); ibid., p. 55
(M. Chorowsky).
23 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 878-881.
- 25 -
s’agit du paragraphe 1 de l’article X, interprété à la lumière de l’article premier. Une fois cette
démonstration faite, les Etats-Unis pourront invoquer le paragraphe 1 d) de l’article XX pour en
faire éventuellement une défense au fond.
8. Troisièmement, la Cour a maintenu qu’elle était compétente en vertu du paragraphe 1 de
l’article X du traité. Elle a indiqué que cette disposition ne se limitait pas au commerce maritime
mais s’étendait au commerce en général. Selon la Cour, «[l]e traité de 1955 est … un traité relatif
au commerce en général, qui ne se borne pas au seul commerce maritime.»24 Et la garantie
clairement donnée au paragraphe 1 doit être interprétée, et a été interprétée, sous cet angle. En
outre, le paragraphe 1 de l’article X ne pouvait être limité aux seuls actes d’achat et de vente; il
visait des activités plus larges parmi lesquelles «l’obtention de biens en vue d’une utilisation
commerciale»25. La Cour s’est par conséquent appuyée sur d’autres sources, parmi lesquelles le
Dictionnaire de la terminologie du droit international établi sous l’autorité du président Basdevant,
pour adopter une interprétation large du commerce, qui serait constitué par «l’ensemble des
transactions à l’importation et à l’exportation, des rapports d’échange, d’achat, de vente, de
transport, des opérations financières, entre nations». Quiconque connaît un tant soit peu les
garanties associées à la liberté de commerce tant en droit interne qu’en droit international ne saurait
être surpris par une telle interprétation; de la même manière, quiconque a une certaine connaissance
de l’interprétation de la Constitution des Etats-Unis ne saurait l’être non plus. C’est une
interprétation du commerce et de la liberté de commerce qui semblerait naturelle à un juriste des
Etats-Unis même si, dans la présente procédure, les conseils des Etats-Unis ne la retiennent pas.
On peut raisonnablement penser que cette interprétation correspond à celle qu’adoptent ensemble
les parties au traité d’amitié. La liberté de commerce n’est pas seulement une liberté qui s’applique
à la frontière entre les Etats, à la douane; c’est la liberté propre au flux des échanges. Autrement,
toute partie à un traité de ce type pourrait dévaster l’économie de l’autre partie, détruire toute
perspective d’échanges, tout en soutenant que le paragraphe 1 de l’article X a bien été respecté
parce qu’il existe encore une certaine liberté abstraite à la frontière. Cela serait totalement
contraire à l’idée de liberté et à l’existence concrète d’une garantie juridique. C’est pourtant

24 C.I.J. Recueil 1996, p. 817, par. 41.
25 C.I.J. Recueil 1996, p. 818, par. 45.
- 26 -
l’interprétation sur laquelle les Etats-Unis se fondent en fait, en l’appliquant aux plates-formes et
aux infrastructures pétrolières concernées. Le flux du produit de base essentiel qui fait l’objet
d’échanges entre les deux Etats, le pétrole, peut être interrompu à sa source par des actes de
destruction délibérée — mais la liberté de commerce subsistera. La Cour sait ce que disait Tacite
chez les Romains : «Ils font une jungle et lui donnent le nom de paix.»26 En l’espèce, on pourrait
dire : ils détruisent ce qui est source de prospérité, les instruments et la substance du commerce, et
ils disent que c’est la liberté. En effet, sans citer Tacite, la Cour a formulé exactement la même
conclusion :
«[L]e paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 ne protège pas à proprement
parler le «commerce» mais la «liberté de commerce». Tout acte qui entraverait cette
«liberté» s’en trouve prohibé. Or, sauf à rendre une telle liberté illusoire, il faut
considérer qu’elle pourrait être effectivement entravée du fait d’actes qui
emporteraient destruction de biens destinés à être exportés, ou qui seraient
susceptibles d’en affecter le transport et le stockage en vue de l’exportation.»27
9. En outre, la garantie de la liberté de commerce «entre les territoires des deux
Hautes Parties contractantes» était en jeu en l’espèce. Comme vous l’avez noté, il n’était pas
indispensable de
«se pencher sur la question de savoir si [le paragraphe 1 de l’article X] ne
s’appliqu[ait] qu’au commerce «entre» les Parties. Celles-ci ne contest[ai]ent en effet
pas que les exportations de pétrole de l’Iran vers les Etats-Unis se [fussent] ¾ dans
une certaine mesure ¾ poursuivies au moins jusqu’à une date postérieure à la
destruction du premier ensemble de plates-formes pétrolières.»28
Vous renvoyiez ensuite à la phase du fond la question de savoir «si et dans quelle mesure la
destruction des plates-formes pétrolières iraniennes [avait] eu des conséquences sur l’exportation
du pétrole iranien», non sans ajouter, toutefois «que cette destruction était susceptible d’avoir un tel
effet et de porter par suite atteinte à la liberté de commerce telle que garantie par le paragraphe 1 de
l’article X du traité de 1955. Sa licéité [était] dès lors susceptible d’être appréciée au regard de ce
paragraphe.»
10. Voilà qui est, si je puis me permettre, à la fois très clair et ¾ dans les limites de ce
raisonnement ¾ abouti. Vous avez affirmé votre compétence en vous fondant sur une

26 La vie d’Agricola, chap. 30 [traduction du Greffe].
27 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 50.
28 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 817-818, par. 44.
- 27 -
interprétation du paragraphe 1 de l’article X ne laissant place à aucune ambiguïté. Vous avez laissé
sans réponse certaines questions, principalement des questions de fait ¾ ainsi que celle d’une
éventuelle défense offerte par le paragraphe 1 d) de l’article XX.
11. En revanche, vous avez estimé aussi que l’article premier et l’article IV du traité ne
pouvaient fonder la demande iranienne. S’agissant de l’article premier, vous avez écarté la thèse
selon laquelle il incorporait au traité, par renvoi, l’ensemble des dispositions du droit international
général. Il avait concrètement valeur de préambule, même s’il revêtait la forme d’un article
distinct. Mais vous avez néanmoins estimé que ledit article n’était «pas sans portée juridique»29
.
Vous avez dit :
«en insérant dans le corps même du traité la formule figurant à l’article premier, les
deux Etats ont entendu souligner que la paix et l’amitié constituaient la condition du
développement harmonieux de leurs relations commerciales, financières et consulaires
et qu’un tel développement renforcerait à son tour cette paix et cette amitié. Par voie
de conséquence, l’article premier doit être regardé comme fixant un objectif à la
lumière duquel les autres dispositions du traité doivent être interprétées et
appliquées.»30
Et par la suite, vous avez pris en compte l’article premier, en particulier aux fins de l’interprétation
du paragraphe 1 de l’article X. Je vous renvoie plus particulièrement au paragraphe 52 de l’arrêt31
.
12. Vous avez aussi écarté l’article IV comme base des demandes de l’Iran, en indiquant
qu’il ne vise que «la manière dont les personnes physiques et morales [de l’autre Etat] doivent,
dans l’exercice de leurs activités privées ou professionnelles, être traitées par l’Etat concerné»32
.
13. Certains affirment parfois que la Cour peut, dans la phase du fond, revenir sur les
conclusions auxquelles elle est parvenue au stade des exceptions préliminaires, voire les reviser.
Mais, du point de vue du droit, pareille démarche ne saurait se justifier. C’est un arrêt, non une
ordonnance, que vous avez rendu le 12 décembre 1996 ¾ c’est une décision judiciaire, non une
simple indication. Vous formulez divers énoncés de droit ayant l’autorité de la chose jugée,
conformément à l’article 59 du Statut. Votre position quant aux faits variera peut-être, vos
conclusions en la matière étant pour certaines présentées comme provisoires et susceptibles de

29 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 815, par. 31.
30 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 814, par. 28.
31 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 820, par. 52.
32 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 36.
- 28 -
réexamen. Mais vous avez pris soin de dire clairement quelles questions de fait sont laissées sans
réponse ou appellent plus ample examen. En revanche, vous avez donné du traité d’amitié une
interprétation définitive et autorisée établissant que, pour autant que les faits allégués par l’Iran
fussent avérés, la demande de l’Iran n’entrait pas, en ce qui concerne l’article premier et
l’article IV, dans les prévisions du traité mais qu’elle y entrait en ce qui concerne l’article X . Le
verbe «entr[er] dans», que je viens d’employer, est tiré du paragraphe 16 de l’arrêt.
14. Il convient de noter que, en 1996, vous avez poussé l’analyse de certaines questions
d’interprétation plus avant que vous ne l’aviez fait dans de précédentes instances ¾ ou qu’il n’était
nécessaire d’après les auteurs de certaines opinions individuelles ou dissidentes jointes à l’arrêt. Le
juge Shahabuddeen, dans son opinion individuelle, a insisté sur la signification du paragraphe 16 de
l’arrêt, qui «est que la Cour est obligée de procéder à une interprétation définitive du traité dès la
présente phase de la compétence»33. Il en est résulté, comme l’a compris le juge Shahabuddeen,
une décision définitive sur le champ d’application du traité. Pour reprendre les termes employés
par Mme le juge Higgins dans son opinion individuelle, la Cour s’est livrée à une analyse
«détaillée» du traité d’amitié, et non à une analyse correspondant à de «simples impressions»34. La
décision qui a suivi revêt un «caractère définitif»35
.
15. Bref, l’interprétation détaillée à laquelle a procédé la Cour au stade des exceptions
préliminaires serait vaine si la Cour pouvait, lors de l’examen au fond, revenir sur les questions
qu’elle était alors censée avoir tranchées. D’ailleurs, si vous deviez réexaminer le champ
d’application de l’article X, vous pourriez être amenés à revoir celui de l’article premier et de
l’article IV. Mais, vous serez heureux d’apprendre que j’en ai terminé avec ces articles. L’arrêt
que vous avez rendu en 1996 offre aux deux Parties une base claire et sûre ¾ une plate-forme
stable, si je puis m’exprimer ainsi ¾ sur laquelle fonder l’examen des faits et des demandes des
Parties auquel il convient de procéder à présent.

33 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 822.
34 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 855, par. 29, 30.
35 Ibid., par. 31.
- 29 -
Décision rendue par la Cour en 1998 sur la demande reconventionnelle des Etats-Unis
16. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’évoquerai brièvement
l’ordonnance que vous avez rendue le 10 mars 1998 sur la demande reconventionnelle des
Etats-Unis. Comme son agent vient de l’indiquer, l’Iran se propose de ne pas formuler
d’observations sur la demande reconventionnelle avant d’avoir entendu les Etats-Unis s’exprimer à
ce sujet. Je me contenterai de faire observer que, dans votre ordonnance, vous avez expressément
réitéré votre interprétation du paragraphe 1 de l’article X, citant notamment le passage de l’arrêt sur
l’exception préliminaire que j’ai précédemment rappelé36
.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’avais l’intention de passer à
l’argumentation de l’Iran quant au fond. Toutefois, au vu de tout ce qui s’est produit depuis
15 heures, il pourrait être opportun de faire une pause.
The PRESIDENT : The Court adjourns for ten minutes and then will resume. Thank you.
The Court adjourned from 4.20 p.m to 4.30 p.m.
The PRESIDENT : Please be seated. Professor Crawford, please continue.
M. CRAWFORD : Je vous remercie, Monsieur le président. Avant la pause, j’ai évoqué
l’arrêt rendu par la Cour sur les exceptions préliminaires et les principaux points tranchés alors.
J’en viens maintenant à la thèse de l’Iran sur le fond.
L’argumentation de l’Iran sur le fond
17. Comme l’a dit la Cour, le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié était en vigueur à
toutes les périodes pertinentes et régissait le comportement que les Parties adoptaient l’une
vis-à-vis de l’autre. La notion de liberté de commerce revêt, comme l’a observé la Cour, une vaste
portée, et s’étend à tout le moins aux «actes qui emporteraient destruction de biens destinés à être
exportés, ou qui seraient susceptibles d’en affecter le transport et le stockage en vue de
l’exportation». Sauf à être considérée comme relevant de l’une des exceptions énoncées au
paragraphe 1 de l’article XX, une attaque injustifiée contre des installations commerciales, utilisées

36 C.I.J. Recueil 1998, p. 203, par. 35.
- 30 -
ou destinées à être utilisées aux fins de la production, du transport et du stockage du pétrole en vue
de son exportation aux Etats-Unis, constituerait dès lors une violation du paragraphe 1 de
l’article X.
18. Telle est précisément la thèse de l’Iran. Fondamentalement, il s’agit d’une thèse
extrêmement simple, nonobstant toutes les complications que les Etats-Unis n’ont eu de cesse de
faire valoir. Elle peut se résumer en trois propositions, fort simples, qui sont les suivantes :
1) premièrement, les Etats-Unis, qui se prétendaient neutres dans la guerre opposant l’Iraq à
l’Iran, ont, en deux occasions distinctes, délibérément attaqué et détruit ces installations
commerciales, portant ainsi gravement atteinte à la liberté de commerce pétrolier entre l’Iran et
les Etats-Unis, en violation du paragraphe 1 de l’article X du traité;
2) deuxièmement, en ce qui concerne cet acte, il n’existe aucune circonstance excluant l’illicéité;
ainsi, le comportement en question ne relevait pas de l’exercice licite de la légitime défense ¾
justification fournie à l’époque par les Etats-Unis;
3) troisièmement, ce comportement n’était pas nécessaire «à la protection [d’] intérêts vitaux [des
Etats-Unis] sur le plan de la sécurité», au sens du paragraphe 1 d) de l’article XX du traité.
L’alinéa d) n’empêchait donc pas que le paragraphe 1 de l’article X s’applique en l’espèce.
19. C’est tout aussi simple que cela. Mais il ne sera sans doute pas inutile que je vous fasse
part de quelques observations préalables sur chacun de ces trois points, points qui feront l’objet de
plaidoiries plus approfondies de la part des conseils de l’Iran au cours des deux prochains jours.
20. Voyons tout d’abord ce qui concerne les attaques délibérées qui ont abouti à la
destruction d’infrastructures commerciales dont l’activité visait en particulier à assurer le
commerce de pétrole destiné aux Etats-Unis. Il ne saurait faire guère de doute qu’une telle
attaque ¾ sauf à être justifiée en droit ou exclue du traité par une disposition expresse de
celui-ci ¾ est contraire à la garantie de la liberté de commerce entre les territoires des deux
Etats parties. Il ne fait pas de doute non plus que ce comportement soit imputable aux
Etats-Unis ¾ ce point n’est pas contesté. De surcroît, ainsi que mes collègues le démontreront, il
s’agissait là d’attaques lancées contre des installations commerciales en tant que telles. Il ne s’agit
pas de dommages collatéraux, ni d’une erreur de cible. Ces plates-formes ne se trouvaient pas sur
la trajectoire d’une attaque qui aurait visé une cible légitime. Elles n’ont pas été frappées par
- 31 -
erreur. Les Etats-Unis avaient bien l’intention d’endommager et de détruire ces installations, et (à
l’exception de l’une des plates-formes, dans le cas de laquelle le détonateur n’a pas fonctionné) ils
ont sans nul doute atteint leur objectif. Des actes commis par inadvertance peuvent certes violer un
traité : pour qu’il y ait violation d’une obligation, il suffit, aux termes de l’article 12 des articles de
la Commission du droit international, que le fait de l’Etat ne soit «pas conforme à ce qui est requis
de lui en vertu de cette obligation»; et un acte commis par inadvertance peut parfaitement
constituer une violation de la garantie de la liberté de commerce. Mais cela est sans pertinence ici :
les actes en question ont été commis de manière délibérée et en parfaite connaissance de cause.
Les Etats-Unis disposaient d’informations de première main sur les installations pétrolières
iraniennes dans le golfe Persique : c’étaient en effet des entreprises américaines qui avaient
contribué à la construction, précisément, de ces installations, et nous pouvons supposer que les
Etats-Unis connaissaient dans le détail leur structure et leur mode de fonctionnement. Ces cibles
particulières ont été choisies non pas parce qu’elles constituaient des installations militaires, non
pas parce qu’elles faisaient partie de ce que certains milieux journalistiques se plaisent à appeler la
«machine de guerre» iranienne. Il s’agissait d’installations légèrement armées pour éventuellement
riposter en cas de légitime défense, et si elles étaient ainsi armées, c’est que l’Iraq les avait déjà
attaquées. C’est précisément en tant qu’installations commerciales qu’elles avaient été attaquées
par l’Iraq, et c’est précisément en tant qu’installations commerciales qu’elles l’ont été ensuite par
les Etats-Unis. En outre, ainsi que nous le démontrerons plus loin, les attaques menées contre ces
installations l’ont été de manière à maximiser le préjudice commercial et les conséquences
économiques pour l’Iran.
21. Or, prima facie, il s’agit là d’une violation du paragraphe 1 de l’article X; cela n’est pas
conforme à l’obligation imposée aux Etats-Unis par ce même paragraphe de l’article X. Le
commerce pétrolier entre l’Iran et les Etats-Unis se pratiquait depuis longtemps; le pétrole était
originaire des gisements en question, et était extrait et transporté grâce aux installations de la
National Iranian Oil Company (NIOC), entreprise d’Etat qui détenait et exploitait ces
plates-formes. M. Zeinoddin exposera demain les éléments factuels relatifs à cette activité
commerciale (je précise que M. Zeinoddin est à la tête du département juridique de la NIOC
depuis 1981). En outre, ces plates-formes n’étaient pas utilisées à des fins militaires; il s’agissait
- 32 -
d’installations civiles. L’Iran s’était doté d’une marine puissante ainsi que de stations et d’unités
de radar spécialisées le long de ses côtes. L’Iran n’avait pas besoin de plates-formes pétrolières,
peu commodes, pour appuyer ses opérations militaires dans la guerre contre l’Iraq; l’Iran avait
besoin de maintenir ces installations civiles en activité, c’est-à-dire de leur garder le caractère qui
leur avait été donné au moment de leur construction. C’est ainsi par exemple que l’équipement qui
se trouvait sur la plate-forme de Reshadat consistait en une petite unité de radar, qui d’ailleurs ne
fonctionnait pas, et en une petite batterie anti-aérienne, toutes deux mises en place pour dissuader
ou prévenir d’autres attaques aériennes iraquiennes et pour donner au personnel civil qui se trouvait
sur les plates-formes un minimum de sentiment de sécurité.
22. Permettez-moi d’illustrer par un exemple la thèse de l’Iran. La destruction par un Etat
neutre d’un pont le reliant à un Etat voisin engagé dans une guerre défensive contre un Etat tiers
constituerait bien évidemment une violation de la liberté de commerce applicable au transit par ce
pont. Supposons que ce pont ait été traditionnellement utilisé pour faciliter les échanges et les
relations commerciales entre les deux Etats; qu’il s’agisse là d’un élément constitutif important,
coûteux et bien connu des infrastructures favorisant les relations commerciales engagées de longue
date entre les deux Etats en question. Supposons que les relations politiques entre eux aient connu
des hauts et des bas, que des changements politiques soient intervenus dans l’un de ces Etats, voire
dans les deux, et que ces relations politiques se soient en conséquence compliquées, à l’extrême
peut-être, même si les deux Etats peuvent l’un et l’autre être tenus pour responsables de cette
dégradation de leurs relations politiques. Supposons encore que leurs relations commerciales ne
s’en soient pas moins poursuivies, et que le traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires
qui les liait soit demeuré en vigueur malgré ces difficultés politiques. Les deux parties auraient pu
mettre fin au traité moyennant un préavis de six mois, mais aucune d’elles ne l’a fait et toutes deux
ont continué de l’appliquer. Dans une telle situation, la destruction du pont en question serait
manifestement incompatible avec la liberté de commerce entre les deux Etats. Il incomberait dès
lors à l’Etat responsable de la destruction du pont de démontrer que cette destruction répondait à la
- 33 -
nécessité de protéger ses intérêts vitaux sur le plan de la sécurité; comme vous le pensez peut-être,
c’est une démonstration difficile à faire, démonstration qui ne peut certes pas simplement consister,
pour l’Etat auteur de la destruction, à exposer la manière dont il perçoit ses intérêts sur le plan de la
sécurité.
23. Il appartient donc à présent aux Etats-Unis de dire à la Cour s’ils estiment que la
destruction délibérée de ponts est conforme à la liberté de commerce. Du moins les Etats-Unis ne
semblent-ils pas défendre franchement un tel comportement. Laissant de côté les questions de
légitime défense et des intérêts vitaux en matière de sécurité, les Etats-Unis semblent accepter le
fait qu’une attaque délibérée visant une installation commerciale utilisée pour la production et le
transport de biens faisant l’objet d’un commerce entre les deux Etats constitue ou pourrait
constituer une violation de la liberté de commerce. Mais les Etats-Unis affirment que le cas des
plates-formes est différent. Ils font tout d’abord observer que, au moment de l’attaque de 1987, les
plates-formes de Reshadat se trouvaient en réparation à la suite d’une précédente attaque menée par
l’Iraq. M. Zeinoddin traitera ces éléments plus en détail, mais le fait est que ces plates-formes se
trouvaient quasiment réparées et sur le point de reprendre la production; elles avaient dans le passé
servi à favoriser les exportations de pétrole à destination des Etats-Unis et elles étaient sur le point
de reprendre cette activité. Le commerce dont la liberté est garantie par le paragraphe 1 de
l’article X ne constitue pas un simple phénomène temporaire : il s’agit d’une activité commerciale
qui se prolonge sur plusieurs années. Les Etats-Unis semblent penser que si le pont dont nous
avons parlé dans notre exemple tout à l’heure avait été endommagé par un Etat tiers et était donc
temporairement hors service et en cours de réparation, il serait conforme à la liberté de commerce
que les Etats-Unis détruisent complètement le pont en question. Voilà une conception curieuse de
la liberté de commerce.
24. Les Etats-Unis affirment ensuite que, peu après la destruction des plates-formes de
Reshadat, ils ont imposé un embargo pétrolier contre l’Iran, embargo qui était en vigueur au
moment de l’attaque, en 1988, des plates-formes de Salman et de Nasr. La première observation
qui s’impose ici, et elle est relativement évidente, est que les actions mêmes des Etats-Unis
postérieurement à l’attaque de 1987 ¾ à savoir l’imposition d’un embargo ¾ ne sauraient justifier
l’attaque en question pour autant que celle-ci constitue une violation du traité d’amitié. La
- 34 -
réclamation que l’Iran est fondé à formuler à raison de l’attaque conduite en 1987 ne se trouve pas
invalidée par le fait que les Etats-Unis adoptent ensuite quelqu’autre comportement hostile à l’Iran.
Que ce comportement ultérieur ait des effets sur le montant de la réparation, sur les recours
possibles, est une question sur laquelle je reviendrai mercredi, mais il ne saurait avoir la moindre
incidence sur la réalité de la violation initiale du traité par l’attaque de 1987.
25. En ce qui concerne l’attaque conduite en 1988 contre les plates-formes de Salman et de
Nasr, il est vrai qu’il n’y avait, à cette époque, en 1988, aucun commerce pétrolier direct entre
l’Iran et les Etats-Unis, en raison de l’embargo décrété par ces derniers. Mais cette objection
méconnaît le terme «liberté» tel qu’il apparaît au paragraphe 1 de l’article X : celui-ci garantit non
seulement une activité commerciale un jour donné, mais bien une liberté de commerce revêtant un
caractère permanent ¾ point que M. Pellet approfondira demain. C’est en outre une chose que
d’imposer un embargo (lequel peut être facilement levé et celui-ci le fut en effet partiellement
en 1991), mais c’est une toute autre chose que de détruire une installation commerciale construite
aux fins du commerce du pétrole, en particulier avec les Etats-Unis, dont l’histoire montre qu’elle
avait jusqu’alors été utilisée à cette fin et devait l’être à nouveau. Ainsi les Etats-Unis ont-ils porté
atteinte à la liberté de commerce entre les deux Etats tout autant que l’aurait fait la destruction d’un
pont construit entre leurs territoires respectifs, quand bien même un embargo aurait alors empêché
provisoirement d’emprunter le pont.
26. Il est certes vrai qu’il n’existe aucun pont reliant physiquement et directement les
Etats-Unis et l’Iran : il ne s’agit pas d’Etats voisins et adjacents comme le sont l’Iran et l’Iraq.
Mais les Etats-Unis et l’Iran n’étaient pas davantage des Etats adjacents en 1955 lorsqu’a été signé
le traité d’amitié. La liberté de commerce entre les territoires des Hautes Parties contractantes
garantie par le paragraphe 1 de l’article X est une liberté qui porte sur les relations commerciales
entre ces deux Etats, compte tenu de la situation qui est géographiquement la leur. Et la réalité de
la liberté de commerce garantie par le paragraphe 1 de l’article X doit être appréciée dans ce
contexte et compte tenu des réalités propres à l’activité commerciale en question. C’est à la fois de
façon directe et indirecte que le pétrole est écoulé sur les marchés internationaux, par
transbordement, raffinage, mélange, commerce, échange et revente. L’Iran, à ce sujet, a confié à
M. Odell l’élaboration d’un rapport d’expertise qui constitue le troisième tome de sa réplique.
- 35 -
Mais si nous voulons examiner la validité de l’argument avancé par les Etats-Unis, supposons un
instant que c’est l’Iran qui, en 1987, a imposé un embargo sur les exportations de pétrole à
destination des Etats-Unis. Bien évidemment, tel n’a pas été le cas, pas plus que l’Iran n’a essayé
de fermer le détroit d’Ormuz : aucune de ces deux options n’aurait été le moins du monde dans son
intérêt. Mais supposons toutefois que tel ait été le cas, et supposons en outre que, dans le cadre de
cet embargo, l’Iran ait voulu interdire que du pétrole iranien soit jamais transbordé, fût-ce
indirectement, sur des bateaux qui l’achemineraient aux Etats-Unis. Dans un tel scénario, l’Iran
aurait voulu que les Pays-Bas, par exemple, dont les raffineries, à Rotterdam, accueillent de
nombreuses cargaisons de pétrole brut iranien, interdisent tout transport de ce pétrole vers les
Etats-Unis, qui n’en verraient pas une goutte ¾ il se serait en quelque sorte agi d’un boycott
subsidiaire. L’Iran aurait-il pu justifier son embargo sur le commerce avec les Etats-Unis en
soutenant simplement que le pétrole en question transiterait par un Etat tiers ou y ferait escale ? Je
ne le pense pas. Les Etats-Unis auraient eu raison de considérer ce boycott comme une violation
du paragraphe 1 de l’article X. Compte tenu des caractéristiques de l’industrie pétrolière et de
l’existence d’un commerce pétrolier déjà ancien entre l’Iran et les Etats-Unis, les mesures qu’aurait
ainsi prises l’Iran n’auraient pas été compatibles avec la liberté de commerce entre les territoires
des Hautes Parties contractantes.
27. La question de l’embargo est importante à plusieurs égards. La Cour aura remarqué que
l’Iran n’a pas soulevé la question de l’embargo ¾ l’embargo décrété par les Etats-Unis, le véritable
embargo, non pas l’embargo hypothétique ¾ la question de l’embargo en tant que tel, c’est-à-dire
de l’embargo considéré comme une violation de fond du traité d’amitié. Non que l’embargo par les
Etats-Unis n’ait soulevé aucun problème au regard du paragraphe 1 de l’article X, il le fit
certainement et l’Iran dira que les Etats-Unis ne peuvent pas arguer de l’illicéité de l’embargo pour
tenter de réduire l’obligation qui leur incombe d’indemniser les pertes occasionnées par la
destruction des plates-formes. Mais là n’est pas la question au stade actuel de l’affaire : pour
l’instant, nous nous occupons de la question de savoir s’il y a eu violation et non de la question du
montant de la réparation. Et de toute façon, pour formuler ses revendications de fond à l’encontre
des Etats-Unis, l’Iran a pris en considération ce qui constitue son grief principal, c’est-à-dire les
valeurs économiques protégées par le paragraphe 1 de l’article X et, par suite, la destruction des
- 36 -
plates-formes. Ce qui frappe le plus l’observateur en qui concerne ces actions des Etats-Unis, c’est
leur caractère destructeur. Un embargo pétrolier aurait pu réduire et même, s’il avait été également
imposé sur le transbordement opéré dans un Etat tiers, suspendre un moment le commerce du
pétrole. Que cela ait été ou non une violation du paragraphe 1 de l’article X, cela aurait au moins
laissé l’Iran libre de vendre son pétrole à des Etats tiers, ce qu’il aurait facilement pu faire en fait.
Les dommages causés par cette violation auraient été par conséquent bien plus limités. Mais
détruire les installation mêmes ¾ c’est la négation de la liberté !
28. On comprend donc que, dans cette phase de l’examen au fond, les Etats-Unis mettent
principalement l’accent sur la défense de leur cause. La Cour ayant déjà rejeté l’argument des
Etats-Unis quand ils soutiennent qu’une action militaire ne peut pas violer un traité de commerce,
les Etats-Unis s’attachent essentiellement à se défendre contre la demande formulée et non à
examiner la question de la violation. Les Etats-Unis cherchent à justifier le comportement qui
consiste pour eux à détruire les plates-formes. Voilà qui m’amène à la deuxième proposition de
base de l’Iran : celle-ci est qu’il n’existe aucune circonstance excluant l’illicéité de cette action des
Etats-Unis; ce comportement n’a pas été un exercice valable ni licite de légitime défense.
29. Aux fins de l’espèce, l’Iran accepte qu’une action menée légalement au titre de la
légitime défense puisse constituer une circonstance excluant l’illicéité qu’imposerait normalement
le paragraphe 1 de l’article X du traité. En d’autres termes, l’Iran accepte la proposition énoncée à
l’article 21 des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats qui se
lit comme suit : «L’illicéité du fait de l’Etat est exclue si ce fait constitue une mesure licite de
légitime défense prise en conformité avec la Charte des Nations Unies.» Le traité de 1955
n’énonce aucune disposition expresse à cet effet mais ce n’est pas nécessaire. Si les Etats-Unis
pratiquaient la légitime défense en attaquant et en détruisant ou en essayant de détruire les
plates-formes, alors, le paragraphe 1 de l’article X du traité n’est pas une de ces
«obligations … imposant une abstention totale» dont la Cour a parlé dans son avis consultatif sur la
Menace ou l’emploi d’armes nucléaires37. La légitime défense peut être préjudiciable à la liberté
de commerce; celle-ci n’est pas une valeur «intangible».

37 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 242, par. 30; voir en outre les observations de la Commission du droit international
sur l’article 21, par. 2-6.
- 37 -
30. Mais les Etats-Unis ne prenaient pas de mesures de légitime défense lorsqu’ils ont
attaqué les plates-formes. Ils n’avaient pas eux-mêmes été attaqués par l’Iran et il n’avaient
certainement pas été attaqués depuis les plates-formes qui étaient des installations commerciales.
En principe, ils étaient un Etat neutre et non un Etat belligérant, mais ils ont fait montre d’un
pouvoir aussi destructeur que s’ils étaient un Etat belligérant, et, en ce qui concerne les
plates-formes, ils ont agi essentiellement comme l’agresseur, l’Iraq. M. Bothe examinera plus en
détail ces questions mercredi.
31. Voilà qui m’amène à la troisième proposition de l’Iran dont vous savez quelle elle est.
Le comportement des Etats-Unis n’était pas «nécessaire pour protéger les intérêts vitaux des
Etats-Unis sur le plan de la sécurité» au sens de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du
traité. J’examinerai la question en détail mercredi et je ne vais pas anticiper sur ce qui sera dit
alors. Je me limite à deux observations préliminaires. La première est que la Cour a compétence
sur l’article XX comme sur le reste du traité d’amitié. L’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX
n’est pas une réserve à caractère automatique ni un moyen automatique de défense à l’encontre de
n’importe quelle action, aussi extrême, aussi destructive, aussi injustifiée soit-elle. Lorsqu’elle est
en jeu, la sécurité nationale a un caractère absolu et urgent, que les juridictions internationales
doivent reconnaître comme tel. Mais la sécurité nationale peut masquer une multitude d’erreurs et
il faut la contenir dans des limites appropriées ¾ il ne s’agit pas simplement d’un atout à sortir de
sa manche aux fins d’une inspection hâtive par le Tribunal. Ainsi, et c’est ma seconde observation,
si les Etats-Unis veulent réellement établir que c’est la sécurité nationale qui les a obligés à agir
comme ils l’ont fait, ils doivent développer ce moyen de défense, la question de la sécurité
nationale, et montrer que leur action était indispensable. C’est la méthode que vous avez adoptée à
l’égard d’une disposition, exactement dans les mêmes termes, dans l’affaire relative aux Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique)
et nous vous prions de faire de même ici.
Conclusion
32. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il est évident que pour évaluer
les demandes et les demandes reconventionnelles présentées par les Parties au sujet de la violation
- 38 -
d’une disposition d’un traité bilatéral, vous devrez prendre en considération le contexte plus large
de la guerre de légitime défense et pratiquement de survie nationale que l’Iran livrait à l’époque.
Afin d’aider la Cour, nous avons demandé un rapport indépendant à un expert connu,
M. Laurence Freedman du Kings College de Londres, rapport que vous trouverez reproduit au
volume II de la réplique de l’Iran. Comme je viens de le dire, il s’agit d’un rapport indépendant et
l’Iran ne souscrit pas nécessairement à tout ce qu’il dit : M. Freedman a été prié de rédiger
lui-même ce rapport précisément pour garantir l’indépendance requise; le rapport ne lui a pas été
dicté. Mais ce rapport vous donne une idée du contexte général et c’est pourquoi nous vous en
recommandons la lecture. En revanche, les Etats-Unis doivent encore réagir à la plupart des
observations formulées dans ce rapport.
33. En fait, la réaction des Etats-Unis quand ils sont face à des éléments de ce type est le plus
souvent de dire que ces éléments sont dénués de pertinence. Tel n’est pas le cas, car il faut tenir
compte du contexte tant sous l’angle des faits que sous l’angle du droit. Alors que l’Iran exerçait
manifestement son droit à la légitime défense parce qu’il faisait l’objet d’une attaque armée, d’une
franche agression en fait, il a cherché à maintenir des relations, sinon amicales, du moins correctes
avec le reste du monde, y compris les Etats-Unis. Le maintien en vigueur du traité d’amitié
procédait de cette attitude. La Cour n’a pas à considérer ici qu’elle est face au cas de figure
classique, le bruit des armes réduisant le droit au silence; vous l’avez clairement indiqué dans
l’affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) et à nouveau dans l’avis consultatif sur la Menace ou
l’emploi d’armes nucléaires; nous vous demandons de faire à nouveau de même en l’espèce. Les
Etats-Unis ont accepté de maintenir en vigueur le traité d’amitié pendant qu’ils prenaient le parti de
l’Iraq ce qui (ils l’admettent maintenant) constituait une politique à courte vue qui manquait
manifestement de perspicacité. En agissant ainsi, ils ont commis des actes allant bien au-delà de
toute nécessité ou intérêt réel ou imaginaire, des actes de sanction qui ont enfreint la liberté de
commerce entre les deux Etats, et ils ont agi ouvertement, s’autorisant n’importe quel geste, violant
par là un traité en vigueur.
34. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il ne fait aucun doute que le
droit international doit être appliqué avec réalisme et je pense qu’une cour pourrait hésiter face à
- 39 -
une grande puissance qui invoque les intérêts vitaux de sa sécurité pour justifier son comportement.
Mais pour la Cour, ici, la valeur fondamentale est la règle de droit international. On peut
difficilement attendre des Etats qu’ils respectent le droit international ¾ comme les puissants les
incitent constamment à le faire ¾ sauf à ce que les puissants puissent eux-mêmes être appelés à
rendre compte de leurs propres actions selon les mêmes normes devant un tribunal compétent.
Vous avez déjà jugé que vous avez compétence. L’Iran prie respectueusement la Cour d’appliquer
le droit à l’examen au fond de la présente espèce, sans craindre les conséquences ni pencher pour
l’Etat le plus favorisé ¾ sans ressentiment ni partialité ¾ sine ira et studio ¾ je me permets de
citer Tacite une fois encore38. Et ainsi, vous devriez conclure ¾ ainsi que nous vous prions
respectueusement de le faire ¾ que les attaques lancées contre les plates-formes constituaient une
violation manifeste d’un traité en vigueur, du paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié, et vous
devriez tirer les conséquences juridiques qui découlent de cette conclusion.
Merci monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour. Je vous prie, monsieur le
président, d’appeler à la barre M. Djamchid Momtaz.
The PRESIDENT : Thank you, Professor Crawford. I now give the floor to
Professor Momtaz.
Mr. MOMTAZ:
The lawfulness of the measures taken by Iran in the Persian Gulf in the face of Iraq’s
aggression
In the name of God the merciful and compassionate.
Mr. President, Members of the Court,
1. I am deeply sensitive to the honour and privilege bestowed upon me in being given the
opportunity to speak today before the highest international court. I am moreover very pleased to
have the chance, through the statement I am called upon to make, to assist the Court in its task. My
statement will concern the lawfulness of the measures taken by the Islamic Republic of Iran in the
Persian Gulf between 1980 and 1988 to confront the premeditated attack by Iraq.

38 Annales, livre 1, chap. 1.
- 40 -
2. I wish at the outset to note that my oral statement must not be seen as an indictment of
Iraq and the point here is in no way to establish Iraq’s responsibility for starting the armed conflict,
a fact which is now undisputed. Mr. President, that is the context which should be kept in mind in
assessing the arguments presented by the United States to justify the destruction of the oil platform
complexes of Reshadat on 19 October 1987 and Salman and Nasr on 18 April 1988.
3. Mr. President, it is now well-established that on 17 September 1980 Iraq unilaterally
denounced the Treaty on International Borders and Good Neighbourly Relations signed with Iran
on 13 June 1975 and that it sent armoured divisions into Iranian territory a few days later, on
22 September 1980. In less than a week Iraq succeeded in occupying some 30,000 sq km of
Iranian territory. It took until the eve of Iraq’s 1990 invasion of Kuwait for Iran’s territorial
integrity to be restored.
4. The report by the United Nations Secretary-General pursuant to paragraph 6 of Security
Council resolution 598 of 20 July 1987, devoted to establishing responsibility for the conflict,
expressly recognizes Iraq’s responsibility for starting the conflict, which was to last until
20 August 1988. In that report, made public on 9 December 1991, the Secretary-General stated:
“Even if before the outbreak of the conflict there had been some encroachment
by Iran on Iraqi territory, such encroachment did not justify Iraq’s aggression against
Iran ¾ which was followed by Iraq’s continuous occupation of Iranian territory
during the conflict ¾ in violation of the prohibition of the use of force, which is
regarded as one of the rules of jus cogens.”
In the view of the Secretary-General, Iraq’s attack on Iran was:
“the outstanding event under the violations [of international law], which cannot be
justified under the Charter of the United Nations, any recognized rules and principles
of international law or any principles of international morality and entails the
responsibility for the conflict.”39
The English, original, version of the Secretary-General’s report appears under tab 3 in the judges’
folder. Specifically, these quotations are from paragraphs 6 and 7 of the report.
5. In confronting this clear aggression, the Islamic Republic of Iran had no alternative but to
have recourse, under Article 51 of the United Nations Charter, to its “inherent right of
individual . . . self-defence”. It was in the exercise of that right, and for the purposes of defending
its coasts, preventing Iraq from increasing its combat capability and thwarting Iraq’s attempt to

39S/23273.
- 41 -
extend the war to the waters of the Persian Gulf, that Iran was obliged to take measures in
accordance with the law of naval warfare. In other words, Mr. President, it is clear beyond doubt
that in this war which had been thrust upon it Iran was entitled to count on respect for the jus in
bello by not only the aggressor State but also by neutral States. It was in complete conformity with
the law of war that Iran was forced to blockade the coast of Iraq, to establish a war zone and to
intercept neutral merchant vessels, points I shall address in turn in the course of my statement.
I. Iran’s war zone and Iraq’s total exclusion zone
6. Mr. President, on the very day on which Iraq launched its massive attack, the
Commander-in-Chief of the Iranian Navy sent a notice to mariners likely to sail into the Persian
Gulf40. By that notice the Islamic Republic of Iran imposed the blockade of the Iraqi coast and
declared the waters adjacent to its coast to be a war zone.
7. On the subject of the blockade, I shall simply recall briefly that this is a combat method
unique to naval warfare, whereby the belligerent imposing it endeavours to interdict all
communication between the enemy shore and the high seas. The Islamic Republic of Iran’s
decision to blockade Iraq’s coast is in complete conformity with the Declaration of Paris of
30 March 1856, which governs the relations between belligerents and neutrals in naval warfare;
the Declaration of Paris is considered to express a custom which is now well-established.
8. In respect of the war zone established by Iran, more commonly called the zone of
operations, this was intended to warn neutral navigation of the dangers which could result from
naval combat and to defend Iranian territory by regulating neutral navigation. In that war zone,
which extended up to a line linking the furthest points of the territorial sea of the Iranian islands in
the Persian Gulf, neutral merchant vessels, regardless of their destination, were invited to use the
navigational corridors assigned to them and periodically to report their position to the Iranian
authorities41. The map which will now appear on the screen shows the extent of this war zone
established by the Islamic Republic of Iran in 1980.

40Notice to Mariners no. 17/59; cf. A. De Guttry and N. Ronzitti, The Iran-Iraq War (1980-1988) and the Law of
Naval Warfare, Cambridge, 1993, p. 37.
41Notice to Mariners No. 23/59 of 21 January 1981; cf. De Guttry and Ronzitti, op. cit., p. 38.
- 42 -
9. While safeguarding the security of the Iranian coasts and avoiding any enemy intrusion,
the regulatory system applied by Iran in this war zone was principally intended to protect the free
navigation of neutral merchant ships to or from the Iranian ports. Indeed, inasmuch as, unlike
Iraq, the one and only way of exporting Iranian oil ¾ then the principal source of funding for its
war effort ¾ was via the navigational routes of the Persian Gulf, it clearly became vital for the
Islamic Republic of Iran to maintain freedom of navigation. On a number of occasions, Iran
therefore officially undertook to spare no effort in protecting this freedom of navigation and to
guarantee free transit through the Strait of Hormuz serving international shipping42
.
10. Iraq, on the other hand, repeatedly and very clearly manifested its desire to prevent Iran
by whatever means from exporting its oil through the Persian Gulf. Which was why, on
7 October 1980, Iraq declared the waters of the Persian Gulf lying north of 29° N latitude a zone
prohibited to all shipping. The map being shown on the screen will also, Mr. President, now
indicate Iraq’s total exclusion zone43. This zone included not only Kharg Island, Iran’s main oil
terminal, but also the Iranian ports of Imam Khomeini and Bouchir.
11. Mr. President, on 16 August 1982, Iraq extended its exclusion zone to include waters up
to a distance of 60 km from Kharg Island. The map being projected on the screen will, lastly, show
the limits of Iraq’s total exclusion zone after its extension in 1982. The map indicating the limits of
Iran’s war zone, Iraq’s exclusion zone, and also its extension in 1982, is found under tab 4 in the
judges’ folder44. The effectiveness of Iraq’s exclusion zone was ensured not by surface vessels but
by military aircraft, which attacked any merchant ship on sight. And Iraq acknowledged that it
had, on a number of occasions, used its Super Etendards armed with Exocet missiles to strike and
sink oil tankers flying a neutral flag sailing in Iraq’s exclusion zone45
.
12. Mr. President, these raids did not spare ships flying the flags of States which had
nevertheless allied themselves with Iraq in the armed conflict between itself and the Islamic
Republic of Iran. Proof of this is the attack launched on 25 April 1984 against the oil tanker

42Letter from the Minister for Foreign Affairs of Iran to the Secretary-General of the United Nations,
S/14 226-22/1/81; see also Memorial of Iran, Vol. II, Exhibit 22, p. 316.
43United States Defence Mapping and Hydrographic Centre (DMAHIC) Special Warning No. 50; see also report
of Professor Freedman, Reply and Defence to Counter-Claim by Iran, Vol. II.
44DMAHIC Special Warning No. 62; see De Guttry and Ronzitti, op. cit., p. 72.
45AFP, 2 and 5 May 1984; see also, Reply and Defence to Counter-Claim by Iran, Vol. II, Exhibit 15.
- 43 -
Safina Al Arab, flying the flag of Saudi Arabia and disclosed by President Saddam Hussein in
person46. And the Iraqi strikes were not confined to oil tankers in the exclusion zone set up by Iraq.
Among the many other attacks which can be imputed to Iraq, I shall merely instance those against
two oil tankers lying south-east of Kuwait, where they had just taken on cargo. These attacks,
outside the exclusion zone, were, moreover, announced by the Iraqi authorities themselves; I am
referring to these two tankers lying just off the coast of Kuwait on 27 March 198447. Shortly after,
on 9 May 1984 to be precise, the Iraqi Minister for Oil admitted, at the meeting of the Organization
of Arab Petroleum Exporting Countries (OAPEC), that the Iraqi air force, sometimes operating
from very high altitude, was incapable of recognizing in advance a merchant ship it was targeting48
,
proof if ever there was of Iraq’s responsibility in the indiscriminate attacks it made on neutral
ships.
13. Such has been the attitude of the United States of America to these attacks. Not only
would the United States refrain from condemning the attacks, but, throughout the conflict, it would
adopt a sympathetic, not to say complacent attitude towards Iraq. This policy was in flagrant
contradiction with the often reiterated undertaking of the United States to safeguard the free flow of
oil from the Persian Gulf, on which the economy of the West is heavily dependent49. In reality,
Mr. President, this policy pursued by the United States was fully in keeping with the determination
of the United States of America to prevent victory by Iran in the war between it and Iraq and this
desire was logically to lead the United States to unfailing support of the Iraqi war effort. It will
shortly be the task of my colleague, Mr. Bundy, to flesh out this matter for you and to highlight the
means employed by the United States to achieve its goals. One of the subterfuges employed, which
I shall be considering myself in the second part of my oral argument, was the obstacles regularly
used to impede the exercise by Iran, as a belligerent, of its right to intercept and search neutral
vessels to ensure that they were respecting the law of neutrality. A matter which I shall now deal
with.

46AFP, 27 April 1984; see also, Report by Prof. Freedman, Reply and Defence to Counter-Claim by Iran, Vol. II.
47AFP, 2 May 1984; see also, Reply and Defence to Counter-Claim by Iran, Vol. II, Exhibit 15.
48AFP, 9 May 1984.
49Secretary of Defence, A report to the Congress on Security Arrangements in the Persian Gulf, 15 June 1987;
see Memorial of Iran, Vol. II, Exhibit 32.
- 44 -
II. Interception and searching of neutral vessels by Iran
14. Mr. President, according to universally recognized principles, a warship of a belligerent
has the right, in waters where there is freedom of navigation, to stop and search a neutral merchant
vessel and to inspect its cargo to ensure that it is observing the rules of neutrality and is not
carrying contraband. The Declaration of Paris, to which I have already referred, sets out this
principle in a dictum well known to international jurists, namely: “the neutral flag does not cover
war contraband”. It is now established that determining whether articles are war contraband falls
within the exclusive jurisdiction of belligerents50. Moreover, this is the legal basis of the Law
relating to the right of seizure adopted by the Iranian Parliament on 31 January 1988. Under this
statute, which in fact codifies the practice followed by the Iranian Navy throughout the armed
conflict at sea, any material or property likely to increase the enemy’s capacity for aggression is
classed as contraband and may thereby be seized. Aimed as they were at destroying Iraq’s war
effort, the interception and search operations carried out by the Islamic Republic of Iran on neutral
vessels were therefore wholly in keeping with the law of armed conflict and were simply intended
to address the war of aggression imposed upon it.
15. Moreover, Mr. President, the legality of those stop and search operations was not
disputed, either by the Security Council or by the States whose ships had been intercepted by the
Iranian Navy. Following the Iranian Navy’s visit and search of the President Taylor, a United
States-flagged vessel, on 13 January 1986, the United States expressly recognized the belligerents’
right to conduct such operations on the high seas51. Their legality nevertheless gave rise to doubts,
Mr. President, when they targeted merchant ships going to or coming from Kuwait. The
unprecedented surge in the tonnage of goods unloaded in Kuwaiti ports had made Iran somewhat
suspicious about the final destination of those goods unloaded in Kuwait. In order to make sure
that such goods were not intended for the enemy, Iran stopped and searched neutral merchant ships
heading for Kuwaiti ports in accordance with the law on maritime warfare. Those operations were
consistent with the so-called doctrine of “continuous voyage”, as accepted and applied by Prize
Law jurisprudence and moreover upheld by the British High Court on 16 September 1915 in the

50C. Rousseau, Droit des conflits armés, Pédone, 1983, p. 471.
51Statement by Principal Deputy Press Secretary of the President, 13 January 1986; see Reply of Iran, Vol. II,
Freedman Report, para. 34, note 58.
- 45 -
celebrated case of The Kim52. This jurisprudence authorizes the seizure of war contraband on board
a neutral vessel during its voyage between two neutral ports if its final destination is enemy
territory. Moreover, Mr. President, as a result of those interception operations, the Iranian Navy
was able to establish inter alia that the destination of the arms carried by the Danish vessel
Elsa Cat, stopped in August 1981, was in fact hostile because the cargo in question was destined
for Iraq53. This was also the case for the cargo of the Kuwaiti-flagged vessel El Muharaq, stopped
in June 1985, on which the labelling clearly indicated that it was destined for the enemy54
.
16. It has also been established that, in order to break the blockade along its coastline, Iraq
was using Kuwaiti port facilities as an outlet for part of its oil production and to export oil
produced in the oil fields of Kafji, located in the former Neutral Zone between Kuwait and Saudi
Arabia and made available to Iraq by those States in 1983 to support its war effort against Iran55
.
17. We are obviously not seeking here to put Kuwait on trial, since all those facts that I have
just mentioned were subsequently acknowledged by the Kuwaiti authorities, who on several
occasions presented their apologies for their country’s hostile attitude to Iran. One example is the
statement made in an interview by the Kuwaiti Minister for Foreign Affairs, Sheikh Sabah, in
September 1994, when he expressed himself as follows: “I would like to use this opportunity for
us to ask Iran publicly . . . for forgiveness for having supported Iraq in the war against Iran from
1980 to 1988. We committed a great error then.”56 As I said previously, Iraq is not on trial here
either. What we are seeking to establish before you, however, is the responsibility of the United
States, which, whilst purportedly a neutral State, nevertheless knowingly assisted Kuwait and Saudi
Arabia in their efforts to support Iraq.
18. In order to impede the Iranian Navy’s stop and search operations, the United States Navy
accorded military protection, in the form of convoys, to merchant ships sailing to or from Kuwait.
It is true that, pursuant to Articles 61 and 62 of the Declaration of London of 26 February 1909

52Ch. Rousseau, Droit des Conflits armés, Pédone 1983, pp. 486-487.
53See Ch. Rousseau, “Chronique des faits internationaux”, RGDIP, Vol. 86, 1982, pp. 812 et seq.
54See Observations and Submissions on the United States Preliminary Objection, Vol. I, Annex, para. 28 and
Vol. II, Exhibit 20.
55War Relief Crude oil Agreement F. Mehr Odil, Vol. 20, No. 1989, pp. 105-106, Memorial of Iran, Vol. II,
Ann. 27.
56Reply of Iran, Exhibit 13.
- 46 -
concerning the laws of naval war, neutral warships are authorized to convoy merchant ships sailing
under their flag. In this case, such vessels are exempt from search, but the commander of the
convoy remains under an obligation to give, in writing, at the request of the commander of a
belligerent warship, all information which could be obtained by search. The escort provided by the
United States Navy did not however meet those conditions. Resorting to intimidation and threats,
the commanders of their warships made it practically impossible to establish any contact with a
view to obtaining guarantees as to the absence of war contraband on board the vessels they were
convoying. This can be seen from the warnings issued by the United States warships to dissuade
the Iranian Navy from visiting and searching the United States-flagged President McKinley on
14 May 198657. Similarly, the United States, by extending its protection to all merchant vessels,
violated the Declaration of London, and more precisely Article 62, which requires that warships
only escort merchant vessels flying their flag and not that of any third State.
19. It was doubtless to comply with this rule that the United States decided, on 30 June 1987,
to authorize Kuwaiti tankers to fly its flag even though they had no substantial link with that
country. This gave rise to protests within the United States Congress, condemning such
“reflagging”, which was seen as disclosing a policy of alignment between the United States and
Iraq. In the view of Senator Nunn, Chairman of the United States Senate Foreign Affairs
Committee, the reasons invoked to justify that policy failed to take account of the fact that Iran had
been the victim of aggression, both on the ground and in the tanker war58
.
20. In conclusion, there can be no doubt that all these acts of goodwill towards Iraq and the
States supporting it, a contrario constituted acts of ill will towards Iran and can accordingly be
seen as a breach of duty by the United States, which had declared itself neutral at the start of the
conflict. Article IX of the Hague Convention of 18 October 1907 concerning the rights and
obligations of neutral powers in maritime warfare imposes an obligation of impartiality on those
neutral powers, obliging them to treat both belligerents uniformly. The United States Navy in fact
played an active part in the war by hostile actions against Iranian civilian targets, which included
the oil platforms attacked in October 1987 and April 1988 in violation of Article X, paragraph 1, of

57New York Times, 15 May 1986, Memorial of Iran, Ann. 30.
58Memorial of Iran, Ann. 32.
- 47 -
the Treaty of Amity, Economic Relations, and Consular Rights of 15 August 1955 between Iran
and the United States. Those attacks were intended to undermine Iran’s oil production and the
United States sought to disguise them by invoking an individual right of self-defence.
Having reached the end of my statement I would be grateful, Mr. President, if you would
now kindly give the floor to Mr. Bundy.
Thank you, Members of the Court, for your attention.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Momtaz. I now give the floor to Mr. Bundy.
M. BUNDY :
Le contexte des attaques lancées contre les plates-formes : les Etats-Unis appuient l’Iraq et
son effort de guerre tandis qu’ils sont foncièrement animés d’hostilité à l’égard de l’Iran
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un grand honneur de
représenter devant vous aujourd’hui dans cette affaire importante la République islamique d’Iran.
A. Introduction
1. Pour la troisième fois au cours des vingt dernières années, le monde a les yeux fixés sur la
partie septentrionale du golfe Persique où la menace d’une guerre assombrit de nouveau l’actualité
de façon alarmante. La Cour ne manquera pas de constater que la procédure qui s’ouvre
aujourd’hui procède d’une série d’événements qui ont marqué un précédent conflit dans la région.
S’il est difficile dans ces conditions de trouver le moindre contrepoids aux nuages de guerre
annonciateurs de tempête, il est heureux que ce soit la Cour, en sa qualité d’organe judiciaire
principal des Nations Unies, qui soit appelée à statuer sur le différend actuel conformément au
droit.
2. Dans leurs plaidoiries au cours de la phase de la procédure consacrée à la compétence
(CR 96/12, p. 23), et à nouveau dans leur contre-mémoire (par. 1.01), les Etats-Unis ont souligné
que «la présente affaire [avait] pour cadre la guerre Iran/Iraq qui s’est déroulée de 1980 à 1988».
L’Iran souscrit sans réserve à cette déclaration. En fait, les attaques lancées par les forces navales
des Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières offshore de l’Iran, attaques qui constituent
l’objet même du présent différend, ne peuvent être dissociées du contexte factuel dans lequel ces
- 48 -
attaques ont eu lieu. Les événements d’octobre 1987 et d’avril 1988 ne se sont pas produits dans le
vide. Ils sont liés à tout un ensemble de manifestations d’hostilité de la part des Etats-Unis à
l’égard de l’Iran qui s’expliquent foncièrement par la politique que le Gouvernement des
Etats-Unis, au plus haut niveau, a adoptée pour soutenir l’agression iraquienne contre l’Iran.
3. Mais, tout en admettant que l’affaire se situe dans le cadre de la guerre Iran/Iraq, les
Etats-Unis disent aussi, avec une parfaite mauvaise foi, que :
«Toutes les allégations antérieures de l’Iran concernant tous les manquements
dont se seraient rendus coupables les Etats-Unis, à l’exclusion des actions que ceux-ci
ont menées contre les plates-formes pétrolières, ne sont par conséquent plus en litige
et les Etats-Unis ne les ont pas examinées dans le présent contre-mémoire.»
(Contre-mémoire, par. 1.13.)
A quoi les Etats-Unis ajoutent dans leur duplique, de façon inopportune sur le plan de la procédure,
une exception de compétence consistant à affirmer qu’en évoquant le comportement passé des
Etats-Unis, l’Iran «soulèv[e] des questions qui échappent à la compétence de la Cour et sont
dénuées de pertinence en l’espèce» (duplique, par. 1.09).
4. Non seulement les Etats-Unis définissent-ils mal le litige sur le plan de la compétence,
mais encore est-il facile de montrer que leurs arguments au sujet de la pertinence de leur propre
comportement pendant la période préludant aux attaques contre les plates-formes sont totalement
infondés. Il n’est pas ici demandé à la Cour de dire si, en appuyant l’effort de guerre iraquien à
l’encontre de l’Iran, les Etats-Unis ont violé le droit international. Pour fonder ses demandes, l’Iran
dit uniquement que les Etats-Unis ont violé le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié en
détruisant les plates-formes pétrolières en question.
5. De leur côté les Etats-Unis ont invoqué la légitime défense pour justifier ces attaques.
Comme la Cour l’a fait observer dans l’affaire Nicaragua :
«l’invocation de la légitime défense tend normalement à justifier un comportement qui
serait sans cela illicite. Quand elle est présentée comme telle, et sans que le
comportement dont il s’agit soit nié, elle peut fort bien constituer à la fois une
reconnaissance de ce comportement et de son caractère illicite s’il n’est pas justifié par
la légitime défense.» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 45,
par. 74.)
6. La question est par conséquent de savoir si les Etats-Unis ont bien prouvé, comme ils en
avaient la charge, que leur invocation de la légitime défense, voire leur argument des intérêts vitaux
- 49 -
sur le plan de la sécurité, est juridiquement fondée. Pour se prononcer à cet égard, la Cour est
tenue de se demander à quelle motivation, à quelles véritables raisons, répondaient les actions des
Etats-Unis. Les Etats-Unis faisaient-ils vraiment acte de légitime défense au moment où ils ont
attaqué les plates-formes ? Ou bien leurs intérêts résidaient-ils ailleurs ? Leurs actions
s’inscrivaient-elles dans une politique plus large visant à exercer des pressions militaires et
économiques sur l’Iran ¾ politique que le secrétaire adjoint à la défense des Etats-Unis de
l’époque, Lawrence Korb, décrit comme suit :
«[Q]uand les Etats-Unis sont allés dans le golfe [Persique], … nous voulions
nous assurer que l’Iran ne gagnerait pas la guerre. C’était là véritablement notre
objectif, nous faisions beaucoup de choses pour faire en sorte que les Iraniens se
souviennent de cette leçon.» (Mémoire, annexe 51.)
7. Monsieur le président, détruire les plates-formes pétrolières iraniennes qui revêtaient tant
d’importance pour l’économie et le commerce iraniens, c’était précisément l’une des initiatives
visant à aider l’Iraq et à servir de leçon à l’Iran. Il ne s’agissait pas de légitime défense, c’était
plutôt une question d’opportunité à court terme et, finalement, mal inspirée. De surcroît, c’était là
un comportement qui revenait à violer le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié.
8. Lors de l’examen de ces questions, il importe aussi de ne pas oublier ce que la Cour a dit
de l’article premier du traité d’amitié dans l’arrêt qu’elle a rendu en 1996 sur la compétence.
Comme la Cour le sait, cet article premier dispose : «Il y aura paix stable et durable et amitié
sincère» entre les deux Etats contractants.
9. La Cour n’a pas vu dans cet article premier une base de compétence distincte en l’espèce,
mais elle n’en a pas pour autant ôté toute pertinence à cet article premier. Comme la Cour l’a
déclaré :
«en insérant dans le corps même du traité la formule figurant à l’article premier, les
deux Etats ont entendu souligner que la paix et l’amitié constituaient la condition du
développement harmonieux de leurs relations commerciales, financières et consulaires
et qu’un tel développement renforcerait à son tour cette paix et cette amitié. Par voie
de conséquence, l’article premier doit être regardé comme fixant un objectif à la
lumière duquel les autres dispositions du traité doivent être interprétées et appliquées.»
(C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 814, par. 28.)
10. Pour comprendre ce qu’était véritablement la situation, y compris comment le
paragraphe 1 de l’article X du traité s’applique aux attaques contre les plates-formes, il faut
nécessairement examiner le comportement des Etats-Unis jusqu’aux attaques elles-mêmes et voir
- 50 -
quelles étaient les obligations incombant aux Etats-Unis en vertu de l’article premier du traité, à
l’aune duquel il faut interpréter et appliquer le paragraphe 1 de l’article X. C’est ce comportement
que je vais étudier à présent.
*
* *
11. Les Etats-Unis soutiennent avoir été strictement neutres lors du conflit Iran/Iraq. Et ils
soutiennent que la politique adoptée par les Etats-Unis interdisait toute exportation d’armes tant à
l’Iran qu’à l’Iraq, que les Etats-Unis souhaitaient favoriser la cessation des hostilités sans qu’il y ait
vainqueur ni vaincu et avaient pour objectif de préserver la liberté de navigation dans le golfe
Persique (CR 96/12, p. 25 (Neubauer)).
12. Ces affirmations sont contredites par des éléments de preuve contemporains, en
particulier par des déclarations émanant de hauts fonctionnaires du Gouvernement des Etats-Unis
de l’époque. Comme le dossier le montre et comme je vais l’indiquer, les Etats-Unis ont apporté
un soutien actif à l’effort de guerre iraquien contre l’Iran et étaient foncièrement disposés à prouver
leur hostilité à l’Iran pendant toute la durée du conflit. Cet état d’esprit s’est manifesté jusqu’aux
attaques contre les plates-formes pétrolières d’octobre 1987 et d’avril 1988 et même jusqu’après
ces attaques, jusqu’en juillet 1988 par exemple, date à laquelle un aéronef civil iranien a été abattu,
ce qui a coûté la vie à deux cent quatre-vingt-dix personnes.
13. Pour donner à la Cour une idée de l’attitude qu’avaient adoptée les Etats-Unis avant
qu’ils attaquent les plates-formes, je me permets quelques citations qui rendent compte de la
politique officielle que les Etats-Unis pratiquaient à l’époque. Voici d’abord James Baker, l’ancien
secrétaire d’Etat :
«Le Gouvernement des Etats-Unis avait pour politique à l’époque d’aider l’Iraq
dans la guerre menée par l’Iraq contre l’Iran pour créer, en fait, un contrepoids à
l’Iran… Nous avons donc apporté à l’Iraq un appui solide dans le domaine du
renseignement et probablement aussi un soutien matériel.» (James Baker, ancien
secrétaire d’Etat (cité dans l’émission intitulée «The Making of Saddam»,
BBC Radio 4, 27 janvier 2003, 20 h 00-20 h 30 TU).)
- 51 -
Ensuite, l’ambassadeur Richard Murphy, à l’époque secrétaire d’Etat adjoint chargé des
affaires du Proche-Orient et de l’Asie du Sud. Il s’exprime en ces termes devant le Sénat des
Etats-Unis : «Comme ils veulent endiguer l’expansion de la révolution iranienne, les Etats-Unis ont
tout intérêt à ce que l’Iraq puisse continuer d’assurer sa défense.» (Ambassadeur Richard Murphy,
secrétaire d’Etat adjoint pour les affaires du Proche-Orient et de l’Asie du Sud, lors d’une
déposition devant le comité des relations extérieures du Sénat des Etats-Unis, le 29 mai 1987
(mémoire, annexe 49).) Ensuite, Lawrence Korb, que j’évoquais il y a un instant, l’ancien
secrétaire adjoint à la défense. Il dit ceci :
«Nous savons maintenant, et à mon avis nous le savions même avant cet
incident, que quand les Etats-Unis sont allés dans le golfe [Persique], ce n’était pas
simplement pour escorter les pétroliers koweïtiens. Nous voulions nous assurer que
l’Iran ne gagnerait pas la guerre. Autrement dit nous sommes devenus de facto les
alliés de l’Iraq.» (Lawrence Korb, ancien secrétaire adjoint à la défense,
2 juillet 1992, mémoire, annexe 51.)
¾ «Il était assez clair que les Etats-Unis penchaient du côté de l’Iraq.»
(William Colby, ancien directeur de la CIA, 2 juillet 1992, mémoire, annexe 51.)
¾ «En juin 1982, le président Reagan a décidé que les Etats-Unis ne pouvaient pas
se permettre de laisser l’Iraq perdre la guerre contre l’Iran. Le président Reagan a
décidé que les Etats-Unis feraient tout ce qu’il fallait sans entorse à la légalité pour
empêcher l’Iraq de perdre la guerre contre l’Iran.» (Howard Teicher, membre du
Conseil de la sécurité nationale des Etats-Unis, réplique, annexe 10.)
¾ «Notre soutien à l’Iraq augmenta plus ou moins en fonction des succès militaires
de l’Iran : les Etats-Unis menaient carrément une politique de maintien d’un
certain équilibre des forces. Nous ne pouvions tout simplement pas rester les bras
croisés pendant que la révolution de Khomeini balayait tout sur son passage.»
(George Shultz, secrétaire d’Etat des Etats-Unis, réplique, citation figurant dans le
rapport Freedman, p. 46.)
¾ «Les administrations Reagan et Bush ont soutenu l’Iraq contre l’Iran … en
reconduisant l’aide après que l’Iraq fut devenu la plus forte puissance dans le
Golfe, elles ont contribué à son agressivité ultérieure, qui a culminé avec
l’annexion du Koweït.» (Henry Kissinger, mémoire, annexe 45.)
14. Vous vous souvenez, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, que ces
citations se rapportent à une situation dans laquelle l’Iraq, en violation de principes élémentaires du
droit international ¾ en violation bel et bien du jus cogens ¾ était l’agresseur, une situation dans
laquelle l’Iraq utilisait des armes chimiques à l’encontre de l’Iran, lançait sans discrimination des
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attaques de missiles contre des villes iraniennes, une situation dans laquelle l’Iraq avait engagé et
poursuivi ce que l’on a appelé une «guerre des pétroliers». Et pourtant, les Etats-Unis se sont faits
les alliés de l’Iraq dans cette campagne.
15. Avant d’en arriver aux éléments précis de leur comportement qui montrent que l’hostilité
des Etats-Unis à l’égard de l’Iran était sans faille, il me faut encore souligner deux points pour
situer ces preuves dans leur bon contexte juridique. Le premier point est que, pour la Cour, le type
de déclarations dont je viens de citer des extraits constitue des preuves ayant a priori «une valeur
probatoire élevée», comme le dit la Cour elle-même. Dans l’arrêt qu’elle a rendu au stade du fond
dans l’affaire Nicaragua, la Cour dit ceci :
«La Cour considère que des déclarations de cette nature, émanant de
personnalités politiques officielles de haut rang, parfois même du rang le plus élevé,
possèdent une valeur probante particulière lorsqu’elles reconnaissent des faits ou des
comportements défavorables à l’Etat que représente celui qui les a formulées. Elles
s’analysent alors en une sorte d’aveu.» (C.I.J. Recueil 1986, p. 41, par. 64.)
16. Le second point est que les Etats-Unis n’ont contesté aucun des éléments de preuve qui
montrent de façon si patente que leur action au cours de la guerre Iran/Iraq visait à aider l’Iraq et à
porter atteinte à l’Iran, à intimider, à punir l’Iran. Permettez-moi de rappeler à la Cour que l’Iran a
étudié ces éléments de preuve en détail dans chacune de ses pièces de procédure, tant lors de la
phase relative à la compétence que dans celle du fond. Mais les Etats-Unis ont gardé le silence.
Les Etats-Unis font comme si l’Iraq n’existait pas ou tout au moins comme si les relations entre les
Etats-Unis et l’Iraq n’étaient pas un facteur qui avait influencé leur comportement vis-à-vis de
l’Iran.
17. A partir de cette prémisse fondamentalement erronée, les Etats-Unis écartent purement et
simplement l’étude que fait l’Iran du contexte factuel dans lequel se situent les attaques lancées
contre les plates-formes en disant qu’il s’agit de «manœuvres de diversion» (duplique des
Etats-Unis, par. 1.10). Il n’en est rien. Les éléments de preuve invoqués par l’Iran sont largement
étayés et sont d’ailleurs de notoriété publique. Ces éléments montrent sans laisser subsister le
moindre doute à ce sujet qu’avant l’attaque des plates-formes, pendant l’attaque et à la suite de
l’attaque, les Etats-Unis apportaient à l’Iraq leur soutien militaire, logistique, financier et
diplomatique. La politique des Etats-Unis procédait d’une antipathie intense à l’égard de l’Iran et
visait foncièrement à donner à l’Iran une leçon dont celui-ci se souviendrait bien que l’Iran fût la
- 53 -
victime de l’agression iraquienne. Voilà dans quel contexte se situe la destruction des
plates-formes pétrolières iraniennes. Ce contexte intéresse directement le point de savoir si la
légitime défense invoquée par les Etats-Unis se soutient valablement ou si le comportement des
Etats-Unis était authentiquement motivé par la nécessité de protéger leurs intérêts vitaux sur le plan
de la sécurité.
*
* *
B. Exemples précis illustrant le comportement hostile des Etats-Unis vis-à-vis de l’Iran
18. Le 22 septembre 1980, l’Iraq envahit l’Iran, déclenchant ainsi la guerre. Dans le rapport
qu’il présente au Conseil de sécurité sur l’application de la résolution 598 du Conseil, le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies indique, comme la Cour s’en souviendra,
que cet événement ¾ l’invasion iraquienne ¾ est un fait que l’on ne saurait justifier en invoquant
la Charte des Nations Unies, des règles et principes reconnus du droit international ou des principes
quelconques de la morale internationale et qui entraîne donc la responsabilité du conflit. L’Iraq est
l’agresseur, et l’Iran est acculé à l’adoption de mesures défensives et contraint de s’engager dans un
conflit qu’il n’a pas voulu et dont il n’est pas responsable. Dans ces conditions, si un Etat est
véritablement fondé à exercer le droit naturel de légitime défense qui lui est reconnu à l’article 51
de la Charte, c’est bien l’Iran. Les Etats-Unis ne tiennent aucun compte de ce fait élémentaire,
pourtant fondamental, dans leurs écritures.
*
* *
1. En 1982, les Etats-Unis rayent l’Iraq de leur liste d’Etats soutenant le terrorisme et
libèrent des crédits à l’exportation au profit de l’Iraq
19. Venons-en aux éléments précis du comportement des Etats-Unis : en mars 1982, alors
que la guerre Iran/Iraq prend un tournant décisif ¾ l’Iran commence tout juste à repousser hors de
son territoire l’envahisseur iraquien ¾, le département d’Etat raye l’Iraq de sa liste d’Etats
soutenant le terrorisme. L’Iraq en retire des bénéfices considérables, car il peut de ce fait prétendre
à une vaste gamme de crédits commerciaux et de crédits à l’exportation américains ¾ événement
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vital pour le régime iraquien qui manque cruellement de fonds pour alimenter sa campagne
militaire contre l’Iran. Inutile de préciser que les Etats-Unis n’ont pas accordé pareilles facilités
financières à l’Iran.
20. Cette décision ¾ de rayer l’Iraq de la liste du département d’Etat sur le terrorisme ¾ ne
se justifie pas davantage au regard des antécédents de l’Iraq en la matière. Comme M. Noel Koch,
alors directeur des programmes de contre-terrorisme au ministère de la défense des Etats-Unis, le
fait alors observer : «il ne faisait aucun doute que [Saddam Hussein] poursuivait ses activités
terroristes. Le véritable objectif était d’aider l’Iraq à remporter la guerre contre l’Iran.» (Réplique,
annexe 7.)
21. Comme je l’ai déjà dit, à la suite de cette décision, la valeur des échanges entre les
Etats-Unis et l’Iraq, notamment des échanges de biens pouvant manifestement faire «double
usage», passe de 571 millions de dollars en 1983 à 3,6 milliards de dollars en 1989, un an après la
deuxième attaque contre les plates-formes (réplique, annexe 7).
22. Pour la seule année 1982, les Etats-Unis se portent garants de l’Iraq pour un emprunt de
300 millions de dollars (mémoire, annexe 46, réplique, annexe 8). Fatalement, cela permet à l’Iraq
de libérer d’autres ressources financières à des fins militaires. Les Etats-Unis commencent à
fournir à l’Iraq du matériel sensible à «double usage». Par exemple, toute une batterie
d’hélicoptères, au potentiel militaire évident, est vendue à l’Iraq. Puis on lui vend de nombreux
camions, du matériel informatique et des produits chimiques. Comme les Etats-Unis le savent
parfaitement, l’Iraq peut utiliser ¾ et utilise effectivement ¾ tout ce matériel à des fins militaires
contre l’Iran (réplique, annexe 8). En 1984, ainsi que M. Freedman l’explique dans son rapport
d’expert qui est joint à la réplique de l’Iran, le vice-président Bush intervient auprès de l’United
States Export-Import Bank (EXIM) afin de fournir à l’Iraq 484 millions de dollars sous forme de
crédits ¾ ce qui est l’un des engagements financiers les plus importants qu’ait jamais pris cette
banque (rapport de M. Freedman, réplique, vol. II, p. 19-20). A l’occasion d’une audition devant le
Congrès des Etats-Unis en 1992, il apparaît qu’en octobre 1983 déjà, le département d’Etat appuie
cette politique. Une dépêche contemporaine du département d’Etat indique que :
«Lorsque nous examinerons les moyens de gagner la confiance de la
communauté internationale vis-à-vis de l’avenir économique et financier de l’Iraq, il
nous faudra étudier sérieusement la possibilité d’accorder des crédits par
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l’intermédiaire de l’EximBank. Ces nouveaux crédits américains … montreront que
les Etats-Unis ont confiance dans l’économie iraquienne. [Et] cela encouragera
d’autres Etats à fournir à leur tour pareille assistance. De telles manifestations
concrètes de soutien pourraient atténuer les pressions exercées sur l’Iraq.» (Mémoire,
annexe 50.)
*
* *
2. La directive de sécurité nationale émise par le président Reagan aux fins de soutenir l’Iraq
dans ses efforts de guerre
23. Au début de sa campagne de guerre, l’Iraq avait l’avantage du fait de son invasion de
septembre 1980. Mais au printemps de 1982, la donne stratégique commence à changer.
24. M. Howard Teicher est, à l’époque, un membre du Conseil de sécurité nationale des
Etats-Unis chargé des affaires moyen-orientales et politico-militaires. Lorsqu’il dépose sous
serment devant une juridiction fédérale des Etats-Unis, M. Teicher décrit la situation de la manière
suivante ¾ la Cour trouvera sous l’onglet no
5 du dossier des juges un exemplaire de cette
déposition de M. Teicher dans son intégralité :
«Au printemps 1982, l’Iraq était en passe de perdre sa guerre contre l’Iran. En
mai et juin 1982, les Iraniens découvrent une brèche dans les lignes de défense
iraquiennes, le long de la frontière irano-iraquienne entre Bagdad (au nord) et Basra
(au sud). L’Iran met en place une force d’invasion massive directement en face de
cette brèche de la défense iraquienne. Une percée iranienne en ce lieu aurait eu pour
effet de couper Bagdad de Basra et aurait entraîné la défaite de l’Iraq.» (Réplique,
annexe 10.)
25. Comme M. Teicher le dit devant la juridiction fédérale, les services de renseignement des
Etats-Unis avaient découvert cette brèche et les forces iraniennes qui s’étaient massées en face de
celle-ci. Les conséquences de cette découverte sont, aux dires de M. Teicher, les suivantes : «le
président Reagan a été contraint de choisir entre deux possibilités : a) préserver une stricte
neutralité et laisser l’Iran vaincre l’Iraq, ou bien b) intervenir et fournir une assistance à l’Iraq»
(ibid.).
26. Le président Reagan choisit cette seconde possibilité, décidant que «les Etats-Unis
prendront toutes les mesures nécessaires et licites afin d’empêcher que l’Iraq ne perde la guerre qui
l’oppose à l’Iran» (réplique, annexe 10). Cette décision est rendue officielle avec la publication
d’une directive de sécurité nationale en juin 1982. La directive proprement dite est toujours classée
secrète par les Etats-Unis, bien que M. Teicher ait déclaré en avoir connaissance personnellement
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parce qu’il a participé à sa rédaction. Et cette directive est également évoquée dans un article
récent du Washington Post qui a été réimprimé à la fin de l’an dernier dans l’International Herald
Tribune (article que vous trouverez sous l’onglet no
6 de votre dossier).
27. Voici comment M. Teicher explique, dans sa déposition, la politique des Etats-Unis :
«M. Casey, directeur de la CIA, a dirigé en personne l’action menée pour
garantir que l’Iraq disposerait d’un nombre suffisant d’armes de guerre, de munitions
et de véhicules pour éviter de perdre la guerre contre l’Iran. Conformément à la
récente directive, les Etats-Unis ont soutenu activement l’effort de guerre de l’Iraq en
accordant aux Iraquiens des milliards de dollars sous forme de crédits, en leur
communiquant des renseignements militaires américains et des conseils, et en
surveillant de près les ventes d’armes par des Etats tiers afin de s’assurer que les
Iraquiens disposaient de tout l’arsenal militaire nécessaire.» (Réplique, annexe 10.)
28. En 1982, exactement deux ans après l’invasion iraquienne, parler de la neutralité
américaine relève de la pure fiction. Indépendamment du silence que les Etats-Unis ont observé
quand il a été dit que c’était l’Iraq qui avait déclenché la guerre, les plus hauts représentants du
Gouvernement américain ont décrété que celui-ci devait n’épargner aucun effort pour empêcher
que l’Iraq perde la guerre. En outre, cette politique était contraire aux résolutions du Conseil de
sécurité des Nations Unies lequel avait à maintes reprises demandé à tous les Etats «de faire preuve
de la plus grande retenue et de s’abstenir de tout acte susceptible d’intensifier et d’élargir le
conflit» (mémoire, annexe 24).
Monsieur le président, il est 18 heures. J’en ai probablement encore pour vingt à vingt-cinq
minutes, mais je pourrais fort bien terminer demain matin. Je suis à votre disposition.
The PRESIDENT: You may continue, please.
M. BUNDY : Je vous remercie, Monsieur le président.
3. Bien que l’Iraq utilisât des armes chimiques contre l’Iran, les Etats-Unis ont intensifié leur
soutien
29. Dès novembre 1983, le secrétaire d’Etat George Shultz est informé par un haut
fonctionnaire du département d’Etat que des rapports émanant des services de renseignement
montraient que l’armée iraquienne utilisait de façon «quasi quotidienne» des armes chimiques
contre l’Iran (International Herald Tribune, 31 décembre 2002-1er janvier 2003, dossier
d’audience, onglet 5). Mais, malgré ces rapports, en décembre 1983, le Gouvernement des
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Etats-Unis a dépêché un envoyé spécial en Iraq, Donald Rumsfeld, qui est actuellement secrétaire
d’Etat à la défense des Etats-Unis et l’un des principaux partisans aujourd’hui d’une intervention
militaire contre ce même régime iraquien auquel il a rendu visite en 1983. M. Rumsfeld a fait
notamment savoir à Saddam Hussein, en 1983, que les Etats-Unis étaient prêts à rétablir avec l’Iraq
les relations diplomatiques rompues depuis la guerre de 1967 au Moyen-Orient (ibid.).
30. L’emploi par l’Iraq d’armes chimiques contre l’Iran donna lieu à de multiples plaintes de
l’Iran. En mars 1984, un rapport établi par quatre spécialistes qui s’étaient rendus en Iran fut
soumis au Secrétaire général de l’ONU et au Conseil de sécurité des Nations Unies. Les
spécialistes conclurent à l’unanimité que des armes chimiques avaient bien été utilisées contre
l’Iran (mémoire de l’Iran, annexe 11).
31. Comme l’a reconnu le conseil des Etats-Unis lors de la procédure orale pendant la phase
relative à la compétence, l’Iraq a aussi «déclenché ce que l’on a appelé la «guerre des pétroliers»,
quand il a commencé à attaquer des pétroliers qui transportaient du pétrole iranien à travers le
Golfe» (CR 96/12, p. 14 (Neubauer)). Selon des rapports d’experts, des spécialistes américains de
politique étrangère ont en réalité aidé l’Iraq à mettre au point la stratégie consistant à attaquer des
navires faisant commerce avec l’Iran; ils ont consigné les références relatives à ces éléments de
preuve, vous le constaterez, dans le compte rendu (réponse additionnelle à la demande
reconventionnelle, par. 3.34; voir aussi l'annexe 3 à la réplique de l’Iran et le rapport Freedman).
32. On aurait pu penser, Monsieur le président, que ces deux événements ¾ l’utilisation par
l’Iraq d’armes chimiques, l’instigation par l’Iraq de la guerre des pétroliers ¾ auraient dû appeler
la condamnation la plus ferme de la part des Etats-Unis, en particulier si, comme ils le prétendent,
les Etats-Unis étaient réellement neutres dans ce conflit. Après tout, on ne peut pas ne pas être
frappé par le fait que, à l’heure actuelle, pratiquement tous les jours, Washington rappelle au
monde entier que l’Iraq a, par le passé, utilisé des armes chimiques contre ses voisins
¾ notamment l’Iran ¾ et les a envahis. A cet égard, nous n’avons guère eu lieu de nous réjouir
d’entendre le président Bush, dans une déclaration prononcée le 12 septembre dernier devant
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l’Assemblée générale des Nations Unies, rappeler à la communauté internationale que l’Iraq avait
attaqué l’Iran en 1980 et avait asphyxié de nombreux Iraniens. Pourquoi le Gouvernement des
Etats-Unis a-t-il gardé le silence au moment où ces événements ont eu lieu ?
33. Au lieu de condamner l’Iraq, les Etats-Unis commencent par tenter de persuader le
Conseil de sécurité d’imposer un embargo sur les armes à l’encontre de l’Iran (mémoire de l’Iran,
par. 1.86). Ces efforts étant vains, le 26 novembre 1984, peu après la réélection du
président Reagan pour un second mandat, les Etats-Unis rétablissent des relations diplomatiques
normales avec l’Iraq. Pour marquer l’occasion, le ministre iraquien des affaires étrangères de
l’époque, Tarek Aziz, qui est actuellement vice-premier ministre, est invité à la Maison-Blanche
pour rencontrer le président Reagan et le secrétaire d’Etat George Shultz. Cette entrevue, dans le
cadre de la guerre Iran/Iraq, ne peut être considérée que comme un signe de soutien inconditionnel
à la politique et à l’action iraquiennes. L’Iran, de son côté, est jugé responsable du conflit et
devient la cible de l’«opération Staunch», initiative des Etats-Unis visant à empêcher toute
livraison d’armes à l’Iran.
34. Le Secrétaire général de l’ONU envoie d’autres missions en Iran, qui sont chargées
d’enquêter en avril 1985, en février 1986, en avril 1987, en mars 1988 et en juillet 1988 sur les
rapports qui continuent de dire que l’Iraq utilise des armes chimiques. Il est chaque fois confirmé
que l’Iraq a bien recours à ce type d’armes (mémoire, annexe 12). En dépit de ces constats, les
Etats-Unis continuent de soutenir sans réserve l’Iraq. Comme l’a rappelé le Secrétaire général de
l’ONU de l’époque, M. Pérez de Cuellar, les Etats-Unis «étaient constamment hostiles à l’Iran, et
par conséquent ils étaient peu enclins à appuyer une décision du Conseil de sécurité qui aurait pu
être favorable à Téhéran» (réplique, annexe 6).
*
* *
4. Les Etats-Unis communiquent des renseignements à l’Iraq
35. Dans l’intervalle, le Gouvernement des Etats-Unis donne le feu vert à un programme de
partage de renseignements avec l’Iraq, à la suite de quoi il fit parvenir au Gouvernement iraquien
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des photographies de reconnaissance par satellite, à caractère confidentiel, pour l’aider dans sa
stratégie militaire. Selon des services de renseignement européens, l’Iraq a notamment été informé
des attaques d’avions iraniens, détectées par les systèmes AWACS américains ou par les aéronefs
qui surveillent au moyen de radars et qui opèrent depuis l’Arabie saoudite, dans le golfe Persique
(réplique, annexe 4, p. 160). Selon un commentateur :
«l’Iraq recevait toutes les douze heures des rapports sur l’activité militaire iranienne
sur le terrain … qui étaient transmis à Bagdad par l’intermédiaire de Riyad. Ces
renseignements ont contribué de manière vitale à l’efficacité des opérations organisées
par Bagdad pour repousser l’offensive iranienne de mars 1985.» (Ibid.)
36. Ces rapports furent confirmés ensuite par l’ancien chef du renseignement militaire
iraquien, le général Al-Samarra’i, qui a fui Bagdad en 1994 à la suite du conflit avec le Koweït
(réplique, annexe 9). Le général Al-Samarra’i a été le principal contact militaire entre la CIA, à
l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad, et l’armée iraquienne. C’est à ce titre qu’il rencontrait une
ou deux fois par semaine des représentants de la CIA pour examiner les photos satellite
communiquées par les Etats-Unis.
37. Les services du Gouvernement des Etats-Unis ont non seulement transmis des
renseignements à l’Iraq sur les positions iraniennes, mais ils ont aussi joué un rôle déterminant dans
la vente d’armes sensibles et controversées à l’Iraq. M. Teicher, membre du Conseil de la sécurité
nationale, là encore, quand il dépose devant une juridiction fédérale, affirme que le directeur de la
CIA, William Casey, et son adjoint, Robert Gates, ont autorisé et approuvé la fabrication et la vente
de bombes à fragmentation à l’Iraq par des pays tiers (réplique de l’Iran, annexe 10). On savait
parfaitement comment l’Iraq avait l’intention d’utiliser ces munitions.
*
* *
5. Attaque iraquienne contre le USS Stark et réimmatriculation des navires koweïtiens
en 1987
38. Dès le début de 1987, année de la première attaque lancée contre des plates-formes
iraniennes, les Etats-Unis envisagent de renforcer leur appui à l’Iraq en réimmatriculant des
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pétroliers koweïtiens, dont un grand nombre, comme l’a dit M. Momtaz, transportaient du pétrole
iraquien. Pour situer cet événement dans son contexte et montrer qu’il préludait aux attaques
ultérieures des Etats-Unis contre les plates-formes, il convient de rappeler à la Cour certains points
d’une importance capitale.
39. Avant la mise en œuvre de l’initiative relative à la réimmatriculation, l’Iraq lance un
missile sur un navire américain, l’USS Stark, le 17 mai 1987, tuant trente-sept membres
d’équipage. Au lieu de prendre des mesures contre l’Iraq, qui, d’après de nombreux
commentateurs de l’époque, tentait d’internationaliser le conflit en impliquant les puissances
extérieures, les Etats-Unis reprochent à l’Iran de se refuser prétendument à mettre un terme à la
guerre.
40. Le 20 mai 1987, trois jours après l’attaque contre le Stark, le secrétaire d’Etat des
Etats-Unis, George Shultz, adresse une lettre au Congrès des Etats-Unis en déclarant :
«Tout à fait indépendamment de l’attaque par l’Iraq de la frégate USS Stark,
l’Iran continue, publiquement et en privé, de menacer la navigation dans le Golfe.
C’est cette menace iranienne fondamentale contre la libre circulation du pétrole et le
principe de la liberté de navigation qui est inacceptable.» (Mémoire, annexe 53.)
41. Neuf jours plus tard, Richard Murphy, secrétaire d'Etat adjoint, dépose devant le Congrès
des Etats-Unis. En dépit de l’attaque du Stark par l’Iraq qui vient de se produire, il déclare : «en
raison des attaques iraniennes, la guerre risque de s’étendre» (mémoire, annexe 49). Dans la même
déclaration, il dit aussi : «comme ils veulent endiguer l’expansion de la révolution iranienne et
l’empêcher de franchir les frontières de l’Iran, les Etats-Unis ont tout intérêt à ce que l’Iraq puisse
continuer d’assurer sa défense» (ibid.).
42. Ainsi, Monsieur le président, on voit l’Iraq attaquer directement un navire de guerre
américain, dans les circonstances suivantes : i) une guerre déclenchée par l’Iraq, ii) l’utilisation
constante par l’Iraq d’armes chimiques et iii) une «guerre des pétroliers» déclenchée aussi par
l’Iraq, comme les Etats-Unis l’ont reconnu en l’espèce, et les Etats-Unis accusent l’Iran. En fait,
deux jours après l’attaque contre le Stark, le président Reagan approuve le plan de
réimmatriculation ¾ et c’est encore une mesure visant incontestablement à aider l’Iraq.
43. Le caractère fallacieux de la logique des autorités des Etats-Unis n’a pas échappé à
l’époque aux observateurs avisés. Comme je l’ai déjà fait observer, M. Korb, secrétaire adjoint à la
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défense, a dit que, en réclamant la réimmatriculation des pétroliers koweïtiens, les Etats-Unis
voulaient «s’assurer que l’Iran ne gagnerait pas la guerre». Les Etats-Unis, comme le dit Korb,
étaient devenus les alliés «de facto» de l’Iraq (mémoire, annexe 51).
44. Le sénateur Sam Nunn, président de la commission des forces armées du Sénat des
Etats-Unis, personnalité fort respectée, a adopté une position comparable. Dans un rapport établi
aux fins d’examen définitif par le chef de la majorité au Sénat, en juin 1987, juste avant la première
attaque contre les plates-formes, il énonce les points suivants, et je le cite :
¾ «[L]es dangers pour la liberté de navigation viennent de l’Iraq, l’allié du
Koweït.»
¾ «La décision américaine de protéger les pétroliers koweïtiens est perçue dans la
région comme un alignement clair sur l’Iraq et sur ses alliés dans le Golfe.»
¾ «Cette mesure américaine réduit les risques collatéraux encourus par l’agresseur
principal (Iraq), dans la «guerre des pétroliers», quand il poursuit ses attaques.
De plus, ce faisant, les Etats-Unis s’opposent à l’Iran, avec lequel ils partagent
l’objectif de maintenir le Golfe ouvert à la libre circulation du pétrole.»
¾ Enfin, le sénateur Nunn déclare que les autorités des Etats-Unis, en justifiant leur
politique de réimmatriculation «oublient le fait fondamental que l’Iran a été par
deux fois victime de l’agression iraquienne initiale : dans la guerre terrestre et
dans la guerre des pétroliers» (mémoire, annexe 32).
45. Un autre sénateur, M. Dornan, s’est joint à ceux qui mettaient en question la pertinence
de la politique des Etats-Unis et il dit ceci : «La réalité est que, non seulement nous penchons en
faveur de l’Iraq, mais nous tentons aussi de l’aider à gagner la guerre maritime en protégeant les
navires iraquiens et koweïtiens.» (Réplique, annexe 12.)
46. En résumé, la politique de réimmatriculation s’inscrit dans le cadre d’une action
concertée, de la part des Etats-Unis, visant à soutenir l’Iraq et à intimider et provoquer l’Iran. Ce
n’est pas une coïncidence si, deux mois après avoir escorté le premier pétrolier koweïtien ainsi
réimmatriculé, les Etats-Unis lancent leur première attaque contre les plates-formes pétrolières de
l’Iran.
*
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6. Autres éléments prouvant que les Etats-Unis ont mené des actions contre l’Iran
47. Monsieur le président ¾ soyez rassuré, je n’en ai plus que pour cinq minutes ¾, lorsque
je vous ai décrit le contexte dans lequel avaient eu lieu les attaques menées par les Etats-Unis
contre les plates-formes pétrolières iraniennes, j’ai placé l’accent sur les déclarations émanant de
hauts responsables du Gouvernement américain. Si je me suis limité à cette catégorie d’éléments
de preuve, c’est parce que la Cour elle-même a estimé que les déclarations de ce genre pouvaient
avoir une valeur probante particulière, surtout lorsqu’elles font état de faits ou de comportements
qui desservent l’Etat représenté par l’auteur de la déclaration.
48. Mais je ne veux pas dire pour autant que ces éléments de preuve soient isolés. Il suffit à
la Cour de consulter l’ensemble considérable de preuves émanant de tiers que l’Iran présente dans
ses pièces écrites ¾ comptes rendus de presse, dépositions de témoins iraniens et rapports
d’experts, dont l'un est élaboré par un expert réputé, sir Laurence Freedman ¾ pour constater que
l’attitude d’hostilité généralisée des Etats-Unis à l’encontre de l’Iran était notoire. Or, la Cour a
fait observer dans l’arrêt rendu en l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique que «la notoriété
publique d’un fait [pouvait] être établie par de tels éléments et que la Cour [pouvait] en tenir
compte dans une certaine mesure» (C.I.J. Recueil 1986, p. 40, par. 63). En l’espèce, les
dépositions de témoins iraniens, les commentaires d’observateurs indépendants, les comptes rendus
de presse et autres publications citées corroborent les preuves émanant de hauts représentants du
Gouvernement des Etats-Unis dont je viens de vous parler.
49. Si les Etats-Unis choisissent de ne pas tenir compte de ces preuves, c’est leur droit. Mais
cela ne diminue pas pour autant la valeur probante de ces éléments dans leur ensemble. Si, au
contraire, les Etats-Unis décidaient tardivement d’affronter les faits dans leurs plaidoiries, qu’ils
produisent alors la National Security Decision Directive [directive comportant décision en matière
de sécurité nationale] qui est encore secrète mais qui a joué un rôle si important dans la conception
de la politique américaine de soutien à l’Iraq. Et que les Etats-Unis tentent également de démontrer
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que cette politique qu’ils ont adoptée et que j’ai évoquée ne visait pas, contrairement à ce qu’ont
amplement attesté des représentants de leur propre gouvernement, à porter préjudice à l’Iran.
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* *
C. Conclusions
50. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les Etats-Unis citent dans leur
duplique une déclaration qu’a faite il y a deux ans leur secrétaire d’Etat de l’époque,
Madeleine Albright. Mme Albright a dit ceci : «nous semblons malheureusement avoir manqué de
lucidité s’agissant de certains aspects de notre politique à l’égard de l’Iraq durant le conflit qui l’a
opposé à l’Iran, surtout si l’on tient compte de notre expérience avec Saddam Hussein par la suite»
(duplique, p. 7, note 11). Au dire de nos contradicteurs, «ce genre de déclaration peut certes
présenter un intérêt du point de vue diplomatique ou historique, mais ne permet en rien de mieux
comprendre les faits ou les questions juridiques spécifiques que la présente affaire met en jeu»
(ibid.)
51. On ne saurait accorder crédit à ces tentatives déloyales qui visent à nier la pertinence que
revêt le comportement des Etats-Unis à l’égard de l’Iran pendant les années précédant la
destruction des plates-formes iraniennes. Une politique peut changer, pas les principes. Ainsi que
le fit observer si justement feu le juge Lachs dans son opinion individuelle en l’affaire Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique, «[p]resque tous les différends entre Etats revêtent des aspects à la fois
politiques et juridiques : la politique et le droit se rejoignent presque tout le temps. Les organes
politiques, qu’ils soient nationaux ou internationaux, sont tenus de respecter le droit…»
(C.I.J. Recueil 1986, p. 168.)
52. Les attaques menées contre les plates-formes pétrolières iraniennes n’étaient pas des
actes isolés sans rapport avec le comportement adopté en général par les Etats-Unis pendant la
guerre irano-iraquienne. Les conseils de l’Iran vont vous décrire les événements survenus
immédiatement avant et après ces attaques; mais vous pouvez constater d’ores et déjà que les
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éléments que j’ai passés en revue aujourd’hui et qui figurent dans les pièces écrites de l’Iran
prouvent que les Etats-Unis avaient, à l’époque, mis en œuvre de manière préméditée et concertée
une vaste politique de soutien à l’Iraq au détriment de l’Iran. Les plates-formes n’ont pas été
attaquées au titre d’un quelconque concept de légitime défense ou de protection des intérêts vitaux
sur le plan de la sécurité. Elles ont été détruites, en violation du paragraphe 1 de l’article X du
traité d’amitié, à la suite de l’adoption d’une politique délibérée d’hostilité véritablement acharnée
à l’encontre de l’Iran.
53. Dans le contexte actuel, il est d’autant plus important que la Cour fonde sa décision sur
des principes et non, comme le voudraient les Etats-Unis, sur des éléments relevant de
l’opportunisme politique à courte vue qui ne servent que leurs intérêts et constituent un
manquement aux obligations conventionnelles incombant aux Etats-Unis à l’égard de l’Iran.
54. Monsieur le président, mon exposé s’achève là. Je remercie la Cour de sa patience. Je
vous serais reconnaissant de bien vouloir appeler M. Pellet à la barre demain matin pour la suite de
l'argumentation de l’Iran. Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Bundy. La Cour suspend maintenant ses
travaux et les reprendra demain matin à 10 heures. Merci.
L’audience est levée à 18 h 20.
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