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094-20020228-ORA-01-01-BI
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CR200218(traduction)
CR200218(translation)

Jeudi28 féà10heures
Thursday28 February2002 at 10a-m.18 Le PRESIDENT :Please be seated. The sittingis openfor us to hear, startingtoday, the first

round of oral argument of the Federal Republic of Nigeria. 1 immediately give the floor to a

HisExcellency,the HonourableMusa E.Abdullahi, Minister ofState forJustice, Agentof Nigeria.

Mr.Minister,you havethe floor.

M. ABDULLAHI :

1.Monsieur le président,Madameet Messieursde la Cour, c'est un honneur et un privilège

pourmoi que de me présenter devantvous en qualitéd'agentde la République fédérad lu Nigéria.

Avant de commencer, j'aimerais, au nom de mon gouvernement, remercier à la fois la Cour et nos

éminents adversairespour les condoléancesqui nous ont été adressées à l'occasion de la triste

disparition du chef BolaIge, qui m'a précédé en tant qu'agent du Nigéria. Il nous manque

cruellement.

2. Monsieur le président,nous sommes fiers au Nigériad'avoir accepté lacompétencede la

Cour il y a plus de quarante ans. La confiance placéeen elle par le Nigériane s'est jamais

démentie. Ce n'est en revanche qu'en mars1994 que le Cameroun a déposésa déclaration

d'acceptation de lacompétencede laCour en applicationdu paragraphe2 de l'article36 du Statut,

pour introduire la présenteinstance à peine quelques jours plus tard. Comme la Cour se le

rappellera, le Cameroun a procédé en deux étapes :il a tout d'abord introduit une requêtequi ne

portait que sur la presqu'îledeakassiet la frontièremaritimeentre les deux Etatspuis, trois mois

plus tard, une requêteadditionnelleexposant toute une série de nouveauxgriefs, comme s'il avait

repensé sa positionaprèscoup. Dece fait, la Cours'est retrouvéesaisied'une des affairesles plus

volumineusesjamais portées devantelle, couvrant des questions telles que le titre territorial, la

délimitationmaritime, lesproblèmes complexesd'un grand lacintérieur, une frontièrteerrestre de

1800kilomètres (ou 1000milles), des questions de responsabilitéd'Etat et le sort de plus de

deuxcent mille Nigérians.

3. Bien que le Nigériajuge fragiles les thèsesjuridiques du Cameroun,il n'ena pas moins

traitéce différend avecleplus grandsérieux. Mais ilfaut que la Cour sache comment le Nigéria

perçoit cetteaffaire. Quoiqu'elleconcerne plusieurs autres questions, elle est connue au Nigéria

sous le nom d'«affaire deBakassi)),ce qui reflètebien l'importanceque cette presqu'îlerevêtaux yeux des Nigérians. Régionflorissante et densément peuplée du Nigéric a,lle-ci est au cŒur

mêmede l'affaire. Le Camerounchercheen fait às'emparer de certainesparties du Nigériaet de

leurs populations. La question de Bakassi, en particulier, a déjà suscité auNigéria unevive

appréhensionetune profondeinquiétude.

19 4. Bien que le Camerounrevendiqueaujourd'hui la souverainetésur Bakassi, il n'ajamais

détenule titre correspondantet n'a jamais agi comme s'il l'avait détenu.n'a jamais non plus

expriméun réelintérêetnverssa population;au contraire, sonhostilitéon encontre estmanifeste

depuis de nombreuses années. Sa conduitea non seulement étécelle d'un étranger,mais elle a

égalementétéviolente et destructrice, se caractérisantsurtout par des razzias de gendarmes

camerounais dans la presqu'île. C'est donc sans surprise que l'on chercheen vain, dans les

éléments de preuveproduitspar le Cameroun,la moindre indicationselon laquelle il setrouverait

Bakassi des personnessouhaitantêtreplacéessous souverainetécamerounaise. Le Camerouna fait

valoir que de nombreux Nigériansvivaientau Cameroun. C'est vrai, mais il y a entre les deux

situationsunedifférencemajeure : Bakassi,desNigériansviventsous souveraineténigériane.Au

Cameroun,ilsvivent soussouverainetécamerounaise.

5. Monsieurle président, Madame et Messieurs de la Cour, il est pour le moins piquantque

l'éminentagent du Cameroun ait fait état,dans son exposéliminaire, de ce qu'il a appeléles

«convoitises» nigérianes,dont il a dit qu'elles étaient exacerbées palra présencede ressources

pétrolières Bakassi. La position du Nigérian'a rieàvoir avec de quelconquesconvoitises. Le

Nigéria s'intéresse avanttouà son territoire et aux habitants nigérians. C'est ce qui resàort

l'évidencede faits bien documentés. L'exposde l'éminentagentdu Cameroun lui-même n'est,à

la vérité,que l'un des nombreux signes indiquant, contrairemeàtce qu'il affme, que c'est le

Cameroun et non le Nigériaqui considère Bakassi comme à peine plus qu'une mangrove à

exploiterpour seshydrocarbures. Le Camerounvoudrait fairecroireàla Courque lapresqu'îleest

pratiquement inhabitée,et c'est indubitablement ce qu'il souhaiterait alors qu'il se trouve au

contraire faceà une populatïon nombreuse, résolument nigériane. C'es t grand peine que le

Nigéria arassemblél'impressionnantensemble de preuves qu'il a produites devant la Cour au

cours de la procédure écrite. s'est agilàd'untravail long et complexe,supposantde nombreuses

visites Bakassimêmeet ailleurs. En fait, contrairemenà ce qu'ont prétendunos adversaires,ce n'est pasle genre d'exercice que pourrait facilement mener àBakassi une mission d'enquête ou

une mission de bons offices des Nations Unies. Les élémentsde preuve établissentsans aucun

doute possible que Bakassi a toujours étéconsidéréeau Nigéria commeun territoire sous t

souveraineténigérianeet commefaisant partieintégrantede la République fédérad lu Nigéria.

6. La presqu'île de Bakassi est habitée par une populationde pêcheurset d'agriculteurs

nigériansqui, des points de vue politique, culturel,historique et ethnographique,sont rattachésau

Nigéria. Ils doiventallégeance auxsouverainstraditionnelsnigérians. Ils acquittent leurs impôts

au Nigéria. Leurs écoles et leurs hôpitaux sont construits et géréspar les autoritéslocales

nigérianes. C'est avec le territoire continental nigérian et non avec le Cameroun qu'ils

2 0 entretiennent des rapports. C'estle Nigéria quia pris soin de cette populationet qui a exercésa

souverainetéde façoncontinue sur le territoire en question. Le Camerounn'a rien fait detoutcela.

7. J'en arrive maintenanà la frontièremaritime aularge de Bakassi. Le golfe de Guinéeest

une zone qui abondeen ressources,tant pétrolières qu'halieutiques.C'est une zone du plus grand

intérê ptour l'industriepétrolière mondialeet dans laquelledes milliards de dollars oninvestis

au cours des quarante dernières années. A l'exception des eaux proches de la côte, cet espace

maritime n'a jamais fait l'objet de négociations entrele Camerounet le Nigéria,tout simplement

parce que, jusqu'au dépôtde son mémoire,le Cameroun n'avaitjamais élevé de prétentionsen la

matière. Par ailleurs,à l'issue d'unedécennie de négociationa smicales et sincères,le Nigériaa

convenud'une délimitation maritime avec la Guinéé equatoriale. Dans letraité correspondant,le

Nigériaet la Guinéeéquatorialese sont délibérémen at stenus, pour le moment, de prolonger la

frontièrevers lazoneoù ils pensentque se situeuntripointavec leCameroun.

8. Le Nigériaa égalementnégocié, concluet ratifié un accord relatif à une zone de

développement conjoint là où ses revendications se chevauchent avec celles de Sao

Tomé-et-Principe. En outre, le Nigéria négocie actuellementsa frontière maritime avec la

République duBénin.Tout ceciest conformeauxprescriptionsde laconventiondesNations Unies

sur le droit de la mer. Tout autreest l'attitudedu Camerounqui,pour autant que nous le sachions,

n'anégocié aucune deses frontièresmaritimes avecl'unquelconquede sesvoisinscôtiers. Defait, -5-

lors des contactsbilatéraux,il n'a jamais présende revendicationsrelativesàces frontières. Au

lieu de cela, il a préfprésenter exnihilo àla Cour des revendicationsmaritimes manifestement

excessives, qui la supposent compétente pour répartir l'ensembldee la zone entre les différents

Etatscôtiersdu golfe de Guinée.

9. Comme le Nigérial'a expliquédans ses écritures,les prétentionsdu Cameroun empiètent

sur les zones maritimes duNigéria,où se trouvent de longuedate des concessionspétrolièresdans

lesquelles lescompagniesauxquelleselles ont étéattribuéesontréaliséde gros investissements. Je

le diset le répèt:le Camerounn'a jamais faitvaloirde revendicationsurces zones. Les licences

d'exploitation enquestion, délivréestant par la Guinée équatoriale que parle Nigéria, sontde

notoriété publiquedepuis de nombreuses années. Le Cameroun n'a jamais émis lamoindre

protestationà ce sujet. Ce qu'il cherche maintenant, aux dépens de ses voisins, c'est à être

dédommagé par la Cour de sa géographie,de sespropres pratiques,de sa propre conduiteet de son

propreacquiescement.

10. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, la présente instance concerne

égalementles frontièresdans le lac Tchad, la frontièreterrestre du lac Tchadà la presqu'île de

Bakassi,danstoute sa longueur,de même que desquestionsderesponsabilitédYEtat.Le fait quele

Cameroun ait ajoutéla plupart de ces questions dans une seconde requête démontre clairement

qu'il les considère comme moins importantes que sa revendication sur Bakassi et sa revendication

sur une frontière maritimebienà l'ouestde Bakassi. Commenous le montrerons, ces prétentions

onttoutes lescaractéristiquesde prétentionsormuléesaprèscoup.

11. Le Nigériaexpliquera à la Cour pourquoi sa frontière avec le Cameroun dans le lac

Tchad n'est toujours pas fixée. Comme c'est le cas pour Bakassi, une population importantede

Nigérians (enl'occurrence environ soixante millepersonnes) vit et travaille dans les régionsdu

Nigériarevendiquéespar le (2ameroun à proximitédu lac Tchad. Dans cette région également,

c'est au Nigéria,et en particulierà 1'Etatde Borno, qu'est liéela population du point de vue religieux,ethnographiqueet culturel. LeNigériaa réalisdes investissements importantsdans ces

villes et villages, qu'il s'agisse d'écoles, d'hôpitaux, d'adminisosu d'autres infrastructures.
,
De son côté,le Cameroun n'a rien fait pour prêterassistance aux habitants, en dépit deses

revendications de souveraineté. Lapopulation se considère comme nigériane et a toujours été

administréeparleNigéria.

12.Le lac Tchad est une régionqui soufie de gravesproblèmesécologiques,en particulier

l'assèchement du laclui-mêmec ,omme cela a été soulignédans le contre-mémoireduNigéria. La

commission dubassin du lac Tchad, organemultilatéraloù sont représentélses Etats littorauxet la

Républiquecentrafricaine, a étéinstauréepour traiter de ces questions importantes. Celles-cine

sonttoujours pas résolues etil est impératifque ces Etats entreprennentune action conjointe pour

garantirà la population la pérennitéde ses moyens de subsistance et empêcherque le lac ne

s'assèchecomplètement. Le Nigéria estle principal bailleurde fonds de la commission du bassin

du lacTchadet il continueàŒuvrerpourrésoudrecesgraves problèmes.

13.Monsieur le président,Madameet Messieurs de la Cour,le premiertour des plaidoiries

du Cameroun a une nouvelle fois démontré l'incapacité persistante de celui-cià affronter les

véritables questions. Pour commencer, le Cameroun invente des arguments dont il préférerait

traiter, et les substitueux que le Nigériaa effectivementavancés. Ensuite, son argumentation

se fondeavant tout sur des généralitéIl est étonnant deconstateà quel point il estréticeàtse

confronteraux textes et aux autres preuvesmatérielles.Cette réticencedu Camerounà répondre à

la thèsedu Nigérias'accompagne d'uneremarquable incohérence jusque dans la présentationde

son argumentation. Ces fluctuations sont particulièrementmarquéess'agissant de la description

définitive de la frontière terrestre de certains segments de la frontière terrestre, comme

Tipsan-, de la responsabilitéde 1'Etatet des lignes maritimes revendiquéespar le Cameroun.

Meséminentscollèguestraiterontdecesquestionsentemps voulu.

2 2
14. Le Cameroun soutient que le Nigériane reconnaît pas les traitéset instniments qui

définissentla frontièreentre le lac Tchad et la presqu'îlede Bakassi. en prend alors prétexte

pour affirmer, de manière indéfendable,que le Nigériaserait un voisin agressif argument sur

lequelje reviendrai dans un moment. Mais tout d'abord, puisquele Cameroun,dans son premier

tour de plaidoiries, ade nouveau tenté dedonner une image erronéede notreattitudel'égarddes traitéset instrumentspertinents,j7exposeraiune fois de plus notreposition, qui n'a pas varié. Ces

traités et instruments, le Nigériales accepte en principe. Mais il ne peut les accepter sans

restriction,car ilssont en eux-mêmes entachéds'imperfectionsquihypothèquentladélimitation en

tant quetelle. Le Nigériane peut les acceptersans restriction dansla mesure où le comportement

du Camerouna remis en question des délimitationsfrontalièresqu'il estime claires. Le Nigériaa

identifiéavec précision leslieuxqui sonten cause,et ce n'est qu'àl'égardde ces lieuxprécisqu'il

émetdes réserves à l'acceptation des instrumentsrelatiàsla frontière terrestre. En outre, une

questionlégitimepréoccupe leNigéria: si laCour accédaià la demandedu Cameroun -à savoir,

reconnaîtreles instrumentstelsu'ils existen-, ce dernierl'interpréteraitcommeune acceptation

de sa version de la frontière. Or, cette version, comme nous le montrerons, est fausse à de

nombreux égards,dans la mesure où les erreurs du Camerounonttrait à des questions de principe

et de définition,etnon seulementde démarcation. Il existe, le longde la fkontière,un nombrefini

de différendsbienspécifiques. Plusieurs d'entre euxpourraientfaire l'objet d'une affairedistincte

devantla Cour. Prisconjointement,ils touchentunezoneterrestrequi est en fait plus grandeque la

presqu'îlede Bakassi.

15. Le Nigéria considèreque le règlement desquestions litigieuses concernant la frontière

terrestre soulevées parle Cameroun est fondamental pour le maintien de l'ordre public et des

relationsde bon voisinage. C'est laraison pour laquelle ila exposédans sa duplique la façondont

ces instrumentspourraientêtre interprétés,façoquireflète avecfidélité eue semble avoir étéla

volontéoriginale de leurs rédacteurs.Le résultat estillustrédans l'atlas joànla duplique. Le

Nigériaestime que l'interprétation qu'ilpropose aboutiraitune délimitation sensée etohérente

de lafrontière,interprétationqui, si elle étaitretenuepar la Cour,constitueraitune base solidepour

la démarcationultérieure surleterrain. LeCamerounn'a pas proposéd'autre solution. LeNigéria

invite la Courà conclure que son interprétationcorrespond aussi fidèlement que possible aux

intentionsqui ontprésidéàladélimitationdonnée par les instrumentpertinents.

16. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, depuis le débutde cette

procédure,notre adversairen'a manquéaucune occasion dedonnerde nous un portrait totalement

2 3 controuvé,celui d'un agresseuret d'un envahisseur,non seulemenà Bakassi, mais aussi ailleursle

longde la frontière. cette fin,le Camerounet sesconseils utilisentsystématiquementdestermesdéplacés.Monsieur le président,un nouveau sommetd'inventiona étéatteint dans une plaidoirie

de vendredi dernier, lorsqu'unorateurnousataxésd'«impérialisme pétrolien),allant mêmejusqu'à

dire que le Nigériaavait (je cite) «imposé»une frontièremaritime à la Guinée équatoriale1. La

Courvoit bien que letraitéétaitaussi équitable qu'amicalet entendrabientôt laGuinéeéquatoriale

en parlerelle-même.Le vocabulairede l'«agression»etde l'«invasion»qu'utilisele Camerounest

particulièrementexagéré et indigne. Maiscelane concerneque lui. D'ailleurs,ces insultesne font

qu'éluderles questionssur lesquelles laCourdoit statuer.

17.Les termesabusifs employéspar leCameroundoiventêtre interprétés à la lumièredu fait

que le statu quo à Bakassi penche nettement du côté nigériane ,t ce depuis de nombreuses

décennies. Cela est amplement démontré par les élémentsde preuve, dont notre adversaire fait si

peu de cas. Dans la périoderécente, enparticulier dans les années quatre-vingtet au débutdes

années quatre-vingt-dix,le Cameroun a tenté à plusieurs reprises de rompre violemment ce

statq uuo.C'est ainsi par exemple que, en 1981,une patrouille nigérianesans aucune intention

belliqueuse est tombéedans une embuscade,perdant cinq soldats. Le Cameroun a dûpar lasuite

présenterdes excuses et verser des réparations2. De la mêmemanière, une séried'incidents

abondamment documentés aeu lieu, qui vaut à la gendarmerie camerounaisela réputationfort

désagréable quiest la sienne aujourd'huià Bakassi en raison de ses incursions violentes dans la

presqu'îleet des brutalités qu'ellefait subàrla population3. Le fait que le Cameroun qualifiele

Nigéria d'«agresseur»et d'«envahisseur»va donc exactement àl'encontre de la vérité,omme la

Cour peut le constater au vu des preuves que le Cameroun est si réticent à examiner. Les

référencescorrespondantef sigurentdanslatranscriptionde l'exposé.

18. D'une manière tout à fait caractéristique, le Cameroun cherche à présenter le

renforcement, par leNigéria,de ses dispositifsde sécuritéla fui de 1994commeune «invasion»,

en prétendanthypocritement qu'il n'y avait pas de forces de sécurité nigérianes Bakassi avant
4
cette date et en présentantcomme une agression la nécessitébien réelle,pour le Nigéria, de

'CR 200215,p51-52,par44-45.

MN, par.24.65-25.6DN,par.16.35-16.46.
VoirparexempleCMN, par.10.160-10.180et25.925.13 renforcer sa présence militaire4.De la mêmefaçon, le Cameroun a commis une agression le

3 février 1996p, uis a cherchàtirer profit de la situationqui en résultaiten saisissantla Courpour

qu'elle indique desmesures conservatoires. Ce qui s'est en faitpassé,c'est que les forces armées

camerounaisesontbombardélaville nigériane deWestAtabong unjour de marché,tuant dixcivils
2 4

nigérians innocentset en blessantvingt. Elles ont en mêmetemps tuédeux soldats nigérianset en

ont blessétrois autres5. Lesréférencefigurentdans la transcription de l'exposé. L'explicatnud

Camerounn'a pas de sens :selon lui, les soldatscamerounais se détendaienten buvant une bière

sur la plage,ceàquoi leNigéria auraitréagi en bombardantles villageois nigérians innocents.

19. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, après son indépendance,

acquise en 1960, le Nigériaa fait de l'Afrique l'élémentcentral des objectifs de sa politique

étrangère, transposécettevisiondans sesconstitutionset a pris cerôletrèsau sérieux.LeNigéria

a alors utilisé ses modestes ressources et son influence diplomatique pour encourager la

décolonisationd'autres Etats africains. S'agissant del'Afriqueaustraleet orientale, le Nigériaest

devenu membre des Etats de première ligne, bien qu'il se trouve en Afrique occidentale. Le

Nigériaa occupélaprésidencepermanenteduComitéspécialdesNationsUnies contre l'apartheid.

A cetitre, leNigériaajouéunrôle importantdans la luttepour l'indépendancedu Mozambique,de

la Namibie, de l'Angola et du Zimbabwe, et la fin de l'apartheid en Afrique du Sud.

20. En Afrique occidentale même,le Nigériaa dépenséplus de 3 milliards de dollars des

Etats-Unis et a engagéun grand nombre d'hommes(dont beaucoup y ont perdu la vie) dans les

contingentsdesNations Unies placéssoussa direction,permettantainsi le rétablissementde lapaix

et de la démocratieen Sierra Leone et au Libéria.Des soldats nigérians setrouvent toujours en

SierraLeone,dans le cadre denos efforts visantconsoliderles acquisde la démocratie.

21. De tout ce continent, c'est la sous-régiond'Afrique de l'Ouest qui ale plus progressé

vers une unionéconomiqueel:politique. LeNigériaest le siègedu Parlementd'Afriquede l'Ouest.

C'est aussi celui de la CEDEAO, l'organeéconomiquerégional de l'Afrique de l'Ouest. La

CEDEAO prévoitla levéedes restrictions en matière devisas pour permettre aux citoyens de

CMN,par.24.94.

CMN,par.25.16 et 25.17;DN, appendiceau chapitre16, par. 151-169;CR 2002107,p. 55,RC,ra.50;
par.11.159. circulerlibrementà travers lesfrontières.Unprojet de monnaie unique pour la sous-régiest déjà

bien avancé. Dans toutes ces activités,le rôle du Nigériane saurait êtresous-estimé,car ses
I
ressources en hommes et en matériel représentent pratiquemenc telles de tous les autres pays

réunis. Malgré celal,eNigérian'abuse jamais desa position à leur égard. Monsieur le président,

comment le Nigériapourrait-il avoirplacé l'Afrique au centre de sa politique étrangèretout en

étantceque le CamerounprétenddevantcetteCour ?
2 5
22. La Cour ne peut guère ignorer que la politique étrangèredu Nigériaet son action

internationale ont toujours été, a juste titre,un motif de fierténationale. En 1960, une semaine

après son indépendance,le Nigériaest devenu Membre des Nations Unies. Pays très peuplé

(cent vingtmillions d'habitantsaujourd'hui),il a toujours eu la volonté,mais aussi les moyens en

termes de capacitésde maintien de lapaix, dejouer un rôle de premierplan dans l'apaisement des

troublesqui agitent d'autrestatsde la régionet l'Afriqueen général.EnAfrique,comme ailleurs,

leNigériaa pris une partactiveà des opérationsde maintiende la paix,y compris en Yougoslavie,

au Tadjikistanet au Liban. Il a autotal participéànon moinsde vingt missions desNations Unies.

23. Le gouvernementactuel du chef Olusegun Obansajo a accueillile somment d'Abujaen

octobre2001, au cours duquel a étéconclu un accord sur la question des droits fonciers au

Zimbabwe,et le prédécesseud ru présidentObansajo,AdbulSalami Abubakar,conduit l'équipedu

Commonwealth chargéed'observer lesélectionsqui doivent prochainementse tenir dans ce pays.

Le Nigériaa aussi participé activementaux efforts entreprispour ramener la paix en République

démocratiquedu Congo. En quelques mots, le bilan du Nigériaen faveur de la paix et de son

maintien enAfrique etdans d'autresrégionstroublées dumonde est exemplaire. LeNigériaprend

ce rôle trèsau sérieux.

24.Mais cela n'estpas tout. Le Nigériaa participéà d'importantes négociatioamicalesen

matièrede délimitationterrestreet maritimeavec ses autresvoisins, a savoir laGuinéeéquatoriale,

Sao Tomé-et-Principeet les Républiquesdu Bénin, duNiger et du Tchad. Cela montre que l'autre

affirmationdu Cameroun, selonlaquelle le Nigériane serait pas prêta négocierest, de la même

manière,totalement dépourvuede fondement. Le Camerounferait peut-être bien de balayerdevant

sa porteet de regarderde plus près lemaigrebilan de sesnégociationsavecsespropres voisins. 25. Dans ses écritures,ses abondants courriers et ses plaidoiries devant cette Cour, le

Cameroun tente de donner du Nigéria un portrait exactement préjudiciable,celui d'un paystrès

grand et très peuplé, riche en ressources, mais hostile à ses voisins, une nation agressive,

irrédentisteet belliqueuse- en somme, une nation aux viséesexpansionnistes. Il est de mon

devoir de balayer de votre esprit ces fausses impressions que le Cameroun s'acharneà distiller.

Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, leNigérian'est ni une nation hostile, ni

une nationtyrannique,ni une nation irrédentiste.Le Nigéria n'est pas une nation belliqueuseet n'a

pas non plusl'intention d'étendresesfrontièresaux dépensde ses voisins. Au contraire,leNigéria

est l'un despays les plus pacifiques'Afriqueet peut arguerd'une solidetraditionde relationsde

bon voisinage. Le Nigérian'a jamais fait la guerre l'unde ses voisins. Il partagedes frontières

terrestres et maritimes avec le Niger, le Tchad, le Bénin, la Guinée équatoriale et

Sao Tomé-et-Principea ,insi qu'avecle Cameroun. Il n'y aqu'avec le Camerounque les chosesse

passent autrement. Les autres Etats que je viens de citer ne seront jamais d'accord avec la

représentationfausse et exagérément négativq eue le Nigériadonne du Cameroun devant cette

Cour.

26. Monsieurle président,Madameet Messieurs de la Cour, leNigériane condescendrapas

à réfuterune à une les allégations camerounaises selonlesquelles il ne se serait pas comporté

convenablement et n'aurait pas respectéla procédurede la Cour. Ni le Nigériani la Cour ne

sauraient prêterune grande attention à ces allégations. S'il a une quelconque observation à

formuler àcet égard, c'est celle-:leNigéria regrettela longuesériede lettres que leCamerouna

adresséesau greffier de la Cour depuisle débutde la procédure.Le Camerounne se contentepas

de limiter son argumentation au cadre des pièces de procédure, mais ne cesse d'essayer

d'introduire, pardes lettres adresséesa Cour,des piècessupplémentairestotalement irrégulières

et d'autres documentsqui n'ont qu'un intérêftaible, voire nul, au regard des véritables questions

qui se posenten l'affaire. Le Nigériaa la plupartdu tempsrésisté ces provocationsqui visentà

l'entraîner dans des escarmouchesde procédure. Une correspondance acerbe et propagandiste entre les Parties au cours de l'instance, au sujetd'incidents allégués (pourautant qu'ils aient

effectivementeu lieu), ne peut, selon leNigéria,aider la Cour. Qu'est-ceque le Cameroun attend
t
de ces lettres A l'instar du comportement générad le cet Etat, elles ont sûrement pour objet de

prévenir laCour àl'encontredu Nigériapar la diffusiond'unelongue listed'allégationsinfondées.

27. Mais un autre aspect du comportementdu Camerouninquiètele Nigéria. Ce dernier se

préoccupe à juste titre des droits de ses propres citoyens, harcelésdans les régions front,tièrese

de ceux des Nigériansqui vivent au Cameroun. Des témoignagesfont ainsi étatde mauvais

traitements subis par les citoyens nigériansau Cameroun. De nombreuses personnes d'origine

nigériane établiesans ce pays ne peuvent que s'y sentir comme des citoyens de seconde zone.

Desinformations diffuséesrécemment(le 5 octobre2001) par laBritish Broadcasting Corporation

(BBC)nous apprennentque la police camerounaisea remis en cause leurdroit de contestation. Je

cite:

«Au débutde la semaine, la police anti-émeutesa brutalement mis fin ,ans
deux villes du Cameroun occidental, à des manifestations interdites,qui avaient été

annoncéescomme des rassemblements non violents par des [habitants] anglophones.
Les autoritésont affirméavoir subi des provocations,mais il est clair qu'elles étaient
2 7 bien préparées, puisqudees troupes d'éliteen provenance de lacapitale, Yaoundé,et
des provinces voisines,avaientété envoyéesdans lrégion.

Selon leurs représentants, les membresde la minoritéanglophone seraient de
plus en plus souvent traitéscomme des citoyens de seconde zone et ne pourraient
accéderauxfonctionssupérieuresdansl'administration.

La presse, principale source d'informationdu public, est soumise par lYEtatà
des restrictions considérables. La législation en matiède diffamation est utilisée
pour restreindrela libertéde lapresse et emprisonnerdesjournalistes.»

28. Le rapporteur spécial sur la torture de la Commission des droits de l'homme des

Nations Uniess'est rendu au Cameroun en 1999. Le Nigéria,dans sa duplique, a attiré l'attention

sur son rapport, en date du1novembrede la mêmeannée. Le Cameroun fait fi de cet élément.
.
Permettez-moide citer ànouveau ce rapport des Nations Unies, selon lequel «la pratique de la

torture [est] largement répandueet utiliséede manière indiscriminée contre nombre de personnes

arrêtées))L.e rapport ajoutequ'il existedes preuves,de source indépendante,qu'auCameroun,«la

torture est pratiquée d'unemanière massive et systématique))par des membres des forces de

l'ordre. 29. Le Cameroun n'est donc pas vraiment un Etat dont des Nigérianssouhaiteraient être

ressortissants. Etje puisvous assurerque lespopulationsconcernées,toutfaitconsidérables, sont

vivementopposées à leurpassage sous souverainetécamerounaise. Nous avons présenté dansnos

écrituresle contenu de conversationsque nous avons pu avoir au cours de voyages dans les zones

en litige, qui révèlentle désirmanifeste des populations locales de continuerfaire partie du

Nigéria.

30. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, nous nous pencherons tout

particulièrement dansles prochainsjours sur certaines des nombreuses preuves qui attestent que

Bakassi appartient au Nigéria,que les frontières dans la régiondu lacTchad doivent encore être

fixéesde façon définitivepar les Etats riverains,que les revendications camerounaises concernant

lafiontièreterrestre sonterronées,que la revendicationde ce même paconcernantla délimitation

maritimedans le golfe deGuinéeest indéfendable,et que ce n'est pas leNigériaqui a commisdes

actes engageantla responsabilitédeYEtat,maisleCameroun.

31. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour,j'ai maintenant l'honneur de

présenter lesavocatsqui exposerontla thèseduNigériadevant la Cour. Mes éminents collègueest

coagents. le chef Richard Akinjide etM. AlhajiAbdullahi Ibrahim, qui ont l'un et l'autre été

Attorney-Generalet ministre delajustice, s'adresseronttous deuà la Cour- M.Akinjidedurant

le secondtour, et M. Ibrahim lundi.

2 8 32. Le Nigéria commencera,aujourd'hui etdemain, par examiner l'élémenc tentral de cette

affaire,a presqu'île de Bakassi. MmeNella Andem-Ewa,Attorney-Generalde l'Etat de Cross

River,dontBakassifait partie,vousprésenterabrièvement la presqu'île,sa cultureet sa population.

33. Sir Arthur Watts examineraensuite la situation de Bakassiavant l'indépendance,puis se

penchera surle traitéanglo-allemandde mars1913. Demain,M. Ian Brownlieexamineral'histoire

de la presqu'île de Bakassiaprès l'indépendanceet décrira les éléments constitutifsdu titre

juridique duNigéria. 34. La semaine prochaine, M.GeorgesAbi-Saabexposera la positiondu Nigéria concernant

lanotion del'utipossidetisjuris. M. Alhaji Ibrahimqui, vousvous en souviendrez,s'est adressé

vous en qualité d'agent au cours de la procédure oralesur les exceptions préliminaires,

commencera notre présentationdes aspects relatifs à la frontière terrestre. Il sera suivi de

sirArthurWatts et de M.AlastairMacdonald, qui détailleront les questions juridiques et

géographiques enlitige.

35. Aprèscela, M. IanBrownlie examinerales questionsenjeu dansla régiondu lac Tchad.

M. James Crawford interviendra ensuite sur certains élémentsd'ordre généralconcernant la

frontièremaritimepuis, avecl'aide deM. Abi-Saab,procéderaàune analyseplus complètede cette

question.

36. Aprèscela, sir ArthurWatts et M. Abi-Saab examineront la responsabilité étatiquee,t

M. Crawfordles demandesreconventionnelles.

37. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention et de votre patience. Je vous prie de bien vouloirappeler MmeNella Andem-Ewaà la

barre.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le ministre. 1 now give the floor to

Mrs.Nella Andem-Ewa, Attorney-General ofCrossRiver State. You havethe floor.

MmeANDEM-EWA :

PRÉSENTATIONDEBAKASSI
1. Monsieur le président,Madame et Messieurs les membres de la Cour, c'est pourmoi un

privilège insigneque de me présenterdevant votrehautejuridiction en qualitéd'Attorney-General

de 1'Etatde CrossRiver de laRépublique fédéradlu Nigéria.

2 9 2. Situé dansle sud-est du pays, le Cross River est l'un des trente-six Etats qui, avec le
*
Territoirefédéral(Abuja)f,orment la RépubliqufédéraleduNigéria.

3. LYEtatde Cross River partage avec le Camerounune frontièrelongue de277kilomètres,

qui va des hauts plateauxd'Obudu, dans le nord de lYEtatj,usqu'aux forêts depalétuviersde la

presqu'îlede Bakassi, dans lesud, en passantparune luxurianteforêttropicale. 4. Quant à la presqu'île de Bakassi, dont la partie terrestre couvre environ

700kilomètrescarrés, elleest principalement constituéed'un enchevêtrementd'îles et de petits

cours d'eau appeléscreeks.

5. C'estpar ces coursd'eau, dontla taille et la navigabilitévarient, que l'on sedéplaced'une

îleà l'autre. Vouspouvezvoir quelquesexemplesde creekssur les photosqui vous sont projetées

maintenant. Ces photos se trouvent égalementsous l'onglet 1 de votre dossier. Comme vous

pouvez le voir,Bakassipossèdeunefaune etuneflore aquatiquesaussi abondantesque variées. La

confluence de tous ces cours d'eau favorise la formation de plancton, utilisépourl'élevagede

différentesespèces depoissons, d'écrevisses,de crevettes et de homards. Il n'est donc guère

surprenant que la population locale aittoujours tiré partide cesriches ressourcesnaturelles,et que

lapêchesoitainsi devenue l'activité principaleeshabitantsdeBakassi.

6. La végétationàBakassi, denseet épaisse,est principalement forméede palétuviers, arbres

caractéristiques parleursraci.nesaériennesen forme d'arche. A mesure que l'on s'éloigne dela

côte pour s'avancer dans l'intérieurdes terres, les palétuviers cèdentla pàune forêttropicale

très ancienne;on la trouve notamment autour d7Archibong,d7Akwaet de Mbenmong. Vous en

voyez maintenant quelques photographies projetéessur l'écran - vous les trouverez également

dansvotre dossier,sous l'onglet1.

7. La presqu'île deBakassi fait partie de 17Etatde CrossRiver. Après l'indépendancee,lle

fut administréecomme relevant du conseil local d7Akpabuyo7avant d'êtrerattachée à la zone

d'administration localed70dukpani, puis à celle d7Akpabuyo. En 1996,elle a été constituéeen

zone d'administration localedistincte. C'est maintenant l'unedes dix-huitzones d'administration

locale de1'Etatde CrossRiver. Sonsiège administratifestsitué àAbana, sur la rive occidentalede

la presqu'île. Monsieur le président,voici maintenant une sériede photosd7Abana,qui figurent

égalementsous l'onglet2 de votre dossier d'audience. Vous pouvez constater qu7Abanaest une

grande ville, dotéede structures permanentes et d'une population bien établie. Cen'est pas,

comme le Camerounveutnous le fairecroire, unpetit villagepeupléde pêcheurs saisonniers.3 0 8. La photo qui est projetéemaintenant,et qui se trouve dans votre dossier sous l'onglet3,

montre des habitants d7Abana. Elle a été prisepar notre équipede juristes lorsqu7ilsont visité

Bakassienjuin 1997;la situation dansla régionétait alors très tendue, cequi expliquela présence

d'uneescorte armée.Vousvoyez surlagauche les chefs de village,signalésparune flèche.A côté

d'eux se trouvent les anciens, et, au milieu, on voit des danseusesvêtuesdu costumetraditionnel

efik,appeléabang.

9. Monsieur le président,le Nigériaa réalisé unecourte vidéoquej'aimerais, avecvotre

permission, montrerà la Cour afin qu'ellepuisse avoirune vision plus précisede larégiondontje

vous parle. Des photos analogues aux images de cette vidéo se trouvent dans levolume XII du

contre-mémoirea,insi quesous l'onglet de votre dossierd'audience.

Le PRESIDENT :Excusez-moi,je vous interrompsune seconde. Lapratiqueveutque toute

vidéoqu'une partiesouhaite projeterà l'audience soit fournià l'avance au Greffe età la partie

adverse. Est-ceque celaa étéfait?

Mme ANDEM-EWA :Non, celan'a pas étéfait.

Le PRESIDENT :Pouvons-nousreporter la projection decettevidéo?

Mme ANDEM-EWA :Oui. Mercibeaucoup.

Historique

10. Permettez-moimaintenant de vous retracer brièvementquelques aspects de l'histoirede

lapresqu'île. LeNigéria a démontrédansses écrituresqueleterritoirequi va du coursinférieurde

la Cross Riverjusqu'à son estuaire et alentour a éconnu pendant des sièclescommecelui des

cités-Etatsdu Vieux-Calabar. Cette régionest signaléeen rouge sur la carte que vous voyez

maintenantsur l'écran,et qui se trouveégalementsousl'onglet de votre dossier d'audience. 11. L'histoire nous apprend qu'au XVIIIesiècle,un ou plusieurs clans efik se sont déplacés

vers le cours inférieur dela Cross River, dépassantle secteur de la rivière Akpayafépouratteindre

le Riodel ~ef.

12.De même,il est historiquement prouvéquelepremier Efik installé à Bakassi étaitle chef

Abasi Eke,originairede CreekTown,une localitéduVieux-Calabar. Archibonget Mbenmong ont

été fondées par ded sescendants du roi Archibong ler, qui fut l'un des chefs du Vieux-Calabar

de 1849 à 1852~.

13.Dès la fin du XVesiècle,tous les clans du Vieux-Calabarjuraient hommage, tribut et

allégeance à l'obong de Calabar, en échangede quoi celui-ci s'engageait à les protéger encas

d'agression. Cela neles empêchapas, jusqu'à l'époque colonialeet mêmependant celle-ci,de

concluredes traitéspour leurpropre compte. Car,contrairement àce qu'a affirm Mé.Ntamark,les

rois et les chefs du Vieux-Calabar formaientbien une entitéindépendante, dotéee la capacité de

conclure des accords internationaux: le Nigériaen donne des preuves très précisesdans son

contre-mémoire8. Méconnaître aussi délibérémend tes faits historiques avérésn'est pas une

attitudedigne de cette enceinte.

14. L'entitépolitique efik existait déjàavant le XVesiècle. Elle continue aujourd'hui

d'administrer ses territoirespar le biais des etuboms, qui représentent lesdifférentsclans. C'est

parmi les membres de ces clans qu'est choisi l'obong. Les ehrboms forment un conseil, qui

constitueà son tour le noyau du conseil de170bong,organe dirigeantquià l'instard'unParlement,

représenteet défend les intérêdss citoyens.

15. Les Efik considèrenttous comme très important le rôle joué par l'obong dans leur

société,et celui-ci prend lui-même très,très au sérieux ses fonctions,en particulier celle de

protecteur du peuple efik. Ainsi, lorsque les indigènescrurent que l'administration britannique

locale essayait de transférerla propriétde leurs terres ou mêmede les en déposséderl,'obong

alors en fonction, Edem Efefiong, fit rédigerun placet sur la question, et ce sont ses propres

Voir DaryllForde(éd.),EjikTradersofOIdCalabar(Lescommerçantsefikdu Vieux-Calabar),Londres, 1956,
p. 27; The Diary785-1788)ofAntera Duke (Le journal d'Antera Duke, 1785-1788),p. 43. Un exemplairede cet
ouvrage aété fouàlaCour.

'«The Kings and ChiefsofOIdCalabar»(Les rois etchefsdu Vieux-Calabar),Ekei EssienOku,p. 55-62.
CMN,vol.IV,annexesCMN3-CMN 14et CMN21-CMN23.fil- le prince BasseyDuke, dont on peut admirer la statue dans le centre de l'actuelleville de

Calabar, et le prince James EyoIta, qui devintpar la suite le roi Eyo HonestyIXqui allèrentle

présenter à la Couronne et au Parlement britanniques, à Londres, au nom des communautés

indigènes9. Le Gouvernement britannique démentit vigoureusementtoute tentative de

dépossession àl'encontre desindigènes.

16.Le lien defiliationqui,du point devue de laculture localeet du pointde vue social,unit

les habitantsde Bakassiàl'obongde Calabarest extrêmement important. M. Ian Brownlievous en

reparlera plus en détail demain.Qu'il me suff~sepour l'heure d'attirervotre attention sur le fait,

très significatif, que l'obong dealabar et le conseil des etuboms ont toujours considéréet

administré la presqu'île de Bakassi comme faisant partie du royaume et des cités-Etatsdu

Vieux-Calabaret, partant,duNigéria.

17. Loin de se contenter d'assurer une administration politique, la monarchie efik veillait

également-et continuede le faire- au maintien de l'ordrà travers une confrériedénommée

«ekpe». La sociétéekpe, propre aux Efik, constitue la structure administrative et judiciaire

traditionnelle la plus puissante de la région; elle fonctionne parallèlement aux organes

administratifs et religieux plus récents.ute communauté efik ason sanctuaire eke. Il est

intéressant de noter que l'on trouve une référence à un sanctuaire ekpe remontant au

8 février1786 : àcette date, Antera Duke raconte dans son journal qu'il s'estpromenéavec un

certain Archibong Duke jusqu'à la maison des palabres (égalementappelée«ufok afanikong)))de

Bakassi,qui abrite «17efeekpe»(c'est-à-direle sanctuaireekpe)". Les principaux sanctuairesekpe

se trouvent dans les grandesagglomérations de Bakassi, notammentàAkwa, Archibong,Abana et

Atabong-Ouest.

18.La société ekpe est l'un des éléments essentise la vieàBakassi,et de la viedes Efik

en général.L'influence decette structure s'étendà toute la région- non seulement à Bakassi,

mais également aux zonesrurales et aux agglomérationsde tout le sud-est, notammentàCalabar.

La sociétéekpe s'articuleautourde la maisondes palabresqui abrite, commenous l'avonsvu tout

cm, vol.VI,cm 110.
'OTheDiary ofAntera Duke[Lejournal d'AnteraDuke],p.43, ci-desbasdepage 1.à l'heure,«lYefeekpe)). Seules lespersonnalités éminentet,lles que les ancienset les chefs,ont le

droit d'y pénétrer. La sociétéeipe exerce une forme de gouvernement dans toute la région,non

seulementsur le planadministratifetjudiciaire,mais également surleplan moral;de fait, lerespect

des principesde lasociétéekpeestl'undesfondementsde la vie quotidiennedesEfik.

Géographiephysique ethumaine

19.Monsieurle président,je vaisà présent décrirea géographiede la presqu'îlede manière

plus détaillée. Malgré l'abondance de mangroves, de nombreuz sosnes sont habitableset ont été

occupéesdès l'arrivéedes premiers colons efk. L'extrémité septentrionale de Bakassi-où le

cours de la rivièreAkpa Yaféinfléchitvers l'ouest - est situéebien au-dessus du niveau de la

mer. Les villes d'Archibong, Mbenmong et Akwa, au nord, sont bâties sur la terre ferme, à

quelque 15pieds au-dessusdu niveaude la mer. Ces villes comptent,depuis prèsde deux siècles,

des constructions permanentes et solides. L'ancienne église méthodisted7ArchibongTown, par

exemple, date des années 1880e,t sonsanctuaireekpeest leplus anciende Bakassi.

20. Dans les zones côtières méridionalese Bakassi,de vastes plages de sable s'étirentsur

plusieurs centaines de mètres à de nombreux d'endroits, tant sur la côte qu'en direction de

l'intérieur. Cesétendues sablonneuses, dépourvues dv eégétation,e prêtentparticulièrementbien

à la constructiond'habitations. Certainesdesplus grandes localitésdu sud, telles quYAtabonEst

et AtabongOuest, Abana ou Onosi,ainsi quYIne Akpa Ikang au nord, sont bâties surces bandesde

sables. Cesvilles comptentparmiles plus importantesde Bakassi et conviennentparfaitement à la

pêche etau commerce.

21. Les villes les plus importantesde Bakassi, commeArchibong Town,Abana et Atabong

Ouest, sonttoutes dotées d'installationset'infrastructuresmodernes comprenant des églises,des

écoleset des cliniques. Atabong Ouest et Abana possèdentégalement leurpropre marché. Des

systèmesd'assainissement deseauxontété misen placedans les principalesvilles,qui ont en outre

étérécemmentraccordéesau réseauélectrique.AtabongOuest compte même uncinéma.

22. La presqu'île de Bakassi n'a donc rien d'un marais de mangrove qui, faute d'être

habitable, ne serait peuplé quedepêcheursitinérants.Non, certainementpas. Elleaccueilleen fait

une populationde cent cinquantemille personnes, dontla grandemajoritévittoute l'annéedansles villes queje viens de citer et dans des villages de pêcheplus petits tels quYIneEkpo, Ine Utan,

Onosi, IneAkpak, Ine Odiong ou IneNkan Okure. Ces localitésplus petites, établies dansle

réseaude creeks et donc à l'abri des maréeset des tempêtes,sont des établissementstoutaussi

permanentsque leursvoisines plus importantes.

23. Depuis le XVesiècle, les habitants pratiquent la pêcheet l'agriculture et commercent

avec le continent, principalement avecCalabar, Ikang, Jamestown et Oron, situésau Nigéria.

Notons en passant que l'estuaire de la Cross River a été pendantlongtemps un axe commercial

important entre Calabar et d'autres endroitsde la région,dont FernandoPo-aujourd'hui Bioko.

L'administrationlocale,avec ses infrastructures,uivi ceshabitants. Les citadins et villageois de

la partie nord de Bakassipayaient leurs impôtsaux percepteursYIkotNakanda, commerçaient au

marché dYIkang,fréquentaientles écoles,les cliniques et les tribunaux d'&mg, IkotNakanda et

Calabar.

24. La partie sud de Bakassi a étécolonisée pardes populations- là encore, de pêcheurs

pour la plupart- venuesde l'autrerive de l'estuaire deCalabaràl'ouest. Les maisonsqu'ils ont

3 4 construitessur les vasteszones sablonneusesdecette régionse sont transforméesen villagesqui se

sont à leur tour développéspour devenir Atabong Est et Ouest, entre autres. Ces pêcheurs

réalisaient leurséchangesavec les villes situéesde l'autrecôtéde l'estuaire-Oron,Jamestown,

Atabong Beach et Calabar. C'est ainsi par exemple que le recouvrement des impôts dans les

villages établis surBakassi étaiteffectuépar des fonctionnairesvenus de Jarnestown,et que des

écoles et des cliniques ont étémises en place par l'administration locale basée à Enwang,

Jamestownet Oron.

Ethnographie

25.Monsieur leprésident,Madameet MessieurslesMembresde la Cour,je passedésormais

a l'ethnographie de Bakassi. Comme je viens de le démontrer,la presqu'île de Bakassi est

habitable,et une population importantey vitet travaille. Laplus grandepartie de cette presqu'île

est habitéepar des populations majoritairementefik, résultatde la colonisationde Bakassi par des

clans et des descendantsde rois efik. Ils sont donc étroitementapparentésaux EfikdeCalabar et

de la régionqui s'étend aunord et au sud de cetteville. 26. Les habitants des parties septentrionales deBakassi et ceux du continent, au sud de

Calabar et à Calabar même,entretiennent des liens visibles et multiples. Ils sont unis par la

coutume : les Efik de Calabar et de Bakassi portent les mêmeshabits traditionnels, leurs

cérémonied se baptêmed ,e mariageet de funérailles, sonles mêmesl,eurs croyances, leurmusique

et leurnourriture aussi. Ils parlent lamêmelangue. L'efik parlépar les habitants de Bakassil'est

égalementdans toute la régionde Calabar et de Bakassi,jusqu'au Riodel Rey. Les Camerounais

ne parlent pas l'efik;j'insist:ils ne le parlent pas. Déjàdans les années1880, les Efik avaient

établidescomptoirs sur leRio del Rey et l'efk étaitcouramment parlédans la région.

27.Il est intéressantde noter que, danstoute la presqu'île de Bakassi, les toponyrnessontet

ont toujours étéefik. Commeje l'ai déjàdit, le terme Ine, apposécomme préfixe à la plupart

d'entre eux,signif «villagedepêche)) en efik. (CMN,par. 3.38.)

28. Une autre tribu a également fondé quelquev silles dans la partie la plus méridionalede

Bakassi :il s'agit des Effiat. Ceux-ci sont originairesde l'autre côtéde l'estuaire deCalabar,de

villes comme Jamestown et 'TomShot, dans des régionsqui font aujourd'hui partie de lYEtat

dYAkwa Ibom. Le 11septembre 1884, les chefs de TomShot signèrentun traitépar lequel ilsse

soumettaient «à I'autoritéet u lajuridiction des rois et chefs du vieux-~alabar»". Depuis cette

époque,les Eff~at se sont progressivement imprégnés de la culture efik, si bien qu'ils sont

désormaisextrêmementproches - culturellement parlant- des Efik, dont ils partagent des

caractéristiquestelles que l'existence d'une société Ekpe, ou encore l'habit, la musiqu ete la

noumture traditionnels. Leurs dialectes sont égalementtrès similaires. Bien que des différences

les aient initialementséparés deEffik, celles-ci sontdevenues presque imperceptibleset ces deux

ethniescoexistentdepuisprèsde deux sièclessur lapresqu'île, sansqu'aucun conflitne lesoppose.

29.Il est intéressantde constaterque,là encore,plusieursvillagesde la partie suddeBakassi

reprennent les noms de villages et de villes effiat du continent. Ine Okopedi tire son nom

dYOkopedi,une ville qui est à présentle chef lieu de la collectivité localedyOron. Les noms

dYAtabong Est et Ouestviennent dYAtabong Beach,ville commerçantesituée surlarive occidentale

de la rivièrealabar.

" CMN,vol. IV,annexeCMN23. 30. Plus récemment,cette riche régionde pêche aattiréen nombre croissant des pêcheurs

issus d'autres tribus du Nigéria,comme les Ijaw, les Andoni, les Ibibio ou les Ogoni. Il n'y a

cependant aucun pêcheur camerounais dans ces eaux ou vivant sur la presqu'île de

Bakassi - aucun.

31.Monsieur leprésident, Madameet MessieurslesMembresde la Cour,je vais maintenant

relater brièvement l'histoire d'undifférend quia opposédeux Etats nigérians, 1'Etat de Cross

River, d'oùje viens moi-mêmee ,t1'Etatd7AkwaIbom, au sujet de l'attributionde la presqu'îlede

Bakassi.

32. Le Cross Riveret 1'AkwaIbom faisaient initialementpartie d'un plusgrand Etat, lYEtat

du Sud-Est, qui fut rebaptiséEtat de Cross River en 1976. La presqu'île de Bakassi étaitalors

administrée par deux collectivités localde cet Etat: la plus grande partie de la presqu'île était

rattachéeàlacollectivitélocaledYAkpabuyot,andis que lapartie laplus méridionaleétairtattachée

àune collectivitélocalesituéesurle continent,àl'ouest de l'estuaire Calabar. M. IanBrownlie

vous expliqueratout celaen détaildemain.

33. En 1987, 1'Etatde Cross River est diviséen deux, son ancien tiers sud-ouest devenant

1'Etatd'AkwaIbom. Les deux collectivitéslocalesadministrant Bakassi setrouvent dèslorsdans

deux EtatsdifférentsduNigéria.Un différendéclate :lesdeux Etats souhaitentévidemmentsavoir

lequeld'entreeux administreratoute la presqu'îlede Bakassi.

34. La situation s'aggraveau débutdes années1990,et des troupes sont envoyéesdans la

régionafin d'y maintenir l'ordre public. En 1996, le gouvernement fédéralcréela collectivité

3 6 locale de Bakassi, avec pour chef-lieu Abana, et en fait une partie intégrantede 1'Etatde

Cross River. Malgréles protestationsde 17Etatd'AkwaIbom, la constitutionde 1999, qui recense

les collectivitéslocalesde chaquetat, placecelle de Bakassidans 1'Etatde Cross River, tranchant

ainsi définitivementla question. Bien que cedifférendait fait grandbruitl'époque, leCameroun

est restémuetdurant toutecette période- iln'a pas expriméla moindreprotestationni lemoindre

intérêptour cette affaire. Aussi, le fait qu'il laisse entendre aujourd'hui que la créationde lacollectivité localede Bakassi avait pour but de placer la Cour devant un fait accompli revient à

mépriser,de manière éhontéen ,on seulement les liens historiques de la régionavec les Obongde

Calabar, mais aussi l'histoire de l'administrationde la presqu'îlepar plusieurs collectivitéslocales

nigérianessuccessives,et ce pendantdes années etdes années.

Le titre historiqueduNigéria

35. En conclusion, Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, et pour

compléterle tableau que je viens de brosser des caractéristiques géographiquesh ,istoriques et

culturellesde Bakassi,permettez-moide dire quelquesmotssur sa situationjuridique.

36. Tout d'abord,et avant toute chose,je me doisde clarifierun point de terminologie. Je

parle de Bakassi comme d'un territoire «nigérian». Mais, bien sûr, le Nigéria sous saforme

actuelle- un Etat distinct,unifiéet identifiabl- n'existaitpas iy a, disons, unou deux siècles.

Utiliser le terme «nigérian»pour décrire les territoires encause tels qu'ils se présentaient

au XIXesiècleest, par conséquent, quelquepeu anachronique :celavaut également, dansune large

mesure, pour le Cameroun et l'emploidu terme «camerounais». Mais, Monsieurle président,je

pense que la Cour comprendra bien que si nous employons l'adjectif moderne «nigérian» pour

décriredes situations qui avaient cours au XEe siècle, c'esttout bonnement dans un souci de

commodité et d'opportunité. L'enchaînement historiquq eui mène des rois et chefs du

Vieux-Calabarjusqu'au Nigériaactuel, est suffisammentclair et le Cameroun ne peutl'écarterpar

le simpleeffetde savolonté.

37.Ce que leCamerounconteste, c'est, biensûr, lestatut actuelde Bakassi entant quepartie

du Nigéria. Comme leNigérial'a montré12i,l ne fait pourtant aucun doute qu'historiquement,la

presqu'île deBakassiest nigériane. Les prédécesseud ruNigéria danscette régionétaientlesrois

et les chefs du Vieux-Calabar. Bienplus qu'un groupe hétéroclitd eetribus primitives,il s'agissait

lcm, p. 67-76,pa5.1-5.2DN,p. 8-21,par.1.6-1.21. -24 -

d'une entitéà la souverainetéreconnue. Ces rois et chefs exerçaient sur leurtemtoire une autorité

souveraine et conduisaientleurs relationsextérieuresparle biais d'un vaste ensemblede traités,y

compris destraitésconclutant avec la Grande-Bretagne qu'avecles Etats-Unis : lecontre-mémoire

duNigéria contientuneliste longue - et peut-être même incomplè -tedeces traités13.

38. Les rois et les chefs du Vieux-Calabar exerçaient leur autoritésouverainesur un vaste

territoire situéautour de l'estuaire dealabar :cette autorités'étendaitmêmevers l'est, surune

distance considérable.La presqu'île de Bakassi se trouvait doncsans conteste dans leur domaine.

Aucun douten'est à cet égard permis.

39. La question sepose donc, Monsieurleprésident,de savoir ce qui aurait alorspu changer

cette situationtrèsclaire La réponse du Nigérie ast simple:rien. Il estnotoirequ'ily a un siècle,

Bakassi se trouvait au Nigéria. Cela vaut toujours aujourd'hui. Bakassiétait, et esttoujours,

territoire nigérian.

40. La réponsedu Cameroun est, bien entendu, différente. Mais, Monsieur le président, à

quoi se résume-t-elle ? Si l'on fait abstraction de sa rhétorique,on constate que la thèse du

Camerounrepose surdeuxgrands postulats :

a) Le premierveut que, par une série denégociationsconduites à la fin dXIXe siècleet au début

du XXe, des territoires nigérians aient étéprogressivement cédés à cette entité qu'est

aujourd'hui leCamerounet absorbéspar elle.Ce processusaurait, selonle Cameroun,englobé

le territoire nigériande la presqu'île deBakassi.

b) Le second postulat sur lequel se fonde le Cameroun est qu'il aurait, dans la pratique, été

présent a Bakassi, oùil aurait exercéune souverainetéterritorialesansses attributs.

41. Monsieur le président,Madameet Messieurs dela Cour, le Nigéria adéjàexpliqué dans

sespiècesécritesque cesdeux postulatsétaientl'unet l'autreerronés,enfait et habituels en droit.

l3CMN,p.71-74,par.5.11-5.13;DN,anne 1.eDN 42. Qu'ils soient erronés en fait ressort clairement, comme sir ArthurWatts et

M. IanBrownlie l'expliquerontaujourd'huiet demain,de l'exposé des faits qui adéjàété soumia s

la Cour. Celui-ci prouve abondammentl'étenduede l'administrationnigérianede lapresqu'îlede

Bakassi et l'exercice d'une souveraineté nigérianesur celle-ci, ainsi que l'absence d'une

quelconqueactivitésimilairede la partduCameroun.

43. Quant à l'aspectjuridique, le Camerouns'égare dansses arguments. Le simpleénoncé

dece àquoices argumentsse résumentlemontretout aussi clairement :

a) En premier lieu, ils supposent qu'il faille donnerà une série deprojets d'accords le même

poids que s'ils étaiententrés envigueurmaistel n'ajamais été lecas.

b) En deuxièmelieu, ils reposent sur uneproposition stupéfiante, selonlaquelle un Etat pourrait

donner à un autre Etat quelque chose- en l'occurrence, une parcellede territoi-e qu'il ne

possèdepas lui-même.Monsieur leprésident,il y a peu de principesjuridiques - et peut-être

mêmen'y en a-t-il aucun - qui soientaussi universellement respectésque celui qui s'énonce

nemo dut quod non habet. Et pourtant leCameroun voudrait que cette Cour déroge à ce

principe du droit. Il souhaite que cette Cour reconnaisse que la Grande-Bretagne,qui

n'exerçait aucune souverainetésur la presqu'île de Bakassi, pouvait néanmoinscéderce

territoire l'Allemagneet ainsi, par la suite, au Cameroun. Il suffit d'énoncercet argument

pour se rendre compte qu'il représentenon seulementune erreur fondamentale en droit, mais

égalementla négationdes principeslesplus élémentaired se lajustice.

44. Monsieur le président,Madameet Messieursde la Cour, le moment serait peut-êtrebien

choisi pourmarquerune pause. Je vousprie d'appeler,aprèsla pause - ou maintenant,si la Cour

lepréfere -, sir Arthur Watts,qui développera de manière plus détaillécees aspects de la thèsedu

Nigéria. Merci, Monsieur leprésident.

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je pense que sir Arthur préfërera ne pas être

interrompu,aussi allons-nouseffectuer cette pause maintenant. Par conséquent,nous suspendons

la séancepourune dizainede minutes.

L'audienceestsuspendue deII h20 à Il h30. Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est reprise etje donne la parole à

sir Arthur Watts.

M. WATTS :Je vousremercie,Monsieurleprésident.

BAKASS AIVANTL'INDÉPENDANCE

1.Monsieurle président,Madameet Messieursde la Cour,c'est pourmoi un honneurde me

présenter ànouveaudevantvous au nomde la République fédérad lu Nigéria.

2. Il m'échoitde vous présenterla premièrepartie de lathèsedu Nigériarelative au titre de

souveraineté sur Bakassi. Je traiterai l'histoire de la presqu'îlejusqu'au débutdu XXesiècle,en

insistant plus particulièrement sur la signification du traité de protectoratsignéen 1884. Je

m'intéresserai ensuiteau traité anglo-allemand de mars 1913 avant d'examiner, pour finir,

l'administration deBakassidepuis 1913jusqu'à l'accession à l'indépendance du Nigéria en 1960.

Bakassijusqu'audébutduXXesiècle

3. Une rétrospective rapidede la premièrepériodede l'histoire de Bakassi permettra à la

Cour,j'en suis sûr, de mieuxcomprendreles événements ultérieuq rui sontau cŒurde la présente

affaire. Par commodité,et comme l'a fait MmeAndem-Ewa,j'utiliserai le terme «nigérian»pour

parler de cette première période mêm sie, strictement parler,leterme est inexact. Je nepense pas,

Monsieur le président, qu'ilpuisse en résulterune quelconqueconfusion : le lien entre le Nigéria

d'aujourd'hui etleVieux-Calabard'hier estmanifesteI4.

4. Le Cameroun préférerait, semble-t-ilq ,ue le Nigériapasse sous silence la question du

Vieux-Calabar. Il s'agit selon lui d'une «entitémystérieuse)),'un «mythe»,voire d'un «mirage».

Le seul mystèretient à ce que le Cameroun puisse se faire une telle idée. Car le Vieux-Calabar

était,commeje vaisvous l'expliquer,vraimentbienréel.

-- - -

lCMN,par. 10.1p.211. 5. Je me contenterai de relever deux éléments caractéristiquesdes premièresannéesde

l'histoire de Bakassitout d'abord, la presqu'île faisait partie des domaines des rois et chefs du

Vieux-Calabar;en second lieu ces rois et chefs du Vieux-Calabarétaientdotésde la personnalité

juridique internationale?etnotammentdela capacitédeconcluredestraités.

6. L'étenduegéographiquedes territoires qui se trouvaient sous l'autoritéet le contrôle des

rois et chefs du View-Calabar a étéétudiéeassez en détail dans les chapitres4 et 5 du

contre-mémoiredu Nigéria. Il y est montré qu'après l'an 1700,les principales tribus du sud-est

nigérianétaient cellesdesfiket desEfiat.

7. De nombreuses localitésefik étaient regroupées à proximitéde l'embouchure de la

rivièreCross- souvent appeléerivièreCalabar sur les cartes les plus anciennes. Cette région

connuesous le nom de Vieux-Calabarconstituait le centre de l'activitédesiket de leurautorité.

Une vieille carte datant de 1822,-qui figure sous l'onglet 6 du dossier des juges et que vous

voyez maintenant à l'écran-montre ces villes, telles que DukeTown, CreeckTown,

HenshawTown et Obutong'Town connue égalementsous le nom de Old Town. D'autres

localitésefik plus éloignées-comme, par exemple, Tom Shott's Town et Arsibon's Town

(devenue maintenantArchibong) - ne figurent pas surcette vieille carte mais se trouventdans les

environsde la régionqui vous est montrée maintenant: elles sontreprésentées sur d'autrcartes

du contre-mémoiredu Nigéria. Chacunede ces localités, ou «maisons»-quasiment des

cités-Etat- possédaitson propre roi ou chef, de telle sorte qu'au débutdu XIXesiècle, le
4 0
Vieux-Calabar comptait plusieurs rois locaux. Parmiceux-ci, a progressivement émergéun chef

ou roi dominant- investi par la suite de l'autoritésuprêmeou obongship - du Vieux-Calabar.

Le Cameroun cherche àrailler ce processus,mais laCourn'est pas sans savoirqu'il s'agitlà d'une

évolutioninstitutionnelleet constitutionnelleparfaitementnormale.

8.Au XIXesiècle, leVieux-Calabarétaitun grandport - un seul coupd'Œil à la carte vous

permet de voirà quel point sa situation géographiqueétait privilégiée.Le Vieux-Calabar et ses

«maisons»efik avaient assis leur autoriténon seulementsur la régionavoisinante,mais aussi sur

les territoires situésentre la Cross River et le Rio delRey. La régionsoumise'autoritédirecte

des rois et chefs du Vieux-Calabarest indiquéeen rouge sur la carte qui figure sous l'onglet7 de

votredossieret quevous voyez projetéeà l'écranmaintenant- onvous l'a déjàprojetéece matin. 9. Les activitésdes «maisons» du Vieux-Calabar consistaient notamment à fonder des

colonies de peuplement sur la presqu'île de Bakassi. Ces implantations sont vite devenues des

villes etvillageset leur ensemblefaisait partiedu territoiredu Vieux-Calabar: elles sont indiquées

avec leur nom au chapitre 3 du contre-mémoiredu ~i~éria'~.La carte montre la situation des

différentescités-Etatset leurs liensavec lapresqu'île deBakassi.

10. Le contre-mémoiredu ~i~éria" donne des élémentsde preuve datant de la période

suivant immédiatementla conclusiondu traitéde protection de 1884,qui attestentde l'étenduedu

Vieux-Calabar,et notamment du fait qu'il englobait la presqu'île deBakassi. Je ne vous lirai pas

les citations pertinentesdans leurintégralit, aisj7enrelèveraiquelquespassagesclés.

11.Il y a tout d'abord le mémorandumque Hewett, le consul britannique qui négociale

traitéde 1884, adressa à Londres avec son rapport relatif à la signature du trait: il y décritle

Vieux-Calabar dans les termes suivants-«Ce pays, avec ses dépendances, s'étend de

Tom Shots ...jusqu7àla rivière Rumby (àl'ouest desmonts Cameroun), tous deux étantcompris

dans cette région.))

12. Ces localités figurentsur la carte que vous voyez à l'écran,et qui se trouve sous

l'onglet8 du dossierdesjuges.

13.Le secondélémentde preuve est un rapport adresséau Foreign Office à peine six ans

plus tard, en 1890,par un successeur, le consul Johnston. Il affirme que «l'autoritédes chefs du

Vieux-Calabars'étendaitbien au-delà de larivièreAkpayafé,aux portes mêmes du Cameroun)),ce

qu'il nuançait en ajoutant que «[l]e peuple efik ...[n'avait] paspénétré plus à l'est que la rive

droite de la rivièreian)). Il poursuivait:

«Le commerce et l'autoritédes chefs du Vieux-Calabar s'étendaient en 1887
beaucoup plus à l'est que la rivièreNdian ..la rive gauche, ou orientale, de
17Akpayafé et les terres entre cette rivièreet la Ndian relèventde l'autoritéd7Asibon,
ouArchibongEdem III,ungrand chefdu Vieux-Calabar.. .»

Il concluaiten indiquantque leschefs duVieux-Calabars'étaient retirés detserressituées àl'est de

la Ndian, sur lesquellesleur titreétait manifestement,auxyeux de Johnston, quelquepeu douteux;

mais céder davantagede territoireaurait étélourd de conséquencesc ,ar ils auraientalors misenjeu

lCMN,par.3.37-3.43,p. 37-39.
lCMN,par.6.35-6.36,p. 94-96.leur ((véritableterritoire,celui que personnene conteste)). Le rapport deJohnston disait donc,en

substance,que s'ilétaituniquementplausibleque leterritoire situé au-delàde la Ndian appartienne

au Vieux-Calabar,celui qui etait situéàl'est lui appartenait«sansaucun doute possible)). Bakassi

et le Riodel Rey se trouvent manifestement à l'ouestde la Ndian :Bakassi,Monsieur le président,

Madameet Messieursde la C:our,faisaitpartie du principalterritoiredu Vieux-Calabar.

14. Le Cameroun a essayé defaire valoir qu'il étaittotalement inopportun de parler du

Vieux-Calabarcomme s'il correspondait à la notion modernede temtoire telle qu'elle a coursen

Europe. La population du Vieux-Calabar tout comme les populations du mêmetype ne

définissaienttoutsimplement pasde manièreofficielle les limitesde leurterritoire, ce qui montre

qu'il est totalement anachronique pour le Nigéria d'affirmerque Bakassi faisait partie des

territoiresdu Vieux-Calabar.

15. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, de nos jours, la plupart des

Etats possèdentdes frontièresterritorialesparfaitementdéfinies et acceptéesd'uncommunaccord,

ce quicorrespond à l'évolutiondes relationsinternationales. Mais cela n'a pas toujours éle cas.

Ce n'est que progressivement que les frontièresont étéofficiellement délimitées , mesure que

s'estfait sentir un besoin de sécuriterritoriale. Il est évidentque des frontièresfixeset acceptées

d'un commun accord ne constituent en aucune manière un préalable à la personnalité

internationale'mêmeaujourd'hui : un certain nombre d7Etatssont dotésde frontièresqui, à des

degrésdivers, ne sont pas encore définitivement fixées.

16.Il y a un siècleet davantage,cettesituationétaitplus fréquenteencore. La Coura décidé

en l'affaire du Sahara occidental" que mêmedes tribus nomades présentessur un territoire et

dotées d'une organisation sociale et politique possèdentune personnalitésuffisante au regard du

droit international pour queleurterritoirene soit pas un territoiresans maître (terra nullius). C'est

pourquoi le titre de souverainetésur ces territoires était acquis, non pas unilatéralementpar

l'occupation,comme dans le cas de la terra nullius, mais «au moyen d'accords conclus avec des

chefs locaux»'8. Or, commeje vais le montrer dans un instant, lesrois et chefs du Vieux-Calabar

étaient bienplus que destribus nomades.

I7C.I.J.Recueil1975,p.3.
'*Ibid., p.39. 17. Ces rois et ces chefs du Vieux-Calabar n'avaient pas besoin de se doter de limites
4 2
territoriales qui soient officiellementdéfinies. Leurs affinités tribales etleurs structures sociales

I
suffisaientamplement, a l'époque,à conférerà leur autoritésa dimension territoriale. S'agissant de

territoire, ils étaienten outre parfaitement conscients dece qui leur appartenaitet de ce qui neleur

appartenait pas. Lorsqu'ilssignentun traitéavec la Grande-Bretagneen 185619,ce sont«les chefs

d701dTown, Vieux-Calabar,signanten leurnom et au nomde leurpays))qui sont partie au traité.

Lorsque le roi ArchibongIII et ses chefs concluent en1878 un traitéavec la Grande-Bretagne

portant sur les échanges et lecommerce, celui-ci vise (dout le territoire dont il revendique la

so~veraineté))~~ L.orsque laGrande-Bretagneproposed'inclure dansle traitéde protectionde 1884

un article prévoyant la libertde commerce «sur l'ensemble des territoires des rois et chefs)),ces

derniers rejettent cet article pour protégerleur arrière-payscontre les empiétementscommerciaux

étrangers2'. Ils savaient parfaitement ce que recouvrait leur ((souveraineté))c ,e qu'était «leur

pays)), et ce que signifiait la formule ((leurs territoires)), maisaussi quelle valeur particulière

revêtaitpour eux leur arrière-pays. Ils avaientun sens du territoiretrèsdéveloppém , êmesi leurs

frontièresn'étaientpas officiellementcouchéessur le papier.

18. 11ne fait donc aucun doute, Monsieurle président,Mesdames et Messieurs de la Cour,

que dans la seconde moitiédu XJXesiècle,Bakassisetrouvait sousl'autoritéduVieux-Calabar.

19.Il convientalorsde se demanderqueltype d'entitéétait ce «Vieux-Calabar))dont relevait

Bakassi. La réponse estégalementtrès claireet elle a étéfournie dans le contre-mémoiredu

Nigéria :le «Vieux-Calabaret [les] cités-Etatsqui le composent [sont des] entitésindépendantes

ayant la personnalitéjuridique internati~nale))~~.

20. Il ressort en outre clairement de l'intitulélui-même «Roiset chefs du Vieux-Calabar))

que nous ne sommes pas en présenced'une entité unitairemais plutôt d'un groupement d'entités

politiques, en l'occurrencedescités-Etatsdistinctes-dont la principale étaitDuke Town(qui sera

connue sous le nom de Old Calabar et deviendra plustard encore l'actuelle Calabar), et il y avait

l9CMN,annexe6.

20CMN,annexe15;CMN,p.88-89,par.6.21.
21CMN,p.89,93, par.6.22-6.23,6.32.

22CMN,p. 74,par.5.15etp. 80-90,par.6.15-6.26. CreekTown et OldTown (également appelée Obutong)C . hacune possédaitson propre territoire,

mais dans le mêmetemps, travaillait conjointement avec les autres au sein d'un seul et unique

4 3 cadre politique relativement lâche. Cette structure a étéqualifiéeen termes très générauxde

((fédératioonu conglomératdevilles quientretenaiententre elles desrapports lâches»23.Beaucoup

de cartes datant de plusieurs siècles montrent les cités-Etats du Vieux-Calabar. L'atlas

accompagnantle contre-mémoiredu Nigériarecense huit cartes de ce type24,datées de1662,1729,

1750 à 1772, 1794, 1822, 18'71,1879 et 1888. Un grand nombre de preuves rapportéespar des

expertsattestentégalementde l'existencede Calabarcommeentitépolitiqueafricainebienétablie :

ces preuves figurent égalementdans le contre-mémoiredu ~i~éria~'. Le Vieux-Calabar et les

cités-Etats ne sontpas de purs produits de l'imagination, ce ne sont ni des «mythes» ni des

((mirages));aucun «mystère»ne les entoure- à moins, naturellement, que tousces observateurs

faisantautorité n'aientétédans l'erreur,une suggestionque mêmeleCameroun ne s'aventurepas à

formuler.

21. Ces cités-Etats de la région de Calabar ont très certainementexisté,et avec le temps,

elles se sont misesà agir ensemble sousle nom de «roiset chefs du Vieux-Calabar)). Au moment

où l'intérêttrritorialmanifestépar l'Europedans larégions'est intensifié,au débutet aumilieudu

XIXesiècle, cetteentitéétaitdevenue letout cohérentquiallait lui servir d'interlocuteur.

22. Et ce fit un véritable interlocuteur, Monsieure président.Les piècesverséesau dossier

montrent que, sans aucun doute, les relationsont étédiverses et multiples entre,soit plusieursdes

cités-Etatssoit les rois et chefs réunisd'une part et, de l'autre, la Grande-Bretagne. C'est ainsi

qu'un consul britanniquefit nommédès 1849~~.Les rois et chefs du Vieux-Calabar concluaient

quant à eux des traités avecla Grande-Bretagnedepuisune date bien antérieure-dix-sept traités

au moinsont ainsiété signésentr1 e823et 188427.Monsieurle président,Madameet Messieurs de

la Cour, la Grande-Bretagne s'est trouvéeen butte à de nombreuses accusationsmais elle n'a

jamais étéaccuséej ,usqu'à présent,de concluredestraitésavec des«mythes» !

23CMN,p.67,par.5.1.
24CMN,cartes del'atlasno16-2et13.

2SCMN,p.69-70,par.5.7-5.10.

26CMN,par.5.14,p. 74.
27CMN,par.5.12,p. 71-73. 23. Il serait inexact de laisser entendreque la Grande-Bretagneétaitla seulà concluredes

traités avec des«mythes». Il suffit de consulterle recueildes traités(Consolidated TreatySeries),

pour constater que la France en faisait autant. Ainsi, dès1842, le roi du ((Vieux-Calebar»,en

attendant l'arrivée surla rivièredu Vieux-Calebar (sic)d'un bâtimentde guerrefrançaisen vue de

4 4 négocierun traitéde commerceet d'amitié,s'engage parécrit àprotégerles Français venantpour

commerceret à lestraiter aussi bien queles~ritanni~ues~~.

24. Monsieur le président,les Etatstout comme lesautres personnes internationalespeuvent

revêtirbeaucoup deformes différentes :lesconstitutionsofficiellesen forme écrite etles frontières

délimitées par voie d'accord ne sont pas indispensables. L'avis rendu par laCour en l'affaire du

Sahara occidental l'a prouvé. En l'espècel,e dossier montre clairement que la personnalité

politique et juridique des rois et chefs du Vieux-Calabar étaitparfaitement reconnueà l'époque.

Leur territoire n'était pasterra nullius. En outre, ils concluaient leurs traités comme des

partenairesà part entière,dansdes conditionsd'égalitjuridique avecl'autreEtat contractant.

25. C'est sur cesbases qu'ils ont concluavec la Grande-Bretagneles trèsimportantstraités

de protectionde 1884 - les deuxtraitéspréliminaireses23 et 24juillet 1884tout d'abord,puis le

traitéprincipalsignéle 10septembrepar lesrois et chefsduVieux-Calabar.

26. Le Cameroun a choisi de n'accorderque trèspeu d'attention à ces traités. Peut-être

estime-t-il que ces textes n'ont pas d'importance.Ils en ont pourtant, Monsieurle président.Ils

revêtenten fait la plus haute importancepour les conséquencesjuridiques du traité de1913,que

nous allons bientôt aborder. Car ces traitésde 1884 ont établi lesfondements du régimede

protectorat britannique sur le Nigériaet fixé par conséquentles limites des pouvoirs que la

Grande-Bretagnepourrait exercer en ce qui concerne le Nigéria. Ce sontprécisémenc tes limites

qui ont interditàla Grande-Bretagnetout transfert licitedu temtoire nigériande la presqu'îlede

Bakassi en faveurde l'Allemagne-ni même en faveurde qui quece soit.

27. Permettez-moi donc, Monsieur le président, dem'attarder quelques instants sur ces

traitésde 1884. En pratique, il suffitde s'intéresserau dernierd'entre eux,conclu leseptembre.

Il s'agitdutraité deprotection,qui est letraitéde fond. Onne peut pas le laisserde côté,et cepour

28ConsolidatedTreatySeries,vol. 93,p.476. deux raisons. D'une part parce qu'il ébranle toutela thèsedu Cameroun pour qui les rois et les

chefs n'avaient pas la capacitéde concluredes traité- celui-ci étaitpourtant en tous points un

vrai traité,tout autant que les autresitd éesprotection cités parle Cameroun. D'autre part, ce

traitédéfinitles conditionsde la protectiond'une manièretotalement incompatible avecla position

adoptéeparle Cameroun.

28. Avant d'en examiner plus attentivement les termes, je voudrais inciter la Cour à

s'interroger età se poser une question, une question simple mais cruciale: qui a conféré à la

4 5 Grande-Bretagne le pouvoir de céderBakassi ? Et il ne s'agit pas simplement de savoir «qui»,

mais égalementde savoirquand et comment. C'est là une question quej'aurai souvent l'occasion

de poserà nouveau.

29. En gardant cette question constammentprésente àl'esprit,j'examinerai maintenant plus

en détailletraitéde protection. Je considèred'abord qui étaitpar cetraité.

30. D'un côté,la reine Victoria. De l'autre, les rois et chefs du Vieux-Calabar. Leur

situation esttrèsintéressantedu pointde vuejuridique -plus que tout, elle révèle une conception

savante de la capacitéà conclure des traités. C'étaientles rois et chefs du Vieux-Calabarqui

étaientpartieau traité.Mais dans lesrégionsvoisines setrouvaientun certain nombrede roiset de

chefs soumis à l'autoritéetà la juridiction du Vieux-Calabar qui ne pouvaient donc pas être

directement partie au traité du 10septembre1884. Or, le traité devait leur être également

applicable. Chacun d'euxrédigeadoncune déclaration,en des termes quasiment identiques,dans

laquelle ilsdisaient êt((soumisà l'autoritéeà lajuridiction des rois et chefs du Vieux-Calabar)),

et ne pouvaient«dèslors conc.luredestraitésavec une puissanceétrangèreen [leur]nom propre»,

mais ils ajoutaient ce:«Tous les traités quiont étconclus ou serontconclus ultérieurement par

les rois et chefs du Vieux-Calabaront etauront force obligatoireotre égard.))Des déclarations

de ce typeontété faitespar les rois etchefsde Tom Shot,fut et Idommbi.

31.Ayant donc établique le traité liaitplusieurs rois et chefs locaux qui relevaient ainsi de

l'autoritégénéraledes rois et chefs duVieuxCalabar, examinons à présent,si vous le voulez bien,

la portée territorialedu traité. Lorsqu'ilfit part du traitéet des déclarationsau secrétaired'Etat britanniqueaux affaires étrangères, ewett, le consul britannique,évoquaces déclarations dans les

termes suivants : «les chefs des régionsde Tom Shot, d'Efit, la région aux alentours du

Rio del Rey, et d'Idombi, prèsde la rivièreRumby, ont déclaré être soumisau ~ieux-~alaban>~~

[iraductiondu Greffe].

32. Comme le montre la carte figurant dans votre dossier (onglet 9), qui est projetée

maintenant surl'écran, larivièreRumby se trouvetrès à l'est de Bakassi; et le domainedes Efut

comprenait le territoire «aux alentours du Rio del Rey» (ce cours d'eau se trouvant lui-mêmedu

côtéest de la presqu'île de Bakassi). Les territoires des rois et chefs de Tom Shot, d7Efutet

dYIdommbisont égalementindiquéssur la carte. Indépendamment dufait que Bakassi faisait

4 6 partie,commeje l'ai déjàdémontréd ,u domainedes rois et chefsdu Vieux Calabar,il ne faitaucun

douteque Bakassirentrait dans lechamp d'application territorial dtraité de1884.

33. Permettez-moi à présentd'en venir àun autre aspectde ce traité deprotection,à savoir

ses dispositions essentielles. Elles sont courtes, et il me suffit simplement d'en citer les

deuxpremiers articles (le texte setrouve dans votre dossier (onglet0)et aussi, par commodité, à

l'écran)3:

Sa Majestéla Reine de Grande-Bretagneet d'Irlande, etc.,donnant suite à la
demande des rois, des chefs et du peuple du Vieux-Calabar,s'engage par le présent
traitéàaccorder àceux-ci, ainsi qu'auxterritoires relevant de leur autorité etde leur
juridiction, ses bonnes grâceset sa bienveillante protection.

ArticleII

Les rois et chefs du Vieux-Calabar acceptent et promettent de s'abstenir de
correspondre ou de conclure tout accord ou traitéavec toute nation ou puissance
étrangère,sauf àen informerleGouvernementbritanniqueet àen obtenir l'agrément.))
[Traduction du GrefSe.]

34. Avant d'examiner de plus prèsle libellé deces articles, il importe de souligner deux

choses. En premier lieu, il s'agit d'un traité il est expressémentqualifiécomme tel dans son

énoncé.Il prend la forme classique d'un contrat, c'est-à-dire un échangemutuel d'obligations

entre la Grande-Bretagne et le Nigéria. Les parties contractantes étaient des personnes

29CMN,p.90,par.6.33;lesitaliques sontdemoi.

30Letexte entierfigàl'annexeCMN23, àlireenparallèle al'annexe16. internationales,égales devantla loi; elles étaiànl'évidenceconvenues de certaines dispositions

dans le cadre du droit international. Au regard de la législation interne britanniquel,e traitéde

protection a toujours étéconsidéré commeun «traité»31.En somme, il s'agissait d'un traité

internationalau plein sensde l'expression.

35. La seconde chose à souligner est que, s'agissant d'un traité,il faut l'examiner et

l'analyser par rapportà ses propres termes, ce que le Cameroun montre manifestement peu

d'empressement àfaire.

36. La position du Cameroun se résume en quatre points. Premièrement, le droit

international ne connaît que les protectorats internationaux et les protectorats coloniaux;

deuxièmement,les prétendus protectorats internationaux sonc teux qui concernentpar exemple le

Bhoutan, le Sikkim et l'Indochine française;troisièmement, à l'opposé, leNigérian'étaitqu'un

protectorat colonial; enfin, quatrièmement, dansle cadre d'un protectorat colonial,'Etatprotégé

devientquasimentune colonie de 1'Etatprotecteur, lequel exercedèslorsdes droits souverainssur

1'Etatprotégén,otammentle droit d'aliénersonterritoire.

37. Cette analyse a beau être intéressante mais s,i elle n'est pas fausse, elle n'a aucune

pertinence.

4 7 a) Ce n'est pas le droit internationalqui connaîtces deux catégoriesde protectorat,mais certains

auteurs parmi ceux qui commentent la doctrine du droit international; ce que le droit

international connaît, ce sont des liens de protection particuliers établis par des traités

particuliers.

b) Le statut du Bhoutan, du Sikkim, de l'Indochine française et des autres Etats protégésou

anciennement protégés ne manquepas d'intérêm t, ais notre affaire concerne le protectoratdu

Nigéria,établipar letraitéde 1884.

c) Mêmeselon les critères du Cameroun, le protectorat du Nigéria était un protectorat

international puisqu'il étaitétablipar un traitéconclu entre deux personnes internationales

existantesaux termesduquel lapremière,sansperdre son identité,seplaçait sous la protection

de la seconde. La Grande-Bretagne a appliquéau protectorat du Nigéria la législation

"CMN,p. 111;par.6.66;p. 165-166,par.8.46-8.48. britannique qui était, d'après ses propres termes, adaptée à l'exercice de la juridiction

britanniquedans les Etats étrangers32.Les ministresbritanniques savaientparfaitement qu'ils

prenaient en charge non pasune nouvelle colonie maisseulementun protectora?3;et le consul

Hewett était lui-même parfaitement afu ait de ladistinctionentre les deuxnotions: en effet, il

réponditau roi Ja Ja d'Opobo,qui lui avait demandé ceque le mot «protection»voulait dire,

que la Reinebritannique «sYengage[ait]à [lui]accorder...sa bienveillante protection,de sorte

[qu'il continuerait]degouverner [son] pays)?4.

4 Enfin, comme la Grande-Bretagnes'engageait expressémentet sciemment à n'acquérirque

certains droitsde protection limitéssur le protectoratduNigéria,et en aucuncasà l'annexerni

à acquérirune souverainetécoloniale sur ce temtoire, elle ne se dotait, par le truchement du

traité,d'aucundroit souveraind'aliénerleterritoire.

38. Aucunedes notions généraled se «protectorat»dontles auteurs parlentne suffià définir

leséléments detelle ou telle relationdeprotection. Nous avonsdevant nousun traitédeprotection

bien précis, etletype de relationde protection qu'ilétablitentre le Nigériaet la Grande-Bretagne

est défini exclusivementpar les dispositions expressesde cetraité-là :pas par celles d'un autre

traitéquelconque,mais uniquementet exclusivementpar cellesdu traitéde 1884.

4 8 39. C'estla Cour permanentedeJustice internationale,dans l'avis consultatif qu'elle arendu

en 1923en l'affairerelative aux Décretsde nationalitépromulguésen Tunisieet au Maroc, qui a

dit que:

«[lItétenduedes pouvoirsd'unEtatprotecteursur leterritoirede 1'Etatprotégé dépend,

d'unepart, des traitésde protectoratentre l'Etatprotecteuret 1'Etatprotégé.. Malgré
les traits communs que présentent les protectoratde droit international,ils possèdent
des caractèresjuridiques individuels résultantdes conditions particulières deleur
genèse.»35

32CMN,p. 117-123,par.6.72-6.84;DN,p. 19-20,par.1.38-1.39.
33CMN,p. 106,par.6.55(notedulord-chancelrelbome).

34CMN,p. 107-108,par.6.55.
35C.P.J séI.eB no4, p.27. Lacitationcomplètesetrouves MN,p. 108,par.6.62. 40. Il faut alors examiner attentivement le libellédu traité de protection de 1884. Et

permettez-moi,Madameet Messieursde la Cour,de vous rappelerla questioncruciale quej'ai déjà

posée :qui adonné àla Grande-Bretagnele pouvoirde céderBakassi ? Età quel moment ? Et de

quellefaçon ?

41. Il estdit en premier lieu dans le traitéque la Grande-Bretagneaccordera sa «protection»

au Vieux-Calabaret aux autres territoires viséspar le traité. Puis,il est dit en second lieu que le

Vieux-Calabar,de son côté,s'abstiendra d'avoir desrelations avec desEtats étrangers saufà en

informerla Grande-Bretagneet àobtenirson agrément.Et c'estlà tout ce qui est dit, dumoinsaux

fins qui nous occupent. Il n'est dit nulle part dans le traité que la Grande-Bretagne acquierlte

pouvoir d'aliénerle territoire du Vieux-Calabar;ni qu'elle exerce des droits souverains en ce qui

concerne le Vieux-Calabar; ni mêmeque c'est la Grande-Bretagne quiconduit les relations

internationales du Vieux-Calabar-en effet, le traité laissait expressément le Vieux-Calabar

continuer de conduire ses relations internationales,en précisanttoutefois que ses rois et chefs ne

pourront correspondre ni conclure d'accord ou de traitéavec les nations étrangères sauf à en

informerle Gouvernementbritanniqueet à obtenirson agrément.

42. Ainsi,le traité de 1884laissait intactsdans leur grandemajoritéles droitsetpouvoirs des

rois et chefs du Vieux-Calabar. Ils conservaient leur personnalinternationale, sousréservedes

légèresrestrictionscontractuellesde leursdroitsqueprescrivaientles dispositionsdutraité.

43.Il est instructàcet égardde faire la comparaison avec la décisique la Coura rendue

en l'affaire relative aux Droits des ressortissants des Etats-Unis d'Amériqueau~aroc~~. En

l'espèce,la Cour dut examiner ce que prévoyaitle protectoratfrançais sur le Maroc. Le traitéde

protectorat deFez conclu en 1912- que la Coura qualifié d'«accordde caractèrecontractuel»-

a été décriptar la Cour comme un accord «par lequel la France s'engageait à exercer certains

4 9 pouvoirs souverains aunom et pour lecompte du Maroc, et à se charger, en principe,de toutes les

relationsinternationalesdu ~aroc))~~.

36C.I.J.Recu1952,p. 176.
37Ibid.,p. 188. Une citationplus complètte la Courfiguredans CMN,p. 98-99,par.6.42. 44. Pourtant, même si la France avait ainsiacquis de larges droits et pouvoirs au Maroc, la

Cour a néanmoinsestimé qu'«[e]n vertu de cetraité, leMaroc demeuraitun Etat souverain)),et a

constatéque la France elle-même«ne contest[ait] pas que le Maroc, mêmesous le protectorat,

[avait] conservésa personnalité dYEtaten droit internati~nal))~~P. our le Nigéria,il ne fait aucun

douteque le statutdu Vieux-Calabaraux termes dutraité,bien moins contraignant, concluavec la

Grande-Bretagne en 1884, était encore plus nettement celui d'un Etat qui a conservé sa

souveraineté.

45. On peut également examinerla situation sous l'angle opposé et sedemander non pas

«quels sont les droits que le Vieux-Calabara cédés à la Grande-Bretagne?»,mais «quels sontles

droitsque la Grande-Bretagnea acquis grâce autraité?» Là encore, la réponseest pour l'essentiel

lamême.Les droitscédésétaienc t,ommenous l'avonsvu, àlafois bien définiset limités.Pource

qui est de la protection, les droits obtenus -c'est-à-dire le droit pour la Grande-Bretagne

d'accorder au Vieux-Calabar «ses bonnes grâces et sa bienveillante protection»- étaienttout

aussiprécis etlimités. Il s'agissaiten fait autantd'uneobligationque d'un droit.

46. C'est le mot «protection» qu'il faut mettre au premier plan. La Grande-Bretagne

s'engageait àprotégerle Vieux-Calabar,et non à l'envahir, l'absorber,le piller ou le démembrer.

La «protection», Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, impose de veiller aux

intérêtdse la personne protégée : «le conceptde protectorat suppose des éléments de bonne foi et

de confiance ainsi que l'obligation d'agirdans l'intérêd te1'Etatprotégé»39S . i ces intérêtsont

évacués,alors la personne protégéene bénéficied'aucune «bonne grâce)),ni d'aucune

«protection». Pouraccorder le pouvoir d'aliéner un territoire, il faut un énonsans équivoque,et

tout libelléqu'il serait possible d'interpréteren ce sens doit faire l'objet d'une interprétation

restrictive. Le terme «protection»ne remplitpas ces conditions : au contraire, il interditde céder

sansautorisationleterritoirequi devaitêtreprotégé.

47. Cetraité de protectionde1884fut la sourcede ce que la Grande-Bretagneaura fait en ce

qui concerne une bonne partie du Nigéria pendantplus de trois quarts de siècle - en fait,jusqu'à

l'accessiondu Nigéria à l'indépendanceen 1960. En vertu des pouvoirs que lui conféraitle droit

38Zbid.,p185.
39Cm, p. 162,par.8.39.5 0 interne applicable aux territoires sous protection britannique,la Grande-Bretagne, au cours de

toutes ces années, adoptaen conseil une série d'ordonnancesrelatives à l'organisation et à

l'exercicede lajuridiction britanniquedans le protectorat duNigéria. En vertu de l'uned'elles, le

territoiredeBakassi s'esttrouvé situéà l'intérieur ce qui constituaitàl'époque leprotectoratdu

Nigéria méridional.

48. Cette situation est restée inchangéegrosso modo jusqu'à la conclusion du traité

anglo-allemandde mars 1913; et, auxyeux du Nigéria,ce traiténe modifia nullement la situation,

quid'ailleursne subit aucunchangementde fondavantl'accessiondu Nigéria à l'indépendance.

49. Avant de conclure cette partie de ma plaidoirie consacréeau protectorat,je rappellerai

que ce n'est pas seulement sur le territoire qui est aujourd'hui le Nigéria qu'un protectoratut

établi:c'est égalementce qui s'est passédans le territoire limitrophe, le Cameroun d'aujourd'hui.

Là lYEtatprotecteur étaitl'Allemagne,qui établitson protectoraten 1884,l'annéemême où était

établile protectorat britannique.

50. Les arrangements conclus par l'Allemagne sont importants à deux titres. En premier

lieu, lesdeux chefs locaux- les rois Akwa et Bell- se sont intégralementplacés sous l'autorité

allemande. Ils cèdentleurdroit de souveraineté,ledroit de légiférersuleurterritoire et ledroit de

l'administrer. Le contrasteest:frappantavec lesarrangements,très différentet bien plusrestreints,

conclus entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux Calabar : le Cameroun devint

presque ainsi une colonie allemande, alors que les arrangements entre la Grande-Bretagneet le

Vieux-Calabarétablissaientun véritable protectorat40.

51. En second lieu, lesterritoiresdes roisAkwaet Bellétaient fort exigus. Ilsétaient décrits

avec précisiondans l'accord : le ((pays dit Cameroun, situésur la rivière Cameroun entre la

rivièreBirnbiaau nord, larivièreQua-Qua ausudetjusqu'à 4" 10'de latitudenord»41.L'accordne

couvraitpas la totalitédu territoire du Cameroun, mais uniquementen fait la régionhabitéepar le

peuplede Douala, la seulerégionsoumise à l'autoritédes deuxrois. Vous pouvez voir projetée à

40CMN,p. 81-83,par.6.4-6.8.
4'CMN,annexe19. présent surl'écranderrièremoiune cartede cette régionqui est dans votre dossier (onglet 1l), sur

laquelle sontnotamment indiqués la rivièreBimbia et le parallèle 10'de latitudenord. On voit

quetoute cetterégionse trouvetrèsloin au suddesterritoiresdesrois et chefsdu Vieux Calabar,et

en particulierdu Rio delRey,dont l'estuairese trouve approximativementà4' 30' delatitude nord.

51 52. L'activitébritanniquedans cette régionétaitla plus intensà l'estuaire dela rivièredu

Vieux-Calabaret dans les diverses implantationsdu Vieux-Calabar,y compris àBakassi, comme

nous l'avons vu. L'activitéallemande était laplus intense plusà l'est,à l'estuaire de la rivière

Inévitablement, ilnaquit des différends
Cameroun et dans les implantations limitrophes.

concernant les limites des territoires sur lesquels la Grande-Bretagne et l'Allemagne exerçaient

désormaisune certaine autorité.

53. Dès l'année qui suivit la conclusion des accords de 1884, la Grande-Bretagne et

l'Allemagne ont envisagé d'adopter le Ridel Rey commelignede séparation42C . 'est la ligne que

proposa la Grande-Bretagneen 1885. L'Allemagne, pour réagirc ,herchaà étendre sespossessions

camerounaises aussi loin à l'ouest que la rivière Calabar (qui fait partie du réseaufluvial

comprenant égalementla Cross River et 1'AkpaYafé),ce que la Grande-Bretagne n'a pas pu

accepter.

54. Avec cet échange,on dispose du cadre général d'une bonne partie des négociationsqui

vont suivre. La Grande-Bretagne était prête à renoncer à ses intérêtsà l'est du Rio del Rey.

L'Allemagne,bien que prête à avancerjusqu'au Rio del Rey, voulait progresser encoreplus loin,

jusqu'à l'estuairede la CrossRiver. Entre les deux,bien sûr, setrouvait Bakassi.

55.En 1885,il y eutunéchangede notesentre la Grande-Bretagneet l'Allemagne parlequel

ces deux pays ont arrêtéune ligne visant séparerles activitésbritanniqueset allemandesdans la

région43.Et la ligne convenue commençait le long du Rio del Rey avant de se diriger vers

l'intérieuren passantpar unpointsur la CrossRiver.

56. L'échangede notes ne concernait absolument pas la souverainetéterritoriale.La ligne

qui étaitainsi arrêtéeséparaitce qui était appelédans le texte des «zones d'influence)). Par ce

moyen, chaque Etat s'assurait simplement une liberté d'actiondans les limites géographiques

42CMN,p. 129-130,par.7.2-7.3.
43CMN,p. 130-134,par.7.5-7.12. -41 -

déterminée s cet effet, tandis qu'il lui étaitinterdità'l'intérieurdes limites déterminéespour

l'autre Etat. La ligne représentait essentiellement lalimite de la toléranceréciproque, oudu

non-empiétement,l'intention étantprincipalement de promouvoirles intérêts commerciaux des

deux pays. En vertu de cet accord, l'Allemagne s'engageaità ne pas faire d'acquisitionàl'ouest

du Rio delRey.

57. Dans cet échangede notes, la ligne de séparation parcourait une certaine distance à

l'intérieur des terres. L'annee suivante -en 1896-' les deux Etats ont procédé à un nouvel

échangede notes prolongeant davantage encore la ligne vers 1'intérieuq4. Ce faisant, ils ont

réaffirmé que la ligne remontaitle Rio del Rey mais ils ont précisà nouveau qu'il nes'agissait

que de délimiterdeszones d'activitéou d'influence.

58. Puis, un problème surgit. On constate qu'il n'y a pas de Rio del Rey, ou plutôt

qu'aucune rivièrede ce nom n'a de source distincte pouvant être rattachéeà la Cross River. Le

problèmeest réglé grâceau traité deBerlin de 1890,car les parties adoptent à l'articleIV «une

ligne de démarcationprovisoire .. entre la zone allemande au Camerounet la zone britannique

voisine)). La ligne commençait à l'«origine» duRio del Rey. Cettedisposition devait êtrelue en

parallèleavec l'articleVII, en vertu duquel lesparties s'engageaiànne pas ((empiétersur la zone

d'influence attribuéeà l'autre par [l'article]IV du présenttraité[celui que je viens de citer]»45.

Ainsi, leRio del Rey fut confirméune nouvellefois commeétantla ligne de séparation,là encore

entre deux zones d'influence, sans qu'il soit question de souveraineté territoriale;et, une fois

encore, l'Allemagnes'est engagée à ne pasfaired'acquisitionsdans lazone britannique.

59.Par un nouvel accord conclu en 1893, les deuxEtats ont précisé ce qu'ilavaient voulu

dire dans le traitéde 1890 en parlant de ((l'originedu Rio del~e~»~~.Une fois encore, ils ont

confirmélaligne du Rio del Rey,dans uncontexteexpressément commercial.

Cm, p. 134-135,par.7.13-7.19.

45Cm, p. 136-137,par.7.22-7.24.
46Cm, p. 138-140,par.7.26-7.30. 60. Dans un autre accord conclu plus tard la mêmeannée, lesdeux Etats ont implicitement

réaffirmé la ligne du Rio del Rey dont ils s'étaientprécédemmenc tonvenus, et ont expressément

répété quela délimitationséparait«lesterritoiressous l'influencede leurs gouvernementsrespectifs

dans larégions'étendantdu golfe deGuinéevers ~'intérieur))~'.
I
61.Il n'y aura plusd'autresaccords entre la Grande-Bretagneet l'Allemagnequi intéressent

la presqu'île de Bakassi avant la signature du traitéde mars 1913. Dans l'intervalle, plusieurs

rapportsont, il est vrai, éremisaux deux gouvernements, diverses propositionsont été faites et il

a mêmeétésignéen 1909 un accord prévoyantde déplacer lafrontièredu Rio del Rey vers un

autre lieusituéle longde la rivièreAkwayafé à l'ouest de~akassi~'.Toutefois, il ne s'agissait que

de «rapports»et de «propositions»,et même l'accord signé étu anitiquementuntexte recommandé

à l'approbation des deux gouvernements. D'ailleurs, pour des raisons tenant vraiment à son

contenu,cet accordn'apas été approuvéet n'estdoncjamais entréen vigueur.

62. J'insiste sur ce point, car le Cameroun a essayé dedonner une valeurjuridique à ces

événements, affirmanq tu'ils montraient que Bakassi avait été«reconnue» tacitement comme

relevant de la juridiction allemandeet que «les autoritéslocales britanniques et allemandes au

Nigéria etau Camerounétaientconvenues que la frontièredevait atteindre la côteà l'embouchure

de la [rivière]Akwayafé))et qu'«on [pouvait] donc dire sans hésitationque depuis 1901, les

gouvernements intéressés considéraientl'un et l'autre que le fleuve Akwayafé représentait la

frontière)T9. Loin de pouvoir être acceptées «sans hésitation)),ces affirmations réclamentun

maximumd'hésitation.Dans lesfaits, les deux gouvernementsn'ontpas abouti àun accord surces

questions. Et en droit,on ne peut considérerque de simples propositions,de simples rapports, ou

bien des accords qui ne sont pas entrésen vigueur reviennent àreconnaître tacitement ce qui est

proposéou à y adhérer.Quelles qu'aient été les dispositionsarrêtéeds'un communaccord par les

autoritéslocalesauNigériaet au Cameroun,quandelles ontététransmisesaux deux capitales,elles

n 'ontpas étéapprouvées,par aucundes deuxgouvernements.

I

47CMN,p. 140-141,par.7.31-7.33,lesitaliquessontdenous.
48CMN,p. 145-151,par.8.1-8.13.

49MC,par.2.88,4.282 et 4.300;voirCMN,p. 152-153,par.8.15-8.16. 63.Finalement, ces premières tentatives de négociatin'une séparationentre le Cameroun

et le Nigérian'ont entraînéaucun changementjusqu'en 1913 et la frontière entre les zones

d'influencebritanniqueet allemandea étémaintenuele long du Rio delRey, c'est-à-dirà l'est de

la presqu'île de Bakassi. De fait, le Rio del Rey étaitreconnu comme la limite occidentaledu

protectorat allemand du Cameroun et l'Allemagne s'était engagée à respecter la frontière ainsi

matérialiséepar ce cours d'eaueà ne pas faire d'acquisitiànl'ouestde celui-ci. Ce cours d'eau

vous està nouveau présenté, cettefois sur une carte moderne, projetàel'instanà l'écran; c'est

celle quifigure dansvotredossier,sous l'onglet12.

Le traitéanglo-allemanddu 11mars 1913

64. Voilà où l'on enétait lorsqueles deux Etats ont procédéà ce qui s'avéreraêtre leur

dernièretentative pour fixer la frontièreentre le Camerounet le Nigéria,la conclusiondu traitédu

Il mars 1913.

5 4 65. A premièrevue, il s'agit d'un traité assezsimple. En effet, en vingt-deux articles, il

délimite unefrontière entreles deux pays. Auxfins quinous occupent,nous laisseronsde côtéles

articlesà XVII, car ils délimitentla frontière parune sériede segmentsen direction dusud et du

sud-ouest, partant de Yola et se dirigeant profondémentvers l'intérieurdes terres, et ils ne se

rapportentpasà la frontièredansla régionquenous étudions.

66. Il en va autrement des articlesXWIà XW. Ces derniers ont traàtla ligne frontière

au-delàdu point auquelon est parvenuà lafinde l'articleXVII. Le texte decet article figuredans

votre dossier(c'est l'onglet)'de mêmequecelui de l'articleXVIII. L'articleXVII fait passerla

frontièrepar

«un poteau situé sur la berge de la rivière Akpakorum à deux tiers de mille
(1 kilomètre) environ en aval du point où la route Ekonako-Ekong traverse
1'Akpakorumet de là, par la ligne la plus courte, jusqu'au thalweg de la rivière
Akpakorum,dont lecours inférieurest appeléAkwayafé(Akwayafe)~.

67. Vous pouvez voir ces lieux sur la carte projeàél'instanàl'écran,qui est également

dansvotredossier, c'est l'onglet 14. 68. Jusqu'ici, tout va bien. Par contre, les articles suivants posent problème. effet,

l'articleXVIIIdisposequ'à partirde ce point, la frontière«suit lethalwegde la rivièreorum

(Akwayafé), ...[et] suit le thalwegde 1'Akwayafjusqu'à unelignedroitejoignant BakassiPoint

etKing Poinb).
1

69. Vous pouvez voir à l'écran la ligne de la rivière Akwayafé,qui descend jusqu'à

Bakassi Pointet KingPoint.

70. Monsieur le président, il saute aux yeux que la frontière ainsi décrite par les

articlesXVIIIà XXII du traitéde 1913 a l'effet qui est voulu et consistà retracer la frontière

orientaledu protectorat du Nigériaméridional,de tellemanière quelafrontièreentrele protectorat

et le Cameroun passe non par le Rio del Rey l'est deBakassi, mais par lYAkwayaféà l'ouestde

Bakassi :parconséquent,letracéapour résultat d'attribuer la presqu'ee Bakassiàl'Allemagne.

71.Et c'est précisémenàtcetégard,Monsieurle président,Madameet Messieursde laCour,

que le problèmese pose. Et ce problèmeme pousse à nouveau à formuler la question crucia:De

quel pouvoir la Grande-Bretagne était-elle investie pour céder la presqu'île de Bakassi à

l'Allemagne ?

72. La Grande-Bretagne elle-même avait-elleouverainetésur Bakassi ? Rien ne permetde

le penser. Cette souveraineténe découle certainementpas du traitéde884. En effet, celui-cine

5 donne à la Grande-Bretagnequ'unprotectorat limité surle Vieux-Calabaret n'en fait aucunement

une colonie britannique. D'ailleurs, la Grande-Bretagnel'a reconnu, puisque les diverses

ordonnancesqu'elle a adoptéesen conseil (Orders in Council) et qui sont relatives au protectorat

du Nigéria relèvent des Foreign JurisdictionActs (lois concernant la juridiction britannique

l'étranger),c'est-à-dire l'instrument pertinentquand la Grande-Bretagne légifêre aunom de

territoires étrangers, et nerelèventpas des prérogatives dontelle aurait pu se prévaloir s'il s'était

agid'une colonie50.

VoirCMN,p. 117-122,par.6.72-6.80. 73. D'où alors la Grande-Bretagneaurait-elle pu tenir le pouvoir de céder leterritoire du

Vieux-Calabar ? Elle n'en pas étéinvestie expressémentni ponctuellement, c'est certain. La

sourcene résidepasnon plus dansles droitstrès limitésaccordés à laGrande-Bretagne parletraité

de protectionde 1884- «protection», Monsieurle président,et non ((démembrement)).

74. En vérité,la Grande-Bretagnen'avait ni lepouvoir ni l'autorisationde céderquelque

chose qu'elle ne possédait pas. Bakassi n'appartenait pasà la Grande-Bretagne qui n'avaitdonc

pas le droitni le pouvoir de donnerla presqu'île l'Allemagne. 11y a peu de principesjuridiques

qui soientaussi largement admisau rang desrèglesfondamentales quecelui qui s'énoncenemodat

quodnonhabet. Le Cameroun, Monsieurle président,Madameet Messieurs de la Cour, voudrait

que vous ignoriez ce principe; il vous invite à accepter qu'un Etat puisse céderun territoire

appartenant àun autreEtat sans l'autorisationexpressede cedernier.

75. Rien, Monsieur le président,ne peut justifier une telle position, qui a d'ailleurs été

clairement rejetéedans la sentence arbitrale rendue par Max Huber dans le litige relatif à la

souverainetésur I'Ilede~a1ma.s~'D . ans cetteaffaire, lesEtats-Unisont revendiquéle titre surune

île, car celle-ci avait été,affirmaient-ils, cédéaux Etats-Unis par l'Espagne. Max Huber a

déclaré

«Le titre invoqué par les Etats-Unis d'Amérique comme constituantle
fondement immédiat deleurréclamationest celui de la cession,néedu traitéde Paris,
laquelle cession transféraittous les droits de souverainetéque l'Espagne avait pu

posséder dansla région indiquée à l'article III dudit traité eten conséquence aussi
ceux concernant1'Ilede Palmas(ou Miangas). Il estévidentque l'Espagnene pouvait
transférerplus de droits qu'ellen'en possédait elle-même.. Il est évidentque, quelle
que puisse êtrelajuste interprétationd'utraité,celui-cine peutêtreinterprétécomme
disposantdesdroits d'matstiers indépendants.»52

76. Bakassi,Monsieur Peprésident,appartenaitau Vieux-Calabar- c'est-à-dire au Nigéria.

Le Vieux-Calabar aurait certainementpu l'aliéner,mais il ne l'a pas fait. Au lieu de cela, la

Grande-Bretagnea pris une initiative, elle a voulu céderun territoire sur lequel elle n'avait pas

NationsUnies,Recueildessentencesarbitrales, 1928,vol.II,p. 829. Traductionde M.Ch.RousseauinRevue
de droit internationalpublic,èmesérie,t. IX, Eds . Pédone.
S2Ibid.,p. 842 et 843. Une citationplus complètede cette sentencefigure dans le contre-mémoire du Nigéria,
p.159,par.8.30.souverainetéet que par ailleurs elle n'étaitautorisée à céder en vertu d'aucun autre pouvoir.Par

cet acte, elle a outrepassétous les pouvoirsdont elle étaitinvestie;en voulant ainsi aliéner Bakassi,

la Grande-Bretagne a agi ultra vires. Dans ces conditions, le transfert de temtoire qu'elle

prétendait réaliserétaitdénuéde tout effet juridique. De l'avis du Nigéria, aucune autre

conclusion,Monsieur leprésident,n'estdéfendable.

77.Nous avons examinéjusqu'à présenl tecomportementde la Grande-Bretagnedu pointde

vue du pouvoir qu'elle avait d'agir, ou plutôt de son manquede pouvoir. Mais il y a d'autres

aspectsde la questionqu'ilne fautpaslaisserpasser.

78.Ainsi, le traitéde protection de 1884non seulementn'a pas donné à la Grande-Bretagne

le pouvoir d'aliénerle territoire du Vieux-Calabaren faveur d'un autre Etat, mais il lui a imposé

certaines obligations. La premièred'entre elles étaitl'obligation deprotégerle Vieux-Calabar.

Dès lors,prétendrecéderle territoireduVieux-Calabarcommela Grande-Bretagnel'afait revenait

de sa part àenfreindre de façon flagrantecette obligationde ((protection)).La Grande-Bretagnene

saurait acquérir enversant dans l'illicéitédes droits supplémentairesqu'elle ne possédaitpas par

ailleurs, commele droitd'aliénerunterritoire.

79. De surcroît, comme il est expliqué dansle contre-mémoiredu ~i~éria~~ l, pratiquetant

de la Grande-Bretagneque de l'Allemagne à cette époque imposait deux conditions au transfert.

Tout d'abord,dans unprotectorat,touttransfertde souverainetéterritorialene relevaitpas de 1'Etat

protecteur mais bien du souverain local,qui conservait la souverainetéterritoriale,et toutecession

de son territoire devaitdonner lieu au paiement de l'indemnitéqu'il décidaitd'accepter. Ensuite,

quand il était procédé à un transfert de temtoire, il fallait prendre des dispositions garantissant

l'avenirde lapopulation.

80. En outre, le dossier de cette affaire contient des élémentsqui prouventtrèsclairement

que l'Allemagne a admis et compris que le traité de 1913 ne portait pas sur l'acquisitionni la

cession de territoire : selon les termes utilisés parle secrétaired'Etat impérialaux affaires
t
colonialesen avril 1913 - un moisexactementaprèsla signaturedu traité -, letraité de1913ne

concernepas«l'acquisition oul'attribution de partiesd'unprotectorat»54.

53CMN,p. 166-170,par.8.49-8. 51.
54CMN,p. 164-165,par.8. 45.57 81.Considérée dans son ensemble, l'opération viséeans le traitéanglo-allemand de 1913

par laquelle la Grande-Bretagne prétendait céder Bakassài l'Allemagne aurait, si on permettait

qu'elle produisedes effets ence sens,les caractéristiquessuivantes

a) elle serait contrairà la nature et aux dispositions du traité de protection de 1884 que la

Grande-Bretagnea signéavec lesrois et chefs duVieux-Calabar;

b) elle seraitcontraire auxdroitstemtoriaux desrois et chefs du Vieux-Calabar;

c) elle seraitcontraireaux intérêseshabitantsde Bakassi;

4 elle serait contraire aux intérêts financises détenteursdu titre sur le Vieux-Calabar qui

auraientdû êtreindemnisés;

e) elle seraitcontraire au tracéde la limite occidentaledu protectorat allemandtelle qu'ellea été

reconnue;

j elle serait contraire aux premiers engagementspris par l'Allemagne,consistanàrespecter la

frontièrereprésentépear le Rio del Rey etne faire aucune acquisitiànl'ouest decelui-ci;et

elle seraitcontrairàce que l'Allemagnea admis et compris,qui est que letraité neconcernait

pas l'acquisition ni la cession de territoire l'accord étantmotivé par la protectionet la

promotiond'intérêtcsommerciauxet nonpar destransfertsterritoriaux. .

82. 11n'est pas possible, Monsieurle président, Madameet Messieurs les Membres de la

Cour, de donnertout sonpoidset tous ses effetsjuridiquesntraitéentachéd'un si grandnombre

de vices.

83. Ce constat amène à se demander quelles sont les conséquencesde ces dispositions

dépourvuesd'effet.

84. La première conséquenceest évidente. Comme l'affaire de l'lle de Palmas l'a

clairementmontré, l'Allemagnene pouvait pas avoir acquis auprèsde la Grande-Bretagneuntitre

meilleur quecelui que la Grande-Bretagne possédait elle-mêmeD.èslors, l'Allemagne nepouvait

avoir acquis de titre valable sur Bakassi en vertu du traitéde3 que si,à cette mêmedate, la

Grande-Bretagne possédait elle-mêm uen titre valable. Or, celle-ci ne possédait absolutucun

titre de souverainetéterritoriale sur Bakassi. 85.La deuxièmeconséquenceest égalementévidente. LaGrande-Bretagne,quiavait conclu

letraitéde1884avec lesrois et chefsduVieux-Calabar, restaitliée parce traité.En tant que traité,

cetraité de184 était soumisau principepacta suntsewanda tout autant que n'importequel autre

traité. Untraité ultérieur sipar la Grande-Bretagne avecun pays tiers, comme letraité de1913

concluavec l'Allemagne, ne pouvaitpas porteratteinteàla validitéjuridique du traitéqu'elle avait

5 8 signéen 1884avec le Vieux-Calabar. D'ailleurs laGrande-Bretagnel'a reconnu :lesordonnances

adoptées enconseil relatives au protectorat du Nigériaqui sont antérieurest postérieures àla

conclusiondutraitéanglo-allemandde 1913témoignent del'intention de laGrande-Bretagnedene

pasporter atteinteaux droits garantis parletraité de1884auxrois et chefsainsi qu'aux populations

duVieux-Calabar,de rester liéepartous les engagementssouscritsdans cetraitéet de continuerde

considérercelui-ci comme ((exécutoiert envigueur»55.

86. De même,la troisième conséquence esc tlair: les dispositions incriminées dutraiténe

peuvent avoir l'effet juridique que leur contenu est censé leur donner. Bref, la frontière

prétendumentdécritepar ces dispositionsviciéesdoit êtremise àl'écart.

87.Néanmoins, celane signifiepas queletraité de1913doit êtreconsidéré commedénué de

tout effetjuridique dans sa totalité. Les artic1às XVII,Monsieur le président, ne comportent

aucunélément erroné :ils ne sont pas entachéspar le vice qui prive les artiXWIs à XXII de

leursprétendus effets. S'agissant des articlesprécédentsi,l est toutt concevablequ'ils restent

pleinementen vigueur et conserventtous leurs effets, et, de l'avis du Nigéria,tel est bien le cas.

Cesdispositionssont indépendanteset leur application ne dépend aucunemend tes articlesviciés,

savoirles articlesXVIIà XXII.

88. Il n'en va pas de mêmeavec les cinq derniers articles concernant la frontière- qui

peuventporter le nom de ((dispositionsrelativeà Balcassi)).Il s'agit des articlesqui auraient pour

butde donner effetàune cessionque la Grande-Bretagnen'avaitpas en droitle pouvoirde réaliser.

Cesarticlesdoivent êtresupprimésdutraité etlaissésde côté.

,

55Cm, p.165-166,par8.46-8.48. 89. La divisibilité des dispositions d'un traité est autorisée en droit international.

L'article4 de la convention deVienne sur le droitdes traitéspeut être considéommeénonçant

ledroit sur cettequestion,en 1913tout commedenosjours. Le paragraphe3 dudit article autorise

clairementet expressémentla divisibilitédes dispositions d'unité56.Il prévoittrois conditiàns

remplirpour que les dispositions d'untraitépuissentêtreséparées. Chacune dcees conditionsest

remplie -

a) l'application du traitéde mars 1913 amputé des((dispositionsrelatives à Bakassi))ne pose

aucune difficulté;

b) rien ne porte à croire que les articles incriminés présentaitn caractère particulier- ils

étaientau nombre de cinq alors que le traitéen comportaittrente au total, la frontière étant

délimitéepar vingt-deuxd'entre eux,dont aucunn'avait une importancesupérieure àcelle des

autres: les ((dispositionsrelativeà Balcassi»ne visaient pas à contrebalancer une autre

dispositionénoncée à unautre endroit.du traité;

c) il n'est pas injuste de continuàrappliqueràla frontièrelesarticlesà1XVII et XXIII à XXX,

car les deuxparties n'ontcessédansla pratiquede tirer l'uneet l'autretout autant avantagede

la sécuritéet de la stabilité découlant du respect instauré de longue date pour ces

dispositions-là lYinjust:ieonsisteraià ne pastenir comptedes inévitables conséquencedsu

principenemodat.

90. La divisibilitédes dispositionsviciéesd'un traitédoit toutefois êtreconsidédans sa

juste perspective.Il ne s'agit qued'une questionsubsidiaire, dueà certaines circonstances. La

questionessentielleest celledu caractèrefondamentalementillicite des dispositionsdu traité. Dès

lors qu'il s'avère que des dispositionssont illicites -et le Nigéria a montré que la

Grande-Bretagne n'étaitnullement habilitée à céderBakassi à l'Allemagne -, se pose aussi la

question des conséquencesconcrètesqu'il convientd'en tirer. Les dispositionsconstitutivesd'un

excèsde pouvoirne peuventrester inchangées;la divisibilitén'estqu'un des moyens permettantde

s6DN,p.35-37,par.1.70-1.72. pallierles effets d'une illicéitéavérL.eNigériane souhaite pasplus que le Camerounqu'il soit

mis finà l'ensemble du traitéde 1913:lesdeux Partiesacceptent,et ont en pratique respe-téau

demeurant à leur avantage réciproque -, ceux de ses articles relatifà la délimitation dela

frontièrequi ne sont pas viciés. Aussi la divisibilité constitue-t-elle,de l'avis du Nigéria,la
4
solutionqui s'imposepour remédier à lasituationen l'espèce.

91. Les ((dispositionsrelatives Balcassi))étantinapplicables, et de fait inappliquées,la

délimitation prescritepar le traitéanglo-allemand de mars 1913 prend fin avec l'articleVII,

lequelprévoitque lafrontièreva, suivantletracédécritj,usqu'au thalwegde larivièreAkpakorum.

La position de ce point terminal fixépar le traitéde 1913 sera examinéeultérieurement,en tant

qu'ilrelèvede la frontièreterrestre.l nous suffira ici d'indiquer qu'aunord de ce pointterminal,

la frontière demeurela délimitationconventionnelledéfinie dans le traitéde 1913; au sud de ce

point, en revanche, la frontière n'est pas fixéepar voie conventionnelle et restedéfinirpar

d'autresmoyens.

L'administrationdeBakassi de 1913 à1960

92. J'en viens maintenant, Monsieurle président, Madameet Messieurs de la Cour, à la

périodequi suit la conclusion de ce traité de1913. Ce faisant,je me permettrai de répéter on

6 0 éternellequestion :qui a donné à la Grande-Bretagne le pouvoir de céderBakassi ? Et pas

seulementpar qui, mais encore quandet commentce pouvoirlui a-t-il étéconféré? LeNigérial'a

montré,ce pouvoirne lui avaitétéconféré ni par une quelconquedispositiondutraitédeprotection

de 1884,ni à un quelconqueautretitre avant 1913.

93. Le traité demars 1913n'est concluque depuisun peuplus d'un an lorsquela première

guerremondiale éclate. Leterritoiredu Camerounallemandest occupépar lesforcesbritanniques,

françaiseset belges. L'occupation estcomplèteen mai 1916.

94. Il s'agit en tout premier lieu de déterminersi les autoritésallemandesau Cameroun ont

de quelque manièrecherché, entremars 1913et mai 1916, à mettre en Œuvrele traitéde 1913 à

Bakassi : ont-elles physiquement occupé la presqu'île,ou l'ont-elles administréesous quelque

formeque ce soit,au cours decettepériode ? 95.Le Camerounn'a produit aucunélémenq tui l'atteste. 11a certes indiqué queletexte du

traité a été publiélocalement par l'Allemagne, maisune telle mesure ne saurait constituer une

effectivité concernantspécifiquementBakassi. Aucontraire, tout porte à croire que l'Allemagne

n'a pas occupéni administréBakassi, ni laissé detraces d'activités importantespendant cette

première période57.

96. Si l'Allemagneavaittenté de s'introduirdansla région,et de remettreen cause,voirede

bouleverser les liens traditionnels entre les habitants de Bakassi et les rois et chefs du

Vieux-Calabar, elle se serait heurtéeà une vive opposition. Or, on ne trouve trace d'aucune

protestation de cette nature entre 1913 et 1916.l n'y a pas, semble-t-il,eu prise de pouvoirpar

l'Allemagne,l'autoritécontinuantd'êtreexercée parles chefs et rois du Vieux-Calabar,et par les

collectivitéslocaleset régionales nigérianersécemmentmises en placedans le cadre du protectorat

du Nigéria.

97. Le début dela guerre en août 1914interdit ensuite àl'Allemagne dechercher àdonner

suite auxdispositionsdu traitéde 1913 quin'auraientpas encore été mises en Œuvre. La situation

change, en tout état decause, après la conclusion du traitéde Versailles : non seulement, aux

termes de l'article 119, l'Allemagnerenonce-t-elleen faveur des puissances alliées,«à tous ses

droits et titres sur ses possessionsoutre-mer»,mais le traité de 1913est et demeure abrogéen

vertu de l'article28958. En conséquence,le Cameroun n'a pu, en 1960, devenir partie par

succession au traitéde 1913- et bien qu'une frontièrelégitimementétablie parvoie de traité

survive à celui-ci, les ((dispositionsrelatàvBakassi))du traitéde 1913 n'en établissent aucune
6 1
qui eût pu survivreàson abrogation.

98. Après avoir occupé militairement la partieoccidentale du Cameroun allemand, la

Grande-Bretagne prend en charge l'administration decette région,qu'elle continuera ensuite

d'administrer, d'abord en application du traitéde Versailles, puis de 1922 la fin de la seconde

guerre mondiale en vertu du régime de mandat, enfin au titre de l'accord de tutelle des

Nationsunies de 1946. Les modalitésde l'administration britannique mise en place par les

autorités dansle protectorat du Nigérialimitropheévoluenten parallèle. Le fait est que,tout au

'cm, par.9.3-9.4, p. 177-,180.
5cm, par.8.53,p. 170;par.9.8, p. 181. long de ces diversesévolutions,les liens administratifs,juridiques et autresentreBakassi et lereste

du Nigériasubsistent, et ce, jusqu'à l'indépendancedu Nigériaen 1960. Le pouvoir de fait

continued'êtreexercépar les détenteurs traditionnelsdupouvoir et de l'autorité dansla presqu'île,

à savoirlesrois et chefsdu Vieux-Calabar - aujourd'hui, bien sûr,lesObongsde Calabar.
I
99. Le Cameroun s'est employé à dresser contreces arrangements pratiques une barrière

d'obstacles théoriques. Son argumentationsemble êtrela suivante : puisqu7ellefaisait partie du

Cameroun allemand, la presqu'île de Bakassi doit être considérée comm faisant partie des

territoires sous mandat, puis sous tutelle britanniqueet non du protectorat du Nigéria;il s'ensuit

que lesactes d'administration accomplispar la Grande-Bretagne l'étaienn ton pasdans le cadrede

l'administrationdu Nigéria,mais dans le cadredu régimede mandat ou de tutelle britannique,de

sorte que, au moment où lapartieméridionale duterritoiresous tutelle britanniqueva opter, par la

suite,pour son rattachementau Cameroun,cettepartiecomprenaitBakassi.

100.Or, cette argumentationest fallacieuse. Pourcommencer,ses prémissessont erronées :

Bakassi nefaisaitpas partie duterritoireallemand,ni envertu du traitéde 1913ni à un quelconque

autretitre. Car il nousfaut icireveniràla question cruciale:qui a conféréàla Grande-Bretagnele

pouvoir de céderBakassi ? Et pas seulementqui, maiségalementquand et comment ? Il ne suffit

pas, en droit, de tenir pour acquis que la Grande-Bretagneavait le pouvoir de céderBakassi à

l'Allemagnepour la simple raison que cette cession étaitprévue dansle traitéde 1913. Non, la

réponse à cette question est clair: en 1913,personne n'avait conféré à la Grande-Bretagnele

pouvoirnécessaire.

101.Et cette réponsesape les fondementsde toute l'argumentationque développeensuitele

Cameroun. Car il est difficiled'imaginer commentle pouvoir nécessaireauraitpu êtreconféré à la

Grande-Bretagnes'ilne l'avait pasété par quelquepersonneou par quelqueprocessus identifiable,

6 2 à un moment égalementidentifiable, avant 1913 : si Bakassi étaittoujours partie intégrantedu

protectorat du Nigéria à la fin de l'année1913 - ce qui, en vertu du principe nemo dat quod

non habet, ne peut manquer d'avoirété le cas- elle a dû,en droit, le rester pendanttoute la durée

du protectorat. 102.Au coursdes annéessuivantes,on distinguequatrepériodes.

a) D'abord, pendant la premièreguerre mondiale, la Grande-Bretagne occupe militairementle

territoireallemand;

b) puis, de la fin de la guerre au début du régimede mandat, elle assume des pouvoirs

administratifstransitoires envertu dutraité deVersailles;

c) ensuite, de 1922 à 1947!,elle administre une partie du Cameroun dans le cadre du régimede

mandat;

4 enfin, de 1947 à 1961, elle continue d'administrer le Cameroun britannique,mais en qualité

d'autorité administrantdésignép ear l'accorddetutelle.

103. Ces quatre périodesont en commun deux caractéristiques. Pendant tout ce temps,

pendantles quatre périodes,letraité deprotectionde 1884est restéen vigueuret a continué delier

laGrande-Bretagne :de sortequ'à aucun moment,laGrande-Bretagnen'a eu en droit lepouvoirde

céderBakassi - pas plus après1914qu'après 19 19,1922ou encore 1947.

104. L'autre point qu'ont en commun ces quatre périodesest le caractère restreint de

l'autorité exercépear la Grande-Bretagnesur la partie limitrophede l'ancien Cameroun allemand.

Quece soit en tant qu'autoritéoccupante,autoritéadministrantetransitoire, puissance mandataire,

ou autorité administrantedans le cadre du régime detutelle, la Grande-Bretagne n'avait pas en

droit le pouvoir de modifier, ni par adjonction ni par cession, configuration territoriale))de la

régionqui lui avait étéconfiée. Le conseil du Cameroun l'a expressémentreconnu en ce qui

concerne le régimede mandatsg. Il n'y a aucune raison de douter que le même casde figure

s'applique aux autresmodalitésde l'administration britannique.

105. Il s'ensuit quependanttout ce temps, la Grande-Bretagne n'avait pas compétence en

qualitédYEtatprotecteur pour céderBakassi et n'avait pas non plus compétence en qualité dYEtat

administrantunepartie desterritoirescamerounaisvoisins pourl'acquérir.Bakassin'a pas puêtre,

en droit, intégréau Cameroun allemanden 1913,le Nigéria l'a démontré;de même,elle n'a pu

êtreintégréeau Camerounpar lasuite, lorsd'aucune despériodesultérieures.

-
59CR200214,p.22-23, par.1(Shaw). 106.On ne saurait parveniràune autreconclusionsans apporterde réponsetrèsprécise à la

question cruciale queje n'ai cessé deposer :Qui a conféré à la Grande-Bretagnele pouvoir de

céderBakassi ? Et quand ? Et comment ? La réponsedu Nigériaest claire :«personne», et

<(jamais». Le Cameroun, en revanche,n'a pas mêmeentrepris d'examiner comme il se doit en
f
détailla situationjuridique afinde répondre.La questionposée,il se contente de la noyerdans un

océandesilence.

107. Le Cameroun s'est longuement appesanti6' surle caractèrerestreint de l'autorité des

puissances mandataires et des autoritésadministrantes désignéespar un accord de tutelle. Le

Nigériane conteste pascette partiede sonanalyse. Restequ'ellene répond pasà laquestionposée.

Pour que ces limitesà l'autoritéterritorialepuissent avoir une quelconque pertinence,il doit être

démontréque Bakassi faisait partie des territoires sous mandat ou sous tutelle. Le Cameroun

aflrme que tel étaitle cas, mais il n'étuyepas ses dires et il lesprouve encore moins. Avant de

pouvoir conclure quela presqu'île deBakassiest devenueallemande en 1913,s'inscrivant dèslors

dans le cadre territorial qui allait êtrecelui du régimede mandat puis du régime detutelle, le

Cameroun se doit de mettre en évidencele fondementjuridique de cette situation. Le Nigéria a

démontré que, eu égardaux termes spécifiquesdu traitéde protectionde 1884,la Grande-Bretagne

n'étaitpas fondéeen droit à céderBakassi. A l'évidence,le Cameroun n'est pas parvenu à

montrer,précisémente ,n quoi l'argumentduNigériaseraitfaux.

108. En l'absencede réponse satisfaisantà cettequestion, il est clair que pour nombreuses

qu'aient pu êtreles activitésbritanniques relatives Bakassi sous le régimede mandat ou de

tutelle, on ne saurait,d'un point de vuejuridique, en déduireque lapresqu'île deBakassi nefaisait

plus partiedu protectoratdu Nigéria.D'abord,les activitésbritanniquesconcernant Bakassiétaient

menéesdans le cadre du protectorat du Nigériadont Bakassi continuait de faire partie car par

quels moyens juridiques aurait-elle jamaiscessé deposséderce statut? Ensuite, mêmesi, à de

rares occasions, des fonctionnaires britanniques ont pu agir comme s'ils pensaient que Bakassi

faisait partie du territoire sous mandat, cela n'eut pas suffi, enàdlui conférerce statut. Le

traitéde protection demeuraiten vigueur, limitant la capacitéla Grande-Bretagneen sa qualité

60CR200214,p. 18-2:NtarnarS,hawd'Etat protecteurà céderBakassi, et la Grande-Bretagne pouvait«penser» tant qu'elle voulait,ce

traité n'en était pas pour autant modifié;et les restrictions apportées à l'autorité dela

Grande-Bretagne par les accords de mandat et de tutelle ne lui permettaient pas d'accepter ni

d'effectuerla moindremodificationde la frontièresans l'approbationde l'autoritéinternationalede

surveillancecompétente - et onne trouve pastrace de la moindre approbation decet ordre.

109. La Grande-Bretagne elle-mêmeb ,ien sûr, en tant que partie au traité de1913,était

susceptiblede partir du principe que le traitéavait définila frontière entrele protectorat et ce qui

allait devenirle Cameroun britannique. Maisla présomption,ou la croyance,ne saurait constituer

le fondement d'un titre juridique; on ne saurait prétendre queBakassi relevait, en droit, du

Cameroun britanniquepour la seule raison que la Grande-Bretagne «pensait»que tel était lecas.

Aussi forte qu'elle ait pu être, la convictionerronée de la Grande-Bretagne ne saurait

rétrospectivementpallier le fait que cet Etat n'avait pas le pouvoir de céder Bakassi,pas plus

qu'elle ne saurait lui conférer pouvoir que le traité deprotection ne lui avaàtl'évidence,pas

reconnu. Toutesles actions menéespar la Grande-Bretagne sousles régimesde mandat et de

tutelle, qui impliquaientque la presqu'îledeBakassiétaitdissociéedu protectoratou qui pouvaient

êtreinterprétéescomme ayant:cet effet, étaientainsi entachées d'irrégularités. Et q,u'il s'agit

d'actes de bureaucratie, d'administration locale, de gouvernement, ou encore d'actes législatifs

(tels que la Governor'sNorthernRegion, WesternRegion and Eastern Region (Defnition of

Boundaries)Proclamation[Proclamation sur la régionNord, la régionOuest et la régionEst

portant définitiondes frontièresde 19541~~).Quelle que soit la période considéréel,a question

cruciale demeure en suspens -par qui la Grande-Bretagne a-t-elle reçu le pouvoir de céder

Bakassi ? Etquand ? Et comment ?

110.Mais tout cela, Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, nous entraîne

bien loin desaspectspratiques de la réaliquotidiennedans la presqu'île deBakassi. A l'issuede

la premièreguerre mondiale, li'intégralidu territoire du Cameroun sous mandat britannique fut,

Cm, annexe59. dans la pratique, administrécommeune partie du protectorat du Nigériat;oute distinctionentre le

territoire sous mandat et le protectorat n'avait,d'un point de vue concret, guère d'importanceaux

yeux deshabitants deBakassiet de Calabar. 1

111. Aucune considération pratique ne contraignait l'administration britannique ni
1
l'administration localàétablir,au quotidien,une distinctionentre ce quiaurait faitpeut-être partie

du territoireallemandet ce qui relevait du territoirenigériansous protectorat britannique. Pour les

habitantsde Bakassi, lapresqu'îledemeuraitce qu'elle avaittoujoursété - nigériane- et quelles

qu'eussentétéles modificationsd'ordre constitutionnel,ces populations continuaientde voir dans

leNigéria lasource del'autorité de1'Etatet de l'aidegouvernementale.

112. Il ressort clairement deséléments depreuve circonstanciés soumis à la Cour pendant

dix-sept pagesdu contre-mémoiredu Nigériaet des annexes c~rres~ondantes~q ~ue,tout au longde

6 5 lapériodeallant de 1913 à 1960, letissu des liens entreBakassi et Calabarétaitréelet trèsserré,et

quejamais les fonctionnairesbritanniques n'ont manifestéla moindrevelléitéd'enfaire abstraction

ou litière.l ressort clairement aussique, si dans les premièresannéesdu régimede mandat,très

rares étaient les fonctionnaires britanniques qui se souciaient des distinctions territoriales

auxquelles ils avaient affaire, ces distinctions tombent tout bonnement dans l'oubli pendantle

régime detutelle. A cette époque, en raisonde la croissance démographique,tant à Bakassi que

dans le protectorat duNigéria, la législatinelative aux collectivitéslocalesnigérianes devientde

plus en plus précise,et évoqueexpressément en particulierles coloniesde peuplement établies sur

Bakassi.

Monsieur le président, Madameet Messieurs dela Cour, cetteplaidoirie a été plutôltongue,

maisje peuxen résumerles principauxélémentd se manièretrèssimple.

113.Premièrement, Bakassifaisaitpartiedu territoiredes roisetchefs du Vieux-Calabar.

114. Deuxièmement, en 1884, les rois et chefs du Vieux-Calabar avaient, sur le plan

international,la capacité de concluredestraités.

62CMN,p. 186-203,par.9.20-9.72. 115. Troisièmement, lorsqu'en 1884, le Vieux-Calabar se place sous la protection de la

Grande-Bretagne, celle-ci n'est investie que des droits restreints que luionfere le traité de

protection, et ces droitsne s'étendentni la souveraineté surle territoire du Vieux-Calabarni au

droit ou au pouvoir de céderce territoire:«protéger»,et non démembrer,tel étaitle rôle de la

Grande-Bretagne.

116. Quatrièmement, la Grande-Bretagne ne possédad ite ce fait aucun titre juridique sur

Bakassi et n'avait pasen droit le pouvoir de transférer BakassiAllemagnepar le truchementdu

traitéde mars 113.

117. Cinquièmement,].'Allemagnene pouvait acquérirplus que ce que la Grande-Bretagne

étaitfondéeà lui donner,partant, ellene pouvaitacquérirdetitre solidesur Bakassi.

118. Sixièmement,aucun successeurde l'Allemagne, jusqueet y compris le Cameroun, ne

pouvaitacquérirdesonprédécesseuu rn meilleurtitre.

119. Septièmement,jusqu'en 1960 et quelle que soit la périodeconsidérée,le titre sur

Bakassireste,en conséquence,auxmainsdesroiset chefsduVieux-Calabar et, partant, duNigéria.

120.Huitièmement,tout letemps que letraité deprotectiondemeure en vigueur, le pouvoir

de céderBakassi continuede fairedéfaut à laGrande-Bretagne,et, tout le temps qu'elle administre

une partie du Cameroun, le pouvoir de modifier unilatéralementses frontières, que ce soit par

adjonctionou par cession,lui fait égalementdéfaut.

121.Neuvièmement,enfin,pendanttoute lapériodequiva de 1913 à 1960,Bakassi est,dans

la pratique, administréedepuis le Nigéria etcommepartie intégrantedu Nigéria; elle n'estmais

administréeà partir duCamerounni comme partieintégrantedu Cameroun. Monsieurle président,

Madame et Messieurs de la Cour,je vous remerciede votre attention. Je vous prierai, le moment

venu -- demainmatinpeut-être - d'appeler àla barre M.IanBrownlie,qui poursuivra l'exposé de

l'argumentationnigériane. Monsieurle présidentj,e vous remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, sirArthur. Cecimet un terme à la séance dece matin.

Nous reprendronsnostravaux demainmatin à 10heures. Laséanceest levée.

L'audience estlevéeà 13 h5.

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