Allocution de S. Exc. Mme la juge Joan E. Donoghue, présidente de la Cour internationale de Justice, à l'occasion du quarantième anniversaire de l'adoption de la convention des Nations Unies sur le

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ALLOCUTION DE S. EXC. MME LA JUGE JOAN E. DONOGHUE, PRÉSIDENTE DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE, À L’OCCASION DU QUARANTIÈME ANNIVERSAIRE
DE L’ADOPTION DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES
SUR LE DROIT DE LA MER (CNUDM)
Le 29 avril 2022
Monsieur le président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
C’est un honneur pour moi que de participer à cette séance plénière de haut niveau de
l’Assemblée générale pour célébrer le quarantième anniversaire de l’adoption de la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer. C’est aussi un grand privilège d’y prendre part auprès d’éminents
orateurs qui ont joué un rôle important dans la négociation et la mise en oeuvre de la convention.
On pourrait attendre d’un discours prononcé par la présidente de la Cour internationale de
Justice à l’occasion de l’anniversaire de l’adoption de la convention qu’il s’articule autour de deux
thèmes  premièrement, le succès des dispositions novatrices de la convention en matière de
règlement des différends et, deuxièmement, la contribution de la Cour au droit de la mer. Dans le
temps qui m’est imparti, je pourrais vous tenir des propos optimistes corroborant chacun de ces
points, vous remercier de l’attention que vous m’avez accordée et retourner à mes activités
judiciaires. L’état actuel du monde m’oblige cependant à élargir la réflexion sur les enseignements
que nous pouvons tirer de cette convention.
Je commencerai par quelques brèves observations sur les deux points que je viens de
mentionner. L’une des caractéristiques les plus remarquables de la convention est que, à quelques
exceptions près, les différends relatifs à son interprétation et à son application sont soumis au
règlement judiciaire ou à l’arbitrage obligatoires. La multiplicité des instances disponibles pour ce
faire entraînait un risque de fragmentation, voire de provincialisation, de la jurisprudence émergente.
Heureusement, c’est l’inverse qui s’est produit. Il ressort des arrêts et sentences de la Cour
internationale de Justice, du Tribunal international du droit de la mer et des tribunaux arbitraux, que
ces différentes instances prennent grand soin d’examiner et prendre en considération la jurisprudence
pertinente dans toute son étendue.
Parmi les contributions plus spécifiques de notre Cour, je relèverai que celle-ci peut connaître
non seulement de différends entre deux Etats parties à la convention, mais aussi de différends entre
des Etats qui ne sont pas parties à cet instrument. Et de fait, elle a été saisie d’un nombre conséquent
d’affaires relevant de ce dernier cas et qui sont régies par le droit international coutumier. La
convention n’en reste pas moins toujours au centre des arguments que font valoir ces parties sur la
teneur du droit international coutumier, et la Cour a eu l’occasion de déclarer que plusieurs
dispositions essentielles de la convention reflètent ce droit. La jurisprudence qui résulte de ces
affaires joue un rôle important dans la détermination et la consolidation de règles qui s’appliquent
non seulement aux Etats qui sont parties à la convention, mais aussi à ceux qui n’y sont pas parties.
Je me pencherai à présent brièvement sur certains enseignements qui se dégagent plus
généralement de la négociation et de la conclusion de la convention et qui semblent particulièrement
pertinents de nos jours. Au moment où je vous fais part de ces observations, en avril 2022, on ne peut
être que très déçu par l’histoire récente des institutions internationales et du droit international. Trop
souvent en effet, les gouvernements ont réagi à la crise de la COVID en prenant soin de leur seule
population, alors qu’il s’agit d’une pandémie mondiale. La prohibition de l’emploi de la force et les
règles du droit international humanitaire sont foulées aux pieds. Des personnes désespérées fuient
leur pays en proie à de terribles événements et sont parfois bien accueillies et parfois rejetées, alors
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que toutes ont besoin d’aide pour subvenir à leurs besoins essentiels. Nombreux sont ceux dans le
monde qui sont privés de leurs droits les plus fondamentaux.
Pour toutes les personnes qui contribuent à l’oeuvre des Nations Unies, que ce soit en qualité
de représentants, fonctionnaires du Secrétariat ou juges, ces circonstances doivent résonner comme
un avertissement. Ce n’est pas le moment de relâcher notre effort. Nous ne pouvons nous permettre
de prononcer et d’écouter les mêmes discours aujourd’hui que chacun de nous aurait peut-être
prononcés dans la grande salle de l’Assemblée générale en d’autres temps.
Face aux problèmes urgents auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, nous devons au
contraire nous inspirer de l’audace et de la ténacité qui ont rendu possible l’adoption de la convention
au terme de plus d’une décennie de négociations. La convention que nous célébrons aujourd’hui est
née de l’échec des conventions de 1958 sur le droit de la mer. Son adoption a permis d’établir un
«ordre juridique des mers» qui est venu remplacer une situation qui aurait pu être qualifiée de «chaos
juridique des mers». Une telle issue n’a été possible que parce que les individus qui guidaient les
négociations ont eu le courage de mobiliser des stratégies novatrices et que les participants à ces
négociations ne se sont pas arc-boutés sur des positions figées par le temps, mais qu’ils ont au
contraire revu leurs objectifs afin de parvenir à un accord global durable qui contribuerait au bien
commun.
Les problèmes du monde d’aujourd’hui peuvent nous sembler redoutables ; les divergences
entre Etats peuvent nous paraître impossibles à surmonter. Mais nous ne pouvons pas succomber au
cynisme et au fatalisme. Nous devons plutôt nous rappeler que, comme la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer l’a démontré, le droit international et les institutions
internationales offrent des outils que nous pouvons utiliser pour résoudre des problèmes
apparemment insolubles, pour réduire les conflits et progresser, résolument et lucidement, vers la
réalisation des idéaux qui ont inspiré la Charte des Nations Unies.
Monsieur le président, pour conclure, les juges de la Cour internationale de Justice ont à coeur
de poursuivre leurs travaux sur le droit de la mer et de participer à l’avenir à des échanges tels que
ceux de la séance d’aujourd’hui, où nous pouvons saluer non seulement les nombreuses contributions
de la convention au droit des océans, mais également l’audace, l’esprit de coopération et la souplesse
qui ont permis d’adopter cet instrument il y a quarante ans.
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Allocution de S. Exc. Mme la juge Joan E. Donoghue, présidente de la Cour internationale de Justice, à l’occasion du quarantième anniversaire de l’adoption de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM)

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