14 JULY 2020
JUDGMENT
APPEAL RELATING TO THE JURISDICTION OF THE ICAO COUNCIL UNDER ARTICLE II, SECTION 2, OF THE 1944 INTERNATIONAL AIR SERVICES TRANSIT AGREEMENT (BAHRAIN, EGYPT AND UNITED ARAB EMIRATES v. QATAR)
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APPEL CONCERNANT LA COMPÉTENCE DU CONSEIL DE L’OACI EN VERTU DE L’ARTICLE II, SECTION 2, DE L’ACCORD DE 1944 RELATIF AU TRANSIT DES SERVICES AÉRIENS INTERNATIONAUX (BAHREÏN, ÉGYPTE ET ÉMIRATS ARABES UNIS c. QATAR)
14 JUILLET 2020
ARRÊT
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-20
I. INTRODUCTION 21-36
A. Contexte factuel 21-26
B. La fonction d’appel de la Cour et la portée du droit d’appel devant la Cour 27-36
II. LES MOYENS D’APPEL 37-126
A. Le deuxième moyen d’appel : rejet par le Conseil de l’OACI de la première exception préliminaire 41-63
1. Question de savoir si le différend entre les Parties concerne l’interprétation ou l’application de l’accord de transit 41-50
2. Question de savoir si les demandes du Qatar sont irrecevables pour des raisons liées au principe d’«opportunité judiciaire» 51-62
B. Le troisième moyen d’appel : rejet par le Conseil de l’OACI de la seconde exception préliminaire 64-108
1. Le non-respect allégué de la condition préalable de négociation requise du Qatar pour saisir le Conseil de l’OACI 65-99
2. Question de savoir si le Conseil de l’OACI a eu tort de ne pas déclarer la requête du Qatar irrecevable sur la base de l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends 100-106
C. Le premier moyen d’appel : allégation d’absence manifeste de procédure régulière devant le Conseil de l’OACI 109-125
DISPOSITIF 127
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2020
2020
14 juillet
Rôle général
no 174
14 juillet 2020
APPEL CONCERNANT LA COMPÉTENCE DU CONSEIL DE L’OACI EN VERTU DE L’ARTICLE II, SECTION 2, DE L’ACCORD DE 1944 RELATIF AU TRANSIT DES SERVICES AÉRIENS INTERNATIONAUX
(BAHREÏN, ÉGYPTE ET ÉMIRATS ARABES UNIS c. QATAR)
Contexte factuel
Adoption de restrictions visant l’aviation par Bahreïn, l’Egypte et les Emirats arabes unis, ainsi que l’Arabie saoudite — Introduction d’une instance par le Qatar devant le Conseil de l’OACI (le «Conseil») — Article II, section 2, de l’accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux (1’«accord de transit») — Article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale — Exceptions préliminaires soulevées devant le Conseil — Décision du Conseil sur les exceptions préliminaires.
Fonction d’appel de la Cour.
Section 2 de l’article II couvrant le recours contre des décisions rendues sur des exceptions préliminaires — Cour ayant compétence pour connaître d’un appel — Rôle de la Cour consistant à s’assurer que la décision attaquée est correcte.
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Moyens d’appel — Absence d’obligation de suivre l’ordre dans lequel les appelants invoquent les moyens d’appel.
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Deuxième moyen d’appel — Rejet par le Conseil de la première exception préliminaire.
Compétence — Désaccord entre les Parties devant le Conseil concernant l’interprétation et l’application de l’accord de transit et relevant du champ d’application de la section 2 de l’article II — Seul fait que le désaccord soit apparu dans un contexte plus large ne privant pas le Conseil de la compétence qu’il tient de la section 2 de l’article II — Conseil n’ayant pas commis d’erreur en rejetant la première exception préliminaire en tant qu’elle avait trait à la compétence.
Recevabilité — Difficulté d’appliquer le concept d’opportunité judiciaire au Conseil —Intégrité de la fonction de règlement des différends dévolue au Conseil par la section 2 de l’article II n’étant pas compromise par l’examen de questions étrangères à l’aviation civile —Conseil n’ayant pas commis d’erreur en rejetant la première exception préliminaire en tant qu’elle avait trait à la recevabilité.
Deuxième moyen d’appel ne pouvant être accueilli.
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Troisième moyen d’appel — Rejet par le Conseil de la seconde exception préliminaire.
Compétence — Section 2 de l’article II imposant une condition préalable de négociation —Véritable tentative de négocier devant être faite avant le dépôt d’une requête devant le Conseil —Condition préalable étant remplie si les négociations deviennent inutiles ou aboutissent à une impasse — Véritable tentative de négocier pouvant avoir lieu en dehors d’échanges diplomatiques bilatéraux — Qatar ayant véritablement tenté de négocier tant devant l’OACI qu’en dehors pour régler le désaccord — Absence de perspective raisonnable de règlement par voie de négociation au moment du dépôt de la requête du Qatar devant le Conseil — Conseil n’ayant pas commis d’erreur en rejetant la seconde exception préliminaire en tant qu’elle avait trait à la compétence.
Recevabilité — Alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends exigeant que les requêtes et mémoires déposés au titre de l’article 84 (incorporé par voie de référence à la section 2 de l’article II) incluent une déclaration attestant que des négociations ont eu lieu mais n’ont pas abouti — Déclaration faite dans la requête et le mémoire du Qatar suffisant à satisfaire ladite exigence — Conseil n’ayant pas commis d’erreur en rejetant la seconde exception préliminaire en tant qu’elle avait trait à la recevabilité.
Troisième moyen d’appel ne pouvant être accueilli.
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Premier moyen d’appel — Régularité de la procédure devant le Conseil.
Questions soulevées par les exceptions préliminaires étant des questions juridiques objectives — Manière de procéder du Conseil n’ayant pas constitué une atteinte fondamentale aux exigences d’une procédure équitable.
Premier moyen d’appel ne pouvant être accueilli.
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ARRÊT
Présents : M. YUSUF, président ; MME XUE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM, CANÇADO TRINDADE, MME DONOGHUE, M. GAJA, MME SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON, CRAWFORD, GEVORGIAN, SALAM, IWASAWA, juges ; MM. BERMAN, DAUDET, juges ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
En l’affaire de l’appel concernant la compétence du Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale en vertu de l’article II, section 2, de l’accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux,
entre
le Royaume de Bahreïn,
représenté par
S. Exc. le cheikh Fawaz bin Mohammed Al Khalifa, ambassadeur du Royaume de Bahreïn auprès du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, accrédité auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent ;
M. Georgios Petrochilos, avocat au barreau de Paris et à la Cour suprême grecque, cabinet Three Crowns LLP,
Mme Alexandra van der Meulen, avocate au barreau de Paris et membre du barreau de l’Etat de New York, cabinet Three Crowns LLP,
comme avocats ;
Mme Amelia Keene, barrister et solicitor près la High Court de Nouvelle-Zélande, cabinet Three Crowns LLP,
M. Motohiro Maeda, solicitor près les juridictions supérieures d’Angleterre et du pays de Galles, cabinet Three Crowns LLP,
M. Ryan Manton, barrister et solicitor près la High Court de Nouvelle-Zélande, cabinet Three Crowns LLP,
Mme Julia Sherman, membre du barreau de l’Etat de New York, cabinet Three Crowns LLP,
comme conseils ;
M. Mohamed Abdulrahman Al Haidan, directeur des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères du Royaume de Bahreïn,
M. Hamad Waheed Sayyar, conseiller, ambassade du Royaume de Bahreïn au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,
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M. Devashish Krishan, conseiller juridique à la Cour de S.A.R. le prince héritier du Royaume de Bahreïn,
M. Mohamed Hafedh Ali Seif, troisième secrétaire, direction des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères du Royaume de Bahreïn,
comme conseillers ;
Mme Eleonore Gleitz, cabinet Three Crowns LLP,
comme assistante,
la République arabe d’Egypte,
représentée par
S. Exc. M. Amgad Abdel Ghaffar, ambassadeur de la République arabe d’Egypte auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent ;
M. Payam Akhavan, LLM, SJD (Harvard), professeur de droit international à l’Université McGill, membre du barreau de l’Etat de New York et du barreau de l’Ontario, membre de la Cour permanente d’arbitrage,
Mme Naomi Hart, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
comme conseils et avocats ;
S. Exc. Mme Howaida Essam Abdel Rahman, ministre déléguée aux affaires étrangères de la République arabe d’Egypte, chargée des affaires juridiques internationales et des traités internationaux,
Mme Angi Mostafa, représentante permanente de la République arabe d’Egypte auprès de l’Organisation de l’aviation civile internationale,
S. Exc. M. Khaled Mahmoud Elkhamry, ambassadeur, ministère des affaires étrangères de la République arabe d’Egypte,
M. Ihab Soliman, conseiller, chef de mission adjoint, ambassade de la République arabe d’Egypte au Royaume des Pays-Bas,
M. Hazem Fawzy, conseiller, ambassade de la République arabe d’Egypte au Royaume des Pays-Bas,
Mme Hadeer Samy Ibrahim Elsayed Saoudy, troisième secrétaire, ministère des affaires étrangères de la République arabe d’Egypte,
M. Mostafa Diaa Eldin Mohamed, troisième secrétaire, ambassade de la République arabe d’Egypte au Royaume des Pays-Bas,
comme conseillers,
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les Emirats arabes unis,
représentés par
S. Exc. Mme Hissa Abdullah Ahmed Al-Otaiba, ambassadeur des Emirats arabes unis auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agente ;
S. Exc. M. Abdalla Hamdan Alnaqbi, directeur du département de droit international, ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale des Emirats arabes unis,
M. Abdulla Al Jasmi, chef de la section des traités et accords multilatéraux, ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale des Emirats arabes unis,
Mme Majd Abdalla, chercheuse en droit principale, section des traités et accords multilatéraux, ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale des Emirats arabes unis,
M. Mohamed Salim Ali Alowais, ambassade des Emirats arabes unis au Royaume des Pays-Bas,
Mme Fatima Alkhateeb, ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale des Emirats arabes unis,
comme conseillers spéciaux ;
M. Malcolm Shaw, QC, professeur émérite de droit international à l’Université de Leicester, titulaire de la chaire Sir Robert Jennings, senior fellow au Lauterpacht Centre for International Law de l’Université de Cambridge, membre associé de l’Institut de droit international, barrister, Essex Court Chambers,
M. Simon Olleson, Three Stone Chambers, Lincoln’s Inn, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
comme conseils et avocats ;
M. Scott Sheeran, conseiller juridique principal auprès du ministre d’Etat aux affaires étrangères, ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale des Emirats arabes unis, barrister et solicitor près la High Court de Nouvelle-Zélande,
M. Paolo Busco, conseiller juridique auprès du ministre d’Etat aux affaires étrangères, ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale des Emirats arabes unis, membre du barreau d’Italie, inscrit en qualité de Registered European Lawyer au barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Mark Somos, attaché de recherche principal, Institut Max Planck de droit public comparé et de droit international,
M. Charles L. O. Buderi, associé, cabinet Curtis, Mallet-Prevost, Colt & Mosle LLP, membre du barreau du district de Columbia et du barreau de l’Etat de Californie,
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Mme Luciana T. Ricart, LLM, faculté de droit de l’Université de New York, avocate, cabinet Curtis, Mallet-Prevost, Colt & Mosle LLP, membre du barreau de Buenos Aires,
Mme Lillie Ashworth, LLM, Université de Cambridge, collaboratrice, cabinet Curtis, Mallet-Prevost, Colt & Mosle LLP, solicitor près les juridictions supérieures d’Angleterre et du pays de Galles,
comme conseils,
et
l’Etat du Qatar,
représenté par
M. Mohammed Abdulaziz Al-Khulaifi, conseiller juridique auprès du vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères de l’Etat du Qatar, doyen de la faculté de droit de l’Université du Qatar,
comme agent ;
M. Vaughan Lowe, QC, professeur émérite de droit international à l’Université d’Oxford, membre de l’Institut de droit international, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Pierre Klein, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles,
Mme Loretta Malintoppi, 39 Essex Chambers Singapore, membre du barreau de Rome,
M. Lawrence H. Martin, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du district de Columbia et de l’Etat du Massachusetts,
M. Constantinos Salonidis, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de l’Etat de New York et de Grèce,
M. Pierre d’Argent, professeur de droit international à l’Université catholique de Louvain, membre de l’Institut de droit international, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de Bruxelles,
comme conseils et avocats ;
S. Exc. M. Abdullah bin Hussein Al-Jaber, ambassadeur de l’Etat du Qatar auprès du Royaume des Pays-Bas,
S. Exc. M. Abdulla bin Nasser Turki Al-Subaey, président de l’autorité de l’aviation civile de l’Etat du Qatar,
M. Ahmad Al-Mana, ministère des affaires étrangères de l’Etat du Qatar,
M. Jassim Al-Kuwari, ministère des affaires étrangères de l’Etat du Qatar,
M. Nasser Al-Hamad, ministère des affaires étrangères de l’Etat du Qatar,
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Mme Hissa Al-Dosari, ministère des affaires étrangères de l’Etat du Qatar,
M. Ali Al-Hababi, ambassade de l’Etat du Qatar au Royaume des Pays-Bas,
M. Essa Al-Malki, représentant permanent de l’Etat du Qatar auprès de l’Organisation de l’aviation civile internationale,
M. John Augustin, conseiller, mission permanente de l’Etat du Qatar auprès de l’Organisation de l’aviation civile internationale,
M. Salah Al-Shibani, directeur du département des affaires juridiques, autorité de l’aviation civile de l’Etat du Qatar,
M. Nasser Al-Suwaidi, directeur du département de la coopération internationale, autorité de l’aviation civile de l’Etat du Qatar,
M. Talal Abdulla Al-Malki, directeur du département des relations publiques et de la communication, autorité de l’aviation civile de l’Etat du Qatar,
M. Rashed Al-Naemi, ambassade de l’Etat du Qatar au Royaume des Pays-Bas,
M. Abdulla Nasser Al-Asiri, ministère des affaires étrangères de l’Etat du Qatar,
Mme Noora Ahmad Al-Saai, ministère des affaires étrangères de l’Etat du Qatar,
Mme Dana Ahmad Ahan, ministère des affaires étrangères de l’Etat du Qatar,
comme conseillers ;
M. Pemmaraju Sreenivasa Rao, conseiller spécial auprès du bureau de l’Attorney General de l’Etat du Qatar, ancien membre de la Commission du droit international, membre de l’Institut de droit international,
M. Surya Subedi, QC (Hon.), professeur de droit international à l’Université de Leeds, membre de l’Institut de droit international, Three Stone Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
Mme Catherine Amirfar, cabinet Debevoise & Plimpton LLP, membre du barreau de l’Etat de New York,
M. Arsalan Suleman, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de l’Etat de New York et du district de Columbia,
M. Joseph Klinger, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de l’Etat de New York et du district de Columbia,
M. Ioannis Konstantinidis, professeur adjoint de droit international à la faculté de droit de l’Université du Qatar,
M. Ofilio Mayorga, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de l’Etat de New York et du Nicaragua,
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M. Peter Tzeng, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de l’Etat de New York,
Mme Floriane Lavaud, cabinet Debevoise & Plimpton LLP, membre des barreaux de l’Etat de New York et de Paris, solicitor près les juridictions supérieures d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Ali Abusedra, conseiller juridique, ministère des affaires étrangères de l’Etat du Qatar,
Mme Yasmin Al-Ameen, cabinet Foley Hoag LLP,
comme conseils ;
Mme Flannery Sockwell, cabinet Foley Hoag LLP,
Mme Nancy Lopez, cabinet Foley Hoag LLP,
Mme Deborah Langley, cabinet Foley Hoag LLP,
comme assistantes,
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Par une requête introductive d’instance conjointe déposée au Greffe de la Cour le 4 juillet 2018, le Royaume de Bahreïn, la République arabe d’Egypte et les Emirats arabes unis ont fait appel d’une décision rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) (ci-après le «Conseil de l’OACI» ou le «Conseil») dans une instance introduite contre eux par l’Etat du Qatar, le 30 octobre 2017 (ci-après la «décision»), en vertu de la section 2 de l’article II de l’accord relatif au transit des services aériens internationaux adopté à Chicago le 7 décembre 1944 (ci-après l’«accord de transit»). Dans cette décision, le Conseil de l’OACI rejetait les exceptions préliminaires que Bahreïn, l’Egypte et les Emirats arabes unis avaient soulevées aux motifs qu’il n’était pas compétent «pour statuer sur les plaintes» formulées par le Qatar dans sa requête et que lesdites plaintes n’étaient pas recevables.
2. Le même jour, le Royaume d’Arabie saoudite, le Royaume de Bahreïn, la République arabe d’Egypte et les Emirats arabes unis ont déposé une autre requête conjointe concernant une autre décision rendue par le Conseil de l’OACI, également le 29 juin 2018, dans une instance distincte introduite contre eux quatre par l’Etat du Qatar le 30 octobre 2017 en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale adoptée à Chicago le 7 décembre 1944 (ci-après la «convention de Chicago» ou la «convention»), à laquelle le Royaume d’Arabie saoudite est également partie (voir Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar), arrêt du 14 juillet 2020, par. 1 et 26).
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3. Dans leur requête en la présente espèce, les Etats demandeurs entendent fonder la compétence de la Cour sur la section 2 de l’article II de l’accord de transit et, par référence, sur l’article 84 de la convention de Chicago, eu égard au paragraphe 1 de l’article 36 et à l’article 37 du Statut de la Cour.
4. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement du Qatar une copie signée de la requête ; il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt de celle-ci.
En outre, par lettre du 25 juillet 2018, il en a informé tous les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies.
5. Conformément au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a informé les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies en leur transmettant, par l’entremise du Secrétaire général, le texte bilingue imprimé de la requête.
6. Conformément au paragraphe 1 de l’article 43 du Règlement de la Cour, le greffier a adressé aux Etats parties à l’accord de transit et aux Etats parties à la convention de Chicago les notifications prévues au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut. En outre, s’agissant de l’un et l’autre de ces instruments et conformément au paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, il a adressé à l’OACI, par l’entremise de sa secrétaire générale, la notification prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut.
7. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, les Etats demandeurs et le Qatar se sont prévalus du droit que leur confère l’article 31 du Statut de désigner un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. Les Etats demandeurs ont désigné conjointement M. Nabil Elaraby puis, celui-ci ayant renoncé à exercer ses fonctions le 10 septembre 2019, Sir Franklin Berman. Le Qatar a désigné M. Yves Daudet.
8. Par lettre en date du 16 juillet 2018, l’agent du Qatar, au nom de son gouvernement, a prié la Cour de joindre, en vertu de la première phrase de l’article 47 de son Règlement, les instances en les affaires de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar) et de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux (Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar). Dans sa lettre, l’agent ajoutait que son gouvernement priait la Cour, si celle-ci décidait de ne pas joindre les instances dans les deux affaires, d’ordonner une action commune relativement aux procédures écrite et orale, en vertu de la seconde phrase de l’article 47 de son Règlement.
9. Par lettre en date du 23 juillet 2018, l’agent de l’Arabie saoudite a indiqué que, de l’avis de son gouvernement, il n’était pas approprié de joindre les instances dans les deux affaires, l’Arabie saoudite n’étant pas partie à l’accord de transit. L’agent a toutefois précisé que son gouvernement n’avait pas d’objection à ce que la Cour ordonne une action commune relativement aux procédures écrite et orale.
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10. Le 23 juillet 2018, le président de la Cour, conformément à l’article 31 du Règlement, s’est entretenu avec les agents des Etats demandeurs et du Qatar au sujet de chaque affaire. Lors de ces réunions, le Qatar a réitéré sa demande tendant à ce que les instances dans les deux affaires soient jointes ou que, à défaut, la Cour ordonne une action commune relativement aux procédures écrite et orale. Pour leur part, les Etats demandeurs dans chacune des affaires se sont opposés à la jonction des instances. Ils ont fait savoir cependant qu’ils seraient favorables à ce que la Cour ordonne, en vertu de l’article 47 de son Règlement, une action commune relativement aux deux affaires.
11. Par lettres en date du 25 juillet 2018, le greffier a informé les Etats demandeurs et le Qatar que, eu égard aux vues qu’ils avaient exprimées, la Cour avait décidé de ne pas ordonner la jonction des instances dans les deux affaires en vertu de la première phrase de l’article 47 de son Règlement. Il a également indiqué que la Cour estimait toutefois approprié d’ordonner, en vertu de la seconde phrase du même article, une action commune relativement auxdites affaires, et qu’elle en déterminerait les modalités en temps voulu.
12. Par ordonnance du 25 juillet 2018, le président de la Cour a fixé au 27 décembre 2018 et au 27 mai 2019, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par les Etats demandeurs et d’un contre-mémoire par le Qatar. Le mémoire et le contre-mémoire ont été déposés le 27 décembre 2018 et le 25 février 2019, respectivement.
13. Par ordonnance du 27 mars 2019, la Cour a prescrit la présentation d’une réplique par les Etats demandeurs et d’une duplique par le Qatar, et a fixé au 27 mai 2019 et au 29 juillet 2019, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces. La réplique et la duplique ont été déposées dans les délais ainsi fixés.
14. Par lettre en date du 5 avril 2019, le greffier, en application du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, a transmis à la secrétaire générale de l’OACI des exemplaires des écritures déposées jusqu’alors en l’affaire, à savoir le mémoire des Etats demandeurs et le contre-mémoire du Qatar, en la priant de lui faire savoir si l’OACI entendait présenter des observations écrites en vertu de cette disposition. Par lettre en date du 31 juillet 2019, la secrétaire générale de l’OACI a déclaré que l’organisation n’avait pas l’intention de soumettre des observations écrites à ce stade. Elle a toutefois indiqué que l’OACI ferait savoir à la Cour si elle entendait présenter de telles observations lorsqu’elle aurait reçu des exemplaires de la réplique et de la duplique. Lesdites pièces ont été communiquées à l’OACI sous le couvert d’une lettre datée du 1er août 2019. Par une lettre en date du 20 septembre 2019, la secrétaire générale a indiqué que l’organisation n’entendait pas présenter d’observations écrites en vertu de la disposition susmentionnée.
15. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 du Règlement, la Cour a décidé, après avoir consulté les Parties, que des exemplaires des pièces de procédure et des documents y annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale.
16. Par lettre en date du 28 mars 2019, le greffier a informé les Parties que la Cour avait décidé d’organiser des audiences conjointes dans les affaires de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile
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internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar) et de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux (Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar). Des audiences conjointes ont ainsi été tenues du 2 au 6 décembre 2019, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses :
Pour les Etats demandeurs : S. Exc. le cheikh Fawaz bin Mohammed Al Khalifa, S. Exc. M. Amgad Abdel Ghaffar, S. Exc. Mme Hissa Abdullah Ahmed Al-Otaiba, M. Payam Akhavan, Mme Alexandra van der Meulen, M. Malcolm Shaw, M. Georgios Petrochilos, M. Simon Olleson.
Pour le Qatar : M. Mohammed Abdulaziz Al-Khulaifi, M. Vaughan Lowe, M. Pierre Klein, M. Lawrence Martin, Mme Loretta Malintoppi.
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17. Dans leur requête, les Etats demandeurs ont formulé les demandes suivantes :
«Pour les motifs susmentionnés, plaise à la Cour, rejetant toutes conclusions contraires, dire et juger que :
1) la décision rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’OACI révèle que celui-ci n’a manifestement pas agi comme une autorité judiciaire et n’a manifestement pas respecté les garanties d’une procédure régulière ;
2) le Conseil de l’OACI n’a pas compétence pour connaître du désaccord opposant l’Etat du Qatar et les demandeurs en la présente affaire, dont le Qatar l’a saisi par la requête B déposée le 30 octobre 2017 ; et que
3) la décision rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’OACI sur la requête B est nulle, non avenue et sans effet.»
18. Dans les pièces de procédure, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom des Gouvernements des Etats demandeurs,
dans le mémoire :
«1. Pour les motifs exposés dans le présent mémoire, tout en se réservant le droit de compléter, préciser ou modifier les présentes conclusions finales, le Royaume de Bahreïn, la République arabe d’Egypte et les Emirats arabes unis prient la Cour
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d’accueillir le recours qu’ils ont formé contre la décision rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale dans une instance introduite contre eux par le Qatar, devant cet organe, le 30 octobre 2017, par voie de requête en vertu de la section 2 de l’article II de l’accord de transit (requête B devant l’OACI).
2. En particulier, la Cour est priée de dire et juger, rejetant toutes conclusions contraires, que :
1) la décision B rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’OACI révèle que celui-ci n’a manifestement pas agi comme une autorité judiciaire et n’a manifestement pas respecté les garanties d’une procédure régulière ;
2) le Conseil de l’OACI n’a pas compétence pour connaître du désaccord opposant le Qatar et les appelants, dont le Qatar l’a saisi par la requête B en date du 30 octobre 2017 ; et que
3) la décision B rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’OACI sur la requête B est nulle, non avenue et sans effet.»
dans la réplique :
«1. Pour ces motifs, tout en se réservant le droit de compléter, préciser ou modifier les présentes conclusions finales, le Royaume de Bahreïn, la République arabe d’Egypte et les Emirats arabes unis prient la Cour d’accueillir le recours qu’ils ont formé contre la décision rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale dans une instance introduite contre eux par le Qatar, devant cet organe, le 30 octobre 2017, par voie de requête en vertu de la section 2 de l’article II de l’accord de transit (requête B devant l’OACI).
2. En particulier, la Cour est priée de dire et juger, rejetant toutes conclusions contraires, que :
1) la décision B rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’OACI révèle que celui-ci n’a manifestement pas agi comme une autorité judiciaire et n’a manifestement pas respecté les garanties d’une procédure régulière ;
2) le Conseil de l’OACI n’a pas compétence pour connaître du désaccord opposant le Qatar et les appelants, dont le Qatar l’a saisi par la requête B en date du 30 octobre 2017 ; et que
3) la décision B rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’OACI sur la requête B est nulle, non avenue et sans effet.»
Au nom du Gouvernement du Qatar,
dans le contre-mémoire :
«Sur la base des éléments de fait et de droit exposés dans le présent contre-mémoire, le Qatar prie respectueusement la Cour de rejeter le recours des appelants et de confirmer la décision du Conseil de l’OACI en date du 29 juin 2018 portant rejet de l’exception préliminaire par laquelle ceux-ci ont contesté la compétence du Conseil pour connaître de la requête B du Qatar en date du 30 octobre 2017.»
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dans la duplique :
«Sur la base des éléments de fait et de droit exposés dans la présente duplique, le Qatar prie respectueusement la Cour de rejeter le recours des appelants et de confirmer la décision du Conseil de l’OACI en date du 29 juin 2018 portant rejet de l’exception préliminaire par laquelle ceux-ci ont contesté la compétence du Conseil pour connaître de la requête B du Qatar en date du 30 octobre 2017.»
19. Lors de la procédure orale, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom des Gouvernements des Etats demandeurs,
à l’audience du 5 décembre 2019 :
«1. Conformément au paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement de la Cour, et pour les motifs exposés au cours des phases écrite et orale de la procédure, le Royaume de Bahreïn, la République arabe d’Egypte et les Emirats arabes unis prient la Cour d’accueillir le recours qu’ils ont formé contre la décision rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale dans une instance introduite contre eux par le Qatar, devant cet organe, le 30 octobre 2017, par voie de requête en vertu de la section 2 de l’article II de l’accord de transit (requête B devant l’OACI).
2. En particulier, la Cour est priée de dire et juger, rejetant toutes conclusions contraires, que :
1) la décision B rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’OACI révèle que celui-ci n’a manifestement pas agi comme une autorité judiciaire et n’a manifestement pas respecté les garanties d’une procédure régulière ;
2) le Conseil de l’OACI n’a pas compétence pour connaître du désaccord opposant le Qatar et les appelants, dont le Qatar l’a saisi par la requête B en date du 30 octobre 2017 ; et que
3) la décision B rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’OACI sur la requête B est nulle, non avenue et sans effet.»
Au nom du Gouvernement du Qatar,
à l’audience du 6 décembre 2019 :
«Se référant à l’article 60 du Règlement de la Cour, pour les motifs exposés à l’audience, le Qatar prie respectueusement la Cour de rejeter le recours des appelants et de confirmer la décision du Conseil de l’OACI en date du 29 juin 2018 portant rejet de l’exception préliminaire par laquelle les appelants ont contesté la compétence du Conseil pour connaître des demandes du Qatar portées devant lui.»
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20. Dans les paragraphes suivants, les Etats demandeurs, à savoir le Royaume de Bahreïn, la République arabe d’Egypte et les Emirats arabes unis seront collectivement dénommés les «appelants». Ces Etats seront dénommés défendeurs devant le Conseil de l’OACI lorsqu’il sera fait référence à la procédure devant cet organe.
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I. INTRODUCTION
A. Contexte factuel
21. Le 5 juin 2017, les Gouvernements de Bahreïn, de l’Egypte et des Emirats arabes unis, ainsi que de l’Arabie saoudite, ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar et adopté un ensemble de mesures restrictives visant les voies de communication terrestres, maritimes et aériennes avec cet Etat, notamment certaines restrictions visant l’aviation. Par ces mesures, les appelants interdisaient à tout aéronef immatriculé au Qatar de voler à destination ou en provenance de leurs aéroports ou de survoler leurs territoires, y compris les mers territoriales situées dans les régions d’information de vol correspondantes. Certaines restrictions s’appliquaient également aux aéronefs non immatriculés au Qatar mais volant à destination ou en provenance de cet Etat. Ces aéronefs devaient obtenir une autorisation préalable des autorités de l’aviation civile des appelants. Selon les appelants, ces mesures restrictives ont été prises en réponse au manquement présumé, par le Qatar, aux obligations qui sont les siennes en vertu de certains accords internationaux auxquels les appelants et le Qatar sont parties, à savoir l’accord de Riyad (accompagné de l’accord d’approbation) des 23 et 24 novembre 2013, le mécanisme de mise en oeuvre de l’accord de Riyad du 17 avril 2014 et l’accord complémentaire de Riyad du 16 novembre 2014 (ci-après les «accords de Riyad») ainsi qu’à d’autres obligations qui lui incombent en vertu du droit international.
22. Le 15 juin 2017, le Qatar a soumis au bureau de la secrétaire générale de l’OACI une requête à l’effet d’introduire une instance devant le Conseil de l’organisation, citant comme défendeurs Bahreïn, l’Egypte et les Emirats arabes unis, accompagnée d’un mémoire. Le secrétariat a décelé certaines lacunes dans cette requête et ce mémoire, auxquelles la secrétaire générale, par lettre en date du 21 juin 2017, a prié le Qatar de remédier.
23. Le 30 octobre 2017, se prévalant de la section 2 de l’article II de l’accord de transit, le Qatar a saisi le Conseil de l’OACI d’une nouvelle requête, accompagnée d’un mémoire, dans laquelle il affirmait que les restrictions visant l’aviation adoptées par Bahreïn, l’Egypte et les Emirats arabes unis emportaient violation des obligations incombant à ces Etats en vertu dudit accord. La section 2 de l’article II de l’accord de transit est ainsi libellée :
«Si un désaccord survenu entre deux ou plusieurs États contractants à propos de l’interprétation ou de l’application du présent Accord ne peut être réglé par voie de négociation, les dispositions du chapitre XVIII de la Convention [de Chicago] seront applicables dans les conditions prévues par lesdites dispositions relativement à tout désaccord portant sur l’interprétation ou l’application de ladite Convention.»
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L’article 84 de la convention de Chicago, qui figure au chapitre XVIII dudit instrument, est ainsi libellé :
«Règlement des différends
Si un désaccord entre deux ou plusieurs Etats contractants à propos de l’interprétation ou de l’application de la présente Convention et de ses Annexes ne peut être réglé par voie de négociation, le Conseil statue à la requête de tout Etat impliqué dans ce désaccord. Aucun membre du Conseil ne peut voter lors de l’examen par le Conseil d’un différend auquel il est partie. Tout Etat contractant peut, sous réserve de l’article 85, appeler de la décision du Conseil à un tribunal d’arbitrage ad hoc établi en accord avec les autres parties au différend ou à la Cour permanente de Justice internationale. Un tel appel doit être notifié au Conseil dans les soixante jours à compter de la réception de la notification de la décision du Conseil.»
24. Le 19 mars 2018, Bahreïn, l’Egypte et les Emirats arabes unis, en qualité de défendeurs devant le Conseil de l’OACI, ont soulevé deux exceptions préliminaires. Par la première, ils soutenaient que le Conseil n’était pas compétent en vertu de l’accord de transit car le véritable problème en cause entre les Parties recouvrait des questions qui allaient au-delà du champ d’application de cet instrument, notamment celle de savoir si les restrictions visant l’aviation pouvaient être qualifiées de contre-mesures licites au regard du droit international. Par la seconde, ils avançaient que le Qatar n’avait pas respecté la condition préalable de négociation énoncée à la section 2 de l’article II de l’accord de transit, que l’on retrouve également à l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends, et, par conséquent, que le Conseil n’était pas compétent pour connaître des demandes du Qatar ou, à titre subsidiaire, que la requête n’était pas recevable.
25. Par une décision du 29 juin 2018, le Conseil de l’OACI a rejeté, par 18 voix contre 2 et 5 abstentions, ces exceptions préliminaires, qu’il a traitées comme une seule exception. Dans cette décision, le Conseil déclarait notamment ce qui suit :
«AYANT EXAMINÉ l’exception préliminaire des défendeurs, à savoir que le Conseil n’a pas compétence pour statuer sur les plaintes soulevées par le demandeur dans la requête B ou, à titre subsidiaire, que les plaintes du demandeur sont irrecevables ;
CONSIDÉRANT que la question dont était saisi le Conseil était d’accepter ou non l’exception préliminaire des défendeurs ;
AYANT À L’ESPRIT l’article 52 de la Convention de Chicago qui stipule que les décisions du Conseil sont prises à la majorité de ses membres et son application systématique de cette disposition à des cas antérieurs ;
AYANT REJETÉ une demande de l’un des défendeurs de revoir la majorité susmentionnée de 19 membres requise au sein du Conseil actuel pour la prise de décisions ;
DÉCIDE que l’exception préliminaire des défendeurs n’est pas acceptée.»
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26. Le 4 juillet 2018, les appelants ont soumis à la Cour une requête conjointe faisant appel de la décision rendue par le Conseil de l’OACI le 29 juin 2018. Avant d’examiner les trois moyens d’appel avancés contre cette décision, la Cour décrira la fonction d’appel que lui confère l’article 84 de la convention de Chicago ainsi que la portée du droit d’appel devant elle qui est prévu par cette disposition (incorporée par voie de référence à la section 2 de l’article II de l’accord de transit).
B. La fonction d’appel de la Cour et la portée du droit d’appel devant la Cour
27. L’appel soumis conjointement par les trois appelants en l’espèce a été formé au titre de la section 2 de l’article II de l’accord de transit, qui renvoie au chapitre XVIII de la convention de Chicago. Bahreïn, l’Egypte et les Emirats arabes unis sont parties à l’accord de transit depuis le 12 octobre 1971, le 13 mars 1947 et le 25 avril 1972, respectivement. Le Qatar y est partie depuis le 25 juin 2008. Bahreïn, l’Egypte et les Emirats arabes unis sont parties à la convention de Chicago depuis le 19 septembre 1971, le 12 avril 1947 et le 25 mai 1972, respectivement. Le Qatar y est partie depuis le 5 octobre 1971.
28. La section 2 de l’article II de l’accord de transit (dont le texte est reproduit au paragraphe 23 plus haut) confère compétence au Conseil de l’OACI pour statuer sur «un désaccord survenu entre deux ou plusieurs Etats contractants à propos de l’interprétation ou de l’application du[dit] … accord», si ce désaccord «ne peut être réglé par voie de négociation». Selon la convention de Chicago, à laquelle renvoie l’accord de transit, il est possible d’interjeter appel d’une décision du Conseil soit devant un tribunal d’arbitrage ad hoc établi par accord entre les parties à un différend, soit devant «la Cour permanente de Justice internationale». Aux termes de l’article 37 du Statut de la Cour internationale de Justice, «[l]orsqu’un traité ou une convention en vigueur prévoit le renvoi à … la Cour permanente de Justice internationale, la Cour internationale de Justice constituera cette juridiction entre les parties au présent Statut». Par le passé, la Cour a dit que
«[l]’effet de cet article … [étai]t que, entre les parties au Statut, la Cour internationale de Justice [étai]t substituée à la Cour permanente dans tout traité ou convention en vigueur prévoyant le renvoi à celle-ci» (Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 14, par. 34).
Par conséquent, en vertu de la section 2 de l’article II de l’accord de transit et de l’article 84 de la convention de Chicago, la Cour a compétence pour connaître d’un appel formé contre une décision du Conseil de l’OACI (voir Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 53, par. 15, et p. 60, par. 25).
29. La Cour relève que l’article 84 de la convention de Chicago (incorporé par voie de référence à la section 2 de l’article II de l’accord de transit) s’intitule «Règlement des différends» alors que c’est le terme «désaccord» qui est employé au début de cette disposition. Dans ce contexte, la Cour rappelle que sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale, a défini un différend comme «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes» (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11).
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30. Les appelants contestent une décision rendue par le Conseil de l’OACI sur les exceptions préliminaires qu’ils avaient soulevées dans l’instance portée devant lui. Le libellé de l’article 84 ne précise pas si seules sont susceptibles d’appel les décisions définitives du Conseil sur le fond des différends portés devant lui. La Cour a réglé cette question dans le cadre du premier appel formé devant elle contre une décision de cet organe (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 46). Précisant son rôle dans l’exercice de la fonction d’appel que lui attribuent la convention de Chicago et l’accord de transit, la Cour a indiqué que ces instruments la
«f[aisaie]nt contribuer … au bon fonctionnement de l’O[ACI] ; la première garantie pour le Conseil [étai]t donc de savoir qu’un contrôle [étai]t possible pour vérifier si une décision prise sur sa propre compétence [étai]t ou non conforme aux dispositions des traités qui gouvern[ai]ent son action» (ibid., p. 60-61, par. 26, les italiques sont de la Cour).
Ainsi que la Cour l’a expliqué, «permettre à un organe international de connaître du fond d’un différend tant que sa compétence pour ce faire n’est pas établie, et est même effectivement contestée, serait contraire aux normes reconnues d’une bonne administration de la justice» (ibid., p. 57, par. 18 e)).
La Cour en a conclu que
«l’appel doit donc être recevable contre une décision du Conseil sur sa propre juridiction puisque, du point de vue du contrôle de la légalité de l’action du Conseil par [elle-même], rien ne permet de distinguer le contrôle de la compétence et le contrôle du fond» (ibid., p. 61, par. 26).
31. S’appuyant sur ces prononcés de la Cour, les appelants ont formé leur appel conjoint en soulignant que l’article 84 de la convention de Chicago et la section 2 de l’article II de l’accord de transit couvraient les recours contre des décisions rendues par le Conseil de l’OACI sur des exceptions préliminaires soulevées à l’égard de sa compétence.
32. Le Qatar reconnaît expressément le droit que les appelants tiennent de la section 2 de l’article II de l’accord de transit d’interjeter appel de la décision prise par le Conseil de l’OACI sur sa compétence.
33. Compte tenu de ce qui précède, la Cour tient pour établi qu’elle a compétence pour connaître du présent appel. Elle note cependant que les appelants et le Qatar sont en désaccord sur la portée du droit d’appel.
34. Les appelants considèrent qu’un appel au titre de la section 2 de l’article II de l’accord de transit couvre les «griefs d’ordre procédural». Ils affirment qu’ils avaient droit à une procédure régulière devant le Conseil de l’OACI, et disent en avoir été privés. L’absence alléguée de procédure régulière devant le Conseil constitue leur premier moyen d’appel.
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35. Le Qatar, tout en niant que des irrégularités procédurales aient été commises au cours de la procédure devant le Conseil de l’OACI, invite la Cour à refuser d’exercer son pouvoir de contrôle à l’égard de ces irrégularités alléguées. Selon lui, non seulement celles-ci n’ont jamais existé, mais elles seraient en outre dénuées de pertinence pour la question juridique objective qui se pose à la Cour : celle de savoir si le Conseil est compétent pour examiner et juger les demandes dont le Qatar l’a saisi au titre de l’accord de transit.
36. La Cour rappelle qu’elle a pour rôle, lorsqu’elle contrôle l’exercice par le Conseil de l’OACI des fonctions de règlement des différends que lui confère l’article 84 de la convention de Chicago (incorporé par voie de référence à la section 2 de l’article II de l’accord de transit), de s’assurer que la décision attaquée est correcte. Sa tâche en l’espèce est de dire si le Conseil a commis une erreur en rejetant les exceptions préliminaires soulevées par les appelants à l’égard de sa compétence et à l’égard de la recevabilité de la requête du Qatar.
II. LES MOYENS D’APPEL
37. Les appelants invoquent trois moyens d’appel contre la décision du Conseil de l’OACI en date du 29 juin 2018. Par le premier, ils soutiennent que cette décision «doit être infirmée au motif que la procédure suivie par le Conseil … a manifestement été entachée d’irrégularités et conduite en méconnaissance des principes fondamentaux que sont la régularité de la procédure et le respect du droit d’être entendu».
38. Comme deuxième moyen d’appel, les appelants affirment que le Conseil de l’OACI «a commis une erreur de fait et de droit en rejetant la première exception préliminaire … à sa compétence». Ils font valoir que, pour se prononcer sur le différend, le Conseil aurait à statuer sur des questions ne relevant pas de sa compétence, plus précisément sur la licéité des contre-mesures, dont «certaines restrictions visant l’espace aérien», adoptées par les appelants. A titre subsidiaire, et pour les mêmes motifs, ils soutiennent que les demandes du Qatar sont irrecevables.
39. Comme troisième moyen d’appel, les appelants avancent que le Conseil de l’OACI a commis une erreur en rejetant leur seconde exception préliminaire. A l’appui de cette exception, ils affirmaient que le Qatar n’avait pas satisfait à la condition préalable de négociation énoncée à la section 2 de l’article II de l’accord de transit et que, par conséquent, le Conseil n’avait pas compétence. A titre subsidiaire, ils soutenaient également que les demandes du Qatar étaient irrecevables car celui-ci n’avait pas respecté l’exigence procédurale énoncée à l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends.
40. Bien que tel soit l’ordre dans lequel les appelants ont invoqué leurs trois moyens d’appel, la Cour n’est pas tenue de le suivre. Aussi commencera-t-elle par analyser les moyens fondés sur les erreurs qu’aurait commises le Conseil de l’OACI en rejetant les exceptions des appelants. Ensuite, la Cour examinera le moyen fondé sur l’allégation d’absence manifeste de procédure régulière devant le Conseil.
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A. Le deuxième moyen d’appel : rejet par le Conseil de l’OACI de la première exception préliminaire
1. Question de savoir si le différend entre les Parties concerne l’interprétation ou l’application de l’accord de transit
41. Comme il a été dit plus haut, les appelants fondent leur deuxième moyen d’appel sur la première exception préliminaire qu’ils ont soulevée en qualité de défendeurs devant le Conseil de l’OACI. Par cette exception, ils faisaient valoir que leurs actes, y compris, en particulier, les restrictions visant l’aviation, formaient un ensemble de mesures «adoptées en réaction aux manquements multiples, graves et persistants du Qatar à ses obligations internationales liées à des aspects essentiels de [leur] sûreté et constitu[aient] des contre-mesures légitimes autorisées par le droit international général». Ils avançaient que la compétence conférée au Conseil par la section 2 de l’article II de l’accord de transit était limitée aux désaccords opposant deux ou plusieurs Etats à propos de l’interprétation ou de l’application dudit accord, et que, par conséquent, le Conseil n’était pas compétent pour trancher la question de savoir si le Qatar avait manqué à ses autres obligations au regard du droit international, notamment à des obligations découlant des accords de Riyad.
42. Selon les appelants, statuer sur les demandes du Qatar dont il était saisi exigerait nécessairement du Conseil de l’OACI qu’il se prononce sur des questions relevant du différend plus large entre les Parties, notamment celle de savoir si le Qatar avait manqué à ses obligations de lutte contre le terrorisme et à son obligation internationale en matière de non-ingérence dans les affaires intérieures des appelants, questions qui échappent au champ d’application de l’accord de transit. Les appelants plaident que le différend restreint lié aux fermetures de l’espace aérien ne peut être séparé de ces questions plus larges, et que la légalité desdites fermetures ne peut être appréciée isolément.
43. Les appelants affirment que le Conseil de l’OACI n’a pas compétence parce que le véritable problème en cause entre les Parties ne peut être circonscrit à des questions relevant de sa compétence limitée. Ils soutiennent que, compte tenu du rôle de l’OACI en tant qu’institution spécialisée des Nations Unies exerçant des fonctions dans le domaine de l’aviation civile, la compétence que son Conseil tient de la section 2 de l’article II de l’accord de transit ne s’étend qu’au règlement des désaccords à propos de l’interprétation ou de l’application dudit accord. Les appelants affirment par conséquent que le Conseil, avant de se déclarer compétent, aurait dû cerner et définir juridiquement l’objet du différend dont il était saisi, puis rechercher si, au regard de la section 2 de l’article II de l’accord de transit, ce différend relevait de sa compétence ratione materiae. Selon eux, le véritable problème en cause entre les Parties concerne «le fait que le Qatar manque depuis longtemps déjà à d’autres obligations juridiques internationales, indépendamment de l’accord de transit». Les appelants qualifient les mesures qu’ils ont prises de contre-mesures licites, y compris les restrictions visant l’aviation qui font l’objet de la demande du Qatar. Ils soutiennent qu’aucune de ces questions ⎯ c’est-à-dire celles concernant les manquements allégués du Qatar à ses obligations internationales et les contre-mesures qu’eux-mêmes ont prises en réponse ⎯ ne relève de la compétence ratione materiae conférée au Conseil par la section 2 de l’article II de l’accord de transit. C’est pourquoi ils prient la Cour de dire que le Conseil n’a pas compétence pour connaître de la requête du Qatar dont il a été saisi.
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44. Devant le Conseil de l’OACI, le Qatar avançait que les questions touchant aux contre-mesures et à leur licéité relevaient du fond de l’affaire, et que le Conseil n’avait pas à s’y intéresser pour établir sa compétence. Il invoquait, à ce propos, l’arrêt de la Cour en l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan) (arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 46), dans lequel, selon lui, «[t]ous les arguments avancés par les défendeurs [avaie]nt déjà été rejetés … , abstraction faite de la question des négociations».
45. Devant la Cour, le Qatar fait valoir que le Conseil de l’OACI a compétence pour statuer en l’affaire pour autant qu’il existe, entre les Parties, un quelconque désaccord à propos de l’interprétation ou de l’application de l’accord de transit qui ne peut être réglé par voie de négociation. Selon lui, rien dans cet accord ni dans le Règlement de l’OACI pour la solution des différends ne fixe d’autre limite à la compétence du Conseil, ou ne circonscrit celle-ci d’une quelconque autre manière. Le Qatar soutient que les demandes dont il a saisi le Conseil portent sur l’interprétation ou l’application de l’accord de transit et que c’est donc à raison que le Conseil a rejeté la première exception préliminaire. Il maintient que le Conseil est compétent pour connaître de sa requête même si les appelants invoquent en défense des questions qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’accord de transit ou si le différend en cause est né dans le cadre d’un différend plus large entre les Parties.
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46. La Cour doit d’abord déterminer si le différend dont le Qatar a saisi le Conseil de l’OACI est un désaccord entre cet Etat et les appelants à propos de l’interprétation ou de l’application de l’accord de transit. Aux termes de la section 2 de l’article II de celui-ci, la compétence ratione materiae du Conseil est circonscrite à ce type de désaccord. Comme l’a expliqué la Cour en 1972, un désaccord porte sur l’interprétation ou l’application de l’accord de transit si, «pour en vérifier le bien-fondé, le Conseil [est] inévitablement amené à interpréter ou à appliquer [ledit accord] et à s’occuper ainsi de matières relevant indubitablement de sa compétence» (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 66, par. 36).
47. Dans la requête et le mémoire qu’il a soumis au Conseil de l’OACI le 30 octobre 2017, le Qatar demandait à cet organe «d’établir que, par les mesures prises à [son] encontre, les défendeurs [avaient] contrevenu à leurs obligations au titre de l’accord relatif au transit des services aériens internationaux». Il priait également le Conseil «de déplorer le non-respect par les défendeurs des principes fondamentaux [dudit accord]». Il lui demandait, par conséquent, de prier instamment les défendeurs «de lever, sans délai, toutes les restrictions imposées aux aéronefs immatriculés au Qatar et de se conformer à leurs obligations au titre de l’accord relatif au transit des services aériens internationaux» et «de négocier de bonne foi en vue d’une coopération future harmonieuse dans la région afin de préserver la sécurité, la sûreté, la régularité et l’économie de l’aviation civile internationale». Dans son mémoire, le Qatar indiquait que les parties à l’accord de transit se reconnaissaient mutuellement «dans le cadre des services aériens internationaux réguliers … le droit de traverser [leur] territoire sans atterrir [et] le droit d’atterrir pour des raisons non commerciales». Il ajoutait que, «[p]ar leurs actions qui dur[ai]ent depuis le 5 juin 2017, les défendeurs bafou[ai]ent la lettre et l’esprit de l’accord relatif au transit des services aériens internationaux» et «manqu[ai]ent de manière flagrante aux obligations qui leur incomb[ai]ent au titre de cet accord».
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48. La Cour estime que le désaccord entre les Parties soumis au Conseil de l’OACI concerne l’interprétation et à l’application de l’accord de transit, et qu’il relève par conséquent du champ d’application de la section 2 de l’article II dudit accord. Le seul fait que ce désaccord soit apparu dans un contexte plus large ne prive pas le Conseil de la compétence qu’il tient de ladite disposition. Comme l’a fait observer la Cour par le passé, «les différends juridiques entre Etats souverains ont, par leur nature même, toutes chances de surgir dans des contextes politiques et ne représentent souvent qu’un élément d’un différend politique plus vaste et existant de longue date entre les Etats concernés» (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 20, par. 37 ; voir aussi Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 23, par. 36).
49. La Cour ne saurait davantage souscrire à la thèse selon laquelle le Conseil de l’OACI n’aurait pas compétence pour connaître des demandes du Qatar parce que les appelants qualifient de contre-mesures licites les restrictions visant l’aviation qu’ils ont imposées aux aéronefs d’immatriculation qatarienne. Les contre-mesures font partie des circonstances susceptibles d’exclure l’illicéité d’un acte qui serait autrement illicite au regard du droit international, et sont parfois invoquées comme moyen de défense (voir Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 55, par. 82). La perspective qu’un défendeur invoque le recours aux contre-mesures comme moyen de défense dans une procédure sur le fond devant le Conseil de l’OACI n’a pas, en soi, une quelconque incidence sur la compétence de ce dernier telle qu’elle est limitée par les termes de la section 2 de l’article II de l’accord de transit. Comme l’a déclaré la Cour lorsqu’elle a examiné un appel formé contre une décision du Conseil en 1972 :
«Le fait qu’une défense au fond se présente d’une certaine manière ne peut porter atteinte à la compétence du tribunal ou de tout autre organe en cause ; sinon les parties seraient en mesure de déterminer elles-mêmes cette compétence, ce qui serait inadmissible. Comme on l’a déjà vu pour la compétence de la Cour, la compétence du Conseil dépend nécessairement du caractère du litige soumis au Conseil et des points soulevés, mais non pas des moyens de défense au fond ou d’autres considérations qui ne deviendraient pertinentes qu’une fois tranchés les problèmes juridictionnels.» (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 61, par. 27.)
50. Ce raisonnement s’applique également en l’espèce. La Cour conclut par conséquent que le Conseil de l’OACI n’a pas commis d’erreur en rejetant, s’agissant de sa compétence, la première exception préliminaire dont il était saisi par les appelants.
2. Question de savoir si les demandes du Qatar sont irrecevables pour des raisons liées au principe d’«opportunité judiciaire»
51. Devant le Conseil de l’OACI, les défendeurs faisaient valoir, à titre subsidiaire, que les demandes du Qatar étaient irrecevables. S’ils évoquaient les «principes généraux concernant la recevabilité», ils n’avançaient cependant aucun argument précis pour fonder leur exception subsidiaire d’irrecevabilité, se contentant de reprendre ceux invoqués à l’appui de leur exception d’incompétence. Ils affirmaient que la distinction entre les exceptions d’incompétence du Conseil et les exceptions d’irrecevabilité des demandes du Qatar «n’importait pas aux fins de la fonction du Conseil car ces deux catégories d’exception étaient couvertes par le libellé du paragraphe 1 de l’article 5» du Règlement de l’OACI pour la solution des différends.
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52. Devant la Cour, les appelants font valoir que, si l’affaire devait se poursuivre au fond dans sa forme actuelle, le Conseil de l’OACI aurait deux possibilités. Premièrement, il pourrait trancher les questions liées au caractère licite ou non, en tant que contre-mesures, des restrictions visant l’aviation, en particulier celle de savoir si le Qatar manque à ses obligations internationales dans d’autres domaines que l’aviation civile. Cela supposerait cependant que les appelants fassent valoir le moyen de défense qu’ils tirent du recours aux contre-mesures devant un organe qui, selon eux, n’a pas les moyens voulus pour statuer sur de telles questions. Deuxièmement, le Conseil pourrait refuser d’examiner la ligne de défense fondée sur les contre-mesures, mais il serait alors dans l’incapacité de trancher l’ensemble des questions portées devant lui. Selon les appelants, le Conseil aurait alors tort de ne trancher qu’une partie du différend, en ne tenant pas compte de celle qui est précisément «essentielle» à leur défense.
Les appelants soutiennent que la requête du Qatar devant le Conseil est irrecevable dans la mesure où ce dernier, pour statuer sur les demandes qu’elle contient, devrait nécessairement trancher des questions à l’égard desquelles il n’a pas compétence. Procéder ainsi serait incompatible avec le fondement consensuel de la compétence et, par suite, avec le principe d’«opportunité judiciaire» et avec la fonction «judiciaire» que la section 2 de l’article II de l’accord de transit confère au Conseil.
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53. Dans ses exposés devant le Conseil de l’OACI, le Qatar soutenait que le Règlement de l’OACI pour la solution des différends n’autorisait pas la présentation d’exceptions préliminaires d’irrecevabilité. Il priait instamment le Conseil de ne pas se prononcer sur la recevabilité au stade des exceptions préliminaires, tout en reconnaissant que rien n’empêchait les défendeurs de soumettre des observations sur ce point dans leurs contre-mémoires sur le fond.
54. Devant la Cour, le Qatar soutient que l’argument avancé par les appelants «à titre subsidiaire» n’est pas réellement «subsidiaire», mais constitue, «à l’évidence, une nouvelle version» de leur exception d’incompétence. Il relève que les appelants affirment que le Conseil de l’OACI, s’il devait se prononcer sur le moyen de défense qu’ils tirent du recours aux contre-mesures, «statuerait» en dehors des prévisions de la section 2 de l’article II de l’accord de transit sans qu’ils y aient consenti. Le Qatar fait valoir qu’aucune des «circonstances exceptionnelles» qui ont donné naissance à la doctrine de l’«opportunité judiciaire» dans la jurisprudence de la Cour n’est présente dans l’affaire dont le Conseil a été saisi. Il estime que ce serait bafouer le principe d’«opportunité judiciaire» que d’accueillir la thèse des appelants car le Conseil n’exercerait alors pas ses pouvoirs «dans leur plénitude».
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55. Dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), la Cour a été amenée à examiner une exception préliminaire présentée à la fois comme une exception d’incompétence et comme une exception d’irrecevabilité (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 456, par. 120). Elle a alors rappelé qu’une «distinction entre ces deux catégories d’exceptions [était] bien établie dans [sa] pratique» (ibid.). Une exception préliminaire, lorsqu’elle est retenue, a le même effet qu’elle vise la compétence ou la recevabilité : elle met fin à la procédure en ce qui concerne la demande en question. La compétence ayant un fondement consensuel, une exception d’incompétence portera le plus souvent sur la question de savoir si un tel consentement a été donné par l’Etat objectant, ou si la demande entre dans le cadre du consentement accordé, ou encore si les conditions de ce consentement sont réunies. Quant aux exceptions d’irrecevabilité, la Cour a expliqué qu’elles
«reviennent à affirmer qu’il existe une raison juridique pour laquelle la Cour, même si elle a compétence, devrait refuser de connaître de l’affaire ou, plus communément, d’une demande spécifique y relative. Souvent, cette raison est d’une nature telle que la question doit être tranchée in limine litis» (ibid. ; voir aussi Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 177, par. 29).
56. L’article 5 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends, approuvé par le Conseil le 9 avril 1957, s’intitule «Exception préliminaire et suite qu’elle comporte». Il dispose en son premier paragraphe que «[l]e défendeur qui excipe de l’incompétence du Conseil à connaître de l’affaire soumise par le demandeur doit soulever une exception préliminaire motivée» (les italiques sont de la Cour). Cette disposition ne mentionne pas expressément les exceptions préliminaires d’irrecevabilité. Cependant, le Règlement de l’OACI pour la solution des différends a été rédigé sur le modèle du Règlement de la Cour, dans sa version de 1946 qui ne mentionne pas non plus expressément les exceptions préliminaires d’irrecevabilité. Cette absence de disposition spécifique n’a pas empêché la Cour, avant la modification de son Règlement en 1972, de traiter des exceptions d’irrecevabilité à titre préliminaire (par exemple dans l’affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 6). De la même manière, l’article 5 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends ne fait pas obstacle à l’examen par le Conseil, à titre préliminaire, d’une exception d’irrecevabilité de la demande.
57. La Cour est d’avis que si, dans une procédure devant le Conseil de l’OACI, une partie soulève une exception préliminaire d’irrecevabilité d’une demande, cette exception devrait également être tranchée in limine litis, à moins qu’elle n’ait pas un caractère exclusivement préliminaire. En d’autres termes, cette exception devrait être examinée et tranchée à un stade préliminaire à moins qu’elle ne soit si étroitement liée au fond de l’affaire dont le Conseil est saisi qu’il serait impossible à celui-ci de l’examiner sans statuer, du moins jusqu’à un certain point, sur des aspects qui relèvent à proprement parler du fond (voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 459, par. 127). La seule autre situation dans laquelle le Conseil pourrait surseoir à statuer sur une exception préliminaire d’irrecevabilité en la joignant au fond serait celle où il ne disposerait pas de tous les éléments nécessaires pour se prononcer sur la question soulevée. La Cour estime qu’en l’espèce, aucune de ces deux situations ne s’est rencontrée dans le cadre de la procédure devant le Conseil.
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58. Le Conseil de l’OACI avait pleinement connaissance de l’exception d’irrecevabilité soulevée par les défendeurs dans l’instance portée devant lui. De fait, ceux-ci ont fait valoir à l’audience que le libellé du paragraphe 1 de l’article 5 couvrait à la fois les exceptions d’incompétence et celles d’irrecevabilité. Le Conseil a bien voté sur l’exception préliminaire comme étant celle soulevée «relativement à l’interprétation et à l’application de l’accord de transit» et a décidé à la majorité qu’elle «n’[était] pas acceptée». Il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité de la requête du Qatar a été rejetée.
59. La question qui se pose à la Cour est celle de savoir si la décision du Conseil de l’OACI de rejeter cette exception préliminaire s’agissant de la recevabilité des demandes du Qatar était correcte. En d’autres termes, la Cour doit s’assurer que les demandes présentées au Conseil sont recevables.
60. La Cour relève qu’il est difficile d’appliquer le concept d’«opportunité judiciaire» au Conseil de l’OACI. Celui-ci est un organe permanent responsable devant l’assemblée de l’OACI, composé de représentants désignés par les Etats contractants élus par ladite assemblée, et non de membres indépendants agissant à titre personnel, ce qui caractérise un organe judiciaire. En plus de ses fonctions d’organe exécutif et administratif définies aux articles 54 et 55 de la convention de Chicago, il a été investi, par l’article 84, d’une fonction de règlement des désaccords opposant deux ou plusieurs Etats contractants à propos de l’interprétation ou de l’application de la convention et de ses annexes. Cependant, le Conseil de l’OACI n’en devient pas pour autant une institution judiciaire au sens propre du terme.
61. En tout état de cause, l’intégrité de la fonction de règlement des différends du Conseil de l’OACI ne serait pas compromise si celui-ci examinait des questions étrangères à l’aviation civile à la seule fin de statuer sur un différend à l’égard duquel il est compétent en vertu de la section 2 de l’article II de l’accord de transit. La possibilité que le Conseil soit appelé à examiner des questions ne relevant pas du champ d’application de l’accord à la seule fin de régler un désaccord relatif à l’interprétation ou à l’application dudit accord ne rendrait donc pas pour autant irrecevable la requête par laquelle il a été saisi de ce désaccord.
62. La Cour conclut par conséquent que le Conseil de l’OACI n’a pas commis d’erreur en rejetant la première exception préliminaire en tant qu’elle affirmait l’irrecevabilité des demandes du Qatar.
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63. Eu égard à ce qui précède, le deuxième moyen d’appel ne peut être accueilli.
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B. Le troisième moyen d’appel : rejet par le Conseil de l’OACI de la seconde exception préliminaire
64. Comme troisième moyen d’appel, les appelants affirment que le Conseil de l’OACI a commis une erreur en rejetant la seconde exception préliminaire qu’ils avaient soulevée devant lui en tant que défendeurs, par laquelle ils contestaient sa compétence au motif que le Qatar n’avait pas satisfait à la condition préalable de négociation figurant à la section 2 de l’article II de l’accord de transit, ainsi que la recevabilité de la requête portée devant lui au motif qu’elle n’était pas conforme à l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends.
1. Le non-respect allégué de la condition préalable de négociation requise du Qatar pour saisir le Conseil de l’OACI
65. La section 2 de l’article II de l’accord de transit dispose que, «[s]i un désaccord ... ne peut être réglé par voie de négociation, les dispositions du chapitre XVIII de la Convention [de Chicago] seront applicables dans les conditions prévues par lesdites dispositions relativement à tout désaccord portant sur l’interprétation ou l’application de ladite Convention». Devant le Conseil de l’OACI, les défendeurs soutenaient que l’existence de négociations antérieures constituait une condition préalable à l’introduction d’une requête au titre de l’article 84 de la convention de Chicago (incorporé par voie de référence à la section 2 de l’article II de l’accord de transit). Selon eux, le Conseil n’avait pas compétence, le Qatar n’ayant pas satisfait à cette condition préalable. En appel devant la Cour, les appelants arguent que le Conseil a rejeté à tort cette exception d’incompétence.
66. Les appelants rappellent que la Cour, dans des affaires précédentes, a lu une condition préalable de négociation dans des clauses compromissoires de traités qui étaient analogues à la section 2 de l’article II de l’accord de transit. Ils estiment que cette jurisprudence peut être appliquée à la condition préalable de négociation énoncée à la section 2 de l’article II.
67. Se référant à l’arrêt de la Cour sur les exceptions préliminaires en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), les appelants avancent que, pour qu’il soit satisfait à une condition préalable de négociation, il faut, «à tout le moins, que l’une des parties tente vraiment d’ouvrir le débat avec l’autre partie en vue de régler le différend» (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 132, par. 157). Ils soutiennent qu’une véritable tentative de négocier doit être davantage qu’un appel à dialoguer d’ordre général. Elle doit concerner l’objet du différend, qui doit se rapporter aux obligations de fond prévues par l’instrument en question. Les appelants affirment aussi que, lorsqu’il y a eu tentative ou début de négociations, la condition préalable de tenir de telles négociations n’est remplie que si celles-ci sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse.
68. Les appelants réfutent l’argument subsidiaire du Qatar selon lequel celui-ci n’était même pas tenu de tenter de négocier étant donné qu’une telle tentative aurait été inutile (voir plus loin paragraphe 87). Ils rétorquent qu’une condition préalable de négociation ne peut jamais être remplie «s’il n’y a pas d’abord une «véritable tentative» de négocier, quand bien même la partie concernée estimerait cette tentative inutile».
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69. Les appelants soutiennent que le Qatar, avant de porter le désaccord devant le Conseil de l’OACI, n’a pas véritablement tenté d’engager des négociations au sujet de l’objet spécifique des demandes qu’il fonde sur l’accord de transit.
70. Les appelants rappellent qu’une séance extraordinaire a été tenue le 31 juillet 2017 par le Conseil de l’OACI, à la demande du Qatar, en application de l’alinéa n) de l’article 54 de la convention de Chicago qui dispose que «[l]e Conseil doit ... examiner toute question relative à la Convention dont il est saisi par un Etat contractant». A propos de cette séance extraordinaire, ils soutiennent que «le Qatar n’a jamais indiqué qu’il entendait mener des négociations au sujet des griefs qu’il a ensuite portés devant le Conseil au titre de la section 2 de l’article II de l’accord de transit ; pareilles négociations n’ont jamais eu lieu». Ils arguent également que les efforts menés par le Qatar dans l’enceinte de l’OACI ne suffisaient pas pour que la condition préalable de négociation fût réputée remplie, puisque le Qatar avait adressé ses communications au président du Conseil ou à la secrétaire générale de l’organisation, et non à eux-mêmes. D’après les appelants, aucune des discussions et réunions intervenues au sein du Conseil de l’OACI ne se rapportait à des «questions concernant l’interprétation et l’application de l’accord de transit … qui, selon le Qatar, constitu[ai]ent l’objet du désaccord entre les Parties». Au contraire, ces débats étaient circonscrits aux questions relatives à la sécurité de l’aviation et aux routes d’exception et n’ont pas porté sur la question du différend soumis en vertu de la section 2 de l’article II.
71. Les appelants démentent également l’assertion du Qatar, selon lequel ses tentatives de régler le différend par le truchement d’Etats tiers constituaient une véritable tentative de négocier, relevant qu’«aucune des demandes ou des déclarations en question n[e leur] était adressée», que «toutes étaient formulées en termes généraux, et [que] toute référence aux obligations de fond spécifiques imposées par l’accord de transit en était absente».
72. Les appelants soutiennent en outre que le fait que le Qatar ait sollicité des consultations sous les auspices de l’Organisation mondiale du commerce (ci-après l’«OMC») ne constituait pas une véritable tentative de négocier, puisque cette demande se rapportait à des manquements allégués, de leur part, à des obligations relevant de l’OMC, et n’était donc pas pertinente au regard de manquements allégués à des obligations contenues dans l’accord de transit.
73. De plus, les appelants sont en désaccord avec le Qatar sur la question de savoir si une conversation téléphonique en date du 8 septembre 2017 entre l’émir du Qatar et le prince héritier d’Arabie saoudite constituait une véritable tentative de négocier. Selon eux, cet entretien téléphonique portait sur le différend plus large opposant les Parties, et non pas sur des manquements allégués à des obligations découlant l’accord de transit. Les appelants soulignent également que l’Arabie saoudite n’était pas partie à la procédure concernant l’accord de transit.
74. Pour ce qui est de l’argument que tire le Qatar de déclarations faites par ses représentants à la presse et devant des organes de l’Organisation des Nations Unies, les appelants soutiennent qu’aucune de ces déclarations ne témoigne d’une véritable tentative de négocier. Elles ne leur étaient pas adressées et ne traitaient pas de l’objet spécifique des demandes que le Qatar fonde sur l’accord de transit.
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75. Le Qatar répond que le Conseil de l’OACI n’a pas commis d’erreur en rejetant l’exception préliminaire soulevée par les défendeurs devant lui relativement à la condition préalable de négociation.
76. Le Qatar s’accorde avec les appelants pour dire qu’une condition préalable de négociation exige normalement d’un demandeur potentiel qu’il fasse une véritable tentative de négocier, et que cette condition n’est remplie qu’une fois que les négociations sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse. Il reconnaît également que les négociations doivent concerner l’objet du différend, qui doit se rapporter aux obligations de fond prévues par l’instrument en question. Le Qatar souligne qu’aucune forme ou procédure particulière n’est requise en ce qui concerne les négociations, qui peuvent, selon lui, avoir lieu dans l’enceinte d’une organisation internationale.
77. S’agissant des Parties en cause et des instruments invoqués, le Qatar a déclaré, dans sa réponse au sujet des exceptions préliminaires soulevées devant le Conseil de l’OACI, que bien que l’Arabie saoudite ne fût pas partie à l’instance introduite sur le fondement de l’accord de transit, les mesures communes relatives aux restrictions visant l’aviation avaient été prises par les quatre Etats, agissant de concert, et appliquées dans des domaines relevant à la fois de la convention de Chicago et de l’accord de transit. Il a ajouté que, «[a]ux fins des négociations ou des tentatives de négociation [qu’il avait entreprises], il n’a[vait] pas toujours été possible en pratique d’établir une distinction entre [les Etats] parties à la Convention de Chicago d’une part et ceux parties à l’[accord de transit] d’autre part».
78. Le Qatar soutient avoir véritablement tenté de négocier dans l’enceinte de l’OACI, dès le 5 juin 2017, jour où ont été introduites les restrictions visant l’aviation. Il renvoie à sa lettre du 8 juin 2017 par laquelle il demandait au président du Conseil de l’OACI de procéder d’urgence à un examen au titre de l’alinéa n) de l’article 54 de la convention de Chicago, en se référant aux violations de l’accord de transit dont il faisait grief aux appelants. Dans une lettre en date du 13 juin 2017, le Qatar informait la secrétaire générale de l’OACI qu’il présenterait «une requête formelle afin de prier le Conseil d’examiner une plainte en application de la section 2 de l’article II de l’accord de transit».
79. Le Qatar renvoie également à des échanges qui ont eu lieu pendant la séance extraordinaire du Conseil de l’OACI du 31 juillet 2017, au cours de laquelle il a sollicité que les appelants «lèvent le blocus aérien injuste qu[’ils] lui [avaient] imposé», notant que les «mesures … [constituaient une] «violation flagrante de toutes les règles internationales pertinentes de l’OACI, ainsi que des instruments pertinents de l’OACI auxquels ils [étaient] parties»». Il a prié le Conseil de l’OACI de «demander instamment aux Etats membres ayant imposé le blocus qui étaient parties contractantes à l’accord de transit de 1944 de se conformer de bonne foi à leurs obligations concernant la liberté de survol prévue dans cet instrument multilatéral».
80. Le Qatar fait valoir que les appelants ont systématiquement refusé de discuter des restrictions visant l’aviation dans l’enceinte de l’OACI, comme le démontre l’opposition qu’ils ont manifestée en ce sens à la 211e session du Conseil tenue le 23 juin 2017. Il souligne que, dans leur document de travail du 19 juillet 2017, les appelants ont exhorté le Conseil à limiter tout débat conduit en application de l’alinéa n) de l’article 54 aux questions ayant trait à la sécurité de
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l’aviation civile internationale. Il invoque également la déclaration par laquelle les Emirats arabes unis, à la séance extraordinaire du 31 juillet 2017, ont réaffirmé cette position au nom de tous les appelants. Selon le Qatar, si la séance extraordinaire n’a porté que sur la sécurité de l’aviation et les routes d’exception, c’est en raison du refus des appelants de négocier au sujet des restrictions visant l’aviation.
81. Le Qatar affirme aussi qu’il a tenté de négocier avec les appelants en dehors de l’enceinte de l’OACI. Il soutient ainsi avoir cherché à «régler le différend via l’intervention d’Etats tiers», se référant à cet égard à des contacts avec l’émir du Koweït ainsi qu’avec le président et le secrétaire d’Etat américains. Selon lui, les appelants n’ont donné suite à aucune de ces actions.
82. Le Qatar déclare également avoir tenté de négocier au sujet des restrictions visant l’aviation sous les auspices de l’OMC, en adressant le 31 juillet 2017 une demande de consultations à l’Arabie saoudite, à Bahreïn et aux Emirats arabes unis. Selon lui, ces trois Etats ont refusé d’entamer des consultations.
83. En outre, le Qatar soutient avoir entrepris une véritable tentative de négocier le 8 septembre 2017, date à laquelle son émir, à la suite des bons offices du président des Etats-Unis d’Amérique, a eu une conversation téléphonique avec le prince héritier d’Arabie saoudite. Il indique que, immédiatement après cet appel téléphonique, l’Arabie saoudite a suspendu tout dialogue ou communication avec les autorités qatariennes.
84. Le Qatar affirme également que des déclarations faites par ses représentants devant des organes des Nations Unies témoignaient d’une volonté de négocier avec les appelants au sujet de l’ensemble du différend, y compris les restrictions visant l’aviation.
85. Le Qatar prétend que les appelants ont exprimé leur refus de négocier dans des déclarations. Il se réfère à un article de presse selon lequel le ministre d’Etat aux affaires étrangères des Emirats arabes unis a déclaré le 7 juin 2017 qu’il n’y avait «rien à négocier» avec le Qatar. Il cite aussi d’autres articles de presse rapportant que les appelants ont formulé le 22 juin 2017 un ensemble de 13 exigences, décrites par le ministre saoudien des affaires étrangères comme étant «non négociables».
86. Pour les raisons qui précèdent, le Qatar maintient qu’il a véritablement tenté de négocier et que toute nouvelle tentative en ce sens aurait été inutile.
87. Tout en soutenant qu’il a véritablement tenté de négocier avec les appelants, le Qatar fait valoir, subsidiairement, qu’un Etat n’est pas tenu de tenter de négocier avant d’introduire une requête si le défendeur potentiel a fait montre d’une absence totale de volonté de négocier, rendant inutile toute tentative en ce sens. Il invoque à cet égard l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran) (arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 27, par. 51), dans lequel la Cour a selon lui «considéré que le fait que «le Gouvernement de l’Iran [ait] refusé toute discussion» malgré les protestations des Etats-Unis suffisait à satisfaire à l’obligation de négociation» applicable dans cette affaire.
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Le Qatar affirme que les appelants ont fait montre d’une absence totale de volonté de négocier et que toute tentative en ce sens aurait été vaine. Selon lui, point n’est besoin pour la Cour de déterminer s’il a entrepris une véritable tentative de négocier au sujet du désaccord relevant de la section 2 de l’article II de l’accord de transit.
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88. La Cour relève que la section 2 de l’article II de l’accord de transit renvoie au chapitre XVIII de la convention de Chicago, intitulé «Différends et manquements». Ce chapitre prévoit une procédure de règlement des différends en cas de désaccord à propos de l’interprétation ou de l’application de la convention ou de ses annexes. Il s’ensuit que les désaccords relatifs à l’interprétation ou à l’application de l’accord de transit doivent être réglés au moyen de la procédure établie au chapitre XVIII de la convention de Chicago. La section 2 de l’article II de l’accord de transit précise en outre que les désaccords pouvant être soumis à cette procédure, qui fait intervenir le Conseil de l’OACI, sont seulement ceux qui «ne peu[vent] être réglé[s] par voie de négociation». La Cour note également que l’article 14 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends autorise le Conseil à inviter les parties à un différend à négocier directement.
89. La référence, à la section 2 de l’article II de l’accord de transit, à un désaccord qui «ne peut être réglé par voie de négociation» rappelle le libellé des clauses compromissoires de plusieurs autres traités. La Cour a déjà dit que plusieurs clauses de ce type contenaient des conditions préalables de négociation qui devaient être remplies pour que sa compétence soit établie (voir, par exemple, Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 128, par. 140 ; et Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 445, par. 56). Cette jurisprudence est également pertinente pour l’interprétation de la section 2 de l’article II et son application s’agissant de déterminer la compétence du Conseil de l’OACI.
90. La Cour estime que la section 2 de l’article II de l’accord de transit impose une condition préalable de négociation qui doit être remplie pour que soit établie la compétence du Conseil de l’OACI. Avant d’introduire une requête au titre de l’article 84 de la convention de Chicago (incorporé par voie de référence à la section 2 de l’article II de l’accord de transit), l’Etat contractant doit véritablement tenter de négocier avec le ou les Etats concernés. Si ces négociations ou tentatives de négociation deviennent inutiles ou aboutissent à une impasse, il s’ensuit que le désaccord «ne peut être réglé par voie de négociation» et que la condition préalable à la compétence du Conseil est remplie.
91. Comme la Cour l’a déjà dit, une véritable tentative de négociation peut avoir lieu en dehors d’échanges diplomatiques bilatéraux (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 133, par. 160). Les échanges qui se tiennent au sein d’une organisation internationale sont également considérés comme «l’un des moyens établis de conduire des négociations internationales» (Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 346).
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92. Dans sa réponse concernant l’exception préliminaire soulevée devant le Conseil de l’OACI, le Qatar citait une série de communications datant des mois de juin et juillet 2017, dans lesquelles il priait instamment le Conseil d’intervenir au sujet des restrictions visant l’aviation. Ces communications se rapportaient à la fois auxdites restrictions et aux dispositions de l’accord de transit qui, selon le Qatar, entraient en jeu du fait de leur adoption. Par exemple, lorsqu’il a saisi le Conseil le 15 juin 2017 au titre de l’alinéa n) de l’article 54 de la convention de Chicago, le Qatar a soutenu que Bahreïn, l’Egypte et les Emirats arabes unis avaient «[p]rivé l’Etat du Qatar de son droit de transiter par leurs territoires, qu’il tient de [l’accord de transit]».
En vue de la session extraordinaire du Conseil de l’OACI devant se tenir le 31 juillet 2017, le Qatar avait présenté un document de travail dans lequel il réaffirmait ses objections aux restrictions visant l’aviation, en faisant référence à l’accord de transit. A la session extraordinaire, il avait prié les appelants de lever le «blocus aérien injuste» qu’ils lui avaient imposé, faisant observer que ces mesures étaient «en violation flagrante de toutes les règles internationales pertinentes de l’OACI, ainsi que des instruments pertinents de l’OACI auxquels ils [étaient] parties».
93. La Cour note que nombre des échanges pertinents pour la question de savoir si la condition préalable de négociation a été remplie au regard de la section 2 de l’article II de l’accord de transit ont eu lieu dans le cadre de la démarche entreprise par le Qatar au titre de l’alinéa n) de l’article 54 de la convention de Chicago. En outre, certains de ces échanges ont fait intervenir l’Arabie saoudite, qui n’est pas partie à la présente instance. La Cour rappelle toutefois que la section 2 de l’article II de l’accord de transit dispose que le chapitre XVIII de la convention de Chicago est applicable au règlement de désaccords découlant dudit accord de la même manière qu’il s’applique au règlement de désaccords découlant de la convention. Pour rechercher s’il a été satisfait à la condition préalable de négociation en l’espèce, la Cour juge approprié de tenir compte d’échanges qui ont eu lieu parce que le Qatar avait invoqué l’alinéa n) de l’article 54 de la convention de Chicago. Ces échanges se rapportent à des restrictions visant l’aviation qui ont été adoptées conjointement par les quatre Etats, dont les trois appelants, et qui, selon le Qatar, sont incompatibles avec les obligations que l’accord de transit impose aux appelants. La Cour fait en outre observer que la compétence de l’OACI s’étend indéniablement aux questions liées au survol des territoires des Etats contractants, sujet dont traitent aussi bien la convention de Chicago que l’accord de transit. Les ouvertures faites par le Qatar sous ses auspices se rapportaient directement à l’objet du désaccord sur lequel portait la requête qu’il a ensuite introduite devant le Conseil de l’organisation au titre de la section 2 de l’article II de l’accord de transit. La Cour en conclut que le Qatar a véritablement tenté, au sein de l’OACI, de régler par voie de négociation le désaccord qui l’oppose aux appelants à propos de l’interprétation et de l’application dudit accord.
94. Quant à la question de savoir si les négociations engagées dans l’enceinte de l’OACI étaient devenues inutiles ou avaient abouti à une impasse avant que le Qatar ne saisisse le Conseil, la Cour a déjà indiqué que l’exigence que le différend ne puisse pas être réglé par voie de négociation «ne saurait être entendue comme une impossibilité théorique de parvenir à un règlement ; elle signifie … qu’«il n’est pas raisonnablement permis d’espérer que de nouvelles négociations puissent aboutir à un règlement»» (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 446, par. 57, citant Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 345). Dans des affaires précédentes, elle a jugé qu’une condition préalable de négociation était remplie lorsque «les positions [des parties] n’[avaie]nt, pour l’essentiel, pas évolué» à la suite de plusieurs échanges de correspondance diplomatique ou de réunions (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),
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arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 446, par. 59 ; voir aussi Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 317, par. 76). Pour la Cour, le point de savoir si les négociations ont été suffisantes est une question de fait, une question d’espèce (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 133, par. 160).
95. En vue de la session extraordinaire du Conseil de l’OACI du 31 juillet 2017, convoquée comme suite à la demande du Qatar, les appelants avaient présenté un document de travail priant instamment le Conseil de limiter toute discussion tenue en application de l’alinéa n) de l’article 54 de la convention de Chicago aux questions relatives à la sécurité de l’aviation civile. A cette session, le Qatar avait réclamé un examen des restrictions visant l’aviation et prié les appelants de lever leur «blocus aérien injuste». En réponse, le représentant des Emirats arabes unis, s’exprimant également au nom de l’Arabie saoudite, de Bahreïn et de l’Egypte, avait défendu la licéité de ces restrictions et exhorté le Conseil à limiter ses délibérations aux questions ayant trait à la sécurité de l’aviation civile internationale, indépendamment des mesures que cet organe pourrait prendre en vertu de l’article 84 de la convention de Chicago.
96. Les déclarations faites au nom des appelants devant le Conseil de l’OACI étayent la thèse du Qatar, qui affirme que ces derniers n’étaient pas disposés à rechercher sous les auspices de cet organe une solution au désaccord portant sur les restrictions visant l’aviation. Il ressort du procès-verbal de la session extraordinaire que le président du Conseil avait établi une distinction entre les mesures que le Conseil était susceptible de prendre en vertu de l’alinéa n) de l’article 54 de la convention de Chicago et celles qu’il pouvait prendre en vertu de l’article 84 de cette convention, comme les appelants lui avaient enjoint de le faire. A cette session, le Conseil s’est principalement intéressé à des questions autres que les restrictions visant l’aviation qui feraient ensuite l’objet de la requête du Qatar, accordant une attention particulière aux mesures d’exception à prendre pour faciliter le trafic aérien au-dessus de la haute mer.
97. La Cour est d’avis que, à la clôture de la session extraordinaire, il n’était pas réaliste de penser que le désaccord pouvait être réglé par voie de négociation au sein de l’OACI. Elle garde également à l’esprit les événements survenus en dehors du cadre de cette organisation. Les relations diplomatiques entre le Qatar et les appelants avaient été rompues le 5 juin 2017, concomitamment à l’adoption des restrictions visant l’aviation. De hauts fonctionnaires des Etats appelants avaient déclaré qu’ils ne négocieraient pas avec le Qatar, rappelant à cet égard les exigences qu’ils lui avaient adressées. Rien n’indique que les Parties avaient changé leur position concernant les restrictions visant l’aviation entre l’adoption de celles-ci et le dépôt de la requête du Qatar devant le Conseil de l’OACI le 30 octobre 2017. Dans ces conditions, la Cour estime que, au moment de l’introduction de ladite requête, il n’était pas raisonnablement permis d’espérer que le désaccord entre les Parties concernant l’interprétation ou l’application de l’accord de transit pourrait être réglé par voie de négociation, que ce soit devant le Conseil de l’OACI ou dans un autre cadre.
98. La Cour rappelle en outre que le Qatar affirme s’être trouvé face à une situation où toute tentative de négociation était à ce point inutile que la condition préalable prévue à cet égard à la section 2 de l’article II de l’accord de transit pouvait être réputée remplie sans qu’il soit exigé du Qatar qu’il tente véritablement de négocier. La Cour ayant conclu que pareille tentative avait été faite sans permettre de régler le différend, point n’est besoin pour elle d’examiner cet argument.
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99. Pour les raisons qui précèdent, la Cour estime que le Conseil de l’OACI n’a pas commis d’erreur en rejetant l’argument par lequel les défendeurs, devant lui, plaidaient que le Qatar n’avait pas satisfait à la condition préalable de négociation prévue à la section 2 de l’article II de l’accord de transit avant de le saisir par voie de requête.
2. Question de savoir si le Conseil de l’OACI a eu tort de ne pas déclarer la requête du Qatar irrecevable sur la base de l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends
100. Les appelants affirment que le Qatar n’a pas respecté l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends, qui dispose que les requêtes et mémoires déposés au titre de l’article 84 de la convention de Chicago (incorporé par voie de référence à la section 2 de l’article II de l’accord de transit) doivent inclure «une déclaration attestant que des négociations ont eu lieu entre les parties pour régler le désaccord, mais qu’elles n’ont pas abouti». Ils estiment qu’il s’agit là d’une obligation procédurale qui n’est pas seulement formelle. Compte tenu de la condition préalable de négociation prévue à la section 2 de l’article II de l’accord de transit, il convient d’interpréter l’alinéa g) de l’article 2 comme exigeant la production d’une déclaration dûment étayée indiquant «qu’une véritable tentative de négocier a effectivement eu lieu».
101. Les appelants affirment que la requête et le mémoire soumis par le Qatar au Conseil de l’OACI indiquaient qu’aucune négociation ni tentative de négociation n’avait eu lieu, ce qui ne suffisait pas, selon eux, à satisfaire aux prescriptions de l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends. Ils estiment donc que le Conseil «a eu tort de ne pas conclure … à l’irrecevabilité de la requête du Qatar».
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102. Le Qatar affirme que les appelants interprètent erronément la nature de l’exigence énoncée à l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends, qui dispose simplement que le demandeur devant le Conseil de l’OACI «doit introduire une requête, à laquelle est joint un mémoire contenant … une déclaration attestant que des négociations ont eu lieu entre les parties pour régler le désaccord, mais qu’elles n’ont pas abouti». Il soutient que cet alinéa n’exige pas du demandeur qu’il étaye ladite déclaration. Selon lui, cette disposition n’énonce qu’une condition de forme.
103. Le Qatar estime avoir satisfait à l’exigence énoncée à l’alinéa g) de l’article 2 puisque, dans son mémoire présenté au Conseil de l’OACI, il a indiqué que les défendeurs devant le Conseil «[n’avaient] donné aucune occasion d’entreprendre des négociations relativement aux aspects aéronautiques des mesures hostiles qu’ils [avaient] prises».
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104. L’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends décrit les informations essentielles que doit contenir tout mémoire joint à une requête introduite au titre de l’article 84 de la convention de Chicago (incorporé par voie de référence à la section 2 de l’article II de l’accord de transit), en vue de faciliter l’examen qu’en fera le Conseil de l’OACI. En exigeant une déclaration relative aux négociations, l’alinéa g) dudit article fait écho à la condition préalable de négociation énoncée à la section 2 de l’article II de l’accord de transit.
105. Dans la requête et le mémoire qu’il a présentés au Conseil de l’OACI, le Qatar a inclus une section intitulée «Déclaration relative aux tentatives de négociation» dans laquelle il indiquait que les défendeurs devant le Conseil «n’[avaient] donné aucune occasion d’entreprendre des négociations» au sujet des restrictions visant l’aviation. La secrétaire générale de l’OACI a confirmé avoir vérifié, au moment de communiquer aux défendeurs devant le Conseil copie de la requête du Qatar, que celle-ci avait été présentée «dans la forme prescrite à l’article 2 [du] Règlement [de l’OACI pour la solution des différends]». La question de fond, c’est-à-dire celle de savoir si le Qatar avait rempli la condition préalable de négociation, a été traitée par le Conseil dans le cadre de la procédure sur les exceptions préliminaires, conformément à l’article 5 du Règlement de l’OACI.
106. La Cour ne voit aucune raison de conclure que le Conseil de l’OACI a eu tort de ne pas déclarer irrecevable, au motif qu’elle n’aurait pas été conforme à l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends, la requête du Qatar dont il était saisi.
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107. Ayant jugé, premièrement, que le Conseil de l’OACI n’a pas commis d’erreur en rejetant l’argument selon lequel il n’avait pas compétence parce que le Qatar n’avait pas satisfait à la condition préalable de négociation prévue à la section 2 de l’article II de l’accord de transit et, deuxièmement, que le Conseil n’a pas commis d’erreur en rejetant leur argument selon lequel la requête dont il était saisi par le Qatar était irrecevable faute d’être conforme à l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends, la Cour conclut que le Conseil n’a pas commis d’erreur en rejetant la seconde exception préliminaire soulevée par les défendeurs devant lui.
108. Pour les raisons qui précèdent, la Cour ne peut accueillir le troisième moyen d’appel.
C. Le premier moyen d’appel : allégation d’absence manifeste de procédure régulière devant le Conseil de l’OACI
109. Les appelants affirment que des irrégularités commises dans la procédure par laquelle le Conseil est parvenu à sa décision ont constitué une atteinte fondamentale aux exigences d’une procédure équitable. Ils soutiennent que ladite procédure était manifestement viciée, emportant une grave violation des principes fondamentaux garants d’une procédure régulière, ainsi que du propre Règlement du Conseil. C’est pourquoi ils demandent à la Cour d’exercer son pouvoir de contrôle et de déclarer nulle et non avenue ab initio la décision rendue par le Conseil de l’OACI.
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110. Les appelants dénoncent une série de vices de procédure, décrits ci-après. Ils soutiennent que le Conseil de l’OACI exerce une «fonction judiciaire» lorsqu’il statue sur un désaccord en application de la section 2 de l’article II de l’accord de transit.
111. Les appelants tirent grief de ce que la décision du Conseil de l’OACI n’était pas motivée. Ils estiment qu’«[u]ne exigence fondamentale de toute procédure régulière est que l’organe judiciaire expose la motivation nécessaire à l’appui de sa décision».
112. Les appelants critiquent en outre l’absence de délibérations avant l’adoption de la décision du Conseil de l’OACI. Ils estiment que la tenue de délibérations après avoir entendu les parties «est essentielle au fonctionnement collégial des organes judiciaires».
113. Les appelants critiquent également la décision du Conseil de l’OACI de procéder à un scrutin secret pour statuer sur leurs exceptions préliminaires, alors qu’ils avaient sollicité un scrutin public par appel nominal.
114. Les appelants avancent que le Conseil de l’OACI a violé le principe de l’égalité entre les parties et le droit d’être entendu, car, en qualité de défendeurs devant le Conseil, ils se sont vu accorder «un temps manifestement insuffisant pour exposer leurs arguments», disposant à eux tous d’un temps de parole égal à celui dont le Qatar bénéficiait à lui seul.
115. Les appelants soutiennent que le Conseil de l’OACI a indûment fixé à 19 voix (sur les 36 voix de ses membres) la majorité requise pour retenir leurs exceptions préliminaires, alors qu’une simple majorité de 17 voix (sur les 33 voix des membres admis à voter) était exigée par l’article 52 de la convention de Chicago, lu conjointement avec ses articles 53 et 84 et avec le paragraphe 5 de l’article 15 du Règlement de l’OACI pour la solution des différends.
116. Enfin, les appelants font observer que, alors qu’ils avaient soulevé deux exceptions préliminaires devant le Conseil de l’OACI, celui-ci n’a statué que sur une seule «exception préliminaire». Ils affirment que la décision du président du Conseil de procéder à la «mise aux voix ... d’une question relative à une «exception préliminaire», au singulier, n’a été ni proposée ni appuyée par un quelconque membre du Conseil», en violation des règles 40 et 45 du Règlement intérieur.
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117. Le Qatar considère que le pouvoir de contrôle de la Cour à l’égard des décisions du Conseil de l’OACI ne s’étend pas aux questions de procédure. Rappelant la teneur du paragraphe 45 de l’arrêt de la Cour en l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan) (C.I.J. Recueil 1972, p. 69-70), il affirme qu’il n’est point besoin pour la
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Cour de se prononcer sur les griefs d’ordre procédural des appelants puisque la décision du Conseil de l’OACI était «objectivement correcte». Le Qatar affirme en outre qu’aucune irrégularité n’a entaché la manière dont le Conseil a procédé et que, en tout état de cause, aucun des manquements dénoncés par les appelants à cet égard n’a constitué une atteinte fondamentale aux exigences d’une procédure équitable.
118. S’agissant des irrégularités spécifiques alléguées par les appelants, le Qatar considère que l’absence de délibérations publiques sur les questions en cause et l’absence de motivation de la décision du Conseil de l’OACI «découlaient naturellement du choix qu’avait fait [ce dernier] de procéder à un scrutin secret». Il fait valoir que la tenue d’un scrutin secret est expressément autorisée par la règle 50 du Règlement intérieur du Conseil. Au sujet de l’absence de motivation de la décision, le Qatar souligne également que «le fait que le Conseil de l’OACI puisse exercer une fonction judiciaire ne fait pas pour autant de lui un organe judiciaire stricto sensu, et encore moins un organe tel que [la Cour]».
119. Le Qatar soutient en outre que «des délibérations publiques ne sont … pas indispensables à l’exercice collégial des fonctions du Conseil» de l’OACI et que ce dernier a suivi une approche conforme à sa pratique récente.
120. Le Qatar souligne que la manière de procéder du Conseil de l’OACI respectait le principe de l’égalité entre les parties et le droit d’être entendu. Il ajoute que les défendeurs devant le Conseil, «[d]ans l’instance introduite devant [celui-ci], ont agi conjointement» et que les «points de droit en cause [étaient] identiques pour [tous]». Il affirme que les défendeurs ont eu tout loisir de plaider leur cause devant le Conseil.
121. Invoquant les articles 52, 53 et 66, alinéa b), de la convention de Chicago et la pratique antérieure du Conseil de l’OACI, le Qatar affirme que ce dernier a fixé comme il se doit la majorité requise pour statuer sur les exceptions préliminaires. Il avance en outre que, même si le Conseil avait fixé cette majorité au nombre de voix préconisé par les appelants dans leur recours, cela n’aurait rien changé en pratique puisque l’exception préliminaire aurait été rejetée à l’une ou l’autre des majorités.
122. Enfin, le Qatar dément que le Conseil de l’OACI ait pris sa décision en se fondant, comme l’affirment les appelants, sur le postulat erroné que ceux-ci, qui estaient alors comme défendeurs devant lui, avaient soulevé une seule exception d’incompétence. Il soutient que le procès-verbal de la séance au cours de laquelle le Conseil a décidé par voie de vote de ne pas accepter les exceptions préliminaires montre que les représentants savaient bien que «deux motifs» étaient opposés à la compétence du Conseil, puisque le libellé initial de la motion présentée par l’un d’entre eux et soutenue par un autre membre à l’effet de voter sur deux exceptions préliminaires n’a jamais été changé ni modifié.
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123. La Cour rappelle que, dans son arrêt en l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan) (C.I.J. Recueil 1972, p. 69-70, par. 45), elle avait conclu que le Conseil de l’OACI était parvenu, en l’espèce, à la bonne décision quant à sa compétence, qui est une question juridique objective. Elle avait également fait observer que les irrégularités de procédure alléguées par l’appelante n’avaient pas constitué une atteinte fondamentale aux exigences d’une procédure équitable. Point n’était besoin pour la Cour de rechercher si une décision du Conseil qui était correcte en droit devait néanmoins être annulée en raison d’irrégularités procédurales.
124. Dans la présente affaire, la Cour a rejeté les deuxième et troisième moyens d’appel avancés par les appelants contre la décision du Conseil de l’OACI. Elle considère que les questions que posent les exceptions préliminaires soulevées devant le Conseil en l’espèce constituent des questions juridiques objectives. Elle estime également que les procédures suivies par le Conseil n’ont pas porté atteinte de manière fondamentale aux exigences d’une procédure équitable.
125. Pour les raisons qui précèdent, le premier moyen d’appel ne peut être accueilli.
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126. Rappelant qu’elle a déjà dit que la convention de Chicago et l’accord de transit lui permettent d’assurer «un certain contrôle» des décisions rendues par le Conseil de l’OACI (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 60, par. 26), la Cour souligne qu’elle sera à même de statuer au mieux sur tout appel dont elle serait saisie à l’avenir si la décision contestée contient les motifs de droit et de fait ayant conduit le Conseil à ses conclusions.
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127. Par ces motifs,
LA COUR,
1) A l’unanimité,
Rejette l’appel formé le 4 juillet 2018 par le Royaume de Bahreïn, la République arabe d’Egypte et les Emirats arabes unis contre la décision du Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale en date du 29 juin 2018 ;
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2) Par quinze voix contre une,
Dit que le Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale a compétence pour connaître de la requête dont il a été saisi par le Gouvernement de l’Etat du Qatar le 30 octobre 2017 et que cette requête est recevable.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Berman, juge ad hoc.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le quatorze juillet deux mille vingt, en cinq exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement aux Gouvernements du Royaume de Bahreïn, de la République arabe d’Egypte et des Emirats arabes unis, et au Gouvernement de l’Etat du Qatar.
Le président,
(Signé) Abdulqawi Ahmed YUSUF.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
M. le juge CANÇADO TRINDADE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge GEVORGIAN joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc BERMAN joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.
(Paraphé) A.A.Y.
(Paraphé) Ph.G.
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Arrêt du 14 juillet 2020