Allocution prononcée par S. Exc. M. le juge Abdulqawi A. Yusuf, président de la Cour internationale de Justice, à l'ouverture de la Deuxième Rencontre Mondiale des Sociétés pour le Droit Internationa

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ALLOCUTION PRONONCÉE PAR S. EXC. M. LE JUGE ABDULQAWI A. YUSUF, PRÉSIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, À L’OUVERTURE DE LA DEUXIÈME RENCONTRE MONDIALE DES SOCIÉTÉS POUR LE DROIT INTERNATIONAL
La Haye (Pays-Bas), le 2 septembre 2019
Excellences, Mesdames et Messieurs,
1. C’est un grand plaisir pour moi que de vous accueillir, vous tous qui représentez le «monde du droit international», ici au Palais de la Paix où, depuis près d’un siècle, la Cour internationale de Justice  et, avant elle, sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale  s’acquitte de sa mission consistant à régler les différends entre Etats conformément au droit international.
2. Je tiens tout d’abord à saluer les organisateurs de cette rencontre, la Société française pour le droit international et l’Académie de droit international de La Haye, et en particulier celui qui a consacré tant de temps et d’énergie et mobilisé son savoir-faire afin de réunir toutes les sociétés et associations de droit international pour la deuxième fois en quelques années, M. Alain Pellet, ainsi que l’équipe qui l’a secondé.
3. Cette initiative est des plus louables et il faut espérer que le succès de cette deuxième rencontre incitera d’autres à prendre le relais pour veiller à ce que le «réseau des réseaux du droit international» continue de se réunir dans différents endroits du monde et poursuive le dialogue et les échanges de vues engagés à Strasbourg en 2015.
4. Le dialogue entre publicistes, notamment ceux qui sont mentionnés à l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la Cour, dans les sociétés savantes que vous représentez ou dans le cadre d’événements tels que celui-ci revêt un grand intérêt pour les membres de la Cour. C’est pourquoi plusieurs d’entre eux ont pris directement part à la création d’associations nationales ou régionales de droit international. Alors que j’étais jeune juriste, j’ai moi-même collaboré à la création de l’Association africaine de droit international, à Lusaka (Zambie), et ce, dès 1986, à une époque où il n’existait aucune autre société régionale. Par la suite, mes collègues, les juges Owada et Xue ont largement contribué à la fondation de la Société asiatique de droit international, tandis que le juge Cançado Trindade oeuvrait à l’établissement de la Société latino-américaine de droit international. Le dialogue que vous menez ne peut et ne doit cependant pas se cantonner à dresser la liste des règles de droit existantes. Il doit porter sur l’extension de ces règles aux besoins émergents de la société et aux défis qu’elle doit relever. C’est donc avec plaisir que j’ai lu dans la brochure de votre rencontre une page intitulée «[p]récision importante», appelant les participants à «réfléchir en commun aux graves défis que connaît actuellement le droit international et au rôle que peuvent jouer les sociétés pour y faire face».
5. Ces défis auxquels est confronté le droit international concernent essentiellement, à mon sens, la faculté, la capacité de celui-ci à servir la société humaine. Il convient en effet de garder à l’esprit que les règles de droit international n’existent que dans l’intérêt de la société qu’elles servent. Ainsi, si les règles et institutions qui se sont révélées si utiles à l’humanité depuis soixante-quinze ans sont ignorées, tournées ou écartées, ce sont le développement et le bien-être de l’humanité qui en pâtiront. D’aucuns pourraient penser aujourd’hui qu’ils ne sont pas directement
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concernés et que seuls les autres le sont. Or, tôt ou tard, nous serons tous concernés. C’est là le premier défi.
6. Le deuxième défi que doit relever le droit international pour servir la société humaine découle de son applicabilité ou de son application effective aux questions d’intérêt commun et aux biens communs. Reconnue patrimoine commun de l’humanité, la biodiversité disparaît peu à peu sous nos yeux. Le changement climatique et la hausse du niveau des mers ont été déclarés préoccupation commune de l’humanité, mais nous devons lutter pour que le droit en la matière y soit étendu et correctement appliqué. Ces domaines nécessitent des propositions innovantes et audacieuses ainsi que des solutions émanant de juristes internationaux. Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre de voir comment la pratique des Etats évoluera à cet égard. Il nous faut des mesures juridiques d’avant-garde. Et avant tout, nous devons étoffer et peaufiner les règles régissant les questions d’intérêt commun.
7. Le troisième défi a trait à la capacité du droit international de s’attaquer aux effets sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales des progrès technologiques rapides que nous connaissons. Aujourd’hui, les libertés individuelles, l’individualité et la liberté de pensée risquent d’être menacées, voire manipulées par les outils technologiques qui reposent entre les mains de quelques grandes entreprises, et ce, de la manière la plus subreptice et orwellienne qui soit. Il nous faut donc élaborer des moyens juridiques de défense contre les comportements abusifs résultant de l’usage de ces technologies.
8. Dans ce contexte, quel doit être le rôle des associations et sociétés savantes ? Je crois que, outre les recherches universitaires et leur diffusion auxquelles elles participent activement, elles devraient défendre et promouvoir la place du droit international dans la vie quotidienne de tous, individus et sociétés. Il n’est aucune nation qui ne tire bénéfice du système multilatéral et de ses règles qui régissent aujourd’hui les relations internationales sous tous leurs aspects, et il est dans l’intérêt de tous de préserver et de protéger ces règles. En tant que représentants de sociétés nationales et régionales, il est de votre devoir de porter ce message et de le diffuser autant que faire se peut.
9. Je vous souhaite de fructueuses discussions.
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