Arrêt du 17 juillet 2019

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168-20190717-JUD-01-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2019
2019
17 juillet
Rôle général
no 168
17 juillet 2019
AFFAIRE JADHAV
(INDE c. PAKISTAN)
Contexte factuel — Arrestation et détention par le Pakistan d’une personne du nom de Kulbhushan Sudhir Jadhav — L’intéressé étant accusé d’avoir participé à des activités d’espionnage et de terrorisme — Ouverture d’une procédure pénale — Condamnation à mort de M. Jadhav par un tribunal militaire au Pakistan.
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Compétence de la Cour — Différend ayant trait à l’interprétation et à l’application de la convention de Vienne sur les relations consulaires — Cour ayant compétence en vertu de l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations consulaires concernant le règlement obligatoire des différends.
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Recevabilité de la requête de l’Inde.
Première exception d’irrecevabilité soulevée par le Pakistan — Allégation d’abus de procédure — Absence de fondement permettant de conclure que l’Inde aurait abusé de ses droits procéduraux lorsqu’elle a demandé à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires — Articles II et III du protocole de signature facultative ne contenant pas de conditions préalables à l’exercice de la compétence de la Cour — Rejet de la première exception d’irrecevabilité.
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Deuxième exception d’irrecevabilité soulevée par le Pakistan — Allégation d’abus de droit — Affirmation du Pakistan selon laquelle l’Inde n’a pas démontré la nationalité de M. Jadhav — Absence de doute quant au fait que l’intéressé est de nationalité indienne — Autres arguments du Pakistan fondés sur des manquements allégués, par l’Inde, aux obligations internationales que lui impose la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité — Allégations devant être examinées ci-après dans le cadre du fond — Rejet de la deuxième exception d’irrecevabilité.
Troisième exception d’irrecevabilité soulevée par le Pakistan — Allégation de comportement illicite de l’Inde — Rejet de l’exception du Pakistan fondée sur la doctrine des «mains propres» —Absence d’explication sur la manière dont le comportement prétendument illicite de l’Inde aurait empêché le Pakistan de permettre la communication consulaire — Exception du Pakistan fondée sur le principe «ex turpi causa non oritur actio» ne pouvant être retenue — Absence de pertinence du principe «ex injuria jus non oritur» en la présente affaire — Rejet de la troisième exception d’irrecevabilité.
Requête de l’Inde étant recevable.
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Applicabilité de l’article 36 de la convention de Vienne.
Exception alléguée sur le fondement d’accusations d’espionnage — Absence de référence, dans la convention de Vienne, aux cas d’espionnage — Article 36 n’excluant pas de son champ d’application les personnes soupçonnées d’espionnage — Communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi étant expressément régie par l’article 36, et non par le droit international coutumier — Pertinence de l’accord sur la communication consulaire conclu en 2008 entre l’Inde et le Pakistan — Accord de 2008 ne prévoyant aucune restriction des droits garantis par l’article 36 — Accord de 2008 constituant un accord ultérieur au sens du paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne — Point vi) de l’accord de 2008 ne se substituant pas aux obligations découlant de l’article 36 — Aucun des arguments relatifs à l’applicabilité de l’article 36 de la convention de Vienne ne pouvant être retenu — Convention de Vienne étant applicable en la présente affaire.
Violations alléguées de l’article 36 de la convention de Vienne.
Manquement allégué du Pakistan à son obligation d’informer M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 — Allégation n’ayant pas été contestée par le Pakistan — L’intéressé n’ayant pas été informé de ses droits — Cour concluant que le Pakistan a manqué à son obligation d’informer M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36.
Manquement allégué du Pakistan à son obligation d’avertir l’Inde sans retard de l’arrestation et de la détention de M. Jadhav — Pakistan étant tenu d’avertir sans retard le poste consulaire de l’Inde de l’arrestation et de la détention de l’intéressé — Notification étant intervenue quelque trois semaines après l’arrestation de M. Jadhav — Cour concluant que le Pakistan a manqué à son obligation d’avertir l’Inde «sans retard» de l’arrestation et de la détention de l’intéressé.
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Manquement allégué du Pakistan à son obligation de permettre la communication consulaire — Pakistan n’ayant pas permis aux autorités consulaires indiennes d’entrer en communication avec M. Jadhav — Cour concluant que le Pakistan a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 en refusant aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité d’entrer en communication avec M. Jadhav.
Abus de droit.
Convention de Vienne n’offrant aucun fondement permettant à l’Etat de résidence de conditionner l’exécution de ses obligations au titre de l’article 36 au respect, par l’Etat d’envoi, d’autres obligations de droit international — Rejet des arguments du Pakistan fondés sur l’abus de droit.
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Remèdes.
Pakistan étant tenu de mettre fin aux faits internationalement illicites présentant un caractère continu — M. Jadhav devant être informé sans autre retard de ses droits —Fonctionnaires consulaires indiens devant pouvoir se rendre auprès de l’intéressé et être autorisés à pourvoir à sa représentation en justice.
Remède approprié étant un réexamen et une revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Jadhav — Nécessité de faire en sorte que soit accordé tout le poids qui sied à l’effet de la violation des droits énoncés à l’article 36 — Choix des moyens revenant au Pakistan — Pakistan devant prendre toutes les mesures permettant d’assurer un réexamen et une revision effectifs, y compris, si nécessaire, en adoptant les mesures législatives qui s’imposent — Poursuite du sursis à exécution constituant une condition au réexamen et à la revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Jadhav.
ARRÊT
Présents : M. YUSUF, président ; MME XUE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA, CANÇADO TRINDADE, MME DONOGHUE, M. GAJA, MME SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON, CRAWFORD, GEVORGIAN, SALAM, IWASAWA, juges ; M. JILLANI, juge ad hoc ; M. FOMÉTÉ, greffier adjoint.
En l’affaire Jadhav,
entre
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la République de l’Inde,
représentée par
M. Deepak Mittal, Joint Secretary au ministère des affaires étrangères,
comme agent ;
M. Vishnu Dutt Sharma, Additional Secretary au ministère des affaires étrangères,
comme coagent ;
M. Harish Salve, avocat principal,
comme conseil principal ;
S. Exc. M. Venu Rajamony, ambassadeur de la République de l’Inde auprès du Royaume des Pays-Bas ;
M. Luther M. Rangreji, conseiller à l’ambassade de l’Inde au Royaume des Pays-Bas,
comme conseiller ;
Mme Chetna N. Rai, avocate,
Mme Arundhati Dattaraya Kelkar, avocate,
comme conseils auxiliaires ;
M. S. Senthil Kumar, juriste au ministère des affaires étrangères,
M. Sandeep Kumar, Deputy Secretary au ministère des affaires étrangères,
comme conseillers,
et
la République islamique du Pakistan,
représentée par
M. Anwar Mansoor Khan, Attorney General de la République islamique du Pakistan,
comme agent ;
M. Mohammad Faisal, directeur général (Asie du Sud et Association de l’Asie du Sud pour la coopération régionale) au ministère des affaires étrangères,
comme coagent ;
S. Exc. M. Shujjat Ali Rathore, ambassadeur de la République islamique du Pakistan auprès du Royaume des Pays-Bas ;
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Mme Fareha Bugti, directrice au ministère des affaires étrangères ;
M. Junaid Sadiq, premier secrétaire à l’ambassade du Pakistan au Royaume des Pays-Bas ;
M. Kamran Dhangal, directeur adjoint au ministère des affaires étrangères ;
M. Ahmad Irfan Aslam, chef du département des différends internationaux au bureau de l’Attorney General ;
M. Mian Shaoor Ahmad, consultant auprès du bureau de l’Attorney General ;
M. Tahmasp Razvi, bureau de l’Attorney General ;
M. Khurram Shahzad Mughal, consultant assistant auprès du ministère du droit et de la justice ;
M. Khawar Qureshi, QC, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
comme conseil juridique et avocat ;
Mme Catriona Nicol, avocate, McNair Chambers,
comme conseil auxiliaire ;
M. Joseph Dyke, avocat, McNair Chambers,
comme assistant juridique ;
le général de brigade (en retraite) Anthony Paphiti,
le colonel (en retraite) Charles Garraway, CBE,
comme experts juridiques,
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Le 8 mai 2017, le Gouvernement de la République de l’Inde (ci-après l’«Inde») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République islamique du Pakistan (ci-après le «Pakistan»), dénonçant des violations de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 (ci-après la «convention de Vienne») qui auraient été commises «dans le cadre de la détention et du procès d’un ressortissant indien, M. Kulbhushan Sudhir Jadhav», condamné à mort par un tribunal militaire au Pakistan.
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2. Dans sa requête, l’Inde entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et sur l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations consulaires concernant le règlement obligatoire des différends (ci-après le «protocole de signature facultative»).
3. Le 8 mai 2017, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement, l’Inde a également présenté une demande en indication de mesures conservatoires.
4. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement du Pakistan la requête, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, et la demande en indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement. Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par l’Inde de cette requête et de cette demande.
5. Par lettre en date du 9 mai 2017 adressée au premier ministre du Pakistan, le président de la Cour, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement, a invité le Gouvernement pakistanais, dans l’attente de la décision de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires, «à agir de manière que toute ordonnance de la Cour à cet égard puisse avoir les effets voulus». Copie de cette lettre a été transmise à l’agent de l’Inde.
6. Par lettre en date du 10 mai 2017, le greffier a en outre informé tous les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies du dépôt de la requête et de la demande en indication de mesures conservatoires de l’Inde.
7. Conformément au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a par la suite informé les Membres des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, du dépôt de la requête par transmission du texte bilingue imprimé.
8. Par ordonnance du 18 mai 2017, la Cour a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
«Le Pakistan prendra toutes les mesures dont il dispose pour que M. Jadhav ne soit pas exécuté tant que la décision définitive en la présente instance n’aura pas été rendue, et portera à la connaissance de la Cour toutes les mesures qui auront été prises en application de la présente ordonnance.»
La Cour a également indiqué que, «jusqu’à ce qu’elle rende sa décision définitive, [elle] demeurera[it] saisie des questions qui f[aisaient] l’objet de [cette] ordonnance».
9. Par lettre du 8 juin 2017, le coagent du Pakistan a informé la Cour que «le Gouvernement de la République islamique du Pakistan a[vait] chargé ses services compétents de donner effet à l’ordonnance rendue par la Cour le 18 mai 2017».
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10. Par ordonnance du 13 juin 2017, le président de la Cour a fixé au 13 septembre 2017 et au 13 décembre 2017, respectivement, les dates d’expiration du délai pour le dépôt d’un mémoire par l’Inde et d’un contre-mémoire par le Pakistan. Ces pièces ont été déposées dans les délais ainsi fixés.
11. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité pakistanaise, le Pakistan a fait usage du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire ; il a désigné M. Tassaduq Hussain Jillani.
12. Sur les instructions données par la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’article 43 de son Règlement, le greffier a adressé aux Etats parties à la convention de Vienne et aux Etats parties au protocole de signature facultative les notifications prévues au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut.
13. Par ordonnance en date du 17 janvier 2018, la Cour a autorisé le dépôt d’une réplique par l’Inde et d’une duplique par le Pakistan, et fixé au 17 avril 2018 et au 17 juillet 2018, respectivement, les dates d’expiration des délais dans lesquels ces pièces devraient être déposées. La réplique et la duplique ont été déposées dans les délais ainsi fixés.
14. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après avoir consulté les Parties, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure et des documents annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale.
15. Par lettres reçues au Greffe le 18 février 2019, jour de l’ouverture des audiences, le Pakistan a informé la Cour de son intention de faire entendre un expert et de présenter des matériaux audiovisuels pendant la procédure orale. Il a en outre exprimé l’intention de produire un nouveau document. Par lettres datées du 19 février 2019, le greffier a informé les Parties que la Cour, ayant consulté l’Inde, avait décidé que, dans les circonstances de l’espèce, il ne serait pas approprié d’accéder aux demandes du Pakistan.
16. Des audiences publiques ont été tenues du 18 au 21 février 2019, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses :
Pour l’Inde : M. Deepak Mittal,
M. Harish Salve.
Pour le Pakistan : M. Anwar Mansoor Khan,
M. Khawar Qureshi.
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17. Dans la requête, l’Inde a formulé les demandes ci-après :
«1) que la condamnation à mort prononcée à l’encontre de l’accusé soit immédiatement suspendue ;
2) que lui soit accordée restitutio in integrum, sous la forme d’une déclaration constatant que la condamnation à laquelle est parvenu le tribunal militaire au mépris total des droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne, notamment à l’alinéa b) du paragraphe 1 de celui-ci, et des droits de l’homme élémentaires de tout accusé, auxquels il convient également de donner effet en application de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, est contraire au droit international et aux dispositions de la convention de Vienne ;
3) qu’il soit prescrit au Pakistan de ne pas donner effet à la condamnation prononcée par le tribunal militaire et de prendre les mesures qui pourraient être prévues par le droit pakistanais pour annuler la décision de ce tribunal ;
4) que cette décision, dans le cas où le Pakistan ne serait pas en mesure de l’annuler, soit déclarée illicite en tant que contraire au droit international et aux droits conventionnels, et qu’injonction soit faite au Pakistan de s’abstenir de violer la convention de Vienne sur les relations consulaires et le droit international en donnant d’une quelconque façon effet à la condamnation, ainsi que de libérer sans délai le ressortissant indien qui en fait l’objet.»
18. Dans les pièces de procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de l’Inde,
dans le mémoire :
«Pour ces motifs, le Gouvernement de l’Inde prie respectueusement la Cour de dire et juger que le Pakistan a agi en violation flagrante de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, en ce qu’il
i) n’a pas averti l’Inde sans retard de l’arrestation et de la détention de M. Jadhav ;
ii) n’a pas informé M. Jadhav de ses droits aux termes de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires ;
iii) a refusé aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité de communiquer avec M. Jadhav, en violation de leur droit de se rendre auprès de celui-ci alors qu’il était incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice ;
et, en conséquence de ce qui précède,
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i) de déclarer que la condamnation à laquelle est parvenu le tribunal militaire au mépris total des droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne, notamment à l’alinéa b) du paragraphe 1 de celui-ci, et des droits de l’homme élémentaires de M. Jadhav, auxquels il convient également de donner effet en application de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, est contraire au droit international et aux dispositions de la convention de Vienne ;
ii) de déclarer que l’Inde a droit à la restitutio in integrum ;
iii) de prescrire au Pakistan de ne pas donner effet, de quelque manière que ce soit, à la condamnation ou à la déclaration de culpabilité prononcées par le tribunal militaire, de libérer sans délai le ressortissant indien qui en a fait l’objet et de faciliter son retour en Inde en toute sécurité ;
iv) à titre subsidiaire, et si la Cour devait conclure qu’il n’y a pas lieu de libérer M. Jadhav, de prescrire au Pakistan de ne pas donner effet à la condamnation prononcée par le tribunal militaire et de prendre les mesures qui pourraient être prévues par le droit pakistanais pour annuler la décision de ce tribunal, et, après avoir déclaré irrecevables les aveux de l’intéressé qui ont été recueillis sans que celui-ci ait pu communiquer avec ses autorités consulaires, d’organiser un procès de droit commun devant les juridictions civiles, dans le strict respect des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que du droit des autorités consulaires indiennes de communiquer avec l’intéressé et de pourvoir à sa représentation en justice.»
Ces conclusions ont été confirmées dans la réplique.
Au nom du Gouvernement du Pakistan,
dans le contre-mémoire :
«Pour les motifs exposés dans le présent contre-mémoire, le Pakistan prie la Cour de dire et juger que les demandes de l’Inde, telles que celle-ci les a présentées dans sa requête et son mémoire, sont rejetées.»
dans la duplique :
«Pour les motifs exposés dans la présente duplique et dans son contre-mémoire, le Pakistan prie la Cour de dire et juger que les demandes de l’Inde, telles que celle-ci les a présentées dans sa requête, son mémoire et sa réplique, sont rejetées.»
19. Dans la procédure orale, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de l’Inde,
«1) Le Gouvernement de l’Inde prie respectueusement la Cour de dire et juger que le Pakistan a agi en violation flagrante de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963, en ce qu’il
i) n’a pas averti l’Inde sans retard de la détention de M. Jadhav ;
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ii) n’a pas informé M. Jadhav de ses droits aux termes de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 ;
iii) a refusé aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité de communiquer avec M. Jadhav, en violation de leur droit de se rendre auprès de celui-ci alors qu’il était incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice ;
et, en conséquence de ce qui précède,
2) de déclarer que
a) la condamnation à laquelle est parvenu le tribunal militaire au mépris total des droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne, notamment à l’alinéa b) du paragraphe 1 de celui-ci, et des droits de l’homme élémentaires de M. Jadhav, auxquels il convient également de donner effet en application de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, est contraire au droit international et aux dispositions de la convention de Vienne ;
b) l’Inde a droit à la restitutio in integrum ;
3) d’annuler la décision du tribunal militaire et de prescrire au Pakistan de ne pas donner effet, de quelque manière que ce soit, à la condamnation ou à la déclaration de culpabilité prononcées par ce tribunal, et
4) de prescrire au défendeur de libérer sans délai le ressortissant indien qui en a fait l’objet et de faciliter son retour en Inde en toute sécurité ;
5) à titre subsidiaire, et si la Cour devait conclure qu’il n’y a pas lieu de libérer M. Jadhav,
i) d’annuler la décision du tribunal militaire et de prescrire au Pakistan de ne pas donner effet à la condamnation prononcée par ce tribunal,
ou, à titre plus subsidiaire,
ii) de prescrire au défendeur de prendre les mesures qui pourraient être prévues par le droit pakistanais pour annuler la décision de ce tribunal,
et, dans les deux cas,
iii) de prescrire, après avoir déclaré irrecevables les aveux de l’intéressé qui ont été recueillis sans que celui-ci ait pu communiquer avec ses autorités consulaires, que soit organisé un procès de droit commun devant les juridictions civiles, dans le strict respect des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que du droit des autorités consulaires indiennes de communiquer avec l’intéressé et de pourvoir à sa représentation en justice.»
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Au nom du Gouvernement du Pakistan,
«La République islamique du Pakistan prie respectueusement la Cour, pour les raisons exposées dans ses pièces de procédure écrite et les exposés oraux qu’elle a présentés au cours des présentes audiences, de déclarer irrecevables les demandes de l’Inde. En outre, ou à titre subsidiaire, la République islamique du Pakistan prie respectueusement la Cour de rejeter les demandes de l’Inde dans leur intégralité.»
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I. CONTEXTE FACTUEL
20. La Cour observe que les Parties sont en désaccord sur plusieurs faits relatifs au différend porté devant elle. Il sera fait mention de ces désaccords chaque fois qu’il y aura lieu.
21. Depuis le 3 mars 2016, une personne du nom de Kulbhushan Sudhir Jadhav (ci-après «M. Jadhav») est détenue par les autorités pakistanaises. Les circonstances de son arrestation demeurent controversées entre les Parties. Selon l’Inde, l’intéressé a été enlevé en Iran, où il résidait et exerçait des activités commerciales après avoir pris sa retraite de la marine indienne, et a ensuite été transféré et mis en détention au Pakistan pour y faire l’objet d’interrogatoires. Le défendeur soutient que M. Jadhav, qu’il accuse de s’être livré à des actes d’espionnage et de terrorisme pour le compte de l’Inde, a été arrêté au Baloutchistan, à proximité de la frontière avec l’Iran, après être entré illégalement sur le territoire pakistanais. Il précise que, au moment de son arrestation, l’intéressé était en possession d’un passeport indien établi au nom de «Hussein Mubarak Patel». L’Inde nie ces allégations.
22. Le 25 mars 2016, le Pakistan a soulevé la question auprès du haut-commissaire indien à Islamabad et diffusé un enregistrement vidéo dans lequel M. Jadhav semble avouer avoir participé à des actes d’espionnage et de terrorisme en territoire pakistanais sur ordre du «Research and Analysis Wing», le service de renseignement extérieur de l’Inde (également désigné par l’acronyme «RAW»). La Cour ignore dans quelles circonstances cet enregistrement a été réalisé. Le même jour, le défendeur a informé les membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies de la question.
23. Le même jour également, l’Inde a, au moyen d’une note verbale adressée au ministère pakistanais des affaires étrangères par son haut-commissariat à Islamabad, pris note de l’«arrestation présumée d’un ressortissant indien» et demandé à pouvoir entrer en communication «au plus vite» avec «l’intéressé» par l’entremise de ses autorités consulaires. Par la suite, et jusqu’au 9 octobre 2017 au moins, elle a envoyé plus de dix notes verbales dans lesquelles elle identifiait M. Jadhav comme étant un ressortissant indien et sollicitait la possibilité de communiquer avec lui par l’entremise de ses autorités consulaires.
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24. Le 8 avril 2016, les autorités policières pakistanaises ont enregistré un «First Information Report» (ci-après «FIR»), c’est-à-dire un document officiel consignant des informations relatives à la commission alléguée d’infractions pénales. Le défendeur précise que, une fois enregistré, un tel document autorise la police à ouvrir une enquête. Dans le cas d’espèce, le FIR fournissait des détails sur la participation supposée de M. Jadhav à des activités d’espionnage et de terrorisme, et indiquait que celui-ci «faisait l’objet d’interrogatoires» menés par les autorités militaires pakistanaises. Un second FIR aurait été enregistré le 6 septembre 2016. Le 22 juillet 2016, les aveux de l’intéressé auraient été recueillis par un magistrat.
25. Le procès de M. Jadhav a débuté le 21 septembre 2016 et, selon le Pakistan, a été conduit devant une cour martiale générale de campagne. Différents détails concernant ce procès ont été rendus publics dans un communiqué de presse et une déclaration datés des 10 et 14 avril 2017, respectivement. Au vu de ces éléments (qui sont les seuls à avoir été fournis à la Cour), il apparaît que M. Jadhav a été jugé au titre de l’article 59 de la loi militaire pakistanaise de 1952 et de l’article 3 de la loi sur les secrets d’Etat de 1923. Le Pakistan affirme que, après que le procès eut commencé, l’intéressé s’est vu accorder un délai supplémentaire de trois semaines pour préparer sa défense, un «officier juriste qualifié» ayant été spécialement désigné à cette fin. Toutes les dépositions de témoins auraient été recueillies sous serment en présence de M. Jadhav, qui aurait eu la possibilité de poser des questions à ces derniers. Un magistrat du service du juge-avocat général du Pakistan «a siégé pendant toute la durée du procès».
26. Le 2 janvier 2017, le conseiller aux affaires étrangères du premier ministre pakistanais a adressé au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies une lettre l’informant de l’arrestation de M. Jadhav et des aveux de celui-ci, qui confirmaient selon lui la participation de l’Inde à certaines activités visant à «déstabiliser le Pakistan».
27. Le 23 janvier 2017, le ministère pakistanais des affaires étrangères a adressé au haut-commissariat de l’Inde à Islamabad une «demande d’assistance aux fins d’enquête pénale contre le ressortissant indien Kulbhushan Sudhair Jadhev», sollicitant notamment une aide en vue d’«obtenir des preuves, des éléments et des enregistrements aux fins de l’enquête pénale» sur les activités de l’intéressé. Il y était fait référence aux «assurances antérieure[ment données par l’Inde] de prêter son assistance, à charge de réciprocité, en matière pénale ou de terrorisme», ainsi qu’à la résolution 1373 (2001) adoptée par le Conseil de sécurité au sujet de mesures visant à prévenir et à réprimer les menaces à la paix et à la sécurité internationales causées par des actes de terrorisme. Le Pakistan affirme que, en dépit de ses rappels répétés, il n’avait, avant la tenue des audiences devant la Cour, obtenu aucune «réponse concrète» de l’Inde concernant cette demande. Pour sa part, l’Inde se réfère à deux notes verbales en date des 19 juin et 11 décembre 2017, respectivement, dans lesquelles elle indiquait que la demande du Pakistan était dépourvue de fondement juridique et que, en tout état de cause, elle n’était pas étayée par des éléments crédibles.
28. Le 21 mars 2017, le ministère pakistanais des affaires étrangères a adressé au haut-commissariat de l’Inde à Islamabad une note verbale précisant que la demande de celle-ci tendant à pouvoir communiquer avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires serait examinée «à la lumière de la suite [qu’elle] donnera[it] à la demande d’assistance aux fins d’enquête et de célérité de la justice formulée par le Pakistan». Le 31 mars 2017, l’Inde a répondu
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que «le fait d’être autorisée à communiquer avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires [était] une condition préalable essentielle pour établir les faits et comprendre les circonstances de la présence de l’intéressé au Pakistan». Les Parties ont avancé des arguments analogues dans le cadre d’échanges diplomatiques ultérieurs.
29. Le 10 avril 2017, le Pakistan a annoncé que M. Jadhav avait été condamné à mort. Cette annonce a été suivie d’une déclaration faite à la presse le 14 avril 2017 par le conseiller aux affaires étrangères de son premier ministre. En plus de fournir les informations susmentionnées concernant le procès de l’intéressé (voir paragraphe 25 ci-dessus), le conseiller y indiquait que les voies de recours suivantes s’offraient à celui-ci : faire appel devant une cour d’appel militaire dans un délai de 40 jours à compter du prononcé de la peine ; introduire un recours en grâce auprès du chef d’état-major de l’armée dans un délai de 60 jours à compter de la décision de la cour d’appel militaire ; et introduire un recours analogue auprès du président du Pakistan dans un délai de 90 jours à compter de la décision du chef d’état-major de l’armée.
30. Le 26 avril 2017, le haut-commissariat de l’Inde à Islamabad a remis au défendeur, au nom de la mère de M. Jadhav, un «appel» formé au titre de l’article 133 B) de la loi militaire pakistanaise et un recours auprès du Gouvernement fédéral du Pakistan introduit au titre de l’article 131 de ce même texte. L’Inde affirme que, le Pakistan lui ayant refusé l’accès au dossier de l’affaire, ces deux documents ont dû être établis sur la seule base d’informations publiquement accessibles.
31. Le 22 juin 2017, le service interarmées de relations publiques du Pakistan a publié un communiqué de presse annonçant que M. Jadhav avait introduit un recours en grâce auprès du chef d’état-major de l’armée après que son appel eut été rejeté par la cour d’appel militaire. L’Inde affirme n’avoir reçu aucune information claire sur les circonstances dans lesquelles cet appel aurait été formé ni sur l’état d’avancement de tout recours introduit contre la condamnation de l’intéressé. Dans le communiqué de presse susmentionné, il était également fait référence à un autre enregistrement d’aveux de M. Jadhav, réalisé à une date et dans des circonstances qui demeurent inconnues de la Cour.
32. Le 10 novembre 2017, le Pakistan a informé l’Inde de sa décision d’autoriser l’épouse de M. Jadhav à rendre visite à ce dernier pour «des raisons humanitaires». Le 13 novembre 2017, il a consenti à ce que la mère de l’intéressé participe également à cette rencontre. A la demande de l’Inde, il a assuré qu’il garantirait la liberté de mouvement, la sécurité et le bien-être des visiteuses, et permettrait à un représentant diplomatique de l’Inde d’être présent. La visite a eu lieu le 25 décembre 2017 ; les Parties sont toutefois en désaccord sur la mesure dans laquelle le Pakistan a respecté les assurances qu’il avait données.
II. COMPÉTENCE
33. L’Inde et le Pakistan sont parties à la convention de Vienne depuis le 28 décembre 1977 et le 14 mai 1969, respectivement. Ils étaient également, au moment du dépôt de la requête, parties au protocole de signature facultative, auquel ils n’ont pas émis de réserve ni joint de déclaration.
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34. L’Inde entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut et sur l’article premier du protocole de signature facultative, qui se lit comme suit :
«Les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice qui, à ce titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même partie au présent Protocole.»
35. Le présent différend a trait à la question de l’assistance consulaire au regard de l’arrestation, de la détention, du procès et de la condamnation de M. Jadhav. La Cour note que le Pakistan n’a pas contesté qu’il porte sur l’interprétation et l’application de la convention de Vienne.
36. La Cour note également que, dans sa requête, ses écritures et ses conclusions finales, l’Inde l’a priée de dire que le Pakistan avait violé les «droits de l’homme élémentaires de M. Jadhav, auxquels il conv[enai]t également de donner effet en application de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966» (ci-après le «Pacte»). Cet instrument est entré en vigueur le 10 juillet 1979 pour l’Inde, et le 23 septembre 2010, pour le Pakistan. A cet égard, la Cour observe que sa compétence en la présente espèce découle de l’article premier du protocole de signature facultative et, partant, ne s’étend pas à la question de savoir si des obligations de droit international autres que celles découlant de la convention de Vienne n’ont pas été respectées (cf. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 45-46, par. 85, et p. 68, par. 153).
37. Cette conclusion n’empêche pas la Cour de tenir compte d’autres obligations de droit international dans la mesure où elles sont pertinentes aux fins de l’interprétation de la convention de Vienne (cf. ibid., p. 45-46, par. 85).
38. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence en vertu de l’article premier du protocole de signature facultative pour connaître des demandes de l’Inde fondées sur des violations alléguées de la convention de Vienne.
III. RECEVABILITÉ
39. Le Pakistan a soulevé trois exceptions d’irrecevabilité de la requête de l’Inde. Celles-ci sont fondées sur les prétendus abus de procédure, abus de droit et comportement illicite de l’Inde. La Cour examinera ces exceptions tour à tour.
A. Première exception : abus de procédure
40. Dans sa première exception d’irrecevabilité, le Pakistan prie la Cour de dire que l’Inde a abusé des procédures devant la Cour. Il avance à cet effet deux arguments principaux.
41. Premièrement, le Pakistan soutient que, dans sa demande en indication de mesures conservatoires du 8 mai 2017, l’Inde n’a pas appelé l’attention de la Cour sur l’existence de ce qu’il considère comme des «éléments hautement pertinents». Il se réfère plus particulièrement à
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l’existence d’un droit, énoncé dans sa Constitution, d’introduire un recours en grâce dans un délai de 150 jours après le prononcé d’une condamnation à mort, qui aurait permis qu’il soit sursis à l’exécution de M. Jadhav au moins jusqu’à expiration de ce délai. Selon le Pakistan, cette possibilité a été annoncée dans un communiqué de presse en date du 14 avril 2017 (voir paragraphe 29 ci-dessus).
42. Deuxièmement, le Pakistan soutient que, avant d’introduire la présente instance le 8 mai 2017, l’Inde a omis de «prendre en considération» d’autres mécanismes de règlement des différends prévus aux articles II et III du protocole de signature facultative. A cet égard, il affirme n’avoir pas, au mépris de ces dispositions, reçu notification de l’existence d’un différend concernant l’interprétation ou l’application de la convention de Vienne avant l’introduction de l’instance le 8 mai 2017.
43. L’Inde rejette ces allégations. Pour ce qui est du premier argument du Pakistan, elle affirme que le fait que la Cour ait indiqué des mesures conservatoires en ce qui concerne la situation de M. Jadhav exclut que l’Inde ait pu, par sa demande tendant à l’indication de pareilles mesures, commettre un abus de procédure. Pour ce qui est du second argument du défendeur, elle soutient que les articles II et III du protocole de signature facultative n’énoncent pas de conditions préalables à la compétence de la Cour en vertu de l’article premier.
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44. S’agissant du premier argument du Pakistan, la Cour observe que, dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, elle a pris en considération les éventuelles conséquences sur la situation de M. Jadhav des différentes procédures d’appel ou de recours prévues en droit pakistanais, y compris le recours en grâce auquel le défendeur se réfère à l’appui de son argument (Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J Recueil 2017, p. 244-245, par. 53-56). A cet égard, elle a notamment conclu qu’«[i]l exist[ait] une grande incertitude quant à la date à laquelle une décision sur un éventuel appel ou recours pourrait être rendue et, dans le cas où la condamnation serait confirmée, quant à la date à laquelle M. Jadhav pourrait être exécuté» (ibid., par. 54). En conséquence, il n’existe aucun fondement permettant de conclure que l’Inde aurait abusé de ses droits procéduraux lorsqu’elle a demandé à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires en la présente affaire.
45. S’agissant du second argument, la Cour note qu’aucune des dispositions du protocole de signature facultative sur lesquelles le Pakistan se fonde n’énonce des conditions préalables à l’exercice de sa compétence.
46. L’article II se lit comme suit :
«Les parties peuvent convenir, dans un délai de deux mois après notification par une partie à l’autre qu’il existe à son avis un litige, d’adopter d’un commun accord, au lieu du recours à la Cour internationale de Justice, une procédure devant un tribunal d’arbitrage. Ce délai étant écoulé, chaque partie peut, par voie de requête, saisir la Cour du différend.»
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Aux termes de l’article III,
«1. [l]es parties peuvent également convenir d’un commun accord, dans le même délai de deux mois, de recourir à une procédure de conciliation avant d’en appeler à la Cour internationale de Justice.
2. La Commission de conciliation devra formuler ses recommandations dans les cinq mois suivant sa constitution. Si celles-ci ne sont pas acceptées par les parties au litige dans l’espace de deux mois après leur énoncé, chaque partie sera libre de saisir la Cour du différend par voie de requête.»
47. La Cour a déjà interprété ces dispositions dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), jugeant que les articles II et III des protocoles de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques et à la convention de Vienne sur les relations consulaires n’énonçaient pas une
«condition préalable à l’applicabilité de la disposition précise et catégorique de l’article I qui prévoit la compétence obligatoire de la Cour pour connaître des différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la convention de Vienne dont il s’agit. Les articles II et III se bornent à stipuler que les parties peuvent convenir de recourir à l’arbitrage ou à la conciliation comme procédure de remplacement de la saisine de la Cour.» (Arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 25-26, par. 48 ; les italiques sont dans l’original.)
48. Il s’ensuit que l’Inde n’était pas tenue, en la présente espèce, d’envisager le recours à d’autres mécanismes de règlement des différends avant d’introduire une instance devant la Cour le 8 mai 2017. L’exception du Pakistan fondée sur le fait que l’Inde n’aurait pas respecté les articles II et III du protocole de signature facultative ne saurait donc être retenue.
49. La Cour rappelle que «[s]eules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier qu[’elle] rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable. Il doit exister, à cet égard, des éléments attestant clairement que le comportement du demandeur procède d’un abus de procédure» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt du 13 février 2019, par. 113, citant Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150). La Cour ne considère pas qu’existent en la présente affaire des circonstances exceptionnelles qui justifieraient qu’elle rejette les demandes de l’Inde pour abus de procédure.
50. La Cour en conclut que la première exception d’irrecevabilité de la requête de l’Inde soulevée par le Pakistan doit être rejetée.
B. Deuxième exception : abus de droit
51. Dans sa deuxième exception d’irrecevabilité, le Pakistan prie la Cour de juger que l’Inde a abusé de différents droits que lui confère le droit international.
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52. Dans ses écritures et plaidoiries, le Pakistan a fondé cette exception sur trois arguments principaux. Premièrement, il se réfère au refus de l’Inde de «fournir des preuves» de la nationalité indienne de M. Jadhav au moyen de son «véritable passeport établi à son vrai nom», alors même qu’elle a l’obligation de le faire. Deuxièmement, il fait valoir que l’Inde a omis de donner suite à sa demande d’assistance dans le cadre des enquêtes pénales visant les activités de M. Jadhav. Troisièmement, il soutient que l’Inde a autorisé celui-ci à traverser la frontière indienne muni d’un «passeport authentique établi sous une fausse identité» en vue de mener des activités d’espionnage et de terrorisme. Pour étayer ces arguments, le Pakistan invoque diverses obligations relatives à la lutte contre le terrorisme énoncées dans la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité.
53. L’Inde fait état de ce qu’elle considère comme des contradictions entre les arguments avancés par le Pakistan devant la Cour en ce qui concerne la question de la nationalité de M. Jadhav et le propre comportement du défendeur après l’arrestation de celui-ci. Elle se fonde notamment sur les allusions faites par le Pakistan, dans le cadre d’échanges diplomatiques, à l’appartenance de l’intéressé au service de renseignement extérieur de l’Inde, le «Research and Analysis Wing», et, plus particulièrement, à sa nationalité indienne. Elle se réfère également à l’absence de traité d’entraide judiciaire entre les deux Etats, dont elle conclut que rien ne l’oblige à apporter son concours à des enquêtes pénales pakistanaises, ajoutant que, en tout état de cause, le droit d’assistance consulaire énoncé à l’article 36 de la convention de Vienne ne dépend pas du respect de quelque obligation de cette nature. Enfin, l’Inde considère que les allégations du Pakistan concernant le caractère illicite des activités de M. Jadhav sont infondées.
* *
54. Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur les exceptions préliminaires en l’affaire des Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), la Cour a précisé que «l’abus de droit ne peut être invoqué comme cause d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relève du fond de l’affaire» (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 337, par. 151).
55. La Cour note cependant que, en soulevant l’argument selon lequel l’Inde ne lui a pas fourni le «véritable passeport portant le vrai nom de l’intéressé», le Pakistan semble indiquer que celle-ci n’a pas prouvé la nationalité de l’intéressé. Cet argument étant pertinent aux fins des demandes formulées au titre de l’article 36 de la convention de Vienne en ce qui concerne M. Jadhav, il doit être examiné dès à présent.
56. A cet égard, la Cour observe qu’il ressort des éléments versés au dossier que les deux Parties ont considéré M. Jadhav comme étant un ressortissant indien. De fait, le Pakistan l’a qualifié ainsi à différentes reprises, y compris dans sa «demande d’assistance aux fins d’enquête pénale contre le ressortissant indien Kulbhushan Sudhair Jadhev». Dès lors, la Cour estime que les éléments qui lui ont été soumis ne laissent guère de doute quant au fait que l’intéressé est de nationalité indienne.
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57. Ainsi que cela a été indiqué plus haut, les deuxième et troisième arguments avancés par le Pakistan à l’appui de sa deuxième exception d’irrecevabilité de la requête sont fondés sur différents manquements allégués de l’Inde à ses obligations au titre de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité. En particulier, le Pakistan se réfère au fait que l’Inde n’ait pas répondu à sa demande d’entraide judiciaire aux fins des enquêtes pénales menées par lui sur les activités de terrorisme et d’espionnage de M. Jadhav, ainsi qu’au fait qu’elle aurait délivré à l’intéressé ce qu’il qualifie de «passeport authentique établi sous une fausse identité». La Cour observe que, en substance, le Pakistan semble faire valoir que l’Inde ne peut demander à fournir une assistance consulaire à M. Jadhav, alors que, dans le même temps, elle a, par suite des actes susmentionnés, manqué à certaines obligations que lui impose par ailleurs le droit international. Quoique le Pakistan n’ait pas clairement expliqué le lien entre ces allégations et les droits invoqués par l’Inde au fond, la Cour estime que celles-ci relèvent du fond de l’affaire et, partant, ne sauraient être invoquées pour fonder une exception d’irrecevabilité.
58. Pour ces motifs, la Cour conclut que la deuxième exception d’irrecevabilité de la requête de l’Inde soulevée par le Pakistan doit être rejetée. Les deuxième et troisième arguments avancés par le défendeur seront examinés au fond (voir paragraphes 121-124 ci-après).
C. Troisième exception : allégation de comportement illicite de l’Inde
59. Dans sa troisième exception d’irrecevabilité, le Pakistan prie la Cour de rejeter la requête en raison du comportement prétendument illicite de l’Inde. Se fondant sur la doctrine des «mains propres» et les principes «ex turpi causa [non oritur actio]» et «ex injuria jus non oritur», il fait valoir que celle-ci n’a pas répondu à sa demande d’assistance dans le cadre de l’enquête visant les activités de M. Jadhav, qu’elle a fourni à ce dernier un «passeport authentique établi sous une fausse identité» et, plus généralement, qu’elle est responsable des activités d’espionnage et de terrorisme menées par l’intéressé au Pakistan.
60. L’Inde considère que les allégations du Pakistan sont dépourvues de fondement et affirme que, en tout état de cause, l’obligation de l’Etat de résidence de respecter l’article 36 de la convention de Vienne n’est pas subordonnée aux allégations qu’il formule contre une personne qui a été arrêtée.
* *
61. La Cour ne considère pas qu’une exception fondée sur la doctrine des «mains propres» puisse en soi rendre irrecevable une requête reposant sur une base de compétence valable. Elle rappelle que, en l’affaire relative à Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), elle a jugé que, «même s’il était démontré que le comportement du demandeur n’était pas exempt de critique, cela ne suffirait pas pour accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le défendeur sur le fondement de la doctrine des «mains propres»» (exceptions préliminaires, arrêt du 13 février 2019, par. 122). La Cour en conclut que l’exception soulevée par le Pakistan sur la base de ladite doctrine doit être rejetée.
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62. La Cour relève également que le Pakistan s’est appuyé sur l’arrêt rendu par la Cour permanente de Justice internationale (ci-après la «CPJI») en l’affaire de l’Usine de Chorzów pour avancer un argument fondé sur un principe qu’il appelle «ex turpi causa [non oritur actio]». Or, dans cette affaire, la CPJI s’était référée au principe
«généralement reconnu par la jurisprudence arbitrale internationale, aussi bien que par les juridictions nationales, qu’une [p]artie ne saurait opposer à l’autre le fait de ne pas avoir rempli une obligation ..., si la première, par un acte contraire au droit, a empêché la seconde de remplir l’obligation en question» (compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, p. 31 ; voir aussi Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 67, par. 110).
63. En ce qui concerne ce principe, la Cour estime que le défendeur n’a pas expliqué de quelle manière l’un quelconque des actes illicites qu’aurait commis l’Inde aurait empêché le Pakistan de satisfaire à son obligation consistant à faire en sorte que M. Jadhav puisse bénéficier d’une assistance consulaire. La Cour conclut qu’il ne saurait être fait droit à l’exception du Pakistan fondée sur le principe «ex turpi causa non oritur actio».
64. La constatation ci-dessus conduit la Cour à une conclusion analogue en ce qui concerne le principe ex injuria jus non oritur, selon lequel un comportement illicite ne saurait modifier le droit applicable dans les relations entre les parties (voir Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 76, par. 133). Selon la Cour, ce principe est dépourvu de pertinence dans les circonstances de la présente espèce.
65. En conséquence, la Cour considère que la troisième exception d’irrecevabilité de la requête de l’Inde soulevée par le Pakistan doit être rejetée.
*
* *
66. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que les trois exceptions d’irrecevabilité de la requête soulevées par le Pakistan doivent être rejetées, et que la requête de l’Inde est recevable.
IV. LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS CONSULAIRES
67. La Cour rappelle que le Pakistan ne soulève pas expressément d’exception d’incompétence. Elle relève toutefois qu’il avance plusieurs arguments concernant l’applicabilité de certaines dispositions de la convention de Vienne au cas de M. Jadhav. La Cour considère qu’il y a lieu de commencer par examiner ces arguments.
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A. Applicabilité de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires
68. La Cour note que l’argumentation du Pakistan concernant l’applicabilité de la convention de Vienne comporte trois volets. Premièrement, le défendeur affirme que l’article 36 de cet instrument ne s’applique pas «dans les cas relevant prima facie de l’espionnage». Deuxièmement, il soutient que, dans les cas d’espionnage, les relations consulaires relèvent du droit international coutumier et que celui-ci autorise les Etats à prévoir certaines exceptions aux dispositions relatives à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, énoncées à l’article 36 de la convention. Troisièmement, il fait valoir que c’est l’accord conclu en 2008 entre l’Inde et le Pakistan sur la communication consulaire (ci-après l’«accord de 2008»), et non l’article 36 de la convention de Vienne, qui régit cette communication en l’espèce. La Cour examinera chacun de ces arguments tour à tour.
1. L’exception alléguée à l’article 36 de la convention de Vienne fondée sur des accusations d’espionnage
69. Le Pakistan affirme que la convention de Vienne ne s’applique pas «lorsque le comportement et les documents qui sont en la possession des personnes en cause indiquent, prima facie, qu’elles se livraient à des actes d’espionnage». Selon lui, les travaux préparatoires de la convention démontrent que les cas d’espionnage n’étaient pas considérés comme relevant du champ d’application de cet instrument, les affaires d’espionnage et de sécurité nationale pouvant constituer une «limitation justifiée» de la «liberté» de l’Etat d’envoi «de communiquer» avec ses ressortissants arrêtés dans l’Etat de résidence. Le Pakistan soutient que les rédacteurs de la convention avaient conscience que certaines questions relevant des relations consulaires ne seraient pas régies par cet instrument.
70. L’Inde estime que l’article 36 de la convention de Vienne ne souffre aucune exception. Selon elle, il ressort des travaux préparatoires de cet instrument qu’aucune exception n’a été prévue pour les cas d’espionnage, alors même que le sujet a été débattu pendant le processus de rédaction, les rédacteurs de la convention estimant que l’espionnage était couvert par les principes régissant la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi. L’Inde fait valoir que, si l’on allait au bout du raisonnement suivi par le Pakistan, l’Etat de résidence pourrait justifier le refus d’accorder les droits prévus dans la convention de Vienne en alléguant que des actes d’espionnage ont été commis.
* *
71. La Cour relève que l’Inde n’est pas partie à la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, et que le Pakistan, s’il a signé cet instrument le 29 avril 1970, ne l’a toutefois pas ratifié. Elle interprétera donc la convention de Vienne sur les relations consulaires en se fondant sur les règles coutumières d’interprétation des traités qui, ainsi qu’elle l’a dit à maintes reprises, trouvent leur expression dans les articles 31 et 32 de la convention de Vienne sur le droit des traités (voir, par exemple, Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 48, par. 83 ; Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 232, par. 153). Conformément
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à ces règles de droit international coutumier, les dispositions de la convention de Vienne sur les relations consulaires doivent être interprétées de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer à leurs termes lus dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de cet instrument. Pour confirmer le sens ainsi établi, éliminer une ambiguïté, un point obscur, ou éviter un résultat manifestement absurde ou déraisonnable, il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, comme les travaux préparatoires de la convention et les circonstances dans lesquelles celle-ci a été conclue.
a) Interprétation de l’article 36 suivant le sens ordinaire de ses termes
72. L’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires est ainsi libellé :
«Article 36 Communication avec les ressortissants de l’Etat d’envoi
1. Afin que l’exercice des fonctions consulaires relatives aux ressortissants de l’Etat d’envoi soit facilité :
a) Les fonctionnaires consulaires doivent avoir la liberté de communiquer avec les ressortissants de l’Etat d’envoi et de se rendre auprès d’eux. Les ressortissants de l’Etat d’envoi doivent avoir la même liberté de communiquer avec les fonctionnaires consulaires et de se rendre auprès d’eux ;
b) Si l’intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l’Etat de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l’Etat d’envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention. Toute communication adressée au poste consulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou mise en état de détention préventive ou toute autre forme de détention doit également être transmise sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa ;
c) Les fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi qui est incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice. Ils ont également le droit de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi qui, dans leur circonscription, est incarcéré ou détenu en exécution d’un jugement. Néanmoins, les fonctionnaires consulaires doivent s’abstenir d’intervenir en faveur d’un ressortissant incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention lorsque l’intéressé s’y oppose expressément.
2. Les droits visés au paragraphe 1 du présent article doivent s’exercer dans le cadre des lois et règlements de l’Etat de résidence, étant entendu, toutefois, que ces lois et règlements doivent permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles les droits sont accordés en vertu du présent article.»
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73. La Cour observe que ni l’article 36 ni aucune autre disposition de la convention de Vienne ne fait mention des cas d’espionnage. L’article 36, lorsqu’il est interprété dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de cet instrument, n’exclut pas non plus de son champ d’application certaines catégories de personnes, telles que celles qui sont soupçonnées d’espionnage.
74. Ainsi que cela est indiqué dans son préambule, la convention de Vienne a pour objet et pour but de «contribue[r] … à favoriser les relations d’amitié entre les pays». Quant au paragraphe 1 de l’article 36 de cet instrument, il a pour but, comme il est précisé dans sa phrase introductive, de faire en sorte que «l’exercice des fonctions consulaires relatives aux ressortissants de l’Etat d’envoi soit facilité». En conséquence, les fonctionnaires consulaires peuvent, dans tous les cas, exercer les droits relatifs à la communication avec les ressortissants de l’Etat d’envoi énoncés dans cette disposition. Il serait contraire au but de celle-ci que les droits qu’elle établit puissent être méconnus lorsque l’Etat de résidence allègue qu’un ressortissant étranger détenu par lui a participé à des actes d’espionnage.
75. La Cour en conclut que, lorsqu’il est interprété suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes de la convention de Vienne dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de celle-ci, l’article 36 de cet instrument n’exclut pas de son champ d’application certaines catégories de personnes, telles que celles qui sont soupçonnées d’espionnage.
b) Les travaux préparatoires de l’article 36
76. Compte tenu de la conclusion qui précède, il n’est pas, en principe, nécessaire que la Cour fasse appel à des moyens complémentaires d’interprétation, tels que les travaux préparatoires de la convention de Vienne et les circonstances dans lesquelles celle-ci a été conclue, pour déterminer le sens de l’article 36 de cet instrument. Toutefois, comme dans d’autres affaires (voir, par exemple, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 322, par. 96 ; Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 653, par. 53), la Cour peut avoir recours aux travaux préparatoires pour confirmer son interprétation de ladite disposition.
i) La Commission du droit international (1960)
77. Au cours des débats de la Commission du droit international au sujet des «relations et immunités consulaires», il n’a jamais été suggéré que l’article 36 ne s’appliquât pas à certaines catégories de personnes, telles que celles qui sont soupçonnées d’espionnage.
78. Le projet d’article 30 A, qui a servi de base à l’article 36 de la convention, a été examiné par la Commission en 1960. Dans sa partie pertinente, il disposait ce qui suit : «[l]es autorités locales doivent prévenir sans retard le consul de l’Etat d’envoi lorsqu’un ressortissant de cet Etat est détenu dans sa circonscription» (Annuaire de la Commission du droit international, 1960, vol. I, p. 45, par. 1). Parmi les points abordés concernant cette disposition figurait la question de savoir si, et dans quelle mesure, il était envisageable que la notification consulaire soit faite «sans retard» dans les pays où il existait un système de détention au secret pendant un certain temps, au début de l’enquête criminelle.
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79. C’est dans le cadre du débat sur l’expression «sans retard» que M. Tounkine, membre de la Commission, a fait référence à «l’espionnage» :
«M. TOUNKINE croit préférable de supprimer les mots «sans retard». Dans certains cas, il est impossible d’informer immédiatement le consul de l’arrestation ou de la détention d’un ressortissant. Parfois même, lorsqu’il s’agit d’espionnage et qu’il peut y avoir des complices en liberté, il peut être bon que les autorités locales ne soient pas tenues d’informer le consul.» (Ibid., p. 63, par. 47.)
80. S’agissant des cas d’espionnage, le président de la Commission a formulé l’observation suivante :
«Le PRESIDENT fait observer que l’énoncé d’un principe général de droit ne saurait couvrir tous les cas concevables. Au cas où la Commission déciderait d’examiner la question de savoir s’il convient de faire exception pour les cas d’espionnage, c’est le principe même de la protection consulaire et de la communication du consul avec ses ressortissants qui serait remis en cause.» (Ibid., p. 63, par. 48.)
81. La Cour relève que la Commission ne s’est pas penchée sur la question de l’espionnage lors de ses réunions ultérieures et que le «principe de la protection consulaire et de la communication du consul avec ses ressortissants» n’a pas été remis en cause.
82. La Cour fait en outre observer que la question de l’espionnage a également été soulevée dans le cadre des discussions de la Commission sur l’éventuel ajout, dans la disposition proposée, d’une référence aux zones de sécurité. Il n’a cependant pas été avancé que la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi puisse être refusée dans les cas d’espionnage en raison de préoccupations de sécurité nationale.
83. Au cours de sa session de 1961, la Commission a décidé de remplacer l’expression «sans retard» par l’expression «sans retard injustifié» (Annuaire de la Commission du droit international, 1961, vol. I, p. 256-260). La Cour fait observer que cette décision n’avait aucune incidence sur le champ d’application du projet d’article 36. Le commentaire de la Commission relatif au projet d’alinéa b) du paragraphe 1 de cet article indique seulement que «[l]’expression «sans retard injustifié» utilisée à l’alinéa b) du paragraphe 1 tient compte des cas où les intérêts de l’instruction criminelle exigent que l’arrestation d’une personne soit tenue secrète pendant un certain temps»» (Documents officiels de la Conférence des Nations Unies sur les relations consulaires, Vienne, 4 mars-22 avril 1963 (Nations Unies, doc. A/CONF.25/16/Add.1), vol. II, p. 25, par. 6).
ii) La conférence de Vienne (1963)
84. Au cours de la conférence sur les relations consulaires qui s’est tenue à Vienne du 4 mars au 22 avril 1963, la question de l’espionnage a été soulevée au sujet de l’expression «sans retard injustifié» figurant dans le projet d’article 36 :
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«Le PRESIDENT invite M. Žourek [l’ancien rapporteur spécial de la Commission sur ce sujet] à expliquer pourquoi la Commission du droit international a introduit dans son projet les mots «sans retard injustifié»…
M. ŽOUREK (expert) indique qu[’avec] les mots en question … on a voulu prévoir les cas dans lesquels la police de l’Etat de résidence pourrait juger bon de mettre un délinquant en état de détention préventive pendant un certain temps. Par exemple, si elle soupçonne quelqu’un de diriger un réseau de contrebande, la police pourrait juger bon de garder son arrestation secrète jusqu’au moment où elle aura trouvé ses complices. Des mesures analogues pourraient être adoptées en cas d’espionnage.» (Ibid., vol. I, p. 365, par. 8-9.)
85. L’explication fournie par M. Žourek donne à penser que, si les accusations d’espionnage étaient considérées comme étant pertinentes aux fins de déterminer le délai dans lequel l’Etat de résidence devait avertir l’Etat d’envoi, les cas d’espionnage n’étaient pas pour autant exclus du champ d’application de la convention. La Cour relève également que, pendant la discussion sur les propositions de modification du projet d’article 36, dont celle émanant du Royaume-Uni et tendant à supprimer le mot «injustifié» de l’expression «sans retard injustifié», qui a finalement été adoptée (ibid., vol. I, p. 376), il n’a pas été avancé que certaines catégories de personnes, telles que celles qui sont soupçonnées d’espionnage, devraient être exclues de la protection offerte par la convention.
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86. Les travaux préparatoires confirment donc l’interprétation selon laquelle l’article 36 n’exclut pas de son champ d’application certaines catégories de personnes, telles que celles qui sont soupçonnées d’espionnage.
2. L’exception que prévoirait le droit international coutumier pour les cas d’espionnage
87. Selon le Pakistan, la pratique des Etats démontre que, à l’époque de l’adoption de la convention de Vienne en 1963, il n’existait aucune règle de droit international coutumier rendant obligatoire la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi lorsque ces derniers étaient accusés d’espionnage. Le défendeur soutient qu’il existait, en 1963, une règle de droit international coutumier selon laquelle les cas relevant prima facie de l’espionnage constituaient une exception au droit des autorités consulaires de communiquer avec leurs ressortissants. A l’appui de sa conclusion selon laquelle cette règle de droit international coutumier est demeurée intacte et a continué de l’emporter sur la convention de Vienne, il cite le préambule de celle-ci, dans lequel il est indiqué que «les règles du droit international coutumier continueront à régir les questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les dispositions de la présente Convention».
88. L’Inde soutient que les cas mentionnés par le Pakistan, dans lesquels des Etats ont refusé aux autorités consulaires la possibilité de communiquer avec leurs ressortissants soupçonnés d’espionnage, ou les y ont autorisées avec un retard considérable, ne sauraient avoir une
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quelconque incidence sur l’interprétation de l’article 36 de la convention de Vienne. Selon elle, il s’agit de «cas isolés» qui ne constituent pas une pratique établie. L’Inde estime que le Pakistan se fourvoie en avançant que le droit international coutumier l’emporte sur le libellé de l’article 36 de la convention et qu’une exception est créée lorsque sont formulées des allégations d’espionnage.
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89. La Cour relève que, dans le préambule de la convention de Vienne, il est indiqué que «les règles du droit international coutumier continueront à régir les questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les dispositions de la présente Convention» (les italiques sont de la Cour). L’article 36 de cet instrument régit expressément la question de la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi et ne prévoit aucune exception en ce qui concerne les cas d’espionnage. La Cour rappelle que l’Inde et le Pakistan sont parties à la convention de Vienne depuis 1977 et 1969, respectivement (voir paragraphe 33 ci-dessus) et que ni l’une ni l’autre des Parties n’a émis de réserve ni joint de déclaration à ses dispositions. Elle considère donc que c’est de l’article 36 de cet instrument, et non du droit international coutumier, que relève la question à l’examen dans les relations entre les Parties.
90. Etant parvenue à cette conclusion, la Cour n’estime pas nécessaire de déterminer si la règle de droit international coutumier qu’avance le Pakistan existait au moment de l’adoption de la convention de Vienne en 1963.
3. Pertinence de l’accord conclu en 2008 entre l’Inde et le Pakistan sur la communication consulaire
91. L’accord de 2008 dispose, dans ses passages pertinents, ce qui suit :
«Accord sur la communication consulaire
Le Gouvernement de l’Inde et le Gouvernement du Pakistan, désireux d’oeuvrer à la réalisation de l’objectif consistant à garantir un traitement humain aux ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement sur le territoire de l’autre, sont convenus des facilités consulaires réciproques suivantes :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
ii) L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement de tout ressortissant de l’autre Etat doivent être signalés sans délai au haut-commissariat de celui-ci.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
iv) Chaque gouvernement autorise, dans un délai maximal de trois mois, les autorités consulaires de l’autre Etat à entrer en communication avec les ressortissants de celui-ci qui ont été arrêtés, détenus ou emprisonnés.
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v) Les deux gouvernements conviennent de libérer et de rapatrier les intéressés dans un délai d’un mois au plus tard après expiration de leur peine et confirmation de leur nationalité.
vi) En cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, chaque partie peut examiner l’affaire au fond.»
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92. Le Pakistan soutient que c’est l’accord de 2008, et non la convention de Vienne sur les relations consulaires, qui régit, entre les deux Etats, la question de la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, y compris aux fins de la présente affaire. Selon lui, la nature des activités d’espionnage et de terrorisme auxquelles s’est livré M. Jadhav ainsi que les circonstances dans lesquelles elles se sont déroulées font que l’arrestation de l’intéressé relève clairement de la restriction relative à la sécurité nationale énoncée au point vi) de l’accord. Le Pakistan soutient donc qu’il était fondé, dans les circonstances particulières de l’espèce, à rechercher «au fond» s’il convenait de permettre à M. Jadhav de communiquer avec ses autorités consulaires. Il conteste l’interprétation avancée par l’Inde, selon laquelle le point vi) doit être lu conjointement avec le point v), qui porte sur la libération et le rapatriement anticipés des personnes détenues (voir paragraphe 93 ci-après). Le défendeur estime que le point vi) de l’accord de 2008 est pleinement conforme à l’article 73 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, ainsi qu’à l’article 41 de la convention de Vienne sur le droit des traités, cet accord pouvant tout à fait être considéré comme «complétant» les dispositions de la convention de Vienne sur les relations consulaires ou «étendant» le champ d’application de celles-ci.
93. L’Inde souligne que ses demandes sont exclusivement fondées sur la convention de Vienne et soutient que l’existence d’un accord bilatéral est dépourvue de pertinence aux fins de l’exercice du droit à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi prévu par la convention. Selon elle, les droits et obligations correspondantes qui sont énoncés à l’article 36 de cet instrument ne sauraient être modifiés par des traités bilatéraux. L’Inde fait valoir que rien dans le libellé de l’accord de 2008 ne donne à penser que l’une ou l’autre des Parties ait jamais eu l’intention de déroger à l’article 36 de la convention de Vienne, et que l’interprétation du Pakistan serait contraire à l’article 73 de la convention de Vienne. S’agissant du point vi) de l’accord de 2008, elle considère que l’expression «examiner l’affaire au fond» se rapporte à la règle imposant de libérer et rapatrier les intéressés dans un délai d’un mois après confirmation de leur nationalité et expiration de leur peine, énoncée au point v), et que, à titre d’exception à cette règle, les deux Etats se réservent, en cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, le droit d’examiner l’affaire au fond après expiration de la peine des intéressés pour déterminer s’il convient de les libérer ou de les rapatrier.
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94. La Cour rappelle que le point vi) de l’accord de 2008 dispose que, «[e]n cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, chaque partie peut examiner l’affaire au fond». Elle rappelle également que, dans le préambule de l’accord, les Parties ont déclaré qu’elles étaient «désireu[ses] d’oeuvrer à la réalisation de l’objectif consistant à garantir un traitement humain aux ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement sur le territoire de l’autre». La Cour estime que le point vi) de l’accord ne saurait être lu comme autorisant l’Etat de résidence à refuser la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi en cas d’arrestation, de détention ou de condamnation de ces derniers pour des raisons politiques ou de sécurité. Etant donné l’importance des droits en question pour la garantie d’«un traitement humain [des] ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement sur le territoire de l’autre», il y a tout lieu de penser que, si l’intention des Parties avait été de restreindre de quelque façon les droits garantis par l’article 36, cette intention ressortirait sans équivoque des dispositions de l’accord. Tel n’est pas le cas.
95. En outre, comme cela a été indiqué au paragraphe 74 ci-dessus en ce qui concerne l’exception alléguée dans les cas d’espionnage, toute dérogation à l’article 36 pour des raisons politiques ou de sécurité risquerait de priver de sens le droit à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, puisque cela donnerait à l’Etat de résidence la possibilité de refuser cette communication.
96. Il y a aussi lieu, aux fins de l’interprétation de l’accord de 2008, de prendre en considération le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne. Celui-ci prévoit qu’«[a]ucune disposition de [cet instrument] ne saurait empêcher les Etats de conclure des accords internationaux confirmant, complétant ou développant ses dispositions, ou étendant leur champ d’application». Il ressort de son libellé que ce paragraphe fait référence aux accords susceptibles d’être conclus ultérieurement par certaines parties à la convention. La Cour relève que celle-ci a été rédigée en vue d’établir, dans la mesure du possible, des normes uniformes régissant les relations consulaires. Le sens ordinaire du paragraphe 2 de l’article 73 indique que seule la conclusion d’accords ultérieurs qui confirment, complètent, développent les dispositions de la convention de Vienne, ou étendent leur champ d’application, tels que des accords régissant certaines questions qu’elle ne couvre pas, est compatible avec cet instrument.
97. Les Parties ont négocié l’accord de 2008 en pleine connaissance du paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne. Ayant examiné cet accord, et à la lumière des conditions énoncées par cette disposition, la Cour est d’avis que l’accord de 2008 est un accord ultérieur qui a pour objet de «confirmer, compléter ou développer les dispositions de la convention, ou d’étendre leur champ d’application». En conséquence, elle considère que le point vi) dudit accord ne se substitue pas, contrairement à ce que prétend le Pakistan, aux obligations découlant de l’article 36 de la convention.
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98. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’aucun des arguments avancés par le Pakistan en ce qui concerne l’applicabilité de l’article 36 de la convention de Vienne au cas de M. Jadhav ne saurait être retenu. Elle en conclut que cet instrument est applicable en la présente affaire, indépendamment des allégations selon lesquelles l’intéressé se serait livré à des activités d’espionnage.
B. Les violations alléguées de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires
99. Ayant conclu que la convention de Vienne était applicable en l’espèce, la Cour examinera à présent les violations des obligations énoncées à l’article 36 de cet instrument qu’aurait commises le Pakistan. Dans ses conclusions finales, l’Inde affirme que ce dernier a agi en violation des obligations que lui impose l’article 36 i) en ne l’avertissant pas sans retard de la détention de M. Jadhav ; ii) en n’informant pas M. Jadhav de ses droits aux termes de l’article 36 ; et iii) en refusant aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité de communiquer avec M. Jadhav, en violation de leur droit de se rendre auprès de celui-ci, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice. La Cour examinera ces violations alléguées dans l’ordre chronologique.
1. Le manquement allégué à l’obligation d’informer M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36
100. L’Inde soutient que nul ne sait si le Pakistan a informé M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36. Elle affirme néanmoins que le comportement du défendeur, qui a laissé entendre dans plusieurs déclarations publiques que le détenu ne pouvait prétendre au droit de communiquer avec le poste consulaire indien, donne fortement à penser que tel n’est pas le cas.
101. Le Pakistan n’a pas prétendu qu’il avait informé M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36.
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102. L’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne dispose que les autorités compétentes de l’Etat de résidence doivent informer un ressortissant étranger en détention de ses droits aux termes de cette disposition. La Cour doit donc déterminer si, en application de cette dernière, les autorités pakistanaises compétentes ont informé M. Jadhav de ses droits. A cet égard, elle observe que le Pakistan n’a pas contesté l’affirmation de l’Inde selon laquelle M. Jadhav n’a pas été informé de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36. Dans ses écritures et plaidoiries, le défendeur a au contraire constamment soutenu que la convention ne s’appliquait pas à une personne soupçonnée d’espionnage. La Cour déduit de cette position du Pakistan que celui-ci n’a pas informé l’intéressé de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, et en conclut qu’il a manqué à l’obligation que lui impose cette disposition.
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2. Le manquement allégué à l’obligation d’avertir l’Inde, sans retard, de l’arrestation et de la détention de M. Jadhav
103. L’Inde affirme que M. Jadhav a été arrêté le 3 mars 2016 et qu’elle n’en a été informée que lorsque le Foreign Secretary du Pakistan a évoqué le sujet auprès du haut-commissaire indien à Islamabad, le 25 mars 2016. Elle soutient que le défendeur n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle plus de trois semaines s’étaient écoulées avant qu’il n’avise le haut-commissaire de l’Inde de l’arrestation de l’intéressé. Selon elle, le Pakistan a reconnu, dès le 30 mars 2016, qu’elle avait, le 25 mars, demandé à pouvoir entrer en communication avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires. L’Inde affirme que, n’ayant alors aucune difficulté à comprendre que la demande concernait M. Jadhav, le défendeur n’a pas cherché à obtenir de précision quant à l’identité du ressortissant indien dont il était question.
104. Le Pakistan confirme que M. Jadhav a été arrêté le 3 mars 2016 et qu’il en a informé le haut-commissaire de l’Inde le 25 mars 2016. Il ne conteste pas non plus que, le même jour, le haut-commissariat a adressé au ministère pakistanais des affaires étrangères une note verbale dans laquelle il était fait référence à «l’arrestation présumée d’un ressortissant indien au Baloutchistan» et demandé que les autorités consulaires indiennes puissent entrer en communication avec cette personne. Il souligne cependant que l’Inde n’a pas nommément désigné l’intéressé et soutient que ce n’est que le 10 juin 2016 qu’elle l’a effectivement identifié comme étant M. Jadhav.
105. Citant l’arrêt rendu en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), dans lequel la Cour a conclu que «l’expression «sans retard» ne d[evait] pas nécessairement être interprétée comme signifiant «immédiatement» après l’arrestation» (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 49, par. 87), le Pakistan fait valoir que l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne n’exige pas de permettre immédiatement la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi. Selon le défendeur, il appert du paragraphe 2 de l’article 36 de ce même instrument que les droits énoncés aux alinéas a) à c) du paragraphe 1 dudit article doivent être exercés en conformité avec le droit de l’Etat de résidence. Le Pakistan soutient que le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain s’applique aux droits énoncés dans la convention de Vienne.
* *
106. L’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne prévoit que, si un ressortissant de l’Etat d’envoi est arrêté ou détenu, et «[s’il] en fait la demande», les autorités compétentes de l’Etat de résidence doivent, «sans retard», avertir le poste consulaire de l’Etat d’envoi. Pour se prononcer sur l’argument de l’Inde selon lequel le Pakistan a manqué à l’obligation que lui impose cette disposition, la Cour recherchera, premièrement, si M. Jadhav a formulé pareille demande et, deuxièmement, si le défendeur a averti le poste consulaire de l’Inde de l’arrestation et de la détention de l’intéressé. Enfin, si elle juge que tel est le cas, elle déterminera si le Pakistan l’a fait «sans retard».
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107. En interprétant l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 conformément au sens ordinaire des termes qui y sont employés, la Cour relève qu’il existe un lien intrinsèque entre l’obligation de l’Etat de résidence d’informer une personne détenue de ses droits aux termes de ladite disposition et la capacité de cette personne de demander que le poste consulaire de l’Etat d’envoi soit averti de sa détention. Si l’Etat de résidence ne s’acquitte pas de son obligation, l’intéressé peut ne pas avoir connaissance de ses droits en vertu de cette disposition et, partant, ne pas être à même de formuler une demande tendant à ce que les autorités compétentes dudit Etat avertissent le poste consulaire de l’Etat d’envoi de son arrestation.
108. Les travaux préparatoires confirment le lien entre l’obligation de l’Etat de résidence d’informer une personne détenue de ses droits et la capacité de celle-ci de demander que le poste consulaire de l’Etat d’envoi soit averti de sa détention. Le libellé initial de la disposition à l’examen, préparé par la Commission du droit international, ne comportait pas d’expression équivalente à la mention «[si] l’intéressé en fait la demande» (Documents officiels de la Conférence des Nations Unies sur les relations consulaires, Vienne, 4 mars-22 avril 1963 (Nations Unies, doc. A/CONF.25/16/Add.1, vol. II, p. 24-25). Celle-ci a été ajoutée lors de la conférence de Vienne en 1963. Le Royaume-Uni s’était alors inquiété des «abus et erreurs d’interprétation» pouvant résulter de cet ajout, qui risquait selon lui de «rendre pratiquement sans effet les dispositions de l’article 36 parce qu’une personne arrêtée n’aurait peut-être pas connaissance de ses droits» (ibid., vol. I, p. 89, par. 73). Il a donc jugé essentiel d’insérer la nouvelle phrase suivante à la fin de l’alinéa b) : «[Lesdites autorités] doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa» (ibid., vol. II, p. 176). La proposition visant à insérer l’expression «[s]i l’intéressé en fait la demande» et celle du Royaume-Uni tendant à ajouter la phrase précitée ont été adoptées en même temps (ibid., vol. I, p. 92-93, par. 108-112).
109. L’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention dispose que, si une personne détenue «en fait la demande», les autorités compétentes de l’Etat de résidence doivent avertir le poste consulaire de l’Etat d’envoi. Au vu de ce qui a été indiqué aux paragraphes 107 et 108 ci-dessus, l’expression «si l’intéressé en fait la demande» doit être lue conjointement avec l’obligation de l’Etat de résidence d’informer la personne détenue de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36. La Cour a déjà conclu que le Pakistan n’avait pas informé M. Jadhav de ses droits (voir paragraphe 102 ci-dessus). Dès lors, elle est d’avis que le défendeur avait l’obligation d’avertir le poste consulaire de l’Inde de l’arrestation et de la détention de l’intéressé, conformément à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention.
110. En outre, la Cour relève que, lorsqu’un ressortissant de l’Etat d’envoi est incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, une obligation pour les autorités de l’Etat de résidence d’avertir le poste consulaire de l’Etat d’envoi découle des droits des fonctionnaires consulaires, prévus à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36, de se rendre auprès du ressortissant et «de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice».
111. La Cour en vient maintenant à la deuxième question, c’est-à-dire celle de savoir si le Pakistan a averti l’Inde de l’arrestation et de la détention de M. Jadhav. Le 25 mars 2016, le Foreign Secretary du Pakistan a convoqué le haut-commissaire indien à Islamabad pour évoquer cette arrestation et émis, par la voie diplomatique, une protestation contre l’entrée illicite au Pakistan d’un «officier du renseignement extérieur indien» (voir paragraphe 22 ci-dessus). La Cour
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relève que l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 ne précise pas la manière dont l’Etat de résidence doit avertir le poste consulaire de l’Etat d’envoi de la détention de l’un de ses ressortissants. Ce qui importe, c’est que les informations contenues dans la notification suffisent à faciliter l’exercice, par l’Etat d’envoi, des droits consulaires énoncés au paragraphe 1 de l’article 36. La démarche entreprise par le Pakistan le 25 mars 2016 a permis à l’Inde de formuler le même jour une demande tendant à entrer en communication avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires (voir paragraphe 103 ci-dessus). Dès lors, la Cour considère que le défendeur a notifié à l’Inde le 25 mars 2016 l’arrestation et la détention de M. Jadhav, comme l’exige l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
112. La Cour examinera à présent la dernière question, c’est-à-dire celle de savoir si l’Inde a été avertie «sans retard». Le Pakistan affirme que, au moment de son arrestation le 3 mars 2016, M. Jadhav était en possession d’un passeport indien établi au nom de «Hussein Mubarak Patel». Dans les circonstances de la présente espèce, la Cour considère que, à cette date ou peu après, le défendeur disposait d’éléments suffisants pour conclure que M. Jadhav était, ou était probablement, un ressortissant indien, et avait dès lors l’obligation d’avertir l’Inde de son arrestation conformément à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne (Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 43, par. 63).
113. Quelque trois semaines se sont écoulées entre l’arrestation de M. Jadhav le 3 mars 2016 et la notification de celle-ci à l’Inde le 25 mars 2016. La Cour rappelle que «ni les termes de la convention [de Vienne] dans leur sens ordinaire, ni son objet et son but ne permettent de penser que «sans retard» doit s’entendre par «immédiatement après l’arrestation et avant l’interrogatoire»» (Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 48, par. 85). Elle rappelle également que «rien dans les travaux préparatoires n’indique que l’expression «sans retard» pourrait avoir des sens différents dans chacun des trois contextes particuliers où elle est employée à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36» (ibid., p. 49, par. 86). En l’affaire Avena, la Cour a tranché au cas par cas la question de savoir si la notification avait été faite «sans retard». Elle a ainsi jugé qu’il y avait eu violation de l’obligation d’information énoncée à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 après 40 heures seulement dans le cas d’une personne détenue dont la nationalité étrangère était manifeste dès les premiers moments de sa détention (ibid., p. 50, par. 89), mais qu’il n’y avait pas eu violation après cinq jours dans le cas d’une personne dont la nationalité étrangère était plus incertaine au moment de son arrestation (ibid., p. 52, par. 97). Compte tenu des circonstances particulières de la présente espèce, la Cour considère que le fait qu’il ait été procédé à la notification quelque trois semaines après l’arrestation de M. Jadhav constitue un manquement à l’obligation d’avertir «sans retard» les autorités consulaires, comme l’exige l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
3. Le manquement allégué à l’obligation de permettre la communication consulaire
114. L’Inde observe que, dans sa note verbale du 21 mars 2017, le Pakistan a indiqué que la demande de l’Inde tendant à pouvoir entrer en communication avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires serait étudiée «à la lumière de la suite qu’elle donnerait à sa demande d’assistance aux fins d’enquête». Elle avance que, en n’accédant pas à sa demande tendant à pouvoir entrer en communication avec son ressortissant malgré les nombreux rappels qu’elle lui a adressés, le Pakistan a manqué et continue de manquer aux obligations que lui impose
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l’article 36 de la convention de Vienne. Elle soutient que les obligations que cette disposition met à la charge de l’Etat de résidence ne dépendent pas de la suite positive donnée par l’Etat d’envoi à des demandes de coopération dans le cadre d’enquêtes pénales formulées par l’Etat de résidence et que, l’article 36 ne prévoyant aucune exception, il crée des obligations de nature absolue.
115. Le Pakistan soutient que la fonction consulaire de l’Etat d’envoi consistant à défendre les intérêts de ses ressortissants dans l’Etat de résidence doit s’exercer conformément aux lois de cet Etat. En ce qui concerne la violation alléguée de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36, il fait valoir que M. Jadhav a été autorisé à désigner un avocat de son choix, mais qu’il a décidé de se faire représenter par un officier défenseur interne possédant les qualifications requises pour assurer une représentation en justice.
* *
116. L’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne prévoit que
«[l]es fonctionnaires consulaires doivent avoir la liberté de communiquer avec les ressortissants de l’Etat d’envoi et de se rendre auprès d’eux. Les ressortissants de l’Etat d’envoi doivent avoir la même liberté de communiquer avec les fonctionnaires consulaires et de se rendre auprès d’eux».
L’alinéa c) dispose notamment que «[l]es fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi qui est incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, de s’entretenir et de correspondre avec lui». La Cour rappelle que «le paragraphe 1 de l’article 36 crée des droits individuels qui, en vertu de l’article premier du protocole de signature facultative, peuvent être invoqués devant [elle] par 1’Etat dont la personne détenue a la nationalité» (LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 494, par. 77).
117. En la présente affaire, il n’est pas contesté que le Pakistan n’a permis à aucun fonctionnaire consulaire indien d’entrer en communication avec M. Jadhav. Depuis le 25 mars 2016, l’Inde a formulé un certain nombre de demandes à cet effet (voir paragraphes 22 et 23 ci-dessus). Le défendeur y a répondu pour la première fois dans sa note verbale en date du 21 mars 2017, dans laquelle il indiquait que «la possibilité [pour l’Inde] de communiquer par l’entremise de ses autorités consulaires avec son ressortissant, M. Kulbushan Jadhev, sera[it] étudiée à la lumière de la suite qu’elle donnera[it] à la demande d’assistance aux fins d’enquête et de célérité de la justice [qu’il avait] formulée» (voir paragraphe 28 ci-dessus). La Cour est d’avis que le manquement allégué de l’Inde, qui n’aurait pas apporté son concours à l’enquête menée au Pakistan, ne dispense pas ce dernier de son obligation énoncée au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention, et ne justifie pas son refus de permettre aux fonctionnaires consulaires indiens d’entrer en communication avec M. Jadhav.
118. L’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 prévoit que les fonctionnaires consulaires ont le droit de pourvoir à la représentation en justice d’un ressortissant de l’Etat d’envoi en détention. Il présuppose que les fonctionnaires consulaires puissent organiser cette représentation en justice sur la base des conversations et de la correspondance qu’ils ont eues avec l’intéressé. La Cour estime
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que, même si elle est établie, l’affirmation du Pakistan selon laquelle M. Jadhav a choisi d’être représenté par un officier défenseur possédant les qualifications requises pour assurer une représentation en justice alors qu’il avait été autorisé à désigner l’avocat de son choix ne rend pas superflu le droit des fonctionnaires consulaires de pourvoir à la représentation en justice de l’intéressé.
119. La Cour conclut de ce qui précède que le Pakistan a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne en refusant aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité d’entrer en communication avec M. Jadhav, contrairement au droit qui leur est reconnu de se rendre auprès de celui-ci, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice.
*
120. Ayant conclu que le Pakistan avait agi en violation des obligations que lui imposent les alinéas a), b) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, la Cour examinera maintenant les arguments du défendeur fondés sur l’abus de droit.
C. Abus de droit
121. Compte tenu de ce qui précède, la Cour déterminera si les violations du droit international qu’aurait commises l’Inde et que le Pakistan invoque à l’appui de ses arguments fondés sur l’abus de droit peuvent constituer un moyen de défense au fond (voir paragraphes 57 et 58 ci-dessus).
122. Les arguments des Parties relatifs à ces allégations ont déjà été exposés plus haut (voir paragraphes 51-53 ci-dessus). En substance, le Pakistan allègue que l’Inde ne peut demander à fournir une assistance consulaire à M. Jadhav, alors qu’elle a, dans le même temps, manqué à certaines obligations que lui impose par ailleurs le droit international.
123. A cet égard, la Cour rappelle que la convention de Vienne «énonce certaines normes que tous les Etats parties doivent observer aux fins du «déroulement sans entrave des relations consulaires»», et que l’article 36, qui a trait à l’assistance consulaire aux ressortissants étrangers faisant l’objet d’une procédure pénale et à la communication avec ces derniers, énonce des droits de l’Etat aussi bien que de l’individu, droits qui sont interdépendants (Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 36, par. 40, et p. 38, par. 47, citant respectivement LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 494, par. 77, et Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), mesures conservatoires, ordonnance du 15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 19-20, par. 40). Selon la Cour, la convention de Vienne n’offre aucun fondement permettant à un Etat de conditionner l’exécution de ses obligations au titre de l’article 36 au respect, par l’autre Etat, d’autres obligations de droit international. Dans le cas contraire, il serait gravement porté atteinte au système d’assistance consulaire dans son ensemble.
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124. Pour ces motifs, la Cour conclut qu’aucune des allégations du défendeur relatives à l’abus de droit qu’aurait commis l’Inde ne justifie un manquement par le Pakistan aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 36 de la convention de Vienne. Les arguments du défendeur sur ce point doivent dès lors être rejetés.
V. REMÈDES
125. Les remèdes sollicités par l’Inde dans ses conclusions finales ont déjà été exposés (voir paragraphe 19 ci-dessus). En résumé, l’Inde prie la Cour de dire et juger que le Pakistan a agi en violation de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires. En conséquence, elle lui demande de dire que la condamnation à laquelle est parvenu le tribunal militaire pakistanais est contraire au droit international et aux dispositions de la convention de Vienne, et qu’elle a droit à la restitutio in integrum. Elle prie également la Cour d’annuler la décision du tribunal militaire et de prescrire au Pakistan de ne pas donner effet au verdict de culpabilité rendu ou à la peine prononcée, de libérer M. Jadhav et de faciliter son retour en Inde en toute sécurité. A titre subsidiaire, et si la Cour devait conclure qu’il n’y a pas lieu de libérer l’intéressé, elle lui demande d’annuler la décision du tribunal militaire et d’ordonner au défendeur de ne pas donner effet à la peine prononcée par ce tribunal. A titre plus subsidiaire, l’Inde prie la Cour d’enjoindre au Pakistan de prendre des mesures pour annuler la décision du tribunal militaire. Dans les deux cas, elle demande à la Cour de prescrire, après avoir déclaré irrecevables les aveux de M. Jadhav, que soit organisé un procès de droit commun devant une juridiction civile, dans le strict respect des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que du droit des autorités consulaires indiennes de communiquer avec l’intéressé et de pourvoir à sa représentation en justice.
126. L’Inde affirme que, afin de déterminer un remède approprié qui soit conforme aux strictes normes du droit international relatif aux droits de l’homme, «dont l’article 36 est … un élément important», la Cour devrait tenir compte de la nature et de la portée des violations commises, de l’ampleur du préjudice subi par suite de celles-ci et de la mesure dans laquelle le procès en cause s’est écarté des garanties d’une procédure régulière. Elle soutient que, lorsqu’un manquement à l’article 36 de la convention de Vienne a entraîné la violation du droit énoncé à l’article 14 du Pacte, les principes de la responsabilité de l’Etat doivent lui être appliqués en tenant compte de l’«interaction» entre les deux dispositions et, partant, des graves conséquences dudit manquement.
127. L’Inde cherche à opérer une distinction entre la présente espèce et les affaires LaGrand et Avena, dans lesquelles, d’après elle, si la Cour s’est contentée d’accorder un réexamen et une revision du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée, c’est parce qu’elle avait retenu l’argument des Etats-Unis d’Amérique selon lequel leur système de justice pénale répondait pleinement aux critères d’une procédure équitable. L’Inde affirme que le système pakistanais de justice pénale administrée par des tribunaux militaires ne satisfait pas aux normes minimales d’une procédure équitable lorsqu’il est appliqué aux civils. Selon elle, un «remède prenant la forme d’un réexamen et d’une revision» serait «tout à fait inadapté» dans le cas de M. Jadhav. Se référant à un arrêt rendu par la Cour suprême pakistanaise en 2016 en l’affaire Said Zaman Khan et al. v. Federation of Pakistan (voir paragraphe 141 ci-après), l’Inde avance que, au Pakistan, le champ d’application du réexamen judiciaire est étroit, les verdicts de culpabilité rendus par les tribunaux militaires «ne pouvant être contestés que sur le fondement du principe coram non judice, de l’incompétence, de la mauvaise foi ou de l’intention implicite de nuire». Tout en reconnaissant
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que, dans un arrêt rendu en 2018, la High Court de Peshawar semble avoir adopté une «position plus large», l’Inde souligne que le Gouvernement du Pakistan a interjeté appel de cet arrêt et que la Cour suprême a suspendu l’application de celui-ci jusqu’à ce qu’il ait été statué sur ledit appel.
128. A l’appui de son argumentation relative au remède approprié, l’Inde se réfère à des rapports établis par certaines organisations internationales et non gouvernementales sur le système de justice militaire au Pakistan.
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129. Le Pakistan, pour sa part, avance que les remèdes sollicités par l’Inde (l’annulation d’un verdict de culpabilité rendu et d’une peine prononcée par une juridiction pénale nationale ainsi que la libération d’un prisonnier reconnu coupable) ne pourraient être accordés que par une cour d’appel en matière criminelle. Selon lui, le fait d’accorder pareils remèdes aurait pour effet de transformer la Cour en une juridiction d’appel de décisions pénales nationales. Le défendeur soutient que celle-ci a constamment et invariablement confirmé le principe suivant lequel elle n’exerçait pas la fonction de juridiction d’appel en matière criminelle et que le rétablissement du statu quo ante ne constitue pas un remède approprié à une violation de l’article 36 de la convention de Vienne, puisque, à la différence de l’assistance juridique, l’assistance consulaire n’est pas considérée comme une condition à remplir dans une procédure pénale.
130. Le Pakistan estime que le remède approprié en la présente espèce serait, tout au plus, un réexamen et une revision du verdict de culpabilité et de la peine qui soient effectifs et tiennent compte des effets potentiels de toute violation de l’article 36 de la convention de Vienne. Il se réfère à la décision rendue en 2018 par la High Court de Peshawar, qui a annulé plus de 70 verdicts de culpabilité et peines prononcés par des tribunaux militaires. Il fait valoir que son système judiciaire interne prévoit une procédure bien établie et définie habilitant les juridictions civiles à se livrer à un réexamen approfondi des décisions rendues par les tribunaux militaires afin de s’assurer que l’accusé a bénéficié de l’équité procédurale, et que ses juridictions sont parfaitement à même de procéder à un réexamen et à une revision qui accordent tout le poids qui sied à l’effet de toute violation de l’article 36 de la convention de Vienne.
131. Le défendeur indique en outre que des procédures de recours en grâce peuvent compléter de manière appropriée les procédures judiciaires de réexamen et de revision, soulignant que, à tous les moments pertinents, tant le réexamen judiciaire que les procédures de recours en grâce étaient ouverts à M. Jadhav et à sa famille.
132. Le Pakistan ajoute que le comportement de l’Inde et de M. Jadhav doit être pris en considération dans tout examen par la Cour du remède qui pourrait être accordé, y compris la question de savoir si ce comportement est d’une illicéité telle qu’il fait totalement obstacle à l’octroi d’un quelconque remède.
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133. La Cour a déjà conclu que le Pakistan avait agi en violation des obligations que lui impose l’article 36 de la convention de Vienne,
i) en n’informant pas M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 ;
ii) en n’avertissant pas sans retard l’Inde de l’arrestation et de la détention de M. Jadhav ; et
iii) en refusant aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité de communiquer avec M. Jadhav, en violation, notamment, de leur droit de pourvoir à la représentation en justice de l’intéressé (voir paragraphes 99-119 ci-dessus).
134. La Cour considère que les violations commises par le Pakistan, telles qu’énoncées aux points i) et iii) du paragraphe qui précède, constituent des faits internationalement illicites présentant un caractère continu. En conséquence, elle estime que le défendeur est tenu d’y mettre fin et de se conformer pleinement aux obligations que lui impose l’article 36 de la convention de Vienne. Dès lors, le Pakistan doit informer sans autre retard M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 et permettre à des fonctionnaires consulaires indiens de se rendre auprès de l’intéressé et de pourvoir à sa représentation en justice, comme le prévoient les alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36.
135. S’agissant de la conclusion de l’Inde tendant à ce qu’elle dise que la peine prononcée par le tribunal militaire du Pakistan est contraire au droit international et aux dispositions de la convention de Vienne, la Cour rappelle qu’elle tient sa compétence de l’article premier du protocole de signature facultative. Celle-ci se limite à l’interprétation ou à l’application de la convention de Vienne et ne s’étend pas aux demandes de l’Inde fondées sur toutes autres règles de droit international (voir paragraphe 36 ci-dessus). A l’appui des remèdes qu’elle sollicite, l’Inde se réfère à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Conformément à la règle exprimée à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, il peut être tenu compte du Pacte, en même temps que du contexte, aux fins de l’interprétation de la convention de Vienne sur les relations consulaires. La Cour note toutefois que le remède qu’il y a lieu de prescrire en la présente espèce a pour but de réparer uniquement le préjudice causé par le fait internationalement illicite du Pakistan qui relève de sa compétence, à savoir le manquement de ce dernier aux obligations que lui impose l’article 36 de ladite convention et non le Pacte.
136. S’agissant de la demande de l’Inde fondée sur la convention de Vienne, la Cour estime que ce ne sont pas le verdict de culpabilité rendu et la peine prononcée contre M. Jadhav qui doivent être considérés comme une violation des dispositions de ladite convention. En l’affaire Avena, elle a en effet confirmé que «l’affaire portée devant elle concern[ait] l’article 36 de la convention de Vienne, et non le bien-fondé en soi de tout verdict de culpabilité rendu ou de toute peine prononcée», et que «ce n[’étaien]t pas les verdicts de culpabilité rendus et les peines prononcées à l’encontre des ressortissants mexicains qui d[evai]ent être considérés comme une violation du droit international, mais uniquement certains manquements à des obligations conventionnelles [relatives à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi] qui les [avaie]nt précédés» (Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 60, par. 122-123).
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137. S’agissant de l’affirmation de l’Inde selon laquelle elle a droit à la restitutio in integrum et de sa demande tendant à ce que la Cour annule la décision du tribunal militaire et prescrive au défendeur de ne pas donner effet au verdict de culpabilité ou à la peine, ainsi que de sa demande supplémentaire tendant à ce qu’elle lui prescrive de prendre des mesures pour annuler la décision du tribunal militaire, libérer M. Jadhav et faciliter son retour en Inde en toute sécurité, la Cour rappelle que ce ne sont pas le verdict de culpabilité rendu et la peine prononcée contre l’intéressé qui doivent être considérés comme une violation de l’article 36 de la convention de Vienne. Elle rappelle également qu’«[i]l ne saurait être présumé que … l’annulation partielle ou totale des verdicts de culpabilité et des peines constitue nécessairement le seul mode de réparation» en cas de violation de l’article 36 de la convention de Vienne (ibid., p. 60, par. 123). En conséquence, la Cour conclut que ces conclusions de l’Inde ne peuvent être retenues.
138. La Cour réaffirme que «c’est un principe du droit international ... que toute violation d’un engagement comporte l’obligation de réparer» et que «la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite» (Usine de Chorzów (demande en indemnité), fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 29, 47). Elle considère que le remède approprié en la présente espèce consiste en un réexamen et une revision du verdict de culpabilité et de la peine prononcés contre M. Jadhav qui soient effectifs. Cela est conforme à l’approche qu’elle a suivie dans les affaires où étaient en cause des violations de cette disposition (LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 514, par. 125 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 65-66, par. 138-140 et p. 73, par. 153) et cadre également avec ce que l’Inde la prie de dire et de juger en la présente affaire. Selon la Cour, l’Inde sollicite, en dernière analyse, des remèdes effectifs aux violations de la convention commises par le Pakistan. La Cour relève que le Pakistan reconnaît que le remède approprié en l’espèce serait un réexamen et une revision effectifs de la déclaration de culpabilité rendue et de la peine prononcée.
139. La Cour estime qu’il y a lieu de mettre particulièrement l’accent sur le fait que le réexamen et la revision doivent être effectifs. Pour que le réexamen et la revision de la déclaration de culpabilité rendue et de la peine prononcée contre M. Jadhav soient effectifs, il convient de s’assurer que soit accordé tout le poids qui sied à l’effet de la violation des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention et de garantir que la violation et le préjudice en résultant seront pleinement étudiés, ce qui présuppose l’existence d’une procédure adaptée à cette fin. La Cour observe que c’est normalement la procédure judiciaire qui est adaptée à la tâche de réexamen et de revision (voir Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 65-66, par. 138-140).
140. En la présente espèce, la peine de mort prononcée contre M. Jadhav par la cour martiale générale de campagne du Pakistan a été confirmée par le chef d’état-major de l’armée le 10 avril 2017. Les éléments de preuve paraissent indiquer que M. Jadhav a formé un appel devant la cour d’appel militaire en vertu de l’article 133 B) de la loi militaire pakistanaise de 1952, mais que cet appel a été rejeté. S’agissant de la procédure de recours, il semble ressortir des éléments de preuve qu’un recours en grâce a été introduit auprès du chef d’état-major de l’armée par M. Jadhav, et que la mère de ce dernier a cherché à introduire un recours auprès du Gouvernement fédéral du Pakistan au titre de l’article 131 de la loi précitée, ainsi qu’un appel en vertu de l’article 133 B). La Cour ne dispose d’aucun élément indiquant l’issue de ces recours ou de cet appel.
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141. La Cour note que, selon le défendeur, les High Courts du Pakistan peuvent exercer une compétence en matière de réexamen judiciaire. Elle relève cependant que le paragraphe 3 de l’article 199 de la Constitution pakistanaise a été interprété par la Cour suprême du Pakistan comme limitant la faculté d’une personne soumise à toute loi relative aux forces armées de cet Etat, dont la loi militaire de 1952, de bénéficier de pareil réexamen. La Cour suprême a précisé que les High Courts et elle-même ne pouvaient exercer une compétence en matière de réexamen judiciaire à l’égard d’une décision d’une cour martiale générale de campagne «que pour les motifs suivants : coram non judice, incompétence ou mauvaise foi, y compris l’intention implicite de nuire» (Said Zaman Khan et al. v. Federation of Pakistan, Supreme Court of Pakistan, Civil Petition No. 842 of 2016, 29 août 2016, par. 73). Le paragraphe 1 de l’article 8 de la Constitution pakistanaise dispose que toute loi incompatible avec des droits fondamentaux garantis par la Constitution est nulle, cette disposition ne s’appliquant cependant pas à la loi militaire pakistanaise de 1952 en raison d’un amendement constitutionnel (ibid., par. 125). Il est donc difficile de savoir si le réexamen judiciaire d’une décision rendue par un tribunal militaire est possible au motif qu’il y a eu violation des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
142. La Cour prend acte de la décision rendue par la High Court de Peshawar en 2018. Celle-ci a jugé qu’elle avait pour mandat de s’opposer activement aux décisions des tribunaux militaires «[s]i, premièrement, l’argumentation de l’accusation n’était fondée sur aucun élément de preuve, si elle était fondée, deuxièmement, sur des éléments de preuve insuffisants, troisièmement, sur un défaut de compétence et enfin, sur une intention explicite ou implicite de nuire» (Abdur Rashid et al. v. Federation of Pakistan, High Court of Peshawar, Writ Petition 536-P of 2018, 18 octobre 2018, p. 147-148). Le Gouvernement pakistanais a interjeté appel de cette décision, et l’affaire était toujours pendante au moment de la clôture de la procédure orale en la présente espèce.
143. La Cour confirme que la procédure de recours en grâce ne saurait suffire à elle seule à constituer un moyen approprié de réexamen et revision, mais que
«des procédures appropriées de recours en grâce peuvent compléter le réexamen et la revision judiciaires, notamment dans l’hypothèse où le système judiciaire n’aurait pas dûment tenu compte de la violation des droits prévus par la convention de Vienne» (Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 66, par. 143).
Les éléments de preuve présentés à la Cour semblent indiquer que deux procédures de recours en grâce étaient ouvertes à M. Jadhav : l’introduction d’un premier recours auprès du chef d’état-major de l’armée dans un délai de 60 jours à compter de la décision de la cour d’appel et l’introduction d’un second recours auprès du président du Pakistan dans un délai de 90 jours à compter de la décision du chef d’état-major de l’armée sur le premier (voir paragraphe 29 ci-dessus). La Cour n’a cependant pas été avisée de l’issue du recours en grâce introduit par M. Jadhav auprès du chef d’état-major de l’armée (voir paragraphe 140 ci-dessus). Aucun élément ne lui a été soumis en ce qui concerne la procédure de recours en grâce présidentielle.
144. Compte tenu de ces circonstances, la Cour juge impératif de souligner une nouvelle fois que le réexamen et la revision du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Jadhav doivent être effectifs.
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145. A cet égard, la Cour tiendra pleinement compte des déclarations faites par le Pakistan. Pendant la procédure orale, l’agent du défendeur a ainsi indiqué que la Constitution pakistanaise garantissait, en tant que droit fondamental, le droit à un procès équitable ; que ce droit était «absolu» et «ne saurait être retiré» ; que tous les procès étaient conduits en conséquence et que, dans le cas contraire, «la procédure de réexamen judiciaire demeurait ouverte». Un conseil du défendeur a par ailleurs assuré à la Cour que les High Courts du Pakistan exerçaient une «compétence effective en matière de réexamen judiciaire», citant comme exemple la décision rendue par la High Court de Peshawar en 2018 (voir paragraphe 142 ci-dessus). La Cour souligne que le respect des principes d’un procès équitable revêt une importance capitale dans le cadre de tout réexamen et de toute revision, et que, dans les circonstances de l’espèce, il est essentiel pour que le réexamen et la revision du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Jadhav soient effectifs. Elle considère que la violation des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne et ses conséquences sur les principes d’un procès équitable devraient être pleinement examinées et dûment traitées au cours de la procédure de réexamen et de revision. A cette occasion, il conviendrait en particulier d’analyser en profondeur tout préjudice potentiel et son incidence sur les éléments de preuve et les droits de la défense de l’accusé.
146. La Cour note que l’obligation d’assurer un réexamen et une revision effectifs peut être mise en oeuvre de diverses façons. Le choix des moyens revient au Pakistan (cf. LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 514, par. 125). Ce nonobstant, cette liberté quant au choix des moyens n’est pas sans limite (Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 62, par. 131). L’obligation d’assurer un réexamen et une revision effectifs est une «obligation de résultat» qui «doit ... être exécutée de manière inconditionnelle» (Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 17, par. 44). En conséquence, le Pakistan doit prendre toutes les mesures permettant d’assurer un réexamen et une revision effectifs, y compris, si nécessaire, en adoptant les mesures législatives qui s’imposent.
147. La Cour conclut que le Pakistan est tenu d’assurer, par les moyens de son choix, un réexamen et une revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Jadhav, de manière à ce que soit accordé tout le poids qui sied à l’effet de la violation des droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne, en tenant compte des paragraphes 139, 145 et 146 du présent arrêt.
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148. La Cour rappelle qu’elle a indiqué une mesure conservatoire prescrivant au Pakistan de prendre toutes les mesures dont il dispose pour que M. Jadhav ne soit pas exécuté tant que la décision définitive en la présente instance n’aura pas été rendue (Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 246, par. 61, point I du dispositif). Elle estime que la poursuite du sursis à exécution constitue une condition indispensable au réexamen et à la revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre l’intéressé.
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149. Par ces motifs,
LA COUR,
1) A l’unanimité,
Dit qu’elle a compétence, sur le fondement de l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 concernant le règlement obligatoire des différends, pour connaître de la requête déposée par la République de l’Inde le 8 mai 2017 ;
2) Par quinze voix contre une,
Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la requête de la République de l’Inde soulevées par la République islamique du Pakistan et dit que la requête est recevable ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
3) Par quinze voix contre une,
Dit que, en n’informant pas sans retard M. Kulbhushan Sudhir Jadhav des droits qui sont les siens en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, la République islamique du Pakistan a manqué aux obligations que lui impose cette disposition ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
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4) Par quinze voix contre une,
Dit que, en ne notifiant pas sans retard au poste consulaire approprié de la République de l’Inde en République islamique du Pakistan la détention de M. Kulbhushan Sudhir Jadhav et en privant ainsi la République de l’Inde du droit de rendre à l’intéressé l’assistance prévue par la convention de Vienne, la République islamique du Pakistan a manqué aux obligations que lui impose l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
5) Par quinze voix contre une,
Dit que la République islamique du Pakistan a privé la République de l’Inde du droit de communiquer avec M. Kulbhushan Sudhir Jadhav, de se rendre auprès de lui alors qu’il était en détention et de pourvoir à sa représentation en justice, et a de ce fait manqué aux obligations que lui imposent les alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
6) Par quinze voix contre une,
Dit que la République islamique du Pakistan est tenue d’informer sans autre retard M. Kulbhushan Sudhir Jadhav de ses droits et de permettre aux fonctionnaires consulaires indiens d’entrer en communication avec lui conformément à l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
7) Par quinze voix contre une,
Dit que, pour fournir la réparation appropriée en l’espèce, la République islamique du Pakistan est tenue d’assurer, par les moyens de son choix, un réexamen et une revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Kulbhushan Sudhir Jadhav, de manière à ce que soit accordé tout le poids qui sied à l’effet de la violation des droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, en tenant compte des paragraphes 139, 145 et 146 du présent arrêt ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
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8) Par quinze voix contre une,
Dit que la poursuite du sursis à exécution constitue une condition indispensable au réexamen et à la revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Kulbhushan Sudhir Jadhav.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le dix-sept juillet deux mille dix-neuf, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République de l’Inde et au Gouvernement de la République islamique du Pakistan.
Le président,
(Signé) Abdulqawi Ahmed YUSUF.
Le greffier adjoint,
(Signé) Jean-Pelé FOMÉTÉ.
M. le juge CANÇADO TRINDADE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; Mme la juge SEBUTINDE, MM. les juges ROBINSON et IWASAWA joignent des déclarations à l’arrêt ; M. le juge ad hoc JILLANI joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
(Paraphé) A.A.Y.
(Paraphé) J-P.F.
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Arrêt du 17 juillet 2019

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