Discours de S. Exc. M. Abdulqawi A. Yusuf, président de la Cour internationale de Justice, devant la sixième commission de l'Asssemblée générale

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000-20181026-PRE-01-00-FR
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DISCOURS DE S. EXC. M. ABDULQAWI AHMED YUSUF,
PRÉSIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE,
DEVANT LA SIXIÈME COMMISSION DE
L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
Le recours à des experts désignés par la Cour en vertu de l’article 50 du Statut
New York (Etats-Unis)
Le 26 octobre 2018
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les représentants,
1. C’est un grand honneur de m’adresser pour la première fois à la Sixième Commission de
l’Assemblée générale en ma qualité de président de la Cour internationale de Justice.
2. Je tiens à vous féliciter, Monsieur le président de votre élection à la présidence de cette
Commission pour la soixante-treizième session de l’Assemblée générale.
3. Au fil des années, la Cour a soumis à l’Assemblée générale de nombreux rapports sur ses
activités judiciaires. Un lecteur attentif de ces documents ne manquerait pas d’y discerner deux
tendances qui se font jour. La première est l’augmentation considérable du nombre de décisions
rendues par la Cour sur le fond et sur les procédures incidentes. En dix mois cette année, la Cour a
rendu pas moins de quatre arrêts, dont deux sur le fond, un sur l’indemnisation et un sur des
exceptions préliminaires, ainsi que deux ordonnances en indication de mesures conservatoires.
4. La seconde tendance qui se dessine est la diversité croissante des affaires soumises à la
Cour. En sus des litiges traditionnels, tels que ceux portant sur la souveraineté territoriale ou la
délimitation maritime, la Cour est de plus en plus souvent saisie de différends ayant trait à d’autres
sujets très divers, comme les droits humains, les relations diplomatiques ou la protection de
l’environnement. Seule juridiction internationale à compétence générale, elle peut connaître de
toute question de droit international, sous réserve, bien entendu, du consentement des parties au
différend.
5. Le siècle passé a vu s’accroître nettement le nombre de domaines régis par le droit
international. Parallèlement, les techniques juridiques utilisés pour réglementer ces domaines se
sont diversifiés. Alors que la science ne cesse de progresser, nous constatons que les Etats et
organisations internationales s’appuient sur des normes scientifiques et techniques pour définir le
champ de leurs obligations juridiques. En conséquence, un nombre croissant de différends
soulevant des questions scientifiques complexes relèvent de la compétence ratione materiae de la
Cour. Je donnerai deux séries d’exemples pour illustrer ce point.
6. La première série concerne des situations où les Etats ont défini le contenu de leurs
obligations juridiques en se référant à des paramètres scientifiques donnés. Ainsi, en l’affaire
relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle Zélande
(intervenant)), la Cour devait statuer sur la question de savoir si le Japon menait son programme de
chasse à la baleine «en vue de recherches scientifiques», conformément au paragraphe 1 de
l’article VIII de la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine.
D’autres conventions internationales définissent une notion juridique à l’aide de termes
scientifiques, revêtant souvent ceux-ci d’un sens précis. A titre d’exemple, l’article 76 de la
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convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer définit le plateau continental au-delà
de 200 milles marins en utilisant des paramètres scientifiques.
7. La seconde série d’exemples concerne des situations dans lesquelles les faits du différend
porté devant la Cour doivent être établis conformément à des principes et méthodes scientifiques.
Ainsi, en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier (Argentine c. Uruguay), la Cour devait
déterminer si le rejet de certaines substances dans le fleuve Uruguay polluerait ce cours d’eau, en
violation des obligations que le statut du fleuve impose à l’Uruguay. L’affaire relative à des
Epandages aériens d’herbicides (Equateur c. Colombie) posait des questions analogues.
8. De tels cas amènent souvent les milieux universitaires à demander si la Cour est bien
outillée pour connaître d’affaires où interviennent des éléments scientifiques ou de nombreuses
données factuelles.
9. Mon allocution a pour objet d’examiner l’un des outils de procédure dont dispose la Cour
pour prendre en considération les questions scientifiques en jeu dans les affaires qui lui sont
soumises, à savoir, la désignation d’experts. En vertu de l’article 50 de son Statut, «[à] tout
moment, la Cour peut confier une enquête ou une expertise à toute personne, corps, bureau,
commission ou organe de son choix».
10. Je suis convaincu que le recours à des experts permet à la Cour d’apprécier pleinement
les questions scientifiques soulevées dans certaines affaires dont elle est saisie, sans préjudice des
droits procéduraux des parties. Pour illustrer ce point, je traiterai aujourd’hui de deux questions
essentielles pour la désignation d’experts. Dans un premier temps, j’expliquerai la valeur ajoutée
qu’apportent de tels experts dans les affaires soumises à la Cour. Dans un second temps,
j’examinerai les circonstances dans lesquelles la Cour devrait désigner ses propres experts. Je
conclurai par quelques observations d’ordre général.
Monsieur le président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les représentants,
Je poursuivrai mon allocution en anglais.
I. La valeur ajoutée des experts désignés dans les procédures devant la Cour
11. J’en viens à présent au premier point : la valeur ajoutée qu’apportent les experts désignés
par la Cour.
12. En général, ce sont les parties au différend qui produisent l’essentiel des éléments de
preuve dans les affaires soumises à la Cour. En l’affaire des Usines de pâte à papier, que je viens
d’évoquer, la Cour a considéré que, «selon le principe bien établi onus probandi incumbit actori,
c’[était] à la partie qui avance certains faits d’en démontrer l’existence» (Usines de pâte à papier
sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 71, par. 162).
13. A cette fin, les parties font fréquemment appel à des experts pour exposer ou éclaircir les
points scientifiques controversés. Or, si les experts désignés par les parties sont sans nul doute
d’une aide précieuse pour la Cour, il existe au moins deux raisons pour lesquelles celle-ci peut
néanmoins avoir besoin de désigner ses propres experts en vertu de l’article 50 de son Statut.
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14. La première est le fait que, souvent, les parties ne font pas comparaître leurs experts en
tant que témoins, mais les incluent dans leurs délégations respectives en qualité de conseils. Cette
pratique a des conséquences juridiques découlant du paragraphe 2 de l’article 42 du Statut. En
effet, lorsqu’ils sont entendus par la Cour en qualité de conseils, les experts ne peuvent pas être
interrogés par l’autre partie. Qui plus est, les membres de la Cour ne peuvent pas non plus procéder
directement à leur contre-interrogatoire. Par conséquent, la véracité des déclarations faites par ces
experts ou leur valeur juridique ne sont pas débattues.
15. Depuis 2010, la Cour cherche à encourager les parties à présenter leurs experts en tant
que témoins et non en tant que conseils. Dans un obiter dictum énoncé en l’affaire des Usines de
pâte à papier, elle a indiqué, à propos des experts qui étaient intervenus à l’audience en qualité de
conseils, qu’elle aurait trouvé plus utile que les parties, au lieu de les inclure à ce titre dans leurs
délégations respectives, les présentent en tant que témoins-experts en vertu des articles 57 et 64 de
son Règlement. Les personnes déposant devant elle sur la base de leurs connaissances scientifiques
ou techniques et de leur expérience personnelle devraient, a-t-elle estimé, le faire en qualité
d’experts ou de témoins, voire, dans certains cas, à ces deux titres à la fois, mais non comme
conseils. Elles pourraient ainsi répondre aux questions de la partie adverse ainsi qu’à celles de la
Cour elle-même. (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 72, par. 167.)
16. Depuis cette affaire, la Cour a commencé à adresser aux parties, avant l’ouverture des
audiences, des lettres leur demandant de faire déposer comme témoins les experts cités dans leurs
pièces de procédure. Tel fut notamment le cas en l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans
l’Antarctique et dans les affaires relatives à la Construction d’une route au Costa Rica le long du
fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) et à Certaines activités menées par le Nicaragua dans
la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), dont les instances avaient été jointes. Ainsi, la
pratique des experts paraissant devant la Cour en qualité de conseils semble avoir pris fin.
17. Il existe cependant une seconde raison expliquant pourquoi la Cour pourrait toujours
avoir besoin de désigner ses propres experts en vertu de l’article 50 de son Statut. Les experts des
parties tendent à être plus favorables aux intérêts de la partie qui les a désignés. Comme on peut s’y
attendre, d’un point de vue stratégique, il serait peu judicieux pour un Etat de faire intervenir
comme témoin un expert susceptible de fragiliser sa thèse. La Cour, dès lors, examine «avec
circonspection» les éléments de preuve expressément préparés aux fins d’une affaire devant la
Cour, tels que ceux qui peuvent être présentés par des témoins-experts, d’une part, et, de l’autre,
prête une attention toute particulière aux éléments de preuve dignes de foi attestant de faits ou de
comportements défavorables à l’Etat que représente celui dont émanent lesdits éléments (Activités
armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J.
Recueil 2005, p. 201, par. 61).
18. Si le contre-interrogatoire lui permet certainement de mieux comprendre les divergences
de vues des experts désignés par les parties, ainsi que les différences de méthode qui sous-tendent
ces vues, la Cour peut toutefois avoir besoin de tirer ses propres conclusions sur les questions
scientifiques en jeu et, dès lors, de s’appuyer sur ses propres experts.
19. Il n’est pas rare que, dans des ouvrages universitaires, certains spécialistes affirment que
la Cour ne désigne pas d’experts en vertu de l’article 50, parce qu’elle fait appel à des «experts
fantômes». Ce terme désigne des personnes dont l’identité n’est pas révélée aux parties, qui n’ont
donc pas la possibilité de formuler des observations sur leur contribution à la prise de décision.
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20. Cette critique, tout comme la solution proposée pour remédier au problème dans la
littérature académique repose sur une méconnaissance du fonctionnement de la Cour. Les
prétendus «experts fantômes» ne sont ni des «fantômes», ni des «experts» au sens du Statut. La
Cour est certes installée dans un palais séculaire, mais celui-ci n’est pas pour autant hanté. Il s’agit
en réalité de fonctionnaires temporaires du Greffe, nommés conformément au paragraphe 2 de
l’article 21 du Statut de la Cour.
21. Le Greffe joue un important rôle d’appui dans le fonctionnement de la Cour, mais ses
fonctionnaires ne rédigent pas de rapports. C’est pourquoi la question de la transmission d’un
rapport aux parties à des fins d’observations ne se pose pas. A l’instar de leurs collègues du Greffe,
ces fonctionnaires temporaires aident simplement la Cour à matérialiser ses décisions et donnent
des informations aux juges qui en font la demande.
II. La décision de la Cour de recourir à ses propres experts
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les représentants,
22. J’en viens maintenant à la seconde partie de mon exposé, soit les circonstances dans
lesquelles il y a lieu pour la Cour d’exercer son pouvoir de désigner des experts.
23. Il serait impossible d’énumérer in abstracto tous les cas dans lesquels la Cour peut être
amenée à désigner ses propres experts. Un examen de sa jurisprudence révèle qu’elle n’a exercé
qu’en quatre occasions cette faculté que lui confère l’article 50 du Statut : dans l’affaire du Détroit
de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), au stade du fond et dans le cadre de la procédure relative aux
réparations, dans celle de la Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine
(Canada/Etats-Unis d’Amérique) et, plus récemment, dans celle relative à la Délimitation maritime
dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua).
24. La Cour s’étant abstenue, pendant plus de quarante ans, d’exercer le pouvoir qu’elle tient
de l’article 50 du Statut, il a été avancé qu’elle était peu disposée à consulter des experts. Ces
critiques ne venaient pas uniquement de l’extérieur. Elles émanaient aussi de certains membres de
la Cour sous la forme de déclarations, ou d’opinions individuelles ou dissidentes. J’ai ainsi moimême
soutenu, dans la déclaration que j’ai jointe à l’arrêt rendu en l’affaire des Usines de pâte à
papier, que
«[la Cour] aurait dû demander l’avis d’experts, comme le prévoit l’article 50 du Statut,
pour l’aider à mieux se frayer un chemin dans le dédale scientifique et technique des
éléments de preuve soumis par les Parties, et à mieux comprendre, en particulier,
l’impact potentiel des rejets d’effluents de l’usine Orion (Botnia) sur les ressources
biologiques, la qualité des eaux et l’équilibre écologique du fleuve Uruguay».
25. D’autres membres de la Cour avaient déjà souligné, bien avant, la nécessité de s’entourer
d’experts, le juge Wellington Koo l’ayant fait, par exemple, en 1960, en l’affaire du Temple de
Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande).
26. Deux éléments doivent aider la Cour à décider d’exercer ou non la faculté de désigner
des experts que lui confère l’article 50 de son Statut : l’article 38 de ce même instrument, qui
définit la mission de la Cour, et les principes fondamentaux gouvernant la procédure internationale.
J’examinerai tour à tour chacun de ces éléments.
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A. L’incidence de l’article 38 du Statut de la Cour
27. Le premier élément à prendre en considération est l’article 38 du Statut, qui dispose que
la mission de la Cour est de «régler conformément au droit international les différends qui lui sont
soumis».
28. Cette disposition a deux conséquences à l’égard de la désignation d’experts par la Cour.
Premièrement, c’est aux juges, et non aux experts, qu’il revient de régler les différends dont la
Cour est saisie. La désignation d’experts ne doit pas entraîner une délégation en leur faveur de la
fonction judiciaire de la Cour. Aussi, en l’affaire des Usines de pâte à papier, la Cour indiqua que,
«si volumineuses et complexes que [fussent] les informations factuelles qui lui
[avaient] été soumises, il lui incomb[ait], au terme d’un examen attentif de l’ensemble
des éléments soumis par les Parties, de déterminer quels faits [étaient] à prendre en
considération, d’en apprécier la force probante et d’en tirer les conclusions
appropriées. Ainsi, fidèle à sa pratique, la Cour se prononcer[ait] sur les faits, en se
fondant sur les éléments de preuve qui lui [avaient] été présentés, puis appliquer[ait]
les règles pertinentes du droit international à ceux qu’elle aur[ait] jugés avérés»
(Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 72-73, par. 168).
29. Deuxièmement, la Cour ne choisit de désigner des experts que lorsque cela est nécessaire
à la décision qu’elle doit rendre. Aux termes de l’article 38 de son Statut, elle a pour mission de
«régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis». Se référant à
l’article 50 de ce même instrument, elle a ainsi exposé, en l’affaire de la Demande en revision et en
interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya
arabe libyenne) (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) que, pour appliquer cette disposition
(l’article 50), il fallait tenir compte des termes dans lesquels la Cour se voyait attribuer compétence
dans un cas d’espèce, le but de l’expertise devant être de l’aider à se prononcer sur les questions
qu’elle est appelée à trancher (C.I.J. Recueil 1985, p. 228, par. 65).
30. Je m’efforcerai d’illustrer ce point en évoquant certains cas où la Cour peut être amenée
à désigner ses propres experts en application de l’article 50 de son Statut. Dans ce contexte, il sera
fait référence à deux types de demandes introduites devant elle par les Etats. Les premières sont les
«demandes relatives à des violations», dans lesquelles un Etat reproche à un autre d’avoir manqué à
ses obligations internationales, et prie la Cour de se prononcer sur la responsabilité internationale
de ce dernier. La seconde catégorie concerne ce que l’on pourrait appeler les «demandes relatives à
des situations juridiques», soit les affaires dans lesquelles la Cour est appelée à reconnaître
l’existence des droits des parties ou à en définir la portée — des différends maritimes et
territoriaux, par exemple.
31. Cette distinction, à défaut bien sûr de rendre compte de tous les cas de figure, a des
conséquences directes pour la présente analyse.
32. S’agissant des «demandes relatives à des violations», l’on peut évoquer quatre questions
qui correspondent à quatre éléments fondamentaux du droit de la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite. Pour établir que la responsabilité d’un Etat est engagée à raison d’une
violation du droit international, la Cour doit commencer par rechercher a) s’il existe un
manquement au droit international ; b) si ce manquement est imputable à un Etat et c) s’il existe
des circonstances pertinentes excluant l’illicéité du comportement incriminé, avant de déterminer
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 c’est là le dernier élément  d) les conséquences qui découlent du fait internationalement
illicite, notamment le paiement de dommages et intérêts. Elle peut avoir besoin de consulter un
expert pour répondre à chacune de ces questions, comme je le montrerai à présent brièvement.
33. Premièrement, une expertise scientifique peut être requise pour établir un fait qui, s’il
était avéré, démontrerait le manquement d’un Etat aux obligations que lui impose le droit
international. Ainsi, dans plusieurs affaires relatives à l’environnement dont elle a récemment eu à
connaître, la Cour a été amenée à déterminer le type de substances dont le rejet dans un fleuve ou
ailleurs emporterait manquement à certaines obligations conventionnelles et le volume de rejets à
partir duquel ce manquement serait constitué. En l’affaire relative à la Construction d’une route au
Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), par exemple, elle a dû décider
s’il y avait lieu de considérer que l’accumulation de sédiments dans le fleuve San Juan causait des
dommages à l’environnement. Il va sans dire que les membres de la Cour ne disposent pas
nécessairement des compétences requises pour déterminer si, quand, ou en quelles quantités
pareilles substances sont susceptibles de porter atteinte à l’environnement. Le rôle d’un expert peut
donc être essentiel.
34. Deuxièmement, l’expertise scientifique peut être nécessaire pour établir un fait qui, s’il
était avéré, permettrait d’attribuer un comportement internationalement illicite à un Etat. Ce cas de
figure est clairement illustré par l’affaire du Détroit de Corfou, qui portait sur un différend
consécutif à la destruction de navires de la marine britannique par des mines mouillées dans le
détroit de Corfou. Dans cette instance, la Cour a désigné un comité de trois experts, qu’elle a
chargé d’examiner, notamment, les renseignements alors disponibles concernant les «moyens
employés pour l’établissement du champ de mines découvert le 13 novembre 1946 et ii) … la
possibilité de mouiller ces mines par ces moyens sans que les autorités albanaises en aient eu
connaissance, compte tenu des moyens de surveillance existant dans la région de Saranda» (Détroit
de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), ordonnance du 17 décembre 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948,
p. 126). A l’issue de ses travaux, le comité a conclu que les mines n’auraient pas pu être mouillées
sans que les autorités albanaises n’en eussent connaissance, et la Cour a déclaré l’Albanie
responsable de n’avoir pas exercé la diligence requise. Dans cette hypothèse également, le rôle
d’un expert peut donc être déterminant.
35. Troisièmement, des experts peuvent être désignés pour rechercher s’il existe des
circonstances excluant l’illicéité du fait internationalement illicite. En l’affaire relative au Projet
Gabčíkovo-Nagymaros, la Hongrie a invoqué un «état de nécessité écologique» pour justifier son
manquement aux obligations que lui imposait le traité de 1977 à l’égard du Danube. En dépit de
l’«impressionnant matériel de nature scientifique» que les parties avaient versé au dossier de
l’affaire, la Cour n’a pas cru devoir rechercher si pareil état de nécessité écologique existait
effectivement. Selon elle, les conditions qui eussent permis à la Hongrie de l’invoquer en tant que
circonstance excluant l’illicéité en vertu du droit international régissant la responsabilité étatique
n’étaient, en tout état de cause, pas remplies. La Hongrie n’aurait ainsi pas été admise à se prévaloir
d’un état de nécessité écologique  eût-il été avéré  pour justifier le manquement à ses
obligations conventionnelles, car elle aurait contribué, par action ou omission, à sa survenance
(Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 46, par. 57).
Dans ces circonstances, la Cour n’a donc pas estimé nécessaire de recourir aux services d’experts.
36. Le quatrième et dernier cas de figure concerne l’obligation de réparation et la fixation du
montant de l’indemnité due. L’appréciation du montant du préjudice ainsi que du rôle de différents
facteurs dans sa survenance n’est pas un exercice aisé. Ainsi, lorsqu’elle a, dans l’affaire du Détroit
de Corfou, désigné des experts aux fins de l’appréciation des dommages subis, la Cour a fait
observer que, les chiffres et estimations produits par le Gouvernement du Royaume-Uni soulevant
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des questions de nature technique, il y avait lieu d’appliquer l’article 50 du Statut (Détroit de
Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), ordonnance du 19 novembre 1949, C.I.J. Recueil 1949, p. 238).
37. J’en viens maintenant, si vous le permettez, à la seconde catégorie de demandes que
j’évoquais tout à l’heure, les «demandes relatives à des situations juridiques». Dans de tels cas la
désignation d’experts peut se révéler importante pour permettre à la Cour d’apprécier les faits
susceptibles d’engendrer des situations juridiques et de fonder les droits respectifs des parties.
J’illustrerai mon propos à l’aide de deux exemples.
38. Tout d’abord, des Etats peuvent être divisés sur la question de savoir si, au regard de la
convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer, une formation maritime particulière
est une île ou un haut-fond découvrant, et recourir à des mesures et techniques différentes pour
déterminer si cette formation est découverte à marée haute (voir paragraphe 1, article 13, et article
121 de la CNUDM). Dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, le juge ad hoc Torres Bernárdez a, dans
l’exposé de son opinion dissidente, regretté que la Cour n’eût pas désigné ses propres experts pour
déterminer si Qit’a Jaradah était une île ou un haut-fond découvrant (Délimitation maritime et
questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 275, par. 41).
39. Mon second exemple concerne la décision que la Cour a récemment rendue en l’affaire
relative à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique, où elle a exercé
la faculté que lui confère l’article 50 du Statut. Dans son arrêt de 2015, la Cour avait estimé qu’il
découlait du traité de 1858 signé entre le Costa Rica et le Nicaragua que «le territoire relevant de la
souveraineté du Costa Rica s’étend[ait] à la rive droite du cours inférieur du San Juan jusqu’à
l’embouchure de celui-ci dans la mer des Caraïbes». Les parties n’ayant pas présenté
d’«information détaillée», elle avait toutefois laissé, dans une certaine mesure, en suspens la
question de la situation géographique de la zone, s’agissant de la configuration de la côte d’Isla
Portillos, et en particulier de l’existence de formations maritimes au large de celle-ci et de la
présence d’un chenal la séparant de la zone humide.
40. Aux fins de la décision qu’elle a rendue cette année sur le fond de l’affaire, la Cour a, en
application de l’article 50 du Statut, désigné deux experts,
«afin de la renseigner sur l’état de la côte entre les points invoqués respectivement par
le Costa Rica et le Nicaragua, dans leurs écritures, comme étant le point de départ de
la frontière maritime dans la mer des Caraïbes, [en précisant] que cette expertise
ser[ait] confiée à deux experts indépendants désignés par ordonnance du président de
la Cour une fois les Parties entendues» (Délimitation maritime dans la mer des
Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), ordonnance du 16 juin
2016, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 240).
41. A la lumière des conclusions des experts ainsi désignés, la Cour a estimé que le Costa
Rica avait souveraineté sur l’ensemble d’Isla Portillos jusqu’au point où le fleuve se jetait dans la
mer des Caraïbes. Elle a conclu, en conséquence, que le point de départ de la frontière terrestre
entre les deux Etats était le point où la rive droite du fleuve San Juan rejoignait la laisse de basse
mer de la côte de la mer des Caraïbes, et précisé que ce point se situe actuellement à l’extrémité de
la flèche littorale formant la rive droite du San Juan à son embouchure.
42. Voilà pour l’article 38 du Statut de la Cour, qui, ainsi que je viens de l’exposer, est
essentiel pour déterminer s’il y a lieu ou non de désigner des experts. Ce n’est toutefois pas le seul
élément à entrer en ligne de compte dans une telle décision, dans laquelle peuvent intervenir
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d’autres facteurs, et en particulier les principes fondamentaux gouvernant la procédure
internationale.
B. L’incidence des principes fondamentaux gouvernant la procédure internationale
43. Deux principes généraux de procédure peuvent influer sur la décision de la Cour de
désigner des experts: le principe iura novit curia et le principe de l’égalité des armes. Je traiterai
chacun d’eux à tour de rôle.
1) Le principe iura novit curia
44. Le principe iura novit curia limite les situations dans lesquelles la Cour peut être amenée
à désigner des experts. Je développerai quelque peu ce point, si vous le permettez.
45. La maxime iura novit curia exprime le principe selon lequel la Cour ou ses membres
connaissent le droit. La Cour en a décrit comme suit l’importance dans les affaires de la
Compétence en matière de pêcheries :
«La Cour, en tant qu’organe judiciaire international, n’en est pas moins censée
constater le droit international et, dans une affaire relevant de l’article 53 du Statut
comme dans toute autre, est donc tenue de prendre en considération de sa propre
initiative toutes les règles de droit international qui seraient pertinentes pour le
règlement du différend. La Cour ayant pour fonction de déterminer et d’appliquer le
droit dans les circonstances de chaque espèce, la charge d’établir ou de prouver les
règles de droit international ne saurait être imposée à l’une ou l’autre Partie, car le
droit ressortit au domaine de la connaissance judiciaire de la Cour.» (Compétence en
matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 9,
par. 17).
46. En conséquence, il appartient à la Cour d’interpréter les traités dans les affaires qui lui
sont soumises. Etant donné que la Cour connaît le droit, elle ne saurait déléguer sa fonction
judiciaire à des experts. Cela vaut même dans les cas où des traités expriment les obligations
juridiques des parties en se référant à des paramètres scientifiques. La Cour a suivi ce principe dans
l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique, en laquelle, comme je l’ai déjà
indiqué, elle devait statuer sur la question de savoir si le Japon menait son programme de chasse à
la baleine «en vue de recherches scientifiques», conformément au paragraphe 1 de l’article VIII de
la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine. La Cour a estimé
qu’elle était saisie d’une question d’interprétation de traité. Elle a fait observer que, du point de vue
scientifique, les experts cités par les parties partageaient l’avis que les méthodes létales pouvaient
avoir un rôle dans la recherche scientifique, mais ne s’entendaient pas nécessairement sur les
circonstances dans lesquelles de telles méthodes se justifiaient. Elle a cependant insisté sur la
nécessité de distinguer les conclusions que les experts avaient rendues en tant que scientifiques de
l’interprétation qu’il convenait de donner de la convention, tâche qui incombait à la Cour. (Chasse
à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle Zélande (intervenant)), arrêt, C.I.J.
Recueil 2014, p. 257, par. 82.)
47. La Cour ayant considéré que la question qui se posait était une question d’interprétation
du droit, elle n’a pas jugé nécessaire de désigner des experts pour décider si le programme du Japon
était ou non effectivement mené à des fins de recherche scientifique (ibid., par. 58). Cette décision
a été controversée, certains de ses membres estimant que les termes du paragraphe 1 de
l’article VIII de la convention sur la chasse à la baleine renvoyaient à un autre domaine de
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connaissances ou encore à de simples questions de fait. Selon ces juges, la Cour aurait dû désigner
ses propres experts pour déterminer si le programme de recherche du Japon était mené à des fins
scientifiques. Mais une décision de la Cour est une décision de la Cour, et elle doit être respectée
par l’ensemble des membres de celle-ci.
2) Le principe de l’égalité des armes
48. Cela m’amène au second principe de procédure qui peut influencer la décision de la Cour
de désigner des experts : le principe de l’égalité des armes.
49. L’exercice par la Cour de son pouvoir de désigner des experts empiète sur les obligations
incombant à chaque partie en matière de preuve, et ce, en particulier, au regard de la maxime onus
probandi incumbit actori, qui découle du principe de l’égalité des armes. La Cour doit donc veiller
à ce que la présence d’experts désignés par elle ne fasse pas pencher la balance en faveur de l’une
ou l’autre partie.
50. A cet égard, j’évoquerai quatre cas de figure possibles en fonction de la conduite des
parties au différend.
51. La première situation est celle dans laquelle il n’y a pas, entre les parties, de désaccord
sur les preuves scientifiques, ou de désaccord important. Dans de telles circonstances, la Cour n’a
pas nécessairement besoin de désigner des experts en vertu de l’article 50. Selon le juge Keith, qui
a voté avec la majorité en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, ce facteur a alors pesé
dans la décision de la Cour de ne pas en désigner (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
(Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), opinion individuelle de M. le juge Keith,
p. 124).
52. Il reste cependant à savoir si l’absence de désaccord important entre les parties en litige
sera toujours déterminante. La Cour ne devrait peut-être pas renoncer à désigner ses propres
experts lorsque l’affaire concerne des biens communs mondiaux, tel que l’environnement. Dans de
telles affaires, les règles du droit international protègent non seulement les intérêts des parties, mais
aussi ceux de leurs populations et même, lorsque certains écosystèmes sont en cause, ceux de
l’humanité tout entière. D’une manière générale, je ne vois aucune raison pour la Cour de s’en
abstenir, surtout si elle obtient un financement suffisant de l’Assemblée générale à cette fin.
53. La seconde situation se présente lorsque les parties ont, relativement aux preuves
scientifiques, des vues très divergentes, que la Cour doit trancher aux fins de sa décision. En pareil
cas, il pourrait lui être utile de désigner des experts, conformément à l’article 50, qui examineraient
les informations fournies par leurs homologues nommés par les parties. Il serait également utile que
celles-ci lui fassent part, en retour, des commentaires sur les preuves scientifiques qu’auraient
établi ses experts. La procédure prévue aux articles 67 et 68 du Règlement a été conçue en vue
d’assurer le respect du principe audi alteram partem, mais aussi de permettre à la Cour de recueillir
les informations qui lui sont nécessaires pour prendre sa décision.
54. Dans le troisième cas de figure, l’une des parties au différend décide de ne pas se
présenter devant la Cour — on parle aussi de défaut de comparution. Chaque fois qu’un Etat choisit
de ne pas se présenter devant elle, la Cour en exprime le regret, car pareille décision dessert la
bonne administration de la justice. Toutefois, le défaut de comparution d’une partie ne met pas fin à
la procédure devant la Cour, l’article 53 du Statut disposant à cet égard que :
- 10 -
«1. Lorsqu’une des parties ne se présente pas, ou s’abstient de faire valoir ses moyens,
l’autre partie peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions.
2. La Cour, avant d’y faire droit, doit s’assurer non seulement qu’elle a compétence
aux termes des articles 36 et 37, mais que les conclusions sont fondées en fait et en
droit.»
55. En ce qui concerne le droit, la Cour a expliqué en l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci que le principe iura novit curia signifie qu’elle ne
doit pas s’appuyer uniquement sur les exposés des parties relativement au droit applicable. En
conséquence, l’absence de l’une d’elles n’a, à cet égard, que des conséquences relativement
limitées (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-
Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 24, par. 29).
56. Cela étant, le défaut de comparution soulève des problèmes liés à la production et à
l’éventuelle réfutation des preuves, tâches qui incombent aux parties en vertu de la maxime onus
probandi incumbit actori. Dans de tels cas, l’article 53 du Statut fait obligation à la Cour
d’employer tous les moyens et méthodes susceptibles de lui permettre de s’assurer réellement du
bien-fondé en fait et en droit des conclusions de 1’Etat demandeur et de sauvegarder du même coup
les principes essentiels d’une bonne administration de la justice (ibid., p. 40, par. 59).
57. Dans cette optique, la Cour peut donc décider de désigner des experts conformément à
l’article 50 du Statut. Dans l’affaire du Détroit de Corfou, elle a mis l’accent sur le défaut de
comparution de l’Albanie au dernier stade de l’affaire et sur la nature technique des questions de
détermination des réparations dues. Ces deux facteurs ont joué un rôle important dans sa décision
de désigner des experts chargés de déterminer le montant des indemnités à verser pour la
destruction de navires de guerre britanniques (Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie),
ordonnance du 19 novembre 1949, C.I.J. Recueil 1949, p. 237-238).
58. Un dernier cas de figure mérite d’être considéré, celui où les parties demandent
conjointement à la Cour de désigner des experts. C’est ce qui s’est produit dans l’affaire du Golfe
du Maine, entendue par une chambre de la Cour conformément à l’article II du compromis entre le
Canada et les Etats-Unis d’Amérique.
59. Dans cette affaire, la Cour, exerçant son pouvoir au titrede l’article 50 du Statut, avait
désigné le capitaine de frégate Peter Bryan Beazley, à la suite d’une demande conjointe des parties
en ce sens. Il importe néanmoins de rappeler qu’en vertu de l’article 50, c’est à elle qu’il appartient
de nommer des experts, et non aux parties. Le cas particulier du Golfe du Maine s’explique par la
nature de la tâche confiée en l’espèce à l’expert désigné. Celui-ci ne l’avait pas été, en effet, pour
établir un fait scientifique ou sa signification technique, mais pour aider la chambre à établir les
coordonnées géographiques de la frontière et à indiquer le tracé de celle-ci sur la carte no 4003 du
Service hydrographique du Canada et la carte no 13006 de la United States National Ocean Survey.
Sa tâche était donc très spécifique.
60. La Cour s’en remettrait normalement au Greffe pour s’acquitter d’une telle tâche. Cela
étant, rien n’empêche les parties de mettre à sa disposition des personnes qui sont au fait des
particularités de leur demande. Même dans ce cas, cependant, c’est à la Cour qu’il revient de
déterminer si de tels experts seraient utiles aux fins de sa décision.
- 11 -
61. En conclusion, Monsieur le président, l’égalité des armes et les obligations incombant à
chaque partie en matière d’administration de la preuve sont des éléments essentiels s’agissant de
décider de désigner ou non des experts. Selon les spécificités de chaque affaire, le principe de
l’égalité des armes peut orienter la Cour dans un sens ou dans l’autre.
62. Sur la base de ce qui précède, je ferai à présent quelques observations finales.
Conclusion
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les représentants,
63. Je voudrais, en premier lieu, faire observer que les progrès scientifiques considérables
réalisés par l’humanité au cours du siècle dernier ont révolutionné la manière dont nous abordons
les questions, tant dans les relations internationales que dans notre vie quotidienne. Il n’est donc
pas surprenant que la science en soit venue à avoir une incidence sur le droit international et sur le
travail de la Cour internationale de Justice. Cela étant, la Cour n’est pas l’arbitre de questions
scientifiques. Dans le cadre de sa compétence contentieuse, elle est chargée de trancher les
différends qui lui sont soumis sur la base du droit. Ce n’est que lorsque des preuves scientifiques
sont pertinentes pour la prise de décision et que ces preuves n’ont pas été dûment apportées par les
parties que la Cour exercera son pouvoir de désigner ses propres experts.
64. Si l’on examine sa pratique dans le temps — et c’est mon second point —, il apparaît
clairement que la Cour n’a jamais reculé devant l’examen des preuves scientifiques. Elle s’est au
contraire efforcée d’exercer sa fonction dans le cadre du Statut, tout en respectant les principes
fondamentaux applicables à la procédure judiciaire internationale. Néanmoins, le droit ne
fonctionne pas en autarcie. Il touche à d’autres domaines, et réciproquement. Il ne fait aucun doute
que son application est de plus en plus influencée par l’évolution de la science et de la technologie.
La Cour ne peut ignorer ces réalités et doit continuer à se demander, en gardant à l’esprit les
différents facteurs que je viens d’exposer, dans quelle mesure ses travaux peuvent bénéficier de
l’intervention d’experts externes. Heureusement, c’est là une possibilité que, grâce à
l’extraordinaire clairvoyance de ses rédacteurs, le Statut prévoit en son article 50.
___________

Bilingual Content

1
DISCOURS DE S. EXC. M. ABDULQAWI AHMED YUSUF, PRÉSIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE
JUSTICE, DEVANT LA SIXIÈME COMMISSION DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
Le recours à des experts désignés par la Cour en vertu
de l’article 50 du Statut
26 octobre 2018
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les représentants,
1. C’est un grand honneur de m’adresser pour la première fois à la Sixième Commission de
l’Assemblée générale en ma qualité de président de la Cour internationale de Justice.
2. Je tiens à vous féliciter, Monsieur le Président de votre élection à la présidence de cette
Commission pour la soixante-treizième session de l’Assemblée générale.
3. Au fil des années, la Cour a soumis à l’Assemblée générale de nombreux rapports sur ses
activités judiciaires. Un lecteur attentif de ces documents ne manquerait pas d’y discerner deux tendances
qui se font jour. La première est l’augmentation considérable du nombre de décisions rendues par la Cour
sur le fond et sur les procédures incidentes. En dix mois cette année, la Cour a rendu pas moins de quatre
arrêts, dont deux sur le fond, un sur l’indemnisation et un sur des exceptions préliminaires, ainsi que deux
ordonnances en indication de mesures conservatoires.
4. La seconde tendance qui se dessine est la diversité croissante des affaires soumises à la Cour. En
sus des litiges traditionnels, tels que ceux portant sur la souveraineté territoriale ou la délimitation
maritime, la Cour est de plus en plus souvent saisie de différends ayant trait à d’autres sujets très divers,
comme les droits de l’homme, les relations diplomatiques ou la protection de l’environnement. Seule
juridiction internationale à compétence générale, elle peut connaître de toute question de droit
international, sous réserve, bien entendu, du consentement des parties au différend.
5. Le siècle passé a vu s’accroître nettement le nombre de domaines régis par le droit international.
Parallèlement, les mécanismes juridiques utilisés pour réglementer ces domaines se sont diversifiés. Alors
que la science ne cesse de progresser, nous constatons que les Etats et organisations internationales
s’appuient sur des normes scientifiques et techniques pour définir le champ de leurs obligations
juridiques. En conséquence, un nombre croissant de différends soulevant des questions scientifiques
complexes relèvent de la compétence ratione materiae de la Cour. Je donnerai deux séries d’exemples
pour illustrer ce point.
6. La première série concerne des situations où les Etats ont défini le contenu de leurs obligations
juridiques en se référant à des paramètres scientifiques donnés. Ainsi, en l’affaire relative à la Chasse à la
baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle Zélande (intervenant)), la Cour devait statuer
sur la question de savoir si le Japon menait son programme de chasse à la baleine «en vue de recherches
scientifiques», conformément au paragraphe 1 de l’article VIII de la convention internationale pour la
réglementation de la chasse à la baleine. D’autres conventions internationales définissent une notion
juridique à l’aide de termes scientifiques, revêtant souvent ceux-ci d’un sens précis. A titre d’exemple,
2
l’article 76 de la convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer définit le plateau continental
au-delà de 200 milles marins en utilisant des paramètres scientifiques.
7. La seconde série d’exemples concerne des situations dans lesquelles les faits du différend porté
devant la Cour doivent être établis conformément à des principes et méthodes scientifiques. Ainsi, en
l’affaire relative à des Usines de pâte à papier (Argentine c. Uruguay), la Cour devait déterminer si le
rejet de certaines substances dans le fleuve Uruguay polluerait ce cours d’eau, en violation des obligations
que le statut du fleuve impose à l’Uruguay. L’affaire relative à des Epandages aériens d’herbicides
(Equateur c. Colombie) posait des questions analogues.
8. De tels cas amènent souvent les milieux universitaires à demander si la Cour est bien outillée
pour connaître d’affaires où interviennent des éléments scientifiques ou de nombreuses données
factuelles.
9. Mon allocution a pour objet d’examiner l’un des outils de procédure dont dispose la Cour pour
prendre en considération les questions scientifiques en jeu dans les affaires qui lui sont soumises, à savoir,
la désignation d’experts. En vertu de l’article 50 de son Statut,
«[à] tout moment, la Cour peut confier une enquête ou une expertise à toute personne, corps,
bureau, commission ou organe de son choix».
10. Je suis convaincu que le recours à des experts permet à la Cour d’apprécier pleinement les
questions scientifiques soulevées dans certaines affaires dont elle est saisie, sans préjudice des droits
procéduraux des parties. Pour illustrer ce point, je traiterai aujourd’hui de deux questions essentielles pour
la désignation d’experts. Dans un premier temps, j’expliquerai la valeur ajoutée qu’apportent de tels
experts dans les affaires soumises à la Cour. Dans un second temps, j’examinerai les circonstances dans
lesquelles la Cour devrait désigner ses propres experts. Je conclurai par quelques observations d’ordre
général.
Mr Chairman,
Excellencies,
Ladies and gentlemen,
I will continue my presentation in English.
I. The added value of Court-appointed experts in proceedings before the Court
11. I shall turn now to my first point: the added value of Court-appointed experts.
12. In general, the disputing parties are the main providers of evidence in the cases brought before
the Court. In the Pulp Mills case to which I have just alluded, the Court explained that in accordance with
the well-established principle of onus probandi incumbit actori, it is the duty of the party which asserts
certain facts to establish the existence of such facts (Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v.
Uruguay), Judgment, I.C.J. Reports 2010 (I), p. 71, para. 162).
3
13. To this end, parties have frequently relied on experts to address or elucidate controversial
scientific issues. Party-appointed experts undoubtedly offer valuable assistance to the Court. However,
there are at least two reasons why the Court may still need to appoint its own experts under Article 50 of
its Statute.
14. The first reason is the practice which has often been adopted by disputing parties not to call
experts as witnesses, but rather to include them as counsel in their respective delegations. This has certain
legal consequences under Article 42, paragraph 2, of the Statute of the Court. When experts appear before
the Court as counsel, they are not subject to cross-examination by the other party. What is more, Members
of the Court cannot directly cross-examine them either. As a result, the veracity of the statements made by
such experts or their bearing on the decision of the Court remains untested.
15. Since 2010, the Court has sought to encourage parties to call their experts as witnesses, rather
than using them as counsel. In an obiter dictum in the Pulp Mills case, the Court explained that it would
have found it more useful if experts had been presented by the Parties as expert witnesses under
Articles 57 and 64 of the Rules of Court, instead of being included as counsel in their respective
delegations during the oral hearings. According to the Court, those persons who provide evidence before
the Court based on their scientific or technical knowledge and on their personal experience should testify
before the Court as experts, witnesses or in some cases in both capacities, rather than counsel. Thus, they
may be submitted to questioning by the other party as well as by the Court. (Pulp Mills on the River
Uruguay (Argentina v. Uruguay), Judgment, I.C.J. Reports 2010 (I), p. 72, para. 167.)
16. Since that case, the Court has begun to issue letters, before the opening of the hearings,
requesting the parties to call as witnesses the experts cited in their written pleadings. This approach was
followed, for example, in the case concerning Whaling in the Antarctic, and in the joined cases
concerning the Construction of a Road in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica)
and Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua). The
practice of experts appearing as counsel before the Court thus seems to have come to an end.
17. There is, however, a second reason why the Court might still need to appoint its own experts
under Article 50 of its Statute. Party-appointed experts tend to make submissions before the Court that are
more favourably disposed to the interests of the party which has appointed them. As one might expect, it
would be strategically ill-advised for a State to call as a witness an expert who could undermine its case.
On the one hand, the Court treats with caution evidentiary material specifically prepared for the purposes
of a case, such as that which may be presented by expert witnesses. On the other, the Court gives
particular attention to reliable evidence acknowledging facts or conduct unfavourable to the State
represented by the person making them. (Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic
Republic of the Congo v. Uganda), Judgment, I.C.J. Reports 2005, p. 201, para. 61).
18. Cross-examination may certainly assist the Court in understanding the diverging views of
party-appointed experts. It is also useful for understanding the methodological differences underlying
these views. Notwithstanding the assistance of the parties, however, the Court may still need to draw its
own conclusions on the scientific issues before it and, in such situations, may need to rely on its own
experts.
4
19. In academic literature, scholars often claim that the Court does not appoint experts under
Article 50 because it relies on ghost experts, known in French as “experts-fantômes”. These persons are
called ghost experts because their identity is not disclosed to the parties and their input in the decisionmaking
process of the Court is not made available to the parties for comment.
20. This criticism, as well as the solution proposed to address it in academic articles, is based on a
lack of familiarity with the work of the Court. The persons referred to as “ghost experts” are neither
“ghosts”, nor “experts” within the meaning of the Statute. Of course, we work in an old palace, but that
does not necessarily mean that there are ghosts there. They are in fact temporary Registry officials,
appointed under Article 21, paragraph 2, of the Statute of the Court.
21. The Registry of the Court plays an important role in supporting the functioning of the Court,
but its staff members do not submit reports. Thus, the question of submitting a report to the parties for
comment does not in fact arise. Like other Registry officials, the staff members in question merely help
the Court to materialize and concretize its decisions and provide information to individual judges upon
request.
II. Deciding to have recourse to Court-appointed experts
Mr. Chairman,
Distinguished Delegates,
22. I shall now turn to the second part of my presentation, namely under what circumstances the
Court should exercise its power to appoint experts.
23. It would be impossible to list in abstracto every circumstance under which the Court might
need to appoint its own experts. An examination of the Court’s case law reveals that it has exercised its
power under Article 50 of the Statute only on four occasions: in the Corfu Channel (United Kingdom v.
Albania) case, during both the merits and compensation phases; in the Gulf of Maine (Canada/United
States of America) case; and, most recently, in the Maritime Delimitation in the Caribbean Sea and the
Pacific Ocean (Costa Rica v. Nicaragua) case.
24. The fact that the Court did not exercise its power under Article 50 of the Statute for more than
40 years gave rise to allegations that it was reluctant to appoint experts. These criticisms were not only
external. They also came from the Bench itself, in the form of separate or dissenting opinions or
declarations. For instance, in my declaration in the Pulp Mills case, I stated that
“the Court should have had recourse to expert assistance, as provided in Article 50 of its
Statute, to help it gain a more profound insight into the scientific and technical intricacies of
the evidence submitted by the Parties, particularly with regard to the possible impact of the
effluent discharges of the Orion (Botnia) mill on the living resources, quality of the water
and the ecological balance of the River Uruguay”.
25. Other judges had drawn attention to the need to appoint experts much earlier. For example,
Judge Wellington Koo did so in the case concerning the Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand)
in 1960.
5
26. There are two elements which should guide the Court when determining whether or not to
appoint experts under Article 50 of its Statute: Article 38 of the Statute, which sets out the function of the
Court, and fundamental principles of international procedure. I shall examine these two elements in turn.
A. The impact of Article 38 of the Court’s Statute
27. The first element to be taken into account is Article 38 of the Statute, which provides that the
Court’s function is “to decide in accordance with international law such disputes as are submitted to it”.
28. This provision has two consequences for the appointment of experts by the Court. First, it is for
the Members of the Court, not the experts, to settle the disputes submitted to it. The appointment of
experts by the Court must not result in an outsourcing of its judicial function to those experts. Thus, the
Court explained in the Pulp Mills case that:
“Despite the volume and complexity of the factual information submitted to it, it is the
responsibility of the Court, after having given careful consideration to all the evidence placed
before it by the Parties, to determine which facts must be considered relevant, to assess their
probative value, and to draw conclusions from them as appropriate. Thus, in keeping with its
practice, the Court will make its own determination of the facts, on the basis of the evidence
presented to it, and then it will apply the relevant rules of international law to those facts
which it has found to have existed.” (Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v.
Uruguay), Judgment, I.C.J. Reports 2010 (I), pp. 72-73, para. 168).
29. Second, the Court will appoint experts only when they are necessary for its decision on the
case. Article 38 of the Statute provides that the Court’s function is “to decide in accordance with
international law such disputes as are submitted to it”. Referring to Article 50 of the Statute, the Court
explained in the case concerning the Application for Revision and Interpretation of the Judgment of
24 February 1982 in the Case concerning the Continental Shelf (Tunisia/Libyan Arab Jamahiriya)
(Tunisia v. Libyan Arab Jamahiriya) that this provision (Article 50) must be read in relation to the terms
in which jurisdiction is conferred upon the Court in a specific case; the purpose of the expert opinion must
be to assist the Court in giving judgment upon the issues submitted to it for decision (I.C.J. Reports 1985,
p. 228, para. 65).
30. I shall try to illustrate this point by referring to situations in which the Court may need to
appoint its own experts under Article 50 of its Statute. In this context, two types of claims brought by
States before the Court may be referred to. The first type of claims are the so-called “violation claims”, in
which one State argues that another State has breached its international obligations, and asks the Court to
determine the latter’s international responsibility. The second type of claims may be described as “legal
situation claims”. These are cases in which the Court is asked to declare the existence or extent of the
rights of the parties, such as in territorial and maritime disputes.
31. This distinction is not of course exhaustive, but has direct implications for the present
discussion.
32. With regard to “violation claims”, four hypotheses may be mentioned. They correspond to four
key elements under the law of State responsibility. To establish the responsibility of a State for a breach
6
of international law, the Court must first ascertain: (a) the existence of a breach of international law;
(b) the attribution of that breach to a State; and (c) the non-existence of any relevant circumstances
precluding the wrongfulness of that breach, before determining (d) [the last element] the consequences
arising from the internationally wrongful act, especially the payment of compensation. The Court may
need to appoint an expert to establish each of these four hypotheses, which I shall now briefly address in
turn.
33. A first hypothesis is when scientific expertise is required to ascertain a fact, which, if proven,
would establish the breach of a State’s obligations under international law. For instance, in recent
environmental cases brought before it, the Court has been faced with determining which kinds of
substances discharged in a river or in another location, and in what amount, would entail the breach of
treaty obligations. In the case concerning Construction of a Road in Costa Rica along the San Juan River,
for example, the Court had to decide whether sediments deposited in the San Juan River could be
characterized as causing environmental damage. It goes without saying that judges do not necessarily
have the requisite skills to determine whether and when such substances may cause environmental
damage, or in what amount. The role of an expert might therefore be crucial.
34. A second hypothesis is when scientific expertise is needed to establish a fact, which, if proven,
would establish the attribution of an international wrongful act to a State. An illustrative example of this
hypothesis is the Corfu Channel case, which arose from the destruction of British naval vessels owing to
mines laid in the Corfu Channel. In that case, the Court appointed a committee of three experts. That
committee was tasked with examining, among other things, the available information regarding “the
means employed for laying the minefield discovered on November 13th, 1946, and . . . (ii) the possibility
of mooring those mines with those means without the Albanian authorities being aware of it, having
regard to the extent of the measures of vigilance existing in the Saranda region” (Corfu Channel
(United Kingdom v. Albania), Order of 17 December 1948, I.C.J. Reports 1947-1948, p. 126).
Eventually, the committee found that the mines could not have been laid without Albania being aware,
and the Court held Albania responsible for breach of its duty of due diligence. In this hypothesis too, the
role of an expert may be instrumental.
35. The third hypothesis concerns the appointment of experts to determine the existence of a
circumstance precluding international wrongfulness. In the case concerning the Gabčikovo-Nagymaros
Project, Hungary invoked a “state of ecological necessity” to justify the non-compliance with its
obligations under the 1977 Treaty regarding the Danube River. Despite the impressive amount of
scientific material submitted by the Parties, the Court did not find it necessary to determine whether such
a state of ecological necessity effectively existed. For the Court, Hungary did not, at any rate, satisfy the
conditions for invoking a state of necessity as circumstance precluding wrongfulness under the
international law of state responsibility. Thus, Hungary would not have been permitted to rely upon that
state of necessity in order to justify its failure to comply with its treaty obligations, as it had helped, by act
or omission to bring it about. (Gabčikovo-Nagymaros Project (Hungary/Slovakia), Judgment, I.C.J.
Reports 1997, p. 46, para. 57). Thus, under these circumstances, the Court did not consider it necessary to
have recourse to the services of experts.
36. The fourth and final hypothesis relates to the obligation to pay compensation and the
assessment of the appropriate amount of compensation. The assessment of the extent of the damage, as
well as that of the contribution of various factors to such damage, is not an easy exercise. Notably, when
the Court appointed experts to assess damages in the Corfu Channel case, it observed that the estimates
7
and figures submitted by the Government of the United Kingdom raised questions of a technical nature
which called for the application of Article 50 of the Statute. (Corfu Channel (United Kingdom v.
Albania), Order of 19 November 1949, I.C.J. Reports 1949, p. 238).
37. Allow me to turn now to the second type of claims which I mentioned earlier: “legal situation
claims”. In these cases, using Court-appointed experts may be important for assessing facts which could
create legal situations and respective entitlements. I shall give two examples by way of illustration.
38. First, States may disagree as to whether a given maritime feature is an island or a low-tide
elevation under the 1982 United Nations Convention on the Law of the Sea, and may rely on different
measurements and techniques to determine whether the maritime feature in question is above the water
level at high tide (see Article 13, paragraph 1, and Article 121 of UNCLOS). In Qatar v. Bahrain, the
dissenting judge ad hoc, Torres Bernárdez, expressed regret that the Court had not appointed its own
experts to determine whether or not Qit’a Jaradah was an island or a low-tide elevation (Maritime
Delimitation and Territorial Questions between Qatar and Bahrain (Qatar v. Bahrain), Judgment, I.C.J.
Reports 2001, p. 275, para. 41).
39. My second example concerns the Court’s recent decision in the case concerning Maritime
Delimitation in the Caribbean Sea and the Pacific Ocean, in which the Court exercised its power under
Article 50 of the Statute. In its 2015 Judgment, the Court had interpreted the 1858 Treaty between Costa
Rica and Nicaragua as providing that the territory under Costa Rica’s sovereignty extends to the right
bank of the Lower San Juan River as far as its mouth in the Caribbean Sea. However, due to the absence
of detailed information provided by the Parties, the Court had left the geographical situation of the area in
question somewhat unclear with regard to the configuration of the coast of Isla Portillos, in particular
regarding the existence of maritime features off the coast and the presence of a channel separating the
wetland from the coast.
40. For the purpose of reaching its decision on the merits this year, the Court appointed two experts
under Article 50 of the Statute
“to provide it with information regarding the state of the coast between the point suggested
by Costa Rica and the point suggested by Nicaragua in their pleadings as the starting-point of
the maritime boundary in the Caribbean Sea, [stating] that this expert opinion will be
entrusted to two independent experts appointed by Order of the President of the Court after
hearing the Parties” (Maritime Delimitation in the Caribbean Sea and the Pacific Ocean
(Costa Rica v. Nicaragua), Order of 16 June 2016, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 240).
41. In the light of the findings of the Court-appointed experts, the Court determined that Costa Rica
had sovereignty over the whole of Isla Portillos up to where the river reaches the Caribbean Sea. As a
consequence, it found that the starting-point of the land boundary between Costa Rica and Nicaragua was
the point at which the right bank of the San Juan River reaches the low-water mark of the coast of the
Caribbean Sea. The Court identified this point as currently located at the end of the sandspit constituting
the right bank of the San Juan River at its mouth.
42. So much for Article 38 of the Court’s Statute, which, as I have just explained, is of direct
importance to the determination of whether Court-appointed experts are needed. However, that is not the
8
end of the matter: there are also other factors that might be given weight in such a decision, in particular,
the fundamental principles of international procedure.
B. The impact of fundamental principles of international procedure
43. There are two general principles of procedure that may influence the Court’s decision to
appoint experts: the principle iura novit curia and the principle of equality of arms. I shall address each of
them in turn.
(1) The principle iura novit curia
44. The principle iura novit curia operates to limit the situations in which the Court may need to
appoint experts. Allow me to elaborate on this point.
45. The maxim iura novit curia expresses the principle that the Court or the Members of the Court
know the law. The Court described its significance in the Fisheries Jurisdiction cases as follows:
“The Court however, as an international judicial organ, is deemed to take judicial
notice of international law, and is therefore required in a case falling under Article 53 of the
Statute, as in any other case, to consider on its own initiative all rules of international law
which may be relevant to the settlement of the dispute. It being the duty of the Court itself to
ascertain and apply the relevant law in the given circumstances of the case, the burden of
establishing or proving rules of international law cannot be imposed upon any of the parties,
for the law lies within the judicial knowledge of the Court.” (Fisheries Jurisdiction
(United Kingdom v. Iceland), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 9, para. 17.)
46. Consequently, it is for the Court to interpret treaties in the cases submitted to it. Since the Court
knows the law, it cannot outsource its judicial function to experts. This applies even in situations where
treaties express the parties’ legal obligations using scientific parameters. The Court followed this
approach in the Whaling in the Antarctic case, in which, as I have already mentioned, it had to decide
whether Japan’s whaling programme was conducted “for purposes of scientific research” under
Article VIII, paragraph 1, of the International Convention for the Regulation of Whaling. The Court
considered that the issue it was facing was one of treaty interpretation. It held that as a matter of scientific
opinion, the experts called by the Parties agreed that lethal methods can have a place in scientific
research, while not necessarily agreeing on the conditions for their use. However, the Court insisted that
their conclusions as scientists, must be distinguished from the interpretation of the Convention, which is
the task of the Court. (Whaling in the Antarctic (Australia v. Japan: New Zealand intervening), Judgment,
I.C.J. Reports 2014, p. 257, para. 82.)
47. Since the Court construed the question at stake as a matter of legal interpretation, it did not
deem it necessary to appoint experts to decide whether or not Japan’s programme was in fact conducted
for the purposes of scientific research (ibid., para. 58). This decision was controversial. Some Members of
the Court felt that the terms of Article VIII, paragraph 1, of the Whaling Convention referred either to
another field of knowledge or to pure questions of fact. For these judges, the Court had to appoint its own
experts to determine whether or not Japan’s research programme was conducted for scientific purposes.
But, a decision of the Court is a decision of the Court and has to be respected by all its Members.
9
(2) The principle of equality of arms
48. This brings me to the second principle of procedure that might influence the Court’s decision to
appoint experts: the principle of equality of arms.
49. The exercise by the Court of its power to appoint experts interferes with the allocation of the
burden of proof between the parties. This is particularly so with regard to the maxim onus probandi
incumbit actori, which stems from the principle of equality of arms. Thus, the Court has to ensure that the
presence of Court-appointed experts does not tilt the balance in favour of one party or the other.
50. In this regard, I shall identify four possible scenarios, depending on the conduct of the parties to
the dispute.
51. The first situation is when the parties do not disagree on the scientific evidence or when their
disagreement is not material. In such circumstances, the Court may not need to appoint experts under
Article 50. According to Judge Keith, who voted with the majority in the Pulp Mills case, these factors
weighed in the Court’s decision not to appoint experts in that case (Pulp Mills on the River Uruguay
(Argentina v. Uruguay), Judgment, I.C.J. Reports 2010 (I), separate opinion of Judge Keith, p. 124).
52. The question remains, however, whether the absence of a material disagreement between the
disputing parties to the case will always be dispositive of the question. Perhaps the Court should not be
dissuaded from appointing its own experts when the case concerns global commons, such as the
environment. In such cases, rules of international law not only protect the interests of the parties, but also
those of their populations, and, in the case of certain ecosystems, those of humanity as a whole. In
general, I do not see any reason why the Court should not do so, especially if it secures sufficient funding
from the General Assembly for this purpose.
53. The second situation is when the parties have a material disagreement on the scientific evidence
and the Court needs to make a finding on that point in order to decide on the case. In such an event,
appointing experts under Article 50 would be useful to allow those experts to engage with the information
provided by the experts appointed by the parties. It would also be useful to obtain the parties’ reactions to
any reports on scientific evidence produced by the Court-appointed experts. The procedure set forth in
Articles 67 and 68 of the Rules of Court has been designed to ensure respect for the principle audi
alteram partem, but also to allow the Court to obtain the information needed to make its decision.
54. The third scenario arises when one of the parties to the dispute decides not to appear before the
Court, also known as non-appearance. Whenever a State fails to appear before it, the Court expresses its
regret, because the decision not to appear has a negative effect on the sound administration of justice.
However, the non-appearance of a party does not end the proceedings before the Court. Article 53 of the
Statute provides in this respect that:
“1. Whenever one of the parties does not appear before the Court, or fails to defend its
case, the other party may call upon the Court to decide in favour of its claim.
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2. The Court must, before doing so, satisfy itself, not only that it has jurisdiction in
accordance with Articles 36 and 37, but also that the claim is well founded in fact and law.”
55. As far as the law is concerned, the Court explained in the case concerning Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua that the principle iura novit curia signifies that the
Court is not solely dependent on the argument of the parties before it with respect to the applicable law.
Consequently, the absence of one party has less impact in this regard. (Military and Paramilitary
Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), Merits, Judgment, I.C.J.
Reports 1986, p. 24, para. 29).
56. However, non-appearance raises problems relating to the production of evidence and its
examination, both of which tasks fall on the parties under the maxim onus probandi incumbit actori. In
such cases, Article 53 of the Statute obliges the Court to employ whatever means and resources may
enable it to satisfy itself whether the submissions of the applicant State are well-founded in fact and law,
and simultaneously to safeguard the essential principles of the sound administration of justice. (ibid.,
p. 40, para. 59).
57. As part of its enquiries, the Court may therefore decide to appoint experts under Article 50 of
the Statute. In the Corfu Channel case, the Court emphasized the non-appearance of Albania in the last
phase of the case and the technical character of the determination of the damages to be paid. Both of these
factors were important in justifying its decision to appoint experts to quantify the damage to be paid for
the destruction of the British warships (Corfu Channel (United Kingdom v. Albania), Order of
19 November I949, I.C.J. Reports 1949, pp. 237-238).
58. There is one final scenario that deserves our consideration and attention. It concerns situations
in which the parties jointly request the Court to appoint experts. This happened in the Gulf of Maine case,
heard by a Chamber of the Court under Article II of the Special Agreement between Canada and the
United States.
59. In that case, the Court appointed Commander Peter Bryan Beazley, who had been jointly
nominated by the Parties, relying for this purpose on its power under Article 50 of the Statute. However,
it is important to reiterate that, under Article 50 of the Statute, the appointment of experts is a power of
the Court, and not one of the parties. The Gulf of Maine case can be explained by the nature of the task
which was assigned to Commander Beazley in that case. The Court-appointed expert was not appointed to
establish some scientific fact or its scientific meaning; rather, he was tasked with assisting the Chamber in
describing the geographical co-ordinates of the boundary and in depicting that boundary on Canadian
Hydrographic Service Chart No. 4003 and United States National Ocean Survey Chart No. 13006. It was
therefore very specific.
60. The Court would normally rely on the Registry to perform such a task. However, nothing
prevents the parties from making available to it persons who are familiar with the peculiarities of their
request. Even in those cases, however, it is for the Court itself to determine whether such experts would
be useful in its decision-making process.
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61. In conclusion, Mr Chairman, the equality of arms and the allocation of the burden of proof
between the parties are critical elements in deciding whether or not to appoint experts. Depending on the
specificities of each case, the principle of equality of arms may point the Court in one direction or the
other.
62. On the basis of the foregoing, please allow me to make some concluding remarks.
Conclusion
Mr. Chairman,
Ladies and gentlemen,
63. First of all, I would like to say that the great scientific progress made by humanity over the last
century has revolutionized the way in which we address issues both in international relations and in our
daily lives. It is, therefore, not surprising that science has had an impact on international law and has
come to affect the work of the International Court of Justice. However, the Court is not the arbiter of
scientific issues. Within the scope of its contentious jurisdiction, the Court is charged with deciding
disputes brought to it on the basis of law. It is only when scientific evidence is relevant for the decisionmaking
process, and that evidence has not been adequately provided by the parties, that the Court will
exercise its power to appoint its own experts.
64. Looking at the practice of the Court over the years  and this is the second point it is clear that
it has not shown any reluctance to deal with scientific evidence. Rather, it has tried to exercise its function
within the bounds of the Statute, while respecting fundamental principles of international adjudication.
Nonetheless, the law is not an island unto itself. It affects, and it is in turn affected by, other disciplines.
There is no doubt that its application is being increasingly influenced by scientific and technological
changes. The Court cannot remain oblivious to these realities and must continue to assess the extent to
which its work may benefit from the introduction of outside experts, bearing in mind the various factors
outlined in my presentation today. Luckily, the Statute provides for that possibility under Article 50,
thanks to the incredible foresight of its drafters.
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Discours de S. Exc. M. Abdulqawi A. Yusuf, président de la Cour internationale de Justice, devant la sixième commission de l'Asssemblée générale

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