Arrêt du 1 octobre 2018

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153-20181001-JUD-01-00-EN
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1 OCTOBER 2018
JUDGMENT
OBLIGATION TO NEGOTIATE ACCESS TO THE PACIFIC OCEAN (BOLIVIA v. CHILE)
___________
OBLIGATION DE NÉGOCIER UN ACCÈS À L’OCÉAN PACIFIQUE (BOLIVIE c. CHILI)
1er OCTOBRE 2018
ARRÊT
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2018
2018
1er octobre
Rôle général
no 153
1er octobre 2018
OBLIGATION DE NÉGOCIER UN ACCÈS À L’OCÉAN PACIFIQUE
(BOLIVIE c. CHILI)
Contexte historique et factuel.
Traité de 1866 démarquant la frontière entre le Chili et la Bolivie et séparant leurs territoires sur la côte pacifique  Guerre du Pacifique et occupation du territoire côtier de la Bolivie par le Chili  Convention d’armistice de 1884 prévoyant que le Chili continuera à administrer la région côtière  Traité de paix de 1904 reconnaissant la souveraineté «absolue et perpétuelle» du Chili sur le territoire côtier  Procès-verbal des réunions de 1920 concernant la question de l’accès de la Bolivie à la mer («Acta Protocolizada»)  Echanges ultérieurs relatifs à la demande de révision du traité de paix de 1904 formulée par la Bolivie  Mémorandum Matte de 1926 exprimant la position du Chili quant à la question de la souveraineté sur les provinces de Tacna et d’Arica  Echange de notes de 1950 entre le Chili et la Bolivie concernant l’accès de celle-ci à la mer  Mémorandum de 1961 remis au ministre bolivien des affaires étrangères par l’ambassadeur du Chili en Bolivie («mémorandum Trucco»)  Déclaration commune de 1975 des présidents bolivien et chilien annonçant leur accord pour engager des négociations («déclaration de Charaña»)  Résolutions de l’Organisation des Etats Américains («OEA») concernant l’accès souverain de la Bolivie à la mer  Nouvelles négociations ouvertes après les élections présidentielles boliviennes de 1985 et connues sous le nom de «nouvelle approche»  Déclaration d’Algarve de 2000 sur les questions essentielles de la relation bilatérale  Ordre du jour en 13 points de 2006, comprenant le point 6 sur la «question maritime».
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Considérations préliminaires.
Sens et portée de l’obligation de négocier  Obligation ne comprenant pas l’engagement de parvenir à un accord  Sens de l’accès souverain.
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Fondements juridiques allégués d’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
En droit international, existence d’une obligation de négocier devant être établie comme celle de toute autre obligation juridique.
Affirmation de la Bolivie selon laquelle les accords bilatéraux établissent une obligation de négocier  Nulle obligation de négocier n’étant créée par l’«Acta Protocolizada»  Mémorandum Matte ne contenant aucune acceptation d’une obligation de négocier  Echange de notes de 1950 ne constituant pas un instrument international contraignant  Mémorandum Trucco ne créant ni ne réaffirmant aucune obligation de négocier  Absence d’engagement juridique contraignant dans la déclaration de Charaña  Nulle obligation de négocier n’étant créée par les communiqués de 1986  Nulle obligation de négocier n’étant créée dans la déclaration d’Algarve  Nulle obligation de négocier n’étant établie dans l’ordre du jour en 13 points  Cour concluant qu’aucune obligation de négocier n’est établie par les accords bilatéraux.
Argument de la Bolivie selon lequel les déclarations et autres actes unilatéraux du Chili créent une obligation de négocier  Formulation de ces déclarations ne donnant pas à penser qu’une obligation juridique a été contractée  Absence de preuve d’une intention d’assumer une obligation de négocier  Cour concluant qu’aucune obligation de négocier n’est établie par les déclarations et autres actes unilatéraux du Chili.
Affirmation de la Bolivie selon laquelle l’obligation de négocier est établie par l’acquiescement  Bolivie n’ayant pas mentionné de déclaration qui aurait appelé une réponse pour empêcher qu’une obligation ne voie le jour  Cour concluant qu’aucune obligation de négocier n’est établie par l’acquiescement.
Argument de la Bolivie fondé sur l’estoppel  Expressions par le Chili d’une disposition à négocier n’impliquant pas d’obligation de négocier  Absence de confiance préjudiciable de la part de la Bolivie Conditions essentielles pour qu’il y ait estoppel n’étant pas remplies  Cour concluant qu’aucune obligation de négocier n’est établie par l’estoppel.
Argument de la Bolivie fondé sur les attentes légitimes  Références aux attentes légitimes contenues dans certaines sentences arbitrales entre un investisseur et un Etat  Références n’établissant pas l’existence d’un principe de droit international général  Cour rejetant l’argument de la Bolivie fondé sur les attentes légitimes.
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Argument de la Bolivie fondé sur le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies et sur l’article 3 de la Charte de l’OEA  Obligation générale de régler les différends, énoncée au paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, ne prévoyant aucune obligation de négocier  Obligation de régler les différends par des moyens pacifiques, énoncée à l’article 3 de la Charte de l’OEA, ne prévoyant aucune obligation de négocier  Cour concluant que ces dispositions ne sauraient constituer la base juridique d’une obligation de négocier.
Argument de la Bolivie fondé sur les résolutions de l’OEA  Négociations étant recommandées mais pas exigées  Résolutions étant non contraignantes en tant que telles  Cour concluant qu’aucune obligation de négocier ne peut être déduite du contenu des résolutions ou de la position du Chili lors de leur adoption.
Affirmation de la Bolivie selon laquelle les instruments, actes et éléments de comportement considérés cumulativement établissent une obligation de négocier  Fait de considérer plusieurs fondements cumulativement étant sans incidence sur le résultat  Cour concluant qu’aucune obligation de négocier n’est établie même en considérant cumulativement tous les instruments, actes et éléments de comportement.
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Conclusion générale.
Chili n’ayant pas contracté d’obligation de négocier un accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique  Autres conclusions finales de la Bolivie étant en conséquence rejetées  Conclusion de la Cour ne devant pas empêcher la poursuite du dialogue et des échanges.
ARRÊT
Présents : M. YUSUF, président ; MME XUE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA, CANÇADO TRINDADE, MME DONOGHUE, M. GAJA, MME SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON, GEVORGIAN, SALAM, juges ; MM. DAUDET, MCRAE, juges ad hoc ; M. COUVREUR, greffier.
En l’affaire relative à l’obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique,
entre
l’Etat plurinational de Bolivie,
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représenté par
S. Exc. M. Eduardo Rodríguez Veltzé, ancien président de la Bolivie, ancien président de la Cour suprême de justice bolivienne, ancien doyen de la faculté de droit de l’Université catholique de Bolivie à La Paz, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l’Etat plurinational de Bolivie auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent ;
S. Exc. M. Sacha Llorentty Soliz, représentant permanent de l’Etat plurinational de Bolivie auprès de l’Organisation des Nations Unies à New York,
comme coagent ;
S. Exc. M. Evo Morales Ayma, président de l’Etat plurinational de Bolivie,
comme représentant de l’Etat ;
M. Vaughan Lowe, QC, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, professeur émérite de droit international (chaire Chichele) à l’Université d’Oxford, membre de l’Institut de droit international,
M. Antonio Remiro Brotóns, professeur de droit international à l’Universidad Autónoma de Madrid, membre de l’Institut de droit international,
Mme Monique Chemillier-Gendreau, professeur émérite de droit public et de sciences politiques à l’Université Paris Diderot,
M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Paris Nanterre,
M. Payam Akhavan, LLM SJD (Harvard), professeur de droit international à l’Université McGill de Montréal, membre de la Cour permanente d’arbitrage, membre du barreau de l’Etat de New York et du barreau du Haut-Canada,
Mme Amy Sander, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
comme conseils et avocats ;
M. Fernando Huanacuni, ministre des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie,
M. Héctor Arce, ministre de la justice et de la transparence institutionnelle de l’Etat plurinational de Bolivie,
M. Pablo Menacho, Attorney General de l’Etat plurinational de Bolivie et professeur de droit constitutionnel à l’Universidad Mayor de San Andrés à La Paz,
M. Emerson Calderón, secrétaire général du bureau stratégique de reconnaissance des prétentions maritimes (DIREMAR) et professeur de droit international public à l’Universidad Mayor de San Andrés à La Paz,
comme conseillers ;
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M. Guido Vildoso, ancien président de la Bolivie,
M. Jorge Quiroga, ancien président de la Bolivie,
M. Carlos Mesa, ancien président de la Bolivie,
M. José Alberto González, président du Sénat de l’Etat plurinational de Bolivie,
Mme Gabriela Montaño, présidente de la Chambre des députés de l’Etat plurinational de Bolivie,
M. Rubén Costas Aguilera, gouverneur de Santa Cruz,
M. Esteban Urquizu Cuellar, gouverneur de Chuquisaca,
M. Gonzalo Alcón Aliaga, président du conseil de la magistrature de l’Etat plurinational de Bolivie,
Mme Segundina Flores, secrétaire exécutive de la fédération nationale des agricultrices Bartolina Sisa,
M. Juan Carlos Guarachi, secrétaire exécutif de la Central Obrera Boliviana,
M. Alvaro Ruiz, président de la fédération des associations municipales (FAM),
M. Juan Ríos del Prado, doyen de l’Universidad Mayor de San Simón,
M. Marco Antonio Fernández, doyen de l’Universidad Católica Boliviana,
M. Ronald Nostas, président de la confédération des chefs d’entreprise,
M. Gustavo Fernández, ancien ministre des affaires étrangères,
M. Javier Murillo, ancien ministre des affaires étrangères,
M. Carlos Iturralde, ancien ministre des affaires étrangères,
M. Diego Pary, représentant permanent de l’Etat plurinational de Bolivie auprès de l’Organisation des Etats américains à Washington,
M. Gustavo Rodríguez Ostria, ambassadeur de l’Etat plurinational de Bolivie auprès de la République du Pérou,
M. Rubén Saavedra, représentant permanent de l’Etat plurinational de Bolivie auprès de l’Union des Nations sud-américaines (UNASUR),
Mme Magdalena Cajias, consule générale de l’Etat plurinational de Bolivie à Santiago,
M. Juan Lanchipa, président de la Cour de justice du département de La Paz,
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M. Franz Zubieta, directeur du département du droit international au ministère de la justice et de la transparence institutionnelle de l’Etat plurinational de Bolivie,
M. Roberto Calzadilla, diplomate bolivien,
comme invités spéciaux ;
M. Javier Viscarra Valdivia, chef de mission adjoint à l’ambassade de l’Etat plurinational de Bolivie au Royaume des Pays-Bas,
M. Luis Rojas Martínez, ministre-conseiller et conseiller juridique à l’ambassade de l’Etat plurinational de Bolivie au Royaume des Pays-Bas,
Mme Iara Beekma Reis, conseillère à l’ambassade de Bolivie au Royaume des Pays-Bas,
M. José Villarroel, DIREMAR, La Paz,
M. Diego Molina, DIREMAR, La Paz,
comme conseillers techniques ;
Mme Gimena González, chercheuse en droit international public,
Mme Patricia Jimenez Kwast, doctorante en droit international public à l’Université d’Oxford,
Mme Raphaëlle Nollez-Goldbach, chargée de recherche au CNRS et directrice des études droit et administration publique à l’Ecole normale supérieure de Paris,
Mme Olga Dalbinoë, doctorante en droit international public à l’Universidad Autónoma de Madrid,
Mme Melina Antoniadis, BCL/LLB, Université McGill de Montréal,
comme conseils adjoints,
et
la République du Chili,
représentée par
M. Claudio Grossman, membre de la Commission du droit international, professeur de droit international, titulaire de la chaire R. Geraldson, et doyen émérite, American University, faculté de droit de Washington,
comme agent ;
S. Exc. M. Roberto Ampuero, ministre des affaires étrangères de la République du Chili,
comme représentant de l’Etat ;
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S. Exc. M. Alfonso Silva, vice-ministre des affaires étrangères de la République du Chili,
S. Exc. Mme María Teresa Infante Caffi, ambassadeur de la République du Chili auprès du Royaume des Pays-Bas, membre de l’Institut de droit international,
comme coagents ;
sir Daniel Bethlehem, QC, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, cabinet 20 Essex Street,
M. Samuel Wordsworth, QC, membre des barreaux d’Angleterre et du pays de Galles et du barreau de Paris, cabinet Essex Court,
M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Paris Nanterre, secrétaire général de l’Académie de droit international de La Haye,
M. Harold Hongju Koh, professeur de droit international (chaire Sterling) à la faculté de droit de Yale, membre des barreaux de New York et du district de Columbia,
M. Ben Juratowitch, QC, avocat, Australie, Angleterre et pays de Galles, cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP,
Mme Mónica Pinto, professeur à la faculté de droit de l’Université de Buenos Aires, membre associé de l’Institut de droit international,
Mme Kate Parlett, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, cabinet 20 Essex Street,
comme conseils et avocats ;
S. Exc. M. Heraldo Muñoz Valenzuela, ancien ministre des affaires étrangères de la République du Chili, professeur de relations internationales à l’Université du Chili,
S. Exc. Mme Ximena Fuentes Torrijo, chef de la direction nationale des frontières et des limites, ministère des affaires étrangères de la République du Chili, professeur de droit international public à l’Université du Chili,
S. Exc. M. Alberto van Klaveren Stork, ancien vice-ministre des affaires étrangères de la République du Chili, professeur de relations internationales à l’Université du Chili,
Mme Carolina Valdivia, chargée de la coordination générale, ministère des affaires étrangères de la République du Chili,
Mme Alexandra van der Meulen, avocat au barreau de Paris et membre du barreau de l’Etat de New York, cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP,
Mme Mariana Durney, chef de la direction des limites, ministère des affaires étrangères de la République du Chili,
S. Exc. M. Luis Winter, ministère des affaires étrangères de la République du Chili,
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M. Hernán Salinas, professeur de droit international à l’Université catholique du Chili, président du comité juridique interaméricain,
M. Andrés Jana, professeur de droit civil à l’Université du Chili,
M. Claudio Troncoso Repetto, professeur de droit international public à l’Université du Chili,
M. Daniel Müller, avocat au barreau de Paris, cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP, chercheur associé au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN),
Mme Callista Harris, solicitor (Nouvelle-Galles du Sud), cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP,
Mme Catherine Drummond, solicitor (Queensland), cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP,
M. Yuri Mantilla, membre des barreaux du district de Columbia et de Floride, cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP,
comme conseillers ;
Mme María Alicia Ríos, ministère des affaires étrangères de la République du Chili,
M. Juan Enrique Loyer, deuxième secrétaire, ambassade de la République du Chili au Royaume des Pays-Bas,
M. Coalter G. Lathrop, conseiller spécial du cabinet Sovereign Geographic, membre du barreau de Caroline du Nord,
M. José Hernández, deuxième secrétaire, ministère des affaires étrangères de la République du Chili,
M. Giovanni Cisternas, troisième secrétaire, ministère des affaires étrangères de la République du Chili,
M. Robert Carter Parét, membre du barreau de l’Etat de New York,
comme conseillers adjoints.
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
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1. Le 24 avril 2013, le Gouvernement de l’Etat plurinational de Bolivie (dénommé ci-après la «Bolivie») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République du Chili (dénommée ci-après le «Chili») au sujet d’un différend «concernant l’obligation du Chili de négocier de bonne foi et de manière effective avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique».
Dans sa requête, la Bolivie a indiqué qu’elle entendait fonder la compétence de la Cour sur l’article XXXI du traité américain de règlement pacifique signé le 30 avril 1948, dénommé officiellement, aux termes de son article LX, le «pacte de Bogotá» (et ainsi désigné ci-après).
2. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a immédiatement communiqué la requête au Gouvernement du Chili ; conformément au paragraphe 3 du même article, il en a également informé tous les autres Etats admis à ester devant la Cour.
3. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles a fait usage du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut de désigner un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. La Bolivie a désigné à cet effet M. Yves Daudet et le Chili, dans un premier temps, Mme Louise Arbour, qui a démissionné le 26 mai 2017, puis M. Donald M. McRae.
4. Par ordonnance du 18 juin 2013, la Cour a fixé au 17 avril 2014 et au 18 février 2015, respectivement, les dates d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire de la Bolivie et du contre-mémoire du Chili. La Bolivie a déposé son mémoire dans le délai ainsi prescrit.
5. Se référant au paragraphe 1 de l’article 53 du Règlement de la Cour, les Gouvernements du Pérou et de la Colombie ont respectivement demandé à obtenir des exemplaires des pièces de procédure et des documents annexés en l’affaire. Ayant consulté les Parties conformément à la disposition susvisée, le président de la Cour a décidé d’accéder à ces demandes. Le greffier a dûment communiqué ces décisions auxdits Gouvernements et aux Parties.
6. Le 15 juillet 2014, dans le délai prescrit au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement, le Chili a soulevé une exception préliminaire d’incompétence de la Cour. En conséquence, par ordonnance du 15 juillet 2014, le président, constatant que la procédure sur le fond était suspendue en application du paragraphe 5 de l’article 79 du Règlement, et compte tenu de l’instruction de procédure V, a fixé au 14 novembre 2014 la date d’expiration du délai dans lequel la Bolivie pourrait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur l’exception préliminaire soulevée par le Chili. La Bolivie a déposé un tel exposé dans le délai ainsi fixé.
7. Sur les instructions données par la Cour en vertu de l’article 43 de son Règlement, le greffier a adressé aux Etats parties au pacte de Bogotá les notifications prévues au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut. En application des dispositions du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, il a en même temps adressé la notification prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut à l’Organisation des Etats américains (dénommée ci-après l’«OEA»). Conformément au
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paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, le greffier a communiqué les pièces de procédure écrite à l’OEA et lui a demandé de lui faire savoir si elle entendait présenter des observations écrites au sens de cette disposition. Il a par ailleurs précisé dans ladite notification que, la procédure ne portant à ce stade que sur l’exception préliminaire d’incompétence de la Cour soulevée par le Chili, toutes observations écrites devraient être limitées à cet aspect. Le secrétaire général de l’OEA a informé la Cour que cette organisation n’avait pas l’intention de présenter de telles observations.
8. Des audiences publiques sur l’exception préliminaire soulevée par le Chili ont été tenues du lundi 4 au vendredi 8 mai 2015. Par son arrêt du 24 septembre 2015, la Cour a rejeté cette exception préliminaire et jugé qu’elle avait compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour connaître de la requête déposée par l’Etat plurinational de Bolivie le 24 avril 2013.
9. Par ordonnance en date du 24 septembre 2015, la Cour a fixé au 25 juillet 2016 la date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire du Chili. Le contre-mémoire a été déposé dans le délai ainsi fixé.
10. Par ordonnance en date du 21 septembre 2016, la Cour a autorisé le dépôt d’une réplique par la Bolivie et d’une duplique par le Chili, et fixé au 21 mars 2017 et au 21 septembre 2017, respectivement, les dates d’expiration des délais dans lesquels ces pièces devaient être déposées. La réplique et la duplique ont été déposées dans les délais ainsi fixés.
11. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après avoir consulté les Parties, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure et des documents annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale.
12. Des audiences publiques ont été tenues du 19 au 28 mars 2018, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses :
Pour la Bolivie : S. Exc. M. Eduardo Rodríguez Veltzé,
M. Payam Akhavan,
Mme Monique Chemillier-Gendreau,
M. Antonio Remiro Brotóns,
M. Vaughan Lowe,
Mme Amy Sander,
M. Mathias Forteau,
S. Exc. M. Sacha Llorentty Soliz.
Pour le Chili : M. Claudio Grossman,
sir Daniel Bethlehem,
M. Jean-Marc Thouvenin,
Mme Kate Parlett,
M. Samuel Wordsworth,
Mme Mónica Pinto,
M. Ben Juratowitch,
M. Harold Hongju Koh.
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13. Dans la requête, les demandes ci-après ont été formulées par la Bolivie :
«Pour les raisons exposées ci-dessus, la Bolivie prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
a) le Chili a l’obligation de négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique ;
b) le Chili a manqué à cette obligation ;
c) le Chili doit s’acquitter de ladite obligation de bonne foi, de manière prompte et formelle, dans un délai raisonnable et de manière effective, afin d’octroyer à la Bolivie un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique.»
14. Dans les pièces de procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de la Bolivie,
dans le mémoire et la réplique :
«Pour les raisons exposées [dans son mémoire et sa réplique], la Bolivie prie la Cour de dire et juger que :
a) le Chili a l’obligation de négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique ;
b) le Chili a manqué à cette obligation ; et
c) le Chili doit s’acquitter de ladite obligation de bonne foi, de manière prompte et formelle, dans un délai raisonnable et de manière effective, afin d’octroyer à la Bolivie un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique.»
Au nom du Gouvernement du Chili,
dans le contre-mémoire et la duplique :
«La République du Chili prie respectueusement la Cour de rejeter l’intégralité des demandes de l’Etat plurinational de Bolivie.»
15. Dans la procédure orale, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de la Bolivie,
«Conformément à l’article 60 du Règlement de la Cour, et pour les motifs exposés au cours de la procédure écrite et de la procédure orale en l’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), l’Etat plurinational de Bolivie prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
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a) le Chili a l’obligation de négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique ;
b) le Chili a manqué à cette obligation ; et
c) le Chili doit s’acquitter de ladite obligation de bonne foi, de manière prompte et formelle, dans un délai raisonnable et de manière effective, afin d’octroyer à la Bolivie un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique.»
Au nom du Gouvernement du Chili,
«La République du Chili prie respectueusement la Cour de rejeter l’intégralité des demandes de l’Etat plurinational de Bolivie.»
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I. CONTEXTE HISTORIQUE ET FACTUEL
16. Située en Amérique du Sud, la Bolivie est bordée au sud-ouest par le Chili, à l’ouest par le Pérou, au nord et à l’est par le Brésil, au sud-est par le Paraguay et au sud par l’Argentine. Elle ne possède pas de littoral. Le Chili, quant à lui, a une frontière terrestre commune avec le Pérou au nord, la Bolivie au nord-est et l’Argentine à l’est. A l’ouest, sa côte continentale fait face à l’océan Pacifique.
17. Compte tenu de l’importance du contexte historique du présent différend, la Cour examinera maintenant dans l’ordre chronologique certains événements qui ont marqué les relations entre la Bolivie et le Chili.
18. Ces événements font l’objet d’un grand nombre de documents rédigés en espagnol, que les Parties n’ont pas toujours traduits dans l’une des langues officielles de la Cour de manière identique. Lorsque ces traductions présentent des différences substantielles, la Cour reproduira, par souci de clarté, le texte original espagnol et indiquera de quelle Partie émane la traduction citée et en quoi celle-ci diffère substantiellement de la version fournie par l’autre Partie.
1. Evénements et traités antérieurs à 1904, y compris l’accord de cession territoriale de 1895
19. Le Chili et la Bolivie ont obtenu leur indépendance de l’Espagne en 1818 et 1825, respectivement. A l’époque, la Bolivie possédait un littoral de plus de 400 kilomètres le long de l’océan Pacifique.
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20. Le 10 août 1866, les deux Etats ont signé un traité de limites territoriales établissant entre eux une ligne de démarcation le long du 24e parallèle de latitude sud, qui séparait leurs territoires sur la côte pacifique. Les instruments de ratification ont été échangés le 9 décembre 1866. La frontière a été confirmée par le traité de limites du 6 août 1874, dont les instruments de ratification ont été échangés les 28 juillet et 22 septembre 1875.
21. Le 5 avril 1879, le Chili a déclaré la guerre au Pérou et à la Bolivie. Au cours de ce conflit, qui allait être appelé la guerre du Pacifique, il a occupé le territoire côtier bolivien. Les hostilités entre la Bolivie et le Chili se sont achevées le 4 avril 1884 avec la signature, à Valparaíso, au Chili, d’une convention d’armistice. Cet instrument prévoyait notamment que le Chili continuerait d’administrer «les territoires situés entre le 23e parallèle et l’embouchure du fleuve Loa dans le Pacifique», c’est-à-dire la région côtière de la Bolivie.
22. Le traité de paix signé le 20 octobre 1883 entre le Chili et le Pérou (ci-après, le «traité d’Ancón») a officiellement mis fin aux hostilités entre les deux pays. En application de l’article 2 de cet instrument, le second cédait au premier la province côtière de Tarapacá. En application de l’article 3, le Chili resterait en possession des territoires des provinces de Tacna et d’Arica pour une durée de dix ans, au terme de laquelle un plébiscite serait organisé pour déterminer définitivement la souveraineté sur ces territoires.
23. Le 18 mai 1895, la Bolivie et le Chili ont signé trois traités : un traité de paix et d’amitié, un accord de cession territoriale et un traité de commerce. Le traité de paix et d’amitié réaffirmait la souveraineté du Chili sur le territoire côtier que celui-ci administrait en application de la convention d’armistice du 4 avril 1884. Dans le cadre de l’accord de cession territoriale, la Bolivie et le Chili convenaient notamment que les territoires de Tacna et d’Arica devaient être cédés à la première si le second acquérait la «souveraineté permanente» sur eux par suite de négociations directes ou du plébiscite prévu par le traité d’Ancón de 1883. Si le Chili n’obtenait pas les deux territoires susmentionnés, que ce soit par des négociations directes avec le Pérou ou par le plébiscite, l’article IV de l’accord de cession territoriale disposait qu’il céderait à la Bolivie le territoire «allant de Caleta de Vítor jusqu’à Quebrada de Camarones ou toute autre région similaire». Quatre protocoles ont fait suite à ces trois traités.
24. Le 9 décembre 1895, le Chili et la Bolivie se sont mis d’accord sur un protocole relatif à la portée des obligations énoncées dans les traités du 18 mai 1895, qui précisait les obligations contractées par les Parties. Par un échange de notes en date des 29 et 30 avril 1896, il a été convenu que ces trois traités entreraient en vigueur à condition que les congrès respectifs des deux Etats approuvent ledit protocole. Cette condition n’ayant jamais été remplie, les trois traités du 18 mai 1895 ne sont jamais entrés en vigueur.
2. Le traité de paix de 1904
25. Le traité de paix et d’amitié du 20 octobre 1904 (ci-après le «traité de paix de 1904») a officiellement mis fin à la guerre du Pacifique entre la Bolivie et le Chili. Ce traité est entré en vigueur le 10 mars 1905, après l’échange des instruments de ratification entre les Parties. L’article II reconnaissait la souveraineté «absolue et perpétuelle» du Chili sur le territoire occupé par celui-ci en application de la convention d’armistice de 1884 et délimitait la totalité de la
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frontière entre les deux Etats. L’article III prévoyait la construction, aux frais du Chili, d’une voie ferrée entre le port d’Arica et le plateau de La Paz, qui a été inaugurée le 13 mai 1913. Aux termes de l’article VI du traité de paix de 1904, le Chili accordait à la Bolivie, «à titre perpétuel, un droit de transit commercial absolu et inconditionnel sur son territoire et dans ses ports situés sur le Pacifique». En application de l’article VII, cette dernière obtenait «le droit d’établir, dans les ports de son choix, des postes douaniers visant à promouvoir ses échanges commerciaux» et désignait à cette fin les ports d’Antofagasta et d’Arica.
3. Les échanges et déclarations intervenus dans les années 1920
A. L’«Acta Protocolizada» de 1920
26. Avant les événements de 1920, dans un mémorandum en date du 22 avril 1910, la Bolivie, se référant au différend qui opposait le Chili et le Pérou au sujet de la souveraineté sur Tacna et Arica, estimait déjà qu’elle
«ne saurait vivre isolée de la mer et déploiera[it], aujourd’hui comme demain, tous les efforts possibles pour obtenir au moins un port sur le Pacifique ; elle ne saurait se résigner à l’inaction chaque fois que se pose cette question de Tacna et d’Arica, qui compromet les fondements mêmes de son existence».
27. Dans un mémorandum en date du 9 septembre 1919, rédigé par le ministre plénipotentiaire du Chili à La Paz (Bolivie), il était notamment indiqué que le défendeur était disposé à engager des négociations, indépendamment de ce qui avait été établi par le traité de paix de 1904, afin de permettre à la Bolivie d’acquérir un accès à la mer sous réserve du résultat du plébiscite prévu par le traité d’Ancón de 1883.
28. Le 10 janvier 1920, le ministre bolivien des affaires étrangères et le ministre plénipotentiaire du Chili à La Paz se sont rencontrés, notamment pour examiner les questions concernant l’accès de la Bolivie à la mer, et ont consigné par écrit la teneur de cette série de réunions. Les Parties désignent ce procès-verbal par l’expression «Acta Protocolizada».
29. Le représentant du Chili proposait un accord rédigé en ces termes :
«I. Le traité de paix et d’amitié conclu entre le Chili et la Bolivie le 20 octobre 1904 détermine de façon définitive les relations politiques entre les deux pays et règle toutes les questions nées de la guerre de 1879.
II. Le Chili ayant satisfait aux obligations que lui imposait le traité susmentionné, les présentes négociations avaient pour objet de faire en sorte que la souveraineté sur les territoires de Tacna et d’Arica lui revienne, la Bolivie s’engageant expressément à coopérer à cette fin.
III. Au port souverain que la Bolivie souhaitait se voir octroyer se sont substituées la construction d’une voie ferrée reliant le port d’Arica à El Alto, à La Paz, ainsi que les autres obligations que le Chili a prises à sa charge.
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IV. La situation créée par le traité de 1904, les intérêts propres à cette région et la sécurité de sa frontière septentrionale imposent au Chili de conserver les côtes qui lui sont indispensables ; toutefois, afin de construire sur des bases solides sa future union avec la Bolivie, le Chili entend déployer tous les efforts pour que celle-ci acquière un accès à la mer qui lui soit propre, en lui cédant une partie importante de la zone située au nord d’Arica ainsi que de la ligne de chemin de fer se trouvant sur les territoires devant faire l’objet du plébiscite visé par le traité d’Ancón.
V. Indépendamment de ce qui a été établi par le traité de paix de 1904, le Chili accepte d’entamer de nouvelles négociations visant à satisfaire à l’aspiration du pays ami, sous réserve qu’il remporte le plébiscite.
VI. Un premier accord déterminerait la ligne devant indiquer la limite entre les zones d’Arica et de Tacna appelées à être placées sous la souveraineté respective du Chili et de la Bolivie, ainsi que toutes les compensations de nature commerciale ou autre qui sont à la base de l’accord.»
30. Le représentant de la Bolivie a répondu comme suit :
«III. L’aspiration de la Bolivie à disposer d’un port sur l’océan Pacifique n’a jamais faibli au cours de son histoire, et elle est aujourd’hui plus forte que jamais. La ligne de chemin de fer entre Arica et El Alto (La Paz), qui a nettement favorisé les échanges commerciaux de la Bolivie, ne rend que plus légitime la prétention de cet Etat à se voir octroyer un port souverain. Cette aspiration ne l’amènera cependant pas à commettre un quelconque acte contraire au droit.
IV. La disposition manifestée par le Chili à obtenir pour la Bolivie un accès à la mer qui lui soit propre, en cédant à celle-ci une partie considérable de la zone située au nord d’Arica ainsi que de la ligne de chemin de fer se trouvant sur les territoires devant faire l’objet du plébiscite visé par le traité d’Ancón, ouvre la voie à des relations plus amicales entre les deux pays, lesquelles sont nécessaires à l’union future de leurs peuples, en posant des fondements solides correspondant à leurs objectifs communs.»
31. A l’avant-dernier paragraphe du procès-verbal, il était précisé que le ministre bolivien des affaires étrangères considérait que «[ces] déclarations ne cont[enaient] aucune disposition créant des droits ou obligations pour les Etats dont les représentants [avaient] fait ces déclarations».
B. Les échanges ultérieurs (1920-1925)
32. Le 1er novembre 1920, la Bolivie a écrit au Secrétaire général de la Société des Nations en vue d’obtenir la révision du traité de paix de 1904, conformément à l’article 19 du traité de Versailles, aux termes duquel «[l]’Assemblée peut … inviter les Membres de la Société à procéder à un nouvel examen des traités devenus inapplicables».
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33. Le 28 septembre 1921, à la vingt-deuxième séance plénière de l’Assemblée de la Société des Nations, la Bolivie a retiré sa demande après qu’un comité de juristes eut établi que cette dernière était irrecevable. La raison avancée était que l’Assemblée n’avait pas compétence pour modifier les traités, pareille modification ne pouvant être effectuée que par les Etats contractants. La Bolivie se réservait toutefois le droit de présenter de nouveau sa demande à l’Assemblée.
34. Au cours de cette même séance, le délégué chilien a notamment répondu que
«la Bolivie p[ouvait] chercher satisfaction dans des négociations directes librement consenties. Le Chili n’a jamais fermé cette porte à la Bolivie, et je suis en mesure de déclarer que rien ne nous sera plus agréable que d’envisager directement avec elle les meilleurs moyens d’aider à son développement.»
Il a également ajouté ce qui suit :
«[l]a délégation bolivienne a cru nécessaire de faire une déclaration de «réserve de ses droits». Nous aimons à croire que cette déclaration signifie que, se conformant à l’avis des juristes, qui ont déclaré que «la modification des traités est de la seule compétence des Etats contractants», la Bolivie se décide, enfin, à exercer le seul droit qu’elle puisse faire valoir : celui de négociations avec le Chili, non pas pour la révision du Traité de 1904 ... Il nous est impossible de croire qu’en faisant cette réserve de ses droits, la Bolivie ait l’intention de renouveler ultérieurement, même sous une autre forme, une demande dépourvue de tout fondement juridique, en la laissant définitivement ouverte … Le Chili tient à déclarer que, demain comme aujourd’hui, il s’opposera à ce que l’on inscrive à l’ordre du jour de l’Assemblée toute demande de la Bolivie visant une question sur laquelle une Commission de juristes … s’est déjà prononcée.»
35. Dans une lettre en date du 8 septembre 1922, le délégué bolivien a informé le Secrétaire général de la Société des Nations que son pays réitérait qu’il s’était réservé le droit de soumettre une demande «de révision ou [d’]examen» du traité de paix de 1904 et que les négociations avec le Chili n’avaient «pas donné de résultats». Le 19 septembre 1922, le délégué chilien auprès de l’Assemblée générale a répondu ce qui suit :
«conformément aux déclarations de sa Délégation à la deuxième Assemblée, le Gouvernement du Chili a exprimé sa meilleure volonté pour entamer des conversations directes qu’il poursuivrait avec le plus franc esprit de conciliation.
[J]e dois déclarer que l’affirmation de M. Gutierrez sur la mission du Ministre de la Bolivie à Santiago ne correspond pas à la réalité.
En effet, le Président de la République du Chili … déclara au représentant de la Bolivie qu’il ne reconnaissait pas à son gouvernement le droit de réclamer un port sur l’Océan Pacifique, aspiration à laquelle il avait renoncé dans le Traité de Paix de 1904, en obtenant en échange des engagements onéreux de la part du Chili, qui les a entièrement exécutés. Le Président de la République ajouta que les aspirations de la
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Bolivie pourraient trouver satisfaction dans une autre direction et que son Gouvernement était tout disposé à entrer en négociations à ce sujet, avec un sincère esprit de concorde et de conciliation.»
36. En 1922 et 1923, parallèlement à ses tentatives en vue de réviser le traité de paix de 1904, la Bolivie a continué de négocier directement avec le Chili afin d’obtenir un accès souverain à l’océan Pacifique.
37. Le 6 février 1923, en réponse à une note en date du 27 janvier de la même année dans laquelle le ministre bolivien des affaires étrangères et des cultes proposait que soit révisé le traité de paix de 1904, le ministre chilien des affaires étrangères a déclaré que son gouvernement demeurait attentif aux propositions boliviennes tendant à conclure un nouveau pacte adapté à la «situation de la Bolivie, sans toutefois modifier le traité de paix ni rompre la continuité territoriale du Chili». Il ajoutait que son pays «fera[it] tout son possible pour définir avec [la Bolivie], sur la base des propositions précises qui pourr[aient] être soumises en temps opportun par celle-ci, les fondements d’une négociation directe susceptible de conduire, par des compensations mutuelles et dans le respect de tout droit inaliénable, à la réalisation de cette aspiration».
38. Dans une note en date du 12 février 1923 adressée au ministre chilien des affaires étrangères, le ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili a demandé que le traité de paix de 1904 soit révisé et a déclaré ce qui suit :
«Si la requête qu’il m’a été demandé de formuler ne reçoit pas la réponse que mon pays attend, à moins que vous ne m’informiez, au contraire, que le ministère chilien des affaires étrangères est disposé à écouter les propositions que mon gouvernement entend lui soumettre dans le but de conclure, en temps voulu, un accord prévoyant une compensation de part et d’autre, lequel, sans modifier le traité de paix ni porter atteinte à la continuité du territoire chilien, prendrait en compte la situation et les aspirations de la Bolivie, et que votre gouvernement déploiera tous ses efforts pour y parvenir, je me verrai contraint de vous annoncer que mon gouvernement m’a ordonné de mettre fin à ces négociations, car leur raison d’être était de rechercher une base solide et sûre permettant de concilier les aspirations de la Bolivie et les intérêts du Chili.»
39. Dans une note en date du 22 février 1923 adressée au ministre plénipotentiaire de Bolivie au Chili, le ministre chilien des affaires étrangères a déclaré ce qui suit :
«[le traité de paix de 1904] ne cont[enait] pas d’autre stipulation territoriale que la souveraineté absolue et perpétuelle du Chili sur le territoire de l’ancien Littoral situé dans le désert d’Atacama, qui avait fait l’objet d’un long différend entre les deux pays.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le Chili ne reconnaîtra jamais l’obligation de donner un port à la Bolivie dans cette zone, car celle-ci nous a été cédée définitivement et sans condition en 1904 et aussi parce que, comme je l’ai dit dans ma note en date du 6 de ce mois, une telle reconnaissance entraînerait une rupture de la continuité de notre territoire ; toutefois, tant que le traité n’est pas modifié et que ses dispositions demeurent intactes et
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continuent de produire pleinement leurs effets, il n’y a aucune raison de douter que les efforts déployés de bonne foi par les deux gouvernements ne permettent de trouver un moyen de satisfaire aux aspirations de la Bolivie, pour autant que celles-ci restent limitées à la recherche d’un libre accès à la mer et qu’elles ne prennent pas la forme de la revendication maritime qui semblait transparaître dans votre note. Je saisis cette occasion pour affirmer, une fois encore, que mon gouvernement est disposé à examiner les propositions que le Gouvernement bolivien souhaite lui soumettre à cet égard.»
40. Dans un entretien avec la presse en date du 4 avril 1923, le président chilien, Arturo Alessandri, a fait la déclaration suivante, dans laquelle il se référait notamment à la décision prise en 1922 par le Pérou et le Chili de soumettre leur différend territorial relatif à Tacna et Arica à l’arbitrage du président des Etats-Unis d’Amérique :
«[D]’un point de vue juridique, nous n’avons aucun engagement à l’égard de la Bolivie. Les relations entre nos deux pays sont totalement et définitivement régies par l’engagement solennel que nous avons pris l’un et l’autre en signant le traité de paix et d’amitié du 20 octobre 1904.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cet instrument, qui était très favorable à la Bolivie et lui octroyait un accès libre et perpétuel à l’océan Pacifique, a été conclu à la condition que ce pays renonce à son droit de prétendre à un port sur le Pacifique et que le Chili, pays victorieux, prenne à sa charge la totalité des frais liés à cette cession territoriale, celui-ci s’étant acquitté de toutes ses obligations pécuniaires, qui représentaient pour lui la somme approximative de huit millions de livres sterling.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nonobstant ce qui précède, je répète que, si la sentence arbitrale de Washington le permet, le Chili, qui désire ardemment mettre toutes ses ressources au profit de la paix sur le continent américain, étudiera avec générosité les aspirations de la Bolivie à un port sous la forme et dans les conditions clairement énoncées à plusieurs reprises dans la note du 6 février adressée à l’ambassadeur bolivien au Chili par le ministre chilien des affaires étrangères.»
41. Par une sentence arbitrale de 1925, le président des Etats-Unis d’Amérique, Calvin Coolidge, a énoncé les conditions régissant le plébiscite relatif à Tacna et Arica prévu à l’article 3 du traité d’Ancón (Question de Tacna-Arica (Chili, Pérou), 4 mars 1925, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. II, p. 921-958).
C. La proposition Kellogg de 1926 et le mémorandum Matte de la même année
42. Le 30 novembre 1926, le secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique, Frank B. Kellogg, a soumis au Chili et au Pérou une proposition concernant la question de la souveraineté sur les provinces de Tacna et d’Arica, qui se lisait comme suit :
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«J’ai décidé d’établir et de présenter aux deux gouvernements un plan qui, à mon sens, devrait retenir leur attention … Il s’agirait de faire appel à la coopération d’un pays tiers, la Bolivie, qui, jusqu’à présent, n’a participé à aucune négociation, du moins pas à la connaissance de mon gouvernement. Quoique la Bolivie n’ait pas été invitée à communiquer ses vues à cet égard  même si son aspiration à obtenir un accès à l’océan Pacifique est de notoriété publique , il semble raisonnable de partir du principe que cet Etat est, de par sa situation géographique, la puissance extérieure la plus désireuse d’acquérir, par voie d’achat ou de toute autre manière, les territoires qui constituent l’objet du présent différend.
Ceci étant dit, j’en viens à présent à la proposition concrète que j’ai à l’esprit :
a) Les Républiques du Chili et du Pérou pourraient, par un acte conjoint ou des instruments séparés librement et volontairement exécutés, céder à la République de Bolivie, à titre perpétuel, tous les droits, titres et intérêts qu’elles pourraient l’une et l’autre détenir sur les provinces de Tacna et d’Arica ; la cession devrait être subordonnée à des garanties appropriées de protection et de préservation, sans discrimination, des droits personnels et réels de l’ensemble des habitants des deux provinces, quelle que soit leur nationalité.»
43. Le 2 décembre 1926, le ministre bolivien des affaires étrangères a adressé au ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique à La Paz une communication l’informant que son pays acceptait pleinement la proposition Kellogg.
44. Par un mémorandum en date du 4 décembre 1926 (ci-après le «mémorandum Matte») adressé au secrétaire d’Etat américain, le ministre chilien des affaires étrangères a exprimé sa position à ce sujet dans les termes suivants :
«La République de Bolivie, qui, vingt ans après la fin de la guerre, a spontanément renoncé à l’intégralité du littoral, demandant en échange une compensation de nature pécuniaire et des moyens de communication  qu’elle jugeait mieux à même de servir ses intérêts —, a exprimé le souhait d’être prise en considération dans les négociations en cours visant à déterminer l’Etat auquel reviendront ces territoires. Or, ni la justice ni l’équité ne permettent de justifier cette demande, qu’elle présente aujourd’hui comme étant un droit.
Ce nonobstant, le Gouvernement chilien n’a pas manqué de tenir compte de ce nouvel intérêt du Gouvernement bolivien et a, en toute logique, subordonné l’examen de la question à l’issue du différend qui l’oppose actuellement au Gouvernement péruvien. Par ailleurs, au cours des négociations menées cette année devant le département d’Etat dans le cadre de la formule de la division territoriale, le Gouvernement du Chili n’a pas écarté l’idée de céder une bande de territoire et un port à la Bolivie.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La proposition du département d’Etat va bien au-delà des concessions que le Gouvernement chilien est généreusement en mesure de consentir. Elle implique de céder définitivement à la République de Bolivie le territoire en cause, et bien que,
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comme le fait observer le secrétaire d’Etat, cette solution ne blesse pas la dignité des pays en lice et est en harmonie avec le désir affiché à maintes reprises par le Gouvernement chilien d’aider à satisfaire aux aspirations boliviennes, il n’en demeure pas moins que cela reviendrait à sacrifier nos droits et à céder un territoire qui a été inclus pendant quarante ans dans la République en application d’un traité solennel  situation qui ne saurait être modifiée juridiquement, sauf par un plébiscite, dont le résultat ne laisse aucun doute dans l’opinion du peuple chilien.»
45. Par la suite, dans une note en date du 7 décembre 1926 adressée au ministre plénipotentiaire du Chili en Bolivie, le ministre bolivien des affaires étrangères a indiqué que, selon son pays, «le Chili [avait] accueill[i] avec intérêt la proposition formulée par le secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique».
46. Enfin, par un mémorandum en date du 12 janvier 1927, le ministre péruvien des affaires étrangères a informé le secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique que le Gouvernement péruvien n’acceptait pas la proposition des Etats-Unis concernant Tacna et Arica.
4. La réaction de la Bolivie à la conclusion, en 1929, du traité de Lima et de son protocole complémentaire
47. En raison de difficultés touchant à l’exécution de la sentence arbitrale de 1925 entre le Chili et le Pérou qui avait fixé les termes du plébiscite concernant Tacna et Arica prévu à l’article 3 du traité d’Ancón, les deux Etats sont convenus de régler la question de la souveraineté sur ces territoires par voie conventionnelle et non par un plébiscite.
48. Le 3 juin 1929, le Chili et le Pérou ont conclu le traité de Lima, aux termes duquel ils convenaient que la souveraineté sur le territoire de Tacna revenait au second, et la souveraineté sur le territoire d’Arica, au premier. Dans un protocole complémentaire à cet instrument, ils ont notamment décidé ce qui suit :
«Les Gouvernements du Chili et du Pérou ne pourront, sans accord préalable entre eux, céder à une tierce Puissance la totalité ou une partie des territoires qui, conformément au traité de même date, sont placés sous leur souveraineté respective et ils ne pourront pas non plus, sans remplir cette condition, construire de nouvelles voies ferrées internationales traversant ces territoires.» (Art. premier.)
49. Dans un mémorandum adressé au secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique en date du 1er août 1929, le ministre bolivien des affaires étrangères, ayant pris connaissance de ce protocole, a déclaré que ce nouvel accord entre le Chili et le Pérou n’aurait pas pour effet d’amener la Bolivie à renoncer à «[sa] politique visant à recouvrer [sa] souveraineté maritime».
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5. L’échange de notes de 1950
50. A la fin des années 1940, les Parties ont mené d’autres discussions concernant l’accès de la Bolivie à la mer. En particulier, dans une note en date du 28 juin 1948, l’ambassadeur de Bolivie au Chili a rendu compte au ministre bolivien des affaires étrangères de ses échanges avec le président chilien, Gabriel González Videla, au sujet de l’ouverture de ces négociations, en y incluant un projet de protocole contenant la proposition bolivienne.
51. Dans une note du 1er juin 1950, l’ambassadeur de Bolivie au Chili a officiellement proposé au ministre chilien des affaires étrangères d’engager des négociations dans les termes suivants (selon la traduction anglaise produite par la Bolivie) :
«Compte tenu de ces importants précédents («contexte», selon la traduction anglaise produite par le Chili), qui témoignent d’une orientation claire de la politique de la République du Chili, j’ai l’honneur de vous proposer que les Gouvernements de la Bolivie et du Chili engagent officiellement des négociations directes en vue de satisfaire au besoin fondamental que représente pour la Bolivie l’obtention d’un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, et de résoudre ainsi son problème d’enclavement en veillant à ce que les deux peuples bénéficient d’avantages réciproques et à ce que leurs intérêts véritables soient respectés.» [Traduction française du Greffe.]
(«Con tan importantes antecedentes, que al respecto señalan una clara orientación de la política internacional seguida por la República chilena, tengo a honra proponer a Vuestra Excelencia que los gobiernos de Bolivia y de Chile ingresen formalmente a una negociación directa para satisfacer la fundamental necesidad boliviana de obtener una salida propia y soberana al Océano Pacífico, resolviendo así el problema de la mediterraneidad de Bolivia sobre bases que consulten las recíprocas conveniencias y los verdaderos intereses de ambos pueblos.»)
52. Dans une note du 20 juin 1950, le ministre chilien des affaires étrangères a répondu ce qui suit (selon la traduction anglaise produite par le Chili) :
«Il ressort des citations figurant dans la note à laquelle j’ai l’honneur de répondre que, tout en étant soucieux de préserver la situation juridique créée par le traité de paix de 1904, le Gouvernement chilien s’est montré disposé à examiner directement («dans le cadre de négociations directes», selon la traduction anglaise produite par la Bolivie) avec la Bolivie la possibilité de satisfaire aux aspirations de votre gouvernement, dans le respect des intérêts du Chili.
En cette occasion, j’ai l’honneur de vous faire connaître que mon gouvernement demeurera fidèle à cette position et que, dans un esprit d’amitié fraternelle envers la Bolivie, il est prêt à engager officiellement des négociations directes visant à rechercher une formule («est disposé à engager officiellement des négociations directes visant à trouver une formule», selon la traduction anglaise produite par la Bolivie) qui permettrait d’octroyer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, et au Chili d’obtenir une compensation de nature non territoriale tenant pleinement compte de ses intérêts.» [Traduction française du Greffe.]
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(«De la citas contenidas en la nota que contesto, fluye que el Gobierno de Chile, junto con resguard[ar] la situación de derecho establecida en el Tratado de Paz de 1904, ha estado dispuesto a estudiar, en gestiones directas con Bolivia, la posibilidad de satisfacer las aspiraciones del Gobierno de Vuestra Excelencia y los intereses de Chile. En la presente oportunidad, tengo el honor de expresar a Vuestra Excelencia que mi Gobierno será con[se]cuente con esa posición y que, animado de un espíritu de eternal amistad hacia Bolivia, está llano a entrar formalmente en una negociación directa destinada a buscar la fórmula que pueda hacer posible dar a Bolivia una salida propia y soberana al Océano Pacífico, y a Chile obtener las compensaciones que no tengan carácter territorial y que consulten efectivamente sus intereses.»)
53. Les négociations entre les deux Etats n’ont toutefois guère progressé au cours des années suivantes. Le 29 mars 1951, le président chilien, Gabriel González Videla, a affirmé ce qui suit :
«[L]e Gouvernement du Chili a toujours eu la même politique, indiquant qu’il était disposé à prêter l’oreille à toute proposition de la Bolivie visant à mettre fin à l’enclavement de celle-ci, à condition que ladite proposition nous soit présentée directement et qu’elle ne suppose pas que nous renoncions à notre doctrine traditionnelle de respect des traités internationaux, essentielle selon nous à la coexistence pacifique des nations.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chaque fois que la Bolivie a réitéré son souhait d’obtenir un accès à la mer, s’est naturellement posée la question des compensations qu’elle pourrait nous offrir si un accord était trouvé sur ce point avec le Chili et le Pérou.»
6. Le mémorandum Trucco de 1961
54. Entre 1951 et 1957, les échanges entre les Parties ont essentiellement porté sur l’amélioration des modalités concrètes du régime d’accès de la Bolivie à l’océan Pacifique.
55. Le 10 juillet 1961, ayant appris que la Bolivie avait l’intention de soulever la question de son accès à l’océan Pacifique au cours de la conférence interaméricaine qui devait se dérouler la même année à Quito, en Equateur, l’ambassadeur du Chili en Bolivie, Manuel Trucco, a remis au ministre bolivien des affaires étrangères un mémorandum qu’il avait auparavant adressé au ministre chilien des affaires étrangères et qui allait être dénommé «mémorandum Trucco». Ce document était ainsi libellé (selon la traduction anglaise produite par le Chili) :
«1. Soucieux de conserver la situation de jure établie dans le traité de paix de 1904, le Chili a toujours été prêt («disposé», selon la traduction anglaise produite par la Bolivie) à étudier, dans le cadre de pourparlers directs avec la Bolivie, la possibilité de satisfaire aux aspirations de celle-ci tout en préservant ses propres intérêts. Cependant, il s’opposera toujours au recours, par la Bolivie, à des organisations qui n’ont pas compétence pour régler une question qui l’a déjà été par voie conventionnelle et ne saurait être modifiée qu’au moyen d’un accord direct («de négociations directes», selon la traduction anglaise produite par la Bolivie) entre les parties.
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2. La note no 9 datée à Santiago du 20 juin 1950 et émanant de notre ministère des affaires étrangères traduit («démontre», selon la traduction anglaise produite par la Bolivie) clairement ces intentions. Dans ce document, le Chili affirme qu’il est «disposé à engager officiellement des négociations directes visant à rechercher une formule qui permettrait d’octroyer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre («exprime son consentement plein et entier à entamer dès que possible des négociations directes en vue de satisfaire au besoin national fondamental que constitue pour [elle] un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre», selon la traduction anglaise produite par la Bolivie), et au Chili d’obtenir une compensation de nature non territoriale tenant pleinement compte de ses intérêts.»
3. Etant donné que le président Paz Estenssoro a manifesté sa volonté de rendre visite au président Alessandri en réponse à l’invitation formulée par le président chilien, il semblerait particulièrement intempestif et inopportun de perturber l’opinion publique des deux pays en annonçant le recours à des organisations internationales pour résoudre un problème que le Gouvernement bolivien n’a pas précisé («n’a pas réglé», selon la traduction anglaise produite par la Bolivie) dans le cadre de ses relations directes avec le Gouvernement chilien.» [Traduction française du Greffe.]
(«1. Chile ha estado siempre llano, junto con resguardar la situación de derecho establecida en el Tratado de Paz de 1904, a estudiar, en gestiones directas con Bolivia, la posibilidad de satisfacer las aspiraciones de ésta y los intereses de Chile. Chile rechazará siempre el recurso, por parte de Bolivia, a organismos que no son competentes para resolver un asunto zanjado por Tratado, y que sólo podría modificarse por acuerdo directo de las partes. 2. La nota N. 9 de nuestra Cancillería, fechada en Santiago el 20 de junio de 1950, es claro testimonio de esos propósitos. Mediante ella, Chile manifiesta estar «llano a entrar formalmente en una negociación directa destinada a buscar la fórmula que pueda hacer posible dar a Bolivia una salida propia y soberana al Océano Pacífico, y a Chile obtener las compensaciones que no tengan carácter territorial y que consulten efectivamente sus intereses.» 3. Habiendo significado el Presidente Paz Estenssoro su voluntad de visitar el Presidente Alessandri, en respuesta a la invitación que el Presidente de Chile le formulara, pareciera especialmente extemporáneo e inconveniente agitar a la opinión pública de ambos países con el anuncio de recurrir a organismos internacionales para tratar de un problema que el Gobierno de Bolivia no ha concretado en sus relaciones directas con el Gobierno de Chile.»)
56. En réponse à ce mémorandum, le ministère bolivien des affaires étrangères a, le 9 février 1962, exprimé
«son consentement plein et entier à entamer dès que possible des négociations directes en vue de satisfaire au besoin national fondamental que constitue pour la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, en échange de compensations qui, sans être de nature territoriale, bénéficient aux deux pays et prennent en compte leurs véritables intérêts».
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57. Le 15 avril 1962, la Bolivie a rompu ses relations diplomatiques avec le Chili à la suite de l’utilisation par ce dernier des eaux du fleuve Lauca.
58. Le 27 mars 1963, le ministre chilien des affaires étrangères a indiqué que son pays n’était «pas disposé à entamer des pourparlers qui pourraient nuire à la souveraineté nationale ou engendrer une cession territoriale de quelque sorte que ce soit» et nié que le mémorandum Trucco constituât «une note officielle», soulignant qu’il ne s’agissait que d’un «aide-mémoire» contenant «un simple exposé de points de vue à un moment donné». Il affirmait également que le Chili avait tout intérêt à améliorer «l’ensemble des moyens de transport entre les deux pays» et avait proposé d’engager une action commune de développement économique.
59. Le 3 avril 1963, le ministre bolivien des affaires étrangères a soutenu que l’échange de notes de 1950 constituait un «engagement» des Parties, ce qu’a contesté le Chili dans une lettre qu’il lui a adressée le 17 novembre 1963. Une note adressée au président de l’Uruguay, Óscar Diego Gestido, par le président de la Bolivie, René Barrientos Ortuño, au sujet de l’absence de la Bolivie à la réunion des chefs d’Etat américains qui s’est tenue à Punta del Este en 1967, ainsi que la réponse du ministre chilien des affaires étrangères qui y a fait suite, ont de nouveau mis en évidence les divergences de vues entre les Parties concernant la nature de l’échange de notes de 1950.
7. Le processus de Charaña
60. Le 15 mars 1974, un communiqué commun a été signé par les présidents bolivien et chilien (le général Banzer et le général Pinochet, respectivement), par lequel ils annonçaient leur accord pour engager des négociations sur «les problèmes restés en suspens et revêtant une importance cruciale pour les deux pays».
61. Le 9 décembre 1974, plusieurs Etats d’Amérique latine, parmi lesquels la Bolivie et le Chili, ont signé la déclaration d’Ayacucho qui, s’agissant de la situation de la Bolivie, contenait le passage suivant :
«Réaffirmant la volonté historique de renforcer l’esprit d’unité et de solidarité entre nos peuples, nous manifestons la plus grande compréhension à l’égard de l’enclavement de la Bolivie, problème qu’il convient d’examiner attentivement pour aboutir à un accord constructif.»
62. Le 8 février 1975, les présidents bolivien et chilien ont signé à Charaña une déclaration commune  connue sous le nom de déclaration de Charaña  dans laquelle il était notamment indiqué ce qui suit (selon la traduction anglaise produite par la Bolivie) :
«3. A cet égard, les deux présidents ont réaffirmé leur pleine adhésion à la déclaration d’Ayacucho, qui reflète fidèlement l’esprit de solidarité et de coopération caractérisant cette partie de l’Amérique.
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4. Les deux chefs d’Etat, dans un esprit constructif et de compréhension mutuelle, ont décidé («ont résolu», selon la traduction anglaise produite par le Chili) de poursuivre le dialogue à différents niveaux afin de rechercher des mécanismes permettant de résoudre, dans le respect des intérêts mutuels («de leurs intérêts réciproques», selon la traduction anglaise produite par le Chili) et des aspirations des peuples bolivien et chilien, les problèmes vitaux auxquels sont confrontés les deux pays, notamment l’enclavement de la Bolivie.
5. Les deux présidents ont décidé («ont résolu», selon la traduction anglaise produite par le Chili) de continuer à oeuvrer en faveur de l’harmonie et de la compréhension mutuelle en vue d’instaurer un climat de coopération qui leur permettra de faire avancer les causes de la paix et du progrès sur le continent.» [Traduction française du Greffe.]
(«3. En este sentido, los Presidentes reafirmaron su plena adhesión a la Declaración de Ayacucho, en la que se refleja fielmente un espíritu solidario y abierto al entendimiento en esta parte de América. 4. Ambos mandatarios, con ese espíritu de mutua comprensión y ánimo constructivo, han resuelto se continúe el diálogo a diversos niveles, para buscar fórmulas de solución a los asuntos vitales que ambos países confrontan, como el relativo a la situación de mediterraneidad que afecta a Bolivia, dentro de recíprocas conveniencias y atendiendo a las aspiraciones de los pueblos boliviano y chileno. 5. Los dos Presidentes han resuelto seguir desarrollando una política en favor de la armonía y el entendimiento, para que, en un clima de cooperación se encuentre, en conjunto, una fórmula de paz y progreso en nuestro Continente.»)
63. Dans un discours du 11 septembre 1975, le président chilien, le général Pinochet, a tenu les propos suivants :
«Je me félicite grandement de la reprise de nos relations traditionnelles avec la Bolivie, qui avaient été suspendues pendant plus de treize ans. Depuis la réunion de Charaña avec le président de la Bolivie, nous avons toujours dit que nous entendions examiner, dans le cadre de négociations franches et amicales avec notre pays frère, les obstacles qui limitent le développement de la Bolivie du fait de son enclavement. Nous sommes convaincus que nous parviendrons à trouver en temps opportun une solution équitable et durable.»
64. Dans le cadre du «dialogue» mentionné dans la déclaration commune de Charaña, la Bolivie a proposé, le 26 août 1975, des lignes directrices de négociation. Au mois de décembre de la même année, le Chili a présenté une contre-proposition de lignes directrices, qui incluait une condition d’échange territorial. Elle était ainsi libellée :
«b) Compte tenu de ce qui précède, la réponse du Chili est fondée sur un arrangement de convenance mutuelle qui tiendrait compte des intérêts des deux pays, sans entraîner aucune modification des dispositions du traité de paix, d’amitié et de commerce signé par le Chili et la Bolivie le 20 octobre 1904.
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c) Comme l’a indiqué S. Exc. le président Banzer, la cession à la Bolivie d’une côte maritime souveraine, reliée au territoire bolivien par une bande de territoire également souveraine, serait envisagée.
d) Le Chili serait disposé à négocier avec la Bolivie la cession d’une bande de territoire au nord d’Arica jusqu’à la ligne de Concordia sur la base de la délimitation ci-après :
 Frontière nord : la frontière actuelle entre le Chili et le Pérou.
 Frontière sud : la vallée de Gallinazos et la rive nord supérieure de la vallée de la rivière Lluta (de sorte que la route A-15 reliant Arica à Tambo Quemado demeure intégralement en territoire chilien) jusqu’à un point situé au sud de la station de Puquios, puis une ligne droite passant par la côte de 5370 mètres du mont Nasahuento et se prolongeant jusqu’à la frontière internationale actuelle entre le Chili et la Bolivie.
 Zone : la cession inclurait le territoire terrestre décrit ci-dessus et un territoire maritime situé entre des parallèles tracés à partir des extrémités du segment de côte qui serait cédé (mer territoriale, zone économique et plateau sous-marin).
e) Le Gouvernement chilien rejette la cession de territoires au sud de la limite indiquée, qu’il considère comme inacceptable et qui pourrait, d’une manière ou d’une autre, avoir une incidence sur la continuité territoriale du pays.
f) La cession à la Bolivie décrite au paragraphe d) serait conditionnée à un échange simultané de territoires, c’est-à-dire que le Chili recevrait dans le même temps, à titre de compensation, une zone au moins équivalente à la zone territoriale et maritime cédée à la Bolivie.
Le territoire que le Chili recevrait de la Bolivie serait continu ou composé de plusieurs portions de territoire frontalier.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
i) Le Gouvernement de la Bolivie autoriserait le Chili à utiliser les eaux du fleuve Lauca.
j) Le territoire cédé par le Chili serait déclaré zone démilitarisée et, conformément à des conversations antérieures, le Gouvernement bolivien s’engagerait à obtenir de l’Organisation des Etats américains la garantie expresse du caractère inviolable de la bande de territoire cédée.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
m) La Bolivie respectera les servitudes dont bénéficie le Pérou au titre du traité qu’il a conclu avec le Chili le 3 juin 1929.
n) La validité du présent accord dépendra du consentement préalable du Pérou, conformément à l’article 1er du protocole complémentaire du traité susmentionné.»
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65. La Bolivie a accepté la proposition du Chili comme base de négociation. Elle a cependant précisé, en janvier 1976, qu’elle acceptait la condition de l’échange territorial pour autant que «la zone maritime soit précisée, étant donné que l’extension des eaux intérieures, de la mer territoriale et de la mer patrimoniale n’a[vait] pas encore été définie par la communauté internationale», et qu’elle se réservait «le droit de négocier sur la question du choix des zones potentiellement concernées». En mars 1976, le ministre bolivien des affaires étrangères a rappelé que son pays n’avait pas pris d’engagements définitifs à cet égard, et déclaré ce qui suit :
«Nous avons annoncé catégoriquement que nous acceptions les bases globales de négociation qui tiennent compte des intérêts réciproques de nos deux pays, en particulier pour ce qui concerne les questions sur lesquelles il existe entre nous un terrain d’entente. Quant à tous les autres éléments figurant dans les documents de travail, à savoir la proposition de la Bolivie et la réponse du gouvernement chilien, ils seront examinés lors d’une phase ultérieure des négociations. En conséquence, nous tenons à préciser que notre gouvernement n’a pas accepté la démilitarisation de la zone devant être cédée à la Bolivie dans la mesure où cela conduirait à une limitation de la souveraineté, à l’utilisation des eaux du fleuve Lauca dans son ensemble, ou à un échange territorial qui concernerait des espaces maritimes.»
66. Par un échange de notes datées des 28 juillet et 11 août 1976, les deux Etats sont convenus d’établir une commission mixte permanente, qui a été créée le 18 novembre de la même année, afin «de débattre de toutes les questions d’intérêt commun aux deux pays». Tout au long de l’année 1976, la Bolivie a, en diverses occasions, confirmé qu’elle était disposée à étudier la possibilité de céder certaines portions de son territoire en échange d’une portion équivalente du territoire chilien.
67. Le 19 décembre 1975, conformément aux lignes directrices de négociation et au protocole complémentaire joint au traité de Lima du 3 juin 1929, le Chili a demandé au Pérou s’il consentait à la cession territoriale envisagée entre les Parties. En novembre 1976, le Pérou a répondu en formulant une contre-proposition tendant à la création d’une zone de souveraineté tripartite, qui n’a été acceptée ni par le Chili ni par la Bolivie. Le Pérou a toutefois refusé de revenir sur sa position.
68. Le 24 décembre 1976, le président bolivien, le général Banzer, a annoncé publiquement que, pour que les négociations puissent se poursuivre, il «demand[ait] au Gouvernement chilien de modifier sa proposition en retirant la condition relative à l’échange territorial». Les négociations ont cependant continué tout au long de l’année 1977 sur la base des échanges de 1975. Le 10 juin 1977, les ministres bolivien et chilien des affaires étrangères ont publié une déclaration commune indiquant ce qui suit :
«[les ministres] notent que le dialogue instauré par la déclaration de Charaña traduit les efforts déployés par les deux gouvernements en vue d’approfondir et de renforcer les relations bilatérales entre le Chili et la Bolivie, par la recherche de solutions concrètes à leurs problèmes respectifs, notamment celui de l’enclavement bolivien.
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Ils soulignent également que des négociations ont été engagées dans cet esprit pour trouver une solution efficace qui permette à la Bolivie d’obtenir un débouché libre et souverain sur l’océan Pacifique.
S’appuyant sur l’analyse constructive à laquelle ils se sont tous deux livrés au cours des négociations relatives au problème vital de la Bolivie, les deux ministres décident d’approfondir et d’intensifier leur dialogue, en s’engageant à faire en sorte que ces négociations aboutissent dans les meilleurs délais.
En conséquence, ils réaffirment la nécessité de reprendre les négociations au point où elles en sont restées».
69. Dans une lettre du 21 décembre 1977, le président bolivien a informé son homologue chilien que, pour que les négociations puissent se poursuivre, de nouvelles conditions devaient être définies afin d’atteindre les objectifs fixés dans la déclaration commune de Charaña, ce qui supposait notamment que soient retirées la condition de l’échange territorial et la proposition du Pérou tendant à établir une zone de souveraineté partagée entre les trois Etats. En janvier 1978, le Chili a fait connaître à la Bolivie que toute négociation restait fondée sur les lignes directrices convenues en décembre 1975.
70. Le 17 mars 1978, la Bolivie a informé le Chili qu’elle suspendait les relations diplomatiques entre les deux Etats, en raison de l’intransigeance du défendeur quant aux conditions de la négociation et de l’absence d’efforts de la part de celui-ci pour obtenir le consentement du Pérou à l’échange de territoires.
8. Les déclarations faites par la Bolivie et le Chili devant l’Organisation des Etats américains et les résolutions adoptées par cette organisation
71. Le 6 août 1975, le Conseil permanent de l’OEA, dont la Bolivie et le Chili sont des Etats membres, a adopté par consensus la résolution CP/RES. 157, dans laquelle il indiquait que l’enclavement de la Bolivie était un «problème pour le continent tout entier», et que l’ensemble des Etats américains proposaient de contribuer à «la recherche de solutions» conformes aux principes du droit international et à la Charte de l’OEA.
72. Cette résolution a été suivie par 11 autres, adoptées entre 1979 et 1989 par l’Assemblée générale de l’OEA, dans lesquelles était réaffirmée l’importance que revêtaient le dialogue et le fait de trouver une solution au problème de l’accès de la Bolivie à la mer. Le Chili n’a voté en faveur d’aucune de ces 11 résolutions, mais ne s’est pas opposé au consensus à trois reprises, formulant toutefois des déclarations ou explications relatives au contenu et au statut juridique des résolutions adoptées.
73. En particulier, le 31 octobre 1979, l’Assemblée générale de l’OEA a adopté la résolution AG/RES. 426, indiquant qu’il était «de l’intérêt permanent du continent de trouver une solution équitable qui assure à la Bolivie un accès souverain et utile à l’océan Pacifique». Le représentant du Chili, qui avait protesté contre le projet de résolution, contestant la compétence de l’Assemblée générale sur cette question, a ajouté ce qui suit dans une déclaration du 31 octobre 1979 :
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«En conséquence, le Chili déclare avec fermeté que, conformément aux règles juridiques indiquées, cette résolution ne saurait lui imposer quelque interdiction, engagement ou obligation.
J’ai indiqué à maintes reprises que le Chili était disposé à négocier avec la Bolivie une solution lui permettant de satisfaire à son aspiration à disposer d’un accès libre et souverain à l’océan Pacifique, le moyen d’atteindre cet objectif étant la négociation directe, menée avec professionnalisme et dans le respect mutuel, sans la moindre ingérence, suggestion ou injonction de quiconque.
Une fois encore, la Bolivie a rejeté cette démarche, et la voie qu’elle a choisie par le biais de cette résolution, dans une tentative visant à imposer des conditions et exercer des pressions sur le Chili, constitue un obstacle insurmontable à l’ouverture de négociations susceptibles de satisfaire à son aspiration et de respecter comme il se doit la dignité et la souveraineté des deux parties.
Cette assemblée a choisi de fermer cette porte, ce qui aura pour effet de repousser la possibilité pour la Bolivie d’obtenir satisfaction en ce qui concerne ses revendications maritimes.
Tant qu’elle persistera dans la voie retenue, tant qu’elle refusera la démarche appropriée et naturelle de négociations libres et inconditionnelles entre les deux pays, tant qu’elle tentera d’exercer des pressions sur le Chili par le biais d’ingérences étrangères, la Bolivie restera sans débouché sur la mer en territoire chilien. Et le Chili n’en portera pas la responsabilité.»
74. En 1983, l’Assemblée générale de l’OEA a adopté la résolution AG/RES. 686. La Bolivie et le Chili ont tous deux pris part à la rédaction de ce texte, grâce aux bons offices de la Colombie ; celui-ci recommandait la mise en place d’un processus de
«rapprochement … axé sur l’établissement de relations normales [entre la Bolivie et le Chili] propres à leur permettre de surmonter les difficultés qui les séparent, et de trouver tout particulièrement une formule visant à assurer à la Bolivie une passerelle territoriale et souveraine vers l’océan Pacifique».
Le Chili ne s’est pas opposé au consensus et a exprimé son soutien au projet de résolution, en l’assortissant de certaines réserves.
75. En 1987 et 1988, l’Assemblée générale de l’OEA a adopté deux résolutions  AG/RES. 873 et AG/RES. 930 (XVIII–0/88)  dans lesquelles elle disait
«déplorer l’interruption des pourparlers récemment entrepris par le Chili et la Bolivie et … exhort[ait] de nouveau les Etats directement touchés par le problème à reprendre des négociations pour trouver une formule qui permette à la Bolivie d’avoir un accès à l’océan Pacifique».
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9. La «nouvelle approche» de 1986-1987
76. Après les élections présidentielles boliviennes de juillet 1985, de nouvelles négociations ont eu lieu entre la Bolivie et le Chili, dans le cadre de ce qui a été appelé la «nouvelle approche». En novembre 1986, la reprise des négociations a été signalée à l’Assemblée générale de l’OEA, qui en a pris acte dans la résolution AG/RES. 816. Le 13 novembre 1986, les ministres bolivien et chilien des affaires étrangères ont chacun publié un communiqué dans lequel ils indiquaient qu’ils poursuivraient les pourparlers engagés cette année-là lors d’une réunion devant se tenir en avril 1987. Dans son communiqué, le ministre bolivien précisait que les «aspects de la question de l’accès de la Bolivie à la mer» seraient examinés à cette occasion.
77. La réunion entre les Parties qui s’est tenue du 21 au 23 avril 1987 à Montevideo, en Uruguay, a été inaugurée par des discours des ministres chilien et bolivien des affaires étrangères. Au cours de cette réunion, la Bolivie a formulé deux propositions distinctes en vue d’obtenir un accès à l’océan Pacifique, comportant toutes deux la cession d’une portion de territoire chilien. La première prévoyait la cession d’une bande de territoire souverain reliée au littoral, et la seconde, la cession d’une «enclave territoriale et maritime au nord du Chili», «sans incidence sur la continuité territoriale» de celui-ci et pouvant être située en trois emplacements différents. Le 9 juin 1987, le défendeur a rejeté ces deux propositions. Le 17 juin, devant l’Assemblée générale de l’OEA, le représentant de la Bolivie a annoncé la suspension des négociations bilatérales entre les deux Etats par suite de leur incapacité à parvenir à un accord au sujet des propositions que le demandeur avait faites en avril 1987. Par une résolution du 14 novembre 1987, l’Assemblée générale de l’OEA a pris acte de l’interruption des pourparlers entre les deux pays.
10. La déclaration d’Algarve (2000) et l’ordre du jour en 13 points (2006)
78. En 1995, les Parties ont repris leurs discussions. Elles ont instauré un «mécanisme boliviano-chilien de consultation politique» destiné à traiter les questions bilatérales. Le 22 février 2000, les ministres des affaires étrangères des deux pays ont publié un communiqué commun, la «déclaration d’Algarve», dans lequel était prévu un programme de travail incluant, «sans aucune exception, les questions essentielles de la relation bilatérale».
79. Entre 2000 et 2003, les Parties ont mené des discussions concernant une concession que le Chili pourrait accorder à la Bolivie en vue de la création d’une zone économique spéciale pour une période initiale de cinquante ans, mais ce projet a finalement été rejeté par le demandeur. Le 1er septembre 2000, les présidents bolivien et chilien, le général Banzer et M. Lagos, ont publié un communiqué commun dans lequel ils «réitéraient la volonté de leurs gouvernements d’engager un dialogue sur toutes les questions concernant leurs relations bilatérales».
80. A la suite de divers échanges intervenus dans les années 2005 et 2006, les vice-ministres bolivien et chilien des affaires étrangères ont, le 17 juillet 2006, annoncé un ordre du jour en 13 points, englobant «tous les aspects de la relation bilatérale» entre les Parties, y compris la «question maritime» (point 6). Les sujets inscrits à cet ordre du jour, et en particulier la question maritime, ont été examinés lors des réunions ultérieures du mécanisme boliviano-chilien de consultation politique, et ce, jusqu’en 2010.
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81. En 2009 et 2010, les Parties ont évoqué l’hypothèse de la création d’une enclave bolivienne sur la côte chilienne. En janvier 2011, elles ont décidé de poursuivre leurs discussions avec l’établissement d’une commission bilatérale de haut niveau.
82. Le 7 février 2011, les ministres bolivien et chilien des affaires étrangères ont publié une déclaration commune, ainsi libellée :
«La commission bilatérale de haut niveau a examiné l’état d’avancement de l’ordre du jour en 13 points, notamment ce qui concerne la question maritime … Les ministres des affaires étrangères ont également défini des projets pour l’avenir qui, compte tenu de l’importance que les deux gouvernements y attachent, devront donner lieu à des résultats rapides, sur la base de propositions concrètes, réalisables et utiles concernant l’ensemble des points inscrits à l’ordre du jour.»
83. Le 17 février 2011, le président bolivien, M. Morales, a demandé au défendeur de formuler «une proposition concrète d’ici au 23 mars [pouvant] servir de base de discussion». Lors d’une réunion tenue le 28 juillet 2011, le président chilien, M. Piñera, a rappelé à son homologue bolivien les termes de sa proposition, laquelle était fondée sur les trois conditions suivantes : le respect du traité de paix de 1904, la non-cession de souveraineté et la modification de la disposition de la Constitution bolivienne dans laquelle il est fait référence au droit de la Bolivie à un accès à l’océan Pacifique. Compte tenu des positions divergentes des Parties, les négociations ont pris fin, comme en témoignent les déclarations que les chefs des légations bolivienne et chilienne ont faites devant l’Assemblée générale de l’OEA le 7 juin 2011.
II. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES
84. Avant d’examiner les fondements juridiques que la Bolivie invoque à l’appui de l’obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique qui, selon elle, incombe au Chili, la Cour analysera le sens et la portée des conclusions du demandeur.
85. Dans ses conclusions, qui sont demeurées inchangées depuis la requête, la Bolivie prie la Cour de dire et juger que «le Chili a l’obligation de négocier avec [elle] en vue de parvenir à un accord [lui] octroyant ... un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique».
86. Si les Etats sont libres de recourir à des négociations ou d’y mettre fin, ils peuvent accepter d’être liés par une obligation de négocier. Ils sont alors tenus, au regard du droit international, d’engager des négociations et de les mener de bonne foi. Ainsi que la Cour l’a rappelé dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, les Etats «ont l’obligation de se comporter de telle manière que la négociation ait un sens, ce qui n’est pas le cas lorsque l’un d’[eux] insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification» (C.I.J. Recueil 1969, p. 47, par. 85). Chacun doit «t[enir] raisonnablement compte de l’intérêt de l’autre» (Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 685, par. 132).
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87. Les négociations entre Etats peuvent aboutir à un accord réglant le différend qui les oppose, mais, en général, ainsi que la Cour l’a relevé en citant l’avis consultatif sur le Trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne (C.P.J.I, série A/B no 42, p. 116), «l’engagement de négocier n’implique pas celui de s’entendre» (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 68, par. 150). Lorsqu’elles définissent une obligation de négocier, les parties peuvent, comme elles l’ont par exemple fait à l’article VI du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, établir une «obligation ... de parvenir à un résultat précis» (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 264, par. 99). Les conclusions de la Bolivie pourraient être interprétées comme renvoyant à une obligation de nature analogue.
88. Comme la Cour l’a fait observer dans son arrêt sur l’exception préliminaire, la Bolivie «ne lui demande pas de dire qu’elle a droit à un accès souverain à la mer» (C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 605, par. 33). Ce qu’elle affirme dans ses conclusions, c’est que le Chili est tenu de négocier «en vue de parvenir à un accord [lui] octroyant ... un accès pleinement souverain» (ibid., par. 35).
89. Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur l’exception préliminaire du Chili, la Cour a jugé «que l’objet du différend résid[ait] dans la question de savoir si le Chili a[vait] l’obligation de négocier de bonne foi un accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique» (ibid., par. 34). Ainsi qu’elle l’a observé, cette obligation alléguée ne comprend pas d’engagement de parvenir à un accord sur l’objet du différend.
90. L’expression «accès souverain», telle qu’employée dans les conclusions du demandeur, pourrait donner lieu à différentes interprétations. Dans sa réponse à une question posée par un membre de la Cour au terme des audiences consacrées à l’examen de l’exception préliminaire du Chili, la Bolivie a précisé que, pour qu’il y ait accès souverain, le Chili «d[evait lui] assurer ... un accès à la mer qui lui soit propre et relève de sa souveraineté, conformément au droit international». Dans sa réplique, elle a également précisé que, «[p]our qu’un Etat puisse être considéré comme disposant d’un accès souverain, il ne d[evait] pas dépendre de quelque chose ou de quelqu’un pour jouir dudit accès» et que «l’accès souverain [était] un régime qui garanti[ssait] la continuité du territoire bolivien jusqu’à la mer, les conditions de cet accès relevant de l’administration et du contrôle exclusifs, tant juridique que physique, de la Bolivie».
III. LES FONDEMENTS JURIDIQUES ALLÉGUÉS D’UNE OBLIGATION DE NÉGOCIER L’ACCÈS SOUVERAIN DE LA BOLIVIE À L’OCÉAN PACIFIQUE
91. En droit international, l’existence d’une obligation de négocier doit être établie de la même manière que celle de toute autre obligation juridique. La négociation fait partie de la pratique courante des Etats dans leurs relations bilatérales et multilatérales. Cependant, le fait de négocier une question donnée à un moment déterminé ne suffit pas pour donner naissance à une obligation de négocier. En particulier, pour qu’il y ait obligation de négocier en vertu d’un accord, il faut que les termes employés par les parties, l’objet, ainsi que les conditions de la négociation, démontrent une intention des parties d’être juridiquement liées. Cette intention, à défaut de termes exprès indiquant l’existence d’un engagement juridique, peut être établie sur la base d’un examen objectif de tous les éléments de preuve.
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92. La Bolivie invoque divers fondements juridiques à l’appui de l’obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique qui, selon elle, incombe au Chili. Les arguments y relatifs seront examinés dans les paragraphes ci-après.
93. La Cour recherchera tout d’abord si l’un quelconque des instruments invoqués par le demandeur, notamment les accords bilatéraux, ou les déclarations et autres actes unilatéraux, engendre une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Elle examinera ensuite, si nécessaire, les autres fondements juridiques invoqués par le demandeur, à savoir l’acquiescement, l’estoppel et les attentes légitimes. Enfin, elle traitera, le cas échéant, les arguments fondés sur la Charte des Nations Unies et sur la Charte de l’OEA.
1. Les accords bilatéraux
94. La demande de la Bolivie repose principalement sur l’existence alléguée d’un ou de plusieurs accords bilatéraux qui imposeraient au Chili une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Selon le demandeur, les Parties sont parvenues à des accords qui auraient établi ou confirmé l’obligation de négocier incombant au défendeur. Ces accords allégués sont intervenus à différentes périodes ; ils seront analysés séparément et dans l’ordre chronologique.
95. La Bolivie affirme que, tout comme les traités conclus par écrit, les accords verbaux ou tacites peuvent produire des effets juridiques et lier les parties. Elle soutient que, même si la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 (ci-après la «convention de Vienne») ne s’applique pas à pareils accords, cela n’a pas d’incidence sur leur valeur juridique, conformément à l’article 3 de ladite convention, et que la question de savoir si un instrument peut énoncer des obligations contraignantes est une question de fond et non de forme. Le demandeur fait valoir que l’intention des Parties de créer des droits et obligations dans tel ou tel instrument doit être déterminée de manière objective.
96. Le Chili reconnaît que, pour rechercher s’il existe un accord international contraignant, il convient de déterminer l’intention des Parties de manière objective. Il affirme toutefois qu’il ressort d’une analyse du libellé des instruments invoqués par le demandeur et des circonstances dans lesquelles ceux-ci ont été établis qu’aucun des deux Etats n’entendait créer une obligation juridique de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer. Selon le Chili, l’expression d’une disposition à négocier ne peut créer une obligation de négocier à la charge des Parties. Le défendeur fait valoir que, si les mots employés «ne sont pas évocateurs d’obligations juridiques, alors ils caractériseront une posture purement politique». Il soutient également que ce n’est que dans des cas exceptionnels que la Cour a conclu qu’un accord tacite s’était fait jour.
* *
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97. La Cour observe que, selon le droit international coutumier, tel qu’il est reflété à l’article 3 de la convention de Vienne, les «accords … qui n’ont pas été conclus par écrit» peuvent également avoir une «valeur juridique». Indépendamment de la forme que les accords peuvent revêtir, il doit en ressortir une intention des parties d’être liées par des obligations juridiques. Cela s’applique également aux accords tacites. A cet égard, la Cour rappelle que les «éléments de preuve attestant l’existence d’un accord tacite doivent être convaincants» (Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 735, par. 253).
A. Les échanges diplomatiques des années 1920
98. Selon la Bolivie, l’«Acta Protocolizada» de 1920, qui rend compte d’une réunion entre le ministre des affaires étrangères de la Bolivie et le ministre plénipotentiaire du Chili à La Paz (voir les paragraphes 26-31 ci-dessus), constitue «manifestement ... un accord en vue de négocier un accès souverain» à la mer. A cet égard, le demandeur précise que l’engagement contenu dans cet «Acta Protocolizada» a été pris par des représentants ayant compétence pour engager l’Etat. Il affirme également que les termes employés ont confirmé l’intention du Chili d’être juridiquement lié par l’instrument en question. La Bolivie reconnaît que l’avant-dernière clause du procès-verbal exclut la formation de droits et d’obligations pour les Parties, mais fait valoir que cette clause ne devrait pas être lue de manière isolée. Elle soutient que, au vu du texte intégral et du contexte dans lequel s’inscrivait le procès-verbal, la «réserve renvoie non pas à l’accord sur le fait de négocier l’accès souverain mais aux modalités de cet accès». Selon le demandeur, le fait que le Chili se soit déclaré disposé à s’efforcer de lui permettre d’«acqu[érir] un accès à la mer qui lui soit propre» indique que seules les modalités précises de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique ne deviendraient contraignantes que par la conclusion d’un accord officiel et que le Chili était convenu de mener les négociations requises à cette fin.
99. La Bolivie affirme également que les termes précis de la correspondance ayant précédé l’«Acta Protocolizada» confirment l’intention des Parties telle que reflétée dans le procès-verbal. Selon elle, le ministre plénipotentiaire du Chili à La Paz avait en particulier formulé, le 9 septembre 1919, une proposition indiquant l’engagement du Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique (voir le paragraphe 27 ci-dessus). Le demandeur rappelle que, dans cet instrument, le défendeur avait «accept[é] d’entamer de nouvelles négociations visant à satisfaire à l’aspiration du pays ami, sous réserve qu’il remporte le plébiscite». La Bolivie fait observer que les termes de cette proposition ont été repris presque intégralement dans l’«Acta Protocolizada».
100. La Bolivie soutient en outre que les échanges qui ont fait suite à l’«Acta Protocolizada» confirment que le Chili était tenu de négocier avec elle. A titre d’exemple, elle rappelle la lettre en date du 19 septembre 1922 du délégué du Chili à l’Assemblée de la Société des Nations, dans laquelle ce dernier «a exprimé sa meilleure volonté pour entamer des conversations directes qu’il poursuivrait avec le plus franc esprit de conciliation et en désirant ardemment que les intérêts réciproques des deux Parties fussent ... satisfaits» (voir le paragraphe 35 ci-dessus). Selon la Bolivie, de nouvelles assurances ont été données l’année suivante dans différentes notes du Gouvernement chilien.
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101. Le Chili met l’accent sur l’avant-dernière clause de l’«Acta Protocolizada», selon laquelle le ministre bolivien des affaires étrangères avait indiqué qu’il ne pouvait être créé de droits ou d’obligations pour les Etats dont les représentants avaient fait des déclarations, et soutient que, contrairement à ce qu’affirme la Bolivie, cette déclaration expresse indique l’intention des Parties de n’établir aucune obligation juridique. Le défendeur estime que, les discussions dont il est fait état dans le procès-verbal ne se limitant pas aux modalités de l’accès à la mer, l’explication avancée par le demandeur au sujet de ladite clause ne tient pas. Indépendamment de cette clause, il fait valoir qu’il ressort clairement du texte intégral de l’«Acta Protocolizada» qu’aucune obligation juridique n’a été créée ni confirmée par cet instrument.
102. Le Chili précise que la correspondance ayant précédé ou suivi l’«Acta Protocolizada» ne vient pas étayer la position de la Bolivie en ce qui concerne la valeur juridiquement contraignante de ce document. Selon lui, le libellé de cette correspondance ne témoigne pas d’une intention des deux Parties d’établir une obligation de négocier.
103. S’agissant des échanges ultérieurs, la Bolivie rappelle que, dans un mémorandum en date du 4 décembre 1926 (voir le paragraphe 44 ci-dessus), le Chili a indiqué qu’il «n’a[vait] pas écarté l’idée de [lui] céder une bande de territoire et un port». Le ministre chilien des affaires étrangères de l’époque, Jorge Matte, avait communiqué ce mémorandum (dit le «mémorandum Matte») au secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique, Frank B. Kellogg, en réaction à la proposition adressée par ce dernier au Chili et au Pérou de céder Tacna et Arica à la Bolivie. Copie du mémorandum avait été fournie au demandeur, qui affirme avoir «accept[é] l’offre chilienne d’entamer des discussions pour examiner les détails de la cession d’un territoire et d’un port envisagée dans le mémorandum Matte de 1926». Selon la Bolivie, ces échanges constituaient «un nouvel accord écrit réaffirmant l’engagement du Chili de négocier avec [elle] en vue d[e lui] assurer ... un accès souverain à la mer». Considérant que le mémorandum Matte a été conclu par écrit et établi par un représentant de l’Etat, qu’il consignait l’engagement antérieur du Chili et résultait d’un échange interétatique officiel, le demandeur estime que cet instrument démontre l’intention du défendeur d’être lié.
104. Le Chili répond que le mémorandum Matte était adressé au secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique, et non à la Bolivie ; même s’il a été communiqué à celle-ci par la voie diplomatique, ce document ne constituait pas une offre faite au demandeur par le défendeur. En tout état de cause, il n’exprimait aucune intention de ce dernier d’être lié. Il était d’ailleurs indiqué dans le mémorandum Matte que la proposition du secrétaire d’Etat allait «bien au-delà des concessions que le Gouvernement chilien [était] généreusement en mesure de consentir», observation qui portait plus précisément sur le volet concernant la «cession définitive à la République de Bolivie du territoire en litige» entre le Chili et le Pérou. Le défendeur précise que le libellé du mémorandum ne dénote pas d’obligation juridique et ne montre que sa «disposition» à examiner certaines possibilités. Selon lui, cet instrument ne saurait donner naissance à quelque obligation juridique.
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105. La Cour note que, en 1920, les Parties ont mené des négociations au cours desquelles le Chili a exprimé sa disposition «à faire en sorte que la Bolivie acquière un accès à la mer qui lui soit propre, en lui cédant une partie importante de la zone située au nord d’Arica ainsi que de la ligne de chemin de fer». («Chile está dispuesto a procurar que Bolivia adquiera una salida propia al mar, cediéndole una parte importante de esa zona al norte de Arica y de la línea del ferrocarril»). Le défendeur a également accepté d’«entamer de nouvelles négociations visant à satisfaire à l’aspiration du pays ami, sous réserve qu’il remporte le plébiscite» relatif aux provinces de Tacna et d’Arica. Bien qu’elles soient importantes sur le plan politique, ces déclarations n’indiquent pas que le Chili avait accepté une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique, pas plus que l’«Acta Protocolizada» ne révèle qu’une telle acceptation a été exprimée au cours des négociations.
106. La Cour rappelle que, en l’affaire de la Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), elle a jugé que le procès-verbal signé d’une discussion pouvait constituer un accord s’il «énum[érait] les engagements auxquels les Parties [avaient] consenti» et ne «se born[ait] pas à relater des discussions et à résumer des points d’accord et de désaccord» (compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 121, par. 25). Elle relève que l’«Acta Protocolizada» n’énumère aucun engagement et ne résume même pas des points d’accord et de désaccord. Qui plus est, il est consigné dans l’avant-dernière clause de ce procès-verbal que le ministre bolivien des affaires étrangères a précisé que «les présentes déclarations ne cont[enaient] aucune disposition créant des droits ou obligations pour les Etats dont les représentants [avaient] fait ces déclarations», point que le ministre plénipotentiaire du Chili n’a pas contesté. En conséquence, même si le Chili avait fait une déclaration au sujet d’une obligation de recourir à des négociations, cette déclaration ne se serait pas inscrite dans un accord entre les deux Etats.
107. La Cour observe que les échanges intervenus entre les Parties postérieurement à l’«Acta Protocolizada» n’indiquent pas non plus l’existence d’un accord dans le cadre duquel le Chili aurait contracté un engagement de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Dans ce contexte, le mémorandum Matte pourrait être considéré comme une avancée importante sur le plan politique, mais il n’était pas adressé à la Bolivie et rien dans son libellé ne montre que le défendeur aurait accepté une obligation de négocier ou confirmé une obligation préexistante de le faire.
B. L’échange de notes de 1950
108. La Bolivie rappelle que, le 1er juin 1950, elle a soumis au Chili une note dans laquelle elle proposait que les deux Parties «engagent officiellement des négociations directes en vue de satisfaire au besoin fondamental que représent[ait] pour [elle] l’obtention d’un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, et de résoudre ainsi son problème d’enclavement» (voir le paragraphe 51 ci-dessus). Elle souligne également que, le 20 juin 1950, le défendeur a répondu par une note dont les Parties ont produit des traductions divergentes (voir le paragraphe 52 ci-dessus). Selon la traduction anglaise produite par la Bolivie, il y était indiqué que le Chili se déclarait «disposé à engager officiellement des négociations directes visant à trouver une formule qui permettra[it] d’octroyer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, et au Chili de recevoir une compensation de nature non territoriale» [traduction française du Greffe]. Cette note faisait également état de la disposition du défendeur «à examiner, dans le cadre de négociations directes avec la Bolivie, la possibilité de satisfaire aux aspirations de celle-ci».
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109. Selon la Bolivie, les notes ainsi échangées constituent «un traité au regard du droit international, ce qu’attestent leur nature et leur teneur, ainsi que les circonstances qui ont précédé et suivi leur adoption». Le demandeur affirme en outre que les termes desdites notes sont «clairs et précis» et indiquent l’intention du Chili de s’obliger à négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Celle-ci estime que les différences dans le texte des notes sont minimes et qu’elles ne démontrent pas que les Parties avaient une conception différente de l’objet des négociations, à savoir que lui soit octroyé un accès souverain à la mer. Le demandeur affirme que les notes ont été négociées et rédigées par les plus hautes autorités de chaque Etat. Il juge également éloquent que le défendeur n’ait pas contesté dans sa propre note la teneur de celle de la Bolivie.
110. La Bolivie allègue que les deux notes énoncent un double accord : la confirmation des accords précédemment conclus, au vu des références expresses à des instruments antérieurs, et l’accord résultant des notes elles-mêmes. Le demandeur soutient que celles-ci ne peuvent être considérées comme la combinaison d’une proposition faite par lui et d’une contre-proposition du Chili. Selon lui, les notes ont été établies et négociées ensemble, et doivent être regardées comme «un échange d’engagements mutuels démontrant une intention claire d’être lié». La Bolivie soutient que sa note, bien que datée du 1er juin 1950, a été remise au Chili le 20 juin 1950, soit le jour où celui-ci lui a communiqué la sienne. Elle affirme que ces notes constituent un instrument unique, dont la teneur avait préalablement été convenue par les Parties.
111. Enfin, le demandeur fait valoir que le comportement antérieur et ultérieur des Parties confirme que celles-ci entendaient se conformer à une obligation de négocier juridiquement contraignante. Il rappelle qu’il a enregistré les notes au service des traités internationaux de son ministère des affaires étrangères et soutient que, dans les années qui ont suivi, les Parties ont toutes deux indiqué que ces documents reflétaient un accord entre elles.
112. Le Chili affirme que les notes de juin 1950 ne démontrent pas l’intention objective des Parties d’être liées. Selon lui, il «va de soi» que celles-ci, par cet échange de notes, n’ont pas conclu d’accord international, et n’ont ni créé ni confirmé quelque obligation juridique. Le défendeur allègue que, dans sa note du 20 juin 1950, il n’a pas accepté la proposition faite dans la note du 1er juin 1950. Se fondant sur sa propre traduction anglaise de sa note, le Chili affirme s’être simplement, dans celle-ci, déclaré «prêt à engager officiellement des négociations directes visant à rechercher une formule qui permettrait d’octroyer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre» [traduction française du Greffe]. Le Chili estime que le libellé de sa note ne traduit que sa disposition politique à engager des négociations. Il souligne également que les Parties n’ont pas engagé de négociations après cet échange.
113. Selon le Chili, les discussions qui ont eu lieu avant l’échange de notes de juin 1950 ne donnent nullement à penser que les Parties ont créé ou confirmé une obligation juridique de négocier, et il en va de même pour ce qui est des discussions postérieures à cet échange.
114. S’agissant des échanges ultérieurs, la Bolivie rappelle que, dans un mémorandum en date du 10 juillet 1961 (le «mémorandum Trucco») (voir le paragraphe 55 ci-dessus), le Chili cite le passage de sa note du 20 juin 1950 où est mentionné, selon la traduction anglaise du mémorandum produite par la Bolivie, «son consentement plein et entier à entamer dès que possible
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des négociations directes en vue de satisfaire au besoin national fondamental que constitue pour la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre» [traduction française du Greffe]. Selon elle, ce mémorandum «témoigne clairement» de l’intention du défendeur de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer. Le demandeur affirme que «la dénomination d’un document n’en détermine pas les effets juridiques» et que le mémorandum Trucco n’est pas simplement un document interne ou un «aide-mémoire». Il estime qu’il s’agit d’un «acte international» reflétant l’accord conclu entre les Parties en vue d’engager des négociations directes portant sur son accès souverain à la mer.
115. Le Chili indique que, bien qu’il ait été remis à la Bolivie, le mémorandum Trucco était un document interne ; il ne constituait pas une note officielle, n’était pas signé et exposait simplement ce qu’était alors la politique chilienne. Le défendeur soutient que les termes employés ne reflétaient nullement une obligation juridique, obligation que le mémorandum Trucco n’a, selon lui, ni créée ni confirmée.
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116. La Cour observe que, aux termes de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 de la convention de Vienne, un traité peut être «consigné … dans deux ou plusieurs instruments connexes». Selon le droit international coutumier, tel que reflété à l’article 13 de ladite convention, l’existence du consentement des Etats à être liés par un traité constitué d’instruments échangés entre eux exige que «les instruments prévoient que leur échange aura cet effet» ou qu’il soit «par ailleurs établi que ces Etats étaient convenus que l’échange des instruments aurait cet effet». La première condition ne saurait être remplie en l’espèce, puisque l’échange de notes ne contient aucune précision quant à son effet. Par ailleurs, la Bolivie n’a pas fourni à la Cour d’éléments de preuve attestant que l’autre condition ait été remplie.
117. La Cour observe en outre que l’échange de notes des 1er et 20 juin 1950 n’est pas conforme à la pratique habituellement suivie lorsqu’un accord international est conclu sous la forme de l’échange d’instruments connexes. Selon cette pratique, un Etat propose, dans une note adressée à un autre Etat, que soit conclu un accord libellé d’une certaine manière ; le second lui répond par une note reproduisant le même texte et indiquant qu’il y souscrit. D’autres formes d’échanges d’instruments peuvent également être utilisées pour conclure des accords internationaux, mais les notes échangées entre la Bolivie et le Chili en juin 1950 ne sont pas formulées de la même manière et ne reflètent pas non plus des positions identiques, notamment en ce qui concerne la question cruciale des négociations relatives à l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. L’échange de notes ne saurait donc être considéré comme un accord international.
118. En tout état de cause, que l’on retienne l’une ou l’autre des traductions fournies par les Parties, si la note du Chili exprime la disposition de celui-ci à engager des négociations directes, on ne peut pour autant en déduire qu’il ait accepté une obligation de négocier un accès souverain de la Bolivie à la mer.
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119. La Cour relève que le mémorandum Trucco, qui n’était pas formellement adressé à la Bolivie mais a été remis à ses autorités, ne saurait être considéré uniquement comme un document interne. Toutefois, en répétant certaines déclarations contenues dans la note du 20 juin 1950, ce mémorandum ne crée ni ne réaffirme quelque obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
C. La déclaration de Charaña de 1975
120. Le demandeur soutient que la déclaration commune signée à Charaña le 8 février 1975 (voir le paragraphe 62 ci-dessus) constitue également le fondement juridique d’une obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique incombant au Chili. Les chefs d’Etat bolivien et chilien y ont décidé «de poursuivre le dialogue à différents niveaux afin de rechercher des mécanismes permettant de résoudre, dans le respect des intérêts et des aspirations des peuples bolivien et chilien, les problèmes vitaux auxquels [étaient] confrontés les deux pays, notamment l’enclavement de la Bolivie». Le demandeur avance que cette déclaration a la valeur juridique d’un traité. Il est d’avis que, par cette déclaration commune, les deux Etats ont réaffirmé, «en des termes précis et dénués d’ambiguïté», leur intention de négocier son accès souverain à la mer. La Bolivie fait également observer que la déclaration commune a été incluse dans le recueil des traités du ministère des affaires étrangères du Chili, ce qui démontre, selon elle, le caractère juridiquement contraignant de cet instrument.
121. Le demandeur affirme en outre que l’engagement contenu dans la déclaration de Charaña a été confirmé à plusieurs reprises après l’adoption de ce texte. Il relève que les négociations menées par la suite ont porté sur la «cession à la Bolivie d’une côte maritime souveraine», concédant toutefois que les Parties ne s’étaient pas mises définitivement d’accord sur la question de la compensation à accorder au Chili en contrepartie de cet accès souverain à la mer. Le 10 juin 1977, les ministres des affaires étrangères des Parties ont fait une autre déclaration commune (voir le paragraphe 68 ci-dessus), qui, selon la Bolivie, correspond à un nouvel engagement de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique. Le demandeur qualifie cette seconde déclaration de nouvel accord bilatéral entre les Parties et soutient que les deux déclarations confirment l’obligation contenue dans l’échange de notes de 1950.
122. La Bolivie précise également que l’adoption de la déclaration commune de 1975 a permis aux Parties «de normaliser» leurs relations diplomatiques. Selon elle, la reprise des relations diplomatiques dépendait de l’acceptation du Chili que soient engagées des négociations sur un accès souverain à la mer ; dès lors, «[l]e fait que le défendeur ait accepté de rétablir les relations diplomatiques suppos[ait] nécessairement» qu’il y avait consenti. Le demandeur avance que, si l’échec du processus de Charaña est imputable au Chili, il n’a pas éteint l’obligation de négocier de celui-ci.
123. Selon le Chili, le libellé de la déclaration de Charaña, ainsi que celui des autres déclarations qui ont suivi l’adoption de cet instrument, ne crée pas d’obligation juridique de négocier ni ne confirme l’existence de pareille obligation. Le défendeur soutient qu’un «document consignant une décision de poursuivre des discussions ne démontre aucune intention de créer une
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obligation juridique de négocier». De même, le fait que la Bolivie ait accepté de reprendre les relations diplomatiques avec lui ne dépendait pas de la création d’une obligation de négocier. Le Chili note que la publication de la déclaration dans son recueil des traités est sans pertinence, car ce dernier contient différents types de documents qui ne sont pas des traités.
124. Le 19 décembre 1975, le Chili a adopté des lignes directrices aux fins de négociations prévoyant la cession au demandeur d’une côte maritime souveraine en échange de territoires boliviens (voir le paragraphe 64 ci-dessus). Selon le défendeur, ces lignes directrices ne faisaient cependant référence à aucune obligation antérieure de négocier et n’ont pas non plus engendré de nouvelle obligation à cet égard. Le Chili affirme également que, tout au long des négociations qui ont suivi l’adoption de la déclaration commune de 1975, il s’est déclaré disposé à négocier un échange de territoires, ce qu’il considérait comme une condition essentielle. S’agissant de la déclaration commune de 1977, il estime que cet instrument contient «seulement l’expression d’une intention politique» des Parties de négocier au sujet de l’enclavement de la Bolivie.
125. Le défendeur soutient que, entre 1975 et 1978, il a montré qu’il était disposé à négocier de bonne foi avec la Bolivie, bien qu’il n’ait eu aucune obligation à cet égard. Il considère que, même si pareille obligation de négocier avait existé, il y aurait été satisfait par suite des négociations sérieuses menées par les Parties à cette époque et que, en tout état de cause, cette obligation n’aurait pu avoir survécu à la suspension par la Bolivie des relations diplomatiques entre les Parties.
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126. La Cour note que la déclaration de Charaña est un document signé par les présidents de la Bolivie et du Chili qui pourrait être qualifié de traité si les Parties avaient exprimé l’intention d’être liées par cet instrument ou si une telle intention pouvait être déduite de quelque manière. Or, dans l’ensemble, le libellé de la déclaration indique plutôt qu’il s’agit d’un document de nature politique soulignant l’«atmosphère de fraternité et de cordialité» et «l’esprit de solidarité» entre les deux Etats, lesquels, dans la clause finale, décident de «normaliser» leurs relations diplomatiques. Ce libellé ne traduit pas l’existence d’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique ni ne confirme pareille obligation. L’engagement de «poursuivre le dialogue à différents niveaux afin de rechercher des mécanismes permettant de résoudre … les problèmes vitaux auxquels sont confrontés les deux pays, notamment l’enclavement de la Bolivie», ne peut constituer un engagement juridique de négocier l’accès souverain de cette dernière à la mer, lequel n’est même pas expressément mentionné. Bien que les ministres des affaires étrangères des Parties aient indiqué dans leur déclaration commune du 10 juin 1977 que «des négociations [avaient] été engagées … pour trouver une solution efficace qui permette à la Bolivie d’obtenir un accès libre et souverain à l’océan Pacifique», ils se sont contentés de réaffirmer «la nécessité de poursuivre les négociations» sans se référer à quelque obligation de négocier. Sur la base de ces éléments, l’on ne peut déduire de la déclaration de Charaña qu’une obligation de négocier incombe au Chili.
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127. La Cour relève cependant que les Parties ont, par la suite, mené des négociations qui avaient un sens, au cours desquelles le défendeur a proposé de céder au demandeur une côte maritime souveraine et une bande de territoire au nord d’Arica en échange de territoires. Lorsqu’il a été consulté conformément à l’article premier du protocole complémentaire au traité de Lima de 1929, le Pérou a toutefois proposé de placer une partie du territoire côtier du Chili sous la souveraineté conjointe des trois Etats, ce que la Bolivie et le Chili ont refusé (voir le paragraphe 67 ci-dessus). Les négociations ont, en conséquence, pris fin.
D. Les communiqués de 1986
128. Le demandeur avance que les communiqués qui ont été publiés par chacun des deux Etats en novembre 1986 dans le cadre de la «nouvelle approche» (voir le paragraphe 76 ci-dessus) ont engendré un accord. Le 13 novembre 1986, le ministre bolivien des affaires étrangères a publié un communiqué dans lequel il rappelait les discussions que les Parties avaient tenues au cours de l’année et indiquait que «la question de l’accès de la Bolivie à la mer» devait être examinée en avril 1987 lors d’une réunion entre les Parties. Le même jour, le ministre chilien des affaires étrangères a lui aussi publié un communiqué dans lequel il déclarait ce qui suit :
«Nous sommes convenus avec le ministre bolivien des affaires étrangères que, sans préjudice des entretiens et démarches importants et fructueux que poursuivra la commission bilatérale pour le rapprochement, les deux ministres des affaires étrangères se rencontreront à Montevideo fin avril pour discuter des questions de fond intéressant l’un et l’autre gouvernements.»
129. La Bolivie soutient que, même si «[l]es communiqués étaient … libellés différemment … il ne fait guère de doute que tous deux consignaient l’existence d’une entente sur l’engagement de négociations officielles sur les «questions de fond»», à savoir, selon elle, celles qui étaient mentionnées dans la déclaration commune de Charaña de 1975. Le demandeur précise en outre que cet accord a été confirmé par la déclaration du ministre chilien des affaires étrangères datée du 21 avril 1987 (voir le paragraphe 77 ci-dessus), dans laquelle celui-ci a indiqué qu’il espérait qu’un dialogue entre les Parties leur permettrait «d’aller plus loin» que lors des négociations précédentes, ainsi que par un communiqué de presse publié le 23 avril 1987 à l’issue de la réunion des deux ministres des affaires étrangères à Montevideo, en Uruguay.
130. Le défendeur, quant à lui, affirme que les communiqués de novembre 1986 ne consignent aucun accord entre les Parties et ne démontrent nulle intention de celles-ci d’être liées. Il fait observer que, lors de la réunion qui s’est tenue en avril 1987 à Montevideo, la Bolivie n’a pas fait mention de quelque obligation de négocier. Se référant au communiqué de presse du 23 avril 1987, le Chili soutient que la réunion ne visait qu’à permettre à chacune des Parties de «se familiarise[r] avec les positions de l’autre concernant les questions fondamentales intéressant les deux pays».
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131. La Cour rappelle que, dans l’affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), elle a observé qu’il n’existe «pas de règle de droit international interdisant qu’un communiqué conjoint constitue un accord international» et que la question de savoir si un communiqué conjoint constitue un tel accord «dépend essentiellement de la nature de l’acte et de la transaction dont il est fait état» (arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 39, par. 96).
132. La Cour note que les deux communiqués du 13 novembre 1986 sont des instruments distincts, ne sont pas libellés dans les mêmes termes et que, de surcroît, aucun d’eux ne fait référence à l’accès souverain de la Bolivie à la mer. En tout état de cause, elle ne relève, dans les deux communiqués qu’invoque le demandeur ou dans le comportement ultérieur des Parties, aucun élément indiquant que le Chili a accepté une obligation de négocier à ce sujet.
E. La déclaration d’Algarve (2000)
133. Le demandeur rappelle que, dans une déclaration commune (également appelée la «déclaration d’Algarve») (voir le paragraphe 78 ci-dessus) datée du 22 février 2000 et publiée par les ministres des affaires étrangères des Parties, celles-ci sont «conven[ues d’un] programme de travail qui sera[it] formalisé à un stade ultérieur du dialogue et inclu[rai]t, sans aucune exception, les questions essentielles de la relation bilatérale entre les deux pays». Cette déclaration commune a été suivie par un communiqué commun des présidents des deux Etats daté du 1er septembre 2000 (voir le paragraphe 79 ci-dessus), dans lequel les Parties ont confirmé qu’elles étaient disposées à engager un dialogue «sans exclusive». Selon la Bolivie, la déclaration d’Algarve est l’expression d’un accord entre les Parties. Le demandeur affirme que, «[u]ne fois encore, les deux Parties étaient convenues de mener des négociations dans un esprit de totale ouverture et «sans exclusive»».
134. Le Chili soutient que rien dans la déclaration d’Algarve ne donne à penser que les Parties étaient convenues d’une obligation de négocier. Selon lui, cette déclaration ne fait référence ni à quelque obligation existante de négocier ni à un accès souverain à la mer. Le défendeur avance qu’«[i]l est impossible de trouver dans ce texte la preuve de quelque intention de créer une obligation juridique», les Parties ayant employé un «langage diplomatique classique» dont on ne saurait déduire l’existence de quelque obligation. Le Chili fait observer que, dans une autre déclaration faite par son ministre des affaires étrangères en 2002, la Bolivie a indiqué que la déclaration d’Algarve confirmait sa décision selon laquelle «cette option du dialogue demeurait une politique d’Etat». Selon le défendeur, cela démontre que ladite déclaration n’a créé aucune obligation de négocier un accès souverain à la mer ni confirmé l’existence de pareille obligation.
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135. La Cour ne peut discerner dans la déclaration d’Algarve aucun accord imposant au Chili une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Cette déclaration, comme le communiqué commun du 1er septembre 2000, ne fait qu’indiquer que les Parties étaient disposées à engager un dialogue «sans aucune exception» portant sur un programme de travail qui restait à définir aux fins d’établir un «climat de confiance» entre les Parties. En outre, aucun de ces deux documents ne fait référence à la question de l’accès souverain de la Bolivie à la mer.
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F. L’ordre du jour en 13 points (2006)
136. Le 17 juillet 2006, le groupe de travail Bolivie-Chili sur les affaires bilatérales a établi le procès-verbal d’une réunion qui allait être appelé «l’ordre du jour en 13 points» (voir le paragraphe 80 ci-dessus). Ce procès-verbal énumérait toutes les questions que les deux Etats devaient examiner dans le cadre de leurs relations bilatérales. Le point 6 de l’ordre du jour portait sur la «question maritime» («tema marítimo»). La Bolivie qualifie cet ordre du jour d’accord de nature contraignante. Selon elle, il ne fait aucun doute que la «question maritime» recouvre celle de son accès souverain à la mer. Elle soutient que «[l]es Parties considéraient l’une et l’autre la «question maritime» comme un terme générique incluant le problème pendant de l’accès souverain à la mer».
137. Le défendeur reconnaît qu’il a accepté d’inclure la «question maritime» dans l’ordre du jour en 13 points. Selon lui, rien dans cet instrument n’indique toutefois qu’une obligation de négocier sur ce sujet existait antérieurement. En outre, le Chili estime que la «question maritime» est un sujet large, mais qu’aucune référence n’est faite à un accès souverain à la mer. De surcroît, l’ordre du jour a «un caractère ouvertement diplomatique» et emploie des termes généraux, ce qui ne révèle aucune intention de créer une obligation juridique ou de confirmer l’existence de pareille obligation. Selon le Chili, il ne s’agit que d’une «expression de la volonté politique des deux pays».
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138. La Cour relève que la «question maritime» inscrite à l’ordre du jour en 13 points est une question suffisamment large pour englober celle de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Le bref texte du procès-verbal du groupe de travail portant sur la question maritime indique seulement que les «deux délégations ont fait des rapports succincts des discussions qu’elles ont eues sur la question dans les jours précédents et sont convenues de laisser cette question à l’examen des deux vice-ministres lors de leur rencontre». Comme l’a fait observer le chef de la délégation bolivienne à l’Assemblée générale de l’OEA, «[l]’ordre du jour était considéré comme l’expression de la volonté politique des deux pays d’inclure la question maritime». La Cour estime que la simple mention de la «question maritime» ne peut engendrer une obligation de négocier d’ordre général, et moins encore en ce qui concerne la question spécifique de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
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139. Sur la base d’un examen de l’argumentation des Parties et des éléments de preuve qu’elles ont produits, la Cour conclut que les instruments bilatéraux invoqués par le demandeur n’établissent pas d’obligation pour le Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
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2. Les déclarations et autres actes unilatéraux du Chili
140. Le demandeur avance que l’obligation du Chili de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique est également fondée sur plusieurs déclarations et autres actes unilatéraux du Chili. Selon le demandeur, «[i]l est bien établi en droit international que les déclarations écrites ou verbales qui émanent de représentants des Etats et attestent une intention claire d’accepter des obligations vis-à-vis d’un autre Etat peuvent générer des effets juridiques, sans que cet autre Etat ait nécessairement contracté des engagements réciproques». La Bolivie soutient que, à maintes reprises dans sa jurisprudence, la Cour a pris en compte des actes unilatéraux et reconnu leur caractère autonome. Selon elle, «aucune acceptation ultérieure ou réaction de l’autre Etat n’[est] requise» pour que de tels actes établissent des obligations juridiques.
141. Afin de déterminer les conditions que doit réunir une déclaration unilatérale pour lier un Etat, la Bolivie se réfère à la jurisprudence de la Cour et aux principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des Etats susceptibles de créer des obligations juridiques, adoptés par la Commission du droit international. Selon ce texte, une déclaration unilatérale doit avoir été faite par une autorité ayant compétence aux fins d’engager l’Etat, dans l’intention d’engager cet Etat, porter sur un sujet spécifique et avoir été formulée publiquement. S’agissant de ces critères, le demandeur relève que, en la présente affaire, plusieurs déclarations pertinentes ont été faites par des présidents, ministres des affaires étrangères et autres hauts représentants du Chili. Il soutient également que l’objectif des déclarations était «clair et précis», à savoir négocier avec la Bolivie l’accès souverain de celle-ci à l’océan Pacifique. Selon le demandeur, par ses déclarations unilatérales, le Chili n’a pas simplement promis de négocier, mais s’est engagé à atteindre un objectif spécifique. Les déclarations du Chili ont également été portées à la connaissance de la Bolivie, qui les a acceptées. Le demandeur avance que «[l]a jurisprudence de la Cour n’admet pas que les représentants d’Etats ayant fait des déclarations juridiquement contraignantes pour leur gouvernement puissent revenir sur ces déclarations et prétendre qu’elles étaient simplement politiques».
142. La Bolivie mentionne plusieurs déclarations et autres actes unilatéraux du Chili qui, considérés individuellement ou dans leur ensemble, font naître, selon elle, une obligation juridique incombant à ce dernier de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique. S’agissant de la période antérieure à 1950, le demandeur invoque en particulier un mémorandum du 9 septembre 1919 (voir le paragraphe 27 ci-dessus) dans lequel le Chili affirmait qu’il entendait «faire en sorte que la Bolivie obtienne un débouché sur la mer qui lui soit propre, en lui cédant une partie importante de la zone située au nord d’Arica et de la ligne de chemin de fer au sein des territoires soumis au plébiscite prévu par le traité d’Ancón». Il se réfère ensuite à une déclaration faite devant la Société des Nations le 28 septembre 1921 à propos de l’enclavement de la Bolivie (voir le paragraphe 34 ci-dessus), dans laquelle le délégué du Chili indiquait que cette dernière «p[ouvait] chercher satisfaction dans des négociations directes librement consenties [et que l]e Chili n’a[vait] jamais fermé cette porte». Le demandeur fait également observer que, dans une note du 6 février 1923 (voir le paragraphe 37 ci-dessus), le Chili a précisé qu’il était disposé à engager des négociations directes et ouvert à la conclusion d’un «nouveau pacte adapté à la situation de la Bolivie, sans toutefois modifier le traité de paix ni rompre la continuité territoriale du Chili».
143. En ce qui concerne la période postérieure à 1950, la Bolivie rappelle que, dans une déclaration datée du 29 mars 1951 (voir le paragraphe 53 ci-dessus), le président chilien Videla, a déclaré que son
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«[g]ouvernement [avait] toujours eu la même politique, indiquant qu’il était disposé à prêter l’oreille à toute proposition de la Bolivie visant à mettre fin à l’enclavement de celle-ci, à condition que ladite proposition nous soit présentée directement et qu’elle ne suppose pas que nous renoncions à notre doctrine traditionnelle de respect des traités internationaux, essentielle selon nous à la coexistence pacifique des nations».
Le demandeur appelle également l’attention sur la déclaration suivante, faite le 11 septembre 1975 par le président chilien, le général Pinochet (voir le paragraphe 63 ci-dessus) :
«Depuis la réunion de Charaña avec le président de la Bolivie, nous avons toujours dit que nous entendions examiner, dans le cadre de négociations franches et amicales avec notre pays frère, les obstacles qui limitent le développement de la Bolivie du fait de son enclavement.»
Le demandeur rappelle également que, après l’adoption de la déclaration de Charaña, le Chili a présenté, dans une note datée du 19 décembre 1975, ses lignes directrices pour la négociation d’un éventuel échange de territoires (voir le paragraphe 64 ci-dessus), précisant qu’il «serait disposé à négocier avec la Bolivie la cession d’une bande de territoire au nord d’Arica jusqu’à la ligne de Concordia» sur la base d’une délimitation spécifique, et que cette «cession … serait conditionnée à un échange simultané de territoires, c’est-à-dire que le Chili recevrait dans le même temps, à titre de compensation, une zone au moins équivalente à la zone territoriale et maritime cédée à la Bolivie». En outre, le demandeur fait observer que, le 31 octobre 1979, devant l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains (voir le paragraphe 73 ci-dessus), le représentant du Chili a déclaré qu’il «avait toujours été disposé à négocier avec la Bolivie», ajoutant ceci :
«J’ai indiqué à maintes reprises que le Chili était disposé à négocier avec [elle] une solution lui permettant de satisfaire à son aspiration à disposer d’un accès libre et souverain à l’océan Pacifique, le moyen d’atteindre cet objectif étant la négociation directe».
La Bolivie ajoute que, dans le cadre de la «nouvelle approche», le ministre chilien des affaires étrangères a réaffirmé, dans un discours du 21 avril 1987 ayant trait à la réunion qui se tenait alors à Montevideo (voir le paragraphe 77 ci-dessus), «la bonne volonté et la particulière bonne foi («la disposición y la mejor buena fe») avec lesquelles le Chili s[’était] présent[é] à cette réunion dans le but d’examiner les éventuelles solutions pouvant aboutir, dans un délai raisonnable, à des résultats positifs et satisfaisants dans l’intérêt des deux pays».
144. Le Chili convient que les déclarations unilatérales peuvent engendrer des obligations juridiques si elles démontrent l’existence d’une intention claire de leur auteur de créer pareille obligation. Il affirme que «[l]’intention de l’Etat auteur de la déclaration unilatérale doit être appréciée au regard des termes employés, examinés objectivement». Toutefois, selon le défendeur, la charge de la preuve pesant sur l’Etat qui cherche à établir l’existence d’une obligation contraignante sur la base d’une déclaration unilatérale est lourde ; celle-ci doit en effet être «claire et précise» et il convient de tenir compte des circonstances dans lesquelles elle est intervenue, ainsi que des réactions qu’elle a suscitées. Le Chili estime que la Bolivie n’explique pas en quoi la teneur des déclarations unilatérales auxquelles elle se réfère ainsi que les circonstances qui les entouraient pourraient être considérées comme ayant engendré une obligation juridique.
145. Le défendeur soutient qu’une «intention objective de s’engager à négocier au regard du droit international ne saurait être établie par l’expression unilatérale d’une disposition à négocier» ; en l’espèce, une déclaration claire et précise démontrant l’intention d’être lié par une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer serait requise. Il avance en outre que, lorsque les
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enjeux sont très importants pour un Etat  comme c’est le cas, selon lui, en la présente espèce , l’intention d’être lié doit être manifeste. Selon le Chili, les précautions de langage qu’il a prises tout au long de ses échanges avec la Bolivie démontrent qu’il n’avait pas l’intention d’être lié. Pour étayer sa thèse selon laquelle aucune obligation de négocier n’a pris naissance, il relève également que l’obligation qui, selon la Bolivie, existerait en la présente espèce ne saurait être exécutée unilatéralement. Pour reprendre les termes employés par le Chili, «un engagement de négocier implique des obligations réciproques des deux parties putatives».
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146. La Cour rappelle qu’elle a énoncé comme suit les critères devant être appliqués pour déterminer si une déclaration d’un Etat a engendré des obligations juridiques :
«Il est reconnu que des déclarations revêtant la forme d’actes unilatéraux et concernant des situations de droit ou de fait peuvent avoir pour effet de créer des obligations juridiques. Des déclarations de cette nature peuvent avoir et ont souvent un objet très précis. Quand l’Etat auteur de la déclaration entend être lié conformément à ces termes, cette intention confère à sa prise de position le caractère d'un engagement juridique, l’Etat intéressé étant désormais tenu en droit de suivre une ligne de conduite conforme à sa déclaration. Un engagement de cette nature, exprimé publiquement et dans l’intention de se lier, même hors du cadre de négociations internationales, a un effet obligatoire.» (Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 472, par. 46.)
La Cour a également établi que, pour déterminer l’effet juridique d’une déclaration faite par une personne représentant l’Etat, elle devait «examiner le contenu réel de celle-ci ainsi que les circonstances dans lesquelles elle a été faite» (Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 28, par. 49).
147. La Cour note que les déclarations et autres actes unilatéraux du Chili invoqués par le demandeur indiquent non pas qu’une obligation juridique ait été souscrite par le défendeur mais que ce dernier était disposé à engager des négociations sur la question de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. A titre d’exemple, le Chili a déclaré qu’il entendait «faire en sorte que la Bolivie obtienne un débouché sur la mer qui lui soit propre» et «prêter l’oreille à toute proposition de la Bolivie visant à mettre fin à l’enclavement de celle-ci» (voir les paragraphes 142 et 143 ci-dessus). En une autre occasion, il a indiqué avoir «toujours dit qu[’il] entend[ait] examiner, dans le cadre de négociations franches et amicales avec [son] pays frère, les obstacles qui limit[ai]ent le développement de la Bolivie du fait de son enclavement» (voir le paragraphe 143 ci-dessus). La formulation de ces textes ne donne pas à penser que le Chili a contracté une obligation juridique de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
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148. S’agissant des circonstances ayant entouré les différentes déclarations du défendeur, la Cour relève également qu’il n’existe aucune preuve d’une intention, de la part de celui-ci, d’assumer une obligation de négocier. Elle en conclut qu’aucun acte unilatéral du Chili invoqué par la Bolivie ne saurait fonder une obligation de négocier l’accès souverain de celle-ci à la mer.
3. L’acquiescement
149. La Bolivie soutient que l’obligation de négocier son accès souverain à la mer incombant au Chili peut également être fondée sur l’acquiescement de ce dernier. A cet égard, elle invoque la jurisprudence de la Cour pour étayer son affirmation selon laquelle l’absence de réaction d’une partie peut valoir acquiescement lorsque le comportement de l’autre partie appelait une réponse (citant Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 50-51, par. 121).
150. Le demandeur se réfère à une déclaration qu’il a faite le 26 octobre 1979 énumérant, selon lui, les accords en vigueur entre les Parties concernant la négociation sur son accès souverain à la mer. Il renvoie également à la déclaration qu’il a faite le 27 novembre 1984 lors de la signature de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après «la CNUDM»), déclaration dans laquelle étaient mentionnées des négociations en vue de rétablir cet accès. La Bolivie considère que ces déclarations appelaient une réponse du Chili, dont l’acquiescement à une obligation de négocier ledit accès résulte du silence qu’il a observé et de ce qu’il a par la suite mené des négociations avec elle.
151. Le défendeur affirme que la Bolivie n’a pas démontré comment, en la présente espèce, une obligation de négocier aurait pu être créée par acquiescement, et qu’elle n’a mis en évidence aucun silence pertinent de sa part, non plus qu’elle n’a précisé comment pareil silence pourrait emporter consentement tacite à la création d’une obligation juridique. Selon lui, pour que le silence d’un Etat puisse être interprété comme un consentement, il doit être considéré à la lumière des faits et des circonstances qui l’ont entouré. Pour reprendre les termes employés par le Chili, la charge de la preuve incombant à l’Etat qui invoque l’acquiescement est «lourde», puisque cela «suppose de déduire le consentement d’un Etat de son silence. Cette déduction doit reposer sur «une probabilité telle qu’elle confine à la certitude» ou «se manifester clairement et de manière dépourvue d’ambiguïté».» Le Chili note que, sur le plan diplomatique, l’on ne saurait exiger d’un Etat qu’il réponde à toutes les déclarations faites par les autres Etats dans une enceinte internationale. S’agissant de la déclaration faite par la Bolivie lors de la signature de la CNUDM, le défendeur affirme qu’elle n’appelait aucune réponse de sa part. Il soutient que l’on ne saurait considérer qu’il ait jamais accepté d’être tenu de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
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152. La Cour rappelle que l’«acquiescement équiv[aut] à une reconnaissance tacite manifestée par un comportement unilatéral que l’autre partie peut interpréter comme un consentement» (Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 305, par. 130) et qu’«un silence peut aussi être éloquent, mais seulement si le comportement de l’autre Etat appelle une réponse» (Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 51, par. 121). Elle relève que la Bolivie n’a mentionné aucune déclaration qui aurait appelé une réponse ou une réaction du Chili pour empêcher qu’une obligation ne voie le jour. En particulier, le fait que le demandeur se soit référé dans une déclaration, lors de la signature de la CNUDM, à des «négociations destinées à lui permettre de disposer à nouveau souverainement d’un débouché adéquat sur l’océan Pacifique» ne revient pas à avoir affirmé que quelque obligation incombait au Chili à cet égard. L’acquiescement ne saurait donc être considéré comme pouvant fonder une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer.
4. L’estoppel
153. La Bolivie invoque l’estoppel comme une autre base juridique susceptible de fonder l’obligation du Chili de négocier avec elle. Pour définir cette notion, elle s’appuie sur la jurisprudence de la Cour et sur des sentences arbitrales, indiquant que, pour que l’estoppel soit établi, il faut qu’il y ait «une déclaration qu’une partie a faite à une autre partie ou une position qu’elle a prise envers elle» et que cette autre partie «s’appuie sur cette déclaration ou position à son détriment ou à l’avantage de la partie qui l’a faite ou prise» (citant Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 118, par. 63). Se fondant sur la sentence arbitrale rendue en l’affaire Chagos, le demandeur précise que quatre conditions doivent être remplies pour qu’il y ait estoppel :
«a) un Etat a pris position de manière claire et constante, par ses déclarations, son comportement ou son silence ; b) ces prises de position ont été manifestées par l’intermédiaire d’un agent habilité à s’exprimer au nom de l’Etat sur le sujet en cause ; c) l’Etat invoquant l’estoppel a été amené par ces prises de position à agir à son détriment, à subir un préjudice ou à procurer un avantage à l’Etat dont émanaient lesdites représentations ; et d) l’Etat invoquant l’estoppel pouvait légitimement leur accorder foi, car il s’agissait de représentations auxquelles il était fondé à se fier» (Différend concernant l’«aire marine protégée» en relation avec l’archipel des Chagos (République de Maurice c. Royaume-Uni), sentence du 18 mars 2015, International Law Reports (ILR), vol. 162, p. 249, par. 438).
154. La Bolivie avance que l’estoppel ne dépend pas du consentement de l’Etat et vise «à fournir, pour certaines obligations, un fondement autre que l’intention d’être lié» (les italiques figurent dans l’original).
155. Le demandeur soutient que le Chili a, pendant plus d’un siècle, fait un certain nombre de déclarations et de promesses allant toutes dans le même sens et dépourvues d’ambiguïté en ce qui concerne l’accès souverain de la Bolivie à la mer, et qu’il ne saurait aujourd’hui nier qu’il a
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accepté de négocier avec celle-ci en vue de lui permettre d’obtenir pareil accès. Selon la Bolivie, ces déclarations et promesses «constituaient l’expression d’une position sur laquelle [elle] était fondée à s’appuyer  et s’est effectivement appuyée».
156. Le défendeur ne conteste pas les conditions régissant l’estoppel telles qu’elles sont énoncées dans la jurisprudence à laquelle la Bolivie se réfère. Selon lui, l’estoppel ne joue cependant un rôle que dans des situations d’incertitude ; lorsqu’il est clair qu’un Etat n’a pas exprimé d’intention d’être lié, il ne peut s’appliquer.
157. Le Chili affirme que, en la présente espèce, il est «manifeste» qu’il n’avait aucune intention de créer une obligation juridique de négocier. Il soutient en outre que la Bolivie ne s’est pas fondée sur quelque position exprimée par lui, et que, à supposer que les conditions régissant l’estoppel soient réunies, il n’a pas agi au rebours de pareille position ou en remettant en cause la véracité de celle-ci. Selon lui, le demandeur n’est pas parvenu à démontrer «qu’il existait une déclaration ou prise de position claire et sans équivoque maintenue par le Chili pendant plus d’un siècle indiquant que, à tout moment et en toutes circonstances, il négocierait avec la Bolivie au sujet de l’octroi éventuel à celle-ci d’un accès souverain à la mer». De surcroît, le demandeur n’a pas démontré de quelle manière il aurait modifié sa propre position à son détriment ou subi quelque préjudice pour s’être appuyé sur les positions qui auraient été exprimées par le Chili.
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158. La Cour rappelle que des «éléments essentiels [sont] requis pour qu’il y ait estoppel», à savoir «une déclaration qu’une partie a faite à une autre partie ou une position qu’elle a prise envers elle et le fait que cette autre partie s’appuie sur cette déclaration ou position à son détriment ou à l’avantage de la partie qui l’a faite ou prise» (Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), requête du Nicaragua à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 118, par. 63). Lorsqu’elle a, dans le contexte du différend frontalier opposant le Cameroun au Nigéria, recherché si les conditions fixées par sa jurisprudence pour qu’existe une situation d’estoppel étaient réunies, la Cour a indiqué ce qui suit :
«L’existence d’une telle situation supposerait que le Cameroun ait adopté un comportement ou fait des déclarations qui auraient attesté d’une manière claire et constante qu’il avait accepté de régler le différend de frontières soumis aujourd’hui à la Cour par des voies exclusivement bilatérales. Elle impliquerait en outre que le Nigéria, se fondant sur cette attitude, ait modifié sa position à son détriment ou ait subi un préjudice quelconque» (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 303, par. 57).
159. La Cour constate que, en la présente espèce, les conditions essentielles requises pour qu’il y ait estoppel ne sont pas remplies. Bien que le Chili ait exprimé à plusieurs reprises la position selon laquelle il était disposé à négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique, ces prises de position n’indiquent pas l’existence d’une obligation de négocier.
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La Bolivie n’a pas prouvé qu’elle ait modifié sa position à son détriment ou à l’avantage du Chili en se fondant sur les prises de position de celui-ci. En conséquence, l’estoppel ne constitue pas une base juridique permettant de fonder quelque obligation du Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
5. Les attentes légitimes
160. La Bolivie affirme que les positions prises par le Chili à travers ses multiples déclarations au fil des années ont suscité de sa part «l’attente de recouvrer» son accès souverain à la mer ; le fait que le défendeur ait nié son obligation de négocier et refusé de mener de nouvelles négociations avec elle «déçoit [s]es attentes légitimes». Selon le demandeur,
«[t]andis que l’estoppel a essentiellement trait à la position exprimée par un Etat et au respect par celui-ci de ses engagements, le principe des attentes légitimes se rapporte à la situation d’Etats qui se sont fondés sur les vues exprimées par un autre Etat, les premiers étant considérés comme étant en droit de s’appuyer sur les engagements pris par le second».
La Bolivie rappelle également que ce principe a été largement appliqué par des tribunaux arbitraux dans des affaires relatives à la protection des investissements.
161. Le Chili est d’avis que la Bolivie n’a pas démontré qu’il existait, en droit international, un principe d’attentes légitimes. Il affirme qu’«[il] n’existe aucune règle de droit international engageant la responsabilité juridique de l’Etat au motif qu’il n’a pas été satisfait aux attentes d’un autre Etat». Le défendeur fait valoir que la Bolivie tente «de contourner l’exigence de confiance préjudiciable nécessaire à l’établissement de l’estoppel» car elle n’est pas en mesure de démontrer qu’elle s’est appuyée à son détriment sur la position qu’il aurait prise.
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162. La Cour note qu’il est fait référence aux attentes légitimes dans certaines sentences arbitrales concernant des différends entre un investisseur étranger et l’Etat hôte dans lesquelles ont été appliquées des dispositions conventionnelles prévoyant un traitement juste et équitable. Il n’en découle pas qu’il existerait en droit international général un principe qui donnerait naissance à une obligation sur la base de ce qui pourrait être considéré comme une attente légitime. Il ne saurait donc être fait droit à l’argument de la Bolivie fondé sur les attentes légitimes.
6. Le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies et l’article 3 de la Charte de l’Organisation des Etats américains
163. Le demandeur avance en outre qu’il existe, en droit international, une obligation générale de négocier et que celle-ci trouve son expression au paragraphe 3 de l’article 2 et à l’article 33 de la Charte des Nations Unies. Il soutient que cette obligation générale s’applique à toute question pendante entre deux ou plusieurs Etats. Aux termes de ladite disposition, les
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différends internationaux doivent être réglés par des moyens pacifiques «de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger» (les italiques figurent dans l’original). A l’audience, la Bolivie a développé cet argument en affirmant que le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte reflétait «un principe fondamental du droit international» et imposait une obligation positive. Selon le demandeur, cette obligation de négocier s’applique à tous les Etats ; elle s’applique également à tous les différends internationaux, et non pas simplement aux différends «d’ordre juridique» ou à ceux qui mettent en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales. La Bolivie avance un argument analogue en ce qui concerne l’article 3 de la Charte de l’Organisation des Etats américains, indiquant que, «[c]omme celle énoncée au paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies … cette dernière obligation est une obligation positive : les différends entre Etats membres «doivent» être réglés par les procédures pacifiques spécifiées».
164. Le Chili reconnaît que la Charte des Nations Unies prescrit aux Etats de régler leurs différends par des «moyens pacifiques». Il estime cependant que, si les négociations constituent l’une des méthodes de règlement pacifique des différends, rien n’oblige les Etats à y recourir de préférence à d’autres moyens de règlement pacifique. A cet égard, le défendeur souligne que le terme «négocier» n’apparaît nulle part dans le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte ; quoique les Parties soient libres de négocier avec leurs voisins, celle-ci ne leur impose pas de le faire. S’agissant de l’argument de la Bolivie relatif à l’article 3 de la Charte de l’Organisation des Etats américains, le Chili affirme que cette disposition ne saurait constituer le fondement juridique d’une obligation lui imposant de négocier avec la Bolivie au sujet de l’accès souverain de celle-ci à l’océan Pacifique.
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165. La Cour rappelle que, aux termes du paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, «[l]es Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger». Cette disposition énonce une obligation générale de régler les différends d’une manière qui préserve la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice, mais n’indique nullement que les parties à un différend seraient tenues de recourir à une méthode de règlement spécifique, telle que la négociation. Celle-ci est mentionnée à l’article 33 de la Charte, aux côtés de l’«enquête, de [la] médiation, de [la] conciliation, [de l’]arbitrage, [du] règlement judiciaire, [du] recours aux organismes ou accords régionaux» et d’«autres moyens pacifiques» du choix des parties. Cette dernière disposition laisse toutefois elle aussi aux parties concernées le choix des moyens pacifiques et ne désigne aucune méthode particulière, y compris la négociation. Les parties à un différend auront donc souvent recours à la négociation, mais elles n’en ont pas l’obligation.
166. La même approche a été suivie dans la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale («Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies»), ainsi que dans la résolution 37/10 («Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends
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internationaux»), qui proclame en outre, en son paragraphe 3, le «principe du libre choix des moyens». Tous ces éléments portent la Cour à conclure que les dispositions de la Charte concernant le règlement pacifique des différends ne mettent pas à la charge du Chili une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
167. L’alinéa i) de l’article 3 de la Charte de l’Organisation des Etats américains, quant à lui, dispose que «[l]es différends de caractère international qui surgissent entre deux ou plusieurs Etats américains doivent être réglés par des moyens pacifiques». L’article 24 précise que les différends internationaux entre Etats Membres «doivent être soumis aux procédures pacifiques indiquées» dans la Charte, l’article 25 énumérant ces «procédures pacifiques» comme suit : «la négociation directe, les bons offices, la médiation, l’enquête, la conciliation, la procédure judiciaire, l’arbitrage et celles sur lesquelles les parties tomberont d’accord spécialement à n’importe quel moment». La Charte ne fait pas obligation de recourir à une procédure spécifique telle que la «négociation directe» et ne saurait donc constituer la base juridique d’une obligation, pour la Bolivie et le Chili, de négocier l’accès souverain de celle-ci à l’océan Pacifique.
7. Les résolutions de l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains
168. La Bolivie se réfère à 11 résolutions de l’Assemblée générale de l’OEA dans lesquelles était traitée la question de son accès souverain à l’océan Pacifique, faisant valoir que celles-ci ont confirmé l’engagement du Chili de négocier à ce sujet (voir les paragraphes 71-75 ci-dessus). Elle ne conteste pas que les résolutions adoptées par l’Assemblée générale de cette organisation ne sont pas contraignantes «en tant que telles», mais soutient qu’elles produisent certains effets juridiques en vertu de la Charte de l’OEA et que, conformément au précepte de bonne foi, les Parties doivent tenir dûment compte de ces résolutions et de leur contenu.
169. Le demandeur avance en outre que le comportement des Parties en ce qui concerne la rédaction et l’adoption des résolutions de l’Assemblée générale «peut refléter, cristalliser ou engendrer un accord» entre elles. A cet égard, il souligne que le Chili a participé à la rédaction de certains de ces textes, se référant en particulier à la résolution no 686, qui exhortait les deux Etats à recourir à des négociations et a été adoptée par consensus.
170. Selon le défendeur, les résolutions de l’Assemblée générale de l’OEA que la Bolivie invoque «n’ont nullement confirmé une obligation existante et n’en ont pas créée de nouvelle, et … comme toutes les résolutions de cette organisation, elles ne pouvaient avoir pareil effet». Le Chili affirme que les résolutions de l’Assemblée générale ne sont en principe pas contraignantes et que celle-ci n’a pas compétence pour imposer des obligations juridiques aux Parties. Il précise que, en tout état de cause, aucune des résolutions en question ne fait mention d’une obligation préexistante lui imposant de mener des négociations avec la Bolivie. De plus, il observe qu’il a voté contre la plupart des résolutions à l’examen ou n’a pas participé au vote ; en trois occasions seulement, il ne s’est pas opposé au consensus mais a joint des déclarations ou explications relatives au contenu des textes en question.
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171. La Cour note qu’aucune des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale de l’OEA n’indique qu’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique incomberait au Chili. Ces textes se contentaient de recommander aux deux Etats d’engager des négociations sur la question. La résolution AG/RES. 686 elle aussi, à laquelle la Bolivie accorde une attention particulière, ne fait qu’exhorter les Parties à
«entamer un processus de rapprochement des peuples bolivien et chilien, et de resserrement de leurs liens d’amitié, axé sur l’établissement de relations normales propres à leur permettre de surmonter les difficultés qui les séparent, et de trouver tout particulièrement une formule visant à assurer à la Bolivie une passerelle territoriale et souveraine vers l’océan Pacifique, sur des bases qui tiennent compte des avantages mutuels et des droits et intérêts des parties concernées».
De plus, ainsi que les deux Parties le reconnaissent, les résolutions de l’Assemblée générale de l’OEA ne sont pas contraignantes en tant que telles et ne peuvent être la source d’une obligation internationale. La participation du Chili au consensus sur l’adoption de certaines résolutions n’implique donc pas qu’il aurait accepté d’être lié par le contenu de ces textes au regard du droit international. Ainsi, la Cour ne peut déduire du contenu de ces résolutions ou de la position du Chili quant à leur adoption que ce dernier aurait accepté une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
8. La portée juridique des instruments, actes et éléments de comportement considérés cumulativement
172. Selon le demandeur, même s’il n’existe pas d’instrument, d’acte ou de comportement unique donnant naissance à une obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique, l’accumulation de tous ces éléments peut avoir un «effet décisif» sur l’existence d’une telle obligation ; la continuité historique et l’effet cumulatif de ces éléments devraient être pris en compte. La Bolivie fait également valoir que les différents cycles de négociations n’étaient pas indépendants les uns des autres ; «chaque engagement ou promesse de négocier a été souscrit dans le prolongement et la continuité des engagements précédents».
173. Le défendeur, pour sa part, soutient qu’une «série d’échanges, dont aucun ne crée ni ne confirme une obligation juridique, ne saurait donner naissance à une telle obligation par accumulation» ; une intention d’être lié par le droit international ne peut naître de la répétition d’une déclaration n’indiquant aucune intention de créer une obligation. Pour reprendre les termes employés par le Chili, «[l]orsque l’on cherche à fonder une obligation juridique, le tout ne peut être plus grand que la somme des parties» ; si une série d’actes pris individuellement ne suffisent pas à créer une obligation, il en va de même si ces actes sont considérés cumulativement. Selon le défendeur, les échanges entre les Parties ont été «fragmenté[s]», «discontinu[s]» et marqués par des périodes d’inactivité et des changements de priorités politiques.
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174. La Cour observe que l’argument du demandeur selon lequel les actes successifs du Chili auraient un effet cumulatif repose sur l’hypothèse qu’une obligation peut se faire jour par l’effet cumulatif d’une série d’actes même si elle ne repose pas sur un fondement juridique spécifique. Or, étant donné qu’il ressort de l’analyse qui précède qu’aucun des fondements juridiques invoqués par le demandeur, pris isolément, n’a donné naissance, pour le Chili, à quelque obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique, le fait de les considérer cumulativement ne saurait modifier ce résultat. Point n’est besoin pour la Cour de rechercher s’il existait une continuité dans les échanges entre les Parties puisque, si tel était le cas, cela n’établirait en tout état de cause pas l’existence d’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
IV. CONCLUSION GÉNÉRALE QUANT À L’EXISTENCE D’UNE OBLIGATION DE NÉGOCIER UN ACCÈS SOUVERAIN À L’OCÉAN PACIFIQUE
175. A la lumière du contexte historique et factuel exposé ci-dessus (voir les paragraphes 26-83), la Cour observe que les relations entre la Bolivie et le Chili se caractérisent depuis fort longtemps par un dialogue, des échanges et des négociations visant à trouver une solution adéquate à l’enclavement de la Bolivie né de la guerre du Pacifique et du traité de paix de 1904. Elle n’est toutefois pas en mesure de conclure, au vu des éléments qui lui ont été présentés, que le Chili a «l’obligation de négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique» (conclusions de la Bolivie, voir les paragraphes 13, 14 et 15 ci-dessus). En conséquence, la Cour ne peut pas faire droit aux autres conclusions finales de la Bolivie qui reposent sur l’existence de pareille obligation (ibid.).
176. La conclusion de la Cour ne doit cependant pas être comprise comme empêchant les Parties de poursuivre leur dialogue et leurs échanges dans un esprit de bon voisinage, afin de traiter les questions relatives à l’enclavement de la Bolivie, dont la solution est considérée par l’une et l’autre comme relevant de leur intérêt mutuel. Avec la volonté des Parties, des négociations ayant un sens seront possibles.
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177. Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par douze voix contre trois,
Dit que la République du Chili ne s’est pas juridiquement obligée à négocier un accès souverain à l’océan Pacifique pour l’Etat plurinational de Bolivie ;
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POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Gevorgian, juges ; M. McRae, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Robinson, Salam, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
2) Par douze voix contre trois,
Rejette en conséquence les autres conclusions finales présentées par l’Etat plurinational de Bolivie.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Gevorgian, juges ; M. McRae, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Robinson, Salam, juges ; M. Daudet, juge ad hoc.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le premier octobre deux mille dix-huit, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de l’Etat plurinational de Bolivie et au Gouvernement de la République du Chili.
Le président,
(Signé) Abdulqawi Ahmed YUSUF.
Le greffier,
(Signé) Philippe COUVREUR.
M. le président YUSUF joint une déclaration à l’arrêt ; MM. les juges ROBINSON et SALAM joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente ; M. le juge ad hoc DAUDET joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
(Paraphé) A.A.Y.
(Paraphé) Ph.C.
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Arrêt du 1 octobre 2018

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