Audience publique tenue le lundi 25 avril 2005, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Shi, président

Document Number
116-20050425-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2005/12
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CR 2005/12

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THAEGUE

ANNÉE 2005

Audience publique

tenue le lundi 25 avril 2005, à 10 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Shi, président,

en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo

(République démocratique du Congo c. Ouganda)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2005

Public sitting

held on Monday 25 April 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace,

President Shi presiding,

in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo
(Democratic Republic of the Congo v. Uganda)

____________________

VERBATIM RECORD

____________________ - 2 -

Présents : M. Shi,président
Ricepra,ident

KorMoMa.
Vereshchetin
Higgimse
Parra-A.anguren

Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal

Elaraby
Owada
Simma
Tomka

Ajbresam,
VerhoMev.en,
jugetseka, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presienit
Vice-Presideetva

Judges Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren

Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal

Elaraby
Owada
Simma
Tomka

Abraham
Judges ad hoc Verhoeven
Kateka

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement de la République du Congo est représenté par :

S. Exc. M. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, ministre de la justice et garde des sceaux de la
République démocratique du Congo,

comme chef de la délégation;

S.Exc. M.Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeu r extraordinaire et plénipotentiaire auprès du
Royaume des Pays-Bas,

coagment;

M. Tshibangu Kalala, avocat aux barreaux de Kinshasa et de Bruxelles,

comme coagent et avocat;

M. Olivier Corten, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles,

M. Pierre Klein, professeur de droit internationa l, directeur du centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,

M. Jean Salmon, professeur émérite à l’Université lib re de Bruxelles, membre de l’Institut de droit
international et de la Cour permanente d’arbitrage,

M. Philippe Sands, Q.C., professeur de droit, dire cteur du Centre for International Courts and

Tribunals, University College London,

comme conseils et avocats;

M. Ilunga Lwanza, directeur de cabinet adjoint et conseiller juridique au cabinet du ministre de la
justice et garde des sceaux,

M. Yambu A Ngoyi, conseiller principal à la vice-présidence de la République,

M. Mutumbe Mbuya, conseiller juridique au cabinet du ministre de la justice,

M. Victor Musompo Kasongo, secrétaire particulier du ministre de la justice et garde des sceaux,

M. Nsingi-zi-Mayemba, premier conseiller d’am bassade de la République démocratique du Congo
auprès du Royaume des Pays-Bas,

Mme Marceline Masele, deuxième conseillère d’ ambassade de la République démocratique du
Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,

commceonseillers;

M. Mbambu wa Cizubu, avocat au barreau de Kinshasa (cabinet Tshibangu et associés),

M. François Dubuisson, chargé d’enseignement à l’Université libre de Bruxelles,

M. Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles, - 5 -

The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:

His Excellency Mr. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, Minister of Jus tice, Keeper of the Seals of
the Democratic Republic of the Congo,

as Head of Delegation;

His Excellency Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Amb assador Extraordinary and Plenipotentiary
to the Kingdom of the Netherlands,

as Agent;

Maître Tshibangu Kalala, member of the Kinshasa and Brussels Bars,

as Co-Agent and Advocate;

Mr. Olivier Corten, Professor of International Law, Université libre de Bruxelles,

Mr. Pierre Klein, Professor of International Law, Director of the Centre for International Law,
Université libre de Bruxelles,

Mr. Jean Salmon, Professor Emeritus, Université libre de Bruxelles, member of the Institut de droit
international and of the Permanent Court of Arbitration,

Mr. Philippe Sands, Q.C., Professor of Law, Director of the Centre for International Courts and

Tribunals, University College London,

as Counsel and Advocates;

Maître Ilunga Lwanza, Deputy Directeur de cabinet and Legal Adviser, cabinet of the Minister of
Justice, Keeper of the Seals,

Mr. Yambu A. Ngoyi, Chief Adviser to the Vice-Presidency of the Republic,

Mr. Mutumbe Mbuya, Legal Adviser, cabinet of the Minister of Justice,

Mr. Victor Musompo Kasongo, Private Secretary to the Minister of Justice, Keeper of the Seals,

Mr. Nsingi-zi-Mayemba, First Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,

Ms Marceline Masele, Second Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,

as Advisers;

Maître Mbambu wa Cizubu, member of the Kinshasa Bar (law firm of Tshibangu and Partners),

Mr. François Dubuisson, Lecturer, Université libre de Bruxelles,

Maître Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar, - 6 -

Mme Anne Lagerwall, assistante à l’Université libre de Bruxelles,

Mme Anjolie Singh, assistante à l’University College London, membre du barreau de l’Inde,

comme assistants.

Le Gouvernement de l’Ouganda est représenté par :

S. Exc. E. Khiddu Makubuya, S.C., M.P., Attorney General de la République de l’Ouganda,

comme agent, conseil et avocat;

M. Lucian Tibaruha, Solicitor General de la République de l’Ouganda,

comme coagent, conseil et avocat;

M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre du barreau d’Angleterre, membre de la

Commission du droit international, professeur émérite de droit international public à
l’Université d’Oxford et ancien titulaire de la chaire Chichele , membre de l’Institut de droit
international,

M. Paul S. Reichler, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., avocat à la Cour
suprême des Etats-Unis, membre du barreau du district de Columbia,

M. Eric Suy, professeur émérite à l’Université cat holique de Leuven, ancien Secrétaire général

adjoint et conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies, membre de l’Institut de droit
international,

S. Exc. l’honorable Amama Mbabazi, ministre de la défense de la République de l’Ouganda,

M. Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), général de division, inspecteur général de la police de la
République de l’Ouganda,

comme conseils et avocats;

M. Theodore Christakis, professeur de droit in ternational à l’Université de Grenoble II

(Pierre Mendès France),

M. Lawrence H. Martin, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., membre du
barreau du district de Columbia,

commceonseils;

M. Timothy Kanyogongya, capitaine des forces de défense du peuple ougandais,

comme conseiller. - 7 -

Ms Anne Lagerwall, Assistant, Université libre de Bruxelles,

Ms Anjolie Singh, Assistant, University College London, member of the Indian Bar,

as Assistants.

The Government of Uganda is represented by:

H.E. the Honourable Mr. E. Khiddu Makubuya S.C., M.P., Attorney General of the Republic of
Uganda,

as Agent, Counsel and Advocate;

Mr. Lucian Tibaruha, Solicitor General of the Republic of Uganda,

as Co-Agent, Counsel and Advocate;

Mr. Ian Brownlie, C.B.E, Q.C., F.B.A., member of the English Bar, member of the International
Law Commission, Emeritus Chichele Professor of Public International Law, University of
Oxford, member of the Institut de droit international,

Mr. Paul S. Reichler, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the United States
Supreme Court, member of the Bar of the District of Columbia,

Mr. Eric Suy, Emeritus Professor, Catholic University of Leuven, former Under Secretary-General

and Legal Counsel of the United Nations, member of the Institut de droit international,

H.E. the Honourable Amama Mbabazi, Minister of Defence of the Republic of Uganda,

Major General Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), Inspector General of Police of the Republic
of Uganda,

as Counsel and Advocates;

Mr. Theodore Christakis, Professor of International Law, University of Grenoble II (Pierre Mendes
France),

Mr. Lawrence H. Martin, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the District of
Columbia,

as Counsel;

Captain Timothy Kanyogonya, Uganda People’s Defence Forces,

as Adviser. - 8 -

The PRESIDENT: Please, be seated. The sitting is open. The Court meets today to hear the

second round of oral argument of the Democratic Republic of the Congo. The Congo will take the

floor this morning until 1o’clock and this after noon, from 3p.m. to 4.30p.m. on its own claims.

Thus, I shall now give the floor to Mr. Kalala.

M. KALALA :

Introduction générale

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, en tant que coagent de la

République démocratique du Congo dans la présente affaire, j’ai écouté attentivement les

plaidoiries des représentants de l’Etat défendeur. Dans ce cadre, le professeur IanBrownlie,

parlant au nom de la République de l’Ouganda, a déclaré que le Congo : «has from the beginning

deliberately adopted a pleading strategy divorced from the Rules of the Court, from legal logic, and

from the sound administration of justice» 1. Lors de ce second tour de plaidoiries, les représentants

de la RDC veilleront, pour leur part, à ne pas se laisser aller à de tels excès de langage. Ils

continueront à défendre, avec vigueur, les intérêts de la RDC mais dans la courtoisie et dans le

respect de la Partie adverse. Ils veilleront scrupuleusement au respect des dispositions de

l’article 60 du Règlement de la Cour. Ainsi, le Congo ne se contentera pas de citer, mot pour mot,

2
des passages de ses écritures, que ce soit de manière explicite ou implicite . La RDC ne répétera

pas non plus ses arguments sans prendre en compte les objections soulevées par la Partie

ougandaise. Cette manière de procéder permettra, je l’espère, de faire avancer le débat judiciaire.

2. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, dès le début de son exposé lors du

premier tour de plaidoiries, l’Ouganda a insisté sur le fait que le différend por té devant la Cour ne

devait pas être appréhendé dans une perspective manichéenne du bien contre le mal, des anges

contre les démons. On nous a expliqué ainsi qu’il n’existait pas un démon, le pays envahisseur, et

3
un ange, le pays envahi . C’est dans cet ordre d’idées que l es conseils de l’Ouganda ont évoqué la

1
CR 2005/10, p. 8, par. 2, 20 avril 2005.
2Voir par exemple plaidoirie de M.Brownlie, CR2005/ 7, p.14, par.17, 18avr il2005; contre-mémoire de

l’Ouganda, vol. I, p. 40, par. 52.
3CR 2005/6, p. 17, par. 5, 15 avril 2005. - 9 -

nécessité de prendre en compte le génocide rwandais, le problème des Interhamwe, les déclarations

publiques de M. Yerodia, ou encore, et peut-être surtout, le rôle du Rwanda et du Soudan.

3. Monsieur le président, en tant que Congol ais, j’ai pris bonne note des leçons sur les

subtilités de l’histoire de mon pays qui m’ont été dispensées par les conseils de la Partie

défenderesse. Je voudrais toutefois leur dire ceci : la RDC a, dans le cadre de la présente instance,

porté au jugement de la Cour le différend qui l’oppose à l’Ouganda. Ce différend résulte de

l’engagement de l’Ouganda dans la guerre qui a ravagé le Congo depuis le 2 août 1998 et qui, selon

diverses sources indépendantes, a fait plusieurs millions de morts. Les racines et les causes de ce

conflit sont sans aucun doute multiples et l’histoire jugera les parts de responsabilité de tous les

acteurs concernés, Congolais, Africains, Européens, ou autres encore. Mais, ce que le Congo

demande à la Cour, ce n’est pas de faire de l’histoire, de la morale ou de la politique internationale,

c’est de juger en droit. Et, en droit, entre l’Ouganda et le Congo, il y a bel et bien, Monsieur le

président, d’un côté un Etat agresseur, de l’autre un Etat agressé. C’est bien le Congo, et non

l’Ouganda, dont le territoire a été envahi, la popul ation massacrée et torturée, les richesses pillées.

Dans ce sens il y a, non pas un démon et un ange, mais bien un Etat responsable sur le plan du droit

international, et un autre qui a été gravement lésé par ces violations. C’est uniquement sur ce point

particulier que la Cour est invitée à se prononcer.

4. Permettez-moi, Monsieur le président, d’ajouter encore une chose à ce sujet. Dans les

jours qui ont précédé, vous avez beaucoup entend u parler du Rwanda, désigné comme envahisseur

du Congo, et plus encore du Soudan, qualifié comme un Etat terroriste et agresseur de l’Ouganda.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, dans les années1980, le Nicaragua

s’estimait victime d’un recours à la force de la part des Etats-Unis, mais aussi du Salvador, du

Honduras et du Costa Rica. Mais seul le différend entre le Nicaragua et les Etats-Unis a été porté

devant la Cour, puis tranché par elle. De la même manière, ici, la RDC n’a porté devant la Cour

que le différend qui l’oppose à l’Ouganda, et c’est uniquement ce différend que la Cour est invitée

à juger. M. Reichler a ironisé en évoquant une frustration de la RDC, qui n’aurait pas pu attraire le

Rwanda devant la Cour 4. Je tiens officiellement, et au nom de la RDC, à le rassurer. Le Congo a

4
CR 2005/6, p. 41, par. 65, 15 avril 2005. - 10 -

également porté devant la Cour le différend qui l’oppose au Rwanda. Les audiences de la phase

préliminaire de la procédure auront lieu au mois de juillet prochain. Peut-être l’Ouganda

éprouve-t-il lui-même une certaine frustration, dans la mesure où il semble souhaiter porter devant

cette Cour le différend qui l’oppose au Soudan. Monsieur le président, lors du premier tour de

plaidoiries, le Soudan a été cité par les conse ils de l’Ouganda à près de deuxcentcinquante

reprises, bien comptées par la RDC! Il ne m’appartient pas de déterminer les raisons de cette

véritable «obsession soudanaise» qui semble régner de l’autre côté de la barre. Dans la suite de

cette instance, les conseils de la RDC continueront quant à eux à se limiter au différend qui oppose

le Congo à l’Ouganda. Ils ne se prononceront p as sur les responsabilités d’ autres Etats dans le

cadre d’autres différends, qu’il s’agisse du Rwanda, du Soudan ou d’autres encore. Seuls les actes

de l’Ouganda seront évalués et critiqués au regard du droit international positif existant. La Cour

n’éprouvera à ce sujet aucune difficulté à se pr ononcer sur ce point sans mettre en cause la

responsabilité d’Etats tiers, tout simplement parce qu’il n’y a nul besoin de se prononcer sur la

responsabilité d’Etats tiers pour pouvoir se pronon cer sur l’étendue de la responsabilité de

l’Ouganda pour les faits en cause.

5. Monsieur le président, lors de son discours introductif du vendredi15avril dernier,

M.KhidduMakubuya, agent de l’Ouganda, a insisté sur l’amélioration des relations politiques et

diplomatiques entre nos deux pays. C’est dans ce contexte qu’il s’est posé la question de savoir

5
dans quel intérêt la RDC avait de mandé unilatéralement de refixe r cette affaire devant la Cour .

«Whose interests it really serves ?», s’est-il exclamé.

6. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je suis Congolais. J’étais à

Kinshasa au mois d’août1998 lorsque la guerre a commencé; j’ai rencontré ensuite de très

nombreux Congolais dont les familles ont été touchées par la guerre, dans le nord et l’est du pays.

J’ai également rencontré de nombreux soldats cong olais, dans le cadre de la commission militaire

spéciale créée pour cette instance, qui ont fait la guerre contre l’armée ougandaise et qui m’ont

raconté des histoires horribles et poignantes. Je peux vous garantir qu’aucun Congolais ne

comprendrait que le gouvernement abandonne toutes ses réclamations à l’encontre de l’Ouganda

5
CR 2005/6, p. 10, par. 8, 15 avril 2005. - 11 -

pour ses agissements au Congo. Je peux vous garantir qu’aucun Congolais ne comprendrait que

l’Ouganda puisse purement et simplement se soustr aire à toute responsabilité après avoir occupé à

peu près 900 000 kilomètres carrés de territoire congolais, et s’y être rendu responsable d’exactions

et de spoliations. Je peux vous garantir qu’aucun Congolais ne comprendrait que le gouvernement

renonce à toute perspective d’indemniser les vi ctimes grâce aux réparations dues par l’Ouganda

pour ses agissements illicites alors que même le Conseil de sécurité des NationsUnies, ému et

indigné par les combats de Kisangani de juin 2000, a exigé que l’Ouganda répare les dommages

qu’il a infligés à la population civile de Kisa ngani. J’espère ainsi avoir répondu à la question

choquante de mon honorable collègue:«Whose inter ests it really serves?». Il me répondra sans

doute que la poursuite de cette affaire n’est certainement pas dans l’intérêt de l’Ouganda. Et il aura

en partie raison. En partie, car il est aussi de l’intérêt de tous que les responsabilités des deux Etats

soient déterminées sur la base du droit, par une instance judiciaire aussi indépendante, impartiale et

prestigieuse que la Cour internationale de Justice.

7. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, le peuple congolais crie sa peine et

demande que justice lui soit rendue par votre Cour. Il est vrai que les peuples congolais et

ougandais sont condamnés pa r l’histoire, la géographie, la sociologie, la mondialisation et la lutte

contre la pauvreté, à vivre ensemble et à coopérer dans tous les domaines de la vie. Il y a, par

exemple, des Lubaga en RDC et en Ouganda, d es Kakwa en RDC et en Ouganda. Les peuples

bantu sont majoritaires en RDC à plus de 80% de la population. Et en Ouganda, les Baganda, qui

ont donné leur nom au pays, sont des Bantu et constituent l’ethnie majoritaire. C’est dire qu’aucun

dirigeant politique, congolais ou ougandais, ne sera jamais assez puissant pour détruire

définitivement les liens de fraternité, de solidar ité et d’amitié qui unissent les peuples congolais et

ougandais.

8. Ceci étant précisé, il est indispensable que les dommages de guerre causés à la RDC par

l’Ouganda doivent être judiciairement constaté s et effectivement répa rés pour permettre à nos

deux pays de tourner définitivement la page du passé et d’envisager l’avenir sur de nouvelles bases.

Lorsqu’on a brûlé la maison d’une personne et blessé ses enfants, la réconciliation avec les

victimes passe nécessairement par la reconnaissance de la faute commise et le paiement d’une

indemnité réparatrice. - 12 -

9. Aussi, la RDC tient à ce que le différend qui l’oppose à l’Ouganda serve de leçon à tous

les Etats africains, et du monde, qui seraient tentés de recourir à la force dans les relations

internationales en violation de la Charte des Nations Unies. Le Congo a été choqué d’entendre le

ministre ougandais de la défense déclarer au c ours de sa plaidoirie du lundi 18 avril dernier qu’on

ne peut pas faire confiance au Conseil de sécurité de l’ONU et à la communauté internationale pour

régler les problèmes en Afrique 6. En d’autres termes, le système de sécurité collective mis en

place par la Charte des NationsUnies afin d’assurer la paix et la sécurité internationales n’aurait

aucun sens pour l’Ouganda qui devrait, de ce fait, se faire justice lui-même. Venant de la part d’un

Etat africain et Membre des Nations Unies, cette déclaration est totalement inadmissible et explique

la politique de force entreprise pa r l’Ouganda contre la RDC. C’est pourquoi, dans un monde où

l’on prône le respect de la primauté de la règle du droit, dans la région des Grands Lacs où l’on

tente de poursuivre pénalement les individus pour violation des règles du droit international

humanitaire, il n’est que normal que l’on poursuive également en justice des Etats qui piétinent les

règles du droit international.

10. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, en mettant en cause la

responsabilité internationale de l’Ouganda devant la Cour, la RDC tient à apporter sa propre

contribution au combat universel pour le respect de la primauté de la règle du droit dans les

relations interétatiques. Au total, le peuple c ongolais, ses deux pieds solidement fixés sur la terre,

la tête résolument tournée vers le ciel, espère que la Cour, en qui il a totalement confiance, fera la

jonction entre le ciel et la terre et lui rendra la justice qu’il mérite afin de soulager sa peine.

11. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, tout en se réservant le droit de

fournir des réponses écrites conformément au calendrier établi par la Cour, la République

démocratique du Congo donnera déjà, dans le cours de ses plaidoiries, des éléments de réponse aux

questions qui ont été posées par certains d’entre vous , vendredi dernier. A ce sujet, je voudrais

immédiatement donner un élément de réponse à la question posée par le juge Vereshchetin. La

réclamation du Congo couvre une période qui commence avec le début de l’agression perpétrée par

l’Ouganda, le 2 août 1998, pour se terminer avec la fin de la présente procédure.

6
CR 2005/7, p. 38, par. 10 et p. 47, par. 33, 18 avril 2005. - 13 -

12. Maintenant, Monsieur le président, Madame, Messieurs les juges, je vais vous présenter

les différentes étapes de l’argumentation de la République démocratique du Congo lors de ce

second tour de plaidoiries :

⎯ en premier lieu, le professeurSalmon critiquera de manière générale l’argumentation de la

Partie défenderesse, en insistant sur certains aspects particulièrement décisifs du présent

différend;

⎯ en deuxième lieu, le professeur Klein critiquera plus spécifiquement les arguments avancés par

l’Ouganda pour nier qu’il a violé le principe du non-recours à la force dans les relations

internationales;

⎯ le professeur Corten insistera ensuite sur le statut de l’Ouganda comme puissance occupante

entre les mois d’août 1998 et juin 2003, avec toutes les conséquences que cela entraîne;

⎯ c’est dans ces circonstances qu’avec votre permissi on, je reviendrai à la barre pour écarter les

objections ougandaises relatives aux violations de s droits de l’homme dans les territoires

occupés;

⎯ le professeur Sands traitera alors de l’argum entation ougandaise relative à l’exploitation

illégale des ressources naturelles en territoire occupé;

⎯ enfin, S.Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza viendra, en tant qu’agent de la RDC,

officiellement formuler les conclusions de mon pays.

Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, je vous remercie de votre

bienveillante attention et vous prie de bien vouloir donner la parole au professeur Salmon.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Kalala. I now give the floor to Professor Salmon.

M. SALMON : Monsieur le président, Madame, Messieurs de la Cour,

Le système probatoire ougandais

Introduction

1. Le premier tour de plaidoiries de l’O uganda a fait apparaître de nouvelles facettes de ses

conseils dans l’art de manier la rhétorique. Le couplet entonné en l’honneur de la vérité, prononcé

par Paul Reichler, avait de quoi émouvoir; ce fut un morceau aux accents verd iens. On était loin - 14 -

des leçons données aux Congolais sur la nécessité d’être sérieux et professionnels en matière de

7
preuves . L’humilité prévalait. On sentait l’influence de Bossuet.

La vérité, il fallait la dire. Veritas, n’a-t-elle pas les aspects gracieux que l’on peut admirer

dans cette salle ?

Il fallait la dire.

On l’allait bien voir.

On l’a vu.

On a vu tout d’abord la relativ ité de la vérité dans le temp s. Aulu Gelle, qui parlait au

IIesiècle, n’écrivait-il pas «La vérité est fille du Temps» ? 8

I. Les reculades

2. On a d’abord assisté à diverses reculades. Un certain nombre de points qui étaient donnés

pour vrais dans les écritures de l’Ouganda ne le sont plus aujourd’hui.

⎯ Hier, il n’était pas question que l’Ouganda ait soutenu le MLC 9; aujourd’hui l’Ouganda

l’admet de manière limitée; mais ce mouveme nt n’était-il pas une sorte de gouvernement de

facto ? A supposer que cette dernière explication soit plausible quod non, on ne nous explique

pas comment elle pouvait l’être avant les accords de Lusaka.

⎯ Hier, l’envoi de troupes ougandaises en République démocratique du Congo ne s’était produit

qu’à partir du 11septembre1998 10; aujourd’hui, on admet un modeste tournant le 13août à

partir de la prise de Bunia 11. Ce pas dans la bonne direction reste néanmoins insuffisant ainsi

qu’on le verra.

⎯ Hier, il n’était pas question de pillage des ressources naturelles 12 et le général Kazini n’avait

13
rien à se reprocher . Maintenant on admet quelques écar ts, tout en s’empressant d’ajouter

qu’ils étaient prohibés par les instructions des plus hautes autorités ougandaises.

7
L’Ouganda qui a fait longuement la leçon à la RDC sur la question des preuves (bur den of proof, standard of
proof, authority and weight of the evidence). Voir la réponse de Philippe Sands, CR 2005/3, p. 24, par. 17.
8 e
Noctes atticae, XII, II, 7 (milieu du II siècle).
9 Contre-mémoire de l’Ouganda, par. 138-143.

10 Duplique de l’Ouganda, par. 152.

11 Reichler, CR 2005/6, p. 35-36, par.55. La prise de cet aéroport était déjà admisdans le contre-mémoire de
l’Ouganda, p. 37, par. 47.
12
Contre-mémoire de l’Ouganda, par. 152; duplique de l’Ouganda, par. 321 et suiv. - 15 -

⎯ Hier, l’ambassade d’Ouganda et la résidence de l’ambassadeur à Kinshasa avaient été

14 15
expropriées ; aujourd’hui, il n’en est plus rien , et pour cause, car il n’en fut jamais question.

3. En revanche, une avancée: la prétendue capture de Béni par les Forces armées

congolaises, à laquelle il était à peine fait allu sion dans les écritures ougandaises, et qui est

maintenant présentée comme une attaque majeure ayant eu lieu le 6, voire le 7 août 1998, mais sans

16
que la moindre preuve accompagne cette assertion .

A la relativité de la vérité dans le temp s, fait écho sa relativité dans l’espace . On pense à

Pirandello. A chacun sa vérité.

II. Les contradictions entre conseils ou entre positions
de la procédure écrite et positions
de la procédure orale

4. On savait depuis longtemps que la vérité est relative. Blaise Pascal disait déjà : «Vérité en

17
deçà des Pyrénées, erreur au-delà» .

5. L’Ouganda réduit le champ spatial de cet aphorisme, car il l’applique au sein même des

positions de l’Ouganda ou entre ses propres conseils qui ne s’embarrassent pas de nombreuses

contradictions sur certains faits.

⎯ Ainsi, on nous jure que l’Ouganda n’a p as aidé Kabila à chasser Mobutu du pouvoir à

Kinshasa 18alors que ceci est contredit par les annexes du contre-mémoire de l’Ouganda . 19

⎯ Ainsi, on reproche à la République démocra tique du Congo un manque de vigilance à l’égard

des rebelles ougandais ou une collaboration des autorités congolaises av ec les rebelles entre

mai et juillet 1998 20; mais, par ailleurs, il est admis que la République démocratique du Congo

13Duplique de l’Ouganda, par. 496.
14
Contre-mémoire de l’Ouganda, par. 408.
15
Suy, CR 2005/10, p. 38, par. 42.
16
Reichler, CR 2005/6, p. 35, par. 53 et Mbabazi, CR 2005/7, p. 43, par. 24.
17Extrait des Pensées, V, 294 (1670).

18Reichler, CR 2005/6, par. 24, p. 23.

19Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 42, p. 14; pour les détails voir Klein, CR 2005/11, p. 14-15, par. 10.
20
Contre-mémoire de l’Ouganda, par. 334-339; Brownlie, CR 2005/7, par. 5-6, 8-11, 38 et 77. - 16 -

coopérait à cette époque avec l’Ouganda 21et il est affirmé que la première attaque congolaise

22
contre l’Ouganda n’aurait eu lieu que le 6 août .

⎯ Ici, on nous dit que l’on a chassé les Soudanais des aéroports 23, là, que lesdits aéroports ont été

conquis «avant que les Soudanais puissent les occuper» 24ou encore que la décision du

11 septembre 1998 a été prise afin «d’écarter la possibilité que le Soudan utilise le territoire de

la RDC pour déstabiliser l’Ouganda» 25. Où est la vérité ?

⎯ Ainsi encore, les écritures ougandaises exigent le remboursement intégral de la valeur de

l’ambassade et de la résidence de l’ambassadeur pour «expropriation» alors que le

professeurSuy jure ses grands dieux «que l’Ougand a n’a jamais prétendu qu’il y ait eu saisie

ou expropriation de ses biens» 26. Comprenne qui pourra.

III. L’affirmation sans preuve

6. Nos contradicteurs ont, semble-t-il, le privilège d’accéder à la vérité révélée, ce qui leur

permet de procéder à des affirmations non étayées par la moindre preuve. C’est là ne pas se

souvenir du discours du marquis de Condorcet qui proclamait : «La vérité appartient à ceux qui la

27
cherchent et non point à ceux qui prétendent la détenir» . Ainsi n’est-il pas de bonne stratégie de

se contenter d’affirmations sans preuve comme le font nos contradicteurs.

⎯ Il n’y a toujours pas la moindre preuve que la République démocratique du Congo ait participé

28
aux attaques mentionnées au c ontre-mémoire de l’Ouganda . L’histoire de ces pauvres

adolescents qui périrent dans les flammes à Kishwamba est assurément révoltante, mais les

documents invoqués par la Partie adverse n’ét ablissent nullement que les Congolais aient,

d’une façon ou d’une autre, participé à cette infamie. L’Ouganda ne produit qu’un seul

document, au demeurant non probant, concernant un de ces incidents et rien sur les quatre

21 Reichler, CR 2005/6, par. 29-32.
22
Ibid., p. 35, par. 53. Voir réponse dans Corten, CR 2005/11, par. 17.
23
Reichler, CR 2005/7, p. 15, par. 18; Mbabazi, CR 2005/7, p. 47, par. 32.
24
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 41, par. 52.
25 Ibid., annexe 27, dossier des juges de l’Ouganda, cote n 5.

26 Eric Suy, CR 2005/10, p. 38, par. 42.

27 Discours sur les conventions nationales, avril 1791.
28
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 221-223. - 17 -

autres. Ceci avait déjà été relevé dans la réplique du Congo, mais nos adversaires ont

29
apparemment renoncé à prouver ce qui ne peut pas l’être .

⎯ Il n’y a toujours pas la moindre preuve que la RDC ait appuyé les mouvements rebelles

ougandais comme il est prétendu 30.

Le cas emblématique est cependant le mythe d es Soudanais au Congo. On aurait aussi bien

pu dire les Martiens au Congo. Que les Martiens avaient utilisé le territoire congolais pour agresser

l’Ouganda et répéter les mots «Mars» ou «Martiens» près de deux cent cinquantefois, comme ce

fut le cas pour les mots «Soudan» ou «Soudanais» dans les plaidoiries de nos contradicteurs. Il ne

suffit pas de répéter à satiété la même fable pour qu’elle devienne r éalité. La présence des

Soudanais au Congo est un conte fabriqué de toutes pièces 31. S’il y a eu des contacts avec les

Soudanais, qu’est-ce qui prouve un complot infernal ? Il n’y a pas de preuve d’un appel à l’aide;

pas la moindre trace d’un prisonnier ou de saisie d’ armes ou d’équipements; pas la moindre preuve

qu’il y ait eu des Soudanais dans les aéroports 32. A l’inverse, c’est le Soudan qui, en octobre 1998,

33
accuse l’Ouganda d’agression au Conseil de sécurité . Et quel est le commentaire que fait en

octobre1998 le ministre des affaires étrangères de l’Ouganda au sujet d’une prétendue menace

soudanaise? «A mon avis, cette menace est artif icielle; le Soudan n’a pas la capacité de la

34
réaliser.» Il parle en octobre 1998.

⎯ Il n’y a pas non plus le moindre commencement de preuve de l’inco rporation de groupes

rebelles dans les Forces armées congolaises 35ou de complot impliquant la RDC et le Soudan . 36

A cet égard, la République démocratique du C ongo voudrait faire part à la Cour de sa vive

préoccupation concernant cette tec hnique de nos adversaires. Elle s’apparente à ce que l’on peut

appeler un conditionnement systématique. La stratégie est classique et connue: «Calomniez,

calomniez, il en restera toujours quelque chose.»

29 Corten, CR 2005/11, par. 7 et 8.
30
Brownlie, CR 2005/7, p. 20, par. 39, et réponse Corten, CR 2005/11, par. 12-13.
31
Voir la démonstration d’Olivier Corten, CR 2005/11, par. 20-26.
32
Corten, CR 2005/11, p. 31, par. 37.
33 Corten, CR 2005/3, p. 43, par. 36.

34 Réplique du Congo, annexe 108.

35 Corten, CR 2005/11, p. 28, par. 29-30.
36
Corten, CR 2005/11, p. 30, par. 34 et suiv. - 18 -

7. Au surplus, la Cour sera sensible au fait qu’il est très difficilement possible pour la

République démocratique du Congo, en dépit de son obligation de collaborer à la preuve,

d’apporter la preuve négative qu’elle n’a pas fait appel aux Soudanais, que les Soudanais n’étaient

pas là. Il est exceptionnel d’avoir la chance de tomber sur le témoignage du chef du MLC qui,

retraçant les combats qui ont abouti, à la chute de Gbadolite, spécifie qu’il pourchassait des Forces

armées congolaises et des Hutus jusqu’à atteindre Gbadolite et il ne parle pas d’un seul soldat

37
soudanais .

8. Dans une autre situation où la RDC doit apporter une preuve négative, celle de la

prétendue attaque par son armée de forces ouganda ises stationnées à Béni, tout au plus peut-on

faire appel à des présomptions. Au cours des auditions tenues devant la commission Porter,

personne n’a jamais signalé une attaque des Forces armées congolaises à Béni 38.

IV. Le procédé de l’esquive

9. Un proverbe chinois dit que «les vérités qu’on aime le moins à apprendre sont celles que

l’on a le plus d’intérêt à savoir». Aussi est-il contre-productif de tenter d’esquiver les réponses.

A. Répéter des contre-vérités comme si la RDC n’avait pas déjà montré l’inverse dans ses

écritures

10. L’Ouganda excelle dans l’art de réitérer des allégations toujours sans preuves malgré la

réfutation apportée par la République démocratique du Congo dans ses écritures.

11. Ainsi, à l’égard des prétendus sou tiens apportés aux groupes rebelles par le

39
gouvernement du régime Mobutu , ou de la prétendue absence de participation de l’Ouganda à

l’opération aéroportée à Kitona 40, les conseils de l’Ouganda plaident comme s’ils ignoraient tous

les arguments développés par la République dé mocratique du Congo dans ses observations

additionnelles sur les demandes reconventionnelles ougandaises.

37Jean-Pierre Bemba, Le choix de la liberté, p. 41-46.
38
Corten, CR 2005/11, p. 29, par. 32.
39Observations additionnelles du Congo, par. 1.11 et suiv.

40Ibid., par. 1.87. - 19 -

B. Très systématiquement l’Ouganda ne répond pas aux questions qui lui ont été posées

12. De la même manière, l’Ouganda ne ré pond pas aux questions qui lui ont été posées au

cours du présent tour des plaidoiries.

⎯ Quelle est la date exacte de leur intervention ? La Partie ougandaise affirme maintenant qu’il

s’agit du 13 août 1998, mais l’opération «Saf e haven» a certainement débuté le 7, sinon le

6 août.

⎯ Quelle est la date à laquelle tout consentement à la présence de l’Ouganda dans la région

frontalière fut retiré avec certitude ? Selon les pl aidoiries de la Partie adverse, il ne fut jamais

retiré. Or, le 6 août 1998, la Républi que démocratique du Congo accuse l’Ouganda

41
d’agression ; ce fait est reconnu par l’Ouganda lui-même dans un document du ministère des

affaires étrangères de l’Ouganda de novembre 1998 qui fait état du fait que cette accusation

avait été exprimée par la République démocrati que du Congo au sommet de Victoria Falls des

42
7 et 8 août 1998 .

⎯ La Partie adverse ne tente pas d’explique r comment ses thèses sont compatibles avec les

43
résolutions 1234 et 1304 du Conseil de sécurité .

⎯ Pas de réponse circonstanciée concernant son st atut d’occupant reconnu par le représentant

spécial du Secrétaire général le 2 février 2002 44 ni aux arguments avancés par la République

démocratique du Congo sur le défaut de per tinence de la prétendue légitime défense ou du

caractère prétendument modeste de la présence des troupes ougandaises 45.

⎯ Pourquoi l’Ouganda ne proteste-t-il pas en août auprès du Congo ou ne sais it-il pas le Conseil

46
de sécurité de l’agression alléguée ? Selon ses écritures il ne se plaint qu’en octobre1998

mais sans jamais évoquer ni agression ni légitime défense avant le dépôt du contre-mémoire 47.

13. On pourrait multiplier les exemples tant en ce qui concerne les violations aux droits de

l’homme que les faits de pillages des ressources naturelles.

41 Voir Corten, CR 2005/4, p. 13, par. 17.
42
Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 31, p. 14.
43
Corten, CR 2005/4, p. 15, par. 2.
44
Klein, CR 2005/4, p. 27, par. 16.
45 Salmon, CR 2005/2, p. 51-52, par. 25 et 26 et Klein, CR 2005/4, p. 23, par. 9.

46 Corten, CR 2005/3, p. 43 par. 39.
47
Duplique de l’Ouganda, p. 112, par. 256 et 258. - 20 -

C. Le silence

14. L’abbé Dinouart, homme d’église, peu c onnue il est vrai, dans un opuscule de1771

intitulé «L’art de se taire», écrivait ceci à propos de certains silences : «C’est un silence de mépris,

que de ne pas daigner répondre à ceux qui nous parlent, ou qui attendent que nous nous déclarions

sur leur sujet, et de regarder avec autant de froideur que de fierté, tout ce qui vient de leur part.» 48

15. Une première caractéristique à cet égard, est la maîtrise de nos c ontradicteurs dans la

technique du jumping, c’est-à-dire le saut par dessus les obstacles. Tout ce qui gêne est purement

et simplement omis de la démonstration. Partic ulièrement notoire, le goût du silence ou l’amnésie

qui les frappe s’agissant de leur plaidoirie sur le consentement. Divers moments sont considérés

comme autant de consentements renouvelés : le protocole du 27 avril 1998, l’accord de Lusaka du

10juillet1999, puis celui de Luanda du 6septembre 2002. L’impasse est faite sur la période où

plus aucun consentement n’existait, entre le 6 août 1998 et l’accord de cessez-le-feu de Lusaka. La

diversité de nature et d’objet de ces consentements est obscurcie.

16. Le silence aussi sur la poursuite de l’agression postérieurement à l’accord de Lusaka du

10 juillet 1999. Selon la duplique ougandaise, il n’y a pas eu d’ engagements militaires postérieurs

49
audit accord . Quid alors des conquêtes par l’UPDF de Geme na, du9 au 10juillet, de Zongo le

50
29 juillet, de Libenge (à 1356 km de la frontière ougandaise) le 22 juillet , de Bongandanga et de

Basankusu le 30novembre1999 au sud de Lisala 51 ? Quid des combats à Bomongo, Moboza,

Dongo en février2000, à Imese en avril2000, à Buburu fin avril2000, à Mobenzene en

mai-juin 2000 52 ? Quid des batailles meurtrières entre forces ougandaises et forces rwandaises

pour le contrôle de Kisangani à partir du 5 juin 2000 ?

17. Le silence de la Partie adverse est partic ulièrement lourd en ce qui concerne Kisangani.

Les troupes de l’UPDF y sont arrivées par la voie aérienne le 1 erseptembre 1998, elles y ont livré

des combats contre l’armée rwandaise d’abord en 1999, puis en2000 à deux reprises. Ceci a

48
Abbé Dinouart, L’Art de se taire, texte présenté par Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche, Petite
collection Atopia, Jérôme Million, Grenoble 2002, p. 44.
49
Duplique de l’Ouganda, p. 79, par. 176.
50Réplique du Congo, par. 2.75, p. 97.

51Ibid., par. 2.73, p. 96.

52Ibid., par. 2.75, p. 97. - 21 -

conduit le Conseil de sécurité à opérer la condamnation bien connue que contient la

résolution 1304.

18. De tout ceci l’Ouganda n’a rien dit car ces faits détruisent toute son argumentation. La

prétendue date pivot du 11 septembre 1998 s’ écroule, puisque Kisangani est prise le 1 erseptembre;

quelle justification donner pour cette conquête? Pourquoi livrer des combats avec le Rwanda?

Quel rapport y a-t-il entre ces combats et la sécuri sation de la frontière, la mise au pas de rebelles

ougandais ou de fantasmagoriques combattants soudanais ? Pourquoi ces combats se

poursuivent-ils après le cessez-le-feu des accords de Lusaka du 10 ju illet 1999 ? Tout silence que

nous aimerions bien voir brisé.

V. La négation pure et simple de vérités avérées

19. Nos contradicteurs eussent été bien avisés de se rappeler ce qu’écrivait Saint-Grégoire le

Grand : «Jamais la simple vérité n’a rien fait par duplicité.»

A. Les preuves fabriquées ou fantaisistes

20. Il apparaît clairement que de nombreux documents produits par l’Ouganda ont été

rédigés longtemps après les faits, qu’ils constituen t des preuves fabriquées pour les besoins de la

cause et sont particulièrement douteux.

⎯ Ainsi, le témoignage sous serment d’un fonc tionnaire du ministère des affaires étrangères de

l’Ouganda selon lequel le protocole du 27avr il1998 serait justifié par l’attaque de

53
Kichwamba, laquelle eut lieu le 8juin1998 , c’est-à-dire un mois et demi après la signature

du protocole.

⎯ Ainsi, le document du haut commandement de l’UPDF qui attesterait que la décision d’envoyer

des troupes en RDC daterait du 11 septembre 1998 54 ? Ce texte ne justifie que le maintien des

troupes. Or, il est prouvé aujourd’hui, par les documents de la commission Porter, que

l’opération «Save Haven» a commencé le 7 août 1998 et que son but était d’apporter un soutien

aux rebelles congolais. Au surplu s, le généralKazini et le président Museveni lui-même ont

53
Duplique de l’Ouganda, p. 42-44, par. 91; voir Corten, CR 2005/4, p. 11-12, par. 11-12.
54Duplique de l’Ouganda, p. 67, par. 155, (RDC, dossier des juges n 5). - 22 -

admis devant la commission que l’opération «Safe Haven» avait débuté le 7 août par la prise de

Béni 55.

⎯ Ainsi encore, le témoignage d’un témoin arrê té en mai2000 qui relate des parachutages

56
effectués en novembre 2000 alors qu’il était à ce moment en détention .

Il n’y a pas le moindre document contemporain jusqu’au 11décembre1998 attestant une

activité belliqueuse du Soudan ou de la Républiq ue démocratique du Congo; les documents

déposés par l’Ouganda sont postérieurs et écrits pour les besoins de la cause.

⎯ Le témoignage de l’ancien ambassadeur d’Ou ganda à Kinshasa sur des documents impliquant

Mobutu dans un projet d’assassinat du président Museveni reste des plus suspects ⎯ je vous en

ai parlé lors de ma toute première intervention ici, je ne me répéterai pas 57.

21. L’Ouganda soutenait dans ses écritures que les accusations contre l’UPDF en ce qui

concernait le pillage des ress ources naturelles étaient contredites «by sworn testimony and

58
documentary evidence» et qu’il n’existait aucune preuve que l’Ouganda n’ait pas agi pour

empêcher des activités illégales 59. On sait aujourd’hui ce qu’il en est.

B. La négation délibérée des vérités aujourd’hui bien établies

22. On n’en finirait pas de faire la liste d es vérités que les écritures comme les plaidoiries

ougandaises se sont employées à celer.

⎯ L’appui ougandais aux rebelles pro-Kabila qui allaient finir par s’emparer du pouvoir à

Kinshasa et renverser le maréchal Mobutu.

⎯ L’intervention militaire de l’UPDF avant la mi-septembre.

⎯ L’appui aux groupes rebelles congolais avant la c onclusion de l’accord de Lusaka puisque le

généralKazini admet que l’opération «Safe Haven» fut organisée conjointement avec les

mouvements rebelles congolais à partir du 7 août 1998.

55Voir les preuves tirées de la commission Porter signalés par Kalala, CR 2005/2, p. 30 et 31, par. 40 et 41.
56
Voir détails dans intervention de M. Salmon, CR 2005/3, p. 15, par. 16.
57
Voir ibid., p. 14, par. 16.
58Duplique de l’Ouganda, par. 456-494; voir Sands, CR 2005/5, p. 41, par. 30.

59Ibid., p. 42, par. 35. - 23 -

⎯ La participation de l’UPDF dans les activités d’exploitation illégale des ressources naturelles et

autres richesses du Congo. L’Ouganda, dans ses écritures, mettait en doute le sérieux du

rapport du groupe d’experts des NationsUnies su r le pillage et l’e xploitation illégale des

ressources naturelles du Congo. L’implication est aujourd’hui prouvée par les travaux de la

commissionPorter de l’UPDF et de ses plus hauts dirigeants dans les opératio
ns illicites

relatives aux ressources naturelles du Congo soit pour un gain personnel, soit pour couvrir

l’exploitation illégale de ses resso urces par des entreprises privées 60, notamment la

61
société Victoria . Les rapports de l’ONU sont confirmés sur ce point par la

commission Porter.

⎯ Enfin, on peut encore citer la prétention de l’Ouganda que, si une expl oitation avait eu lieu,

62
c’était dans l’intérêt des populations .

23. Voilà donc la vérité, Veritas, que voulait montrer l’Ouganda. Il est à craindre que ce soit

une mauvaise interprétation du précep te de Quevedo selon lequel «il ne faut pas montrer la vérité

nue, mais en chemise».

24. Monsieur le président, Madame, Messieu rs de la Cour, cette réflexion du grand

dramaturge espagnol clôture mon intervention. Je remercie la Cour d’avoir bien voulu m’accorder

son attention.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Salmon. Now I give the floor to Professor Klein.

M. KLEIN :

Le recours à la force opéré par l’Ouganda à l’encontre du Congo ne peut être justifié ni au
titre de la légitime défense ni au titre du consentement

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, l’Ouganda s’est

efforcé, la semaine passée, de donner un fondeme nt juridique à son intervention militaire en

territoire congolais en s’appuyant à titre princi pal sur l’argument selon lequel cette action était

justifiée au titre de la légitime défense. Dans le même temps, et sans que l’on voie toujours très

60Kalala, CR 2005/5, p. 13, par. 14; Sands, CR 2005/5, p. 25, par. 2, p. 28, par. 3.
61
Sands, CR 2005/5, p. 35, par. 15 et p. 37, par. 18.
62Ibid., p. 41, par. 28. - 24 -

clairement les limites entre ces deux ordres d’argumentation, la Partie adverse a également invoqué

à diverses reprises le consentement des autorités congolaises pour justifier la présence de ses forces

armées sur le territoire du Congo. Il me faut revenir ce matin sur ces deux justifications pour

montrer que ni l’une, ni l’autre, n’est fondée en droit.

I. Le recours à la force opéré par l’Ouganda à l’encontre du Congo ne peut être

justifié au titre de la légitime défense

2. Dans un premier temps, donc , je montrerai que l’Ouganda ne peut valablement invoquer,

dans la présente espèce, le droit de légitime défense. Il en est ainsi tant parce que cet Etat n’a pas

été victime d’un acte d’agression que parce que les conditions auxquelles le droit international

soumet l’invocation de la légitime défense n’ont nullement été respectées dans le cas de l’invasion

du territoire congolais par l’armée ougandaise. Avant d’examiner ces deux points plus en détail, je

voudrais préciser qu’il s’agira ici de démontrer que les arguments développés par l’Ouganda sur la

légitime défense sont dépourvus de fondement en droit. Il convie nt parallèlement de garder à

l’esprit la toile de fond factuelle détaillée par mon collègue le professeurOlivierCorten vendredi

passé, qui a amplement démontré l’absence de fonde ment de l’argumentation de la Partie adverse

63
en fait .

A.L’Ouganda ne peut invoquer valablement la légitime défense car il n’a pas été victime
d’un acte d’agression

3. Quant au premier de ces points, l’existe nce d’un acte d’agression, l’Ouganda a développé

une argumentation dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne se caractérise pas par une grande

clarté. Ainsi, tout en insistant sur le fait que la position juridique de l’Etat défendeur n’est pas

fondée sur le concept de légitime défense préventive ou pré-emptive 64, M. Brownlie expose dans le

même temps qu’il «existe des situations dans les quelles il est irréaliste et pratiquement impossible

d’insister sur une distinction entre une réponse dir ecte à une agression et une action préventive ou

65
anticipative» .

63
CR 2005/11, p. 20-27, par. 4-26.
64Plaidoirie de M. Brownlie, lundi 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 29, par. 72.

65 Ibid., p. 28, par. 71 («there are situations in which unrealistic and practically impossible to insist on a
distinction between a direct response to an armed attack and anticipatory or preventive action»). - 25 -

4. Il n’est donc pas facile de saisir précisément la portée de l’argumentation juridique

ougandaise relative à la légitime défense. Dans un premier temps, il semble en tout cas approprié

de prendre l’Ouganda au mot, et d’exclure tout argument fondé sur une légitime défense préventive

66
ou pré-emptive . Mais il faut alors être cohérent, et admettre que toutes les actions militaires

fondées sur la nécessité de prévenir ou d’empêcher des attaques à venir ne peuvent être justifiées au

titre de la légitime défense . Il convient de garder à l’esprit, à cet égard, que les é
critures de la

Partie adverse, tout comme les plaidoiries qui ont été présentées en son nom ces derniers jours,

67
fourmillent littéralement de réfé rences à de telles préoccupations . Toutes les actions militaires

menées par l’armée ougandaise en territoire congolais et justifiées par le seul souci de prévenir des

attaques futures doivent donc, en application des critères retenus par l’O uganda lui-même, être

considérées comme étant contraires au droit international.

5. Reste ainsi une seule hypothèse, celle de la légitime défense en réaction à une agression

que l’on pourrait appeler «consommé e». L’Ouganda tente d’établir l’existence de cette agression

en se fondant sur les liens qu’aurait entretenus le Gouvernement congolais avec divers mouvements

rebelles ougandais opérant à partir du territoire du Congo. L’Etat défendeur dégage en fin de

compte deux critères pour conclure à l’existence d’ un acte d’agression de la part du Congo. L’un

est la participation directe de l’Etat à l’action de bandes armées 68. Il n’appelle pas de commentaire

particulier, si ce n’est pour rappeler qu’une telle s ituation de fait n’est nullement établie dans le cas

d’espèce. L’autre critère dégagé par l’Ouganda est cel ui de la tolérance, ou du défaut de contrôle,

d’un Etat à l’égard de bandes armées présentes sur son territoire, qui «rend l’Etat qui abrite de

telles bandes armées susceptible de faire l’objet d’une action en vertu de l’article51 de la

Charte» 69. Cette conséquence, selon M. Brownlie, «est le résultat de l’application de principes bien

66 Ibid., p. 29-30, par. 72.

67 Voir entre autres ibid., p. 14, par. 17, et la citation de laclaration du ministre ougandais des affaires
étrangères qui est reprise dans cette plaidoirie («Against tperceived threat of increased destabilisation of Uganda
especially by the Sudan using Congoles e territory as it had previously done,Uganda deployed additional forces to
counter this threat», contre-mémoire de l’Ouganda, a nnexe 42, p. 15, les italiques sont de nous). Voir encore, dans la

plaidoirie de M. Brownlie, le paragraphe 20 et les extraits de documents cités p. 16.
68 Plaidoirie de M. Brownlie, lundi 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 33, par. 92.

69 Ibid. - 26 -

établis de la responsabilité des Etats, et l’existe nce d’une direction et d’un contrôle du souverain

territorial n’est pas nécessaire» 70.

6. Cette construction est étonnante à plus d’ un titre. Elle l’est tout d’abord du fait que

M. Brownlie déduit l’existence d’une tolérance de la République démocratique du Congo à l’égard

de groupes rebelles ougandais présents dans le sect eur frontalier du simple fait que le Congo, dans

ces écritures, reconnaît l’existence de ces groupes dans cette zone 71. Mais reconnaître la présence

de groupes armés sur son territoire ne signifie pas pour autant les tolérer. Ainsi que le

professeur Corten l’a très clairement exposé vendredi passé, l’Ouganda ne peut à la fois reconnaître

que le Congo était engagé, jusqu’à l’été 1998, dans une collaboration active avec l’UPDF en vue de

lutter contre les groupes rebelles ougandais présents en territoire congolais et accuser dans le même

temps les autorités congolaises de manquer à leurs ob ligations de vigilance en tolérant les activités

72
de ces groupes . L’argument est donc manifestement bancal en fait. Il l’est tout autant en droit.

L’assimilation d’une simple tolérance du souverain territorial à l’égard de bandes armées présentes

sur son territoire à un acte agression va clairement à l’encontre des principes les mieux établis dans

le domaine. Cette position, qui consiste à abaisser considérablement le seuil requis pour que l’on

puisse parler d’agression, ne peut évide mment trouver aucun appui dans l’arrêt Nicaragua. Mais

elle ne pourrait pas plus en trouver un, par exemple, dans l’arrêt Tadic , rendu par la chambre

d’appel du TPIY, ni même dans les écrits du pr ofesseurDinstein, auxquels la partie adverse

reconnaît pourtant une très grande autorité. Ce de rnier se limite en effet à indiquer que semblable

tolérance avait été retenue dans le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de

l’humanité, adopté par la Commission du droit intern ational en 1954, mais il ne retient lui-même

nullement cette hypothèse parmi les actes suscep tibles de donner ouverture au droit de légitime

défense 73. L’argumentation ougandaise sur ce point s’avère donc totaleme
nt dépourvue de

fondement, en droit comme en fait. Elle tend à dénaturer complètement le concept juridique

d’agression.

70
Ibid. («This consequence is the result of the application of well-recognized principles of state responsibility and
the existence of direction and control by the territorial sovereign is not necessary»).
71
Ibid., p. 29, par. 76.
72Plaidoirie de M. Corten, vendredi 22 avril 2005, CR 2005/11.

73Yoram Dinstein, War, Aggression and Self-Defence, 3 éd., Cambridge, CUP, 2001, p. 181-183. - 27 -

Comme on va le voir également, l’Ouganda n’a pas non plus été en mesure de montrer que

son action militaire, même à la supposer justif iée par un acte d’agression préalable, répondait aux

exigences de nécessité et de proportionnalité auxquelles doit répondre la légitime défense.

B.Le recours à la force opéré par l’ Ouganda ne répond pas aux exigences de
proportionnalité et de nécessité

7. L’Ouganda, dans son premier tour de plaidoirie, a tenté d’assimiler les exigences de

nécessité et de proportionnalité, en prétendant que la première était en quelque sorte incluse dans la

seconde. Avec le plus grand respect, je ferai remarquer à nos interlocuteurs que tel n’est pas le cas,

et que les diverses sources auxquelles le Congo s’est référé lors de sa présentation orale initiale font

clairement apparaître le caractère distinct de ces deux exigences, même si elles sont intimement

74
liées . En l’occurrence, l’Ouganda n’a pas été en mesure de montrer que ces exigences avaient été

respectées.

8. En ce qui concerne la première d’entre elles, la nécessité, M. Brownlie est resté

entièrement silencieux sur l’exigence de l’excl usivité du recours à la force comme mesure

nécessaire de légitime défense. Il s’est contenté de rejeter l’insistance mise par RobertoAgo sur

l’exigence d’épuisement des voies pacifiques de règlement des litiges en raison du fait qu’il ne

75
s’agirait pas là d’une règle coutumière . En réalité, la position de l’Ouganda sur ce point s’avère

bien trop radicale, en ce qu’elle fait l’impasse su r les liens qui unissent l’exigence de nécessité à

l’épuisement des voies pacifiques de règlement. T out est en l’occurrence question d’espèce. Dans

un cas où un Etat est visé par une guerre éclair, et se trouve bombardé et envahi par les forces

armées d’un autre Etat, personne ne s’attend évide mment à ce que l’Etat envahi tente de régler

pacifiquement le différend qui l’oppose à l’envahisseu r avant de recourir à la force des armes pour

repousser l’agression. Mais dans le cas de menaces larvées, d’attaques d’ampleur limitée se

répétant sur un certain laps de temps, comme s’ en plaint l’Ouganda, la nécessité s’apprécie tout

différemment. Elle implique clairement que les au tres voies et moyens d’actions se soient avérés

74Voir en particulier les extraits de l’arrêt sActivités militaires et paramilit aires au Nicaragua et contre

celui-ci et de l’avis sur Licéité de la menace et de l’ utilisation d’armes nucléaires cités lors du premier tour de
plaidoirie de la République démocratique du Congo (mardi 12 avril 2005, CR 2005/3, p. 47, par. 2).
75Plaidoirie de M. Brownlie, lundi 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 32, par. 89. - 28 -

totalement improductifs avant que le recours à la force s’impose, comme solution de dernière

instance.

9. Il ne suffit certainement pas de se borner à cet égard, comme l’a fait

M. le ministre Mbabazi, à quelques propos généraux sur l’inefficacité du Conseil de sécurité pour

justifier qu’on se soit totalement abstenu de se tourner à aucun moment vers cet organe avant de

recourir à la force 7. Que le Conseil de sécurité ait à son passif des abstentions coupables dans le

passé, en particulier dans le cadre du génocide rwa ndais, est incontestable. Cela justifie-t-il pour

autant semblable prétention à ignorer délibérément à l’avenir l’obligation de saisir cet organe des

situations qui paraissent constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales et à

privilégier l’action unilatérale dans toutes circ onstances? Faut-il rappeler qu’en l’occurrence,

l’Ouganda n’a pas fait même la moindre tentative de saisir le Conseil de la prétendue situation

d’agression dont il s’est plaint par la suite d’a voir été la victime? La véritable apologie des

mesures armées unilatérales à laquelle s’est livré l’Ouganda devant la Cour la semaine dernière, qui

plus est par la voix même d’un des membres les plus importants de son gouvernement, ne peut

décidément que susciter les plus vives inquiétudes pour le futur.

10. Enfin, il me faut encore revenir sur l’affirmation de M. Brownlie, selon laquelle «si le

concept de nécessité de la légitime défense doit être appliqué sur la base de l’effectivité et du bon

77
sens, c’est certainement la vision de l’Etat victime et de sa population qui doit prévaloir» . Ici

encore, la proposition est totalement inexacte, tant en fait qu’en dr oit. En droit, il semble que

l’Ouganda se refuse décidément à admettre le prononcé de la Cour dans l’affaire des Plate-formes

pétrolières, que j’ai mentionné dans le cadre de ma première plaidoirie. Je ne puis donc que le

rappeler une nouvelle fois ici: «l’exigence que pose le droit in ternational, selon laquelle des

mesures prises au nom de la légitime défense doivent avoir été nécessaires à cette fin, est

78
rigoureuse et objective, et ne laisse aucune place à une «certaine liberté d’appréciation»» . La

prétention de l’Ouganda est d’autant plus inacceptable que sur le plan des faits, l’idée selon

76
Plaidoirie de M. Mbabazi, lundi 18 avril 2005, CR 2005/8, p. 38, par. 10; p. 47, par. 33.
77Plaidoirie de M. Brownlie, lundi 18 avril 2005, CR 2005/7,p. 34, par. 92. («If the concept of necessity of
self-defence is to be applied on the basis of effectiveness and common sense, it is surely the view of the victim State and

its nationals which must prevail.»)
78Arrêt du 6 novembre 2003, p. 196, par. 73. - 29 -

laquelle cette action militaire répondait à une véritable nécessité était bien loin d’être partagée par

tous, en Ouganda même. En témoigne avec un éc lat tout particulier cette déclaration du parti

démocratique (Democratic Party), en date du 18 septembre 1998, qui exprime le désaccord de cette

formation politique d’opposition à l’égard de l’action armée entamée au Congo en observant que

«the objectives such as national security which President Museveni has given for what
amounts to military aggression by Uganda cannot be achieved…through military
adventure. On the contrary, it will be more difficult to achieve such objectives if we
79
employ military means instead of peaceful ones such as diplomacy.»

On est donc bien loin d’une perception de l’action armée comme seul moyen d’action possible.

11. Pas plus que par rapport à l’exigence de nécessité, l’Ouganda n’a été en mesure de

démontrer, lors de son premier tour de plaidoi ries, que son action armée avait été proportionnée à

l’agression préalable qu’il avait prétendument subie. En premier lieu, il convient de revenir sur la

question de la représentation graphique de l’ét endue de l’occupation et de la pénétration

ougandaise en territoire congolais. La Partie adverse a critiqué à plusieurs reprises les croquis

présentés par le Congo, en prétendant qu’ils ne correspondaient pas aux réalités de la présence

militaire ougandaise sur le terrain. Et l’Ouganda de présenter à ce pr opos la carte annexée au plan

de désengagement de Harare 80qui refléterait bien mieux, selon lui la réalité de cette situation 81.

Pourtant, ces représentations de l’étendue de la présence militaire ougandaise au Congo ne sont

nullement incompatibles, comme cherche à le faire croire la Partie adverse.

Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, une simple

comparaison de ces cartes, en prêtant bien attenti on au tracé de la frontière entre la République

démocratique du Congo et le Congo-Brazzaville, pe u visible sur la carte d’Harare, permet de

constater qu’elles reflètent pour l’essentiel une même réalité et identifient de la même manière la

zone qui relève du contrôle de l’UPDF, même si le plan d’Harare fait référence à un contrôle

conjoint de l’UPDF et du MLC sur la zone en cause. Le professeur Corten reviendra tout à l’heure

sur la signification de cette double référence à l’UPDF et au MLC. Mais pour ce qui nous concerne

79
Réplique du Congo, annexe 66.
80
Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 79.
81Plaidoirie de M. Reichler, vendredi 15 avril 2005,CR 2005/6, par. 101-102; plaidoirie de M. Brownlie,
lundi 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 31, par. 86. - 30 -

pour l’instant, il apparaît donc clairement que, malheureusement pour l’Ouganda, la carte sur

laquelle il tente de s’appuyer ne conforte en rien sa thèse.

12. Mais de toute manière, l’essentiel n’est pas là. Le problème de base demeure que, face à

l’absence d’agression initiale de la part du Congo, toute mesure de réaction au titre d’une prétendue

légitime défense ne peut être que disproportionnée. A cet égard, la Partie adverse se trouve une

nouvelle fois prise dans les contradictions. D’un côté, on l’a déjà si gnalé, elle maintient qu’elle ne

fonde pas son argumentation juridique sur un quelc onque concept de légitime défense préventive

ou préemptive. D’un autre côté, cependant, elle justifie la proportionnalité de son action en faisant

valoir le danger qui résultait pour l’Ouganda de l’ alliance prétendument conclue entre la RDC, le

Soudan et les groupes rebelles ougandais 82. Pourtant, ces dangers sont une nouvelle fois présentés

comme une menace pour l’avenir à l’égard de la quelle, le Congo l’a mont ré dans le cadre du

premier tour de plaidoiries, la proportionnalité s’avère extrêmement difficile, si pas totalement

impossible à apprécier.

E1nfi.n ⎯ et le professeur Salmon y a déjà fait référence ce matin ⎯ on ne peut manquer

de relever que l’Ouganda n’a invoqué la légitime défense que pour justifier ses actions militaires

83
jusqu’à la prise de Gbadolite, au début du mois de juillet 1999 . La Partie adverse n’a à aucun

moment évoqué les actions militaires menées par ses troupes en territoires congolais au-delà de

Gbadolite après le mois de juillet 1999. Ces ac tions militaires ont culminé avec la prise, au

printemps 2000, de la ville de Mobenzene, située à plusieurs centaines de kilomètres de Gbadolite

en direction de Kinshasa. Le Congo a fait clai rement état de ces acti ons militaires dans ses

écritures 84 et au cours de la phase orale 85. On pourrait encore y ajouter les combats entre troupes

ougandaises et rwandaises à Kisangani en juin 2000, comme le professeur Salmon l’a également

rappelé il y a un instant. De tout ceci, l’Ouganda ne dit mot, car il sait pertinemment bien qu’il ne

pourrait justifier aucune de ces actions militaires au titre d’une légitime défense proportionnée. Il

le sait d’autant mieux que, peu après les combats de Kisangani, le Conseil de sécurité a adopté la

82Plaidoirie de M. Brownlie, lundi 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 22, par. 42, spécialement points 3 et 4.
83
Plaidoirie de M. Mbabazi, lundi 18 avril 2005, CR 2005/8, p. 46-47, par. 32.
84
Réplique du Congo, p. 96-98.
85Plaidoirie de M. Salmon, lundi 11 avril 2005, CR 2005/2, p. 47, par. 16. - 31 -

résolution 1304 (2000), dans laquelle il énonce tr ès clairement que l’Ouganda a «violé la

souveraineté et l’intégrité territoriale de la République démocratique du Congo», ce constat ruine

évidemment totalement la thèse ougandaise de la légitime défense 86.

14. En conclusion, il apparaît donc clairement que l’action militaire menée par l’Ouganda à

l’encontre du Congo à partir du mois d’août 1998 ne peut être justifiée au titre de la légitime

défense, au premier chef en raison du fait que l’Etat défendeur n’a pas été l’objet d’un acte

d’agression au sens du droit international. En tout état de cause, les exigences de nécessité et de

proportionnalité de la légitime défense n’ont aucunement été respectées en l’espèce. Si elle ne peut

être fondée sur l’argument de la légitime défen se, l’intervention militaire de l’Ouganda au Congo

ne peut pas plus être justifi ée par un quelconque consentement de la République démocratique du

Congo en ce sens, comme je voudrais le montrer dans la seconde partie de cette plaidoirie.

Mais, Monsieur le président, je suis à ce stad e entre vos mains, et puis soit poursuivre cette

plaidoirie, soit marquer un temps d’arrêt pour la pause, si vous le souhaitez.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Klein. It is indeed time to have a break of ten

minutes, after which you will continue.

The Court adjourned from 11.20 to 11.30 a.m.

The PRESIDENT: Please, be seated. Professor Klein, please continue.

M. KLEIN : Merci, Monsieur le président.

II. Le recours à la force opéré par l’Ouganda à l’encontre du Congo ne peut être
justifié au titre du consentement

15. Monsieur le président, Madame et Messieu rs les Membres de la Cour, deux points de

contention essentiels demeurent entre les Parties à ce stade en ce qui concerne la possibilité de

justifier la présence militaire de troupes ougandaises en territoire congolais par l’argument du

consentement. D’une part, il est manifeste pour le Congo que, contrairement à ce prétend la Partie

adverse, le consentement des autorités congolai ses à la présence de troupes ougandaises n’existait

86
Voir déjà réplique du Congo, p. 36-38. - 32 -

plus en août 1998. D’autre part, il est tout au ssi clair que la portée de l’accord de Lusaka du

10juillet 1999 est loin d’être aussi étendue que ce que prétend l’Ouganda, et qu’on ne saurait y

voir l’expression du consentement de la République démocratique du Congo au maintien de forces

armées ougandaises en territoire congolais après la conclusion de cet accord. En exposant ses vues

sur ce point, le Congo s’efforcera dès maintenant d’apporter des éléments de réponse à la question

posée aux Parties vendredi passé par M. le juge Elaraby. Mais avant de détailler ces deux points, je

voudrais dans un premier temps m’attarder quelque peu sur une question que la Partie adverse a

très largement laissée dans l’ombre dans ses plaidoiries. Cette question, c’est celle de la portée du

consentement donné par les autorités congolaises, à le supposer établi. Je voudrais donc tout

d’abord rappeler à cet égard qu’en tout état de cause, et à le supposer toujours établi, le

consentement de la République démocratique du Congo n’aurait pu couvrir qu’un hypothétique

stationnement pacifique des troupes de l’UPDF en territoire congolais.

A. Le consentement de la République démocra tique du Congo, à le supposer établi, n’aurait
pu couvrir qu’un hypothétique stationnement pacifique des troupes de l’UPDF en
territoire congolais

16. M. Brownlie, dans sa plaidoirie de mardi passé, a très opportunément rappelé que,

d’après les travaux de la Commission du droit in ternational sur la responsabilité des Etats, le

consentement ne pouvait produire des effe ts que dans les limites où il avait été donné 87.

Cependant, une fois ce constat opéré, les conseils de l’Ouganda n’en ont jamais fait application

dans le cas d’espèce. A aucun moment n’on t-ils précisé sur quoi exactement portait le

consentement qu’auraient donné les autorités congolaises. A aucun moment, à fortiori, n’ont-ils

montré que les comportements des troupes ougandaises au Congo à partir du mois d’août 1998

restaient dans les limites de ce prétendu consentement. La question est pourtant cruciale, et la

République démocratique du Congo serait très heureuse d’entendre la Partie adverse préciser ses

vues sur ce point lors du second tour de plaidoiries. Ce point est crucial, en effet, car il permet de

mettre en évidence le caractère éminemment théorique de l’argument ougandais relatif au

88
consentement, comme le professeur Corten l’a déjà souligné il y a deux semaines .

87
Plaidoirie de M. Brownlie, mardi 19 avril 2005, CR 2005/8, p. 9, par. 7.
88Plaidoirie de M. Corten, mercredi 13 avril 2005, CR 2005/4, p. 9-10, par. 6. - 33 -

17. Selon l’argumentation ougandaise même, l es autorités congolaises auraient donné, en

1997-1998, de même qu’en 1999, dans l’accord de Lusaka, leur consentement à la présence de

troupes de l’UPDF dans un but bien déterminé : la lutte contre les groupes rebelles qui se livraient à

des attaques en territoire ougandais à partir de la République démocratique du Congo. C’est ce

facteur qui a, de façon constante, été mis en exergue par les conseils de l’Ouganda au cours de leur

plaidoirie orale 8. C’est donc une limite essentielle, ratione materiae, qui aurait été donnée là au

consentement prétendument exprimé par les autorités congolaises à la présence de troupes

ougandaises en République démocratique du Congo. Or, ce n’est évidemment pas des actions

militaires éventuellement menées par les troupes de l’UPDF en territoire congolais à l’encontre de

groupes rebelles ougandais que se plaint aujourd’hui la République démocratique du Congo devant

la Cour. Ce qui est en cause dans cette affaire, faut-il le rappeler, ce sont les actions hostiles des

troupes ougandaises vis-à-vis des Forces armées c ongolaises, la prise de villes, la destruction

d’infrastructures civiles, les tr ès graves exactions commises à l’ encontre des populations civiles

congolaises, ou encore le pillage des ressources naturelles du Congo. Aucun de ces faits ne saurait,

à l’évidence, être couvert par un quelconque con sentement des autorités congolaises. La seule

portée pratique du consentement invoqué par l’Ougand a, à le supposer établi, ne pourrait donc être

que de donner une justification, sur le plan ju ridique, à un stationnement pacifique de troupes

ougandaises en territoire congolais ou, au plus, à la conduite par l’UPDF d’actions militaires

dirigées contre des groupes rebelles par hypothèse encore actifs. Je ne puis donc qu’inviter

instamment la Cour à conserver cette considéra tion à l’esprit lorsqu’il sera à nouveau question de

l’argument du consentement, aujourd’hui ou dans les jours qui viennent.

Ces précisions apportées, on peut maintenant revenir à la première période concernée par

l’argument du consentement. Je montrerai qu’en l’espèce le consentement du Congo à la présence

de troupes ougandaises en territoire congolais n’existait plus en août 1998.

89Voir entre autres plaidoirie de M. Brownlie, ma19 avril 2005, CR 2005/8, p. 10, par. 12; plaidoirie de

M. Reichler, ibid., p. 23, par. 21. - 34 -

B. Le consentement du Congo à la présence de troupes ougandaises en territoire congolais

n’existait plus en août 1998

18. Dans sa plaidoirie de mardi passé, M. Brownlie a consacré une bonne part de sa

démonstration relative à la période 1997-1998 à reve nir sur des faits qui ne sont en rien contestés

par la République démocratique du Congo. Il en est allé ainsi, en particulier, de l’existence d’un

consentement informel des autorités congolaises à la présence en territoire congolais, dans la zone

frontalière avec l’Ouganda, de soldats ougandais en vue de lutter contre certains groupes rebelles 90.

L’existence de ce consentement n’ayant pas été remise en cause par le Congo, il me semble inutile

de revenir sur ce point à ce stade. Le seul véritable point de discordance entre les Parties, en ce qui

concerne la première période, porte sur la formalisation ⎯ ou non ⎯ de ce consentement informel

dans un texte formel : celui du protocole conclu entre les deux Etats le 27 avril 1998. Sur ce point,

par contre, l’Ouganda s’est montré étonnamment bref lors de sa dernière intervention orale, en se

contentant de citer le contenu du protoc ole sans en proposer une véritable analyse 91. On peut sans

doute le comprendre, car absolument rien, dans l es termes mêmes de ce protocole d’avril 1998, ne

permet d’y voir l’expression d’un consentement formel à la présence de troupes étrangères en

territoire congolais. Que la Cour me permette de rappeler encore une fois le contenu de la

disposition centrale de cet accord : «les deux armées acceptent de coopérer en vue d’assurer la paix

92
et la sécurité le long de la frontière commune» . Où, dans cet énoncé, est-il fait état d’un

consentement formel du Congo à la présence de trou pes ougandaises sur son territoire ? Suivant le

sens ordinaire des termes, accepter «de coopérer en vue d’assurer la paix et la sécurité le long de la

frontière commune», ce n’est pas accepter «le maintien ⎯ou la présence ⎯ de troupes

ougandaises en territoire congolais le long de la frontière commune». Le texte même du protocole

d’avril 1998 ne consigne donc au cune «formalisation» du consentement donné antérieurement par

les autorités congolaises à la présence de troupes ouga ndaises. Cela ne veut pas dire pour autant

que ce consentement informel avait disparu, mais tout simplement qu’il n’a jamais été formalisé.

19. Le consentement des autorités congolaises étant de tout temps demeuré informel, il

pouvait logiquement être retiré de manière tout aussi informelle. Et c’est exactement ce qu’a fait le

90Plaidoirie de M. Brownlie, mardi 19 avril 2005, CR 2005/8, p. 9-12, par. 9-20.
91
Ibid., p. 13, par. 22.
92Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 19. - 35 -

président Kabila dans sa déclaration du 27 juillet 1 998. Ici encore, nos contradicteurs semblent

éprouver quelques problèmes avec le sens ordinaire des termes de cette décl aration. Que seul le

Rwanda y soit expressément visé, et que l’Ou ganda n’y soit pas explicitement mentionné

change-t-il quoi que ce soit à la portée de la phrase par laquelle la déclaration se termine, et qui se

lit comme suit: «ceci marque la fin de la présence de toutes forces militaires étrangères au

Congo» 93? Les troupes ougandaises présentes au Congo à ce moment-là étaient-elles dans un tel

degré de symbiose avec leur nouvel environnement qu’elles ne s’identifiaient plus à des «forces

[armées] étrangères» ? Plutôt que de mettre l’accent sur de prétendus doutes qui auraient subsisté à

la suite de cette déclaration, l’Ouganda au rait pu expliquer davantage comment sa thèse selon

laquelle ses troupes étaient demeurées au Congo duran t le mois d’août 1998 avec le consentement

des autorités congolaises pouvait se réconcilier avec les diverses déclarations citées par le

94
professeur Corten dans sa plaidoirie du mercredi 13 avril . Toutes ces déclarations ont en effet

deux points communs : elles accusent systématique ment l’Ouganda d’agression, et datent du mois

d’août1998. M. Reichler a tenté de remettre en cause la portée de ces déclarations à l’égard de

95
l’Ouganda, essentiellement du fait qu’elles n’auraient été que rapportées par la presse . Mais cette

allégation est aussi inexacte que vaine. Elle est inexacte car les accusations d’agression en question

reposent sur des sources directes, notamment des documents de l’ONU. Elle est vaine car, en tout

état de cause, un document établi par le ministère des affaires étrangères ougandais montre que la

Partie adverse était parfaitement informée des accusations congolaises dè s le début du mois

d’août 1998. Le professeur Salmon y a fait référence ce matin. Permettez-moi maintenant de citer

l’extrait pertinent de ce document qui fait men tion des «allégations faites par la RDC [lors du

sommet de Victoria Falls, les 7 et 8 août 1998] selon lesquelles l’Ouganda et le Rwanda avaient

commis un acte d’agression contre cet Etat» 96.

20. Il paraît décidément bien difficile, de l’au tre côté de la barre, de se réconcilier avec le

sens ordinaire des termes. «Agresseurs» et «invités» sont pourtant, dans le sens courant, des mots

93
Mémoire du Congo, p. 60-61, par. 2.11.
94CR 2005/4, p. 13-14, par. 17.

95Plaidoirie de M. Reichler, mardi 19 avril 2005, CR 2005/8, p. 18, par. 5.

96Documents intitulé «Uganda’s position on issues of peace and security in the Great Lakes region»,
novembre1998, contre-mémoire de l’Ougand a, annexe 31, p. 4 («the allegation made by the DRC that Uganda and
Rwanda had committed aggression against the country»). - 36 -

qui sont plutôt rarement utilisés comme synonymes. La même remarque pourrait encore être faite à

propos des termes «forces non invitées» utilisés dans plusieurs résolutions du Conseil de sécurité,

termes sur lesquels l’Ouganda est resté étrangement silencieux à ce jour. En tout état de cause,

rappelons-le encore une fois, à supposer même ⎯ quod non ⎯ qu’un consentement ait encore été

avéré à cette date, il n’aurait pu couvrir qu’un st ationnement pacifique des troupes ougandaises au

Congo. Il ne pourrait en aucune façon exclur e l’illicéité des nombreuses actions hostiles menées

par ces troupes contre les Forces armées congolaises au cours des mois d’août et de

septembre 1998.

Comme on va le voir maintenant dans un de rnier temps, l’argument ougandais selon lequel

l’accord de Lusaka du 10 juillet 1999 consignera it un consentement du Congo à la présence de

troupes ougandaises en territoire congolais s’avère tout aussi infondé.

C. L’accord de Lusaka du 10 juillet 1999 ne consigne pas un consentement du Congo aux
opérations militaires menées par les troupes ougandaises

21. D’après l’argumentation développée par l’Ouganda, l’accord de Lusaka du

10juillet1999 donnerait, à compte r de cette date, un titre juridique à la présence des troupes

ougandaises en territoire congolais. Ceci s’expliquerait par le fait que l’accord de Lusaka serait un

97
«comprehensive system of public order» , qui lierait intimement le règlement du conflit

interétatique à celui de la guerre civile qui déchirait parallèlement le Congo depuis l’été 1998. Cet

argument, et la lecture de l’accord de Lusaka sur le quel il est fondé, s’avèrent en réalité totalement

intenables. Je voudrais ainsi préciser d’emblée, en réponse à la question de M. le juge Elaraby, que

la République démocratique du Congo estime que l’accord de Lusaka ne donne pas un titre

juridique à la présence militaire ougandaise en territoire congolais, même avant que la période de

centquatre-vingtjours initialement prévue pour le retrait de ces troupes se soit trouvé écoulée.

L’accord de Lusaka n’avait pas, et ne pouvait pas avoir pour objet de re ndre soudainement licite

une présence militaire jusque-là clairement illicite . On peut certainement admettre l’argument

selon lequel l’accord de Lusaka va au-delà d’un simple accord de cessez-le-feu. Mais cela ne

justifie nullement que cette dimension-là de l’ accord disparaisse du coup purement et simplement

97Plaidoiries de M. Reichler, vendredi 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 49, par. 85; mardi 19 avril 2005, CR 2005/8,

p. 20, par. 11. - 37 -

de toute analyse juridique de ce document. En réalité, c’est exclusivement le volet interne de cet

accord dont la portée dépasse celle d’un cessez-le-feu. C’est dans le cadre de ce volet interne, dont

la réalisation ne relève que des protagonistes congolai s, même si les autres parties sont invitées à y

98
apporter leur soutien , qu’est envisagé le processus de réc onciliation nationale, qui inclut entre

autres la mise sur pied d’une conférence nati onale, l’adoption d’une nouvelle constitution, ou

99
encore la création d’une nouvelle armée . Mais, à suivre l’argumentation ougandaise, le Congo

aurait consenti à la présence et au maintien des forc es étrangères qui avaient envahi son territoire

un an auparavant tant que ce processus de réconciliation nationale n’était pas arrivé à son terme, ou

100
tant que les groupes rebelles encore présents en territoire congolais n’avaient pas été éradiqués .

La proposition, on en conviendra, a de quoi surp rendre. Et surtout, elle revient à donner aux

clauses de l’accord de Lusaka un sens qui n’est absolument pas le leur.

22. En ce qui concerne les troupes étrangères alors présentes en territoire congolais, le but

expressément énoncé de l’accord de Lusaka était d’or ganiser les modalités de retrait, de départ de

ces troupes, et non les modalités de leur présence cont inue au Congo à l’avenir, en légalisant d’une

façon ou d’une autre cette présence. L’article III, se ction 12 de l’accord est on ne peut plus clair à

cet égard. Il énonce «The final withdrawal of all foreign forces from the national territory of the

DRC shall be carried out in accordance with the Calendar in Annex «B» and a withdrawal schedule

to be prepared by the UN, the OAU and the JMC.» 101 Il est bien question ici du retrait des forces

armées étrangères même si c'est en application d’un certain calendrier et non de leur maintien en

territoire congolais. Et c’est en vain que l’Ouganda cherche à tirer argument d’une autre

disposition de l’annexeA de l’accord, selon laquelle «All forces shall remain in the declared and

recorded locations until (a) in th e case of foreign forces withdrawal has started in accordance with

102
JMC/OAU, UN withdrawal scheme.» La Partie adverse met ici l’accent sur les termes

«demeurent sur leurs positions» pour en déduire une fois encore un consentement à la présence et

98
Article III, section 19 de l’accord et article 5.1 de l’annexe A.
99
Article 5.1 de l’annexe A.
100Plaidoirie de M. Reichler, mardi 19 avril 2005, CR 2005/8, p. 24, par. 23.

101Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 45.

102Art. 11.4, annexe A. - 38 -

103
au maintien de ses troupes en territoire congolais . Mais c’est là encore une lecture très partielle

du texte de cette disposition, délibérément déconnectée de son contexte. Le chapitre où elle figure

vise en effet à organiser le redéploiement des forces des différents protagonistes sur des positions

défensives dans les zones où ces forces sont en contact 10. Il s’agit tout simplement, dans une

optique qui est bien celle d’un cessez-le-feu, et non celle d’un «comprehensive system of public

order», d’éviter une reprise des hostilités entre les différentes forces armées en présence. C’est

clairement dans ce but là, et dans ce but là seulement, que ces forces sont contraintes ⎯ le texte de

l’article11.4 de l’annexe dit «all forces shall be restricted to the declared and recorded

locations» 105⎯ et non autorisées à rester sur certaines positions déterminées, dans l’attente de leur

retrait définitif. Une fois encore, la lectur e de l’accord de Lusaka que propose l’Ouganda se

réconcilie bien mal avec le sens ordinaire des termes de cet instrument, de même qu’avec sa

logique d’ensemble.

23. A titre de confirmation, une comparaison de l’accord de Lusaka avec l’accord de Luanda

de2002 montre bien que l’Ouganda tente de prêter au premier de ces instruments une portée qui

n’est nullement la sienne. Cette comparaison est d’autant plus parlante que l’accord de Luanda

contient à la fois des clauses relatives au retrait des troupes de l’UPDF selon un calendrier donné,

exactement comme dans l’accord de Lusaka, et une clause exprimant le consentement du Congo à

une présence militaire ougandaise limitée dans les montsRuwenzori dont on ne trouve par contre

aucun équivalant dans l’accord de Lusaka. La première de ces clauses est formulée dans des

termes très similaires à celle de l’accord de Lu saka relative au retrait des forces étrangères du

territoire congolais : «The G[overnment] O[f] U[ganda] commits itself to the continued withdrawal

106
of its forces from the DRC in accordance with the Implementation Plan … attached thereto.» Le

contraste entre cette disposition relative au retrait des forces étrangères, et celle qui, toujours dans

l’accord de Luanda, exprime le consentement du Congo au maintien d’unités de l’armée

ougandaise sur une partie de son territoire, est par ticulièrement frappant: «The Parties agree that

103Plaidoirie de M. Reichler, mardi 19 avril 2005, CR 2005/8, p. 24, par. 23.
104
«Chapter 11. Re-deployment of forces of the parties to defensive positions in conflict zones.»
105Les italiques sont de nous.

106Art. 1 , par. 1. - 39 -

the Ugandan troops shall remain on the slopes of MtRuwenzori until the Parties put in place

security mechanisms guaranteeing Uganda’s security, including training and c oordinated patrol of

the common border.» 107 On voit ainsi très clairement que les dispositions relatives au retrait des

forces armées du territoire congolais, même si ce retrait est échelonné dans le temps, ne peuvent en

aucune manière être présentées comme ayant le même sens et la même portée qu’une clause par

laquelle le Congo consent sans ambiguïté à la présence de ces troupes sur son territoire. A

l’évidence, l’une et l’autre de ces dispositions poursuivent des objectifs radicalement différents.

Or, je le répète, si l’accord de Lusaka contient be l et bien une disposition sur le retrait des troupes

étrangères, similaire à celle que l’on retrouve dans l’accord de Luanda, on cherchera en vain dans

l’accord de Lusaka de1999 une clause du même type que celle qui vient d’être citée, et qui

exprimerait clairement un consentement à la pr ésence et au maintien de troupes ougandaises en

territoire congolais. Le sens donné par l’Ouga nda à l’accord de Lusaka est donc manifestement

contredit par l’accord de Luanda.

24. Mais au-delà de ces arguments de texte, il existe des raisons plus fondamentales pour

lesquelles l’argumentation ougandaise sur ce point ne saurait être retenue. Si des instruments tels

que celui conclu à Lusaka le 10juillet1999 devaie nt être interprétés dans le sens suggéré par

l’Ouganda, il y a de très bonnes raisons de penser que les gouvernements en place dans les Etats

affectés par un conflit qui présente à la fois une dimension interne et externe se garderont

prudemment à l’avenir de signer tout accord de cessez-le-feu et de réconciliation nationale. Ils

risqueraient en effet, en acceptant de devenir parties à de tels accords, de se trouver encombrés

pour une durée indéterminée de prétendus «invités» étrangers bien envahissants, qui auraient réussi

à donner les apparences d’une présence acceptée à ce qui ne serait rien d’autre qu’une intrusion sur

le territoire et dans les affaires intérieures de l’ Etat concerné. On voit inévitablement apparaître là

le risque bien réel de la contrainte comme vice de consentement, et c’est pour l’ensemble de ces

raisons que l’argument ougandais selon lequel les autorités congolaises auraient exprimé leur

consentement à la présence des troupes de l’UPDF au Congo en devenant parties à l’accord de

Lusaka de 1999 ne saurait être retenu. Les plans de désengagement adoptés par la suite pour mettre

107 er
Art. 1 , par. 4. - 40 -

en Œuvre et adapter l’accord de Lusaka s’inscriv ent dans la même logique que ce dernier, et

l’adhésion du Congo à ces instruments ne manifeste donc pas plus l’expression d’un quelconque

consentement au maintien de troupes ougandaises en territoire congolais que la Partie adverse

tenterait de fonder sur ces accords.

25. A supposer même qu’un consentement puisse être déduit de l’accord de Lusaka ⎯ ce

que, je le répète, le Congo se refuse à envisager ⎯, il convient une nouvelle fois de rappeler qu’en

tout état de cause, pareil consentement jus tifierait seulement le st ationnement des troupes

ougandaises en territoire congolais, aux emplacements qui étaient les leurs à ce moment-là. Il ne

justifierait en rien les diverses actions hostil es menées par l’armée ougandaise en territoire

congolais après juillet 1999, en particulier à l’encontre des Forces armées congolaises. J’ai rappelé

plus tôt ce matin combien ces actions armées hostil es avaient encore été nombreuses après cette

date. Une fois encore, il est révélateur à cet égar d que la Partie adverse ne dise rien des limites du

consentement qui aurait prétendument été donné pa r les autorités congolaises dans l’accord de

Lusaka et qu’elle ne montre en rien que les acti ons de ses troupes en territoire congolais après le

10 juillet1999 seraient restées dans ces limites. Et il n’est sans doute pas inutile de rappeler à ce

stade que l’Ouganda ne pourrait tenter de justifier les actions militaires en cause sur une autre base,

celle déduite de prétendues violations préalables par la RDC de l’accord de Lusaka. La Cour a

clairement écarté la demande reconventionnelle présentée par l’Ouganda sur ce point à défaut de

lien de connexité avec les demandes principales du Congo. J’y reviendrai dans un instant. La

conséquence de cette décision est donc claire. L es questions relatives au respect ou au non-respect

de l’accord de Lusaka ne sont pas parties du pr ésent litige, et c’est en vain que l’Ouganda

chercherait à tirer argument de prétendues viola tions de cet accord pour justifier ses actions

militaires en territoire congolais après le 10 juillet 1999.

26. Mais il me reste encore un tout dernier point de discussion à aborder ce matin.

L’Ouganda prétend également qu’en plus d’expr imer un consentement du Congo à la présence des

troupes de l’UPDF, l’accord de Lusaka confirmerait la légitimité de l’action militaire entreprise par

l’Ouganda à partir du mois d’août1998. Les parties à l’accord, au premier rang desquelles la

République démocratique du Congo, auraient, en y adhérant, rec onnu la nécessité pour l’Ouganda - 41 -

de mener cette opération militaire en territoir e congolais au titre de la légitime défense 108. Il en

serait ainsi, d’une part, parce que l’accord reconnaît expressément les préoccupations de sécurité de

la République démocratique du Congo et des Etats voisins et, d’autre part, parce qu’il fait état de la

nécessité de mettre fin aux activités des groupes armés présents sur le territoire du Congo, les

activités de la majorité de ces groupes étant diri gées contre l’Ouganda. Ici encore, l’argument

manque totalement de fondement. L’accord de Lusaka ne se prononce absolument pas sur la

validité juridique ou la légitimité des revendications des différentes parties, qu’il s’agisse des Etats

signataires ou des deux mouvements rebelles congolais con cernés. Il ne le fait ni explicitement, ni

implicitement, comme semble le laisser entendre la Partie adverse. Dans l’ordonnance par laquelle

elle a écarté la demande reconventionnelle de l’Ouganda tendant à faire constater la responsabilité

de la République démocratique du Congo pour de prétendues viola tions de l’accord de Lusaka, la

Cour a très clairement indiqué que les questions traitées dans l’accord de Lusaka, «afférentes à des

modes de solution du conflit dans la région…concernent des faits de nature différente de ceux

dont se prévalent les demandes congolaises, qui on t trait aux actes dont l’Ouganda se serait rendu

responsable au cours de ce conflit » 109. Dès lors qu’il porte, selon l’analyse même qu’en a faite la

Cour, sur des questions de nature différente de celles relatives à l’établisseme nt de la responsabilité

des Etats, il est manifeste que l’accord de Lusaka ne peut certainement pas être considéré comme

reconnaissant le bien-fondé de l’argumentati on juridique développée par l’Ouganda en vue,

précisément, d’échapper à sa responsabilité internationale.

Pas plus, donc, qu’il ne permet de conforter la thèse ougandaise d’un prétendu consentement,

l’accord de Lusaka ne consacre-t-il une soi-disan t reconnaissance par le Congo du fait que l’action

armée menée par l’UPDF en territoire congolais depuis août 1998 était justifiée au titre de la

légitime défense.

27. En conclusion générale, il est donc manifest e que les justifications qu’a tenté d’apporter

l’Ouganda à son action armée contre le Congo ne r ésistent pas à l’examen. Le professeur Corten a

montré vendredi passé que les éléments de fait du dossier ne confortaient en rien la thèse de la

légitime défense. On vient de voir qu’il en alla it de même en droit, dès lors que les conditions

108
Plaidoirie de M. Reichler, mardi 19 avril 2005, CR 2005/, p. 24, par. 23.
109Ordonnance du 29 novembre 2001, C.I.J. Recueil 2001, p.680, par. 42. - 42 -

auxquelles l’exercice de la légitime défense est s oumis en droit international n’avaient nullement

été respectées en l’espèce, qu’il s’agisse de l’existence d’un acte initial d’agression, ou de

l’application des exigences de nécessité et de proportionnalité. Il n’en va pas autrement pour ce qui

est de l’existence d’un prétendu consentement des autorités congolaises à la présence de troupes

ougandaises. Ce consentement n’est nullement ét abli pour les périodes pertinentes, et à supposer

même qu’il puisse l’être, l’Ouganda n’a jamais expo sé les limites de ce consentement, ni montré

que les actes de ses forces armées étaient demeurés dans ces limites. En tout état de cause, il s’agit

donc là d’un argument dont la portée pratique serait extrêmement réduite. Il ressort ainsi de tous

ces éléments que la responsabilité in ternationale de l’Ouganda est clairement engagée en raison de

l’acte d’agression dont cet Etat s’est rendu coupable en envahissant le Congo à partir du mois

d’août 1998 et en y demeurant militairement jusqu’au début juin 2003.

Je remercie la Cour pour sa patience et son atte ntion, et la prie maintenant de bien vouloir

passer la parole à mon collègue, le professeur Olivier Corten, qui montrera que le statut de

l’Ouganda durant toute cette période était bien celui d’un Etat occupant.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Klein. I now give the floor to Professor Corten.

M. CORTEN : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le statut de l’Ouganda comme puissance occupante au sens du

droit international humanitaire

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, depuis le début de cette affaire,

la République démocratique du Congo a toujours insisté sur le statut de l’Ouganda comme

110
puissance occupante . L’occupation implique en effet que l’Ouganda peut être tenu pour

responsable de toute violation des règles du dr oit international humanitaire applicables aux

territoires occupés, qu’il s’agisse de la protection des personnes ou des biens et ressources du

Congo. Il est aussi important de rappeler que ce stat ut ne dépend pas de la licéité ou de l’illicéité

de la présence des troupes ougandaises en territoire occupé congolais. L’Ouganda est resté une

110Requête du 23 juin 1999, point IV b) des conclusions; mémoire du Congo, p. 47, par. 1.57; p. 169, par. 4.20;

p. 273, point 1 des conclusions; réplique du Congo, p. 98-100; voir aussi par. 5.05. - 43 -

puissance occupante au Congo, entre les mois d’août 1998 et de juin 2003 et ce, quelle que soit la

validité du titre juridique qu’il a pu invoquer pour justifier sa présence 111.

2. Les conséquences décisives attachées au statut de puissance occupante expliquent sans

112
doute pourquoi la Partie défenderesse s’est employée à remettre en cause ce statut . Deux

arguments ont à cet égard été réitérés lors du premier tour de plaidoiries. Selon le premier, le

nombre limité de soldats ou d’agents ougandais au Congo, conjugué au caractère strictement

localisé de leur présence, ne permettrait pas de qualifier l’Ouganda de puissance occupante. Selon

le second argument, ce n’est pas l’Ouganda mais des mouvements rebelles congolais qui auraient,

de facto, administré le nord et l’est du Congo. Ce s ont donc eux, et non l’Ouganda, qui devraient

être qualifiés d’occupants.

3. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, aucun de ces deux arguments ne

peut être retenu, comme je vous le montrerai dans le cadre de cette plaidoirie. D’ailleurs, et ce sera

l’objet de la troisième étape de cette plaidoirie, on peut se demander si l’Ouganda n’a finalement

pas acquiescé à son statut de puissance occupante.

I. Le caractère relativement limité et localisé de la présence ougandaise au Congo

ne remet pas en cause son statut de puissance occupante

4. Mais en premier lieu, tout d’abord, l’Ouga nda insiste sur le nombre limité de ses soldats

au Congo pendant cette période d’occupation. Ce nombre aurait été, au maximum, de

sept mille deux cents, selon la version du contre-mémoire 113, ou «aux environs de dix mille», selon

114
la version défendue dans les plaidoiries . L’Ouganda ajoute que la présence ougandaise était

limitée à des endroits stratégiques et strictement localisés, tels les aéroports du nord du Congo 115.

5. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi tout d’abord de

vous rappeler quelques faits. Dans leurs plaidoiri es orales, les représentants de l’Ouganda ont

111Plaidoirie de M. Salmon, 11 avril 2005, CR 2005/2, p. 50-55, par. 21-30.

112Plaidoirie de M. Suy, 20 avril 2005, CR 2005/9, p. 25-26, par. 40-41; plaidoirie de M. Brownlie, 20 avril 2005,
CR 2005/10, p. 17, par. 48; voir aussi duplique de l’Ouganda, p. 245-246, par. 525.

113Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 50, par. 63; les italiques sont de nous.
114
Plaidoirie de M. Reichler, 19 avril 2005, CR 2005/8, p. 31, par. 40. et p. 25, par. 26; p. 36, par. 50; dans un
sens légèrement différent, plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p48, par. 82; voir aussi duplique de
l’Ouganda, p. 75, par. 170.
115
Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 37, par. 58; voir aussi duplique de l’Ouganda,
p. 75-76, par. 170. - 44 -

rappelé que les soldats ougandais avaient pris le contrôle de villes parfois très éloignées de la

116
frontière commune . En consultant la carte qui se trouve projetée derrière moi, et que vous

trouverez dans votre dossier de juges sous la cote n o18, vous pouvez mesurer l’ampleur de

l’occupation ougandaise au vu de toutes les villes o ccupées, de Bunia et Beni, aux abords de la

frontière orientale, à Bururu ou Mobenzene, à l’extrême ouest du Congo. La limite méridionale de

la zone occupée passe au nord des villes de Mbandaka, à l’ouest, puis se prolonge vers l’est vers la

ville de Kisangani, pour rejoindre la frontière ougandaise entre les villes de Goma et de Butembo.

6. Pour bien comprendre l’effet de l’occupa tion de toutes ces villes, il n’est pas sans intérêt

de rappeler les caractéristiques topographiques de cette partie du Congo. Cette autre carte se trouve

o
dans votre dossier de juges, sous la cote n 36. Je vous prie de bien vouloir nous excuser pour sa

piètre qualité, mais elle montre bien une chose. Si on met à part l’extrême est, d’une part, et la

région de Gbadolite, d’autre part, l’ensemble de la zone est couverte d’une forêt dense et

luxuriante, parfois impénétrable. Un conse il de l’Ouganda a d’ailleurs insisté sur cette

caractéristique :

«Il était essentiel au succès du plan [ougandais] que les fo rces prennent le
contrôle de tous les aéroports entre la fr ontière ougandaise et Gbadolite … il n’y avait
pas d’autoroutes ni même de routes dans ce tte partie de la RDC. Les voyages se

faisaient à pied, à travers une forêt dense ou la jungle, ou alors par la voie aérienne.
Les approvisionnements ne pouvaient être assurés que par la voie aérienne. Le
contrôle des aéroports était une condition sine qua non pour réapprovisionner ou

renforcer les troupes progressant sur le terra in. C’était aussi essentiel pour empêcher
les forces ennemies de réapprovisionner ou renforcer leurs propres troupes…» 117

Selon le propre aveu de l’Ouganda, le contrôle des aéroports dans une région comme celle-là suffit

à empêcher les «forces ennemies», c’est-à-dire pr incipalement les autorités officielles de la

République démocratique du Congo, de l’administrer.

7. Il est difficile de ne pas conclure de t out cela que l’Ouganda a occupé la zone que vous

avez sous les yeux, et que vous trouverez dans votre dossier de juges, sous la cote n o3. Ici aussi,

l’occupation du Congo s’étend sur toute sa largeur, d’est en ouest, et descend jusqu’à une ligne

116Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 47, par. 80.

117 «It was critical to the success of the plan that Ugandan forces take control of all airfields between
the Ugandan border and Gbadolite…there were no highways or even roads in this part of the DRC.
Travel was by foot, through dense forest and jungle, or by air. Supplies could only be brought in by air.
Control of airfields was a sine qua non for resupplying or reinforcing troops marching across this terrain.
It was also essential in order to prevent enemy forces from resupplying or reinforcing their own troops…»
(Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 37, par. 58.) - 45 -

située au nord de l’axe Mbadanka , Kisangani et Goma. Etant donné les caractéristiques de la

région et la stratégie de l’Ouga nda telle qu’elle vous a été exposée par ses représentants, il ne fait

pas de doute que toute cette région a bien été placée «sous l’autorité d’une armée hostile» pour

118
reprendre les termes du règlement de La Haye qui définit l’occupation .

8. D’autant, Monsieur le président, que les autorités ougandaises ne se sont pas contentées de

contrôler les territoires occupés sur un plan militaire, en s’assurant la mainmise sur tous les points

stratégiques du nord et du nord-est du Congo. Elles ont aussi posé des actes d’administration dans

les territoires occupés. L’Ouganda a créé de t outes pièces la province de l’Ituri, dans l’est du

Congo, et y a nommé des administrateurs et même des gouverneurs 119. L’Ouganda a aussi

120
supervisé des élections dans l’ensem ble des territoires qu’il occupait . La Cour connaît bien ces

événements, qui ont été exposés dans la réplique 121. Mais je me permets de les rappeler à la Partie

ougandaise, qui reste obstinément silencieuse à leur sujet dans le cadre de ses plaidoiries.

9. Monsieur le président, Madame et Messi eurs de la Cour, dans ces circonstances, le

nombre exact de soldats de l’UPDF au Congo, qu’il ait été de septmille ou de dixmille, ou

probablement de plus encore, n’est pas un critère décisif.

10. Je voudrais à cet égard rappeler quelques éléments de l’histoire contemporaine du Congo

que je connais bien.

⎯ Entre 1887 et 1908, le roi Léopold II a créé, puis administré l’«Etat indépendant du Congo»

d’une main de fer. Le contrôle de l’ensemb le du territoire a pourtant, selon les estimations, été

assuré par 648 officiers et 1612 sous-officiers, soit 2260 hommes au total 122.

⎯ Le Congo est, ensuite, devenu une colonie de la Be lgique. En 1948, le budget ordinaire de la

123
colonie prévoit des crédits pour 15 702 gradés et soldats alors présents au Congo .

118Plaidoirie de M. Salmon, 11 avril 2005, CR 2005/2, p. 50, par. 22.

119Plaidoirie de M. Klein, 13 avril 2005, CR 2005/4, p. 24-25, par. 10-11.

120Voir le compterendu du journal progouvernemental ougandais New Vision, 28 janvier 2000; réplique du
Congo, annexe 12.

121Ibid., p. 99-101, par. 2.81-2.85.
122
De Boeck, G., Les révoltes de la force publique sous Leopold II, Congo 1895-1908, Anvers, éd. EPO, 1987,
p. 52 et annexe, p. 505.
123 o
Jolimont, P., «Naissance de la Force Publique 1888», Bulletin militaire, n 32, état-major de la force publique,
novembre 1948, p. 635. - 46 -

11. Comment expliquer que cet immense territoire ⎯tout le territoire du Congo, donc, et

pas seulement ses parties nord et nord-est ⎯, ait pu être contrôlé et administré avec un contingent

si limité ? D’abord, en raison des particularités t opographiques de la région, que j’ai déjà décrites.

Ensuite, grâce à la coopération de cadres et soldats congolais recrutés par la force coloniale, de la

même manière que l’Ouganda a pu compter sur d es forces auxiliaires locales, comme je vais vous

l’exposer dans la deuxième partie de cette plaidoirie.

II. La présence d’administrations locales qui lui étaient subordonnées ne remet
pas en cause le statut de puissance occupante de l’Ouganda

12. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, l’Ouganda admet avoir fourni

une assistance au Mouvement de libération du Congo, au Rassemblement pour le Congo

démocratique, et à d’autres mouve ments rebelles, non seulement sur le plan politique, mais aussi

sur le plan militaire, par la formation de sold ats, par la fourniture d’armes et même par

l’engagement en commun dans des combats de l’UPDF et de l’Armée de libération du Congo

(ALC), la branche armée du MLC 124. D’un autre côté, nos contradict eurs insistent sur le fait qu’il

ne se serait agi que d’une «assistance limitée» ⎯ce sont leurs termes ⎯ à des forces

antigouvernementales 12. Assistance limitée dans le temps, d’abord, puisqu’elle n’aurait, sur le

126
plan militaire à tout le moins, commencé qu’en mars1999 . Assistance limitée sur le plan

qualitatif, ensuite, puisque cet appui n’aurait été accordé qu’occasionnellement, et dans le seul but

127
d’assurer la défense de l’Ouganda .

13. Quant au premier volet de cette argumentation ougandaise, il est nécessaire à ce stade de

citer encore les propos du général Kazini, selon l esquels, le 7 août 1998, «nous [c’est-à-dire les

forces armées ougandaises] avons décidé de lancer une offensive conjointe avec les rebelles, une

124
Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, 54, par. 98; duplique de l’Ouganda, p. 80, par. 180,
p. 81, par. 182.
125
Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 54, par. 98; duplique de l’Ouganda, p. 82, par. 185.
126Ibid., p. 83, par. 187 et 189 et plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 54, par. 98.

127Ibid. - 47 -

128
opération spéciale que nous avons désignée sous le nom de code «de Safe Haven» . C’est donc le

7 août 1998 qu’une «offensive conjointe» a été menée par l’UPDF et les forces rebelles

congolaises. C’est dès ce moment que l’Ouganda a contrôlé le RCD même si, en effet, ce n’est que

plus tard qu’il a préféré créer de toutes pièces le MLC, dans des circonstances qui ont été racontées

129
par le dirigeant de ce mouvement dans un livre publié en 2001 .

14. Il suffit d’ailleurs de lire attentivemen t cet ouvrage pour mesurer l’ampleur de la

modestie ougandaise dans cet aspect particulier du dossier. En r éalité, il apparaît que le MLC n’a

pu être créé, être appuyé par une armée ⎯l’Armée de libération du Congo (ALC) ⎯, conquérir

des villes et administrer des territoires, que grâce au soutien de l’Ouganda 130. Ce n’est que lorsque

les instructeurs ougandais ont fini de former une armée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes

que l’UPDF a envisagé de réduire ses troupes sur le terrain. Mais cela n’empêchait pas ces troupes

de se réserver la possibilité de revenir, et surtout de continuer
à donner leurs ordres par le biais des

131
forces auxiliaires locales . Cette mainmise des autorités ougandaises sur les mouvements rebelles

ne s’est d’ailleurs pas limitée au domaine milit aire. Elle s’est aussi étendue au domaine

économique, un point sur lequel le professeur Sands reviendra cet après-midi 132. En tout état de

cause, il est clair que la situation correspond pa rfaitement aux exigences du droit international;

pour qu’il y ait occupation ⎯je cite une source de référe nce déjà évoquée par le professeur

Salmon lors du premier tour ⎯ «il suffit que la force occupante puisse, dans un délai raisonnable,

133
envoyer des troupes pour faire sentir son autorité dans le district occupé» .

128
«Lead Counsel : So you can briefly explain to the commission what «Operation Safe Haven» was
about. Brigadier J. Kazini : «Safe Haven». This was now an operation… The operation was code-named
«Safe Haven» because there was a need to change in the operational plan. Remember, the earliest plan
was to jointly ⎯ both governments ⎯ to jointly deal with the rebels along the border; that was now the
UPDF and the FAC. But now there was a mutiny, the rebels were taking control of those areas. So we
decided to launch an offensive together with the re bels, a special operation we code-named Safe Haven»;
CW/01/03 24/07/01, p. 129.

129Jean-Pierre Bemba, Le choix de la liberté , Gbadolite, éd. Vénus, 2001. Voir réplique du Congo, p.115-124,
par. 2.109-2.128.

130Plaidoirie de M. Tshibangu Kalala, 11 avril 2005, CR 2005/2, p. 35-36, par. 56-57; p. 37-40, par. 60-72.

131Voir les propos de Jean-Pierre Memba reproduit dans réplique du Congo, p. 118, par. 2.114.
132
Voir aussi réplique du Congo, p.100-101, par. 2.84, et en particulier les citations de l’ouvrage de
Jean-Pierre Bemba précité.
133
United States Army Field Manual in Whiteman, Digest of International Law , vol. 10, p. 541; plaidoirie de
M. Salmon, 11 avril 2005, CR 2005/2, p. 50-53, par. 22-26. - 48 -

15. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, pour échapper aux

conséquences de ses actes, l’Ouganda a fortem ent insisté sur la conclusion des accords de

cessez-le-feu de Lusaka et sur les accords qui les ont suivis. Selon l’Etat défendeur, ces accords

légitimaient les mouvements re belles comme administrateurs de facto , et reconnaissaient leur

contrôle sur les territoires occupés. Nos cont radicteurs ont insisté sur une carte qui présente

134
comme «zone 1» (area 1) la partie nord et nord-est du Congo . Vous voyez cette carte projetée

derrière moi. Cette carte, ainsi que l’ensemble de l’accord dont elle est issue, est reproduite dans

votre dossier de juges, sous la cote n°41. Et je vous invite à consu lter directement le texte

reproduit aux pages indiquées dans ce document comme les pages3 et4. Selon la Partie

ougandaise, comme le MLC est désigné comme ad ministrateur de cette zone1, l’Ouganda

lui-même ne pourrait pas être considéré comme puissance occupante. Pourtant, comme vous le

voyez maintenant, selon le texte de cet accord, la z one1, qui reflète la situation des forces sur le

135
terrain au 18novembre2000, est pourtant bel et bien celle du «MLC and UPDF» (MLC et

UPDF); pas donc, du MLC seul, comme l’a la issé entendre un conseil de l’Ouganda 136. Cela

signifie que l’UPDF peut être considéré comme ayant controlé l’ensemble de la zone1 jusqu’à

l’extrême ouest du territoire de la République dé mocratique du Congo. Il est intéressant de

constater que les positions géographiques du MLC et de l’UPDF sont traitées donc de manière

conjointe par cet accord. Bref, ce plan confirme que l’UPDF était une puissance occupante de la

zone ⎯de toute la zone ⎯ même si c’était en partie par l’ intermédiaire du MLC. Quant à la

prétendue légitimité qui sera it reconnue aux mouvements rebelles dans les accords de

cessez-le-feu, on voit mal ce qu’elle peut entraîner pour la question qui nous concerne. Car la seule

question qui importe à ce stade est de se demander si l’Ouganda contrôlait, dans les faits, le nord et

le nord-est du Congo. Que ce contrôle se fasse directement ou par l’intermédiaire de forces

subordonnées n’entraîne aucune conséquence juridique décisive.

134
Contre-mémoire de l’Ouganda, anne xe 79; voir plaidoirie de M.Reic hler, 19avril2005, CR 2005/8, p.30,
par. 37.
135
Ibid.
136Plaidoirie de M. Reichler, 19 avril 2005, CR 2005/8, p. 30, par. 37 et 38. - 49 -

16. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la doctrine mentionne parmi les

différentes catégories d’occupation celle d’une occupation par le biais d’un gouvernement local 137.

De nombreux précédents sont cités :

⎯ l’occupation du Cambodge par le Vietnam par l’ intermédiaire d’un gouvernement cambodgien

local 13;

139
⎯ l’occupation du Sud-Liban par Israël par l’intermédiaire d’une force libanaise locale ;

⎯ l’occupation du nord de Chypre par la Turqui e par l’intermédiaire d’une administration

chypriote locale ou, exemple plus ancien 140;

⎯ l’occupation de plusieurs pays d’Europe par l’Allemagne nazie, pendant la deuxième guerre

mondiale, avec des effectifs souvent très limités ⎯quelques centaines de fonctionnaires pour

toute la Belgique et le nord de la France, par exemple 141.

17. L’Ouganda ne peut décidément se conten ter de se retrancher derrière le fait que les

territoires occupés étaient en partie administré s par des groupes qu’il contrôlait. Dans les

circonstances de l’espèce, il ne fait aucun doute que l’Ouganda peut être qualifié de puissance

occupante au regard du droit international human itaire existant. C’est sans doute ce qui explique,

et j’en arrive ainsi au troisième et dernier te mps de mon raisonnement, que l’Ouganda semble en

fin de compte avoir acquiescé au statut de puissance occupante.

III. Le comportement de l’Ouganda montre qu’il a acquiescé à sa qualification
de puissance occupante

18. Monsieur le président, Madame et Me ssieurs de la Cour, dès l’adoption de sa

résolution 1234, le 9 avril 1999, le Conseil de sécurité a demandé à «toutes les parties en

République démocratique du Congo» de respecte r «les dispositions des conventions de Genève

137Adam Roberts, «What is military occupation ?», BYIL, 1984, p. 284; les italiques sont de nous.

138Voir notamment les résolutions 35/6 de l’Assemblée générale des Na tions Unies du 22 octobre 1980, 36/5 du
21 octobre 1981 et 37/6 du 28 octobre 1982.

139Voir notamment la résolution 35/122A de l’Assemblée générale des Nations Unies du 11 décembre 1980.
140
Voir notamment les résolutions 33/15 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 9 novembre 1978, 34/30
du 20 novembre 1979 et 37/253 du 13 mai 1983.
141
J.Gerard-Libois et J. Gotovitch, L’an 40. La Belgique occupée. , CRISP, Bruxelles, 1971, p.132-140;
Louveaux, C.L., «La magistrature da ns la tourmente des années 1940-1944», Revue de droit pénal et de criminologie,
1981, t. II, p. 663. - 50 -

142
de 1949» . Dans sa résolution 1341 du 22 février 2001, le Conseil de sécurité, après avoir exigé

143
que les forces ougandaises se retirent du territoire de la République démocratique du Congo ,

«Rappà elle toutes les parties les obligations que leur impose, quant à la
sécurité des populations civiles, la quatri ème convention de Genève relative à la
protection des personnes civiles en temps de guerre, en date du 12août1949, et

souligne que les forces occupantes devront être tenues responsables des violations des
droits de l’homme commises dans le territoire qu’elles contrôlent.» 144

19. Il résulte clairement de cette résolution que l’Ouganda, en tant que partie au conflit, a été

considéré par le Conseil de sécurité comme une puissance occupante au sens du droit international

humanitaire. A la connaissance du Congo, l’Ouga nda n’a jamais émis la moindre objection ou

réserve à l’encontre de cette résolution.

20. L’Ouganda n’a par exemple jamais prét endu qu’il ne pouvait êt re qualifié de force

occupante au sens de la résolution1341/2001 parc e que son armée, comme il le dit aujourd’hui,

n’occupait que quelques localités ou aéroports sans contrôler aucune zone. Au contraire,

l’Ouganda a conclu divers accords qui confirment qu’il n’a pas remis en cause son statut de

puissance occupante :

⎯ l’accord de Syrte du 18 avril 1999 évoque le retrait de l’UPDF des «zones où se trouvent des

contingents ougandais…» 145;

⎯ dans l’accord de cessez-le-feu de Lusaka, les Etats parties se déclarent «déterminées à assurer

le respect … des conventions de Genève de 1949» 146. Ces mêmes parties évoquent ensuite les

147
«territoires sous leur contrôle» ;

⎯ dans le plan de désengagement de Harare, nous avons vu qu’il existait une «zone 1», contrôlée

par l’UPDF et son allié, le MLC;

⎯ enfin, dans l’accord de Luanda du 6 septembre 2002, on évoque, dans l’artic le 2, paragraphe 3

148
les «territoires actuellement sous contrôle de l’Ouganda» .

142S/RES/1234, 9 avril 1999, par. 6.
143
S/RES/1341, 22 février 2001, par. 2.
144
S/RES/1341, 22 février 2001, par. 14; les italiques sont de nous.
145
Mémoire du Congo, annexe 65.
146Préambule, cinquième considérant; texte dans mémoire du Congo, annexe 31.

147Point 22 de l’accord, texte dans mémoire du Congo, annexe 31.
148
Art. 2, par. 3 de l’accord, duplique de l’Ouganda, annexe 84. - 51 -

21. Comme vous le voyez, ces accords évoquent bel et bien des zones ou des territoires sous

le contrôle de l’Ouganda, et pas seulement des localités ni encore moins des aérodromes.

L’Ouganda ne peut pas, tout en ayant accepté ces textes, prétendre aujourd’hui n’avoir jamais

contrôlé une partie du territoire congolais.

22. Dans le même sens, il faut rappeler que, lors du premier tour de plaidoiries, mon collègue

le professeurKlein a cité une lettre adressée par le représentant spécial du Secrétaire général des

Nations Unies, le 2 février 2002, au ministre ougand ais de la défense. Dans cette lettre, que vous

trouvez dans votre dossier de juges, cote n° 29, les troupes de l’UPDF étaient expressément

qualifiées de «forces occupantes» 149, ce qui justifiait qu’elles devaient prendre toutes les mesures

150
nécessaires «pour assurer la sécurité dans le nord-est de la République démocratique du Congo» .

Dans sa réponse datée du 5février2002, le ministre de la défense de l’Ouganda est loin d’avoir

151
contesté cette qualification, pourtant très claire, de puissance occupante . M.Mbabazi,

aujourd’hui conseil et avocat de l’Ouganda dans le cadre de la présente instance, ne formule aucune

objection ni réserve, et semble au contraire très clairement accepter les obligations de l’Ouganda en

tant que puissance occupante. Vous trouverez le texte complet de cette lettre comme annexe 76 de

la duplique ougandaise.

23. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’acquiescement peut être défini

en droit international comme ⎯ je cite une source de référence ⎯ le «consentement prêté à un

152
Etat, en raison de sa conduite (active ou passive) en présence d’une situation donnée» . Dans

notre cas, il est clair que la conduite de l’Ougand a peut être interprétée comme un acquiescement à

son statut de puissance occupante. Non seulement l’Ouganda n’a-t-il pas contesté lorsque ce statut

a été établi dans divers textes portés à sa connaissance (conduite passive), mais encore a-t-il conclu

plusieurs accords qui contiennent une reconnais sance claire de ce statut (conduite active).

Finalement, on peut donc considérer que l’Ouganda lui-même a acquiescé à son statut de puissance

occupante.

149
Plaidoirie de M.Klein, 13 avril 2005, CR 2005/4, p. 27, par. 16, citant le document n°1 des documents
présentés par la RDC aux fins de la procédure orale, janvier 2005, par. 6.
150
Ibid.
151Duplique de l’Ouganda, annexe 76.

152Jean Salmon, éd., Dictionnaire de droit international public , Bruxelles, Bruylant/AUF, 2001, voir
acquiescement, p. 21. - 52 -

24. Monsieur le président, je ne voudrais pa s terminer cet exposé sa ns donner déjà quelques

éléments de réponse à la question posée par le juge Kooijmans vendredi dernier. Les territoires

occupés par l’Ouganda ont eu une ampleur variable en fonction de l’évolution du conflit. Lors de

la phase de l’avancée des troupes de l’UPDF, la zone a d’abord couvert la province orientale et une

partie de celle du Nord-Kivu. Dans le courant de l’année 1999, elle s’est étendue jusqu’à couvrir

aussi une très grande partie de la province de l’Equateur. L’Ouganda a ensuite maintenu son

contrôle sur cette zone par l’intermédiaire des forces rebelles qui travaillaient sous son égide et

sous son autorité, même lorsqu’il a retiré une partie de son armée. J’ai projeté plus haut plusieurs

cartes détaillant quelque peu la z one maximale d’occupation. Revoi ci l’une d’entre elles. Une

détermination plus précise, à la fois dans le te mps et sur le plan géographique, sera déterminée

ultérieurement par la République démocratique du Congo à l’aide de croquis, dans le respect du

calendrier établi par la Cour.

25. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, je vous remercie de votre

attention, et vous prie de passer la parole à M eTshibangu Kalala, qui va entamer l’examen de l’une

des conséquences de l’occupation par l’Ouganda: l es violations des droits de l’homme dans les

territoires occupés.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Corten. I now give the floor to Mr. Kalala.

M. KALALA :

Les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire
commises par l’Ouganda

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, la RDC a écouté attentivement les

153
réponses apportées au nom de l’Ouganda par le professeur Brownlie concernant les preuves de

violations des droits de l’homme et du droit in ternational humanitaire exposées dans les écritures

du Congo et dans les plaidoiries orales du 13 avril dernier, présentées par les professeurs

PierreKlein, Olivier Corten, ainsi que par moi-même 154. En exécution d’une stratégie judiciaire,

pour le moins surprenante, l’Ouganda s’est abste nu de réfuter de manière précise les différents cas

153
Plaidoirie de M. Brownlie, 20 avril 2005, CR 2005/10, p. 8 et suiv.
154CR 2005/4, 13 avril 2005. - 53 -

de violations des droits de la personne mentionnés dans les plaidoiries orales congolaises et fondés

sur des sources variées et concordantes. A la place, M.Brownlie a choisi de passer son temps à

remettre en cause le bien-fondé de certaines allégations reprises dans la requête du Congo, déposée

155 156
en1999, alors même que le Congo avait, dans son mémoire et dans sa réplique , indiqué

clairement qu’il renonçait à engager la responsabilité inter
nationale de l’Ouganda pour certains

faits mentionnés dans sa requête. En d’autres termes, l’Etat défendeur a préféré critiquer les faits

auxquels la RDC avait déjà renoncé au lieu de répondre aux faits que le Congo continuait à

maintenir à sa charge. De ce fait, l’Ouganda a une nouvelle fois choisi, dans ses plaidoiries orales,

de ne pas contribuer à faire avancer le débat judiciaire.

2. Dans sa plaidoirie, M. Brownlie a concen tré ses objections à l’encontre des éléments

attestant la responsabilité de l’Ouga nda dans de graves atteintes aux droits de l’homme et au droit

international humanitaire en RDC, en se plaçant excl usivement sur le plan de la procédure et des

règles en matière de preuve. Il a développé à cet égard trois catégories d’arguments.

3. Premièrement, l’Ouganda a soulevé deux t ypes d’objections de caractère préliminaire.

D’une part, il a prétendu que l’argumentation de la RDC relative aux violations des droits de

l’homme se caractériserait par une «discontinuité» («discontinuity»), consistant à formuler de

nouvelles allégations de violations des droits de l’homme aux stades successifs de la procédure et à

157
présenter de «nouvelles demandes» («a new case») . D’autre part, l’Ouganda a indiqué que la

Cour ne pouvait se prononcer sur les atteintes aux droits de l’homme survenues lors des combats

menés à Kisangani entre ses troupes et celles du Rwanda, en l’absence de ce dernier Etat à la

158
présente instance .

4. Deuxièmement, l’Ouganda persiste à mettre en cause, de manière très générale, la fiabilité

des sources établissant la responsabilité de l’UPDF dans les violations du droit international

humanitaire et des droits de l’homme 159.

155Mémoire du Congo, par. 5.
156
Réplique du Congo, par. 2.05.
157
Plaidoirie de M. Brownlie, 20 avril 2005, CR/2005/10, p. 15, par. 37-38; p. 16, par. 43-44.
158Ibid., p. 22, par. 67 et 68.

159Ibid., p. 16, par. 39-42. - 54 -

5. Troisièmement, l’Ouganda décline toute responsabilité concernant les manquements à

l’obligation de diligence due, impli quant la prévention et la répression des atteintes aux droits de

l’homme commises dans les zones sous son contrô le, pour la simple raison qu’il ne serait pas une

160
puissance occupante en RDC . D’une manière générale, l’Ouga nda estime que les faits qui lui

sont reprochés, pour les actions ou les omissions de son armée en Ituri, seraient dénués de tout

161
fondement puisqu’il a joué un rôle de pacificateur dans cette région .

6. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, je m’attacherai dans cette

plaidoirie à montrer que tous les arguments avan cés par l’Ouganda sont totalement dénués de

fondement. Dans une première partie, j’établirai que les éléments de preuve présentés par la RDC

aux différentes phases de la procédure, y compris la phase orale, s’inscrivent pleinement dans le

cadre de sa demande initiale, telle qu’elle est form ulée dans sa requête, et ne constituent en aucun

cas un «new case». Dans une deuxième partie, que j’ aborderai cet après-midi, je montrerai que la

réalité de nombreuses violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire

attribuables aux forces ougandaises est prouvée par d es sources crédibles, variées et concordantes

au-delà de tout doute raisonnable. Dans une troisi ème partie, j’expliquerai que les allégations de

l’Ouganda selon lesquelles la République démocr atique du Congo et l’ONU auraient reconnu le

rôle pacificateur de l’UPDF dans la région de l’Ituri sont dépourvues de tout fondement, et qu’au

contraire, l’action de l’Ouganda a consisté à attiser les conflits dans cette région, en violation de

son obligation de vigilance.

I. Les objections préliminaires soulevées par l’Ouganda doivent être rejetées

7. Dans la première partie de cette pl aidoirie, Monsieur le président, j’aborderai

successivement les deux arguments préliminaires soulevés par l’Ouganda dans ses plaidoiries

orales.

160
Plaidoirie de M. Brownlie, 20 avril 2005, CR/2005/10, p. 15, par. 39.
161Ibid., p. 17, par. 47 et suiv. - 55 -

A. Les éléments présentés par la RDC aux différentes phases de la procédure afin d’apporter

la preuve des violations des droits de l’homme par l’Ouganda s’inscrivent pleinement dans
le cadre de sa demande initiale, telle qu’elle est formulée dans sa requête

8. Dans sa plaidoirie du 20 avril dernier, M. Brownlie reproche au Congo d’avoir présenté,

aux différentes phases de la procédure écrite, puis lors de la phase orale, des «demandes nouvelles»

concernant les violations des droits de l’homme, qui se distingueraient de sa demande initiale

162
figurant dans la requête introductive d’instance . En ce qui concerne la présente phase orale,

l’argument ougandais se base sur le fait que les plaidoiries de la RDC porteraient exclusivement sur

les cas de violations des droits de la personne en Ituri, auxquels il n’aurait pas été clairement fait

référence dans les écritures.

9. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, l’argument soulevé par l’Ouganda

manque de tout fondement et de toute portée, comme je vais vous l’expliquer maintenant.

10. Il faut d’emblée souligner le fait que l’Ouganda n’a identifié dans sa plaidoirie orale

aucune conséquence juridique particulière découlant de son analy se, de telle sorte que celle-ci

apparaît purement gratuite. Mais il semble que la Partie adverse tente néanmoins de faire de cet

argument une sorte d’exception d’irrecevabilité, lorsqu’ elle conclut que la RDC ne devrait pas être

autorisée à «tirer avantage de la méthode excentri que et inadéquate de plaidoirie et de preuve

163
qu’elle a adoptée» . Monsieur le président, l’argument soulevé par l’Ouganda appelle une

sérieuse mise au point. La RDC aurait, et de lo in, préféré que le dossier relatif aux droits de

l’homme reste en l’état où il se trouvait au moment de sa requête en 1999, ou de son mémoire, ou

de sa réplique. La RDC aurait, et de loin, pr éféré ne pas avoir à produire ce que M. Brownlie

appelle «a new case». Il ne s’agit pas, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges,

d’une nouvelle demande de la RDC devant la Cour. Il s’agit plutôt de nouvelles violations, ou de

nouveaux éléments de preuve des violations des dro its de la personne comm ises par l’Ouganda et

qui sont venus gonfler le même dossier existant à charge de la Partie adverse. Dans ces conditions,

l’apparente «discontinuité», pour reprendre les termes de M. Brownlie, avec laquelle la RDC a

présenté, au cours des différentes phases de la pro cédure, son argumentation relative aux droits de

l’homme n’est, en réalité, que le résultat de la «continuité» avec laquelle les troupes de l’UPDF ont

162
Ibid., p. 15, par. 37-38, p. 16, par. 43-44.
163Ibid., par. 68 et suiv. - 56 -

persisté dans leurs violations des droits de la personne dans les régions de la RDC qu’elles

occupaient. A ce sujet, la jurisprudence de la Cour admet que l’on fasse référence, jusqu’à la

clôture de la phase orale de la procédure, à des faits intervenus après la requête, qui s’inscrivent

dans le cadre des demandes initiales 16.

11. Je dois rappeler que la requête introduite par la RDC en juin 1999 entend faire juger par

la Cour que,

«l’Ouganda viole continuellement les c onventions de Genève de 1949 et leurs
protocoles additionnels de 1977, bafouant ainsi les règles élémentaires du droit

international humanitaire dans les zones de conflits, se rendant également coupable de
violations massives des droits de l’homme au mépris du droit coutumier le plus
élémentaire» 165.

La requête indique clairement que sont visées le s «violations successives des droits de l’homme

perpétrées par la République ougandaise depuis le 2 août 1998», tout en précisant que les faits qui y

sont mentionnés le sont «à titre d’exemple» et «n e sauraient être exhaustifs». Par ailleurs, la

requête réserve le droit de la RDC de «préciser et compléter la présente demande en cours

d’instance». Les nouveaux documents, et les nouvea ux cas de violations des droits de l’homme

soumis par la RDC aux différentes phases de la procédure, en ce compris ceux concernant les

événements en Ituri, s’inscrivent ainsi pleinement dans le cadre de la demande telle qu’elle a été

formulée dans la requête introductive d’instan ce. Tous ces cas et documents concernent des

violations continues des droits de l’homme comm ises depuis août 1998, par l’Ouganda, dans les

zones de conflit en RDC.

12. Contrairement aux alléga tions de la Partie ougandaise 16, la RDC n’a jamais limité, au

cours de la présente phase orale, les violations d es droits de l’homme reprochées à l’Ouganda à la

seule situation en Ituri. Ce point avait été pourtant clairement précisé par le professeur Klein :

«Il convient toutefois de préciser, à ce stade de l’argumentation, que la situation
de l’Ituri ne sera évoquée ici qu’à titre d’exemple des manquements de l’Ouganda à

ses obligations de puissance occupante, en pa rticulier dans le domaine des droits
fondamentaux de la personne. Les conclusions qui seront atteintes en l’espèce

164
Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et cocelui-ci, arrêt, C.I.J. Recueil 1986,
p. 39, par. 58.
165Requête introductive d’instance, enregistré e au Greffe de la Cour le 23 juin 19Activités armées sur le

territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda).
166Plaidoirie de M. Brownlie, 20 avril 2005, CR 2005/10, p. 16-17, par. 44-46. - 57 -

peuvent évidemment trouver à s’appliquer aux autres régions du Congo sur lesquelles 167
l’Ouganda a exercé son contrôle et a pareillement manqué à ses obligations.»

Dans ces conditions, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, on ne peut que

s’étonner du fait que l’Ouganda donne l’impression de ne pas avoir perçu la portée purement

illustrative du cas de l’Ituri présenté par la RDC dans ses plaidoiries orales, et le fait qu’il s’inscrive

pleinement dans le cadre de la requête déposée par la RDC en 1999.

B. L’absence de problèmes de compétence concern ant la partie de la demande relative aux
événements de Kisangani

13. Monsieur le président, Madame, Messieurs le s juges, j’en arrive maintenant à l’examen

de la seconde objection préliminaire soulevée par la Partie adverse. Si la compétence de la Cour

est clairement établie en l’espèce, à l’égard de l’ensemble du litige qui lui est soumis, l’Etat

défendeur s’efforce toutefois de faire échapper à cette compétence la question des événements qui

sont survenus à Kisangani en 1999 et en 2000. Dans l’espoir de se soustraire à la responsabilité

que les comportements illicites de ses forces armé es à Kisangani ont fait naître dans son chef,

l’Ouganda soutient que l’absence du Rwanda à l’ instance s’oppose à ce que la Cour se prononce

sur ces événements. Il est regrettable que l’Ouganda se soit contenté, lors de ses plaidoiries orales,

168
de renvoyer la Cour simplement à ses écritures sur ce point . Pour sa part, la RDC prendra la

peine d’exposer oralement les arguments juridiqu es montrant qu’il n’existe aucune raison pour

dénier à la Cour la compétence de se prononcer sur la responsabilité de l’Ouganda pour les

événements de Kisangani.

14. Tout d’abord, je voudrais rappeler à la Cour respectueusement l’objet précis de la

demande congolaise en relation avec les faits surve nus à Kisangani. L’objet de la demande de

laRDC consiste exclusivement à faire reconnaître la responsabilité de l’ Ouganda seul pour le

recours à la force opéré par ses forces armées en territoire congolais, à trois reprises, dans et autour

de Kisangani, ainsi que pour les graves violations de normes essentielles du droit international

169
humanitaire commises à ces occasions .

167
Plaidoirie de M. Klein, 13 avril 2005, CR 2005/4, p. 23, par. 8.
168Plaidoirie de M. Brownlie, 20 avril 2005, CR 2005/10, p. 22, par. 67.

169Demande en indication de mesures conservatoires formulée par la République démocratique du Congo en
juin 1999, C.I.J. Recueil 2000, p. 115, par. 13; réplique du Congo, p. 320-322, par. 5.14-5.17. - 58 -

15. L’absence du Rwanda à la présente instance est totalement indifférente et ne saurait

empêcher la Cour de se prononcer sur la question de la responsabilité de l’Ouganda. La Cour n’a

nullement besoin de se prononcer sur la situation juridique du Rwanda pour prendre sa décision sur

les griefs formulés par le Congo contre l’Ougand a à propos des événements de Kisangani. Ces

événements peuvent être jugés en faisant totaleme nt abstraction de la question de savoir qui du

Rwanda, qui de l’Ouganda doit être tenu pour responsable du déclenchement des hostilités ayant

mené aux divers affrontements dans et autour de Kisangani. Monsieur le président, aucun

argument tiré de l’absence d’un Etat tiers pr étendument «indispensable» ne saurait donc faire

obstacle à l’exercice, par la Cour, de sa compétence à l’égard de cet aspect du différend dont elle

est aujourd’hui saisie. Comme la Cour l’a rappelé dans l’affaire Nauru, rien ne s’oppose à ce

qu’elle exerce sa compétence à l’égard d’un Etat défendeur, même en l’absence d’autres Etats

impliqués dans la requête. En l’espèce, la Cour avait considéré que les intérêts de deux Etats

absents à l’instance «ne co nstitu[ai]ent pas l’objet même de la décision à rendre sur le fond de la

requête de Nauru» et que «la dé termination de la responsabilité de la Nouvelle-Zélande ou du

Royaume-Uni n’[était] pas une condition préalable à la détermination de la responsabilité de

l’Australie, seul objet de la demande de Nauru» 17. Il en va exactement de même en ce qui

concerne le volet du présent litige dont il est question ici.

16. Eu égard à ce qui précède, la RDC prie r espectueusement la Cour de rejeter purement et

simplement les arguments procéduraux avancés par l’Ouganda comme infondés.

Monsieur le président, je me tiens à votre disposition pour savoir si, selon vous, je pourrais

interrompre ma plaidoirie à ce stade pour pouvoir la reprendre à 15 heures.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Kalala. Indeed this is the place for you to stop. And this

brings to a conclusion this morning’s hearings . This afternoon the sitting will be resumed at

3 o’clock when I will give the floor to you again. Thank you.

The sitting is adjourned.

The Court rose at 1 p.m.

___________

170
C.I.J. Recueil 1992, p. 261-262, par. 55.

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Audience publique tenue le lundi 25 avril 2005, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Shi, président

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