CR 2006/41
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THHEAGUE LAAYE
YEAR 2006
Public sitting
held on Thursday 4 May 2006, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Higgins presiding,
in the case concerning the Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro)
________________
VERBATIM RECORD
________________
ANNÉE 2006
Audience publique
tenue le jeudi 4 mai 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de Mme Higgins, président,
en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
____________________
COMPTE RENDU
____________________ - 2 -
Present: Presieigtgins
Vice-Prsi-Kntasawneh
Ranjevaudges
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Skotnikov
Judges ad hoc Mahiou
Kre ća
Couevrisrar
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Présents : Mme Higgins,président
Al-K.vsce-prh,ident
RaMjev.
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Sjoteiskov,
MaMhou.,
Kre ća, juges ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
The Government of Bosnia and Herzegovina is represented by:
Mr. Sakib Softić,
as Agent;
Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,
as Deputy Agent;
Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisX-Nanterre, Member and former Chairman of
the International Law Commission of the United Nations,
Mr. Thomas M. Franck, Professor of Law Emeritus, New York University School of Law,
Ms Brigitte Stern, Professor at the University of Paris I,
Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Facultyof Law of the University of Florence,
Ms Magda Karagiannakis, B.Ec, LL.B, LL.M.,Barrister at Law, Melbourne, Australia,
Ms Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, London,
Ms Laura Dauban, LL.B (Hons),
Mr. Antoine Ollivier, Temporary Lecturer and Research Assistant, University of Paris X-Nanterre,
as Counsel and Advocates;
Mr. Morten Torkildsen, BSc, MSc, Tork ildsen Granskin og Rådgivning, Norway,
as Expert Counsel and Advocate;
H.E. Mr. Fuad Šabeta, Ambassadorof Bosnia and Herzegovina to the Kingdom of the Netherlands,
Mr. Wim Muller, LL.M, M.A.,
Mr. Mauro Barelli, LL.M (University of Bristol),
Mr. Ermin Sarajlija, LL.M,
Mr. Amir Bajrić, LL.M,
Ms Amra Mehmedić, LL.M, - 5 -
Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine est représenté par :
M. Sakib Softić,
coagment;
M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,
comme agent adjoint;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de ParisX-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies,
M. Thomas M. Franck, professeur émérite à lafaculté de droit de l’Université de New York,
Mme Brigitte Stern, professeur à l’Université de Paris I,
M. Luigi Condorelli, professeur à la fact de droit de l’Université de Florence,
Mme Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M.,Barrister at Law, Melbourne (Australie),
Mme Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, Londres,
Mme Laura Dauban, LL.B. (Hons),
M. Antoine Ollivier, attaché temporaire d’ense ignement et de recher che à l’Université de
Paris X-Nanterre,
comme conseils et avocats;
M. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Tork ildsen Granskin og Rådgivning, Norvège,
comme conseil-expert et avocat;
S. Exc. M. Fuad Šabeta, ambassadeur de Bosn ie-Herzégovine auprès duRoyaume des Pays-Bas,
M. Wim Muller, LL.M., M.A.,
M. Mauro Barelli, LL.M. (Université de Bristol),
M. Ermin Sarajlija, LL.M.,
M. Amir Bajrić, LL.M.,
Mme Amra Mehmedić, LL.M., - 6 -
Ms Isabelle Moulier, Research Student in International Law, University of Paris I,
Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata (Italy),
as Counsel.
The Government of Serbia and Montenegro is represented by:
Mr. Radoslav Stojanović, S.J.D., Head of the Law Council of the Ministry of Foreign Affairs of
Serbia and Montenegro, Professor at the Belgrade University School of Law,
as Agent;
Mr. Saša Obradović, First Counsellor of the Embassy of Serbia and Montenegro in the Kingdom of
the Netherlands,
Mr. Vladimir Cvetković, Second Secretary of the Embassy of Serbia and Montenegro in the
Kingdom of the Netherlands,
as Co-Agents;
Mr.Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), Professor of Law at the Central European University,
Budapest and Emory University, Atlanta,
Mr. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., Member of the International Law Commission, member of
the English Bar, Distinguished Fellow of the All Souls College, Oxford,
Mr. Xavier de Roux, Master in law, avocat à la cour, Paris,
Ms Nataša Fauveau-Ivanović, avocat à la cour, Paris and member of the Council of the
International Criminal Bar,
Mr. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), Professor of Law at the University of Kiel, Director
of the Walther-Schücking Institute,
Mr. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), Attorney at Law, Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, and President of the International Law Association of Serbia and Montenegro,
Mr. Igor Olujić, Attorney at Law, Belgrade,
as Counsel and Advocates;
Ms Sanja Djajić, S.J.D., Associate Professor at the Novi Sad University School of Law,
Ms Ivana Mroz, LL.M. (Indianapolis),
Mr. Svetislav Rabrenović, Expert-associate at the Office of th e Prosecutor for War Crimes of the
Republic of Serbia, - 7 -
Mme Isabelle Moulier, doctorante en droit international à l’Université de Paris I,
M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),
cocomnseils.
Le Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro est représenté par :
M. Radoslav Stojanović, S.J.D., chef du conseil juridique du ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro, professeur à la faculté de droit de l’Université de Belgrade,
coagment;
M. Saša Obradovi ć, premier conseiller à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume des
Pays-Bas,
M. Vladimir Cvetković, deuxième secrétaire à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume
des Pays-Bas,
comme coagents;
M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), professeur de droit à l’Université d’Europe centrale de
Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre de la Commission du droit international, membre
du barreau d’Angleterre, Distinguished Fellow au All Souls College, Oxford,
M. Xavier de Roux, maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,
Mme Nataša Fauveau-Ivanovi ć, avocat à la cour, Paris, et membre du conseil du barreau pénal
international,
M. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), professeur de droit à l’Université de Kiel, directeur de
l’Institut Walther-Schücking,
M. Vladimir Djeri ć, LL.M. (Michigan), avocat, cabinet Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, et président de l’association de droit international de la Serbie-et-Monténégro,
M. Igor Olujić, avocat, Belgrade,
comme conseils et avocats;
Mme Sanja Djajić, S.J.D, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Novi Sad,
Mme Ivana Mroz, LL.M. (Indianapolis),
M. Svetislav Rabrenovi ć, expert-associé au bureau du procureur pour les crimes de guerre de la
République de Serbie, - 8 -
Mr. Aleksandar Djurdjić, LL.M., First Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and
Montenegro,
Mr. Miloš Jastrebić, Second Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and Montenegro,
Mr. Christian J. Tams, LL.M. PhD. (Cambridge), Walther-Schücking Institute, University of Kiel,
Ms Dina Dobrkovic, LL.B.,
as Assistants. - 9 -
M. Aleksandar Djurdji ć, LL.M., premier secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,
M. Miloš Jastrebi ć, deuxième secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,
M. Christian J. Tams, LL.M., PhD. (Cambridge), Institut Walther-Schücking, Université de Kiel,
Mme Dina Dobrkovic, LL.B.,
comme assistants. - 10 -
The PRESIDENT: Please be seated. Madame Fauveau-Ivanović, you have the floor.
MFmUeVEAU-IVANOVI Ć : Merci, Madame le président.
G ÉNOCIDE
I. Le génocide n’a pas été commis en Bosnie-Herzégovine : les actes criminels ne sont
pas la conséquence des objectifs politiques des Serbes de Bosnie
1. Madame le président, Messieurs les juges, nous avons pu constater pendant les plaidoiries
que les positions du demandeur et de la Serbie-et-Monténégro ne diffèrent pas sensiblement quant à
la définition juridique des éléments constitutifsdu génocide énumérés dans l’articleII de la
convention sur le génocide.
2. Nous sommes d’accord que les éléments matériels du crime de génocide, son actus reus,
son énumérés dans l’article II de la convention sur le génocide, dont la liste est exhaustive et que le
crime de génocide ne peut être constitué que par la commission d’un de ces actes énumérés. Nous
sommes parvenus également à l’accord que ces actes constituent le génocide uniquement s’ils sont
commis dans l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou
religieux comme tel.
3. Cependant, nous ne sommes pas d’accord quant à la qualification juridique des faits dans
la présente affaire puisque le demandeur allè gue que le génocide était commis tandis que nous
considérons que le génocide n’a pas été commis. Et, Madame le président, Messieurs les juges, le
génocide n’a pas été commis en Bosnie-Herzégovine. Ni la Serb ie-et-Monténégro ni les Serbes de
Bosnie n’ont eu l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou
religieux comme tel.
4. Le demandeur prétend que nous avons adopté une approche d’analyse des crimes
individuels qui serait appropriée dans les procédur es pénales, mais qui, selon le demandeur, n’est
pas appropriée dans cette procédure devant votre Cour où la responsabilité de l’Etat doit être
établie. Cependant, nous n’avons pas isolé les actes criminels, nous les avons mis dans le contexte,
le contexte de la guerre civile que le demandeur a enfin reconnu bien que partiellement.
5. Après avoir mis les actes criminels dansle contexte, nous les avons analysés l’un après
l’autre et l’un avec l’autre dans le contexte global de la guerre qui incluait les opérations militaires, - 11 -
la situation politique chaotique, l’absence du contrôle des autorités étatiques sur le territoire et
malheureusement les actes criminels qui étaient commis. Le demandeur consent que les mêmes
actes peuvent constituer les crimes de guerre, les crim es contre l’humanité et le génocide. Le
demandeur consent aussi que ces actes constituent le génocide uniquement lorsqu’ils sont commis
dans l’intention génocidaire. Et, précisément, ce tte intention génocidaire n’a pas été démontrée
dans la présente affaire et elle ne peut être démontrée car elle n’a jamais existé.
6. Comme le demandeur nous accuse de ne pas vouloir envisager le tableau global des
crimes, nous allons présenter ce tableau en adoptan t la même approche que le demandeur. Et
encore, le génocide ne pourra pas être trouvé car les actes commis, aussi criminels qu’ils soient, ne
constituent pas le génocide puisque l’intention génocidaire n’a pas existé et le génocide n’a pas été
commis.
7. Nous souscrivons à la thèse du demandeur selon laquelle le plan n’est pas un élément
constitutif du génocide. Le génocide peut être commis en dehors de tout plan génocidaire.
Cependant, comme le demandeur le dit lui-même, le plan facilite la preuve du génocide. Nous
approuvons cette thèse aussi, mais nous ne pouvons pas accepter qu ’un plan existait dans cette
affaire, car tout simplement il n’existait pas.
8. Le demandeur tente de déduire l’intenti on génocidaire des objectifs politiques des Serbes
de Bosnie en essayant de démontrer que les crimes commis étaient commis en exécution des ces
objectifs, formulés lors de l’A ssemblée du peuple serbe en Bosnie -Herzégovine le 12mai1992.
Nous ne contestons pas que les Serbes de Bosn ie avaient des objectifs politiques. Nous ne
contestons pas que l’un de ces objectifs, le premier objectif, était la séparation des peuples avec la
création de leurs Etats nationaux, mais cela n’est pas le génocide. La volonté politique d’un peuple
de se séparer des autres n’a jamais constitué un génocide, elle n’est pas criminelle, elle est
l’expression d’un droit internationalement reconnu, du droit des peuples à l’autodétermination.
9. Le demandeur a parlé plusieurs fois du caractère véritablement multiculturel de la
Bosnie-Herzégovine. Dans sa plaidoirie du 18 avr il dernier il a dit : «Bosnia and Herzegovina was
a truly ethnically mixed society with the highest percentage of mixed marriages.» 1 Mais, la société
1
CR 2006/30, p. 32, par. 21. - 12 -
de Bosnie-Herzégovine était-elle vraiement une véritable société multiculturelle ou était-elle plutôt
une société dans laquelle différents groupes ethniques et religieux vivaient l’un à côté de l’autre
sans pour autant se mélanger? L’Institut néerla ndais de la documentati on de guerre a noté dans
son rapport que :
«In 1981, a mere 15.3 per cent of all marriages were mixed…In 1991,
16percent of the children in Bosnia were born out of a mixed marriage. These
figures are frequently cited in the literatu re, but the annual averages between1962
and1989 sooner reveal a mixed marriage pe rcentage of 11 to 12, a rate which
remained almost constant throughout that period. It should also be noted when
considering this figure that the mixed marriages took place mainly between members
of small ethnic groups, such as Jews and Montenegrins, for whom the chances of
marriage within their own group were slim. Such marriages were far less frequent
among the three large ethnic entities, viz., Croats, Muslims and Serbs. In those
threegroups, mixed marriages took place mainly between Croats and Serbs (in that
order), and far less often among Muslims ⎯95 per cent of Muslim women and
93percent of Muslim men entered into homogeneous marriages… It is often
erroneously assumed that the percentage of such marriages was comparatively high in
Bosnia. On the contrary, it is significan t that precisely in Bosnia-Herzegovina where
ethnic distribution was greater than in the r est of Yugoslavia, the percentage of mixed
marriages between 1962 and 1989 was the lowest of all republics, with the exception
of Macedonia.» 2
Madame le président, Messieurs les juges, la Bo snie-Herzégovine était un Etat de trois peuples
constitutifs, les Musulmans, les Croates et les Se rbes, mais aussi des minorités nationales, Juifs,
Romes, Monténégrins, Yougoslaves et les autres. Cependant, ces populations n’ont jamais créé
une société véritablement multiculturelle, elles préféraient vivre dans les communautés séparées
l’une à côté de l’autre. L’idée de séparer trois communautés nationales principales n’a jamais
impliqué la volonté de détruire les autres gr oupes ethniques ou certains d’entre eux, tout au
contraire, cette idée en soi n’impliquait même pas un grand déplacement de population.
10. Le demandeur voulait également présenter le programme du parti musulman, le parti
SDA, ainsi que le programme des forces armées du parti SDA, qui était la ligue patriotique, comme
un programme patriotique voulant inclure toutes les nations de Bosnie-Herzégovine . Cependant il
peut aisément être démontré que le programme du parti serbe de Bosnie-Herzégovine, le parti SDS
n’était pas différent. Les objectifs du parti SDS, formulés en juillet 1991, étaient les suivants :
2
http://www.srebrenica.nl, Netherlands Institute for War Documentation on Srebrenica, Part 1, The Yugoslavian
Problem and the role of the West 1991-1994, chapter 3.
3
CR 2006/30, p. 43; par. 38-40. - 13 -
«There can be no leading nations, no first and second class citizens no
state-forming and non state forming elements . It is a goal of the party to improve
interethnic relations, strike a balance to establish reciprocity strengthen the civil peace.
It is a goal of the party to have a fede rative Yugoslavia with an equal and whole
4
federal Bosnia and Herzegovina.»
11. Le demandeur dit: les Musulmans bosni aques et leur parti avaient un programme
patriotique. Nous disons : les Serbes de Bosnie et leur parti avaient un programme qui garantissait
l’égalité de toutes les nations de la Bosnie-Herzégovine. La réalité est que la guerre a malgré tout
bien eu lieu en Bosnie-Herzégovine.
12. Nous n’avons jamais considéré que la gue rre civile ou les objectifs politiques légitimes
pouvaient excuser les crimes qui étaient commis, mais nous considérons que ces crimes doivent
être mis dans leur contexte. Le demandeur rec onnaît qu’il ne peut présenter la preuve directe de
l’intention et il veut la déduire d’un plan allégué, d’une ligne de conduite et des objectifs politiques
des Serbes de Bosnie. Nous allons démontrer que le plan allégué par le demandeur n’a jamais
existé, qu’aucune ligne de conduite discernable n’a existé et que les crimes n’étaient pas commis en
exécution des objectifs politiques des Serbes de Bosnie.
a) Analyse des «six objectifs stratégiques»
1. Le demandeur déduit le plan génocidaire allégué des Serbes de Bosnie des six objectifs
stratégiques adoptés lors de la session de l’Asse mblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine le
12mai1992. Le demandeur considère que ces obj ectifs étaient la conséquence de la politique
planifiée à Belgrade avant le commencement de la guerre. Les Serbes de Bosnie-Herzégovine ont
proclamé leurs objectifs stratégiques en mai1992 et, nous le reconnaissons, ces objectifs étaient
leurs objectifs politiques. Cependant, premièreme nt, ces objectifs étaient les objectifs des Serbes
de Bosnie, les Serbes nés en Bosnie-Herzégovine et ayant la nationalité de la Bosnie-Herzégovine.
Deuxièmement, il est évident que ces objectifs n’étaient pas planifiés en avance et certainement pas
avant la guerre. Ils sont le résultat de la situation générale, politique et militaire en
Bosnie-Herzégovine au printemps 1992. Les objectifs stratégiques des Serbes de Bosnie étaient les
objectifs qui leur étaient imposés afin de répondre au développement préoccupant de la situation en
Bosnie-Herzégovine. La lecture de ces objectifs démontre sans aucune ambiguïté qu’ils ne
4TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, compte rendu, 1 février 2002, p. 1310. - 14 -
contiennent aucune intention génoci daire, aucune intention criminelle, ils ne sont que l’expression
de la volonté du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine créée par la peur face aux événements
chaotiques qui ont inondé le pays.
2. Le demandeur essaie constamment de nier la peur que les Serbes de Bosnie ont pu
ressentir. Il nie le fait que les Serbes de Bosnie auraient pu être réduits en Bosnie-Herzégovine du
statut du peuple constitutif au statut de la minor ité. Il a même essayé de montrer son incrédulité
devant ce fait en déclarant que tous les pe uples en Bosnie-Herzégovine étaient des minorités
5
puisque aucun d’eux ne cons tituait la majorité absolue . Certes, dans les termes démographiques,
tous les peuples étaient des minorités, mais les Mu sulmans, les Croates et les Serbes étaient les
peuples constitutifs de l’Etat Bosnie-Herzégovine . Conformément à la Constitution de la
Bosnie-Herzégovine, toute décision importante aura it dû être prise avec l’accord des représentants
de ces trois peuples, étant précisé que le manque d’un tel accord invalidait la décision. Madame le
président, Messieurs les juges, la décision relative à l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine était
prise sans la participation du peuple serbe, cette décision était la négation évidente des droits
constitutionnels du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine. Le peuple serbe craignait d’être réduit au
statut de minorité et cette crainte était fondée.
3. L’Assemblée du peuple serbe en Bosnie-H erzégovine a formulé en mai 1992 les objectifs
stratégiques qui étaient :
«1.Establish State borders separating the Serbian people from the other two ethnic
communities;
2. Set up a corridor between Semberija and Krajina;
3. Establish a corridor in the Drina River Valley, that is, eliminate the Drina as a
border separating Serbian States;
4. Establish a border on the Una and Neretva Rivers;
5. Divide the city of Sarajevo into Serb ian and Bosnian Muslim parts and establish
effective State authorities in both parts;
6
6. Ensure access to the sea for the Republika Srpska.»
5
CR 2006/30, p. 37, par. 21.
6TPIY, Le procureur c. Radoslav Krstic , affaire n IT-93-33-T, jugement, 2août2001, par.562, pièce à
conviction P 562. - 15 -
4. Aucun de ces objectifs ne parle de la destruction des peuples non serbes, aucun de ces
objectifs n’implique une telle destruction, le but exclusif de ces objectifs était de permettre au
peuple serbe de Bosnie la création de leur Etat.
5. Dans le jugement prononcé dans l’affaire Brdjanin, la Chambre de première instance du
Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a jugé que : «In essen ce, these strategic goals constituted a plan to
seize and control territory, establish a Bosnian Serb state, defend defined borders and separate the
ethnic groups within BiH.» 7 Telle était la conclusion de la Chambre de première instance dans
l’affaire Brdjanin, à l’issue d’un procès qui avait duré trois ans. La conclusion du Tribunal pour
l’ex-Yougoslavie ne contient pas d’indication que ces objectifs seraient un plan génocidaire. La
conclusion du Tribunal est la seule conclusion logi que car le plan n’était pas génocidaire. Ce
n’était que le plan d’établissement de l’Etat serbe de Bosnie-Herzégovine, le plan qui avait ses
raisons historiques profondes et qui était provoqué par la situation politique extrêmement tendue en
Bosnie-Herzégovine au printemps 1992.
6. Le premier objectif des six objectifs stratégiques est l’objectif principal. Il appelle à la
création des frontières étatiques séparant les territoires sous contrôle du peuple serbe des territoires
sous contrôle de deux autres communautés ethniques principales. Il appelle à l’établissement de
l’Etat, il n’appelle pas au nettoyage ethnique. L’établissement de l’Etat national ou ethnique ne
signifie pas le nettoyage des personnes n’apparten ant pas au peuple majoritaire. Il signifie
uniquement que le peuple majoritair e veut gouverner. Ainsi, le plan stratégique des Serbes de
Bosnie n’appelle ni au nettoyage ethnique ni au génocide.
7. Le demandeur voit cependant dans la vol onté, la volonté légitime, du peuple serbe de
Bosnie d’avoir leur Etat, une volonté d’avoir l’ Etat ethniquement pur et même la volonté de
détruire les non-Serbes. Une telle interprétation ne peut provenir que de l’ignorance de l’histoire et
de la réalité ethnique de la Bosnie-Herzégovine ou de la déformation de cette réalité.
8. Lors de la seizième session de l’Asse mblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, le
12mai1992 à Banja Luka, le président de la Re publika Srpska, Radovan Kara dzic, a expliqué la
signification de la séparation des peuples et de l’ét ablissement des frontières. Il a déclaré que : «It
7TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 76. - 16 -
would be much better to solve this situation by political means. It would be best if a truce could be
established right away and the borders set up, even if we lose something.» 8
9. La Bosnie-Herzégovine était l’Etat constitué de trois peuples constitutifs : les Musulmans,
les Serbes et les Croates. Tous ces peuples avaien t leurs propres culture et tradition, mais tous
considéraient la Bosnie-Herzégovine comme leur pays. Tous ces peuples avaient les mêmes droits
constitutionnels en Bosnie-Herzégovine, mais la s ituation a changé fin1991, lorsque l’Assemblée
nationale de la Bosnie-Herzégovi ne a décidé, contre la volonté du peuple serbe, de tenir le
référendum sur l’indépendance.
10. La Bosnie-Herzégovine était l’Etat compo sé de trois peuples, chacun d’eux avait le droit
constitutionnel à la sécession puisq ue la Constitution fédérale de la Yougoslavie socialiste, telle
qu’adoptée en 1974 et qui était encore en vigueur en Bosnie-Herzégovine à l’époque, garantissait le
droit de sécession aux peuples et non aux répub liques. Le premier objectif proclamé par
l’Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine n’était rien d’autre que l’affirmation de la
volonté du peuple serbe d’utiliser, conformément à la Constitution yougoslave en vigueur à
l’époque, le droit à la sécession. Le droit à la sécession, garanti par la Constitution yougoslave,
était l’expression du droit bien établi et rec onnu dans le droit international, le droit à
l’autodétermination. Le premier objectif straté gique ne peut en aucun cas être considéré comme
génocidaire ou criminel.
11. En interprétant le premier objectif stratégique, le demandeur cite la traduction en anglais 9
du discours de Radovan Karadzic prononcé lors de la session de l’Assemblée de la Republika
Srpska, tenue les 18 et 19 juillet 1994. Conformément à la traduction présentée, Radovan Karadzic
aurait dit : «We certainly know that we must give up something ⎯ that is beyond doubt in so far as
we want to achieve our first strategic goal : to drive enemies by the force of war from their homes,
that is Croats and Muslims so that we no longer be together in a State.» 10
8 Compte rendu de la seizième session de l’Assemblée du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine du 12 mai 1992 à
Banja Luka, TPIY, affaire Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, pièce à conviction P 50A, p. 52.
9 La traduction provient du TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, pièce à conviction
P 537, The Assembly of Republika Srpska 1992–1995: Highlights and Excerpts by Robert J. Donia, p. 64.
10CR 2006/4, p. 19, par. 38. - 17 -
12. En effet, la traduction présentée est err onée dans la partie la plus importante car
RadovanKaradzic n’a jamais dit que l’objectif ét ait «to drive enemies by the force of war from
their homes». La transcription du discours de Radovan Karadzic démontre bien que celui-ci n’a
jamais dit rien de tel. La phrase qu’il a prononcée ne disait pas que l’objectif était de «chasser les
ennemis de force de leurs maisons», mais de «libérer la maison des ennemis» . La signification de
la phrase effectivement prononcée par Radovan Kara dzic est complètement différente de sa
traduction présentée par le procureur du Tri bunal pour l’ex-Yougoslavie et reprise par le
demandeur. L’objectif n’était pas de chasser les ennemis de leurs maisons, mais de libérer l’Etat
serbe de Bosnie des ennemis.
13. Par ailleurs, le discours de Radovan Kara dzic doit être analysé dans son contexte.
Radovan Karadzic parlait dans le cadre de la discussion sur le plan proposé par le groupe de
contact. Le plan du groupe de contact prévoyai t la séparation des peuples. L’expert du procureur
Robert Donia a écrit dans son rapport présenté devant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie dans
l’affaire Milosevic que «the delegates pass a five-point resolution that straddles the fence agreeing
in principle to territorial separation from the other two groups and accepting the plan as the basis
for further negotiations» 1. Il est donc absolument clair que le plan du groupe de contact, le plan de
la communauté internationale, prévoyait la sépara tion sur une base ethnique. Le cadre général de
ce plan était acceptable pour les Serbes de Bosnie. En revanche, ils ne pouvaient trouver un accord
entre eux sur les territoires qui seraient restés sous leur contrôle et ceux qui auraient dû être
abandonnés.
14. Tous les autres objectifs procla més par l’Assemblée du peuple serbe en
Bosnie-Herzégovine n’étaient que les moyens pré vus pour assurer la viabilité de l’Etat voulu par
les Serbes de Bosnie. Le discours de Momcilo Krajisnik, président de l’Assemblée du peuple serbe
de Bosnie, prononcé lors de la seizième session le 12mai1992, démontre bien que les autres
objectifs n’étaient que les moyens de la mise en exécution du premier objectif ⎯la création de
11«Da se ratosiljamo neprijatelja iz kuce» , Assemblée de la Republika Srpska, session des 18-19 juillet1994,
rapport de l’expert Robert Donia présenté dans l’affaire Le procureur c. Milosević, pièce ERN 0215-2799 – 0215-2809,
p. 71.
12TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, pièce à conviction P537, The Assembly of
Republika Srpska 1992-1995: Highlights and Excerpts by Robert J. Donia, p. 64. - 18 -
l’Etat des Serbes de Bosnie. Il a dit : «The first goal is the most important one and in relation to all
13
other goals, all other goals are sub-items of the first one.»
15. Ainsi, le deuxième objectif, le corridor entre Semberija et Krajina, était nécessaire afin
de permettre la survie aux Serbes de Bosanska Kr ajina. La Bosanska Krajina est la région en
Bosnie occidentale ayant la frontière avec la Croa tie, mais sans aucune frontière commune avec la
Serbie. La grande majorité de la population de la Bosanska Krajina était de nationalité serbe. Sans
le corridor, ces Serbes de Bosanska Krajina auraient été séparés de la Serbie mais aussi de la
Bosnie orientale. A l’époque de la proclamati on des objectifs stratégiques, au printemps1992, la
région de Bosanska Krajina était complètement isol ée des autres territoires peuplés par les Serbes,
la population ne recevait aucun a pprovisionnement, les produits de base, indispensables pour la
simple survie, manquaient; le corridor était la seu le chance de survie pour des centaines de milliers
de personnes, qui d’ailleurs n’étaient pas tous des Serbes.
16. Le troisième objectif stratégique, l’élimina tion de la frontière entre les deux Etats serbes
sur la rivière Drina est compréhensible dans le cadre du droit constitutionnel à la sécession que la
Constitution yougoslave conférait a ux peuples. En effet, l’intention des Serbes de Bosnie de
joindre la Serbie et de créer un Etat serbe n’est que logique. Elle n’est que l’expression du droit à
l’autodétermination. Cependant, cette intention était propre aux Serbes de Bosnie, elle n’était pas
partagée par les dirigeants de la République de Serb ie ou par l’Etat de Serbie-et-Monténégro. Elle
était l’expression de la volonté d’un peuple, l’e xpression d’une volonté légitime. Cet objectif ne
contenait aucune intention criminelle. Lors de la seizième session de l’Assemblée du peuple serbe,
tenue le 12 mai 1992, Radovan Karadzic a expliqué le troisième objectif stratégique :
«We and our strategic interests and our living space are on both sides of the
Drina. We now see possibility for some Muslims municipalities to be set up along the
Drina as enclaves in order for them to achieve their rights, but it must basically belong
to Serbian Bosnia and Herzegovina.» 14
Cette déclaration démontre clairement que l’obj ectif vise le territoire et exprime la volonté des
Serbes de Bosnie d’être liés à la République de Serbie et à son peuple. Cette volonté était la
volonté des Serbes de Bosnie et pas de ceux de la Serbie-et-Monténégro. La déclaration démontre
13
Compte rendu de la seizième sessoon de l’Assemblée du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine du 12 mai 1992 à
Banja Luka, TPIY, affaire Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, pièce à conviction P 50A, p. 13.
14Ibid., p. 14. - 19 -
aussi que cet objectif n’avait pas pour but de ch asser des Musulmans bosniaques de leurs maisons
puisque Radovan Karadzic prévoyait la possibilité que les Musulman s restent et qu’ils aient même
leurs enclaves, les territoires gouvernés par eux. A l’époque, les Serbes de Bosnie offraient aux
Musulmans bosniaques la possibilité d’exercer leur droit à l’autodétermination. Raisonnablement,
ils ne pouvaient leur offrir rien de plus.
17. Le quatrième objectif stratégique prévoya it les frontières de l’Et at serbe tel qu’imaginé
sur les rivières Una et Neretva. L’une des cartes proposées par l’Union européenne dans sa
tentative de règlement du conflit prévoyait aussi la frontière sur la rivière Una, ce que
RadovanKaradzic a d’ailleur s expliqué lors de la session de l’Assemblée tenue le 12mai1992.
Nous pouvons discuter sur la justification de la frontière sur la rivière Una, nous pouvons
considérer cette frontière comme justifiée ou inju stifiée, mais l’objectif proclamé ne contenait
certainement pas d’intention criminelle. Il pourrait être considéré comme illicite en droit
international car il violait le principe de l’intangi bilité des frontières, mais en aucun cas il ne peut
être considéré comme l’intention de détruire un pe uple. Cet objectif ne contenait aucune intention
de nettoyage ethnique et il n’appelait pas à des act es criminels dirigés contre un groupe national,
ethnique ou religieux.
18. Le cinquième objectif stratégique concerne la ville de Sarajevo et demande sa division en
deux parties, dont l’une aurait appartenu aux Serbes et l’autre aux Musulmans. La nature même de
cet objectif démontre que les Serbes de Bosnie n’ avaient pas d’intention de détruire le peuple
musulman. Si leur intention avait été de détrui re les Musulmans bosniaques, ils n’auraient pas
proposé l’établissement de Sarajevo musulman. Le discours de Radovan Ka radzic lors de la
seizième session de l’Assemblée tenue le 12 mai confirme la volonté des Serbes de Bosnie de créer
leur Etat sans aucune intention de porter préjudice aux Musulmans. Radovan Karadzic disait :
«We did not want war in Sarajevo. We wanted the Serbian police to control the
Serbian part of the town, to be responsi ble for the Serbian part of the town and
Muslims for the Muslim part, and to divide the city without any fighting both in the
whole Bosnia and Herzegovina and in Sarajevo itself. All of that could be done in a
peaceful manner. Sarajevo would not be the first or the only border city.» 15
15Compte rendu de la seizième session de l’Assemblée du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine du 12 mai 1992 à
o
Banja Luka, TPIY, affaire Brdjanin, affaire n9-36-T, pièce à conviction P 50A, p. 10. - 20 -
19. Pour certaines raisons, et pour des raisons compréhensibles qui peuvent être appelées des
raisons historiques, les Serbes de Bosnie craigna ient pour leur vie, pour leurs maisons, pour leur
avenir. Tout simplement ils avaient peur de ne pas survivre en Bosnie-Herzégovine. En raison de
ces craintes, les Serbes de Bosnie ne voulaient plus vivre avec les Croates et les Musulmans dans le
même Etat. Ils voulaient leur Etat, un Etat serbe qui était conforme à la Constitution en vigueur qui
leur reconnaissait le droit d’avoir leur Etat. Le cinquième objectif stratégique démontre clairement
que la seule et l’unique intention du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine était la création de l’Etat
séparé. La volonté de créer l’Etat serbe de Bosnie-Herzégovine n’excluait ni le droit des
Musulmans d’avoir leur Etat ni le droit des me mbres du peuple musulman de vivre dans l’Etat
serbe, s’ils le souhaitaient.
20. Finalement, le sixième objectif stratégique est une prétention habituelle de tout Etat à
accéder à la mer et à éviter d’être enclavé. La Bosnie-Herzégovine a obtenu dans l’ex-Yougoslavie
l’accès à la mer, l’accès passant par le territoire croate et divisant l’Etat croate en deux parties. Le
peuple serbe de Bosnie considérait comme norma l d’obtenir également un tel accès. Cependant,
les Serbes de Bosnie n’ont jamais sérieusement essa yé de réaliser cet objectif. Lors de l’adoption
des objectifs stratégiques Radovan Karadzic a expli qué que: «It is very important but there are
things that are more important than others or more feasible than others. We do not know how
feasible that is…» 16
21. En conséquence, le seul but de ces objectif s était la séparation des Etats et la création
d’un Etat serbe. Les objectifs du peuple serbe n’emp êchaient pas les autres peuples de leurs droits.
Momcilo Krajisnik, président de l’Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine impliquait
dans son discours lors de la seizième session tenue le 12 mai 1992 la création de trois Etats séparés
en disant : «We [the Serbs] can part from them [two remaining national communities] if Bosnia and
Herzegovina is to be torn into three parts.» 17
22. Les objectifs serbes proclamés lors de la session de l’Assemblée du peuple serbe en
Bosnie-Herzégovine le 12 mai 1992 n’étaient pas la cause de la guerre, ils étaient la conséquence
16
Compte rendu de la seizième sessoon de l’Assemblée du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine du 12 mai 1992 à
Banja Luka, TPIY, affaire Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, pièce à conviction P 50A, p. 14.
17Ibid., p. 52. - 21 -
d’une situation politique chaotique qui existait à l’époque de leur adoption en Bosnie-Herzégovine.
Ils n’étaient pas planifiés en avan ce, ils n’étaient pas liés à la volon té des dirigeants des Serbes de
Krajina en Croatie et notamment à la volonté de Milan Babic, ils n’étaient pas liés à la volonté des
dirigeants de la Serbie-et-Monténégro et nota mment à la volonté de Slobodan Milosevic. Ils
étaient l’expression de la nécessité provoqué e par le commencement de la guerre en
Bosnie-Herzégovine et par la peur des Serbes qui y vivaient, la peur historiquement
compréhensible.
b) Les actes et événements autour des six objectifs stratégiques ne permettent pas la déduction
d’une intention criminelle
23. Le demandeur s’est référé à des interv entions multiples des dirigeants des Serbes de
Bosnie afin d’établir l’intention génocidaire. Comme aucun de ces discours ne contient d’éléments
de l’intention génocidaire ou des éléments dont une telle intention pourrait être déduite, le
demandeur cite des parties de ces discours en de hors de leur contexte en leur donnant la
signification qu’ils n’ont pas.
24. Ainsi, le demandeur s’était référé au di scours de Radovan Karadzic prononcé lors de la
18
session de l’Assemblée de la Bosn ie-Herzégovine le 15 octobre 1991 . Le demandeur essaie de
démontrer l’intention génocidaire en citant une partie de cette déclaration, bien choisie et
complètement en dehors du contexte. Le texte cité était :
«This [by which he meant independence] is the road that you want Bosnia and
Herzegovina to take, the same highway to hell and suffering that Slovenia and Croatia
went through. Don’t think that you won’t take Bosnia and Herzegovina to hell and the
Muslim people to extinction because the Muslim people will not be able to defend
itself if it comes to war here.»
Cependant, afin de comprendre ce discours il faut le situer dans le contexte. Il a été prononcé au
milieu de la guerre qui sévissait en Croatie et au milieu de la discussion sur l’indépendance de la
Bosnie-Herzégovine. Il n’était pas une menace, mais une demande, une appréciation de la situation
en Bosnie-Herzégovine où les tensions ethniques étaient palpables et où la population, tous les trois
peuples confondus, était bien armée. Lorsque la phrase est située dans le contexte, son caractère de
la demande apparaît clairement. En effe t, avant la phrase citée par le demandeur,
18
CR 2006/6, p. 31, par. 11. - 22 -
RadovanKaradzic disait: «I beg you once again, I do not threaten you, I beg you to understand
seriously the interpretation of the political will of the Serbian people … please understand seriously
it is not good what you are doing.» En plus, la phrase citée par le demandeur a été suivie d’une
explication de Radovan Karadzic qui disait: «P lease, these are important words, important
situations have important words, how will you prevent that anyone kill everyone in Bosnia and
Herzegovina.» Alija Izetbegovic a pris la parole après Radovan Karadzic, mais ce dernier a parlé
ensuite encore une fois en donnant une explication complémentaire à ses paroles : «Muslim leaders
spoke clearly until now that if it comes to the catastrophe it would be primary the catastrophe of the
Muslim people, it is also the catastrophe of the Croat and Serbian peoples.» 19
25. Par ailleurs, quelques jours après la session de l’Assemblée nationale de
Bosnie-Herzégovine où ce discours a été pronon cé, Radovan Karadzic a clarifié, dans une
interview, que la phrase litigieuse n’était qu’une citation des paroles de Muhamed Filipovic, l’un
des dirigeants des Musulmans de Bosnie qui da ns cette même Assemblé e de Bosnie-Herzégovine
avait dit auparavant : «if we do not reach an agreement but choose some other ways (division of the
20
Bosnia and Herzegovina) that will be the beginning of the end of the Muslim people» . Ainsi, le
demandeur n’a pas seulement cité les paroles de Radovan Karadzic en dehors de leur contexte,
mais il a également oublié de dire que ces mots n’ étaient que la paraphrase de l’un des dirigeants
des Musulmans de Bosnie-Herzégovine.
26. Le demandeur ne peut trouver dans les d éclarations prononcées à l’époque de l’adoption
des six objectifs stratégiques par les dirigeants serbes de Bosnie-Herzégovine aucun fondement de
ses allégations selon lesquelles les objectifs stratégi ques auraient impliqué le nettoyage ethnique
des Musulmans bosniaques et/ou des Croates de Bosnie. Pour cette raison, le demandeur cherche,
sans succès, les autres sources qui pourraient c onfirmer sa thèse non fondée. Notamment, il se
réfère aux déclarations faites plus d’une décennie après les événements. Il interprète aussi les
déclarations et les événements d’une manière illogi que en essayant de leur conférer cette intention
génocidaire, impossible à trouver car elle n’a jamais existé.
19 o
TPIY, Le procureur c. Radovan Karadzic et Ratko Mladic , affaire n IT-95-05&18-PT, article61, décision,
pièce à conviction 29.
20Journal quotidien Politika, 17 octobre 1991, p. 5. - 23 -
27. Le demandeur cherche la confirmati on de ses allégations dans l’affaire de
Biljana Plavsic, jugée devant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie 21 en interprétant incorrectement la
signification des éléments présentés dans cette affaire. Le demandeur se réfère à un document qu’il
présente comme la déclaration de Biljana Plavsic. Cependant, le document cité par le demandeur
n’est pas la déclaration de Biljana Plavsic mais la base factuelle de l’accord sur la culpabilité 22. Ce
document est un document dont le contenu a fait objet d’abord des discussions et ensuite de
l’accord entre le procureur et Biljana Plavsic. Il n’est rien de plus qu’un accord acceptable pour les
deux parties et servant les intérêts de ces deux pa rties. Biljana Plavsic était accusée dans une
procédure pénale et a trouvé un accord qui lui a pe rmis d’obtenir une peine atténuée. En aucun cas
cet accord ne peut être considéré comme une décl aration de Biljana Plavsic et en aucun cas il ne
peut être utilisé comme une conclusion factuelle du Tr ibunal. En conséquence, les faits qui y sont
allégués ne peuvent être considérés comme des faits établis.
28. Par ailleurs, dans l’affaire Stakic, la Chambre de première instance a évalué la valeur
d’un éventuel témoignage de Biljana Plavsic. Ayant constaté que Biljana Plavsic avait plaidé
coupable de persécutions (crime contre l’humanité), le Tribunal a considéré qu’il était peu probable
qu’elle puisse ou qu’elle veuille apporter des élém ents permettant de déduire l’existence de
23
l’intention génocidaire .
29. Nous pouvons faire une analyse similaire de la réunion que Milan Babic, président de la
Republika Srpska Krajina, qui se trouvait en Croa tie, aurait eu en juillet 1991 à Belgrade avec
Radovan Karadzic et Slobodan Milosevic. Le de mandeur a accepté comme véridiques les faits
présentés par Milan Babic. Conformément au té moignage de ce dernier devant le Tribunal pour
l’ex-Yougoslavie dans l’affaire Milosevic, Radovan Karadzic aurait dit lors de cette réunion qu’il :
«would chase the Muslims into the river valley in or der to link up all Serb territories in Bosnia and
Herzegovina» 24. Cette déclaration de Milan Babic éta it contestée par Slobodan Milosevic lors de
21
CR 2006/2, p. 48, par. 67; CR 2006/32, p. 11, par. 7.
22 TPIY, Le procureur c. Biljana Plavsic , affaire n IT-00-39&40-PT, Factual Basis for plea of guilt,
30 septembre 2002.
23TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 550.
24TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, compte rendu, p. 13055. - 24 -
25
ce contre-interrogatoire . Slobodan Milosevic n’a pas seulement nié la déclaration de
MilanBabic, il a également donné une version comp lètement différente du déroulement de cette
réunion et du contenu des conversations qui ont eu lieu. Selon Slobodan Milosevic,
RadovanKaradzic avait dit, en sa presence, à M ilan Babic que: «the Serbs and Muslims have
excellent relationships that your adventure w as undermining the trust between the Serbs and
Muslims and that it was inflicting enormous damage to harmony achieved in Bosnia and
26
Herzegovina» .
30. En conséquence, s’agissant de la réunion qui a eu lieu à Belgrade en juillet1991 et à
27
laquelle le demandeur se réfère , nous avons la parole de Slobodan Milosevic contre la parole de
MilanBabic. Si Slobodan Milosevic était à l’époque l’accusé devant le Tribunal pour
l’ex-Yougoslavie, Milan Babic avait à l’époque de son témoignage dans l’affaire Milosevic le statut
28
du suspect . Nous pouvons raisonnablement supposer que Milan Babic, témoin du procureur, était
prêt à faire une déclaration, qui peut au moins être qualifiée comme incorrecte, afin d’éviter se mise
en accusation.
31. Certes, la Chambre de première instance du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a rapporté la
partie du témoignage de Milan Babic, citée par le demandeur, dans sa décision relative à la requête
29
aux fins d’acquittement . Toutefois, cette décision rendue en application de l’article 98bis du
Règlement de procédure et de preuve du Tribunal n’établit pas les faits, elle constate uniquement la
probabilité que ces faits se sont produits tels que présentés par le procureur. Les décisions relatives
aux requêtes aux fins d’acquittement sont rendues à la fin de la présentation des moyens de preuve
du procureur et sont fondées sur les preuves présentées par le procureur. Cependant, à ce stade de
procédure, les preuves de la défense doivent enco re être présentées et la défense a encore la
possibilité de démontrer que les allégations du pr ocureur ne sont pas fondées. S’agissant du
témoignage de Milan Babic, en raison du décès de Slobodan Milosevic, la Chambre de première
25 o
TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, compte rendu, p. 13809-13819.
26Ibid., p. 13811.
27CR 2006/4, p. 11, par. 5; CR 2006/30, p. 42-43.
28M. Babic a témoigné dans l’affaire Milosevic du 19 novembre au 9 décembre 2 002, il a été mis en accusation
par le procureur du TPIY en novembre 2003, TPIY, Le procureur c. Milan Babic, affaire n-03-72.
29 o
TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, Decision on Motion for Judgment of
Acquittal, 16 juin 2004, par. 253. - 25 -
instance n’a pas eu l’occasion d’évaluer les preuves présentées pendant le procès. En conséquence,
il ne peut être considéré que le Tribunal a accepté le témoignage de Milan Babic ou qu’il l’aurait
accepté.
32. Par ailleurs, Milan Babic témoignait d’une réunion qui aurait eu lieu en juillet 1991. Si
cette réunion a eu lieu en juillet 1991, il est très clair que Slobodan Milosevic n’avait pas
d’influence sur les Serbes de Bosnie ou plus préci sément sur les Serbes en Bosanska Krajina. La
présentation des preuves par Milan Babic met en question même l’influence de Radovan Karadzic
sur les Serbes de Bosanska Krajina. En effet, en décembre 1991, plusieurs mois après la réunion à
Belgrade, les Serbes de Bosanska Krajina voulaien t encore s’unir aux Serbes de la Republika
Srpska Krajina dont le président était Milan Babic 30.
33. Cependant, certains faits présentés par M ilan Babic peuvent être acceptés puisqu’ils
étaient confirmés par d’autres preuves et n’étai ent pas contestés par Slobodan Milosevic. Ainsi,
MilanBabic a reconnu qu’il avait voulu créer un Etat commun qui aurait incorporé la Republika
Srpska Krajina, située en Croatie, et la Bosanska Krajina, située en Bosnie occidentale 31. Il semble
également comme le fait incontesté que Radovan Kara dzic et Slobodan Milosevic n’adhéraient pas
à ce plan d’unification et de création d’un Etat serbe. Milan Babic a déclaré sans ambiguïté que le
plan d’unification de deux Krajinas n’était pas réalisé en raison de l’opposition aussi bien de
32
Slobodan Milosevic que de Radovan Karadzic . Ainsi, il est clair que Slobodan Milosevic et
Radovan Karadzic n’avaient pas de projet de créatio n d’un Etat serbe. Il est également clair qu’à
l’époque le plan visant à permettre à tous les Serbes de vivre dans un Etat n’a pas existé.
L’opposition de Radovan Kara dzic à une telle unification appara ît dans une conversation qu’il a
eue avec Slobodan Milosevic le 20 décembre 1991, et dans laquelle il a informé
Slobodan Milosevic de la volonté des Serbes de Bosa nska Krajina de s’unir aux Serbes de Croatie
en utilisant les paroles suivantes: «my people in Krajina those fools, wanted to make decision
33
today on unification of Krajina and SAO Krajina» .
30
TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic , affaire noIT-02-54-T, pièce à conviction P 613/37, Conversation
between Radovan Karadzic and Slobodan Milosevic on 20 décembre 1991.
31TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, compte rendu, p. 13055.
32Ibid., p. 13810.
33TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, pièce à conviction P 613.37, Conversation
between Radovan Karadzic and Slobodan Milosevic on 20 December 1991. - 26 -
34. Le demandeur essaie également de tirer d es conclusions des conversations interceptées
entre Radovan Karadzic et Slobodan Milosev ic. Selon les allégations du demandeur,
RadovanKaradzic et Slobodan Milosevic avaient parlé au moins quarante-cinq fois entre le
29 mai 1991 et le 10 février 1992 . Le simple fait que Radovan Karadzic et Slobodan Milosevic
étaient en contact est, pour le demandeur, une preu ve de leur plan commun. Nous ne contestons
pas ces conversations, mais nous ne pouvons pas accepter la thèse du demandeur. Ces
conversations ne sont ni illégales ni crimin elles, elles sont logiques et normales.
SlobodanMilosevic était président de la République de Serbie, Radovan Kara dzic était président
du parti serbe de Bosnie-Herzégovine et tous les deux étaient à l’époque dans un seul Etat,
internationalement reconnu, qui était la Yougoslavie.
35. Peu importe le nombre des conve rsations entre Radovan Karadzic et
SlobodanMilosevic. Leur contenu dé montre que ni l’un ni l’autre n’avait d’intention criminelle.
Ces conversations n’ont pas de signification que le demandeur souhaite leur donner et en aucun cas
elles ne peuvent être interprétées comme: «regular contacts during the preparatory phases of
35
genocidal conflict» .
36. Le demandeur se réfère spécifiquement à la conversation entre Radovan Karadzic et
Slobodan Milosevic en date du 24 octobre 1991 da ns laquelle Radovan Karadzic disait : «We will
establish Yugoslavia in all areas we live … and we have to establish authority and control over our
36
territories, so that he doesn’t get his sovereign Bosnia.» Certes, Radovan Karadzic a prononcé
cette phrase, mais dans cette même conversa tion, il disait aussi: «We will recognize this
government as the federal BIH Government but we have we will go on to organize our own
37
authorities wherever the existing legal one is where this one is legal.»
37. Ce qui ressort de cette conversation est le processus de l’organisation politique du peuple
serbe en Bosnie-Herzégovine, mais dans le cadre de la Bosnie-Herzégovine et en reconnaissant son
gouvernement. En plus, Radovan Karadzic parlait de l’établissement de la Yougoslavie et la
34
CR 2006/4, p. 11, par. 8.
35
Ibid., p. 12, par. 9.
36Ibid., p. 16, par. 25.
37TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, pièce à conviction P 613/100, Conversation
between Radovan Karadzic and Slobodan Milosevic on 24 October 1991. - 27 -
Yougoslavie n’était certainement pas un Etat ethniquement pur. Il représentait plutôt par sa nature,
par son essence, un mélange de peuples. Cette c onversation ne contient aucun élément pouvant
être interprété comme l’appel au nettoyage ethnique.
38. Comme le demandeur fait de nombreuses références à ces conversations, nous allons
présenter leur contenu afin de démontrer qu’en au cun cas elles ne peuvent être interprétées comme
une préparation pour des actes criminels. Nous allons démontrer que les discussions contenues
dans ces conversations avaient pour objectif la recherche d’une solution politique et pacifique de la
situation en Bosnie-Herzégovine, dont l’instabilité politique à l’époque était déjà évidente.
39. La conversation interceptée en date du 29 mai1991 contient la déclaration suivante de
Radovan Karadzic concernant l’organisation future de la Bosnie-Herzégovine :
«Izetbegovic talked about the division of Bosnia explicitly and openly, he had
never been more explicit ! I, we were shoc ked. We hadn’t thought about that. Then
we discussed what to do and how ⎯they don’t want to stay in Federal Yugoslavia
and we don’t want to leave Federal Yugosla via… We did not want to leave and we
still believe that it would be a pity if Bosnia were to fall apart.» 38
40. Dans cette conversation, Ra dovan Karadzic parlait aussi de la sûreté puisque le désordre
a déjà gagné la Bosnie-Herzégovine. Dans ce ca dre il a mentionné les efforts déployés afin
d’empêcher la détérioration de la situation. Il disait :
«I sent Koljevic to Eastern Herzegovina to shut up those halfwits because we do
not need any chetnicks to march up and down BiH … I sent Nikola Koljevic down
there to organize them politically … he is al so to organize a civil panel discussion for
both Serbs and Muslims because the Muslims are afraid of Serbs there.» 39
41. La conversation en date du 31 juillet 1991 démontre que Radovan Karadzic, dirigeant
des Serbes de Bosnie, tentait de travailler ensemble avec les dirigeants des Musulmans bosniaques
40
et d’organiser les manifestations communes .
42. La conversation du 13 septembre 1991 démontre que les Serbes de Bosnie étaient prêts à
tout afin d’éviter la guerre. Da ns cette conversation Radovan Karadzic disait : «We accepted both
Muslim initiatives. Either whole of the BIH in a Federal State of Yugoslavia or like this regional
38TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, pièce à conviction P 613/1, Conversation
between Radovan Karadzic and Slobodan Milosevic on 29 May 1991.
39 Ibid., pièce à conviction P 613/1, Conversation beteen Radovan Karadzic and Slobodan Milosevic on
29 May 1991.
40 Ibid., pièce à conviction P 613/25, Conversation beeen Radovan Karadzic and Slobodan Milosevic on
31 July 1991. - 28 -
BIH in some Yugoslavia, in which we will have special relations with the federal State and
Serbia.» 41
43. Par ailleurs, il n’est pas difficile de co mprendre que, même à la veille de la guerre, les
Serbes de Bosnie persistaient dans leurs efforts de parvenir à une solution pacifique. Lors de la
quatorzième session de l’Assemblée du peupl e serbe en Bosnie-Herzégovine, tenue le
27 mars 1992, Radovan Karadzic a déclaré :
«War in BiH will not solve anything … we should strive to maintain peace.
Peace is in our interests and benefits us politically. The Conference on BiH has
yielded positive results. They think they ha ve been defeated. They are wrong they
would obtain as much as we did, in addition to join organs of BH.» 42
44. De toute évidence les conversations in terceptées ne soutiennent pas la thèse du
demandeur.
45. N’ayant pas réussi à démontrer, par les preuves crédibles, ce qui de toute façon n’est pas
démontrable, le demandeur se tourne vers le témo ignage de Miroslav Der onjic devant le Tribunal
pour l’ex-Yougoslavie. Selon Miroslav Deronjic, Radovan Karadzic lui aurait dit au début de 1991
que les Serbes, si la République fédérale socialis te de Yougoslavie cessait d’exister, n’auraient pas
d’autres options que de créer la Grande Serbie. 43
46. Les déclarations de Miroslav Deronjic contiennent de nombreuses inconsistances.
Lorsqu’il a témoigné dans sa propre affaire, Miroslav Deronjic a expliqué qu’il ne pouvait pas citer
les mots exacts utilisés par Radovan Karadzic, ma is que la phrase rapportée correspondait au sens
que Radovan Karadzic voulait lui donner. Il a également dit qu’il avait entendu l’expression la
Grande Serbie pour la première fo is à cette occasion, en ajoutant qu’il ne l’avait jamais entendue
44
auparavant et qu’il ne l’ava it jamais vue dans un programme . Cependant, Miroslav Deronjic a
témoigné ensuite dans l’affaire Krajisnik. Bien qu’il ait répété dans les grandes lignes son
témoignage préalable, il a toutefois ajouté qu’il connaissait l’expression la Grande Serbie car elle
41TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, pièce à conviction P 613/63, Conversation
between Radovan Karadzic and Slobodan Milosevic on 13 September 1991.
42Compte rendu de la quatorzième session de l’A ssemblée du peuple serbe de la Bosnie-Herzégovine,
27 mars 1992, p. 24, TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n99-36-T, pièce à conviction P 2475.
43CR 2006/4, p. 15, par. 24.
44TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronjic, affaire n IT-02-61-S, compte rendu, p. 113. - 29 -
faisait partie de certains programmes et il a sp écifié que cette expression figurait principalement
dans le programme du parti radical . 45
47. Le jugement sur la pe ine, rendu dans l’affaire de Miroslav Deronjic, rapporte les parties
du témoignage de celui-ci, mais il est important de noter que Miroslav Deronjic n’a pas été jugé
dans un procès, il a plaidé coupable et a fait un accord avec le procureur. Cet accord incluait, entre
autres, son obligation de témoigner dans de nombre uses affaires, ce que Miroslav Deronjic a fait.
Ses différents témoignages comportent de nombreu ses contradictions, remarquées par la Chambre
de première instance qui a jugé dans l’affaire Deronjic que :
«Immediately after the Sentencing Hearing, the Trial Chamber revisited
Miroslav Deronjic’s Testimony and compared it with the Indictment and the Factual
Basis. As a result of this comparison, th e Trial Chamber identified discrepancies that
prompted the Trial Chamber to again examine all previous statements of the Accused.
After reviewing in greater detail the Indictment, the Factual Basis, the Deronjic
Testimony, all of his prior testimonies and statements, and in particular his witness
statement of 25 November 2003, the Trial Ch amber came to the conclusion that on a
46
prima facie basis there were substantial material discrepancies.»
En plus, la Chambre de première instance a trouvé même des inconsistances entre la base factuelle
47
de l’accord sur la culpabilité et l’acte d’accusation .
48. La Chambre de première instance dans l’affaire Deronjic n’était pas la seule à remarquer
de nombreuses contradictions dans les déclarations de Miroslav Deronjic. La Chambre d’appel du
Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a refusé toute crédibilité au témoignage de Miroslav Deronjic dans
l’affaire Krstic en jugeant que :
«the Appeals Chamber is hesitant to b ase any decision on Mr. Deronjic’s testimony
without having corroborating evidence. Th e discrepancies in the evidence given by
Mr. Deronjic and the ambiguities surrounding some of the statements he
made, … caution the Appeals Chamber against relying on his evidence alone.» 48
49. Les contradictions dans les déclarations et témoignages de MiroslavDeronjic ne
concernent pas uniquement la réunion susmentionn ée qu’il aurait eue avec Radovan Karadzic. La
Chambre de première instance dans l’affaire Deronjic a trouvé de nombreuses contradictions, la
Chambre d’appel dans l’affaire Krstic a rejeté la totalité de son témo ignage et Miroslav Deronjic a
45 o
TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik, affaire n IT-00-39&40-T, compte rendu, p. 1142.
46TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronjic, affaire n IT-02-61-S, jugement sur la peine, 30 mars 2004, par. 35.
47Ibid., par. 28.
48TPIY, Le procureur c. Radoslav Krstic, affaire n IT-98-33-A, arrêt, 19 avril 2004, par. 94. - 30 -
admis lui-même que ses déclarations ne correspondaient pas complètement à la vérité , ce qui a été
déjà démontré par notre coagent, M. Vladimir Cvetkovic. En conséquence, toute description des
événements faite par Miroslav Deronjic devrait êt re attentivement vérifiée et appréciée. Compte
tenu des contradictions et des inconsistances qui en tachent les déclarations de Miroslav Deronjic,
celles-ci ne peuvent être acceptées comme véridi ques si elles ne sont pas corroborées par d’autres
preuves.
50. Le demandeur se réfère aussi au document rédigé le 19 décembre 1991 par les dirigeants
du parti SDS, le document appelé «Instructions, variantes A et B», qui aurait été communiqué aux
dirigeants municipaux du parti SDS 50. Ce document est un document politique, rédigé en réponse à
la décision des députés croates et musulmans concernant l’organisation du référendum sur
l’indépendance de la Bosnie-Her zégovine. La décision relative à l’organisation du référendum a
été prise contre la volonté des députés serbes, donc contre la volonté du peuple serbe, et en
violation de la Constitution de Bosnie-Herzé govine qui exigeait que toutes les décisions
importantes soient adoptées par le consensus de trois peuples constitutifs.
51. Le document «Instructions, variantes A et B» avait pour but principal la défense du
peuple serbe, ce qui est clairement indiqué dans l’introduction dudit document. Si le document
peut être interprété comme l’expression de la vol onté du peuple serbe d’avoir leur propre Etat ou
encore plus comme l’expression de leur volonté de rester en Yougoslavie, il ne peut en aucun cas
être considéré comme un appel à l’attaque contre les Musulmans ou les Croates. Ce document
n’appelle pas au nettoyage ethnique. Aucune inte ntion génocidaire ou crim inelle ne peut être
déduite de ce document.
52. Un mois avant l’adoption du docum ent «Instructions, variantes A et B»,
MomciloKrajisnik, président de l’Assemblée du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine, disait lors
de la session de cette Assemblée, tenue le 11 novembre 1991 :
«In everything we do we should consid er our complex social and political
situation. All the proposed solutions must be based on the Constitution and the laws,
49 o
TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronjic, affaire n IT-02-61-S, jugement sur la peine, 30 mars 2004, opinion
dissidente du juge Schomburg, par. 15.
50CR 2006/4, p. 17, par. 28-30. - 31 -
reflecting the interest of the Serbian people but not at the expense of other peoples in
Bosnia and Herzegovina.» 51
Cette déclaration explique exactement l’objectif du document «Instructions, variantes A et B». Le
but du document était la protection du peuple serbe, mais en plein respect des droits des autres
peuples.
53. La variante B, qui devait être appliquée dans les municipalités dans lesquelles les Serbes
étaient en minorité, proposait la division des municipalités. Cette division aurait assuré au peuple
serbe d’avoir leurs propres organes, mais en aucun cas elle n’empêchait les autres peuples d’avoir
leurs organes. Les instructions ne contenaient aucune menace, elles ne cherchaient pas à menacer
les autres peuples, leur but était la défense des intérêts du peuple serbe, mais elles ne niaient pas les
droits des autres peuples.
54. Par ailleurs, aucune coopération entre l’ar mée et les cellules de crise organisées par les
Serbes de Bosnie ne peut être déduite de ce document. Si le doc ument suggère une telle
coopération, ce document n’a jamais été adressé à l’ armée et aucune preuve ne démontre que les
unités de l’armée l’ont reçu. En revanche, le discours de Ratko Mladic, commandant de l’armée de
la Republika Srpska, lors de la seizième session de l’Assemblée du peuple serbe tenue le
12mai1992, démontre clairement que l’armée ne recevait pas d’instructions du SDS et qu’elle
52
n’était pas prête à les recevoir .
55. En revanche, le document suggère aussi, ce que le demandeur ne voulait pas noter, la
coopération des Serbes avec le pa rti musulman SDA et le parti croate HDZ. Les deux variantes A
et B donnent des instructions aux membres du SDS de désigner un coordinateur des relations avec
les dirigeants municipaux du SDA et du HDZ 53.
56. Finalement, le document dans ses deux varian tes A et B cherchait à assurer les droits des
autres peuples. La variante A donnait des instruc tions à ceux qui seraient chargés d’exécuter les
51 TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, compte rendu, 1 février 2002, p. 1314-1315
et pièce à conviction P 17.
52 Compte rendu de la seizième session de l’Assemblée du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine du 12 mai 1992 à
Banja Luka, TPIY, affaire Brdjanin, affaire nT-99-36-T, pièce à conviction P 50A, p. 37-50.
53 o
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, document «Instructions, variantes A et B», en
date du 19 décembre 1991, pièce à conviction P 35, p. 6. - 32 -
instructions de «take care to ensure that the national and other rights of members of all peoples are
respected» .54
57. Et la variante B contenait l’instructi on suivante : «Within governmental bodies establish
proportional representation of employees who are members of other nations and nationalities.» 55
58. Le document «Instructions, variantes A et B» était rédigé comme une variante, une
éventualité et il aurait dû être utilisé en cas de besoin. Ce document, s’il a été utilisé, n’a
certainement pas été utilisé avant le printemps 1992. Or, au printemps 1992, il était évident que la
Bosnie-Herzégovine allait dans la guerre, la guerre de tous contre tous. En aucun cas, ce
document, qui entre autres prônait la protection des droits des autres peuples, ne peut être considéré
comme une expression de l’intention génocidaire.
59. Le document «Instructions, variantes A et B» était considéré devant le Tribunal pour
l’ex-Yougoslavie et le Tribunal a jugé qu’il ne pouvait conclure que le document était communiqué
aux municipalités. En conséquence, le Tribunal ne pouvait conclure que les événements qui ont eu
56
lieu dans les municipalités étaient liés aux dirigeants politiques de la Republika Srpska .
60. Le document «Instructions, variantes A et B» est l’un des documents du parti serbe de
Bosnie-Herzégovine, parti SDS. Il a été adopté da ns une situation spécifique, quelques mois avant
l’éclatement de la guerre. Son objectif était de trouver une solution, la solution qui n’aurait
peut-être pas permis à la Bosnie-Herzégovine de devenir un Etat international, mais qui aurait
peut-être préservé les peuples de la Bosnie-Herzégovine.
61. Madame le président, Messieurs les juges, les crimes, de très sérieux crimes étaient
commis, nous ne le nions pas. Cependant, ces crimes n’étaient pas le produit d’une campagne
génocidaire car une telle campagne n’a jamais existé. Ces crimes n’étaient pas commis dans
l’intention génocidaire, ils n’étai ent pas planifiés, ils n’étaient pas coordonnés. Ils n’étaient
certainement pas exécutés en exécution des six obj ectifs stratégiques du peuple serbe de Bosnie ou
en exécution des mesures prévues par le documen t «Instructions, variantes A et B». Les six
54 o
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, document «Instructions, variantes A et B», en
date du 19 décembre 1991, pièce à conviction P 35, p. 5.
55Ibid., p. 6.
56TPIY, Le procureur c. Blagoje Simic, affaire n IT-95-09-T, jugement, 17 octobre 2003, par. 382 et 985. - 33 -
objectifs stratégiques et le document «Instructions, va riantes A et B» n’étaient rien d’autre que le
plan politique légitime du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine.
62. Nos plaidoiries finales confirment seulement ce qui a déjà été démontré, les crimes
n’étaient pas la conséquence du programme politi que des Serbes de Bosnie. Nos plaidoiries
confirment aussi que le génocide n’a pas ét é commis en Bosnie-Herzégovine. Peu importe
l’analyse que nous adoptons, elle peut être anal ytique ou synthétique, le résultat sera toujours le
même : le génocide n’a pas été commis en Bosnie-Herzégovine.
63. Nous avons démontré que les objectifs stra tégique du peuple serbe en Bosnie n’étaient
pas génocidaires en soi. Nous allons démontrer au ssi que leur réalisation n’était ni génocidaire ni
criminelle et que les crimes commis ne peuvent être liés à la volonté légitime du peuple serbe
d’avoir leur territoires. Aux fins de cette démons tration, nous allons passer par tous les objectifs
stratégiques, l’un après l’autre, à l’exception d es objectifs4 (les frontières sur les rivières Una et
Neretva) et6 (l’accès à la mer). L’objectif4 (les frontières sur les rivières Una et Neretva) est
contenu dans l’objectif1 et con cerne principalement la région de Bosanska Krajina. Il est
également, en partie inclus, dans l’objectif3 concernant la valléede la rivière Drina puisque la
rivière Neretva se trouve dans cette région. S’agissant de l’objectif6 (l’accès à la mer), il n’a
jamais été mis en exécution et il ne semble pas nécessaire de s’y attarder.
Madame le président, je ne sais pas si vous souhaitez faire une pause maintenant ou je
continue et on la fait dans dix minutes.
The PRESIDENT: Thank you Maître. Why don’t you continue first a while more and
choose a convenient place?
MFmUeVEAU-IVANOVI Ć : D’accord. Merci, Madame le président.
II. Réalisation des deux premiers objectifs stratégiques :
situation en Bosanska Krajina
1. Bosanska Krajina a toujours été une régi on spécifique en Bosnie-Herzégovine. Peuplée
majoritairement par des Serbes, la région a une histoire tragique et la mémoire chargée des atrocités
commises contre la population serbe pendant la deuxième guerre mondiale. La Chambre de
première instance du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a décrit la situation en Bosanska Krajina dans - 34 -
cette période particulièrement sombre de l’histoi re serbe dans le jugeme nt rendu dans l’affaire
Brdjanin :
«Following the occupation of the Kingdom of Yugoslavia in 1941 by the
German Nazi regime, the independent St ate of Croatia, which included BIH, was
established. The State was governed by a group of extreme Croat nationalists, known
as Ustasha. The Ustasha regime was particul arly brutal in the Bosnian Krajina, where
tens of thousands of Serbs, Jews and Roma were systematically killed in
extermination camps because of their religi on and ethnicity. A significant number of
members of the Bosnian Muslim community collaborated with the Ustasa and the
57
Germans during the war.»
2. Nous n’avons pas l’intention de retourner dans cette période, certainement la plus noire de
l’humanité, mais nous étions oblig és de la mentionner car elle donne la meilleure explication du
comportement des Serbes dans cette région, le co mportement qui n’a été inspiré que par une seule
émotion : la peur.
3. La peur a une place particulière dans le conflit qui a eu lieu en Bosnie-Herzégovine,
malgré le déni constant de cette peur par le demandeur. La peur explique le conflit, elle explique la
situation, elle explique les événements. Nous avons déjà parlé de la peur lorsque nous avons
mentionné le document «Instructions, variantes A et B». La description des événements qui ont eu
lieu dans le passé, telle que présentée par le Tribunal dans l’affaire Brdjanin donne une explication
complémentaire de cette peur.
4. Etant une région importante peuplée majoritairement par des Serbes, Bosanska Krajina
était le point de départ idéal pour la création de l’Etat serbe de Bosnie-Herzégovine ce qui est la
réalisation du premier objectif stratégique. Située dans la partie occidentale de la
Bosnie-Herzégovine, complètement séparée des autres territoires peuplés par les Serbes et enclavée
entre la Croatie et les territoires peuplés par les Croates et les Musulmans bosniaques en
Bosnie-Herzégovine, Bosanska Krajin a avait besoin, afin de pouvoir subsister, du corridor qui la
lierait avec la Bosnie orientale. En conséquence, il n’est pas possible de séparer les événements à
Bosanska Krajina du deuxième objectif stratégique , le corridor entre la Krajina en Bosnie
occidentale et la Semberija en Bosnie orientale.
57TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement du 1 septembre 2004, par. 53. - 35 -
a) Situation et événements à Bosanska Krajina
5. Le demandeur se réfère à la municipalité de Sanski Most, l’une des rares municipalités en
Bosanska Krajina où les Serbes n’étaient pas majo ritaires en alléguant que les attaques étaient
58
planifiées en avance par l’armée et la cellule de crise municipale . Nous ne contestons pas que les
combats ont eu lieu à Sanski Most, comme d’ailleur s dans la plupart des municipalités qui avaient
une population mixte, mais nous contestons fermement que les activités militaires étaient planifiées
en avance et que l’armée était impliquée dans ces plans.
6. Le demandeur n’a présenté aucune preuve pour ses allégations et il ne peut la présenter car
de telles preuves n’existent pas. Les combats qui ont eu lieu à Bosanska Krajina n’étaient pas
planifiés en avance, ils étaient la conséquence des activités des Bérets verts et de la ligue
patriotique, les deux organisations militaires des Musulmans bosniaques qui étaient actives dans les
municipalités de Sanski Most, Prijedor et Kljuc ainsi que dans les autres municipalités en Bosanska
Krajina et en Bosnie-Herzégovine.
7. S’agissant des activités militaires des Musu lmans bosniaques, la Chambre de première
instance a jugé dans l’affaire Brdjanin que: «Muslims were also preparing for a war and
correspondingly arming themselves. In June 1991, SDA leaders formed the «Council for National
Defence of the Muslim Nation» with the Pa triotic League as its paramilitary arm.» 59 En
conséquence, il est erroné de parler des attaques ser bes, il est plus approprié de parler des combats
armés entre les Serbes et les Musulmans bosniaques.
8. Nous ne contestons pas que pendant les combats ainsi qu’après les combats, les crimes ont
eu lieu, mais ces crimes ne faisaient pas partie d’un plan ou d’un programme, ils étaient
malheureusement la conséquence de la guerre civile, ils étaient, en effet, la partie de la guerre
civile, la guerre civile que le demandeur a enfin reconnue bien que partiellement. Il est notoire que
le contexte de guerre est particulièrement favor able aux crimes. Personne ne veut excuser ou
justifier les crimes commis dans la guerre, mais la situation globale doit être attentivement
analysée. Cette analyse est d’autant plus nécessai re lorsque les preuves directes de l’intention
58
CR 2006/5, p. 31, par. 35.
59TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement du 1 septembre 2004, par. 89. - 36 -
criminelle n’existent pas et lorsque cette intenti on devrait être déduite du c ontexte dans lequel les
crimes étaient commis.
9. Le demandeur se réfère aux meurtres qui ont eu lieu dans la région de Bosanska Krajina et
60
particulièrement à Sanski Most . Le Tribunal pour l’ex-Yougoslavi e a jugé ces événements dans
l’affaire Brdjanin. La Chambre de première instance a c onclu, entre autres, quant aux villages de
Hrustovo et Vrhpolje, situés dans la muncipalité de Sanski Most et mentionnés par le demandeur
61
que : «armed Bosnian Muslim forces, as well as the Patriotic League, were present» .
10. L’existence des formations armées musulm anes n’était pas établie seulement dans la
municipalité de Sanski Most. Elle a été établie dans toutes les municipalités dans lesquelles les
crimes ont eu lieu. Ainsi, le conflit armé a eu lie u dans la municipalité de Kljuc. La Chambre de
première instance a jugé dans l’affaire Brdjanin, concernant le village de Pudin Han, situé dans la
municipalité de Kljuc que: «On 27 May 1992, th e resistance fighters attacked a Bosnian Serb
62
military column in the area of Pudin Han.» La Chambre de première instance a également conclu
que ce même jour, le 27 mai 1992, Dusan Stojakovic , un Serbe de Bosnie, le comandant adjoint de
la station de police de Kljuc, a été tué par les soldats musulmans 63.
11. Les combats armés ont également été constat és dans le village de Vecici, situé dans la
municipalité de Kotor Varos où la population a été mélangée. La Chambre de première instance,
toujours dans l’affaire Brdjanin, a jugé que: «In the village of Vecici, the Bosnian Serb forces
64
faced considerable Bosnian Muslim armed resistance and fighting continued for months.»
12. L’analyste militaire du procureur dans l’affaire Brdjanin, M.EwanBrown, a confirmé
aussi l’existence de l’organisation militaire des Musulmans bosniaque s dans les villages
musulmans sur le territoire de la Bosanska Krajina. Il a écrit dans son rapport que :
«In a number of Bosanska Krajina m unicipalities it was also evident that
inhabitants of the non-Serb villages had attempted to organise themselves and had
established some form of local crisis staff of territorial/local defence. Some of this
60
CR 2006/5, p. 31 et 32.
61 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 102.
62 Ibid., par. 108.
63 Ibid.
64 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 111. - 37 -
activity may well have been in direct res ponse to the mobilization of the Bosnian and 65
Herzegovina territorial defence, announced earlier in May by Alija Izetbegovic.»
13. Les conclusions du Tribunal pour l’ex-Y ougoslavie confirment que les combats armés
ont bien eu lieu dans ces villages. Bien que ce fait ne puisse pas excuser ou justifier les crimes
commis, il les situe dans leur contexte véritable. Tous ces crimes peuvent être qualifiés de crimes
de guerre, de violations des lois et coutumes de la guerre, certains crimes peuvent être qualifiés de
crimes contre l’humanité, mais aucun de ces crimes, individuellement ou ensemble avec les autres,
ne peut être qualifié de génocide.
14. Tous les crimes auxquels le demandeur se ré fère étaient liés au conflit armé et leur but
était la destruction des forces armées de l’ennemi. Malheureusement, le contrôle n’a pu toujours
être assuré et les civils étaient tués. La guerre cr ée le désordre et les crimes, de très sérieux crimes
sont commis à la périphérie du conflit armé par les personnes, pouvant être qualifiées de criminels
qui voient dans le désordre géné ral l’opportunité de satisfaire leurs impulsions les plus basses.
Rien ne peut excuser ces crimes, mais ils ne c onstituent pas le génocide. Ils n’étaient pas commis
dans l’intention de détruire en tout ou en par tie un groupe national, ethnique, racial ou religieux
comme tel. Même si l’on évalue ces crimes en leur totalité, tous ensemble, ils ne constituent pas le
génocide car chacun de ces crimes était commis dans une situation particulière, sans plan, sans
projet, et le plus important sans intention génocidaire.
Est-ce que ce serait maintenant ? Merci.
The PRESIDENT: Yes, by all means. The Court will now rise.
The Court adjourned from 11.25 a.m. to 11.40 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated. Maître Fauveau-Ivanović, you have the floor.
Mme FAUVEAU-IVANOVIC : Merci, Madame le president.
15. La plupart des crimes qui auraient ét é commis à Bosanska Krajina, allégués par le
66
demandeur, étaient jugés dans l’affaire Brdjanin devant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie.
65TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin , affaire n IT-99-36-T, Military Developments in the Bosanska
Krajina 1992, Ewan Brown, Military Analyst, 27 novembre 2002, p. 133.
66TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 416-422. - 38 -
Certainement, cette honorable Cour n’est pas liée par les conclusions du Tribunal pour
l’ex-Yougoslavie. Cependant, il peut être noté que la Chambre de première instance a terminé
l’affaire Brdjanin, à l’issue du procès qui a duré trois ans, par un acquittement du génocide.
16. Les faits présentés par le demandeur qui se seraient produits à Bosanska Krajina étaient
jugés par le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie. Cependant, ou le Tribunal n’a pas pu établir ces faits,
ou leur présentation lors du procès Brdjanin étaient différentes et les conclusions du Tribunal
diffèrent sensiblement de la présentation du demandeur.
17. Ainsi, selon l’expert appelé par le demandeur, M. Andras Riedlmayer, trente membres de
la communauté musulmane seraient brûlés en août 1992 dans la mosquée du village Hanifici, dans
67
la municipalité de Kotor Varos . Premièrement, une telle déclaration était complètement en
dehors de l’expertise pour laquelle M.Riedlmayer était appelé et pour la quelle il est qualifié.
68
Deuxièmement, conformément à la déclaration de M.Riedlmayer , sa connaissance de ces
événements ne peut être qualifiée autrement que comme ouï-dire. M.Riedlmayer n’a pas de
connaissances directes de cet événement. Finalement, cette déclaration diffère significativement de
la conclusion de la Chambre de première instance dans l’affaire Brdjanin qui a évalué les
événements dans le village de Hanifici en concluant que huit personnes étaient tuées 69et ces
personnes n’étaient ni tuées ni brûlées dans la mosquée. De toute évidence, un crime a été commis,
mais la nature et l’échelle du crime ne sont pas celles que M.Riedlmayer a présentées dans cette
procédure.
18. Pendant ses plaidoiries du 1 ermars 2006, le demandeur s’est référé au rapport fait par
M.Riedlmayer devant le Tribunal pour l’ex-You goslavie. Dans ledit rapport, M.Riedlmayer a
décrit les meurtres dans le village de Carakovo, municipalité de Prijedor, qui auraient eu lieu
devant la mosquée et qui auraient incl us le meurtre horrible de l’imam local 70. Comme source de
preuves, ce rapport a une valeur plus que limitée car l’événement décrit ét ait complètement en
dehors de l’expertise confiée à M. Riedlmayer et pour laquelle il est qualifié. En plus, l’événement
67
CR 2006/22, p. 28, par. 49.
68
Ibid., p. 41.
69TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 430, notes
de bas de page 1104, 1105.
70CR 2006/5, p. 52, par. 22. - 39 -
n’a jamais pu être établi devant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie qui a jugé les événements à
71 72
Carakovo dans deux affaires, l’affaire Brdjanin et l’affaire Stakic . Ni dans l’une ni dans l’autre
affaire, le Tribunal n’a pas trouvé des éléments de preuve qui suggéreraient les meurtres devant la
mosquée ou le meurtre de l’imam local dans le v illage de Carakovo. Si ces événements avaient eu
lieu, le Tribunal les auraient certainement établis . Simplement, le Tribunal n’a pas pu les établir
puisqu’ils ne se sont jamais produits.
19. La situation a Prijedor était similaire à la situation à Sanski Most, Kljuc et Kotor Varos.
Le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a considéré les év énements à Prijedor dans plusieurs affaires.
Cependant, le demandeur préfère se référer à des différents rapports faits par différentes
commissions qu’aux conclusions du Tribunal. En effet, l’approche du demandeur est
compréhensible car les faits établis par le Tri bunal ne confirment pas les faits allégués par le
demandeur.
20. Dans le premier tour de nos plaidoiries, nous avons démontré les exagérations quant au
nombre de personnes tuées, les exagérations qui sont principalement basées sur les différents
rapports. Nous n’allons pas le s répéter. Cependant, nous dev ons mentionner encore une fois
certains exemples les plus parlants. Ainsi, le demandeur a cité dans sa réplique (chap. 2, par. 22) le
rapport de Tadeusz Mazowietcki 73selon lequel mille personnes auraient été tuées dans le village de
Hambarine. La Chambre de première instance a établi, dans l’affaire Brdjanin, sur la base des
témoignages et de l’expertise médico-légale que trois personnes étaient tuées dans le village de
Hambarine 74.
21. S’agissant de cet événement, nous devons ajouter que le conflit à Hambarine a été
provoqué par les Musulmans bosniaques qui ont ouvert le feu sur les Serbes. Un témoin dans
l’affaire Stakic a décrit cet événement. Il a déclaré que les Musulmans bosniaques, bien armés, sur
71 TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 410.
72 TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 266-268.
73, Sixième rapport soumis par Tadeusz Mazowiecki, le rappotreur spécial de la Commission des droits de l’homme,
Nations Unies, doc. A/47/6661, doc. S/24809, 17 novembre 1992, p. 8, par. 17c).
74 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 401. - 40 -
leur point de contrôle, avaient demandé aux Serbes de rendre leurs armes et ont ouvert le feu d’une
75
mitrailleuse lorsque les Serbes ont refusé de rendre leurs armes .
22. La Chambre de première instance dans l’affaire Stakic a accepté le témoignage de ce
témoin dans en concluant : «Based on this eviden ce, the Trial Chamber concludes in favour of the
Accused and finds that the Muslim personnel at th e checkpoint was the first to open fire on this
76
manifestation of the conflict.»
23. La même analyse peut être faite des événements à Kozarac. Le demandeur, sans avoir
mentionné l’existence du conflit armé, indiquait da ns son mémoire (par.2.2.2.11) un nombre
exagéré de personnes tuées. A l’appui de ses allé gations, le demandeur a cité le rapport des
77
NationsUnies qui, en effet, alléguait que cinqmillepersonnes étaient tuées à Kozarac . Les
événements qui ont eu lieu à Kozarac étaient jugés dans plusieurs affaires devant le Tribunal pour
l’ex-Yougoslavie et avec l’avancement des enquêtes, le nombre des personnes tuées diminuait. Le
jugement rendu dans la dernière affaire dans laquelle ces événements étaient jugés, qui est l’affaire
78
Brdjanin, fait état de quatre-vingtsvictimes musulmanes à Kozarac . Le nombre total des
victimes à Kozarac, incluant les Croates et les Musulmans bosniaques ne dépasse pas
cent quarante victimes conformément aux conclusions du Tribunal 79.
24. Dans l’affaire Stakic, le Tribunal pour l’ex-Yougoslavi e a jugé que la population de
Kozarac a essayé d’établir le contrôle dans la ville et qu’elle a organisé, avec l’aide de Sead Cirkin,
80
un ancien officier de l’armée nationale yougoslave, les patrouilles armées . La Chambre de
première instance a également ét abli l’existence des un ités paramilitaires mu sulmanes dans la
81
région de Kozarac .
25. Dans l’affaire Brdjanin, la Chambre de première instance a établi que, au total,
mille six cent soixante-neuf personnes étaient tuées en Bosanska Krajina en1992, l’année où les
75TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic , affaire n IT-97-24-T, témoignage du témoin DH, compterendu,
p. 13504-13507.
76TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 130.
77Rapport du rapporteur spécial: Situ ation des droits de l’homme sur le territoire de l’ex-Yougoslavie,
Nations Unies doc. A-47-666, S-24809, 17 novembre 1992.
78TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 403.
79
Ibid., par. 476.
80 o
TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 140.
81
Ibid., par. 142. - 41 -
82
pires crimes étaient commis . Dans cette même affaire, le Tr ibunal a également établi qu’avant la
guerre dans les municipalités pertinentes vi vaient deux cent trente-trois mille cent
vingt-huitMusulmans bosniaques et cent trois mille troiscent quatorzeCroates 83. Ainsi, du
nombre total de la population musulmane et croa te qui comportait en Bosanska Krajina deux cent
quatre-vingt-seize mille quatre cent quarante-dep uexrsonnes, mille six cent
soixante-neufpersonnes étaient tuées et personne n’a établi que toutes les victimes étaient des
Croates et des Musulmans bosniaques. Il pourrait êt re cruel de compter les victimes puisque toute
victime est une victime de trop, et toutes ces personnes n’auraient pas dû être tuées, mais les faits
établis ne permettent pas la dé duction de l’intention génocidaire, qui de toute façon n’a jamais
existé.
26. Le demandeur critiquait nos référe nces aux jugements du Tribunal pour
84
l’ex-Yougoslavie quant au nombre de personnes tuées . L’argument est pour le moins étrange, car
le demandeur lui-même se réfère aux actes d’accusation du procureur du Tribunal et aux différentes
décisions, dont la valeur probante est certainemen t moindre que la valeur des jugements. Par
ailleurs, l’allégation du demandeur selon laquelle les meurtres qui n’ont pas été établis dans les
jugements, auraient toutefois pu être commis n’est pas complètement exacte. En effet, le Tribunal
juge rarement des auteurs directs des crimes commis, il juge plutôt les dirigeants politiques ou les
commandants militaires chargés de la totalité d es crimes commis dans la région sous leur
responsabilité et en conséquence chargés des crimes commis aussi par les tierces personnes. Ceci
est particulièrement vrai pour l’affaire Brdjanin. Radoslav Brdjanin était le dirigeant politique de
la Bosanska Krajina qui, pendant toute la guerre, tena it la position clé et au niveau de la région et
85
au niveau de la Republika Srpska . Radoslav Brdjanin a été accusé de la totalité des crimes
commis en 1992 dans la région de Bosanska Krajina, l’une des régions les plus importantes sous le
contrôle des Serbes de Bosnie. En plus et fina lement, le demandeur n’a pas présenté des moyens
de preuve crédibles qui permettraient la conclusion que d’autres crimes étaient commis que ceux
82 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 465.
83Ibid., par. 967.
84CR 2006/30, p. 26-27.
85TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 286. - 42 -
qui étaient établis par le Tribunal. Et peu importe la nature de la procédur e, la charge de preuve
reste toutefois sur le demandeur.
27. Les camps les plus connus en Republika Srps ka étaient établis par les Serbes de Bosnie
dans la région de Bosanska Krajina, et plus partic ulièrement dans la municipalité de Prijedor. Les
conditions dans ces camps étaient mauvaises, mais tous ces camps étaient jugés dans plusieurs
affaires devant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie qui n’a jamais établi l’existence du génocide.
28. Bien que le demandeur r econnaisse dans ces plaidoiries que le procureur du Tribunal a
fait des enquêtes sur les camps, il préfère encore un e fois fonder ses allégations sur les différents
rapports qui étaient tous considérés par le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie. Toutefois, dans aucune
affaire relative aux camps, le Tribunal n’a établi le génocide. Le demande ur essaie de contourner
ce fait en alléguant que ces affaires étaient limitées aussi bien territorialement que
temporairement 86. S’agissant des camps en Bosanska Krajina, les affaires jugées devant le
Tribunal étaient certainement limitées dans le temps puisque la majorité des camps étaient fermés à
la fin de l’été1992. S’agissant des limitati ons à une région géographique, elle n’est que
partiellement véridique, car l’affaire Brdjanin, bien qu’elle n’ait pas concerné toute la
Bosnie-Herzégovine, comprenait toutefois seize muni cipalités. Cependant, le génocide n’a pas été
établi.
29. Finalement, lorsque le demandeur se réfè re aux conclusions du Tribunal concernant les
camps, il préfère citer la décision relative au consta t judiciaire des faits jugés, rendue dans l’affaire
Krajisnik 87. Avant d’entrer dans l’analyse de cette dé cision, il faut noter que cette décision relate
des faits établis préalablement dans d’autres affair es jugées devant le Tribunal dans lesquelles le
88
génocide n’a pas été établi . Nous pouvons ajouter que les camps auxquels le demandeur se réfère
avaient également été jugés dans certaines affaires qui n’étaient pas citées dans la décision rendue
89
dans l’affaire Krajisnik. Toutefois, et toujours, le génocide n’a pas été établi .
86 CR 2006/5, p. 22, par. 3.
87 Ibid., p. 33, par. 41.
88 o
TPIY, Le procureur c. Dusko Tadic , affaire n IT-94-1; Le procureur c. Miroslav Kvocka et consorts, affaire
no IT-98-30/1.
89 o o
TPIY, Le procureur c. Sikiricao, affaire n IT-95-8; Le procureur c. Milomir Stakic , affaire n IT-97-24; Le
procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire nIT-99-36. - 43 -
30. Conformément à la décision rendue dans l’affaire Krajisnik et à laquelle le demandeur se
réfère : «the Prijedor Chief of Police Simo Drljaca issued the official order to establish the camps.
Simo Drljaca was a chief of the Prijedor municipality Public Security Station and a member of the
90
Prijedor Crisis Staff.»
31. Simo Drljaca était le chef de la police de Prijedor et a joué le rôle principal dans
l’établissement des camps et probablement aussi dans l’administration de ces camps. Le rôle de
Simo Drljaca a été évalué dans l’affaire Stakic où la Chambre de première instance a conclu que :
«Simo Drljaca, head of the Prijedor SJB, clearly played an important role in
establishing and running the camps, and was portrayed by the evidence as being a
difficult or even brutal person, but the Trial Chamber is 91t satisfied that Drljaca
pulled the Crisis Staff into a genocidal campaign.»
32. Dans l’affaire Stakic, la Chambre de première instance a évalué les preuves relatives à
l’intention de l’accusé Milomir Stakic, mais aussi les preuves relatives à l’intention que les autres
fonctionnaires municipaux de Prijedor auraient pu avoir et a conclu :
«The Trial Chamber has considered whether anyone else on a horizontal level in
the Municipality of Prijedor had the dolus specialis for genocide by killing members
of the Muslim group but concludes that there is no compelling evidence to this
92
effect.»
33. La Chambre de première instance a égal ement conclu que les personnes au niveau
supérieur de la hiérarchie du parti serbe SDS, qui était au pouvoir en Republika Srpska, n’avaient
93
pas d’intention génocidaire . Certes, cette conclusion était fondée sur les preuves présentées dans
l’affaire Stakic, mais Milomir Stakic ayant été le maire de Prijedor avait des contacts aussi bien
avec Radoslav Brdjanin, président de la cellu le de crise de Bosanska Krajina, qu’avec
Radovan Karadzic, président de la Republika Srpska. Il est certain que le procureur du Tribunal a
présenté toutes les preuves dont il disposait afin d’ établir l’intention génocidaire de ces personnes.
Toutefois, la Chambre de première instance n’a pas pu établir que ces personnes étaient animées de
l’intention spéciale nécessaire pour le crime de génoc ide. Le jugement de la Chambre de première
90 TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39&40-PT, Decision on Third and Fourth
Prosecution Motion for Judicial Notice of Adjudicated Fa cts, rendue par la Chambre de première instance le
24 mars 2005; annexe, par. 211-212.
91 TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 555.
92 Ibid.
93 o
TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 551. - 44 -
instance rendu dans l’affaire Stakic a été confirmé par la Chambre d’appel. Le jugement définitif
du Tribunal établit clairement que le génocide n’a p as été commis dans la municipalité de Prijedor.
Le Tribunal n’a pas pu conclure autrement, car l’ intention génocidaire n’a pas existé, le génocide
n’a pas été commis.
34. Les camps auxquels le demandeur se réfè re étaient initialement constitués comme des
centres de collection pour les personnes capturées dans les combats ou arrêtées dans des
94
interventions policières . Toutefois, peu importe l’intention initiale des personnes qui ont établi
ces camps, nous n’avons pas l’intention de nier que les conditions dans les camps étaient
mauvaises. Nous ne nions pas des crimes qui étaient commis dans ces camps. Mais ni les
conditions mauvaises ni les crimes commis dans l es camps ne constituent le génocide en l’absence
de l’intention génocidaire. Or, cette intention n’a jamais existé.
35. Le demandeur essaie d’établir l’intention génocidaire dans ces camps en citant les faits
95
sur lesquels Biljana Plavisc et le procureur du Tribunal ont trouvé un accord . Premièrement, ces
faits ne peuvent être considérés comme confirmés par Biljana Plavsic. Ce rtes, elle a trouvé un
accord avec le procureur sur ces faits, mais elle ne les a pas confirmés, ces faits ne se trouvent pas
dans une déclaration de Biljana Plavsic. Il s’agit d’un accord entre les deux parties dans une affaire
particulière, une affaire dans laque lle les deux parties ont leurs propr es intérêts et ces intérêts leur
ont imposé d’accepter ces faits. Deuxièmement, Biljana Plavsic a reconnu que la détention illégale
a eu lieu et que le crime de persécution, le crime contre l’humanité a été commis. Elle n’a jamais
accepté, et encore moins confirmé, que le génocid e avait été commis. Elle n’a jamais exprimé
aucune pensée ou idée dont l’intention génocidaire pourrait être déduite. BiljanaPlavsic, quant à
sa position dans la présidence de la Republika Srsp ka, était certainement en position de savoir si
l’intention génocidaire existait et de la confirmer si celle-ci avait existé. Elle ne l’a pas fait. Donc,
aucune intention génocidaire ne peut être déduite de l’affaire Biljana Plavsic.
36. La même analyse peut être fait e de la décision rendue dans l’affaire Krajisnik,
96
conformément à l’article 98 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal . Le
94 o
TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 159.
95CR 2006/5, p. 24, par. 12.
96ICTY, Prosecutor v. Momćilo Krajisnik, Decision on the Defence Motion for Acquittal under Rule 98 bis, case
No. IT-00-39-T for Friday, 19 August 2005, transcript pp. 17128-17130. - 45 -
demandeur voudrait établir certains fa its par des conclusions de la Chambre de première instance
exprimées dans cette décision. Comme nous l’avons déjà dit, les décisions rendues en application
de l’article98 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal n’établissent pas des faits
au-delà de tout doute raisonnable. Ces décisions n’établissent que la probabilité que ces faits se
sont produits, la probabilité qui peut s’avérer inexacte.
37. Le demandeur reconnaît que les conclusi ons du Tribunal dans les décisions rendues en
application de l’article 98 bis du Règlement du Tribunal ne font p as partie du jugement final, mais
il essaie toutefois de démontrer leur véracité, car e lles ont déjà pu être contestées par la défense et
elles ont été appréciées par les juges 97. Nous avons déjà dit que ces décisions sont rendues à la fin
de la présentation des moyens de preuve par le procureur. Ces décisions rendues avant que la
défense ait présenté ses preuves ne peuvent être considérées comme des conclusions crédibles des
juges. Cette position est confirmée par le fait que, dans certaines affaires, le Tribunal a considéré,
dans la décision rendue en application de l’article 98 bis du Règlement que le génocide avait été
commis, tout en concluant à l’issue du procès et ap rès la présentation de moyens de preuve de la
défense que le génocide n’a pas été commis. Ainsi, la décision rendue par la Chambre de première
instance en application de l’article 98 bis du Règlement dans l’affaire Brdjanin n’excluait pas le
98 99
génocide . Cette décision a été même c onfirmée par la Chambre d’appel . Cependant, dans le
jugement rendu à l’issue du procès, la Chambre de première instance a conclu que le génocide n’a
100
pas été commis en Bosanska Krajina . La même situation s’est produite dans l’affaire Stakic. La
Chambre de première instance n’a pas exclu le géno cide dans la décision rendue en application de
101
l’article 98 bis du Règlement . Cependant, dans le jugement la Chambre a conclu que le génocide
102
n’a pas été commis . La Chambre d’appel a confirmé le jugement de première instance dans
97
CR 2006/5, p. 25, par. 14.
98 o
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, Decision on Motion for Acquittal pursuant to
Rule 98 bis, rendue par la Chambre de première instance le 28 novembre 2003.
99 o
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-A, Decision on Interlocutory Appeal, rendue par
la Chambre d’appel le 19 mars 2004.
100 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004.
101 o
TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic , affaire n IT-97-24-T, Decision on Rule 98 bis Motion for Judgement
of Acquittal, rendue par la Chambre de première instance le 31 octobre 2002.
102 o
TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003. - 46 -
l’affaire Stakic et a conclu dans le jugement définitif que le génocide n’a pas eu lieu à Prijedor 103.
En conséquence, les conclusions du Tribunal expr imées dans les décisions rendues en application
de l’article 98 bis ne peuvent être considérées que comme des conclusions intermédiaires rendues
exclusivement sur la base des moyens de preuve présentées par le procureur. Ces décisions ne
contiennent pas de conclusions factuelles ou légales qui peuvent être considérées comme établies.
38. Il faut dire aussi que le demandeur ne fait aucune distinction entre les camps qui
existaient en Republika Srpska. Toutefois les di fférences existaient. Les conditions n’étaient
certainement pas bonnes dans aucun de ces camps, mais dans certains ca mps les conditions ne
constituaient pas une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale et ne pouvaient pas être
considérées comme soumission du groupe à des c onditions devant entraîner sa destruction
physique.
39. Dans l’affaire Brdjanin, la Chambre de première instance du Tribunal pour
l’ex-Yougoslavie a jugé que les preuves présent ées étaient dans certains cas insuffisantes pour
qu’elle puisse conclure que l’atte inte à l’intégrité physique ou mentale était suffisamment grave
afin de permettre d’être qualifiée comme une a tteinte grave. Le Tribunal est parvenu à cette
conclusion s’agissant de la région de Bosanska Krajin a sur les camps suivants : la station de police
à Kostajnica, la municipalité de Bosanski Novi , l’école primaire dans la municipalité de
Kotor Varoš, les camp Ribnjak et Vijaka Mill dans la municipalité Prnjavor, la station de police à
Sipovo, la municipalité de Sipovo, la station de police à Bosanski Petrovac dans la municipalité de
Bosanski Petrovac, les camps Krings, salle de sport et la station de police à Lusci Palanka dans la
104
municipalité de Sanski Most .
40. La même analyse peut être faite des c onditions dans les camps qui pourraient constituer
la soumission du groupe à des conditions d’existen ce devant entraîner sa destruction physique. La
Chambre de première instance a trouvé que les preuves présentées dans l’affaire Brdjanin étaient
insuffisantes afin de conclure que les conditi ons dans certains camps étaient telles qu’elles
pourraient constituer la soumission du groupe à d es conditions d’existence devant entraîner sa
destruction physique. Cette conclusion du Tribunal concernait des camps suivants: le camp
103 o
TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-A, arrêt, 22 mars 2006.
104TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 742-743. - 47 -
Ribnjak dans la municipalité de Prnjavor, la station de police à Bosanska Kostajnica, la
municipalité de Bosanski Novi, le bâtiment du cen tre de sécurité, Mali Logor et la prison de
Tunjice dans la municipalité de Banja Luka, l’école primaire à Grabovica, le camp Sawmill dans la
municipalité de Kator Varos, le camp Kozila dans la municipalité de Bosanski Petrovac, les écoles
primaires Jasenica et Petar Kocic dans la municipa lité de Bosanska Krupa, la station de police et
l’école Nikola Mackic dans la municipalité de Kljuc, les casernes, la station de police et le camp
Miska Glava dans la municipalité de Prijedor, le gy mnase Hasan Kikic, et le camp Krings dans la
municipalité de Sanski Most et la station de police dans la municipalité de Teslic 105.
41. Par ailleurs, certains événements décrits par le demandeur concernant le camp militaire
de Manjaca étaient infirmés dans les procès devant le Tribunal pour l’ex-Youg oslavie. Ainsi dans
sa réplique (chap. 5, par. 382) le demandeur alléguait que :
«The camp held a limited number of women. During their stay in Manjaca they
were raped repeatedly. One young girl was raped in front of her mother and died soon
afterwards. Muslim inmates were also coerced to rape female prisoners. A 14 year old
boy was, for example, forced to have sex with a 60 year-old woman.»
Cette allégation qui provient du rapport de la commiss ion d’experts était rejetée par la Chambre de
première instance dans l’affaire Brdjanin qui a conclu que: «No evidence has been presented
before the Trial Chamber that, as alleged in the Indictment, in Manjača, detainees were subjected to
acts of sexual degradation» et la Chambre a conc lu «The Trial Chamber has been unable to find
106
any indication of these events in the evidence.»
42. S’agissant du camp de Manjaca, les preuves contradictoires étaient présentées devant le
Tribunal dans l’unique affaire dans laquelle les événements dans ce camp ont été jugés. Dans
l’affaire Brdjanin, il a été découvert que M. Paddy Ashdown, actuellement le haut Representative
de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, avait visité le camp de Manjaca en 1992,
comme l’envoyé du Secrétaire général des Nations Unies. A sa sortie du camp M.Ashdozn a dit
107
que le camp de Manjaca était administré proprement .
105TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 907-908.
106Ibid., par. 755 et la note de bas de page n 1837.
107 o
TPIY Le procureur c. Radoslav Brdjanin et Momir Talic , affaire nIT-99-36-T, compte rendu,
26 février 2002, p. 2270-2271. - 48 -
43. Certes, les camps mentionnés n’étaient pas tous les camps qui existaient en
Bosnie-Herzégovine, mais même si les conditions étaient tellement mauvaises qu’elles pouvaient
constituer l’attente grave l’inté grité physique ou mentale de me mbres du groupe ou la soumission
du groupe à des conditions d’existence devant entraî ner sa destruction physique totale ou partielle
cela ne signifie pas automatiquement que le génoc ide avait été commis. L’intention génocidaire
doit encore être prouvée pour que ces faits puissent constituer le génocide. Comme le Tribunal
pour le Rwanda a correctement conclu sur le fonde ment des travaux préparatoires de la convention
sur le génocide: «absent intent to destroy a pr otected group, no act can amount to genocide, no
matter how atrocious that act is» 10. L’intention génocidaire n’a été trouvée dans aucune affaire
jugée devant le Tribunal concernant les événemen ts à Bosanska Krajina et elle ne pouvait être
trouvée car elle n’a jamais existée.
44. Certainement, les conditions dans les camp s aussi bien à Prijedor que dans les autres
camps de Bosanska Krajina étaient extrêmement mauvaises, mais ces conditions, en absence de
l’intention génocidaire, ne peuve nt toujours pas être considérées comme des faits constituant la
soumission intentionnelle du groupe à des conditi ons d’existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle qui auraient constitué le génocide.
45. Les mots «soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partielle» 109 étaient proposés par le représentative belge
dans le sixième comité de l’Assemblée générale d es Nations Unies. Pour que les conditions soient
constitutives du génocide il faut qu’elles soient calculées afin de provoquer la destruction physique,
autrement dit la mort. Bien qu’elles ne soie nt pas constituées que des meurtres, elles doivent
entraîner la mort.
46. L’expression «soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partie lle» a été définie par le Tribunal pour le Rwanda
dans l’affaire Akayesu qui a jugé que cette expression: «s hould be construed as the methods of
destruction by which the perpetrator does not i mmediately kill the members of the group, but
108 o
TPIR, Le procureur c. Jean-Paul Akayesu, affaire n IT-96-4-T, jugement, 2 septembre 1998, par. 519.
109Nations Unies, doc. A/C.6/217 (la proposition belge); doc. A/C.6/SR.82 (l’amendement soviétique). - 49 -
110
which, ultimately, seek their physical destruction» . Et le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a défini
dans l’affaire Stakic la destruction physique: «The element of physical destruction is inherent in
the word genocide itself, which is derived from the Greek «genos» meaning race or tribe and the
111
Latin «caedere» meaning to kill.»
47. En plus, la Commission du droit internati onal en déduction des travaux préparatoires a
conclu que :
«As clearly shown by the preparatory work for the Convention, the destruction
in question is the material destruction of a group either by physical or by biological
means, not the destruction of the nationa l, linguistic, religious, cultural or other
identity of a particular group. The nationa l or religious element and the racial or
ethnic element are not taken into consideration in the definition of the word
«destruction», which must be taken only in its material sense, its physical or biological
112
sense.»
48. S’agissant des camps dans la Bosanska Kr ajina, ils n’étaient pas établis afin de
provoquer la destruction physique. La plupart de ces camps existaient quelques mois et étaient
fermés à la fin de l’été 1992. Même si nous ne nions ni les mauvaises conditions qui existaient
dans ces camps ni les crimes qui y étaient commis , nous devons noter que les Serbes de Bosnie,
s’ils avaient eu l’intention de détruire les Mu sulmans bosniaques ou une partie d’eux, ceux qui
vivaient en Bosanska Krajina, ils pouvaient admi nistrer les camps autrement. L’argument est
extrêmement cruel et n’est pas facile à formuler, mais il est malheureusement très réaliste. Il a été
utilisé par la Chambre de première instance du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie dans l’affaire Stakic
qui a jugé que: «Had the aim been to kill all Musl ims, the structures were in place for this to be
113
accomplished.» La Chambre d’appel a jugé que la Chambre de première instance a correctement
utilisé cet argument dans l’évaluation des preuves. Aux termes de l’arrêt de la Chambre d’appel :
«the Trial Chamber cited this fact because it constitutes evidence that the Appellant did not seek to
destroy the Bosnian Muslims group in whole or in part ⎯ the fact that more Bosnian Muslim could
have been killed but were not indicates that the Appellant lacked dolus specialis» 114.
110 o
TPIR, Le procureur c. Jean-Paul Akayesu, affaire n IT-96-4-T, jugement, 2 septembre 1998, par. 505.
111TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 518.
112Rapport de la Commission du droit international, quarante-huitième session, 6 mai-26 juillet 1996,
Nations Unies, doc. A/51/10, p. 90-91.
113TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 553.
114 o
Ibid., affaire n IT-97-24-A, arrêt, 22 mars 2006, par. 42. - 50 -
49. Bien que le jugement cité et l’arrê t le confirmant concernent l’intention de
MilomirStakic, le maire de Prijedor, il faut noter qu’ils sont valables pour tous les dirigeants
politiques et militaires des Serbes de Bosnie puisque, tous, ils avaient sur les territoires sous leur
contrôle la possibilité de détruire les peuples que le demandeur qualifie de non serbes. Ils ne l’ont
pas fait, ils n’ont jamais eu l’inte ntion de le faire. Leur objectif était de créer un Etat où le peuple
serbe vivrait en sécurité.
50. La Chambre de première instance dans l’affaire Brdjanin a utilisé un argument similaire.
Elle a considéré le nombre des Musulmans bosniaques et des Croates qui ont effectivement souffert
de l’atteinte grave à l’intégrité physique ou ment ale de membres du groupe et qui étaient soumis à
des conditions d’existence devant entraîner sa destru ction physique totale ou partielle, les actes qui
constitueraient le génocide s’ils étaient commis dans l’intention génocid aire. La Chambre de
première instance a conclu que : «The number of Bosnian Muslims and Bosnian Croats who were
victims within the terms of Article 4 (2) (a), (b) or (c) as such and of itself does not allow the Trial
Chamber to legitimately draw the inference that the underlying acts were motivated by genocidal
115
intent.» L’article 4 du Statut du Tribunal est identique à l’article 2 de la convention sur le
genocide.
51. La Chambre de première instance a jugé également toujours dans l’affaire Brdjanin que
tous les détenus dans les camps n’étaient pas maltraités en concluant :
«although the evidence demonstrates that the beatings were widespread, they were not
administered on all detainees, particularly when these were women and children.
Nevertheless, of those detention facilities fo r which there is an estimated number of
detainees, around 15,623 Bosnian Muslims and Bosnian Croats were detained in those
camps and detention f116lities where serious bodily and/or mental harm was inflicted
on some of them.»
52. La Chambre de première instance a également jugé que le nombre des détenus ne pouvait
117
être établi avec certitude puisque les détenus étaient transférés entre les différents camps .
53. Finalement, la Chambre de première instance a conclu que :
«extremely high number of Bosnian Mus lim and Bosnian Croat men, women and
children forcibly displaced from the ARK in this case, particularly when compared to
115 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 974.
116Ibid.; note de bas de page 2448.
117Ibid. - 51 -
the number of Bosnian Muslims and Bosnian Croats subjected to the acts enumerated
in Article 4(2) (a), (b) and (c), does not support the conclusion that the intent to
destroy the groups in part, as opposed to the intent to forcibly displace them, is the
118
only reasonable inference that may be drawn from the evidence» .
54. La grande majorité de personnes détenues ont pu quitter les camps, la grande majorité
des Musulmans bosniaques ont été autorisés par l es Serbes de Bosnie de quitter les camps.
Certainement, ils ont souffert penda nt leur détention dans les camps et la plupart d’entre eux ne
pouvaient pas retourner dans leurs maisons. Cependant, comme la Chambre de première instance a
correctement conclu dans l’affaire Stakic: «It does not suffice to deport a group or a part of a
group. A clear distinction must be drawn between physical destruction and mere dissolution of a
group…This is because the dissolution of th e group is not to be equated with physical
119
destruction.»
55. Et la Chambre de premiè re instance dans l’affaire Brdjanin a jugé également la même
chose en effet.
56. Finalement, ayant considéré la totalité des preuves présentées dans l’affaire Brdjanin,
l’affaire qui concernait toute la région de Bo sanska Krajina comprenant seize municipalités et
couvrant une grande partie du territoire de la Re publika Srpska, la Chambre de première instance a
jugé que :
«the scale of the acts enumerated in Article 4(2) (a) to (c) does not allow the Trial
Chamber to legitimately come to the conclusion in favour of the existence of
genocidal intent, particularly when viewed in light of the number of Bosnian Muslims
and Bosnian Croats forcibly displaced from the ARK. The difference between the two
is too pronounced, particularly in light of the fact that during much of the period
relevant to the Indictment, and certain ly as from summer 1992, the Bosnian Serb
forces controlled the territory of the ARK, as shown by the fact that they were capable
of mustering the logistical resources to forc ibly displace tens of thousands of Bosnian
Muslims and Bosnian Croats, resources which, had such been the intent, could have
been employed in the destruction of all Bo snian Muslims and Bosnian Croats of the
120
ARK.»
57. Contrairement aux allégations du de mandeur selon lesquelles le Tribunal pour
l’ex-Yougoslavie considérerait les preuves par ra pport à un accusé et un événement, il apparaît
clairement du texte du jugement rendu dans l’affaire Brdjanin que le Tribunal évalue les preuves
dans leur totalité. Encore une fois nous soulignons que cette affaire particulière, l’affaire Brdjanin,
118 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 976.
119TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 519.
120TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 978. - 52 -
concernait toute la région de Bosanska Krajina. T outefois, la Chambre de première instance n’a
pas pu conclure que le génocide était commis, car tout simplement le génocide n’a pas été commis.
En conséquence, la Chambre de première instance a conclu que :
«Although the factors raised by the Prosecution have been examined on an
individual basis, the Trial Chamber finds that, even if they were taken together, they
do not allow the Trial Chamber to legitimatel y draw the inference that the underlying
offences were committed with the specific inte nt required for the crime of genocide.
On the basis of the evidence presented in this case, the Trial Chamber has not found
beyond reasonable doubt that genocide was committed in the relevant ARK
121
municipalities.»
58. Même en prenant en considération le type de la conduite «a pattern», la Chambre de
première instance ne pouvait pas en déduire l’intent ion génocidaire. En revanche elle a conclu
que :
«The Trial Chamber has already provided an overview of the crimes that were
committed in execution of the Strategic Plan in the ARK during the period relevant to
the Indictment, and found a pattern of c onduct of the Bosnian Serb forces throughout
the ARK municipalities, the final objective of which was the permanent removal of
most of the non-Serb population.» 122
Et la Chambre de première instance a, à l’issue du procès, qualifié les crimes commis dans la
région de Bosanska Krajina comme les crimes contre l’humanité ⎯ persécutions en concluant :
«While the general and widespread nature of the atrocities committed is
evidence of a campaign of persecutions, the Trial Chamber holds that, in the
circumstances of this case, it is not possible to conclude from it that the specific intent
required for the crime of genocide is satisfied.» 123
59. Certes, votre Cour n’est pas liée par des conclusions du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie,
mais certaines inférences peuvent être déduites des jugements de ce Tribunal.
60. Une autre Chambre de première instan ce est parvenue à la même conclusion dans
l’affaire concernant les événements de Prijedor. Les événements à Prijedor constituent sans aucun
doute le cŒur des événements en Bosanska Krajina, cependant la Chambre de première instance a
jugé qu’elle ne pouvait établir l’intention spéciale requise pour le génocide ni chez l’accusé ni chez
121 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 989.
122Ibid., par. 983.
123Ibid., par. 984. - 53 -
124
ses subordonnés . En effet, la Chambre de première instance a conclu que «the Trial Chamber
has not found beyond a reasonable doubt that genocide was committed in Prijedor in 1992» 125.
61. Certes, la Chambre de première instance a évalué uniquement les preuves relatives à
l’année1992 puisque Milomir Stakic n’a été accu sé que pour les événements qui avaient eu lieu
en 1992. Cependant, lorsque le procureur a accu sé Milomir Stakic, il l’a accusé uniquement pour
cette année puisqu’il n’a pas pu trouver de ra isons suffisantes de l’accuser pour les années
ultérieures. Le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a jugé plusieurs personnes pour des événements
dans la région de Prijedor et aucune de ces pe rsonnes n’a été accusée pour des événements qui ont
eu lieu après l’année 1992. Le fait est plus que logique car la plupart des camps dans cette région
étaient fermés à la fin de 1992.
62. L’année 1992 était certainement la pire année en Bosanska Krajina. Le demandeur a
même reconnu dans ses plaidoiries que l’ann ée 1992 était la pire année dans toute la
Bosnie-Herzégovine 12. Toutefois, le Tribunal n’a jamais trouvé que le génocide aurait été commis
dans la région de Bosanska Krajina. Le Tribunal a considéré aussi bien l’intention des accusés que
des personnes liées aux accusés dans la hiérarchie politique et militaire des Serbes de Bosnie, mais
encore, il n’a pas pu établir le génocide.
63. Dans l’affaire Stakic, la Chambre de première instance a jugé que :
«the common goal of the members of the SDS in the Municipality of Prijedor,
including Dr. Stakic as President of the Municipal Assembly, was to establish a
Serbian municipality, there is insufficient evidence of an intention to do so by
destroying in part the Muslim group. The Trial Chamber believes that the goal was
rather to eliminate any perceived threat, especially by Muslims, to the overall plan and
to force non-Serbs to leave the Municipality of Prijedor. Security for the Serbs and
127
protection of their rights seems to have been the paramount interest.»
64. Effectivement, les Serbes de Bosnie avaient peur que les hommes en âge militaire
allaient joindre l’armée de la Bosnie-Herzé govine. Comme les Serbes de Bosnie voulaient
empêcher les Musulmans de joindre l’armée de la Bosnie-Herzégovine, la majorité des crimes
étaient commis à l’encontre des hommes en âge militaire. Le fait que la guerre en
124TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 559.
125
Ibid., par. 560.
126CR 2006/2, p. 44, par. 56.
127TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 553. - 54 -
Bosnie-Herzégovine était une guerre civile ainsi que l’éducation militaire que tous les hommes en
ex-Yougoslavie ont reçue dans le cadre de la défen se territoriale rendaient la distinction entre les
militaires et les civils extrêmement difficile. Dans ce cadre nous voulons souligner que nous
sommes entièrement d’accord avec le demandeur qui a déclaré dans ses plaidoiries du 2 mars 2006
que l’un des éléments nécessaires pour le génoc ide est la commission des crimes contre la
population civile identifiée comme un groupe séparé 128.
65. Les Serbes de Bosnie n’avaient jamais l’in tention de détruire les Musulmans bosniaques,
leur intention était de se protéger eux-mêmes. Les témoignages entendus devant le Tribunal pour
l’ex-Yougoslavie confirment que la peur et la protection de la population serbe étaient les raisons
pour la détention des hommes musulmans en âge militaire. Nous pouvons citer le témoignage d’un
Musulman bosniaque de Banja Luka qui a déclaré dans l’affaire Brdjanin que «in Banja Luka, very
few men of military age were permitted to leave in the direction of Travnik, for authorities feared
that they would be mobilised into the ABiH» 12.
66. Le Tribunal a adopté ce raisonnement, car la Chambre de première instance a conclu
dans l’affaire Brdjanin que les victimes des actes qui pourraient constituer le génocide et
particulièrement les détenus étaient majoritairem ent les hommes en âge militaire. Le Tribunal a
jugé que ce fait militait contre l’intention génocidaire en concluant que :
«There is an alternative explanation for the infliction of these acts on
military-aged men, and that is that the goa l was rather to eliminate any perceived
threat to the implementation of the Strate gic Plan in the ARK and beyond. Security
130
for the Bosnian Serbs seems to have been the paramount interest.»
67. Le Tribunal a donc conclu que la sécurité de la population serbe était l’intérêt principal
des Serbes de Bosnie. Cette conclusion doit être appréciée dans le contexte de la peur dont nous
avons parlé auparavant. La peur était le mobile pr incipal de tous les actes des Serbes de Bosnie, la
peur était la raison d’adopti on du premier objectif stratégique, la séparation des autres
communautés et la création de l’Etat serbe. La peur a provoqué des crimes, mais l’intention
derrière ces crimes n’était pas la destruction des Musulmans bosniaques et des Croates, alliés dans
128
CR 2006/7, p. 29, par. 90.
129TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin , affaire n IT-99-36-T, témoignage du témoin AmirDzonlic,
compte rendu, p. 2397-2487.
130Ibid., jugement, 1 septembre 2004, par. 979. - 55 -
les crimes horribles qui se sont produits lors de la deuxième guerre mondiale. Les crimes étaient
commis contre les Musulmans et les Croates, mais aucun de ces crimes n’était commis dans
l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme
tel.
68. De plus, dans l’affaire Stakic, la Chambre de première instance mais aussi la Chambre
d’appel du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie ont accepté comme sincère la déclaration de
MilomirStakic, maire de Prijedor, qui a déclaré en 1992, pendant la guerre et au moment où les
événements tragiques avaient lieu que : «Those who stained their hands with blood will not be able
131
to return. Those others, if they want…wh en the war ends, will be able to return.» Une telle
déclaration d’une personne ayant une position importa nte dans la hiérarchie des Serbes de Bosnie
et dans le parti SDS démontre clairement que l es Serbes de Bosnie n’avaient pas l’intention de
détruire les Musulmans bosniaques, mais une intention de les déplacer, et de les déplacer
temporairement. Cette intention de déplacer la population musulmane bosniaque était bien plus
provoquée par la peur pour les intérêts serbes que par une volonté réelle d’expulser la population
musulmane.
69. L’intention de déplacer la population pe ut être déduite des conclusions adoptées le
7juin1992 par les municipalités de Bosanska Krajina comprenant les municipalités de Biha ć,
Bosanski Petrovac, Bosanska Krupa, Sanski Most, Prijedor, Bosanski Novi et Klju č. Ces
municipalités ont adopté la politique suivante :
«All seven municipalities in our subreg ion agree that Muslims and Croats
should move out of our municipalities until a level is reached where Serbian authority
can be maintained and implemented on its own territory in each of these
municipalities. In this respect, we request that the Crisis Staff of the Autonomous
Region of Krajina provide a corridor for th e resettlement of Muslims and Croats to
132
Central Bosnia and Alija’s independent state of BIH because they voted for it.»
70. Ce document ne démontre pas seulement l’intention de déplacer la population, mais de la
déplacer temporairement jusqu’à ce que les organes pouvant garantir la protection et la sécurité ne
soient établis. Ce document, évalué ensemble avec la déclaration de MilomirStakic citée
131TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic , affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par.554; affaire
noIT-97-24-A, arrêt, 22 mars 2006, par. 56.
132TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 967, note
de bas de page 229, pièce à conviction P 229. - 56 -
auparavant (par. 51), démontre clairement que les actes entrepris par les Serbes de Bosnie n’étaient
pas tellement dirigés contre les Musulmans bosnia ques et/ou les Croates, mais que leur objectif
était la protection de la population serbe. Malheu reusement, les autorités n’avaient pas pu ou su
garder le contrôle de la situation, fait qui n’est guère surprenant compte tenu du contexte de la
guerre qui existait à l’époque en Bosnie-Herzégovine.
71. S’agissant du déplacement de la population, il faut noter que la Chambre de première
instance a conclu dans l’affaire Stakic que: «The intention to displace a population is not
133
equivalent to the intention to destroy it.» En effet, l’on peut même poser la question si
l’intention de déplacer la population est compatib le avec l’intention de détruire. William Schabas
considère que le nettoyage ethnique est destiné à déplacer la population tant que le génocide est
destiné à la détruire. Selon son opinion: «it is logically inconceivable that the two agendas
134
coexist» . La position de WilliamSchabas est correct e puisque de toute évidence la population
déplacée n’est pas une population détruite. La population existe, les circonstances peuvent
changer, comme d’ailleurs elles ont changé dans la présente affaire et la pop ulation peut revenir.
Ceux qui ont l’intention de détruire n’auraient certa inement pas permis à la grande majorité de la
population de partir et de vivre parfois dans un pé rimètre de quelques kilomètres de leur résidence
habituelle.
72. La Chambre de première instance a considéré dans l’affaire Brdjanin les objectifs
stratégiques adoptés lors de la seizième session de l’Assemblée du peuple serbe en
Bosnie-Herzégovine ainsi que leur implémentation et a jugé qu’elle ne peut en déduire que le
génocide avait été commis en Bosanska Krajina. La Chambre de première instance a jugé que :
«While the Trial Chamber is satisfied that the Strategic Plan was to link
Serb-populated areas in BiH together, to ga in control over these areas and to create a
separate Bosnian Serb state, from which most non-Serbs would be permanently
removed, and that force and fear were used to implement it, it is not possible to
conclude from the evidence actually brought fo rth in the instant case that there was an
intentio135o do so by destroying the Bosn ian Muslim and Bosnian Croat groups of the
ARK.»
133 o
TPIY, Le procureur c. Milomir Stakic, affaire n IT-97-24-T, jugement, 31 juillet 2003, par. 554.
134William Shabbas: «Genocide in International Law», The Crime of Crimes (Cambridge University Press),
Cambridge, 2000, p. 200.
135TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 981. - 57 -
73. S’agissant de la réalisation des objectifs stratégiques dans la région de Bosanska Krajina,
le Tribunal a donc pu conclure que l’implémentation de ces obj ectifs a provoqué le transfert
136
forcé . Certainement, personne ne pe ut et ne veut justifier ces actes qui constituent des crimes
internationaux, mais les crimes contre l’humanité, pas le génocide.
b) Deuxième objectif stratégique : établissement du corridor entre la Krajina et Semberija
74. L’établissement du corridor entre Krajina et Semberija, ce qui est en effet le corridor
entre Bosanska Krajina et la Bosnie orientale, était indispensable pour la survie de la population de
Bosanska Krajina.
75. A l’époque où l’Assemblée du peuple serbe avait adopté les objectifs stratégiques, la
région de Bosanska Krajina était complètement sépar ée des autres terres serbes. Ce fait n’aurait
pas présenté une préoccupation particulière dans des temps normaux, mais à l’époque
BosanskaKrajina s’est tr ouvée enclavée dans un environnement hostile, elle était complètement
entourée par les forces croates et musulmanes.
76. A cette époque, les Croates représentaient une menace sérieuse pour les Serbes de Bosnie
et il était évident qu’aucun approvisionnement de la population en Bosanska Krajina ne serait
possible par la Croatie. M.Ewan Brown, l’expe rt militaire du procureur, a écrit dans son rapport
présenté dans l’affaire Brdjanin: «The threat posed by the Croats however was not only a
perceived one but in some instances became very real… In March-April 1992 the Croats seized
control of the Bosanski Brod and Derventa areas bl ocking the road that linked Banja Luka through
the corridor to Belgrade.» 137
77. Ainsi, au printemps 1992, Bosanska Krajina, sous menace militaire croate, s’est trouvée
dans une situation économique et sociale difficile . Cette situation a été reconnue par la Chambre
de première instance dans l’affaire Brdjanin qui a trouvé que la situ ation économique posait des
problèmes à Bosanska Krajina en jugeant que: «Undoubtedly, the worsening economic situation
136TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 997.
137 Ibid., Military Developments in the Bosanska Kr ajina 1992, Ewan Brown, Military Analyst,
27 novembre 2002, p. 13. - 58 -
138
also accounted for the dismissal of several non-Serbs, as well as of Bosnian Serb employees» et
aussi
«The Trial Chamber agrees that the armed conflict in Croatia in 1991 had a
disastrous impact on the economy of Bosnia a nd Herzegovina, and particularly that of
the Bosnian Krajina. There is evidence that several business concerns and enterprises,
including public and socially owned ones, we re not working at levels that would be
sustained during normal times and that this resulted in unemployment.» 139
78. Cette situation économique difficile a certainement eu l’influence sur toute la population
qui commençait à apercevoir le danger de la guerre . Comme les Serbes de Bosnie craignaient les
Musulmans et les Croates, ces derniers craignaient les Serbes. La Chambre de première instance a
jugé dans l’affaire Brdjanin que :
«Already before the outbreak of the armed conflict in BiH, Bosnian Muslims
and Bosnian Croats living in the Bosnian Krajina were feeling increasingly insecure
and started leaving the region in convoys… The non-Serb population often sought to
leave, and requested the convoys, which we re then organised by the Bosnian Serb
140
authorities.»
Cette conclusion du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie correspond certainement à la réalité. Personne
ne peut nier que le transfert forcé des populations a eu lieu, mais beaucoup de personnes ont quitté
leurs maisons avant la guerre, avant le comme ncement du conflit armé tout simplement parce
qu’elles avaient peur.
79. Nous pouvons considérer la peur comme fondée ou infondée. Nous pouvons considérer
que les raisons de cette peur exis taient ou n’existaient pas. Cepe ndant, le fait reste que les gens
avaient peur. La peur est un sentiment et par sa natu re même elle est subjective. Elle pouvait être
complètement infondée, mais même infondée, elle a toutefois existé et elle a provoqué, dans la
région de Bosanska Krajina, du côté serbe, les actes di rigés à la création de l’Etat serbe et du côté
croate et musulman, un exode massif de la population.
80. Dans l’affaire de Bosanska Krajina, le Tribunal pour l’ex-Yougolsvie a établi que les
conditions dans les camps étaient mauvaises. Le s conditions étaient simplement mauvaises dans
toute la Bosanska Krajina. La preuve la plus poignante de cette situation désastreuse économique
138 o er
TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 84.
139Ibid., par. 1038.
140Judgment rendered by the ICTY Trial Chamber in the case the Prosecutor v. Radoslav Brdjanin ,
1 September 2004, par. 116. - 59 -
et sociale est certainement la mort de douze bé bés nouveau-nés dans l’hôpital de Banja Luka dans
les premiers jours du juin 1992 , en raison du manque d’oxygène 141. Et ce manque d’oxygène a été
provoqué par l’isolement de Bosanska Krajina, entourée des forces hostiles qui ne permettaient pas
le passage des convois. Sans l’ouverture du corridor, la population de Bosanska Krajina ne pouvait
pas survivre.
81. L’importance du deuxième objectif straté gique, dont le but était de rallier la
Bosanska Krajina et la Bosnie orie ntale, est évidente. Cet objectif n’était certainement pas destiné
à la destruction des Croates ou des Musulmans bos niaques. Il était nécessaire pour permettre aux
peuples de la Bosanska Krajina, toutes nationalités confondues, de survivre.
82. Cette situation désastreuse économique et sociale était la seule raison pour laquelle
l’armée des Serbes de Bosnie s’ est engagée dans l’opération d’ouverture du corridor entre la
Bosnie occidentale et la Bosnie orientale en été 1992.
83. Le demandeur prétend que les Serbes en Bosnie en réalisant ce deuxième objectif
142
stratégique ont pris la municipalité de Bosanski Samac . Les Serbes de Bosnie ont établi le
pouvoir dans la municipalité de Bosanski Samac et certains crimes y ont été commis dans la
période suivant la prise du pouvoir. Cependant , les crimes commis dans la municipalité de
Bosanski Samac doivent être mis dans le contexte très spécifique de la situation géographique de la
ville de Bosanski Samac, qui n’ est pas seulement située sur le co rridor liant les territoires peuplés
par les Serbes en Bosnie occidentale et orientale, mais aussi sur la frontière entre la Croatie et la
Bosnie-Herzégovine.
84. En raison de la guerre en Croatie entre les Croates et les Serbes de Croatie, les Croates de
143
Croatie aidaient l’organisation militaire des Croates de Bosnie et, avant le commencement de la
guerre en Bosnie-Herzégovine, organisaient de no mbreuses attaques sur la population serbe, mais
aussi sur l’armée nationale yougoslave, alors l’armée légitime en Bosnie-Herzégovine.
85. Le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a jugé dans l’affaire relative à Bosanski Samac que
les premiers incidents, qui ont eu lieu plus de six mois avant le commencement du conflit en
141
ICTY, case the Prosecutor v. Radoslav Brdjanin (IT-99-36-T), Exhibits DB 346 to DB 357.
142CR 2006/5, p. 40, par. 68-69.
143TPIY, Le procureur c. Blagoje Simic et consorts (Bosanski Samac) , affaire nIT-95-9-T, jugement,
17 octobre 2003, par. 253. - 60 -
Bosnie-Herzégovine, étaient dirigés contre les Se rbes et l’armée nationale yougoslave, à l’époque
où la Bosnie-Herzégovine faisait touj ours partie de la Yougoslavie. Le Tribunal a jugé que: «In
autumn 1991 and March 1992 Croatian paramilitary a ttacked JNA barracks and garrisons in areas
around Bosanski Samac» 144et aussi «On 27 January 1992 a Serb orthodox church was mined.» 145
86. De plus, la Chambre de première instance a jugé que les Musulmans et les Croates ont
commencé à s’armer 146et à organiser les unités armées en automne 1991, donc avant que les
Serbes aient adopté les «Instructions, variantes A et B», qui dans ce contexte apparaissent enfin ce
qu’elles étaient vraiment : le résultat de la peur et une réaction à la menace.
87. Le Tribunal a conclu au-delà de tout doute raisonnable que les unités armées et des
patrouilles de Musulmans bosniaques existaient à Bosanski Samac déjà en septembre 1991. Ces
unités et patrouilles étaient présentes dans la municipalité de Bosanski Samac dans toute la période
147
jusqu’à avril 1992 . En plus des unités militaires musulmanes, la Chambre de première instance à
également établi l’existence des points de contrôle croates 148. Finalement la Chambre a conclu:
«Croatian and Muslim paramilitary groups were al so active in the region. Croatian armed forces
often wearing ZNG [that it Croatian Army] were present in the Croatian populated villages in
Bosanski Samac Municipality.» 149
88. S’agissant de la municipalité de Bosanski Samac, il faut noter que la municipalité avait
en1991 trente-deux mille neuf cent soixantehab itants dont 44,7% étaient des Croates et 6,8%
étaient des Musulmans bosniaques 150, ce qui signifie que les populations croate et musulmane
bosniaque faisaient ensemble un peu plus de 50 % de la population de la municipalité ou
dix-sept mille personnes à peu près.
89. Il n’y a aucun doute que dans la période de guerre, mais également avant la guerre, une
partie de la population de Bosanski Samac a quitté la ville. Dans le procès concernant les
144 o
TPIY, Le procureur c. Blagoje Simic et consorts (Bosanski Samac) , affaire n IT-95-9-T, jugement,
17 octobre 2003, par. 184.
145
Ibid., par. 185.
146
Ibid., par. 251.
147Ibid., par. 245-246.
148Ibid., par. 244.
149Ibid., par. 249.
150
Ibid., par. 175. - 61 -
événements à Bosanski Samac, qui a duré plus de deux ans, la Chambre de première instance a
accepté les déclarations des témoins qui ont témoigné que: «a substantial number of residents of
Bosanski Samac were evacuating themselves and their families in the period prior to the takeover».
Les conclusions de la Chambre de première inst ance démontrent clairement que les membres de
151
tous les groupes ethniques quittaient Bosanski Samac dans l’année qui a précédé le conflit . De
plus, il faut noter que la Chambre de première instance a trouvé à l’issue du procès deux personnes
coupables du crime contre l’humanité ⎯déportation. Ces personnes étaient jugées coupables en
raison de la déportation de seize personnes, Croates et Musulmans 152. Seize personnes déportées de
la population qui consistait en dix-sept mille personnes.
90. La Chambre de première instance a évalué les preuves pendant des années du procès et a
trouvé que seize personnes étaient déportées. Personne ne conteste que d’autres crimes étaient
commis à Bosanski Samac. Cependant, la nature de tous les crimes commis à BosanskiSamac
n’étaient certainement pas génocidaire. Les crim es commis à Bosanski Samac étaient commis par
les résidents locaux, individuellement, sans aucun plan et certainement sans aucun lien avec la
réalisation du deuxième objectif stratégique, qui d’ailleurs n’était même pas considéré par le
Tribunal pour l’ex-Yougoslavie dans l’affaire Bosanski Samac.
91. En revanche, la Chambre de première instance a particulièrement attentivement
considéré dans cette même affair e, le document «Instructions, variantes A et B». Le Tribunal n’a
pas accepté que ce document avait un impact sur les événements à Bosansk i Samac en concluant
que :
«The Trial Chamber is satisfied that the Assembly of the Serbian People of the
Municipality of Bosanski Samac and Pela gicevo was established according to
recommendation of the leadership of Republika Srpska but does not accept that it was
formed in accordance with the so-called Variant A a153B instructions issued by the
SDS Executive Board on 19 December 1991.»
Et la Chambre de première instance a finalement conclu que :
«it is not satisfied that it is possible upon evidence to extend th e common plan to the
political leadership of Republika Srpska and to demonstrate that the Instructions for
151 o
TPIY, Le procureur c. Blagoje Simic et consorts (Bosanski Samac) , affaire nIT-95-9-T, jugement,
17 octobre 2003, par. 193.
152
Ibid., par. 1051-1052.
153Ibid., par. 382. - 62 -
the Organization and Activity of the Serbia n People in Bosnia and Herzegovina in
Extraordinary Circumstances published on 19 December 1991 by the SDS Main
Board … were formally delivered from the SDS Executive Board on the national level
to the municipal authorities in Bosanski Samac…Thus, the Trial Chamber is not
satisfied beyond reasonable doubt that the existence of a common plan to persecute
non-Serbs in Bosanski Samac Municipality can be vertically extended to the political
154
leadership of Republika Srpska.»
92. L’établissement du corridor était une opération militaire, une opération militaire
nécessaire puisque la partie occidentale de la Republika Srpska, ce qui signifie la population serbe
en Bosnie occidentale mais aussi en Croatie, ne pouvait survivre sans ce corridor. Cette opération
militaire était menée par l’armée de la Republika Srpska. Aucun officier de l’armée de la
Republika Srpska n’a jamais été accusé des crimes commis dans cette opération militaire ni par le
procureur du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie ni par le procureur en Bosnie-Herzégovine devant la
Cour pour les crimes de guerre.
93. La même analyse s’applique sur la munici palité de Brcko, située sur le point critique du
corridor liant la Bosnie occidentale à la Bosnie orientale.
94. Le demandeur se réfère principaleme nt aux crimes commis dans le camp de Luka 155.
Tout d’abord sans égard au fait qu e les événements à Brcko, et particulièrement ceux qui se sont
produits dans le camp de Luka, ont été jugés par le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie 15, le
demandeur ne se réfère pas au jugement rendu dans l’ affaire de Brcko. Il préfère citer la décision
rendue dans l’affaire Milosevic en application de l’article 98 bis du Règlement du Tribunal, une
décision qui n’établit pas les faits, mais seulement la probabilité que ces faits avaient eu lieu. Les
décisions rendues en application de l’article 98 bis du Règlement du Tribunal établissent
uniquement qu’un fait a pu se produire, elles n’établissen t pas qu’il s’est produit. Les faits relatés
dans ces décisions ne sont pas des faits établis, mais des faits probables.
95. Les conclusions auxquelles est parvenue la Chambre de première instance dans l’affaire
Brcko diffèrent sensiblement des allégations du demandeur qui prétendait dans son mémoire
(par. 2.2.1.17) qu’entre deux et trois mille personnes étaient tuées dans le camp de Luka à Brcko.
Dans sa réplique (chap. 5, pa r.398), le demandeur alléguait un nombre encore plus élevé, entre
154 o
TPIY, Le procureur c. Blagoje Simic et consorts (Bosanski Samac) , affaire n IT-95-9-T, jugement, 17
octobre 2003, par. 985.
155CR 2006/5, p. 41-43.
156TPIY, Le procureur c. Goran Jelisic (Brcko), affaire n IT-95-10. - 63 -
trois et cinq mille personnes tuées. Les nombres ci tés par le demandeur provenaient des différents
rapports, y compris du rapport final de la commission d’experts 157et du rapport soumis par
M.Tadeusz Mazowiecki, le rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des
158
Nations Unies .
96. Le jugement prononcé par le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie dans l’affaire Brcko a établi
des faits complètement différents. La Ch ambre de première instance a conclu que
soixante-six corps étaient trouvés dans une fosse commune dans la région de Brcko. Toutes les
159
personnes tuées étaient tuées par balles, ils étaient tous des hommes en âge militaire . Le fait est
important car un doute subsiste sur la question où et comment ces personnes étaient tuées. Elles
auraient pu être tuées, ou au moins certaines d’entre e lles, dans les combats. En tout état de cause,
la Chambre de première instance a jugé que: «It appears from these exhibits that about sixty
persons were killed in Brcko during May 1992 (of a total Muslim population of about 22,000
160
people).»
97. Soixante-six personnes tuées, le nombre de personnes tuées reste important. Le nombre
est trop important car aucune de ces personnes n’aurait dû être tuée. Cependant, le fait est que le
Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a établi le nombre de victimes qui est trente fois moindre que le
nombre de deux mille personnes tuées allégué par le demandeur dans son mémoire. Ce nombre est
également plus de quatre-vingts fois moindre que le nombre de cinq mille personnes allégué par le
demandeur dans sa réplique. Le fait perturbant n’est pas que le demandeur ait allégué ce nombre, il
avait des raisons de le faire puisque ces nombr es cités par le demandeur se trouvaient dans les
rapports des différentes commissions, commissions des NationsUnies. Une question légitime
s’impose: Comment ces commissions sont arrivé es à un tel nombre de victimes? Le Tribunal
pour l’ex-Yougoslavie a fondé les faits sur les preu ves médico-légales et su r les témoignages et a
mis en évidence les exagérations des rapports qui ont été d’ailleurs analysées par notre coagent,
157Final Report of the United Na tions Commission of Experts , NationsUnies, doc. S/1994/674/Add.2 (vol. I),
28 décembre 1994, annexe III. A, «Special Forces», p. 142, par. 396.
158Situation of Human Rights in the territory of the former Yugoslavi a, rapport soumis par
M. Tadeusz Mazowiecki, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, Nations nies,
doc. E/CN.4/1993/50, 10 février 1993, annexe II, p. 93, par. 749.
159TPIY, Le procureur c. Goran Jelisic (Brcko), affaire n IT-95-10, jugement, 14 décembre 1999, par. 90.
160Ibid., par. 91; note de bas de page 128. - 64 -
161
SasaObradovic, dans sa plaidoirie du 8mars2006 . Le fait que les différents rapports
contenaient de telles exagérations doit être atte ntivement considéré chaque fois que les faits
allégués sont fondés sur ces rapports, même si ces rapports proviennent des commissions des
NationsUnies. En effet, le Tribunal pour l’ ex-Yougoslavie n’a jamais réussi à confirmer les
informations provenant de ces rapports.
98. La Chambre de première instance dans l’ affaire de Brcko n’a pas établi que le nombre
des personnes tuées dans cette municipalité. Elle a également établi que les militaires de l’armée
de la Republika Srpska sont venus dans le camps de Luka le 19 mais 1992, ils ont établi l’ordre et
amélioré le régime dans le camps. Goran Je lisic, une personne mentalement perturbée, l’accusé
devant le Tribunal pour l’ex-Y ougoslavie et condamné ensuite pour les crimes commis dans le
camps de Luka, n’a plus été vu dans le camp après l’arrivée de l’armée 162. La Chambre de
première instance a jugé qu’elle ne pouvait conc lure que Goran Jelisic a commis les meurtres sur
l’ordre en trouvant possible qu’il avait agi en dehors du cadre des pouvoirs qui lui ont été
163
confiés . Le Tribunal a conclu également qu’il ne pouvait établir l’existence d’un plan de
destruction de la population musulmane ni à Brc ko ni ailleurs et que les meurtres commis à Brcko
n’étaient donc pas inscrits dans un tel plan 164.
99. Brcko et Bosanski Samac sont situés sur le corridor. Si les crimes étaient commis dans
ces deux municipalités, les preuves ne démontre nt pas qu’ils étaient orchestrés. Dans les
deuxvilles, les crimes étaient commis par les ha bitants locaux et dans le cas de Brcko par une
personne n’appartenant ni aux dirigeants politique s ni à la structure militaire de la Republika
Srpska. Ni à Brcko ni à Bosanski Samac les crimes n’étaient commis en exécution du deuxième
objectif stratégique. S’agissant de Brcko, l’arri vée de l’armée de la Republika Srpska, chargée
d’établir le corridor et donc de réaliser le deuxi ème objectif stratégique, a en effet établi l’ordre et
arrêté des crimes.
161CR 2006/12, p. 36, par. 63.
162 o
TPIY, Le procureur c. Goran Jelisic (Brcko), affaire n IT-95-10, jugement, 14 décembre 1999, par. 96.
163Ibid., par. 95 et 97.
164Ibid., par. 98. - 65 -
100. En plus, les preuves présentées par le demandeur lui-même ne soutiennent pas
l’allégation du génocide. En effet, le demandeur a dit que :
«the members of the SDA which were the ma in Muslim political party was targeted.
For example people were called out by their surnames and beaten because their names
were recognized as belonging to those who had been organizers of the SDA. In
another example one witness saw men from Se selj’s or Arkan’s group kill a Serb who
had tried to help Muslim flee the former Yugoslavia: later that night the soldiers
killed the Muslim who was an active member of the SDA.» 165
Ainsi, le demandeur reconnaissait implicitem ent que les Musulmans bosniaques étaient des
victimes individuelles qui n’étaient pas ciblées en raison de leur appartenance à la nation des
Musulmans bosniaques mais en raison de leur a ppartenance au parti SDS. Les membres du SDS,
au-delà d’être les Musulmans, ét aient des opposants politiques des Se rbes de Bosnie. Ils étaient
aussi leurs adversaires militaires sur les champs de bataille. Aussi cruel qu’il puisse paraître, le fait
que les dirigeants du parti musulman SDA étaient visés paraît également logique dans le contexte
de la guerre civile qui sévissait en Bosnie-Herzé govine à l’époque. Les actes commis à encontre
des dirigeants du parti SDA aussi criminels qu’ils soient ne peuvent en aucun cas constituer le
génocide. Ils peuvent constituer les crimes de guerr e et les crimes contre l’humanité, mais ils ne
constituent pas le génocide.
101. Toutes les allégations susmentionnées dé montrent clairement que les Musulmans
bosniaques n’étaient pas visés en tant que grou pe, mais en tant qu’individus, les membres
individuels du parti SDA qui étaient des Musulm ans puisque le parti SDA était le parti des
Musulmans de Bosnie-Herzégovine. Aucun doute n’existe que le parti SDA était l’opposant
politique du parti SDS. Le fait que les crimes étaient commis contre les opposants politiques
démontre bien qu’ils étaient commis pour des ra isons politiques. Ces crimes n’étaient pas commis
en raison de l’appartenance des victimes à un groupe national, ethnique, racial ou religieux, mais en
raison d’opposition politique qui était aussi parfo is l’opposition militaire. L’absence d’élément
national, ethnique ou religieux est finalement démontrée par le meurtre du Serbe qui a essayé
d’aider les ennemis politiques des Serbes au pouvoir 166.
165
CR 2006/5, p. 42, par. 75.
166Ibid. - 66 -
102. Personne ne conteste que tous ces crimes sont des crimes sérieux, des crimes
internationaux, mais ils n’étaient pas dirigés c ontre les Musulmans bosniaques en tant que groupe,
ils étaient dirigés contre les individus qui étai ent des opposant politiques des Serbes de Bosnie et
qui comme les opposants étaient vus comme une men ace. En conséquence, ces crimes, fondés sur
les raisons politiques et dirigés contre les individus peuvent constituer les crimes contre l’humanité,
notamment persécutions, mais en aucun cas ils ne constituent le génocide.
Madame le président, est-ce que ce serait le temps convenable pour la pause ?
The PRESIDENT: Thank you, Maître Fauveau-Ivanovi ć. The Court now rises and the
hearings will resume at 3 o’clock this afternoon.
The Court rose at 12.50 p.m.
___________
Audience publique tenue le jeudi 4 mai 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de Mme Higgins, président