CR 2006/37
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THHEAGUE LHAAYE
YEAR 2006
Public sitting
held on Monday 24 April 2006, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Higgins presiding,
in the case concerning the Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro)
________________
VERBATIM RECORD
________________
ANNÉE 2006
Audience publique
tenue le lundi 24 avril 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de Mme Higgins, président,
en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
____________________
COMPTE RENDU
____________________ - 2 -
Present: Presieitgins
Vice-Presi-Kntasawneh
RanjevJaudges
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Skotnikov
Judges ad hoc Mahiou
Kre ća
Couvgisrar
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Présents : Mme Higgins,président
Al-K.vsce-prh,ident
RaMjev.
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Sjoteiskov,
MaMhou.,
Kre ća, juges ad hoc
CgoMfferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
The Government of Bosnia and Herzegovina is represented by:
Mr. Sakib Softić,
as Agent;
Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,
as Deputy Agent;
Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisX-Nanterre, Member and former Chairman of
the International Law Commission of the United Nations,
Mr. Thomas M. Franck, Professor of Law Emeritus, New York University School of Law,
Ms Brigitte Stern, Professor at the University of Paris I,
Mr. Luigi Condorelli, Professorat the Faculty of Law of the University of Florence,
Ms Magda Karagiannakis, B.Ec, LL.B, LL.M., Barrister at Law, Melbourne, Australia,
Ms Joanna Korner, Q.C., Barrister at Law, London,
Ms Laura Dauban, LL.B (Hons),
Mr. Antoine Ollivier, Temporary Lecturer and Research Assistant, University of Paris X-Nanterre,
as Counsel and Advocates;
Mr. Morten Torkildsen, BSc, MSc, Torkildsen Granskin og Rådgivning, Norway,
as Expert Counsel and Advocate;
H.E. Mr. Fuad Šabeta, Ambassador of Bosnia andHerzegovina to the Kingdom of the Netherlands,
Mr. Wim Muller, LL.M, M.A.,
Mr. Mauro Barelli, LL.M (University of Bristol),
Mr. Ermin Sarajlija, LL.M,
Mr. Amir Bajrić, LL.M,
Ms Amra Mehmedić, LL.M, - 5 -
Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine est représenté par :
M. Sakib Softić,
comament;
M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,
comme agent adjoint;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Pa risX-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies,
M. Thomas M. Franck, professeur émérite à lafaculté de droit de l’Université de New York,
Mme Brigitte Stern, professeur à l’Université de Paris I,
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Florence,
Mme Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M.,Barrister at Law, Melbourne (Australie),
Mme Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, Londres,
Mme Laura Dauban, LL.B. (Hons),
M. Antoine Ollivier, attaché temporaire d’ense ignement et de recherche à l’Université de
Paris X-Nanterre,
comme conseils et avocats;
M. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Torkildsen Granskin og Rådgivning, Norvège,
comme conseil-expert et avocat;
S. Exc. M. Fuad Šabeta, ambassadeur de Bosnie-Herzégovine auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Wim Muller, LL.M., M.A.,
M. Mauro Barelli, LL.M. (Université de Bristol),
M. Ermin Sarajlija, LL.M.,
M. Amir Bajrić, LL.M.,
Mme Amra Mehmedić, LL.M., - 6 -
Ms Isabelle Moulier, Research Student in International Law, University of Paris I,
Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata (Italy),
as Counsel.
The Government of Serbia and Montenegro is represented by:
Mr. Radoslav Stojanović, S.J.D., Head of the Law Council of the Ministry of Foreign Affairs of
Serbia and Montenegro, Professor at the Belgrade University School of Law,
as Agent;
Mr. Saša Obradović, First Counsellor of the Embassy of Serbia and Montenegro in the Kingdom of
the Netherlands,
Mr. Vladimir Cvetković, Second Secretary of the Embassy of Serbia and Montenegro in the
Kingdom of the Netherlands,
as Co-Agents;
Mr.Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), Professor of Law at the Central European University,
Budapest and Emory University, Atlanta,
Mr. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., Member of the International Law Commission, member of
the English Bar, Distinguished Fellow of the All Souls College, Oxford,
Mr. Xavier de Roux, Master in law, avocat à la cour, Paris,
Ms Nataša Fauveau-Ivanović, avocat à la cour, Paris and member of the Council of the
International Criminal Bar,
Mr.Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), Professor of Law at the University of Kiel, Director
of the Walther-Schücking Institute,
Mr. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), Attorney at Law, Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, and President of the International Law Association of Serbia and Montenegro,
Mr. Igor Olujić, Attorney at Law, Belgrade,
as Counsel and Advocates;
Ms Sanja Djajić, S.J.D., Associate Professor at the Novi Sad University School of Law,
Ms Ivana Mroz, LL.M. (Indianapolis),
Mr. Svetislav Rabrenović, Expert-associate at the Office of the Prosecutor for War Crimes of the
Republic of Serbia, - 7 -
Mme Isabelle Moulier, doctorante en droit international à l’Université de Paris I,
M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),
comconseils.
Le Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro est représenté par :
M. Radoslav Stojanović, S.J.D., chef du conseil juridique du ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro, professeur à la faculté de droit de l’Université de Belgrade,
comament;
M. Saša Obradovi ć, premier conseiller à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume des
Pays-Bas,
M. Vladimir Cvetković, deuxième secrétaire à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume
des Pays-Bas,
comme coagents;
M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), professeur de droit à l’Université d’Europe centrale de
Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre de la Commission du droit international, membre
du barreau d’Angleterre, Distinguished Fellow au All Souls College, Oxford,
M. Xavier de Roux, maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,
Mme Nataša Fauveau-Ivanovi ć, avocat à la cour, Paris, et me mbre du conseil du barreau pénal
international,
M. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), professeur de droit à l’Université de Kiel, directeur de
l’Institut Walther-Schücking,
M. Vladimir Djeri ć, LL.M. (Michigan), avocat, cabinet Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, et président de l’association de droit international de la Serbie-et-Monténégro,
M. Igor Olujić, avocat, Belgrade,
comme conseils et avocats;
Mme Sanja Djajić, S.J.D, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Novi Sad,
Mme Ivana Mroz, LL.M. (Indianapolis),
M. Svetislav Rabrenovi ć, expert-associé au bureau du procur eur pour les crimes de guerre de la
République de Serbie, - 8 -
Mr. Aleksandar Djurdjić, LL.M., First Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and
Montenegro,
Mr. Miloš Jastrebić, Second Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and Montenegro,
Mr. Christian J. Tams, LL.M. PhD. (Cambridge), Walther-Schücking Institute, University of Kiel,
Ms Dina Dobrkovic, LL.B.,
as Assistants. - 9 -
M. Aleksandar Djurdji ć, LL.M., premier secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,
M. Miloš Jastrebi ć, deuxième secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,
M. Christian J. Tams, LL.M., PhD. (Cambridge), Institut Walther-Schücking, Université de Kiel,
Mme Dina Dobrkovic, LL.B.,
comme assistants. - 10 -
The PRESIDENT: Please be seated. You have the floor, Professor Stern.
Mme STERN :
LORSQUE L ’ARRÊT DE 1996 A ÉTÉ RENDU ,LE DÉFENDEUR DEVAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ
COMME M EMBRE DES N ATIONS U NIES
1. Madame le président, Messieurs les juges, permettez-moi, au début de cette plaidoirie, de
rappeler que nos adversaires avancent deux raisonsqui, chacune à elle seule, devrait, selon eux,
impérativement conduire votre Cour à nier une co mpétence que vous avez pourtant affirmée par
deux fois : prima facie en 1993, réaffirmée en 1996 dans une décision ayant l’autorité définitive de
chose jugée, avant l’admission de la RFY comme nouveau Membre de l’ONU, et confirmée encore
après l’admission de la RFY comme nouveau Membre de l’ONU dans votre décision de 2003.
Pour solliciter ce réexamen, la Serbie-et-Monténégro avance donc deux raisons qui chacune
suffirait à écarter votre compétence : ces deux raisons seraient soit que la RFY n’est pas membre de
l’ONU, soit qu’elle n’est pas partie à la convention sur le génocide.
2. Il me revient maintenant la tâche de vous démontrer qu’il faut considérer que la
République fédérale de Yougoslavie, aujourd’hui Serbie-et-Monténégro, qui ⎯j’espère vous en
avoir convaincus ⎯ était partie à la convention sur le nocide en 1993, devait également être
considérée, à cette même date, comme Membre de l’ONU. En me plaçant dans l’hypothèse où une
décision devrait être prise de novo aujourd’hui, ce qui ⎯ je le précise ⎯ n’est pas l’hypothèse dans
laquelle nous nous trouvons en raison du principe res judicata, mais l’hypothèse que j’examine tout
de même très subsidiairement, je vais donc m’attacher à analys er la situation de la RFY à l’ONU
en 1993.
3. Certes, je sais bien que dans les affaires surLicéité, vous avez considéré, dans les
circonstances de l’espèce ⎯ et j’insiste ⎯ dans les seules circonstances de l’espèce, que la
situation prévalant de 1992 à 2000 ne pouvait être regardée comme équivalant à la qualité de
Membre. Mais ce n’est pas là notre affaire, même si au cours de ces plaidoiries l’on pouvait
parfois se demander si les conseils du défendeur, e ux, ne s’étaient pas trompés d’affaire. Si je ne
prends que les plaidoiries sur la compétence de MM. Djeri ć, Varady et Zimmermann, les affaires
sur la Licéité sont citées deux fois plus souvent que l’af faire qui nous concerne, et qui devrait nous - 11 -
1
concerner exclusivement, plus précisément les affaires sur la Licéité sont citées trente-quatrefois
tandis que les différentes décisions dans la présente affaire ne sont citées que quinze fois 2 !
4. Dans l’affaire qui nous oppose aujourd’hui à la Serbie, je vais m’attacher à vous montrer
qu’il y a eu effectivement un Etat exerçant de nombreuses prérogatives de Membre de l’ONU
de 1992 à 2000. On sait bien que le droit internati onal repose parfois sur des fictions mais on sait
aussi le rôle important, le rôle central qu’y joue l’effectivité, en particulier lorsque cette effectivité
n’est pas contraire au droit. Lorsque se déroule un processus successoral, il a ainsi été fréquent que
l’un des Etats assure la continuité de l’Etat prédéc esseur dans les organisations internationales : ce
fut le cas par exemple de l’Inde au moment de la partition du Pakistan, ce fut plus récemment le cas
de la Russie, continuateur de l’URSS, ce fut aussi la prétention de la RFY qui, je vais m’attacher à
vous le démontrer, a prévalu dans les faits jusqu’à ce qu’une autre solution juridique, préférée par
la communauté internationale, et surtout par les autres Etats issus de l’ex-Yougoslavie, soit adoptée
à partir de novembre 2000.
5. Mais si la participation d’un Etat à un traité dépend de sa volonté manifestée dans des
formes appropriées, comme j’ai eu l’occasion de le démontrer, les choses sont beaucoup plus
complexes pour ce qui est du statut de membre d’une organisation internationale. Ce statut doit
être examiné au cas par cas 3, comme l’a déjà indiqué, lorsque s’es t pour la première fois posé le
problème d’une succession d’un Etat Membre de l’ONU, la Sixième Commission de l’Assemblée
générale. Cette Sixième Commission a d’abord re levé que l’Etat continuateur pouvait rester
Membre de l’ONU puis que l’Etat successeur devait demander son admission et a ajouté : «[p]our
le reste, chaque cas doit être jugé comme un cas d’espèce» 4. Si cette prise de position concernait la
partition de l’empire des Indes en deux Etats, la même approche a également été retenue très
récemment par le TPIY à propos de la RFY disant que
1
Voir CR 2006/13, p. 2, par. 2.3; p. 3, par. 2.5; p. 4, par. 2.6 et 2.9; p. 6, par. 2.13, 2.15 et 2.16; p. 8, par. 2.21
et 2.22; p. 9, par. 2.23 et 2.24; p. 10, par. 2.26 et 2.28 (Djeri ć). Voir aussi CR 2006/13, p. 13, par. 3.9; p. 17, par. 3.23;
p.18, par. 3.27; p.21, par. 3.38; p. 48, par. 1.36; p. 51, par. 1.46; p. 52, par. 1.47; p.57, par. 5.9-5.11; p. 55, par. 5.1
(Varady). Voir enfin CR 2006/13, p. 29, par. 4.2; p. 30, par. 4.3 et 4.8; p. 34, par. 4.22-4.24; p. 35, par. 4.25; p.36,
par. 4.33; p. 37, par. 4.36; p. 40, par. 4.45 (Zimmermann).
2
Voir CR 2006/13, p. 5, par. 2.13 (Djeri ć). Voir aussi CR 2006/13, p. 11-12, par. 3.2-3.3; p. 13, par. 3.7; p. 14,
par. 3.10; p. 24, par. 3.48; p. 27, par. 3.58; p. 28, par. 3. 61; p. 49, par. 1.39; p. 58, par. 5. 13 (Varady). Voir enfin
CR 2006/13, p. 32, par. 4.15; p. 33, par. 4.21; p. 35, par. 4.28; p. 36, par. 4.32; p. 37, par. 4.35 (Zimmermann).
3
Les italiques sont de nous.
4 Nations Unies, doc. A/C/162, 6 octobre 1947. - 12 -
«[l]a question de l’appartenance de la République fédérale de Yougoslavie à
l’Organisation des Nations Unies, entre 1992 et 2000 ne doit pas être résolue par une
approche dogmatique… Etant donné que la ré solution 47/1 de l’Assemblée générale
des NationsUnies n’a ni mis fin à son appartenance ni ne l’a suspendue, il convient
d’examiner son statut de Membre pendant la période en question, sur une base
empirique, fonctionnelle, au cas par cas.»
Cet examen au cas par cas me semble d’autant plus nécessaire dans le cadre de la présente affaire,
compte tenu de la situation sui generis, dans laquelle s’est trouvée la RFY de 1992 à 2000. C’est à
donner son contenu juridique propre à cette expressi on que je vais m’attacher, tant il est exact que
ce contenu ne va pas de soi comme vous l’avez vous-mêmes souligné dans les affaires sur la
Licéité où vous avez dit :
«Il convient de préciser que la locution «sui generis» employée par la Cour pour
qualifier la situation de la Ré publique fédérale de Yougosla vie dans la période allant
de 1992 à 2000 n’est pas une expression normative, dont découleraient certaines
conséquences juridiques bien définies, mais une expression descriptive…» (Affaire
relative à la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),
exceptions préliminaires, arrêt du 15 décembre 2004, par. 74.)
Eh bien, c’est cette situation sui generis qu’il convient maintenant de présenter en montrant que :
DE MULTIPLES INDICES CONVERGENT POUR MONTRER QUE LA RFY ÉTAIT UN M EMBRE
DE L ’ONU EN TANT QUE CONTINUATEUR EFFECTIF DE 1992 À 2000
6. Pour ce qui est du statut de la RFY à l’ONU, nous savons tous qu’une bataille de
qualification faisait rage s’agissant du statut de l’Etat qui est aujourd’hui devant vous pour faits de
génocide, et que cette bataille n’est pas terminéecomme en témoignent les débats devant vous.
Avant de me lancer dans l’analyse juridique de la situation, je pense donc utile de rappeler
rapidement quelles furent :
Les prises de position politiques dans les enceintes onusiennes et diplomatiques
7. On sait bien que la RFY se voulait continuate ur et seul continuateur; les autres Etats issus
de l’ex-Yougoslavie estimaient quant à eux que tous les Etats devaient être considérés, de façon
similaire, comme des Etats successeurs. L’insistance des quatre autres Etats issus de
l’ex-Yougoslavie à refuser le statut de continuateur à la RFY, vient de ce qu’ils voulaient que tous
les Etats issus du processus successor al soient traités sur un pied d’ égalité, tant en ce qui concerne
leur statut à l’ONU qu’en ce qui concerne la ré partition des biens de la République fédérale
5 o
TPIY, Le procureur c. Milan Milutinovic, Dragoljub Ojdanic, Nikola Sainovic, affaire n IT-99-37-PT, décision
relative à l’exception préjudicielle d’incompétence, 6 mai 2003, par. 38. - 13 -
socialiste de Yougoslavie: et donc, cette positi on s’inscrivait dans le cadre de considérations
politiques et ne procédait nullement d’une anal yse juridique. Ces deux versions, ces deux
«narratives» ont été présentées très cl airement par le professeur Varady 6. Elles sont bien connues.
Donc la République fédérale de Yougoslavie affirma it être le continuateur de la RFSY, et, en tant
que telle, pouvoir rester Membre de l’ONU, sans demander son admission; les quatre autres Etats
issus du processus successoral yougoslave affirmaien t au contraire qu’aucun Etat n’avait assuré la
continuité de la personnalité juridique de l’anci enne Yougoslavie et que, par conséquent, il y avait
cinq successeurs qui devaient donc être traités sur un pied d’égalité, ce qui impliquait notamment
qu’ils devaient tous les cinq passer par la procédure d’admission à l’ONU.
8. La communauté internatio nale a demandé à la RFY d’accepter d’être traitée comme les
autres Etats issus de l’ex-Yougoslavie. Et nous savons qu’après le changement de régime qui s’est
produit à Belgrade, la RFY a finalement accepté de devenir un successeur comme les autres à partir
de2000, en demandant à ce moment-là, co mme les autres Etats successeurs issus de
l’ex-Yougoslavie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’ex-République yougoslave de Macédoine,
la Slovénie, son admission à l’ONU. On sait que son drapeau a ainsi été hissé au mât de l’ONU, le
er
1 novembre 2000.
9. Mais cette controverse politique ⎯dont je ne vous ai donné qu’un aperçu tant elle est
connue ⎯ ne pouvait modifier la réalité institutionne lle. Avant de décrire cette réalité, qu’il me
soit cependant permis, Madame et Messieurs les juges, de rappeler la position adoptée par la RFY
dans votre prétoire sur cette question de s on appartenance à l’ONU, dans la mesure, où ⎯ j’ai eu
l’occasion de le souligner dans ma plaidoirie relative à la convention sur le génocide ⎯ les
déclarations faites devant votre Cour ont une portée juridique considérable.
La position juridique de la Serbie-et-Monténégro selon laquelle elle était Membre de l’ONU
telle que présentée dans son mémoire dans l’affaire sur la Licéité.
10. Il apparaît opportun de commencer cette analyse du statut de la RFY à l’ONU en laissant
la parole aux conseils de la Serbie-et-Monténégro, qui, mieux que moi, semblent détruire la thèse
qu’ils présentent aujourd’hui. Je vais emboîter le pas à mes contradicteurs et vais citer les affaires
6CR 2006/12, p. 47-48, par. 1.32-1.34 (Varady). - 14 -
sur la Licéité, ou plus exactement les positions prises par la RFY dans son mémoire présenté
le5janvier2000 dans cette affaire, dont je vais c iter quelques extraits choisis. D’abord, sous le
titre évocateur et dénué d’ambiguïté «La République fédérale de Yougoslavie est un Etat Membre
de l’ONU». A la suite de ce titre, la Serbie-et-Monténégro cite les analyses de son statut à l’ONU
par deux des membres permanents du Conseil de sécurité, puis cite l’Annuaire de la CIJ. Je lis ces
quelques extraits. D’abord la position de M. Vorontsov, le représentant permanent de la Fédération
de Russie, il déclare :
«décider de suspendre la participation de la République fédérative de Yougoslavie aux
travaux de l’Assemblée générale n’entame ra en rien la possibilité qu’elle a de
participer aux travaux des autres organes de s Nations Unies, en particulier du Conseil
de sécurité... ( Conseil de sécurité, procès-verbal provisoire de la 3116 eséance,
S/PV.3116, 19septembre 1992, 2-5) [traduction du Greffe]» (Licéité de l’emploi de
la force, mémoire, par. 31.1).
Puis, est cité le représentant permanent de la Répu blique populaire de Chine, M. Li Daoyu, qui fait
observer la chose suivante :
«la résolution qui vient d’être adoptée n’équivaut pas à une exclusion de la
Yougoslavie des Nations Unies. La plaque nominative «Yougoslavie» sera conservée
dans le hall de l’Assemblée générale. La République fédérative de Yougoslavie
poursuivra la publication de sa documentation aux Nations Unies.» ( Conseil de
e
sécurité, procès-verbal provisoire de la 3116 séance, S/PV.3116, 19 septembre 1992,
7.) [Traduction du Greffe.] (Licéité de l’emploi de la force, mémoire, par. 3.1.2.)
Puis est invoqué l’annuaire de votre Cour, dont il est dit : «l’ Annuaire de la Cour internationale de
Justice indique que la Yougoslavie était l’un des cent quatre-vingt-cinq Etats Membres de
l’Organisation des Nations Unies au 31juillet 1997» ( Licéité de l’emploi de la force , mémoire,
par. 3.1.17). Et puis, l’esprit dialectique des cons eils de la République fédérale de Yougoslavie se
manifeste dans cette remarque fort pertinente, tirée du même mémoire, à laquelle je dois dire que la
Bosnie ne peut que souscrire :
«En fait, le 28 avril 1993, le Conseil de sécurité adopta sa résolution 821 (1993)
dans laquelle il a recommandé à l’Assemblé e générale de décider que la République
fédérative de Yougoslavie ne participerait pas aux travaux du Conseil économique et
social. L’Assemblée générale accepta cette recommandation dans sa
résolution47/229. Si la résolution 47/1 avait mis fin à l’appartenance de la
Yougoslavie à l’Organisation ou l’avait suspendue, il n’aurait pas été nécessaire
d’adopter une nouvelle résolution l’excluant des travaux du Conseil économique et
social.» (Licéité de l’emploi de la force, mémoire, par. 3.1.5.)
Voilà donc des arguments fort pertinents et fort u tiles. Mais nous savons bien que ce n’est pas à
l’Etat concerné de déterminer avec force juridi que son statut comme Membre de l’Organisation, - 15 -
une telle qualification revenant à l’Organisation. En l’espèce, dans notre affaire, il convient
cependant de remarquer que l’Organisation n’ayant pas exclu la RFY, a en fait accepté cette
qualification.
La participation pleine et entière de la RFY comme Membre de l’ONU
du 27 avril 1992 au 22 septembre 1992
11. Sans doute ne faut-il pas négliger ce fait que pendant les six premiers mois de son
existence ⎯et l’on dit souvent que les premiers mois de la vie sont déterminants pour
l’avenir ⎯ la République fédérale de Yougoslavie a ét é un Membre incontesté de l’ONU exerçant
toutes les prérogatives d’un Etat Membre de l’ONU. Je me permets de rappeler ce fait parfois
négligé lorsque l’on retrace la chronologie des modifications du statut de la République fédérale de
Yougoslavie. Par exemple, la République fédéra le de Yougoslavie a participé le 22mai1992 au
consensus lors de l’admission de la Bosnie, de la Croatie et de la Slovénie comme Membres de
l’ONU. De même, elle a voté contre, bien sûr, la résolution 47/1 concernant son propre statut à
l’ONU, sous le nom de Yougoslavie. Cela démo ntre que rien, aucun obstacle juridique, ne
s’opposait à ce que la RFY, en tant qu’Etat continua teur, continue le statut de l’Etat prédécesseur.
Ce n’est qu’au bout de six mois que des sanctions «internes» à l’Organisation ont été adoptées,
sanctions qui ne sont évidemment pas sans lie n avec les événements de Bosnie-Herzégovine.
Puis-je simplement souligner que si l’on peut prononcer des sanctions privant un Etat membre de
certaines des prérogatives qu’il exerce en tant qu’ Etat membre d’une organisation internationale, il
y a là un signe irréfutable que cet Etat est bien membre de l’organisation. Faut-il ajouter qu’à côté
de ces sanctions internes, la République fédéra le de Yougoslavie a également fait l’objet de
sanctions en vertu du chapitre VII, durant toute la période du nettoyage ethnique et qu’il n’a jamais
été soutenu que ces sanctions s’adressaient à un Etat non membre de l’ONU? Il convient
maintenant de préciser la portée des sanctions internes dont je viens de parler. - 16 -
La RFY Membre de l’ONU avec des droits diminués dans le cadre de
l’Assemblée générale à partir du 22 septembre 2002
1. Les prises de positions juridiques de deux organes principaux des Nations Unies
12. Je ne vais que reprendre l’essentiel des ré solutions adoptées relativement au statut de la
RFY à l’ONU car vous les connaissez bien. Même si, curieusement, votre Cour ne semble pas
vouloir accorder à ces résolutions la portée qu’elles devraient avoir (affaire relative à la Licéité de
l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt
du15décembre2004, par.67), ces résolutions n’ en constituent pas moins, me semble-t-il, des
indices forts de la situation effective qui régnait à l’ONU. Bien sûr, tout a commencé avec la
résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité, en date du 19 septembre 1992, dans laquelle :
«Le Conseil de sécurité,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1. Considère que la République fé dérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne peut pas assurer automatiq uement la continuité de la qualité de
Membre de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie aux
NationsUnies et par conséquent recommande à l’Assemblée générale de décider que
la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une
demande d’adhésion aux NationsUnies et qu ’elle ne participera pas aux travaux de
l’Assemblée générale.» (Nations Unies, doc. S/RES/777 (1992), 19 septembre 1992,
par. 1.)
13. Cette recommandation a été suivie par l’ Assemblée générale qui, nous le savons bien, a
adopté le 22 septembre 1992 sa résolution 47/1 dont la partie pertinente reprend exactement le texte
du Conseil de sécurité, et que je ne relirai donc pas.
14. On peut noter que cette résolution ne se réfère ni à l’article 5 de la Charte qui concerne la
suspension d’un Etat, ni à l’article 6 qui concerne l’exclusion d’un Etat. Il semble, cependant, d’un
point de vue juridique, que la suspension de certaines prérogatives d’un Etat entre bien dans le
cadre de l’article 5, car qui peut le plus peut le moins, et si l’Assemblée générale peut suspendre un
Etat, c’est-à-dire suspendre l’exercice de toutes ses prérogatives dans le cadre de l’Organisation, il
peut évidemment seulement en suspendre certaines. Notons toutefois, et ce point me semble
important, que la suspension de certaines prérogatives d’un Membre implique à fortiori que l’Etat
visé est bien un Membre de l’Organisation. - 17 -
15. En ce qui concerne maintenant l’inscription de cette résolution dans une perspective
politique, je voudrais souligner qu’en disant que la RFY ne pouvait continuer «automatiquement»
la qualité de Membre de la RFSY, le Conseil de sécurité et l’As semblée générale laissaient, me
semble-t-il, la porte ouverte à une acceptation éventu elle de cette continuité si les circonstances
politiques venaient à rendre cette solution acceptabl e par la majorité des Etats et, au premier rang
de ceux-ci, par les quatre successeurs de la RFSY qui s’opposaient à cette solution. Certains débats
ayant surgis sur la portée de cette résolution de l ’ONU, les conséquences en ont été explicitées par
le service juridique de l’ONU.
2. La prise de position juridique du directeur du service juridique des Nations Unies
16. Le Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques, conseiller juridique de l’ONU, a
adressé, le 29 septembre 1992, une lettre aux représentants permanents de la Bosnie-Herzégovine
et de la Croatie auprès de l’ONU dans laquelle il déclarait que la «position réfléchie du Secrétariat
de l’Organisation des NationsUnies en ce qui co ncerne les conséquences pratiques de l’adoption
de la résolution de l’Assemblée générale» était la suivante :
«l’unique conséquence pratique de cette résolution est que la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne participera pas aux travaux de l’Assemblée
générale…
D’un autre côté, la résolution ne met pas fin à l’appartenance de la Yougoslavie
à l’Organisation et ne la suspend pas… La résolution n’enlève pas à la Yougoslavie
le droit de participer aux travaux des organes autres que ceux de l’Assemblée
générale. L’admission à l’Organisation des Nations Unies d’une nouvelle
Yougoslavie, en vertu de l’article 4 de la Ch arte, mettra fin à la situation créée par la
résolution 47/1.» 7
17. Deux points importants doivent être re levés ici. L’ONU a fait clairement savoir
premièrement qu’il ne s’agit ni d’une suspension, ni d’une expulsion et que donc la République
fédérale de Yougoslavie restait Membre, mais au ssi, deuxièmement, qu’elle restait Membre avec
des prérogatives diminuées. En d’autres termes, la situation institutionnelle de la République
fédérale de Yougoslavie n’était pas modifiée, même si ses prérogatives fonctionnelles l’étaient.
18. Ces prérogatives dans un premier temps, nous le savons, n’ont été limitées, que par
rapport à l’Assemblée générale : un débat a d’ailleurs eu lieu sur la portée de cette interdiction, la
7Nations Unies, doc. A/47/485, 30 septembre 1992; les italiques sont de nous. - 18 -
RFY estimant que cela ne l’empêchait de participer qu’aux sessions de l’Assemblée générale et aux
réunions des commissions de l’Assemblée, l’ONU décidant au contraire que cela concernait les
travaux de l’Assemblée générale, de ses organes subsidiaires, comme des conférences et réunions
organisées par l’Assemblée générale. Il apparaît évident que de telles discussions n’auraient pas pu
avoir lieu si la République fédérale de Yougoslavie n’avait pas été Membre de l’ONU.
19. Un certain nombre d’autres aspects de ce tte prise de position méritent une exégèse: il
ressort clairement de ce texte que la Républi que fédérale de Yougoslavie est autorisée à se
substituer, ou à se couler dans le siège de l’ancienne Yougoslavie dont subsiste le siège, le nom, les
missions, jusqu’à ce qu’elle accepte de siéger comme nouvelle Yougoslavie : autrement dit, comme
nous le dit le directeur du service juridique, l’ad mission de la nouvelle Yougoslavie mettra fin à la
qualité de Membre de la Républi que fédérale de Yougoslavie en tant qu’ancienne Yougoslavie,
puisque désormais elle siègera en tant que nouvelle Yougoslavie.
20. M. Varady cherche à donner une interpréta tion de cette lettre du directeur juridique, qui
la viderait de tout sens. Il dit en effet que l’on ne sait pas à quelle entité se réfère la mention selon
laquelle la résolution ne met pas fin à l’appartenance 8. Et il utilise ainsi l’ éventuelle ambiguïté de
la référence à la Yougoslavie. Il suggère donc que l’ONU aurait pu maintenir la qualité de Membre
de la RFSY, un Etat qui avait été remplacé, nous le savons bien, corps et biens, si je puis dire, par
la RFY. C’est évidemment une construction ha bile mais qui ne résiste pas à une analyse
rigoureuse. Il est vrai qu’il est dit, que la résolution «ne met pas fin à l’appartenance de la
Yougoslavie». Mais cela signifie bien qu’il s’agit de la RFY. Il suffit de lire la suite du texte. Si
l’on continue, en effet, la lecture de l’avis juridique, on peut lire que la résolution n’enlève pas à la
Yougoslavie le droit de participer aux travaux de l’Assemblée générale. Qui pourrait prétendre que
cela pourrait désigner un Etat autre que la RFY à l’égard de laquelle vient justement d’être adoptée
cette résolution? Comment pourrait-on imaginer que tout en ayant maintenu une hypothétique
qualité de Membre à la RFSY, l’ONU prenne une résolution pour interdire à de tout aussi
hypothétiques représentants d’une hypothétique RFSY de participer aux sessions de l’Assemblée
8CR 2006/13, p. 22, par. 3.41 (Varady). - 19 -
générale? Non, M. Varady, la Yougoslavie à laque lle il est fait référence ici, ne peut être que la
RFY.
21. Je voudrais également noter, Madame le président, Messieurs les juges, que c’est lorsque
prévalait cette situation initiale ⎯ qui n’est pas totalement identique avec la situation prévalant en
1999, où les pouvoirs de la République fédérale avaient été encore réduits ⎯ dans laquelle les
prérogatives de la République fédérale de Yougoslavie n’avaient été limitées que par rapport à
l’Assemblée générale, que la Bosn ie-Herzégovine a déposé sa requête le 20mars1993. Aussi ne
puis-je être d’accord avec M. Djeric, lorsqu’il déclare que «the situation that obtained in 1999 was
9
completely identical to the situation that obtained in 1993» . En réalité, les sanctions ont été
renforcées après le dépôt de la requête, puisque comme je vais l’indiquer, la République fédérale de
Yougoslavie n’a plus pu participer aux trava ux d’ECOSOC, ce qui diminue sérieusement ses
prérogatives, si l’on tient compte du nombre d’organes subsidiaires de cet organe principal.
La République fédérale de Yougoslavie a été Membre avec des droits encore
diminués dans le cadre d’ECOSOC à partir du 28 avril 1993
22. Un peu plus tard, les prérogatives de la République fédérale de Yougoslavie ont encore
été limitées, mais comme l’avaient fort judicieuseme nt souligné le mémoire de nos adversaires, si
la résolution 47/1 avait bien mis fin à l’appartenance de la Yougoslavie à l’Organisation, il n’aurait
pas été nécessaire d’adopter cette nouvelle résolution.
23. Un pas de plus a donc été fait dans la diminution des prérogatives fonctionnelles de
10
la RFY le 28 avril 1993, avec l’adoption de la résolution 821 (1993) du Conseil de sécurité et, le
même jour, l’adoption de la résolution 47/229 de l’Assemblée générale, par lequel ces deux
organes donc décident «que la République fédéra tive de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne
participera pas aux travaux du Conseil économique et social» 1. Mais encore une fois, je le répète,
la limitation des droits d’un Etat s’inscrit dans un processus d’encadrement, si je puis dire, mais
d’encadrement au sein de l’Organisation et non dans une perspective d’exclusion.
9CR 2006/13, p. 16, par. 2.22.
10
Nations Unies, doc. S/RES/821 (1993), 28 avril 1993.
11
Nations Unies, doc. A/RES/47/229 (1993), 28 avril 1993. - 20 -
La pratique onusienne
24. Ce que nous disent ces différentes résolutions que je viens de mentionner, c’est que la
situation de continuation qui prévalait n’était pa s celle souhaitée par la majorité des Membres.
Mais cela n’empêchait pas la situation de continuation effective de perdurer. Les preuves du statut
de Membre de la République fédérale de Yougosla vie sont tellement nombreuses que je ne saurais
lesquelles vous donner, mais je vo us donnerai les exemples les plus significatifs. La pratique
onusienne démontre en effet que si l’opinion des Etats manifestée dans les résolutions était plutôt
favorable à la thèse des quatre Etats successeurs qui refusaient le statut de continuateur, la pratique
confortait très largement la thèse de la Républi que fédérale de Yougoslavie, cette thèse de la
continuité. C’est cette comple xité qui caractérisait ce que vous avez appelé une situation sui
generis. Permettez-moi, Madame et Messieurs les juges, avant de donner un contenu à cette
expression, de noter que si la RFY n’avait pas été membre, on ne voit pas comment une telle
situation de sui generis aurait pu être utilisée : cette expression me semble en effet par elle-même,
de façon inhérente, impliquer que des liens particuliers, des liens sui generis , existaient avec
l’ONU, même si cette situation ne déployait pas tous ses effets.
La procédure de remplacement de la RFSY par la RFY
Quelques mots d’abord de la procédure de remplacement de la RFSY par la RFY, qui est une
illustration de la continuité.
25. Il faut noter que la RFY a clairement manifesté de se présenter comme continuateur, y
compris dans les procédures par lesquelles elle en a informé l’ONU. Deux documents ont été en
effet adressés à l’ONU: une le ttre du 6mai 1992 contenant une note verbale dans laquelle est
indiqué «la République fédérative socialiste de Yougoslavie devient la République fédérative de
Yougoslavie composée de la Serbie et du Monténégro», cette première lettre avait été envoyée avec
un en-tête de la «Mission permanente de la Répub lique fédérative socialiste de Yougoslavie», cette
lettre a été adressée au Secrétaire général à qui il a été demandé de la faire circuler comme
12
document de l’Assemblée générale, ce qui a été fait ; une autre lettre ayant un contenu identique,
mais cette fois avec en en-tête la «Mission de la République fédérale de Yougoslavie», a été
12Nations Unies, doc. A/46/915, 7 mai 1992. - 21 -
envoyée par celui qui représentait la RFSY au pr ésident du Conseil de sécurité à qui il a été
demandé de circuler ce document comme document de l’Assemblée générale, ce qui a également
été fait3. En effet,
La circulation des documents officiels n’a jamais été interrompue
26. On sait que c’est, en principe, un privilè ge, sauf hypothèse particulière, des Membres de
l’ONU de pouvoir faire circuler des documents officiels. Il est important de noter que les
documents émanant de la République fédérale de Yougoslavie ont été continûment distribués,
même lorsqu’elle ne pouvait plus participer aux travaux de l’Assemblée générale ou d’ECOSOC.
Ils étaient signés de diverses personnalités au nom de la mission permanente de République
fédérale de Yougoslavie. Ainsi, dans une le ttre datée du 27décembre2001 du Secrétaire général
au président de l’Assemblée générale, celui-c i faisait valoir que «[d]u 27 avril 1992 au 1 er
novembre 2000, le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie…s’est prévalu du
droit dont jouissait l’ex-Yougoslavie en tant qu’Etat Membre de faire distribuer des
communications comme documents officiels de l’Organisation» 14. Le défendeur soutient-il que ces
documents n’ont jamais existé ? Ou qu’il faudrait déconstruire le passé comme il invite la Cour à
le faire en ce qui concerne sa compétence en déclassifiant tous les documents distribués en son
nom ? Je ne pense pas que ce soit là une solution véritablement réaliste
La mission auprès de l’ONU a elle aussi été maintenue
27. Dès 1992, dans la liste des missions auprès de l’ONU, était mentionnée la mission de la
République fédérative de Yougoslavie, avec l’adre sse de l’ancienne mission de la RFSY. Les
autres pays issus du processus successoral yougoslave ont protesté contre ce signe clair que la RFY
était bien Membre de l’ONU 15. Je voudrais cependant noter que la Bosnie, tout en protestant
contre cette inscription de la mission de la RFY dans le Livre bleu des missions permanentes ,
indique que c’est parce que la RFY n’est «manifes tement pas un membre en bonne et due forme»,
elle n’a pas dit «n’est pas un membre», ce point me semble important. Ne pas être un membre en
13Nations Unies, doc. S/23877, 5 mai 1992.
14
NationsUnies, doc. A/56/767, lettre datée du 27 décembre 2001, adressée au président de l’Assemblée
générale par le Secrétaire général, 9 janvier 2002, par. 7.
15
Voir, par exemple, Nations Unies, doc. A/47/566, doc. S/24694, 21 octobre 1992. - 22 -
bonne et due forme, c’est ce que votre Cour a appelé de façon plus savante une situation sui
generis, à savoir une situation de membre qui ne peut pas exercer certaines compétences, et ces
mesures étant prises pour faire pression sur lui, po ur le contraindre à respecter les règles relatives
au maintien de la paix, à la non-intervention, au respect des droits de l’homme et du droit
humanitaire.
La participation institutionnelle a été largement maintenue
28. On sait bien que, même si elle ne pouvait pas exercer ses prérogatives ⎯ et notamment
son vote à l’Assemblée générale ⎯, tous les liens avec l’Assemblée générale n’ont pas été rompus.
La plaque de la Yougoslavie notamment restait en place dans la salle de l’Assemblée.
29. Mais surtout, sa participation dans les autres organes s’est poursuivie. Les relations avec
le Conseil de sécurité n’ont pas été rompues. La RFY pouvait s’adresser au Conseil de sécurité
selon une procédure spéciale, autorisant le représ entant de la RFY non seulement à assister aux
réunions formelles, mais même à y prendre la parole. Dans les troi s premières années, des
représentants de la RFY ont ainsi été invités à trei ze reprises : onze fois à s’adresser au Conseil de
sécurité (les 13 novembre 1992, 19 février 1993, 19 avril 1993, 29juin1993, 14 février 1994,
21avril 1994, 27 avril 1994, 23 septembr e 1994, 30 septembre 1994, 8 novembre 1994,
12janvier 1995) et deux fois à s’asseoir à la ta ble du Conseil pendant la session du 17avril1993,
où était discutée précisément la situation en Bosnie-Herzégovine, et le 9 août 1993, où était
discutée la question de missions de la CSCE au Kosovo, à Sanjak et en Voïvodine. Cette
procédure spéciale, tout à fait uniq ue, permettant l’invitation de re présentants de la RFY, illustre
parfaitement, me semble-t-il ceque peut recouvrir l’expression sui generis.
30. Mais les relations avec la Cour n’ont pas non plus été affectées. En particulier, la RFY
était incluse dans la majorité absolue nécessaire pour l’élection des membres de la Cour, ainsi que
cela est précisé dans l’ouvrage de M. Shabtaï Rosenne :
«Here the General Assembly on the recommendation of the Security Council
adopted a series of resolutions having the effect of preventing the former Yugoslavia
from participating in the work of differen t organs of the United Nations. The Court
was not included amongst those named organs . One effect of this relevance to the
affairs of the Court was that during that period of suspension, Yugoslavia was - 23 -
included in the ‘absolute majority’ required in the General Assembly for the election
of Members of the Court although it was prevented from participating in that vote.» 16
31. On voit bien la portée de cette su spension partielle de certaines prérogatives
fonctionnelles qui pourtant laisse subsister tous les liens institutionnels. Il est important de bien
saisir les raisons des décisions onusiennes à l’égard de la RFY, qui n’étaient en tout état de cause
pas destinées à l’autoriser à ne pas respecter ses ob ligations à l’égard de l’ ONU: au contraire, en
limitant certains de ses droits, on voulait la contra indre à respecter ses obligations. De ce point de
vue, il est parfaitement imaginable de ne pas analyser de la même façon le droit de saisir la Cour,
qui peut apparaître comme la dimension positive du jus standi, et le droit de répondre de ses actes
devant la Cour qui est l’aspect négatif du jus standi . Le professeur TomFranck a déjà eu
l’occasion d’insister sur cette absence de parallélis me entre les droits et les obligations. Et puis,
last but not least, la RFY a continué sa participation au budget.
La participation au budget
32. Il est également important de souligner que le 8 janvier 1993, c’est-à-dire au début de la
première année où la Yougoslavie avait disparu, le Secrétaire général a informé le chargé d’affaires
de la RFY qu’elle devait certaines contributions impayées de la RSFY. Ce qui intéressant, c’est de
savoir qu’on a demandé à la RFY de payer en tant que continuateur les sommes dues par la RFSY,
diminuées des sommes dues par les Etats successeurs qui sont désormais des contributeurs
autonomes.
33. Là aussi, je crois que nos adversaires vont plaider pour nous. Ils ont en effet souligné,
dans leur mémoire sur la Licéité, que j’ai déjà mentionné, du 5 janvier 2000, qu’ils assumaient
toutes les obligations financières d’un Etat Membre. Et j’aurais un certain nombre d’extraits de ce
mémoire, je n’en prendrais qu’un. Dans une note du 25 septembre 1996, il est dit: « malgré une
situation financière extrêmement difficile, la Ré publique fédérale de Yougoslavie a versé un
o
montant de ... au titre de sa contribution au budget de 1996. (Annexe n 174, p. 490.) [Traduction
du Greffe.]» (Licéité de l’emploi de la force , mémoire, par.3.1.7., 3.1.14., 3.1.15.) Et de telles
notes ont été envoyées chaque année.
16
S.Rosenne, The Law and Practice of the International Court 1920-2005, vol. II, Jurisdiction, Fourth Edition
Leiden/Boston, 2006, p. 606. Voir aussi S. Rosenne, The Law and Practice of the International Court 1920-2005, vol. I,
The Court and the United Nations, Fourth Edition Leiden/Boston, 2006, p. 374. - 24 -
34. C’est le moment, Madame le président, de répondre à l’importante question du
juge Tomka. J’en rappelle les termes :
«Le 28 février 2006, le conseil de la Bosnie-Herzégovine a indiqué que «[l]a
Yougoslavie est demeurée Membre des Nations Unies» . Dans une lettre datée
du9août 2005, adressée au Secrétaire général adjoint de l’Organisation des
NationsUnies à la gestion par le représentant permanent de l’ex-République
yougoslave de Macédoine et les char gés d’affaires par intérim de la
Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Se rbie-et-Monténégro et de la Slovénie, ces
cinq Etats ⎯au nombre desquels figurait le demandeur ⎯ ont indiqué que «[l]a
République fédérale de Yougoslavie, qui a vu le jour le 27 avr il 199er n’est devenue
un Etat Membre de l’Organisation des Nations Unies que le 1 novembre 2000; c’est
l’Etat actuellement connu sous le nom de «Serbie-et-Monténégro»». Je serais heureux
d’entendre toute explication, ou tout co mmentaire, que la Bosnie-Herzégovine
17
pourrait souhaiter apporter sur cette dernière déclaration.»
35. Votre question, Monsieur le juge, po rte sur la cohérence des positions de la
Bosnie-Herzégovine. Il est vrai qu’Alain Pe llet a affirmé: «[l]a Yougoslavie est demeurée
18
Membre des Nations Unies» . Il est vrai que je viens de défendre moi aussi ce point de vue. Il est
par ailleurs incontestable que le ch argé d’affaires de la Bosnie, qu i se trouve parmi les signataires
de la lettre, a indiqué que «[l]a Répub lique fédérale de Yougoslavi… en’est
devenue … Membre … que le 1 ernovembre…» . 19
36. Afin de répondre à la question posée, je voudrais d’abord mettre en évidence quels
étaient l’objet et le but de cette lettre. Il faut en effet la replacer dans son environnement onusien
qui est celui des discussions concernant les arriér és devant être payés par les cinq membres de
l’ex-Yougoslavie. Autrement dit, ce n’est pas du tout une question de principe, c’est une modeste
question d’argent. Il s’agit tout simplement, pour les cinq Etats successeurs, d’éviter de payer les
arriérés de cotisations dues soit par la RSFY, soit par la RFY. Quoi de plus simple de dire de 1992
à2000 que la Yougoslavie (RFSY) n’existait plus, et donc qu’aucun Etat Membre n’en était le
continuateur et que, donc, personne n’avait d’arri érés à payer. Comme l’indique la lettre, «la
17CR 2006/29, p. 12-13.
18
CR 2006/3, p. 19, par. 20 (Pellet).
19Lettre datée du 9 août 2005 adressée au Secrétaire général adjoint à la gestion par le représentant permanent de
l’ex-République yougoslave de Macédoine et les chargés d’affa ires par intérim de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie,
de la Serbie-et-Monténégro et de la Slovénie, reproduitannexe 4 du rapport du Secrétaire général, NationsUnies,
doc. A/60/140, 16 septembre 2005, p. 17-19; p. 17. - 25 -
position actuelle des cinq Etats succ esseurs sur cette question est que les arriérés de contributions
de la République fédérative socialiste de Yougoslavie doivent être passés par pertes et profits» 2.
37. Pour motiver leur position, les cinq Etat s s’appuient sur un fait indiscutable: c’est que
l’ex-RFY, sous le nom de Serbie-et-Mont énégro, a été admise comme nouveau Membre
er
le 1 novembre. Mais cette position commune ne sa urait ni ne pourrait modifier la situation «sui
generis» dans laquelle se trouvait l’Etat en question, par rapport à l’ ONU, avant la date citée:
ladite situation, en effet, ne dépendait pas de ce que pensaient les cinq Etats, mais dépendait de
l’Organisation. Et les cinq Etats étaient bien en droit d’exprimer leur opinion à ce sujet en
indiquant, qui plus est dans ce document, ceci ⎯ mais c’est justement ⎯ ils le disent expressément
⎯ une opinion ⎯ : «[n]ous pensons…que la participation non autorisée de la RFY aux sessions
des organes de l’Organisation des Nations Unies ne saurait constituer la base d’une contribution qui
devait être réglée par l’ex-Républiqu e fédérale socialiste de Yougoslavie» 2. Cette opinion,
cependant, n’est pas correcte : en effet, l’affirmation d’après laquelle la participation de la RFY aux
sessions des organes onusiens entre 1992 et 2000 aurait été «non autorisée», est erronée, étant
donné que bien au contraire ⎯comme je viens de l’indiquer en détail ⎯ elle avait été justement
maintenue par décision des organes compétents de l’ONU.
38. Il nous semble par ailleurs que le rapport du Secrétaire général auquel la lettre dont nous
discutons est annexée conforte la thèse que la RFY devait être considérée comme Membre de
l’Organisation des Nations Unies. Le propos suivant, en effet, s’avère très significatif :
«Du 27 avril 1992 … jusqu’au 27 octobre 2000, date à laquelle son président a
présenté au Secrétaire général une demande d’admission à l’Organisation des
NationsUnies, le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie s’est
présenté comme étant le Gouvernement de l’Etat Membre qu’était l’ex-Yougoslavie.
Cette affirmation reposait explicitement sur le fait que l’Etat anciennement connu sous
le nom de République fédérative socialiste de Yougoslavie exis tait toujours, que cet
Etat était donc toujours Membre de l’Organisation des Nations Unies, qu’au regard du
droit international, la Répub lique fédérale de Yougoslavie assurait la continuité de la
République fédérative socialiste de Yougoslavie, que la République fédérale de
Yougoslavie était par conséquent Membre de l’Organisation et qu’elle formait donc
20Rapport du Secrétaire général, Nations Unies, doc. A/60/140, 16 septembre 2005, p. 8, par. 28.
21
Lettre datée du 9 août 2005 adressée au Secrétaire général adjoint à la gestion par le représentant permanent de
l’ex-République yougoslave de Macédoine et les chargés d’affa ires par intérim de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie,
de la Serbie-et-Monténégro et de la Slovénie, reproduiteannexe 4 du rapport du Secrétaire général, NationsUnies,
doc. A/60/140, 16 septembre 2005, p. 17. - 26 -
avec l’ex-Yougoslavie un même sujet de droit international et le même Etat
Membre…» 22
39. Le Secrétaire général invoque donc l’af firmation par la RFY de sa continuité et
l’effectivité de cette continuité de participation aux activités de l ’Organisation pour en déduire un
certain nombre de conséquences sur le plan fina ncier. On ne voit pas pourquoi ce statut de
continuateur, qui était plein par rapport aux organes autres que ceux à la pa rticipation desquels la
RFY avait été exclue, ne jouerait pas par rapport à la Cour. Et on ne voit donc pas sur quelle base
on pourrait considérer qu’en 1993 elle était exclue du Statut.
40. J’espère, Monsieur le j uge, avoir apporté quelques éléments de réponse utiles à la
question que vous avez adressée à la Bosnie-Herzégovine.
L’ ADMISSION DE LA RFY À L ’ONU EN TANT QUE SUCCESSEUR N EMPÊCHE PAS QUE
LA RFY SOIT RESTÉE M EMBRE DE L ’ONU EN ASSUMANT LE RÔLE
D’ETAT CONTINUATEUR DE 1992 À 2000
41. On connaît la distinction Etat continuateur /Etat successeur et je n’y reviendrai donc pas
longuement. Je me contenterai de rappeler quelques définitions.
42. Lorsque se produit un phénomène successoral, toute la question est de savoir si tel Etat
issu du processus, qui tel l’amante rêvée de Baudelaire, n’est ni tout à fait le même, ni tout à fait un
autre, doit être plutôt considéré comme l’un ou pl utôt comme l’autre. Lorsqu’un Etat issu d’un
processus de succession sera considéré comme le même que le prédécesseur, on parlera d’Etat
continuateur, lorsqu’il sera considéré comme différent, on parlera d’Etat successeur.
43. Lorsqu’il y a continuation donc, cela signifie que l’Etat reste identique à lui-même, qu’il
n’existe qu’ un seul sujet de droit internationa, soumis à certains changements. S’il y a
continuation ⎯ donc fiction d’identité ⎯ les conséquences juridiques non controversées sonle
maintien des obligations de l’Etat «initial», avec éventuellement une adaptation du régime.
44. Lorsqu’il y a succession, cela signifie qu’en lieu et place de l’Etat initial, il y a un nouvel
Etat et que la succession implique donc l’existence d’ au moins deux sujets de droit international
entre lesquels se pose le problème de la transmission des droits et des obligations.
45. Les processus successoraux, quelle que soit leur complexité, devraient ne pouvoir donner
que des résultats simples : en cas de dissolution, c’est-à-dire disparition de l’Etat prédécesseur, il ne
22
Rapport du Secrétaire général, Nations Unies, doc. A/60/140, 16 septembre 2005, p. 2-3, par. 6. - 27 -
devrait y avoir aucun continuateur et uniquement des successeurs; en cas de non-disparition de
l’Etat prédécesseur, il devrait y avoir un continuate ur et un ou plusieurs successeurs. Mais,
évidemment, la réalité est multiforme: il y a eu de s situations dans lesquelles deux Etats ont été
considérés comme continuateurs; il y a même plus complexe : il est arrivé que certains Etats aient
été considérés en même temps comme continuateur s pour certains de leurs droits, et successeurs
pour d’autres. Je vais donner des exemples de ce s deux situations. D’abord des situations dans
lesquelles deux Etats ont été considérés comme continuateurs: c’est ainsi qu’a été analysée la
dissolution de l’Empire austro-hongrois, av ec une continuation double par l’Autriche ⎯ même si
on sait que l’Autriche a refusé d’endosser ce statut de continuateur, en dehors du traité de paix ⎯
et par la Hongrie, donc cette qua lification de continuateur de chac un des Etats étant à la base des
traités de Saint-Germain (1919) et de Trianon (1920). On peut également indiquer le processus
successoral très particulier utilisé pour les cinq Etats issus de l’ex-Yougoslavie au FMI et à la
Banque mondiale, où ils ont tous les cinq été co nsidérés comme continuateurs, sans qu’ils aient
besoin de passer par la procédure d’admission. Ma is il y a encore plus complexe : il est arrivé que
certains Etats aient été considérés en même te mps comme continuateurs pour certains de leurs
droits et obligations, et successeurs pour d’autres.
46. Par exemple, les Pays-Bas, au moment de leur séparation de la Belgique, ont été
considérés comme Etat successeur pour les traités et Etat continuateur pour l’administration des
colonies. De la même façon, l’Autriche a admi s que la continuation de l’URSS par la Russie
comme Membre de l’ONU et des organisations, mais non pour ce qui concerne traités bilatéraux et
plurilatéraux. Si différentes qualifications ont ainsi pu coexister au même moment, elles peuvent
aussi se succéder au cours du temps.
47. Il est en effet parfaitement admissible, dans une situation historique donnée, d’adopter
une analyse séquentielle qui permettrait à la fois de considérer que la RFY a été un Etat
continuateur jusqu’en 2000 et un Etat successeur à partir de ce moment là . Ce n’est d’ailleurs pas
une situation inédite, en tout cas dans la séquence inverse, qui pourtant semble un peu plus
improbable. Que l’on songe au processus successoral qui a amené l’éclatement de l’URSS. Eh
bien, lors du processus de dissolution de l’URSS, il est clair que si finalement la communauté
internationale a reconnu ⎯ pour des raisons évidentes ⎯ le statut de continuateur à la Russie, il est - 28 -
non moins évident que, dans un premier temps, la disparition de l’URSS avait été dûment
reconnue, affirmée, par les principaux intéressés et par les autres Etats successeurs. Il y a donc eu
séquence Etat successeur/Etat reconnu comme Etat continuateur, même si l’identité de la Russie
n’a pas changé.
48. Je rappelle ce processus: au lendemain de l’annonce dans l’accord de Minsk du
8décembre 1991 de la cessation d’existence de l’ URSS en tant que sujet de droit international et
réalité politique, des Etats de la communauté intern ationale ont immédiatement réagi en déclarant
qu’ils reconnaissaient l’indépendance de la Russi e, en montrant qu’il y avait là naissance d’un
23 24 25
nouvel Etat. C’est le cas de la Norvège , de la Finlande , de la Suède , notamment.
49. De la Suisse également, qui a, lors d’une conférence de presse, le 23 décembre 1991, fait
part de la décision du Conseil fédéral de reconnaître douze Etats issus de l’URSS ⎯ donc on
reconnaît douze nouveaux Etats, on est dans un typique processus de succession sans continuateur.
50. C’est également l’attitude adoptée par les Etats-Unis. Eux aussi ont incontestablement
admis la disparition de l’URSS. C’est ainsi que George Bush a salué l’avènement de nations
indépendantes: «New, independent nations have emerged out of the wreckage of the Soviet
empire.»
51. Cette position des Etats-Unis a été régulièrement réitérée dans des déclarations
ultérieures de l’administration américaine mentionnant la «dissolution de l’URSS» et l’existence de
«douze nouveaux Etats indépendants». Et, notamment, les Etats-Unis ont accrédité leurs
26
diplomates auprès de la Fédération de Russie , ce qui montre bien qu’on l’a considérée comme un
nouvel Etat. Donc, initialement, ce que je voulais montrer, c’est que la Russie est apparue comme
un Etat successeur. Or, par la suite, il est clair que la Russie a été considérée par tous comme un
Etat continuateur. La Suisse a d’ailleurs pris expressément acte de ce changement de qualification
23
D’après les Izvestiâ du 17 décembre 1991 et K. Bühler,State Succession and Membership in International
Organizations, The Hague, Kluwer Law International, 2001, p. 161, note 719.
24
D’après les Izvestiâ du 19 décembre 1991.
25D’après les Izvestiâ du 20 décembre 1991 et K. Bühler précité, p. 161, note 719.
26Déclaration de John F.W. Rogers, Under Secretary for Management, intitulée «New US embassies in the
Former Soviet Union», Washington, DC, 25 février 1992. Texte anglais danUS Department of State Dispatch , 9 mars
1992, vol. 3, n° 10. - 29 -
en faisant une déclaration en janvier 1994, en disant : «Il est aujourd’hui admis que la Fédération
de Russie est l’Etat «continuateur»» 27.
52. Si ce glissement d’un statut de continua teur à successeur est passé presque inaperçu,
c’est parce qu’il s’est opéré rapidement. La Russie a été considérée comme continuant l’Union
soviétique très peu de temps après que la dispar ition de l’URSS ait été reconnue. Mais, il y a, en
dépit des brefs délais, une succession de qualifications juridiques.
53. Il en est de même dans le cas de la Yougoslavie, à la différence près que l’on passe là du
statut de continuateur au statut de successeur et que les délais dans lesq uels ces qualifications se
sont succédé sont évidemment beaucoup longs. On peut ainsi affirmer que dans le cas de la
Yougoslavie, s’est passé l’inverse de ce qui s’es t passé dans le cas russe, puisque la RFY s’est
d’abord affirmée Etat continuateur et a été acceptée en tant que tel, puis a accepté, à partir d’une
certaine date, le statut d’Etat successeur qu e la communauté internationale voulait lui faire
adopter : la séquence est alors Etat continuateur/Etat reconnu comme Etat successeur.
54. En réalité, le problème posé à votre Cour est particulièrement complexe, et ce d’autant
plus que la RFY n’a rien fait pendant huit ans afin de le simplifier, car ce problème met en réalité
en scène trois acteurs ou, pour être parfaitement précis, deux acteurs dont l’un a été qualifié
différemment au cours du temps : il y a d’abord la République fédérative socialiste de Yougoslavie,
premier acteur, puis le second la République fédé rale de Yougoslavie, qui se présente tour à
comme la République fédérale de Yougoslavie/continuateur du 1 eravril 1992 au
1enovembre 2000, et la République fédérale de Yougoslavie/successeur à partir du
er
1 novembre2000. La République fédérale de Yougoslavie est restée Membre de l’ONU, c’est
juste son statut qui a changé: de 1992 à 2000, elle était continuateur, depuis2000, elle est
successeur.
55. Cette idée selon laquelle il n’y a pas incompatibilité à ce qu’un Etat soit qualifié
différemment au cours du temps a été retenue par le TPIY, dans l’affaire Milutinovic, dans une
décision rendue le 6 mai 2003 :
27
Note tirée de la Pratique suisse 1993 , 6.1 et figurant dans la version publiée du projet piprécitée,
document CH/6, p. 322-323; les italiques sont dans l’original, en gras ce que nous soulignons. - 30 -
«[l]a situation quelque peu confuse dans laquelle la RFY était empêchée de participer
aux travaux de l’Assemblée générale, sans qu’il ait été mis fin à son appartenance à
l’Organisation,…pouvait uniquement être résolue par son admission officielle aux
Nations Unies… Cette admission officielle ne signifiait toutefois pas nécessairement,
et n’a pas signifié dans les faits, que la RFY n’était pas à certains égards Membre de
l’Organisation des Nations Unies entre 1992 et 2000.» 28
56. En d’autres termes, la République fédéra le de Yougoslavie se présente d’abord comme
un Etat continuateur, c’est-à-dire, par sa propre volonté, assume tous les droits et obligations de la
RFSY, y compris ⎯ et j’insiste ⎯ les actes illicites commis par cet Etat. Ensuite, à partir de
novembre 2000, la RFY devient Etat successeur, tel qu ’il est, c’est-à-dire un Etat ayant assumé, en
s’affirmant continuateur, pendant toute la périod e du nettoyage ethnique tout ce qui s’est passé
avant le 27avril et un Etat ayant acquis sous sa nouvelle dénomination et ses nouveaux contours
géographiques, toutes les atrocités présentées à la Cour. Autrement dit, le fait qu’il soit successeur
ne rétroagit pas, mais vient après qu’il ait tout assumé en tant que continuateur.
57. Madame le président, Messieurs les juges, cette analyse juridique est la seule qui
permette qu’il n’y ait pas de vide juridique, et «colle» à la réalité, la réalité qui est que la RFY a été
donc, dans un premier temps, le continuateur de la RFSY, mais que, pour des raisons politiques,
elle a, dans un second temps, demandé son admission à l’ONU
n5em.ipliucuneme nt que ce nouveau statut de su ccesseur enfin assumé doive
rétroagir à la date de la naissan ce de la RFY. Vous aviez déjà exprimé cette idée en 2003 et vous
l’avez confirmée en 2004. Dans votre arrêt de 2004, vous avez notamment indiqué: «son
admission au sein de l’Organisation des Nations Unies n’a pas remonté et n’a pas pu remonter à
l’époque de l’éclatement et de la disparition de la République fédérative socialiste de Yougoslavie»
(Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt
du 15 décembre 2004, par. 78).
59. Dans cet arrêt, vous insistez donc sur l’ absence d’effets rétro actifs de l’admission à
l’ONU, mais, en réalité, ce refus de la rétroactiv ité tel qu’appliqué dans cette affaire conduit à un
vide juridique: le refus de la rétroactivité revi ent en effet à affirmer non pas que la situation
antérieure pouvait être qualifiée différemment, ma is que cette situation antérieure ne pouvait
recevoir aucune qualification. Il n’y a pas de rétroaction mais donc il n’y a pas de nouvelle
28TPIY, Le procureur c. Milan Milutinovic , Dragoljub Ojdanic , Nikola Sainovic , affIT-99-37-PT,
décision relative à l’exception préjudicielle d’incompétence, 6 mai 2003, par. 42. - 31 -
qualification. Ne pensant pas à juste titre pouvoir faire rétroagir la qualification de successeur, on
aboutit à une absence de qualificatio n, et tout se passe donc comm e s’il ne s’était rien passé,
comme s’il n’y avait rien eu de 1992 à 2000, comme si la RFY n’avait pas existé. En d’autres
termes, il me semble, comme cela a été très clairement énoncé dans une opinion individuelle dans
les affaires sur la Licéité, que la résolution par laquelle la RFY a été admise comme nouveau
Membre de l’ONU «necessarily clarifies the legal situation thereafter» 29, « thereafter» étant
souligné pour bien signifier qu’il est clair que la situation antérieure ne peut être clarifiée par un
acte orienté vers l’avenir.
60. Je ne chercherai pas à nier vers la fin de cette plaidoirie que ce que j’ai tenté de
démontrer n’est pas conforme à l’analyse faite da ns une autre affaire, ma is c’est justement une
autre affaire comme Alain Pellet vous l’a déjà fait observer. Reste qu’il in combe à votre Cour de
gérer certaines contradictions éventuelles, celles qu i existent déjà et que l’on ne peut, ni ne doit
⎯ je crois ⎯ nier, et celles que la Serbie-et-Montén égro vous demande de surajouter. Ces
contradictions, Madame le président, Messieurs les juges, votre Cour se doit de les gérer, avec, me
semble-t-il, comme importants points de repères, le principe de la chose jugée, le principe de la
cohérence au sein d’une même affaire ⎯car il me semble plus impo rtant d’avoir des décisions
cohérentes au sein d’une même affair e qu’entre deux affaires différentes ⎯, le principe de
non-rétroactivité, et enfin ce que j’appellerai le principe du respect des espérances légitimes que
ses décisions antérieures ont fait naître pendant des années et des années pour le peuple bosniaque.
61. «Nous ne fuyons pas des res ponsabilités» 30, a dit avec beaucoup de conviction et de
sincérité l’agent de la Serb ie-et-Monténégro, M. Stojanovi ć, dans son allocution d’ouverture,
31
ajoutant un peu après qu’il avait toute confiance dans le sens de la justice de votre Cour . Madame
et Messieurs de la Cour, la Bosnie-Herzégovine, el le aussi, a toute confiance dans le sens de la
justice de votre Cour dans cette importance affaire mettant en cause la responsabilité d’un Etat pour
génocide. Je vous remercie.
29Opinion individuelle de Mme le juge Higgins attachée aux arrêts rendus dans l’affaire de la Licéité de l’emploi
de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminairarrêt du 15 décembre 2004, par.18; les
italiques sont dans l’original.
30CR 2006/12, par. 24 (Stojanović).
31
CR 2006/12, par. 30 (Stojanović). - 32 -
The PRESIDENT: Thank you, Professor Stern.
Ms STERN: Please, can you call Mr. Alain Pellet now.
The PRESIDENT: Yes. I call Professor Pellet to the Bar.
M. PELLET : Merci beaucoup, Madame le président.
COMPÉTENCE DE LA C OUR
5. RÉCAPITULATION DE L ARGUMENTATION JURIDIQUE
DE LA BOSNIE -H ERZÉGOVINE SUR LA COMPÉTENCE DE LA C OUR
L E DROIT À UNE DÉCISION
1. Madame le président, Messi eurs les juges, il m’incombe, au crépuscule de notre second
tour de plaidoiries orales, de récapituler lesprincipaux éléments de l’argumentation de la
Bosnie-Herzégovine en ce qui concerne la compétence de la Cour, comme j’avais essayé d’ailleurs,
à l’aube de ces plaidoiries, de présenter une synthèse de ses positions juridiques sur le fond
je dois dire qu’autant il est normal de présenter, à la fin d’une longue procédure, un tableau
d’ensemble des arguments qu’une partie soutient au fond, autant il est insolite, presque surréaliste,
de devoir se livrer à cet exercice en ce qui concer ne la compétence de la Cour pour se prononcer
sur une affaire qui est inscrite à son rôle depuis treize ans ⎯et qui, au surplus, a donné lieu à un
arrêt, justement sur la compétence, il y a maintenant dix ans.
2. Treize ans…; dix ans… Ces deux chiffres suffisent àattirer l’attention sur l’un des
aspects cruciaux de notre affaire au plan procédural : le facteur temps. Le second élément clé de
cette problématique est celui sur lequel je me is appesanti quelque peu vendredi dernier: les
problèmes, divers, de «cohérence» ⎯ou de «consistency», parce qu’il me semble que le mot
anglais apporte une nuance supplémentaire. C’est autour de ces deux thèmes que je vais essayer de
résumer la manière dont se posent les questions les plus importantes, en matière de compétence,
dans notre affaire. Pour cela, je serai bien sûr obligé de répéter en partie ce que Thomas Franck,
BrigitteStern et moi avons dit ⎯mais j’espère, Madame et Messie urs les juges, que vous me le
pardonnerez : je vais m’efforcer d’y ajouter encore quelques éléments et, surtout, il me semble que
32
CR 2006/31, p. 10-44. - 33 -
cette présentation générale permet de faire apparaître plus clairement la cohérence, justement, de
nos positions et de montrer que certaines incohérences apparentes de la Cour peuvent, en effet,
s’expliquer au moins en partie par le passage du temps.
I. (In)cohérences
3. Madame le président, je voudrais à nouveau partir du leitmotiv du professeur Varady:
«This is a most complicated and truly unorthodox case» 33. Je ne suis pas sûr que la complexité des
questions de compétence ⎯que nos contradicteurs appellent, av ec un sens très prononcé de la
litote, «problèmes de procédure» ⎯ soit aussi grande qu’ils le prétendent. Mais, en tout cas, si
complexité il y a à ce point de vue ⎯ je ne parle pas du fond, qui me paraît plus tragique que
complexe, elle tient (et elle tient uniquement) à l’extraordinaire versa tilité de la position du
défendeur qui a, dans un premier temps, conduit la Cour à le considérer comme Membre des
Nations Unies ⎯parce qu’il le prétendait ⎯ pour, dans un second temps, la convaincre qu’en
réalité il ne l’était pas (du moins à la date critique), car il a pris conscience ⎯ enfin ! ⎯ qu’il
n’était pas ce qu’il disait être : le continuateur de l’ex-Yougoslavie.
4. Selon nos contradicteurs, le synopsis de cette prétendue complexité peut, je crois, se
décomposer en cinq actes :
⎯ Acte :I 1992 ⎯ Le «régime criminalisé» de Milosevi ć ⎯ l’expression est du
34
professeur Stojanović, agent de la Serbie-et-Monténégro ⎯ proclame que la RFY est seul
continuateur de l’ex-Yougoslavie.
⎯ Acte II: 1996 ⎯ Il résulte de cette prétention une grande incertitude et des difficultés
juridiques qui conduisent la Cour à adopter son arrêt du 11 juillet 1996, par lequel elle se
reconnaît compétente sur la base de cette déclaration, sur un fondement erroné.
⎯ Acte III: 2000 ⎯ Retournement de la situation: débarrassée du «dernier régime communiste
en Europe qui a fait beaucoup de mal à son propre peuple» 35⎯c’est toujours M. Stojanovi ć
qui parle ⎯ et est seul responsable des crimes commis en Bosnie-Herzégovine et, en
33Cf. CR 2006/12, p. 56, par. 1.46. Voir aussi CR 2006/12, p. 45, par. 1.2; p. 46, par. 1.7; p. 48, par. 1.13; p. 49,
par. 1.17; p. 51, par. 1.23 et 1.26 (Varady); CR 2006/13, p. 23, par. 3.18; p. 60, par. 5.2. Voir aussi p. 36, par. 4.5
(Zimmermann).
34CR 2006/12, p. 12, par. 11.
35
.CR 2006/12, p. 12, par. 10 (Stojanović). Voir aussi p. 13, par. 14-15. - 34 -
36
particulier, du «gigantesque crime» commis à Srebrenica , la «nouvelle Yougoslavie»
demande son admission aux Nations Unies, et y est admise.
⎯ Acte IV : 2003/2004 ⎯ La Serbie-et-Monténégro demande à la Cour de tirer les conséquences
de cette nouvelle situation avec des fortunes di verses, car ce quatrième acte se décompose en
deux scènes, bien distinctes : dans la première, la CIJ, par son arrêt du 3 février 2003, se refuse
à accueillir la demande en revision de celui de 1996; mais l’année suivante, les arrêts rendus le
15 décembre 2004, dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, constatent que
la RFY n’était pas membre de l’ONU et n’avait pas accès à la Cour entre 1992 et 2000.
⎯ Acte V : 2006 ⎯ C’est l’épilogue; celui que nous écrivons ensemble.
5. N’était le contexte tragique de ces épisodes, il s’agirait, Madame et Messieurs de la Cour,
du médiocre scénario d’un feuilleton judiciai re qui fait plus honneur à l’imagination des
scénaristes, mais qui manque de crédibilité juridi que et qui repose sur trop de postulats erronés ou
de semi-vérités :
⎯ d’abord les personnages sont mal campés: si la Serbie-et-Monténégro n’est, en effet,
assurément pas le «continuateur» de l’ex-Yougoslavie (la RFSY ⎯ la République socialiste
fédérative de Yougoslavie), elle est certainement le continuateur de la RFY;
⎯ elle ne peut, dès lors, s’absoudre, ni des crimes commis par celle-ci, ni de la situation juridique
créée par elle dans le cadre de la présente procédure; en outre,
⎯ l’inclusion de la scène 2 de l’acte IV dans la pi èce n’est pas acceptable : l’arrêt de 2004 relève
d’un livret différent si bien que, si l’on envisage les faits dans leur continuité, sans cette scène,
qui appartient à une autre pièce, ces faits retrouvent une cohérence ⎯ dont le scénario imaginé
par les adroits conseils du défendeur vise à les priver.
Si vous le voulez bien, Madame le président, je vais reprendre ces trois points ⎯ mais d’une façon
moins imagée.
1. L’hypothèse de la continuité
6. Par une déclaration formelle, adoptée le jo ur même de la proclamation de la RFY, le
27avril 1992, celle-ci s’est engagée à respecte r «strictement tous les engagements que la
36Voir http://www.info.gov.yu/saveznavla da/detailjis.php ?strid=699; document reproduit dans le dossier des
juges du 6 mars 2006. - 35 -
République fédérative de Yougoslavie a pris à l’échelon international» ( Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p.610, par. 17). Elle a
confirmé cet engagement dans une note officielle adressée le même jour au Secrétaire général des
Nations Unies (ibid.), qu’a lue Brigitte Stern tout à l’heure. C’est sur la base de cet engagement, et
sur cette base seulement, que la Cour a considéré que le défendeur était «partie à la convention sur
le génocide», après avoir constaté que ceci n’avait pas été contesté(ibid.), tout cela, en 1996.
7. A cela, nos contradicteurs n’opposent, en réalité, qu’un seul argument, malgré la savante
plaidoirie du professeur Zimmermann qui porte sur quantité d’autres problèmes 37mais ces autres
problèmes ne peuvent présenter d’intérêt qu’en «seconde ligne» ⎯c’est-à-dire si l’on fait
abstraction de l’arrêt de 1996, ce qui n’est guère envisageable, même si par souci de répondre
complètement à tous les points soulevés par le défendeur, Mme Stern l’a suivi sur ce terrain.
L’argument-clé du défendeur est le suivant: «Today it is evid ent that the 1996 Judgment on
preliminary objections was based on an erroneous assumption ⎯the Respondent did not remain
bound by Article IX of the Genocide Convention» 3. «Today» («Aujourd’hui»)… Oui, et j’y
reviendrai lorsque je parlerai du facteur temps; mais à l’époque, en 1996? Eh bien, les choses
étaient moins «évidentes» ⎯ c’est un point sur lequel nous sommes d’accord de part et d’autre de
la barre: la Yougoslavie se prévalait de la conti nuité et, comme le dit excellemment le professeur
39
Varady: «C’était faux, mais pas invraisembla ble» («This was wrong but not implausible» ). Et,
ce que vient de dire le professeur Stern le conf irme. En d’autres termes, il eût été possible que le
vent tournât et que la communauté internationale ⎯ qui n’avait pris aucune mesure d’expulsion ou
de suspension de la Yougoslavie des Nations Unies ⎯ se résignât à sa réintégration dans
l’intégralité de ses droits au sein de l’Organisat ion, car il était possible aussi que les autres Etats
successeurs de l’ex-Yougoslavie (la RFSY) lui reconnaissent le statut de continuateur qu’elle avait
en fait, comme Brigitte Stern vient aussi de le montrer, comme ceux de l’ancienne Union
37CR 2006/13, p. 35-59.
38Ibid., p. 24, sect. 4.
39
Ibid., p. 30, par. 3.46. - 36 -
soviétique l’avaient fait au profit de la Fé dération de Russie par l’accord d’Alma-Ata du
21 décembre 1991, en ce qui concerne son statut de membre permanent du Conseil de sécurité.
8. La Cour pour sa part n’avait aucune raison de se substituer à la communauté internationale
et aux organes politiques des Nations Unies, qui s’en étaient tenus à une demi-mesure, sans jamais
écarter radicalement, par une décision juridiquement obligatoire, la prétention de la RFY à assurer
la continuité de la RFSY Et la Cour en avait d’autant moins de raison que, comme elle le relève
expressément dans son arrêt de 1996, la participation de la Yougoslavie à la convention de1948
n’avait pas été contestée devant elle ( Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie) , exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17).
9. Le professeur Zimmermann fa it mine de s’en étonner : «outside this Great Hall of Justice
Bosnia and Herzegovina has consistently taken the position that there was only one way for the
FRY to become a contracting party to human rights treaties ⎯ namely by specific notifications of
40
succession » . Ceci est bien sûr exact: la Bosnie-Herzégovine a toujours été d’avis que la RFY
n’était qu’un successeur parmi d’autres de l’ex-You goslavie; elle ne s’en est jamais cachée et a
toujours publiquement soutenu que le défendeur était soumis aux mêmes règles que les quatre
autres Etats successeurs et elle continue de le penser ⎯comme le professeur Stern vient de le
rappeler. Mais il ne lui appartenait évidemment pas de soulever une objection préliminaire à
l’encontre de sa propre requête ⎯ d’autant moins que, le défendeur l’eût-il fait, elle pensait
pouvoir lui opposer bien des arguments: car que la RFY ne fût pas le continuateur de
l’ex-Yougoslavie est une chose, mais qu’elle ne soit, du même coup, pas partie à la convention sur
le génocide en est une autre. Toutefois, comme le défendeur est demeuré muet, la
Bosnie-Herzégovine n’avait aucune raison de soulever elle-même le problème et d’avancer les
arguments qui lui semblaient être de nature à le résoudre! Le professeur Thomas Franck l’a fort
bien montré : par son silence, la RF Y s’est placée dans une situation d’ estoppel et le défendeur ne
peut venir aujourd’hui se plaindre de celui de l’Etat demandeur qu’il avait suscité ⎯ et qui, lui,
n’avait aucune raison de s’exprimer sur un problème que la Partie adverse n’avait pas soulevé.
40Ibid., p. 57, par. 4.92. - 37 -
10. Le même raisonnement s’impose en ce qu i concerne la participation de la RFY à la
Charte des Nations Unies et au Statut de la Cour :
⎯ la Yougoslavie s’était engagée à respecter tous les engagements antérieurs de la RFSY;
⎯ la Charte et le Statut qui lui est annexé font, sans aucun doute, partie de ces engagements;
⎯ le défendeur, qui se considère comme toujours Membre des Nations Unies, ne soulève pas
davantage la question et le requérant n’avait pas non plus de raisons de le faire, d’autant plus
que dans les faits, comme l’a montré ma collè gue et amie Brigitte Stern, il y a quelques
instants, la Yougoslavie qui n’avait été ni expu lsée ni suspendue continuait à jouir de certains
droits aux Nations Unies;
⎯ très logiquement, la Cour en tire la conséquence qui s’impose en s’abstenant de se prononcer
sur une question qui ne se posait pas, soit qu’ elle ait estimé que la Bosnie-Herzégovine avait
admis implicitement que la RFY était demeurée Membre des NationsUnies, malgré sa
campagne politique pour que la participation de ce pays à l’ONU cesse radicalement ⎯ ce qui
est d’ailleurs, en effet, une manière d’admettr e que ce pays n’avait pas cessé d’être Membre;
soit qu’elle ait considéré que les questions de la participation à la convention d’une part, à
l’Organisation d’autre part, n’étaient pas forcément liées; soit ⎯et c’est le plus probable ⎯
que la Cour ait été convainc ue que cette participation ⎯ effective mais limitée ⎯ suffisait à
établir le jus standi du défendeur devant elle.
11. Deux choses sont en tout cas certaines, Madame le président :
⎯ en premier lieu, très légitimement, la Cour ne s’est prononcée que sur les objections que le
41
défendeur avait effectivement soulevées; sur ce point les Parties s’accordent ;
⎯ en second lieu, la haute juridiction n’a pas jugé utile de soulever ex officio d’autres objections,
alors même qu’il lui appartient, sans aucun doute ⎯et c’est un autre point d’accord entre les
Parties 42⎯, de «toujours s’assurer de sa compétence et [qu’]elle doit, s’il y a lieu l’examiner
d’office» (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI, arrêt, C.I.J. Recueil 1972,
p. 52, par. 13). Elle n’a pas jugé utile de recourir à ce pouvoir inhérent.
41CR 2006/13, p. 40, par. 4.22 (Zimmermann).
42
CR 2006/12, p. 57, par. 1.48 (Varady); CR 2006/13, p. 20, par. 3.5 et p. 60, par. 5.1 (Varady); CR2006/35,
p. 57, par. 8 (Pellet). - 38 -
12. Ceci est d’autant plus remarquable que la Cour connaissait parfaitement la situation ⎯ à
laquelle elle avait fait référen ce dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires
du 8 avril 1993 (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie (Serbie-et-Monténégro)), mesures conservatoires,
ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p1 .2-14, par. 16-18). Du reste, la
Bosnie-Herzégovine elle-même avait abordé la question de la continuité (ou non) entre la RSFY et
la RFY dans son mémoire 43, et le juge Kre ća l’a longuement discutée dans son opinion dissidente
de 1996 ( Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1996 (II) ,
p. 658 et suiv., par. 91-98); il n’a sûrement pas manqué d’attirer l’attention de ses collègues sur ces
problèmes durant le délibéré. Très clairement, la Cour a refusé d’entrer dans un tel débat; mais
cela ne signifie pas qu’elle l’ignorait. Ici en core, M.Varady s’en montre d’accord: «Yes, the
problem ⎯or at least part of the problem ⎯ was indeed known from the outset». But he adds:
44
«But the solution was not known.»
13. Assurément, Madame le président, la Cour dispose d’immenses ressources… ⎯ mais
elle n’a pas de dons divinatoires. Elle ne pouvait se prononcer qu’en fonction de la situation telle
qu’elle existait au moment où elle a rendu son arrêt, forte du débat contradictoire entre les Parties.
Et cet arrêt, rendu en toute connaissance de cause, est limpide : par 13 voix contre 2, la Cour «dit
qu’elle a compétence, sur la base de l’article IX de la convention … pour statuer sur le différend».
2. Le défendeur doit assumer les conséquences de ses positions
14. Madame le président, que ce soit au fond ou en matière procédurale, le défendeur est
prompt à se trouver des excuses. Tout se pass e comme si les vertus du gouvernement actuel
devaient effacer les indignités du précédent régime, dont le co mportement devant la Cour
n’engagerait l’Etat serbo-monténégrin en aucune manière ⎯ et cela n’est pas sans rappeler la thèse
(sur le fond) selon laquelle la responsabilité pénale des dirigeants responsables du génocide devrait
exonérer la Serbie-et-Monténégro de la responsabilité internationale de la RFY.
43Par. 4.2.2.11-4.2.2.15, p. 160-162.
44
CR 2006/13, p. 20-21, par. 3.8. - 39 -
15. Je comprends, Madame le président, le so uci des dirigeants actuels de rompre avec ce
sombre passé; mais le refus d’en assumer la resp onsabilité n’est pas forcément le moyen le plus
recommandable pour y parvenir. Et, en tout cas, au plan international, il se heurte à au moins deux
principes fondamentaux : celui de la continuité de l’Etat 45 et le principe de la bonne foi, qui peut se
décliner en une multitude d’adages latins ⎯ allegans contraria non audiendus est , venire contra
factum proprium non potest , etc. ⎯, adages qui, avec des nuances, expriment tous la même idée,
comme l’a si remarquablement montré le juge Al faro dans son opinion individuelle jointe à
l’affaire du Temple (Temple de Préah Vihéar, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 40), à laquelle le
professeur Franck s’est référé vendredi dernier 46: on ne peut souffler le chaud et le froid; suivre
une conduite donnée pour, ensuite, s’en dédire ⎯ à tout le moins lorsque cette conduite a incité un
ou plusieurs Etats ⎯ ou la Cour elle-même ⎯ à en tirer des conséquences, auquel cas on peut, au
plan international, parler d’ estoppel, sans avoir à se préoccuper des subtilités techniques que
certains droits internes ont développées en la matière.
16. Je n’ai pas besoin d’y revenir en grand dé tail et je pense qu’à ce stade, il suffit d’attirer
une nouvelle fois votre attention, Madame et Messi eurs les juges, sur les principales conduites du
défendeur qui tombent sous le coup de ces principes :
⎯ Avant tout, il y a la «posture juridique» dont je viens de parler. Jusqu’en 2000, la RFY s’est
posée en continuateur de l’ex-Yougoslavie. Ce la s’est traduit par ce silence assourdissant,
relatif à son jus standi, qu’elle n’a pas contesté devant vous, silence qui a exclu tout débat
contradictoire sur ce point lors de l’examen de ses exceptions préliminaires, et qui vous a
conduits à reconnaître votre compétence, par votre arrêt de 1996.
⎯ Cela, du reste, va plus loin, Madame le prés ident: pour s’être constamment comporté comme
un Membre des Nations Unies et comme une partie à la convention sur le génocide entre 1992
et2000, qu’il l’ait été ou non, le défendeur est, aujourd’hui, estopped à prendre, en ce qui
concerne cette période, et dans le cadre de cette affaire, une position contraire: il se voulait
partie à votre Statut; vous vous êtes fondés sur ces dires, implicitement en ce qui concerne le
45Cf. les sentences arbitrales du 18 octobre 1923, Grande-Bretagne c. Costa Rica, Tinoco, RSANU, vol. I, p. 369
ou du 31 mars 1926, Commission de réclamations Etats-Unis c. Mexique, Hopkins, RSANU, vol. IV, p. 41.
46
CR 2006/36, p. 32-33, par. 22-24. - 40 -
Statut, explicitement pour ce qui est de la conventi on. Il doit être réputé avoir été partie à ces
instruments ⎯en tout cas dans les limites ratione materiae , ratione temporis et ratione
personae que je viens d’indiquer.
⎯ En outre, le défendeur ne peut évidemment pas se prévaloir de ses multiples manŒuvres
procédurières, qui ont abouti à retarder très indûment l’examen de l’affaire au fond ⎯ j’y
reviendrai dans quelques instants ⎯ pour opposer à la Bosnie-Herzégovine une fin de
non-recevoir qui constituerait une sorte de prime tout à fait extraordinaire aux stratégies
dilatoires.
17. La Serbie-et-Monténégro doit assume r les conséquences des conduites de l’ Etat qu’elle
est, continûment, depuis le 27 avril 1992. Cet Etat a commis un génocide contre les populations
non serbes de Bosnie-Herzégovine; il en demeure responsable nonobstant le changement de régime
qui y est intervenu en 2000. De même, en ce qui concerne son accès à la Cour, cet Etat a proclamé
être lié par les engagements de son prédécesseur ⎯même s’il est ensuite revenu sur une telle
position, il doit en assumer les conséquences ⎯ en tout cas pour la période durant laquelle cet
«engagement juridique» (Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267,
par. 43) a été maintenu.
18. Selon le scénario échafaudé par la Serb ie-et-Monténégro, tout l’édifice juridique sur
lequel reposait la reconnaissance de sa compétence par la Cour en 1996 s’est écroulé avec son
admission aux Nations Unies, le 1 ernovembre 2000. A cette date,
«it has become evident that the assumption on which the 1996 Judgment on
preliminary objections was based is an erroneous one. It has also become evident that
the information accessible to the Court at the time when it decided on jurisdiction was
imperfect, ambiguous, and did not allow definitive conclusions.» 47
19. Peut-être, Madame le président, mais cette assumption, cette hypothèse, qui l’avait fait
naître? L’ambiguïté et l’insuffis ance de cette information, qui en était responsable? La RFY et
elle seule. Elle ne peut, aujourd’hui se préval oir de son attitude pour v ous demander, Madame et
Messieurs les juges, de revenir sur votre ferme décision ⎯ fondée, de la manière la plus expresse,
sur sa propre position. D’autant plus que, à vrai dire, il s’agit de bien plus que d’un simple
problème d’information: c’est la situation elle -même qui, selon votre propre expression, «ne
47CR 2006/13, p. 19, par. 3.3 (Varady). - 41 -
laiss[ait] pas de susciter des difficultés juridiques» ( Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie (Serbie et
Monténégro), mesures conservatoires, ordonnance du 8avril1993, C.I.J. Recueil 1993, p.14,
par.18) dues à la ««situation sui generis dans laquelle se trouvait la RFY» [vis-à-vis de
l’Organisation des Nations Unies] dans la période comprise entre 1992 et 2000» ( Demande en
revision de l’arrêt du 11juillet1996 en l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 31, par. 73)
⎯ mais encore, il ne dépendait que de la RFY elle-même qu’il soit mis fin à cette situation et, du
même coup, aux difficultés qui en résultaient.
Madame le président, il me reste pas mal de minutes. Peut-être que c’est le bon moment
pour la pause.
The PRESIDENT: You could break now or yo u could continue. I see there are a couple
more paragraphs until an entirely new section. I would say continue until you come to the entirely
new section.
M. PELLET: Thank you very much.
3. Les arrêts de 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force sont dénués
de pertinence dans la présente affaire
20. Mais, en effet, le président a raison, ce sera court. Le problème se posait dans des termes
tout différents dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force . Au moment où vous
vous êtes prononcés, le 15 décembre 2004, c’était ch ose faite : le défendeur avait enfin accepté de
faire ce que les Nations Unies, le monde entier, lu i demandaient depuis plus de huit ans, et il avait
présenté sa candidature en tant qu’Etat successeur ⎯ parmi d’autres, comme les quatre autres ⎯ de
l’ex-Yougoslavie. Et c’est sur la base de cette situation nouvelle ⎯résultant, je le répète, d’une
initiative de la seule RFY et qui ne dépendait que d’elle ⎯ que la Cour, dans ses huit arrêts
de 2004, se prononce en faveur d’une solution différente de celle adoptée huit ans auparavant. - 42 -
21. Comme je l’ai dit vendredi, les positions su ccessives prises par la Cour sont sans doute
48
moins contradictoires qu’il y paraît :
⎯ dans les deux cas, elle s’est prononcée eu égard à la situation qui était connue d’elle à la date
de l’arrêt;
⎯ dans les deux cas, elle s’est fondée sur la positio n qui était celle de la RFY dans le premier, de
la Serbie-et-Monténégro dans le second ⎯ mais c’est le même Etat à cette date ⎯ et elle s’est
fondée sur la coïncidence des vues de cet Etat, durant la procédure, avec l’autre (ou avec les
autres) Partie(s) ⎯la Bosnie-Herzégovine (demandeur) dans notre affair e, les huit Etats
membres de l’OTAN (défendeurs) dans l’autre.
22. Il n’y a pas là forcément d’incohérence ⎯même si la similarité de la méthode suivie
aboutit à des résultats différents. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas, pour autant, lieu à
«contamination» d’une affaire par l’autre: pas da vantage que l’arrêt de 2003 sur la revision ne
pouvait «revêtir une quelconque autorité de la chose jugée» pour les a ffaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force (arrêt du 15 décembre 2004, par.80), ceux qui ont été rendus dans ces
affaires ne sauraient être res judicata dans le cadre de notre affaire. Et quand bien même il y a là,
sans doute, une contradiction de jurisprudence, celle-ci est très évidemment atténuée par le fait que
les Parties aux deux séries d’affaires ne sont pa s les mêmes et, peut-être surtout, parce que les
arrêts les concernant respectivement ont été rendus à des moments différents. C’est ici, Madame le
président, qu’apparaît pleinement l’influence du «facteur temps» et cela me conduirait à la seconde
partie de ma présentation mais je pense que ce «facteur temps» cette fois nous conduit à la pause
café.
The PRESIDENT: Oui. Merci, Monsieur le professeur. And now we come to the coffee
break.
The Court adjourned from 11.35 to 11.50 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated. Yes, Professor Pellet.
48Voir CR 2006/36, p. 22, par. 55-58. - 43 -
M. PELLET : Merci beaucoup, Madame le président.
II. Le facteur temps
23. A nouveau, trois points paraissent essentiels :
⎯ d’une part, l’importance que revêtent, dans tout es les décisions pertinentes, l’écoulement du
temps et le changement des circonstances,
⎯ d’autre part, ce que l’on peut appeler «la nécessit é d’arrêter le temps judiciaire», qui confirme,
si besoin était,
⎯ le droit de la Bosnie-Herzégovine à une décision sur le fond de l’affaire qu’elle vous a soumise
il y a treize ans.
1. La prise en compte de l’écoulement du temps par toutes les décisions pertinentes
24. Madame le président, je l’ai dit plusieurs fois, mais je crois que c’ est essentiel: la Cour
ne juge pas dans un monde platonicien idéal; e lle se prononce à un moment donné, dans des
circonstances données, en fonction des informations dont elle dispose sur ces circonstances et à ce
moment. Il est très frappant que, dans toutes les décisions qui ont, pour une raison ou une autre,
une importance dans notre affaire, elle se soit montrée particulièrement sensible à cet aspect de sa
fonction :
⎯ c’est vrai, par hypothèse, s’agissant des ordonna nces en indication de mesures conservatoires,
dans lesquelles, tout en prenant des décisions obligatoires pour les parties ⎯ mais réversibles,
la Cour ne se prononce que prima facie , notamment en matière de compétence et de
recevabilité;
⎯ c’est vrai de l’arrêt de 1996, que ceux de 2003 et de 2004 interprètent en fonction de la
situation existant «au moment où cet arrêt a été rendu» ( Demande en revision de l’arrêt du
11juillet1996 en l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie- Herzégovine cY . ougoslavie), exceptions
préliminaires (Yougoslavie c.Bosnie-Herzégovine) , arrêt, C.I.J.Recueil2003 , p.31, par. 70;
voir aussi Licéité de l’emploi de la force, arrêt du 15 décembre 2004, par. 73);
⎯ ceci est vrai aussi de l’arrêt de 2003 sur la revision, qui «commence par rappeler les
circonstances de la présente affaire, en vue de replacer les prétentions de la RFY dans leur - 44 -
contexte» ( Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la préventio n et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine Yc.ugoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie
c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J.Recueil2003 , p.14, par. 24), et présente le «contexte
factuel de l’affaire» (ibid., p. 26, par. 54) en insistant sur le fait que cette description porte sur
«la situation particulière de la RFY entre septembre 1992 et novembre2000» ( ibid., p.22,
par. 45).
25. La Cour n’a pas procédé différemme nt dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi
de la force. Il est même tout à fait frappant que, dans ses ordonnances sur la requête en indication
de mesures conservatoires du 2 juin 1999, la haute juridiction confirme, en ce qui concerne la base
de sa compétence fondée sur l’article IX de la convention sur le génocide, sa position de 1996 dans
notre affaire, en estimant, alors même que certai ns des Etats défendeurs avaient contesté que la
Yougoslavie fût membre de l’ONU et eût accès à la CIJ ( Licéité de l’emploi de la force
(Yougoslavie c B.elgique) , mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999, p. 135, par. 31), que :
«il n’est pas contesté que tant la Yougoslavie que la Belgique sont parties à la
convention sur le génocide, sans réserves; et que l’article IX de la convention semble
ainsi constituer une base sur laquelle la comp étence de la Cour pourrait être fondée,
pour autant que l’objet du différend ait tra it à «l’interprétation, l’application ou
l’exécution» de la convention, y compris le s différends «relatifs à la responsabilité
d’un Etat en matière de génocide ou de l’ un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III» de ladite convention» (ibid., p. 137, par. 37).
Cela, Madame le président, se passait avant l’ admission de la RFY aux Nations Unies. En
revanche, dans ses arrêts de 2004, adoptés quatre ans après cet événement, la Cour tient pleinement
compte de cette nouvelle situation ⎯pour reprendre l’expression du professeur Varady, de ce
49
«retournement de perspective» («such a turnaround of the relevant perspective» ) :
«la situation qui se présente aujourd’hui à la Cour concernant la Serbie-et-Monténégro
est manifestement différente de celle deva nt laquelle elle se trouvait en 1999. Si la
Cour avait alors eu à se prononcer définitivement sur le statut du demandeur à l’égard
de l’Organisation des NationsUnies, ce tte tâche aurait été compliquée par les
incertitudes entourant la situation juridique, s’agissant de ce statut. Cependant, la
Cour se trouvant aujourd’hui à même d’apprécier l’ensemble de la situation juridique,
et compte tenu des conséquences juridiques du nouvel état de fait existant depuis le
1 novembre 2000, la Cour est amenée à conclure que la Serbie-et-Monténégro n’était
49CR 2006/13, p. 60, par. 5.2 (Varady). Voir aussi p. 20, par. 3.6. - 45 -
pas membre de l’Organisation des Nations Unies, ni en cette qualité partie au Statut de
la Cour internationale de Justice, au mome nt où elle a déposé sa requête introduisant
la présente instance devant la Cour, le 29 avril 1999.» ( Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-MonténégroB c.lgique), exceptions préliminaires , arrêt du
,
15 décembre 2004, par. 79; les italiques sont de nous.)
26. Pourquoi, alors, les mêmes causes ne produiraient-elles pas les mêmes effets; et
pourquoi, de même qu’entre 1999 et 2004 la Cour a été conduite à adopter deux positions
complètement différentes du fait du changement de circonstances intervenu en2000, n’en irait-il
pas de même dans notre affaire; pourquoi en 2006 est-ce que vous n’adopteriez pas une position
contraire à celle que vous avez adoptée en 1996 ?
2. La nécessité judiciaire d’arrêter le temps
27. J’ai évoqué, il y a quelques instants, Mada me le président, «la nécessité judiciaire
d’arrêter le temps». Eh bien, c’est ici qu’intervient cette nécessité.
28. Car il y a une grande, une immense différence, entre les deux affaires: dans celles
relatives à la Licéité de l’emploi de la force, les constatations faites par la Cour, en 1999, l’avaient
été prima facie, dans une ordonnance en indication de mesures conservatoires n’ayant aucune force
de chose jugée. Il en va différemment dans l’affaire qui oppose la Bosnie-Herzégovine à la
Serbie-et-Monténégro: l’arrêt de 1996 est res judicata. Je n’y reviens pas ⎯ j’y ai suffisamment
insisté tant le 28 février que vendredi dernier 50. Mais je souhaite tout de même dire quelques mots
sur la signification et les implications de ce princi pe fondamental qui, au surplus, n’est pas le seul
principe à prendre en considération, il n’est pas isolé dans notre affaire.
29. Le principe de la chose jugée est plei nement consacré et fermement maintenu par la
jurisprudence de la Cour (voir Détroit de Corfou, fixation du montant des réparations
(Royaume-Uni c. Albanie), arrêt, C.I.J. Recueil1949, p. 248 ; Appel concernant la compétence du
Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J.Recueil1972, p. 56, par. 18 ; Demande en
interprétation de l’arrêt du 11juin1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c.Cameroun) ,
arrêt, C.I.J. Recueil 1999, p.31, par. 16). Et il est sous-tendu par les mêmes considérations que
50CR 2006/3, p. 14, par. 9 et p. 15-16, par. 12-14 (Pellet); CR 2006/36, p. 3-15, par. 33-36 (Pellet). - 46 -
celles qui inspirent les articles 59, 60 et 61 de votre Statut, Madame et Messieurs les juges ⎯ trois
dispositions qui sont évidemment pertinentes dans notre affaire :
⎯ l’article 59 ⎯ parce qu’il établit et la force obligatoire de vos arrêts et leur valeur relative : cela
explique notamment pourquoi la Serbie-et-Montén égro, quoiqu’elle en ait, est liée par l’arrêt
de1996, mais aussi pourquoi la solution des ar rêts de 2004 n’a pas vocation à être transposée
dans notre affaire;
⎯ l’article 60 ⎯parce que l’arrêt étant «définitif et sans recours», il ne peut être remis en cause
ni par aucune des Parties, ni pa r la Cour elle-même, ce qui voue à priori à l’échec la tentative
du défendeur;
⎯ l’article 61 enfin ⎯parce qu’il établit, d’une manière pa rticulièrement restrictive, les
conditions dans lesquelles il peut être fait exception à la règle posée à la disposition
précédente: ce ne peut être que par la procédur e de la revision, qui ne peut être demandée,
dans des délais rigoureux, qu’en raison de la découverte d’un fait nouveau, défini de manière
extrêmement stricte. Vous avez décidé que ces conditions n’étaient pas remplies par votre arrêt
du 3février 2003; celui de 1996 n’est donc plus «revisable» ⎯à moins que le défendeur
entende maintenant demander la revision de cette décision de rejet (tout est possible…).
30. Ces règles statutaires ne découragent pas nos intrépides contradicteurs: «La Cour doit
toujours s’assurer de sa compét ence, au besoin même d’office…» 51 Certes, Madame le président.
Mais, comme je l’ai montré vendredi 52, ce principe n’est pas une règle abstraite qui autoriserait la
Cour à revenir à tout moment sur une décision dé finitive. Il doit s’appliquer dans le cadre du
Statut, qui est votre règle suprême, Madame et Messieurs les juges, et être combiné avec les grands
principes qui gouvernent votre juridiction. Je suis certain que si l’on passe en revue vos arrêts
anciens (et même, peut-être, quelque s-uns qui ne sont pas si anciens) on en trouverait sans peine
quelques-uns qui se révèleraient discutables ou ca rrément erronés parce que, depuis leur prononcé,
les «perspectives» ont changé; des faits nouveaux ont fait surface, qui obligeraient à adopter des
raisonnements différents et aboutiraient à des solutions différentes. Je ne me livrerai cependant pas
à cet exercice ⎯intellectuellement stimulant sans aucun doute et qui pourrait être proposé aux
51CR 2006/12, p. 57, par. 1.48 (Varady); CR 2006/13, p. 20, par. 3.5 et p. 60, par. 5.1 (Varady).
52
CR 2006/35, p. 57-62, par. 8-17 (Pellet). - 47 -
étudiants d’un concours Rousseau, ou Telders, ou Jessup, mais qui ne pourrait être qu’un cas
pratique simulé, un cas pratique moot. Ceci n’entre à l’évidence pas dans le cadre de vos hautes
fonctions judiciaires; comme n’en relève pas la revision d’un arrêt devenu définitif pour un motif
autre que celui ⎯ exclusif ⎯ envisagé à l’article 61 du Statut de la Cour, que vous ne pouvez pas
réécrire. La Cour doit s’assurer de sa compétence: l’arrêt de 1996 lui a donné l’occasion de le
faire; elle ne peut, aujourd’hui, remettre en question sa propre autorité.
31. Contrairement à Pénélope (et même aux bo ns artisans), aucun corps judiciaire ne peut
deux fois sur le métier remettre son ouvrage. To us les principes et règles que j’ai évoqués s’y
opposent et pour une sage et excellente raison : ut sit finis litium 53.
3. Le droit de la Bosnie-Herzégovine à une décision sur le fond
32. Bien entendu, Madame le président, cette première conclusion ⎯ négative : il n’est dans
le pouvoir de personne, ni du défendeur, ni du demandeur, ni de la Cour elle-même, de remettre en
question l’arrêt de 1996 ⎯ débouche sur une autre conclusion qui, elle, est positive : «Ayant établi
sa compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide, et ayant conclu à la
recevabilité de la requête, la Cour peut [et je dirais dois] désormais procéder à l’examen du fond de
l’affaire sur cette base.» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Bosnie-Herzégovine Y c.ougos lavie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 622, par. 46.)
33. Ceci, Madame et Messieurs de la Cour, vous l’avez décidé il y a maintenant dix ans. Ce
très ⎯ce trop long délai s’explique, pour l’essentiel en tout cas, par les manŒuvres dilatoires et
l’adresse procédurale de nos adversaires ⎯ d’hier comme d’aujourd’hui car, à cet égard, rien n’a
changé, nous n’avons pas senti souffler le vent du changement depuis la fin du régime de
Milosević: la même volonté de fer s’exprime derrière des paroles de velours (c’est la seule
évolution). Il s’agit d’empêcher ou, en tout cas, de retarder au maximum l’arrêt au fond.
34. Deux observations finales, Madame le président, si je puis :
53
Cf. CR 2006/36, p. 22, par. 55, note 74. Je présente mes excuses à la Cour et à la Partie serbo-monténégrine
pour avoir attribué à L. Brant, une citati on qui est, en réalité tirée d’un article de Charles de Visscher («La chose jugée
devant la Cour internationale de La Haye», RBDI 1965, p. 5). - 48 -
35. La première a trait à la longueur de la procédure en elle-même. Quels qu’en soient les
responsables, elle est grandement excessive et, je m’en suis assuré, c’est, malheureusement, un
record dans les annales de cette Cour: le précédent était détenu par l’affaire de la Délimitation
maritime entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn) , qui a duré neuf ans et sept mois (requête du
8juillet 1991, arrêt du 16 mars 2001, C.I.J. Recueil 2001, p.40), sauf à considérer ensemble les
«deux» affaires relatives à la Barcelona Traction Light and Power Company (Belgique c. Espagne)
(qui totalisent neuf ans et onze mois (première requête: 23 septembre 1958, désistement le
23 janvier 1961 (sept ans et sept mois) : deuxième requête du 19 juin 1962, arrêt du 5 février 1970
(deux ans et quatre mois), C.I.J. Recueil 1970, p. 3)); une durée suivie de près par celle de huit ans
et six mois, qui a été nécessaire pour trancher l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)) (requête du
29 mars 1994, arrêt du 10 octobre 2002, C.I.J. Recueil 2002, p. 303) émaillée il est vrai, elle aussi,
de très nombreux incidents de procédure. Je ne donne pas ces chiffres de gaîté de cŒur, Madame le
président. Mais il nous a paru nécessaire de les mentionner, pour faire ressortir que ces regrettables
records sont largement dépassés par notre affaire ⎯dans laquelle la requête a été déposée
le 20 mars 1993 et les procédures orales ont dé buté le 27 février 2006, soit douze ans et onze mois
plus tard, sans que l’on sache, bien sûr, quand l’arrêt sur le fond sera rendu ⎯ encore les audiences
n’ont-elles pu être entièrement consacrées au fond, le défendeur ayant, pour la cinquième fois,
plaidé l’incompétence de la Cour.
36. Il porte, et de loin, la principale responsab ilité de ce très regrettable état de choses. Mais
il va de soi qu’il ne saurait en profiter: nullus commodum capere de sua injuria propria (c’est
toujours par des adages latins que ces principes fondamentaux découlant de la bonne foi
s’énoncent…) 54.
37. Du reste, Madame le président, il est à pein e besoin d’établir les responsabilités. Le fait
est là: la requête a été déposée en mars 1993; les exceptions préliminaires, soulevées par le
défendeur, ont été écartées par la Cour en juillet 1996 ⎯ il y a dix ans. Quant à la duplique, elle a
été déposée au Greffe de la Cour le 22 février 1999, il y a plus de sept ans ⎯ et près de vingt mois
54V.R. Kolb, «La maxime nemo ex propria turpitudine commodum capere potest (nul ne peut profiter de son
propre tort) en droit international public»,RBDI 2000, p. 84-136. - 49 -
avant que se produise le «changement de perspective» auquel la Partie défenderesse accorde tant de
poids et sur lequel elle s’adosse pour vous dema nder de revenir sur votre décision de 1996. Selon
tous les standards de justice, c’est avant cet évén ement qu’il faudrait se placer pour apprécier les
demandes du défendeur portant sur la compétence de la Cour, si celles-ci devaient être réexaminées
par elle. Il n’y a aucune raison pour que la Bosnie-Herzégovine soit victime des lenteurs très
excessives de la procédure, quels qu’en soient les responsables, et en tout cas elle n’en est pas
responsable.
38. Au demeurant, Madame le président, nous croyons que, malgré les problèmes de
principe, importants, que posent ces délais, là n’est pas l’essentiel : il est, bien sûr que justice soit
faite, ce qui ne serait assurément pas le cas si vous reveniez sur votre compétence. Mais vous avez
tranché sur ce point, avec l’autorité définitive qui s’attache à la chose jugée, il y a dix ans et aucun
principe, aucune règle de droit ni d’équité ne donne à penser que vous pourriez y revenir au mépris
des dispositions claires de votre Statut. Ni, d’aille urs, si vous le faisiez, que ceci vous conduirait à
récuser les conclusions que vous aviez atteintes alors. Nous avons la certitude, Madame et
Messieurs les juges, que vous ne vous laissere z pas aller à la facilité de la volte-face ⎯ c’en serait
une, à laquelle le défendeur vous invite sur cette question de compétence. Quant au passage du
temps, il ne saurait justifier que la Cour se soustraie, dans cette affaire emblématique et dramatique,
à son devoir fondamental: rendre la justice en ré glant, conformément au droit international le
différend qui lui est soumis.
L’agent adjoint et l’agent de la Bosnie-Her zégovine sauront mieux que moi vous dire la
confiance que le pays qui nous a fait l’honneur redoutable de nous charger de le défendre, place
dans votre future décision. Et je vous serais reconnaissant, Madame le président, de bien vouloir
leur donner, successivement, la parole. Quant à moi, je vous remercie, Madame et Messieurs de la
Cour, de votre attention.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. I now call Mr. van den Biesen. - 50 -
Mr. van den BIESEN:
G ENERAL CONCLUDING OBSERVATIONS
Genocide
1. Madam President, Members of the Court, what more can we say? What more can we say,
after over 50hours of orally setting out our case for the Court, after the thousands of pages of
written pleadings, including their annexes, and after the images we have shown to the Court? “Not
much” is probably the answer. If we have not su cceeded in getting our points across earlier it is
certainly not going to happen over the next half an hour.
2. Obviously, the advantage of having to plead for such a long period of time in this
particular case has been that we were able to go into a considerab le amount of detail, while at the
same time we were able to stress and to demonstr ate to the Court, not being a criminal court, the
overall picture is what counts when faced with th e task of establishing State responsibility for
genocide.
3. It is not what was in the head of a certain individual that counts, but it is the policy of the
State that provides the parameters to appreciate the intent. Yet, the policy of the State in itself is
not enough to reach a conclusion, but it is the f acts on the ground, and it is the implementation of
that policy, which provide for the parameters to appreciate the actual gist of the policy.
4. As far as the facts on the ground are concerned it is not the precise number of casualties in
such and such a municipality, the precise number of women raped in such and such a camp, that
provide for the parameters to appreciate what happened. It is the repetitive nature of these acts, the
circumstances in which they were committed, the way in which they were committed and the
totality that count.
5. It is not the precise circumstances of the destruction of one specific mosque in one specific
municipality that counts, but it is the geographical vastness of the destruction, the systematic nature
of it that provides for another set of parameters.
6. The same is true for the internal displacements: not each and every movement of a
population from a certain ar ea or at a certain date will be decisive, but the totality of the mass
forced transfer ⎯ forced through killing, terrorizing, starving and raping ⎯ of virtually all of the - 51 -
non-Serb population, i.e., the Bosniaks and the Bosnian Croats, from 70percent of Bosnia’s
territory, within a very condensed period of time, that is what provides for another building block
necessary for the legal appreciation which we ask the Court to make.
7. It is not the precise amounts of military equipment provided to the Bosnian Serbs by
Belgrade on a certain day or in a certain area th at counts but the continued flow of these military
goods throughout 1992, 1993, 1994 and 1995 and the size of the flow which provide for the true
picture of Belgrade’s indispensable and dominant role.
8. Similarly, it is not only the fact that the JNA left behind a part of its army when it
“withdrew”, but also the fact that it was re-hatted to create the Bosnian Serb army and that over
1,800 Yugoslav army officers continued to serve in that army whilst being paid, administered and
promoted from Belgrade, that shows the true nature of the engagement of the Respondent.
9. Likewise, it is not the incidental particip ation of one paramilitary leader coming from
Belgrade that is relevant, but is the continuousl y returning presence of th e Arkans, the Šešeljs, the
Legijas, the Bozovi ćs, the Red Berets, the Scorpions, all ac ting under Belgrade’s responsibility,
that demonstrates what really was going on.
10. It is not one single JNA tank on a hill at Sarajevo but it is the massive JNA’s despatching
of troops and equipment which then surround the city that colours and defines the picture, together
with the appearance of tanks, on 6 July 1995, coming down from the hills surrounding Srebrenica,
tanks given to the Bosnian Serbs by the JNA and kept up during four years of intensive use with
maintenance and spare parts made available by th e Yugoslav army which provides for the totality
of the picture needed to reach an effective appreciation.
11. And finally, although not exhaustively, it is not that Belgrade was of some monetary help
exchanging marks for dinars which is relevant but the totality of the monetary unity between the
three Serb entities, including Republika Srpska being entirely subordinated to the National Bank of
Yugoslavia, which provides for the picture.
12. Each of these aspects may in itself not be sufficient to support honouring Bosnia’s final
submissions in this case, but certainly, certainly all of these aspects combined do provide for a solid
basis to conclude that, yes, this was genocide and, yes, Belgrade was involved and dominant to
such an extent that it should be held directly accountable for that. - 52 -
13. This, even quite apart from the fact that, obviously, Belgrade should be held directly
accountable for not preventing, for not punishing.
Burden of proof
14. Madam President, in providing the Court with all the materials which we have submitted
during the course of these proceedings we certainly have met our obligations to prove our case.
The evidence which we have brought forward is, in our view, sufficient to support the judgment
which we have asked the Court to hand down.
15. This is especially so since we have, in any event, provided enough materials to shift the
burden of proof to the Respondent. In our Memori al we have set out the relevant case law with
respect to the shifting of the burden of proof 55. In our Reply we have repeated this, elaborated
56
somewhat, while responding to the Respondent’s reaction given in their Counter-Memorial .
16. The Respondent has not seen fit to act accordingly. It has not used its first round of
pleadings to provide counter-evidence, let alone effective counter-eviden ce. This assessment,
57
Madam President, is final, in the sense that ⎯ as we have pointed out before ⎯ it certainly is too
late for the Respondent to now begin submitting evidence in their second round, this being the very
final round of our proceedings. The lack of evid ence, submitted by the Respondent, most certainly
needs to be interpreted against Serbia and Montenegro.
Belgrade statements
17. Instead of evidence we have heard a lot of repetitive denials ⎯ denials of the type we
have heard all along during these proceedings, al so in the written pleadings submitted by the
Respondent. From that perspective we have not b een able to perceive any difference whatsoever
between the pre-October 2000 Belgrade and the post-October 2000 Belgrade.
18. Moreover, while the Respondent’s presen tation here, in the Great Hall of Justice,
certainly was characterized by a gentler tone, gentler than what we experienced during earlier oral
proceedings in this case, outside this Great Hall of Justice disrespect seems to be the dominant
55Memorial of 15 April 1994, paras. 5.3.3.3, 5.3.3.7, 5.3.3.8 and 5.3.3.10.
56Reply of 23 July 1998, pp. 37-41, paras. 12-22.
57
CR 2006/02, p. 21, para 13 (van den Biesen); CR 2006/30, pp. 21-22, paras 24-25 (van den Biesen). - 53 -
approach of the Respondent. The Vice-Prime Minister of Serbia plainly states that Bosnia’s case is
not about the truth but about money 58. Witness Mr.Mi ćunović says, outside of the Great Hall of
59
Justice, that Bosnia’s Application “has only a propaganda character” . These types of
observations were to be found frequently in the Serbian media, while none of these public
comments, none of them offered by political leaders, ever included even a beginning of
acknowledging Serbia and Montenegro’s role.
19. All this clearly does not help the image which the representatives of the Respondent have
been trying to create by stating that “en aucu n moment nous ne voulons nier les souffrances des
victimes que nous ne pouvons et ne voulons pas oublier” 60. It only shows that words indeed
expressing gentleness are not enough because they can be immediately undone by words
expressing the opposite. It shows that gentle words are not enough if they are not closely
connected to substantive gentleness.
20. Madam President, Members of the Court, Professor Stojanovi ć did also say something
about criminal organizations being linked to State institutions 61 in the past, but he did not elaborate
on what sort of organizations, what sort of Stat e institutions and what sort of crimes, then, would
have been involved. So this does not seem to be very helpful either. Actually, only the
Respondent’s Council of Ministers connected the Milosevic régime to concrete crimes committed
in Bosnia, i.e., the Srebrenica massacre, when they declared on 15 June 2005 in an officially
published statement:
“Those who committed the killings in Sr ebrenica, as well as those who ordered
and organized that massacre represented neither Serbia nor Montenegro, but an
undemocratic régime of terror and death, ag ainst whom the great majority of citizens
of Serbia and Montenegro put up the strongest resistance.” 62
58
B92, 27 February 2006, “The Last Moment for Mladi ć in The Hague”. Guest: Miroljub Labus, Deputy
Prime-Minister of Serbia, available at www.b92.net/info/emisije/kaziprst.php?yyyy=2006&mm=02&nav_id=189914.
59B92, 10 April 2006, “Mi ćunović About the Application: Chances 50:50”, available at
www.b92.net/info/vesti/index.php?yyyy=2006&mm=04&dd=10&nav_category=64&…; available in
English at www.b92.net/english/news/index.php?&dd=10&mm=04&yyyy=2006&nav_category=…
=priority&style=headlines.
60
CR 2006/12, p.12, para. 9 (Stojanović).
61CR 2006/12, pp. 13-14, paras. 15-16.
62CR 2006/11, p. 11, para. 3 (Condorelli). - 54 -
21. This statement is important as an admissi on against interest and it also does provide for
some hope. But, Madam President, if the Council of Ministers has connected the Milošević régime
to the Srebrenica massacre, then now is the time for admission, not for denial; then now is the time
for openness, not for hide-and-seek; then now is th e time for facing justice, rather than disrupting
justice. Actually, the second round that the Responde nt is going to have will not be too late for all
of that. Any position which the Respondent will ta ke here in public will be scrutinized in Sarajevo
and will be judged on a scale of willingness and preparedness to substantially seek reconciliation, a
scale on which denial is located at the very bottom end and on which acknowledgment will score
high.
22. We know that many people in Serbia and Montenegro are urging their Government to do
precisely that, to embrace this future-oriented a pproach rather than sticking to the old denial
posture.
Opposition
23. Madam President, this brings us to a fe w observations with resp ect to the opposition in
Serbia and Montenegro, more specifically to th e opposition against the FRY authorities during the
years relevant for our case.
24. We have been hearing from Mr.Mi ćunović about the importance of the democratic
opposition and how this opposition was opposing the wa r. After having listened carefully to what
he said and after having reread the transcript of his statement, we conclude that being the
opposition against the war meant opposition against the SFRY being engaged in a war in Croatia.
Never did it mean ⎯ this is what we conclude ⎯ opposition against the FRY being engaged in a
war in Bosnia. Mićunović did not declare anything like that. On the contrary, he explained that all
sides in the Parliament were in agreement with the Belgrade Government that the war in Bosnia
should be stopped by Republika Srpska and that it was Republika Srpska who should accept the
Vance-Owen Plan 63. Why? According to Mićunović, it was because the sanctions were putting too
heavy a burden on the FRY. He did not mention any opposition to the FRY being engaged in the
war in Bosnia, let alone in genocide.
6CR 2006/29, p. 16 (Mićunović). - 55 -
25. We have been doing some research to see whether the testimony of Mr.Mi ćunović, at
this point, provided for a correct picture and we were disappointed to have to conclude that, indeed,
it did. The opposition leaders at the time did not speak up against Belgrade’s involvement in ethnic
cleansing in Bosnia and Herzegovina and did not urge Milošević to step down because of that. The
opposition was mainly worried about FRY’s desperat e economic situation but did not seem to be
worried about all the money spent by the FRY on ethnic cleansing in Bosnia and Herzegovina and
on the creation of a Greater Serbia.
26. Actually we only found one statement which could be interpreted like that, a statement
which Professor Stojanović, now the Agent of the Respondent, made on 10 June 1993. He said:
“Not only that Serbia is going towards preserving the communism, but also
towards preserving what emerges from the communism ⎯ creation of firm borders of
a national state, that is the Greater Serbia, if possible. And in that engagement for the
creation of such a state, Serbia was ready to rely on force. Arming of the Serb people
in Croatia and in Bosnia and Herzegovina was a move revealing those intentions. And
that is one big political mist ake [says Professor Stojanović in 1993] ⎯ because when
64
the people is armed then the political control over the armed force is lost.”
This, Madam President, seems to be true opposition to Miloševi ć’s policy. Here,
Professor Stojanović in any event confirms that the arming of the Serb people in Croatia and in
Bosnia and Herzegovina did take place and that this, indeed, was evidence of the intention to create
a Greater Serbia. Further down in the interview with Professor Stojanović, the opposition character
of his position becomes less clear, but in any event the interview shows his opposition to Serbia’s
distributing weapons and to Serbia’s preparedness to rely on force for the creation of a Greater
Serbia. Again, this is the only clear sign of opposition to the policy of Miloševi ć –– which policy
was, so it was confirmed, aimed at the creation of a Greater Serbia.
27. If we are wrong in this assessment, then, agai n, this is the time to correct us and to show
us the true extent of the opposition at the time and, even more importantly, now that this very
opposition has become the Government, to show acknowledgment now rather than denials.
6Interview with Prof . Radoslav Stojanovi ć by Momir Djokovi ć, “Povratak vrednostima Srbije” [A return to
Serbia’s values], Spona, 10 June 1993. - 56 -
The Court is not an umbrella
28. ProfessorVarady has said on 8March that in his country “many things still have to be
65
changed or redirected” . We could not agree more and have just pointed out that, clearly, the
Respondent may use its second round to demonstrate some of the badly needed changes in its
position towards the “criminal legacy of the Miloševi ć era”, as witness Mihajlovi ć called it on
27 March 2006 66.
29. These badly needed changes or redirec tions also include the Respondent’s attitude
towards this Court. Its record, Madam President, in this respect, is not something any State would
take pride in.
30. We have seen how the Respondent bluntly ignored this Court’s Orders in 1993, as if
these Orders were not worth the paper they were printed on. We have seen how the Respondent
together with the Bosnian Serb member of the Bosnian Presidency engaged in machinations to ⎯
through a fabricated appointment of a new Bosnian Agent ⎯ make this Court believe that Bosnia
had withdrawn its case; how the Respondent, when in need, sought relief from the Court as NATO
bombed the Federal Republic of Yugoslavia. We have seen how the Respondent in our case
threatened the Court that it would call 400witnesse s in support of its counter-claims, an approach
which the Respondent proposed knowing full well that this would entirely disrupt the Court’s
system. And finally we have seen, as Professor Franck pointed out on 7March, that
ProfessorVarady explained in an article published in a Serbian magazine one week before the
judgments in the NATO cases were read, that one of his tactics in the NATO cases had been aimed
all along at losing the NATO cases on jurisdiction in order to survive the Bosnian case on the same
67
jurisdictional grounds . We will for ever have to wonder what the Court would have decided in
the NATO cases if ProfessorVarady would not have reserved this revelation for some magazine
but would have been clear about this approach here during the oral pleadings in the NATO cases.
31. Madam President, the Court obviously is here to protect States, States whose rights are
being threatened, but the Court is not some sort of umbrella which comes in handy when the
weather gets rough but which can be easily disposed of if one thinks it is safe to do without it.
6CR 2006/12, p. 58, para 1.52.
6CR 2006/27, p. 23.
67
CR 2006/11, p. 56, para. 38. - 57 -
32. It will be hard to accept if the umbrella approach would be honoured at the expense of a
State which in good faith addressed the Court and in good faith engaged in 13 years of litigation in
order to obtain the protection which it was declared to be entitled to.
Final observations
33. Madam President, it is clear that Bosnia and Herzegovina has put its trust in the Court,
but Bosnia is not alone. At the sixtieth annive rsary of the Court, less than two weeks ago, the
Secretary-General of the United Nations recalled how, in 2005, the leaders of the world at the
World Summit explicitly acknowledged the importance of the Court and the value of its work.
Mr. Kofi Annan then continued and stated –– and I apologize for not having the magic of his warm
voice ––:
“This praise reflects the fact that the Court is thriving. Today, more than ever
before, United Nations Member States are tu rning to it, not just to resolve land and
maritime boundary disputes, or to complain of treaty violations, but also on matters of
genocide and the use of force. As a re sult, the Court has never been more in
68
demand.”
34. Indeed, Madam President, the demand in this single case may be greater than before in
other cases, since so many individuals have an interest in the outcome. Bosnia and Herzegovina is,
we have said it before, looking at this case for purposes of justice. A positive outcome will be
essential for reconciliation, it will be an importa nt step towards true peace which will, indeed,
become more substantive when justice is seen to be done. And this obviously creates a direct
interest in the outcome in this case for all citi zens of Bosnia and Herzegovina, Bosniaks, Bosnian
Croats and Bosnian Serbs alike. Besides that, the surviving victims of the ethnic cleansing
campaign will benefit from a positive outcome, first and foremost in an immaterial manner and
maybe, in the somewhat longer run, also in a material manner.
35. The Genocide Convention came about under the notion “never again”. Bosnia is well
aware that in this case it is not the unimaginable magnitude of the Shoah that is at stake. But the
Convention is not exclusively there to protect ethnically and religiously defined groups against
another holocaust. The “never again” must also apply to what happened in Bosnia and
6Remarks of United Nations Secretary-General Mr.KofiAnnan at the sixtieth anniversary celebration of the
International Court of Justice, The Hague, 12 April 2006. Available at www.icj-cij.org/60/speeches/isp_annan.htm. - 58 -
Herzegovina. It must be heard and understood a ll across the Balkans. What better way than to
send that message under the seal of the International Court of Justice?
36. Madam President, I thank you and I thank the Members of the Court for your attention
and we would appreciate, Madam President, your inviting the Agent of Bosnia and Herzegovina to
read the final submissions.
ThePRESIDENT: Thank you, Mr. van den Biesen. I call upon Mr.Softi ć, the Agent of
Bosnia and Herzegovina, to read the final submissions.
SMOF.TI Ć: Thank you.
1. Madam President, Members of the Court, before I read Bosnia and Herzegovina’s final
submissions I would like to make a few observations.
2. We have tried to give the Court as complete as possible a picture of the genocide which
has been committed against the non-Serb people of Bosnia and Herzegovina. After all these weeks
of pleading, I do not have to inform the Court further about the enormous burden this genocide has
been on Bosnia and Herzegovina and its non-Serb c itizens and still is. For now, I prefer to give
room to our acknowledgment of the burden these weeks have put on each and every one of the
judges of this Court, which burden will certainly not go away on the day the pleadings end. We do
appreciate the relentless attentiveness of the udges to our pleadings on fact and law and we
appreciate that the Court had set aside so much tim e to hear our case. We thank the Court and the
judges for that.
3. We also thank the Registrar and, in thanking him, extend our thanks to the less visible
men and women from the Registry and from the Info rmation Office of the Court who have been at
all times helpful, supportive and extremely friendly, also at times when we did not provide any
cause for them to be friendly at all. Likewise , we extend our thanks to the interpreters who
managed so well, especially when our French-speaking colleagues would be speaking at the speed
of light. We congratulate the Court with the treasure of having all these committed people ⎯
including all of the other supporting staff ⎯, working in support of the cause of justice. - 59 -
4. As we have indicated all along during these proceedings we do put our trust in the Court.
We are confident that the Court will come to a conc lusion which, obviously, is not only in keeping
with the rule of law, but which will also do justice to Bosnia and Herzegovina.
5. Madam President, Members of the Court, I will now conclude and read to you the
Applicant’s final submissions.
Submissions
Bosnia and Herzegovina requests the International Court of Justice to adjudge and declare:
1. That Serbia and Montenegro, through its orga ns or entities under its control, has violated
its obligations under the Convention on the Preven tion and Punishment of the Crime of Genocide
by intentionally destroying in part the non-Serb national, ethnical or religious group within, but not
limited to, the territory of Bosnia and Herzegovina, including in particular the Muslim population,
by
⎯ killing members of the group;
⎯ causing serious bodily or mental harm to members of the group;
⎯ deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring about its physical
destruction in whole or in part;
⎯ imposing measures intended to prevent births within the group;
⎯ forcibly transferring children of the group to another group.
Sub2.idiarily:
(i)that Serbia and Montenegro has violated its obligations under the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide by complicity in genocide as
defined in paragraph 1, above; and/or
(ii)that Serbia and Montenegro has violated its obligations under the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Ge nocide by aiding and abetting individuals,
groups and entities engaged in acts of genocide, as defined in paragraph 1 above;
3. That Serbia and Montenegro has violated its obligations under the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide by conspiring to commit genocide and by
inciting to commit genocide, as defined in paragraph 1 above; - 60 -
4. That Serbia and Montenegro has violated its obligations under the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide for having failed to prevent genocide;
5. That Serbia and Montenegro has violated and is violating its obligations under the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide for having failed and for
failing to punish acts of genocide or any other act prohibited by the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide, and for having failed and for failing to transfer
individuals accused of genocide or any other act prohibited by the Convention to the International
Criminal Tribunal for the former Yugoslavia and to fully co-operate with this Tribunal;
6. That the violations of international law se t out in submissions 1 to 5 constitute wrongful
acts attributable to Serbia and Montenegro wh ich entail its international responsibility, and,
accordingly,
(a) that Serbia and Montenegro shall immediately take effective steps to ensure full compliance
with its obligation to punish acts of genocide under the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide or any other act prohibited by the Convention and to
transfer individuals accused of genocide or any other act prohibited by the Convention to the
International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia and to fully co-operate with this
Tribunal;
(b) that Serbia and Montenegro must redress the consequences of its international wrongful acts
and, as a result of the international responsi bility incurred for the above violations of the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, must pay, and Bosnia
and Herzegovina is entitled to r eceive, in its own right and as parens patriae for its citizens,
full compensation for the damages and losses caus ed. That, in particular, the compensation
shall cover any financially assessable damage which corresponds to:
(i) damage caused to natural persons by the acts enumerated in Article III of the Convention,
including non-material damage suffered by the victims or the surviving heirs or successors
and their dependants;
(ii) material damage caused to properties of natural or legal persons, public or private, by the
acts enumerated in Article III of the Convention; - 61 -
(iii)material damage suffered by Bosnia and Herzegovina in respect of expenditures
reasonably incurred to remedy or mitigate damage flowing from the acts enumerated in
Article III of the Convention;
(c) that the nature, form and amount of the compensa tion shall be determined by the Court, failing
agreement thereon between the Parties one year af ter the Judgment of the Court, and that the
Court shall reserve the subsequent procedure for that purpose;
(d) that Serbia and Montenegro shall provide spec ific guarantees and assurances that it will not
repeat the wrongful acts complained of, the form of which guarantees and assurances is to be
determined by the Court.
7. That in failing to comply with the Orders for indication of provisional measures rendered
by the Court on 8 April 1993 and 13 September 1993 Serbia and Montenegro has been in breach of
its international obligations and is under an obligation to Bosnia and Herzegovina to provide for the
latter violation symbolic compensation, the amount of which is to be determined by the Court.
Thank you.
The PRESIDENT: Thank you very much, Mr. Softi ć. The Court takes note of the final
submissions which you have read on behalf of Bosnia and Herzegovina.
That brings to an end the second round of or al argument by Bosnia and Herzegovina. The
Court will meet again on Tuesday 2 May 2006 at 10 a.m. to begin hearing the second round of oral
argument of Serbia and Montenegro. The Court now rises.
The Court rose at 12.50 p.m.
___________
Audience publique tenue le lundi 24 avril 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de Mme Higgins, président