CR 2006/31
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THHEAGUE LHAAYE
YEAR 2006
Public sitting
held on Tuesday 18 April 2006, at 3 p.m., at the Peace Palace,
President Higgins presiding,
in the case concerning the Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro)
________________
VERBATIM RECORD
________________
ANNÉE 2006
Audience publique
tenue le mardi 18 avril 2006, à 15 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de Mme Higgins, président,
en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
____________________
COMPTE RENDU
____________________ - 2 -
Present: Presieitgins
Vice-Presi-Kntasawneh
RanjevJaudges
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Owada
Simma
Tomka
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Skotnikov
Judges ad hoc Mahiou
Kre ća
Couevrisrar
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Présents : Mme Higgins,président
Al-K.vsce-prh,ident
RaMjev.
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Owada
Simma
Tomka
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Sjoteiskov,
MaMhou.,
Kre ća, juges ad hoc
CgoMfferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
The Government of Bosnia and Herzegovina is represented by:
Mr. Sakib Softić,
as Agent;
Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,
as Deputy Agent;
Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisX-Nanterre, Member and former Chairman of
the International Law Commission of the United Nations,
Mr. Thomas M. Franck, Professor of Law Emeritus, New York University School of Law,
Ms Brigitte Stern, Professor at the University of Paris I,
Mr. Luigi Condorelli, Professorat the Faculty of Law of the University of Florence,
Ms Magda Karagiannakis, B.Ec, LL.B, LL.M., Barrister at Law, Melbourne, Australia,
Ms Joanna Korner, Q.C., Barrister at Law, London,
Ms Laura Dauban, LL.B (Hons),
as Counsel and Advocates;
Mr. Morten Torkildsen, BSc, MSc, Torkildsen Granskin og Rådgivning, Norway,
as Expert Counsel and Advocate;
H.E. Mr. Fuad Šabeta, Ambassador of Bosnia and Herzegovina to the Kingdom of the Netherlands,
Mr. Wim Muller, LL.M, M.A.,
Mr. Mauro Barelli, LL.M (University of Bristol),
Mr. Ermin Sarajlija, LL.M,
Mr. Amir Bajrić, LL.M,
Ms Amra Mehmedić, LL.M,
Mr. Antoine Ollivier, Temporary Lecturer and Research Assistant, University of Paris X-Nanterre, - 5 -
Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine est représenté par :
M. Sakib Softić,
comament;
M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,
comme agent adjoint;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Pa risX-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies,
M. Thomas M. Franck, professeur émérite à lafaculté de droit de l’Université de New York,
Mme Brigitte Stern, professeur à l’Université de Paris I,
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Florence,
Mme Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M.,Barrister at Law, Melbourne (Australie),
Mme Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, Londres,
Mme Laura Dauban, LL.B. (Hons),
comme conseils et avocats;
M. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Torkildsen Granskin og Rådgivning, Norvège,
comme conseil-expert et avocat;
S. Exc. M. Fuad Šabeta, ambassadeur de Bosnie-Herzégovine auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Wim Muller, LL.M., M.A.,
M. Mauro Barelli, LL.M. (Université de Bristol),
M. Ermin Sarajlija, LL.M.,
M. Amir Bajrić, LL.M.,
Mme Amra Mehmedić, LL.M.,
M. Antoine Ollivier, attaché temporaire d’ense ignement et de recherche à l’Université de
Paris X-Nanterre, - 6 -
Ms Isabelle Moulier, Research Student in International Law, University of Paris I,
Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata (Italy),
as Counsel.
The Government of Serbia and Montenegro is represented by:
Mr. Radoslav Stojanović, S.J.D., Head of the Law Council of the Ministry of Foreign Affairs of
Serbia and Montenegro, Professor at the Belgrade University School of Law,
as Agent;
Mr. Saša Obradović, First Counsellor of the Embassy of Serbia and Montenegro in the Kingdom of
the Netherlands,
Mr. Vladimir Cvetković, Second Secretary of the Embassy of Serbia and Montenegro in the
Kingdom of the Netherlands,
as Co-Agents;
Mr.Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), Professor of Law at the Central European University,
Budapest and Emory University, Atlanta,
Mr. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., Member of the International Law Commission, member of
the English Bar, Distinguished Fellow of the All Souls College, Oxford,
Mr. Xavier de Roux, Master in law, avocat à la cour, Paris,
Ms Nataša Fauveau-Ivanović, avocat à la cour, Paris and member of the Council of the
International Criminal Bar,
Mr.Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), Professor of Law at the University of Kiel, Director
of the Walther-Schücking Institute,
Mr. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), Attorney at Law, Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, and President of the International Law Association of Serbia and Montenegro,
Mr. Igor Olujić, Attorney at Law, Belgrade,
as Counsel and Advocates;
Ms Sanja Djajić, S.J.D., Associate Professor at the Novi Sad University School of Law,
Ms Ivana Mroz, LL.M. (Indianapolis),
Mr. Svetislav Rabrenović, Expert-associate at the Office of the Prosecutor for War Crimes of the
Republic of Serbia, - 7 -
Mme Isabelle Moulier, doctorante en droit international à l’Université de Paris I,
M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),
comconseils.
Le Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro est représenté par :
M. Radoslav Stojanović, S.J.D., chef du conseil juridique du ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro, professeur à la faculté de droit de l’Université de Belgrade,
comament;
M. Saša Obradovi ć, premier conseiller à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume des
Pays-Bas,
M. Vladimir Cvetković, deuxième secrétaire à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume
des Pays-Bas,
comme coagents;
M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), professeur de droit à l’Université d’Europe centrale de
Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre de la Commission du droit international, membre
du barreau d’Angleterre, Distinguished Fellow au All Souls College, Oxford,
M. Xavier de Roux, maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,
Mme Nataša Fauveau-Ivanovi ć, avocat à la cour, Paris, et me mbre du conseil du barreau pénal
international,
M. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), professeur de droit à l’Université de Kiel, directeur de
l’Institut Walther-Schücking,
M. Vladimir Djeri ć, LL.M. (Michigan), avocat, cabinet Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, et président de l’association de droit international de la Serbie-et-Monténégro,
M. Igor Olujić, avocat, Belgrade,
comme conseils et avocats;
Mme Sanja Djajić, S.J.D, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Novi Sad,
Mme Ivana Mroz, LL.M. (Indianapolis),
M. Svetislav Rabrenovi ć, expert-associé au bureau du procur eur pour les crimes de guerre de la
République de Serbie, - 8 -
Mr. Aleksandar Djurdjić, LL.M., First Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and
Montenegro,
Mr. Miloš Jastrebić, Second Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and Montenegro,
Mr. Christian J. Tams, LL.M. PhD. (Cambridge), Walther-Schücking Institute, University of Kiel,
Ms Dina Dobrkovic, LL.B.,
as Assistants. - 9 -
M. Aleksandar Djurdji ć, LL.M., premier secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,
M. Miloš Jastrebi ć, deuxième secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,
M. Christian J. Tams, LL.M., PhD. (Cambridge), Institut Walther-Schücking, Université de Kiel,
Mme Dina Dobrkovic, LL.B.,
comme assistants. - 10 -
The PRESIDENT: Please be seated. For una voidable reasons that have just been explained
to me, Judge Abraham is not able to sit this afternoon. Professor Pellet, you have the floor.
Mr. PELLET: Thank you very much, Madam Pres ident. Madam President, I am afraid that
due to the technical incidents of this morning, the Court will have to endure with me for much more
time altogether than was planned. I would also like to ask your understanding if we go further than
6 o’clock this evening, if you do not mind.
The PRESIDENT: We certainly expectto sit a little late this evening.
Mr. PELLET: Thank you very much.
Mpréaedent, Messieurs les juges,
P RÉSENTATION GÉNÉRALE DE L ’ARGUMENTATION JURIDIQUE
DE LA BOSNIE -H ERZÉGOVINE
1. Après avoir attentivement écouté les plaidoir ies de la Partie serbo-monténégrine le mois
dernier, il nous a semblé nécessaire, au moment où nous entamons notre second tour de plaidoiries
orales, de recadrer le débat autour des véritabl es questions juridiques posées par la douloureuse
affaire qui nous réunit.
2. Au point de vue juridique, et en laissant de côté pour l’instant les problèmes de
compétence, sur lesquels nous reviendrons longuement plus tard, les choses sont assez simples et
tiennent aux réponses que la Cour apportera à deux questions :
1) Un génocide a-t-il été commis en Bosnie-Herzégovine?
2) Ce génocide est-il attribuable à la Républiquefédérative de Yougoslavie aujourd’hui appelée
Serbie-et-Monténégro?
3. Le défendeur, exclusivement occupé à échapper à l’exercice par la Cour de la compétence
qu’elle tient de l’article IX de la convention r le génocide de 1948, s’est employé, non sans
adresse, à déplacer, et à «édulcorer» si je puis dire, les termes de ce débat. Le
professeur Stojanović a parfaitement annoncé cette habile stra tégie judiciaire lors de sa plaidoirie
du 10 mars : - 11 -
«Il est … évident que l’homogénéisation ethnique [Ah qu’en termes choisis ces
choses là sont mises !...] était l’une des conséquences de toutes les guerres qui ont eu
lieu sur les territoires de l’ex-Yougoslavie et surtout en raison de sa structure ethnique
extrêmement compliquée.
Le fait indéniable est que l’homogénéis ation était partiellement la conséquence
d’une migration de la population, forcée certes, mais forcée par le contexte de la
guerre, par les combats, par la pauvreté et par l’insécurité inhérente à toute guerre. Le
fait est aussi que les parties au conflit se sont employées à déplacer la population de
force et avec des méthodes cr iminelles; mais, d’abord, cette politique était suivie par
toutes les parties au conflit et ensuite, ma lgré le fait que des méthodes criminelles
étaient employées, ces actes peuvent certes constituer des crimes de guerre et p2rfois
des crimes contre l’humanité; ils ne constituent en aucun cas le génocide.»
4. Ce discours, qui a été relayé ensuite par les avocats de la Serbie-et-Monténégro, consiste à
dire ceci: oui, des crimes abominables ont été commis en Bosnie-Herzégovine; mais (et ce sont
trois grands «mais») :
⎯ d’une part, il s’agit de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, mais non d’un génocide;
⎯ d’autre part, de tels crimes ont été commis de tous côtés et ne sont pas l’apanage des seuls
Serbes;
⎯ enfin, et en tout état de cause, ces abomina tions ont été commises durant une guerre civile à
laquelle la Serbie-et-Monténégro n’a eu aucune part.
5. Pourquoi cette approche est-elle adroite, Madame le président? Parce que, en contenant
une part de vérité, elle permet d’occulter l’autre, celle qui fait que l’on passe de «simples» (je mets
le mot entre guillemets bien sûr) ⎯de «simples» crimes de guerre ou contre l’humanité au
génocide, et, du même coup, elle s’intègre parfaite ment à la stratégie visant à empêcher la Cour
d’exercer sa compétence. Parce qu’elle transforme un différend international en un problème
interne et conduit à renvoyer dos à dos les protagonistes du drame qui a endeuillé la
Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995. Parce qu’elle «dédouane» la Serbie-et-Monténégro de toute
responsabilité tout en ne niant pas celle des Serbes de Bosnie. Parce que, enfin, elle permet aux
représentants de l’autre Partie de faire preuve de compassion pour les crimes commis en
Bosnie-Herzégovine sans compromettre la thèse juridique qu’ils présentent à la Cour.
1Cf. Molière, Le Misanthrope, acte I, scène 2 (Philinte).
2
CR 2006/15, p. 42, par. 202-203 (Stojanović). - 12 -
6. Il ne m’appartient pas, dans cette plaidoi rie à la fois récapitulative et introductive, de
réfuter point par point l’argumentation de nos contradicteurs ⎯mes collègues le feront dans les
jours qui viennent. Mais il nous est apparu que nombre des arguments avancés par les avocats du
défendeur reposaient sur une incompréhension ⎯ou une déformation systématique? ⎯ de
l’argumentation qu’a soutenue la Bosnie-Herzég ovine tant dans ses écritures que dans ses
plaidoiries orales du premier tour, quand, du moins, ils ont bien voulu s’y référer. D’une manière
générale, en effet, comme l’a souligné M evan den Biesen, les avocats du défendeur, plutôt que de
répondre à notre présentation orale, ont préféré s’en prendre à la réplique bosniaque, ce qu’ils
eussent pu et dû faire dans leur duplique ⎯ et ce qui, je le dis en passant, ne facilite pas notre tâche
car cela nous oblige à revenir en arrière et à nous ré péter et nous prive (et la Cour avec nous) d’un
véritable débat contradictoire.
7. Avec votre permission, Madame le président, je me propose donc de montrer ⎯ de
rappeler plutôt :
⎯ que la thèse de la Bosnie-Herzégovine ne repose pas sur la conception (assurément erronée) du
droit de la responsabilité que la Serbie-et-Monténégro lui impute;
⎯ qu’un génocide a effectivement été commis da ns les territoires de Bosnie-Herzégovine
contrôlés par les Serbes; et
⎯ que cette violation gravissime d’une norme impérative du droit international général est
attribuable au défendeur.
I. Les règles du droit de la responsabilité applicables
8. Dans un premier temps, il me paraît u tile, Madame le président, de replacer notre
argumentation dans le contexte global du droit de la responsabilité intern ationale de l’Etat sur
lequel nos contradicteurs sont revenus à plusieurs reprises. Alors même que nous avions cru nous
exprimer clairement, ils nous imputent à cet ég ard une thèse qui n’est pas la nôtre en ce qui
concerne la nature même de cette responsabilité, do nt par ailleurs ils méconnaissent l’étendue (A);
et ils tirent des règles applicables des conséquences qui nous paraissent tout à fait erronées (B). - 13 -
A. La nature et l’étendue de la responsabilité engagée du défendeur
9. Le professeur Brownlie a consacré de longs développements à établir que la responsabilité
de l’Etat en droit international n’est pas une responsabilité pénale. Ces développements n’occupent
3
pas moins de six pages pleines de sa plaidoirie du 13 mars . Avec tout le respect que je dois à mon
savant contradicteur, je ne peux m’empêcher de penser à un certain DonQuichotte lorsqu’il se
battait contre ce qu’il croyait être des géants et, comme Sancho Panza, il me faut lui dire:
«Miséricorde ! N’avais-je pas bien dit à Votre Grâce qu’elle prît garde à ce qu’elle faisait, que ce
4
n’était pas autre chose que des moulins à vent ?»
10. Moulins à vent en effet que cette thèse de la responsabilité pénale de l’Etat, que la
Bosnie-Herzégovine n’a jamais soutenue et que mon éminent ami Thomas Franck et moi avions
pris grand soin par avance lors du premier tour des plaidoiries orales 5 de récuser, plaidoiries
auxquelles je regrette que M. Brownlie n’ait pas prêté davantage attention.
11. Comme nous l’avions montré, il ne s’agit nu llement, Madame et Messieurs les juges, de
vous demander de condamn er pénalement la Serbie-et-Montén égro. Le droit international ne
connaît pas de responsabilité pénale des Etats et c’est pour éviter toute confusion que, dans sa
sagesse, la Commission du droit in ternational a, finalement, renoncé, en 2001, à qualifier de
«crimes» les violations graves d’obligations découlant de normes impératives du droit international
général, alors même que le mot fi gurait dans le projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat
qu’elle avait adopté en première lecture en 1996, notamment à l’article 19 de son projet.
12. Il n’en reste pas moins :
⎯ d’une part, qu’il existe bien une gradation dans les faits internationalement illicites qu’un Etat
6
est susceptible de commettre ; et
⎯ d’autre part, que, nonobstant la terminologie qu’e mploie la convention pour la prévention et la
répression du «crime» de génocide, toute viola tion de celle-ci engage la responsabilité de son
3 CR 2006/16, p. 24-31, par. 66-82; voir aussi CR 2006/17, p. 43, par. 304 ou p. 48, par. 324.
4
Miguel Cervantès, Don Quichotte de la Mancha, chap. VIII.
5
CR 2006/5, p. 10-13, par. 1-9 (Franck); CR 2006/8, p. 11-17, par. 4-18 (Pellet).
6 Cf. les articles 40 et 41 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite
annexés à la résolution 56/83 de l’Assemblée générale du 12 décembre 2001. - 14 -
auteur, que celui-ci soit une personne privée ou un Etat ⎯ce qui ne signifie pas que les
conséquences soient les mêmes dans l’un et l’autre cas.
13. Dans le premier cas (responsabilité de l’ individu), il s’agit d’une responsabilité pénale
dont la sanction relève soit des Etats eux-mêmes ⎯ tous ont l’obligation de punir «[l]es personnes
ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’articleIII» de la
convention 7⎯ soit, lorsqu’il en existe une, d’une juridiction criminelle internationale , en l’espèce
du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougos lavie. Dans le second, la responsabilité
internationale de l’Etat auteur du génocide ou des autres actes prohibés par la convention relève du
droit international général; elle peut être appréciée par votre Cour, Madame et Messieurs les juges,
et entraîne les conséquences qui s’attachent à tout fait internationalement illicite de l’Etat ⎯ je vais
y revenir dans un instant. Au surplus, il va de soi que l’une n’empêche pas l’autre: la
responsabilité de l’individu n’exonère pas l’Etat de la sienne et, inversement, une personne
physique auteur (ou complice) d’un génocide ne sa urait s’abriter derrière ses fonctions officielles
9
pour échapper à une sanction pénale .
14. Bien entendu, certaines obligations ne pè sent que sur l’Etat: c’est à lui seul qu’il
appartient de prévenir le géno cide et d’en punir les auteurs ⎯obligations sur lesquelles la
Serbie-et-Monténégro est étrang ement silencieuse alors même qu ’elle y a manqué d’une manière
on ne peut plus claire et que, s’agissant de la seconde ⎯ l’obligation de punir ⎯, elle continue d’y
manquer. Je n’en veux pour preuve que son refus obstiné ⎯un refus qui a duré dixans… ⎯ de
10
livrer le général Mladić malgré les fermes exigences de la communauté internationale .
15. En revanche, s’agissant des actes énumérés à l’article III de la convention ils peuvent
engager non seulement la responsabilité des personn es physiques qui les ont perpétrés mais aussi
celle des Etats qui les ont conçus, ordonnés et organisés ou tolérés.
7
Art. IV; voir aussi les articles V et VI.
8 Art. VI.
9 Cf. l’article IV de la convention.
10
Pour des exemples récents, voir la déclaration du Seerétaire général des NationsUnies lors de sa visite au
TPIY, le 12avril2006, communiqué de presse OK/MOW/1067 , disponible à l’adresse Inte rnet : http://www.un.org/
icty/latest-f/index-f.htm (consulté le 15 avril 2006); le communiqué de presse du procureur du TPIY, 22février2006,
http://www.un.org/icty/briefing/2006/PB060222.htm (consulté le 5 mars 2006); la déclaration du Conseil de
l’Unioneuropéenne (affaires générales, relations extérieures), communiqué de presse, SN6343/06 presse 46,
27février2006. Voir aussi les récentes déclarations du président V. Kostunica relatées in conférence de presse du
porte-parole du procureur du TPIY du 6 avril 2006, http://www.un.org/icty/briefing/2006/PB060407.htm. - 15 -
16. Pour le contester, durant son intervention du 13mars dernier, le professeurBrownlie
s’est borné, comme l’a dit ce matin M. van den Biesen, à «recycler» sa plaidoirie du 30 avril 1996
durant la phase des exceptions préliminaires: les pages 15 à 23 du CR 2006/16 (par.20-58)
reprennent mot pour mot (à quelques omissions et infimes variantes près) les pages 8 à21 du
o
CR1996/7 comme le montre le document n 3 inséré dans le dossier des juges de ce matin. Il ne
me paraît pas utile d’abuser de la patience de la Cour en répétant ce qu’avait dit le professeur
Thomas Franck les 1 eret 3 mai 1996 en réponse à cette argumentation demeurée inchangée. Cette
réponse figure aux pages 49 et 50 du CR1996/9 (par. 8-9) et aux pages 11 à 23 du CR1996/11
(par. 4-24); nous avons également inclus cette réponse dans le dossier des juges ⎯elle y figure
o
sous le n 4. Quant à la position prise par la Cour dans son arrêt du 11 juillet 1996 à la suite de ces
échanges, elle tient en peu de mots; mais ils so nt dépourvus d’ambiguïté et constituent un clair
désaveu de la thèse soutenue par la Serbie-et-Monténégro: «l’artic le IX [de la convention sur le
génocide] n’exclut aucune forme de responsabilité de l’Etat» (Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1996 (II) , p.616, par.32). On voit mal pourquoi vous
reviendriez en 2006, Madame et Messieurs les juges, sur ce que vous aviez décidé il y a dixans,
d’autant plus que, comme je l’ai dit, l’avocat du défendeur n’a pas apporté le moindre élément
er
nouveau à l’appui de sa démonstration de 1996. Au surplus, le 1 mars dernier, le professeur
ThomasFranck a montré que, lors des travaux préparatoires, cette disposition a précisément et
expressément été conçue de façon à inclure dans la convention l’idée de responsabilité de l’Etat en
11
cas de commission d’un génocide ou de complicité . Notre contradicteur n’en a cure et ne souffle
mot de cette démonstration objective et, je crois, ir réfutable, et il s’en tient imperturbablement à ce
qu’il avait plaidé devant la Cour de céans il y a de cela une décennie. Il est vrai, mais est-ce une
justification, que la plupart d’entre vous, Madame et Messieurs les juges ne siégiez pas ici en ces
temps reculés.
17. Il ne saurait faire de doute, Madame le président, que, conformément aux termes mêmes
de l’articleIX de la convention de 1948, la Cour a compétence pour se prononcer sur la
11
CR 2006/5, p. 10-13, par. 1-9. - 16 -
responsabilité de l’Etat défend eur «en matière de génocide ou de l’un quelconque des actes
énumérés à l’article III» ⎯ ce que, je le relève en passant, M e de Roux, plus sensible à l’autorité de
12
la chose jugée, semble admettre pour sa part ma lgré la position réitérée du professeurBrownlie .
Ces constatations ont des conséquences que le dé fendeur se refuse à en tirer ou qu’il passe
soigneusement sous silence en ce qui concerne le s modalités de mise en Œuvre de la responsabilité
d’un Etat en vertu de la convention.
B. Les conséquences de la responsabilité du défendeur en vertu de la convention
18. Madame le président, non seulement la Serbie-et-Monténégro se refuse à admettre
l’évidence ⎯et l’évidence jugée ⎯ en ce qui concerne la nature et l’étendue de cette
responsabilité, mais encore elle se comporte comme si la conven tion, abusivement interprétée de
manière restrictive, constituait une sorte de «bo îte noire», imperméable aux règles générales du
droit de la responsabilité des Etats pour fait intern ationalement illicite. On a même l’impression
qu’elle se refuse à y voir un traité internationa l imposant des obligations aux Etats parties avec
toutes les conséquences qui s’y attachent.
19. N’en déplaise au défendeur, la convention de 1948 est un traité ⎯et je me réfère à
l’article12 des articles de la CDI de 2001 ⎯ qui, comme tout traité, im pose aux Etats parties des
obligations internationales dont la violation engage leur responsabilité ⎯pas leur responsabilité
pénale, non, leur responsabilité internationale ⎯ à l’égard de tout autre Etat partie ⎯ sans
d’ailleurs qu’il y ait lieu de s’inte rroger sur le préjudice que cette autre partie a pu subir puisque,
13
nul ne le conteste , le génocide constitue le type même d’une violation particulièrement grave
d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général, violation qui
14
ouvre à tout Etat le droit d’invoquer la responsabilité de l’auteur du manquement .
Dpmixtitent que l’on s’y arrête :
⎯ d’une part, le défendeur, sur ce point fidèle à sa thèse fondamentale (mais erronée) selon
laquelle la responsabilité invoquée par la Bosnie -Herzégovine serait de nature pénale, cherche
à enfermer la Cour dans une approche de ce ty pe, notamment en ce qui concerne la preuve des
12Cf. CR 2006/18, p. 20, par. 38.
13Cf. CR 2006/12, p. 10, par. 2 (Stojanović) ou p. 46, par. 1.5 (Varady) ou CR 2006/18, p. 13, par. 12 (de Roux).
14
Cf. l’article 48 des articles de la CDI. - 17 -
faits susceptibles d’engager sa responsabilité; j’en parlerai tout à l’heure lorsque j’en serai à
démontrer qu’un génocide a bien été commis en Bosnie-Herzégovine;
⎯ d’autre part, la Serbie-et-Monténégro tente de vous priver, Madame et Messieurs de la Cour, de
toute possibilité de tirer les conséquences de sa responsabilité lorsque vous aurez constaté que
celle-ci se trouve engagée du fait de la violation des obligations que lui impose la convention.
21. Au début de sa plaidoirie du 13 mars, M. Brownlie admet : «The applicable law is clearly
the law of treaties, together with the principl es of State responsibility for breaches of the
15
obligations laid down in the treaty instrument» . Nous en sommes d’accord; comme nous
admettons évidemment que «the principles of Stat e responsibility must be applied by reference to
16
the pertinent cause of action: they cannot be applied in the abstract» . Encore faut-il apprécier
convenablement les obligations en cause: c’est le manquement à celles-ci qui constitue la «cause
of action» pertinente.
22. Dès lors que, contrairement aux dires de la Partie adverse, la responsabilité de l’Etat
s’étend non seulement aux manquements possibles au x obligations de prévenir et de punir mais
aussi aux violations des obligations lui incombant «en matière de génocide ou de l’un quelconque
des autres actes énumérés à l’article III», tous ces manquements, en l’absence de disposition
particulière de la convention, sont soumis au droit de la responsab ilité internationale de l’Etat. Ils
doivent être appréciés à la lumière de ses règles et produisent les conséquences de droit commun
que ce droit prévoit et qui sont énoncées d’une manière généralement acceptée dans la deuxième
partie des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite.
23. Il est donc indifférent que «the conventio n makes no provision for remedies relating to
the case of direct responsibility» 17: il était inutile d’inclure de telles dispositions dans la
convention; le droit international est bien établi su r ce point. Et il n’est évidemment pas exact que
le seul remède possible soit un jugement déclaratoire 1: cette forme de réparation peut être
appropriée pour certaines des violations de la convention attrib uables au défendeur mais, dès lors
15CR 2006/16, p. 13, par. 13.
16CR 2006/17, p. 42, par. 298 (Brownlie); voir aussi CR 2006/21, p. 21, par. 3-4.
17
CR 2006/16, p. 24, par. 65 (Brownlie).
18CR 2006/17, p. 43, par. 304 (Brownlie). - 18 -
que les dommages subis par la Bosnie-Herzégovine et ses re ssortissants sont susceptibles
19
d’évaluation financière , une réparation sous forme d’indemnisation s’impose. En aucune manière
ceci ne revient «to extend the jurisdiction availa ble to the Court by virtue of Article IX of the
convention by invoking the general principles of international law relating to remedies» 20. Au
contraire : il ne s’agit que de tirer les conséquences des obligations qu’impose la convention et que
l’article IX consacre sans aucune ambiguïté.
24. Je remarque du reste incidemment que la c onvention ne contient pas davantage de règles
applicables à la mise en Œuvre de la res ponsabilité pénale des individus qu’elle ne tire
expressément les conséquences d’un manqueme nt à ses dispositions par les Etats parties
eux-mêmes: elle énonce les actes prohibés et les défi nit en partie dans ses articles II et III; puis,
dans les articles suivants, elle précise les règl es de compétence applicables à la punition de leurs
auteurs, de même que l’article IX établit la compétence de la CIJ en cas de différends «relatifs à
l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III». Mais ni les unes, ni l’autre de ces dispositions ne fixe nt le régime applicable ni à la
responsabilité pénale des individus ⎯qui relève du droit interne des Etats compétents ou des
statuts des juridictions pénales internationales ⎯ ni à la responsabilité internationale des Etats, dont
le régime est celui applicable à tout fait internationalement illicite.
25. Dans le même esprit, contrairement à ce qu’a fait valoir le professeurBrownlie le
16 mars dernier 21, rien ne s’oppose à ce que la Cour fasse droit à la demande de réparation de l’Etat
requérant lorsque l’Etat requis n’a pas respecté des mesures conservatoires ordonnées (et, ici,
ordonnées à deux reprises) dans le cours de la procédure.
26. Je veux bien, Madame le président, que la notion de «cause of action» soit difficile à
comprendre pour un esprit formé au droit romano-germanique mais tout de même, très
19Cf. art. 36, par. 2, articles de la CDI de 2001.
20CR 2006/21, p. 22, par. 5 (Brownlie).
21
Ibid., p. 22-24, par. 1-9. - 19 -
sincèrement, l’utilisation qu’en fait l’avocat du défendeur en ce qui concerne cette question 22me
23
plonge dans une certaine perplexité. Le problème me paraît se poser de manière très simple :
⎯ à plusieurs reprises la Cour s’est, dans des arrê ts récents, reconnue compétente pour connaître
de demandes formulées par le demandeur au suje t du non-respect par l’autre partie de mesures
conservatoires indiquées par la Cour;
⎯ en ces occasions, la haute juridiction a précisé que ces mesures étaient juridiquement
obligatoires pour les parties;
⎯ leur non-respect constitue donc un fait internationalement illicite qui, comme tout fait de ce
genre 2, engage la responsab ilité internationale de son auteur avec toutes conséquences de
droit; et
⎯ dans ma plaidoirie du 7 mars dernier, je me suis efforcé de déterminer quelles pouvaient ou
25
devaient être ces conséquences en l’espèce .
27. A vrai dire, Madame le président, mon co ntradicteur ne conteste pas réellement cette
analyse. Il se borne bien plutôt à affirmer que la Bosnie-Herzégovine ne serait pas en droit de
présenter une telle demande à ce stade de la procédure 26. Ceci est contraire au bon sens: ce n’est
évidemment qu’en fin de procédure qu’il est, en général, possible d’évaluer si, et dans quelle
mesure, un Etat s’est acquitté, ou non, des obligations découlant d’une ordonnance en indication de
mesures conservatoires. Au surplus, à l’ exception de l’Allema gne dans l’affaire LaGrand
(LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis) , arrêt, C.I.J.Recueil2001 , p. 474, par. 12) ⎯ mais les
circonstances étaient assez particulières ⎯, tous les Etats qui vous ont présenté des demandes
similaires l’ont fait au stade des plaidoiries orales sans que vous y voyiez d’objection ( Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J.Recueil2002 , p.453-454, par.320-322, ou Activités armées sur le
territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) , arrêt du 19 décembre 2005,
par. 25).
22
Voir ibid., p. 23, par. 6-7.
23Voir CR 2006/11, p. 42-49, par. 34 (Pellet).
24Cf. article premier des articles de la CDI de 2001.
25
Voir CR 2006/11, p. 46-49, par. 46-56.
26CR 2006/21, p. 23, par. 6 (Brownlie). - 20 -
28. Avant d’en venir à quelques considérations générales sur les véritables questions de fond
posées par cette affaire, au point de vue du droit, je souhaiterais, Madame le président, présenter,
sous la forme de brèves propositions synthétiques, la position de la Bosnie-Herzégovine en ce qui
concerne la nature et la portée des obligations incombant aux parties à la convention sur le
génocide, et les conséquences de la violation de ces obligations. Ces propositions sont les
suivantes :
1) La convention impose aux Etats non seulement de prévenir et punir le génocide, mais aussi de
ne pas en commettre un eux-mêmes, non plus qu’aucun des autres actes énumérés à son
article III.
2) Toute violation de ces obligations engage la responsabilité de l’Etat auteur de ce manquement.
3) Cetteresponsabiliténeprésente aucun caractère pénal et coexis te avec la responsabilité pénale
éventuelle des personnes physiques qui ont commis une telle violation, cette dernière relevant
de la compétence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ou, le cas échéant, des
tribunaux nationaux serbo-monténégrins.
4) En l’absence de toute disposition contraire de la convention, la responsabilité du défendeur pour
violation de ses dispositions est soumise au régime de droit comm un applicable à la
responsabilité internationale de l’Etat en cas de violation grave d’une obligation découlant
d’une norme impérative du droit international général.
5) La Cour est donc compétente non seulement pour rendre un jugement déclaratoire sur les divers
manquements à la convention qui peuvent être a ttribués au défendeur, mais aussi pour décider
de la forme et du montant de l’indemnité due à titre de réparation des dommages causés à la
Bosnie-Herzégovine et à ses ressortissants, qui se prêtent à une telle forme de réparation.
6) Et enfin, la Cour est également compétente pour se prononcer, conformément aux règles
applicables à la responsabilité inte rnationale de l’Etat, sur les conséquences qu’il convient de
tirer du non-respect par la Se rbie-et-Monténégro des deux ordonnances en indication de
mesures conservatoires qu’elle a adoptées en 1993. - 21 -
II. Un génocide a été commis en Bosnie-Herzégovine
29. Madame le président, il n’existe pas de di vergences significatives entre les Parties en ce
qui concerne la définition juridique des divers éléments constitutifs du génocide énumérés à
l’articleII de la convention de19 48 lorsqu’on considère ces éléments isolément. Il n’existe pas
non plus de divergences entre les Parties sur la définition des actes dont la liste figure à l’article III.
En revanche, il m’apparaît que les Parties contin uent à être profondément divisées sur des points
importants et, tout particulièrement sur ceux-ci :
⎯ la définition du génocide en tant que concept juridique global;
⎯ la preuve de son existence; et
⎯ la manière dont le génocide allégué par la Bo snie-Herzégovine se combine avec, ou s’intègre
dans, la guerre civile sur laquelle la Serbie-et-Monténégro met exclusivement l’accent.
A. La définition du génocide
30. Quoi qu’en ait dit M e de Roux durant sa plaidoirie du 14mars dernier 27, la
Bosnie-Herzégovine ne conteste ni que le génocid e soit défini par l’article II de la convention
de 1948 28, ni que les éléments qui constituent son aspect matériel, l’ actus reus, soient énumérés de
29
façon exhaustive par cette disposition qui doit cependant être interprétée . La Bosnie-Herzégovine
ne demande en aucune façon à la Cour d’étendr e cette définition. Elle ne disconvient pas
davantage que la «marque» même du génocide, le critère qui permet de di stinguer le crime contre
l’humanité, tient à l’intention de son ou ses aute urs «de détruire, en tout ou en partie, un groupe
30
national, ethnique, racial ou religieux, comme tel» . Néanmoins, les Parties demeurent en
désaccord sur plusieurs points importants qui, outr e la preuve de cette intention génocidaire sur
laquelle je reviendrai dans quelques instants, concernent, en particulier :
⎯ primo, la définition du «groupe» dont la «destruction» est recherchée;
⎯ secundo, le cadre géographique dans lequel cette intention doit se manifester; et,
27
CR 2006/18, p. 20-23, par. 40-50.
28CR2006/5, p.14-15, par. 14-21 (Franck); CR2006/8, p. 20, par. 28 (Pellet); CR2006/9, p. 58, par.19
(Condorelli).
29CR 2006/5, p. 15, par. 19 (Franck).
30Article II de la convention de 1948. Sur ce point, voir CR 2006/5, p. 15, par. 21 (Franck), CR 2006/7, p. 29-30,
par. 90 (Stern); ibid., p.46-48, par. 7-11 et p. 56, par. 39 (Franck); CR 2006/8, p. 27, par. 47 (Pellet) et CR 2006/18, p.
19, par. 35 (de Roux); p. 23, par. 45; p. 50, par. 125 ou p. 51, par. 132; CR2006/19, p. 50, par. 281 (de Roux);
CR 2006/20, p. 18 et suiv., par. 330 et suiv. (de Roux); p. 28, par. 31 ou p. 29-30, par. 36-39 (Fauveau-Ivanović). - 22 -
⎯ tertio, et peut-être surtout, la manière dont les différents éléments de la définition du génocide
doivent s’agencer pour que l’on puisse conclure à l’existence d’un génocide.
31. S’agissant d’abord de la définition du groupe, objet de l’intention génocidaire, une
remarque faite par M.de Roux lors de sa plaidoirie du 15mars dernier m’a, je dois dire, un peu
stupéfié. Il nous reproche en effet de considérer qu’«il y aurait deux victimes du génocide :
⎯ le premier serait le peuple bosniaque ou les peuples de Bosnie-Herzégovine; et
31
⎯ le deuxième serait l’Etat de Bosnie-Herzégovine» .
Et notre contradicteur de renvoyer au paragraphe 1.3.0.9 du mémoire bosniaque, qui concerne non
pas la détermination du groupe protégé par la convention, mais la définition du fait
internationalement illicite au regard du droit de la responsabilité.
e
32. Je crains que M de Roux ne commette une grave confusion, qui est la suivante : dans le
cadre du droit international de la responsabilité c’ est bien la Bosnie-Herzégovine qui est la victime
du génocide ou, pour le dire autrement, l’Etat lésé . Mais ce n’est pas lui dont la destruction est
visée par les auteurs du génocide ⎯ un Etat ne constitue pas un groupe au sens de la convention; il
est, en revanche, le titulaire du droit de recourir à la Cour reconnu par l’article IX de celle-ci.
33. Cette mise au point étant faite, il n’en reste pas moins que les Parties sont, par ailleurs, en
désaccord quant à la définition même d’un groupe au sens de l’artic leII de la convention. La
Serbie-et-Monténégro s’indigne de ce que no us nous référions tantôt aux «groupes des
non-Serbes», tantôt à celui des «Musulmans» (en anglais : Bosniaks) 3. A ce stade, je me bornerai
à préciser deux choses sur ce point :
⎯ en premier lieu, un groupe peut être défini de deux manières: soit positivement, comme
incluant l’ensemble des individus présentant un même caractère national, ethnique, racial ou
religieux, soit négativement comme celui des personnes qui ne présentent pas l’un de ces
33
caractères; la convention ne donne aucune directive à cet égard, la jurisprudence est divisée
et, en pratique, il est rare qu’un génocide ne touche qu’un seul groupe bien défini selon un
critère précis unique: au Rwa nda, le génocide a été commis contre les Tutsis, mais a touché
31CR 2006/20, p. 10, par. 296; les italiques sont dans l’original.
32
Cf. CR2006/19, p. 51, par. 285 (de Roux); CR2006/20, p. 10, par. 297 (de Roux) ou CR2006/21, p. 43,
par. 54 (Stojanović).
33
Cf. CR 2006/20, p. 11-13, par. 304-308 (de Roux). - 23 -
aussi les «Hutus modérés» 34; et même si les Juifs ont, bien sûr, été les victimes de la Shoah, il
n’est certainement pas aberrant de considérer que l’entreprise génocidaire nazie était dirigée
d’une façon plus générale contre les peuples no n aryens (aussi incertaine qu’ait été cette
notion) ⎯ les Tziganes, par exemple, en ont été aussi les victimes;
⎯ en second lieu, si, dans ses plaidoiries, tant écrites qu’orales, la Bosnie-Herzégovine s’est
souvent référée, plus spécifiquement, aux «Musulmans», c’est, tout simplement, parce que
ceux-ci ont, dans les faits, été les victimes «privilégiées», si l’on ose dire, des meurtres et
autres mauvais traitements énumérés à l’article II de la convention.
34. Il n’en demeure pas moins que l’objectif pr oclamé des dirigeants de la RFY, relayé par
des dirigeants serbes de Bosnie-Herzégovine, éta it la création d’un territoire «ethniquement pur»,
c’est-à-dire «purifié» de ses populations nonserbes, qu’elles fussent musulmanes, «ethniquement
croates» (les deux minorités prédominantes dans le s régions contrôlées par les Serbes) ou qu’elles
relèvent des autres «nationalités» que comptait ce territoire.
35. Ceci me conduit à dire quelques mots du second point de désaccord qui existe entre les
Parties en ce qui concerne la définition du génocide. Selon la Serbie-et-Monténégro, nous ne
serions pas en présence d’un génocide car les gr oupes ethniques et religieux qui ont été victimes
d’actes abominables sur le territoire de la Republika Srpska étaient, ailleurs, traités correctement, y
compris sur le territoire du défendeur. M. Cvetkovi ć a consacré, le 15 mars dernier, une plaidoirie
35
entière à cette démonstration . La Bosnie-Herzégovine fait les plus expresses réserves sur les faits
et il existe de nombreuses preuves en sens contraire 36. Mais, en droit, ceci n’est, de toute manière,
pas pertinent : l’article II de la convention sur le génocide n’a pas le caractère catégorique et absolu
que la Serbie-et-Monténégro lui prêt e. L’intention de détruire un groupe «comme tel» ne signifie
pas que les auteurs du génocide doivent forcément vouloir détruire ce groupe dans sa totalité et où
qu’il se trouve. L’article II le précise clairement en indiquant que la «destruction» en question peut
viser le groupe «en tout ou en partie»; et, «en partie» cela peut vouloir dire ⎯ et ceci veut dire en
34 o
Voir notamment TPIR, Le procureur c. Jean-Paul Akayesuo , affaire n ICTR-96-4-T, jugement du
2 septembre 1998, note 57, ou Le procureur c. Jean Kambanda , affaire n ICTR-97-23, jugement du 4septembre1998,
par. 39.
35
CR 2006/20, p. 33-58.
36Voir réplique, p. 730-758, par. 439-483; voir aussi le témoignage de M. Riedlmayer, CR 2006/22, p. 52. - 24 -
l’espèce ⎯ sur une partie de territoire bien définie: ici, dans la zone de Bosnie-Herzégovine que
les autorités de Belgrade et de Pale entendaient soustraire à ce pays pour la rattacher à la RFY après
l’avoir «purifiée», «purgée», de tous ses éléments non serbes 37.
36. Je dois ajouter à cet égard que je consid ère comme particulièrement scandaleux que l’un
des conseils de la Serbie-et-Monténégro ait cr u pouvoir invoquer le droit humanitaire de la guerre
pour justifier le déplacement forcé des populations nonserbes et qu’il ait osé déclarer que «le
déplacement des populations a toujours été un mo yen de règlement de certains conflits entre les
38
parties» . C’est oublier que, dans le cas qui nous occupe, ces «transferts» ont été effectués de
façon parfaitement discriminatoire à l’encontre de s seules populations nonserbes et imposés par
une politique de terreur.
37. Nous savons tous, Madame le président, que la convention sur le génocide a été adoptée
au sortir de la guerre et que ses rédacteurs avai ent à l’esprit la Shoah, l’horreur inimaginable, le
génocide absolu. Mais, même s’il y a toujours quelq ue chose de profondément déplaisant à tenter
d’établir une gradation dans l’horreur, le gé nocide ne peut pas se réduire à la Shoah ⎯ faute de
quoi la convention de 1948 ne serait qu’un autre mémorial, un peu vain, dédié aux millions de
victimes de cette tragédie que l’on veut croire unique; la convention serait un papyrus desséché et
ne serait d’aucun secours pour les victimes d’autres tentatives de destruction, de moindre ampleur,
de certains groupes humains. En clair, Madame le président, nous plaidons un génocide,
monstrueux comme tout génocide; pas la Shoah.
38. A cet égard, la comparaison que l’agent de la Serbie-et-Monténégro 39 et M de Roux 40
ont cru devoir faire entre l’extermination de 67 % des Juifs européens par les nazis et le
pourcentage ⎯ heureusement⎯ bien moindre de la population musulmane de Bosnie qui a péri en
Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995, non seulemen t me paraît extrêmement contestable sur le
plan moral, mais aussi manque totalement de pertin ence au point de vue juridique. D’une part, le
meurtre n’est, en vertu de l’article II de la convention de 1948, que l’un des éléments permettant de
37Voir notamment: mémoire, p.59-61, par.2.3.1.1-2.3.1.4; CR2006/2, p.28-32, par. 1-12 (vandenBiesen);
CR2006/4, p.18-20, par.35-40, p.38-39, par.9-10 (van den Biesen); CR2006/6, p.29-30, par.8-9 (Franck);
CR 2006/10, p. 50-53, par. 33-38 (Pellet). Comp. : CR 2006/20, p. 15-18, par. 318-329 (de Roux).
38CR 2006/18, p. 53, par. 140 (de Roux).
39
CR 2006/15, p. 39, par. 196.
40CR 2006/18, p. 12, par. 7. - 25 -
déterminer l’existence d’un génocide. D’ autre part, dans les faits, le recours ⎯massif tout de
même ⎯ à l’élimination physique des Musulmans et des membres d’autres groupes ethniques ou
religieux nonserbes n’a été que l’un des mo yens utilisés pour conduire les personnes les
composant à fuir les terres de leurs ancêtres et pour réaliser l’épuration ethnique
espérée ⎯c’est-à-dire, je le répète, la destruction, «en partie», d’un groupe au sens de la
convention ⎯ cette partie étant limitée aux membre s du groupe établis dans la zone de
Bosnie-Herzégovine dont les Serbes avaient pris le contrôle ⎯ mais qui a représenté jusqu’à 70 %
du territoire de cet Etat.
39. Il existe, Madame le président, une tr oisième grande différence entre les approches
respectives des Parties en ce qui concerne la dé finition du génocide au sens de la convention
de1948. La Partie serbo-monténégrine ne s’in téresse pas au génocide en tant que concept global
mais polarise l’attention sur ce qui me semble devoir être qualifié d’«actes génocidaires» ⎯ et je
me réfère plus particulièrement aux plai doiries qu’ont prononcées à cette barre M esde Roux et
Fauveau-Ivanović. Nos contradicteurs se sont en effet employés à analyser successivement
chacune des catégories énumérées à l’article II de la convention. Cette démarche intellectuelle ne
me paraît pas critiquable en soi, mais elle est insuffisante: ces actes ne constituent un
génocide ⎯ le génocide ⎯ que s’ils s’inscrivent dans un dessein global qu’une démarche purement
analytique ne permet pas de déterminer.
40. Un meurtre isolé, une torture, un viol, fût-il inspiré par des motifs racistes et par la
volonté de détruire un groupe humain répondant aux critères de l’article II de la convention, ne
peut être qualifié de «génocide» en ce qui concerne en tout cas les questions de responsabilité entre
Etats. A l’inverse, il se peut que l’accumulation d’actes de ce type qui, considérés isolément, ne
répondent pas à la définition du génocide du fa it que leurs auteurs n’étaient pas inspirés,
personnellement, par la volonté de détruire en tout ou en partie un groupe ainsi défini, constitue un
génocide du fait qu’ils s’inscrivent dans un dessein global dont ces personnes n’ont été que les
exécutants plus ou moins conscients.
41. C’est ce qui explique à la fois pourquoi le TPIY a, jusqu’à présent, prononcé si peu de
condamnations pour même pas génocide mais comp licité de génocide et pourquoi, cependant, les
actes dont le Tribunal a eu à connaître constituent des éléments d’un tableau global, d’un ensemble, - 26 -
d’un «pattern», qui établit l’existence du génoci de. Ceci me conduit, Madame le président, à
examiner brièvement la question, difficile et complexe, de la preuve du génocide.
B. Lapreuvedugénocide
42. Madame le président, les Parties à la présente procédure s’accordent pour admettre que le
génocide résulte de la combinaison d’un élément matériel, l’ actus reus , dont les différentes
manifestations possibles sont énumérées sous les lettres a) à e) de l’article II de la convention de
1948, et d’un élément psychologique, le mens rea, constitué par «l’intention de détruire, en tout ou
en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel».
43. La preuve du premier élément, l’ actus reus, ne pose pas de problème particulier et il me
semble que les plaidoiries des deux Parties (et pas seulement celles prononcées au nom de la
Bosnie-Herzégovine) ont, à suffisance, établi :
⎯ que des meurtres de nombreux Musulmans et d’autres non-Serbes de Bosnie-Herzégovine ont
été commis;
⎯ que des membres de ce groupe ont massivement subi des atteintes à leur intégrité physique ou
mentale;
⎯ que le groupe a été soumis intentionnellement à des conditions d’existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle; et
⎯ a été victime de mesures visant à entraver les naissances en son sein et même à des transferts
forcé d’enfants, du fait des viols et des autres violences sexuelles dont les non-Serbes, et tout
particulièrement les femmes musulmanes, ont été victimes.
44. En ce qui concerne le mens rea, la Serbie-et-Monténégro prétend en revanche que la
Bosnie-Herzégovine n’en a pas administré la preuve car elle n’aurait pas prouvé que tous ces actes,
et chacun d’entre eux isolément, avaient été commis dans une intention génocidaire. Il est
certainement exact, par exemple, que «pour être un élément constitutif du génocide, le meurtre,
c’est-à-dire l’acte de tuer, doit être accompagn é par une intention génocidaire dont l’existence
41
préexiste au meurtre» . Mais, contrairement à ce que prétend la Partie adverse, cette intention
préexistante ne doit pas, lorsqu’il s’agit d’établir la perpétration d’un génocide dans un litige entre
41CR 2006/18, p. 30, par. 72 (de Roux). - 27 -
Etats, être présente à l’esprit de chacun des meurtr iers: ils peuvent, comme je l’ai dit, être les
42
exécutants du génocide (ou ses complices) sans, pour autant, être animés, personnellement, d’une
intention génocidaire.
e
45. A cet égard, l’obsession pénaliste de nos contradicteurs les égare. M de Roux a
certainement raison d’affirmer que les Parties devant la Cour ne sont pas les mêmes que celles qui
comparaissent devant le TPIY. Il a raison de relever que «cette différence de parties au procès
nous permet … d’avoir un regard différent sur les décisions du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie» 43.
Mais il est fâcheux qu’il n’ait pas tiré pas de ce tte excellente observation les conséquences qui
s’imposent, puisqu’il s’est attaché exclusivement à démontrer que le Tribunal d’à côté n’avait, en
44
général, pas condamné les accusés pour génocide .
46. Oh certes, Madame le président, c’est exac t; mais cela tient à une raison très simple: le
Tribunal est une juridiction criminelle, qui juge des individus ⎯ pas des Etats ⎯ sur le fondement
de règles qui, pour être internationales, n’en s ont pas moins pénales. Il ne peut condamner les
personnes qui lui sont déférées que si, «au-delà de tout doute raisonnable», les juges qui composent
les instances de jugement acquièrent la convict ion que ces individus étaient, personnellement,
animés par une intention génocidaire. Ma is, Madame et Messieurs de la Cour, vous n’êtes pas des
juges pénaux; les Parties qui se présentent devant vous ne sont pas des accusés ou des accusateurs;
et les moyens de preuve recevables ne sont pas ceux qui ont cours en droit pénal. Eût-ce été le cas,
ce sont des centaines de témoins, des milliers peut-ê tre, qu’il nous aurait fall u appeler à la barre.
Nous ne l’avons pas fait ⎯ et pour, je crois, une excellente raison : cela n’aurait servi à rien (sauf,
sans doute, à vous irriter…), mais cela n’aurait servi à rien pour prouver ce que nous devons
prouver. J’ajoute cependant, qu’en aucun cas ceci ne revient à dire que les décisions du TPIY et les
procédures en cours devant lui ne sont pas pertinen tes; simplement, ce sont les pièces d’un puzzle
qu’il nous appartient, qu’il vous appartient, d’assembler pour avoir une vision d’ensemble de ce qui
s’est vraiment passé.
42 o
Cf. TPIY, Le procureur c. Radilav Krsti ć, affaire n IT-98-33-A, Chambre d’appel, arrêt, 19avril2004,
par. 135-144.
43
CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 41, par. 102.
44 Voir ibid., p.33-43, par.81-107; voir aussi p. 44, par.109-110 ou p. 49, par. 123; et CR2006/19, p.14,
par. 158, p. 39, par. 246 ou p. 49, par. 278-279. - 28 -
47. Ce qu’il nous faut prouver, ce n’est pas que chacun des individus qui ont commis les
meurtres et les autres actes constitutifs du génoci de était animé d’une intention génocidaire, mais
que les instances dirigeantes du défendeur, l’Etat qui est à l’origine du génocide, qui l’a conçu et
organisé (ou qui s’en est rendu complice), étaient animés de cette intention. Ceci ne rend pas notre
tâche ⎯ ni la vôtre… ⎯ plus facile; mais il faut reconnaître d’abord qu’elle est différente de celle
du procureur ou des juges du TPIY, ce que nos adversaires persistent à nier ou à ignorer
superbement 45.
48. Il est assez évident que l’on ne peut pa s s’attendre à trouver la preuve de l’intention
génocidaire de l’Etat défendeur dans des déclarations explicites appelant à la destruction, fût-elle
partielle, des populations non serbes ou des Musulmans de la partie de Bosnie-Herzégovine placée
46
sous son contrôle: comme je l’ai dit dura nt le premier tour des plaidoiries orales , même Hitler
avait tenté de dissimuler la Shoah sous le voile de nuit et brouillard. Il va de soi qu’aucun dirigeant
e
ne serait, à la fin du XX siècle, assez inconscient pour appeler ouvertement à un génocide. Il vous
appartient donc, Madame et Messie urs les juges, de déchiffrer le langage codé que les autorités de
la RFY et leurs auxiliaires de la Republika Srpska ont utilisé pour inciter au génocide; nous vous
avons présenté maintes preuves qui l’établissent 4. J’ajoute que nous eussions sans doute été plus à
48
même de le faire si, comme l’ agent du défendeur l’a annoncé , le pays qu’il représente avait
effectivement ouvert ses archives d’Etat ⎯malheureusement, il n’en est rien. Ou s’il avait bien
voulu présenter à la Cour des preuves qu’il garde pour lui-même.
49. Difficile, la preuve de l’intent ion génocidaire de l’Etat défendeur ⎯ intention
génocidaire dont je m’empresse de préciser qu’il l’avait à l’époque des faits litigieux, entre1992
et1995, mais qu’il ne l’a évidemment plus aujourd’hui ⎯, cette preuve n’est pas pour autant
impossible. Elle découle :
45Voir par exemple CR 2006/18, p. 21, par. 41; p. 19, par. 36, p. 20, par. 37-38, p. 21, par. 41 et par. 43, p. 22,
par.46 (de Roux); CR 2006/19, p. 22, par. 181, p. 25, par. 193, p. 30, par. 216, p. 51, par. 287 (de Roux); CR 2006/20,
p. 12, par. 306, p. 22, par. 346 (de Roux).
46
CR 2006/8, p. 23-24, par. 39-41, p. 36, par. 67 (Pellet); voir aussi : CR 2006/10, p. 50, par. 31 (Pellet).
47
Mémoire, p.59-61, par. 2.3.1.1-2.3.1.4; réplique, p.819-823, par. 157-169; CR2006/10, p.49-55, par. 30-41
(Pellet).
48CR 2006/12, p. 14, par. 19. - 29 -
⎯ des déclarations imprudentes, en général codées, je l’ai dit, mais souve nt déchiffrables, des
dirigeants de l’époque de la RFY et de leurs affidés en Bosnie-Herzégovine;
⎯ de la massivité et de la simultanéité des actes de génocide qui se sont produits sur l’ensemble
du territoire de la Bosnie-Herzégovine contrôlé par les Serbes;
⎯ de la «destruction sélective» des membres les plus influents du groupe des non-Serbes ou des
Musulmans se trouvant sur ce territoire 4; ou
⎯ de la destruction systématique de tous les édifices religieux ou culturels de ces groupes dont
M. Riedlmayer a, durant son témoignage du 17 mars dernier 50, apporté la preuve convaincante.
50. À cet égard, je souhaite donner une précision qui nous paraît importante. Contrairement
à ce que nos contradicteurs semble nt penser ou veulent faire croire 5, la Bosnie-Herzégovine ne
demande nullement à la Cour de constater la re sponsabilité de la Serbie-et-Monténégro pour un
«génocide culturel» que la convention de 1948 ne vise pas. La raison pour laquelle la destruction
systématique du patrimoine culturel croate (et catholique) et, surtout, musulman présente une
pertinence particulière dans notre affaire tient à ce qu’elle établit, de manière tout à fait nette, que
ce sont bien ces groupes qui étaient visés, en tant qu e tels, et que toute trace de leur existence et de
leur présence multiséculaire dans les territoires que le défendeu r voulait annexer ou s’inféoder
devait être éradiquée à jamais.
51. Et puis, Madame le président, il y a autre chose. A plusieurs reprises durant le premier
tour de plaidoiries orales, les représentants de l’autre Partie se sont laissé aller à un aveu ⎯ en tout
cas un demi-aveu. Tant l’agent que les conseils de la Serbie-et-Monténégro ont insisté sur «la peur
des Serbes», une peur «motivée par le souvenir des crimes commis par les Oustachis pendant la
52
deuxième guerre mondiale» , crimes que l’on peut sans doute considérer comme constitutifs d’un
véritable génocide. Telle est du reste l’opinion de M. Brownlie : «the genocide during the Second
53
World War did take place» ⎯ et ceci conduit l’éminent avocat à justifier l’assistance donnée par
49Cf. CR 2006/20, p. 16, par. 323 (de Roux).
50Voir CR2006/22. Voir aussi mémoire, p.48-54, par. 2.2.5.1-2.2.5.16 et p. 57, par. 2.2.6.7; réplique,
p. 168-186, par. 248-286 et p. 295-296, par. 547-550 et CR 2006/5, p. 44-59 (Dauban).
51
Voir CR 2006/19, p. 21-22, par. 178-179 (de Roux), ou CR 2006/20, p. 15, par. 319 (de Roux).
52
CR 2006/15, p. 43, par. 214 (Stojanović); voir aussi CR 2006/21, p. 37, par. 23.
53CR 2006/17, p. 19, par. 202; voir aussi CR 2006/19, p. 41-42, par. 253-255 (de Roux). - 30 -
la RFY aux Serbes de Bosnie ⎯ autre aveu de taille ! : «The circumstances in which the assistance
54
was given included the likelihood of acts of genocide directed against Bosnian Serbs» . Il est clair
qu’en agitant ainsi le spectre d’un génocide an tiserbe, les autorités de Belgrade ne pouvaient
55
qu’encourager les Serbes à commettre si l’on peut dire un «génocide préventif» .
52. Il y a là pour le moins, Madame et Me ssieurs les juges, un faisceau d’indices qui ne
laisse aucun doute sur l’intention délibérée, claire , indéniable, de détruire le ou les groupes ainsi
visés; «en tout» dans la zone contrôlée par le s Serbes; ou «en partie» dès lors que, fort
heureusement, ils n’étaient pas menacés dans leur existence en dehors de cette zone.
C. Génocide et guerre civile
53. A ces faits, Madame le président, le défendeur oppose imperturbablement une
explication unique qui tient en deux mots, qu’il utilise comme un joker : «guerre civile».
54. Je m’y attarderai peu, M. van den Biesen en a parlé ce matin : il est évident en effet que
la guerre a fait rage entre les groupes ethnico-religieux de Bosnie-Herzégovine ⎯ entre les
Musulmans, les Serbes et les Croates et, parfois, à l’intérieur même de chacun d’eux, y compris,
dans certains cas, entre des factions musulmanes, comme ce fut le cas à Biha ć oùles Serbesont
fait, un temps, alliance avec un groupe de Musulmans qu’ils ont instrumentalisés pour combattre le
gouvernement légitime (et pluriethnique) de Sarajevo.
55. Mais, contrairement à ce qu’affirme la Pa rtie serbo-monténégrine , la guerre civile
n’explique pas tout. On nous dit que «l’objectif de tout conflit armé» est d’obtenir le départ des
populations considérées comme ennemies 56; mais, en l’espèce, cet exode a été suscité non par des
opérations militaires, mais par la multiplication de crimes et d’exactions dirigés contre les
populations civiles. On nous dit que, dans tout e guerre, la distinction en tre civils et militaires
s’estompe 57; peut-être, mais, en l’espèce, la populati on civile musulmane et, plus largement,
nonserbe, a été soumise à une politique de terreur systématique destinée à obtenir sa disparition
complète des zones que l’on entendait «purifier» de tous ses éléments nonserbes. On nous dit,
54
CR 2006/17, p. 17; voir, plus généralement, p. 17-20, par. 192-204.
55Voir sur ce point réplique, p. 55-63, par. 1-13; CR 2006/2, p. 28-30, par. 1-8 (van den Biesen).
56
CR 2006/15, p. 22, par. 157 (Stojanović).
57
Cf. CR 2006/15, p. 23, par. 158 (Stojanović); CR 2006/18, p. 51, par. 132 ou p. 52, par. 135 (de Roux). - 31 -
58
selon les cas, que cette guerre était soit une guerre de conquête de territoires , soit une guerre de
sécession 59 ⎯ ce qui, soit dit en passant n’est guère compatible…; mais on ne voit pas pourquoi un
conflit armé de ce type se serait accompagné de l’assassinat à grande échelle des prisonniers,
comme ce fut le cas à Srebrenica, de l’internemen t des civils dans des camps dans des conditions
épouvantables ou d’une véritable politique, à l’évidence organisée, de violences sexuelles.
56. A vrai dire, ces crimes, systématiques, planifiés, prémédités ne peuvent trouver une
explication satisfaisante dans les seules «nécessités militaires» ou les inévitables «bavures» qui se
produisent dans tout conflit armé 60. En réalité, le génocide a ét é le moyen de cette guerre de
conquête (ou de sécession, peu importe) mis en Œu vre par les Serbes, contrôlés, dirigés, organisés
et financés depuis Belgrade. Une guerre civile ? Oui, en partie bien que l’implication massive de
la RFY ne permette pas de lui reconnaître exclusivement ce caractère, mais une guerre
«génocidaire» à la fois dans ses méthodes et da ns son objectif: l’éradication des populations
non serbes des territoires contrôlés par les Serbes.
57. Nos contradicteurs font valoir un autr e argument. Sans reconnaître le caractère
génocidaire de la stratégie serbe, ils admettent que des crimes abominables ont été commis par la
61
partie serbe mais, disent-ils, il en est allé de même des autres parties à ce «conflit fratricide» .
Trois observations suffiront sur ce point, Madame le président :
1) La Bosnie-Herzégovine ne nie pas, et n’a jama is nié, que des crimes inexcusables aient été
commis par des Musulmans ou des Croates bosniaques; elle en est consternée et, contrairement
58 CR2006/15, p.13, par.122, p.25, par.164, p.27-29, par.167-172, p. 31, par.178, p.33, par.184, p.36,
par. 188, p. 39, par. 196, p. 43, par. 211 (Stojanović); CR 2006/18, p. 42, par. 105 (de Roux); CR 2006/19, p. 18, par. 165
et 167, p. 38, par. 242, p. 43, par. 259, p. 47, par. 273 (de Roux); CR 2006/21, p. 41, par. 46, p. 42, par. 51 (Stojanović).
59 CR 2006/12, p. 48, par. 1.16 (Varady); CR 2006/16, p. 32, par. 86 (Brownlie); CR 2006/17, p. 17, par. 192, 194
et196, p.20, par.204 et206, p.29, par.254 (Brownlie); CR2006/19, p.40, par.249, p.47-48, par.273 (de Roux);
CR2006/20, p.13, par.310, p.15, par.316, p.22, par.347 (de Roux); CR2006/21, p.10, par.14 (Brownlie); ibid.,
p. 39, par. 35 (Stojanović).
60 CR 2006/14, p. 11, par. 3 (Stojanović); CR2006/15, p.23, par.158 (Stojanovi ć); ibid., p.22, par.157
(deRoux); CR2006/18, p.12, par.6, p.52, par.134-136 (de Roux); CR2006/19, p.12-13, par.152, p.21, par.178,
p. 50, par. 279 (de Roux); CR 2006/20, p. 23-24, par. 5-6 (Fauveau-Ivanović).
61 CR2006/19, p.18, par.155 (de Roux). Voir aussi CR2006/12, p.46, par.1.7, p.48, par.1.14 (Varady);
CR 2006/18, p. 38, par. 92 (de Roux); CR 2006/19, p. 16-17, par. 163-164 (de Roux). - 32 -
au défendeur, elle s’est efforc ée de punir les coupables et a constamment coopéré avec le
62
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie pour que leurs auteurs soient jugés .
2) Mais ces crimes, pour odieux qu’ils soient, ne s’apparentent en aucune manière à un génocide;
du reste, sauf à considérer qu’il avait exclus ivement un caractère ta ctique, le retrait des
demandes reconventionnelles de la Serbie-et-M onténégro montre que celle-ci partage cette
position et, jamais, au cours des audiences, ses représentants n’ont prétendu le contraire; et
surtout,
3) En tout état de cause, un génocide ne saurait en excuser un autre, ce que nos contradicteurs de
l’autre côté de la barre ont d’ailleurs l’élégance de reconnaître 63.
58. Madame le président, j’en ai terminé avec la deuxième partie de ma longue présentation,
dans laquelle j’ai essayé de souligner les diverg ences qui persistent entre les Parties en ce qui
concerne les questions juridiques liées au génocide commis contre les populations nonserbes de
Bosnie-Herzégovine, et tout particulièrement c ontre les Musulmans, entre 1992 et 1995. Avant
d’en venir à la question de l’attribution de ce tte grave violation d’une obligation découlant d’une
norme de jus cogens , permettez-moi de résumer, là enco re sous forme de propositions, les
conclusions de ces développements :
1) Il convient de ne pas confondr e les actes génocidaires énumérés à l’article II de la convention
de1948 et le génocide en tant que fait intern ationalement illicite global pouvant engager la
responsabilité d’un Etat partie.
2) Un tel génocide doit être dirigé contre un gr oupe mais celui-ci peut être défini aussi bien
positivement, en fonction des ca ractéristiques ethniques ou relig ieuses de ses membres, que
négativement, du fait de l’absence de l’une ou l’autre de ces caractéristiques.
3) Le génocide peut être «total » et viser, comme la Shoah, à la destruction complète de tout un
groupe, ou partiel et, dans ce cas, il peut, comme en l’espèce, viser à la destruction d’un groupe
humain sur un territoire particulier.
62 Voir réplique, p.900-903, par. 23-25. Voir aussi, Evaluations et rapport du juge Fausto Pocar, président du
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie fournis au Conseil de sécurité conformément au paragraphe 6 de la
résolution 1534 (2004), NationsUnies, doc.S/2005/781, 14décembre2005, p.11, par.35. Voir aussi, Le procureur
o
c. Hadzihasanović, affaire n IT601-47, pièces DH 119, DH 155/2, DH 274, DH 275, concernant les poursuites menées
devant les tribunaux de la Bosnie-Herzégovine.
63 CR2006/15, p4. 0, p. 99 (Stojanovi ć). Voir aussi CR2006/20, p. 6, pa. 9, . 7, p. 5
(Fauveau-Ivanović). - 33 -
4) L’«épuration ethnique» perpétrée dans la par tie de la Bosnie-Herzégovine contrôlée par les
Serbes constitue dès lors un génocide au sens de l’article II de la convention.
5) La preuve qu’un génocide a été commis peut êt re, au point de vue du droit international public,
administrée par tous moyens et ne suit pas les règl es applicables en la matière dans le cadre du
droit pénal.
6) Les moyens de preuve utilisés doivent perm ettre d’établir avec certitude que l’auteur du
génocide ⎯l’Etat auteur du génocide ⎯ était animé de l’intention de détruire en tout ou en
partie un groupe défini à l’article II de la convention. Cette certitude peut résulter d’un faisceau
d’indices concordants.
7)La guerre civile (ou internationale) ne saurait constituer un écran qui excuserait ou
disqualifierait le génocide commis en Bosnie-Herzégovine. En l’espèce, le génocide a constitué
le but de la guerre menée par les Serbes et celle-ci a été le cadre du génocide.
Madame le président, il me reste à peu près une demi-heure à vous infliger, je ne sais pas si
vous préférez subir ceci maintenant ou après une pause ?
The PRESIDENT: I think we will take a short break now, and be back within ten minutes.
Mr. PELLET: Thank you very much.
The Court adjourned from 4.30 to 4.40 p.m.
The PRESIDENT: Please be seated.
M. PELLET :
III. Le génocide commis en Bosnie-Herzégovine
est attribuable au défendeur
59. J’en viens maintenant, Madame le président, si vous le voulez bien, à la question, de
l’attribution au défendeur du génocide, génocide dont je viens de rappeler qu’il a, bel et bien, été
commis en Bosnie-Herzégovine durant la période allant du printemps1992 à la conclusion des
accords de Dayton-Paris le 1 edécembre 1995. - 34 -
60. Curieusement, la Partie serbo-monténégrine s’est montrée, durant le premier tour des
plaidoiries orales, particulièrement peu prolixe su r cet aspect, pourtant crucial, du dossier. Sans
doute, MB . rownlie a-t-il abordé la question à deux reprises : longuement dans ses
64 65
deux interventions du 13 mars et beaucoup plus brièvement le 16 mars . Mais, dans les deux cas,
mon contradicteur s’est borné, sur le plan juridique, d’une part à répéter à plusieurs reprises que la
Republika Srpska était un Etat indépendant, sans essayer de le démontrer ni de tirer de cette
affirmation discutable des conséquences précises su r le plan de la responsa bilité, et, d’autre part, à
défendre le très fameux «test du Nicaragua», sans chercher à répondre à l’argumentation, beaucoup
plus complète, que nous avions avancée.
61. Pour notre part en effet, lors du premier tour des plaidoiries, nous avions montré que le
défendeur était responsable du génocide commis contre les populations nonserbes de
Bosnie-Herzégovine et, singulièrement, les Musulm ans. Le professeur LuigiCondorelli avait
établi que la Republika Srpska étai t, durant la période pertinente ⎯de 1992 à 1995 ⎯,
complètement dans la main des autorités de la RFY et devait être considérée comme un organe de
celle-ci qui engageait sa responsabilité à ce titre, co nformément à la règle énoncée à l’article 4 des
66
articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat . J’avais montré pour ma part que, si vous
n’admettiez pas cette assimilation de la Republika Srpska à un organe du défendeur, le critère du
contrôle, tel qu’il est énoncé à l’article 8 des mêmes articles conduisait, de toutes façons à la même
67
solution et, de manière subsidiaire, qu’en tout cas, il était impossible d’échapper à la conclusion
que la RFY s’était rendue responsabl e de complicité «dans le génocide» ⎯ au titre de
l’article III e) de la convention sur le génocide ⎯ ou de complicité «de génocide» en vertu des
principes généraux du droit international 6.
62. Tant sur la thèse «organique» que sur la ⎯ ou plutôt les ⎯ complicité(s), le défendeur a
gardé un silence presque total durant le premier tour des plaidoiries orales. Il nous faut bien nous
en accommoder, Madame le président, mais je dois, une nouvelle fois, souligner qu’une telle
64
CR 2006/16, p. 31-53, par. 83-161 et CR 2006/17, passim.
65CR 2006/21, p. 15-17.
66CR 2006/10, p. 10-31, par. 1-45 (Condorelli).
67
CR 2006/10, p. 38-48, par. 3-23 (Pellet).
68CR 2006/10, p. 58-62, par. 51-63 (Pellet). - 35 -
attitude, dans laquelle je ne sais pas s’il faut voir du mépris ou de la négligence, n’est pas de nature
à favoriser un véritable débat contradictoire et que nous serions choqués que la
Serbie-et-Monténégro réponde à notre premier tour de plaidoiries lorsque nous serons, pour notre
part, empêchés de répliquer.
63. Au bénéfice de cette remarque préliminaire, je me limiterai à quelques
observations ⎯que mes collègues complèteront le cas échéant durant la suite de nos
plaidoiries ⎯ sur les quelques considérations juridiques dont il est clair qu’elles opposent toujours
les Parties. Ces observations ⎯ assez brèves ⎯ porteront successivement sur les points suivants :
⎯ la prétendue indépendance de la Republika Srpska;
⎯ le test du contrôle et ses relations avec la question de l’attribution; et
⎯ la question, superbement ignorée par le conseil du défendeur, de la complicité.
A. La prétendue indépendance de la Republika Srpska
64. A de nombreuses reprises, M. Brownlie a mentionné, au cours de ses plaidoiries
consacrées à l’attribution de la responsabilité pour le génocide commis en Bosnie-Herzégovine,
«l’apparition de la Republika Srpska en tant qu’Etat indépendant» («The appearance of the
Republika Srpska as an independent State») 69. Sans jamais réfuter l’argu mentation contraire et très
70
détaillée avancée tant oralement que par écrit par la Partie bosniaque, il se borne à affirmer que ni
cette entité ni son armée, la VRS, n’ont été soumises au contrôle des autorités de la RFY.
65. Permettez-moi, Madame le président, de relever qu’il est pour le moins difficile de
considérer qu’une entité qui dépend pour plus de 99 % de son budget de l’aide d’un Etat dominant,
et extrêmement compréhensif, dont la Banque cent rale ne peut prendre aucune décision sans
l’accord de celle de Yougoslavie 71, dont l’armée est entièrement «subventionnée» par la RFY, ses
72
officiers recevant même directement leur solde, leur affectation et leurs promotions de Belgrade ,
qu’une telle entité puisse véritablement être co nsidérée comme un Etat, au sens que le droit
69CR2006/16, p. 31, par. 85, p. 33, par.91-92, p. 39, par.115 et 117; CR2006/17, p. 26, par.238 c) et242,
p. 44-45, par. 309-310 ou p. 46, par. 314; voir aussi CR 2006/21, p. 44-45, par. 63-64 (Stojanović).
70
Réplique, p.674-685, par.346-358, p.788-816, par.80-145; CR2006/9 (Torkildsen); CR2006/10, p.18-24,
par. 19-32 (Condorelli).
71
Réplique, p. 674-685, par. 346-358; CR 2006/9, p. 27-48, par. 14-59 (Torkildsen).
72CR 2006/9, p. 25-27, par. 7-13 (Torkildsen). - 36 -
international donne à ce terme. On ne peut, ici, parler d’Etat souverain davantage que dans le cas
du Mandchoukouo, des ex-bantoustans d’Afrique du Sud ou de la République turque de Chypre du
Nord ⎯dont je comprends mal comment mon contradi cteur la distingue de la Republika Srpska
sous prétexte, a-t-il dit, que: «It is the i ndependence [but which independence?] of Republika
Srpska and its territorial separation [but whic h separation?] which makes the comparisons with
Northern Cyprus … inapposite.» 73
66. En réalité, dans tous ces cas, Madame le président, y compris dans celui de la Republika
Srpska, il s’agit d’Etats fantoches, de puppet States, dont les faits internationalement illicites
engagent la responsabilité de l’Etat dominant 74. La Republika Srpska n’était à l’époque, comme
75
Luigi Condorelli l’avait établi par sa plaidoirie du 6 mars , que le relais des décisions de Belgrade
et pouvait être tenue pour un organe de la RFY co mme l’envisage l’article 4 des articles de la CDI
sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. Ceci nonobstant le cas, le cas
unique, dans lequel cette province serbe de facto s’est opposée au gouvernement de Belgrade (à
propos du plan Vance-Owen) et des sanctions en trompe-l’Œil qui s’en sont suivies ⎯ bienheureux,
comme l’avait dit le professeur Condorelli, le gouvernement central qui ne se heurte à l’opposition
de ses collectivités territoriales qu’en une circonstance isolée !
B. Le test du contrôle et ses relations avec la question de l’attribution
67. Madame le président, comme nous l’avions montré lors du premier tour des plaidoiries
orales, la «théorie organique» ⎯ qui s’applique en tout cas aux organes de jure de la RFY ⎯ son
armée, la JNA, puis la VJ; son ministère de l’in térieur (le MOUP) et celui de la République de
Serbie et, d’une façon générale à tous ses organes dirigeants ⎯la théorie organique, dis-je, n’est
que l’une des voies permettant d’établir la responsabilité du défendeur pour le génocide commis en
Bosnie-Herzégovine. Une autre aboutit au même résultat ⎯et je m’empresse d’ajouter que ces
deux voies, si elles reposent sur un raisonnement juridique légèrement différent, ne sont pas
antinomiques ou incompatibles: l’interprète ⎯vous, Madame et Messieurs de la Cour ⎯ peut à
vrai dire emprunter l’une aussi bien que l’autre; elles mènent toutes deux à la même constatation à
73CR 2006/16, p. 39, par. 117.
74Réplique, p. 812-816, par. 137-145.
75
CR 2006/10, p. 18-24, par. 19-32 (Condorelli). - 37 -
partir des mêmes faits. Simplement ceux-ci se prêt ent à deux interprétations distinctes : au lieu de
se fonder sur la thèse organique, à laquelle invite l’article 4 des articles de la CDI, on peut
appliquer le test plus souple de la direction ou du contrôle de fait qu’énonce l’article 8.
68. Toutefois, cette directive très générale est, à son tour, susceptible d’appréciations
divergentes. Pour sa part, notre contradicteur n’hé site pas: le seul test applicable de ce contrôle,
plus même, « le critère de la responsabilité de l’Etat» (The criteria of State responsibility) nous
a-t-il dit le 13 mars 76, est celui du «contrôle effectif» tel que la Cour l’a mis en Œuvre dans l’arrêt
de1986 relatif à l’affaire du Nicaragua, dont il a cité de très longs passages, confortés par des
extraits, presque aussi longs, du commentaire de l’article 8 des articles de la CDI 77.
69. Eh bien, Madame le président, j’en conviens tout à fait : le contrôle doit être effectif; la
Bosnie-Herzégovine n’a jamais dit le contraire. Ce qui, en revanche, nous paraît davantage sujet à
débat, ce n’est pas l’effectivité du contrôle, c’es t son objet. Doit-il, comme c’était le cas dans
l’affaire des Activités militaires, porter sur chacun des faits intern ationalement illicites commis par
l’entité «sous contrôle» ⎯ les contras dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de 1986, les Serbes
de Bosnie-Herzégovine dans celle qui nous occupe ? Ou doit-il être apprécié dans une perspective
«intersubjective» et suffit-il que l’entité en question soit sous contrôle effectif de l’Etat dont elle
dépend ?
70. Lors de l’audience de la Cour du 3 mars, je m’étais permis, Madame et Messieurs les
78
juges, de vous inviter à «oublier Nicaragua» . C’est ce que mon éminent contradicteur appelle
avec humour l’«amnesia argument» 79. Mais un bon mot, auquel je rends très volontiers hommage,
ne saurait ni tenir lieu d’argument, ni suffire à discréditer la thèse qui a suscité ce bon mot… Et je
vous invite à nouveau, Madame et Messieurs de la Cour, à réfléchir au bien-fondé de l’application
de ce critère dans le cadre de la présente affaire. En ce qui concerne l’effectivité du contrôle, il n’y
a pas de problème bien sûr: pour que le génoci de commis en Bosnie-Herzégovine engage la
responsabilité du défendeur, il faut, évidemment, que les différents organes ou individus, auteurs
76CR 2006/16, p. 33; les italiques sont de nous.
77Ibid., p. 33-35, par. 94-98. Voir aussi CR 2006/17, p. 24, par. 226 ou CR 2006/21, p. 16, par. 2.
78
CR2006/8, p. 34, par.63 et suiv. (Pellet). Voir aussi CR2006/10, p.39-40, par. 8 et p.46-47, par.20-23
(Pellet).
79CR 2006/16, p. 39, par. 114. - 38 -
immédiats des actes de génocide, aient été dans une situation d’étroite dépendance vis-à-vis de
laRFY. La Bosnie-Herzégovine a montré, lors du premier tour de ses plaidoiries, que ceci ne
saurait faire de doute, ni en ce qui concerne la Re publika Srpska elle-même, son armée, la VRS, et
les volontaires qui y ont été intégrés et, d’une façon générale, des organes relevant de son appareil
d’Etat, ni pour ce qui est des groupes paramilitaires serbes, créé s, formés et organisés par le
ministère de l’intérieur de la République de Serbie et qui ont été associés aux opérations les plus
sinistres liées au génocide ⎯y compris à Srebrenica. Nous en avons eu une preuve visuelle
terrible lors de l’audience du 28 février2006, avec la projection du film de l’exécution des
six jeunes musulmans par des membres des «Scorpions », l’un de ces groupes paramilitaires. Nous
reviendrons sur ce contrôle global exercé par Belg rade sur toutes ces entité s dans les jours à venir
et constaterons à nouveau l’effectivité de ce contrôle.
71. Aussi bien, au point de vue juridique, là n’est pas le problème principal. Il est bien plutôt
de savoir si, pour que la responsabilité du défendeur puisse être engagée dans la présente affaire, la
Bosnie-Herzégovine doit établir que les autorités de Belgrade exerça ient un contrôle effectif non
seulement globalement sur les personnes ou les en tités auteurs des actes gé nocidaires perpétrés en
Bosnie-Herzégovine, mais aussi à l’occasion de chacun de ces actes comme la Cour l’a exigé dans
80
l’arrêt de 1986 dans un contexte et des circonstances très différents de ceux de la présente affaire .
M. Brownlie ne voit pas de raison, pour vous, de vous écarter de ce précédent. Moi, oui.
72. Il va de soi qu’il ne s’agit nullement de vous demander, Madame et Messieurs de la
Cour, de faire bénéficier la Y ougoslavie d’«un critère de la preuve moins rigoureux dans les
81
affaires de génocide» («low standard of proof in cases of genocide») ; pas davantage, d’inventer
82
un principe de «responsabilité objective» («strict liability») qu’aucun argument juridique ne paraît
justifier en l’espèce. Il s’agit seulement de constater que le génocide, comme je l’ai montré tout à
l’heure, est un crime global, dont l’existence est attestée par des actes génocidaires (ceux qui sont
énumérés à l’article II de la convention de 1948) ⎯ pas un acte, Madame le président, des actes; un
80Voir CR2006/8, p. 32, par. 57 et p.34-37, par.65-70 (Pellet); voir aussi CR2006/16, p.39, par.116
(Brownlie).
81Ibid., par. 111.
82
CR 2006/17, p. 44, par. 307 (Brownlie). - 39 -
ensemble d’actes coordonnés, visant à un but unique: la destruction en tout ou en partie d’un
groupe humain présentant un ou plusieurs des caractères mentionnés dans cette même disposition.
73. Si cette analyse est exacte ⎯et je crois sincèrement qu’elle l’est ⎯ la question de
l’application du «test Nicaragua», celle du choix entre ce test et le «test Tadić», à nouveau
soulevée par l’avocat de la Serbie-et-Montén égro lors de l’audience publique du 13mars 83, ne se
pose tout simplement pas. Il faut et il suffit que vous vous assuriez, Madame et Messieurs les
juges, que les autorités de Belgra de exerçaient un contrôle global effectif sur les auteurs d’actes
génocidaires et qu’ils exerçaient ce contrôle avec l’intention de détruire, dans une partie de la
République de Bosnie-Herzégovine, les populations non serbes, et en particulier musulmanes, en
vue de faire des territoires concernés une zone «ethniquement pure».
C. Retour sur la complicité
74. Madame le président, durant le pr emier tour de ses plaidoiries orales, la
Serbie-et-Monténégro s’est peu exprimée sur la question de sa complicité à ce génocide.
M.deRoux l’a abordée lorsque, le 15 mars, il a analysé les crimes ancillaires au génocide
énumérés dans les alinéas b) à e) de l’article III de la convention de 1948 84. Les développements
qu’il lui a consacrés sont extrêmement brefs mais leur brièveté même les met sans doute à l’abri de
la critique ⎯ en tout cas, je n’y ai rien trouvé de bien différent de ce que j’avais moi-même dit à ce
85
sujet à cette barre le 3 mars dernier .
75. Je note en particulier que l’avocat de la Partie adverse semble admettre, quoique de
86
manière un peu elliptique , la distinction que j’avais effectuée entre, d’une part, la complicité dans
le génocide, au sens de l’article III de la conv ention, et, d’autre part, la complicité de génocide en
vertu des règles générales du droit international de la responsabilité. Dans les deux cas, une aide
ou assistance est accordée par le complice à l’auteur principal du fait illicite ⎯ en la présente
occurrence à l’auteur du génocide qui, si vous re jetiez, Madame et Messie urs les juges, l’idée qui
83CR 2006/17, p. 36-38, par. 100-110.
84CR 2006/19, p. 29-32, par. 213-222.
85
CR2006/8, p.26-28, par.45-50 (Pellet). Voir aussi CR2006/10, p.58-59, par.51-54 et p.59-60, par.58
(Pellet).
86CR 2006/19, p. 31, par. 219-220. - 40 -
nous paraît s’imposer que la RFY a été cet auteur, qui, dans ce cas, ne pourrait être que la
Republika Srpska ⎯ dont il importe peu qu’elle ne soit pas un sujet du droit des gens: il est clair
que l’interdiction et du génocide et de la complic ité dans le génocide s’adresse à tous, quelle que
soit la nature juridique des personnes ou entités qui pourraient, à un titre ou à un autre, en être
responsables (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
avis consultatif , C.I.J. Recueil 1951, p.23. Voir aussi Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 616, par. 31.)
76. La distinction entre les deux types de co mplicités sur lesquelles les Parties semblent
s’accorder, au moins en droit, réside en ce que, dans le premier cas, la complicité dans le génocide
de l’articleIII e), le complice doit être lui-même inspiré par une intention génocidaire tandis que,
dans ce que l’on pourrait appeler la «com plicité de droit commun», la complicité de génocide, la
responsabilité du complice est engagée du seul fait qu ’il a prêté aide et assistance à l’auteur du fait
principal en toute connaissance de cause mais sa ns nécessairement partager l’intention génocidaire
de celui-ci.
77. Cette seconde forme de complicité n’est pas juridiquement fondée sur la disposition
expresse de l’article III e) de la convention, mais sur les principes généraux du droit international
de la responsabilité des Etats (qui trouve un équiva lent en ce qui concerne la responsabilité pénale
des individus dans l’article 7 du Statut du TPIY sur le fondement duquel le généralKrsti ć a été
87 88
condamné pour complicité de génocide) . Et si, comme le relève avec insistance M. Brownlie , il
est exact que, dans l’affaire du Nicaragua, la Cour n’a pas estimé que les Etats-Unis exerçaient sur
les contras un contrôle suffisant pour que l’ensemble de s faits internationalement illicites commis
par ceux-ci puissent être attribués au défend eur, elle n’en a pas moins considéré que la
responsabilité des Etats-Unis était engagée par l’aide multiforme qu’ils avaient accordée aux forces
contre-révolutionnaires: la Cour «estime que les contras demeurent responsables de leurs actes et
que les Etats-Unis n’ont pas à répondre de ceux-ci mais de leur conduite à l’égard du Nicaragua, y
87 o
TPIY, Le procureur c. Radislav Krsti ć, affaire n IT-98-33-A, Chambreod’appel, arrêt, 19avril2004,
par. 135-144; comp. : Le procureur c. Vidoje Blagojevi ć et Dragan Joki ć, affaire n IT-02-60, Chambre de première
instance I, jugement, 17 janvier 2005, par. 797.
88
CR 2006/16, p. 33-35, par. 94-95, p. 39, par. 116; CR 2006/17, p. 24, par. 226; CR 2006/21, p. 16, par. 1-3. - 41 -
compris celle qui est liée aux actes en question » ( Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 65, par. 116; les italiques sont de
nous).
78. Dans notre affaire, il paraît difficile de nier que la RFY était, à l’époque, inspirée par une
intention génocidaire. Du reste, à plusieurs reprises, l’agent du défendeur a qualifié le régime alors
89
en place de «criminalisé» et traité ses dirigeants de «criminels» ⎯sans, bien sûr, admettre
ouvertement que, parmi les crimes en question éta it le génocide dont la Serbie-et-Monténégro est
responsable. Mais, en tout cas, l’intention crimin elle des dirigeants de l’époque n’est pas niée et
ceci, je crois, devrait suffire à vous faire préfér er, Madame et Messieurs les juges, si vous vous
placiez sur ce terrain de la complic ité, la «complicité de l’article III e)» à la «complicité
Nicaragua», celle qui est constituée par l’aide et l’assistance à un acte illicite, sans que le
dispensateur de cette aide partag e nécessairement les intentions crim inelles de l’auteur principal.
Malheureusement, les dirigeants de Belgrade ne partageaient que tr op les intentions génocidaires
de ceux de Pale.
90
79. Quant au fait brut de l’assistance, nous en avons longuement traité le mois dernier et y
reviendrons à nouveau au cours de ce second tour de plaidoiries. Je voudrais seulement souligner
que le défendeur, loin de nier avoir apporté une aide massive aux Serbes de Bosnie dans les années
du génocide 91, tente de la justifier ⎯ notamment par la crainte (la «vraisemblance» (likelihood) dit
92
M. Brownlie) d’un génocide commis contre les Serbes. J’ai dit tout à l’heure ce que l’on pouvait
penser de cette invraisemblable tentative de just ification. En tout cas, le fait est là: la
Serbie-et-Monténégro a fourni une aide ma ssive à la Republika Srpska et, comme la
Bosnie-Herzégovine l’a montré en grand détail, sans cette aide, cette entité n’aurait pu exister et en
tout cas pas mener à bien la politique génocidaire connue sous le nom d’«épuration ethnique».
89Cf. CR2006/12, p. 12, par. 11 (Stojanovi ć); voir aussi: p. 13, par. 15 ou p.15-16, par. 23, ou CR2006/21,
p. 40, par. 40 (Stojanović).
90
Réplique, p.468-498, par. 11-58, p.588-589, par. 212, CR2006/4, p.12-21, par. 10-44 (vandenBiesen);
CR2006/8, p.39-50, par.1-36 (van den Biesen); CR2006/9, p.25-44, par.7-47 (Torkildsen); CR2006/10, p.18-27,
par. 19-37 (Condorelli);ibid., p. 45, par. 16 (Pellet).
91
Voir par exemple: CR2006/16, p. 39, par. 116 (Brownlie) ou CR2006/17, p.16 et suiv., par.191 et suiv.
(Brownlie).
92CR 2006/17, p. 17. - 42 -
80. M. Brownlie ne voit rien de répréhensible à ceci : «the assistance provided by the FRY to
the Republika Srpska and its armed forces was perfe ctly compatible with the principles of general
93
international law and the provisions of the United Nations Charter» . C’est assez troublant,
Madame le président! Ainsi, une aide massive concourant de manière décisive à une politique
génocidaire menée ouvertement en vue de «serbian iser» des territoires revendiqués comme devant
intégrer une Grande Serbie, serait conforme aux prin cipes du droit internati onal et à la Charte des
Nations Unies ? Tel n’a pas été l’avis des organes de l’ONU qui, à maintes reprises, ont condamné
94
cette aide . Tel ne semble pas être l’avis de l’agent de la Serbie-et-Monténégro devant la Cour
qui, je l’ai rappelé il y a un instant, est moin s indulgent que son conseil pour les agissements du
précédent gouvernement de son pays. Et tel n’est sûrement pas l’avis du Conseil des ministres de
Serbie-et-Monténégro qui, dans la déclaration qu’il a adoptée le 15 juin 2005 en commémoration
du dixièmeanniversaire de Srebrenica, a expres sément attribué au «rég ime antidémocratique de
terreur et de mort» de Milosević (c’est-à-dire au Gouvernement d’alors de la RFY) ce «gigantesque
95
crime» .
81. Ce faisant, à vrai dire, le Gouvernement serbo-monténégrin va beaucoup plus loin que la
simple reconnaissance d’une aide ou d’une complicité. Il admet sa pleine et entière responsabilité
en tant qu’auteur des atrocités commises à Srebrenica. Au regard d’une telle déclaration, à la
dignité de laquelle je rends hommage même si el le eût été encore plus convaincante si le mot
«génocide» y avait figuré, nous éprouvons, de ce cô té-ci de la barre les plus grandes difficultés à
comprendre comment certains membres de l’équipe de plaidoirie de la Serbie-et-Monténégro
peuvent continuer à affirmer benoîtement que le défendeur n’était en rien impliqué dans la
96
politique génocidaire menée en Bosnie-Herzégovine ou que les victimes des massacres étaient
tout simplement des combattants qui se livraient à des attaques contre les forces serbes 97.
93
CR 2006/17, p. 23, par. 222.
94
Voir Nations Unies, doc. A/RES/46/242, 25 avril 1992; Nations Unies, doc. A/RES/47/121, 18 décembre 1992;
NationsUnies, doc. S/RES/819 (1993), 16 avril 1993; Na tionsUnies, doc. S/RES/820 (1993), 17 avril 1993;
Nations Unies, doc. S/RES/838 (1993), 10 juin 1993; Nations Unies, doc. A/RES/48/88, 20 décembre 1993.
95 Disponible à l’adresse suivante: http://www.info.gov.yu/saveznavlada/detailjis.php ?strid=699; document
reproduit dans le dossier des juges du 6 mars 2006.
96 CR 2006/17, p. 10-15, par. 162-183 (Brownlie).
97 CR2006/16, p.10-12, par.3-12 (Brownlie); CR2006/18, p.38, par. 94 (de Roux); CR2006/19, p.10-11,
par. 146-147 (de Roux). - 43 -
82. Le fait est, en tout cas, Madame le présid ent : le défendeur a été présent sous des formes
très diverses dans la partie de la Bosnie-H erzégovine contrôlée par les Serbes et soumise à
«épuration ethnique»; il y a contribué activement; et il reconnaît être responsable de l’un des
épisodes les plus épouvantables de cette tragédie ⎯ Srebrenica. Nous croyons que ceci va très
au-delà d’une simple «complicité» de génocide ou dans le génocide, ou d’une simple «entente»
(conspiracy) au sens de l’article III b) de la convention de 1948. Nous avons la conviction que
l’implication de la Serbie-et-Monténégro dans le génocide a été telle qu’elle doit en être considérée
comme le véritable auteur, que ce soit parce que la Republika Srpska était en fait sous le contrôle
de la RFY au sens de l’article 8 des articles de la CDI de 2001 ou parce qu’elle doit être tenue pour
l’un de ses organes conformément à l’article 4 du même texte.
83. Comme je l’ai fait pour les autres parties de mon intervention d’aujourd’hui, je voudrais,
Madame le président, avant de conclure, résume r les points saillants de l’argumentation de la
Bosnie-Herzégovine en ce qui c oncerne l’attribution au défendeur du génocide perpétré sur son
territoire entre 1992 et 1995 :
2) S’il s’agissait d’un Etat, c’était un «Etat fa ntoche» n’ayant aucune existence juridique sur le
plan international et dont les faits internati onalement illicites engagent exclusivement la
responsabilité de l’Etat «dominant», en l’espèce la RFY dont ce soi-disant Etat n’était qu’un
organe.
3) Alternativement,la RFY exerçait un contrôle sans partage et effectif sur cette entité et sa
responsabilité en tant qu’organe du génocide est engagée à ce titre.
4) Etant donné le caractère global du génocide comm is contre les populations nonserbes de la
Republika Srpska et tout spécialement les Musulmans, il n’y a pas lieu d’exiger que ce contrôle
se soit manifesté à l’occasion de chacun des actes génocidaires ⎯ innombrables
malheureusement ⎯ qui, ensemble, constituent le génocide dont le défendeur porte la
responsabilité.
5) Ce n’est qu’à titre subsidiaire que la Bosnie-H erzégovine vous demande, Madame et Messieurs
de la Cour, de constater qu’à tout le moins le défendeur doit être considéré comme complice
«dans le génocide» au titre de l’article III e) de la convention et, à titre encore plus subsidiaire, - 44 -
qu’il a été complice «de génocide» pour avoir appo rté une aide polymorphe et décisive à sa
commission du génocide.
84. Madame le président, il nous a paru utile de présenter, dès le premier jour de notre
second tour de plaidoiries orales, un aperçu de la thèse juridique qui est la nôtre afin que la Cour
puisse en avoir une vue globale. Il s’est agi, sil’on veut, d’une sorte de transition entre les deux
phases de nos plaidoiries. Mais il va de soi que ce n’est qu’une «ouverture» ⎯ même si elle a été
assez longue ⎯ et que si elle présente, j’espère de manière claire et cohérente, les principaux
«thèmes» de notre argumentation, ceux-ci doivent en core être précisés et développés aussi bien en
fait qu’en droit. Mes collègues vo nt maintenant s’employer à précis er les choses en suivant à peu
près le plan qui m’a guidé; et nous termineron s par de longs et nécessaires développements
consacrés à la compétence de la Cour.
Madame et Messieurs les juges, je vous re mercie de m’avoir écouté avec beaucoup de
patience et je vous prie, Madame le président, de bien vouloir redonner la parole à l’agent adjoint
de la Bosnie-Herzégovine, qui résumera les leçons que nous tirons de l’audition des témoins et des
experts qui a clos la première phase des audiences. Merci beaucoup.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. I now give the floor to Mr. van den Biesen.
Mr. van den BIESEN:
ASSESSMENT OF HEARING OF WITNESSES ,EXPERTS AND WITNESS -EXPERTS
Introduction
1. Madam President, Members of the Court, I believe that I am not overstating if I observe
that the hearing of witnesses, experts and witness-experts has provided for an exceptional litigation
experience for all of us. While most litigators ⎯ and I do not exclude myself ⎯ outside of
criminal litigation, do not particularly like the hearing of experts and witnesses and, for that matter,
are not really used to this phenomenon, it did become clear that criminal litigators do not
particularly fit the context of “civil” litigating either.
2. We do think, probably also for these reas ons, both sides gained little from these hearings,
although it seems to be fair to say that Bosnia and Herzegovina ended up having some advantage - 45 -
over the Respondent. There is no doubt that the qu ality of the two experts called by Bosnia is the
exclusive reason for that. For all experts it seems to be true that the Court and the Parties would
have benefited more from their input if they w ould have been asked to submit a report containing
their views well before the sessions. This would probably have allowed all sides to engage in a
much more satisfying discussion with the experts.
3. I will use this section of our pleadings to briefly discuss each one of the witnesses, the
experts, the witness-experts, while obviously, we will refer back to what they have stated during
the course of our pleadings.
4. There is no doubt, Madam President, th at the witnesses calle d by the Respondent ⎯ we
did not call witnesses ⎯ were clearly duplicating many times over what had been pleaded by the
Respondent in its 30hours during the first round. This was not the case with the expert called by
the Respondent nor with the experts called by Bosn ia and Herzegovina. With respect to the latter,
counsel for the Respondent raised the question wi th Mr.Riedlmayer as to whether his statement
was, in fact, “plus la déposition d’un avocat, que d’un témoin impartial extérieur” 98. Whatever one
would have liked to have said about Mr. Riedlmayer , not that he had been pleading. His extensive
knowledge appeared to confirm the position which Bosnia and Herzegovina has been taking in this
case all along. However, he did not reach these conclusions because Bosnia told him to do so nor
because he wanted to please Bosnia and Herzegovin a. He declared so, because he was declaring
the truth to the best of his knowledge. If we, then, compare this qualification of counsel for the
Respondent to Mr. Brownlie’s earlier statement with respect to Mr. Morten Torkildsen, definitively
Mr.Brownlie’s statement was the friendlier one and maybe much more to the point: he called
Mr.Torkildsen an “expert-witness presented as counsel”, which indeed, acknowledged the
99
independence and the quality of Mr.Torkildsen’s presentation . Madam President, I will now
discuss the various statements, and I will begin with Mr. Riedlmayer.
9CR 2006/22, para. 54 (Ms Fauveau-Ivanović).
99
CR 2006/17, p. 27, para. 245 (Prof. Brownlie). - 46 -
Mr. Andras Riedlmayer
5. Basically there are two things which were made perfectly clear during his three hour long
appearance on Friday 17 March 2006:
1. Mr.Riedlmayer demonstrated that, indeed, he is the authority on the issue of cultural
destruction in Bosnia and Herzegovina ⎯ and in Kosovo for that matter.
2. The destruction of mosques and other Muslim places of worship and the destruction of Roman
Catholic churches and other places of Roman Catholic worship by the Serb side was not part of
any armed battle, rather it was part of a well-planned, thought-through and large-scale policy; a
policy of destruction aimed at the destruction of the spirit and soul of the non-Serb population
of Bosnia and Herzegovina.
Yes, we are happy to have such a high calibre e xpert on our side, especially because his sincerity
demonstrated beyond reasonable doubt his unprejudiced manner of observing what happened in
Bosnia and Herzegovina.
6. Mr.Riedlmayer gave a detailed descripti on of the various episodes of destruction of
non-Serb cultural heritage, beginning with the de struction in 1991 by the JNA, intensifying in
April1992 by acts of the Serb side and continuing throughout the ethnic cleansing, including the
destruction of the mosques of Srebrenica after the massacre had taken place in July 1995.
7. Also, Mr.Riedlmayer clarified the fact that, and the reason why, the Oriental Institute in
Sarajevo was destroyed by incendiary munitions on 17 May 1992. This was, without a doubt, an
intended attack on the Muslim identity and on th e Muslims having been a constituent part of the
Bosnian society and history. He also clarified that the attack carried out on the National Library in
Sarajevo was not only undoubtedly a Serb attack, bu t it was also clearly intended to destroy this
emblem of the multi-ethnic, multicultural make-up of Bosnian society: the most telling part of the
library fire being that snipers would fire from the surrounding hills to prevent people from rescuing
the treasures out of the library and to prevent them from putting out the flames.
8. There is no doubt that Mr.Riedlmayer, under cross-examination, answered all of the
questions in such a manner that the Respondent did not get to benefit from its opportunity to
cross-examine. The sincerity with which Mr. Riedlmayer answered the question with respect to the
letter he had sent to President Clinton, encouraging him ⎯ President Clinton ⎯ to end the United - 47 -
States arms embargo imposed on Bosnia and Herz egovina, further showed his quality. To this
issue, we would like to add that Mr. Riedlmayer sent this letter to President Clinton after the United
States Senate, on 26 July 1995, had voted overwhelmingly in favour of the lifting of the United
States weapons embargo, while referring to Artic le 51 of the United Nations Charter, as did
Mr.Riedlmayer in his letter to the President. The United States House of Representatives had
100
previously done exactly the same, by similar margins . These votes were a clearly bipartisan
issue101. In other words, it was not particularly politically biased to take this position. And
Mr. Riedlmayer at that point in time was clearly a very worried world citizen, and this position he
shared with millions and millions and millions of other world citizens.
9. Through his appearing as an expert on behalf of Bosnia and Herzegovina, Mr. Riedlmayer
has clearly strengthened Bosnia’s position with resp ect to the genocidal intent of the acts that are
central to our case. Also, he has strengthened Bosnia’s position with respect to the provision
“[c]ausing serious mental harm to members of the group” of ArticleII (b) of the Genocide
Convention, since the destruction of this precious living cultural heritage truly hit, hurt and
seriously wounded the hearts and the minds of the Bosnian Croats and the Bosniaks alike.
General Sir Richard Dannatt
10. During his, almost, three-hour appearance before this Court on Monday 20 March,
General Dannatt made it perfectly clear why it is that he will be the Commander in Chief of the
General Staff of the Armed Forces of the United Ki ngdom, i.e., the highest military officer in the
country. His, indeed, grand strategic view on military matters and, more specifically, on the actual
relationship between political leadership on the one hand and the military implementers on the
other hand, provided the Court with a clear pict ure of how the use of armed force develops and
how it is guided and directed by the political leadership.
11. He answered the, at first sight, general questions “why”, “who”, “how” in precisely the
manner that is expected from the Commander in Chief of the Land Forces, who is advising the
10104th Congress of the United States of America (First Session), Bosnia and Herzegovina Self-Defence Act of
1995, H.R.1172 and S.21, passed the Senate 26 July 1995 (legislative day 10 July 1995). Available at:
http://frwebgate.access.gpo.gov/cgi-bin/getdoc.cgi?dbname=104_cong_bill….
101
See the record of the roll call vote:
www.senate.gov/legislative/LIS/roll_call_lists/roll_call_vote_cfm.cfm?c…. - 48 -
highest political leadership of his country, as he is doing in his current position. Answering these
types of questions at this level of decision making is, by definition, something which needs the
combination of a broad view and detailed knowledge of how things get done in the real world.
12. It is clear that the analysis made by Ge neral Dannatt is not based on some personal view,
but rather on years of experience on the ground, years of studying and teaching and years of
designing and developing the military strategy for a large State, one of the permanent members of
the Security Council of the United Nations.
13. Based on this background, which he showed to the Court in his exposé on the various
decision-making levels 10, and combined with his knowledge of how armies operate, how they are
enabled to operate, and what exactly are the basics for any army to operate to begin with, he made
it clear that the Greater Serbia notion, which deve loped in Belgrade towards the end of the 1980s
and in the beginning of the 1990s, translated into more specific planning and had been the
overriding driving force for the events that developed in the Balkans: first ⎯ in 1991 ⎯ in
Croatia, and then from the beginning of 1992 onwards in Bosnia and Herzegovina.
14. General Dannatt clarified to the Court that the distribution of arms on the scale realized
by the JNA in Bosnia was very large indeed 10, and the nature of the command structure of the
104
JNA, he explained, meant that this was not some thing that may be decided on some lower level .
He explained the unusual nature of what happened when the JNA withdrew by explaining that had
he been withdrawing an army and leaving the arms behind he would have been held “personally
accountable for the misuse of the equipment a nd for the failure to look after it properly” 105. He did
explain that in itself it was not illogical for Bosnia n Serbs to stay behind in Bosnia, after Bosnia
became independent, and to apply for a job in the local army. His answer caused quite some smiles
on the faces of the counsel for the Respondent, but he did not actually give reason for that: he did
not say that it was a normal thing to stay behind and to apply for a job in a secessionist army, an
army which would oppose the legitimate Government of the State. On the contrary, and more
10CR 2006/23, p. 13.
10CR 2006/23, p. 27.
104
CR 2006/23, pp. 11-12.
10CR 2006/23, p. 39. - 49 -
importantly, he did say that it was “most unusual” to be employed by two armies at the same time:
106
the Bosnian Serb army and the Yugoslav army .
15. Further, in the context of this being “unusual” that one officer would be an employee of
two armies at the same time, General Dannatt anal ysed the position of two of the officers, who
were in this “unusual” position, General Krsti ć and General Pandurevi ć, and he analysed them
merely as examples of two-hatted military officers whose ultimate superior was the Yugoslav army
through the 30th Personnel Centre 107. We do want to remind the Court that these two are only
examples, examples of a widespread phenomenon: according to Mr.Lili ć ⎯ who was at the time
President of the FRY, who did testify in the Milošević case at the ICTY ⎯ there were around
108
1,800 officers within the VRS who were actually officers within the Yugoslav army .
16. With respect to the issue of “joint oper ations”, General Dannatt made it perfectly clear
that the type of joint operations which we have be en presenting to the Court, with participation of
army units and paramilitary units from all three Serb entities, are only possible on the basis of a
commonly designed and commonly accepted decision-making process 10.
17. Bosnia and Herzegovina finds that General Dannatt, based on his own experience, on his
knowledge and his insight, confirmed the reasons why, in the 1990s, the Security Council of the
United Nations in many subsequent resolutions pointed at Belgrade as the main perpetrator of what
was happening in Bosnia. He confirmed ⎯ from his own perspective ⎯ that this Court in its two
Orders of 1993 rightly told the Respondent to, in brief, refrain from any support to forces in Bosnia
and Herzegovina who would commit genocide, and he confirmed that Bosnia and Herzegovina is
right in taking the position that it is Belgrade, i.e., the Respondent, who is the first and most
important responsible party in the issues at stak e in our case. We will refer back to General
Dannatt’s testimony during the course of our pleading. This brings me to Mr. Lukić.
106CR 2006/23, p. 19.
107
CR 2006/23, pp. 27-28.
108
ICTY, Prosecutor v. Slobodan Milošević, case No. IT-02-54, transcript 17 June 2003, p. 22591. Available at
www.un.org/icty/transe54/030617IT.htm.
109CR 2006/23, pp. 29-34. - 50 -
Mr. Vladimir Lukić
VMla.iukiri ć, the first witness called by Serbia and Montenegro ⎯ he used to be
part of the Republika Srpska leadership during most of the period relevant to our case. In his
witness statement he did not exactly hide his ba ckground as Prime Minister of Republika Srpska
from January 1993 to August1994. He talked and talked accordingly, he covered many issues in
rather general terms. He was never very specif ic and never sought to provide support for his
statements in any additional evidence. Also, he never added anything to the propaganda which
Bosnia and Herzegovina has heard for too long: he only repeated it. Besides that, he never added
anything substantive to what the Respondent had already told the Court. In effect, he was pleading
on behalf of the Respondent, albeit rather repetitively. In doing so, he also appeared to be mixing
personal observations with things that he h eard at the time, with rumours with unspecified
information which he may have received. Never did it become clear what exactly his personal role
has been in the decision-making process. Maybe this is not surprising since the Respondent has
stated several times that, if anyone would need to be blamed for Bosnia’s allegations in this case, it
should be Republika Srpska. Obviously, the Bosnian Serb leaders who came here to testify could
not see this as an invitation to be very candid about the roles they personally played at the time.
19. The allegations by Mr.Luki ć regarding a massacre of Serb civilians in Pofali ći and the
110
expulsion of 6,000 Serb civilians which he claims to have pers onally witnessed seems to be no
more than an unsupported piece of hearsay. In any event, the Applicant, who has its governmental
seat almost next door in Sarajevo, does not recognize any of the facts related in this story.
111
20. Very telling was Mr. Luki ć’s recounting of what he called the “liberation” of Trnovo .
In this respect we would like to recall to the Court that the 1991 census showed that the
municipality of Trnovo had a mixed population, with a clear Muslim majority of 69.2percent.
This municipality was taken over by the Respondent and ethnically cleansed. “Liberated” is what
this witness talks about 112. After Dayton, the municipality was split up in a federation and a
Republika Srpska part. Part of the Muslim popul ation returned; however, no longer in an
11CR 2006/24, pp. 18-19.
11Ibidem, p. 16.
112
See ICTY, Prosecutor v. Slobodan Milošević, case No. IT-02-54, Ethnic composition, internally displaced
persons and refugees from 47 municipalities of Bosnia and Herzegovina, 1991 to 1997-98, Expert Report by Ewa Tabeau
c.s., Ann. A1, 4 April 2003, pp. 69-84. - 51 -
ethnically mixed municipality, but in an ethnically so-called “pure” part of it. “Liberated” is what
Mr. Lukić talked about.
21. Further, Mr. Lukić demonstrated a total lack of credibility when trying to make the Court
believe that he was unaware of the existence of the Six Strategic Goals. These were official
Republika Srpska policy; these were published in its Gazette; these were goals which formed the
heart of the plan that the Bosnian Serbs were implementing, and it seems just incredulous that the
then Prime Minister would not know about that.
22. His statement that he could not remember establishing a Commission for International
Law is highly unlikely, given the task of this Commission, which task was formulated in an official
decision signed by Mr. Lukić and published in the Republika Srpska Gazette. I quote only part of
the task list of the Commission: the entire document is in the judges’ folder. The task was:
“⎯ preparation of the lawsuit on committed genocide over members of Serb people;
⎯ participation in the work of competent bo dies on preparing reply to the lawsuit on
alleged genocide which was committed by the Federal Republic of Yugoslavia;
⎯ co-operation with legal experts from FR Yugoslavia in the proceedings that was
initiated before the International Court of Justice in The Hague and in possible
future proceedings;
⎯ co-operation with respectable legal in stitutions and prominent experts in the
World” 11.
When Mr.Lukić, during his testimony, was confronted with these goals for this Commission, he
114
firmly stated: “That is not true; that is absolutely untrue.” And next he claimed he had not
heard about Bosnia’s case, about this case before the International Court of Justice. He had not
115
heard about it “during the entire period of the war, nor did I hear about it in Dayton” . And he
added: “Had we known about that application, I guarantee you [I guarantee you] that we would
116
have conducted ourselves differently in Dayton.”
23. Either Mr. Lukić is plainly not telling the truth or, which is maybe much more likely, his
recounting demonstrates that in Dayton Mr.Luki ć did not have anything to say whatever. In
11Official Gazette of the Republika Srpska, No. 6, 20 May 1993, p. 265, Article 2.
11CR 2006/24, p. 29.
115
Ibidem.
11Ibidem, p. 30. - 52 -
Dayton Mr.Milošević was in charge and Luki ć’s role, as a member of the delegation to Dayton,
was just that of a figurehead. In any event, it isfor sure that Bosnia’s case, including two public
hearings and including two Orders from this Court, did not go unnoticed at that time in the region.
And also, it is a well-known fact that Milošević did put this case during each and every negotiation
about peace ⎯ including the one in Dayton ⎯ as a number one item on the agenda, requesting its
unconditional and immediate withdrawal; and as I said Milošević did the same in Dayton.
Mr. Vitomir Popović
VMtP..irovi ć, the second witness of the Respondent, placed himself squarely in
the category in which Mr. Lukić found himself: that of totally unreliable witnesses.
25. Although Mr.Popovi ć had had various positions in Republika Srpska, including that of
Deputy Prime Minister, he was never, like Mr. Lukić, specific on any topic during his statement.
26. He repeated the well-known position of Republika Srpska and of the Respondent about
the differences of opinion with respect to the Vance-Owen Plan which, as we know, in the end was
rejected by Republika Srpska. Although there is reason to have doubts about the accounts that both
the Respondent and Republika Srpska, including Mr.Popovi ć, have given about those particular
so-called differences of opinion, for our case it is only relevant whether the Respondent’s role did
or did not change after May1993, as the Respondent claims. And on this point Mr.Popovi ć
suffered from a bad memory or just plain lack of knowledge. He claimed that humanitarian aid
was “reduced to a minimum”, but then it appear ed that he did not include financial aid nor
financing of the Officers Corps of the Bosnian Serb army in this explanation of his. The latter, as
he said ⎯ the person who was Prime Minister at the time ⎯ took place outside the “sector of
which [he] was in charge”; he added that he never saw information about it 117. This is totally
incredible, since we have shown that 90 per cent of the budget of Republika Srpska was covered by
Belgrade, a fact of which the Deputy Prime Minister must have been aware. The same is true for
the payment of 1,800 officers of the Bosnian Serb armed forces; this is not something that goes
unnoticed for someone in such a position. The same is also true for the Agreement of May1994
11CR 2006/25, p. 16. - 53 -
between the three national banks of the three Serb entities, which Agreement subordinated
Republika Srpska’s main financial institutions to the National Bank of Yugoslavia.
27. Like Mr.Luki ć, Mr.Popović also claimed, entirely incredibly so, to be unaware of the
Six Strategic Goals, the centrepiece of Republika Srpska’s publicly adopted policy.
Po2r..vi ć did remember the Commission for International Law. This may be
explained by the fact that he was the President of that Commission. But, Mr. Popovi ć appeared to
have more trouble remembering the specific task of this Commission, which ⎯ as we know by
now ⎯ was mainly related to helping the Respondent to put together a defence in the current case
before this Court. Mr. Popović thought that this Commission ⎯ of which he was the President ⎯
had to do with the application of the provisions of the European Convention for the Protection of
Human Rights, but he did not further specify what this could have entailed. And also in this
context, he remembered something about the housing problems of JNA officers who left the
118
territory of Republika Srpska . When pressed about this issue, Mr. Popovi ć added to the tasks of
the Commission, which he seemed to remember , “the crimes committed against the Serb
119
population in the territory of th e former Bosnia and Herzegovina” . We would like to draw the
attention of the Court to this peculiar statement. Not so much because it is clearly not true, but
rather because the witne ss speaks here about the former Bosnia and Herzegovina. If this reflects
his mindset at the time, it is telling; if it reflects his current mindset it is also worrying, since he
has currently the position of Ombudsman for Bosnia and Herzegovina.
General Sir Michael Rose
29. Other than General Dannatt, General Rose a ppeared as a witness before this Court. He
gave a peculiar twist to his appearance by, at the beginning of his testimony, stating: “I do not
120
regard myself as other than a witness of the Court.” In doing so, the witness explicitly distanced
himself from the decision that this Court had taken, and which was conveyed to the Parties through
the letter of the Registrar of 15 November 2005 (124553) that the Court would at this stage not use
its authority under Article62, paragraph2, of the Ru les of Court to call so-called court witnesses.
11CR 2006/25, p. 16.
11CR 2006/26, p. 18.
120
CR 2006/26, p.10. - 54 -
This decision of the Court, Madam President, as you recall, was reached after Bosnia and
Herzegovina had objected to the Respondent’s pr oposal, that the Court would use the mentioned
authority immediately, which authority would ⎯ according to that proposal ⎯ include
General Rose. Given the fact that General Rose desired to exclusively be seen as “a witness of the
Court”, actually the Respondent should have withdrawn the witness from the list to begin with.
30. During his testimony, General Rose repeated his view that he defined the period 1992 to
1995 in Bosnia and Herzegovina as a civil war. Earlier today we have set out that this definition as
such is not relevant for what is at stake in the present case. More importantly, GeneralRose did
confirm that there was no even-han dedness here. He stated that “[o]f course the military forces
under the command of General Mladi ć were by far and away the grea test perpetrators of atrocities
during that civil war” 121. He also confirmed that the Bosn ian Government army included members
of all the ethnic groups and that it was not exclus ively a Muslim army, “[s]o it was more correct to
call them the Bosnian Government Forces.” 122 He also reconfirmed his testimony at the ICTY that
123
“[t]he Serbs could never be described as p eace mongers. They were the aggressors.” Moreover
he confirmed the view which he had expres sed in his book earlier, that there was ⎯ amidst this
civil war ⎯ one side only who committed genocide, “it was the Pale régime that was committing
124
genocide” is what he said . The Respondent will need to clar ify its position in the second round
of its pleadings, which repeatedly included that no genocide at all occurred.
31. General Rose affirmed, from his personal observations, that “material support was being
given in terms of fuel, ammunition, reinforcements of soldiers being recruited ‘voluntarily’ to fight
125
for the army of Republika Srpska in Serbia” . He also confirmed Mladi ć’s regular visits to
Belgrade and explained that through Belgrade he could achieve things which he could not achieve
through Pale 126. He stipulated that there was no formal military command arrangement and that the
Bosnian Serbs “were not under full command in a way that one would get in a coalition of
12CR 2006/26, p. 11.
12CR 2006/26, p. 24.
123
CR2006/26, p. 29. See also ICTY, Prosecutor v. Stanislav Gali ć, case No. IT-98-29, transcript of
20 June 2000, p. 10265, available at www.un.org/icty/transe29/020620ED.htm.
124
CR 2006/26, p. 34.
12CR 2006/26, p. 13.
12CR 2006/26, pp. 13, 28. - 55 -
forces” 12. When asked by JudgeOwada about the sour ces of these observations, he stated as
follows:
w“ast an inference drawn from the impressions that I had gained during that
time. There was no concrete evidence one wa y or the other, but having lived in the
military for the whole of my career, I have an understanding of formal military
command relationships and my view was that they did not exist between those two
organizations.” 128 (Emphasis added.)
32. Here, Madam President, General Rose demonstrated an important difference between his
testimony and the expert statement given to this Court by GeneralDannatt. GeneralRose’s
statement is, as he said, entirely based on his own impressions and his own military experience.
General Dannatt brought a lot more background with him with respect to the theoretical knowledge
about armies in general, and he has an extensive experience, as well as a much broader field of
responsibility than GeneralRose has covered in his career. On top of that, and not unimportantly
so, while GeneralRose declared that “[t]here was no concrete evidence one way or the other”,
GeneralDannatt had, before giving his expert testimony, extensively studied numerous, publicly
available, military reports and related documents of the ICTY.
33. At the end of his witness statement, Gene ral Rose left the domain of witnesses and he
offered his personal views on the present case. Th e view he gave is not unfamiliar to Bosnia and
Herzegovina. That the view is not correct and does not do justice to the very purpose of this case
nor, for that matter, the very purpose of obtaining judgments from this Court, all of that has been
dealt with by Professor Franck in the first round of our pleadings 12. General Rose’s views do not
provide for any reason to change Bosnia and Herzegovina’s firm conviction and firm commitment
with respect to this matter.
Mr. Jean-Paul Sardon
34. The Respondent had submitted to the Cour t a very brief outline of what Mr.Sardon
would be talking about. His presentation was th e opposite. At extremely high speed, Mr. Sardon
read a very lengthy statement of a highly technical nature, which did not leave much room for
12CR 2006/26, p. 13.
12CR 2006/26, p. 33.
129
CR 2006/11, Professor Franck. - 56 -
effective cross-examination. Since we will be dealing with Mr.Sardon’s topic later on this week,
for now I only have a few observations to make with respect to his testimony.
35. Clearly, Mr.Sardon had restricted himself to extensive observations with respect to the
reports produced by the specialists of the ICTY. He stressed that he had never done any research
130
himself and he acknowledged that he had never test ed his views with the authors of the ICTY
reports. Apart from that, he did not offer any al ternative for the approach and methodology used
by the ICTY researchers, let alone that he produced alternative findings based on thorough
research.
36. Seen from this perspective, the Applicant is of the opinion that Mr. Sardon’s presentation
cannot be considered to be an effective contributi on to the debate we are engaged in in the current
case.
Mr. Dušan Mihajlović
MMir.a.jlovi ć, who was called as a witness, positioned himself as an outsider and at the
same time as an insider. An outsider, because he did not hold any official office in the Government
of Serbia during the period relevant to our case, an d at the same time he claimed to be an insider,
since his party was part of the Government of the Republic of Serbia from 1993 to 1997.
38. The insider Mihajlovi ć cannot be seen as a reliable witness, since his party was part of
the authorities that are responsible for the very acts of genocide, for which we hold the Respondent
responsible in our case. And as an outsider witness, he is not reliable, since as an outsider he could
not have knowledge from the inside.
39. The outsider status he demonstrated perfect ly well by claiming that the events in Bosnia
and Herzegovina were not discussed by th e Government of the Republic of Serbia 131. This
statement is entirely not credible: at the time, the Federal Republic of Yugoslavia, of which Serbia
was the predominant entity, was under United Nati ons sanctions and all sorts of other pressure
from the outside. The FRY was told by this Cour t in two consecutive Orders to, in short, ensure
132
that no genocide in Bosnia would take place by persons or entities under its control . There can
13CR 2006/26, p. 36.
13CR 2006/27, p. 13.
132
Provisional Measures, Order of 8 April 1993, I.C.J. Reports 1993, p. 3, para. 52 (A) 2. - 57 -
just be no question of the authorities of the Republic of Serbia not discussing the situation in
133
Bosnia and Herzegovina at the time ; if his statement were to be held for true, which it certainly
is not, he did not provide for any explanation for his “knowing” that only occasionally
humanitarian help was given to the Bosnian Serbs in Bosnia and Herzegovina.
40. In general his outsider status was confirmed by the fact that he was not ever aware of
information on joint military operations conducted by the FRY in co-operation with the armed
forces of Republika Srpska and Republika Srpska Krajina 13. The same is true for his not having
135
any information about payment and supplies provided by the FRY to Republika Srpska .
A4ct.ail.a,jlovi ć made only one interesting observation:
“On 5 October we brought down Mr.Miloševi ć, but we did not change the
system; we inherited the criminal legacy of the Milošević era and Mr. Legija was part
136
of that criminal legacy that we did not manage so quickly to get rid of.”
Mer..a,jlovi ć first defines the Miloševi ć era as criminal, and actually the Agent
of Serbia and Montenegro did the same during his pleadings 13. During his entire witness
statement Mr.Mihajlović has not provided for any indication, that the period relevant to our case
(the end of the 1980s through 1995) would be excluded from this definition. So, Bosnia and
Herzegovina wholeheartedly agrees with Mr. Mihajlović on this point.
SecoMMdl.a,jlovi ć confirms that “Legija was part of that criminal legacy”. Also, here
Bosnia and Herzegovina wholeheartedly agrees with the witness. We have demonstrated that
Legija was Arkan’s second in line, that he was part of the Serbian Ministry of the Interior and that
138
he was involved in armed violence in Bosnia and Herzegovina on various occasions .
MMir.jlovi ć is emblematic for the approach of the representatives of Serbia and
Montenegro in this case and, for that matter, also for the approach of the Council of Ministers of
Serbia and Montenegro: they all talk about the Miloševi ć era in terms of a criminal régime 13, but
13CR 2006/27, p. 12.
13CR 2006/27, p. 19.
135
CR 2006/27, p. 19.
13CR 2006/27, p. 23.
13CR 2006/12, p. 12, para. 11; p.13 ; para. 15; p.15, para. 23 ; CR 2006/21, p. 40, para. 40.
138
CR 2006/8, p. 53, para. 56 (Mr. van den Biesen).
13CR 2006/11, pp. 10-11, paras. 2-4 (Prof. Condorelli). - 58 -
when asked about this criminality or when ⎯ as in this case ⎯ this criminality is to have legal
consequences, they easily change to a postur e that no crimes were committed whatsoever.
Mr. Mihajlović, in doing so, acted not as a true witness, but rather as a true advocate of the
Respondent.
Mr. Vladimir Milićević
MMili.. ćević, who was also a witness, ran a camp in Mitrovo Polje in Serbia from
August 1995 until February 1996. The camp was ca lled a “reception centre” and he described his
140
guests as “poorly educated”, “in a very poor psychological state” and “starving for a long time” .
These guests were actually refugees who fled from the hell of Srebrenica and Žepa in July 1995.
141
MMi4i.. ćević suggested first that the men were between 18 and 55 years of age , but
admitted later on that among them were also boys under the age of 18. According to his statement,
these boys had been couriers in the brigade in which they, according to the witness, had been
142
serving .
MM4ii.. ćević on the one hand suggested that he was well aware of all details with
respect to the people in his centre, but when as ked to make a connection between the refugees and
the horrors in Srebrenica and Žepa he restricted himself to state:
“Well, from conversations with them, it was learned that they had crossed over
unlawfully to the territory of Yugoslavia and that they had left the territory of Bosnia
143
and Herzegovina, where war was raging.”
When pressed on the connection between what exactly happened in Srebrenica and Žepa and his
refugees, he added: “No, it was not actually my duty to establish any such connection.” 144
Madam President, Members of the Court, this is A ugust 1995, the takeover of Srebrenica is at the
centre of media attention. The news about the massacres is spreading. Mr. Milićević, according to
his statement, received exhausted, starved people who were in a poor psychological and physical
state. These people told him where they came from and that they had crossed the river.
140
CR 2006/28, p. 11.
141
CR 2006/28, p. 10.
14CR 2006/28, p. 16.
143
CR 2006/28, p. 17.
144
Ibidem. - 59 -
Mr. Milićević claims to know exactly from which military brigade the men were coming, but he
denies any notion about the events that made them flee and made them ⎯ yes, this is what he
knows, “unlawfully” ⎯ swim across the river.
47. Whatever point the Respondent has been tr ying to make with calling this witness, his
statements are just too unreliable to support any relevant point.
Mr. Dragoljb Mićunović
MMi4.. ćunović was a colleague of the present Agent of the Respondent in founding the
Democratic Party. As did his colleague, he st ressed the anti-war approach of the democratic
opposition and he repeatedly stressed his, and his party’s, opposition against the Milošević régime.
At the same time, he never specified what it wa s exactly that this democratic opposition was
opposing during the years relevant to our case.
MM4i9.. ćunović describes all sorts of political conf erences and he offered all sorts of
opinions on Mr.Tudjman, Mr.Izetbegovi ć and Mr.Miloševi ć, all of them being incapable
145 146
leaders ; he repeated the even-handedness approach of the Respondent and did ⎯ only in his
own words ⎯ repeat the pleadings of the Respondent. At no time did the witness appear to have a
concrete knowledge of the facts which are relevant here, relevant to our case. When asked about
military operations and about the existence of the 30th and 40th Personnel Centres in Belgrade he
declared not to have been aware of these items. Against this background it is in a way surprising
that this witness confirmed, unconditionally, that it was just reasonable to assume that the Federal
Republic of Yugoslavia continued to supply arms to the Bosnian Serbs 14.
50. Back in Belgrade from The Hague, Mr.Mi ćunović shared his experience in this Court
with several media and he reported that Bosnia’s charges are mostly meant as propaganda tools 148.
If anything, Madam President, this shows that this witness, in itself unde rstandably so, identifies
himself entirely with the Respondent’s position. He does not show any compassion for the victims,
145
CR 2006/29, p. 12.
14CR 2006/29, p. 14.
14CR 2006/29, p. 20.
148
“Chances of genocide case, ‘50-50’”, B92, 10 April 2006. Available at:
www.b92.net/english/news/index.php?nav_id=34401&style=headlines&dd=10&m…. - 60 -
nor does he show any sense of responsibility, no t even responsibility for former FRY leaders who
are, by his colleagues, characterized as a group of criminals.
Concluding remarks
Madam President, this ends my analysis of the hearings of experts, witnesses and
witness-experts. Whenever this may be useful, we will refer back to thei r testimonies during the
course of our further pleadings.
This, Madam President, ends our pleadings for today.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. van den Biesen. I just wish to confirm with the Agent,
Mr. Softić, that should Professor Franck wish to make a start, in spite of the lateness of the hour on
the clock, the Court would be prepared to sit a little late. So the choice is for you.
Mr. van den BIESEN: We have discussed this , Madam President, and thank you very much
for offering this again to us, but we thought that we were, sort of, “shovelled” already a little bit too
much and would prefer that Professor Franck start off tomorrow.
The PRESIDENT: The Court now rises and will resume at 10 o’clock tomorrow.
The Court rose at 5.55 p.m.
___________
Audience publique tenue le mardi 18 avril 2006, à 15 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de Mme Higgins, président