CR 2005/11
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THAEGUE
ANNÉE 2005
Audience publique
tenue le vendredi 22 avril 2005, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Shi, président,
en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(République démocratique du Congo c. Ouganda)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2005
Public sitting
held on Friday 22 April 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Shi presiding,
in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo
(Democratic Republic of the Congo v. Uganda)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : M. Shi,président
Ricepra,ident
KorMoMa.
Vereshchetin
Higgimse
Parra-A.anguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Ajbresam,
VerhoMev.en,
jugetseka, ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Presienit
Vice-Presideetva
Judges Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Judges ad hoc Verhoeven
Kateka
Registrar Couvreur
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République du Congo est représenté par :
S. Exc. M. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, ministre de la justice et garde des sceaux de la
République démocratique du Congo,
comme chef de la délégation;
S.Exc. M.Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeu r extraordinaire et plénipotentiaire auprès du
Royaume des Pays-Bas,
coagment;
M. Tshibangu Kalala, avocat aux barreaux de Kinshasa et de Bruxelles,
comme coagent et avocat;
M. Olivier Corten, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles,
M. Pierre Klein, professeur de droit internationa l, directeur du centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,
M. Jean Salmon, professeur émérite à l’Université lib re de Bruxelles, membre de l’Institut de droit
international et de la Cour permanente d’arbitrage,
M. Philippe Sands, Q.C., professeur de droit, dire cteur du Centre for International Courts and
Tribunals, University College London,
comme conseils et avocats;
M. Ilunga Lwanza, directeur de cabinet adjoint et conseiller juridique au cabinet du ministre de la
justice et garde des sceaux,
M. Yambu A Ngoyi, conseiller principal à la vice-présidence de la République,
M. Mutumbe Mbuya, conseiller juridique au cabinet du ministre de la justice,
M. Victor Musompo Kasongo, secrétaire particulier du ministre de la justice et garde des sceaux,
M. Nsingi-zi-Mayemba, premier conseiller d’am bassade de la République démocratique du Congo
auprès du Royaume des Pays-Bas,
Mme Marceline Masele, deuxième conseillère d’ ambassade de la République démocratique du
Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,
commceonseillers;
M. Mbambu wa Cizubu, avocat au barreau de Kinshasa (cabinet Tshibangu et associés),
M. François Dubuisson, chargé d’enseignement à l’Université libre de Bruxelles,
M. Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles, - 5 -
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
His Excellency Mr. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, Minister of Jus tice, Keeper of the Seals of
the Democratic Republic of the Congo,
as Head of Delegation;
His Excellency Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Amb assador Extraordinary and Plenipotentiary
to the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
Maître Tshibangu Kalala, member of the Kinshasa and Brussels Bars,
as Co-Agent and Advocate;
Mr. Olivier Corten, Professor of International Law, Université libre de Bruxelles,
Mr. Pierre Klein, Professor of International Law, Director of the Centre for International Law,
Université libre de Bruxelles,
Mr. Jean Salmon, Professor Emeritus, Université libre de Bruxelles, member of the Institut de droit
international and of the Permanent Court of Arbitration,
Mr. Philippe Sands, Q.C., Professor of Law, Director of the Centre for International Courts and
Tribunals, University College London,
as Counsel and Advocates;
Maître Ilunga Lwanza, Deputy Directeur de cabinet and Legal Adviser, cabinet of the Minister of
Justice, Keeper of the Seals,
Mr. Yambu A. Ngoyi, Chief Adviser to the Vice-Presidency of the Republic,
Mr. Mutumbe Mbuya, Legal Adviser, cabinet of the Minister of Justice,
Mr. Victor Musompo Kasongo, Private Secretary to the Minister of Justice, Keeper of the Seals,
Mr. Nsingi-zi-Mayemba, First Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,
Ms Marceline Masele, Second Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,
as Advisers;
Maître Mbambu wa Cizubu, member of the Kinshasa Bar (law firm of Tshibangu and Partners),
Mr. François Dubuisson, Lecturer, Université libre de Bruxelles,
Maître Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar, - 6 -
Mme Anne Lagerwall, assistante à l’Université libre de Bruxelles,
Mme Anjolie Singh, assistante à l’University College London, membre du barreau de l’Inde,
comme assistants.
Le Gouvernement de l’Ouganda est représenté par :
S. Exc. E. Khiddu Makubuya, S.C., M.P., Attorney General de la République de l’Ouganda,
comme agent, conseil et avocat;
M. Lucian Tibaruha, Solicitor General de la République de l’Ouganda,
comme coagent, conseil et avocat;
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre du barreau d’Angleterre, membre de la
Commission du droit international, professeur émérite de droit international public à
l’Université d’Oxford et ancien titulaire de la chaire Chichele , membre de l’Institut de droit
international,
M. Paul S. Reichler, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., avocat à la Cour
suprême des Etats-Unis, membre du barreau du district de Columbia,
M. Eric Suy, professeur émérite à l’Université cat holique de Leuven, ancien Secrétaire général
adjoint et conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies, membre de l’Institut de droit
international,
S. Exc. l’honorable Amama Mbabazi, ministre de la défense de la République de l’Ouganda,
M. Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), général de division, inspecteur général de la police de la
République de l’Ouganda,
comme conseils et avocats;
M. Theodore Christakis, professeur de droit in ternational à l’Université de Grenoble II
(Pierre Mendès France),
M. Lawrence H. Martin, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., membre du
barreau du district de Columbia,
commceonseils;
M. Timothy Kanyogongya, capitaine des forces de défense du peuple ougandais,
comme conseiller. - 7 -
Ms Anne Lagerwall, Assistant, Université libre de Bruxelles,
Ms Anjolie Singh, Assistant, University College London, member of the Indian Bar,
as Assistants.
The Government of Uganda is represented by:
H.E. the Honourable Mr. E. Khiddu Makubuya S.C., M.P., Attorney General of the Republic of
Uganda,
as Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Lucian Tibaruha, Solicitor General of the Republic of Uganda,
as Co-Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Ian Brownlie, C.B.E, Q.C., F.B.A., member of the English Bar, member of the International
Law Commission, Emeritus Chichele Professor of Public International Law, University of
Oxford, member of the Institut de droit international,
Mr. Paul S. Reichler, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the United States
Supreme Court, member of the Bar of the District of Columbia,
Mr. Eric Suy, Emeritus Professor, Catholic University of Leuven, former Under Secretary-General
and Legal Counsel of the United Nations, member of the Institut de droit international,
H.E. the Honourable Amama Mbabazi, Minister of Defence of the Republic of Uganda,
Major General Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), Inspector General of Police of the Republic
of Uganda,
as Counsel and Advocates;
Mr. Theodore Christakis, Professor of International Law, University of Grenoble II (Pierre Mendes
France),
Mr. Lawrence H. Martin, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the District of
Columbia,
as Counsel;
Captain Timothy Kanyogonya, Uganda People’s Defence Forces,
as Adviser. - 8 -
The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets today to hear the
final part of the first round of the oral argume nt of the Democratic Republic of the Congo with
respect to the counter-claims of Uganda. Thus I shall now give the floor to Professor Klein.
M. KLEIN : Merci, Monsieur le président.
L A PREMIÈRE DEMANDE RECONVENTIONNELLE OUGANDAISE ,EN CE QU ’ELLE CONCERNE
LA PÉRIODE ANTÉRIEURE À L ARRIVÉE AU POUVOIR DU PRÉSIDENT K ABILA ,
EST IRRECEVABLE ET , SUBSIDIAIREMENT , NON FONDÉE
1. Monsieur le président, Madame et Messieu rs les Membres de la Cour, la réponse de la
République démocratique du Congo aux demandes r econventionnelles de l’Ouganda se présentera
de la manière suivante :
⎯ le professeur Olivier Corten et moi-même traiterons de la première demande reconventionnelle
ougandaise, aux termes de laquelle le Congo aurait manqué à ses obligations internationales en
recourant à la force à l’encontre de l’Ouganda; je préciserai dans un instant la portée et l’objet
de chacune de ces plaidoiries;
⎯ la seconde demande reconven tionnelle ougandaise, selon laquelle le Congo se serait rendu
coupable de mauvais traitements à l’encontre de ressortissants ougandais à Kinshasa en
août1998 et se serait approprié certains bi ens ougandais sera traitée par le professeur
e
Jean Salmon et par M Tshibangu Kalala; à titre principal, le professeur Salmon montrera que
la façon dont cette demande a été initialement présentée, puis modifiée par l’Ouganda la rend
e
irrecevable; à titre subsidiaire, M Tshibangu Kalala exposera les raisons pour lesquelles cette
seconde demande est dépourvue de fondement.
2. La première demande rec onventionnelle ougandaise, relative au recours à la force qui
aurait été opéré à son encontre par le Congo, est formulée en des termes larges et couvre une
période assez étendue dans le temps. Les «exemple s» de recours à la force sur lesquels l’Ouganda
appuie sa demande s’étendent en effet de 1996 à 1999 1. Ce laps de temps couvre en fait trois
périodes distinctes, renvoyant à des situations de fa it et de droit totalement distinctes. Le Congo a
dès lors estimé nécessaire de traiter ces périodes séparément, même si la Partie adverse a semblé,
1Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 221-228, par. 387-408; duplique de l’Ouganda, p. 302-311, par. 655-674. - 9 -
dans ses plaidoiries sur les demandes reconventionn elles, estimer ce fractionnement inutile. La
première de ces périodes est celle de la fin du régime du maréchal Mobutu et court jusqu’en
mai1997, date de l’accession du président Lauren t-Désiré Kabila au pouvoir à Kinshasa. La
deuxième période va de mai 1997 au début août 1998, soit le terme durant lequel le président
Kabila a activement collaboré avec les autorités ougandaises en vue d’assurer la sécurité sur la
frontière commune. La troisième période est celle qui suit le déclenchement de la guerre, au mois
d’août1998. Le professeur Corten montrera tout à l’heure que la première demande
reconventionnelle ougandaise, en ce qu’elle concer ne ces deux dernières périodes, est entièrement
dépourvue de fondement. Pour ma part, je me concentrerai pour l’ instant sur la première de ces
périodes, en montrant à titre principal que cette pa rtie de la demande est irrecevable en raison du
fait que l’Ouganda doit être considéré comme y ayant renoncé. A titre subsidiaire, il sera établi que
cette demande n’est pas fondée, car aucun élément du dossier ne permet d’établir que le Zaïre a,
soit attaqué de façon directe l’Ouganda durant cette période, soit apporté un soutien à des groupes
rebelles qui se seraient livrés à des attaques contre le territoire ougandais à partir de bases situées
en territoire zaïrois. Mais avant d’entamer cette démonstration, il me faut, à titre préliminaire,
clarifier le fait que, contrairement à ce qu’a soutenu l’Ouganda, la République démocratique du
Congo est parfaitement habilitée à soulever, à ce stade de la procédure, des exceptions
préliminaires à l’encontre des demandes reconventionnelles présentées par la Partie adverse.
I. La République démocratique du Congo est fondée à soulever des exceptions préliminaires
à l’encontre des demandes reconventionnelles de l’Ouganda
3. Le principe même de la formulation d’exceptions préliminaires à l’encontre des demandes
2
acceptées comme reconventionnelles a été contesté par l’Ouganda lors de ses dernières plaidoiries .
Dans sa duplique, l’Etat défendeur a même jugé utile de qualifier la prétention du Congo en ce sens
d’«opinion bizarre et inacceptable sur l’appli cation des dispositions du Statut de la Cour»
(«unacceptable and bizarre opinion…on the application of provisions of the Statute of the
Court») 3. Il s’impose donc dans un premier temps de revenir sur cette question de principe et de
rappeler à l’Ouganda quelques concep ts procéduraux de base. La Cour elle-même s’est, il faut le
2
Plaidoirie de M. Suy, mercredi 20 avril 2005, CR 2005/10, p. 29, par. 17.
3Duplique de l’Ouganda, p. 284, par. 616. - 10 -
dire, employée à le faire de manière par ticulièrement pédagogique dans l’affaire des Plate-formes
pétrolières, où la question s’était posée dans les mêmes te rmes. Qu’il me soit donc permis de citer
intégralement l’extrait pertinent de l’arrêt du 6 novembre 2003 :
«La Cour estime qu’il est loisible à l’Iran, à ce stade de l’instance, de soulever
des exceptions à la compétence de la Cour pour connaître de la demande
reconventionnelle ou à la recevabilité de ce tte demande, autres que celles ayant fait
l’objet de l’ordonnance du 10 mars 1998. Lorsque, par cette ordonnance, la Cour a
statué sur la «recevabilité» de la demande reconventionnelle, il ne s’agissait pour elle,
à ce stade, que de vérifier s’il avait été satisfait aux exigences de l’article80 du
Règlement de la Cour, à savoir s’il existait une connexité directe entre cette demande
reconventionnelle et l’objet des demandes iraniennes et si … cette demande relevait de
la compétence de la Cour. L’ordonnance du 10 mars 1998 ne traite donc, en ce qui
concerne la compétence et la recevabilité, d’aucune question qui ne soit directement
liée à l’article 80 du Règlement… La Cour examinera donc maintenant les exceptions
à sa compétence pour connaître de la demande reconventionnelle et à la recevabilité de
4
cette demande présentées aujourd’hui par l’Iran.»
L’énoncé est parfaitement clair et n’appelle, je pense, aucun autre commentaire. La
République démocratique du Congo est ainsi pleine ment en droit de formuler des exceptions
préliminaires à l’encontre des demandes reconventionnelles ougandaises.
4. Toutefois, dans sa plaidoirie de mercredi, le professeur Suy a également ajouté que les
exceptions préliminaires congolaises ne pouvaient en t out état de cause être acceptées, car elles ne
répondraient pas aux prescriptions de l’article 79 du Règlement 5. Il en serait ainsi, semble-t-il, du
fait qu’elles n’auraient pas été formulées selon l es formes et dans les délais prescrits par cette
disposition. La République démocratique du C ongo éprouve à vrai dire quelque difficulté à
apprécier la portée de cette critique. Elle a en effet formulé les exceptions en cause dans sa
réplique, qui constitue indubitablement la première pièce écrite qui a suivi à la fois la présentation
des demandes reconventionnelles par l’Ouganda da ns son contre-mémoire , et l’ordonnance par
laquelle la Cour s’est prononcée sur la recevab ilité de ces demandes en tant que demandes
reconventionnelles. On voit donc assez mal à que l autre moment il aurait fallu formuler ces
exceptions. Ne pouvant se conformer littéralement à l’article 79, qui ne vise pas expressément la
présentation d’exceptions préliminaires à l’encont re de demandes reconventionnelles, le Congo a
fait une application scrupuleuse du prescrit de cette disposition, mutatis mutandis, à la situation à
4
Arrêt du 6 novembre 2003, p. 210, par. 105.
5Plaidoirie de M. Suy, mercredi 20 avril 2005, CR 2005/10, p. 30, par. 19. - 11 -
laquelle il était confronté. La République démo cratique du Congo a ainsi suivi exactement la
même ligne de conduite que l’Iran dans l’affaire des Plates-formes pétrolières. Aucun problème de
forme ne se pose donc en l’espèce.
Ces questions préliminaires étant réglées, qu’il me soit maintenant permis de développer
brièvement l’exception d’irrecevabilité formulée par la République démocratique du Congo à
l’encontre du premier volet de la première demande reconventionnelle ougandaise.
II. La première demande reconventionnelle ougandaise, en ce qu’elle concerne
la période antérieure à l’arrivée au pouvoir du président Kabila, est
irrecevable en raison du fait que l’Ouganda doit être considéré
comme y ayant renoncé
5. Monsieur le président, Madame et Messi eurs les Membres de la Cour, la première
demande reconventionnelle ougandaise, en ce qu’elle concerne la période antérieure à l’arrivée au
pouvoir du président Kabila, est irrecevable en raison du fait que l’Ouganda doit être considéré
comme y ayant renoncé. Aux termes de l’article 45, alinéa b) des articles sur la responsabilité des
Etats adoptés par la Commission du droit internati onal en 2001, «[l]a respon sabilité de l’Etat ne
peut pas être invoquée si … l’Etat lésé doit, en raison de son comportement, être considéré comme
ayant valablement acquiescé à l’abandon de la de mande». La Partie adverse s’oppose à cette
prétention en faisant valoir qu’une telle renonciation ne peut être établie de manière certaine, car
elle n’aurait jamais exprimé de façon claire son intention de ne pas donner suite aux protestations
qu’elle aurait élevées contre certains agissements du Zaïre, dans les derniers moments de la
présidence du maréchal Mobutu.
6. Les éléments qui ont conduit la Républi que démocratique du Congo à conclure que
l’Ouganda avait renoncé à mettre en cause la re sponsabilité internationale éventuelle du Congo
pour les faits remontant à cette période sont de deux ordres. D’une part, même au moment des faits
en question, l’Ouganda n’a jamais mis formellement en cause la responsabilité internationale du
Zaïre, et a encore moins fait part de sa volont é de mettre cette responsabilité formellement en
Œuvre. D’autre part, et en tout état de cau se, les relations qui se sont développées entre les
deux Etats à la suite de l’accession au pouvoir du président Kabila, et leur collaboration étroite, en
particulier en matière de sécurité, ont légitim ement donné à penser aux autorités congolaises qu’il - 12 -
était exclu que l’Ouganda entende revenir sur certains faits de la période concernée et tenter de
mettre en cause la responsabilité internationale du Congo à ce titre.
7. Quant au premier de ces points, il convien t tout d’abord de rappeler que l’Ouganda n’a
jamais produit, dans le cadre de la présente in stance, le moindre document confirmant ses dires
selon lesquels il aurait adressé des protestations directes au Zaïre en réaction au soutien
prétendument apporté par cet Etat à des group es rebelles ougandais, ou en raison de prétendues
attaques directement menées par l’armée zaïroise contre le territoire ougandais. Certes, comme l’a
indiqué le professeur Suy dans sa plaidoirie de merc redi, la diplomatie multilatérale offre d’autres
instruments, d’autres voies de communication par lesquelles de telles protestations peuvent être
6
formulées . Mais encore faut-il, pour ce qui nous intéresse ici, qu’une véritable plainte soit
formulée, qu’une véritable mise en cause de la responsabilité soit opérée par ce biais. Or, qu’en
est-il en l’espèce? Je reprendrai ici une seule des lettres adressées par l’Ouganda au Conseil de
sécurité en 1996, et sur laquelle la Partie adverse met particulièrement l’accent. Cette lettre est
accompagnée d’un communiqué, adressé au Conse il de sécurité pour l’information de ses
membres, qui vise, rappelons-le, à répondre à des allégations d’agression armée formulées plus tôt
par le Zaïre à l’encontre de l’Ouganda. Le passag e pertinent, dans lequel l’Ouganda fait état de la
présence de groupes rebelles en territoire zaïrois, se lit comme suit :
«Un exemple de ceci est le temps depui s lequel des dissidents ougandais vivent
au Zaïre en toute connaissance des autorités zaïroises. Ces dissidents ont tiré avantage
de cette situation et ont attaqué l’Ouganda à partir du territoire zaïrois. L’UPDF a
assumé ses responsabilités constitutionnelles de défense de l’Ouganda et a chassé
l’ennemi du territoire ougandais. Le Zaïre de vrait avoir le courage de reconnaître que
le problème qui se présente dans l’est du Zaïre est le résultat de ses propres politiques
d’oppression à l’égard d’une partie de sa population.»
[«An example of this is the time Ugan dan dissidents have been living in Zaire
with the full knowledge of the Zairian author ities. These have taken advantage of the
prevailing situation and attacked Uganda from Zairian territory. UPDF assumed its
constitutional responsibility of defending Uganda and flushed the enemy out of
Ugandan territory. Zaire should muster the courage and acknowledge the fact that the
problem within Eastern Zair7 is a result of its own oppressive policies against a
section of its citizenry.»]
6
Plaidoirie de M. Suy, mercredi 20 avril 2005, CR 2005/9, par. 22.
7Lettre du 12 décembre 1996, doc. S/1996/1038, duplique de l’Ouganda, annexe 10. - 13 -
C’est tout. On est bien loin ici d’une mise en cause formelle de la responsabilité du Zaïre, et plus
loin encore de la «notificati on» à laquelle on s’attend que procèd e un Etat lorsqu’il entend mettre
en Œuvre la responsabilité d’un autre, selon l’ article 43 des articles sur la responsabilité
internationale des Etats qui dispose que «[l]’Etat lésé qui invoque la responsabilité d’un autre Etat
notifie sa demande à cet Etat». Pourtant, les autres documents auxquels l’Ouganda fait référence
ne contiennent aucune formule qui va au-delà de celle que je viens d’évoquer 8. En l’absence de
protestations formelles initiales, donc, il était bien difficile pour les autorités zaïroises, puis
congolaises, d’imaginer que l’Ouganda entendait se réserver la possibilité de mettre en cause la
responsabilité de l’Etat zaïrois ou congolais pour ces faits. Mais plus encore, c’est l’évolution
ultérieure des relations entre les deux Etats qui va conduire le Congo à considérer que, s’il en avait
jamais eu l’intention, l’Ouganda avait en tout état de cause renoncé à toute mise en cause de la
responsabilité de la République démocratique du Congo pour de prétendues violations du droit
international remontant à la période de la présidence du maréchal Mobutu.
8. Il convient en effet de rappeler que, dès l’arrivée au pouvoir du président
Laurent-DésiréKabila, les relations entre le Congo et l’Ouganda ont été marquées par une très
étroite collaboration, en particulier dans le domaine de la sécu rité. Cette collaboration s’est
traduite, sur le plan formel, par la conclusion d’un accord portant sur l’entraînement, par
9
l’Ouganda, des membres de la police de la RDC et, de façon plus significative encore, par la
conclusion du protocole d’avril 1998 sur la coopérati on en vue d’assurer la sécurité sur la frontière
10
commune , auquel il a déjà été amplement fait référence dans le cadre de la présente procédure.
Cette collaboration s’est aussi manifestée très concrètement sur le terrain, avec la présence en
territoire congolais de troupes ougandaises et l’orga nisation d’actions militaires conjointes en vue
de sécuriser la zone frontalière. Comme le remar quait très justement M. Brownlie dans l’une de
ses plaidoiries de la semaine passée à propos de cette période, «[t]he evidence of the close
co-operation between the two States in the context of public order is palpable» 11. C’est
8Pour plus de détails, voir observations additionnelles du Congo, p. 10-14, par. 1.12-1.18.
9
Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 16.
10
Ibid., annexe 19.
11Plaidoirie de M. Brownlie, mardi 19 avril 2005, CR 2005/8, par. 19 - 14 -
précisément ce contexte de coopération internationale qui a conduit la République démocratique du
Congo à la conviction que l’Ouganda avait manifestement renoncé à toute intention de mettre en
cause la responsabilité du Congo pour les faits dont il est question ici, à supposer, je le répète, que
cette intention ait jamais existé au départ, ce qui est loin d’être avéré.
9. Il n’est donc nullement question ici de présumer une renonciation de l’Ouganda, ou de la
déduire du simple écoulement du temps, comme le professeur Suy semblait le laisser entendre
12
avant-hier . Bien plus que l’écoulement du temps, c’est le contexte des relations entre les
deux Etats qui a amené la République démocratique du Congo à cette conclusion. La renonciation
ne peut être présumée, c’est certain. Mais, tout comme le consentement, elle peut s’exprimer de
façon explicite ou implicite, du moment, dans ce dernier cas, qu’on puisse la considérer comme
certaine.
10. Le professeur Crawford, dans son troisième rapport sur la responsabilité des Etats, a
indiqué que le «facteur décisif» ⎯ce sont ses termes ⎯ qu’il convenait de prendre en
considération pour se prononcer sur la réalité de la renonciation à la présentation d’une réclamation
internationale était le fait que «l’intimé pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la réclamation
13
ne soit plus poursuivie» . N’est-ce pas exactement la situation dans laquelle s’est trouvé le Congo
en l’espèce? Pouvait-il raisonnablement s’attendr e à ce que l’Ouganda présente une réclamation
internationale contre lui pour des faits remontan t à la période Mobutu, alors même que l’Ouganda
n’avait jamais mis formellement en cause la responsabilité du Zaïre pour ces faits, au moment où
ils s’étaient prétendument produits? Le Congo pouvait-il raisonnablement s’attendre à ce que
l’Ouganda présente une réclamation internationale contre lui pour les faits en question alors que
l’Ouganda a expressément justifié être intervenu militairement au Zaïre en 1996-1997 au titre de la
légitime défense, en réaction aux attaques même s qui fonderaient mainte nant la réclamation
ougandaise? Les conseils de l’Ouganda ont certes nié ce dernier fait à plusieurs reprises dans le
cadre de la présente instance 1. Mais il suffit d’écouter le discours prononcé par le ministre des
affaires étrangères ougandais devant l’Assemblée générale des Nations Unies en mars 1999 pour
12
Plaidoirie de M. Suy, mercredi 20 avril 2005, CR 2005/10, par. 23.
13
Doc. A/CN.4/507/Add. 2, p. 16, par. 259.
14Plaidoirie de M. Reichler, vendredi 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 23 et 24, par. 24-27. - 15 -
comprendre que cette soudaine dénégation n’est gu ère crédible. Le nom du ministre en question
sera d’ailleurs sans doute familier aux membres de la Cour, puisqu’il s’agit de S. Exc. M. Amama
Mbabazi, devenu entre-temps ministre de la défe nse, que la Cour a entendu en début de cette
semaine. Fidèle à ce qui semble être devenu une tradition de modestie ougandaise lorsque l’on
évoque l’ampleur des recours à la force opérés pa r ce pays, M.Mbabazi attribuait il y a quelques
15
jours tous les mérites du renversement du pr ésident Mobutu à la seule armée rwandaise . Voici,
au contraire, ce qu’il déclarait à l’Assemblée générale en mars 1999 :
«Le Gouvernement de l’Ouganda a décidé d’agir en légitime défense, d’abord
en reprenant le territoire que ces éléments criminels [il s’agit des groupes rebelles
ougandais] avaient occupé puis en les poursu ivant au Zaïre, comme nous en avions
pleinement le droit en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Il
s’agissait d’un acte de légitime défense c ontre les rebelles basés en République
démocratique du Congo [en l’occurrence, il s’agissait plutôt du Zaïre], qui a été
entrepris avec un soutien régional et intern ational, et qui a ab outi à la chute du
16
président Mobutu. Le président Kabila était le résultat direct de ce processus.»
Ainsi donc, de son propre aveu, l’Ouganda a bel et bien, dès l’origine, appuyé militairement
le mouvement de Laurent-Désiré Kabila en vue de l’installer au pouvoir. S’il avait souhaité
formuler une réclamation pour des agissements qui avaient été le fait de l’ancien régime zaïrois, on
aurait pu s’attendre à ce que l’Ouganda adresse immédiatement semblable réclamation au nouveau
Gouvernement congolais. Il n’en a rien été.
11. Enfin, et par-dessus tout, le Congo, pouvait-il raisonnablement s’attendre à ce que
l’Ouganda présente une réclamation internationa le contre lui pour ces faits, alors que s’était
développée une coopération particulièrement étroite entre les deux Etats, précisément dans le
domaine de la sécurité, les autorités congolaises allant jusqu’à accueillir sur leur territoire des
contingents ougandais significatifs ? Comment les autorités congolaises auraient-elles pu suspecter
que cette politique de coopération active laissait intacte l’intention ⎯ soigneusement dissimulée ⎯
15Plaidoirie de M. Mbabazi, lundi 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 40, par. 16.
16NationsUnies, Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante-troisième session, 95 séance plénière,
23 mars 1999, doc. A/53/PV.95, contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 42, p. 14
(«The Uganda Government decided to act in self-defence by first recapturing the territory these
criminal elements had occupied and followed them in hot pursuit into Zaire, as we were fully empowered
to do under Article 51 of the United Nations Charter. It was an act of self-defence against the Democratic
Republic of the Congo-based rebels, which was undertaken with regional and international understanding
and support, that resulted in the fall of president Mobutu. President Kabila was a direct by-product of this
process.») - 16 -
de l’Ouganda de mettre en cause à tout moment la responsabilité de son nouveau partenaire pour
des actes prétendument commis des années auparavant ?
12. Tous les éléments convergent, on le voit bien, pour fonder la conviction ⎯ éminemment
raisonnable ⎯ des autorités congolaises selon laquelle l’Ouganda avait renoncé de manière
certaine à toute intention de mettre en cause la responsabilité du Congo pour les faits en question,
qui remontaient à la période Mobutu. La reconnaissance de la renonciation comme cause
d’irrecevabilité d’une réclamation internationale s’ explique avant tout par des considérations de
sécurité juridique et de stabilité des relations internat ionales. Il ne resterait rien de cet objectif si
l’on permettait à un Etat, qui n’a jamais formulé de réclamation claire à l’encontre d’un autre Etat
dans le passé, de présenter soudain une telle réclamation, portant qui plus est sur des questions à
propos desquelles ces Etats se sont entre-temps engagés dans des liens de coopération intense.
13. Ce sont tous ces éléments qui rendent aujourd’hui ce premier volet de la première
demande reconventionnelle ougandai se irrecevable, en raison du fait que l’Ouganda doit être
considéré comme y ayant renoncé de manière implic ite, mais certaine. Ce n’est donc qu’à titre
subsidiaire que je montrerai maintenant, dans un dernier temps, que la première demande
reconventionnelle ougandaise, en ce qu’elle concer ne la période antérieure à l’arrivée au pouvoir
du président Kabila, est dépourvue de fondement.
III. A titre subsidiaire, la première demande reconventionnelle ougandaise,
en ce qu’elle concerne la période antérieure à l’arrivée au pouvoir
du président Kabila, est dépourvue de fondement
14. Le traitement de cette question sera bref , car le principal constat auquel on se retrouve
confronté, lorsqu’on envisage cette première période, est que le débat judiciaire la concernant se
trouve au point mort. Dans sa plaidoirie d’ouverture, théoriquement consacrée à une synthèse des
preuves disponibles, l’Ouganda évoque, en tout et po ur tout, deux documents, les annexes 60 et 62
17
de son contre-mémoire . Et dans sa plaidoirie relative aux demandes reconventionnelles, le
professeur Suy renvoie pour sa part de façon très générale au contre-mémoire de l’Ouganda et à ses
18
annexes . La République démocratique du Congo a pour tant montré de manière détaillée dans sa
17
Plaidoirie de M. Reichler, vendredi 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 20 et 22, par. 15 et 20.
18Plaidoirie de M. Suy, mercredi 20 avril 2005, CR 2005/10, par. 5. - 17 -
réplique, déposée ⎯ rappelons-le ⎯ il y a maintenant près de trois ans, pourquoi ces documents,
élaborés unilatéralement par les services ougandais, ne satisfont pas aux exigences de la preuve
19
judiciaire . L’Ouganda a choisi de ne pas répondre à ces critiques dans sa duplique, ainsi que la
République démocratique du Congo n’a pas manqué de le souligner dans ses observations
20
additionnelles sur les demandes reconventionnelles .
15. Pourtant, au cours de la présente phase orale, l’Ouganda s’est contenté de citer à nouveau
ces documents sans jamais évoquer les critiques du C ongo, ni à fortiori y répondre. On ne peut
donc qu’espérer que la Partie adverse daignera, lo rs de son prochain tour de plaidoiries, apporter
une réponse à ces critiques. Pour rappel, les principaux griefs qui ont été articulés par la
République démocratique du Congo résident dans le fait que les seuls documents que l’Ouganda
présente comme preuve du soutien du Gouvernem ent zaïrois à des groupes rebelles ougandais, ou
comme preuve de l’implication des forces armées zaïroises dans l’activité de ces groupes,
consistent en des déclarations qui sont censées avoir été faites par d’anciens membres de l’ADF ou
d’autres mouvements rebelles captu rés par l’armée ougandaise ou s’étant rendus à celle-ci. Les
annexes 60 et 62 reprennent des doc uments établis en 2000. Ces documents ne sont pas signés, et
ne portent aucune indication (telle que des cachets, par exemple) qui permettraient de confirmer la
date de leur établissement. Leur contenu, en ce qui concerne les points dont l’Ouganda entend tirer
argument, est particulièrement vague.
16. Ainsi, les informations qui auraient été fournies par un déserteur de l’ADF, reprises dans
le document qui constitue l’annexe 60 du contre-mémoire, et que M. Reichler a particulièrement
mis en exergue dans la première de ses plaidoiries, se limitent à ce qui suit: «En 1996, durant la
période Mobutu, avant l’attaque de Mpondwe, l’ADF a reçu des armes du Gouvernement
soudanais avec l’aide du Gouvernement du Zaïre» 21. C’est là la seule référence quelconque, dans
ce document qui compte pas moins de quinzepa ges, à l’aide prétendument apportée par les
autorités zaïroises aux rebelles ougandais. Et c’est sur la foi d’informations aussi peu précises et
détaillées que celle-là, recueillie dans les circonsta nces que je viens de rappeler, que l’Ouganda a
19
Réplique du Congo, p. 193-197, par. 3.95-3.103; p. 359-362, par. 6.26-6.34.
20Observations additionnelles du Congo, p. 20, par 1.25; p. 23, par. 1.30.
21«In 1996 during Mobutu era before Mpondwe attack, ADF received several weapons from Sudan government
with the help of Zaire government.» (Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 60, p. 6.) - 18 -
formulé sa première demande reconventionnelle contre le Congo. Il convient sans doute de
rappeler à ce stade que ces quelques témoignages particulièrement succincts et imprécis ne sont pas
contemporains des faits qu’ils préte ndent rapporter. Il convient surtout de rappeler qu’ils ne sont
confirmés par absolument aucune autre source neutre et extérieure. Les témoins extérieurs de la
situation qui prévalait en Afrique centrale à l’automne 1996 sont d’ailleurs bien loin de conforter le
scénario ougandais d’attaques ourdies et menées par le Zaïre contre l’Ouganda durant cette période.
C’est tout le contraire dont ils font état, comme le montre par exemple cet extrait d’une lettre
adressée par le secrétaire d’Etat américain, M. WarrenChristopher, à son homologue zaïrois à la
fin de l’année 1996 : «Lorsque les troupes rwandaises sont entrées à Goma et à Bukavu en octobre,
et les troupes ougandaises sont entrées au Nord -Kivu en novembre, nous avons recommandé avec
22
insistance leur retrait immédiat pour éviter l’escalade du conflit.» C’est donc bien l’Ouganda qui
est présenté comme l’Etat qui attaque le Zaïre, et non l’inverse. Comme on l’a déjà signalé, c’est
d’ailleurs le Zaïre qui s’est plaint au Conseil de sécurité d’une attaque me née par l’Ouganda et non
l’inverse. Une fois encore, l’Ouganda cherche à réécrire l’histoire.
17. La première demande reconventionnelle ougandaise, en ce qu’elle concerne la période
antérieure à l’arrivée au pouvoir du président Kabila, s’avère donc totalement dépourvue de
fondement. Aucune preuve sérieuse n’est avancée par la Partie adverse à l’appui de ses allégations.
Les quelques documents qu’elle a pr oduits à cette fin en annexe à ses écritures ne paraissent pas
rencontrer les exigences minimales de fiabilité atte ndues de preuves de ce type. Leur contenu est
imprécis. Et surtout, il n’est confirmé par absolument aucune source extérieure et neutre. C’est
pour ces raisons que, si la Cour devait néanmoins estimer cette première partie de la demande
recevable, la République démocratique du Congo lui demande de la déclarer non fondée.
Comme mon collègue le professeur Olivier Corten vous le montrera maintenant, le première
demande reconventionnelle ougandaise est tout aussi dépourvue de fondement en ce qui concerne
les deux périodes suivantes, qui débutent respectivement avec l’arrivée au pouvoir du
président Kabila et avec le déclenchement de la guerre, au mois d’août 1998. Je vous demanderai
22
Réplique du Congo, annexe 101. - 19 -
donc, Monsieur le président, de bien vouloir passer la parole au professeur Corten. Je remercie la
Cour pour son attention.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Klein. I now give the floor to Professor Corten.
M. CORTEN : Je vous remercie, Monsieur le président.
L A PREMIÈRE DEMANDE RECONVENTIONNELLE EST DÉPOURVUE DE FONDEMENT EN CE
QUI CONCERNE LES DEUX PÉRIODES POSTÉRIEURES À L ’ARRIVÉE AU POUVOIR DU
PRÉSIDENT K ABILA :CELLE QUI PRÉCÈDE PUIS CELLE QUI SUIT LE
DÉCLENCHEMENT DE LA GUERRE EN AOÛT 1998
1. Comme le professeur Klein vient de vous le signaler, il me revient maintenant de traiter
des deux autres périodes couvertes par la première demande reconventionnelle présentée par
l’Ouganda. D’une part, la période qui a commencé avec la prise de pouvoir du président Kabila, en
mai1997, pour se terminer au début de l’agression armée perpétrée par l’Ouganda, au début du
mois d’août1998. D’autre part, la période posté rieure au début du mois d’août 1998, soit celle
pendant laquelle la RDC s’est trouvée en situation de légitime défense. J’aborderai successivement
ces deux périodes dans la suite de cette plaidoirie.
I. La RDC n’a pas violé le droit international à l’encontre de l’Ouganda entre les
mois de mai 1997 et d’août 1998
2. Dans le souci non seulement de fonde r sa demande reconventionnelle, mais aussi de
justifier son invasion du Congo au début du mois d’août 1998, l’Ouganda a tenté de démontrer
qu’il avait été victime d’une agression armée préalable. Le Congo n’a évidemment pas ignoré ces
accusations lors du premier tour de ses plaidoiries. C’est donc avec un certain étonnement qu’il a
entendu un conseil de l’Ouganda prétendre que la période précédant le mois d’août 1998 «avait été
23
ignorée complètement par les représentants de la RDC durant leurs trois jours de plaidoirie» . En
réalité, la RDC a insisté sur le fait que l’Ouganda n’avait démontré l’implication du Congo dans
aucune attaque militaire avant le début du mois d’août 24.
2«[I]t was ignored completely by the representatives of the DRC during their three days at the podium. They
commenced their version of facts oin August 1998», plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p.32,
par. 48.
2Plaidoirie de M. Corten, 12 avril 2005, CR 2005/3, p. 32-33, par. 10-13. - 20 -
3. Cette absence de preuve a été dénoncée tant en ce qui concerne les prétendus liens entre le
Congo et des rebelles ougandais qu’en ce qui con cerne la théorie du complot avec le Soudan.
Après avoir attentivement écouté la Partie advers e, la RDC est forcée de constater que cette
absence totale de preuve demeure, pour le premier comme pour le second de ces points.
A. L’Ouganda n’a pas démontré l’existence d’ un soutien militaire de la RDC à des groupes
rebelles ougandais
4. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, à ce stade de la procédure,
l’Ouganda n’a toujours pas démontré que, au début du mois d’août1998, le Congo s’était rendu
coupable d’un soutien quelconque à des forces re belles ougandaises. Il y a quelques jours, les
conseils de l’Ouganda se sont plu à énumérer les divers groupes rebelles ougandais qui ont pu
opérer à partir du territoire congolais 25. Ils ont aussi insisté sur divers agissements de ces groupes,
26
en détaillant certaines de leurs actions militaires . Le Congo n’a jamais nié ces faits, et il s’étonne
donc qu’ils soient répétés avec tant d’insistance. Par contre, il a toujours contesté avoir apporté un
appui militaire à des groupes rebelles ougandais et avoir participé à des actions militaires et ce, de
quelque manière que ce soit. Pour que les choses soient claires sur ce point, je voudrais reprendre
successivement cinq affirmations.
1. Aucune attaque n’a été menée par l’armée congolaise sur le territoire ougandais
5. Première affirmation. Aucune attaque n’a été menée par l’ armée congolaise sur le
territoire ougandais. Le point n’est pas été contesté par l’Ouganda. Mais il est très important de le
rappeler à ce stade. Aucun char, aucune arme , aucun soldat des forces armées congolaises n’a
franchi la frontière entre le C ongo et l’Ouganda que ce soit au début du mois d’août 1998 ou dans
les mois qui ont précédé. C’est pourtant officie llement pour «riposter» que l’armée ougandaise a,
quant à elle, bel et bien pénétré en territoire c ongolais par voie aérienne et terrestre, pour envahir
puis occuper près du tiers de son territoire.
25
Plaidoirie de M. Brownlie, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 9-11, par. 3 et 4.
26Ibid., p. 11, par. 8. - 21 -
2. Aucune attaque n’a été menée par des fo rces rebelles ougandaises agissant comme agents
de fait du Congo
6. J’en viens immédiatement à ma deuxième affirmation : aucune attaque n’a été menée par
des forces rebelles ougandaises agissant comme agents de fait du Congo.
7. Lundi dernier, un conse il de l’Ouganda a prétendu que «le Gouvernement de la RDC a
coordonné des opérations militaires de l’ADF contre l’Ouganda, par le biais d’officiers supérieurs
des Forces armées congolaises (FAC) qui ont planifié et appuyé des attaques transfrontières de
27
l’ADF en et contre l’Ouganda» . Il a ensuite évoqué, non seulement les attaques de Kichwamba et
de Kasese, mais aussi celles de Kanyamura, le 10 ju in 1998, de Banyangule, le 26 juin 1998, et de
Kiburara, le 5juillet1998 28. Le même conseil répète enfin que «ces attaques ont été menées par
29
des groupes soutenus par le gouvernement central du Congo et agissant comme ses organes» .
8. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, il s’agit là de très graves
accusations. Elles avaient été abandonnées dans les dernières écritures ougandaises 30 et n’ont pas
été réitérées dans les plaidoiries de l’Ouganda spécifiquement consacrées aux demandes
31
reconventionnelles . Mais en tout état de cause, ce qui est important c’est de souligner que ces
accusations ne sont assorties de références d’aucune sorte, si ce n’est un renvoi au contre-mémoire
ougandais. Le Congo a relevé de puis longtemps, au stade de sa réplique, que les trois seuls
documents produits par l’Ougand a pour prouver l’implication des autorités congolaises dans
l’attaque de Kichwamba n’évoquaient aucune direction ou contrôle d’agents de la RDC 32. En
réalité si on les lit, ces documents ne mentionnent que l’ADF, sans jamais évoquer les autorités du
Congo. Il ne s’agit là que de l’attaque de Kichwamba. Quant aux quatre autres attaques citées par
un conseil de l’Ouganda, aucune pièce écrite, aucun témoignage, aucun élément n’est produit à
27 «[T]he Government of the DRC co-ordinated the military operations of the ADF against Uganda, through
senior officers of the Congolese armed forces (FAC) who planned and supported cr oss-border attacks by the ADF in and
against Uganda», plaidoirie de M. Brownlie, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 20, par. 38.
28Plaidoirie de M. Brownlie, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 27, par. 66.
29«These attacks were carried out by groups supported by the central Government of the Congo and acting as its
agents», plaidoirie de M. Brownlie, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 27, par. 67.
30Plaidoirie de M. Corten, 12 avril 2005, CR 2005/3, p. 32-33, par. 10-11.
31Plaidoirie de M. Suy, 20 avril 2005, CR 2005/10, par. 29 et 70.
32
Contre-mémoire de l’Ouganda, annexes 82, 20, 91, critiquées da ns réplique du Congo, p.366-367,
par. 6.40-6.42. - 22 -
l’appui de la thèse d’une direction ou d’un contrôle du Congo sur les groupes qui ont mené ces
attaques. Aucune preuve, donc, tant dans les plaidoiries que dans les écritures.
9. L’Ouganda ne peut se contenter de lancer des accusations gratuites, et d’ignorer les
réponses qui y ont déjà été apportées par le Congo da ns ses écritures. En tant qu’Etat demandeur
sur reconvention, il doit prouver que des actes illicit es peuvent être imputés au Congo. Et s’il
invoque la théorie des agents de fait, il doit ob server les critères très stricts qui découlent de
l’article 8 du projet d’article de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats
adoptée en2001. Il ne suffit donc pas d’affirm er que les groupes rebelles ougandais sont des
agents de fait de la Répub lique démocratique du Congo 3. Encore faut-il le démontrer, preuve à
l’appui.
3. Le Congo n’a été impliqué dans aucune attaque menée contre l’Ouganda
10. J’en viens ici à une troisième affirmation tout aussi décisive: l’Ouganda n’a jamais
démontré non seulement que les groupes rebelles étaient ses agents de fait, mais encore que le
Congo avait projeté, préparé ni participé à une seule attaque d’une quelconque manière que ce soit.
Comme je viens de le rappeler, les trois seuls documents cités dans les écritures ougandaises ne
mentionnent même pas les autorités congolaises, mais désignent uniquement des éléments rebelles
ougandais. Ici encore, l’accusation de l’Etat demandeur sur reconvention est purement gratuite.
11. On peut d’ailleurs se demander si cette accusation est encore véritablement assumée par
la Partie ougandaise. En effet, dans sa plaidoiri e de vendredi dernier, un conseil, s’exprimant au
nom de l’Ouganda a affirmé, en citant une pr étendue attaque du 6août1998 sur laquelle je
reviendrai tout à l’heure, que « c’était la première fois que des soldats congolais opéraient
34
conjointement avec les rebelles ougandais et attaquaient des forces ougandaises» . C’était donc,
selon l’Ouganda la première fois . L’affirmation permet de c onclure donc que selon l’Ouganda
lui-même, le Congo n’a jamais été impliqué da ns une attaque menée par des rebelles ougandais
avant le 6 août 1998.
33
Plaidoirie de M. Brownlie, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 20, par. 39.
34«This was the first time Congolese soldiers operated jointly with th e Ugandan rebels and attacked Ugandan
forces», plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 35, par. 53; les italiques sont de la RDC. - 23 -
4. Le Congo n’a jamais fourni un appui militaire à des forces irrégulières ougandaises
12. Mais alors, quel serait l’acte illicite commis par le Congo ? Selon l’Ouganda, le Congo
aurait violé le droit international en donnant un appui militaire à des groupes rebelles ougandais.
Un appui militaire général, non relié à une atta que, mais quand même un appui militaire. Lundi
dernier, un conseil de l’Ouganda a asséné la th èse d’un «appui logistique et financier et d’une
35
assistance en armes et en entraînement assurés directement par le Gouvernement du Congo» .
13. Pourtant, et j’en viens ici à ma quatrième affirmation, le Congo n’a pas fourni un tel
appui à des forces irrégulières ougandaises. Une fois encore, quelles sont les preuves apportées par
l’Ouganda pour appuyer ces graves accusations ? Aucun élément n’a été cité dans les plaidoiries,
et en particulier dans le passage que je viens de citer. Les conseils de l’Ouganda n’ont pas jugé non
plus utile de répondre à la critique détaillée des quelques documents produits dans le
contre-mémoire et la duplique ougandaise, critique que le Congo a développée dans sa réplique 36,
37
puis dans ses observations additionnelles relatives aux demande s reconventionnelles présentées
par l’Ouganda. Puisque l’Ouganda n’a pas répondu à ces critiques, je me permettrai de demander à
la Cour de se référer aux écritures pour de plus amples informations.
14. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’Ouganda ne peut attribuer au
Congo aucune action, quelle qu’elle soit, qui so it susceptible d’être qualifiée d’acte illicite, qu’il
s’agisse d’une agression armée ou d’un recours à la force de moindre gravité. Aucune action donc,
mais pourrait-on lui reprocher une omission coupable due à un défaut de vigilance ? C’est à cette
question que je voudrais répondre en avançant une ci nquième affirmation : on ne peut reprocher au
Congo une passivité coupable vis-à-vis des forces irrégulières ougandaises qui ont pu opérer à
partir de son territoire.
5. On ne peut reprocher au Congo une passivi té coupable vis-à-vis des activités des forces
irrégulières ougandaises qui ont pu opérer à partir de son territoire
15. Comme mon collègue et ami le professeurKlein vient de le signaler, l’Ouganda
reconnaît que le Congo a pris de nombreuses mesu res pour lutter contre les rebelles ougandais,
35
«[L]ogistical support, weapons, training and financial assistance directly from the Government of the Congo»,
plaidoirie de M. Brownlie, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 20, par. 39.
36
Réplique du Congo, chap. III, sect. 1, et p. 364-365, par. 6.36.
37Observations additionnelles du Congo, p. 38-42, par. 1.53-1.60. - 24 -
toujours entre les mois de mai 1997 et d’août 1998. L’Etat défendeur insiste même lourdement sur
la coopération soutenue entre les deux pays pendant cette période, en croyant pouvoir en déduire un
38
consentement à sa présence en territoire congolais .
16. L’Ouganda est libre de défendre les argumen ts de son choix, mais il ne peut échapper à
certaines des conséquences de ce choix. Si la République démocratique du Congo coopérait pour
combattre les rebelles, on ne peut en même temps l’accuser de soutenir ces mêmes rebelles.
17. Je voudrais une fois encore ici revenir sur les plaidoiries de l’Ouganda dans le cadre de la
présente instance. Mercredi dernier, un c onseil de l’Ouganda a évoqué une «période d’ entente
entre les deux pays (période qui se situe entre mai1997 et juillet1998)» 39. Dans le même sens,
vendredi dernier, l’un de nos est imés contradicteurs, parlant au nom de la République de
l’Ouganda, a affirmé que l’Ouganda avait rejeté l’offre du Rwanda de se joindre au déclenchement
de la guerre en République démocratique du Congo, au début donc du mois d’août 1998 parce que :
«Ce n’était ni la politique de l’Ouganda ni son intérêt de renverser le
présidentKabila et son gouvernement. A l’époque, la seule préoccupation de
l’Ouganda était de sécuriser ses frontières, et jusque là le présidentKabila avait
40
collaboré dans ces efforts.»
18. L’Ouganda ne peut décidément plus contester que, au début du mois d’août 1998 encore,
la République démocratique du Congo coopérait avec lui en vue d’assurer la sécurité le long de la
frontière commune. Mais, dans ce cas, il ne peut plus prétendre que la République démocratique
du Congo violait à son encontre un devoir de vig ilance ou de diligence due en rapport avec cette
sécurité 41. On ne peut à la fois évoquer une «période d’entente entre les deux pays», une
coopération qui a été acceptée par le président du Congo et prétendre que le Congo a violé, pendant
cette même période d’entente, l’interdiction du recours à la force au préjudice de l’Ouganda.
19. Monsieur le président, Madame et M essieurs de la Cour, l’Ouganda n’a pu prouver
aucun acte illicite dans le chef du Congo, qu’il s’agisse d’une action ⎯ direction ou participation à
une attaque, appui militair e aux rebelles ougandais ⎯ ou d’une omission ⎯défaut de vigilance
38
Plaidoirie de M. Brownlie, 19 av ril 2005,CR 2005/8, p.10-12, par. 12-19; plaidoirie de M.Makubuya,
15 avril 2005, CR 2005/6, p. 11, par. 11.
39Plaidoirie de M. Suy, 20 avril 2005, CR 2005/10, p. 25, par. 6.
40«It was neither Uganda’s policy, nor in her interest, to overthrow President Kabila and his government. At the
time, Uganda’s only concern was securing her borders, and until then President Kabila had been cooperating in that
effort», plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 42, par. 67.
41Plaidoirie de M. Brownlie, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 30, par. 77. - 25 -
dans la lutte contre ces rebelles. Ce deuxième volet de la demande r econventionnelle ougandaise
doit donc être rejeté, tout comme doit l’être l’allégation d’une préte ndue alliance entre la
République démocratique et le Soudan, toujou rs pour la période s’étendant de mai1997 à
août 1998.
B. L’Ouganda n’a pas démontré l’existence d’un complot entre la RDC et le Soudan qui
aurait été ourdi avant le mois d’août 1998
20. L’Ouganda ne pouvant démontrer que le Congo a été impliqué en quoi que ce soit dans
les activités des groupes rebelles ougandais, il est contraint d’accuser quelqu’un d’autre, en
l’occurrence l’Etat du Soudan. Mais, pour mettre en cause le Congo lui-même, il doit alors
prétendre que le Soudan, les re belles ougandais et le Congo ont conclu une sorte d’«alliance
diabolique» à son encontre. Ce scénario est bien connu de la Cour. Plusieurs représentants de
l’Ouganda l’ont conté sur des modes variés pendant les jours qui ont précédés cette journée
particulière. Je ne reviens donc pas sur chacun des palpitants épisodes de ce complot.
21. Une seule question doit nous intéresser ici. En quoi consiste ce scénario pour la période
critique, la seule qui nous intéresse à ce stade, cel le qui précède le déclenchement de la guerre, le
2 août 1998 ? Quels sont, à cette date, exactement les actes illicites qui sont reprochés au Congo ?
Selon l’Ouganda, le crime aurait consisté en une rencontre entre les présidents du Congo d’une part
et du Soudan d’autre part, au mois de mai 1998. Au cours de ce mois, un accord aurait été conclu
visant à déstabiliser l’Ouganda 42. C’est cette alliance qui constitu erait l’acte illicite attribuable au
Congo.
22. Mais en fait, ni ce voyage, ni encore moins ce complot n’a jamais été prouvé par la Partie
ougandaise. Lors de leurs plaidoiries, les conseils de l’Ouganda n’ont cité aucun document
attestant son existence. Si on se reporte à ses écr itures, l’Ouganda a produit, en tout et pour tout,
deux documents supposés établir ce fameux voya ge. Le premier document est un discours
prononcé le 23mars 1999 à l’Assemblée générale de l’ONU par l’ancien ministre ougandais des
affaires étrangères, M. Mbabazi, aujourd’hui av ocat de l’Ouganda dans la présente affaire 43. Le
42
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 30-31, par. 39; plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 29-30,
par. 42- 43; plaidoirie de M. Brownlie, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 12-13, par. 13.
43Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 42. - 26 -
second document est un exposé du président Museveni lui-même qui s’est adressé au Parlement
44
ougandais, le 28 mai 2000 . C’est tout. Vous avez donc bien entendu, les seules «preuves», si
l’on peut s’exprimer ainsi, présentées par l’O uganda consistent en des discours de ses propres
autorités politiques. Et ce pour fonder l’une des accusations les plus graves avancées à l’encontre
du Congo. Car c’est au mois de mai 1998 que cette «alliance diabolique» aurait été échafaudée. Et
c’est à partir de ce mois que les actes hostiles vi sant l’Ouganda se seraient multipliés. Pourtant,
donc, pas un seul document n’est avancé à l’appui de ce scénario.
23. Certains conseils de l’Ouganda il y a quelques jours vous ont certes parlé de rapports des
services de renseignements ougandais, en provenanc e d’agents bien placés à l’intérieur du Soudan
45
ou de la République démocratique du Congo . Ces services auraient intercepté des
communications prouvant le complot diabolique tripartite : Congo, Soudan, rebelles ougandais. Ce
scénario, digne des meilleures séries télévisée s d’espionnage, connaît un nouvel épisode avec
l’oubli de documents accablants pour le Congo par l’ambassadeur en poste à Kinshasa, dans les
locaux de son ambassade (je me réfère ici à la duplique de l’Ouganda). Un ambassadeur qui ne se
souviendra d’ailleurs lui-même de l’existence de ces documents que plusieurs années plus tard,
précisément lors de la rédaction de la duplique 46.
24. Monsieur le président, Madame et Messi eurs de la Cour, aucun procès-verbal d’une
interception de communication n’a jamais été pr oduit par l’Ouganda, que l’on se situe au stade du
contre-mémoire, à celui de la duplique, ou encore à celui du dépôt de nouvelles pièces en vue de la
préparation de la présente phase orale. La Partie ougandaise a eu, depuis l’introduction de la
requête du Congo, en juin 1999, il y a bientôt six ans, tout le temps de rassembler et de présenter
des éléments de preuve à l’appui de cette allégati on. Elle est toujours en défaut de le faire
aujourd’hui.
25. D’ailleurs, et en fin de compte, on peut se demander si l’Ouganda maintient encore son
accusation selon laquelle la République démocrati que du Congo aurait noué une alliance agressive
avec le Soudan avant le début de la guerre, le 2août1998. En effet, dans sa plaidoirie
44Ibid., annexe 60.
45
Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 29-30, par. 43; p. 37, par. 57.
46Duplique de l’Ouganda, p. 322, par. 695 et annexe 87. - 27 -
spécifiquement consacrée aux demandes reconventionnelles, un conseil de l’Ouganda a affirmé que
l’alliance entre le Congo, les rebelles ouga ndais et le Soudan avait été établie « après … la période
qui se situe entre mai 1997 et juillet 1998» 47⎯après donc le mois de juillet1998. A contrario,
cela revient bien à admettre que cette alliance n’existait pas pendant cette période, antérieure au
mois d’août 1998, qui est la seule qui est envisagée à ce stade.
26. Finalement, Monsieur le président, il faut prendre acte d’ un fait. Au début du mois
d’août 1998, absolument aucun élément ne permet de prétendre que le Congo avait commis un acte
illicite à l’encontre de l’Ouganda en s’engageant dans une alliance agressive avec le Soudan. Le
volet essentiel, si pas principal, de la thèse ougandai se n’est étayé, au stade final de la procédure,
par aucun élément de preuve, si mince soit-il. Entre les mois de mai 1997 et d’août 1998, la
République démocratique du Congo n’a jamais violé les droits de l’Ouganda, que ce soit en menant
directement une attaque, en soutenant des forces rebelles ou en concluant une alliance agressive
avec le Soudan. Cette même conclusion peut être déduite de la période qui suit le début de
l’agression ougandaise d’un examen de cette période. Et j’en viens à présent à la seconde partie de
mon exposé de ce matin.
II La RDC n’a pas violé le droit international à l’encontre de l’Ouganda
à partir du mois d’août 1998
27. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, la période que nous allons
envisager maintenant est fort différente des deux précédentes. En effet, à partir du mois
d’août 1998, la République démocratique du Congo s’est trouvée en situation de légitime défense à
la suite d’une agression armée perpétrée par l’Ouga nda. L’exception de légitime défense peut, en
tout état de cause, être invoquée par le Congo pour écarter la demande reconventionnelle
ougandaise. Mais, avant de développer ce point, je voudrais tout simplement rappeler à la Cour
qu’aucune preuve d’un acte illicite du Congo à l’encontre de l’Ouganda n’a été apportée, pour cette
période-ci comme pour les précédentes.
47
Plaidoirie de M. Suy, 20 avril 2005, CR 2005/10, p. 25, par. 6; les italiques sont de nous. - 28 -
A. En fait, l’Ouganda n’a toujours pas pu imputer au Congo un quelconque acte illicite
28. En réalité, la stratégie ougandaise semble toujours la même: affirmer un fait mais sans
pour autant apporter la moindre preuve de cette affirmation. Cette méthode est pratiquée
constamment, y compris pour les aspects les plus décisifs de l’argumentation ougandaise. Et je
voudrais, à ce stade, en fournir trois illustrations.
1. L’absence totale de preuve de l’incorporation de rebelles ougandais dans les FAC
29. Lors du premier tour de plaidoiries, les conseils de l’Ouganda ont affirmé, à pas moins de
huit reprises, que des forces rebelles ougandaises avaient été, au début du mois d’août 1998,
48
incorporées dans les Forces armées congolaises (FAC) . L’affirmation est évidemment décisive,
puisqu’elle permet d’imputer au Congo tous les actes posés ensuite par ces forces rebelles qui
seraient devenues, en quelque sorte, des agents de droit de la République démocratique du Congo.
30. Pourtant, aucun conseil de l’Ouganda n’a cru utile de citer le moindre document
susceptible de prouver ses dires. Il suffit de re lire attentivement les huit passages des plaidoiries
auxquelles je viens de faire référence (les référe nces seront bien entendu indiquées dans le texte
écrit de la présente plaidoirie). On n’y trouvera absolument rien, Monsieur le président, aucune
référence à un document d’aucune sorte. Cette thèse de l’incorporation des rebelles ougandais dans
l’armée congolaise n’est donc qu’une première illustration de la méthode pratiquée par l’Ouganda.
2. L’absence totale de preuve attestant une attaque du 6 ou 7 août contre l’UPDF
31. Voici maintenant un deuxième exemple. Un conseil de l’Ouganda a insisté la semaine
dernière sur une attaque qui aurait été menée contre les forces de l’UPDF au début du mois d’août.
Pour reprendre ses termes, «le 6 août 1998, les forces ougandaises stationnées près de Beni ont été
49
attaquées par une force associant des membres de l’ADF et des soldats du président Kabila» .
Cette attaque aurait constitué un événement majeur dans la chr onologie des événements puisque,
48Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p.par. 12, p. 35, par. 53; plaidoirie de M. Brownlie,
18 avril 2005, CR 2005/7, p. 9, par. 3, p. 12, par. 13, p. 19-20, par. 35, p. 28, par. 68; plaidoirie de M. Suy, 20 avril 2005,
CR 2005/10, p. 25, par. 6 et p. 28, par. 14.
49«[O]n 6 August 1998, the Ugandan forc es near Beni were attacked by a combined force of ADF and FAC
soldiers loyal to President Kabila», plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 35, par. 53. - 29 -
toujours selon le scénario ougandais, c’est en riposte à cette attaque que l’UPDF, après avoir
50
combattu et défait l’ennemi, aurait rapidement pris le contrôle de Beni, puis de Bunia .
32. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, dans cette plaidoirie, l’Ouganda
a, pour la première fois, clairement identifié une attaque armée imputable au Congo, attaque qui
aurait justifié son intervention militaire. Cette a ttaque avait, pourtant, à peine été évoquée dans le
51
contre-mémoire, qui la datait d’ailleurs non du 6, mais du 7 août 1998 . En dépit de l’importance
qui lui est prêtée aujourd’hui, cette même attaque n’a pas été mentionnée une seule fois dans la
duplique ougandaise. Un deuxième conseil de l’ Ouganda l’a quant à lui évoquée lundi dernier,
mais en la datant non du 6 août, comme le premier conseil, mais du 7 août 1998 52. Les conseils de
l’Ouganda ne manqueront sans doute pas d’accorder leur position sur la date de cette prétendue
attaque dans la suite de la présente procédure. Mais, surtout, il serait bon qu’ils citent enfin un
document ou même un élément quelconque susceptible d’accréditer leur prétention. Ni le
contre-mémoire, ni la pr emière, ni la seconde plaidoirie de l’Ouganda que je viens d’évoquer, ne
contiennent en effet aucun élément probant. Ce tte fameuse attaque n’est jamais mentionnée non
plus dans les témoignage s qui ont été produits devant la commi ssion Porter, et qui relatent les
débuts de l’opération militaire ougandaise au Congo. Une fois encore, donc, un élément décisif de
l’argumentation du demandeur sur reconvention ne repose que sur des affirmations unilatérales
qu’il demande à la Cour de prendre pour acquises sans autre forme de procès.
3. L’absence totale de preuve du complot avec le Soudan
33. Troisième exemple à présent : la théorie du complot diabolique, associant la République
démocratique du Congo, le Soudan et les rebelle s ougandais, envisagée cette fois pour la période
qui a débuté au mois d’août 1 998, et non pour la précédente ⎯je l’ai déjà fait il y a un instant.
L’un des conseils de l’Ouganda a exp liqué que ce complot, qui avait donc ⎯on l’a vu ⎯
prétendument été ourdi dès le mois de mai 1998, se serait manifesté pa r d’autres voyages au
50Ibid.
51
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 37, par. 47.
52Plaidoirie de M. Amama Mbabazi, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 43, par. 24. - 30 -
Soudan, très précisément les 24 août et 18 septembre 1998 53. Cette fois, l’Etat demandeur
mentionne cinq documents à l’appui de ses prétentions. On peut donc les examiner.
34. Le premier document est un simple di scours du ministre ougandais des affaires
étrangères, aujourd’hui avocat de l’Ouganda, que j’ai cité tout à l’heure 54. Trois autres documents
ne sont que des textes rédigés par les autorités ougandaises elles-mêmes sur la situation au
55
Congo . Ce ne sont pas des témoignages, ce sont de simples rapports. Quant au cinquième
document, il s’agit du fameux texte du 11 septe mbre 1998, qui a été qualifié de «preuve
irréfutable» par l’Ouganda 56et qui est reproduit dans votre dossier de juges, cote n o 5 . Ce texte,
élaboré unilatéralement par le haut commandement de l’UPDF, a été c ité trois fois par les conseils
58
de l’Ouganda , je ne vais donc pas le faire à mon tour. Mais je relève que l’un des objectifs de la
décision de maintenir les troupes en territoire congolais est d’« écarter la possibilité que le Soudan
59
utilise le territoire de la RDC pour déstabiliser l’Ouganda» . «Ecarter la possibilité que le Soudan
utilise», et non mettre fin à une utilisation effectiv e du territoire congolais par le Soudan, que ce
soit par le biais d’attaques de l’armée soudanaise ou même du soutien à des groupes rebelles
ougandais. Voilà donc pour les fameuses preuves de l’Ouganda.
35. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut apprécier les affirmations faites par l’Ouganda
selon lesquelles les forces soudanaises se seraient déployées massivement en territoire congolais
dans le courant du mois d’août et , en vue de déstabiliser l’Ouganda, qu’elles y auraient transporté
des milliers de rebelles ougandais, un avion milita ire soudanais ayant même directement attaqué
60
l’UPDF à Bunia, le 26 août 1998 . Encore une fois, ce récit ne peut être étayé par aucun élément
tangible, encore une fois il est implicitement cont redit par la «preuve irréfutable» de l’Ouganda,
53Plaidoirie de M. Brownlie, 18 avril 2005, C.R. 2005/7, p. 13, par. 16; plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005,
p. 37, par. 57.
54Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 48.
55
Ibid., annexes 31, 42 et 90.
56 e
Duplique de l’Ouganda, p. 67, par. 155; voir plaidoirie de M Tshibangu Kalala, 11 avril 2005, CR 2005/2,
p. 26-27, par. 30-31.
57
Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 27.
58
Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p.38-39, par. 60; plaido irie de M. Brownlie,
18 avril 2005, CR 2005/7, p. 14-15, par. 18; plaidoirie de M. Mbabazi, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 46, par. 31.
59
«[T]o deny the Sudan the opportunity to use territory of the DRC to destabilize Uganda», c ontre-mémoire de
l’Ouganda, annexe 27; les italiques sont de la RDC.
60
Contre-mémoire de l’Ouganda, p.40 et suiv., par. 50 et suiv.; pladoirie de M. Reichler, 15 avril 2005,
CR 2005/6, p. 38, par. 59. - 31 -
que j’ai évoquée il y a un instant, qui parle bien d’écarter la «possibilité» que le Soudan utilise le
territoire du Congo.
36. Mais le récit ne s’arrête pas là. T oujours dans son souci d’accréditer la thèse d’une
réaction à un complot soudano-congolais, l’O uganda affirme ensuite qu’il a défait l’armée
soudanaise à Businga, en février 1999, un combat à la suite duquel les forces soudanaises auraient
61
battu en retraite jusqu’à Gbadolite . C’est dans cette ville qu’une bataille aurait opposé les forces
de l’UPDF à des forces armées dirigée par un o fficier supérieur soudana is, pendant deux mois,
62
entre mai et juillet 1999 . La «bataille de Gbadolite» est décrite comme un «affrontement
majeur», ayant donné lieu à de «féroces combats» 63, à la suite desquels l’armée soudanaise, enfin
défaite par la glorieuse UPDF, aurait, pour de bo n, quitté le Congo et n’y serait plus retourné
64
ensuite .
37. Monsieur le président, je voudrais à ce st ade citer encore les propos d’un conseil de
l’Ouganda au sujet de la preuve de la présence d’une armée en campagne sur le territoire d’un autre
Etat. Selon ce conseil, si des soldats ougandais avaient été présents à l’ouest du territoire du Congo
au début du mois d’août 1998,
«ils auraient certainement laissé derrière eux des signes tangibles: des soldats
ougandais morts ou blessés, des douilles d’obus ou de cartouches, de l’équipement de
terrain, de l’outillage de cuisine, des boît es de conserves vides ou laissées en plan ou
de nombreux autres détritus résultant de la bataille» . 65
Il suffit de transposer cette proposition au réc it de la campagne de Gbadolite pour mesurer sa
faiblesse. Car l’Ouganda n’a toujours pas été en mesure d’apporter le moindre élément de preuve
attestant la présence d’un seul soldat soudanais, vivant ou mort, capturé ou non, d’un seul avion
soudanais, ni d’un seul char de l’armée soudanaise au Congo. Et ce après avoir prétendument livré
bataille avec le Soudan pendant des semaines entières.
61
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 43, par. 54.
62
Ibid., p. 50, par. 63.
63 Ibid., p. 50, par. 63 et 64.
64 Voir plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 54, par. 98.
65
«[T]hey surely would have left some telltale sign : dead or wounded Ugandan soldiers; used or spent cartridges
or artillery shells; field equipment; me ss kits; empty or discarded food tins;the myriad other detritus of battle»,
plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 46, par. 77. - 32 -
38. Décidément, le scénario des batailles hé roïques menées par l’UPDF contre l’armée
soudanaise présente au Congo n’est guère crédible . Il est intéressant à cet égard de prendre
connaissance du récit de la bataille de Gbadolite opéré par l’un de ses principaux protagonistes, le
dirigeant du Mouvement de libération du Congo. Dans un ouvrage publié en 2001, cité par les
deux Parties en la présente instance, le chef du MLC, qui a combattu main dans la main avec
l’UPDF, expose les principales étapes de la bata ille, sans jamais mentionner un seul affrontement
66
avec des forces soudanaises . En réalité, l’UPDF a conquis Gbad olite en s’attaquant aux forces
armées congolaises qui défendaient la ville. Elle n’a jamais livré aucun combat contre l’armée
soudanaise au Congo.
39. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la République démocratique du
Congo espère fermement que l’Ouganda procéd era désormais autrement que par simple
affirmation. Il ne suffit pas de répéter que le Congo a prêté son territoire à des forces hostiles, qu’il
s’agisse de rebelles ougandais ou de l’armée du Soudan . Encore faudrait-il le démontrer. Encore
faudrait-il par ailleurs, à supposer même que cette démonstration en faits puisse être apportée,
prouver que la République démocratique du Congo n’était pas, dès le début du mois d’août 1998,
en situation de légitime défense. J’en arrive ainsi à la dernière partie de ma plaidoirie de ce matin.
Monsieur le président, si vous le jugez u tile, peut-être pourriez-vous interrompre la séance
pour une courte pause à ce stade.
The PRESIDENT: You may continue, please.
M. CORTEN : Merci, Monsieur le président.
B. En droit, l’Ouganda n’a toujours pas pu démontrer que le Congo ne se trouvait pas, au
début du mois d’août 1998, en légitime défense
40. Il est évident que si, au début du mois d’août 1998, la République démocratique du
Congo se trouvait en situation de légitime défense, elle avait le droit de riposter en combattant
l’armée ougandaise. Dans la mesure où elle vi se la période commençant à cette date, la demande
ougandaise doit donc, en tout état de cause, être rejetée.
66
Jean-Pierre Bemba, Le choix de la liberté, Gbadolite, éd. Venus, 2001, p. 41-46. - 33 -
41. Dès les premiers jours du mois d’août 1998, la RDC a été victime d’une agression armée
de la part de l’Ouganda. Cette agression s’est développée en plusieurs temps : un engagement dans
le déclenchement de la rébellion armée, le 2août, la participation à l’opération aéroportée de
Kitona, le 4 août, et la prise de plusieurs localit és de l’est congolais par l’UPDF, à partir du 6 août.
Je voudrais à ce stade revenir sur deux de ces élémen ts : l’offensive militaire ougandaise dans l’est
du Congo, d’une part, la participation de l’UPDF à l’opération aéroportée de Kitona, d’autre part.
1. L’UPDF a bien lancé son offensive dans l’est du Congo dès le
6 août 1998
42. Tout d’abord, il est important de montre r que l’UPDF a bien lancé son offensive dans
l’est du Congo dès le 6août1998. A partir de ce tte date, il ne fait donc plus aucun doute que la
République démocratique du Congo se trouvait en situation de légitime défense.
43. Dans son contre-mémoi re, l’Ouganda prétendait que l’envoi de nouvelles troupes en
territoire congolais n’avait eu lieu qu’à la mi-sep tembre 1998, en exécution d’une décision du haut
67
commandement de son armée, le 11 de ce mois . Cette position a été maintenue dans la duplique,
en dépit des critiques émises sur ce point dans la réplique du Congo. On retrouve explicitement
affirmé à deux reprises dans les dernières écritures ougandaises que «l’Ouganda n’a pas envoyé de
troupes en RDC en août1998» 68. Selon les termes de la duplique, «il n’y a pas eu de
franchissement de la frontière par les troup es ougandaises, que ce soit à Aru ou à un quelconque
69
autre endroit» . Ou encore, «l’Ouganda n’a initié au cune action militaire avant plus de
six semaines, jusqu’à la mi-septembre» 70.
44. Voilà quelle était la positi on de l’Ouganda dans ses écritures: pas d’envoi de troupes,
pas de franchissement de la frontière, pas d’action militaire avant la mi-septembre 1998.
45. Cette position n’est plus tenable aujourd’ hui. Le Congo a cité, dans le cadre des
présentes plaidoiries, plusieurs déclarations non seulement de soldats ougandais mais aussi du
président Museveni lui-même, déclarations qui confirment la version que le Congo a toujours
67
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 41-42, par. 53.
68«Uganda did not sent troops into the DRC in August 1998», duplique de l’Ouganda, p.66, titre 4); «Uganda
sent no troops into the DRC in August 1998», duplique de l’Ouganda, p. 66, par. 152.
69«[T]here was no border crossing by Ugandan troops at Aru or at any other location», duplique de l’Ouganda,
p. 67, par. 154.
70«Uganda initiated no military action for more than siweeks —until the middle of september», duplique de
l’Ouganda, p. 26, par. 63. - 34 -
défendue : l’armée ougandaise a bel et bien pénétr é au Congo dès le début du mois d’août, et non
71
quelque six semaines plus tard . Comme l’a affirmé un haut responsable ougandais en réponse à
une question sur le début de l’envoi de forces de l’UPDF au Congo, «c’était au début du mois
d’août» 72. La pénétration de l’UPDF au Congo s’est notamment opérée sur l’axe Aru-Watsa,
comme vous le voyez sur la carte qui est projetée derrière moi. C’est donc dans ce contexte que les
villes de Beni, de Bunia, de Watsa, mais aussi de Kisangani, qui comptent toutes plusieurs milliers
d’habitants, seront prises puis occupées par l’armée ougandaise, après des combats parfois
er
meurtriers contre les Forces armées congolaises, entre le 6 août et le 1 septembre 1998.
46. C’est sans doute la clarté des témoignages de ses propres soldats qui a mené la Partie
ougandaise à changer son fusil d’épaule dans le cad re de ses plaidoiries. L’Ouganda ne nie plus, à
présent, avoir envoyé des soldats en territoire congolais dès la première moitié du mois
d’août1998. Selon le nouveau scénario qui nous a été conté par un conseil de l’Ouganda: «le
13 août, après la bataille de Bunia, l’Ouganda a modestement renforcé les troupes qui étaient là» 73.
Et il continue : «le 10 août … un bataillon ougandais arriva au poste frontalier d’Aru et, le 14 août,
74
le lendemain des événements de Bunia, il reçut l’ordre de se redéployer à Watsa» . Le même
conseil ajoute que ceci ne fait que confirmer ce que l’Ouganda a dit depuis longtemps 75. En réalité,
comme vous l’aurez compris, ce nouv eau scénario contredit radical ement l’ancien qui consistait
bien à nier toute action militaire et tout franchissement de la frontière au mois d’août, «que ce soit à
Aru ou à un quelconque autre endroit» 76.
47. Il reviendra sans doute à la Partie ouganda ise d’expliquer pourquoi elle a toujours nié,
jusqu’il y a quelques jours, avoir envoyé des troup es et livré bataille en République démocratique
du Congo au début du mois d’août. Aujourd’hui, l’Ouganda admet avoir envoyé des troupes au
Congo dès le 13 août et même, par l’envoi d’un ba taillon dans la localité d’Aru, qui se trouve bien
71Plaidoirie de M Tshibangu Kalala, 11 avril 2005, CR 2005/2, p. 28-33, par. 34-48; p. 39, par. 68.
72«[I]t was at the beginning of August», CW/01/02 23/07/01, p. 38.
73
«On 13 August, after the battle of Bunia, Uganda modestly reinforced the troops that were there», plaidoirie de
M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 35-36, par. 55.
74
«On 10 August … a Ugandan battalion moved to the borde r post at Aru, and then on 14 August, the day after
the events at Bunia, received orders to redeploy to Watsa», ibid., p. 36, par. 55.
75
Ibid.
76
«[T]here was no border crossing by Ugandan troops at Aru or at any other location», duplique de l’Ouganda,
p. 67, par. 154; voir aussi plaidoirie de M. Mbabazi, 18 avril 2005, CR 2005/7, p. 43, par. 24. - 35 -
au Congo, le 10août1998. L’Ouganda ne pe ut donc plus prétendre que l’invasion aurait
commencé après cette date.
48. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, comme je vous l’ai déjà signalé,
les conseils de l’Ouganda ont, à trois reprises, cité un document établi par le haut commandement
de l’UPDF, en vertu duquel il est affirmé que l’UPDF a décidé «de maintenir» ses troupes au
77
Congo . De maintenir ses troupes au Congo, et non d’envoyer de nouvelles troupes au Congo le
11septembre1998. Ce document tend donc pl utôt à confirmer que des troupes ougandaises
avaient déjà été envoyées au Congo. Cet élément a déjà été signalé par le Congo dès le premier
78
jour de ses plaidoiries , mais la Partie ougandaise ne semble pas l’avoir entendu. La République
démocratique du Congo espère que la deuxième fois sera la bonne, et que nos contradicteurs ne
viendront plus à cette barre citer cette «preuve i rréfutable» sans prendre en compte les objections
que je viens de formuler.
49. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’Ouganda admet donc à présent
avoir envoyé des soldats supplémentaires au Congo le 10 août. Mais en même temps, il minimise
la portée de cet acte en utilisant des euphémismes tels que «renforcement modeste»,
«redéploiement» de ces troupes, ou encore «sécurisation» de localités congolaises.
50. Cette rhétorique ne pe ut évidemment tromper personne . Comme le Congo l’a déjà
signalé 79, le général Kazini, qui a dirigé l’opératio n militaire de l’UPDF au Congo, baptisée
«SafeHaven», a affirmé sans aucune ambiguïté que: «C’était au mois d’août… «L’opération
80
SafeHaven» a commencé après la capture de Beni, c’était le 7 août 1998.» Vous trouverez
l’extrait pertinent dans votre dossier de juges, sous la cote n o 11 . Selon le militaire qui l’a
dirigée, la date du début de l’opération n’est donc pas le 11septembre, mais pas non plus le
13août, ni même le 10août. C’est le 7août1 998. Et cette opération ne s’est pas résumée à un
77Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 27.
78Plaidoirie de M Tshibangu Kalala, 11 avril 2005, CR 2005/2, p. 26-27, par. 30-31.
79
Ibid., p. 30, par. 40.
80
«It was iththe month of August. That very month of August 1998. «Safe Haven» started after the capture of
Beni, that was on 7August 1998», CR 2005/2, p. 30, par. 40.
81
Documents présentés par la République démocratique du Congo aux fins de la procédure orale, janvier2005,
document 2, procès-verbaux des auditions de la commission ougandaise d’enquête Porter (extraits) (Judicial Commission
of inquiry into allegations of illegexploitation of natural resources and othe r forms of wealth in the Democratic
Republic of Congo 2001, Transcript, November 2002). - 36 -
«modeste renforcement» ou à un «redéploiement » de troupes, ou à des mouvements pacifiques
strictement limités à la sécurisation de la frontière. Monsieur le président, Madame et Messieurs de
la Cour, je vous prie d’excuser le Congo de devoir se répéter, mais la Partie ougandaise n’a pas cru
utile, pendant les quatre jours de plaidoiries dont elle a disposé, de commenter l’un des extraits les
plus fondamentaux des témoignages recueillis par la commission Porter. Vous trouvez ce
témoignage dans votre dossier de juges, sous la cote n o 17 . C’est toujours celui du général
Kazini; je le cite en français cette fois, pe ut-être le Congo sera-t-il mieux entendu par ses
contradicteurs :
«Lead Counsel: pouvez-vous expliquer brièvement à la commission en quoi
consistait l’«opération Safe Haven» ?
Général Kazin:i «Safe Haven». C’était maintenant une opération…
L’opération a reçu le nom de code de «Safe Haven» parce qu’il était nécessaire de
changer le plan opérationnel. Souvenez-vous, l’ancien plan était d’opérer
conjointement, les deux gouvernements, pour combattre les rebelles ougandais le long
de la frontière; l’UPDF et les FAC. Mais il y a alors eu une rébellion, et les rebelles
congolais prenaient le contrôle de ces zones. Alors nous avons décidé de lancer une
offensive conjointe avec les rebelles, une opération spéciale que nous avons désigné
sous le nom de code de Safe Haven.» 83
Le général Kazini affirme que c’est le 7 août 1998 que l’UPDF a lancé une offensive conjointe avec
les rebelles congolais. Une offensive ⎯ et une offensive conjointe avec les rebelles congolais. Pas
un «modeste renforcement de troupes», un «redéplo iement» ou une simple «sécurisation» de la
frontière. Les conseils de l’Ouganda ne peuve nt décidément plus garder le silence sur ce
témoignage. Soit ils doivent critiquer sa crédibilité, en dépit du fait que c’est celui du commandant
en chef de l’opération, le général Kazini, soit ils doivent, une fois encore, changer leur scénario, et
admettre que ce n’est ni le 11 septembre, ni le 13 ou le 10 août, mais en tout cas le 7 août que leur
offensive militaire contre le Congo a débuté.
82Ibid.
83
«Lead Counsel: So you can briefly explain to the commission what «Operation Safe Haven» was
about.
Brigadier J.Kazini: «Safe Haven». Th is was now an operation… The operation was
code-named «Safe Haven» because there was a need to change in the operational plan. Remember, the
earliest plan was to jointly ⎯ both governments ⎯ to jointly deal with the rebels along the border; that
was now the UPDF and the FAC. But now there was a mutiny, the rebels were taking control of those
areas. So we decided to launch an offensive together with the rebels, a special operation we code-named
Safe Haven», CW/01/03 24/07/01, p. 129. - 37 -
51. Cette question est cruciale, Monsieur le pr ésident, Madame et Messieurs de la Cour. Et
voici encore un dernier élément de confirmation su r cette date du début de l’invasion de l’est du
Congo. Vous avez sous les yeux un document produ it devant la commission Porter, et qui décrit
les différentes étapes de l’opération «Safe Haven» . Ce document indique les dates des prises de
localités congolaises. Il est projeté derrière moi mais vous le trouverez dans votre dossier de juges,
à la cote n o40 . On constate bien à la lecture de ce document que les prises de villes congolaises
e
ont commencé le 7 août et se sont poursuiv ies ensuite, avec nota mment l’arrivée du 3 bataillon
ougandais à Kisangani, à plusieurs centaines de kilo mètres de la frontière ougandaise, et non le
long de cette frontière, le 1 erseptembre. Aucun tournant du 11 septembre ne peut être décelé dans
ce document: les conquêtes sont toutes présen tées comme différentes étapes d’une même
opération, l’opération «Safe Haven», pour reprendr e le titre de ce document. Le financement de
cette opération s’est d’ailleurs également opéré mois par mois, à partir du mois d’août 1998, et non
à partir du mois de septembre. Un autre doc ument, que vous trouverez également dans votre
o 85
dossier de juges à la cote n 40, l’atteste clairement . Il s’agit d’une liste d’annexes du rapport de
la commission Porter. Parmi ces annexes, j’attir e votre attention sur les numéros 47 et 48 dont le
contenu est projeté derrière moi. La liste, vous le constatez, renvoie ici à deux autres documents
détaillant le paiement des soldes des soldats ay ant participé à l’opération «Safe Haven». Ces
documents contredisent également la thèse du tour nant du 11 septembre que s’obstinent à défendre
nos contradicteurs. Ils mentionnent en effet, vous le constatez, pour l’année1998, une période
continue s’étendant de août à décembre1998. Encore une fois, pas de tournant du
11 septembre 1998.
52. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, avant le mois d’août 1998, il est
arrivé que certains soldats ougandais mènent des opérations limitées sur les versants congolais des
monts Ruwenzori, en vue de combattre des rebelles. Mais, avant cette date, jamais des soldats
ougandais n’avaient investi ni conquis de villes de la République démocratique du Congo. C’est
84Documents présentés par la République démocratique du Congo aux fins de la procédure orale, janvier 2005,
document 7, Porter Commission Exhibits, JK/01/125 (extraits).
85Judicial Commission of inquiry into al legations of illegal exploitation of natural resources and other forms of
wealth in the Democratic Republic of Congo (May 2001- November 2002), Final Report, November 2002, Annex 1.
Exhibits, p. 217, 47 et 48. - 38 -
bel et bien la prise de Beni, une ville de plus de dixmille habitants, qui marque le début de
l’intervention militaire dans l’est du Congo. Ec outons une dernière fois le général Kazini.
o 86
L’extrait se trouve dans votre dossier de juges, sous la cote n 17 :
«Justice Beko : Vous avez dit que Beni avait été capturée quand ?
Brigadier J. Kazini : Le 8 août 1998.
Justice Beko : Le 8 août 1998.
Brigadier J. Kazini: Alors avant ce n’était pas… L’«opération Safe Haven»
n’avait pas commencé. C’étaient les opérations normales de l’UPDF, des opérations
de contre-insurrection sur les monts Ruwenzori, avant cette date du 7 août 1998…
Justice Beko : Et qu’est-il arrivé le 7 août ?
Brigadier J. Kazini: Le 7 août, c’est quand les combats ont eu lieu et que nos
troupes ont occupé Beni.» 87
Si tournant il y a, ce n’est pas celui du 11 septembre , c’est celui du 6 ou du 7 août 1998 dans l’est
du Congo.
53. Les troupes de l’UPDF ont alors combattu des forces congolaises, les troupes de l’UPDF
ont occupé des villes congolaises, les troupes de l’ UPDF ont pénétré en territoire congolais dès le
début du mois d’août 1998. Et la Républi que démocratique du Congo se trouvait donc, dès ce
moment, en situation de légitime défense. On ne peut donc plus, après cette date, prétendre
l’accuser d’avoir recouru à la force contre l’Ouga nda. Cette conclusion s’impose d’autant que, le
4 août, l’Ouganda participait déjà à l’opération de Kitona, dans l’extrême ouest du Congo.
86Documents présentés par la République démocratique du Congo aux fins de la procédure orale, janvier 2005,
document 2, procès-verbaux des auditions de la commission ougandaise d’enquête Porter (extraits) (Judicial Commission
of inquiry into allegations of illegal exploitation of natural resources andr forms of wealth in the Democratic
Republic of Congo 2001, Transcript, November 2002), CW /01/03, 24/07/01, p. 129.
87 «Justice Beko : You said Beni was captured when ?
Brigadier J. Kazini : On 8ugust 1998.
Justice Beko : 8 August 1998.
Brigadier J. Kazini : So before that it was not…, «Operation Safe Haven» had not started. It was
the normal UPDF operations —counter-insurgency operations in the Rwen zoris, before that date of
7 August 1998…
Justice Beko : And what happened on the 7 August ?
Brigadier J. Kazini : On 7 Augus t that was fighting (when it took place) and our troops occupied
Beni», CW/01/03 24/07/01, p. 129. - 39 -
2. L’Ouganda a bel et bien participé à l’opération aéroportée de Kitona, le 4 août 1998
54. La participation de l’Ouganda à l’opéra tion de Kitona du 4 août 1998 est établie par des
sources variées et concordantes.
88
55. Il y a quelques jours, un conseil de l’Ouganda a contesté ce fait , en reprenant
89
l’ensemble de l’argumentation cont enue dans la duplique ougandaise . Malheureusement, il n’a
pas cru utile de commenter les réponses précises qui ont été apportées à ces critiques dans les
observations additionnelles du Congo sur les demandes reconventionnelles 90. Plutôt que de répéter
ces observations, je voudrais très brièvement revenir sur deux éléments.
56. Premièrement, quant aux sources directes, la participation de l’armée ougandaise à
l’opération a été attestée par pas moins de cinq témoignages différents :
⎯ le premier est celui d’un pilote d’une comp agnie civile qui a reconnu la présence d’un
91
commandant de l’UPDF à Goma, au moment du déclenchement de l’opération ;
⎯ le deuxième est celui d’un autre pilote qui a été contraint de piloter un avion ayant participé à
l’opération, et qui a formellement reconnu la présence de soldats ougandais à bord 92;
⎯ le troisième est celui du commandant de la base de Kitona, qui affirme avoir vu des soldats
ougandais alors qu’il était en poste au moment des faits 93;
⎯ le quatrième témoignage est celui d’un ancien rebelle congolais qui a également reconnu la
94
participation de soldats ougandais à l’opération . Ce témoin a également aperçu un char
ougandais à Kitona, celui-là même qui sera ultérieurement récupéré par les Forces armées
congolaises, comme le Congo l’a déjà expliqué 95;
⎯ le cinquième témoignage est celui d’un soldat ougandais qui a ultérieurement été fait prisonnier
96
par les Forces armées congolaises .
88
Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 42, par. 67 ; plaidoirie de M. Mbabazi, 18 avril 2005,
CR 2005/7, p. 44, par. 25.
89
Duplique de l’Ouganda, p. 54-63, par. 120-144.
90
Observations additionnelles du Congo, p. 50-64, par. 1.79-1.97.
91
Réplique du Congo, annexe 59, témoignage de M. José Dubier.
92Ibid., annexe 62, témoignage de M. Viala Mbeang Ilwa.
93Ibid., annexe 61, témoignage du commandant Mpele Mpele.
94Ibid., annexe 58, témoignage de M. Issa Kisaka Kakule.
95 e
Plaidoirie de M Kalala, lundi 11 avril 2005, CR 2005/2, p. 22, par. 15.
96
Réplique du Congo, annexe 63, témoignage de M. Salim Byaruhanga. - 40 -
57. Monsieur le président, Madame et Messi eurs de la Cour, les soldats ougandais ont été
vus à Goma, au décollage; ils ont été vus en vol, à bord des avions qui réalisaient l’opération; ils
ont été vus à Kitona, à l’atterrissage. Et les cinq témoins sont formels: contrairement à ce qu’a
semblé affirmer un conseil de l’Ouganda, qui n’a d’ailleurs parlé que de deux d’entre eux, rien ne
permet de dire que ces témoins aient pu confondre les soldats ougandais avec des soldats rwandais
97
ou des mutins congolais . Pour de tels témoins, qu’ils soient commandants de bord ou soldats
professionnels, la différence d’uniformes et d’équipement militaire est sans doute un critère
suffisant. Voilà donc pour les sources directes.
58. Quant aux sources journalistiques, c’est un deuxième élément sur lequel je souhaite
revenir, le Congo ne les a invoquées qu’à titre confirmatif, conformément à la jurisprudence
98
internationale . Contrairement à ce que prétend l’O uganda, il s’agit de récits fondés sur des
sources différentes. Des sources congolaises, intern ationales, mais aussi ougandaises. A ce sujet,
il faut rappeler que, le 14 septembre 1998, Paul Ssemogerere, le dirigeant du parti démocrate
(Democratic Party), le principal parti d’o pposition ougandais, affirmait qu’il existait des «preuves
écrasantes» que des troupes ougandaises avaient été tr ansportées dans l’ouest du Congo, et que des
99
soldats de l’UPDF avaient été tués ou faits prisonniers à Matadi et à Kinshasa . Ces affirmations
n’ont du reste pas été sérieusement contestées en O uganda. Il suffit pour s’en convaincre de lire la
version des faits donnée par le journal New Vision : «l’Ouganda a envoyé par la voie aérienne son
3e bataillon à Kitona et Matadi» 100. Les termes sont clairs et le fait de la participation ougandaise à
l’intervention de Kitona n’est pas présenté comme un scoop ou une révélation fracassante, mais
plutôt comme un fait avéré et non contesté. New Vision, faut-il le rappeler, est non seulement le
plus grand quotidien ougandais, mais aussi un j ournal semi-officiel, très proche du Gouvernement
101
de l’Ouganda .
59. Finalement, la méthode utilisée par l’O uganda, afin de mettre en doute le caractère
probant des éléments avancés par le Congo pour attester la participation de l’UPDF à l’opération de
97Plaidoirie de M. Reichler, 15 avril 2005, CR 2005/6, p. 43-47, par. 71-78, spécialement par. 73.
98
Réplique du Congo, p. 82-86, par. 2.41-2.45.
99
Press Statement, «Uganda’s Involvement in the DRC», 14th september 1998, Annex RRDC 66.
100«Uganda airlifted its battled-hardened 3rd Battalion to Kitona and Matadi», ibid., annexe 12.
101Ibid., annexe 1. - 41 -
Kitona, consiste à les dissocier les uns des autres pour en affaiblir la portée. En réalité, il existe un
faisceau convergent de sources variées et concor dantes démontrant l’implication de l’Ouganda
dans l’opération de Kitona, le 4 août 1998. Si on combine cette implication avec l’opération «Safe
Haven», qui débute au même moment dans l’est du pays, il ne fait plus de doute que la République
démocratique du Congo s’est trouvée, dès alors, en état de légitime défe nse. A supposer même
qu’elles soient établies en fait, ce qui n’est pas le cas, les accusations ougandaises ne peuvent donc
être admises sur le plan juridique.
60. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, en guise de conclusion, je vais à
présent rappeler la réponse du Congo à la première demande reconventionn elle de l’Ouganda.
Cette demande met en jeu trois périodes radicalem ent différentes, qu’il convient d’envisager de
manière distincte.
Pour ce qui concerne la période de la pr ésidence du maréchalMobutu, l’Ouganda a, en
s’alliant avec le mouvement rebelle puis avec le gouvernement de Laurent Désiré Kabila, renoncé à
mettre en cause la responsabilité du Congo. Cette partie de la demande est irrecevable.
Subsidiairement, cette demande, da ns la mesure où elle ne s’appui e sur aucun élément de preuve,
n’est pas fondée.
Pour ce qui concerne la période qui débute avec la prise de pouvoir du présidentKabila, et
qui se termine au début du mois d’août1998, avec le déclenchement de l’agression, la demande
ougandaise est non fondée. Aucune preuve ne démo ntre en effet qu’un acte illicite ait été commis
par les autorités congolaises, que ce soit en liaison avec des rebelles ougandais ou avec des
autorités gouvernementales soudanaises.
Enfin, la même conclusion est valable pour la troisième période, qui débute en même temps
que l’agression ougandaise. Pendant cette pé riode, la République démocratique du Congo se
trouvait en situation de légitime défense, ce qui exclut en tout état de cause que l’on prétende
qu’elle a recouru à la force contre l’Ouganda.
61. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, je vous remercie pour votre
bienveillante attention, et vous prierai, après la pause j’imagine de céder la parole au
professeurSalmon, qui entamera l’argumentati on du Congo au sujet de la deuxième demande
reconventionnelle de l’Ouganda. - 42 -
The PRESIDENT: Thank you, Professor Corten.
It is time to have a break of ten minutes, after which the hearings will resume and
Professor Salmon will be given the floor.
The Court adjourned from 11.40 to 11.50 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated. Professor Salmon, you have the floor.
M. SALMON : Monsieur le président, Madame, Messieurs de la Cour,
LA DEUXIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE L ’O UGANDA
Il me revient d’entamer la présentation de la réponse de la Républiq ue démocratique du
Congo à la deuxième demande reconventionnelle de l’Ouganda.
Introduction
1. Cette dernière, insérée dans son contre-m émoire, était libellée comme suit: «Attaque de
l’ambassade de l’Ouganda et le traitement inhuma in du personnel diplomatique de l’ambassade de
l’Ouganda et d’autres nationaux ougandais» 10. Les quatre paragraphes contenant les demandes
proprement dites se trouvaient aux paragraphes 405 à 408. Il est indispensable de les relirepour
bien saisir quelle était leur nature exacte que, prétendument, la République démocratique du Congo
103
déformerait :
«405. The inhumane treatment and threats to the security and freedom of
nationals of Uganda, detaile d in paragraphs 397 to 399 above, constitute a series of
breaches of the international minimum standa rd relating to the treatment of foreign
nationals lawfully on State territory, which standard forms a part of customary or
general international law.»
Nous lisons bien: il s’agit de «traitement inhumain et de menaces à la sécu rité et la liberté de
nationaux ougandais» constituant des «violations du standa rd minimum international relatif au
traitement des étrangers» qui fait partie du «droit internationa l coutumier ou du droit international
général».
102
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 224 et explications par. 397-408.
10Intervention d’Eric Suy, CR 2005/10, p. 37, par. 40. - 43 -
«406. The confiscations of privately owned cars and other items of property
belonging to Ugandan nationals also constitute breaches of the international minimum
standard.»
Nous lisons bien: il s’agit de «confiscations de biens privés appartenant à des nationaux
ougandais» constituant à leur tour des «violations du standard minimum international».
«407. The inhumane treatment described in paragraphs 397 to 399 above, also,
and in the alternative, constitutes breaches of the standard of general international law
based upon universally recognised standards of human rights concerning the security
of the human person and the peaceful possession, use and enjoyment of property.»
Nous lisons bien: les traitements inhumains en question seraient cette fois des violations des
standards reconnus des droits de l’homme concernant la sûreté de la personne humaine et la
possession paisible, l’utilisation ou la jouissance de la propriété privée.
«408. In respect of the seizure of the Embassy of the Republic of Uganda, the
Official Residence of the Ambassador, and official cars of the mission, these actions
constitute an unlawful expropriation of the public property of the Republic of Uganda.
The absence of any provision of compensati on constitutes an additional element of
illegality.»
Ce texte est, à nouveau, très parlant. Ici il s’agit de la saisie («seizure») de biens d’Etat : les locaux
de l’ambassade de la République de l’Ouganda et de la résidence officielle de l’ambassadeur et de
voitures officielles de la mission qui constituent une « expropriation illégale [«unlawful
expropriation»] de la propriété publique de l’Ouganda sans indemnisation».
2. La Cour notera que, dans les trois premières demandes, il ne s’agit que du traitement des
étrangers. Dans la quatrième demande, l’Ougand a évoque la confiscation de biens publics
ougandais. Il eut été possible d’invoquer la c onvention de Vienne de 1961 sur les relations
diplomatiques en relation avec cette dernière demande. Sans doute la convention est-elle
mentionnée dans une lettre qui est reprise dans l’ exposé des faits qui précède, mais cette mention
n’est nullement convertie en une demande juridi que formelle. L’Ouganda n’a pas, dans ses
demandes, prié la Cour de dire que cette conventio n avait été violée. Il s’en est bien gardé; on
verra pourquoi tout à l’heure. Il se borne à présenter une réclamation pour expropriation de biens
d’Etat sans indemnisation.
3. La Cour aura aussi noté au passage que, c ontrairement à ce qu’a dit avant-hier mon vieil
104
ami Eric Suy, la RDC n’insiste pas «de façon tout à fait erronée» sur la saisie ou l’expropriation.
104
Plaidoirie de M. Suy, CR 2005/10, p. 38, par. 42. - 44 -
La demande d’indemnisation pour cette «confiscation» ou «expropriation illicite» a bien été faite
par l’Ouganda; elle était d’ailleurs chiffrée par ce dernier à plus de 6millions de dollars 10. Si
106
EricSuy estime que nous essayons d’entraîner la Cour sur une «fausse piste» , c’est que nous
n’avons pas dû apprendre le jeu de piste de la même manière quand nous étions boy-scouts.
4. La seconde demande reconventionnelle de la République de l’Ouganda, après qu’elle ait
été admise par la Cour, a été reformulée par l’Ouganda dans la duplique en se fondant cette fois sur
la violation de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques.
La République démocratique du Congo estime par conséquent
a) en premier lieu, que la demande (ainsi reformul ée dans la duplique) n’est pas recevable dans la
mesure où elle se fonde sur la violation de la convention de Vienne sur les relations
diplomatiques, et ceci, par défaut de caractère de connexité avec la demande principale (je
développerai ce point dans ma première partie);
b) en second lieu, la demande fondée sur le traite ment inhumain de nationa ux ougandais ne peut
davantage être admise car les conditions de recev abilité de la protection diplomatique ne sont
pas remplies (je développerai ce point dans ma seconde partie); enfin,
c) en troisième lieu, à les supposer recevables, les demandes découlant de cette seconde demande
reconventionnelle sont infondées, comme le démontrera ensuite M e Tshibangu Kalala.
I. En premier lieu, la demande n’est pas recevable dans la mesure où elle se fonde sur
la violation de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, par
défaut de caractère de connexité avec la demande principale.
5. Dans ses observations écrites de juin 2001 sur les demandes présentées comme
reconventionnelles par l’Ouganda, la République démocratique du Congo a soutenu que les
demandes relatives aux prétendues attaques des bâtiments et du personnel diplomatiques ougandais
à Kinshasa ne satisfaisaient pas à la condition de connexité directe requise par l’article80
paragraphe1, du Règlement de la Cour 10, qui se lit comme suit: «1. Une demande
reconventionnelle peut être présentée, pourvu qu’e lle soit en connexité directe avec l’objet de la
demande de la partie adverse et qu’elle relève de la compétence de la Cour.»
105
Contre-mémoire de l’Ouganda, par. 397 et observations écrites de l’Ouganda, p. 17, par. 30 et p. 18, par. 62.
106
Plaidoirie de M. Suy, CR 2005/10, p. 38, par. 42.
107Observations écrites du Congo, p. 47 et suiv. - 45 -
6. Répondant à cette objection, l’Ouganda fit va loir que les conditions de connexité étaient
réunies, que «les faits considérés [étaient] de même nature qu’un grand nombre de ceux poursuivis
par le Congo…» 108. Et l’Ouganda de citer que «la République démocratique du Congo se plaignait
109
d’agression armée et de toutes les exactions qui s’en sont suivies» , de «détentions préventives»,
de «traitements inhumains», de «pillages systémati ques des institutions publiques et privées». «Il
apparaî[ssai]t donc clairement, concluait l’Ouganda, qu’un grand nombre des griefs formulés par la
110
République démocratique du Congo et par l’Ouganda présent[ai]ent le même caractère factuel.»
7. L’Ouganda poursuivait :
«il est incontestable que la demande initiale de la République démocratique du Congo
et la demande reconventio nnelle de l’Ouganda font partie du même ensemble factuel
complexe… La conséquence directe des hostilités qui ont éclaté entre les deux
Etats… a été la prise d’assaut de la chancellerie ougandaise par les troupes des
armées congolaises (FAC), qui ont ensuite détenu et passé à tabac des ressortissants
ougandais [⎯ j’insiste ⎯] à l’aéroport, avant d’envahir à nouveau la chancellerie.» 111
8. Ensuite l’Ouganda soutenait: «il en va également ainsi des demandes de caractère
juridique formées par chacune des Parties…», par exemple de «violations… des droits de
l’homme au mépris du droit coutumier le plus él émentaire» ou de «dédommagement de tous les
pillages et vols». De la même façon, l’Ouga nda fondait sa demande reconventionnelle en l’espèce
sur la violation par la République démocratique du Congo du «principe du droit international
général basé sur les principes universellement reconnus des droits de l’homme» et «exige[ait] un
dédommagement pour l’expropriation illicite de biens ougandais» 112.
9. Enfin, l’Ouganda prétendait que l’ambassad e avait été mise à la disposition d’opposants
ougandais et que
«par conséquent, l’attaque de l’ambassade de l’Ouganda par l’Etat congolais ainsi que
son occupation [étaient] en connexité directe avec le soutien des groupes d’insurgés
opposés à l’Ouganda qui mènent des attaques armées contre ce dernier Etat à partir du
territoire congolais. Ces actes d’agression armée contre l’Ouganda soutenus par l’Etat
congolais [étaient]… en connexité directe avec l’objet de la demande principale
formée par la République démocratique du Congo contre l’Ouganda.» 113
108Observations écrites de l’Ouganda, p. 16, par. 57.
109
Ibid., p. 17, par. 58.
110
Ibid., p. 17, par. 60.
111Ibid., p. 17, par. 61.
112Ibid., p. 17-18, par. 62.
113Ibid., p.18, par. 63. - 46 -
10. La Cour, par son ordonnance du 29 novemb re 2001, a dit pour droit que cette demande
reconventionnelle était «recevable comme telle et fai[sai]t partie de l’instance en cours», en
motivant sa décision dans les termes suivants :
«40. … il ressort du dossier que les faits dont l’Ouganda se prévaut se sont
produits en août 1998, immédiatement apr ès l’invasion alléguée par le Congo de son
territoire; que chacune des Parties accuse l’autre d’être responsable de diverses
exactions qui auraient accompagné un emploi illicite de la force; qu’il s’agit là de faits
de même nature et que les demandes des Pa rties s’inscrivent dans le cadre du même
ensemble factuel complexe…; et considérant que chacune des Parties cherche à établir
la responsabilité de l’autre en invoquant, en relation avec l’emploi illicite de la force
allégué, certaines règles de droit inte rnational conventionnel ou coutumier relatives à
la protection des personnes et des biens ; que les Parties poursuivent ainsi les mêmes
buts juridiques;
41. Considérant que la Cour estime que la deuxième demande reconventionnelle
présentée par l’Ouganda est par suite en connexité directe avec l’objet des demand
es
du Congo.» 114
11. Il résulte de ceci que la connexité n’a été reconnue par la Cour que parce qu’elle reposait
sur l’invocation par l’Ouganda des mêmes buts juridiques que les demandes du Congo, en
particulier «en relation avec l’emploi illicite de la force allégué et certaines règles de droit
international conventionnel ou coutumier relatives à la protection des personnes et des biens».
12. Or, dans sa duplique, l’Ouganda a donné des fondements juridiques nouveaux à la
responsabilité de la RDC pour l’attaque de l’ambass ade de l’Ouganda et le traitement inhumain du
personnel diplomatique de l’ambassade de l’Ouganda et d’autres nationaux ougandais. L’Ouganda
a, en effet, changé partiellement ses demand es qui reposent désormais sur trois bases juridiques
distinctes :
⎯ la première (pour les quatre pr emiers fondements): la viola tion de divers articles de la
convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques: articles 22 (inviolabilité des
115 116
locaux de la mission) , 29 (inviolabilité de la pers onne des agents diplomatiques) ,
30(inviolabilité de la résidence privée de l’agent diplomatique) 117et 24 (inviolabilité des
118;
documents et archives de la mission)
114Ordonnance du 29 novembre 2001, par. 40 et 41; les italiques sont de nous.
115Duplique de l’Ouganda, vol. I, p. 312-316.
116
Ibid., vol. I, p. 316-320.
117Ibid., vol. I, p. 321.
118Ibid., vol. I, p. 322. - 47 -
⎯ la seconde : la violation du standard minimum international relatif au traitement des étrangers
119
(pour le cinquième fondement) ; et
⎯ la troisièm:el’expropriation illégale de biens publics de l’Ouganda (pour le
120
sixième fondement) .
13. Cette transformation de la base juridique de la réclamation ougandaise, en y incluant des
demandes fondées sur la violation de la convention de Vienne, élargit l’objet du différend que
l’Ouganda est autorisé à présenter par la Cour et ne saurait, de ce fait, être admise.
14. En réalité, la convention de Vienne est invoquée pour tenter d’attacher à certaines
personnes privées une qualité de personne jouissan t de privilèges et immunités; ainsi, les
«ressortissants» deviennent «the individual victim s were on the scene in their role as members of
121
the Ugandan Mission or as family members, or as staff, of the Mission» . Une telle qualification,
fondée sur des faits au demeurant non prouvés, est néanmoins vaine, car tout le problème est de
savoir si l’Ouganda peut invoquer ladite convention de Vienne.
15. On se souviendra que la Cour n’a fondé sa décision d’accepter la connexité directe de
cette dernière demande que par le fait que
«chacune des Parties cherche à établir la responsabilité de l’autre en invoquant, en
relation avec l’emploi illicite de la force allégué, certaines règles de droit international
conventionnel ou coutumier relatives à la protection des personnes et des
biens; … les Parties poursuivent ainsi les mêmes buts juridiques».
16. Or, alors que la RDC invoque la viol ation des dispositions de la Charte des
Nations Unies sur l’emploi de la force ou sur la no n-intervention et les conventions de La Haye et
de Genève sur la protection des personnes et de s biens en cas d’occupation et de conflit armé,
l’Ouganda se fonde soudain sur la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de1961,
qui n’avait nullement été invoquée par la RDC dans ses demandes. De cette manière, l’Ouganda
rompt le lien de connexité que la Cour avait pu déceler dans son ordonnance du 29 novembre 2001.
La convention de Vienne ne fut pas invoquée dans le contre-mémoire ni dans les observations
additionnelles de l’Ouganda comme demande car e lle ne trouvait pas sa contrepartie dans les
119Ibid., vol. I, p. 322-331.
120
Ibid., vol. I, p. 331-332.
121Ibid., p. 325, par. 703. - 48 -
demandes de la RDC. Il s’agit donc bien d’une «astuce» 122de l’Ouganda de soulever ce point dans
sa duplique pour reprendre l’expression du professeur Eric Suy.
17. Une telle modification de sa demande par l’Ouganda a pour effet de rendre irrecevable la
partie de la demande qu’elle affecte. Comm e l’a énoncé la Cour permanente de Justice
internationale dans l’affaire de la Société commerciale de Belgique , «Il est évident que la Cour ne
saurait admettre, en principe, qu’un différend porté devant elle par requête puisse être transformé,
par voie de modifications apportées aux conclusion s, en un autre différend dont le caractère ne
123
serait pas le même.»
18. En outre, le nouveau fondement donné à sa demande par l’Ouganda est susceptible de
mettre en jeu l’article63 du Statut de la Cour qui vise le droit des Etats tiers d’intervenir à
l’instance. Admettre les nouvelles prétentions de l’Ouganda concernant la convention de Vienne
de1961 reviendrait à léser les droits des autres Et ats parties à cette convention, qui n’ont pu être
avertis en temps utile, de leur droit d’intervention.
19. En conclusion, la RDC estime que, pour l es raisons exposées ci-dessus, les aspects de la
demande ougandaise qui concernent l’interprétation et l’applicati on de la convention de Vienne
de 1961 sur les relations diplomatiques doivent être écartés comme irrecevables.
II. En second lieu, la demande fondée sur le traitement inhumain de nationaux ougandais
ne peut davantage être admise car les conditions de recevabilité de la
protection diplomatique ne sont pas remplies
20. Le volet de la demande relatif à des pr étendus mauvais traitements dont auraient été
victimes certains ressortissants ougandais f ondée sur la violation du standard minimum
international relatif au traitement des étrangers est irrecevable.
21. En effet, par une telle demande, l’ Ouganda exerce manifestement sa protection
diplomatique pour les prétendues victimes. La dénégation tardive de l’Ouganda n’est pas de nature
à convaincre. Ses trois premières demandes étaient fondées sur la protection de ses ressortissants et
non en termes de protection des intérêts de l’Etat . La mutation soudaine de la demande, on l’a vu,
n’est pas acceptable.
122
Plaidoirie de M. Suy, CR 2005/10, p. 40, par. 50.
123Arrêt du 15 juin 1939, C.P.J.I. série A/B n 78, p. 173. - 49 -
22. Ceci étant posé, pour qu’une requête en faveur de ressortissants puisse être admise, elle
doit se conformer aux conditions de recevabilité attachées à l’exercice de la protection
diplomatique : d’une part, la nationalité des prét endues victimes doit être prouvée, et, d’autre part,
ces dernières doivent avoir épuisé les voies de r ecours internes. Aucune de ces conditions de
recevabilité n’est remplie en l’espèce.
23. En premier lieu, l’Ouganda n’a pas démont ré que les personnes en faveur desquelles il
prétend formuler une réclamation possèdent sa nationalité et non la nationalité rwandaise ou une
quelconque double nationalité. On se souviendra que, de l’aveu même de l’Ouganda 12,
l’ambassade abritait aussi des réfugiés rwanda is. De même, on ignore si ces personnes sont
toujours en vie et si elles possèdent toujours la nationalité ougandaise. Seul le nombre de réfugiés
concernés est connu; leur identité exacte, leur nationalité exacte, la nature des prétendus actes
illicites qui auraient été perpétrés à l’encontre de chacun d’entre eux, tous ces éléments sont
inconnus. En un mot, les données mêmes de la récl amation ne sont pas produites ni par l’identité
des victimes ni par l’objet et les circonstances du pr éjudice ni, partant, en ce qui concerne la base
juridique de la réclamation.
24. Au surplus, lesdits ressortissants sont présentés tantôt comme des personnes ayant droit
au standard international des étrangers, tantôt, je le soulignais tout à l’heure, comme des sujets
bénéficiant de la protection due au personnel diplomatique. Cette stratégie de l’Ouganda fait
immanquablement penser à la ch auve-souris de La Fontaine , qui, selon les circonstances
malencontreuses où elle allait se fourrer, s’écriait dans un cas :
«Moi Souris ! Des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grâce à l’Auteur de l’Univers,
Je suis Oiseau, voyez mes ailes
Vive la gent qui fend les airs.»
Et dans une autre aventure où elle risquait de se faire croquer en qualité d’oiseau :
«Moi, pour telle passer ! Vous n’y regardez pas
Qui fait l’oiseau ? C’est le plumage.
124
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 40, par. 51. - 50 -
Je suis Souris : vivent les rats !
Jupiter confonde les chats !»
Et La Fontaine de conclure
«Plusieurs se sont trouvés qui, d’écharpe changeants
Aux dangers ainsi qu’elle, ont souvent fait la figue…»
25. En second lieu, puisqu’il semble qu’il s’ag it de personnes qui ont quitté en groupe la
République démocratique du Congo au cours du mo is d’août1998 et que c’est à ce moment-là
qu’elles auraient subi des préjudices non spécifiés ni prouvés, il ne semble pas que la condition
d’épuisement des voies de recours internes ait ét é épuisée. La République démocratique du Congo
ne possède, à vrai dire, aucun élément pour apprécier la nature de la réclamation et, partant, elle
n’est pas en mesure d’indiquer quels recours aura ient été disponibles aux personnes en question.
La prétention de nos contradicteurs sur l’absence de tels recours en République démocratique du
Congo est gratuite et déplaisante et ne mérite pas de réponse.
26. Il en résulte que cette réclamation globale de l’Ouganda pour ses prétendus ressortissants
est irrecevable.
27. Je remercie la Cour pour sa bienveillante attention. Je vous serais reconnaissant,
e
Monsieur le président, si vous vouliez bien passer la parole à M Tshibangu Kalala qui doit clôturer
les exposés de la République démocratique du Congo de ce jour, en montrant, à titre subsidiaire,
que cette deuxième demande rec onventionnelle ougandaise est en tout état de cause dépourvue de
fondement. Je remercie la Cour de sa bienveillante attention.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Salmon. I now give the floor to Mr. Kalala.
M. KALALA : Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges,
L A DEUXIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE L ’O UGANDA N EST PAS FONDÉE EN FAIT
1. Comme le professeur Jean Salmon vient de l’exposer devant la Cour, il y a un instant, le
volet de la demande reconventionnelle de l’Ou ganda relatif aux préte ndus mauvais traitements
infligés à ses ressortissants en août 1998 à Kins hasa par les soldats congolais est manifestement
irrecevable sur le plan juridique. - 51 -
2. Il me revient maintenant de montrer à la Cour, à titre subsidiaire, que ce volet de la
demande reconventionnelle ougandaise n’est pas non pl us fondé sur le plan factuel. Dans un
second temps, j’expliquerai à la Cour que le second volet de la demande reconventionnelle
ougandaise concernant l’expropriation ou la saisie par la RDC des biens publics ougandais situés à
Kinshasa ne repose également sur aucun fondement factuel crédible.
I. La RDC n’a pas commis de mauvais traitements sur la personne des
ressortissants ougandais vivant à Kinshasa
3. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, l’Ouganda rend la RDC
responsable de mauvais traitements au préjudice de ses ressortissants au cours des événements
survenus à Kinshasa à la suite de l’éclatement de la guerre le 2août1998. A ce sujet, l’Etat
demandeur sur reconvention cite trois événements au cours desquels les mauvais traitements
allégués auraient été commis. Il s’agit : primo, d’une prétendue attaque de l’ambassade ougandaise
à Kinshasa qui aurait eu lieu «le ou aux environs du 11août1998, secundo, des incidents qui se
seraient produits à l’aéroport international de Ndjili à Kinshasa le 20août de la même année et,
tertio, d’autres incidents qui auraient été provoqués par les soldats congolais lors des opérations
d’évacuation des Ougandais de Kinshasa en a oût et septembre1998. La RDC va montrer
qu’aucune des accusations portées contre elle pa r l’Etat défendeur ne repose sur aucune base
factuelle sérieuse et crédible.
A.La RDC n’a pas maltraité, le 11 août 19 98, des ressortissants ougandais lors d’une
prétendue attaque de l’ambassade d’Ouganda à Kinshasa
4. Concernant la prétendue attaque de son am bassade à Kinshasa et de mauvais traitements
de ses ressortissants, l’Ouganda affirme dans son contre-mémoire que
«le ou aux environs du 11août 1998, les troupes congolaises ont attaqué la
chancellerie. Elles ont menacé l’ambassadeur ougandais et un autre diplomate avec
une arme, exigeant la libération des ressortissants rwandais. Elles ont également volé
de l’argent trouvé dans la chancellerie. Malgré la protestation des officiels de
l’ambassade ougandaise, le Gouvernement congolais n’a pris aucune mesure de
protection.»125
5. Pour appuyer cette accusation dirigée c ontre la RDC, l’Ouganda produit, à titre de
preuves, trois documents :
125
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 224, par. 398 - 52 -
⎯ Le premier est une lettre de protestation du 18 décembre1998, adressée par le ministre des
126
affaires étrangères de l’Ouganda aux autorités congolaises . La lecture de ce document,
rédigé quatre mois après les événements, montre clairement qu’il ne fait état d’aucun mauvais
traitement infligé à des ressortissants ougandais le ou aux environs du 11 août 1998. Il n’y est
question que des événements de septembre et novembre 1998. La RDC a signalé ce fait dans
sa réplique. Mais l’Ouganda, tant dans sa duplique que dans ses plaidoiries, n’a rien répondu.
⎯ Le deuxième document est un rapport administratif rédigé par un fonctionnaire ougandais. Ce
rapport établi le 31 mars 2001, soit vingt-deuxj ours avant le dépôt du contre-mémoire de
l’Ouganda et plus de deux ans et demi après les événements qui y sont relatés, a donc été
127
dressé unilatéralement par les autorités ouga ndaises aux fins de la présente instance . Dans
ces conditions, la valeur probante et la crédibilité de ce rapport sont plus que sujettes à caution.
En tout état de cause, ce que la RDC n’arrive pas à comprendre, et que l’Ouganda n’explique
toujours pas, est que le 21 août 1998, soit onze jours seulement après le prétendu incident,
l’ambassadeur ougandais à Kinshasa a adressé une lettre de protestation aux autorités
congolaises dans laquelle il ne fait aucune allu sion aux mauvais traitements dont lui-même et
un autre diplomate auraient été victimes le 11août1998 de la part des soldats congolais à
l’ambassade.
⎯ Le troisième document est un affidavit étab li le 20septembre2002 par l’ambassadeur de
l’Ouganda à Kinshasa. Dans ses déclarati ons consignées dans ce document, l’ancien
ambassadeur ougandais, M. Kamanda Bataringaya, ne cite même pas la prétendue attaque par
les soldats congolais de l’ambassade ougandaise qui aurait eu lieu «le ou aux environs du
11 août 1998» alors qu’il était lui-même victime de cette attaque.
La RDC s’étonne de constater que, pour une accusation aussi grave, l’Ouganda ne soit même
pas en mesure de donner la date exacte des in cidents et se contente d’une approximation en
employant l’expression «le ou aux environs du 11 août 1998» («On or around…») . En plus,
l’Ouganda affirme avoir protesté auprès des autorités congolaises à la suite des incidents concernés
126
Ibid., annexe 33.
127Ibid., annexe 89 et réplique du Congo, p. 382, par. 6.80. - 53 -
et que celles-ci n’ont rien fait. La RDC contest e formellement cette affirmation et met l’Ouganda
au défi d’apporter la preuve de cette prétendue protestation.
Au cours de sa plaidoirie de mercredi dernier, le professeur Eric Suy a déclaré que «le Congo
128
ne nie pas les faits» survenus le ou aux environs du 11 août 1998. Le Congo exprime sa surprise
devant une telle déclaration alors qu’il a consacr é plusieurs pages de ses écritures pour contester
point par point les allégations ougandaises rela tives aux prétendus incidents des environs du
11 août 1998. Si l’Ouganda ne l’avait pas encore lu ou compris, la RDC conteste ici formellement
toutes les allégations ougandaises au sujet des incidents concernés comme non fondés en fait.
6. La RDC prie donc respectueusement la C our de constater que, même en retenant un
standard de preuve particulièrement souple, la première accusation de l’Ouganda à son encontre est
totalement infondée en fait.
B.La RDC n’a pas maltraité, le 20 août 1998, des ressortissants ougandais à l’aéroport
international de Ndjili, à Kinshasa
7. A propos des événements du 20 août 1998 à l’aéroport international de Ndjili, à Kinshasa,
au cours desquels les ressortissants ougandais auraie nt subi de mauvais traitements de la part des
soldats congolais, l’Ouganda ne s’appuie que sur deux sources directes. Il s’agit d’abord d’une
lettre de protestation du 18 décembre 1998 ad ressée par le ministre ougandais des affaires
étrangères aux autorités congolaises, quatremois après les événements; il s’agit ensuite de
l’affidavit de l’ancien ambassadeur de l’Ouganda à Kinshasa. Ce sont donc, Monsieur le président,
des documents établis unilatéralement à Kampala par l’Ouganda lui-même par le canal de ses
agents. Aucune autre source neutre, fût-ce journalistique par exemple, ne reprend les allégations
ougandaises sur ce point. De ce fait, la RDC prie r espectueusement la Cour de ne pas considérer
ces documents comme des preuves judiciaires.
C. La RDC n’a pas failli à son obligation de protection à l’égard des ressortissants ougandais
8. Quant à l’accusation relative au non-respect de l’obligation de protection et de prévention,
l’Ouganda reproche à la RDC de n’avoir pas rempli cette obliga tion en refusant de répondre de
128
CR 2005/10, p. 36, par. 33, 20 avril 2005. - 54 -
manière rapide et efficace aux demandes qui lui auraient été adressées à l’époque par
l’ambassadeur de l’Ouganda à Kinshasa.
9. Dans sa réplique, la RD C a répondu de manière appropriée à cette critique et je prie la
Cour de bien vouloir s’y référer. Je n’y reviendrai donc pas ici. Il me suffit d’indiquer à la Cour
que l’Ouganda reconnaît dans ses écritures 129que la RDC a chargé un de ses fonctionnaires qui a
effectivement escorté les ressortissants ougandais en direction de l’aéroport de Ndjili afin d’assurer
leur évacuation paisible vers la ville de Brazzaville, en République du Congo.
10. On voit bien que les autorités congolai ses ont accordé une protection aux ressortissants
ougandais dans la mesure des moyens disponibles à l’époque, à un moment où la RDC tentait
péniblement de repousser une agression armée conduite notamment par les troupes ougandaises.
L’accusation de l’Ouganda n’est donc pas fondée.
11. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, je viens de terminer la première
partie de ma plaidoirie où j’ai expliqué les rais ons pour lesquelles le prem ier volet de la deuxième
demande reconventionnelle de l’Ouganda relatif aux prétendus mauvais tr aitements qu’auraient
subis ses ressortissants à Kinshasa est totalement infondé sur le plan factuel. Je vais passer
maintenant à la deuxième partie de cette plaidoirie dans laque lle je montrerai à la Cour que le
second volet de la deuxième dema nde reconventionnelle ougandaise relatif à la saisie et à
l’expropriation par la RDC des biens publics ougand ais situés à Kinshasa est également dépourvu
de tout fondement factuel.
II. La RDC n’a pas exproprié en août 1998 les biens publics de
l’Ouganda situés à Kinshasa
12. Dans ses écritures, l’Ouganda accuse la RDC de s’être appropriée les biens publics et
privés ougandais qui se seraient trouvés à Kinshasa au mois d’août 1998. Il s’agit : premièrement,
des immeubles de sa mission diplomatique, deuxi èmement, de quatre voitures officielles
appartenant à cette mission, troisièmement, des ar chives officielles de la mission diplomatique et,
quatrièmement, de plusieurs biens mobiliers ougandais. L’Etat demandeur sur reconvention
130
évaluait ces biens ainsi spoliés à son pr éjudice à 6 139 060 dollars des Etats-Unis . Je montrerai
129
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 224, par. 399.
130Ibid., p. 224, par. 397. - 55 -
à la Cour, d’une part, que chacune des accusations ougandaises est dépourvue de tout fondement et,
d’autre part, que l’évaluation des biens opérée par l’Ouganda n’est pas conforme à la réalité.
A. La RDC ne s’est pas appropriée indûment des immeubles publics ougandais
13. Dans son contre-mémoire , l’Ouganda a accusé la RDC ⎯ comme le professeur
Jean Salmon l’a relevé, il y a un instant ⎯ de «seizure of the Embassy of the Republic of Uganda
131
[and of] the Official Residence of the Ambassador» . Pour l’Ouganda, ces saisies seraient
constitutives d’une «unlawful expropriation of the public property of the Republic of Uganda» 132.
Dans sa réplique, la RDC a répondu que, en fa it, ces immeubles avaient été abandonnés par les
autorités diplomatiques ougandaises de leur propre gré, aux mois d’août et de septembre 1998, et
qu’ils étaient toujours restés depuis lors à la disposition de ces autorités.
14. Au cours de sa plaidoirie, le professeur Suy a déclaré que «l’Ouganda n’a jamais
prétendu qu’il y ait eu saisie ou expropriation de ses biens…» Et il a ajouté «Le Congo veut
133
entraîner la Cour sur une fausse piste.» Cette affirmation, Monsieur le président, est totalement
et directement contredite par le paragraphe 408 du contre-mémoire ouganda is qui parle bien de
«seizure and expropriation» de l’ambassade et de la résidence de l’ambassadeur. La RDC prend
acte de cette reculade de l’Ouganda et prie la Cour d’en faire autant. Je me p
ermets d’informer la
Cour qu’au moment où je suis en train de pl aider, les deux immeubles concernés sont à la
disposition des diplomates ougandais depuis leur retour àKinshasa intervenu au cours de l’année
passée 2004. Si les fonctionnaires ougandais n’ont pas encore occupé ces immeubles et louent
134
ailleurs, comme le professeur Eric Suy l’a relevé au cours de sa plaidoirie de mercredi dernier ,
c’est uniquement pour effectuer quelques réparations nécessitées par la vétusté et acquérir certains
équipements après plus de cinq ans d’abandon des lieux. Dans ces conditions, la RDC estime qu’il
n’y a plus de différend entre les deux Etats au sujet de ces immeubles et que l’Ouganda aura
finalement le courage de retirer solennellement devant la Cour sa réclamation y afférente.
131Ibid., p. 228, par. 408.
132
Ibid.
133CR2005/10, p. 38, par. 42, du 20 avril 2005.
134Ibid., p. 36, par. 36. - 56 -
Dans ses écritures, comme dans ses plaidoiries, l’Ouganda accuse la RDC d’avoir logé un
dissident ougandais, M. Taban Amin, dans la résidence officielle de son ambassadeur à Kinshasa et
135
nommé celui-ci comme général dans l’armée congolaise . Le Congo conteste vigoureusement
cette affirmation qui ne repose sur aucune base crédible dans la mesu re où elle rapporte des
ouï-dire. Tout ce que la RDC sait, et ceci est de notoriété publique, est que Taban Amin a été
accueilli récemment à Kampala par les autorités ougandaises qui lui ont réservé un accueil trè
s
chaleureux qui a été fortement médiatisé sur le plan international.
B.La RDC ne s’est pas appropriée indûment des voitures de la mission diplomatique
ougandaise à Kinshasa
15. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, dans son contre-mémoire, comme
lors de ses plaidoiries, l’Ouganda affirme que des soldats congolais avaient pénétré dans
l’ambassade et dans la résidence officielle de son ambassadeur à Kinshasa, en septembre 1998, et
qu’ils s’étaient emparés de quatre véhicules officiels de l’ambassade 136. Dans sa réplique, la RDC
a insisté sur l’absence de preuves à l’appui de ces allégations, de même que sur leur caractère
particulièrement peu crédible 137. A ce propos, la RDC relève que l’Ouganda produit à l’appui de
ses allégations deux documents que j’ai déjà critiqués au cours de cette plaidoirie. Il s’agit de la
lettre de protestation du 18 décembre 1998, non asso rtie d’aucun élément de preuve, et du rapport
d’évacuation établi unilatéralement le 31 mars 2001 par un fonctionnaire ougandais. Ce rapport ne
fait d’ailleurs aucune allusion à un quelconque vol de voitures de l’Ouganda qui aurait eu lieu en
septembre 1998.
16. Comme je l’ai déjà expliqué au cour s de cette plaidoirie, nous sommes en présence,
Monsieur les président, de deux documents établis unilatéralement par l’Ouganda qui ne sont pas
corroborés par aucune autre source. En tout état de cause, la RDC tient à souligner devant la Cour
que l’Ouganda n’a pas pris la précaution élémentaire d’établir contradictoirement avec les autorités
congolaises un inventaire de ses biens mobiliers, co mme il en est d’usage, avant de confier la
135
Ibid., CR 2005/10, p. 36, par. 35.
136
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 225, par. 400.
137Voir réplique du Congo, vol. 1, p. 391-392, par. 6.96-6.99. - 57 -
surveillance et la protection de ses immeubles à la RDC 138. Un tel document officiel aurait eu le
mérite de permettre d’indiquer av ec précision que tel ou tel objet au rait été soustrait ou aurait subi
des dégradations par rapport au constat initial étab li en septembre 1998. Dans la mesure où on n’a
pas établi, in tempore non suspecto, le nombre et la nature des objets que l’Ouganda aurait laissés
dans les bâtiments, il n’y a dès lors aucune b ase crédible pour prouver que l’Etat ougandais avait
laissé quatre voitures à Kinshasa et que celles-ci ont été volées par des soldats congolais.
C.La RDC ne s’est pas appropriée indûment les archives de la mission diplomatique
d’Ouganda à Kinshasa
17. Dans sa duplique 139, l’Ouganda accuse également la RDC de s’être appropriée indûment
certaines archives, ainsi que des documents officiels appartenant à sa mission diplomatique de
Kinshasa.
18. Monsieur le président, Madame et Messi eurs les juges, pour prouver l’appropriation de
ses archives par les autorités congolaises, l’Etat demandeur sur rec onvention produit deux
documents, d’une part, l’affidavit consignant le témoignage de l’ancien ambassadeur d’Ouganda à
Kinshasa et, d’autre part, le procès-verbal de constat des lieux du 28septembre2002, qui
mentionne qu’aucun bien mobilier appartenant aux diplomates ougandais n’a été retrouvé sur
place.
19. Concernant l’affidavit de l’ancien ambassadeur d’Ouganda à Kinshasa, j’ai déjà expliqué
à la Cour, il y a un instant, les raisons pour lesquelles ce document ne peut avoir de valeur probante
sur le plan judiciaire. Je n’y reviendrai donc pas.
20. Quant au procès-verbal de constat des lieux du 28septembre2002, il ne saurait
constituer un élément de preuve que si on le comparait à un autre état des lieux, dressé in tempore
non suspecto, au moment de l’évacuation des diplomates ougandais de Kinshasa. Mais ce dernier
inventaire n’a jamais été établi, probablement pa rce que les membres de la mission diplomatique
ougandaise ont emporté les biens et les archives de va leur, et ne se sont pas préoccupés des autres
papiers sans valeur qu’ils auraient laissés sur place.
138
Ibid., p. 394, par. 6.105.
139Duplique de l’Ouganda, p. 322, par. 695. - 58 -
21. Dans le cadre de sa stratégie judiciaire tendant à rendre le Congo responsable de la perte
alléguée de ses archives officielles, l’Ouga nda produit encore incidemment une liste 140, intitulée
«Loss of Uganda Government Property at Uganda Embassy», liste, encore une fois, dressée
unilatéralement par ses fonctionnaires dans leurs bureaux de Kampala aux fins de la présente
141
instance, et qui a été annexée à son contre-mémoire . La RDC a déjà critiqué ce document de
manière vigoureuse et décisive dans sa réplique 142 et l’Ouganda n’a jamais répondu. Je ne vais
donc pas reprendre ces critiques ici.
22. Pour terminer avec la critique de la demande ougandaise relative à la perte de ses
archives officielles, je me permets de signaler à la Cour la conduite surprenante de la Partie adverse
dans cette affaire.
Premièrement, il est troublant Monsieur le prési dent, Madame et Messieurs de la Cour, de
constater que l’Ouganda n’a soulevé, pour la première fois, la question du vol ou de la perte de ses
archives officielles que dans sa duplique du 6d écembre2002, soit plus de quatre ans après les
événements concernés. On n’en trouvera ainsi aucune trace ni dans les réclamations diplomatiques
formulées par l’Ouganda en août et décembre 1998, ni dans les argumentations avancées par l’Etat
demandeur sur reconvention dans le cadre de la présente instance, que ce soit au stade du
contre-mémoire, des observations relatives aux demandes reconventionnelles, ou des plaidoiries
présentées par l’Ouganda dans le cadre de la procédure en indication de mesures conservatoires.
La RDC n’arrive donc pas à comprendre comment l’ancien ambassadeur d’Ouganda à Kinshasa,
qui affirme pourtant lui-même avoir activement participé à l’élabora tion du contre-mémoire
143
ougandais , peut avoir été frappé penda nt plus de quatre années d’une amnésie totale sur
l’appropriation par les autorités congolaises d’importants documents officiels de son pays.
Deuxièmement, et ceci est fondamental, Monsieur le président, si l’Ouganda prétend soudain
que les soldats congolais avaient interdit à ses diplomates d’emporter les archives et autres
documents officiels de la mission au moment de leur départ de Kinshasa, l’Ouganda n’explique pas
140Ibid., p. 315, par. 680.
141
Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 92.
142Réplique du Congo, p. 394-395, par. 6.104-6.105.
143Supra, par. 1.35. - 59 -
comment il s’est néanmoins trouvé en possession de cer tains documents officiels établis et datés à
Kinshasa et qui sont censés provenir desdites archives. Il en est notamment ainsi :
⎯ d’un rapport établi en avril 1998 par l’ambassadeu r d’Ouganda à Kinshasa sur les événements
144
insurrectionnels dans la région des monts Ruwenzori ;
145
⎯ de la lettre de protestation ougandaise du 21 août 1998 ;
⎯ de l’autorisation de traversée délivrée le 19 août 1998 par le Gouvernement congolais aux
146
personnes dont l’ambassade d’Ouganda demandait l’évacuation ;
⎯ de la liste des trente-deux ressortissants ougandais établie par l’ambassade d’Ouganda à
Kinshasa 147 ;
⎯ de la lettre du 22 août 1998 par laquelle l’ambassadeur d’Ouganda à Kinshasa demandait aux
autorités congolaises d’ajouter deux noms à cette liste 148; et
⎯ de la lettre du 24 août 1998 adressée au Gouvernement congolais par l’ambassadeur d’Ouganda
149
à Kinshasa .
Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, comme la Cour peut facilement le constater,
tous les documents officiels que je viens de cite r, et ils sont déjà nombreux, ont été établis à
Kinshasa et détenus par l’ambassade de l’Ouganda dans ses archives. Si les diplomates ougandais
n’avaient pu emporter de documents officiels lors de leur départ de Kinshasa, en raison du fait que
les soldats congolais les en auraient empêchés, comment alors l’Ouganda a-t-il pu se procurer les
documents qui viennent d’être mentionnés et qu’il a versés au dossier ?
23. En l’absence de réponse de l’Ouganda à cette question essentielle, et au vu du caractère
particulièrement fantaisiste de cet aspect de la prétention ougandaise, la RDC ne peut que
demander à la Cour de l’écarter comme manifestement non fondée.
144
Duplique de l’Ouganda, annexe 22.
145
Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 23.
146
Duplique de l’Ouganda, annexe 28A.
147Ibid., annexe 28A.
148Ibid.
149
Ibid., annexe 29. - 60 -
D.La RDC ne s’est pas appropriée indûmen t certains biens mobiliers de la mission
diplomatique ougandaise à Kinshasa
24. Dans sa duplique, l’Ouganda prétend enfi n que la RDC aurait saisi certains biens
mobiliers de sa mission diplomati que de Kinshasa. A titre de preuves de ses allégations, l’Etat
demandeur sur reconvention présente une liste dressée unilatéralement par ses propres
150
fonctionnaires ⎯ que j’ai déjà évoquée au cours de ma plaidoirie ⎯ ainsi que le procès-verbal
de constat des lieux du 28septembre2002 qui préc ise qu’aucun bien mobilier appartenant à la
151
mission diplomatique n’a pu être découvert sur place . J’ai déjà critiqué la valeur probante de
ces deux documents au cours de cette plaidoirie. Il me suffit de rappeler que les deux documents
ne prouvent rien sur le plan judiciaire en rapport avec les prétentions de l’Ouganda.
Monsieur le président, la RDC ne comprend toujou rs pas la stratégie judiciaire de la Partie
ougandaise qui l’amène à produire devant la Cour des documents qu’il a lui-même fabriqués de
toutes pièces pour engager la responsabilité internationale d’un autre Etat. L’Ouganda n’a établi ni
que ses ressortissants ont été victimes de traitements inhumains, ni que ses biens ont été expropriés
ou dérobés.
25. Je vais maintenant aborder le dernier vol et de ma plaidoirie consacré à l’évaluation du
prétendu dommage qu’aurait subi l’Etat ougandais du fait des actes commis par les soldats
congolais.
26. Monsieur le président, Madame et Messieu rs les juges, je me permets d’observer que
selon la Partie ougandaise, la va leur de tous ses biens publics qui auraient été expropriés ou
dérobés par la RDC se chiffre à 6 319 060 dollars des Etats-Unis. La fixation de ce montant a été
effectuée unilatéralement par ses propres services et constituerait une valeur de référence pour la
152
réparation du préjudice matériel que l’Ouganda aurait subi .
27. Dans ses écritures, la RDC a déjà expliqué pourquoi la méthode de calcul adoptée par
153
l’Etat demandeur sur reconvention était profondément erronée . L’Ouganda n’a en effet pas
répondu aux objections formulées par la RDC sur ce point. Dans ces conditions, la RDC ne peut
150Supra, par. 2.51.
151
Duplique de l’Ouganda, p. 315, par. 680.
152Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 224, par. 397 et duplique de l’Ouganda, p. 331, par. 714.
153Réplique du Congo, p.394-395, par.6.105 et observations additionnelles du Congo, p.101-102,
par. 2.62-2.63. - 61 -
que renouveler l’argumentation développée dans ses écritu res. Sans entrer dans le détail de cette
argumentation, la RDC fait remarquer qu’il est pour le moins difficile de comprendre sur quelle
base elle devrait payer une somme couvrant la vale ur totale de deux bâtiments ougandais alors que
ceux-ci sont actuellement en possession de l’Ouganda et que, selon le professeur Suy, ces
immeubles n’ont jamais été saisis ni expropriés par la RDC.
28. En conclusion, la RDC est obligée d’insi ster sur les techniques très particulières de
preuve qui sont utilisées par la Partie ougandaise pour appuyer ses accusations portées contre le
Congo. Il est en effet facile d’accuser un Etat souverain d’avoir commis des mauvais traitements
sur des personnes, des vols d’arch ives, d’argent ou d’autres biens encore. Encore faut-il pouvoir
fonder ce type d’accusations sur des éléments de preuve autres qu’un étrange montage de
documents que l’on a soi-même fabriqués unilatéra lement et dont on découvre à leur lecture qu’ils
manquent totalement de pertinence, dès lors qu’ils ne font tout simplement aucune mention des
événements en cause.
29. Au total, la RDC prie respectueusement la Cour, si celle-ci conclut à la recevabilité de la
deuxième demande reconventionnelle ougandaise, de rejeter purement et simplement cette
demande comme non fondée tant en fait qu’en droit. Monsieur le président, Madame et Messieurs
les juges, ceci met fin aux plaidoiries de la Ré publique démocratique du Congo sur les demandes
reconventionnelles présentées par l’Ouganda. Monsie ur le président, je remercie la Cour de
m’avoir accordé sa bienveillante attention et lui souhaite un agréable weekend.
The PRESIDENT: Thank you very much, Mr.Kalala. I shall now give the floor to
JudgeVereshchetin, who has a separate question for each Party, and to JudgeKooijmans and
Judge Elaraby who have questions for both Parties. Judge Vereshchetin, if you please.
Judge VERESHCHETIN: Thank you, Mr. Preside nt. My first question is addressed to the
Democratic Republic of the Congo. What are the respective periods of time to which the concrete
submissions, found in the written pleadings of the Democratic Republic of the Congo, refer?
Now the question addressed to the Republic of Uganda. What are the respective periods of
time to which the concrete submissions relating to the first counter-claim, found in the written
pleadings of Uganda, refer? Thank you, Mr. President. - 62 -
The PRESIDENT: Thank you, Judge Vereshchetin. I now give the floor to
Judge Kooijmans.
Judge KOOIJMANS: Thank you, Mr. President. As you have said, the question is
addressed to both Parties. Can the Parties indicate which areas of the Provinces of Equateur,
Orientale, North-Kivu and South-Kivu were in the relevant periods in time under the control of the
UPDF and which under the control of the various rebellious militias?
It would be appreciated if sketch-maps could be added. Thank you, Mr. President.
The PRESIDENT: Thank you, Judge Kooijmans. I give the floor to Judge Elaraby.
Judge ELARABY: Thank you, Mr. President. My question is addressed to the two Parties.
The Lusaka Agreement signed on 10 July 1999 whic h takes effect 24hours after the signature,
provides that:
“The final orderly withdrawal of all fo reign forces from the national territory of
the Democratic Republic of Congo shall be in accordance with Annex‘B’ of this
Agreement.” (Ann. “A”, Chap. 4, para. 4.1.)
Sub-paragraph17 of Annex“B” provides that the “Orderly Withdrawal of all Foreign
Forces” shall take place on “D-Day + 180 days”.
Uganda asserts that the final withdrawal of its forces occurred on 2 June 2003. The question
is addressed to both Parties:
What are the views of the two Parties regard ing the legal basis for the presence of Ugandan
forces in the Democratic Republic of the Congo in the period between the date of the “final orderly
withdrawal”, agreed to in the Lusaka Agreement, and 2 June 2003? Thank you, Mr. President.
The PRESIDENT: Thank you, Judge Elaraby.
The written text of the questions will be sent to the Parties as soon as possible. The Parties
may decide, if they deem it convenient, to res pond to the questions during the second round of oral
argument. It will also be possible for them to provide written responses to the questions within one
week as from the closure of the present oral pro ceedings, that is to say, on Friday 6May2005 at
the latest. In the latter case, any comments a Party may wish to make, in accordance with - 63 -
Article 72 of the Rules of Court, on the responses by the other Party must be submitted by Friday
13 May at the latest.
This marks the end of today’s sitting. I wish to thank each of the Parties for the statements
presented in the course of this first round of oral argument. The Court will meet again on Monday
25April, from 10a.m. to 1p.m. and from 3p.m. to 4.30p.m. to hear the second round of oral
argument of the Democratic Republic of the Congo on its own claims. At the end of the afternoon
sitting on Monday, the Congo will present its final submissions on its own claims.
For its part, Uganda will present its oral reply, both on the claims of the Democratic
Republic of the Congo and on its own counter-claims on Wednesday 27April, from 10a.m. to
1p.m. and from 3p.m. to 6p.m. At the end of the afternoon sitting on Wednesday, Uganda will
present its final submissions, both on the claims of the Congo and on its own counter-claims.
The Democratic Republic of the Congo will then conclude its second round of oral argument
on Friday 29April, from 10a.m. to 11.30a.m., with respect to the counter-claims of Uganda and
will present its final submissions thereon.
Therefore, each Party will have a total of tw o full sessions of three hours for the whole of its
oral reply. I should nevertheless like to remind you that pursuant to Article 60, paragraph 1, of the
Rules of Court, the oral presentations must be as succinct as possible. The purpose of the second
round of oral argument, I would add, is to enable each of the Parties to reply to the arguments
advanced orally by the other Party. The second round must not, therefore, constitute a repetition of
past statements. It therefore goes without saying that the Parties are not obliged to avail themselves
of the entire time allowed to them. Thank you.
The Court is adjourned.
The Court rose at 1.10 p.m.
___________
Audience publique tenue le vendredi 22 avril 2005, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Shi, président