Résumé de l'arrêt du 2024

Document Number
181-20241112-SUM-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2024/10
Date of the Document
Document File

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Non officiel
Résumé 2024/10
Le 12 novembre 2024
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Azerbaïdjan c. Arménie) Résumé de l’arrêt du 12 novembre 2024
I. INTRODUCTION (PAR. 22-28)
La Cour rappelle que l’Azerbaïdjan et l’Arménie, deux républiques de l’ancienne Union des Républiques socialistes soviétiques (ci–après, l’« Union soviétique »), ont accédé à l’indépendance les 18 octobre 1991 et 21 septembre 1991, respectivement.
La région que l’Azerbaïdjan dénomme Garabagh et l’Arménie, Haut-Karabakh, était dans l’Union soviétique une entité autonome (« oblast ») majoritairement peuplée de personnes d’origine ethnique arménienne, située sur le territoire de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Les revendications concurrentes des Parties sur cette région ont déclenché des hostilités, désignées sous le nom de « première guerre du Garabagh » par l’Azerbaïdjan et de « première guerre du Haut-Karabakh » par l’Arménie, qui ont pris fin avec la conclusion d’un cessez-le-feu en mai 1994. De nouvelles hostilités ont éclaté en septembre 2020, donnant lieu à ce que l’Azerbaïdjan appelle la « deuxième guerre du Garabagh » et l’Arménie, la « deuxième guerre du Haut-Karabakh ».
Le 9 novembre 2020, le président de la République d’Azerbaïdjan, le premier ministre de la République d’Arménie et le président de la Fédération de Russie ont signé une déclaration, dite « déclaration trilatérale », qui proclamait, à compter du 10 novembre 2020, un cessez-le-feu complet et la cessation de toutes les hostilités dans la zone de conflit du Haut-Karabakh. Toutefois, la situation entre les Parties est demeurée instable et des hostilités ont de nouveau éclaté en septembre 2022, puis encore en septembre 2023.
Le 23 septembre 2021, l’Azerbaïdjan a introduit la présente instance au titre de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci–après, la « CIEDR » ou la « convention »). Dans sa requête, il fait valoir que l’Arménie a violé plusieurs dispositions de la CIEDR en menant depuis des décennies une politique de discrimination raciale. Plus précisément, il soutient que l’Arménie « s’est livrée, et continue de se livrer, à une série d’actes de discrimination visant les Azerbaïdjanais, sur le fondement de leur origine “nationale ou ethnique” au sens de la CIEDR ». L’Azerbaïdjan et l’Arménie sont tous deux parties à la CIEDR ; le premier y a adhéré le 16 août 1996 et la seconde le 23 juin 1993. La convention est entrée en vigueur pour chaque Partie le trentième jour après la date du dépôt de son instrument d’adhésion, soit, respectivement, les 15 septembre 1996 et 23 juillet 1993. Aucune des Parties n’a formulé de réserve à la convention.
La Cour rappelle que l’Arménie soulève trois exceptions préliminaires. Premièrement, elle soutient que la Cour n’a pas compétence pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la CIEDR entre les Parties le 15 septembre 1996, ou que
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ces demandes sont irrecevables. Deuxièmement, elle affirme que la Cour n’a pas compétence ratione materiae à raison des demandes de l’Azerbaïdjan relatives à la pose alléguée de mines terrestres et de pièges. Troisièmement, elle prétend que la Cour n’a pas compétence ratione materiae à raison des demandes de l’Azerbaïdjan relatives à des dommages qui auraient été causés à l’environnement.
II. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE RATIONE TEMPORIS (PAR. 29-64)
La Cour rappelle que les vues des Parties divergent quant à la question de savoir si la Cour a compétence pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives à des faits qui se seraient produits entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996, période durant laquelle l’Arménie était partie à la CIEDR, mais pas l’Azerbaïdjan. Dans sa première exception préliminaire, l’Arménie soutient que la Cour n’a pas compétence ratione temporis à l’égard desdites demandes, ou, à titre subsidiaire, que celles-ci sont irrecevables.
Aux fins de l’examen de la question du droit de l’Azerbaïdjan d’invoquer la responsabilité de l’Arménie à raison des faits qui se seraient produits à un moment où la CIEDR n’était pas en vigueur entre les Parties, la Cour considère qu’il convient, dans un premier temps, de clarifier deux points dont les Parties ont débattu : le premier est celui de savoir si le principe de la non-rétroactivité des traités a une incidence sur la compétence conférée à la Cour par l’article 22 de la convention, et le second, si le caractère erga omnes partes de certaines obligations découlant de la CIEDR peut avoir une incidence sur la portée temporelle de la compétence de la Cour en vertu de cet instrument.
S’agissant du premier point, la Cour rappelle que l’article 22 de la CIEDR précise la portée de la compétence de la Cour ratione personae et ratione materiae, mais que rien, dans son libellé, n’en définit la portée temporelle. Elle considère que la référence faite par l’Arménie au principe de non-rétroactivité des traités soulève une question concernant la relation entre les dispositions de fond et la clause compromissoire de la CIEDR. Conformément à ce principe, tel qu’énoncé à l’article 28 de la convention de Vienne sur le droit des traités, à moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, les dispositions d’un traité ne lient pas une partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date d’entrée en vigueur de ce traité à l’égard de cette partie ou une situation qui avait cessé d’exister à cette date. Ce principe définit l’application temporelle des dispositions de fond d’un traité pour un État partie, et il détermine le moment à partir duquel la responsabilité d’un État partie peut être engagée à raison de son comportement au regard du traité.
La Cour relève qu’il n’y a pas de désaccord entre les Parties quant au fait que l’Arménie était liée par les dispositions de la CIEDR pendant la période entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996, et qu’aucune des allégations de l’Azerbaïdjan n’a trait à des faits antérieurs à l’adhésion de l’Arménie à la CIEDR. Par conséquent, s’agissant des obligations de l’Arménie au regard de la CIEDR, il n’est nullement question de rétroactivité. La Cour observe toutefois que la question qu’il lui incombe de trancher n’est pas celle de savoir si les obligations prévues par la CIEDR s’imposaient à l’Arménie pendant la période pertinente. Il s’agit plutôt de savoir si l’article 22, en vertu duquel l’Azerbaïdjan a consenti à la compétence de la Cour, offre à celle-ci une base de compétence lui permettant de connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives aux faits qui se seraient produits avant que celui–ci devienne partie à la convention.
La Cour estime que, sauf réserve ou indication contraire expresse, la portée temporelle de la compétence qui lui est conférée par une clause compromissoire est déterminée par la portée de l’application temporelle des dispositions de fond d’un traité entre les parties en cause. Elle considère que, en l’espèce, la portée temporelle de la compétence que lui confère l’article 22 de la CIEDR doit être liée à la date à laquelle les obligations découlant de cette convention ont pris effet entre les Parties, à savoir le 15 septembre 1996, et non à celle à laquelle l’Arménie est devenue partie à la convention.
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La Cour en vient ensuite au second point, concernant le caractère erga omnes partes des obligations découlant de la CIEDR et ses effets sur la compétence. Renvoyant à sa jurisprudence, elle rappelle que le seul fait que des droits et obligations erga omnes seraient en cause dans un différend ne saurait donner compétence à la Cour pour connaître de ce différend.
La Cour considère que la compétence qui lui est attribuée par les États parties en vertu de l’article 22 de la CIEDR, malgré l’absence dans cette disposition d’indication expresse quant à la portée temporelle de son application, est régie par les règles pertinentes relatives à la compétence, à savoir les principes du consentement, de la réciprocité et de l’égalité entre les États. Toute dérogation à ces principes ne peut être admise que si elle est expressément prévue.
La Cour observe que, entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996, étant donné que l’Azerbaïdjan n’avait pas encore adhéré à la CIEDR, les Parties n’étaient pas liées par des relations conventionnelles au titre de cet instrument. Sur le plan procédural, si l’Azerbaïdjan était autorisé à formuler des griefs contre l’Arménie à raison des actes que celle-ci aurait commis pendant cette période, tandis que l’Arménie n’avait pas la possibilité d’exercer ce même droit contre l’Azerbaïdjan à raison du comportement de ce dernier au cours de la même période étant donné qu’il n’avait pas le statut d’État partie, il n’y aurait pas de réciprocité ni d’égalité entre les Parties. En ce qui concerne le fond, pendant la période pertinente, l’Arménie, en tant qu’État partie, devait ses obligations au titre de la CIEDR à tous les autres États parties, mais pas aux États qui n’y étaient pas parties.
Citant les règles coutumières relatives à la responsabilité de l’État telles que reflétées aux articles 13 et 42 des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (ci-après, les « articles de la CDI sur la responsabilité de l’État »), la Cour rappelle que le fait de l’État ne constitue pas une violation d’une obligation internationale à moins que l’État ne soit lié par ladite obligation au moment où ce fait se serait produit. Elle précise que, lorsqu’un État cherche à invoquer la responsabilité d’un autre État, il lui appartient de montrer que l’obligation dont la violation est alléguée était due par l’État responsable à l’État requérant. En conséquence, puisque, entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996, l’Arménie ne devait pas d’obligation à l’Azerbaïdjan au titre de la CIEDR, celui-ci n’a pas le droit d’invoquer la responsabilité de l’Arménie à raison des actes qui auraient été commis pendant cette période.
À cet égard, la Cour relève que l’Azerbaïdjan invoque la décision rendue par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-après, le « Comité de la CIEDR ») sur la communication interétatique soumise par l’État de Palestine contre Israël. Selon l’Azerbaïdjan, le Comité de la CIEDR a estimé dans ce cadre que les articles 11 à 13 de la convention ne disposaient pas que le mécanisme interétatique ne pouvait être utilisé que pour les violations qui avaient été perpétrées après la ratification de la CIEDR par l’État partie à l’origine de la procédure. La Cour observe qu’il existe une différence de nature entre la procédure interétatique de présentation de communications établie par les articles 11 à 13 de la CIEDR et le mécanisme judiciaire de règlement des différends prévu à l’article 22. La première vise à contrôler le respect par les États parties de leurs obligations au titre de la convention, tandis que le second vise le règlement de différends relatifs à des obligations que les États, en devenant parties à la convention, ont accepté d’assumer les uns vis-à-vis des autres. Le mécanisme judiciaire ne peut donc être mis en oeuvre que pour régler des différends relatifs à des faits survenus à un moment où les deux États concernés étaient liés par les obligations en cause. En conséquence, les positions adoptées par le Comité de la CIEDR en ce qui concerne l’exercice de sa compétence dans le cadre du mécanisme interétatique de contrôle du respect de la convention ne sont pas pertinentes aux fins de l’interprétation et de l’application de la clause compromissoire invoquée en l’espèce pour fonder la compétence de la Cour.
La Cour conclut que le 15 septembre 1996 constitue la date à retenir aux fins de la détermination de la portée temporelle de la compétence qui lui est conférée, en la présente espèce, par l’article 22 de la CIEDR.
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La Cour examine ensuite l’assertion de l’Azerbaïdjan relative à des faits continus ou composites, selon laquelle quand bien même la Cour retiendrait le 15 septembre 1996 comme date critique pour déterminer la limite temporelle de sa compétence, elle serait néanmoins compétente ratione temporis pour connaître des demandes qu’il a présentées concernant des faits continus ou composites qui auraient débuté entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996 et se seraient poursuivis après la date critique. La Cour rappelle que, aux termes du paragraphe 2 de l’article 14 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, la violation d’une obligation internationale par le fait de l’État ayant un caractère continu s’étend sur toute la période durant laquelle le fait continue et reste non conforme à l’obligation internationale. S’agissant des faits illicites composites, la Cour rappelle que le paragraphe 2 de l’article 15 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’État dispose que la violation d’une obligation internationale, dans le cas de faits composites, s’étend sur toute la période débutant avec la première des actions ou omissions d’une série et dure aussi longtemps que ces actions ou omissions se répètent et restent non conformes à ladite obligation internationale. La caractéristique essentielle de pareils faits est qu’il s’agit d’une série d’actions ou d’omissions définie dans son ensemble comme illicite. À cet égard, la Cour note que la question de savoir si un fait internationalement illicite a un caractère continu ou composite dépendra à la fois du contenu de l’obligation en question et des circonstances d’une affaire donnée.
La Cour rappelle que, en l’espèce, l’Azerbaïdjan affirme que les actions et omissions de l’Arménie à caractère cumulatif ou considérées dans leur ensemble constituent une pratique de nettoyage ethnique qui est « une violation distincte » de la CIEDR. Il avance que l’Arménie se livre de longue date à une campagne de nettoyage ethnique systématique, qui a commencé avant le 15 septembre 1996 et s’est poursuivie après cette date.
La Cour note que la violation de certaines obligations prévues par la CIEDR peut être la conséquence de faits de nature continue ou composite. Pour statuer sur la demande de l’Azerbaïdjan, elle doit d’abord déterminer s’il existe des éléments de preuve suffisants pour établir que l’Arménie a effectivement mené une telle campagne contre l’Azerbaïdjan pendant la période pertinente et, dans l’affirmative, s’il existe des faits illicites de nature continue ou composite devant engager la responsabilité de l’Arménie au regard de la CIEDR. Ces questions devront être tranchées au fond. Au stade actuel, la Cour doit simplement déterminer dans quelle mesure elle a compétence, ratione temporis, pour connaître du comportement en question.
La Cour précise que, si elle devait constater, au stade de l’examen au fond, un fait illicite de nature continue ou composite qui aurait débuté avant le 15 septembre 1996 et se serait poursuivi après cette date, il en résulterait que la responsabilité de la défenderesse à l’égard du demandeur serait engagée à raison des actions ou omissions commises après cette date, qui est celle à laquelle les obligations pertinentes sont entrées en vigueur entre les Parties. À cet égard, la Cour ne serait néanmoins pas empêchée de prendre en considération des faits survenus avant cette date, dans la mesure où ils seraient pertinents aux fins de son examen du comportement postérieur de la défenderesse qui ressortit à sa compétence.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle n’a pas compétence ratione temporis pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan fondées sur des faits qui se seraient produits entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996. La première exception préliminaire d’incompétence soulevée par la défenderesse doit donc être retenue.
Point n’est dès lors besoin pour la Cour d’examiner les arguments des Parties sur la question de la recevabilité.
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III. DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE À RAISON DE LA POSE ALLÉGUÉE DE MINES TERRESTRES ET DE PIÈGES PAR L’ARMÉNIE (PAR. 65-77)
Est ensuite examinée la deuxième exception préliminaire soulevée par l’Arménie, faisant valoir que la Cour n’a pas compétence ratione materiae au titre de la CIEDR « à l’égard des demandes et prétentions de l’Azerbaïdjan relatives à la pose alléguée de mines terrestres et de pièges ».
La Cour indique que, pour statuer sur sa compétence ratione materiae au titre de la CIEDR s’agissant de la pose alléguée de mines terrestres et de pièges, elle doit d’abord déterminer si, dans sa requête introductive d’instance et son mémoire, l’Azerbaïdjan l’a priée de constater que l’Arménie avait violé la CIEDR à raison de la pose alléguée de mines terrestres et de pièges, ou bien s’il visait à établir que l’utilisation des armes en question était une preuve à l’appui de son grief relatif à la campagne de nettoyage ethnique que l’Arménie aurait menée.
La Cour observe que l’Azerbaïdjan invoque la pose de mines terrestres et de pièges à l’appui de la prétention selon laquelle l’Arménie aurait employé des moyens militaires dans le cadre d’une politique de nettoyage ethnique. La Cour considère que l’Azerbaïdjan ne lui demande pas de constater que la pose de mines terrestres et de pièges constitue en soi une violation des obligations découlant de la CIEDR. Étant donné que l’Azerbaïdjan ne prétend rien de tel, la deuxième exception préliminaire de l’Arménie est sans objet. La Cour examinera donc au stade du fond les arguments et les éléments de preuve présentés par l’Azerbaïdjan au soutien de ses conclusions relatives à des faits allégués de nettoyage ethnique.
À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la deuxième exception préliminaire soulevée par l’Arménie visant à exclure du champ de sa compétence les demandes relatives à la pose de mines terrestres et de pièges est sans objet et, partant, qu’elle doit être rejetée.
IV. TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE À RAISON DE PRÉTENDUS DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX (PAR. 78-100)
La Cour en vient à la troisième exception préliminaire soulevée par l’Arménie, faisant valoir que la Cour n’a pas compétence ratione materiae au titre de la CIEDR pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives à des dommages environnementaux.
La Cour rappelle que, afin de déterminer si elle a compétence ratione materiae pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives aux dommages environnementaux, elle doit rechercher si les actions ou omissions dont l’Azerbaïdjan fait grief à l’Arménie entrent dans le champ d’application de la CIEDR, autrement dit, si les faits en cause, à les supposer établis, sont susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale.
La Cour note que les dommages environnementaux dont l’Azerbaïdjan tire grief recouvrent les faits allégués suivants : dégradation de forêts et destruction d’arbres classés comme monuments naturels, destruction et pillage d’infrastructures hydrauliques telles que des conduites d’eau et systèmes d’irrigation, destruction et dégradation de terres agricoles et de vignobles, dégradation de la qualité du sol et de l’eau par suite d’activités d’exploitation minière, manque d’entretien et mauvaise gestion d’infrastructures d’approvisionnement en eau, et détournement de ressources en eau. La Cour constate en outre que les dommages environnementaux allégués concerneraient les districts qui entourent la région du Haut-Karabakh, dont la population était majoritairement d’origine ethnique azerbaïdjanaise avant les hostilités qui ont pris fin en mai 1994. Ces dommages seraient survenus pendant la période où ces territoires étaient sous contrôle arménien, à savoir entre 1994 et 2020.
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La Cour reconnaît qu’on ne saurait exclure qu’un comportement donnant lieu à des dommages causés à l’environnement puisse, dans certains cas, constituer un acte de discrimination raciale au regard de la CIEDR. En l’espèce, elle note cependant que, selon l’Azerbaïdjan lui-même, les supposées dégradation de forêts et destruction d’arbres dans les districts précédemment peuplés pour l’essentiel de personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise sont la conséquence d’activités agricoles et industrielles et de feux de forêt non maîtrisés. En particulier, l’Azerbaïdjan affirme que des forêts ont été abattues « pour laisser la place à des mines, centrales hydroélectriques et infrastructures associées … devant permettre à l’Arménie de tirer profit des abondantes ressources naturelles des territoires qu’elle occupait alors ». Il affirme aussi que l’abattage de bois d’oeuvre ne se produisait pas, en général, à proximité des communautés habitées et avait « des visées commerciales ». La Cour observe en outre que, selon l’Azerbaïdjan, l’Arménie soutenait et facilitait la surexploitation de ressources minérales, causant des dommages environnementaux dévastateurs dans des districts précédemment peuplés de personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise.
La Cour est d’avis que les actions et omissions alléguées de l’Arménie concernant la déforestation et la surexploitation de ressources minérales auraient servi des objectifs commerciaux ou auraient été dues à la négligence pour l’environnement et à sa mauvaise gestion. Par conséquent, quand bien même elles seraient établies et attribuables à l’Arménie, ces actions et omissions ne constitueraient pas une différence de traitement fondée sur un motif prohibé par le paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
En ce qui concerne les infrastructures hydrauliques, l’Azerbaïdjan allègue que l’Arménie les a négligées et mal gérées dans les « territoires alors occupés » et qu’elle détournait d’importantes ressources en eaux au profit de personnes d’origine ethnique arménienne, ce qui avait contribué à la dégradation des terres agricoles dans des districts précédemment peuplés de personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise et privé de l’eau nécessaire à l’irrigation et d’eau potable les Azerbaïdjanais vivant dans des zones de l’Azerbaïdjan adjacentes aux « territoires alors occupés ». La Cour considère que la destruction et la déviation alléguées de cours d’eau auraient touché différents groupes ethniques, et pas seulement les personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise. Un tel comportement, à supposer qu’il soit établi et attribuable à l’Arménie, ne saurait être fondé sur un motif prohibé par le paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
La Cour observe en outre que les Parties conviennent que des personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise ne vivaient pas dans les territoires concernés par les dommages environnementaux allégués à l’époque où l’Arménie contrôlait ces territoires.
En conséquence, dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime que, quand bien même les dommages qui auraient été causés à l’environnement seraient établis et attribuables à l’Arménie, les actes qui auraient causé des dommages à l’environnement n’entrent pas dans le champ d’application de la CIEDR, dès lors qu’ils ne sont ni susceptibles de constituer un traitement différencié fondé sur l’origine nationale ou ethnique, ni susceptibles de détruire ou de compromettre, par leur but ou par leur effet, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme des personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise, au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la convention.
À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle n’est pas compétente ratione materiae pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives aux dommages environnementaux. La troisième exception préliminaire soulevée par l’Arménie doit donc être retenue.
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DISPOSITIF (PAR. 101)
Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par quatorze voix contre trois,
Retient la première exception préliminaire soulevée par la République d’Arménie ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Yusuf, Mme Cleveland, juges ; M. Koroma, juge ad hoc ;
2) Par seize voix contre une,
Rejette la deuxième exception préliminaire soulevée par la République d’Arménie ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Koroma, juge ad hoc ;
3) Par douze voix contre cinq,
Retient la troisième exception préliminaire soulevée par la République d’Arménie ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Brant, Gómez Robledo, Aurescu, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Nolte, Mmes Charlesworth, Cleveland, M. Tladi, juges ; M. Koroma, juge ad hoc ;
4) À l’unanimité,
Dit qu’elle a compétence sur la base de l’article 22 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, sous réserve des points 1 et 3 du présent dispositif, pour connaître de la requête déposée par la République d’Azerbaïdjan le 23 septembre 2021.
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M. le juge TOMKA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge YUSUF joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge IWASAWA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge NOLTE, Mmes les juges CHARLESWORTH, CLEVELAND et M. le juge TLADI joignent à
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l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune ; Mme la juge CHARLESWORTH joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; Mme la juge CLEVELAND joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge TLADI joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
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Exceptions préliminaires soulevées par l'Arménie

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