DÉCLARATION DE MME LA JUGE CLEVELAND
[Traduction]
1. Dans l’ordonnance de ce jour, la Cour indique que, « [à] la lumière de l’ensemble des éléments qui précèdent, [elle] considère qu’il n’y a, pour l’heure, pas d’urgence, en ce sens qu’il n’existe pas de risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués par le demandeur » (par. 34). Elle ne précise pas ce que recouvre « l’ensemble des éléments qui précèdent » et, dans les paragraphes précédents (par. 28-33), n’examine expressément que les assurances données par l’Équateur. Je joins donc la présente déclaration à l’ordonnance pour revenir brièvement sur les circonstances telles qu’elles se présentent à la Cour et dont il ressort qu’il n’y a, pour l’heure, aucune urgence qui lui imposerait d’exercer son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires (par. 36).
2. Les assurances formelles que l’Équateur a d’abord données à la Cour, par lettre datée du 19 avril 2024, puis de nouveau au cours des audiences publiques, ont joué un rôle déterminant dans la décision de ce jour (par. 32 et 33). La Cour souligne à cet égard que ces assurances sont inconditionnelles et créent des obligations juridiques pour le défendeur (par. 33). Cette approche est conforme à la décision rendue par la Cour en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) (mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 155, par. 72 et 73).
3. Ce nonobstant, les assurances ne suffisent pas toujours à écarter tout risque réel et imminent de préjudice irréparable, même si elles contribuent à l’atténuer (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 17 novembre 2023, par. 64). Cela peut notamment être le cas lorsqu’un État a donné, dans le cadre de communications bilatérales ou d’une autre façon, des assurances diplomatiques qu’il n’a ensuite pas respectées, ou lorsqu’un État ne s’est pas conformé à de précédentes ordonnances rendues par la Cour (voir Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), mesures conservatoires, ordonnance du 22 novembre 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 366, par. 50).
4. En l’espèce, d’autres considérations que les assurances données par l’Équateur ont pesé dans la décision de la Cour. Comme cette dernière l’expose en détail au paragraphe 26 de l’ordonnance, l’Équateur soutient qu’il n’a aucune raison de pénétrer de nouveau dans les locaux diplomatiques du Mexique, puisque le but de l’opération qu’il a menée le 5 avril 2024 était d’appréhender M. Glas Espinel. De plus, le 9 avril 2024, la ministre des affaires étrangères de l’Équateur a demandé que ces locaux soient placés sous protection, conformément à l’alinéa a) de l’article 45 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, demande qui a ensuite été communiquée aux forces spéciales de la police équatorienne par le ministère de l’intérieur. Enfin, le défendeur a fait état de ce qu’une chambre de la Cour nationale de justice avait déclaré, par décision du 17 avril 2024, que l’arrestation de M. Glas Espinel, effectuée sans le consentement des autorités mexicaines, emportait violation du droit équatorien. L’Équateur affirme que sa Cour nationale a conclu que l’entrée dans une mission diplomatique requérait, en toutes circonstances, le consentement du chef de mission, et que l’état d’urgence ne justifiait aucune exception à cette règle.
5. Le Mexique n’a pas présenté à la Cour de preuve établissant au contraire qu’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits qu’il tient de la convention
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de Vienne sur les relations diplomatiques, notamment en ce qui concerne la protection de ses locaux diplomatiques, et des biens et archives qui s’y trouvent.
6. Les circonstances exposées ci-dessus sont des éléments importants du contexte dans lequel l’Équateur a donné ses assurances formelles et, considérées dans leur ensemble, permettent à la Cour de conclure qu’il n’y a, pour l’heure, pas d’urgence. Par conséquent, les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à la Cour, ne sont pas de nature à exiger que celle-ci exerce son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires.
(Signé) Sarah H. CLEVELAND.
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Déclaration de Mme la juge Cleveland