Déclaration of de M. le juge Bhandari

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194-20240523-ORD-01-01-EN
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194-20240523-ORD-01-00-EN
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE BHANDARI
[Traduction]
Existence de deux types de demandes en indication de mesures conservatoires, devant être traités différemment — Critère permettant de déterminer s’il convient d’indiquer des mesures conservatoires au titre de l’article 41 du Statut de la Cour — Assurances contraignantes ayant été données devant la Cour — Cour n’étant tenue d’examiner qu’un seul des éléments composant ledit critère, à savoir celui qui concerne la compétence prima facie — Examen des autres éléments étant inutile.
1. Je souscris à la décision de la Cour de ne pas indiquer de mesures conservatoires. Je joins la présente déclaration à l’ordonnance afin d’exposer mes vues sur la manière dont il convient d’examiner une demande en indication de mesures conservatoires lorsque, comme en l’espèce, le défendeur a, devant la Cour, offert des assurances ou pris des engagements contraignants reprenant pour l’essentiel la formulation des mesures sollicitées.
2. Le critère permettant de déterminer s’il convient d’indiquer des mesures conservatoires au regard de l’article 41 du Statut est bien établi dans la jurisprudence de la Cour. Il est généralement composé des éléments suivants : 1) les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle pourrait être fondée la compétence de la Cour, laquelle n’a toutefois pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire ; 2) les droits revendiqués par le demandeur sont au moins plausibles ; 3) un préjudice irréparable risque d’être causé à ces droits ou la méconnaissance alléguée de ces droits risque d’entraîner des conséquences irréparables ; 4) la Cour n’exerce son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués avant qu’elle ne rende sa décision définitive (la condition d’urgence étant remplie dès lors que les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable peuvent intervenir à tout moment avant que la Cour ne se prononce de manière définitive en l’affaire) (voir, par exemple, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 15, 35, 60 et 61).
3. À mon sens, la Cour doit établir une distinction entre les demandes en indication de mesures conservatoires ordinaires et celles auxquelles le défendeur répond en offrant des assurances ou en prenant des engagements juridiquement contraignants essentiellement formulés dans les mêmes termes que les mesures sollicitées.
4. Selon moi, lorsqu’un défendeur, en réponse à une demande en indication de mesures conservatoires, offre des assurances ou prend des engagements qui sont contraignants, la Cour n’est tenue d’examiner qu’un seul des éléments composant le critère susmentionné, à savoir celui qui concerne la compétence prima facie, tel que mentionné au paragraphe 2 de la présente déclaration. Point n’est besoin pour elle d’examiner les autres éléments ; elle peut statuer sur la demande sur la base desdits engagements et assurances.
5. Il est déjà arrivé qu’une partie donne, en réponse à une demande en indication de mesures conservatoires, des assurances sous la forme d’un engagement contraignant reprenant (au moins partiellement) la formulation des mesures sollicitées. Le 28 septembre 2023, l’Arménie a présenté une demande en indication de mesures conservatoires en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie
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c. Azerbaïdjan) (ce n’était pas la première demande de ce type qu’elle déposait en l’espèce). La Cour a rendu son ordonnance sur cette demande le 17 novembre 2023. Or, dans cette instance, l’Azerbaïdjan avait pris des engagements, notamment à l’audience, formulés dans les mêmes termes que plusieurs des mesures demandées par l’Arménie (CR 2023/22, p. 22-23, par. 27).
6. Dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 17 novembre 2023 dans cette affaire, la Cour a conclu que lesdits engagements étaient juridiquement contraignants pour l’Azerbaïdjan (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 17 novembre 2023, C.I.J. Recueil 2023 (II), p. 638, par. 62). Elle a ensuite dit ce qui suit :
« 63. La Cour constate que nombre des engagements de l’Azerbaïdjan répondent aux préoccupations exprimées par l’Arménie dans la cinquième demande, bien qu’ils ne correspondent pas à tous égards aux mesures sollicitées.
64. De l’avis de la Cour, les engagements pris par l’agent de l’Azerbaïdjan à l’audience publique tenue l’après-midi du 12 octobre 2023 contribuent à atténuer le risque imminent de préjudice irréparable résultant de l’opération déclenchée par l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh le 19 septembre 2023, mais ne l’écartent pas totalement. » (Ibid., par. 63-64).
7. De même, dans l’ordonnance rendue le 22 février 2023 dans la même affaire, la Cour a pris note de l’engagement pris par l’agent de l’Azerbaïdjan le 30 janvier 2023, lors de la procédure orale consacrée à l’une des demandes en indication de mesures conservatoires de l’Arménie. Elle a toutefois précisé que cet engagement « n’élimin[ait] pas complètement le risque imminent qu’un préjudice irréparable soit causé » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 22 février 2023, C.I.J. Recueil 2023 (I), p. 28, par. 56).
8. Comme cela ressort clairement des extraits cités ci-dessus, dans cette affaire, la Cour a tenu compte, pour apprécier l’élément concernant le « risque de préjudice irréparable », des engagements pris. Elle en a conclu que ces engagements avaient une incidence sur le point de savoir si cet élément particulier du critère permettant de déterminer l’opportunité d’indiquer des mesures conservatoires avait été établi.
9. Dans la présente instance également, la Cour dit, au paragraphe 34 de son ordonnance, que, « [à] la lumière [des assurances contraignantes données par l’Équateur devant elle], … il n’y a, pour l’heure, … pas de risque … imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués par le demandeur ». Elle ajoute ensuite, au paragraphe 35 : « les conditions pour l’indication de mesures conservatoires précisées dans sa jurisprudence sont cumulatives. Ayant constaté que l’une de ces conditions n’était pas remplie, la Cour n’est donc pas tenue de rechercher si les autres le sont. » Les assurances fournies par l’Équateur sont reproduites aux paragraphes 30 et 31 de l’ordonnance.
10. À mon sens, cependant, ces assurances contraignantes ont une plus large portée. Lorsqu’une partie fournit, en réponse à une demande en indication de mesures conservatoires, des assurances juridiquement contraignantes formulées dans les mêmes termes que ladite demande, la Cour, dès lors qu’elle considère avoir compétence prima facie, n’a pas à apprécier les autres éléments qui composent le critère. En effet, lesdites assurances, dans la mesure où elles reprennent la formulation de la demande, dispensent la Cour d’indiquer des mesures conservatoires. Il me paraît inutile d’examiner ces assurances au regard de l’élément concernant le « risque de préjudice
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irréparable », puisque, au-delà de la question de savoir si ce risque existe, elles répondent à celle, plus générale, de savoir s’il est même nécessaire d’indiquer des mesures conservatoires.
(Signé) Dalveer BHANDARI.
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