23 MAY 2024
ORDER
EMBASSY OF MEXICO IN QUITO (MEXICO v. ECUADOR)
___________
AMBASSADE DU MEXIQUE À QUITO (MEXIQUE c. ÉQUATEUR)
23 MAI 2024
ORDONNANCE
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
CHRONOLOGIE DE LA PROCÉDURE 1-14
I. CONTEXTE FACTUEL 15-22
II. EXAMEN DE LA DEMANDE 23-35
III. CONCLUSION 36
DISPOSITIF 39
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2024
2024
23 mai
Rôle général
no 194
23 mai 2024
AMBASSADE DU MEXIQUE À QUITO
(MEXIQUE c. ÉQUATEUR)
DEMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES
ORDONNANCE
Présents : M. SALAM, président ; Mme SEBUTINDE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM, Mme XUE, MM. BHANDARI, IWASAWA, NOLTE, Mme CHARLESWORTH, MM. BRANT, GÓMEZ ROBLEDO, Mme CLEVELAND, MM. AURESCU, TLADI, juges ; M. MCRAE, juge ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu les articles 41 et 48 du Statut de la Cour et les articles 73, 74 et 75 de son Règlement,
Rend l’ordonnance suivante :
1. Le 11 avril 2024, les États-Unis du Mexique (ci-après le « Mexique ») ont déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République de l’Équateur (ci-après l’« Équateur ») ayant trait « à des questions juridiques relatives au règlement des différends internationaux par des moyens pacifiques et des relations diplomatiques, et à l’inviolabilité d’une mission diplomatique ».
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2. Au terme de sa requête, le Mexique
« prie respectueusement la Cour :
a) en ce qui concerne l’obligation de régler les différends internationaux par des moyens pacifiques,
i) de dire et juger que, en recourant à l’emploi de la force pour faire irruption dans les locaux de l’ambassade du Mexique, l’Équateur a manqué à ses obligations découlant du droit international, notamment du paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, du paragraphe i) de l’article 3 de la charte de l’Organisation des États américains et de l’article 2 du pacte de Bogotá,
ii) de dire et juger que l’Équateur a enfreint de manière persistante les principes énoncés dans la Charte des Nations Unies ;
b) en ce qui concerne les locaux de l’ambassade du Mexique en Équateur et son personnel diplomatique,
i) de dire et juger que, en déployant des forces spéciales de la police et du personnel militaire à l’extérieur et à l’intérieur des locaux diplomatiques du Mexique en Équateur, en portant atteinte à l’intégrité et à la dignité du personnel diplomatique mexicain, en interceptant et en écoutant des communications privées de l’ambassade, et en pénétrant de force dans celle-ci, l’Équateur a manqué à ses obligations découlant du droit international, notamment des articles 22, 25, 27, paragraphe 1, et 29 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, et de la pratique ultérieure,
ii) de prescrire à l’Équateur de prendre toutes les mesures immédiates qui s’imposent pour respecter et protéger les locaux de la mission, ainsi que les biens et les archives qui s’y trouvent, conformément à l’alinéa a) de l’article 45 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques,
iii) de prescrire à l’Équateur de réparer intégralement le préjudice subi par le Mexique ;
c) au vu de tous les manquements de l’Équateur à ses obligations internationales à l’égard du Mexique,
i) de dire et juger que l’Équateur est responsable du préjudice que les manquements à ses obligations internationales ont causé et causent encore au Mexique,
ii) de suspendre l’Équateur de sa qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies, jusqu’à ce qu’il présente des excuses publiques reconnaissant ses violations des normes et principes fondamentaux du droit international, afin de garantir la réparation du préjudice moral infligé aux États-Unis du Mexique et à ses ressortissants concernés,
iii) de dire et juger que, en cas de manquement à des principes énoncés dans la Charte des Nations Unies semblable à ceux dont l’Équateur s’est rendu coupable en la présente espèce, la Cour est l’organe judiciaire compétent pour déterminer la responsabilité d’un État, en vue d’engager la procédure d’exclusion prévue à l’article 6 de la Charte des Nations Unies, et
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iv) de créer un précédent en déclarant qu’un État ou une nation qui agit comme l’Équateur l’a fait en l’espèce finira par être exclu de l’Organisation des Nations Unies, conformément à la procédure prévue à l’article 6 de la Charte des Nations Unies ».
3. Dans sa requête, le Mexique entend fonder la compétence de la Cour en l’espèce sur les paragraphes 1 et 2 de l’article 36 du Statut et l’article XXXI du traité américain de règlement pacifique signé à Bogotá le 30 avril 1948 et dénommé officiellement, aux termes de son article LX, le « pacte de Bogotá ».
4. La requête contenait une demande en indication de mesures conservatoires, présentée au titre de l’article 41 du Statut de la Cour.
5. Au terme de sa demande, le Mexique prie la Cour d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :
« a) Que le Gouvernement de l’Équateur prenne les mesures immédiates qui s’imposent pour assurer la protection et la sécurité pleines et entières des locaux diplomatiques, ainsi que des biens et des archives qui s’y trouvent, en les protégeant de toute forme d’intrusion.
b) Que le Gouvernement de l’Équateur autorise le Gouvernement mexicain à vider ses locaux diplomatiques et les demeures privées de ses agents diplomatiques.
c) Que le Gouvernement de l’Équateur veille à ce qu’il ne soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits du Mexique en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait prendre au fond.
d) Que le Gouvernement de l’Équateur s’abstienne de tout acte ou comportement qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie. »
6. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement de l’Équateur la requête contenant la demande en indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour et au paragraphe 2 de l’article 73 de son Règlement. Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par le Mexique de cette requête et de cette demande.
7. En attendant que la communication prévue au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut de la Cour ait été effectuée, le greffier adjoint, par lettre en date du 12 avril 2024, a informé tous les États admis à ester devant la Cour du dépôt de la requête et de la demande en indication de mesures conservatoires.
8. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité équatorienne, l’Équateur s’est prévalu du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire ; il a désigné M. Donald McRae.
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9. Par lettres en date du 12 avril 2024, le greffier adjoint a fait connaître aux Parties que la Cour, conformément au paragraphe 3 de l’article 74 de son Règlement, avait fixé au 30 avril et au 1er mai 2024 les dates de la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires.
10. Par lettre en date du 19 avril 2024, l’agent de l’Équateur a indiqué que son gouvernement avait notifié au Mexique, par une note verbale datée du 9 avril 2024, qu’il respecterait et protégerait les locaux, les biens et les archives de l’ambassade mexicaine à Quito. Dans sa lettre, il déclarait que les mesures conservatoires demandées par le Mexique étaient donc sans objet, mais fournissait néanmoins au nom de l’Équateur, « [e]n gage de bonne volonté », des assurances, notamment quant au traitement réservé aux locaux, aux biens et archives de la mission diplomatique ainsi qu’aux demeures privées en question (ces assurances sont citées au paragraphe 30 ci-dessous). Il précisait que l’Équateur était disposé à ce qu’il soit pris acte de ces assurances dans une ordonnance de la Cour.
11. Par lettre en date du 22 avril 2024, le Mexique a réitéré dans les mêmes termes la demande tendant à ce que la Cour indique des mesures conservatoires qu’il avait présentée le 11 avril 2024. Il estimait que les assurances fournies par l’Équateur étaient insuffisantes et que seule une ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour pourrait offrir les garanties voulues quant à la protection de ses droits.
12. Au cours des audiences publiques tenues les 30 avril et 1er mai 2024, des observations orales sur la demande en indication de mesures conservatoires ont été présentées par :
Au nom du Mexique : S. Exc. Mme Carmen Moreno Toscano,
M. Alejandro Celorio Alcántara,
M. Alfredo Uriel Pérez Manríquez,
Mme Liliana Oliva Bernal,
Mme Fadia Ibrahim Nader,
M. Miguel Ángel Reyes Moncayo.
Au nom de l’Équateur : S. Exc. M. Andrés Terán Parral,
M. Alfredo Crosato Neumann,
M. Sean Murphy,
Sir Michael Wood.
13. Au terme de ses plaidoiries, le Mexique a prié la Cour d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :
« a) Que le Gouvernement de l’Équateur s’abstienne de porter atteinte à l’inviolabilité des locaux de la mission et des demeures privées d’agents diplomatiques du Mexique, et qu’il prenne les mesures qui s’imposent pour assurer la protection et le respect de ces locaux et demeures, ainsi que des biens et des archives qui s’y trouvent, en empêchant toute forme de perturbation.
b) Que le Gouvernement de l’Équateur autorise le Gouvernement mexicain à vider les locaux de sa mission et les demeures privées de ses agents diplomatiques.
c) Que le Gouvernement de l’Équateur veille à ce qu’il ne soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits du Mexique en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait prendre au fond.
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d) Que le Gouvernement de l’Équateur s’abstienne de tout acte ou comportement qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie. »
14. Au terme de ses plaidoiries, l’Équateur a prié la Cour de « rejeter la demande en indication de mesures conservatoires présentée par les États-Unis du Mexique ».
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I. CONTEXTE FACTUEL
15. Le 17 décembre 2023, M. Jorge David Glas Espinel, ancien vice-président de l’Équateur, s’est présenté à l’ambassade du Mexique à Quito et a, selon le Mexique, sollicité une protection, déclarant craindre qu’il ne soit porté atteinte à sa sécurité. M. Glas Espinel est ensuite demeuré dans les locaux de l’ambassade du Mexique et a ultérieurement déposé une demande officielle d’asile auprès des autorités mexicaines. Selon l’Équateur, au moment de son arrivée à l’ambassade du Mexique, M. Glas Espinel avait été provisoirement libéré, pour des raisons de santé, de la prison où il purgeait sa peine, ayant fait l’objet de deux condamnations définitives pour association illicite et corruption. Il était également visé par une procédure pénale en Équateur pour détournement de fonds publics (dans le cadre de laquelle une ordonnance de placement en détention provisoire a été émise le 5 janvier 2024), et par une enquête pour intimidation et violences psychologiques.
16. Au cours des mois qui ont suivi, des rencontres et des échanges de notes diplomatiques ont eu lieu entre les Parties à propos du cas de M. Glas Espinel et des procédures judiciaires engagées contre lui. En particulier, le 29 février 2024, le ministère des affaires étrangères et de la mobilité humaine (ci-après le « ministère des affaires étrangères ») de l’Équateur, dans une note diplomatique, a demandé à la cheffe de la mission diplomatique du Mexique de consentir à laisser entrer des agents équatoriens dans les locaux de la mission pour exécuter un mandat d’arrêt visant M. Glas Espinel. Par une note verbale en date du 4 mars 2024, le ministère mexicain des affaires étrangères a répondu qu’il n’y serait pas consenti, et a rappelé au Gouvernement équatorien « le caractère inviolable des locaux diplomatiques de l’ambassade et de la résidence officielle du Mexique à Quito, tel que prévu à l’article 22 de la convention de Vienne [du 18 avril 1961] sur les relations diplomatiques » (ci-après la « convention de Vienne »). Les rencontres et échanges diplomatiques entre les Parties concernant le cas de M. Glas Espinel se sont poursuivis au cours des semaines qui ont suivi.
17. Le 4 avril 2024, le ministère des affaires étrangères de l’Équateur a informé l’ambassade mexicaine à Quito que, « conformément à l’article 9 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, le Gouvernement de la République de l’Équateur a[vait] décidé de déclarer persona non grata Mme Raquel Serur Smeke, ambassadrice des États-Unis du Mexique en Équateur ». Le défendeur a annoncé que sa décision était motivée par certaines déclarations publiques faites la veille par le président du Mexique au sujet de l’élection présidentielle qui venait d’avoir lieu en Équateur.
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18. Le 5 avril 2024, le ministère mexicain des affaires étrangères a publié un communiqué de presse, indiquant qu’il jugeait regrettable la décision de déclarer l’ambassadrice Serur Smeke persona non grata et faisant savoir que le Gouvernement mexicain avait décidé d’accorder à M. Glas Espinel l’asile politique. Le Gouvernement mexicain faisait part, dans ce même communiqué, de son intention de demander un sauf-conduit pour M. Glas Espinel et exigeait que l’Équateur « respecte [la] souveraineté [du Mexique], … se conforme à ses obligations au regard du droit international, [et] garantisse l’inviolabilité des missions diplomatiques ».
19. Dans un communiqué de presse publié plus tard le même jour, le ministère équatorien des affaires étrangères a fait savoir que l’Équateur jugeait « illicite », au regard de la convention sur l’asile diplomatique de 1954 et de la convention sur l’asile politique de 1933, l’octroi de l’asile diplomatique à M. Glas Espinel, auquel il n’accorderait pas de sauf-conduit. Le ministère ajoutait que, « dans le strict respect des normes prévues par la convention de Vienne, [l’Équateur] continuera[it] d’assurer la protection des locaux de l’ambassade du Mexique à Quito ».
20. Le soir même de cette journée du 5 avril 2024, vers 22 heures, des membres armés des forces équatoriennes de sécurité ont pénétré dans l’ambassade du Mexique sans l’autorisation de la cheffe de mission, ont maîtrisé le chef de mission adjoint et ont emmené de force M. Glas Espinel.
21. Le 6 avril 2024, le Gouvernement mexicain a, par note verbale, fait connaître à l’Équateur sa décision de rompre, avec effet immédiat, les relations diplomatiques et consulaires entre les deux États. Dans des communiqués de presse publiés dans le courant de la journée, la ministre mexicaine des affaires étrangères a fait savoir que le personnel diplomatique du Mexique quitterait le pays sans attendre, que l’ambassade demeurerait fermée pour une durée indéfinie et que son gouvernement entendait saisir la Cour internationale de Justice à raison de violations, par l’Équateur, du droit international.
22. Le même jour, la ministre équatorienne des affaires étrangères a affirmé à la presse, comme indiqué par la suite dans un communiqué, que l’octroi par le Mexique de l’asile diplomatique à M. Glas Espinel était illicite et que la décision du président équatorien d’autoriser le recours à la force pour pénétrer dans les locaux de l’ambassade mexicaine avait été prise au vu du risque réel et imminent que l’intéressé ne prenne la fuite.
II. EXAMEN DE LA DEMANDE
23. Le Mexique demande à la Cour d’indiquer, dans l’attente de son arrêt définitif en l’affaire, les mesures conservatoires reproduites au paragraphe 13 ci-dessus.
24. Le Mexique soutient que l’Équateur, par le comportement qu’il a eu, a porté atteinte à l’inviolabilité de ses locaux et agents diplomatiques, et a créé, ce faisant, un précédent laissant présager de nouvelles et sérieuses menaces. Selon lui, « l’atmosphère de méfiance » qui s’en est ensuivie a été aggravée par les déclarations publiques prononcées ensuite par de hauts responsables équatoriens, qui reflétaient « l’absence de cas que [ceux-ci] continuaie[nt] de faire des privilèges et immunités dont jouit le Mexique au titre de la convention de Vienne ». Le demandeur affirme que les locaux diplomatiques et les demeures privées d’agents diplomatiques du Mexique à Quito, qui renferment des biens et des documents confidentiels, sont désormais inoccupés et, partant, exposés au risque d’être endommagés, confisqués ou inspectés par les autorités nationales voire des personnes
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privées. Il évoque également la possibilité que les autorités équatoriennes cherchent à pénétrer dans ces locaux, à les fouiller, et à examiner les archives et les documents qui s’y trouvent, dans le cadre des procédures judiciaires dont fait l’objet M. Glas Espinel. Le Mexique soutient que des mesures conservatoires sont donc requises pour parer au risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit porté à ses droits.
25. Le Mexique affirme qu’aucune assurance crédible et digne de foi n’a été fournie par le défendeur aux fins de la prévention de nouvelles violations. Il rappelle que, dans un communiqué de presse publié quelques heures seulement avant l’opération des forces de sécurité à l’ambassade du Mexique le 5 avril 2024, le ministère des affaires étrangères de l’Équateur avait indiqué qu’il assurerait la protection des locaux de la mission dans le strict respect de la convention de Vienne (voir ci-dessus, paragraphe 19). Le Mexique argue aussi que la note verbale envoyée par l’Équateur le 9 avril 2024 ainsi que la lettre à la Cour du 19 avril 2024 (voir ci-dessus, paragraphe 10) ne fournissent pas les assurances nécessaires, faute d’engagement crédible et exprès de l’Équateur de respecter l’inviolabilité de la mission mexicaine, et des biens et archives qui s’y trouvent, et parce qu’elles émanent du ministère des affaires étrangères, qui « n’a … qu’un rôle informatif et consultatif au sein du gouvernement [équatorien] ».
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26. L’Équateur affirme que le Mexique n’a produit aucune preuve de l’existence d’un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé à ses droits. Il soutient qu’il assure la protection pleine et entière des locaux de la mission et des demeures d’agents diplomatiques du Mexique, qu’aucune menace ne pèse sur les biens ou les archives en question et que le Mexique est libre de retirer ces biens ou archives à tout moment. Il ajoute que les événements du 5 avril 2024 constituent un épisode isolé qui s’inscrit dans un contexte tout à fait exceptionnel et que leur unique but était d’assurer la comparution en justice de M. Glas Espinel. En conséquence, affirme-t-il, il n’y a aucune raison de supposer qu’une telle situation se reproduira.
27. Le défendeur souligne également qu’il a déjà fourni au Mexique des assurances qu’il respecterait et protégerait les locaux, les biens et les archives en question, dans le plein respect du droit international, assurances qu’il a réitérées devant la Cour. Il affirme que les assurances données correspondent très précisément, dans leur forme et les termes employés, aux mesures conservatoires sollicitées par le Mexique et que, « dans la mesure où l’article 45 de la convention de Vienne prévoit l’inviolabilité, les assurances fournies par l’Équateur couvrent l’inviolabilité ». Selon le défendeur, après la rupture des relations diplomatiques, la ministre équatorienne des affaires étrangères a demandé aux autorités compétentes de son pays d’assurer la protection des locaux, des biens et des archives de la mission diplomatique du Mexique en Équateur, conformément à l’alinéa a) de l’article 45 de la convention de Vienne, et la police nationale a donné suite à cette demande. En outre, l’Équateur soutient que la possibilité que les autorités équatoriennes pénètrent à nouveau dans les locaux de l’ambassade mexicaine et y procèdent à des perquisitions dans le cadre des procédures judiciaires visant M. Glas Espinel relève de la « pure conjecture », notamment au vu de la décision récemment rendue par la Cour nationale de justice de l’Équateur, le 17 avril 2024, laquelle rappelle que, selon le droit équatorien, « l’entrée dans une mission diplomatique requiert, en toutes circonstances, le consentement du chef de mission ». L’Équateur ajoute que les déclarations d’un ministre des affaires étrangères sur la scène internationale « engagent l’État ».
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28. La Cour rappelle que, conformément au paragraphe 1 de l’article 41 de son Statut, elle « a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire », dans l’attente d’un arrêt définitif en l’affaire. Elle ne peut notamment exercer ce pouvoir que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige dans la procédure judiciaire ou que la méconnaissance alléguée de ces droits entraîne des conséquences irréparables avant que la Cour ne rende sa décision définitive (voir, par exemple, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 24, par. 64-65). La Cour doit donc rechercher si pareil risque existe à ce stade de la procédure.
29. La Cour relève que, par note verbale en date du 9 avril 2024 (voir ci-dessus, paragraphe 10), le ministère des affaires étrangères de l’Équateur a informé le ministère des affaires étrangères du Mexique que « le respect et la protection des locaux, biens et archives de l’ambassade du Mexique à Quito ser[aie]nt garantis conformément à l’alinéa a) de l’article 45 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques ».
30. La Cour note également que, dans la lettre qu’il lui a adressée le 19 avril 2024 (voir ci-dessus, paragraphe 10), l’agent de l’Équateur a affirmé ce qui suit :
« En gage de bonne volonté … et sans préjudice de sa position sur les questions relatives à la compétence, à la recevabilité et au fond de la présente affaire, l’Équateur assure la Cour que, conformément à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques et aux autres règles pertinentes du droit international, il
1) garantira la protection et la sécurité pleines et entières des locaux, des biens et des archives de la mission diplomatique du Mexique à Quito, de sorte à les protéger de toute forme d’intrusion ;
2) autorisera le Mexique à vider les locaux de sa mission diplomatique et les demeures privées de ses agents diplomatiques ; et
3) s’abstiendra de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie et, au contraire, continuera d’oeuvrer en faveur du règlement pacifique des différends.
De plus, l’Équateur accepte qu’il soit pris acte de ces assurances, qui correspondent aux mesures conservatoires demandées par le Mexique, dans une ordonnance de la Cour. »
31. Enfin, à l’audience publique qui s’est tenue le 1er mai 2024, l’agent de l’Équateur a donné, au nom de son pays, les assurances suivantes :
« conformément à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques et aux autres règles pertinentes du droit international, l’Équateur :
1) garantira la protection et la sécurité pleines et entières des locaux, des biens et des archives de la mission diplomatique du Mexique à Quito, de sorte à les protéger de toute forme d’intrusion ;
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2) autorisera le Mexique à vider les locaux de sa mission diplomatique et les demeures privées de ses agents diplomatiques ; et
3) s’abstiendra de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie et, au contraire, continuera d’oeuvrer en faveur du règlement pacifique des différends. »
32. La Cour considère que les assurances fournies par l’agent de l’Équateur couvrent les préoccupations exprimées par le Mexique dans sa demande. Le défendeur s’est notamment engagé à assurer la protection et la sécurité pleines et entières des locaux, des biens et des archives de la mission diplomatique du Mexique à Quito, ainsi qu’à autoriser le Mexique à vider cette mission et les demeures privées de ses agents diplomatiques. De plus, il a précisé à l’audience que ces assurances avaient vocation à avoir « la même portée que l’alinéa a) de l’article 45 de la convention de Vienne » et à couvrir l’inviolabilité, dans la mesure où celle-ci est prévue par ledit article.
33. La Cour réaffirme que les déclarations unilatérales peuvent créer des obligations juridiques. Les États intéressés peuvent tenir compte de telles déclarations et tabler sur elles, et sont fondés à exiger que l’obligation ainsi créée soit respectée (voir Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49). Elle réaffirme également que, « [d]ès lors qu’un État a pris un tel engagement quant à son comportement, il doit être présumé qu’il s’y conformera de bonne foi » (Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 158, par. 44). Ces assurances sont particulièrement importantes durant toute la période nécessaire pour que le Mexique vide les locaux de son ambassade à Quito ainsi que les demeures privées de ses agents diplomatiques. La Cour est d’avis que les assurances données par l’agent de l’Équateur au nom de son gouvernement, qui ont été lues publiquement devant elle et énoncées de manière inconditionnelle, sont contraignantes et créent des obligations juridiques à la charge du défendeur (voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 17 novembre 2023, par. 62).
34. À la lumière de l’ensemble des éléments qui précèdent, la Cour considère qu’il n’y a, pour l’heure, pas d’urgence, en ce sens qu’il n’existe pas de risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués par le demandeur.
35. La Cour observe que les conditions pour l’indication de mesures conservatoires précisées dans sa jurisprudence sont cumulatives. Ayant constaté que l’une de ces conditions n’était pas remplie, la Cour n’est donc pas tenue de rechercher si les autres le sont.
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III. CONCLUSION
36. La Cour conclut que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut.
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37. La Cour estime néanmoins nécessaire d’insister sur l’importance fondamentale des principes consacrés par la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Comme elle l’a déjà relevé,
« dans la conduite des relations entre États, il n’est pas d’exigence plus fondamentale que celle de l’inviolabilité des diplomates et des ambassades et … c’est ainsi que, au long de l’histoire, des nations de toutes croyances et toutes cultures ont observé des obligations réciproques à cet effet » (Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), mesures conservatoires, ordonnance du 15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 19, par. 38).
En particulier,
« l’institution de la diplomatie, avec les privilèges et immunités qui s’y rattachent, a résisté à l’épreuve des siècles et s’est avérée un instrument essentiel de coopération efficace dans la communauté internationale, qui permet aux États, nonobstant les différences de leurs systèmes constitutionnels et sociaux, de parvenir à la compréhension mutuelle et de résoudre leurs divergences par des moyens pacifiques » (ibid., par. 39).
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38. La Cour réaffirme que la décision rendue en la présente procédure ne préjuge en rien la question de sa compétence pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même. Elle laisse intact le droit des Gouvernements du Mexique et de l’Équateur de faire valoir leurs moyens à cet égard.
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39. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Dit que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à la Cour, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le vingt-trois mai deux mille vingt-quatre, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement des États-Unis du Mexique et au Gouvernement de la République de l’Équateur.
Le président,
(Signé) Nawaf SALAM.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
MM. les juges BHANDARI, NOLTE, GÓMEZ ROBLEDO, Mme la juge CLEVELAND et M. le juge AURESCU joignent des déclarations à l’ordonnance.
(Paraphé) N.S.
(Paraphé) Ph.G.
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Demande en indication de mesures conservatoires
Ordonnance du 23 mai 2024