OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE IWASAWA
[Traduction]
Caractère cumulatif des cinq conditions devant être remplies pour que la Cour puisse indiquer des mesures conservatoires — Cour n’étant pas tenue d’examiner les autres conditions lorsque l’une d’elles n’est pas remplie — Cour n’indiquant pas de mesures conservatoires en l’espèce car la condition d’urgence n’est pas remplie — Cadre en vigueur en Allemagne pour les exportations de matériel militaire paraissant solide — Nicaragua n’ayant pas établi que le comportement de l’Allemagne engendrerait un quelconque risque réel et imminent de préjudice irréparable — L’une des conditions n’étant pas remplie, Cour n’ayant pas à examiner les autres, notamment pas celle relative à la compétence prima facie.
Plausibilité constituant un critère visant à déterminer s’il est plausible que les droits allégués par le demandeur existent en droit international — Cour ayant examiné, dans certaines affaires, les faits et les éléments de preuve pour déterminer si les droits allégués par le demandeur étaient plausibles — Dans l’affaire relative à l’Application de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Canada et Pays-Bas c. République arabe syrienne), Cour ayant examiné les preuves de violations alléguées des droits plausibles dans le contexte du risque de préjudice irréparable et de l’urgence.
1. J’ai voté en faveur de la décision de la Cour de ne pas indiquer de mesures conservatoires (ordonnance, par. 26). L’article 41 du Statut de la Cour dispose, en son premier paragraphe, que celle-ci « a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire ». À l’appui de sa décision, la Cour se contente de dire que, « [s]ur la base des informations factuelles et des arguments juridiques présentés par les Parties, [elle] conclut que, à l’heure actuelle, les circonstances ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut » (ordonnance, par. 20). Dans la présente opinion, je préciserai les raisons pour lesquelles ces circonstances sont telles que la Cour les a qualifiées en l’espèce.
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2. Dans sa jurisprudence, la Cour, se fondant sur le paragraphe 1 de l’article 41 de son Statut, a défini cinq conditions qui doivent être réunies pour qu’elle puisse indiquer des mesures conservatoires : i) la compétence prima facie ; ii) le caractère plausible des droits allégués par le demandeur ; iii) l’existence d’un lien entre les droits dont la protection est recherchée et les mesures demandées ; iv) le risque de préjudice irréparable ; et v) l’urgence. Ces conditions peuvent être considérées comme faisant partie des « circonstances » visées dans la disposition susmentionnée.
3. Dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), la Cour, après avoir conclu qu’elle avait compétence prima facie, a consacré une partie spécifique à la question de la qualité pour agir de la demanderesse (mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 16-17, par. 39-42 ; voir aussi Application de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Canada et Pays-Bas c. République arabe syrienne), mesures conservatoires, ordonnance du 16 novembre 2023, C.I.J. Recueil 2023 (II), p. 602-603, par. 48-51 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 33-34). Puisque la question de la qualité pour agir a trait à la recevabilité de la requête, il est
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permis de conclure que la Cour a considéré que la recevabilité prima facie constituait une sixième condition venant s’ajouter à celle de la compétence prima facie, et distincte de cette dernière. Néanmoins, étant donné que cette question peut aussi être considérée comme se rapportant à l’exercice de la compétence, on peut estimer que la Cour a examiné, dans le cadre de son analyse relative à la compétence prima facie, aussi bien l’existence que l’exercice de sa compétence, ne retenant donc que cinq conditions.
4. Qu’elles soient au nombre de cinq ou de six, ces conditions sont cumulatives. Par conséquent, si elle estime que l’une d’elles n’est pas remplie, la Cour n’est pas tenue d’examiner les autres. Dans l’affaire du Plateau continental de la mer Égée (Grèce c. Turquie), elle a conclu qu’elle n’était « pas en mesure de considérer la violation alléguée des droits [de la demanderesse] comme un risque de préjudice irréparable aux droits en litige devant elle exigeant l’exercice du pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de l’article 41 du Statut ». Et d’ajouter qu’elle n’était « appelée à statuer sur aucune question relative à sa compétence pour connaître du fond » (Plateau continental de la mer Égée, mesures conservatoires, ordonnance du 11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p. 11 et 13, par. 33 et 44, respectivement). Dans l’opinion individuelle qu’il a jointe à l’ordonnance, le président Jiménez de Aréchaga a fait observer que,
« [p]our que des mesures conservatoires soient accordées, il faut que toutes les circonstances pertinentes soient réunies … pour les refuser il suffit qu’une seule de ces circonstances fasse défaut … [A]ucune n’est logiquement prioritaire par rapport aux autres. Étant donné le très large pouvoir d’appréciation que l’article 41 confère à la Cour, celle-ci est entièrement libre de décider quelle circonstance pertinente elle examinera en premier lieu. » (Ibid., p. 16, opinion individuelle de M. Jiménez de Aréchaga, président.)
La Cour a adopté une approche similaire dans les affaires relatives à des Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie. Dans les ordonnances qu’elle a rendues, elle a conclu que « les circonstances de l’espèce n[’étaient] pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut », car « les droits que [la demanderesse] di[sai]t tenir … ne p[ouvai]ent [désormais] être considérés comme des droits qu’il conviendrait de protéger par l’indication de mesures conservatoires ». La Cour a relevé, en énonçant cette conclusion, que, « pour se prononcer sur la … demande en indication de mesures conservatoires, [elle] n’[était] appelée à statuer sur aucune des autres questions qui [avaie]nt été soulevées devant elle [en l’]instance, y compris la question relative à sa compétence » ((Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 15, par. 40 et 42-43 ; (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 126-127, par. 43 et 45-46, respectivement ; voir aussi Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, opinion individuelle du juge Abraham, p. 141, par. 12).
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5. Je commencerai par traiter les conditions relatives au risque de préjudice irréparable et à l’urgence, en en montrant la pertinence aux fins du raisonnement suivi par la Cour dans l’ordonnance rendue ce jour.
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6. Dans sa pratique, la Cour examine le risque de préjudice irréparable et l’urgence ensemble, dans une seule et même partie. Elle définit la condition du risque de préjudice irréparable de la manière suivante :
« La Cour tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire ou lorsque la méconnaissance alléguée de ces droits risque d’entraîner des conséquences irréparables. » (Voir, par exemple, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 60.)
Dans le paragraphe suivant, la Cour définit la condition d’urgence comme suit :
« Le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires n’est toutefois exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués avant que la Cour ne rende sa décision définitive. La condition d’urgence est remplie dès lors que les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable peuvent “intervenir à tout moment” avant que la Cour ne se prononce de manière définitive en l’affaire … La Cour doit donc rechercher si pareil risque existe à ce stade de la procédure. » (Ibid., par. 61.)
7. La Cour tient compte de la nature des droits revendiqués pour déterminer si la méconnaissance de ceux-ci est susceptible de causer un préjudice irréparable ou d’entraîner des conséquences irréparables, en ce sens que les réparations ordonnées par la Cour dans un arrêt définitif ne permettraient pas d’y remédier. Par exemple, dans des affaires ayant trait à la vie ou à la santé humaines, la Cour a conclu qu’il était satisfait à la condition relative au risque de préjudice irréparable (voir, par exemple, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 66 et 74) ; de fait, au paragraphe 66, elle a dit que, « [à] la lumière des valeurs fondamentales que la convention sur le génocide entend protéger, [elle] consid[érait] que les droits plausibles en cause … [étaient] de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait être irréparable ».
8. La principale question qui se pose en l’espèce est celle de savoir s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent que le comportement de l’Allemagne engendre un préjudice irréparable avant que la Cour ne rende sa décision définitive. Le caractère d’urgence qui a été reconnu en l’affaire Afrique du Sud c. Israël n’est pas transposable à l’espèce, car cette affaire porte sur le comportement d’Israël, alors que la présente instance concerne le comportement de l’Allemagne.
9. L’Allemagne a souligné à l’audience que son cadre juridique applicable à l’exportation de matériel militaire était solide. Elle a insisté sur le fait qu’elle était liée par les normes strictes énoncées dans le traité sur le commerce des armes de 2013 et la position commune du Conseil de l’Union européenne de 2008. D’après la défenderesse, les demandes d’autorisation d’exportation sont toutes examinées par plusieurs ministères, qui appliquent des critères rigoureux. Si les « autres matériels militaires » ne requièrent qu’une seule autorisation pour pouvoir être exportés, les « armes de guerre » sont quant à elles soumises à deux autorisations. En outre, les autorisations individuelles ne peuvent être accordées qu’à l’issue d’une appréciation des demandes au cas par cas, conformément à des critères contraignants. L’Allemagne a soutenu que son gouvernement recherche soigneusement s’il existe un risque manifeste que l’article particulier soumis à autorisation soit utilisé pour commettre un génocide, des crimes contre l’humanité ou de graves violations des conventions de
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Genève de 1949. Elle a fait observer que sa législation nationale imposait de tenir compte de la situation sur le terrain, en constante évolution.
10. L’Allemagne a également expliqué quelle était sa pratique en matière d’exportation de matériel militaire vers Israël. Selon elle, le volume total des autorisations accordées pour l’exportation de ce type de matériel a nettement baissé depuis le mois de novembre 2023. En effet, s’il s’élevait à 203,01 millions d’euros en octobre 2023 (dont 198,68 millions autorisés après le 7 octobre 2023), leur montant a ensuite diminué pour atteindre 23,59 millions d’euros en novembre 2023, 19 millions en décembre 2023, 8,42 millions en janvier 2024, 0,59 million en février 2024 et 1,06 million en mars 2024. La défenderesse a ajouté que plus du quart du matériel militaire était destiné, en fin de compte, à la réimportation et à l’usage des forces allemandes. Elle a en outre fait valoir que 98 % des exportations autorisées depuis le 7 octobre 2023 ne relevaient pas de la catégorie des « armes de guerre », mais de celle des « autres matériels militaires ». L’Allemagne a affirmé avoir autorisé l’exportation d’« armes de guerre » dans quatre cas seulement, dont trois concernaient des articles à des fins d’essai ou d’entraînement, impropres aux opérations de combat. La quatrième autorisation, qui portait sur l’exportation de 3 000 armes antichars, a été accordée dans le contexte récent de l’attaque du 7 octobre 2023. La défenderesse a également signalé que ses plus hautes autorités avaient appelé Israël à se conformer au droit international humanitaire.
11. Le Nicaragua, pour sa part, n’a pas démontré à suffisance que l’Allemagne n’avait pas fait montre de la diligence requise lors de l’examen des exportations de matériel militaire à destination d’Israël.
12. S’agissant de la prétendue suspension du financement de l’UNRWA, l’Allemagne a dit avoir décidé à titre provisoire, le 27 janvier 2024, de ne plus approuver de nouveaux versements, aucun ne devant selon elle être effectué dans les semaines suivant cette date. Elle a ajouté qu’elle avait accepté de débloquer, le 1er mars 2024, 50 millions d’euros pour l’UNRWA, sous forme d’un programme d’aide financé par l’Union européenne. Elle a aussi affirmé qu’elle continuait de fournir une assistance humanitaire par l’entremise d’autres organisations.
13. Compte tenu de ce qui précède, le cadre en vigueur en Allemagne pour les exportations de matériel militaire me paraît solide, tandis que le Nicaragua n’a pas montré que le comportement de la défenderesse engendrerait un quelconque risque réel et imminent de préjudice irréparable avant que la Cour ne rende sa décision définitive. Par conséquent, la condition d’urgence n’est pas remplie.
14. La décision de ne pas indiquer de mesures conservatoires semble reposer sur le même raisonnement, même si celui-ci n’est ici pas explicite. La Cour commence par expliquer sa démarche de la manière suivante : « En la présente espèce, la Cour considère qu’elle doit d’abord déterminer si le Nicaragua a suffisamment démontré que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle, sont de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires » (ordonnance, par. 13). Elle développe ensuite son raisonnement (ibid., par. 16-19), en ne traitant en réalité que du risque de préjudice irréparable et de l’urgence. S’appuyant sur ce raisonnement, elle conclut que « les circonstances ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut » (ibid., par. 20).
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15. Puisque les cinq conditions sont cumulatives, et que l’une d’elles — celle relative à l’urgence — n’est pas remplie, la Cour n’a pas à examiner les autres. Elle n’a donc pas à examiner la condition relative à la compétence prima facie à ce stade (voir, plus haut, l’affaire du Plateau continental de la mer Égée (Grèce c. Turquie), paragraphe 4), et notamment pas la question de l’existence d’un différend ou celle de l’application du principe de l’Or monétaire, qui a trait à l’exercice de la compétence.
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16. La Cour n’a pas non plus à examiner la question de la plausibilité des droits, ni à vérifier l’existence d’un lien entre ces droits et les mesures demandées. Je vais néanmoins revenir brièvement sur cette question afin de préciser ce que recouvre le critère de plausibilité.
17. La Cour a formellement énoncé la condition de la plausibilité des droits en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), en déclarant que son « pouvoir … d’indiquer des mesures conservatoires ne devrait être exercé que si les droits allégués par une partie apparaissent au moins plausibles » (mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J Recueil 2009, p. 151, par. 57). Le critère ainsi retenu vise à déterminer s’il est plausible que les droits allégués par une partie existent en droit international.
18. Aux termes de l’article 41 du Statut, l’indication de mesures conservatoires a pour objet de protéger le « droit de chacun ». C’est en général le demandeur qui les sollicite afin de préserver ses droits, c’est-à-dire les droits de l’État qui a introduit l’instance. La notion de plausibilité des droits se complexifie lorsque l’affaire a trait aux droits de l’homme. Dans des affaires introduites au titre de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après, la « CIEDR »), la convention sur le génocide ou la convention contre la torture, la Cour a expliqué qu’il existait une « corrélation » entre le respect des droits individuels consacrés dans le traité, les obligations des États parties découlant dudit traité, et le droit des États parties de demander l’exécution de ces obligations (voir, par exemple, Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 392, par. 126 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 20, par. 52 ; Application de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Canada et Pays-Bas c. République arabe syrienne), mesures conservatoires, ordonnance du 16 novembre 2023, C.I.J. Recueil 2023 (II), p. 605, par. 57). C’est en établissant cette « corrélation » que la Cour a pu conclure, dans ces affaires, que les droits de l’État demandeur étaient plausibles.
19. Dans les affaires introduites au titre de la CIEDR, les droits individuels étaient ceux des ressortissants de l’État demandeur. Dans de récentes affaires concernant des obligations erga omnes partes, les droits individuels étaient ceux de ressortissants d’un autre État — qu’il s’agisse du défendeur, dans les affaires Gambie c. Myanmar et Canada et Pays-Bas c. République arabe syrienne, ou d’un État tiers, dans l’affaire Afrique du Sud c. Israël. Bien que la corrélation susmentionnée soit moins directe dans les affaires concernant des obligations erga omnes partes, précisément en raison de ce caractère particulier des obligations en question, le droit du demandeur d’exiger que le défendeur s’acquitte desdites obligations a été jugé plausible.
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20. Comme il est exposé plus haut, la condition de plausibilité suppose que la Cour recherche s’il est plausible que les droits revendiqués par le demandeur existent en droit international. Dans certaines affaires, la Cour a examiné les faits et les éléments de preuve pour déterminer si de tels droits étaient plausibles (voir, par exemple, Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 131-132 et 135, par. 74-75 et 82, respectivement). Il semble que, ce faisant, la Cour ait examiné la plausibilité de l’affirmation du demandeur selon laquelle le défendeur avait violé les droits en question. En revanche, dans la récente affaire relative à l’Application de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Canada et Pays-Bas c. République arabe syrienne), la Cour a conclu, en se fondant sur la notion de corrélation de droits, que les droits revendiqués par les demandeurs étaient plausibles, avant de dire que l’affirmation du défendeur selon laquelle les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments de preuve précis établissant les actes de torture prétendument commis serait traitée « dans le cadre de son analyse des conditions relatives au risque de préjudice irréparable et à l’urgence » (Application de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Canada et Pays-Bas c. République arabe syrienne), mesures conservatoires, ordonnance du 16 novembre 2023, C.I.J. Recueil 2023 (II), p. 605, par. 57). La Cour a donc examiné les preuves de violations alléguées des droits plausibles dans le contexte du risque de préjudice irréparable et de l’urgence.
(Signé) IWASAWA Yuji.
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Opinion individuelle de M. le juge Iwasawa