Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
Lettre en date du 10 octobre 2023 adressée au greffier de la Cour internationale
de Justice par le chargé d’affaires de l’ambassade de la République
arabe syrienne à Bruxelles
[Traduction]
1. Se référant à la lettre que la République arabe syrienne (ci-après la « Syrie ») a reçue le
9 juin 2023 de la Cour internationale de Justice, lui transmettant la « requête introductive d’instance
conjointe » (ci-après la « requête ») présentée « au nom du Canada et du Royaume des Pays-Bas
contre la Syrie » au sujet d’un différend « au titre de la convention contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (ci-après la « convention contre la torture »), et la
demande en indication de mesures conservatoires, toutes deux déposées au Greffe de la Cour le 8 juin
2023, la République arabe syrienne tient à indiquer ce qui suit.
Introduction
2. La Syrie réaffirme qu’elle est attachée au respect du droit international et des traités
internationaux multilatéraux, notamment la convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants, et qu’elle prend très au sérieux les questions y
afférentes.
3. Ainsi, la Syrie a accueilli de manière ouverte et constructive les communications qu’elle a
reçues des demandeurs, et s’est efforcée, réellement et de bonne foi, d’examiner leurs préoccupations
et leur point de vue et de répondre aux points soulevés, que ce soit dans la correspondance échangée
entre les deux camps ou à l’occasion des deux réunions physiques tenues à Abou Dhabi (Émirats
arabes unis) le 26 avril et les 5 et 6 octobre 2022 entre la délégation de la Syrie et les délégations de
chacun des demandeurs, et ce, dans le but de parvenir à un accord avec eux.
4. Depuis la première note verbale que la Syrie a reçue du Royaume des Pays-Bas, les
demandeurs se sont refusés, dans l’ensemble des communications qu’ils ont adressées par la
suite et au cours des deux réunions, à engager la moindre discussion sérieuse et réelle visant à
parvenir à un accord, voire simplement à répondre aux explications et demandes de
renseignements de la Syrie, alors même que c’étaient eux qui avaient pris l’initiative de soulever
des questions relatives à l’application de la convention contre la torture. Les demandeurs n’ont cessé
d’insister sur un point, à savoir la reconnaissance préalable par la Syrie, sans aucune discussion réelle
ni aucun échange effectif d’informations, qu’elle « a manqué à plusieurs obligations consacrées par
la convention contre la torture », que sa responsabilité est engagée à raison de « ces manquements
au droit international qui constituent des faits internationalement illicites » et que « cette
responsabilité entraîne pour [elle] des conséquences juridiques ». Il est clair que l’attitude des
demandeurs consistant à imposer des conditions préalables est contraire et porte atteinte au but et au
principe des négociations prévues à l’article 30 de la convention, et qu’elle vide ces négociations de
leur substance, de leur sens et de leur objet, d’un point de vue pratique et juridique.
5. En conséquence, il ne fait aucun doute que les demandeurs avaient pour seule intention
de laisser passer sans effet les étapes et délais procéduraux, ce qui va à rebours de la lettre et
de l’esprit de la convention contre la torture, et en particulier de l’objet et du but principaux de
cet instrument, soit « accroître l’efficacité de la lutte contre la torture et les autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le monde entier », et qui, de surcroît, porte atteinte
aux moyens et mécanismes de la justice internationale, et met en péril leur crédibilité.
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La compétence prima facie et la recevabilité
Les demandeurs se fondent sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut et le paragraphe 1 de
l’article 30 de la convention pour établir la compétence de la Cour. Cette dernière doit tout d’abord
s’assurer qu’elle a, au moins prima facie, compétence. À cet égard, la Syrie entend apporter les
précisions ci-après.
6. S’agissant des droits et obligations qui découlent d’instruments relatifs aux droits de
l’homme tels que la convention contre la torture, le droit international impose de respecter, de
protéger et d’appliquer les droits de l’homme. Or, les obligations découlant de ces traités sont des
obligations individuelles faites aux États et ne sont pas de nature à créer un différend entre des
États parties tant qu’il n’est pas prouvé qu’un préjudice a été causé à un autre État partie et
qu’un lien de causalité existe entre ce préjudice et le fait reproché, selon les règles de la
responsabilité internationale. Autrement dit, ces obligations et droits figurant dans les traités
relatifs aux droits de l’homme n’ont pas, en principe, de caractère réciproque. Cette conclusion est
fondée sur un certain nombre de considérations juridiques exposées ci-après.
7. Certaines conventions internationales portant sur les droits de l’homme confèrent
explicitement aux autres États parties le droit d’invoquer la responsabilité d’un État partie qui
manquerait aux obligations qu’elles contiennent. Tel est par exemple le cas de la convention
européenne des droits de l’homme et de son article 331. Il s’ensuit que, si ce type d’instrument créait
des obligations mutuelles, il n’aurait pas été nécessaire d’insérer une telle disposition dans la
convention européenne des droits de l’homme. Les auteurs de ce texte avaient conscience du fait que
les instruments en question ne créent de droits et d’obligations qu’à l’égard d’un État partie dont les
droits propres ont été violés, et ne confèrent pas à tous les États le droit intrinsèque d’agir en cas de
violation présumée de l’une quelconque des obligations qu’ils contiennent. Une disposition explicite
doit donc être insérée pour préciser qu’un tel droit est conféré à tous les États parties.
8. Si l’on se réfère à la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, celle-ci ne contient
aucun élément confortant l’idée selon laquelle des obligations additionnelles s’imposeraient aux
parties à un traité international. De fait, cette convention a consacré le principe de l’effet relatif des
traités (articles 31, 35, 36 de la convention de Vienne).
Compte tenu de ce qui précède, la Cour n’a pas compétence, étant donné que les deux
demandeurs, n’ayant pas démontré l’existence d’un préjudice qu’ils auraient subi ou
l’existence d’un lien de causalité entre celui-ci et les actes qu’ils dénoncent, conformément aux
règles de la responsabilité internationale, n’ont pas le droit de formuler des allégations mettant
en cause la responsabilité de la Syrie à raison de violations de la convention.
9. Le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture dispose comme suit :
« Tout différend entre deux ou plus des États parties concernant l’interprétation
ou l’application de la présente Convention qui ne peut pas être réglé par voie de
négociation est soumis à l’arbitrage à la demande de l’un d’entre eux. Si, dans les
six mois qui suivent la date de la demande d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à
se mettre d’accord sur l’organisation de l’arbitrage, l’une quelconque d’entre elles peut
1 « Toute Haute Partie contractante peut saisir la Cour de tout manquement aux dispositions de la Convention et de
ses protocoles qu’elle croira pouvoir être imputé à une autre Haute Partie contractante. »
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soumettre le différend à la Cour internationale de Justice en déposant une requête
conformément au Statut de la Cour. »
10. Les demandeurs allèguent qu’un « différend » les oppose à la Syrie en ce qui concerne
l’interprétation et l’application de la convention, qu’ils ont « réellement cherché, par voie de
négociation, à régler le différend relatif à la violation de la convention contre la torture par la Syrie »
et que « les négociations entre les Parties sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse ».
11. La convention a établi un mécanisme prévoyant des étapes spécifiques et un enchaînement
procédural afin de traiter la question de l’inexécution, par un État, des obligations mises à sa charge
par cet instrument, conformément aux dispositions des articles 17 à 20, concernant l’institution du
Comité contre la torture et ses modes de fonctionnement, et de l’article 21, qui se rapporte aux
communications « dans lesquelles un État partie prétend qu’un autre État partie ne s’acquitte pas de
ses obligations au titre de la … Convention ».
12. L’article 20 de la convention se lit comme suit :
« 1. Si le Comité reçoit des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des
indications bien fondées que la torture est pratiquée systématiquement sur le
territoire d’un État partie, il invite ledit État à coopérer dans l’examen des
renseignements et, à cette fin, à lui faire part de ses observations à ce sujet.
2. En tenant compte de toutes observations éventuellement présentées par l’État partie
intéressé et de tous autres renseignements pertinents dont il dispose, le Comité peut,
s’il juge que cela se justifie, charger un ou plusieurs de ses membres de procéder à
une enquête confidentielle et de lui faire rapport d’urgence.
3. Si une enquête est faite en vertu du paragraphe 2 du présent article, le Comité
recherche la coopération de l’État partie intéressé. En accord avec cet État partie,
l’enquête peut comporter une visite sur son territoire.
4. Après avoir examiné les conclusions du membre ou des membres qui lui sont
soumises conformément au paragraphe 2 du présent article, le Comité transmet ces
conclusions à l’État partie intéressé, avec tous commentaires ou suggestions qu’il
juge appropriés compte tenu de la situation.
5. Tous les travaux du Comité dont il est fait mention aux paragraphes 1 à 4 du présent
article sont confidentiels et, à toutes les étapes des travaux, on s’efforce d’obtenir la
coopération de l’État partie. Une fois achevés ces travaux relatifs à une enquête
menée en vertu du paragraphe 2, le Comité peut, après consultations avec l’État
partie intéressé, décider de faire figurer un compte rendu succinct des résultats des
travaux dans le rapport annuel qu’il établit conformément à l’article 24. »
13. L’article 21 de la convention énonce ensuite :
« 1. Tout État partie à la présente Convention peut, en vertu du présent article, déclarer
à tout moment qu’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner
des communications dans lesquelles un État partie prétend qu’un autre État partie ne
s’acquitte pas de ses obligations au titre de la présente Convention. Ces
communications ne peuvent être reçues et examinées conformément au présent
article que si elles émanent d’un État partie qui a fait une déclaration reconnaissant,
en ce qui le concerne, la compétence du Comité. Le Comité ne reçoit aucune
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communication intéressant un État partie qui n’a pas fait une telle déclaration. La
procédure ci-après s’applique à l’égard des communications reçues en vertu du
présent article :
a) Si un État partie à la présente Convention estime qu’un autre État également
partie à la Convention n’en applique pas les dispositions, il peut appeler, par
communication écrite, l’attention de cet État sur la question. Dans un délai de
trois mois à compter de la date de réception de la communication, l’État
destinataire fera tenir à l’État qui a adressé la communication des explications
ou toutes autres déclarations écrites élucidant la question, qui devront
comprendre, dans toute la mesure possible et utile, des indications sur ses règles
de procédure et sur les moyens de recours, soit déjà utilisés, soit en instance,
soit encore ouverts ;
b) Si, dans un délai de six mois à compter de la date de réception de la
communication originale par l’État destinataire, la question n’est pas réglée à
la satisfaction des deux États parties intéressés, l’un comme l’autre auront le
droit de la soumettre au Comité, en adressant une notification au Comité, ainsi
qu’à l’autre État intéressé ;
c) Le Comité ne peut connaître d’une affaire qui lui est soumise en vertu du
présent article qu’après s’être assuré que tous les recours internes disponibles
ont été utilisés et épuisés, conformément aux principes de droit international
généralement reconnus. Cette règle ne s’applique pas dans les cas où les
procédures de recours excèdent des délais raisonnables ni dans les cas où il est
peu probable que les procédures de recours donneraient satisfaction à la
personne qui est la victime de la violation de la présente Convention ;
d) Le Comité tient ses séances à huis clos lorsqu’il examine les communications
prévues au présent article ;
e) Sous réserve des dispositions de l’alinéa c), le Comité met ses bons offices à la
disposition des États parties intéressés, afin de parvenir à une solution amiable
de la question, fondée sur le respect des obligations prévues par la présente
Convention. À cette fin, le Comité peut, s’il l’estime opportun, établir une
commission de conciliation ad hoc ;
f) Dans toute affaire qui lui est soumise en vertu du présent article, le Comité peut
demander aux États parties intéressés, visés à l’alinéa b), de lui fournir tout
renseignement pertinent ;
g) Les États parties intéressés, visés à l’alinéa b), ont le droit de se faire
représenter lors de l’examen de l’affaire par le Comité et de présenter des
observations oralement ou par écrit, ou sous l’une et l’autre forme ;
h) Le Comité doit présenter un rapport dans un délai de douze mois à compter du
jour où il a reçu la notification visée à l’alinéa b) :
i) Si une solution a pu être trouvée conformément aux dispositions de
l’alinéa e), le Comité se borne dans son rapport à un bref exposé des faits
et de la solution intervenue ;
ii) Si une solution n’a pu être trouvée conformément aux dispositions de
l’alinéa e), le Comité se borne, dans son rapport, à un bref exposé des
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faits ; le texte des observations écrites et le procès-verbal des observations
orales présentées par les États parties intéressés sont joints au rapport.
Pour chaque affaire, le rapport est communiqué aux États parties intéressés. »
14. Il ressort clairement des dispositions contenues dans ces articles que la convention
établit des procédures et des étapes successives et obligatoires qu’il convient de respecter
sans possibilité de les contourner , lorsqu’il est reproché à un État partie de ne pas s’être
acquitté de ses obligations, avant de recourir à l’article 30 de la convention. L’ordre des articles
de l’accord n’est pas dénué de logique, et établit au contraire un cadre cohérent et progressif en vue
d’offrir un mécanisme global qui soit logique, contraignant et applicable. Il ne s’agit pas de simples
articles individuels dissociés les uns des autres, dont la présence et l’ordre de mise en oeuvre
n’auraient aucune importance ni aucun caractère obligatoire. À cet égard, il convient de relever que
les demandeurs n’ont pas tenté de suivre ce mécanisme ni l’une quelconque des procédures
prévues aux articles 17 à 21, et ont directement mis en oeuvre l’article 30 de la convention, ce
qui constitue une violation procédurale de leur part et exclut en conséquence la compétence de la
Cour et la recevabilité de leur requête.
15. Il va de soi que, si les États parties devaient traiter la question de l’inexécution des
obligations découlant de la convention en recourant directement à l’article 30, sans suivre les
procédures prévues aux articles 17 à 21, il n’y aurait eu aucune raison de faire figurer ces articles
dans la convention, et on comprend mal l’intérêt ou l’utilité qu’il y aurait eu à les insérer avant
l’article 30, comme des étapes procédurales préalables. La Cour doit donc noter que, en accordant la
possibilité de les contourner, elle priverait ces articles de leur raison d’être et de leur effet utile.
En conséquence, le « différend » visé à l’article 30 de la convention est celui qui peut se
faire jour au sujet d’allégations de manquement d’un État aux obligations lui incombant, dans
le contexte du mécanisme prévu aux articles 17 à 21. L’article 30 de la convention ne devient
applicable qu’après mise en oeuvre des procédures et dispositifs prévus dans ces articles, et
dans l’hypothèse où un différend en découle.
16. De plus, quand bien même la Cour ne conclurait pas dans le sens de ce qui précède, il y a
lieu d’examiner le cas d’un État partie ayant formulé une réserve à l’article 20 de la convention
conformément au paragraphe 1 de l’article 28, et qui ne déclare pas qu’il reconnaît la compétence du
Comité pour « recevoir … des communications dans lesquelles un État partie prétend qu’un autre
État partie ne s’acquitte pas de ses obligations au titre de la … Convention » conformément à
l’article 21. Dans ce cas particulier, les autres États parties à la convention sont tout simplement
privés de la possibilité de recourir à l’article 30, et l’État partie en question se trouve dans la même
situation juridique que les États ayant formulé une réserve à l’article 30.
Outre ce qui a été exposé aux paragraphes précédents de la présente lettre, si les États parties
à la convention ne sont pas autorisés dès le départ, conformément aux mécanismes prévus par la
convention, à soulever contre un État ayant formulé une réserve à l’article 20 et n’ayant pas soumis
de déclaration en vertu de l’article 21 des allégations de violation de ses obligations à raison de
l’existence de cas de torture, il est impossible de faire valoir l’existence d’un « différend », tel que
prévu à l’article 30, à l’égard de cet État.
Ainsi, pour que l’article 30 trouve à s’appliquer, il est nécessaire, à titre préalable, que l’État
concerné n’ait pas formulé de réserve à l’article 20 ou qu’il ait fait une déclaration en vertu de
l’article 21.
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17. À la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la déclaration en date du 19 août
2004 selon laquelle, « [c]onformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 28 de la
Convention, la République arabe syrienne ne reconnaît pas la compétence accordée au Comité
contre la torture par l’article 20 », et du fait que celle-ci n’a pas soumis de déclaration à l’effet
de « reconnaît[re] la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications
dans lesquelles un État partie prétend qu’un autre État partie ne s’acquitte pas de ses
obligations au titre de la présente Convention », la Syrie estime que la Cour n’a pas compétence
et que la requête conjointe du Canada et des Pays-Bas est irrecevable.
Les conditions procédurales préalables prévues à l’article 30
Même si, aussi improbable que cela puisse être, la Cour conclut que les aspects juridiques et
procéduraux mentionnés plus haut ne la privent pas de sa compétence pour connaître du « différend »
allégué, les demandeurs n’ont pas satisfait aux conditions procédurales préalables énoncées à
l’article 30.
L’existence d’un « différend »
18. Dans un certain nombre d’affaires précédentes, la Cour a rappelé qu’un différend existe
s’il y a « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses
juridiques ou d’intérêts », et qu’« [i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte
à l’opposition manifeste de l’autre ».
19. La Cour estime en outre qu’il existe « un différend entre des États lorsque leurs points de
vue quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations internationales sont nettement
opposés » et qu’elle « ne peut se borner à constater que l’une des Parties soutient qu’il existe
un … différend et que l’autre le nie ».
20. Les arguments présentés par les demandeurs n’ont manifestement pas prouvé l’existence
de ces éléments, puisqu’il ressort de la correspondance et des deux réunions que les vues de la Syrie
n’étaient pas opposées à celles des demandeurs, et que la première a tenté de comprendre les
préoccupations et les positions des seconds et d’obtenir des précisions supplémentaires en vue d’en
vérifier le bien-fondé et de prendre les mesures qui pourraient être nécessaires ou requises, ainsi que
de parvenir à un accord avec eux.
21. S’agissant des déclarations et communiqués des demandeurs, ils revêtaient un caractère
purement général, ne portaient pas spécifiquement sur l’« existence d’un différend » au regard de la
convention contre la torture et ont été établis dans le contexte global de l’évolution de la situation en
Syrie. De même, la correspondance échangée entre les Parties était de nature procédurale, et
s’inscrivait dans le contexte d’échanges visant à clarifier les points soulevés par les demandeurs.
Les « négociations »
22. Selon sa jurisprudence, la Cour doit s’assurer que, « à tout le moins, … l’une des parties
[a] vraiment [tenté] d’ouvrir le débat avec l’autre partie en vue de régler le différend », et « il n’est
satisfait à la condition préalable de tenir des négociations que lorsque celles-ci ont échoué, sont
devenues inutiles ou ont abouti à une impasse ».
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23. La Cour a par ailleurs relevé que l’exigence que le différend « ne p[uisse] pas être réglé
par voie de négociation » ne saurait être entendue comme une impossibilité théorique de parvenir à
un règlement ; elle implique, ainsi que la Cour l’a indiqué au sujet d’une disposition au libellé
similaire, qu’« il n[e soi]t pas raisonnablement permis d’espérer que de nouvelles négociations
puissent aboutir à un règlement ».
24. La Syrie tient à rappeler que les notes verbales échangées entre les Parties ne
traitaient pas du fond même de la question, et ajoute que l’ordre du jour de la première réunion
tenue le 26 avril 2022 ne portait que sur des aspects procéduraux et qu’il a été convenu, à cette
occasion, de continuer de tenir des réunions tous les trois mois en évitant toute politisation. En
conséquence, les deux Parties ont échangé des communications afin d’arrêter une date pour la
seconde réunion, dont il a été décidé qu’elle aurait lieu les 5 et 6 octobre à Abou Dhabi.
25. C’est avec sérieux et bonne foi que la délégation syrienne a pris part à la réunion des 5 et
6 octobre 2022, au cours de laquelle elle a répondu à l’« exposé des faits » et à l’« exposé du droit »
soumis par les demandeurs, et entrepris d’examiner des aspects pertinents relatifs au droit et au fond,
comme cela ressort clairement du procès-verbal de cette réunion.
26. Les demandeurs se sont refusés, tant à la réunion tenue à Abou Dhabi que dans le cadre
de la correspondance échangée, à fournir les renseignements sollicités concernant les allégations
qu’ils avaient formulées dans l’« exposé des faits » et l’« exposé du droit », et n’ont pas répondu
aux demandes, questions et éléments juridiques et factuels soulevés par la délégation syrienne
à cette réunion, qui avait pour objet de clarifier comment accueillir les points qu’ils avaient avancés
et, sur cette base, d’en assurer le suivi. Par la suite, les demandeurs, arguant d’un « échec des
négociations », ont refusé de poursuivre les réunions et demandé que le différend soit immédiatement
soumis à l’arbitrage. Cette attitude indique, là encore, qu’aucune tentative réelle et de bonne foi n’a
été faite pour parvenir à un accord.
27. La Syrie soutient que la tenue d’une seule réunion sur les questions de fond les 5
et 6 octobre 2022 à Abou Dhabi ne permettait pas aux demandeurs de parvenir
unilatéralement à la conclusion théorique selon laquelle les « progrès accomplis n[’étaie]nt pas
suffisants », les discussions se trouvaient dans une « impasse » et toute nouvelle réunion serait
« inutile ».
28. Dans la correspondance échangée après la réunion, la Syrie n’a cessé de réaffirmer qu’elle
était disposée à avoir un dialogue sérieux et de bonne foi avec les demandeurs, conformément à la
convention contre la torture2. Elle a de même indiqué, dans ces échanges, que, s’étant penchée sur le
déroulement de la réunion et les vues que les délégations des demandeurs y avaient exprimées, elle
souhaitait soulever des points supplémentaires aux fins de la discussion, formant l’espoir qu’une
évolution des positions des Parties permettrait de parvenir à une solution lors des réunions suivantes.
29. Les demandeurs n’ont pas accepté la proposition de la Syrie de tenir une nouvelle
réunion à Abou Dhabi, ce qui a annihilé toute possibilité raisonnable de progrès qui aurait pu
en découler. Cela révèle en outre que les demandeurs n’avaient aucune intention de tenter
véritablement de parvenir à un règlement acceptable.
2 Notes verbales en date des 17 novembre 2022 et 1er février 2023 adressées aux demandeurs par la Syrie.
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30. La Syrie a malgré tout, en gage de sa bonne volonté et de sa bonne foi, proposé à maintes
reprises de tenir une réunion à Abou Dhabi à la première date qui conviendrait aux deux Parties. Elle
a rappelé qu’elle souhaitait, à l’occasion de cette nouvelle réunion, soulever d’autres points méritant
d’être examinés, afin que les Parties aient une nouvelle chance de réaliser les progrès nécessaires et
de trouver une issue sérieuse (notes verbales en date des 27 octobre 2022, 16 novembre 2022,
1er février 2023 et 10 avril 2023). Les demandeurs n’ont toutefois tenu aucun compte de ces
propositions, ce qui vient contredire les affirmations que contiennent leurs notes verbales conjointes
concernant l’importance cruciale du facteur temporel. Si les deux États demandeurs avaient alors
consenti à la proposition de la Syrie quant à la tenue de cette réunion, cela aurait permis d’éviter les
pertes de temps injustifiées et offert une réelle possibilité d’accomplir des progrès et de parvenir à
une solution sérieuse dans un délai raisonnable.
31. Pour ce qui est des « divergences de vues importantes » qui, selon les demandeurs,
« existent entre les deux Parties », ainsi que ceux-ci l’affirment dans leurs notes verbales des
17 octobre 2022 et 24 mars 2023, le meilleur moyen d’y remédier consiste assurément à poursuivre
sans attendre les réunions compte tenu, en particulier, de l’existence de nouveaux éléments que
l’autre Partie souhaite soulever , ce que les demandeurs ont rejeté sans aucune justification
raisonnable et en contradiction avec la lettre et l’esprit de la convention.
32. Il ressort clairement de ce qui précède que, bien que la position des demandeurs n’ait
pas évolué et que ceux-ci n’aient pas véritablement tenté d’engager des discussions sérieuses et
de parvenir à un accord, la Syrie, en revanche, a évolué dans sa position et s’est employée avec
diligence à rechercher une solution satisfaisante susceptible de rapprocher les points de vue,
conformément à la convention contre la torture.
33. Ainsi que cela est expliqué ci-dessus, les demandeurs n’aspirent, depuis le début, qu’à une
seule chose, obtenir de la Syrie qu’elle reconnaisse au préalable, sans qu’ait eu lieu aucune discussion
réelle ni aucun échange effectif d’informations, qu’elle a « manqué à plusieurs obligations
consacrées par la convention », et que « ces manquements au droit international constituent des faits
internationalement illicites à l’égard desquels sa responsabilité est engagée ». Ils souhaitent encore
voir la Syrie admettre que « cette responsabilité entraîne pour [elle] des conséquences juridiques »,
à savoir « accepter pleinement sa responsabilité », « cesser ces violations », « fournir des assurances
et garanties appropriées de non-répétition » et « accorder réparation intégrale aux victimes ». La
demande de négociations présentée par les demandeurs est subordonnée à la soumission préalable,
par la Syrie, d’une déclaration concernant l’ensemble de ces éléments et à l’exigence que les
négociations portent exclusivement sur « les violations du droit international commises par la Syrie
et les conséquences juridiques qui en découlent » (ainsi que l’indique la première note verbale
adressée à la Syrie par les Pays-Bas le 18 septembre 2020).
Depuis la première note verbale reçue des Pays-Bas et dans toutes les suivantes adressées
par les demandeurs, ainsi que lors des deux réunions tenues à Abou Dhabi, les demandeurs ont
insisté sur cette condition préalable, qui vide les négociations de leur substance en les privant
de sens et d’objet, et qui contrevient et nuit au but et au principe des négociations prévues à
l’article 30 de la convention.
34. L’objet et le principe des « négociations » mentionnées à l’article 30 de la convention
contre la torture consistent à régler les différends entre des « États parties concernant l’interprétation
ou l’application de la … Convention », et non à discuter, exclusivement et à titre de condition
préalable, de la manière dont doivent être envisagées les « conséquences juridiques » du
« manquement » prétendu de l’une des parties. En d’autres termes, les négociations doivent porter
sur la validité de l’interprétation ou de l’application de la convention, ou, à tout le moins, partir de
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ces questions, et non passer directement à la « responsabilité à l’égard des violations » et aux
« conséquences juridiques », comme l’ont exigé les demandeurs comme préalable à toute discussion.
35. Dans le présent contexte, il y a lieu pour la Cour de prendre en considération une
telle situation, à savoir le fait que l’une des Parties a imposé des conditions préalables qui
contreviennent et nuisent au but et au principe des négociations prévues par l’article 30 de la
convention, et qui vident ces négociations de leur substance, de leur sens et de leur objet, d’un
point de vue pratique autant que juridique.
L’« arbitrage »
36. Les multiples tentatives de la Syrie de tenir une nouvelle réunion ont toutes échoué, les
demandeurs ayant persisté à affirmer de manière injustifiée que les deux Parties avaient atteint une
« impasse » qui excluait toute possibilité de parvenir à un accord, et proposé, dans leur note verbale
conjointe en date du 7 novembre 2022, de s’en remettre à l’arbitrage.
37. La Syrie souhaite préciser que cette demande d’arbitrage n’est pas conforme à l’esprit et à
la lettre de l’article 30 de la convention. Outre les éléments exposés ci-dessus, la note verbale
conjointe comportait une annexe intitulée « Éléments de base en vue de l’organisation de
l’arbitrage ». La note verbale indiquait que, « [l]orsque les Parties au différend se mettr[aie]nt
d’accord pour négocier l’organisation de l’arbitrage sur le fondement de ces éléments, le Canada et
les Pays-Bas présenter[aie]nt une proposition détaillée à la République arabe syrienne ». En d’autres
termes, les demandeurs ont fixé une condition préalable excluant toute possibilité de discuter de la
question de l’arbitrage, puisqu’ils ont refusé d’emblée toute discussion sur cette question tant que la
Syrie ne reconnaîtrait pas les éléments de base proposés pour l’arbitrage. Il convient de garder à
l’esprit que ces éléments préjugent l’issue de l’arbitrage et leur reconnaissance préalable vide donc
cette procédure de tout objet.
38. Compte tenu de ce qui précède, il est clair que les demandeurs ne se sont pas acquittés des
obligations et conditions préalables d’ordre procédural prévues par l’article 30 de la convention
contre la torture, et qu’ils avaient pour seule intention de laisser passer sans effet les étapes et
échéances procédurales, ce qui est contraire à l’esprit et à la lettre de la convention, et, de surcroît,
bafoue et dévoie les moyens et mécanismes de la justice internationale et en compromet la crédibilité.
Les mesures conservatoires
39. Après que les demandeurs ont prié la Cour d’indiquer des mesures conservatoires, la date
de la procédure orale a été fixée au 3 juillet 2023, puis reportée au 19 juillet, sans que la Syrie soit
consultée ni sur la date ni sur les autres aspects procéduraux pertinents. Il est rappelé que l’un des
principes fondamentaux énoncés par le Statut est le fait que la Cour ne peut trancher un différend
sans le consentement des États en cause et sans que ceux-ci aient accepté sa compétence, ce qui, de
toute évidence, englobe a fortiori une consultation sur les questions de procédure.
40. La jurisprudence de la Cour, selon les affaires pertinentes dont celle-ci a eu à connaître par
le passé, est fondée, pour ce qui est de l’indication de mesures conservatoires, sur la nécessité de
prouver qu’un certain nombre d’éléments sont réunis, à savoir qu’il y a « urgence, c’est-à-dire [qu]’il
existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant
qu[’elle] ne rende sa décision définitive », que les droits allégués dont la protection est recherchée
sont « plausibles », et qu’un lien existe entre les droits à protéger et les mesures conservatoires
sollicitées.
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41. Pour ce qui est de la demande en indication de mesures conservatoires présentée par les
demandeurs, rien ne permet de prouver, que ce soit en droit ou du point de vue des faits, que ces
éléments sont réunis, et la Syrie souhaite apporter, à cet égard, les précisions suivantes.
42. Les documents que les demandeurs appellent l’« exposé des faits » et l’« exposé de droit »
sont émaillés d’affirmations générales et vagues, et ne contiennent aucun cas ou fait précis
susceptible, en pratique, d’être vérifié ou traité.
43. Que ce soit dans leur correspondance écrite ou lors des deux réunions tenues à Abou
Dhabi, les demandeurs n’ont fourni aucun cas concret ni aucune autre information permettant
d’étayer les éléments avancés dans les « exposés » susmentionnés au sujet des violations
alléguées de la convention contre la torture, et ce, en dépit des demandes répétées adressées par la
Syrie à cet égard, telles qu’établies et attestées par la correspondance échangée entre les Parties et
les comptes rendus des deux réunions.
Ainsi, à la seconde réunion d’Abou Dhabi, la délégation syrienne a clairement invité les
délégations des demandeurs à présenter les cas et renseignements précis dont elles disposaient afin
qu’une suite puisse y être donnée et que la Syrie puisse procéder à l’examen et à l’appréciation de
ces éléments, exprimer sa position et communiquer les informations en sa possession à cet égard, ce
qui permettrait d’accomplir les progrès requis et de trouver une issue.
Ces demandes n’ont toutefois reçu aucune réponse, hormis l’indication que les
informations sollicitées seraient soumises à la Cour. Cela confirme que, indépendamment du
caractère infondé des réclamations des demandeurs, il n’y a pas urgence, c’est-à-dire qu’il
n’existe pas de risque réel et imminent auquel il doit être remédié immédiatement.
44. Outre ce qui précède, tous les éléments contenus dans le soi-disant « exposé des faits » se
rapportent à la période comprise entre 2011 et 2014, ce qui exclut là encore tout caractère d’urgence
pour ce qui est des allégations formulées par les demandeurs et se heurte au principe selon lequel la
condition d’urgence est remplie dès lors que « les actes susceptibles de causer un préjudice
irréparable peuvent “intervenir à tout moment” ». Il convient, sur le même point, de mentionner
l’article 9 de la convention contre la torture, qui prévoit que
« [l]es États parties s’accordent l’entraide judiciaire la plus large possible dans toute
procédure pénale relative aux infractions visées à l’article 4, y compris en ce qui
concerne la communication de tous les éléments de preuve dont ils disposent et qui sont
nécessaires aux fins de la procédure ».
Étant donné que les demandeurs n’ont pas appliqué cette disposition, l’élément relatif au préjudice
irréparable est absent s’agissant des droits qu’ils allèguent.
45. Les mesures conservatoires requises par les demandeurs pour protéger les « droits »
qu’ils revendiquent ne présentent pas de caractère plausible, sont exagérées et reposent sur des
hypothèses qui ne sont pas étayées par des éléments de preuve tangibles, selon les principes
juridiques élémentaires applicables en matière de preuve, ainsi que la Syrie l’a exposé en détail
à la réunion tenue à Abou Dhabi les 5 et 6 octobre 2022.
46. De plus, pour que les « droits » allégués par les demandeurs soient plausibles, ceuxci
doivent présenter des cas concrets entrant dans le champ de la convention qui puissent être
examinés (ainsi qu’il est exposé ci-dessus) et il ne suffit pas de formuler des affirmations
approximatives sur d’éventuels droits liés à des faits présumés pour lesquels aucune
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description ni information précise n’a été fournie. En d’autres termes, il convient, pour définir
des droits, d’établir au préalable les faits qui s’y rapportent. À cet égard, les demandeurs justifient la
nécessité que des mesures conservatoires soient indiquées en affirmant qu’il existe un « préjudice
inexcusable et irréparable pour chaque victime de torture ».
Sur ce point, la Syrie a indiqué à la réunion tenue les 5 et 6 octobre 2022 à Abou Dhabi que,
si les demandeurs avaient connaissance de cas précis et crédibles de torture n’ayant pas été portés à
l’attention des autorités syriennes compétentes, elle était prête à les examiner et à prendre les
dispositions requises au regard du droit syrien et conformément à la convention contre la torture. La
Syrie a expliqué à cette occasion que, si les demandeurs disposaient d’informations fiables et précises
sur de tels cas, une coopération pourrait être mise en place pour examiner les faits en question,
procéder à des vérifications et prendre les mesures nécessaires. Les demandeurs n’ont toutefois
présenté aucun cas de la sorte, ce qui confirme encore l’absence d’urgence quant à l’indication des
mesures conservatoires sollicitées et de plausibilité des droits allégués dont la protection est
demandée.
La Syrie réaffirme qu’elle est disposée à examiner et à traiter tout cas spécifique qui lui sera
communiqué suivant des procédures régulières, conformément aux cadres juridiques et dans le
respect de la convention contre la torture. La répétition de cette affirmation, replacée dans son juste
contexte, devrait exclure elle aussi la nécessité que des mesures conservatoires soient indiquées.
47. Ainsi que cela a été mentionné, la Syrie a, à maintes reprises, proposé qu’une réunion se
tienne à Abou Dhabi à la première date dont pourraient convenir les Parties, et ce, afin de bénéficier
d’une occasion supplémentaire d’accomplir les progrès requis et de parvenir à un résultat digne
d’intérêt, et indiqué qu’elle était disposée à examiner toute information portant sur des cas précis.
Les deux demandeurs n’ont cependant tenu aucun compte de ces propositions, ce qui est en
contradiction avec les indications de leurs notes verbales conjointes concernant l’importance
vitale du facteur temporel et le caractère d’urgence. S’ils avaient alors consenti à la proposition
de la Syrie de tenir cette réunion, cela aurait permis d’éviter des pertes de temps inutiles et de
traiter les cas urgents éventuels. Il appartenait a fortiori aux demandeurs de présenter ces prétendus
cas urgents dans les réunions et la correspondance, au lieu d’attendre, comme ils l’ont fait, pour en
saisir la Cour.
48. Les mesures conservatoires ne doivent pas porter sur le fond ni préjuger l’objet même du
différend, surtout dans les affaires sensibles, graves et complexes qui ne peuvent être tranchées
rapidement et de manière superficielle. Accorder les mesures conservatoires sollicitées par les
demandeurs à ce stade reviendrait, de fait, pour la Cour à préjuger le fond de l’affaire et à
rendre une décision définitive sans que soient respectées les règles fondamentales admises en
matière de preuve et les procédures prévues par son Statut et son Règlement, ce qui priverait
d’utilité et d’objet son examen ultérieur du fond de l’affaire. Les questions soulevées doivent
donc, en principe, être envisagées au stade de l’examen au fond conformément aux règles
procédurales et juridiques applicables, et non à l’étape des mesures conservatoires, qui font l’objet
d’un examen rapide et superficiel. Cela s’applique tout particulièrement aux mesures sollicitées aux
alinéas a), b), d) et e) du paragraphe 33 de la demande en indication de mesures conservatoires.
49. Il importe, dans l’intérêt de la justice, que la Cour tienne compte de l’absence d’échange
diplomatique entre la Syrie et les deux demandeurs et des prises de position hostiles de ces derniers
à l’égard de la Syrie, dont il découle qu’ils sont mus, dans leur démarche, par des considérations
politiques, comme la Syrie l’a bien compris et comme cela se déduit aisément de leurs déclarations
la concernant, de la correspondance échangée et des deux réunions tenues à Abou Dhabi. Il convient
de relever, à cet égard, l’importance de ne pas dénier ni passer sous silence le principe des
« mains propres » établi en droit international. En conséquence, la Syrie prie la Cour de prendre
cet élément en considération dans la présente affaire, qui, de par son caractère particulier, se distingue
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des affaires précédentes dans lesquelles ledit principe a été invoqué devant la Cour. Il existe de
nombreux incidents prouvant que les demandeurs ne sont pas impartiaux, et qu’ils soutiennent, de
fait, des groupes armés en Syrie, en violation du droit international.
50. À cela s’ajoute le fait que le Gouvernement des Pays-Bas a approuvé une recommandation
du Parlement néerlandais tendant à l’ouverture d’une enquête visant le premier ministre néerlandais
Mark Rutte au sujet de la fourniture d’un « appui à une faction armée rebelle syrienne », et qu’une
enquête a été ouverte sur l’appui fourni entre mai 2015 et avril 2018 par le Gouvernement néerlandais
au groupe Front du Levant, qui s’est vu remettre pour plus de 25 millions d’euros de denrées
alimentaires, de médicaments, de matériels de communication, de camions, de tentes et d’uniformes
militaires.
De nombreux rapports internationaux ont fait état de ce que les groupes armés présents
en Syrie auxquels les Pays-Bas ont fourni un appui pratiquent la torture. La Syrie a soulevé
cette question à la réunion d’Abou Dhabi des 5 et 6 octobre, soulignant, notamment, l’existence
d’une instigation ou d’un consentement exprès ou tacite de la part d’agents de la fonction
publique néerlandaise ou d’autres personnes agissant à titre officiel qui ont fourni un appui à
ce groupe ou à d’autres, en particulier à l’égard des actes de torture commis par ce ou ces
dernier(s), au sens de la définition de la torture contenue dans la convention.
51. Conformément au paragraphe 1 de l’article 41 du Statut, la Cour a « le pouvoir d’indiquer,
si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun
doivent être prises à titre provisoire ». En d’autres termes, les mesures conservatoires ont pour objet
de protéger les droits des deux parties, et non de protéger les droits d’une seule des parties, ni de
protéger les droits d’une partie d’une manière qui porte atteinte aux droits de l’autre partie. Ainsi,
l’indication des mesures conservatoires sollicitées par les demandeurs, telles qu’elles ont été
présentées, causerait à la Syrie un préjudice grave qui pourrait être irréparable et nuire à sa
capacité de continuer à s’acquitter de ses obligations au titre de la convention contre la torture,
compte tenu, en particulier, de la nature hautement politisée des difficultés que traverse la
Syrie, notamment du point de vue des questions se rapportant aux droits de l’homme et de
l’exploitation de la situation en vue de ternir l’image de la Syrie, ainsi que de l’usage que certaines
Parties pourraient abusivement chercher à faire de telles mesures conservatoires à des fins contraires
au but pour lequel elles auraient été indiquées, et d’une manière qui porterait atteinte aux droits et
intérêts que le droit international reconnaît à la Syrie.
52. Les demandeurs affirment en outre qu’il est justifié de recourir à des mesures
conservatoires en cas de « circonstances instables et qui pourraient changer rapidement » et dès lors
que des « tensions persistantes » existent et qu’« [a]ucun progrès réel n’a été accompli dans la mise
en oeuvre de la résolution 2254 … du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies ». Il
convient toutefois de préciser à cet égard que les territoires contrôlés par le Gouvernement syrien
sont stables du point de vue sécuritaire et militaire. La situation dans ces zones a radicalement changé
par rapport à celle qui prévalait à l’époque où existaient des activités terroristes, ce à quoi s’ajoute le
climat positif et stable qu’ont permis d’instaurer les décrets d’amnistie générale ainsi que les
initiatives locales de règlement et de réconciliation. Il n’y a en outre aucun lien d’ordre juridique,
logique ou pratique entre la résolution 2254 et la mise en oeuvre de la convention contre la torture.
53. Au vu de ce qui précède, la Syrie, en tant qu’État partie à la convention contre la
torture, prie respectueusement la Cour
a) de déclarer qu’elle n’a pas compétence et que la requête est irrecevable, et de rayer de son rôle la
présente affaire ;
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b) de rejeter la demande en indication de mesures conservatoires soumise par les demandeurs ;
c) de ne pas indiquer de mesures conservatoires susceptibles de porter atteinte aux droits et intérêts
que la Syrie tient du droit international et de la convention contre la torture.
54. Si, par extraordinaire, la Cour conclut qu’elle a compétence et qu’il y a lieu pour elle
d’indiquer des mesures conservatoires, les fondements juridiques et procéduraux retenus par
elle pour parvenir à cette conclusion devront, de la même manière, être appliqués aux
demandes que la Syrie, en tant qu’État partie à la convention contre la torture, prie
respectueusement la Cour d’indiquer avant toute chose, et qui sont soumises ci-après :
d) Les demandeurs doivent s’abstenir de prendre des mesures susceptibles de porter atteinte aux
intérêts et droits que la Syrie tient de la convention contre la torture, ou des mesures dirigées
contre la Syrie et destinées à contraindre cette dernière à accepter à l’avance les allégations et
demandes qu’ils formulent.
e) Les demandeurs doivent s’abstenir d’utiliser la convention contre la torture comme un moyen
d’atteindre des objectifs qui s’écartent nettement des objectifs humanitaires et des buts et
principes sur la base desquels la convention a été établie, ou d’une manière politisée qui amène à
douter de la bonne foi avec laquelle les dispositions de la convention ont été appliquées, ou encore
d’une manière qui méconnaît les mécanismes, procédures et conditions prévus par la convention.
f) Le Royaume des Pays-Bas doit fournir des précisions sur la question de l’instigation ou du
consentement exprès ou tacite d’agents de la fonction publique néerlandaise et d’autres personnes
agissant à titre officiel qui ont fourni un appui à des groupes armés en Syrie, à l’égard des actes
de torture commis par ces derniers, au sens de la définition de la torture que donne la convention
et à la lumière des obligations imposées aux parties à cet instrument (paragraphe 45 ci-dessus).
g) Le Royaume des Pays-Bas et le Canada doivent immédiatement cesser de fournir un appui à ces
groupes armés.
h) Le Royaume des Pays-Bas doit s’abstenir de détruire et de rendre inaccessible tout élément de
preuve se rapportant à cette question, et conserver les informations pertinentes.
i) Le Royaume des Pays-Bas et le Canada doivent présenter à la Cour un rapport sur l’ensemble des
mesures qu’ils auront prises concernant les points qui précèdent.
55. La Syrie se réserve le droit de réviser, de compléter ou de modifier le contenu de la
présente lettre ainsi que les moyens qui y sont invoqués.
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56. Pour plus de commodité sont annexées ci-après les notes verbales que la mission permanente de
la République arabe syrienne auprès de l’Office des Nations Unies et d’autres organisations
internationales à Genève a adressées aux missions permanentes du Royaume des Pays-Bas et du
Canada à Genève après la réunion tenue à Abou Dhabi le 26 avril 2022.
Le ministre plénipotentiaire et chargé d’affaire de
l’ambassade de la République arabe syrienne
(Signé) Ammar AL-ARSAN.
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Observations de la Syrie sur la demande conjointe en indication de mesures conservatoires présentées par le Canada et les Pays-Bas