Mémoire du Nicaragua

Document Number
154-20160928-WRI-01-00-EN
Document Type
Date of the Document
Document File

Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
16133
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À LA QUESTION DE LA DÉLIMITATION DU PLATEAU
CONTINENTAL ENTRE LE NICARAGUA ET LA COLOMBIE AU-DELÀ
DE 200 MILLES MARINS DE LA CÔTE NICARAGUAYENNE
(NICARAGUA C. COLOMBIE)
MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA
28 septembre 2016
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
Chapitre 1. Introduction ..................................................................................................................... 1
A. Historique du différend ............................................................................................................ 1
1. La requête de 2001 et les arrêts de 2007 et 2011 ................................................................. 1
2. L’arrêt de 2012 et ses limites ............................................................................................... 2
3. L’arrêt de 2016 ..................................................................................................................... 7
4. Le rôle de la Commission et son incidence sur les questions de délimitation
maritime .............................................................................................................................. 9
5. Le rejet par la Colombie du titre du Nicaragua .................................................................. 11
6. Le rejet par la Colombie de l’arrêt et de la nouvelle requête du Nicaragua ....................... 11
B. La tâche de la Cour ................................................................................................................. 13
Chapitre 2. Le droit applicable en matière de délimitation du plateau continental .......................... 17
A. La source du droit applicable ................................................................................................. 17
B. Le contenu du droit applicable ............................................................................................... 18
C. La méthode de délimitation .................................................................................................... 28
Chapitre 3. Le cadre juridique. Droit du Nicaragua à un plateau continental en vertu de
l’article 76. Description technique du plateau continental. ......................................................... 32
A. Résumé de la demande soumise à la Commission des limites du plateau continental
par le Nicaragua ..................................................................................................................... 32
1. Données employées dans la demande ................................................................................ 32
2. Détails techniques de la demande ...................................................................................... 33
B. Droit de la Colombie à un plateau continental ....................................................................... 67
1. Droit généré par la côte continentale de la Colombie ........................................................ 67
2. Droit généré par les îles colombiennes .............................................................................. 68
C. Aperçu des différents droits à un plateau continental entrant en ligne de compte ................. 69
Chapitre 4. Les côtes pertinentes et la zone pertinente .................................................................... 70
A. Introduction ............................................................................................................................ 70
B. La détermination des côtes pertinentes ................................................................................... 74
1. La côte pertinente du Nicaragua ........................................................................................ 75
2. La côte pertinente de la Colombie ..................................................................................... 77
C. Détermination de la zone pertinente ....................................................................................... 83
1. La zone pertinente se situe entre les côtes continentales pertinentes des Parties ............... 83
2. Les limites latérales de la zone pertinente ......................................................................... 92
D. Conclusion ............................................................................................................................. 96
- ii -
Chapitre 5. Délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins ................................ 97
A. Etablissement de la ligne de délimitation provisoire .............................................................. 97
B. Circonstances pertinentes ..................................................................................................... 105
C. Vérification de l’absence de disproportion ........................................................................... 108
Conclusions .................................................................................................................................... 114
Attestation ...................................................................................................................................... 115
Liste des annexes ............................................................................................................................ 116
___________
- iii -
LISTE DES FIGURES
Page
Figure 1.1 Zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se
chevauchent
4
Figure 1.2 Les lignes et points de base du Nicaragua 15
Figure 3.1 Tectonique régionale du sud-ouest des Caraïbes 35
Figure 3.2 Géomorphologie régionale du sud-ouest des Caraïbes 36
Figure 3.3 Géomorphologie régionale du sud-ouest des Caraïbes — vue en perspective 37
Figure 3.4 Eléments du plateau continental et des dispositions de l’article 76 38
Figure 3.5 Zone formant la base du talus dans son environnement régional 40
Figure 3.6 Profil bathymétrique de la région montrant le prolongement immergé de la
masse terrestre du Nicaragua jusqu’à l’escarpement de Hess
41
Figure 3.7 Profils bathymétriques des rides de Kogi et de Mono 43
Figure 3.8 Les huit points PTC retenus par le Nicaragua 45
Figure 3.9 PTC-1 : localisation de la base du talus 47
Figure 3.10 PTC-1 : localisation du pied du talus 49
Figure 3.11 PTC-5 : localisation de la base du talus 52
Figure 3.12 PTC-5 : localisation du pied du talus 54
Figure 3.13 Ligne déduite de la formule : points PTC + 60 milles marins 57
Figure 3.14 Lignes déduites des contraintes : 350 milles marins et 2500 mètres +
100 milles marins
59
Figure 3.15 Définition de la limite extérieure du plateau continental 61
Figure 3.16 Limite extérieure du plateau continental 63
Figure 3.17 Limite extérieure du plateau continental dans la zone pertinente 65
Figure 3.18 Géomorphologie de la marge colombienne 67
Figure 3.19 Droit de la Colombie à un plateau continental 68
Figure 4.1 Le sud-ouest de la mer des Caraïbes : géographie régionale 71
Figure 4.2 Les accords bilatéraux et les frontières définies par la Cour 73
Figure 4.3 Le croquis no 6 tiré de l’arrêt de la Cour en l’affaire Nicaragua c. Colombie 76
Figure 4.4 La côte pertinente du Nicaragua 77
Figure 4.5 La côte pertinente de la Colombie 79
Figure 4.6 Les côtes pertinentes de San Andrés et Providencia 82
Figure 4.7 La zone pertinente en l’affaire Jan Mayen 86
Figure 4.8 La zone pertinente en l’affaire Canada c. France 87
Figure 4.9 La zone pertinente en l’affaire Bangladesh/Myanmar 89
Figure 4.10 La zone pertinente en l’affaire Bangladesh c. Inde 91
- iv -
Page
Figure 4.11 La zone pertinente 95
Figure 5.1 Ligne de délimitation provisoire entre les côtes continentales des Parties 99
Figure 5.2 Cayes de Serranilla et Bajo Nuevo 102
Figure 5.3 Cayes de Roncador et de l’Est-Sud-Est 103
Figure 5.4 Délimitation provisoire 104
Figure 5.5 Plateau continental attribué par le tribunal arbitral aux îles anglo-normandes
en l’affaire Royaume-Uni c. France
106
Figure 5.6 Délimitation finale et analyse tendant à vérifier l’absence de disproportion 109
Figure 5.7 Délimitation finale 112
___________
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1. La présente affaire s’inscrit dans le prolongement de la requête présentée par le
Nicaragua concernant la délimitation du plateau continental entre lui-même et la Colombie, qui a
abouti à l’arrêt prononcé le 19 novembre 2012.
1.2. La présente instance a été introduite par la requête du Nicaragua en date du
16 septembre 2013. Elle a trait à la délimitation de la frontière entre, d’une part, la partie de plateau
continental du Nicaragua qui se situe au-delà de la limite de 200 milles marins des lignes de base à
partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale et, d’autre part, le plateau continental
de la Colombie.
1.3. Dans sa requête, le Nicaragua prie la Cour :
1) de délimiter le tracé exact de la limite entre son plateau continental et celui de la Colombie
conformément aux principes et aux règles du droit international, et
2) d’énoncer, dans l’attente d’une délimitation précise de la frontière, les droits et obligations des
deux Etats concernant la zone où leurs revendications se chevauchent et l’utilisation des
ressources qui s’y trouvent.
Cette procédure est la dernière engagée dans le cadre de l’ensemble de questions juridiques
connexes soulevées par le différend territorial et maritime opposant le Nicaragua à la Colombie,
lequel a été soumis à la Cour pour la première fois en 20011.
A. HISTORIQUE DU DIFFÉREND
1. La requête de 2001 et les arrêts de 2007 et 2011
1.4. Dans sa requête en date du 6 décembre 2001, le Nicaragua priait la Cour : i) de dire et
juger qu’il avait la souveraineté sur les îles de Providencia, San Andrés et Santa Catalina et toutes
les îles et cayes qui en dépendent ainsi que sur les cayes de Roncador, Serrana, Serranilla et
Quitasueño (pour autant qu’elles fussent susceptibles d’appropriation) ; et ii) à la lumière des
conclusions qu’elle aurait tirées concernant le titre revendiqué ci-dessus, de déterminer le tracé
d’une frontière maritime unique entre les portions de plateau continental et les zones économiques
exclusives relevant respectivement du Nicaragua et de la Colombie, conformément aux principes
équitables et aux circonstances pertinentes que le droit international général reconnaît comme
s’appliquant à une délimitation de cet ordre.
1.5. En juillet 2003, la Colombie a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de
la Cour. Elle soutenait notamment que, les questions en litige ayant été réglées par un traité conclu
entre le Nicaragua et elle en 1928, il n’existait aucun différend, et que la requête de cet Etat avait
en réalité pour objet la délimitation maritime et non la détermination de la souveraineté sur les
formations maritimes.
1 Voir la requête introductive d’instance présentée par le Nicaragua en l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie), 6 décembre 2001.
1
2
- 2 -
1.6. Le 13 décembre 2007, la Cour a rendu son arrêt sur les exceptions préliminaires
soulevées par la Colombie2. Elle a retenu en partie la première exception, considérant que le traité
de 1928 avait réglé la question de la souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina en faveur de la Colombie, mais pas celle de la souveraineté sur les autres formations
maritimes. La Cour a conclu qu’elle était compétente pour trancher le différend concernant la
souveraineté sur ces autres formations maritimes, ainsi que celui portant sur la délimitation
maritime. La deuxième exception préliminaire de la Colombie a quant à elle été rejetée.
1.7. Après avoir rejeté, dans ses arrêts du 4 mai 2011, les demandes d’intervention du
Costa Rica3 et du Honduras4, la Cour a entrepris l’examen de l’affaire au fond.
2. L’arrêt de 2012 et ses limites
1.8. La Cour a rendu son arrêt sur le fond le 19 novembre 20125. Elle a conclu que la
Colombie avait souveraineté sur les îles faisant partie des formations maritimes suivantes :
Alburquerque, Bajo Nuevo, cayes de l’Est-Sud-Est, Quitasueño, Roncador, Serrana et Serranilla6 ;
et a entrepris de déterminer le tracé d’une frontière maritime unique délimitant le plateau
continental et les zones économiques exclusives du Nicaragua et de la Colombie jusqu’au point où
elle atteint la limite de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la mer
territoriale du Nicaragua7, et a décidé que ladite frontière enclaverait Quitasueño et Serrana8.
1.9. La Cour a rejeté la demande du Nicaragua tendant à obtenir une déclaration selon
laquelle le comportement de la Colombie violerait le droit international en ce qu’il l’empêcherait
d’avoir accès aux ressources naturelles à l’est du 82e méridien9, au motif que, avant qu’elle ne
rende sa décision, la frontière maritime n’avait jamais été tracée, et que l’arrêt n’attribuait pas au
Nicaragua l’ensemble de la zone à l’égard de laquelle celui-ci sollicitait une déclaration10.
1.10. Les conclusions les plus pertinentes aux fins de la présente espèce sont celles énoncées
aux points 2) et 3) du dispositif de l’arrêt de 2012. Elles sont ainsi libellées :
«2) Par quatorze voix contre une,
Déclare recevable la demande formulée par la République du Nicaragua au
point I. 3) de ses conclusions finales, par laquelle celle-ci la prie de dire et juger que,
«dans le cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales du
Nicaragua et de la Colombie, la méthode de délimitation à retenir consiste à tracer une
2 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2007 (II), p. 83[3].
3 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Costa Rica à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 348.
4 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Honduras à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 420.
5 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624.
6 Ibid., p. 718, par. 251, point 1) du dispositif.
7 Ibid., p. 719, par. 251, point 4) du dispositif.
8 Ibid., p. 720, par. 251, point 5) du dispositif.
9 Ibid., point 6) du dispositif.
10 Ibid., p. 718, par. 250.
3
4
- 3 -
limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau continental où les
droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent» ;
3) A l’unanimité,
Dit qu’elle ne peut accueillir la demande formulée par la République du
Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales.»
1.11. Le point 2) fait référence à la zone de chevauchement des droits au-delà de 200 milles
marins des lignes de base du Nicaragua. Celui-ci peut prétendre, en vertu du paragraphe 1 de
l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la «CNUDM»)11, à
un plateau continental s’étendant au-delà de 200 milles marins à partir de ses lignes de base, allant
jusqu’au rebord externe de la marge continentale, au sens de l’article 76. Quoique sa marge
continentale n’atteigne pas la limite de 200 milles marins de ses lignes de base continentales, la
Colombie peut prétendre à un plateau continental s’étendant jusque-là12.
1.12. Les droits du Nicaragua et de la Colombie se chevauchent, comme le montre le croquis
n° 2 de l’arrêt rendu par la Cour en 2012, reproduit ici en tant que figure 1.1. Le point I. 3) des
conclusions finales du Nicaragua13 avait trait à la délimitation de cette zone de chevauchement.
11 Reproduit au paragraphe 1.15 ci-après.
12 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 662, par. 105.
13 Ibid., p. 636-637, par. 17.
5
- 4 -
Source : Croquis no 2 de l’arrêt rendu en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), p. 663
Figure 1.1
Zone du plateau continental où les droits des deux Parties
sur celui-ci se chevauchent
6
- 5 -
1.13. Ce chevauchement a été présenté sans détour à la Cour dans une version révisée de la
demande initiale du Nicaragua. A l’audience, la Colombie a objecté que la prétention du Nicaragua
à un plateau continental au-delà de 200 milles marins constituait une nouvelle demande, qui n’était
implicitement contenue ni dans la requête ni dans le mémoire, et que ladite demande était donc
irrecevable14. La Cour n’a «toutefois pas [été] convaincue par les arguments de la Colombie selon
lesquels cette demande révisée modifi[ait] l’objet du différend porté devant elle»15, et a conclu que
la demande du Nicaragua concernant le plateau continental au-delà de 200 milles marins à partir de
ses lignes de base était recevable16. Le point 2) du dispositif donne effet à cette décision.
1.14. La Cour a procédé à l’examen de la demande du Nicaragua concernant le plateau
continental au-delà de 200 milles marins17. Si le Nicaragua est partie à la CNUDM, tel n’est pas le
cas de la Colombie. En conséquence, la Cour a appliqué le droit international coutumier, tout en
relevant que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM concernant le plateau
continental reflétaient ce droit18.
1.15. Le paragraphe 1 de l’article 76 est ainsi libellé :
«Le plateau continental d’un Etat côtier comprend les fonds marins et leur
sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement naturel du
territoire terrestre de cet Etat jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou
jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur
de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à
une distance inférieure.»
1.16. La CNUDM prévoit le tracé de la limite extérieure du plateau continental d’un Etat
côtier partie à cet instrument au-delà de 200 milles marins. Les paragraphes 7 à 10 de l’article 76 se
lisent comme suit :
«7. L’Etat côtier fixe la limite extérieure de son plateau continental, quand ce
plateau s’étend au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est
mesurée la largeur de la mer territoriale, en reliant par des droites d’une longueur
n’excédant pas 60 milles marins des points fixes définis par des coordonnées en
longitude et en latitude.
8. L’Etat côtier communique des informations sur les limites de son plateau
continental, lorsque celui-ci s’étend au-delà de 200 milles marins des lignes de base à
partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, à la Commission des
limites du plateau continental constituée en vertu de l’annexe II sur la base d’une
représentation géographique équitable. La Commission adresse aux Etats côtiers des
recommandations sur les questions concernant la fixation des limites extérieures de
leur plateau continental. Les limites fixées par un Etat côtier sur la base de ces
recommandations sont définitives et de caractère obligatoire.
14 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 664, par. 107.
15 Ibid., par. 109.
16 Ibid., p. 665, par. 112.
17 Ibid., p. 665-670, par. 113-131.
18 Ibid., p. 666, par. 118. La Cour a dit ceci : «point n’est besoin … de déterminer si d’autres dispositions de
l’article 76 de la CNUDM font partie du droit international coutumier».
7
8
- 6 -
9. L’Etat côtier remet au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies
les cartes et renseignements pertinents, y compris les données géodésiques, qui
indiquent de façon permanente la limite extérieure de son plateau continental. Le
Secrétaire général donne à ces documents la publicité voulue.
10. Le présent article ne préjuge pas de la question de la délimitation du plateau
continental entre des Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face.»
1.17. Aux termes de l’article 45 du Règlement intérieur de la Commission des limites du
plateau continental (ci-après la «Commission des limites» ou la «Commission»), l’Etat partie à la
CNUDM qui se propose de fixer la limite extérieure de son plateau continental au-delà de
200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale
doit soumettre à la Commission les caractéristiques de cette limite, avec données scientifiques et
techniques à l’appui et dans un délai de dix ans à compter de l’entrée en vigueur de la convention
pour cet Etat19.
1.18. Ce délai s’étant révélé intenable pour certains Etats côtiers parties à la convention, en
particulier pour les pays en développement, les Etats parties à la CNUDM ont décidé que
l’obligation de présenter des données dans les dix ans
«peut être respecté[e] en soumettant au Secrétaire général des informations
préliminaires indicatives sur les limites extérieures du plateau continental au-delà de
200 milles marins, une description de l’état d’avancement du dossier et une prévision
de la date à laquelle il sera soumis conformément aux prescriptions de l’article 76 de
la Convention, au Règlement intérieur de la Commission des limites du plateau
continental et à ses Directives scientifiques et techniques»20.
1.19. A l’ouverture des audiences devant la Cour, le Nicaragua, s’appuyant sur cette décision
des Etats parties à la CNUDM, avait satisfait à l’obligation découlant de l’article 4 de l’annexe II
de la convention de soumettre les caractéristiques des limites de son plateau continental en
présentant des informations préliminaires. Il a fourni sa demande complète à la Commission
ultérieurement, le 24 juin 2013.
1.20. S’appuyant sur le fait que le Nicaragua n’avait pas, à ce moment-là, présenté le dossier
complet requis pour que la Commission puisse formuler ses recommandations en vertu du
paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM, la Colombie a fait valoir devant la Cour que «le droit à
un plateau continental étendu que le Nicaragua prétend détenir jusqu’au rebord externe de la marge
continentale, au-delà de 200 milles marins, n’a jamais été reconnu ni même soumis pour examen à
la Commission» ; et que «le Nicaragua n’[a] donc pas établi qu’il possédait le moindre droit à un
plateau continental étendu»21.
19 Nations Unies, Règlement intérieur de la Commission des limites du plateau continental, doc. CLCS/40/Rev.1
en date du 17 avril 2008, , art. 45 (accessible à l’adresse suivante : http://www.un.org/Docs/journal/asp/
ws.asp?m=CLCS/40/Rev.1). Pour un Etat partie à l’égard duquel la convention est entrée en vigueur avant le 13 mai
1999, on considère que le délai de dix ans court à partir de cette date, qui est celle à laquelle la Commission a adopté ses
directives scientifiques et techniques : voir Nations Unies, doc. SPLOS/72 en date du 29 mai 2001.
20 Voir Nations Unies, doc. SPLOS/183 en date du 20 juin 2008, p. 2, accessible à l’adresse suivante :
https://daccess-ods.un.org/TMP/8691020.01190186.html.
21 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 667, par. 122.
9
10
- 7 -
1.21. La Cour a conclu que
«le Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la preuve que sa marge
continentale s’étend suffisamment loin pour chevaucher le plateau continental dont la
Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale,
[elle] n’est pas en mesure de délimiter les portions du plateau continental relevant de
chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua»22.
1.22. Ainsi, quoiqu’elle ait jugé recevable la demande du Nicaragua relative au plateau
continental au-delà de 200 milles marins, la Cour ne s’est pas véritablement prononcée sur celle-ci.
La question de la délimitation maritime dans cette zone est donc restée ouverte. C’est aujourd’hui
la question du tracé de cette frontière qui est soumise à la Cour.
3. L’arrêt de 2016
1.23 Le Nicaragua a déposé sa requête introductive de la présente instance le 16 septembre
2013. Comme il a déjà été indiqué, celle-ci comportait deux demandes :
«Le Nicaragua prie la Cour de déterminer :
Premièrement : Le tracé précis de la frontière maritime entre les portions de
plateau continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au-delà des limites
établies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012.
Deuxièmement : Les principes et les règles de droit international régissant les
droits et obligations des deux Etats concernant la zone de plateau continental où leurs
revendications se chevauchent et l’utilisation des ressources qui s’y trouvent, et ce,
dans l’attente de la délimitation de leur frontière maritime au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne.»
1.24. Le 14 août 2013, la Colombie a soulevé cinq exceptions préliminaires à la compétence
de la Cour. La première concernait l’applicabilité ratione temporis du pacte de Bogotá. Dans la
troisième23, elle affirmait que les questions faisant l’objet de la requête du Nicaragua en date du
16 septembre 2013 avaient été expressément tranchées dans l’arrêt de 2012, qui était revêtu de
l’autorité de la chose jugée et empêchait en conséquence la Cour de les examiner plus avant. Dans
sa quatrième exception, la Colombie avançait que, par sa requête, le Nicaragua cherchait à faire
appel de l’arrêt de 2012 et à en obtenir la révision. Ces trois exceptions ont été rejetées par la
Cour24.
1.25. La deuxième exception préliminaire, quant à elle, portait sur l’argument du Nicaragua
suivant lequel la Cour avait une «compétence continue» découlant de son arrêt de 2012 en l’affaire
du Différend territorial et maritime. Selon la Colombie, hormis si la Cour avait expressément
réservé sa compétence, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, il n’existait aucune base qui lui
permettrait d’exercer une compétence continue après avoir rendu son arrêt au fond. La Cour ayant
22 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 129.
23 Tel est l’ordre dans lequel la Cour s’est prononcée sur ces exceptions : voir Question de la délimitation du
plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne
(Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 110, par. 17.
24 Ibid., p. 139, par. 126, point 1) du dispositif.
11
12
- 8 -
en l’espèce jugé qu’elle avait compétence en vertu du pacte de Bogotá, elle a conclu qu’il n’y avait
pas lieu de se prononcer sur cette deuxième exception préliminaire25.
1.26. Par sa cinquième exception préliminaire, enfin, la Colombie contestait la recevabilité
de la première demande du Nicaragua au motif que celui-ci n’avait pas obtenu de recommandation
de la part de la Commission, ainsi que la recevabilité de la seconde, au motif que s’il y était fait
droit (comme le souhaitait le Nicaragua) en même temps qu’à la première, elle n’aurait pas d’objet,
que cette seconde demande était en outre une demande en indication de mesures conservatoires
déguisée, et qu’il n’existait en tout état de cause pas de différend réel entre les Parties.
1.27. S’agissant de la seconde demande nicaraguayenne, la Cour a conclu à son irrecevabilité
au motif qu’elle n’avait pas trait à un différend réel entre les Parties et ne comportait aucune
précision sur ce qu’il lui était demandé de décider26. Le Nicaragua ne la maintient donc pas ici.
1.28. La décision de la Cour sur la première demande nicaraguayenne revêt une importance
capitale pour la suite de la procédure. Afin d’éclairer son point de vue, le Nicaragua exposera la
manière dont il conçoit cette décision, en se référant plus particulièrement au raisonnement suivi
par la Cour en ce qui concerne les troisième et cinquième exceptions préliminaires de la Colombie.
1.29. La Cour a commencé par préciser la portée du point 3) (paragraphe 126) du dispositif
de son arrêt de 2012, dans lequel elle avait jugé «ne [pouvoir] accueillir la demande formulée par la
République du Nicaragua» au sujet de son plateau continental au-delà de 200 milles marins de ses
lignes de base. Après s’être livrée à une analyse détaillée de l’arrêt, elle a formulé sa conclusion
qui, compte tenu de son importance, mérite d’être citée in extenso :
«[83.] … la Cour n’a pas tranché la question de savoir si le Nicaragua pouvait
se prévaloir d’un plateau continental au-delà de 200 milles marins de sa côte. Le
libellé même du paragraphe 129 [de l’arrêt de 2012] le confirme, la Cour y disant, à la
première phrase, que
«le Nicaragua n’[a] pas, dans la présente instance, apporté la preuve que
sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour chevaucher le
plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles
marins à partir de sa côte continentale».
Outre qu’elle semble envisager, par sa mention de «la présente instance», la
possibilité d’une procédure ultérieure, la Cour ne fait ici référence qu’à une marge
continentale qui chevaucherait le plateau continental dont la Colombie peut se
prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale. L’arrêt ne dit rien des
espaces maritimes situés à l’est de la ligne de 200 milles à partir des îles côtières
nicaraguayennes, ligne au-delà de laquelle la Cour n’a pas poursuivi son opération de
délimitation, et à l’ouest de la ligne de 200 milles à partir de la côte continentale de la
Colombie. Or, dans cette zone intermédiaire, la Cour était en présence de prétentions
concurrentes des Parties concernant le plateau continental : le Nicaragua, d’une part, y
revendiquait un plateau continental étendu, la Colombie, d’autre part, alléguait qu’elle
25 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I),
p. 134, par. 94.
26 Ibid., p. 138-139, par. 124.
13
- 9 -
y possédait des droits générés par les îles sur lesquelles elle revendiquait la
souveraineté et que la Cour a effectivement déclaré relever de sa souveraineté.
84. Il en résulte que si la Cour a décidé, au point 3) du dispositif, qu’elle ne
pouvait accueillir la demande du Nicaragua, c’est parce que celui-ci devait encore
satisfaire à l’obligation lui incombant en vertu du paragraphe 8 de l’article 76 de la
CNUDM de déposer, auprès de la Commission, les informations sur les limites de son
plateau continental au-delà de 200 milles marins prévues par cette disposition et par
l’article 4 de l’annexe II de la convention.
85. La Cour a clarifié le contenu et la portée du point 3) du dispositif de l’arrêt
de 2012, en prenant en compte la divergence de vues exprimée par les Parties à ce
sujet. Elle a conclu que la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles
marins des côtes nicaraguayennes était conditionnée par la soumission, de la part du
Nicaragua, des informations sur les limites de son plateau continental au-delà de
200 milles marins, prévues au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM, à la
Commission. La Cour n’a donc pas tranché la question de la délimitation, en 2012,
parce qu’elle n’était pas, alors, en mesure de le faire.
86. La Cour rappelle que, dans sa requête, le Nicaragua a souligné avoir
transmis à la Commission, le 24 juin 2013, les informations «finales». Cette
affirmation n’a pas été contredite par la Colombie.
87. La Cour considère, par conséquent, que la condition à laquelle elle a
subordonné, dans son arrêt de 2012, l’examen de la demande formulée par le
Nicaragua au point I 3) de ses conclusions finales, est remplie dans la présente
instance.»27
1.30. Plus loin dans son arrêt de 2016, la Cour a répété avoir «jugé, dans [celui] de 2012, que
la communication de[s] informations [requises au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM] par
le Nicaragua était un préalable à la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins
par [ses soins]»28.
4. Le rôle de la Commission et son incidence sur les questions
de délimitation maritime
1.31 La Cour a examiné en détail la portée de la compétence de la Commission. Notant que
celle-ci avait pour rôle principal d’«éviter ... que le plateau continental n’empiète sur la «Zone et
ses ressources [qui] sont le patrimoine commun de l’humanité» (article 136 de la CNUDM)»29, elle
a dit ceci :
27 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I),
p. 131-132, par. 83-87.
28 Ibid., p. 136, par. 105.
29 Ibid., par. 109.
14
15
- 10 -
«110. Etant donné que le rôle de la Commission concerne exclusivement la
délinéation des limites extérieures du plateau continental, et non la délimitation,
l’article 76 de la CNUDM précise en son paragraphe 10 que «[l]e présent article ne
préjuge pas de la question de la délimitation du plateau continental entre des Etats
dont les côtes sont adjacentes ou se font face».
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
112. La procédure devant la Commission vise la délinéation de la limite
extérieure du plateau continental, et, par conséquent, la détermination de l’étendue des
fonds marins qui relèvent des juridictions nationales. Elle est distincte de la
délimitation du plateau continental, régie par l’article 83 de la CNUDM, qui est
effectuée par voie d’accord entre les Etats concernés ou par le recours aux procédures
de règlement des différends.»30
1.32. Tout en reconnaissant que ces «deux opérations [à savoir la délinéation des limites
extérieures du plateau continental et sa délimitation entre Etats] p[ouvaient] interférer l’une avec
l’autre», la Cour a observé que la Commission avait «prévu ... des modalités de fonctionnement,
conformément à ... l’annexe II de la CNUDM, pour garantir que ses actes ne préjugent pas des
questions de délimitation»31.
1.33. La conclusion de la Cour sur le rôle de la Commission dans le cadre des différends de
délimitation est claire :
«La Cour considère, en conséquence, que dès lors que la délimitation du plateau
continental au-delà de 200 milles marins peut s’effectuer indépendamment de la
recommandation de la Commission, celle-ci n’est pas un prérequis pour qu’un Etat
partie à la CNUDM puisse demander à la Cour de régler un différend avec un autre
Etat relatif à une telle délimitation.»32
1.34. Selon le Nicaragua, les points essentiels de ces importants passages de l’arrêt de 2016
sont les suivants :
1. La zone située à l’est de la limite de 200 milles marins mesurée à partir des lignes de base du
Nicaragua et à l’ouest (ou au nord-ouest) de la côte continentale de la Colombie n’a pas été
délimitée.
2. Si la frontière n’a pas été délimitée dans la zone en question, c’est parce que le Nicaragua
n’avait pas (à l’époque) satisfait à la condition préalable visée au paragraphe 8 de l’article 76 de
la CNUDM en déposant sa demande complète auprès de la Commission.
3. Le dépôt de la demande complète auprès de la Commission était une condition procédurale
préalable à la délimitation de la frontière dans la zone en question.
30 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I),
p. 136, par. 110, et p. 137, par. 112.
31 Ibid., p. 137, par. 113.
32 Ibid., par. 114.
16
17
- 11 -
4. Cette condition procédurale préalable a entretemps été remplie, et il n’existe plus d’obstacle à la
délimitation de la zone en question par la Cour, qui n’a pas à attendre pour ce faire que la
Commission formule une recommandation.
5. La zone située à l’est de la limite de 200 milles marins mesurée à partir des lignes de base du
Nicaragua et en deçà de la limite de 200 milles marins mesurée à partir des îles de la Colombie
n’a pas non plus été délimitée.
6. La Cour n’a pas laissé entendre que les principes applicables aux fins de délimiter les zones en
question s’écarteraient de quelque manière que ce soit de ceux qu’elle a énoncés dans sa
jurisprudence à l’occasion d’autres différends concernant la délimitation d’un plateau
continental portés devant elle.
1.35. Plus rien ne s’oppose donc désormais à ce que le Nicaragua présente à la Cour les
éléments attestant des droits dont il peut se prévaloir sur le plateau continental et les fonds marins
situés au-delà de sa limite de 200 milles marins ni, dans la mesure où ces droits se chevaucheraient
avec ceux de la Colombie, à ce que la Cour délimite le plateau continental des deux Etats.
5. Le rejet par la Colombie du titre du Nicaragua
1.36 La Colombie conteste que le Nicaragua possède un quelconque titre sur le plateau
continental dans les zones situées à plus de 200 milles marins des lignes de base nicaraguayennes.
Dans ses exceptions préliminaires, elle a cherché à établir une distinction entre le plateau
continental en deçà de 200 milles marins d’une côte, auquel un Etat riverain aurait droit ipso jure33,
et celui au-delà de 200 milles marins, qui donnerait «la possibilité de se prévaloir d’un droit»34
jusqu’au rebord de la marge continentale. Elle n’a toutefois cité à l’appui de cette proposition
aucune source faisant autorité. Ni l’article 76 de la CNUDM ni aucun des deux arrêts rendus par la
Cour en 2012 et en 2016 n’établissent une telle distinction entre différentes parties d’un plateau
continental.
1.37. Le Nicaragua joint au présent mémoire deux copies de la demande complète qu’il a
déposée auprès de la Commission et qui contient tous les éléments de preuve scientifiques sur
lesquels reposent ses affirmations relatives à la géologie et à la géomorphologie des zones
concernées35.
6. Le rejet par la Colombie de l’arrêt et de la nouvelle requête du Nicaragua
1.38. La Cour n’est pas sans savoir que, en réaction à la délimitation qu’elle a effectuée, la
Colombie a rejeté son arrêt de 2012 et dénoncé le pacte de Bogotá.
1.39. Le 27 novembre 2012, Mme María Ángela Holguín, ministre colombienne des affaires
étrangères, a en effet tenu les propos suivants :
33 Exceptions préliminaires de la République de Colombie, août 2014, par. 7.6.
34 Ibid., par. 7.7.
35 Voir la lettre HOL-EMB-227 en date du 28 septembre 2016 adressée au greffier par
S. Exc. M. Carlos José Argüello Gómez.
18
- 12 -
«La Cour est notre ennemie. La décision qu’elle a rendue ne repose pas sur le
droit. Cet arrêt est émaillé de lacunes et, lorsqu’on le lit, on ne peut pas croire que les
Etats parties au Statut de la Cour aient pu élire ces juges pour rendre un arrêt aussi
important.»36
1.40. Après avoir fait cette déclaration, Mme Holguín a adressé au secrétaire général de
l’Organisation des Etats américains une lettre dénonçant le pacte de Bogotá, dont le passage
pertinent est reproduit ci-après :
«En application de l’article LVI du traité américain de règlement pacifique, j’ai
l’honneur d’informer le secrétariat général de l’Organisation des Etats américains
(anciennement l’Union panaméricaine), à la tête duquel se trouve Votre Excellence,
que la République de Colombie dénonce, à compter de ce jour, le traité américain de
règlement pacifique signé le 30 avril 1948, et ratifié par elle le 6 novembre 1968.»37
1.41. Le lendemain, le président Santos a précisé que si la Colombie avait dénoncé le pacte,
c’était en réponse à la décision de la Cour sur la délimitation :
«J’ai décidé que les intérêts supérieurs de la nation exigeaient que les limites
territoriales et maritimes soient établies par voie de traité, comme il est de tradition en
droit colombien, et non par des arrêts de la Cour internationale de Justice.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C’est la raison pour laquelle la Colombie a dénoncé, hier, le pacte de Bogotá.
Le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains en a été dûment informé.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Jamais, absolument jamais, ne se reproduira ce qui nous est arrivé avec l’arrêt
rendu le 19 novembre par la Cour internationale de Justice.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
J’ai pris cette décision en m’appuyant sur un principe fondamental : les
frontières entre les Etats doivent être fixées par les Etats eux-mêmes. Les frontières
terrestres et maritimes ne doivent pas être laissées à l’appréciation d’un tribunal, mais
doivent être arrêtées d’un commun accord par les Etats, par voie de traité.»38
1.42. C’est ce rejet d’une décision de la Cour faisant autorité et la notification du retrait du
traité reconnaissant la compétence de celle-ci qui ont amené le Nicaragua à déposer le
16 septembre 2013 sa requête introductive de la présente instance.
36 «La ministre des affaires étrangères de la Colombie qualifie d’ennemie la Cour de La Haye», El Nuevo Herald,
28 novembre 2012 (MN, annexe 5) («El enemigo es la Corte que no falló en derecho, ese fallo está lleno de exabruptos,
uno lo lee y no puede creer que los países que lo conforman hayan elegido esos jueces para un fallo tan importante».)
37 Lettre en date du 27 novembre 2012 adressée au secrétaire général de l’Organisation des Etats américains par la
Colombie (GACIJ n° 79357) (MN, annexe 1).
38 «Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la dénonciation du pacte de Bogotá»,
28 novembre 2012 (MN, annexe 2) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2012/Noviembre/Paginas/20121128_04.aspx).
19
20
- 13 -
1.43. Il a été rapporté que la Colombie avait également rejeté l’arrêt rendu par la Cour en
2016 dans la présente affaire. Selon un article de presse,
«M. Juan Manuel Santos, président de la Colombie …, a déclaré que celle-ci ne
participerait plus à aucune procédure devant la CIJ relativement à l’affaire en
question. Il a également répété qu’elle considérait comme illégitime et vicié l’arrêt que
cette juridiction avait rendu en 2012, soulignant que la Colombie et le Nicaragua
devaient de ce fait conclure un traité bilatéral pour régler leur différend territorial.
«Nous tenons à préciser clairement que, quel que soit le résultat final, les frontières
maritimes de notre pays ne peuvent être modifiées que par voie de traité
international», a affirmé le président.»39
1.44. Bien que la Cour soit à même de procéder à la délimitation que la Colombie accepte ou
non de participer à l’instance40, le Nicaragua espère que cet Etat apportera de bonne foi son
concours au règlement judiciaire du présent différend.
B. LA TÂCHE DE LA COUR
1.45. Le Nicaragua ayant entretemps déposé sa demande complète auprès de la Commission
et satisfait à la condition préalable à l’exercice de la compétence de la Cour, l’obstacle qui avait
empêché celle-ci d’achever la délimitation du plateau continental qui lui avait pour la première fois
été demandée en 2001 a été levé.
1.46. La Cour a pour mission de finir de départager le plateau continental entre le Nicaragua
et la Colombie, en traçant les portions de la frontière qu’elle n’a pas encore délimitées, à savoir
celles situées dans les zones distantes de plus de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne.
1.47. Ainsi qu’il est exposé au chapitre 5, cette opération de délimitation doit essentiellement
être menée dans la zone où le plateau continental au-delà de 200 milles marins généré par la côte
du Nicaragua chevauche celui de 200 milles marins mesuré à partir de la côte continentale de la
Colombie. Comme cela est également indiqué au chapitre 5, la délimitation mettant en jeu le
plateau continental des îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina est accessoire par rapport
à celle entre masses continentales.
1.48. Dans le cadre de l’instance ayant conduit à l’arrêt de 2012, le Nicaragua et la Colombie
s’accordaient pour dire que les dispositions de la CNUDM sur les lignes de base d’un Etat côtier, le
droit de celui-ci à des zones maritimes, la définition du plateau continental donnée au paragraphe 1
de l’article 76 et les dispositions régissant la délimitation de la zone économique exclusive et du
plateau continental reflétaient le droit international coutumier41 et devaient être appliquées dans ce
contexte.
1.49. La limite de la zone économique exclusive de 200 milles marins du Nicaragua est
déterminée par trois points de base situés sur sa côte. Si la Colombie a élevé une objection contre
39 «Colombia and Chile Signal Their Defiance of International Law» / «La Colombie et le Chili bravent
ouvertement le droit international», Telesur, 31 mars 2016, accessible à l’adresse suivante : http://www.telesurtv.net/
english/opinion/Colombia-and-Chile-Signal-Their-Defiance-of- International-Law-20160331-0024.html.
40 Voir le Statut de la Cour, art. 53.
41 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624, par. 114.
21
22
- 14 -
les lignes de base droites qui les relient42, il ne semble exister aucun différend relatif aux points de
base proprement dits du Nicaragua ; les lignes de base droites précitées ne sont au demeurant pas
pertinentes aux fins de la présente délimitation. Ces trois points de base sont représentés sur la
figure 1.2, leurs coordonnées figurant dans le tableau 1.1 ci-après.
Tableau 1.1
Les coordonnées des points de base (pertinents) du Nicaragua
Latitude Longitude Nom
14° 32' 41,4" N 82° 34' 20,0" O Nee Reef
14° 19' 10,1" N 82° 35' 25,3" O London Reef
12° 16' 55,5" N 82° 57' 54,0" O Little Corn Island
Les coordonnées ont été établies sur la base du Système géodésique mondial (WGS), 1984.
42 Voir la lettre en date du 1er novembre 2013 adressée au Secrétaire général par la ministre colombienne des
affaires étrangères (S-GACIJ-13-044275) (MN, annexe 4), accessible à l’adresse suivante : http://www.un.org/
depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/PDFFILES/DEPOSIT/communicationsredeposit/mzn99_2013_col.pdf. Si,
dans cette lettre, la Colombie a également insisté sur l’inopposabilité des points de base aux Etats non parties à la
CNUDM, elle ne les a pas contestés, à la différence des [lignes] de base.
- 15 -
Figure 1.2
Les lignes et points de base du Nicaragua
Légende :
Nicaragua 200M = Limite de 200 milles marins du Nicaragua
Straight baseline = Ligne de base droite
23
- 16 -
1.50. Dans les chapitres suivants du présent mémoire, le Nicaragua développera son
argumentation relative à la délimitation. Au chapitre 2, consacré à la question du droit applicable
en matière de délimitation, il décrira les principes juridiques afférents à celle-ci. Au chapitre 3, il
présentera les éléments matériels pertinents pour la délimitation, ainsi que la géographie et la
géomorphologie de la zone en cause. Au chapitre 4, il précisera quelles sont, conformément au
cadre analytique développé par la Cour dans sa jurisprudence, les côtes et la zone pertinentes à
retenir aux fins de la délimitation. Au chapitre 5, il énoncera ses demandes quant au tracé précis de
la frontière maritime.
24
- 17 -
CHAPITRE 2
LE DROIT APPLICABLE EN MATIÈRE DE DÉLIMITATION
DU PLATEAU CONTINENTAL
2.1. Le présent chapitre vise à identifier la source (A) et le contenu (B) du droit applicable au
différend en cause, ainsi que la méthode de délimitation à suivre (C). Cette dernière sera ensuite
développée et appliquée au chapitre 5. En résumé, le Nicaragua fait valoir que le droit applicable
est le droit international coutumier, tel qu’il ressort des articles 76, 83 et 121 de la CNUDM et de la
jurisprudence des cours et tribunaux internationaux.
A. LA SOURCE DU DROIT APPLICABLE
2.2. La question de la source du droit applicable entre les Parties s’est déjà posée et a été
tranchée en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie). La situation
juridique des Parties n’ayant pas changé depuis le prononcé de l’arrêt du 19 novembre 2012, les
conclusions de la Cour s’appliquent mutatis mutandis au cas d’espèce.
2.3. Le Nicaragua est partie à la CNUDM de 1982, qu’il a signée le 9 décembre 1984 et
ratifiée le 3 mai 200043. Conformément au paragraphe 2 de l’article 308 de la Convention, celle-ci
est entrée en vigueur pour le Nicaragua le 2 juin 200044. De son côté, contrairement au Nicaragua,
la Colombie est partie à la convention de Genève sur le plateau continental de 1958, mais pas à la
CNUDM. Par conséquent, comme la Cour l’a relevé dans son arrêt de 2012, «la Colombie n’étant
pas partie à la CNUDM, seul le droit international coutumier peut s’appliquer à l’égard de la
délimitation maritime sollicitée par le Nicaragua»45, ce dont sont convenues les deux Parties46.
2.4. Depuis l’arrêt du 19 novembre 2012, le Nicaragua n’a pas dénoncé la CNUDM de 1982,
et la Colombie ne l’a pas signée, ni bien sûr ratifiée. Dès lors, comme en l’affaire du Différend
territorial et maritime, «le droit applicable à [la présente] affaire, opposant un Etat partie à la
CNUDM (le Nicaragua) à un Etat qui ne l’est pas (la Colombie), est le droit international
coutumier»47.
43 http://www.un.org/Depts/los/reference_files/status2010.pdf.
44 Le paragraphe 2 de l’article 308 de la CNUDM se lit comme suit : «Pour chaque Etat qui ratifie la Convention
ou y adhère après le dépôt du soixantième instrument de ratification ou d’adhésion, la Convention entre en vigueur le
trentième jour qui suit la date de dépôt de l’instrument de ratification ou d’adhésion…».
45 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 114, ainsi
que par. 118, et p. 673-674, par. 137-139. Voir également l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau
continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 130, par. 78.
46 Ibid. Voir aussi le contre-mémoire de la Colombie en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua
c. Colombie), 11 novembre 2008, vol. I, p. 305-306, par. 3-4, et la réplique du Nicaragua dans la même affaire,
18 septembre 2009, vol. I, p. 63-64, par. 2.4-2.5.
47 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I),
p. 130, par. 78.
25
26
- 18 -
B. LE CONTENU DU DROIT APPLICABLE
2.5. Dans son arrêt de 2012, la Cour a «consid[éré] que la définition du plateau continental
énoncée au paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM fai[sai]t partie du droit international
coutumier»48. Elle a en outre déclaré ce qui suit :
«Les Parties s’accordent également sur le fait que plusieurs des dispositions les
plus importantes de la CNUDM reflètent le droit international coutumier. Elles
reconnaissent en particulier que les dispositions des articles 74 et 83, relatifs à la
délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental, ainsi que
l’article 121, relatif au régime juridique des îles, sont à considérer comme
déclaratoires du droit international coutumier.»49
2.6. L’article 74 est dénué de pertinence en la présente espèce, puisqu’il traite de la
délimitation de la zone économique exclusive, tâche dont la Cour s’est déjà acquittée dans son arrêt
de 201250.
2.7. Quant à l’article 76, qui concerne la «définition du plateau continental», il se lit comme
suit :
«1. Le plateau continental d’un Etat côtier comprend les fonds marins et leur sous-sol
au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement naturel du
territoire terrestre de cet Etat jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou
jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la
largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se
trouve à une distance inférieure.
2. Le plateau continental ne s’étend pas au-delà des limites prévues aux
paragraphes 4 à 6.
3. La marge continentale est le prolongement immergé de la masse terrestre de l’Etat
côtier ; elle est constituée par les fonds marins correspondant au plateau, au talus et
au glacis ainsi que leur sous-sol. Elle ne comprend ni les grands fonds des océans,
avec leurs dorsales océaniques, ni leur sous-sol.
4. a) Aux fins de la Convention, l’Etat côtier définit le rebord externe de la marge
continentale, lorsque celle-ci s’étend au-delà de 200 milles marins des lignes de
base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, par :
i) une ligne tracée conformément au paragraphe 7 par référence aux points fixes
extrêmes où l’épaisseur des roches sédimentaires est égale au centième au
moins de la distance entre le point considéré et le pied du talus continental ;
ou
ii) une ligne tracée conformément au paragraphe 7 par référence à des points
fixes situés à 60 milles marins au plus du pied du talus continental.
b) Sauf preuve du contraire, le pied du talus continental coïncide avec la rupture de
pente la plus marquée à la base du talus.
48 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 118.
49 Ibid., p. 673-674, par. 138.
50 La Colombie ne respecte pas cette décision, mais là n’est pas la question en l’espèce.
27
28
- 19 -
5. Les points fixes qui définissent la ligne marquant, sur les fonds marins, la limite
extérieure du plateau continental, tracée conformément au paragraphe 4,
lettre a), i) et ii), sont situés soit à une distance n’excédant pas 350 milles marins
des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale,
soit à une distance n’excédant pas 100 milles marins de l’isobathe de 2500 mètres,
qui est la ligne reliant les points de 2 500 mètres de profondeur.
6. Nonobstant le paragraphe 5, sur une dorsale sous-marine, la limite extérieure du
plateau continental ne dépasse pas une ligne tracée à 350 milles marins des lignes
de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale. Le présent
paragraphe ne s’applique pas aux hauts-fonds qui constituent des éléments naturels
de la marge continentale, tels que les plateaux, seuils, crêtes, bancs ou éperons
qu’elle comporte.
7. L’Etat côtier fixe la limite extérieure de son plateau continental, quand ce plateau
s’étend au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est
mesurée la largeur de la mer territoriale, en reliant par des droites d’une longueur
n’excédant pas 60 milles marins des points fixes définis par des coordonnées en
longitude et en latitude.
8. L’Etat côtier communique des informations sur les limites de son plateau
continental, lorsque celui-ci s’étend au-delà de 200 milles marins des lignes de
base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, à la
Commission des limites du plateau continental constituée en vertu de l’annexe II
sur la base d’une représentation géographique équitable. La Commission adresse
aux Etats côtiers des recommandations sur les questions concernant la fixation des
limites extérieures de leur plateau continental. Les limites fixées par un Etat côtier
sur la base de ces recommandations sont définitives et de caractère obligatoire.
9. L’Etat côtier remet au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies les
cartes et renseignements pertinents, y compris les données géodésiques, qui
indiquent de façon permanente la limite extérieure de son plateau continental. Le
Secrétaire général donne à ces documents la publicité voulue.
10. Le présent article ne préjuge pas de la question de la délimitation du plateau
continental entre des Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face.»
2.8. Dans son arrêt de 2012, la Cour a reconnu le caractère coutumier du paragraphe 1 de
l’article 76, mais considéré que «point n’[était] besoin pour elle de déterminer si d’autres
dispositions de l’article 76 de la CNUDM [faisaient] partie du droit international coutumier»51.
2.9. Au terme des audiences sur le fond en l’affaire du Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie), le juge Bennouna a posé aux Parties la question suivante :
«Les règles posées à l’article 76 de la convention des Nations Unies de 1982 sur
le droit de la mer, pour la détermination de la limite extérieure du plateau continental
au-delà de 200 milles marins, peuvent-elles être considérées aujourd’hui comme ayant
le caractère de règles de droit international coutumier ?»52
51 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 118.
52 CR 2012/17, 4 mai 2012, p. 37.
29
- 20 -
2.10. Par commodité, la réponse du Nicaragua à cette question est reproduite dans son
intégralité, car elle expose en détail sa position sur le droit applicable au tracé du plateau
continental :
«Contexte factuel
1. Pour les raisons exposées ci-après, le Nicaragua considère que la définition
du plateau continental donnée aux paragraphes 1 à 7 de l’article 76 de la convention
des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer («la convention») a le caractère de
règle de droit international coutumier, et pas seulement de règle de droit
conventionnel.
2. La Cour a établi la règle de la dévolution de plein droit du plateau continental
dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord53, où elle a déclaré ce qui
suit :
«19. … la doctrine de la part juste et équitable semble s’écarter
totalement de la règle qui constitue sans aucun doute possible pour la
Cour la plus fondamentale de toutes les règles de droit relatives au
plateau continental et qui est consacrée par l’article 2 de la Convention de
Genève de 1958, bien qu’elle en soit tout à fait indépendante : les droits
de l’Etat riverain concernant la zone de plateau continental qui constitue
un prolongement naturel de son territoire sous la mer existent ipso facto
et ab initio en vertu de la souveraineté de l’Etat sur ce territoire et par une
extension de cette souveraineté sous la forme de l’exercice de droits
souverains aux fins de l’exploration du lit de la mer et de l’exploitation de
ses ressources naturelles. Il y a là un droit inhérent.»54
3. En expliquant ce principe, la Cour a fait valoir que, pour les motifs exposés
ci-dessous, le droit à une zone de fonds marins ne revient pas nécessairement à l’Etat
qui en est le plus proche55 :
«43. Plus fondamental que la notion de proximité semble être le
principe, que les Parties n’ont cessé d’invoquer, du prolongement naturel
ou de l’extension du territoire ou de la souveraineté territoriale de l’Etat
riverain sous la haute mer au-delà du lit de la mer territoriale qui relève
de la pleine souveraineté de cet Etat. Il y a plusieurs manières de formuler
ce principe mais l’idée de base, celle d’une extension de quelque chose
que l’on possède déjà, est la même et c’est cette idée d’extension qui est
décisive selon la Cour. Ce n’est pas vraiment ou pas seulement parce
qu’elles sont proches de son territoire que des zones sous-marines
relèvent d’un Etat riverain. Elles en sont proches certes, mais cela ne
suffit pas pour conférer un titre ⎯ pas plus que la simple proximité ne
constitue en soi un titre au domaine terrestre, ce qui est un principe de
droit bien établi et admis par les Parties en l’espèce. En réalité le titre que
le droit international attribue ipso jure à l’Etat riverain sur son plateau
continental procède de ce que les zones sous-marines en cause peuvent
être considérées comme faisant véritablement partie du territoire sur
lequel l’Etat riverain exerce déjà son autorité : on peut dire que, tout en
étant recouvertes d’eau, elles sont un prolongement, une continuation,
53 Note 1 : «C.I.J. Recueil 1969, p. 3.»
54 Note 2 : «Ibid., par. 19.»
55 Note 3 : «Ibid., par. 39-42.»
30
- 21 -
une extension de ce territoire sous la mer. Par suite, même si une zone
sous-marine est plus proche du territoire d’un Etat que de tout autre, on
ne saurait considérer qu’elle relève de cet Etat dès lors qu’elle ne
constitue pas une extension naturelle, ou l’extension la plus naturelle, de
son domaine terrestre et qu’une revendication rivale est formulée par un
autre Etat dont il est possible d’admettre que la zone sous-marine en
question prolonge de façon naturelle le territoire, tout en étant moins
proche.»56
4. Le principe de la dévolution de plein droit du plateau continental suppose que
puisse être déterminée la zone à laquelle il s’applique et qui a été définie par la Cour
comme le prolongement naturel du territoire de l’Etat sous la mer. La Cour a estimé
que cette notion constituait une règle de droit international coutumier consacrée ou
cristallisée par les articles 1 à 3 de la convention de 1958 sur le plateau continental
(«la convention sur le plateau continental»).57
5. Lors de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer («la
conférence»), la notion de «prolongement naturel» a été retenue comme l’un des deux
éléments constitutifs de la définition du plateau continental, le second étant un critère
de distance. Une synthèse des débats qui se sont tenus lors de la conférence figure au
volume II (p. 825-899) du Virginia Commentary.
6. Les points saillants de ce document sont les suivants :
i) il a été considéré que les limites du plateau continental avaient été définies de
façon insuffisamment précise en 196958 ;
ii) les participants à la conférence se sont tout spécialement attachés à définir ces
limites59 ;
iii) tout au long des travaux de la conférence, une distinction a été opérée entre,
d’une part, le «plateau continental» ou le «prolongement naturel» ou la
«marge continentale» ou «le plateau, le talus et le glacis continentaux», qui
relèvent de la juridiction nationale, et, d’autre part, les grands fonds marins,
qui échappent à toute juridiction nationale60 ;
iv) les termes «prolongement naturel», «marge continentale» et «plateau, talus et
glacis continentaux» ont été utilisés sans que soit opérée entre eux une
distinction claire pour décrire la zone sous-marine «physique» sur laquelle
s’exerce la juridiction nationale (par opposition à la zone définie par une
distance par rapport au rivage) ;
v) En 1975, soit sept ans avant l’adoption du texte final de la convention par la
conférence, les Etats-Unis d’Amérique ont proposé que le rebord de la marge
continentale soit défini soit a) par une formule liée à la nature des roches
sédimentaires des fonds marins, soit b) par des points fixes situés à 60 milles
56 Note 4 : «Ibid., par. 43.»
57 Note 5 : «Ibid., par. 63.»
58 Note 6 : «Voir résolution 2574A (XXIV) de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 15 décembre
1969.»
59 Note 7 : «Virginia Commentary, par. VI.6-VI.14, 76.1-76.17.»
60 Note 8 : «Ibid.»
31
32
- 22 -
marins au plus du pied du talus continental61 ; et en 1976, une définition claire
et détaillée de cette approche a été donnée dans un projet d’article proposé par
l’Irlande62 ;
vi) Les deux définitions qui figurent au paragraphe 4 de l’article 76 étaient
destinées à permettre aux Etats d’opter, s’ils le souhaitaient, pour la ligne
tracée par référence aux points fixes situés à 60 milles marins au plus du pied
du talus continental [(PTC + 60 mm)] correspondant à la définition donnée au
point b), notamment lorsque les données géologiques nécessaires à la
définition géologique donnée au point a) n’étaient pas disponibles63 ;
vii) les deux définitions qui figurent au paragraphe 4 de l’article 76 ont été
intégrées par consensus dans les projets de convention ultérieurs, et le texte
final de la convention a été adopté en 1982 par 130 voix contre 4, avec
17 abstentions.
7. La définition du rebord externe de la marge continentale établie par référence à
des points fixes situés à 60 milles marins au plus du pied du talus continental, qui est
la partie de la définition applicable en l’espèce, a été intégrée à la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer (ainsi que l’autre définition établie par référence à
«l’épaisseur des roches sédimentaires») au point a) du paragraphe 4 de l’article 76.
Cet instrument a été signé en 1982 par 119 délégations (dont celle de la Colombie) et,
à la date du 10 mai 2012, 162 Etats ou entités y étaient parties.
Arguments juridiques
8. L’article 76, en particulier ses paragraphes 4 à 7, a pour objet de limiter64 et
de préciser la définition du plateau continental relevant de chaque Etat côtier.
9. Il est universellement admis que chaque Etat côtier a droit à un plateau
continental sur toute l’étendue du prolongement naturel de son territoire terrestre
jusqu’au rebord externe de sa marge continentale, et il n’existe dans la pratique des
Etats aucune autre définition de la marge continentale qui vienne contredire celle de
l’article 76 (par. 4 à 7) ou lui faire concurrence.
10. En effet, il ressort de la pratique étatique que c’est cette définition, et aucune
autre, qui est communément admise. Le site Internet de la division des affaires
maritimes et du droit de la mer contient un inventaire de la législation de 151 Etats65.
Sur ces 151 Etats, environ 90 ont légiféré sur la question du plateau continental et de
sa limite extérieure : cette formulation est volontairement vague car certains renvois
au plateau continental sont indirects et quelques-uns de ces textes de loi ne sont pas
facilement accessibles.
11. Sur ces quelque 90 Etats, six se contentent de délimiter leur plateau
continental sur la base d’accords conclus avec des Etats voisins (comme la Croatie, la
Bulgarie ou l’Estonie). Une cinquantaine d’autres ont adopté une législation nationale
qui définit le plateau continental conformément au paragraphe 1 de l’article 76 de la
61 Note 9 : «Virginia Commentary, p. 848, par. 76.6.»
62 Note 10 : «Ibid., p. 852, par. 76.7.»
63 Note 11 : «Ibid., p. 855-857, par. 76.8-76.10.»
64 Note 12 : «Voir les commentaires de l’Irlande lorsqu’elle a présenté sa proposition à la conférence : Virginia
Commentary, p. 855-856, par. 76.9.»
65 Note 13 : «http://www.un.org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/index.htm».
33
- 23 -
convention et qui fait référence à une marge continentale ; d’autres vont plus loin en
donnant une définition de la marge continentale inspirée de celle du paragraphe 3 de
l’article 76 de la convention ; d’autres encore renvoient aux dispositions de l’article 76
en termes généraux, et au moins trois, dont un Etat qui n’a jamais signé ni ratifié la
convention (l’Equateur), mentionnent d’autres critères plus précis en application des
dispositions des paragraphes 5 et 6 de l’article 76.
12. Dix-neuf autres Etats appliquent le critère «isobathe des 200 mètres +
exploitabilité», énoncé à l’article premier de la convention de 1958 sur le plateau
continental, ou ne retiennent que le seul critère de l’exploitabilité. Or, 17 d’entre eux
ont soit signé soit ratifié la convention et certains, si ce n’est tous, ont adopté une
législation nationale en vue de donner effet à la convention ou sont dotés d’un système
juridique qui donne directement effet aux traités. En outre, huit de ces 19 Etats ont
déposé une demande auprès de la Commission des limites du plateau continental («la
Commission»).
13. Seize autres Etats limitent leur déclaration de juridiction sur le plateau
continental à une distance de 200 milles marins. Or, quatorze d’entre eux ont soit
signé soit ratifié la convention et certains, si ce n’est tous, ont adopté une législation
nationale en vue de donner effet à la convention ou sont dotés d’un système juridique
qui donne directement effet aux traités. En outre, sept de ces seize Etats ont déposé
une demande auprès de la Commission.
14. Il ressort de ce qui précède que sur les 90 Etats qui se sont dotés d’une
législation relative au plateau continental, 80 semblent avoir accepté la définition qui
figure aux paragraphes 4 à 7 de l’article 76 de la convention, soit en en reprenant
expressément les termes dans leur législation nationale, soit en acceptant
implicitement les dispositions de la convention.
15. Enfin, sur l’ensemble des Etats restants qui n’ont pas de législation (publiée)
relative au plateau continental, 28 ont déposé des demandes auprès de la Commission,
ce qui vaut acceptation des dispositions des paragraphes 4 à 7 de l’article 76.
16. Parmi les Etats qui ne sont pas parties à la convention, certains ont même
expressément accepté cette définition. C’est ainsi qu’en 1987 les Etats-Unis ont
déclaré que
«la définition et les modes de délimitation qui s’imposent en droit
international sont consacrés par l’article 76 de la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer de 1982. Les Etats-Unis exercent, et
continueront d’exercer, leur juridiction sur leur plateau continental
conformément au droit international et dans toute la mesure autorisée par
ce dernier, en application des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 76. S’il est
un jour jugé souhaitable de redéfinir la limite extérieure du plateau
continental des Etats-Unis au-delà de 200 milles marins de la ligne de
base à partir de laquelle est mesurée la mer territoriale, cette délimitation
sera effectuée conformément aux paragraphes 4, 5, 6 et 7 [de
l’article 76]»66.
Il convient de noter que les Etats-Unis ne jugent pas nécessaire d’appliquer dans
ce cas les dispositions du paragraphe 8 de l’article 76.
66 Note 14 : «J. Ashley Roach et Robert W. Smith, United States Responses to Excessive Maritime Claims
(2e édition, 1996), p. 201-202.»
34
- 24 -
17. Dans ses résolutions annuelles sur les affaires maritimes et le droit de la
mer, l’Assemblée générale des Nations Unies a mis l’accent sur l’application de
l’article 76, en soulignant l’importance que revêt cette disposition pour la communauté
internationale dans son ensemble. En décembre 2011, l’Assemblée a notamment fait
l’observation suivante :
«Notant qu’il importe de fixer la limite extérieure du plateau
continental au-delà de 200 milles marins et qu’il est dans l’intérêt général
de la communauté internationale que les Etats côtiers dotés d’un plateau
continental s’étendant au-delà de 200 milles marins communiquent des
informations sur cette limite à la Commission des limites du plateau
continental («la Commission») et, se félicitant qu’un nombre
considérable d’Etats parties aient présenté des demandes à la Commission
concernant la limite en question, que la Commission ait continué de tenir
son rôle, notamment en adressant des recommandations aux Etats côtiers,
et que des résumés de ces recommandations soient publiés.»67
18. En outre, les Etats non parties à la convention jouent également un rôle dans
les travaux de la Commission en ce qu’ils sont informés des demandes présentées par
les Etats et ont le droit de formuler des observations68. Les Etats suivants ont usé du
pouvoir qui leur était donné de soumettre leurs observations alors qu’ils n’étaient pas
parties à la convention : le Canada (à propos de la demande présentée par la
Fédération de Russie) ; le Danemark (à propos de la demande présentée par la
Fédération de Russie) ; le Pérou (à propos des informations préliminaires présentées
par le Chili) ; le Timor-Leste (à propos de la demande présentée par l’Australie) ; les
Etats-Unis (à propos des demandes présentées par l’Argentine, l’Australie, le Brésil,
Cuba, le Japon et la Fédération de Russie) ; et le Venezuela (à propos des demandes
présentées par la Barbade et le Guyana). Tous ces éléments portent à conclure que les
Etats parties, les Etats non parties et la Commission considèrent que les paragraphes 4
à 7 de l’article 76 de la convention sont entièrement conformes au droit international
coutumier.
19. Le fait que la convention ait été ratifiée par un très grand nombre d’Etats et
que les Etats parties sont ainsi devenus liés par les paragraphes 4 à 7 de l’article 76 sur
le plan conventionnel «ne veut pas dire [que ces principes] cessent d’exister et de
s’appliquer en tant que principes du droit coutumier, même à l’égard de pays qui sont
parties»69 à la convention.
67 Note 15 : «Résolution 66/231 de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 24 décembre 2011
(disponible en français à l’adresse suivante : http://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N11/472/69/doc/
N1147269.DOC?OpenElement).»
68 Note 16 : «L’article 50 du règlement intérieur de la Commission est ainsi libellé :
«Le Secrétaire général avise rapidement, par les voies appropriées, la Commission et tous les
membres de l’Organisation des Nations Unies, notamment les Etats Parties à la Convention, de la
réception d’une demande et rend publiques toutes les cartes marines et les coordonnées visées au
paragraphe 9.1.4 des directives et comprises dans le résumé, une fois achevée la traduction du résumé
mentionnée au paragraphe 3 de l’article 47.» (C’est nous qui soulignons.)
Selon le modus operandi de la Commission, un Etat présente ses observations relatives à «toute note verbale
émanant d’un Etat tiers et concernant les données apparaissant dans le résumé, y compris toutes les cartes marines et les
coordonnées rendues publiques par le Secrétaire général en application de l’article 50». Règlement intérieur de la
Commission des limites du plateau continental, annexe III, section II.2 a) v).»
69 Note 17 : «Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 392, par. 73.»
35
- 25 -
20. Lorsqu’un Etat prétend établir ou revendique une institution juridique
spécifique, comme un plateau continental, une ZEE ou une zone contiguë, il ne saurait
le faire sans respecter les termes dans lesquels cette institution a été établie et/ou est
communément comprise en droit international. A fortiori, lorsque le droit international
coutumier attribue automatiquement un plateau continental à un Etat, il le fait
nécessairement en respectant le sens que le droit international coutumier donne à la
notion de plateau continental.
21. La définition figurant à l’article 76 est la seule définition communément
admise en droit international. Rien n’indique que les Etats aient cherché à élaborer une
autre définition du plateau continental aux fins de la remplacer ou de lui faire
concurrence.»70
2.11. En résumé, le Nicaragua fait valoir que l’ensemble de l’article 76 revêt un caractère
coutumier et que, partant, les règles qu’il contient sont juridiquement contraignantes tant pour les
Etats qui ne sont pas parties à la CNUDM que pour ceux qui le sont.
2.12. L’article 83 de la CNUDM, pour sa part, concerne la «[d]élimitation du plateau
continental entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face»71. Il se lit comme suit :
«1. La délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes sont
adjacentes ou se font face est effectuée par voie d’accord conformément au droit
international tel qu’il est visé à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de
Justice, afin d’aboutir à une solution équitable.
2. S’ils ne parviennent pas à un accord dans un délai raisonnable, les Etats
concernés ont recours aux procédures prévues à la partie XV.
3. En attendant la conclusion de l’accord visé au paragraphe 1, les Etats
concernés, dans un esprit de compréhension et de coopération, font tout leur possible
pour conclure des arrangements provisoires de caractère pratique et pour ne pas
compromettre ou entraver pendant cette période de transition la conclusion de l’accord
définitif. Les arrangements provisoires sont sans préjudice de la délimitation finale.
4. Lorsqu’un accord est en vigueur entre les Etats concernés, les questions
relatives à la délimitation du plateau continental sont réglées conformément à cet
accord.»
2.13. C’est en l’affaire Jan Mayen que la Cour a reconnu pour la première fois le caractère
coutumier des règles inscrites dans cet article. Dans son arrêt de 1993, elle a en effet déclaré :
«L’indication d’une «solution équitable» comme but de toute opération de délimitation reflète les
exigences du droit coutumier en ce qui concerne la délimitation tant du plateau continental que des
zones économiques exclusives.»72
70 «Réponse écrite de la République du Nicaragua à la question posée par M. le juge Bennouna à l’audience
publique tenue le 4 mai 2012 (après-midi)», le 11 mai 2012. Le document est accessible à l’adresse suivante :
https://www.icj-cij.org/files/case-related/124/17753.pdf.
71 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 673, par. 138.
72 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt,
C.I.J. Recueil 1993, p. 59, par. 48.
36
- 26 -
2.14. La Cour a réaffirmé cette position dans les deux arrêts les plus récents qu’elle a rendus
en matière de délimitation du plateau continental73. Dans celui de 2012 en l’affaire Nicaragua
c. Colombie, elle
«a reconnu que les principes relatifs à la délimitation maritime consacrés par les
articles 74 et 83 reflétaient le droit international coutumier (Délimitation maritime et
questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 2001, p. 91, par. 167 et suiv.)»74.
2.15. De même, en l’affaire Pérou c. Chili, dans laquelle le Pérou n’était pas partie à la
CNUDM, la Cour a appliqué à la délimitation du plateau continental les principes consacrés par
l’article 83 de la Convention, lequel «reflèt[e] le droit international coutumier»75.
2.16. Par conséquent, le droit applicable à la délimitation du plateau continental en la
présente espèce est le droit international coutumier, tel que consacré par le paragraphe 1 de
l’article 83 de la CNUDM.
2.17. Il y a également lieu d’appliquer en l’instance les principes inscrits à l’article 121 de la
CNUDM, dans la mesure où certaines formations maritimes ont un rôle à jouer dans la
délimitation76. Cet article se lit comme suit :
«1. Une île est une étendue naturelle de terre entourée d’eau qui reste
découverte à marée haute.
2. Sous réserve du paragraphe 3, la mer territoriale, la zone contiguë, la zone
économique exclusive et le plateau continental d’une île sont délimités conformément
aux dispositions de la Convention applicables aux autres territoires terrestres.
3. Les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie
économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau
continental.»
2.18. Ainsi qu’elle l’a rappelé dans son arrêt de 2012, citant l’affaire Qatar c. Bahreïn,
«[la Cour] a … laissé entendre … que la définition juridique d’une île, énoncée au
paragraphe 1 de l’article 121, faisait partie du droit international coutumier…77. Elle
est parvenue à la même conclusion s’agissant du paragraphe 2 de cet article…78.
[D]ans son arrêt Qatar c. Bahreïn, elle n’[a] pas spécifiquement examiné le
paragraphe 3 de l’article 121»79.
73 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 674, par. 139, et
Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 65, par. 179.
74 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 674, par. 139.
75 Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 65, par. 179.
76 Voir par. 3.79-3.80 et par. 4.18.
77 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 674, par. 139.
78 Ibid.
79 Ibid.
37
38
- 27 -
2.19. Dans son arrêt de 2012, elle a en outre relevé que
«les droits générés par une île au titre du paragraphe 2 sont expressément limités par le
renvoi aux dispositions du paragraphe 3. En énonçant que les rochers qui ne se prêtent
pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont ni zone économique
exclusive ni plateau continental, le paragraphe 3 crée un lien essentiel entre, d’une
part, le principe établi de longue date selon lequel «les îles, quelles que soient leurs
dimensions, jouissent … du même statut, et par conséquent engendrent les mêmes
droits en mer que les autres territoires possédant la qualité de terre ferme» (ibid.,
[référence à l’affaire Qatar c. Bahreïn]) et, d’autre part, les droits à des espaces
maritimes plus étendus consacrés par la CNUDM, droits déclarés par la Cour comme
ayant acquis un caractère coutumier. Dès lors, la Cour considère que le régime
juridique des îles défini à l’article 121 de la CNUDM forme un tout indivisible et que
chacune de ses dispositions fait partie (comme l’admettent la Colombie et le
Nicaragua) du droit international coutumier.»80
2.20. Reste donc à savoir, et c’est là un point crucial, si les articles 83 et 121 de la CNUDM
s’appliquent également à la délimitation du plateau continental en deçà et au-delà de 200 milles
marins.
2.21. Dans la décision qu’il a rendue en 2006 dans l’arbitrage entre la Barbade et
Trinité-et-Tobago, le tribunal arbitral a clairement déclaré qu’«il n’exist[ait] en droit qu’un plateau
continental unique plutôt qu’un plateau continental intérieur et un plateau continental extérieur ou
étendu distinct»81. Le TIDM partage cette position. En effet, dans son arrêt de 2012 en l’affaire
Bangladesh/Myanmar, il a expliqué que le paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM, qui reflète le
droit international coutumier82, «consacr[ait] la notion de plateau continental unique»83. De fait, ce
paragraphe dispose ce qui suit :
«Le plateau continental d’un Etat côtier comprend les fonds marins et leur soussol
au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement naturel du
territoire terrestre de cet Etat jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou
jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur
de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à
une distance inférieure.»
2.22. L’article 83 de la CNUDM, dont le texte est reproduit ci-avant au paragraphe 2.12,
confirme l’unité du plateau continental. Ainsi que le TIDM l’a noté dans son arrêt de 2012 en
l’affaire Bangladesh/Myanmar,
«l’article 83 de la Convention porte sur la délimitation du plateau continental entre
Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face, sans restriction quant à l’espace
80 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 674, par. 139.
81 Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago, relatif à la délimitation de la zone
économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays, décision du 11 avril 2006, Nations Unies, Recueil
des sentences arbitrales, vol. XXVII, p. 208-209, par. 213.
82 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 118.
83 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 96, par. 361. Voir également Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation
de la frontière maritime du golfe du Bengale, sentence du 7 juillet 2014, p. 50, par. 177.
39
40
- 28 -
concerné. Cet article ne contient aucune référence aux limites indiquées à l’article 76,
paragraphe 1, de la Convention»84.
Il en conclut logiquement que «[l]’article 83 s’applique à la délimitation du plateau continental tant
en deçà qu’au-delà de 200 milles marins»85. Dans la sentence qu’il a rendue le 7 juillet 2014 en
l’affaire Bangladesh c. Inde, le tribunal arbitral est parvenu à la même conclusion86.
2.23. En l’absence de distinction entre deux parties du plateau continental, une partie
intérieure en deçà de 200 milles marins et une partie extérieure au-delà de cette distance, il ne doit
pas y avoir de distinction dans le droit applicable. Par conséquent, en la présente espèce, à l’instar
des affaires du Golfe du Bengale,
«le droit applicable à la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles
marins est l’article 83 de la Convention, qui dispose que la délimitation «est effectuée
par voie d’accord conformément au droit international tel qu’il est visé à l’article 38
du Statut de la Cour internationale de Justice, afin d’aboutir à une solution
équitable»»87.
C. LA MÉTHODE DE DÉLIMITATION
2.24. Ainsi qu’il ressort du libellé du paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM, cette
disposition «fixe le but à atteindre, mais elle est muette sur la méthode à suivre pour y parvenir.
Elle se borne à énoncer une norme et laisse aux Etats ou au juge le soin de lui donner un contenu
précis»88.
2.25. La Cour et d’autres juridictions et tribunaux s’y sont employés. Leur jurisprudence
constitue un «acquis judiciaire […] qui devrait être lu dans les articles 74 et 83»89. Le TIDM a très
justement résumé le rôle de la jurisprudence des trente dernières années :
«226. Les cours et tribunaux internationaux ont contribué à l’élaboration
progressive d’un corps de jurisprudence en matière de délimitation maritime qui a
réduit la part de subjectivité et d’incertitude dans la détermination des frontières
maritimes et dans le choix des méthodes à suivre à cette fin.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
228. Au fil du temps, en l’absence d’une méthode bien établie, on s’est
davantage employé à améliorer l’objectivité et la prévisibilité du processus de
délimitation. Les situations géographiques variées examinées dans les premières
affaires ont cependant confirmé que, même si on s’était trop écarté de la précision
84 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 117, par. 454 (les italiques sont de nous).
85 Ibid.
86 Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du
Bengale, sentence du 7 juillet 2014, p. 131, par. 438, et p. 138, par. 456.
87 Ibid., p. 131, par. 438.
88 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 30, par. 28. Voir
également Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 64, par. 225.
89 Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du
Bengale, sentence du 7 juillet 2014, p. 98, par. 339.
41
- 29 -
objective qu’apporte l’équidistance, l’emploi de la seule équidistance ne pouvait pas
garantir une solution équitable dans tous les cas. Une méthode de délimitation
généralement appropriée devrait limiter la subjectivité tout en étant suffisamment
souple pour tenir compte des circonstances pertinentes en matière de délimitation
maritime dans une affaire donnée.»90
2.26. Cette «méthode de référence»91 a été «adoptée par les cours et tribunaux internationaux
dans la majorité des affaires de délimitation qui leur ont été soumises»92, notamment dans la
première affaire Nicaragua c. Colombie. Dans cet arrêt, qu’elle a rendu en 2012, la Cour a en effet
appliqué cette méthode à la délimitation du plateau continental jusqu’à 200 milles marins et l’a
décrite ainsi :
«190. La Cour a dit clairement et à plusieurs reprises que, en cas de
chevauchement de droits à un plateau continental et à une zone économique exclusive,
la méthode de délimitation qu’elle entendait employer normalement comportait trois
étapes (Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt,
C.I.J. Recueil 1985, p. 46, par. 60 ; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie
c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 115-116).
191. Dans un premier temps, il s’agit pour la Cour d’établir une ligne de
délimitation provisoire entre les territoires respectifs des Parties (y compris leurs
territoires insulaires). Elle a recours pour ce faire à des méthodes à la fois objectives
sur le plan géométrique et adaptées à la géographie de la zone. Cette tâche consiste à
construire une ligne d’équidistance, lorsque les côtes pertinentes sont adjacentes, ou
une ligne médiane entre les deux côtes, lorsque celles-ci se font face, à moins que,
dans un cas comme dans l’autre, des raisons impérieuses ne le permettent pas (voir
Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 745, par. 281).
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
192. A la deuxième étape, il s’agit pour la Cour de déterminer s’il existe des
circonstances pertinentes qui pourraient appeler un ajustement ou un déplacement de
la ligne d’équidistance (ou médiane) provisoire afin d’aboutir à un résultat équitable.
Si elle conclut à l’existence de telles circonstances, elle établit une frontière différente,
généralement en ajustant ou en déplaçant la ligne d’équidistance (ou médiane), de
manière à tenir compte de ces circonstances (Plateau continental (Jamahiriya arabe
libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 47, par. 63 ; Délimitation maritime en
mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 102-103,
par. 119-121). Lorsque les circonstances pertinentes l’exigent, la Cour peut également
recourir à d’autres techniques, comme l’enclavement d’îles isolées, de manière à
aboutir à un résultat équitable.
90 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 64, par. 226, p. 65, par. 228-229, et p. 67, par. 235.
91 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 698, par. 199.
92 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 67, par. 238.
42
- 30 -
193. La troisième et dernière étape consiste pour la Cour à vérifier si la ligne,
telle qu’ajustée ou déplacée, a pour effet de créer une disproportion marquée entre les
espaces maritimes attribués à chacune des Parties dans la zone pertinente, par rapport
à la longueur de leurs côtes pertinentes respectives.»93
2.27. La préférence pour cette méthode s’explique aisément :
⎯ premièrement, elle garantit un degré raisonnable de transparence et de prévisibilité pour les
parties ; et
⎯ deuxièmement, elle est suffisamment souple pour que puissent être pris en considération divers
facteurs pertinents dans le processus de délimitation, afin d’aboutir à une solution équitable,
ainsi que le requiert le paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM.
2.28. La méthode de référence a été appliquée par le TIDM dans le Différend relatif à la
délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale
(Bangladesh/Myanmar)94 et par le tribunal arbitral constitué conformément à l’annexe VII dans
l’Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du
golfe du Bengale95.
2.29. Ces affaires du Golfe du Bengale sont particulièrement pertinentes puisqu’il s’agit des
seules dans lesquelles le plateau continental au-delà de 200 milles marins a été délimité par une
juridiction internationale ou un tribunal arbitral. Dans ces deux instances, la même méthode a été
appliquée en deçà et au-delà de 200 milles marins96.
2.30. Dans l’affaire Bangladesh/Myanmar, le TIDM a conclu que «la méthode de
délimitation à employer, dans le cas d’espèce portant sur le plateau continental au-delà de
200 milles marins, ne diff[érait] pas de celle utilisée en deçà de cette distance»97.
Il a motivé sa décision comme suit :
«Cette méthode est née de la constatation que la souveraineté sur le territoire
terrestre constitue le fondement des droits souverains et de la juridiction de l’Etat
côtier à l’égard tant de la zone économique exclusive que du plateau continental. C’est
là une question distincte de celle de l’objet et de la portée des droits en cause, qu’il
s’agisse de la nature des espaces auxquels s’appliquent ces droits ou des limites
extérieures maximales visées aux articles 57 et 76 de la Convention.»98
93 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 695-696,
par. 190-193 (les italiques sont de nous).
94 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 67, par. 239.
95 Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du
Bengale, sentence du 7 juillet 2014, p. 99, par. 345.
96 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 117, par. 455, et Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière
maritime du golfe du Bengale, sentence du 7 juillet 2014, p. 131, par. 438.
97 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 117, par. 455.
98 Ibid.
43
44
- 31 -
2.31. En l’affaire Bangladesh c. Inde, il est significatif que le tribunal arbitral n’ait pas même
expliqué pourquoi il appliquait la même méthode à la délimitation du plateau continental en deçà et
au-delà de 200 milles marins. Il s’est contenté de constater que :
«Les Parties conviennent également que le droit applicable à la délimitation du
plateau continental au-delà de 200 milles marins est l’article 83 de la Convention, qui
dispose que la délimitation «est effectuée par voie d’accord conformément au droit
international tel qu’il est visé à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de
Justice, afin d’aboutir à une solution équitable».»99
2.32. Dans la présente espèce, rien ne pourrait justifier de se départir de cette jurisprudence
constante, et le Nicaragua prie la Cour d’appliquer sa méthode bien établie, qui fait maintenant
référence, pour délimiter la portion de plateau continental revenant à chaque Partie.
2.33. Comme nous le démontrerons dans le chapitre 5, le droit potentiel du Nicaragua sur le
plateau continental au-delà de 200 milles marins à partir de sa côte continentale chevauche celui de
la Colombie sur le plateau continental généré par sa côte continentale. En application de la méthode
qui fait maintenant référence, la première étape dans le processus de délimitation consiste à tracer
une ligne d’équidistance provisoire divisant la zone de chevauchement des droits sur le plateau
continental. La ligne proposée par le Nicaragua suit ce principe. Cela fait, la Cour devra,
conformément à la méthode de référence, déterminer «s’il existe des circonstances pertinentes qui
pourraient appeler un ajustement ou un déplacement» de la ligne provisoire et vérifier l’absence de
disproportion100.
99 Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du
Bengale, sentence du 7 juillet 2014, p. 131, par. 438.
100 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 696, par. 192-193.
45
- 32 -
CHAPITRE 3
LE CADRE JURIDIQUE. DROIT DU NICARAGUA À UN PLATEAU CONTINENTAL
EN VERTU DE L’ARTICLE 76. DESCRIPTION TECHNIQUE
DU PLATEAU CONTINENTAL.
47
Chapitre (pages 32 à 69) non reproduit
- 70 -
CHAPITRE 4
LES CÔTES PERTINENTES ET LA ZONE PERTINENTE
A. INTRODUCTION
4.1. La délimitation du plateau continental du Nicaragua au-delà de la limite de 200 milles
marins et du plateau continental de la Colombie a pour cadre géographique général le sud-ouest de
la mer des Caraïbes qui est bordé par les côtes du Nicaragua, du Costa Rica, du Panama, de la
Colombie et de la Jamaïque. Plusieurs petites îles colombiennes distantes, comme San Andrés et
Providencia, sont également situées dans cette partie de la mer des Caraïbes (voir figure 4.1.).
91
- 71 -
Figure 4.1
Le sud-ouest de la mer des Caraïbes : géographie régionale
92
- 72 -
4.2. Le Costa Rica, le Panama et la Jamaïque ont chacun défini l’étendue de leurs espaces
maritimes dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes au moyen d’accords bilatéraux conclus avec la
Colombie (voir figure 4.2.)111. Ces accords sont res inter alios acta pour le Nicaragua. Cela étant,
et conformément à la jurisprudence de la Cour112, ces accords sont à prendre en considération pour
déterminer la zone pertinente en vue de la délimitation du plateau continental du Nicaragua au-delà
de la limite de 200 milles marins et du plateau continental de la Colombie.
111 Le traité entre la République de Colombie et la République du Costa Rica relatif à la délimitation des zones
marines et sous-marines et à la coopération maritime, signé le 17 mars 1977 ; le traité de délimitation des zones
maritimes entre la République de Colombie et la Jamaïque, signé le 12 novembre 1993 (Nations Unies, Recueil des
traités (RTNU), vol. 1776, p. 36) ; et le traité entre la République du Panama et la République de Colombie relatif à la
délimitation des zones marines et sous-marines et à des sujets connexes, signé le 20 novembre1976 (RTNU, vol. 1074,
p. 226).
112 Voir ci-dessous les paragraphes 4.19 et suiv.
93
- 73 -
Figure 4.2
Les accords bilatéraux et les frontières définies par la Cour
Légende :
Joint Regime Area = Zone de régime commun
Joint zone = Zone commune
Judgments of the Court = Arrêts de la Cour
Bilateral agreements = Accords bilatéraux
Joint zones = Zones communes
94
- 74 -
4.3. Les frontières maritimes entre le Nicaragua et la Colombie comprises dans la limite de
200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale
du Nicaragua ont été définies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012 en l’affaire du
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) ; tel n’est pas le cas de la frontière
maritime entre le Nicaragua et les cayes colombiennes situées sur les bancs de Serranilla et de Bajo
Nuevo, question qui sera examinée de façon plus approfondie au paragraphe 4.39.
4.4. Le présent chapitre portera tout d’abord sur la détermination des côtes nicaraguayennes
et colombiennes pertinentes pour la délimitation du plateau continental du Nicaragua au-delà de la
limite de 200 milles marins et du plateau continental de la Colombie. En ce qui concerne le
Nicaragua, il s’agit de sa côte continentale et de celle de ses îles frangeantes. En ce qui concerne la
Colombie, il s’agit 1) de sa côte continentale et de celle de ses îles frangeantes ; et 2) de celle des
îles colombiennes de San Andrés, Providencia et Santa Catalina et des petites cayes éparpillées
dans la mer des Caraïbes occidentale, comme les cayes d’Albuquerque, Bajo Nuevo, Est-Sud-Est,
Roncador, Serranilla et Serrana.
4.5. Une deuxième partie de ce chapitre sera consacrée à la détermination de la zone
pertinente pour la délimitation du plateau continental du Nicaragua au-delà de la limite de
200 milles marins et du plateau continental de la Colombie. Comme il sera expliqué ci-dessous, la
zone pertinente comprend l’intégralité de l’espace maritime situé entre les côtes continentales du
Nicaragua et de la Colombie dans lequel se trouvent les îles colombiennes de San Andrés,
Providencia et Santa Catalina et les plus petites cayes d’Albuquerque, Bajo Nuevo, Est-Sud-Est,
Roncador, Serranilla et Serrana.
4.6. Une dernière section du présent chapitre contiendra le résumé des conclusions
principales.
B. LA DÉTERMINATION DES CÔTES PERTINENTES
4.7. La méthode appliquée par la Cour pour déterminer les côtes pertinentes en vue de la
délimitation de frontières maritimes entre des Etats voisins est bien établie. Comme elle l’a précisé
dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), les côtes pertinentes
des parties sont «celles dont les projections se chevauchent, la délimitation consistant à résoudre la
question du chevauchement des revendications en traçant une ligne de séparation entre les espaces
maritimes concernés»113. Outre qu’elle doit permettre de déterminer ce qui constitue le
chevauchement des revendications des parties sur les espaces maritimes, l’identification des côtes
pertinentes vise à rechercher l’existence d’une éventuelle disproportion «entre le rapport des
longueurs des côtes de chaque Etat et celui des espaces maritimes situés de part et d’autre de la
ligne de délimitation»114. Dans ce qui constitue à présent la méthode de délimitation habituelle de
la Cour, ce critère de proportionnalité représente la troisième étape de la procédure de délimitation.
113 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 674, par. 141.
114 Ibid., p. 675, par. 141, dans lequel est cité l'arrêt rendu par la Cour dans l’affaire relative à la Délimitation
maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine).
95
96
- 75 -
1. La côte pertinente du Nicaragua
4.8. La Cour a examiné les côtes pertinentes du Nicaragua et de la Colombie dans le cadre de
la délimitation des frontières maritimes entre ces deux Etats dans l’affaire du Différend territorial
et maritime (Nicaragua c. Colombie)115. En ce qui concerne la côte pertinente du Nicaragua, la
Cour a conclu qu’elle
«couvr[ait] l’intégralité de la côte qui se projet[ait] dans la zone de chevauchement
potentielle … A l’exception du court segment côtier situé à proximité de Punta de
Perlas, qui est orienté plein sud et ne se projette donc pas dans la zone de
chevauchement potentielle, la côte pertinente est dès lors constituée de l’intégralité de
la côte continentale du Nicaragua (voir croquis no 6, p. 681). Si l’on tient compte de la
direction générale de cette côte, la côte pertinente mesure environ 531 kilomètres».116
La figure 4.3 reproduit le croquis no 6 figurant dans l’arrêt de la Cour. La côte pertinente de
531 kilomètres correspond à la longueur de la côte pertinente du Nicaragua suivant sa configuration
naturelle. Si cette côte pertinente était mesurée en suivant une ligne droite, elle s’étendrait sur
454 kilomètres (voir figure 4.4).
115 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 675-680,
par. 143-154.
116 Ibid., p. 678, par. 145.
97
- 76 -
Figure 4.3
Le croquis no 6 tiré de l’arrêt de la Cour en l’affaire Nicaragua c. Colombie
98
- 77 -
Figure 4.4
La côte pertinente du Nicaragua
Légende :
454 km (straight line) = 454 km (ligne droite)
531 km (natural configuration) = 531 km (configuration naturelle)
4.9. Le Nicaragua soutient que, pour la délimitation de son plateau continental au-delà de la
limite de 200 milles marins et du plateau continental de la Colombie, sa côte pertinente est celle
que la Cour a définie dans son arrêt du 19 novembre 2012 en l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie). Comme il ressort de la figure 4.4., l’intégralité de la côte du
Nicaragua telle que définie par la Cour se projette à l’est jusqu’à la limite extérieure de son plateau
continental au-delà de la ligne de 200 milles marins, lequel chevauche le plateau continental de
200 milles marins généré par la côte continentale de la Colombie et celui des îles de San Andrés et
Providencia.
2. La côte pertinente de la Colombie
4.10. La côte pertinente de la Colombie est composée d’une partie de sa côte continentale et
des côtes des îles colombiennes de San Andrés, Providencia et Santa Catalina et des plus petites
cayes éparpillées dans la mer des Caraïbes occidentale.
4.11. Le Nicaragua considère que seul un segment de la côte continentale de la Colombie fait
partie de la côte pertinente de cette dernière car la côte continentale colombienne ne se projette pas
intégralement vers la zone de chevauchement potentielle. Les segments se trouvant dans ce dernier
cas sont les suivants. Premièrement, la côte continentale colombienne au sud et à l’ouest de
Punta Baru jusqu’à la frontière terrestre de la Colombie avec le Panama se projette en direction de
la frontière maritime entre ces deux Etats et non vers la zone de chevauchement des droits entre le
Nicaragua et la Colombie. Le premier segment de cette côte, entre Punta Baru et le golfe de
Morrosquillo, se projette en mer pratiquement en direction de l’ouest, alors que la zone de
chevauchement des droits est située au nord-ouest de ce segment côtier (voir figure 4.5). La côte
colombienne située au sud du golfe de Morrosquillo se projette en mer suivant une direction
99
100
- 78 -
nord-ouest jusqu’à la frontière maritime entre la Colombie et le Panama (voir figure 4.5). Un
second segment de la côte continentale de la Colombie qui ne fait pas partie de sa côte pertinente
est situé à l’est de Cabo de la Vera. Cette partie de la côte continentale colombienne se projette en
mer vers une zone se trouvant à l’est de celle où se chevauchent les droits (voir figure 4.5).
- 79 -
Figure 4.5
La côte pertinente de la Colombie
Légende :
Joint Regime Area = Zone de régime commun
Joint zone = Zone commune
531 km (natural configuration) = 531 km (configuration naturelle)
475 km (natural configuration) = 475 km (configuration naturelle)
453 km (straight line) = 453 km (ligne droite)
101
- 80 -
4.12. La côte continentale pertinente de la Colombie est par conséquent située entre
Punta Baru et Cabo de la Vera (voir figure 4.5.). La projection en mer de cette côte atteint la zone
de chevauchement des droits. Cependant, si l’on compare cette côte à la côte continentale du
Nicaragua, l’arrêt rendu au fond par la Cour dans l’affaire du Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie) indique que deux segments de cette côte ne devraient pas être pris en
compte dans la côte pertinente de la Colombie. Dans son arrêt de 2012 en l’affaire du Différend
territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), la Cour a en effet jugé qu’un «court segment
côtier situé à proximité de Punta de Perlas, qui [était] orienté plein sud et ne se projet[ait] donc pas
dans la zone de chevauchement potentielle», ne faisait pas partie de la côte pertinente du
Nicaragua117. Si la côte colombienne entre Punta Baru et Cabo de la Vera est appréciée à la lumière
de cette observation, il est clair que le segment côtier situé au sud de Cabo de la Aguja, qui s’étend
vers le sud et est orienté plein ouest, ne se projette pas non plus dans la zone de chevauchement des
droits. De même, un segment de la côte continentale colombienne situé à l’est de Cabo de la Aguja
se projette en mer en direction du nord, c’est-à-dire à l’est de la zone de chevauchement des droits.
4.13. A l’exception des segments côtiers ci-dessus orientés plein ouest et plein nord, la côte
pertinente de la Colombie entre Punta Baru et Cabo de la Vera, mesurée suivant sa configuration
naturelle, s’étend sur 475 kilomètres. Le Nicaragua considère que, en l’espèce, en raison des
sinuosités et de l’irrégularité de la côte continentale colombienne, il convient de déterminer la
longueur de cette côte pertinente en la mesurant non pas suivant sa configuration naturelle mais
suivant une ligne droite. Dans ce dernier cas, la côte continentale pertinente de la Colombie mesure
453 kilomètres.
4.14. Outre le littoral continental de la Colombie, les côtes de ses îles distantes situées dans
la mer des Caraïbes occidentale font également partie de sa côte pertinente pour la délimitation de
son propre plateau continental et de celui du Nicaragua au-delà de la limite de 200 milles marins.
Dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), la Cour a défini la côte
pertinente de ces îles aux fins de la délimitation entre les Parties de l’espace maritime situé dans la
limite de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer
territoriale du Nicaragua118. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2012 dans cette affaire, la Cour a
conclu, premièrement, qu’il fallait prendre en compte l’intégralité des côtes des îles de San Andrés,
Providencia et Santa Catalina pour déterminer leurs côtes pertinentes, dont elle a estimé la longueur
totale à 58 kilomètres119. Elle a ensuite jugé que les côtes des cayes d’Albuquerque, Est-Sud-Est,
Roncador et Serrana devaient être considérées comme faisant partie de la côte pertinente aux fins
de cette affaire. Dans son arrêt, elle a indiqué que ces côtes mesuraient 7 kilomètres, la longueur
totale de la côte pertinente de toutes les îles étant ainsi d’environ 65 kilomètres120.
4.15. Le Nicaragua considère que la côte pertinente des îles colombiennes telle que définie
par la Cour en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) fait également
partie de la côte pertinente de la Colombie aux fins de l’application en la présente espèce du critère
de proportionnalité (qui constitue la troisième étape de l’exercice de délimitation), et ce, même si
ces côtes ne se projettent pas intégralement en mer dans la zone où se chevauchent les droits à un
plateau continental au-delà de la limite nicaraguayenne de 200 milles marins. Les côtes
occidentales des îles sont d’ailleurs orientées dans la direction opposée à cette zone. Toutefois,
comme il est indiqué au chapitre 1 et expliqué plus en détail aux paragraphes 4.28 et suivants, la
délimitation à laquelle la Cour est priée de procéder en la présente espèce s’inscrit dans le
117 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 678, par. 145.
118 Ibid., p. 679-680, par. 146-152.
119 Ibid., p. 680, par. 151.
120 Ibid., par. 152.
102
103
104
- 81 -
prolongement de la délimitation des frontières maritimes entre le Nicaragua et la Colombie en
partie effectuée par la Cour dans son arrêt de 2012 en l’affaire du Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie). Pour apprécier si la délimitation que la Cour effectuera en la présente
espèce conduira à une solution équitable, il convient d’examiner la manière dont la délimitation à
laquelle elle a procédé en 2012 et celle demandée en la présente espèce divisent l’ensemble de la
zone pertinente entre les Parties et comment ce rapport se compare à celui entre les longueurs des
côtes pertinentes. Cela exige de prendre en compte les côtes pertinentes pour la délimitation de la
frontière maritime entre les Parties dans la limite de 200 milles marins de leurs côtes et au-delà de
cette limite.
4.16. Dans son arrêt de 2012, la Cour n’a pas délimité la frontière maritime entre le
Nicaragua et les cayes situées sur les bancs de Bajo Nuevo et de Serranilla. Le Nicaragua prie à
présent la Cour de procéder également à la délimitation de cette frontière maritime121. En
conséquence, les côtes de ces cayes font aussi partie de la côte pertinente de la Colombie. Si leur
longueur est déterminée conformément à la méthode utilisée par la Cour dans son arrêt de 2012,
elles mesurent 2 kilomètres. La longueur des côtes pertinentes de l’ensemble des îles colombiennes
distantes est ainsi de 67 kilomètres.
4.17. Tandis que l’intégralité du littoral des îles colombiennes fait partie de la côte pertinente
aux fins de l’application du critère de proportionnalité constituant la troisième étape de l’exercice
de délimitation, elle ne constitue pas la côte pertinente pour d’autres aspects du processus de
délimitation auquel il est demandé à la Cour de procéder. Plus précisément, si l’on considère les
méthodes appropriées pour la délimitation du plateau continental du Nicaragua au-delà de la limite
de 200 milles marins et du plateau continental de la Colombie, seules les côtes de San Andrés et de
Providencia orientées à l’est constituent les côtes pertinentes. Cela s’explique par le fait que la zone
où le plateau continental du Nicaragua au-delà de la limite de 200 milles marins entre en
chevauchement avec les droits à un plateau continental des îles et du continent colombiens est
entièrement située à l’est des îles colombiennes. Suivant leur configuration naturelle, ces côtes
insulaires orientales mesurent approximativement 27 kilomètres (20 kilomètres pour San Andrés et
7 kilomètres pour Providencia et Santa Catalina) (voir figure 4.6). La longueur des côtes
pertinentes de ces îles mesurées suivant une ligne droite représentant leur direction générale est
approximativement de 20 kilomètres (13 kilomètres pour San Andrés et 7 kilomètres pour
Providencia et Santa Catalina) (voir figure 4.6).
121 Voir par. 4.39 ci-dessous.
105
- 82 -
Figure 4.6
Les côtes pertinentes de San Andrés et Providencia
Légende :
Croquis tiré de la figure 2.2 du mémoire de la Colombie en l’affaire Nicaragua c. Colombie
13 km (straight line) = 13 km (ligne droite)
20 km (natural configuration) = 20 km (configuration naturelle)
Croquis tiré de la figure 2.3 du mémoire de la Colombie en l’affaire Nicaragua c. Colombie
7 km (straight line) = 7 km (ligne droite)
7 km (natural configuration) = 7 km (configuration naturelle)
4.18. Deuxièmement, les côtes pertinentes aux fins de l’examen des méthodes appropriées de
délimitation du plateau continental du Nicaragua au-delà de la limite de 200 milles marins ne
comprennent pas celles des cayes d’Albuquerque, Bajo Nuevo, Est-Sud-Est, Roncador, Serrana et
Serranilla qui sont en revanche pertinentes aux fins du critère de proportionnalité, étant donné que
ces îles sont situées dans la zone pertinente et que la mer territoriale à laquelle elles ont droit fait
partie de celle-ci. Cependant, comme l’a soutenu le Nicaragua en l’affaire du Différend territorial
et maritime (Nicaragua c. Colombie), ces îles n’ont pas de plateau continental ni de zone
économique exclusive, puisqu’il s’agit de rochers aux termes du paragraphe 3 de l’article 121 de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer122. En conséquence, leurs côtes ne sont pas
pertinentes pour la délimitation du plateau continental du Nicaragua au-delà de la limite de
200 milles marins et du plateau continental de la Colombie.
122 Voir, par exemple, CR 2012/4, p. 31-32, par. 4-6.
106
- 83 -
C. DÉTERMINATION DE LA ZONE PERTINENTE
4.19. La section qui suit commence par expliquer que la zone pertinente correspond à
l’ensemble de l’espace situé entre les côtes continentales pertinentes des Parties. La section
suivante traitera des limites latérales de cette zone.
1. La zone pertinente se situe entre les côtes continentales
pertinentes des Parties
4.20. La Cour a défini la zone maritime pertinente comme étant «la partie de l’espace
maritime dans laquelle les droits potentiels des parties se chevauchent»123. Elle a également indiqué
que, dans les zones où les intérêts d’Etats tiers entrent en jeu, ces intérêts peuvent influer sur la
définition de la zone maritime pertinente124.
4.21. Dans la présente affaire, la Cour est appelée à délimiter la partie du plateau continental
du Nicaragua qui se situe au-delà de 200 milles marins et le plateau continental de la Colombie.
Dans cette optique, il est au premier chef nécessaire de déterminer l’étendue du plateau continental
du Nicaragua et de la Colombie, ce qui permettra de définir la zone de chevauchement des droits
potentiels des deux Parties.
4.22. Comme indiqué au chapitre 3 du présent mémoire, le Nicaragua a fixé la limite
extérieure de son plateau continental conformément aux dispositions de l’article 76 de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer. La limite extérieure qu’il a communiquée à la
Commission des limites du plateau continental détermine l’étendue du plateau continental auquel il
a droit vers le large (voir figure 3.16).
4.23. N’étant pas partie à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, la Colombie
n’est pas tenue de déterminer l’étendue exacte de son plateau continental suivant les règles
énoncées à l’article 76 de la convention. Toutefois, les données scientifiques relevant du domaine
public dont on dispose sur la géomorphologie des fonds marins mettent en évidence de façon
incontestable la situation de fait qui existe dans la zone. En ce qui concerne le plateau continental
généré par la côte continentale de la Colombie, il est totalement impossible que le rebord externe
de la marge continentale qui la longe puisse en un point quelconque s’étendre jusqu’à une distance
de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer
territoriale de la Colombie125. En conséquence, la limite extérieure du plateau continental généré
par la côte continentale colombienne correspond à la distance maximale de 200 milles marins
prévue par le droit international coutumier et énoncée au paragraphe 1 de l’article 76 de la
convention. Ce plateau continental chevauche celui du Nicaragua.
4.24. En ce qui concerne les îles colombiennes de San Andrés et Providencia, le Nicaragua
fait observer que la Colombie a déclaré ce qui suit :
«Conformément au droit international coutumier, le plateau continental de la
République de Colombie comprend le fond de la mer et le sous-sol des zones
sous-marines au-delà de sa mer territoriale dans tout le prolongement naturel de son
territoire terrestre jusqu’au rebord externe de la marge continentale ou à une distance
123 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 683, par. 159.
124 Ibid. ; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 100, par. 114.
125 Voir chap. 3 du présent mémoire, par. 3.77 et 3.78.
107
108
- 84 -
de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles la largeur de la mer
territoriale est mesurée là où le rebord externe de la marge continentale n’atteint pas
cette distance. De plus, conformément au droit international coutumier, les îles de la
République de Colombie ⎯ quelle que soit leur superficie ⎯ jouissent des mêmes
droits maritimes que les autres territoires terrestres du pays.»126
4.25. Le Nicaragua considère qu’il découle de cette déclaration que la Colombie estime que
les îles de San Andrés et de Providencia génèrent à son profit un droit potentiel à un plateau
continental au-delà de 200 milles marins jusqu’au rebord externe de la marge continentale. Le
Nicaragua reconnaît que San Andrés et Providencia génèrent un tel droit potentiel127. Les îles de
San Andrés et de Providencia se situent sur la même marge continentale que la côte continentale du
Nicaragua et les îles frangeantes qui la bordent. Il s’ensuit que le rebord externe de la marge
continentale du Nicaragua et celui de la marge continentale de ces îles sont identiques. Toutefois,
comme on le verra au chapitre 5 du présent mémoire, l’arrêt de 2012 fait obstacle à l’extension du
plateau continental des îles de San Andrés et de Providencia à l’est de la limite de 200 milles
marins de la zone économique exclusive du Nicaragua128.
4.26. La Colombie n’a pas communiqué d’informations à la Commission des limites du
plateau continental sur la limite extérieure de son plateau continental au-delà de 200 milles marins
comme le prescrit l’article 76 de la convention, ce qu’elle serait tenue de faire si elle devenait partie
à la convention. Le Nicaragua estime cependant que ce défaut de communication ne fait pas
obstacle à ce que la Cour délimite le plateau continental entre lui et la Colombie en l’espèce.
Comme il l’a indiqué dans sa demande à la Commission des limites du plateau continental, la
limite extérieure de son plateau continental chevauche le plateau continental de 200 milles marins
généré par la côte continentale de la Colombie. En conséquence, les informations indiquant
l’emplacement exact de la limite extérieure du plateau continental de San Andrés et de Providencia
ne modifieraient en rien la zone où le plateau continental du Nicaragua et celui de la Colombie se
chevauchent, puisque cette limite extérieure se situerait en deçà de 200 milles marins de la côte
continentale colombienne et serait donc couverte par le droit à un plateau continental à raison de
cette côte.
4.27. Dans la présente affaire, la Cour est appelée à délimiter la partie du plateau continental
du Nicaragua qui se situe au-delà de 200 milles marins et le plateau continental de la Colombie. La
zone de chevauchement des droits potentiels des deux Parties se situe entre la limite de 200 milles
marins du Nicaragua et la limite extérieure de son plateau continental au-delà de 200 milles marins,
comme indiqué dans sa demande à la Commission des limites du plateau continental. Elle ne
comprend qu’une portion de l’espace maritime séparant les côtes continentales pertinentes des
Parties. Selon le Nicaragua, la zone pertinente consiste dans l’ensemble des espaces maritimes
situés entre les côtes continentales pertinentes des Parties, et pas seulement dans la zone de
chevauchement de leurs droits.
126 Note S-DM-13-014681 en date du 22 avril 2013 (annexe à la note verbale datée du 29 avril 2013, adressée au
Secrétaire général par la Mission permanente de la Colombie auprès de l’Organisation des Nations Unies ; Nations Unies,
doc. A/67/852 en date du 2 mai 2013) (voir MN, annexe 3).
127 Le Nicaragua ne souscrit pas à la thèse de la Colombie selon laquelle «les îles de la République de Colombie
⎯ quelle que soit leur superficie ⎯ jouissent des mêmes droits maritimes que les autres territoires terrestres du pays».
Comme il l’a expliqué ci-dessus au paragraphe 4.18, il considère qu’à l’exception de San Andrés et Providencia et de
Santa Catalina, toutes les îles maritimes colombiennes situées dans la partie occidentale de la mer des Caraïbes sont des
rochers au sens du paragraphe 3 de l’article 121 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui est
l’expression du droit international coutumier.
128 Voir par. 5.19 et 5.20 ci-dessous.
109
110
- 85 -
4.28. Le Nicaragua fait valoir que sa définition de la zone pertinente cadre avec l’objet et le
but du test de proportionnalité que la Cour applique lors de la troisième étape du processus de
délimitation maritime, en vue de s’assurer que la délimitation envisagée aboutit à un résultat
équitable129. La prise en compte de l’ensemble de l’espace maritime situé entre les côtes pertinentes
des Parties permettrait de déterminer si la délimitation opérée par la Cour aboutit au final à un
résultat équitable. Cette approche cadre également avec le fait que la délimitation que la Cour est
invitée à effectuer en l’espèce s’inscrit dans le prolongement de celle à laquelle elle a procédé par
son arrêt de 2012 rendu en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie).
Si au contraire la Cour ne prenait en compte que la zone de chevauchement des droits des Parties à
un plateau continental au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne, elle ne rechercherait
pas comment la frontière maritime divise les espaces maritimes situés entre les côtes pertinentes
des Parties, mais seulement comment une portion déterminée de cette zone maritime serait partagée
entre les Parties. La division de cette seule petite zone pourrait paraître équitable à la lumière du
test de proportionnalité susvisé, mais elle ne permettrait pas à la Cour de savoir si le résultat
général de la délimitation est équitable, la Cour ne pouvant en apprécier l’équité qu’en recherchant
comment la frontière maritime obtenue à l’issue de la deuxième étape du processus de délimitation
sépare l’ensemble des zones maritimes situées entre les côtes pertinentes des Parties.
4.29. L’approche adoptée par le Nicaragua pour définir la zone pertinente est conforme au
principe fondamental du droit de la délimitation maritime selon lequel la terre domine la mer.
Comme la Cour l’a fait observer en l’affaire de la Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie
c. Ukraine), «[l]e titre d’un Etat sur le plateau continental et la zone économique exclusive est
fondé sur le principe selon lequel la terre domine la mer du fait de la projection des côtes ou des
façades côtières»130. Il en ressort que les projections partant de la côte vers le large commencent à
la côte. Ne pas tenir compte d’un espace maritime qui fait directement face aux côtes pertinentes
des Parties romprait le lien existant entre ces côtes et la zone pertinente, portant ainsi atteinte au
principe qui veut que la terre domine la mer du fait de la projection des côtes.
4.30. La jurisprudence de la Cour et d’autres cours et tribunaux confirme que le droit fait
obligation de considérer comme zone pertinente l’ensemble de l’espace maritime situé entre les
côtes pertinentes des parties, y compris les portions de cet espace qui ne chevauchent pas les zones
maritimes de l’autre partie.
4.31. Dans l’affaire Jan Mayen, la Cour a défini la zone pertinente comme étant la zone
située entre les côtes pertinentes du Groenland et de l’île de Jan Mayen131. Cette affaire avait trait à
la délimitation de la zone de 200 milles marins du Danemark et de celle de la Norvège. La zone
pertinente comprenait à la fois 1) les zones de chevauchement des droits des parties et 2) les zones
situées entre les côtes du Groenland ou de Jan Mayen et se trouvant en deçà de 200 milles marins
de l’une des parties. Illustrée par le croquis no 1 inséré dans l’arrêt, qui est reproduit dans le présent
mémoire comme figure 4.7, elle est circonscrite par les lignes reliant les points
A-E-F-B-C-D-G-H-A. Le fait que la zone maritime pertinente ne se réduise pas à la zone de
chevauchement des prétentions ou des droits des parties a ainsi été explicitement confirmé par
l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Jan Mayen, qui distingue entre ces deux zones132.
129 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 100, par. 111.
130 Ibid., p. 89, par. 77.
131 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt,
C.I.J. Recueil 1993, p. 47-48, par. 20.
132 Ibid., p. 47-48, par. 19 et 20, et p. 69-70, par. 71 et 72.
111
- 86 -
Figure 4.7
La zone pertinente en l’affaire Jan Mayen
Légende :
Sketch-map No. 1 = Croquis no 1
Greenland Sea = Mer du Groenland
Greenland = Groenland
Shannon Island = Ile Shannon
Area beyond Jan Mayen’s 200M entitlement = Zone située au-delà des 200 M auxquels Jan Mayen a
droit
Median line = Ligne médiane
200M (Greenland) = 200 M (Groenland)
Area beyond Greenland’s 200M entitlement = Zone située au-delà des 200 M auxquels le Groenland a
droit
Area of overlapping 200M entitlements = Zone de chevauchement des droits des Parties à 200 M
Denmark Strait = Détroit du Danemark
Norwegian Sea = Mer de Norvège
Iceland = Islande
Sketch map 1 from the Court’s Judgment, p. 45. Colour
added for emphasis
= Croquis no 1 tiré de l’arrêt de la Cour, p. 45. Les
couleurs sont de nous
112
- 87 -
4.32. En l’Affaire de la délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République
française, le tribunal arbitral a délimité les zones de 200 milles marins des parties. Il a défini la
zone pertinente au paragraphe 93 de sa sentence133. Cette zone comprenait les zones adjacentes à la
côte pertinente du Canada qui se trouvaient au-delà de 200 milles marins des côtes des îles
françaises de Saint-Pierre et Miquelon. En d’autres termes, elle comprenait des espaces maritimes
qui ne faisaient pas partie des zones de chevauchement des droits. Ces espaces sont illustrés à la
figure 4.8, qui montre la zone pertinente définie par le tribunal arbitral et la partie de la zone
pertinente dans laquelle les droits des parties ne se chevauchent pas.
Figure 4.8
La zone pertinente en l’affaire Canada c. France
Légende :
Gulf Of St Lawrence = Golfe du Saint-Laurent
Newfoundland = Terre-Neuve
Cape Ray = Cap Ray
Cabot Strait = Détroit de Cabot
Ramea I = Iles Ramea
Fortune Bay = Baie Fortune
Burin Peninsula = Péninsule de Burin
Placentia Bay = Baie Placentia
Cape Race = Cap Race
Money Pt = Money Point
St Pierre = Saint-Pierre
Cape Breton I = Ile du Cap-Breton
Scatarie I = Ile Scatarie
Nova Scotia = Nouvelle-Ecosse
Cape Canso = Cap Canso
Relevant Area = Zone pertinente
Relevant area beyond France’s 200M entitlement = Zone pertinente située au-delà des 200 M auxquels la
France a droit
Sable Island = Ile de Sable
200M St P & M = 200 M de Saint-Pierre-et-Miquelon
200M Cape Breton I = 200 M de l’île du Cap-Breton
200M Canada = 200 M du Canada
133 Affaire de la délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République française, sentence du
10 juin 1992, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXI, p. 296-297.
113
- 88 -
4.33. Dans l’affaire Bangladesh/Myanmar, le Tribunal international du droit de la mer a
délimité la mer territoriale, la zone économique exclusive et le plateau continental en deçà et
au-delà de 200 milles marins des parties. Selon le Nicaragua, cette affaire et l’affaire Bangladesh
c. Inde, examinée plus loin, sont particulièrement instructives en ce qu’elles sont à ce jour les
seules dans lesquelles le plateau continental a été délimité au-delà de 200 milles marins. Pour
achever la délimitation de la frontière maritime dans l’affaire Bangladesh/Myanmar, le Tribunal
international du droit de la mer a défini la zone pertinente afin de pouvoir réaliser le test de
proportionnalité qui intervient lors de la troisième étape du processus de délimitation. Il a relevé
que les parties étaient en désaccord sur deux points de cette zone, à savoir son secteur méridional et
son secteur nord-ouest134. S’agissant du secteur méridional, il a fait l’observation suivante :
«[L]e Tribunal … a déjà décidé que le segment de la côte du Myanmar compris
entre le cap Bhiff et le cap Negrais devait être inclus dans la détermination de la côte
pertinente. En conséquence, le secteur maritime méridional jusqu’au cap Negrais doit
être pris en compte dans le calcul de la zone pertinente … [a]ux fins de vérification de
l’absence de disproportion.»135
4.34. Il convient de relever que ce secteur méridional de la zone pertinente se trouve au-delà
de 200 milles marins de la côte du Bangladesh et ne fait pas partie de la portion de son plateau
continental située au-delà de 200 milles marins sur laquelle le Bangladesh avait communiqué des
informations à la Commission des limites du plateau continental (voir figure 4.9).
134 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 125, par. 490.
135 Ibid., par. 491 (les italiques sont de nous).
114
- 89 -
Figure 4.9
La zone pertinente en l’affaire Bangladesh/Myanmar
Légende :
India = Inde
Ganges-Brahmaputra Delta = Delta du Gange et du Brahmapoutre
Meghna Estuary = Estuaire du Meghna
Mandabaria Is = Ile de Mandabaria
Kutubdia Is = Ile de Kutubdia
St Martin’s Island = Ile de Saint Martin
Mayu Pt = Mayu Point
Boronga Pt = Boronga Point
Cheduba I = Ile de Cheduba
Arakan Coast = Côte de Rakhine (Arakan)
Bhiff Cape = Cap Bhiff
Relevant Area = Zone pertinente
200M Bangladesh = 200 M du Bangladesh
200M Myanmar = 200 M du Myanmar
Outer Continental Shelf = Plateau continental extérieur
Relevant area beyond 200M from Bangladesh but
within 200M of Myanmar =
Zone pertinente située au-delà de 200 M du
Bangladesh, mais en deçà de 200 M du Myanmar
Cape Negrais = Cap Negrais
Preparis Is = Ile de Preparis
Coco Is = Iles Coco
115
- 90 -
4.35. En ce qui concerne l’étendue du secteur nord-ouest de la zone pertinente, sur laquelle
les parties étaient également en désaccord, le Tribunal a dit considérer qu’«aux fins de la
constatation d’une éventuelle disproportion entre les zones attribuées aux Parties, la zone
pertinente doit comprendre les espaces maritimes qui font l’objet de titres concurrents des Parties à
la présente affaire»136. Il ressort de cette approche retenue pour définir la zone pertinente que le
Tribunal estimait que la zone de chevauchement des droits devait faire partie de la zone maritime
pertinente, mais que celle-ci ne se limitait pas nécessairement à cette zone de chevauchement.
4.36. Le tribunal arbitral saisi de l’affaire Bangladesh c. Inde a adopté une approche
similaire pour définir la zone pertinente. Le secteur sud-ouest de cette zone se trouve au-delà de
200 milles marins de la côte du Bangladesh et ne fait pas partie de la portion de son plateau
continental située au-delà de 200 milles marins sur laquelle il avait communiqué des informations à
la Commission des limites du plateau continental137. Ce secteur sud-ouest de la zone pertinente est
illustré ci-dessous à la figure 4.10.
136 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt,
TIDM Recueil 2012, p. 125, par. 493 (les italiques sont du Nicaragua).
137 Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du
Bengale, sentence du 7 juillet 2014, p. 88, par. 309-310.
116
- 91 -
Figure 4.10
La zone pertinente en l’affaire Bangladesh c. Inde
Légende :
India = Inde
St Martin’s Island = Ile de Saint Martin
Devi Pt : = Devi Point
Bangladesh 200M = 200 M du Bangladesh
(ITLOS 2012) = (TIDM 2012)
Cheduba I = Ile de Cheduba
Relevant Area = Zone pertinente
Relevant area within 200M of Bangladesh but beyond
200M of India =
Zone pertinente située en deçà de 200 M du
Bangladesh, mais au-delà de 200 M de l’Inde
Sandy Pt = Sandy Point
Relevant area beyond 200M from Bangladesh but
within 200M of India =
Zone pertinente située en deçà de 200 M du
Bangladesh, mais au-delà de 200 M de l’Inde
India 200M = 200 M de l’Inde
Outer Continental Shelf = Plateau continental extérieur
Cape Negrais = Cap Negrais
Preparis Is = Ile de Preparis
Coco Is = Iles Coco
4.37. La façon dont le Tribunal international du droit de la mer et le tribunal arbitral ont
défini la zone pertinente et réalisé le test de proportionnalité dans, respectivement,
Bangladesh/Myanmar et Bangladesh c. Inde est également pertinente en l’espèce pour un autre
motif. Le Tribunal international et le tribunal arbitral ont délimité la frontière maritime entre les
parties en trois étapes distinctes : d’abord la mer territoriale, puis le plateau continental et la zone
économique exclusive en deçà de 200 milles marins et, enfin, le plateau continental au-delà de
200 milles marins. Toutefois, le test de proportionnalité n’a pas été appliqué séparément à chacun
des trois segments de la frontière maritime ainsi établis, mais à l’ensemble de la zone pertinente
couvrant la mer territoriale, le plateau continental et la zone économique exclusive en deçà de
200 milles marins ainsi que le plateau continental au-delà de 200 milles marins. Cette solution vient
à nouveau confirmer que le test de proportionnalité vise à vérifier si le résultat général de la
117
- 92 -
délimitation est équitable. Il faut par conséquent appliquer le test de proportionnalité pour
déterminer si la frontière établie par la Cour en 2012 et celle qu’elle est invitée à établir en la
présente espèce constituent, prises ensemble, une solution équitable.
2. Les limites latérales de la zone pertinente
4.38. Comme dernière étape, il reste à déterminer les limites latérales de la zone pertinente.
A cet égard, le Nicaragua fait observer que, dans son arrêt de 2012, la Cour a fixé les limites
latérales de la zone pertinente entre la côte continentale du Nicaragua et la limite de 200 milles
marins de ce dernier. Au nord, la limite latérale de la zone pertinente suit tout d’abord la frontière
maritime entre le Nicaragua et le Honduras, laquelle a été définie par la Cour dans son arrêt de
2007 en l’affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la
mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), puis la zone de régime commun créée par le traité de
1993 entre la Colombie et la Jamaïque. Au sud, la limite latérale de la zone pertinente commence
par suivre une ligne d’équidistance hypothétique entre le Nicaragua et le Costa Rica, avant de
longer les limites établies par les traités conclus entre la Colombie et le Costa Rica, d’une part, et
entre la Colombie et le Panama, d’autre part138.
4.39. Le Nicaragua considère que la définition de la zone pertinente contenue dans l’arrêt de
la Cour de 2012 reste appropriée, à une exception près, pour définir la zone pertinente en la
présente espèce. Il estime que la zone pertinente devrait englober les mers territoriales entourant
Serranilla et Bajo Nuevo, celles-ci étant exclues de la zone de régime commun créée par le traité de
1993 entre la Colombie et la Jamaïque et reconnues comme faisant partie du territoire de la
Colombie. Avant d’exposer plus avant la position du Nicaragua sur ce point, il convient de rappeler
ce que la Cour a dit, dans son arrêt de 2012, au sujet de l’exclusion de la zone de régime commun
et des mers territoriales entourant Serranilla et Bajo Nuevo :
«bien que la «zone de régime commun» de la Colombie et de la Jamaïque soit un
espace dans lequel les deux Etats concernés se sont mis d’accord sur un régime
d’exploitation commune, et non sur une délimitation, la Cour estime qu’elle doit être
considérée comme exclue de la zone pertinente. La Cour observe que plus de la moitié
de la «zone de régime commun» (de même que l’île de Bajo Nuevo et les eaux
adjacentes sur un rayon de 12 milles marins) se trouve à plus de 200 milles marins du
Nicaragua et ne peut donc, en tout état de cause, faire partie de la zone pertinente. Elle
rappelle par ailleurs que ni le Nicaragua (du moins dans la majeure partie de ses
exposés) ni la Colombie n’ont demandé son inclusion. Bien que l’île de Serranilla et
les eaux adjacentes sur un rayon de 12 milles marins soient exclues de la «zone de
régime commun», en l’espèce, la Cour considère qu’elles sont également exclues de la
zone pertinente, eu égard aux droits potentiels de la Jamaïque et au fait que ni l’une ni
l’autre des Parties n’ont avancé d’argument contraire.»139
4.40. Il convient de noter plusieurs points concernant les observations de la Cour relatives à
la zone de régime commun et aux mers territoriales entourant Serranilla et Bajo Nuevo. La Cour
fait la distinction entre la zone de régime commun et les espaces attribués à des Etats tiers par un
accord de délimitation conclu avec l’une des parties. Tandis que, dans ce dernier cas, la zone située
au-delà de la frontière ne sera pas comprise dans la zone maritime pertinente, la Cour a indiqué,
dans sa décision, que ce n’était pas nécessairement le cas s’agissant d’une zone de régime commun.
Dans son arrêt de 2012, elle a plutôt fourni des raisons d’ordre pratique pour expliquer pourquoi il
138 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 686, par. 164 et
165.
139 Ibid., p. 685-686, par. 163.
118
119
- 93 -
convenait d’exclure de la zone pertinente la zone de régime commun et les mers territoriales
entourant Serranilla et Bajo Nuevo. Ainsi que la Cour l’a fait observer, la zone de régime commun
et les mers territoriales entourant Serranilla et Bajo Nuevo sont en partie situées au-delà de la limite
de 200 milles marins mesurée à partir des lignes de base du Nicaragua et ne pourraient donc en
aucun cas être incluses dans la zone pertinente. La situation est manifestement différente en la
présente espèce, laquelle porte sur la délimitation du plateau continental au-delà de la limite de
200 milles marins mesurée à partir des lignes de base nicaraguayennes. Tant la zone de régime
commun que les mers territoriales entourant Serranilla et Bajo Nuevo se trouvent en deçà de la
limite extérieure du plateau continental nicaraguayen situé au-delà de la limite de 200 milles
marins.
4.41. Aucune des Parties à l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua
c. Colombie) n’a avancé que la zone maritime pertinente devait englober la zone de régime
commun et les mers territoriales entourant Serranilla et Bajo Nuevo. A la suite de l’arrêt de 2012 et
des événements qui s’en sont ensuivis140, le Nicaragua est parvenu à la conclusion qu’il convenait
de régler le plus complètement possible le statut des droits maritimes générés par Serranilla et
Bajo Nuevo. Le Nicaragua garde à cet égard à l’esprit l’observation faite par la Cour dans son arrêt
de 2012 à propos des droits potentiels de la Jamaïque.
4.42. Le Nicaragua considère que la Cour est en mesure de traiter les questions suivantes
concernant les droits maritimes de Serranilla et Bajo Nuevo. Premièrement, elle est à même de
déterminer les droits à une mer territoriale, à un plateau continental et à une zone économique
exclusive générés par les cayes de Serranilla et Bajo Nuevo. Ces cayes relèvent de la souveraineté
de la Colombie et leur capacité à générer des espaces maritimes est une question qui oppose cet
Etat au Nicaragua ; en outre, une décision à cet égard n’exige pas que la Jamaïque participe à la
présente instance. Si le Nicaragua reconnaît que les cayes de Serranilla et Bajo Nuevo entrent dans
la définition des îles donnée au paragraphe 1 de l’article 121 de la convention des Nations Unies
sur le droit de la mer et que, en tant que telles, elles ont droit à une mer territoriale, il n’en soutient
pas moins que toutes ces cayes sont des rochers au sens du paragraphe 3 de l’article 121 de la
convention141. Comme telles, ces formations n’ont droit ni à une zone économique exclusive ni à
un plateau continental. On peut en conclure que, dans cette zone, la frontière maritime entre le
Nicaragua et la Colombie ne peut être constituée que par un arc de 12 milles marins calculé à partir
de la laisse de basse mer qui borde les cayes. Au vu de ces conclusions quant aux droits maritimes
ainsi générés par les cayes de Serranilla et Bajo Nuevo, les droits auxquels peut prétendre la
Colombie dans la zone de régime commun, au-delà de la mer territoriale de chacune des cayes, ne
sauraient découler de ces droits maritimes et ne peuvent résulter que du régime spécifique établi
par l’accord de 1993 entre la Colombie et la Jamaïque.
4.43. Le Nicaragua priant la Cour de déterminer les droits maritimes des cayes de Serranilla
et Bajo Nuevo et leur frontière maritime à son égard, il considère qu’il convient de prendre en
compte leurs mers territoriales de 12 milles marins pour déterminer l’étendue de la zone pertinente
en vue de la délimitation entre lui-même et la Colombie.
4.44. Dans son arrêt de 2012, compte tenu de ce qu’elle se contentait de délimiter la frontière
maritime entre le Nicaragua et la Colombie jusqu’à la limite nicaraguayenne de 200 milles marins,
la Cour a décidé que la zone pertinente s’étendait jusqu’à cette limite. Dans la présente espèce, la
zone pertinente s’étend au-delà de cette limite, jusqu’à la côte continentale de la Colombie. Les
140 Voir également le mémoire du Nicaragua dans l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains
et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie).
141 Voir ci-dessus par. 4.18.
120
121
- 94 -
limites latérales de cette partie de la zone pertinente sont donc constituées par deux lignes droites
perpendiculaires aux extrémités orientale et occidentale de la côte pertinente colombienne. Ces
deux lignes s’étendent jusqu’au point où elles rejoignent la limite extérieure du plateau continental
nicaraguayen au-delà de la limite de 200 milles marins. A partir de ces points, les limites latérales
de la zone pertinente suivent les frontières maritimes de la Colombie avec le Panama et la Jamaïque
respectivement. La zone pertinente est représentée à la figure 4.11 ci-dessous.
- 95 -
Figure 4.11
La zone pertinente
122
- 96 -
D. CONCLUSION
4.45. La côte pertinente du Nicaragua est constituée par l’intégralité de sa côte continentale,
à l’exception d’une partie de cette côte située au sud de Punta de Perlas (voir figure 4.4). Cette côte
fait face à la zone de chevauchement des revendications et génère, dans celle-ci, un droit à un
plateau continental pour le Nicaragua. Mesurée suivant sa configuration naturelle, cette côte
s’étend approximativement sur 531 kilomètres et, suivant une ligne droite, sur 454 kilomètres.
4.46. La côte pertinente de la Colombie est constituée par sa côte continentale entre
Punta Baru et Cabo de la Vera, à l’exclusion de deux segments côtiers qui ne font pas face à la
zone de chevauchement des droits et des côtes des îles colombiennes de San Andrés et Providencia
et des cayes d’Albuquerque, Bajo Nuevo, Est-Sud-Est, Roncador, Serranilla et Serrana. Mesurée
suivant sa configuration naturelle, la côte continentale de la Colombie s’étend sur 475 kilomètres
et, suivant une ligne droite, sur 453 kilomètres. Le Nicaragua considère que, dans la présente
espèce, compte tenu des sinuosités et de l’irrégularité de la côte continentale colombienne, il
convient de déterminer la longueur de cette côte pertinente à l’aide de cette dernière méthode. Aux
fins de l’application du critère de proportionnalité constituant la troisième étape de l’exercice de
délimitation, la côte pertinente des îles colombiennes mesure 67 kilomètres.
4.47. Si l’intégralité de la côte des îles colombiennes fait partie de la côte pertinente aux fins
de l’application du critère de proportionnalité, elle ne constitue pas la côte pertinente pour d’autres
aspects du processus de délimitation auquel il est demandé à la Cour de procéder. Plus précisément,
en examinant les méthodes appropriées en vue de la délimitation du plateau continental du
Nicaragua au-delà de la limite de 200 milles marins et du plateau continental de la Colombie,
seules les côtes de San Andrés, Providencia et Santa Catalina faisant face à l’est constituent les
côtes pertinentes des îles colombiennes. Les côtes de ces îles mesurent 27 kilomètres suivant leur
configuration naturelle et 20 kilomètres suivant la méthode des lignes droites.
4.48. La Cour est en mesure de traiter deux questions relatives aux espaces maritimes des
cayes situées sur les bancs de Serranilla et Bajo Nuevo. Premièrement, elle est à même de
déterminer leur droit à une mer territoriale, à un plateau continental et à une zone économique
exclusive. Le Nicaragua soutient que toutes ces cayes sont des rochers au sens du paragraphe 3 de
l’article 121 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et que, comme telles, elles
n’ont droit ni à une zone économique exclusive ni à un plateau continental. Deuxièmement, ce
constat permet de conclure que, dans cette zone, la frontière maritime entre le Nicaragua et la
Colombie ne peut être constituée que par un arc de 12 milles marins mesuré à partir de la laisse de
basse mer qui borde les cayes. En conséquence, les droits auxquels peut prétendre la Colombie
dans la zone de régime commun au-delà des mers territoriales des cayes de Serranilla et
Bajo Nuevo ne sauraient découler des droits maritimes ainsi générés par ces cayes et ne peuvent
résulter que du régime spécifique établi par l’accord de 1993 conclu entre elle et la Jamaïque.
4.49. La zone pertinente aux fins de la délimitation du plateau continental du Nicaragua
au-delà de la limite de 200 milles marins et du plateau continental de la Colombie est constituée par
la zone située entre les côtes continentales des Parties. Les limites latérales de la zone pertinente
sont en grande partie définies par les frontières maritimes entre la Colombie et des Etats tiers. La
zone pertinente est représentée à la figure 4.11.
123
124
- 97 -
CHAPITRE 5
DÉLIMITATION DU PLATEAU CONTINENTAL
AU-DELÀ DE 200 MILLES MARINS
5.1. Dans le présent chapitre, le Nicaragua expose sa demande relative à la délimitation de la
portion du plateau continental située au-delà de 200 milles marins.
5.2. Pour les motifs énoncés au chapitre 1, cette demande doit être rapprochée de celles que
le Nicaragua a formulées dans le cadre de la procédure initiale et doit être examinée à la lumière de
l’arrêt rendu par la Cour en 2012. En effet, il n’est pas possible de déterminer isolément la solution
équitable s’agissant de délimiter le plateau continental au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne.
5.3. Dans cette optique et dans le droit fil de la méthode en trois étapes employée par la
Cour, la section I du présent chapitre traite de l’établissement d’une ligne de délimitation provisoire
adaptée aux circonstances géographiques de l’espèce. La section II est consacrée à la question des
circonstances pertinentes et montre qu’il n’y a pas de raisons d’ajuster la ligne de délimitation
provisoire décrite à la section I. Enfin, la section III traite de la vérification de l’absence de
disproportion et montre que la délimitation proposée par le Nicaragua produit manifestement une
solution équitable.
A. ETABLISSEMENT DE LA LIGNE DE DÉLIMITATION PROVISOIRE
5.4. Le Nicaragua a démontré au chapitre 4 que, au vu de l’arrêt rendu par la Cour en 2012,
la zone pertinente comprend l’ensemble des espaces maritimes situés entre sa côte et la côte
continentale de la Colombie, à l’exclusion de ceux où les intérêts d’Etats tiers seraient en jeu142.
Cette zone est illustrée à la figure 4.11.
5.5. La figure 4.11 met en évidence une lapalissade : les territoires terrestres qui dominent la
zone pertinente sont les côtes continentales des deux Parties. La principale question que la Cour
doit encore trancher est donc celle de la délimitation a) de la portion du plateau continental du
Nicaragua située au-delà de 200 milles marins et b) du plateau continental de 200 milles marins
généré par la côte continentale colombienne.
5.6. Les îles colombiennes de San Andrés et de Providencia/Santa Catalina génèrent
également des droits sur le plateau continental qui viennent chevaucher ceux du Nicaragua, mais,
dans son arrêt de 2012, la Cour a déjà concrètement délimité le plateau continental de ces petites
îles situées en pleine mer en leur attribuant des espaces permettant de parvenir à une solution
équitable143. Ces espaces sont plus que suffisants pour répondre aux exigences du droit
international coutumier énoncées au paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM.
142 Voir chap. 4 ci-dessus.
143 Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 714, croquis
no 11 : tracé de la frontière maritime.
125
126
- 98 -
5.7. Le Nicaragua s’attachera donc en premier lieu à déterminer les droits respectifs générés
par les côtes continentales des Parties sur le plateau continental. En second lieu, et venant s’insérer
dans ce cadre, il traitera de la limite de son plateau continental en relation avec San Andrés et
Providencia.
5.8. Selon le Nicaragua, la première étape consiste, comme il a été dit en l’affaire de la
Délimitation maritime en mer Noire, à «établir une ligne de délimitation provisoire en utilisant des
méthodes objectives d’un point de vue géométrique et adaptées à la géographie de la zone dans
laquelle la délimitation doit être effectuée»144.
5.9. La question cruciale qu’il convient de trancher d’entrée de jeu consiste dès lors à définir
la ligne de délimitation provisoire appropriée sur la base de «méthodes objectives d’un point de vue
géométrique et adaptées à la géographie de la zone».
5.10. A cet effet, il faut tenir compte des deux caractéristiques fondamentales qui distinguent
la géographie de la zone dans laquelle la délimitation doit être effectuée : a) la prédominance des
projections des côtes continentales des Parties ; b) le fait que la portion du plateau continental à
laquelle le Nicaragua peut prétendre au-delà de 200 milles marins chevauche le plateau continental
de 200 milles marins de la Colombie généré par sa côte continentale.
5.11. Dans son arrêt de 2012, la Cour a relevé que «la délimitation consist[e] à résoudre la
question du chevauchement des revendications en traçant une ligne de séparation entre les espaces
maritimes concernés»145.
5.12. En conséquence, le Nicaragua estime que la ligne de délimitation provisoire appropriée
en l’espèce serait une ligne d’équidistance divisant la zone où se chevauchent la portion du plateau
continental à laquelle il peut prétendre au-delà de 200 milles marins et le plateau continental de la
Colombie en deçà de 200 milles marins de la côte continentale colombienne. Illustrée à la
figure 5.1, cette ligne est équidistante des points les plus proches de la limite extérieure du plateau
continental de chacune des Parties.
144 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 116.
145 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 674-675, par. 141.
127
- 99 -
Figure 5.1
Ligne de délimitation provisoire entre les côtes continentales des Parties
Légende
Miskito Cays = Cayes des Miskitos
Quitasueño Cay = Caye de Quitasueño
Serrana Cay = Caye de Serrana
Roncador Cay = Caye de Roncador
East Southeast Cays = Cayes de l’Est-Sud-Est
Corn Islands = Iles du Maïs
Alburquerque Cays = Cayes d’Albuquerque
Monkey Pt = Punta del Mono
Colombia mainland 200M = 200 M de la côte continentale colombienne
Line of equal division = Ligne de division en parts égales
Nicaragua’s outer continental shelf limit = Limite extérieure du plateau continental nicaraguayen
128
- 100 -
5.13. Outre son objectivité du point de vue géométrique, cette ligne présente l’avantage
d’accorder à la portion du plateau continental à laquelle le Nicaragua peut prétendre au-delà de
200 milles marins le même traitement qu’au plateau continental de 200 milles marins qui revient de
plein droit à la Colombie. Conformément à l’article 76 de la CNUDM, elle n’accorde une priorité
a priori ni au droit du Nicaragua à la portion du plateau continental qui constitue le «prolongement
naturel» de son territoire terrestre ni au droit à un plateau continental dont la Colombie jouit sur le
fondement de la distance.
5.14. Comme il a été expliqué au chapitre 2, il n’existe en droit qu’un seul plateau
continental146. Ni la convention ni le droit international coutumier ne permettent d’accorder la
primauté au droit d’un Etat côtier à un plateau continental en deçà de 200 milles marins par rapport
au droit d’un autre Etat côtier à un plateau continental au-delà de cette distance.
5.15. Le paragraphe 1 de l’article 76 de la convention — dont la Cour a expressément dit
qu’il faisait partie du droit coutumier147 — est ainsi libellé :
«Le plateau continental d’un Etat côtier comprend les fonds marins et leur
sous-sol au-delà de sa mer territoriale, [soit 1)] sur toute l’étendue du prolongement
naturel du territoire terrestre de cet Etat jusqu’au rebord externe de la marge
continentale, … [soit 2)] jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir
desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la
marge continentale se trouve à une distance inférieure.»
5.16. Il existe donc deux critères distincts mais égaux qui sont utilisés pour déterminer les
limites du droit des Etats côtiers à un plateau continental : a) le critère du prolongement naturel et
b) celui de la distance. Aucune des dispositions de l’article 76 n’accorde la priorité à l’un par
rapport à l’autre.
5.17. L’article 83, qui régit la délimitation du plateau continental, ne distingue pas non plus
entre les zones du plateau continental situées en deçà de 200 milles marins et celles qui se trouvent
au-delà de cette distance. Il se borne à exiger que toute délimitation aboutisse à une solution
équitable, sans tenir compte du fondement des droits des Etats côtiers concernés.
5.18. Etant donné qu’il n’existe pas de base juridique permettant d’accorder priorité au droit
d’une partie à un plateau continental par rapport à celui de l’autre, la ligne de délimitation
provisoire proposée par le Nicaragua donne effet au :
«critère à propos duquel l’équité est de longue date considérée comme un caractère
rejoignant la simplicité : à savoir le critère qui consiste à viser en principe — en tenant
compte des circonstances spéciales de l’espèce — à une division par parts égales des
zones de convergence et de chevauchement des projections marines des côtes des
Etats»148.
146 Voir par. 2.21 ci-dessus.
147 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II)°, p. 666, par. 118
(«[La Cour] considère que la définition du plateau continental énoncée au paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM fait
partie du droit international coutumier.»)
148 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 327, par. 195.
129
130
- 101 -
5.19. En ce qui concerne la question incidente des îles colombiennes de San Andrés et
Providencia/Santa Catalina, le Nicaragua considère que la délimitation ne doit pas s’opérer de
manière à leur attribuer une portion du plateau continental au-delà de la limite de ses 200 milles
marins. Dans son arrêt de 2012, la Cour a déjà attribué aux îles colombiennes des droits très vastes
sur le plateau continental, qui s’étendent le long d’un corridor de 82 milles marins de large jusqu’à
la limite de 200 milles marins mesurée à partir des lignes de base du Nicaragua. Cette limite se
situe à environ 124 et 112 milles marins à l’est des îles de San Andrés et Providencia
respectivement. L’espace maritime déjà attribué à ces îles et aux enclaves établies dans la mer
territoriale autour des cayes de Quitasueño et de Serrana atteint une superficie totale de
48 750 kilomètres carrés149.
5.20. Attendu que les droits dont la Colombie jouit dans cette zone sont générés par des
formations maritimes que la Cour elle-même a qualifiées de «quelques petites îles très éloignées les
unes des autres»150, il n’est pas nécessaire d’étendre davantage le plateau continental de San Andrés
et Providencia ; celui-ci ne doit pas s’étendre à l’est de la limite de 200 milles marins du Nicaragua.
5.21. Enfin, comme indiqué au chapitre 4, une question que la Cour n’a pas tranchée dans
son arrêt de 2012 concerne la frontière maritime du Nicaragua avec les zones colombiennes de la
caye de Serranilla et de Bajo Nuevo151. Pour les motifs qu’il a exposés dans ce chapitre, le
Nicaragua juge opportun que la Cour délimite à présent sa frontière maritime avec la Colombie
dans les environs de ces deux formations. Pour définir cette frontière, il convient de toute évidence
de tracer dans la mer territoriale une enclave de 12 milles marins autour de Serranilla et de Bajo
Nuevo, ces formations constituant des rochers au sens du paragraphe 3 de l’article 121 de la
convention.
5.22. La figure 5.2 est une reproduction de photos de Serranilla et de Bajo Nuevo tirées de la
duplique produite par la Colombie en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua
c. Colombie)152. Les deux formations sont comparables à Roncador et aux cayes de l’Est-Sud-Est,
comme le montre la figure 5.3, constituée de photos également tirées de cette même duplique de la
Colombie153. Elles ne sont de toute évidence pas plus importantes que Roncador ou les cayes de
l’Est-Sud-Est ni ne se prêtent plus que ces dernières à l’habitation humaine ou à la vie économique.
149 La superficie restante est de 42 836 kilomètres carrés si l’on exclut les enclaves établies dans la mer
territoriale autour de Quitasueño et de la caye de Serrana.
150 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 704, par. 215.
151 Voir par. 4.16 ci-dessus.
152 Voir duplique de la Colombie, p. 93.
153 Voir ibid., p. 91.
131
- 102 -
Figure 5.2
Cayes de Serranilla et Bajo Nuevo
Légende
Serranilla Cay = Caye de Serranilla
Colombian Marines based on Serranilla Cay = Fusiliers de la marine colombienne basés sur la caye de
Serranilla
Bajo Nuevo’s light tower = Phare de Bajo Nuevo
Reproduced from Colombia’s Counter Memorial in
Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v
Colombia) Figures 2.9 and 2.10
= Photos tirées du contre-mémoire produit par la
Colombie en l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie), figures 2.9 et 2.10
132
- 103 -
Figure 5.3
Cayes de Roncador et de l’Est-Sud-Est
Légende
East Southeast Bank = Banc de l’Est-Sud-Est
Middle Cay = Caye du milieu
East Cay = Caye de l’Est
Middle Cay (Bolivar Cay) = Caye du milieu (Caye Bolivar)
Heliport = Héliport
Light tower = Phare
Military housing = Casernements
Communications Centre = Centre de communications
Roncador Cay = Caye de Roncador
Facilities on Roncador Cay = Locaux et installations établis sur la caye de Roncador
Communications antenna = Antenne de communication
Reproduced from Colombia’s Counter Memorial in
Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v
Colombia) Figures 2.5 and 2.6
= Photos tirées du contre-mémoire produit par la
Colombie en l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie), figures 2.5 et 2.6
133
- 104 -
5.23. La délimitation provisoire du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie
dans la zone pertinente décrite ci-dessus est illustrée à la figure 5.4.
Figure 5.4
Délimitation provisoire
Légende
Joint regime area = Zone de régime commun (Colombie/Jamaïque)
Miskito Cays = Cayes des Miskitos
London Reef = Récif de Londres
Quitasueño Cay = Caye de Quitasueño
Serrana Cay = Caye de Serrana
Roncador Cay = Caye de Roncador
East Southeast Cays = Cayes de l’Est-Sud-Est
Corn Islands = Iles du Maïs
Alburquerque Cays = Cayes d’Albuquerque
134
- 105 -
B. CIRCONSTANCES PERTINENTES
5.24. La ligne de délimitation provisoire étant établie, la question suivante consiste à savoir
s’il existe des circonstances pertinentes justifiant son ajustement ou son déplacement. De toute
évidence, la réponse est «non». Il n’existe pas de disparités importantes entre les longueurs des
côtes pertinentes des Parties ni d’effet d’amputation injuste ni aucune autre circonstance qui
pourraient rendre inéquitable la ligne de délimitation provisoire décrite ci-dessus.
5.25. Toute amputation qui résulterait du tracé de la ligne de délimitation provisoire est
répartie équitablement entre les Parties. Certes, la Colombie est empêchée d’étendre son plateau
continental jusqu’à la fin de 200 milles marins auxquels elle peut prétendre à partir de sa côte
continentale, mais le Nicaragua aussi est empêché d’atteindre la fin du plateau continental auquel il
peut prétendre, à savoir la limite extérieure de son plateau continental au-delà de 200 milles marins.
5.26. En l’affaire de la Délimitation maritime en mer Noire, la Cour a relevé que «la ligne de
délimitation doit, autant que faire se peut, permettre aux côtes des Parties de produire leurs effets,
en matière de droits à des espaces maritimes, d’une manière raisonnable et équilibrée pour chacune
d’entre elles»154. La ligne de délimitation provisoire établie ci-dessus satisfait à cette exigence.
5.27. Il n’y a pas non plus au voisinage des îles colombiennes d’amputation qui pourrait faire
douter qu’il soit équitable de limiter leurs droits à ceux que la Cour leur a accordés dans son arrêt
de 2012.
5.28. Comme il a été dit plus haut, ces petites îles très éloignées les unes des autres ont déjà
obtenu des droits sur le plateau continental qui couvrent une superficie de 48 750 kilomètres carrés,
laquelle atteint 51 850 kilomètres carrés si l’on y ajoute les enclaves établies dans la mer territoriale
autour de Serranilla et de Bajo Nuevo. Voilà qui est beaucoup plus que suffisant. Pour déterminer
si ce résultat est équitable, il est intéressant de le comparer avec celui obtenu dans les deux cas les
plus voisins offerts par la jurisprudence : l’affaire Saint-Pierre-et-Miquelon et l’arbitrage relatif aux
Iles anglo-normandes.
5.29. San Andrés et Providencia (y compris Santa Catalina) ne représentent ensemble qu’une
superficie de 51 kilomètres carrés. Si l’on y inclut les cayes d’Alburquerque, les cayes de
l’Est-Sud-Est, Roncador, Serrana, Serranilla et Bajo Nuevo, la superficie n’augmente que de
2 kilomètres carrés, portant le territoire terrestre à 53 kilomètres carrés au total. Le rapport de la
superficie des espaces maritimes à celle des espaces terrestres qui en résulte est de près de
1000 pour 1.
5.30. A titre de comparaison, Saint-Pierre-et-Miquelon couvrent ensemble une superficie de
236 kilomètres carrés, soit plus de quatre fois la superficie des possessions insulaires de la
Colombie dans les Caraïbes. Or, dans le résultat final de l’affaire, les îles françaises ne se sont vu
attribuer des droits maritimes qu’à raison de 12 402 kilomètres carrés, soit à peu près le quart de la
superficie attribuée à San Andrés et Providencia. Le rapport de la superficie des espaces maritimes
à celle des espaces terrestres était de 53 pour 1, soit plus de 18 fois moins que dans le cas des îles
colombiennes.
154 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 127, par. 201.
135
136
- 106 -
5.31. La comparaison avec l’arbitrage relatif aux îles anglo-normandes est encore plus
frappante. La superficie de ces îles est de 205 kilomètres carrés. Or, dans sa décision, le tribunal
arbitral a décidé que la solution équitable consistait à leur conférer des droits maritimes sur une
superficie de 6017 kilomètres carrés seulement. Le rapport de la superficie des espaces maritimes à
celle des espaces terrestres qui en résultait était de 29 à 1, soit plus de 30 fois moins que dans le cas
des petites îles colombiennes situées en pleine mer.
5.32. Le Nicaragua fait en outre observer que les droits maritimes conférés aux îles
anglo-normandes s’étendaient uniquement vers le Royaume-Uni, et non vers la France, soit sur une
distance de 12 milles marins en direction du nord-ouest. Le tribunal arbitral est parvenu à ce
résultat alors même que l’enclave de 12 milles marins constituée autour de ces îles n’était séparée
de la ligne d’équidistance tracée entre les côtes continentales des parties et marquant la limite de
leur plateau continental que de 7,5 milles marins à son point le plus proche, comme le montre la
figure 5.5.
Figure 5.5
Plateau continental attribué par le tribunal arbitral aux îles anglo-normandes
en l’affaire Royaume-Uni c. France
Légende
Celtic Sea = Mer Celtique
United Kingdom = Royaume-Uni
Isle of Wight = Ile de Wight
Scilly Isles = Iles Sorlingues
English Channel = Manche
Award = Sentence
Median line = Ligne médiane
12M continental shelf enclave = Enclave de 12 M établie sur le plateau continental
Alderney = Aurigny
Guernsey = Guernesey
Sark = Sercq
Channel Is = Iles anglo-normandes
Maritime area awarded to Channel Islands = Espace maritime attribué aux îles anglo-normandes
Normandy = Normandie
Island of Ushant = Ile d’Ouessant
Brittany = Bretagne
137
- 107 -
5.33. Un résultat analogue conviendrait parfaitement en l’espèce. Il est plus qu’équitable que
l’étendue des droits maritimes de San Andrés et Providencia vers l’est s’arrête à la limite de
200 milles marins du Nicaragua.
5.34. Le principe le plus fondamental de la délimitation maritime, énoncé pour la première
fois par la Cour dans les affaires relatives au Plateau continental de la mer du Nord et répété dans
presque toutes les affaires de délimitation dont la Cour a depuis connu, veut que «la terre domine la
mer»155. Les droits que les Etats acquièrent sur les espaces maritimes découlent de la projection de
leur territoire terrestre vers la mer156. Est tout aussi fondamental le principe selon lequel les côtes
réduites génèrent des droits maritimes moins étendus157.
5.35. En l’espèce, les 53 kilomètres carrés de territoire terrestre de la Colombie dominent
déjà une immense portion de la mer des Caraïbes dans sa partie occidentale. Les «quelques petites
îles très éloignées les unes des autres»158 concernées ne méritent pas une portion du plateau
continental plus importante que celle qu’elles ont déjà obtenue ; elles bénéficient déjà «de droits
raisonnables dans les espaces correspondant aux projections de [leurs] côtes»159. Il serait
inéquitable envers le Nicaragua d’adopter toute autre solution pour leur attribuer une portion
supplémentaire du plateau continental.
5.36. En ce qui concerne la question de la comparaison des longueurs des côtes, le Nicaragua
fait observer que les côtes pertinentes des deux Etats sont à peu près de même longueur. Comme il
a été indiqué au chapitre 4, la côte continentale du Nicaragua a une longueur d’environ
531 kilomètres si l’on suit sa configuration naturelle et 454 kilomètres si elle est mesurée au moyen
d’une ligne droite éliminant toutes les sinuosités160. Quant à la côte continentale pertinente de la
Colombie, elle a une longueur de 475 kilomètres si l’on suit sa configuration naturelle et
453 kilomètres si elle est mesurée au moyen d’une ligne droite. Même si les îles colombiennes sont
prises en considération pour calculer la longueur de la côte pertinente du pays, le résultat ne
changera pas sensiblement161.
155 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 51, par. 96.
156 Voir Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 89, par. 77 ;
Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), «la terre est la source juridique du pouvoir qu’un Etat peut exercer dans les prolongements
maritimes» (arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 51, par. 96). De même, dans l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), la Cour a fait observer que «c’est la côte du territoire de l’Etat qui est déterminante
pour créer le titre sur les étendues sous-marines bordant cette côte» (Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe
libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 61, par. 73).
157 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 49-50, par. 91.
158 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 704, par. 215.
159 Ibid., par. 216.
160 Voir par. 4.8 et fig. 4.4 ci-dessus. Voir aussi Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 678, par. 145.
161 Comme il a été indiqué au paragraphe 4.17 ci-dessus, seules les côtes de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina orientées vers l’est constituent des côtes pertinentes pour les besoins de la deuxième étape du processus de
délimitation. Leur longueur est d’environ 27 kilomètres si l’on suit leur configuration naturelle et 20 kilomètres si elle est
mesurée au moyen d’une ligne droite.
138
- 108 -
5.37. Les longueurs des côtes pertinentes des Parties étant à peu près égales, il n’y a pas de
disparité susceptible de justifier l’ajustement de la ligne de délimitation provisoire. A cet égard, le
Nicaragua relève que, dans l’affaire de la Délimitation maritime en mer Noire, la Cour a conclu que
l’écart entre la longueur de la côte ukrainienne et celle de la côte roumaine, qui étaient dans un
rapport de 2,8 à 1 en faveur de l’Ukraine, n’était pas suffisant pour constituer une circonstance
pertinente162. Il en va de même a fortiori pour le cas présent où l’écart est beaucoup plus réduit.
5.38. Il n’existe dès lors pas de circonstances pertinentes susceptibles de justifier un
quelconque accroissement de l’espace déjà attribué aux îles colombiennes par la Cour dans son
arrêt de 2012.
C. VÉRIFICATION DE L’ABSENCE DE DISPROPORTION
5.39. Lors de la troisième et dernière étape du processus de délimitation, la Cour se doit de
rechercher si la ligne de délimitation établie par application des règles régissant les deux premières
étapes «n’entraîne pas de disproportion marquée entre les longueurs respectives des côtes et les
espaces répartis par ladite ligne»163.
5.40. Il est de jurisprudence constante que le but de cette opération
«consiste non pas à diviser la zone pertinente entre les Parties selon le rapport existant
entre les longueurs respectives de leurs côtes pertinentes, ne serait-ce
qu’approximativement, mais bien à éviter toute disproportion de nature à «entacher»
le résultat et à le rendre inéquitable»164.
Il est également de jurisprudence constante que la comparaison du rapport existant entre les
longueurs respectives des côtes pertinentes avec celui qui existe entre les superficies respectives
des espaces pertinents est «une question que la Cour doit examiner au cas par cas, à la lumière de la
géographie de la région dans son ensemble»165.
5.41. Si la zone pertinente est divisée suivant le tracé proposé par le Nicaragua, celui-ci
obtiendra 229 500 kilomètres carrés de plateau continental et la Colombie, y compris ses îles
situées en haute mer, 233 600 kilomètres carrés166. Le rapport entre ces superficies est, pour des
raisons pratiques, de 1 à 1. Les longueurs des côtes pertinentes des Parties étant à peu près égales,
la délimitation proposée par le Nicaragua ne crée aucune disproportion qui soit de nature à entacher
le résultat et à le rendre inéquitable, ni même d’ailleurs aucune disproportion. Les résultats détaillés
de l’analyse tendant à vérifier l’absence de disproportion sont présentés à la figure 5.6. Il en
découle que la délimitation proposée par le Nicaragua résiste facilement à l’épreuve de la
vérification de l’absence de disproportion et permet d’aboutir à la solution équitable requise par le
droit applicable.
162 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 117-118, par. 168, et
p. 130, par. 215.
163 Ibid., p. 129, par. 210.
164 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 716, par. 242.
165 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 129, par. 213.
166 Ce chiffre inclut la superficie des enclaves établies dans la mer territoriale autour de Serranilla et Bajo Nuevo.
139
140
- 109 -
Figure 5.6
Délimitation finale et analyse tendant à vérifier
l’absence de disproportion
141
- 110 -
Légende
Joint regime area = Zone de régime commun (Colombie/Jamaïque)
Miskito Cays = Cayes des Miskitos
London Reef = Récif de Londres
Quitasueño Cay = Caye de Quitasueño
Serrana Cay = Caye de Serrana
Roncador Cay = Caye de Roncador
454 km (straight lines) = 454 km (lignes droites)
67 km (all the cays) = 67 km (toutes les cayes)
East Southeast Cays = Cayes de l’Est-Sud-Est
Corn Islands = Iles du Maïs
Alburquerque Cays = Cayes d’Albuquerque
Coasts = Longueur des côtes
Colombia = 453 km (520 km with islands) = Colombie = 453 km (520 km avec les îles)
Nicaragua = 454 km = Nicaragua = 454 km
Coastal ratio = 1:1.0 (1:1.1 with islands) = Rapport = 1 à 1,0 (1 à 1,1 avec les îles)
Areas = Superficies
Colombia = 233,600 km2 (including enclaves) = Colombie = 233 600 km2 (y compris les enclaves)
Nicaragua = 229,500 km2 = Nicaragua = 229 500 km2
Area ratio = 1:1.0 = Rapport = 1 à 1,0
453 km (straight lines) = 453 km (lignes droites)
5.42. En conséquence, la limite du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie
dans la zone située au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne mais en deçà de
200 milles marins de la côte continentale colombienne est constituée de lignes géodésiques reliant
les points d’inflexion énumérés au tableau 5.1 (toutes les coordonnées ont été établies sur la base
du système WGS 84 (système géodésique mondial de 1984)).
Tableau 5.1
Point Latitude Longitude
1 14° 43' 20,6" N 74° 34' 49,1" O
2 14° 21' 53,4" N 75° 15' 39,3" O
3 13° 59' 29,8" N 76° 5' 15,6" O
4 13° 51' 26,0" N 76° 21' 57,1" O
5 13° 46' 6,1" N 76° 35' 44,9" O
6 13° 42' 31,1" N 76° 41' 20,33" O
7 12° 41' 56,9" N 77° 32' 27,4" O
8 12° 15' 38,3" N 77° 47' 56,3" O
5.43. Quant à la limite du plateau continental de San Andrés et de Providencia, elle suit la
limite de 200 milles marins mesurée à partir de la ligne de base de la mer territoriale du Nicaragua.
Deux arcs de 200 milles marins marquent la ligne de délimitation mesurée respectivement à partir
des points de la laisse de basse mer du récif de Londres au nord et de celle de la petite île du Maïs
au sud qui sont indiqués ci-après :
Récif de Londres : 14° 19' 10,1" de latitude nord 82° 35' 25,3" de longitude ouest
Petite île du Maïs : 12° 16' 31,9" de latitude nord 82° 58' 15,8" de longitude ouest
142
- 111 -
5.44. La ligne qui en résulte est constituée d’arcs de 200 milles marins joignant les points
énumérés au tableau 5.2 (A et B étant les points que la Cour a définis dans son arrêt de 2012
comme points terminaux des lignes marquant les limites nord et sud de l’espace maritime attribué à
la Colombie à raison de ses îles maritimes ; C est le point d’intersection de ces arcs167).
Tableau 5.2
Point Latitude Longitude
A 13° 46' 35,7" N 79° 12' 23,1" O
C 12° 42' 24,1" N 79° 34' 4,7" O
B 12° 24' 9,4" N 79° 34' 4,7" O
5.45. Enfin, les enclaves de 12 milles marins établies dans la mer territoriale autour de
Serranilla et de Bajo Nuevo sont tracées sous forme d’arcs de 12 milles marins axés sur des points
dont les coordonnées sont respectivement les suivantes : 15° 47' 50" de latitude nord et 79° 51' 20"
de longitude ouest ; 15° 51' 00" de latitude nord et 78° 38' 00" de longitude ouest. Toutes ces
coordonnées ont été établies sur la base du système WGS 84.
5.46. La figure 5.7 illustre la délimitation qui en résulte, marquée de tous les points
pertinents.
167 A la date de l’arrêt de 2012, le Nicaragua n’avait pas encore adopté de texte définissant les lignes de base à
partir desquelles devait être mesurée la largeur de sa mer territoriale. Il n’était dès lors pas possible à la Cour d’indiquer
avec précision l’emplacement des points A et B. Depuis lors, le Nicaragua a adopté une loi qui définit ses lignes de base.
Les coordonnées des points A et B figurant dans le tableau ci-dessus ont été déterminées à la lumière de ces lignes de
base.
143
- 112 -
Figure 5.7
Délimitation finale
144
- 113 -
Légende :
Joint regime area = Zone de régime commun (Colombie/Jamaïque)
Miskito Cays = Cayes des Miskitos
London Reef = Récif de Londres
Quitasueño Cay = Caye de Quitasueño
Serrana Cay = Caye de Serrana
Roncador Cay = Caye de Roncador
East Southeast Cays = Cayes de l’Est-Sud-Est
Corn Islands = Iles du Maïs
Alburquerque Cays = Cayes d’Albuquerque
- 114 -
CONCLUSIONS
Pour les raisons exposées dans le présent mémoire, la République du Nicaragua prie la Cour
de dire et juger que :
1. Dans les zones du plateau continental qui relèvent respectivement du Nicaragua et de la
Colombie au-delà de la frontière fixée par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012, la frontière
maritime entre ces deux Etats suit des lignes géodésiques reliant les points dont les coordonnées
sont les suivantes :
Point Latitude Longitude
1 14° 43' 20,6" N 74° 34' 49,1" O
2 14° 21' 53,4" N 75° 15' 39,3" O
3 13° 59' 29,8" N 76° 5' 15,6" O
4 13° 51' 26,0" N 76° 21' 57,1" O
5 13° 46' 6,1" N 76° 35' 44,9" O
6 13° 42' 31,1" N 76° 41' 20,33" O
7 12° 41' 56,9" N 77° 32' 27,4" O
8 12° 15' 38,3" N 77° 47' 56,3" O
2. Les îles de San Andrés et Providencia ont droit à un plateau continental jusqu’à une ligne
constituée d’arcs de 200 milles marins partant des lignes de base à partir desquelles est mesurée la
mer territoriale du Nicaragua, ligne qui relie les points ayant les coordonnées suivantes :
Point Latitude Longitude
A 13° 46' 35,7" N 79° 12' 23,1" O
C 12° 42' 24,1" N 79° 34' 4,7" O
B 12° 24' 9,4" N 79° 34' 4,7" O
3. Serranilla et Bajo Nuevo sont enclavées et bénéficient chacune d’une mer territoriale de
12 milles marins.
Toutes les coordonnées ont été établies sur la base du système géodésique mondial (WGS)
1984.
La Haye, le 28 septembre 2016.
L’agent de la République du Nicaragua,
(Signé) Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
___________
145
146
- 115 -
ATTESTATION
J’ai l’honneur de certifier que le présent mémoire et les documents y annexés sont des copies
exactes et conformes des documents originaux et que les traductions anglaises établies par la
République du Nicaragua sont exactes.
La Haye, le 28 septembre 2016.
L’agent de la République du Nicaragua,
(Signé) Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
___________
147
- 116 -
LISTE DES ANNEXES
Page
Documents
Annexe 1 Lettre en date du 27 novembre 2012 adressée au secrétaire général de
l’Organisation des Etats américains par la Colombie (GACIJ no 79357)
117
Annexe 2 Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la dénonciation du
pacte de Bogotá, 28 novembre 2012
118
Annexe 3 Note S-DM-13-014681 en date du 22 avril 2013 (annexe à la note verbale
datée du 29 avril 2013, adressée au Secrétaire général par la mission
permanente de la Colombie auprès de l’Organisation des Nations Unies ;
doc. A/67/852 en date du 2 mai 2013)
119
Annexe 4 Lettre (REF : S-GACIL-13-044275) en date du 1er novembre 2013 adressée
au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par la ministre
des affaires étrangères de la Colombie
122
Article de presse
Annexe 5 «La ministre des affaires étrangeres de la Colombie qualifie d’ennemie la Cour
de La Haye», El Nuevo Herald, 28 novembre 2012
123
Figures
Annexe 6 Compilation des figures ⎯ Mémoire de la République du Nicaragua en
l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau continental
entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne [annexe non reproduite]
___________

Document file FR
Document Long Title

Mémoire du Nicaragua

Disclaimer

À l’ouverture de la procédure orale le 5 décembre 2022, la Cour, après avoir consulté les Parties et au vu de la portée de la procédure orale, avait décidé, en application du paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, de ne pas rendre les pièces de procédure et documents y annexés accessibles au public. A la suite du prononcé de l’arrêt le 13 juillet 2023, les Parties ont été invitées à faire connaître leurs vues sur la question de l’accessibilité au public des pièces de procédure (mémoire du Nicaragua, contre-mémoire de la Colombie, réplique du Nicaragua et duplique de la Colombie) et des documents y annexés déposés en l’affaire. Après avoir dûment examiné la question, la Cour a décidé de rendre ces pièces et documents accessibles au public, avec certaines exceptions. Par souci de clarté, la page de couverture de chaque document omis contient la mention « non reproduit ».

Links