Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Koroma

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180-20231117-ORD-01-02-EN
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180-20231117-ORD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC KOROMA
[Traduction]
Mesures conservatoires devant servir un objectif  Protection et sauvegarde des droits de chacune des Parties — Décision quant à l’opportunité d’indiquer des mesures conservatoires devant tenir compte des « circonstances » au sens de l’article 41 du Statut de la Cour — Mesures conservatoires devant faciliter la possibilité de parvenir à la paix et à la stabilité — Cour devant veiller à la légitimité et au respect des mesures conservatoires éventuellement indiquées — Mesures conservatoires n’ayant pas lieu d’être indiquées au vu des engagements pris en l’espèce.
1. C’est avec un profond regret, compte tenu de la dimension humanitaire associée à la demande en indication de mesures conservatoires  la cinquième en l’espèce , que je ne puis souscrire à la présente ordonnance.
2. Une ordonnance en indication de mesures conservatoires doit servir un objectif de sorte que, par son exécution, les droits de chacune des Parties soient sauvegardés et protégés. En l’espèce, étant donné son rôle en tant qu’organe de la Charte des Nations Unies dont l’un des principaux buts est le règlement pacifique des différends, la Cour, si elle estimait qu’il y avait lieu d’indiquer des mesures conservatoires, devait commencer par apprécier les « circonstances », comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 41 de son Statut, qui se lit ainsi : « La Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire. »
3. Le 28 septembre 2023, l’Arménie, invoquant cet article 41 et l’article 73 du Règlement, a saisi la Cour d’une demande en indication de mesures conservatoires, la priant de prescrire ce qui suit :
« 1) L’Azerbaïdjan doit s’abstenir de prendre toute mesure qui pourrait emporter manquement aux obligations qu’il tient de la CIEDR.
2) L’Azerbaïdjan doit s’abstenir de tout acte ayant directement ou indirectement pour but ou pour effet de déplacer du Haut-Karabakh les personnes d’origine ethnique arménienne qui s’y trouvent encore, ou d’empêcher le retour sûr et rapide dans leurs foyers des personnes déplacées pendant la récente offensive militaire, notamment celles qui ont fui vers l’Arménie ou des États tiers, tout en permettant à celles qui le souhaitent de quitter le Haut-Karabakh sans entrave.
3) L’Azerbaïdjan doit retirer tous les personnels militaires et policiers de tous les établissements civils du Haut-Karabakh occupés depuis son attaque armée du 19 septembre 2023.
4) L’Azerbaïdjan doit faciliter, et s’abstenir d’entraver d’une quelconque façon, l’accès de l’Organisation des Nations Unies et de ses institutions spécialisées à la population d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh, et s’abstenir de s’ingérer d’une quelconque façon dans leurs activités.
5) L’Azerbaïdjan doit faciliter, et s’abstenir d’entraver d’une quelconque façon, l’intervention du Comité international de la Croix-Rouge pour fournir une aide humanitaire aux personnes d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh, et coopérer avec ce comité pour remédier aux autres conséquences du récent conflit.
- 2 -
6) L’Azerbaïdjan doit immédiatement faciliter le rétablissement complet des services publics dans le Haut-Karabakh, notamment l’approvisionnement en gaz et en électricité, et s’abstenir de les suspendre à l’avenir.
7) L’Azerbaïdjan doit s’abstenir de prendre des mesures punitives contre toute personne qui est actuellement, ou a été par le passé, un représentant politique ou un membre des forces armées du Haut-Karabakh.
8) L’Azerbaïdjan ne doit modifier ni détruire aucun monument à la mémoire du génocide arménien de 1915 ni aucun autre monument ou bien ou site culturel arménien présent dans le Haut-Karabakh.
9) L’Azerbaïdjan doit reconnaître les registres d’état civil, documents d’identité, titres de propriété et registres fonciers établis par les autorités du Haut-Karabakh et leur donner effet, et ne doit pas détruire ni confisquer ces registres et documents.
10) L’Azerbaïdjan doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour exécuter l’ordonnance en indication de mesures conservatoires dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci, puis tous les trois mois jusqu’à ce que la Cour ait statué définitivement en l’affaire. » (Ordonnance, par. 21.)
4. Par lettre en date du 2 octobre 2023, l’Azerbaïdjan a apporté une « première réponse » à la demande de l’Arménie, expliquant qu’il avait déclenché, afin de répondre à de graves menaces pour la sécurité au Haut-Karabakh, des mesures de lutte contre le terrorisme qui visaient exclusivement des cibles militaires arméniennes et qui avaient pris fin le lendemain avec un cessez-le-feu. Peu après l’opération, et avec la promesse d’un cessez-le-feu complet, le président de l’Azerbaïdjan a dit clairement que les habitants d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh étaient les bienvenus en Azerbaïdjan et qu’ils jouissaient des mêmes droits que les autres ressortissants.
5. Au terme de la procédure orale, conformément au paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement, l’Azerbaïdjan a demandé que soit rejetée, pour les raisons exposées à l’audience, la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Arménie.
6. Au cours de la procédure orale, l’Azerbaïdjan a déclaré que, conscient des conclusions auxquelles la Cour était déjà parvenue au sujet des « droits plausibles » de l’Arménie dans l’instance, il admettait sans réserve qu’il avait — pour autant que l’une quelconque des obligations découlant de la CIEDR entrât en jeu — « la responsabilité, et à présent la capacité, d’assurer la protection sur son territoire de tout droit applicable et plausible ». Il a dit que c’était dans ce contexte que son agent avait pris, en audience publique, un ensemble d’engagements formels au nom de son gouvernement, lesquels protégeaient selon lui de manière exhaustive les droits allégués :
« a) L’Azerbaïdjan s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour garantir, sans distinction fondée sur l’origine ethnique ou nationale :
a) la sécurité des habitants au Garabagh, y compris en veillant à la sûreté de leur personne et en subvenant à leurs besoins humanitaires, notamment par :
i) l’approvisionnement du Garabagh en denrées alimentaires, médicaments et autres produits de première nécessité ;
ii) l’accès aux soins médicaux disponibles ; et
- 3 -
iii) le maintien des services publics, notamment l’approvisionnement en gaz et en électricité ;
b) le droit des habitants du Garabagh de circuler librement et de choisir leur lieu de résidence, y compris en permettant le retour sûr et rapide de ceux qui choisissent de regagner leur foyer, et le départ sûr et sans obstacle de tous ceux qui veulent quitter le Garabagh ; et
c) la protection des biens des personnes qui ont quitté le Garabagh.
b) L’Azerbaïdjan s’engage également à faciliter :
a) l’accès du CICR, ainsi que les activités du Comité, avec lequel l’Azerbaïdjan s’engage à coopérer pour que l’aide humanitaire parvienne au Garabagh ; et
b) les inspections effectuées par l’ONU, de sorte que l’Organisation puisse se rendre au Garabagh afin de faire des recommandations sur les mesures à prendre pour pourvoir aux besoins humanitaires, socioéconomiques et autres dans cette région ;
c) L’Azerbaïdjan s’engage à protéger et à ne pas endommager ou détruire les monuments, artefacts et sites culturels au Garabagh.
d) L’Azerbaïdjan s’engage à protéger et à ne pas détruire les documents et registres liés à l’enregistrement, à l’identité, et/ou à la propriété privée qui se trouvent au Garabagh. » (CR 2023/22, p. 22-23, par. 61 (Mammadov).)
7. À la lumière des engagements susmentionnés, l’Azerbaïdjan a prié la Cour de rejeter la demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie.
8. Au paragraphe 62 de l’ordonnance, la Cour admet que les engagements pris par l’agent de l’Azerbaïdjan créent des obligations juridiques. Elle rappelle en outre que « les États intéressés peuvent tenir compte des déclarations unilatérales et tabler sur elles ; ils sont fondés à exiger que l’obligation ainsi créée soit respectée » (Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46) ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49). La Cour convient aussi que, « [d]ès lors qu’un État a pris un tel engagement quant à son comportement, il doit être présumé qu’il s’y conformera de bonne foi » (Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 158, par. 44).
9. Dans la présente ordonnance, la Cour convient également que les engagements de l’agent de l’Azerbaïdjan, qui ont été énoncés publiquement devant elle, et de manière précise et détaillée, visent à remédier à la situation dans laquelle se trouvent les personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne au Haut-Karabakh depuis l’opération menée par l’Azerbaïdjan dans la région le 19 septembre 2023, et qu’ils sont pris au nom du Gouvernement de l’Azerbaïdjan, sont contraignants et créent des obligations juridiques à la charge de cet État.
10. En même temps, la Cour relève que, si nombre des engagements de l’Azerbaïdjan répondent aux préoccupations exprimées dans la cinquième demande par l’Arménie, ils ne correspondent cependant pas à tous égards aux mesures sollicitées par celle-ci.
- 4 -
11. Sur la base de ce raisonnement, la Cour décide d’indiquer certaines mesures conservatoires pour protéger les droits revendiqués par l’Arménie. Considérant qu’il n’est point besoin d’indiquer toutes les mesures demandées par l’Arménie ni d’indiquer des mesures identiques à celles qui sont sollicitées, elle conclut néanmoins que l’Azerbaïdjan, conformément aux obligations qu’il tient de la CIEDR, doit :
« i) veiller à ce que toute personne qui aurait quitté le Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait y retourner soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ;
ii) veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait en partir soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ; et
iii) veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 ou qui y serait retournée et qui souhaiterait y rester ne fasse pas l’objet de recours à la force ou d’intimidation susceptible de l’inciter à fuir » (ordonnance, par. 74 1)).
À cet égard, il me semble que les critères requis en droit n’ont pas été appliqués au moment de déterminer s’il y avait lieu d’indiquer ces mesures.
12. Au cours de la procédure, aucun élément n’a été présenté à la Cour qui prouve que les personnes qui seraient restées au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiteraient en partir ne soient pas en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement. De même, il n’a pas été démontré que les personnes qui auraient quitté le Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiteraient y retourner ne soient pas en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement, ni que les personnes qui seraient restées au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 ou qui y seraient retournées et qui souhaiteraient y rester fassent l’objet de recours à la force ou d’intimidation susceptible de les inciter à fuir.
13. Au paragraphe 71 de l’ordonnance, la Cour « estime que l’Azerbaïdjan doit lui présenter un rapport sur les dispositions qu’il aura prises pour donner effet aux mesures conservatoires indiquées et aux engagements » pris par son agent.
14. L’Azerbaïdjan n’est pas Carthage et il n’y a pas lieu, dans les circonstances, d’imposer une paix carthaginoise.
15. Je suis d’avis que, plutôt que d’indiquer les mesures susmentionnées, la Cour aurait dû appliquer l’article 41 du Statut qui exigeait qu’elle prît en considération les circonstances, lesquelles auraient commandé de n’indiquer aucune mesure conservatoire.
16. Les mesures conservatoires sont contraignantes et produisent des effets juridiques.
17. Selon moi, les circonstances que la Cour aurait dû prendre en considération conformément au paragraphe 1 de l’article 41 du Statut devaient inclure la « première réponse » que l’Azerbaïdjan a apportée dans la lettre du 2 octobre 2023 concernant la cinquième demande, à savoir que les mesures qu’il avait déclenchées le 19 septembre avaient pris fin le lendemain avec l’assurance d’un cessez-le-feu complet. Il est également indiqué dans cette lettre que le président de l’Azerbaïdjan a clairement dit que les habitants d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh étaient les
- 5 -
bienvenus en Azerbaïdjan et qu’ils jouissaient des mêmes droits que les autres ressortissants. Le président a fait également une série de déclarations les 20, 27 et 29 septembre 2023 au sujet de la protection et de la réintégration des habitants arméniens de la région.
18. La Cour aurait aussi dû tenir compte du fait que l’agent de l’Azerbaïdjan a pris urbi et orbi, devant elle à l’audience du 12 octobre 2023, au nom de son gouvernement, des engagements qui, comme elle le dit, créent des obligations juridiques à la charge de l’Azerbaïdjan et sont contraignants à son égard. Ainsi, au lieu d’adopter ce qui semble être une approche transactionnelle, dans le sens où étant saisie d’une demande en indication de mesures conservatoires et compte tenu des circonstances nouvelles elle doit être vue comme apportant quelque satisfaction au demandeur, la Cour aurait dû s’attacher à ce qui est d’une importance fondamentale à ce stade, à savoir assurer la protection des droits des personnes touchées par le conflit depuis l’opération du 19 septembre 2023 et veiller à ce que l’Azerbaïdjan respecte les engagements qu’il a pris.
19. La Cour aurait dû fonder sa décision sur l’application des dispositions pertinentes du Statut et être guidée par sa jurisprudence, qui veut que « [d]ès lors que la Cour a constaté qu’un État a pris un engagement quant à son comportement futur, il n’entre pas dans sa fonction d’envisager que cet État ne le respecte pas » (Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 272, par. 60). De plus, les engagements de l’Azerbaïdjan étaient clairs, précis et sans équivoque, et ont été communiqués au public auquel ils étaient destinés. Dans un engagement unilatéral, ce que le destinataire entend comprendre de la formulation ou de la validité de cet engagement n’entre pas en jeu. C’est l’intention de l’État faisant la déclaration qui est déterminante.
20. Enfin, la Cour aurait dû rappeler les précédentes mesures conservatoires qu’elle a indiquées en l’espèce, y adjoindre les engagements pris par l’Azerbaïdjan à la présente phase et ordonner que ceux-ci soient exécutés et respectés. Cela serait compatible avec la fonction judiciaire.
21. La Cour n’aurait pas dû envisager que l’Azerbaïdjan ne respecte pas ses engagements, sachant que le Haut-Karabakh est désormais indiscutablement reconnu comme faisant partie du territoire souverain de cet État.
22. Si la Cour avait suivi la voie susmentionnée, il n’y aurait pas eu lieu d’indiquer les mesures contenues dans la présente ordonnance. L’accent aurait dû être mis sur le respect des engagements pris par l’Azerbaïdjan dans la perspective de parvenir à la paix et à la stabilité.
23. Je maintiens qu’à mon sens l’indication de mesures conservatoires doit servir un objectif et que la Cour doit s’attacher au respect et à la légitimité de ces mesures.
24. Je regrette de ne pouvoir non plus approuver l’aspect procédural de la présente ordonnance.
(Signé) Abdul G. KOROMA.
___________

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648
DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC KOROMA
Provisional measures must serve a purpose — Protection and reservation
of the rights of either Party — Whether or not to indicate provisional
measures should take into consideration the “circumstances” in the context
of Article 41 of the Statute of the Court — Provisional measures should
facilitate the prospect of achieving peace and stability — When and if
indicated, the Court should ensure its legitimacy and be interested in its
compliance — In the light of the undertaking made in the current proceedings,
provisional measures should not have been indicated.
1. It is with deep regret, considering the humanitarian dimension involved
in this  the fifth  Request for the indication of provisional measures, that
I cannot support the Order indicating provisional measures.
2. A provisional measures order must serve a purpose with a view to its
compliance in preserving and protecting the rights of either Party. In the
context of this case, given the role of the Court as an organ of the United
Nations Charter, one of whose main objectives is the peaceful settlement of
disputes, if the Court were to consider that provisional measures were to be
indicated, they should be indicated after assessing the “circumstances” as
stipulated in Article 41 (1) of the Statute of the Court, namely:
“The Court shall have the power to indicate, if it considers that
circumstances so require, any provisional measures which ought to be
taken to preserve the respective rights of either party.”
3. On 28 September 2023 Armenia, invoking Article 41 of the Statute and
Article 73 of the Rules of Court, filed a Request for the indication of provisional
measures and asked the Court to indicate the following measures:
“(1) ‘Azerbaijan shall refrain from taking any measures which might
entail breaches of its obligations under the CERD’;
(2) ‘Azerbaijan shall refrain from taking any actions directly or indirectly
aimed at or having the effect of displacing the remaining
ethnic Armenians from Nagorno-Karabakh, or preventing the safe
and expeditious return to their homes of persons displaced in the
course of the recent military attack including those who have fled to
Armenia or third States, while permitting those who wish to leave
Nagorno-Karabakh to do so without any hindrance’;
648
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC KOROMA
[Traduction]
Mesures conservatoires devant servir un objectif — Protection et
sauvegarde des droits de chacune des Parties — Décision quant à
l’opportunité d’indiquer des mesures conservatoires devant tenir compte
des « circonstances » au sens de l’article 41 du Statut de la Cour — Mesures
conservatoires devant faciliter la possibilité de parvenir à la paix et à la
stabilité — Cour devant veiller à la légitimité et au respect des mesures
conservatoires éventuellement indiquées — Mesures conservatoires n’ayant
pas lieu d’être indiquées au vu des engagements pris en l’espèce.
1. C’est avec un profond regret, compte tenu de la dimension humanitaire
associée à la demande en indication de mesures conservatoires  la cinquième
en l’espèce , que je ne puis souscrire à la présente ordonnance.
2. Une ordonnance en indication de mesures conservatoires doit servir un
objectif de sorte que, par son exécution, les droits de chacune des Parties
soient sauvegardés et protégés. En l’espèce, étant donné son rôle en tant
qu’organe de la Charte des Nations Unies dont l’un des principaux buts est le
règlement pacifique des différends, la Cour, si elle estimait qu’il y avait lieu
d’indiquer des mesures conservatoires, devait commencer par apprécier les
« circonstances », comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 41 de son Statut,
qui se lit ainsi :
« La Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances
l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être
prises à titre provisoire. »
3. Le 28 septembre 2023, l’Arménie, invoquant cet article 41 et l’article 73
du Règlement, a saisi la Cour d’une demande en indication de mesures
conservatoires, la priant de prescrire ce qui suit :
« 1) L’Azerbaïdjan doit s’abstenir de prendre toute mesure qui pourrait
emporter manquement aux obligations qu’il tient de la CIEDR.
2) L’Azerbaïdjan doit s’abstenir de tout acte ayant directement ou indirectement
pour but ou pour effet de déplacer du Haut-Karabakh les
personnes d’origine ethnique arménienne qui s’y trouvent encore,
ou d’empêcher le retour sûr et rapide dans leurs foyers des personnes
déplacées pendant la récente offensive militaire, notamment
celles qui ont fui vers l’Arménie ou des États tiers, tout en permettant
à celles qui le souhaitent de quitter le Haut-Karabakh sans
entrave.
649 application of the cerd (diss. op. koroma)
(3) ‘Azerbaijan shall withdraw all military and law-enforcement personnel
from all civilian establishments in Nagorno-Karabakh
occupied as a result of its armed attack on 19 September 2023’;
(4) ‘Azerbaijan shall facilitate, and refrain from placing any impediment
on, the access of the United Nations and its specialized
agencies to the ethnic Armenians of Nagorno-Karabakh, and shall
not interfere with their activities in any way’;
(5) ‘Azerbaijan shall facilitate, and refrain from placing any impediment
on, the ability of the International Committee of the Red Cross
to provide humanitarian aid to the ethnic Armenians of Nagorno-
Karabakh, and shall cooperate with the International Committee of
the Red Cross to address the other consequences of the recent
conflict’;
(6) ‘Azerbaijan shall immediately facilitate the full restoration of public
utilities, including gas and electricity, to Nagorno-Karabakh, and
shall refrain from disrupting them in the future’;
(7) ‘Azerbaijan shall refrain from taking punitive actions against the
current or former political representatives or military personnel of
Nagorno-Karabakh’;
(8) ‘Azerbaijan shall not alter or destroy any monument commemorating
the 1915 Armenian genocide or any other monument or
Armenian cultural artefact or site present in Nagorno-Karabakh’;
(9) ‘Azerbaijan shall recognize and give effect to civil registers, identity
documents and property titles and registers established by the
authorities of Nagorno-Karabakh, and shall not destroy or confiscate
such registers and documents’;
(10) ‘Azerbaijan shall submit a report to the Court on all measures taken
to give effect to this Order within one month, as from the date of this
Order, and thereafter every three months, until a final decision on
the case is rendered by the Court’.” (Order, para. 21.)
4. By a letter dated 2 October 2023, Azerbaijan provided an “initial
response” to the request of Armenia, that it commenced counter-terrorist
measures to acute security threats in Nagorno-Karabakh aimed exclusively
at Armenian military targets and ended a day later with a complete ceasefire.
Shortly after the operation and with the assurance of a complete ceasefire,
the President of Azerbaijan made clear that the residents of Nagorno-
Karabakh of Armenian ethnic origin were welcome in Azerbaijan and enjoyed
the same rights as other Azerbaijan citizens.
application de la ciedr (op. diss. koroma) 649
3) L’Azerbaïdjan doit retirer tous les personnels militaires et policiers
de tous les établissements civils du Haut-Karabakh occupés depuis
son attaque armée du 19 septembre 2023.
4) L’Azerbaïdjan doit faciliter, et s’abstenir d’entraver d’une quelconque
façon, l’accès de l’Organisation des Nations Unies et de ses institutions
spécialisées à la population d’origine ethnique arménienne du
Haut-Karabakh, et s’abstenir de s’ingérer d’une quelconque façon
dans leurs activités.
5) L’Azerbaïdjan doit faciliter, et s’abstenir d’entraver d’une quelconque
façon, l’intervention du Comité international de la Croix-
Rouge pour fournir une aide humanitaire aux personnes d’origine
ethnique arménienne du Haut-Karabakh, et coopérer avec ce comité
pour remédier aux autres conséquences du récent conflit.
6) L’Azerbaïdjan doit immédiatement faciliter le rétablissement
complet des services publics dans le Haut-Karabakh, notamment
l’approvisionnement en gaz et en électricité, et s’abstenir de les suspendre
à l’avenir.
7) L’Azerbaïdjan doit s’abstenir de prendre des mesures punitives
contre toute personne qui est actuellement, ou a été par le passé, un
représentant politique ou un membre des forces armées du
Haut-Karabakh.
8) L’Azerbaïdjan ne doit modifier ni détruire aucun monument à la
mémoire du génocide arménien de 1915 ni aucun autre monument
ou bien ou site culturel arménien présent dans le Haut-Karabakh.
9) L’Azerbaïdjan doit reconnaître les registres d’état civil, documents
d’identité, titres de propriété et registres fonciers établis par les
autorités du Haut-Karabakh et leur donner effet, et ne doit pas
détruire ni confisquer ces registres et documents.
10) L’Azerbaïdjan doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble
des mesures qu’il aura prises pour exécuter l’ordonnance en indication
de mesures conservatoires dans un délai d’un mois à compter
de la date de celle-ci, puis tous les trois mois jusqu’à ce que la Cour
ait statué définitivement en l’affaire. » (Ordonnance, par. 21.)
4. Par lettre en date du 2 octobre 2023, l’Azerbaïdjan a apporté une « première
réponse » à la demande de l’Arménie, expliquant qu’il avait déclenché,
afin de répondre à de graves menaces pour la sécurité au Haut-Karabakh,
des mesures de lutte contre le terrorisme qui visaient exclusivement des
cibles militaires arméniennes et qui avaient pris fin le lendemain avec un
cessez-le-feu. Peu après l’opération, et avec la promesse d’un cessez-lefeu
complet, le président de l’Azerbaïdjan a dit clairement que les habitants
d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh étaient les bienvenus
en Azerbaïdjan et qu’ils jouissaient des mêmes droits que les autres ressortissants.
650 application of the cerd (diss. op. koroma)
5. At the end of the oral proceedings, Azerbaijan made the following
request in accordance with Article 60 (2) of the Rules of Court that for reasons
explained during the hearings, the Court should reject the request for
the indication of provisional measures submitted by Armenia.
6. During the oral proceedings, Azerbaijan stated that mindful of the
Court’s past conclusions in the present case regarding Armenia’s “plausible
rights”, it fully accepts that, to the extent that any obligations under CERD
might be engaged, it has “the responsibility, and now the ability to ensure
protection on its territory of any applicable and possible rights”. Azerbaijan
asserted that it was against this backdrop that the Agent of Azerbaijan made
a series of formal undertakings on behalf of his Government at the public
hearings which, it considers, were comprehensive in the protection of the
alleged rights.
“(a) Azerbaijan undertakes to do all in its power to ensure, without distinction
as to national or ethnic origin:
(a) The security of residents in Garabagh including their safety and
humanitarian needs, including through:
(i) the provision of food, medicines and other essential supplies
to Garabagh;
(ii) providing access to available medical treatment; and
(iii) maintaining the supply of public utilities, including gas and
electricity;
(b) The right of the residents of Garabagh to freedom of movement
and residence, including the safe and prompt return of those residents
that choose to return to their home, and the safe and
unimpeded departure of any resident wishing to leave Garabagh;
and
(c) The protection of the property of persons who have left Garabagh.
(b) Azerbaijan also undertakes to facilitate:
(a) the access and activities of the ICRC, with whom Azerbaijan
undertakes to co-operate in order to ensure the provision of
humanitarian aid in Garabagh; and
(b) inspections of the United Nations such that it is able to make visits
to Garabagh to advise on measures to address humanitarian,
socio-economic, and other needs in Garabagh;
(c) Azerbaijan undertakes to protect, and not to damage or destroy, cultural
monuments, artefacts and sites in Garabagh; and finally
(d) Azerbaijan undertakes to protect and not to destroy registration,
identity and/or private property documents and records found in
Garabagh.” (CR 2023/22, pp. 22-23, para. 61 (Mammadov).)
application de la ciedr (op. diss. koroma) 650
5. Au terme de la procédure orale, conformément au paragraphe 2 de l’article
60 du Règlement, l’Azerbaïdjan a demandé que soit rejetée, pour les
raisons exposées à l’audience, la demande en indication de mesures conservatoires
présentée par l’Arménie.
6. Au cours de la procédure orale, l’Azerbaïdjan a déclaré que, conscient
des conclusions auxquelles la Cour était déjà parvenue au sujet des « droits
plausibles » de l’Arménie dans l’instance, il admettait sans réserve qu’il avait
— pour autant que l’une quelconque des obligations découlant de la CIEDR
entrât en jeu — « la responsabilité, et à présent la capacité, d’assurer la protection
sur son territoire de tout droit applicable et plausible ». Il a dit que
c’était dans ce contexte que son agent avait pris, en audience publique, un
ensemble d’engagements formels au nom de son gouvernement, lesquels
protégeaient selon lui de manière exhaustive les droits allégués :
« a) L’Azerbaïdjan s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour
garantir, sans distinction fondée sur l’origine ethnique ou nationale :
a) la sécurité des habitants au Garabagh, y compris en veillant à la
sûreté de leur personne et en subvenant à leurs besoins humanitaires,
notamment par :
i) l’approvisionnement du Garabagh en denrées alimentaires,
médicaments et autres produits de première nécessité ;
ii) l’accès aux soins médicaux disponibles ; et
iii) le maintien des services publics, notamment l’approvisionnement
en gaz et en électricité ;
b) le droit des habitants du Garabagh de circuler librement et de
choisir leur lieu de résidence, y compris en permettant le retour
sûr et rapide de ceux qui choisissent de regagner leur foyer, et le
départ sûr et sans obstacle de tous ceux qui veulent quitter le
Garabagh ; [et]
c) la protection des biens des personnes qui ont quitté le Garabagh.
b) L’Azerbaïdjan s’engage également à faciliter :
a) l’accès du CICR, ainsi que les activités du Comité, avec lequel
l’Azerbaïdjan s’engage à coopérer pour que l’aide humanitaire
parvienne au Garabagh ; [et]
b) les inspections effectuées par l’ONU, de sorte que l’Organisation
puisse se rendre au Garabagh afin de faire des recommandations
sur les mesures à prendre pour pourvoir aux besoins humanitaires,
socioéconomiques et autres dans cette région ;
c) L’Azerbaïdjan s’engage à protéger et à ne pas endommager ou
détruire les monuments, artefacts et sites culturels au Garabagh ; et
d) L’Azerbaïdjan s’engage à protéger et à ne pas détruire les documents
et registres liés à l’enregistrement, à l’identité, et/ou à la propriété
privée qui se trouvent au Garabagh. » (CR 2023/22, p. 22-23, par. 61
(Mammadov).)
651 application of the cerd (diss. op. koroma)
7. In the light of the foregoing undertakings, Azerbaijan asked the Court to
reject the request for the indication of provisional measures by the Republic
of Armenia.
8. In paragraph 62 of the Order, the Court took cognizance of the fact
that the undertakings made by Azerbaijan create legal obligations. The
Court also noted that “interested States may take cognizance of unilateral
declarations and place confidence in them, and are entitled to require that the
obligation thus created be respected” (Nuclear Tests (Australia v. France),
Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 268, para. 46; Nuclear Tests (New Zealand
v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 473, para. 49). Furthermore, the
Court acknowledged that “[o]nce a State has made such a commitment
concerning its conduct, its good faith in complying with that commitment is
to be presumed” (Questions relating to the Seizure and Detention of Certain
Documents and Data (Timor-Leste v. Australia), Provisional Measures,
Order of 3 March 2014, I.C.J. Reports 2014, p. 158, para. 44).
9. In the present Order, the Court also recognizes that the present undertakings
of the Agent of Azerbaijan, which were made before the Court and
formulated in a precise and detailed manner, aimed at addressing the situation
of persons of Armenian national or ethnic origin in Nagorno-Karabakh
following the operation conducted by Azerbaijan in this region on 19 September
2023, were made on behalf of the Government of Azerbaijan, were
binding and create legal obligations for Azerbaijan.
10. At the same time, the Court observes that while many of Azerbaijan’s
undertakings address the concerns expressed by Armenia in its fifth Request,
the undertakings do not correspond in all respects to the measures requested
by Armenia.
11. Based on such reasoning, the Court decided to indicate certain provisional
measures to protect the rights claimed by Armenia, although the
Court considers that it need not indicate the measures requested by Armenia
and that the measures to be indicated need not be identical to those requested,
the Court nevertheless orders that Azerbaijan shall, by its obligations under
CERD,
“(i) ensure that persons who have left Nagorno-Karabakh after 19 September
2023 and who wish to return to Nagorno-Karabakh are
able to do so in a safe, unimpeded and expeditious manner;
(ii) ensure that persons who remained in Nagorno-Karabakh after
19 September 2023 and who wish to depart are able to do so in a
safe, unimpeded and expeditious manner; and
(iii) ensure that persons who remained in Nagorno-Karabakh after
19 September 2023 or returned to Nagorno-Karabakh and who
wish to stay are free from the use of force or intimidation that may
cause them to flee” (Order, para. 74 (1)).
application de la ciedr (op. diss. koroma) 651
7. À la lumière des engagements susmentionnés, l’Azerbaïdjan a prié la
Cour de rejeter la demande en indication de mesures conservatoires de
l’Arménie.
8. Au paragraphe 62 de l’ordonnance, la Cour admet que les engagements
pris par l’agent de l’Azerbaïdjan créent des obligations juridiques. Elle
rappelle en outre que « les États intéressés peuvent tenir compte des déclarations
unilatérales et tabler sur elles ; ils sont fondés à exiger que l’obligation
ainsi créée soit respectée » (Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46) ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49). La Cour convient aussi
que, « [d]ès lors qu’un État a pris un tel engagement quant à son comportement,
il doit être présumé qu’il s’y conformera de bonne foi » (Questions
concernant la saisie et la détention de certains documents et données
(Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars
2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 158, par. 44).
9. Dans la présente ordonnance, la Cour convient également que les engagements
de l’agent de l’Azerbaïdjan, qui ont été énoncés publiquement
devant elle, et de manière précise et détaillée, visent à remédier à la situation
dans laquelle se trouvent les personnes d’origine nationale ou ethnique
arménienne au Haut-Karabakh depuis l’opération menée par l’Azerbaïdjan
dans la région le 19 septembre 2023, et qu’ils sont pris au nom du Gouvernement
de l’Azerbaïdjan, sont contraignants et créent des obligations juridiques
à la charge de cet État.
10. En même temps, la Cour relève que, si nombre des engagements de
l’Azerbaïdjan répondent aux préoccupations exprimées dans la cinquième
demande par l’Arménie, ils ne correspondent cependant pas à tous égards
aux mesures sollicitées par celle-ci.
11. Sur la base de ce raisonnement, la Cour décide d’indiquer certaines
mesures conservatoires pour protéger les droits revendiqués par l’Arménie.
Considérant qu’il n’est point besoin d’indiquer toutes les mesures demandées
par l’Arménie ni d’indiquer des mesures identiques à celles qui sont sollicitées,
elle conclut néanmoins que l’Azerbaïdjan, conformément aux obligations
qu’il tient de la CIEDR, doit :
« i) veiller à ce que toute personne qui aurait quitté le Haut-Karabakh
après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait y retourner soit en
mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ;
ii) veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh
après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait en partir soit en
mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ; et
iii) veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh
après le 19 septembre 2023 ou qui y serait retournée et qui souhaiterait
y rester ne fasse pas l’objet de recours à la force ou
d’intimidation susceptible de l’inciter à fuir » (ordonnance,
par. 74 1)).
652 application of the cerd (diss. op. koroma)
In this regard, it appears to me that the legal criteria were not applied in
determining whether those measures should be indicated.
12. During the proceedings, no evidence establishing that persons who
remain in Nagorno-Karabakh after 19 September 2023 and who wish to
depart were not able to do so in a safe, unimpeded and expeditious manner
was presented to the Court. Nor was there evidence that persons who have
left Nagorno-Karabakh after 19 September 2023 and who wish to return to
Nagorno-Karabakh were not able to do so in a safe and unimpeded manner.
Nor was evidence presented that persons who remained in Nagorno-
Karabakh after 19 September 2023 returned to Nagorno-Karabakh and who
wished to stay were not free from the use of force or intimidation that may
cause them to flee.
13. In paragraph 71 of the Order, the Court “considers that Azerbaijan
must submit a report to the Court on the steps taken to give effect to the provisional
measures indicated and to the undertakings made by the Agent of
Azerbaijan”.
14. Azerbaijan is not Carthage nor are the circumstances susceptible to a
Carthaginian peace.
15. In my view, instead of indicating the aforementioned measures, the
Court should have applied Article 41 of its Statute taking into consideration
the circumstances stipulated therein which would have dictated not to indicate
any provisional measures.
16. Provisional measures are binding and have legal effect.
17. In my opinion, the circumstances the Court should have taken into
consideration in accordance with Article 41 (1) of the Statute should have
included the “initial response” provided by Azerbaijan in a letter dated
2 October 2023 with respect to the fifth Request that the measures it commenced
on 19 September ended a day later, with the assurance of a complete
ceasefire. That letter also states that the President of Azerbaijan made clear
that the residents of Nagorno-Karabakh of Armenian ethnic origin were
welcome and enjoyed the same rights as all the Azerbaijani citizens. Moreover,
the President of Azerbaijan made a series of statements of 20, 27 and
29 September 2023 on the protection and reintegration of Armenian residents
of the Garabagh region.
18. The Court should also have taken into consideration the urbi et orbi
obligations undertaken by the Agent of Azerbaijan on behalf of his Government
before the Court on 12 October 2023, which as the Court recognizes,
create legal obligations for and are binding on Azerbaijan. Thus instead of
the adoption of what appears to be a transactional approach, namely that as
there is an application before the Court for the indication of provisional
measures and, given the new circumstances, the Court has to be seen as
affording some satisfaction to the applicant. Rather, the Court should have
focused on what is of fundamental importance at this juncture, which is to
application de la ciedr (op. diss. koroma) 652
À cet égard, il me semble que les critères requis en droit n’ont pas été
appliqués au moment de déterminer s’il y avait lieu d’indiquer ces mesures.
12. Au cours de la procédure, aucun élément n’a été présenté à la Cour qui
prouve que les personnes qui seraient restées au Haut-Karabakh après le
19 septembre 2023 et qui souhaiteraient en partir ne soient pas en mesure de
le faire en toute sécurité, librement et rapidement. De même, il n’a pas été
démontré que les personnes qui auraient quitté le Haut-Karabakh après le
19 septembre 2023 et qui souhaiteraient y retourner ne soient pas en mesure
de le faire en toute sécurité, librement et rapidement, ni que les personnes
qui seraient restées au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 ou qui y
seraient retournées et qui souhaiteraient y rester fassent l’objet de recours à
la force ou d’intimidation susceptible de les inciter à fuir.
13. Au paragraphe 71 de l’ordonnance, la Cour « estime que l’Azerbaïdjan
doit lui présenter un rapport sur les dispositions qu’il aura prises pour donner
effet aux mesures conservatoires indiquées et aux engagements » pris par
son agent.
14. L’Azerbaïdjan n’est pas Carthage et il n’y a pas lieu, dans les circonstances,
d’imposer une paix carthaginoise.
15. Je suis d’avis que, plutôt que d’indiquer les mesures susmentionnées, la
Cour aurait dû appliquer l’article 41 du Statut qui exigeait qu’elle prît en
considération les circonstances, lesquelles auraient commandé de n’indiquer
aucune mesure conservatoire.
16. Les mesures conservatoires sont contraignantes et produisent des
effets juridiques.
17. Selon moi, les circonstances que la Cour aurait dû prendre en considération
conformément au paragraphe 1 de l’article 41 du Statut devaient
inclure la « première réponse » que l’Azerbaïdjan a apportée dans la lettre du
2 octobre 2023 concernant la cinquième demande, à savoir que les mesures
qu’il avait déclenchées le 19 septembre avaient pris fin le lendemain avec
l’assurance d’un cessez-le-feu complet. Il est également indiqué dans cette
lettre que le président de l’Azerbaïdjan a clairement dit que les habitants
d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh étaient les bienvenus en
Azerbaïdjan et qu’ils jouissaient des mêmes droits que les autres ressortissants.
Le président a fait également une série de déclarations les 20, 27 et
29 septembre 2023 au sujet de la protection et de la réintégration des habitants
arméniens de la région.
18. La Cour aurait aussi dû tenir compte du fait que l’agent de l’Azerbaïdjan
a pris urbi et orbi, devant elle à l’audience du 12 octobre 2023, au nom de
son gouvernement, des engagements qui, comme elle le dit, créent des obligations
juridiques à la charge de l’Azerbaïdjan et sont contraignants à son
égard. Ainsi, au lieu d’adopter ce qui semble être une approche transactionnelle,
dans le sens où étant saisie d’une demande en indication de mesures
conservatoires et compte tenu des circonstances nouvelles elle doit être vue
comme apportant quelque satisfaction au demandeur, la Cour aurait dû s’attacher
à ce qui est d’une importance fondamentale à ce stade, à savoir assurer
653 application of the cerd (diss. op. koroma)
ensure the protection of the rights of those impacted by the conflict since the
19 September 2023 operation and that Azerbaijan complies with the undertakings
it has made.
19. The Court should have based its decision on the application of the relevant
provision of the Statute and should have been guided by its jurisprudence,
according to which, “[o]nce the Court has found that a State has
entered into a commitment concerning its future conduct it is not the
Court’s function to contemplate that it will not comply with it” (Nuclear
Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 272, para. 60).
Furthermore, the undertakings made by Azerbaijan were clear, precise and
unequivocal and communicated to its intended audience. In a unilateral
undertaking, the intention of the recipient in its formulation or validity, does
not govern. It is the intent of the State making the declaration that is
dispositive.
20. Finally, the Court should have recalled the previous provisional measures
it had indicated in this case, attach the undertakings made by Azerbaijan
during the current proceedings and order their compliance and implementation.
This would be compatible with the judicial function.
21. The Court should not contemplate that Azerbaijan will not comply
with its commitments considering that Nagorno-Karabakh is now indisputably
recognized as its sovereign territory.
22. Should the Court have pursued this course of action, it would not have
been necessary to indicate the measures in this Order. The focus should have
been on compliance with the undertakings made by Azerbaijan with the
prospect of achieving peace and stability.
23. I maintain the view that the indication of provisional measures must
serve a purpose and that the Court must remain interested in its compliance
and its legitimacy.
24. I regret that I cannot agree with the procedural aspect of this Order
either.
(Signed) Abdul G. Koroma.
application de la ciedr (op. diss. koroma) 653
la protection des droits des personnes touchées par le conflit depuis l’opération
du 19 septembre 2023 et veiller à ce que l’Azerbaïdjan respecte les
engagements qu’il a pris.
19. La Cour aurait dû fonder sa décision sur l’application des dispositions
pertinentes du Statut et être guidée par sa jurisprudence, qui veut que,
« [d]ès lors que la Cour a constaté qu’un État a pris un engagement quant à
son comportement futur, il n’entre pas dans sa fonction d’envisager que
cet État ne le respecte pas » (Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 272, par. 60). De plus, les engagements de l’Azerbaïdjan
étaient clairs, précis et sans équivoque, et ont été communiqués au
public auquel ils étaient destinés. Dans un engagement unilatéral, ce que le
destinataire entend comprendre de la formulation ou de la validité de cet
engagement n’entre pas en jeu. C’est l’intention de l’État faisant la déclaration
qui est déterminante.
20. Enfin, la Cour aurait dû rappeler les précédentes mesures conservatoires
qu’elle a indiquées en l’espèce, y adjoindre les engagements pris par
l’Azerbaïdjan à la présente phase et ordonner que ceux-ci soient exécutés et
respectés. Cela serait compatible avec la fonction judiciaire.
21. La Cour n’aurait pas dû envisager que l’Azerbaïdjan ne respecte pas ses
engagements, sachant que le Haut-Karabakh est désormais indiscutablement
reconnu comme faisant partie du territoire souverain de cet État.
22. Si la Cour avait suivi la voie susmentionnée, il n’y aurait pas eu lieu
d’indiquer les mesures contenues dans la présente ordonnance. L’accent
aurait dû être mis sur le respect des engagements pris par l’Azerbaïdjan dans
la perspective de parvenir à la paix et à la stabilité.
23. Je maintiens qu’à mon sens l’indication de mesures conservatoires doit
servir un objectif et que la Cour doit s’attacher au respect et à la légitimité de
ces mesures.
24. Je regrette de ne pouvoir non plus approuver l’aspect procédural de la
présente ordonnance.
(Signé) Abdul G. Koroma.

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Koroma

Order
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