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DECLARATION OF JUDGE XUE
1. With much regret to depart from the majority, I would like to explain
the reasons for my vote.
2. At the outset, I wish to make it clear that my vote against the Court’s
decision to indicate the provisional measures in this case does not mean that
I have any reservations with regard to the measures indicated therein.
Irrespective of the Order, the Syrian Arab Republic, as a State party to the
Convention against Torture, remains bound by its obligations under the
Convention to take all measures within its power to prevent and punish
offences of torture or other acts of cruel, inhuman or degrading treatment or
punishment in its territory, and has the obligation to preserve evidence of
violations for the purpose of prosecution of alleged offenders. I voted against
the Order because of my consistent position on the question of standing in
such so-called actio popularis cases.
3. In the present case, Canada and the Netherlands do not allege any
injury to their nationals, nor do they assert jurisdiction over alleged offenders
who were found in the territory of Syria. There is no jurisdictional link
whatsoever between the Parties but “a common interest” claimed by Canada
and the Netherlands in Syria’s compliance with the obligations of the
Convention against Torture, which I do not think gives the two States the
right to institute the current proceedings. The two States are purportedly
acting on behalf of the States parties to the Convention against Torture,
which is similar to actio popularis in certain domestic legal systems.
4. I remain unconvinced by the reasoning given in the Order (see paragraphs
50-51), even on a prima facie basis, for the Applicants’ standing
before the Court. In my individual opinions appended to the Judgments in
the Belgium v. Senegal and The Gambia v. Myanmar c ases, I h ave e laborated,
to a great extent, the reasons for my position on the question of
standing (Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite
(Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), dissenting opinion
of Judge Xue, p. 571; Application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide (The Gambia v. Myanmar), Preliminary
Objections,
Judgment, I.C.J Reports 2022 (II), dissenting opinion of
Judge Xue, p. 520). I will not rehearse them but highlight a few points that
I think are imperative for the maintenance of the integrity of the Court.
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DÉCLARATION DE Mme LA JUGE XUE
[Traduction]
1. Regrettant vivement de ne pouvoir m’associer à la majorité, je tiens à
exposer les raisons de mon vote.
2. Je commencerai par préciser que mon opposition à la décision de la
Cour d’indiquer des mesures conservatoires en la présente instance ne signifie
pas que j’aie la moindre réserve à l’égard des mesures indiquées.
Indépendamment de l’ordonnance, la République arabe syrienne est liée,
en tant qu’État partie à la convention contre la torture, par les obligations
que lui fait cet instrument de prendre toutes les mesures en son pouvoir
pour prévenir et punir les actes de torture et autres actes constitutifs de
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur son territoire,
et par l’obligation de conserver les éléments de preuve relatifs à ces violations
aux fins de l’exercice de l’action pénale contre les auteurs présumés.
Si j’ai voté contre l’ordonnance, c’est en raison de la position qui a toujours
été la mienne sur la question de la qualité pour agir dans les affaires de type
actio popularis.
3. En la présente espèce, le Canada et les Pays-Bas n’ont pas fait valoir
qu’un préjudice avait été causé à leurs ressortissants, et n’ont pas davantage
entendu exercer leur compétence à l’égard d’auteurs présumés d’infractions
se trouvant sur le territoire syrien. Il n’existe aucun lien juridictionnel quel
qu’il soit entre les Parties, mais, selon le Canada et les Pays-Bas, « un intérêt
commun » à ce que la Syrie respecte les obligations découlant de la convention
contre la torture, ce qui, de mon point de vue, n’autorisait pas les deux
demandeurs à introduire la présente instance. Ceux-ci ont prétendu agir au
nom des États parties à la convention contre la torture, ce qui, dans certains
systèmes juridiques internes, s’apparente à une actio popularis.
4. Je ne suis pas convaincue par le raisonnement tenu dans l’ordonnance
(voir les paragraphes 50-51), même prima facie, au sujet de la qualité des
demandeurs pour agir devant la Cour. Dans les opinions que j’ai jointes aux
arrêts rendus dans les affaires Belgique c. Sénégal et Gambie c. Myanmar,
j’ai amplement exposé les raisons sous-tendant ma position sur la question
de la qualité pour agir (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou
d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), opinion
dissidente de la juge Xue, p. 571 ; Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (II), opinion dissidente
de la juge Xue, p. 520). Je ne les répéterai pas ici, mais reviendrai sur
certains aspects qui, à mon avis, sont essentiels pour préserver l’intégrité de
la Cour.
617 convention against torture (decl. xue)
5. First, conferral of such standing is not consistent with the principle of
consent. Notwithstanding the aspirations manifested in the object and
purpose of the Convention against Torture for the protection of human rights
and fundamental freedoms, the jurisdiction of the Court under Article 30,
paragraph 1, of the Convention is founded on a consensual basis. There must
be a genuine dispute between the parties for the purpose of judicial settlement.
In other words, whether the States parties accepted the jurisdiction of
the Court for actio popularis cases is not determined by the Court’s interpretation
of Article 30 of the Convention but by the intention of the States
parties at the time when the Convention was negotiated and concluded.
Should the jurisdiction ratione personae of the Court be unduly expanded, it
may prompt negative reactions from the States parties by restricting or withdrawing
their acceptance of the Court’s jurisdiction, which is certainly not
conducive to strengthening the role of the Court in the peaceful settlement of
international disputes.
6. Moreover, conferral of such standing, without necessary amendments
to the Statute and Rules of Court, will pose challenges to the settled jurisprudence
of the Court with regard to procedure, evidence and remedies. It
remains to be seen to what extent such legal actions will promote the implementation
of the Convention and what effect they may produce on the
existing monitoring mechanisms under the Convention.
7. Lastly, conferral of such standing will likely give a policing role to the
States parties in the implementation of the Convention against Torture. In
the human rights field, such a role is often questioned and criticized for the
selective and biased manner in which it is performed. Instead of promoting
human rights and finding solutions to disputes, to allow such legal actions in
the Court would likely weaken the function of the Court as a judicial organ
for dispute settlement.
(Signed) Xue Hanqin.
convention contre torture (décl. xue) 617
5. Tout d’abord, l’octroi d’une telle qualité pour agir est incompatible avec
le principe du consentement. Nonobstant les aspirations qui sous-tendent
l’objet et le but de la convention contre la torture en matière de protection des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, la compétence que la Cour
tient du paragraphe 1 de l’article 30 de cet instrument repose sur une base
consensuelle. Il doit exister un véritable différend entre les parties pour que
le règlement judiciaire soit possible. En d’autres termes, la question de savoir
si les États parties ont reconnu que la Cour aurait compétence pour connaître
d’affaires de type actio popularis doit s’apprécier à la lumière non pas de
l’interprétation que peut faire celle-ci de l’article 30, mais de l’intention qui
était celle des États parties au moment où la convention a été négociée et
conclue. Si la compétence ratione personae de la Cour devait être indûment
étendue, les États parties pourraient réagir négativement en assortissant de
limites leur acceptation de la compétence de la Cour ou en retirant cette
acceptation, ce qui ne serait certainement pas propice au renforcement du
rôle de celle-ci dans le règlement pacifique des différends internationaux.
6. De surcroît, l’octroi de cette qualité pour agir sans que les modifications
nécessaires n’aient été apportées au Statut et au Règlement de la Cour
crée des difficultés au regard de la jurisprudence établie de la Cour en matière
de procédure, d’éléments de preuve et de remèdes. On ignore encore dans
quelle mesure ces actions en justice favoriseront la mise en oeuvre de la
convention, et quel sera leur effet sur les mécanismes de contrôle déjà prévus
par celle-ci.
7. Enfin, l’octroi d’une telle qualité pour agir est susceptible de conférer
aux États parties un rôle de surveillance à l’égard de la mise en oeuvre de la
convention contre la torture. Dans le domaine des droits de l’homme, pareil
rôle fait souvent l’objet de remises en question et de critiques pour la manière
sélective et partiale dont il est exécuté. Au lieu de promouvoir les droits
de l’homme et d’apporter des solutions aux différends, autoriser ce type
d’actions en justice devant la Cour risque d’affaiblir la fonction de celle-ci,
en tant qu’organe judiciaire, dans le règlement des différends.
(Signé) Xue Hanqin.
Déclaration de Mme la juge Xue