OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE NOLTE
[Traduction]
1. Je souhaite expliquer pourquoi j’ai voté contre le rejet par la Cour de la demande contenue dans le troisième chef de conclusions du Nicaragua (partie I), et faire une observation au sujet du raisonnement qui sous-tend les décisions de la Cour sur les premier et deuxième chefs de conclusions du demandeur (partie II).
I. Le troisième chef de conclusions du Nicaragua
2. La Cour interprète le troisième chef de conclusions du Nicaragua « comme demandant une conclusion précise quant à l’effet qu’auraient, le cas échéant, les droits à des espaces maritimes générés par Serranilla, Bajo Nuevo et Serrana sur toute délimitation maritime entre les Parties » (arrêt, par. 97). Rappelant que le plateau continental étendu d’un État ne peut chevaucher une zone de plateau continental située en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État, la Cour constate qu’il n’y a pas « de zone de droits concurrents [requérant] une délimitation », indépendamment de la question de savoir si Serranilla et Bajo Nuevo ont droit à un espace maritime de 200 milles marins (arrêt, par. 99). Elle en conclut qu’« il n’est point besoin pour elle de déterminer la portée des droits de Serranilla et Bajo Nuevo à des espaces maritimes pour régler le différend soumis par le Nicaragua dans sa requête » (arrêt, par. 100).
3. Certes, que Serranilla et Bajo Nuevo génèrent ou non des droits à un espace maritime de 200 milles marins, cet espace ne pourrait pas, compte tenu des décisions de la Cour sur les premier et deuxième chefs de conclusions du Nicaragua, chevaucher un quelconque plateau continental étendu auquel ce dernier pourrait avoir droit au titre de sa côte continentale. Cependant, « le différend soumis par le Nicaragua dans sa requête » ne se limite pas à une demande de délimitation d’une zone de droits concurrents.
4. Dans sa requête, le demandeur priait la Cour « de déterminer … [l]e tracé précis de la frontière maritime entre les portions de plateau continental relevant du Nicaragua et de la Colombie »1. Dans son mémoire et sa réplique, il a précisé cette demande, priant la Cour de dire que « Serranilla et Bajo Nuevo sont enclavées et bénéficient chacune d’une mer territoriale de 12 milles marins »2. Ainsi, en demandant à la Cour de déterminer le « tracé précis de la frontière maritime », le Nicaragua veut savoir quel effet auraient, le cas échéant, les droits à des espaces maritimes de Serranilla et Bajo Nuevo sur le tracé du segment concerné de la frontière maritime. Or, la Cour ne répond pas à cette demande et laisse les Parties dans l’ignorance quant au « tracé précis » de la frontière maritime. Contrairement à ce qu’elle dit au paragraphe 100 de l’arrêt, elle n’a pas « régl[é] le différend soumis par le Nicaragua dans sa requête ».
5. L’argumentation des Parties confirme qu’une délimitation de zones de droits concurrents ne suffisait pas à vider le présent différend de son objet. Le Nicaragua a précisé que le différend porté devant la Cour incluait la question de la portée des droits de Serranilla et Bajo Nuevo à des espaces maritimes dès lors qu’il est nécessaire d’y répondre pour déterminer le « tracé précis de la frontière maritime »3. La Colombie n’a pas contesté que la Cour eût compétence pour trancher cette question ni prétendu que le troisième chef de conclusions du Nicaragua fût irrecevable. Au contraire, elle s’est
1 RN, par. 12.
2 RéN, conclusions, par. 3 ; voir également MN, conclusions, par. 3.
3 MN, par. 3.80, 4.39-4.43 ; RéN, chap. 4, p. 101-157. Voir également CR 2022/27, p. 23, par. 3 (Pellet).
- 2 -
montrée ouverte aux arguments du Nicaragua sur le fond, confirmant ainsi que la question des droits générés par Serranilla et Bajo Nuevo faisait partie du différend soumis à la Cour
4. Comme cette dernière l’a rappelé dans l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), « [l]’objet d’un différend soumis à la Cour est délimité par les demandes qui lui sont présentées par les parties »5. À aucun moment les Parties n’ont considéré que leur différend était limité à la délimitation des espaces où leurs droits se chevauchent. Je ne doute pas que la détermination de l’existence de droits concurrents soit une « étape[] essentielle[] » et « la première … dans toute délimitation maritime » (arrêt, par. 42), mais je ne vois aucune raison ni procédurale ni de fond qui empêcherait la Cour de se prononcer sur l’existence controversée d’un droit si cela est nécessaire pour déterminer le « tracé précis » d’une frontière maritime.
6. Le Nicaragua affirme que le plateau continental auquel il a droit peut s’étendre dans la zone située à l’est des espaces maritimes générés par les îles colombiennes de San Andrés et Providencia ainsi qu’à l’ouest des espaces maritimes relevant de la côte continentale colombienne6. Cette prétention serait fondée à trois conditions : premièrement, si Serranilla et Bajo Nuevo n’ouvraient droit qu’à une mer territoriale de 12 milles marins ; deuxièmement, si le Nicaragua démontrait que sa masse continentale se prolonge naturellement jusque dans la zone située à l’est des espaces maritimes qui reviennent à San Andrés et Providencia sur 200 milles marins ; et, troisièmement, si un État pouvait prétendre à un plateau continental étendu qui franchit (« à saute-mouton » ou « par-dessous ») l’espace maritime auquel un autre État a droit sur 200 milles marins. Si la Cour avait accueilli la demande du Nicaragua, le segment de la frontière maritime entre les Parties qui est pertinente pour le troisième chef de conclusions commencerait, au nord, à l’endroit où la limite de la zone de 200 milles marins à laquelle ont droit les îles colombiennes de San Andrés et Providencia atteint le point où les droits d’États tiers pourraient entrer en jeu. De là, la frontière suivrait la limite de la zone de 200 milles marins de San Andrés et Providencia vers le sud, jusqu’à croiser la limite de la zone de 200 milles marins générée par la côte continentale colombienne. Elle se poursuivrait ensuite vers le nord-est le long de cette même limite jusqu’à atteindre de nouveau le point où les droits d’États tiers pourraient entrer en jeu.
7. La Colombie soutient quant à elle que les îles de Serranilla et Bajo Nuevo ont chacune droit à une zone économique exclusive et au plateau continental correspondant7, et que toute prétention du Nicaragua à un plateau continental étendu se prolongeant dans cette zone est exclue8. Si la Cour avait accueilli la demande de la Colombie, la frontière maritime entre les Parties commencerait, au nord, à l’endroit où la limite de la zone de 200 milles marins générée par la côte continentale nicaraguayenne atteint le point où les droits d’États tiers pourraient entrer en jeu, et se poursuivrait vers le sud jusqu’au point de départ de la frontière établie par la Cour dans son arrêt de 2012 (voir présent arrêt, p. 16, point A sur le croquis no 2). Elle suivrait ensuite ladite frontière jusqu’à son point terminal (ibid., point B sur le croquis n° 2), puis, à partir de là, la limite de la zone de 200 milles marins générée par la côte continentale nicaraguayenne, jusqu’au point où les droits d’États tiers pourraient entrer en jeu.
8. Il est par conséquent nécessaire, pour déterminer le tracé précis de la frontière maritime entre le Nicaragua et la Colombie, de vérifier préalablement si les trois conditions susmentionnées (au paragraphe 6) sont remplies. Il en irait ainsi même si le Nicaragua ne pouvait que prouver que le
4 CMC, chap. 4, p. 174-288 ; DC, chap. 4, p. 104-147.
5 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 117, par. 39.
6 Voir RéN, p. 157, fig. 4.4.
7 DC, par. 4.18.
8 CR 2022/28, p. 41-42, par. 23 (Valencia-Ospina).
- 3 -
prolongement naturel de son territoire terrestre coïncide avec une partie seulement de la zone pertinente qu’il revendique et que Serranilla et Bajo Nuevo soient enclavées, et qu’un État puisse prétendre à un plateau continental étendu franchissant l’espace maritime auquel un autre État a droit sur 200 milles marins. Dans pareil cas, la frontière maritime suivrait également la limite de la zone de 200 milles marins à laquelle ont droit San Andrés et Providencia à partir de leurs côtes.
9. Pour ces raisons, je pense que la Cour n’aurait pas dû rejeter le troisième chef de conclusions du Nicaragua à ce stade de la procédure. Elle aurait dû plutôt donner aux Parties la possibilité de défendre leur thèse et de débattre les questions de savoir si Serranilla et Bajo Nuevo ont droit à une zone maritime de 200 milles marins, si le Nicaragua peut prouver que le prolongement naturel de sa côte s’étend bien aux espaces autour de la mer territoriale de Serranilla et Bajo Nuevo (ce qui aurait pu demander l’assistance d’experts ou de conseillers), et si un État peut prétendre à un plateau continental étendu franchissant la zone de 200 milles marins d’un autre État.
10. Sur ce dernier point en particulier, la Cour aurait dû donner aux Parties la possibilité de défendre leurs arguments à l’audience. Dans leurs écritures, les Parties ont exprimé des vues opposées sur la possibilité de « franchir » « à saute-mouton » ou « par-dessous » une zone de 200 milles marins, en l’occurrence la zone de 200 milles marins relevant de San Andrés et Providencia9. La Cour aurait ainsi pu clarifier la question de savoir si un tel « franchissement » ou « saut » est possible en droit international coutumier. Cette question a été brièvement abordée par une chambre spéciale du Tribunal international du droit de la mer (TIDM) dans un arrêt rendu après la tenue des audiences en l’espèce en décembre 202210. Cependant, cet arrêt de la Chambre spéciale du TIDM n’exonère pas la Cour de son obligation d’entendre les Parties sur les questions qui les opposent.
11. Si elle avait examiné le troisième chef de conclusions du Nicaragua à un stade ultérieur de la procédure, la Cour aurait pu être amenée à se demander de nouveau s’il fallait qualifier de préliminaire une ou plusieurs des questions juridiques soulevées par ce chef de conclusions, et en réserver encore l’examen à une phase distincte de la procédure11.
12. En conclusion, je pense qu’une fois « régulièrement saisie, la Cour doit exercer ses pouvoirs »12. Certes, « la Cour ne doit pas excéder la compétence que lui ont reconnue les Parties, mais elle doit exercer toute cette compétence »13. Autrement, elle statue infra petita.
II. Les premier et deuxième chefs de conclusions du Nicaragua
13. Je doute que l’on puisse interpréter la convention des Nations Unies sur le droit de la mer comme ayant exclu dès l’origine la possibilité que le plateau continental étendu d’un État empiète sur la zone de 200 milles marins d’un autre État. Je doute également qu’une telle règle ait existé dans la cristallisation initiale des régimes de droit international coutumier relatifs à la zone économique
9 Voir RéN, par. 4.11; DC, par. 4.6 ; voir également CR 2022/25, p. 26, par. 42-44 (Argüello Gómez) ; CR 2022/28, p. 40-42, par. 23 (Valencia-Ospina).
10 Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives dans l’océan Indien (Maurice/Maldives), TIDM, arrêt du 28 avril 2023, par. 444 et 449.
11 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance du 4 octobre 2022 et déclaration commune des juges Tomka, Xue, Robinson et Nolte, et du juge ad hoc Skotnikov.
12 Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 122.
13 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 23, par. 19.
- 4 -
exclusive et au plateau continental. J’en suis toutefois venu à la conclusion qu’elle a finalement émergé en tant que règle du droit international coutumier. C’est pourquoi je trouve le paragraphe 77 du présent arrêt particulièrement important. Que la Cour, dans son raisonnement, n’ait pas décrit et évalué plus en détail la pratique pertinente et les comportements correspondants des États ne signifie pas que son arrêt repose sur une simple affirmation.
(Signé) Georg NOLTE.
535
SEPARATE OPINION OF JUDGE NOLTE
1. I wish to explain why I voted against the Court’s rejection of Nicaragua’s
third submission (I) and to make a remark regarding the reasoning
which underlies the Court’s decisions on Nicaragua’s first and second
submissions (II).
I. Nicaragua’s Third Submission
2. The Court interprets Nicaragua’s third submission “as seeking a specific
finding regarding the effect, if any, that the maritime entitlements of
Serranilla [and] Bajo Nuevo . . . would have on any maritime delimitation
between the Parties” (Judgment, para. 97). Reiterating that a State’s extended
continental shelf cannot overlap with the area of continental shelf within
200 nautical miles from the baselines of another State, the Court points out
that there is “no area of overlapping entitlement . . . to be delimited”, regardless
of whether Serranilla and Bajo Nuevo are entitled to a maritime zone of
200 nautical miles (ibid., para. 99). On that basis, the Court “considers that it
does not need to determine the scope of the entitlements of Serranilla and
Bajo Nuevo in order to settle the dispute submitted by Nicaragua in its
Application” (ibid., para. 100).
3. It is true that, regardless of whether Serranilla and Bajo Nuevo generate
a maritime zone of 200 nautical miles, their entitlements cannot, pursuant to
the Court’s decisions on the first and the second submissions, overlap with
any possible entitlement to an extended continental shelf generated by Nicaragua’s
mainland coast. However, “the dispute submitted by Nicaragua in its
Application” is not limited to requesting a delimitation of overlapping
entitlements.
4. In its Application, Nicaragua requested the Court “to adjudge and
declare . . . [t]he precise course of the maritime boundary between Nicaragua
and Colombia in the areas of the continental shelf which appertain to each of
them”1. In its Memorial and its Reply, Nicaragua specified this request, asking
the Court to declare that “Serranilla and Bajo Nuevo are enclaved and
granted a territorial sea of twelve nautical miles”2. Thus, by requesting the
1 Application of Nicaragua (AN), para. 12.
2 Reply of Nicaragua (RN), submissions, para. 3; see also Memorial of Nicaragua (MN),
submissions, para. 3.
535
OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE NOLTE
[Traduction]
1. Je souhaite expliquer pourquoi j’ai voté contre le rejet par la Cour de la
demande contenue dans le troisième chef de conclusions du Nicaragua (partie
I), et faire une observation au sujet du raisonnement qui sous-tend les
décisions de la Cour sur les premier et deuxième chefs de conclusions du
demandeur (partie II).
I. Le troisième chef de conclusions du Nicaragua
2. La Cour interprète le troisième chef de conclusions du Nicaragua
« comme demandant une conclusion précise quant à l’effet qu’auraient, le cas
échéant, les droits à des espaces maritimes générés par Serranilla [et] Bajo
Nuevo … sur toute délimitation maritime entre les Parties » (arrêt, par. 97).
Rappelant que le plateau continental étendu d’un État ne peut chevaucher
une zone de plateau continental située en deçà de 200 milles marins des
lignes de base d’un autre État, la Cour constate qu’il n’y a pas « de zone de
droits concurrents [requérant] une délimitation », indépendamment de la
question de savoir si Serranilla et Bajo Nuevo ont droit à un espace maritime
de 200 milles marins (ibid., par. 99). Elle en conclut qu’« il n’est point besoin
pour elle de déterminer la portée des droits de Serranilla et Bajo Nuevo à des
espaces maritimes pour régler le différend soumis par le Nicaragua dans sa
requête » (ibid., par. 100).
3. Certes, que Serranilla et Bajo Nuevo génèrent ou non des droits à un
espace maritime de 200 milles marins, cet espace ne pourrait pas, compte
tenu des décisions de la Cour sur les premier et deuxième chefs de conclusions
du Nicaragua, chevaucher un quelconque plateau continental étendu
auquel ce dernier pourrait avoir droit au titre de sa côte continentale. Cependant,
« le différend soumis par le Nicaragua dans sa requête » ne se limite pas
à une demande de délimitation d’une zone de droits concurrents.
4. Dans sa requête, le demandeur priait la Cour « de déterminer … [l]e
tracé précis de la frontière maritime entre les portions de plateau continental
relevant du Nicaragua et de la Colombie »1. Dans son mémoire et sa réplique,
il a précisé cette demande, priant la Cour de dire que « Serranilla et Bajo
Nuevo sont enclavées et bénéficient chacune d’une mer territoriale de
12 milles marins »2. Ainsi, en demandant à la Cour de déterminer le « tracé
1 Requête du Nicaragua (RN), par. 12.
2 Réplique du Nicaragua (RéN), conclusions, par. 3 ; voir également mémoire du Nicaragua
(MN), conclusions, par. 3.
536 delimitation of the continental shelf (sep. op. nolte)
Court to determine the “precise course of the maritime boundary”, Nicaragua
asks about the effect, if any, that the maritime entitlements of Serranilla
and Bajo Nuevo would have on the course of the relevant part of the maritime
boundary. However, the Court does not respond to this request and
leaves the Parties in the dark about the “precise course” of the maritime
boundary. Contrary to its statement in paragraph 100 of the Judgment, the
Court does not “settle the dispute submitted by Nicaragua in its Application”.
5. The pleadings of the Parties confirm that the delimitation of overlapping
entitlements does not exhaust the subject-matter of the present dispute.
Nicaragua specified that the dispute before the Court encompassed the question
of the scope of the entitlements of Serranilla and Bajo Nuevo as far as
this was necessary for determining “the precise course of the boundary”3.
Colombia did not contest the Court’s jurisdiction to decide on this matter,
nor did it argue that Nicaragua’s third submission was inadmissible. Rather,
Colombia engaged with Nicaragua’s arguments in substance and thereby
confirmed that the question of the entitlements of Serranilla and Bajo Nuevo
formed part of the dispute before the Court4. As the Court held in Jurisdictional
Immunities of the State (Germany v. Italy: Greece intervening), “[t]he
subject-matter of a dispute brought before the Court is delimited by
the claims submitted to it by the parties”5. At no point did the Parties take the
position that their dispute was restricted to the delimitation of overlapping
entitlements. I do not doubt that the determination whether there are overlapping
entitlements is “[a]n essential step” and “the first step in any maritime
delimitation” (Judgment, para. 42). But I can see no reason either procedural
or substantive why this should preclude the Court from adjudicating
a dispute concerning the existence of an entitlement when it is necessary to
do so to determine “the precise course” of a maritime boundary.
6. Nicaragua claims that it is entitled to an extended continental shelf in
the area east of the maritime zones generated by Colombia’s islands of
San Andrés and Providencia and west of the maritime zones generated by
Colombia’s mainland coast6. This claim would be well founded if, first,
Serranilla and Bajo Nuevo were merely entitled to a territorial sea of 12 nautical
miles; second, Nicaragua proved that a natural prolongation of its
landmass exists in the area east of the 200-nautical-mile zones of San Andrés
and Providencia; and, third, a State’s entitlement to an extended continental
shelf could pass through (“leapfrog over” or “tunnel under”) another State’s
3 MN, paras. 3.80, 4.39-4.43; RN, Chap. 4, pp. 101-157. See also CR 2022/27, p. 23, para. 3
(Pellet).
4 Counter-Memorial of Colombia (CMC), Chap. 4, pp. 174-288; Rejoinder of Colombia
(RC), Chap. 4, pp. 104-146.
5 Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy: Greece intervening), Judgment,
I.C.J. Reports 2012 (I), p. 117, para. 39.
6 See RN, p. 157, fig. 4.4.
délimitation du plateau continental (op. ind. nolte) 536
précis de la frontière maritime », le Nicaragua veut savoir quel effet auraient,
le cas échéant, les droits à des espaces maritimes de Serranilla et Bajo Nuevo
sur le tracé du segment concerné de la frontière maritime. Or, la Cour ne
répond pas à cette demande et laisse les Parties dans l’ignorance quant au
« tracé précis » de la frontière maritime. Contrairement à ce qu’elle dit au
paragraphe 100 de l’arrêt, elle n’a pas « régl[é] le différend soumis par le
Nicaragua dans sa requête ».
5. L’argumentation des Parties confirme qu’une délimitation de zones de
droits concurrents ne suffisait pas à vider le présent différend de son objet. Le
Nicaragua a précisé que le différend porté devant la Cour incluait la question
de la portée des droits de Serranilla et Bajo Nuevo à des espaces maritimes
dès lors qu’il est nécessaire d’y répondre pour déterminer le « tracé précis de
la frontière maritime »3. La Colombie n’a pas contesté que la Cour eût compétence
pour trancher cette question ni prétendu que le troisième chef de
conclusions du Nicaragua fût irrecevable. Au contraire, elle s’est montrée
ouverte aux arguments du Nicaragua sur le fond, confirmant ainsi que la
question des droits générés par Serranilla et Bajo Nuevo faisait partie du différend
soumis à la Cour4. Comme cette dernière l’a rappelé dans l’affaire
relative aux Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce
(intervenant)), « [l]’objet d’un différend soumis à la Cour est délimité par les
demandes qui lui sont présentées par les parties »5. À aucun moment les
Parties n’ont considéré que leur différend était limité à la délimitation
des espaces où leurs droits se chevauchent. Je ne doute pas que la détermination
de l’existence de droits concurrents soit une « étape[] essentielle[] » et
« la première … dans toute délimitation maritime » (arrêt, par. 42), mais je ne
vois aucune raison ni procédurale ni de fond qui empêcherait la Cour
de se prononcer sur l’existence controversée d’un droit si cela est nécessaire
pour déterminer le « tracé précis » d’une frontière maritime.
6. Le Nicaragua affirme que le plateau continental auquel il a droit peut
s’étendre dans la zone située à l’est des espaces maritimes générés par les îles
colombiennes de San Andrés et Providencia ainsi qu’à l’ouest des espaces
maritimes relevant de la côte continentale colombienne6. Cette prétention
serait fondée à trois conditions : premièrement, si Serranilla et Bajo Nuevo
n’ouvraient droit qu’à une mer territoriale de 12 milles marins ; deuxièmement,
si le Nicaragua démontrait que sa masse continentale se prolonge
naturellement jusque dans la zone située à l’est des espaces maritimes qui
reviennent à San Andrés et Providencia sur 200 milles marins ; et, troisième-
3 MN, par. 3.80, 4.39-4.43 ; RéN, chap. 4, p. 101-157. Voir également CR 2022/27, p. 23,
par. 3 (Pellet).
4 Contre-mémoire de la Colombie (CMC), chap. 4, p. 174-288 ; duplique de la Colombie
(DC), chap. 4, p. 104-146.
5 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 117, par. 39.
6 Voir RéN, p. 157, fig. 4.4.
537 delimitation of the continental shelf (sep. op. nolte)
200-nautical-mile entitlement. Had the Court upheld Nicaragua’s claim, the
part of the maritime boundary between the two States which is relevant for
the third submission would start in the north where the limit of the 200-
nautical-mile zone generated by the Colombian islands of San Andrés and
Providencia meets the point where the rights of third States might be affected.
From there, the boundary would follow the limit of the 200-nautical-mile
zones of San Andrés and Providencia to the south, until it intersected the
limit of the 200-nautical-mile zone generated by Colombia’s mainland coast.
It would then continue north-east along the 200-nautical-mile limit of
Colombia’s mainland coast until it again reached the point where the rights
of third States might be affected.
7. Colombia, in turn, maintains that Serranilla and Bajo Nuevo are each
entitled to an EEZ with its attendant continental shelf7 and that any claim of
Nicaragua to an extended continental shelf within that area is excluded8.
Had the Court upheld Colombia’s claim, the maritime boundary between the
two Parties would start, in the north, where the limit of the 200-nautical-mile
zone generated by Nicaragua’s mainland coast meets the point where rights
of third States might be affected, and would run south until it intersected the
starting-point of the boundary established by the Court in its 2012 Judgment
(see Judgment, p. 430, point A on sketch-map No. 2). It would then follow
that boundary until the endpoint (ibid., Point B on sketch-map No. 2), from
where it would continue south along the limit of the 200-nautical-mile zone
generated by Nicaragua’s mainland coast, to the point where the rights of
third States might be affected.
8. Ascertaining whether the three conditions mentioned in paragraph 6
above have been fulfilled is thus a precondition for determining the precise
course of the maritime boundary between Nicaragua and Colombia. This is
true even if Nicaragua were only able to prove that the natural prolongation
of its land territory covers just a part of the relevant area which it claims
assuming that Serranilla and Bajo Nuevo are enclaved and that a State’s
entitlement to an extended continental shelf may pass through another
State’s 200-nautical-mile entitlement. In that case, the maritime boundary
would still follow the 200-nautical-mile limit of the zones generated by the
coasts of San Andrés and Providencia.
9. For these reasons, I do not think that the Court should have rejected Nicaragua’s
third submission at this stage of the proceedings. The Court should
rather have given the Parties the opportunity to present their case and to
argue whether Serranilla and Bajo Nuevo generate a maritime zone of
200 nautical miles, whether Nicaragua can prove that the natural prolong-
7 RC, para. 4.18.
8 CR 2022/28, pp. 41-42, para. 23 (Valencia-Ospina).
délimitation du plateau continental (op. ind. nolte) 537
ment, si un État pouvait prétendre à un plateau continental étendu qui
franchit (« à saute-mouton » ou « par-dessous ») l’espace maritime auquel un
autre État a droit sur 200 milles marins. Si la Cour avait accueilli la demande
du Nicaragua, le segment de la frontière maritime entre les Parties qui est
pertinente pour le troisième chef de conclusions commencerait, au nord, à
l’endroit où la limite de la zone de 200 milles marins à laquelle ont droit les
îles colombiennes de San Andrés et Providencia atteint le point où les droits
d’États tiers pourraient entrer en jeu. De là, la frontière suivrait la limite de
la zone de 200 milles marins de San Andrés et Providencia vers le sud,
jusqu’à croiser la limite de la zone de 200 milles marins générée par la côte
continentale colombienne. Elle se poursuivrait ensuite vers le nord-est le
long de cette même limite jusqu’à atteindre de nouveau le point où les droits
d’États tiers pourraient entrer en jeu.
7. La Colombie soutient quant à elle que les îles de Serranilla et Bajo
Nuevo ont chacune droit à une zone économique exclusive et au plateau
continental correspondant7, et que toute prétention du Nicaragua à un plateau
continental étendu se prolongeant dans cette zone est exclue8. Si la Cour
avait accueilli la demande de la Colombie, la frontière maritime entre les
Parties commencerait, au nord, à l’endroit où la limite de la zone de 200 milles
marins générée par la côte continentale nicaraguayenne atteint le point où
les droits d’États tiers pourraient entrer en jeu, et se poursuivrait vers le sud
jusqu’au point de départ de la frontière établie par la Cour dans son arrêt de
2012 (voir présent arrêt, p. 430, point A sur le croquis no 2). Elle suivrait
ensuite ladite frontière jusqu’à son point terminal (ibid., point B sur le croquis
n° 2), puis, vers le sud, la limite de la zone de 200 milles marins générée
par la côte continentale nicaraguayenne, jusqu’au point où les droits d’États
tiers pourraient entrer en jeu.
8. Il est par conséquent nécessaire, pour déterminer le tracé précis de la
frontière maritime entre le Nicaragua et la Colombie, de vérifier préalablement
si les trois conditions susmentionnées (au paragraphe 6) sont remplies.
Il en irait ainsi même si le Nicaragua ne pouvait que prouver que le prolongement
naturel de son territoire terrestre coïncide avec une partie seulement
de la zone pertinente qu’il revendique et que Serranilla et Bajo Nuevo
soient enclavées, et qu’un État puisse prétendre à un plateau continental
étendu franchissant l’espace maritime auquel un autre État a droit sur
200 milles marins. Dans pareil cas, la frontière maritime suivrait également
la limite de la zone de 200 milles marins à laquelle ont droit San Andrés et
Providencia à partir de leurs côtes.
9. Pour ces raisons, je pense que la Cour n’aurait pas dû rejeter le troisième
chef de conclusions du Nicaragua à ce stade de la procédure. Elle aurait dû
plutôt donner aux Parties la possibilité de défendre leur thèse et de débattre
les questions de savoir si Serranilla et Bajo Nuevo ont droit à une zone maritime
de 200 milles marins, si le Nicaragua peut prouver que le prolongement
7 DC, par. 4.18.
8 CR 2022/28, p. 41-42, par. 23 (Valencia-Ospina).
538 delimitation of the continental shelf (sep. op. nolte)
ation of its coast actually extends to the area around the territorial sea of Serranilla
and Bajo Nuevo (a question which might have required the Court to
seek the help of experts or assessors), and whether a State’s entitlement to an
extended continental shelf can pass through the 200-nautical-mile zone of
another State.
10. In particular, the Court should have given the Parties the opportunity
to present oral arguments on the latter question. In their written pleadings,
the Parties took opposing views on the possibility of “tunnel[ling]” under or
“leapfrog[ging]” over a 200-nautical-mile zone, here the 200-nautical-mile
zones generated by San Andrés and Providencia9. The Court could then
have clarified whether such “tunnelling” or “leapfrogging” is possible under
customary international law. This question was touched upon briefly by an
ITLOS Special Chamber in a judgment rendered after the hearings in the
present case in December 202210. However, the judgment of the ITLOS
Special Chamber does not relieve this Court of its obligation to hear the
Parties on the disputed questions.
11. Had the Court addressed Nicaragua’s third submission in a further
phase of the proceedings, it might have found itself again faced with the
question whether it should declare one or more of the legal questions raised
by this submission to be preliminary, to be dealt with in yet another separate
phase of the proceedings11.
12. In conclusion, I think that “[o]nce the Court has been regularly seised,
the Court must exercise its powers”12. Indeed, the Court “must not exceed
the jurisdiction conferred upon it by the Parties, but it must also exercise that
jurisdiction to its full extent”13. Otherwise, the Court is adjudicating infra
petita.
II. Nicaragua’s First and Second Submissions
13. I doubt that UNCLOS can be interpreted as originally implying a rule
according to which the extended continental shelf of one State may not
extend within the 200-nautical-mile zone of another. I also doubt that such a
9 See RN, para. 4.11; RC, para. 4.6; see also CR 2022/25, p. 26, paras. 42-44 (Argüello
Gómez); CR 2022/28, pp. 41-42, para. 23 (Valencia-Ospina).
10 Dispute concerning Delimitation of the Maritime Boundary between Mauritius and
Maldives in the Indian Ocean (Mauritius/Maldives), ITLOS, Judgment of 28 April 2023,
paras. 444 and 449.
11 Question of the Delimitation of the Continental Shelf between Nicaragua and Colombia
beyond 200 Nautical Miles from the Nicaraguan Coast (Nicaragua v. Colombia), Order of
4 October 2022, I.C.J. Reports 2022 (II), p. 563 and joint declaration of Judges Tomka, Xue,
Robinson, Nolte and Judge ad hoc Skotnikov.
12 Nottebohm (Liechtenstein v. Guatemala), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J.
Reports 1953, p. 122.
13 Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), Judgment, I.C.J. Reports 1985, p. 23,
para. 19.
délimitation du plateau continental (op. ind. nolte) 538
naturel de sa côte s’étend bien aux espaces autour de la mer territoriale de
Serranilla et Bajo Nuevo (ce qui aurait pu demander l’assistance d’experts ou
de conseillers), et si un État peut prétendre à un plateau continental étendu
franchissant la zone de 200 milles marins d’un autre État.
10. Sur ce dernier point en particulier, la Cour aurait dû donner aux Parties
la possibilité de défendre leurs arguments à l’audience. Dans leurs écritures,
les Parties ont exprimé des vues opposées sur la possibilité de « franchir »
« à saute-mouton » ou « par-dessous » une zone de 200 milles marins, en
l’occurrence la zone de 200 milles marins relevant de San Andrés et Providencia9.
La Cour aurait ainsi pu clarifier la question de savoir si un tel
« franchissement » ou « saut » est possible en droit international coutumier.
Cette question a été brièvement abordée par une chambre spéciale du Tribunal
international du droit de la mer (TIDM) dans un arrêt rendu après la
tenue des audiences en l’espèce en décembre 202210. Cependant, cet arrêt de
la Chambre spéciale du TIDM n’exonère pas la Cour de son obligation d’entendre
les Parties sur les questions qui les opposent.
11. Si elle avait examiné le troisième chef de conclusions du Nicaragua à
un stade ultérieur de la procédure, la Cour aurait pu être amenée à se demander
de nouveau s’il fallait qualifier de préliminaire une ou plusieurs des
questions juridiques soulevées par ce chef de conclusions, et en réserver
encore l’examen à une phase distincte de la procédure11.
12. En conclusion, je pense que, « une fois [] régulièrement saisie, la Cour
doit exercer ses pouvoirs »12. Certes, la Cour « ne doit pas excéder la compétence
que lui ont reconnue les Parties, mais elle doit exercer toute cette
compétence »13. Autrement, elle statue infra petita.
II. Les premier et deuxième chefs de conclusions du Nicaragua
13. Je doute que l’on puisse interpréter la convention des Nations Unies sur
le droit de la mer comme ayant exclu dès l’origine la possibilité que le plateau
continental étendu d’un État empiète sur la zone de 200 milles marins d’un
9 Voir RéN, par. 4.11; DC, par. 4.6 ; voir également CR 2022/25, p. 26, par. 42-44 (Argüello
Gómez) ; CR 2022/28, p. 4142, par. 23 (Valencia-Ospina).
10 Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives
dans l’océan Indien (Maurice/Maldives), TIDM, arrêt du 28 avril 2023, par. 444 et 449.
11 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie
au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance
du 4 octobre 2022, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 563, et déclaration commune des juges
Tomka, Xue, Robinson et Nolte, et du juge ad hoc Skotnikov.
12 Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil
1953, p. 122.
13 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 23,
par. 19.
539 delimitation of the continental shelf (sep. op. nolte)
rule was part of the original crystallization of the customary international
law régimes governing the exclusive economic zone and the continental
shelf. However, I have come to the conclusion that such a rule has subsequently
emerged as a rule of customary international law. This is why I find
paragraph 77 of the present Judgment to be particularly important. The fact
that the Court, in its reasoning, has not described and evaluated the relevant
practice and the accompanying attitudes of States in more detail does not
mean that its Judgment rests on a mere assertion.
(Signed) Georg Nolte.
délimitation du plateau continental (op. ind. nolte) 539
autre État. Je doute également qu’une telle règle ait existé dans la cristallisation
initiale des régimes de droit international coutumier relatifs à la zone
économique exclusive et au plateau continental. J’en suis toutefois venu à la
conclusion qu’elle a finalement émergé en tant que règle du droit international
coutumier. C’est pourquoi je trouve le paragraphe 77 du présent arrêt
particulièrement important. Que la Cour, dans son raisonnement, n’ait pas
décrit et évalué plus en détail la pratique pertinente et les comportements
correspondants des États ne signifie pas que son arrêt repose sur une simple
affirmation.
(Signé) Georg Nolte.
Opinion individuelle de M. le juge Nolte