Opinion dissidente de M. le juge Tomka

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154-20230713-JUD-01-01-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE TOMKA
[Traduction]
Sérieux doutes quant à la conclusion de l’arrêt qui voudrait qu’en droit international coutumier le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale ne puisse pas s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État  Cour parvenant à une conclusion à laquelle elle aurait pu parvenir en 2012 si elle avait cru à l’existence d’une telle règle  Procédure scindée  Demandeur privé de la possibilité de présenter l’intégralité de son argumentation.
Conclusion de la Cour fondée sur une hypothétique « considération » et des travaux préparatoires de la convention peu probants  Nulle indication dans la convention et dans les travaux préparatoires que les États participant aux négociations « considéraient » que le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins « ne pouvait se prolonger que dans des espaces maritimes qui, autrement, feraient partie de la Zone ».
Détermination du droit international coutumier  Absence de pratique des États répandue et uniforme à l’appui de la règle coutumière alléguée  Cour passant sous silence la pratique étatique contraire à ses conclusions.
Absence d’opinio juris à l’appui de la règle coutumière alléguée  Méthodologie erronée  Cour déduisant l’opinio juris d’une pratique négative des États  Pratique négative des États ne s’expliquant pas par un sentiment d’obligation juridique  Cour faisant abstraction des vues des États pour lesquels le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins peut s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
Conclusion de la Cour fondée sur la relation entre plateau continental et zone économique exclusive  Lecture erronée de l’arrêt rendu par la Cour en 1985 en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte)  Arrêt de 1985 ne venant pas étayer la décision de la Cour.
Conclusion de la Cour s’écartant de la jurisprudence des cours et tribunaux internationaux  Cour ne donnant aucune explication à cette rupture  Fragmentation.
1. Le présent arrêt est perturbant. Il est l’aboutissement d’une procédure irrégulière qui a empêché le demandeur de présenter l’intégralité de son argumentation comme le veut le Règlement. La Cour rejette les conclusions du demandeur sur la seule base de ses écritures. Or, elle est censée statuer sur les conclusions finales du demandeur telles qu’elles ont été présentées oralement au terme des audiences et par écrit dans un document dûment signé par l’agent1. Dans son ordonnance du 4 octobre 2022, la Cour avait enjoint aux Parties de « circonscrire » leurs plaidoiries à deux questions qu’elle leur posait2.
1 Paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement de la Cour.
2 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance du 4 octobre 2022, C.I.J. Recueil 2022, p. 565 (les italiques sont de moi).
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2. La Cour avait décidé de procéder ainsi sans s’informer des vues des Parties sur les questions de procédure, comme l’exige son Règlement3.
3. L’arrêt n’est pas fondé sur l’application du droit international mais sur une règle que la Cour a tout simplement « inventée ». Il ne contient aucune analyse sérieuse de la pratique des États ni de l’opinio juris requise. Il se borne à se réclamer d’une « règle coutumière ».
4. Il est déroutant que la Cour, dans son arrêt de 2012, n’ait pas rejeté la prétention du Nicaragua à un plateau continental au-delà de 200 milles marins sur le fondement de ce qu’elle affirme maintenant être une « règle coutumière de droit international ». Il y a lieu de rappeler qu’en 2012 déjà, la Colombie avait présenté des arguments juridiques pour démontrer que le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins ne peut pas s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État4, les mêmes qu’elle a fait valoir en l’espèce. La Cour n’a pas examiné ces arguments juridiques en 2012. Au lieu de cela, elle a jugé qu’elle ne pouvait accueillir la demande de délimitation du plateau continental formulée au point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua5 car celui-ci, bien que partie à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (ci-après la « CNUDM »), n’avait pas présenté une demande complète à la Commission des limites du plateau continental (ci-après la « Commission des limites » ou la « Commission ») comme le requiert le paragraphe 8 de l’article 76 de la convention6.
5. La Cour a confirmé par la suite, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires rendu en l’espèce en 2016, que c’était précisément pour cette raison qu’elle n’avait pas procédé à la délimitation du plateau continental du Nicaragua au-delà de 200 milles marins, et non parce que ce plateau ne pouvait pas s’étendre en deçà de 200 milles marins de la côte continentale de la Colombie. Ayant entendu les arguments des Parties sur la portée de l’arrêt de 2012, la Cour a dit avoir
« conclu que la délimitation du plateau continental au-delà des 200 milles marins des côtes nicaraguayennes était conditionnée par la soumission, de la part du Nicaragua, des informations sur les limites de son plateau continental au-delà de 200 milles marins, prévues au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM, à la Commission. La Cour n’a[vait] donc pas tranché la question de la délimitation, en 2012, parce qu’elle n’était pas, alors, en mesure de le faire. »7
6. En 2016 encore, la Cour estimait qu’elle pouvait procéder à la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins que le Nicaragua avait sollicitée après avoir déposé sa demande à la Commission des limites en 2013. Elle a ainsi ouvert la voie à une autre décennie de
3 Article 31 du Règlement de la Cour.
4 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), duplique de la Colombie par. 4.11-4.12, 4.60-4.69, 4.71 et p. 331-332, par. 13 ; CR 2012/11, p. 27-28, par. 34 (Crawford) ; CR 2012/12, p. 60-61, par. 77-78 (Bundy) ; CR 2012/16, p. 52, par. 85 (Bundy). En ce qui concerne les arguments du demandeur, tels qu’ils furent présentés à la Cour en 2012, voir notamment la réplique du Nicaragua, par. 3.47-3.56 et 3.67 ; CR 2012/8, p. 27-28, par. 6-7 (Oude Elferink) ; CR 2012/9, p. 25, par. 21 ; p. 27, par. 30 ; p. 28-31, par. 38-48 et 53 ; p. 34-35, par. 66-73 (Lowe).
5 Au point I. 3) de ses conclusions finales, le Nicaragua priait la Cour de dire que, « dans le cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales du Nicaragua et de la Colombie, la méthode de délimitation à retenir consiste à tracer une limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent ».
6 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), dispositif, p. 719, par. 251 3). On relèvera que la Cour a considéré qu’il s’agissait d’une question de « délimitation ».
7 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 132, par. 85 (les italiques sont de moi).
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procédures judiciaires entre les Parties, et ce, pour parvenir en 2023 à une conclusion à laquelle elle aurait pu parvenir en 2012, si elle avait été convaincue de l’existence de cette règle de droit international coutumier.
7. Dans son ordonnance du 4 octobre 2022, la Cour a posé deux questions de droit aux Parties :
« 1) En droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut-il s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État ?
2) Quels sont en droit international coutumier les critères sur la base desquels il convient de déterminer les limites du plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale ? À cet égard, les paragraphes 2 à 6 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer reflètent-ils le droit international coutumier ? »8
8. Dans le présent arrêt, la Cour rejette la demande de délimitation du Nicaragua car, selon elle, en droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale « ne peut pas s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État » (arrêt, par. 79). Cette conclusion est étonnante car la Cour est censée connaître le droit (iura novit curia). Comme elle l’a dit par le passé,
« en tant qu’organe judiciaire international, [elle] n’en est pas moins censée constater le droit international… La Cour ayant pour fonction de déterminer et d’appliquer le droit dans les circonstances de chaque espèce, la charge d’établir ou de prouver les règles de droit international ne saurait être imposée à l’une ou l’autre Partie, car le droit ressortit au domaine de la connaissance judiciaire de la Cour. »9
Reste à savoir pourquoi la Cour n’a pas adopté cette position en 2012. Le présent arrêt ne contient aucune réponse à cette question.
9. Étant donné que je ne souscris pas à la conclusion de la Cour, il me faut expliquer pourquoi.
I. LA PORTÉE ET LA SIGNIFICATION DE LA PREMIÈRE QUESTION
10. La première question de la Cour ne concerne qu’une étape du processus de délimitation. Comme le rappelle l’arrêt à juste titre, « [l]’une des étapes essentielles dans tout processus de délimitation consiste à déterminer s’il existe des droits, et si ceux-ci se chevauchent » (arrêt, par. 42). Cette étape est essentielle pour au moins deux raisons. Tout d’abord, les droits que les États revendiquent ne coïncident pas toujours avec ceux auxquels ils peuvent en réalité prétendre ; la Cour doit donc déterminer elle-même ce à quoi les parties ont droit. Pour cela, elle définit quelles côtes des parties génèrent des droits à des espaces maritimes. Il y a « chevauchement » de droits lorsque
8 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance du 4 octobre 2022, C.I.J. Recueil 2022, p. 565.
9 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 9, par. 17, et Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 181, par. 18.
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les projections de la côte d’une partie empiètent sur celles de la côte de l’autre partie
10. Cette étape est également essentielle parce que le chevauchement de droits conditionne la possibilité de procéder à une délimitation ; en l’absence de chevauchement de droits, la Cour n’a tout simplement rien à délimiter.
11. La question de la Cour vise cette étape préliminaire du processus de délimitation (que, par commodité, j’appellerai simplement l’« étape de la détermination »). Elle est posée au regard du droit, comme l’est généralement une question juridique, et non au regard des circonstances de l’espèce.
12. Au risque d’exprimer une évidence, rappelons que ce n’est pas parce qu’un État a droit à un espace maritime donné qu’il doit se voir accorder toute l’étendue de cet espace au terme du processus de délimitation. À la différence d’un titre valide sur un territoire donné, qui emporte l’exclusion de tout autre titre sur ce même territoire, les droits à des espaces maritimes ont ceci de particulier qu’ils peuvent se chevaucher11. Comme la Cour l’a expliqué dans l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire, la délimitation consiste à « résoudre le problème du chevauchement des revendications en traçant une ligne de séparation entre les espaces maritimes concernés »12. Pour cela, la ligne de délimitation doit, autant que faire se peut, « permettre aux côtes des [p]arties de produire leurs effets, en matière de droits à des espaces maritimes, d’une manière raisonnable et équilibrée pour chacune d’entre elles »13. Les espaces dont les parties peuvent se prévaloir peuvent être amputés pour parvenir à une solution équitable. Le processus de délimitation conduit souvent à ce que l’une des parties, voire les deux, n’obtienne pas les espaces qu’elle pouvait avoir sans la présence de l’autre partie14.
13. Il s’ensuit qu’une réponse affirmative à la question de la Cour n’implique en rien qu’il faille accorder au Nicaragua l’intégralité ou la plus grande partie — ou même une quelconque portion — de la zone, en deçà de 200 milles marins de la côte colombienne, dans laquelle les droits des Parties pourraient se chevaucher.
14. Il est également utile de dire un mot du problème qui est au coeur de la question de la Cour et de replacer ce problème dans son contexte. L’étape de la détermination est généralement un exercice simple, même lorsque les parties ne s’entendent pas, par exemple, sur la définition de leurs côtes pertinentes. Tel n’est pas le cas en l’espèce. L’existence et l’étendue du plateau continental auquel le Nicaragua peut prétendre au-delà de 200 milles marins15 doivent être déterminées par l’application des critères géologiques et géomorphologiques énoncés à l’article 76 de la convention,
10 Voir Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 89, par. 77.
11 Prosper Weil, « Délimitation maritime et délimitation terrestre » in Yoram Dinstein and Mala Tabory (sous la dir. de), International Law at a Time of Perplexity: Essays in Honour of Shabtai Rosenne, Martinus Nijhoff Publishers, 1989, p. 1021-1023.
12 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 89, par. 77.
13 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 703, par. 215.
14 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 64, par. 59.
15 J’éviterai d’employer l’expression « plateau continental étendu ». Même si elle est sans doute bien pratique, cette formule abrégée ne trouve aucun fondement dans la convention et est de nature à induire en erreur. De toute évidence, lorsqu’un État revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins, il n’« étend » pas son plateau continental et ne cherche pas non plus à lui adjoindre quoi que ce soit. Il fait simplement valoir la limite extérieure d’un espace que le droit international lui reconnaît ipso facto et ab initio. Voir le paragraphe 29 de la présente opinion.
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et non par la seule configuration de ses côtes
16. Pour établir son droit, le Nicaragua s’appuie sur la demande qu’il a soumise à la Commission des limites en 2013. Selon lui, cette demande contient suffisamment de données pour démontrer que, suivant les critères géologiques et géomorphologiques, il peut revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins dont les limites sont soumises aux contraintes énoncées au paragraphe 5 de l’article 76 de la convention. La Colombie s’oppose à cette revendication, faisant valoir que le Nicaragua n’a pas apporté la preuve que le prolongement naturel de son territoire terrestre s’étend suffisamment loin pour chevaucher le plateau continental auquel elle-même a droit sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale17.
Si la Colombie avait raison en ce qui concerne les faits, la Cour n’aurait nullement besoin de procéder à la délimitation, car il n’y aurait pas de chevauchement de droits en deçà de 200 milles marins de la côte continentale colombienne.
15. Tel n’est cependant pas le problème qui est au coeur de la question de la Cour. Le problème au coeur de cette question — et du présent arrêt — est d’ordre juridique. Il concerne une situation dans laquelle, dans une zone donnée, un État A doté d’une vaste marge revendique un plateau continental dont la limite est située au-delà de 200 milles marins de sa côte et en deçà de 200 milles marins de la côte d’un État B, lequel a droit à un plateau continental sur la base du critère de la distance de 200 milles marins et à une zone économique exclusive sur cette même distance. Il n’y a là rien de nouveau ni d’inhabituel, les cours et tribunaux internationaux ayant déjà été confrontés à plusieurs reprises à une telle situation.
16. Dans l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine, les parties avaient débattu une situation analogue, dans laquelle le Canada, par commodité, appelait « zone grise » une zone de chevauchement des droits située au-delà de 200 milles marins de la côte américaine mais en deçà de 200 milles marins de sa propre côte18. Bien qu’il n’eût pas été demandé à la Chambre de la Cour de délimiter leurs droits dans cette zone, les parties avaient présenté différentes lignes de délimitation qui, en se prolongeant au large, créaient des zones grises de tailles diverses19. La même question a été soumise au tribunal arbitral dans l’Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago20, mais celui-ci n’a pas pris position sur « le fond du problème »21. Elle a aussi été examinée dans trois autres affaires, à savoir les deux relatives à la délimitation dans le golfe du Bengale, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar)22 et Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh
16 Il faut cependant préciser que, du fait que le Nicaragua entend délinéer la limite extérieure du plateau continental par une ligne tracée selon le critère de la distance, conformément au paragraphe 5 de l’article 76 de la convention, sa côte demeure pertinente. La ligne qu’il propose ainsi est construite au moyen d’arcs tracés à une distance de 350 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la mer territoriale.
17 Duplique de la Colombie, par. 6.43-6.81.
18 Voir C.I.J. Mémoires, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-Unis d’Amérique), vol. III, p. 214-217, par. 570-576. Voir également ibid., vol. V, p. 477-478, par. 243-245. Il semble que ce soit là la première fois que l’expression « zone grise » a été employée en ce sens dans la pratique internationale. Concernant cette expression et ses différents emplois, voir David A. Colson, « The Legal Regime of Maritime Boundary Agreements » in Jonathan I. Charney and Lewis M. Alexander, International Maritime Boundaries, vol. 1, Martinus Nijhoff, 1993, p. 67-69.
19 C.I.J. Mémoires, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-Unis d’Amérique), vol. VI, p. 162-164, plaidoirie de M. Weil ; et ibid., vol. VII, p. 217-220, réponse de M. Colson.
20 Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and Tobago, sentence du 11 avril 2006, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXVII, p. 242, par. 367.
21 Ibid., p. 242, par. 368.
22 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 119-121, par. 463-476.
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c. Inde)
23 (ci-après les « affaires du golfe du Bengale »), et celle relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya) sur laquelle la Cour a statué24. Je reviendrai plus loin sur ces affaires et leurs implications.
17. En la présente espèce, s’il se crée une zone de chevauchement de droits, c’est parce que le Nicaragua revendique un plateau continental de plus de 200 milles marins qui s’étend loin dans les Caraïbes occidentales et jusqu’en deçà de 200 milles marins de la côte continentale colombienne, où il rencontre le plateau continental auquel la Colombie a droit selon le critère de la distance de 200 milles marins.
18. À l’étape de la détermination, une telle zone de chevauchement soulève plusieurs questions de droit qui, pendant assez longtemps, ont surtout intéressé les auteurs de doctrine25. L’une de ces questions est de savoir si pareil chevauchement peut même seulement se produire du point de vue juridique. Autrement dit, un État est-il « empêché » de revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins dans une zone qu’un autre État côtier revendique comme son propre plateau continental sur la base du critère de la distance de 200 milles marins ? La Colombie a vigoureusement défendu cette thèse.
19. Il faut garder à l’esprit que le présent arrêt porte sur la zone de chevauchement de droits à l’étape de la détermination. La question est de savoir si les droits des Parties se chevauchent, exigeant ainsi une délimitation. La manière dont la Cour devrait alors envisager celle-ci et quels seraient les droits des Parties dans une telle zone maritime est une affaire d’équité qui ne relève pas de la première question de la Cour. Il importe donc à cet égard de faire la distinction entre 1) une zone de chevauchement de droits et 2) les espaces maritimes qu’une cour ou un tribunal pourra définir. Cette distinction est importante. La Colombie semble considérer que l’existence d’une zone de chevauchement de droits dans la mer des Caraïbes en deçà de 200 milles marins de sa côte continentale emporte nécessairement l’établissement par la Cour du même type d’espaces maritimes que ceux définis par exemple dans les affaires du golfe du Bengale, avec la même répartition des droits. Si les droits des Parties se chevauchaient, il appartiendrait à la Cour d’adopter sa propre solution équitable.
20. Si j’ai exposé assez longuement ces observations préliminaires, c’est parce qu’elles sont nécessaires pour comprendre la première question de la Cour.
II. LE DROIT À UN PLATEAU CONTINENTAL AU-DELÀ DE 200 MILLES MARINS
21. Le point de départ de l’analyse est le paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM. Bien que celle-ci ne soit pas applicable entre les Parties, la Cour a estimé que la définition du plateau
23 Bay of Bengal Maritime Boundary Arbitration (Bangladesh v. India), sentence du 7 juillet 2014, RSA, vol. XXXII, p. 155-157, par. 498-508.
24 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 277, par. 197.
25 Voir, par exemple, Malcom D. Evans, « Delimitation and the Common Maritime Boundary », British Yearbook of International Law, 1994, vol. 64 1), p. 283-332 ; Alex G. Oude Elferink, « Does Undisputed Title to a Maritime Zone Always Exclude Its Delimitation: The Grey Area Issue », The International Journal of Marine & Coastal Law, 1998, vol. 13 2), p. 143 ; Malcolm D. Evans, « Maritime Boundary Delimitation: Whatever Next? » in Jill Barrett and Richard Barnes (sous la dir. de), Law of the Sea: UNCLOS as a Living Treaty, British Institute of International and Comparative Law, 2016, p. 70-79 ; Xuexia Liao, « Is There a Hierarchical Relationship between Natural Prolongation and Distance in the Continental Shelf Delimitation? », The International Journal of Marine & Coastal Law, 2018, vol. 33 1), p. 79.
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continental qui y est énoncée faisait partie du droit international coutumier
26. Il ne fait pour moi aucun doute que les autres dispositions clés qui définissent la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins reflètent également le droit international coutumier27. La notion de plateau continental ne peut avoir en droit international coutumier un autre sens que celui de la convention. Celle-ci dispose que le plateau continental d’un État côtier comprend les fonds marins et leur sous-sol s’étendant a) « au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet État jusqu’au rebord externe de la marge continentale », ou b) « jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure »28. À cet égard, l’article 76 contient une série de dispositions complémentaires qui définissent la marge continentale et précisent la manière dont son rebord externe doit être déterminé au-delà de 200 milles marins.
22. La première disposition clé est le paragraphe 3, qui définit la « marge continentale ». La deuxième, contenue aux sous-alinéas i) et ii) de l’alinéa a) du paragraphe 4, indique comment déterminer le rebord externe de la marge continentale par l’application de deux règles (parfois appelées « formules »). Tant la « formule de l’épaisseur sédimentaire de 1 % » que la « formule de la distance de 60 milles marins », décrites à l’alinéa a) du paragraphe 4, s’appliquent par référence à une formation géologique, le pied du talus continental. Le résultat obtenu par l’application de ces formules doit ensuite satisfaire aux conditions énoncées au paragraphe 5. Selon la première (la « contrainte de la distance »), la limite extérieure du plateau continental doit se situer à une distance n’excédant pas 350 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale. Les États peuvent également appliquer la seconde condition énoncée au paragraphe 5 (la « contrainte de la profondeur »), selon laquelle la limite extérieure du plateau continental doit se situer à une distance n’excédant pas 100 milles marins de l’isobathe de 2 500 mètres, qui est la ligne reliant les points de 2 500 mètres de profondeur.
23. Il est possible de ne pas appliquer la contrainte de la distance de 350 milles marins dans le cas de hauts-fonds qui demeurent des éléments naturels de la marge continentale, tels que les plateaux, seuils, crêtes, bancs ou éperons qu’elle comporte29.
24. Un État peut recourir à la combinaison de formules qui lui est la plus favorable pour définir le rebord externe de sa marge continentale et combiner également à son avantage les critères de distance et de profondeur pour déterminer la limite extérieure de son plateau continental30.
25. Si j’ai exposé en détail les règles qui servent à déterminer la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins, c’est non pas pour montrer que cette détermination est une question complexe, mais pour mettre en évidence ce que ces règles contiennent et ne contiennent pas. Elles font appel à des notions de géodésie, de géologie, de géophysique et d’hydrographie, ainsi qu’à des formules et contraintes très précises. En revanche, il est une chose dont elles ne parlent pas :
26 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 118 ; Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 130, par. 78.
27 Voir Kevin A. Baumert, « The Outer Limits of the Continental Shelf Under Customary International Law », American Journal of International Law, 2017, vol. 111, p. 827.
28 Paragraphe 1 de l’article 76 de la convention (les italiques sont de moi).
29 Paragraphe 6 de l’article 76 de la convention.
30 Il existe cependant une restriction à la faculté d’un État de recourir au critère (ou combinaison de critères) le plus favorable. Selon le paragraphe 6 de l’article 76, les « dorsales sous-marines » constituent des cas particuliers auxquels seule la contrainte de la distance peut s’appliquer (à l’exclusion de celle de la profondeur).
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l’idée que le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins « s’arrête » à 200 milles marins des lignes de base d’un autre État ou « ne puisse s’étendre » en deçà.
26. La convention ne dit rien sur le point de savoir si le plateau continental qu’un État peut revendiquer au-delà de 200 milles marins peut s’étendre ou non en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. En l’absence de restriction à cet égard, il faut admettre que l’existence et l’étendue d’un plateau continental au-delà de 200 milles marins ne dépendent que des critères géologiques et géomorphologiques susmentionnés, sous réserve des contraintes applicables prévues au paragraphe 5 de l’article 76 de la convention. Cette conclusion est conforme au principe fondamental, souvent réaffirmé dans les affaires de délimitation, qui veut que « la terre domine la mer ». Le droit d’un État à des espaces maritimes découle de sa souveraineté sur la terre, en particulier sa côte qui génère des droits à des espaces maritimes. Comme la Cour l’a fait observer dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord31, puis dans celle relative à la Délimitation maritime en mer Noire32, c’est sur ce principe que repose le droit à un plateau continental. L’existence du droit d’un État côtier à un plateau continental ne dépend pas de la proximité de la côte d’un autre État.
27. La convention ne contient pas non plus de réserve à l’effet de dire que le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins ne peut pas empiéter sur le plateau continental revenant à un autre État en deçà de 200 milles marins. En l’absence d’une telle réserve, il faut admettre que ces droits peuvent se chevaucher. Comme je l’ai dit plus haut, les droits à des espaces maritimes ont pour particularité de pouvoir se chevaucher.
28. Les Parties ont fait abondamment référence aux travaux préparatoires de la convention pour étayer leurs arguments. Mais, comme la Cour le relève à juste titre dans l’arrêt, la question de savoir si le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins peut se prolonger en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État « n’a pas été débattue pendant la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer » (arrêt, par. 76). Cela n’est pas tout à fait surprenant. Il convient de rappeler qu’au moment de la négociation du régime du plateau continental, seuls une trentaine d’États avaient été jugés susceptibles d’avoir une marge continentale allant au-delà de 200 milles marins de leurs côtes, qui exigerait l’application de la procédure de délinéation énoncée à l’article 7633. Les États n’avaient peut-être pas envisagé alors tous les aspects de cette question.
29. Nonobstant ce qui précède et malgré l’absence de toute restriction explicite, la Cour semble tentée, au paragraphe 76 de l’arrêt, de conclure à l’existence d’une restriction implicite du droit à un plateau continental au-delà de 200 milles marins, sur la base des paragraphes 4 à 9 de l’article 76 de la convention, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 82, lequel a trait aux contributions en espèces ou en nature à verser au titre de l’exploitation des ressources non biologiques du plateau continental qui, autrement, feraient partie de la Zone.
Dans l’arrêt, la Cour avance que ces dispositions semblent indiquer que « les États participant aux négociations considéraient que le plateau continental [au-delà de 200 milles marins] ne pouvait se prolonger que dans des espaces maritimes qui, autrement, feraient partie de la Zone » — ce qui
31 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 51, par. 96.
32 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 89, par. 77.
33 Voir Nations Unies, bureau des affaires juridiques, division des affaires maritimes et du droit de la mer, « Le droit de la mer  La définition du plateau continental : Examen des dispositions pertinentes relatives au plateau continental dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer », New York, 1994, p. 6.
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impliquerait que le plateau continental au-delà de 200 milles marins ne peut se prolonger que dans la Zone et non en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État (arrêt, par. 76, les italiques sont de moi). Or, pareille hypothèse n’apparaît nulle part dans les travaux préparatoires de la convention. Il ne s’agit, selon moi, que d’une simple spéculation qui, même à supposer qu’elle soit juste, ne saurait remplacer le texte clair de la convention.
La notion de plateau continental avait pris forme plusieurs décennies avant l’adoption de la convention de 1982. Comme la Cour l’a affirmé sans équivoque en 1969, les droits de l’État côtier concernant la zone de plateau continental qui constitue un prolongement naturel de son territoire sous la mer « existent ipso facto et ab initio en vertu de la souveraineté de l’État sur ce territoire »34. Les États avaient depuis longtemps accepté cette notion et admis que le plateau continental pouvait s’étendre au-delà de 200 milles marins de la côte d’un État jusqu’au talus continental, même si la question de ses limites extérieures précises continuait de faire l’objet de discussions35. Pendant un temps, l’étendue du plateau continental a été définie conventionnellement à l’aide du critère de l’exploitation36. Cette méthode était toutefois assez imprécise. Les formules et contraintes de l’article 76 décrites précédemment sont le résultat de longues négociations et visaient à définir, mais aussi à limiter, l’étendue du plateau continental des États dotés d’une vaste marge37. Elles offrent une méthode pour établir les limites du plateau continental. Sachant que les dispositions de la convention ont été minutieusement analysées et longuement négociées, l’idée que celle-ci impose une restriction implicite au droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins n’est pas défendable.
30. Aussi suis-je d’avis qu’il y a lieu de répondre par l’affirmative à la question de savoir si « le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins … peut[] s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État ». Aucune disposition de la convention ne porte à croire le contraire.
III. LA JURISPRUDENCE
31. La jurisprudence de la Cour et des tribunaux internationaux en matière de délimitation maritime étaye la conclusion qui précède. Ces juridictions ont reconnu que le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins pouvait s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. Les décisions rendues dans les affaires du golfe du Bengale ainsi que celle de la Cour relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya) sont particulièrement intéressantes à cet égard.
32. Dans les affaires du golfe du Bengale, le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) et un tribunal arbitral constitué conformément à l’annexe VII ont accepté que les droits des parties se chevauchent dans une zone grise. Dans la première, l’affaire Bangladesh/Myanmar, le TIDM a délimité les espaces maritimes revenant à chacune des parties, y compris leurs droits au-delà de 200 milles marins de leurs côtes. Le TIDM ayant déplacé la ligne d’équidistance provisoire au bénéfice du demandeur, la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins a généré une zone située au-delà de 200 milles marins de la côte du Bangladesh mais en deçà de 200 milles
34 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 22, par. 19.
35 R. Y. Jennings, « The Limits of Continental Shelf Jurisdiction: Some Possible Implications of the North Sea Case Judgment », International & Comparative Law Quarterly, 1969, vol. 18, p. 830.
36 Convention de 1958 sur le plateau continental, art. premier.
37 Ted L. McDorman, « An ISA Side Issue: UNCLOS, Article 82 and Revenue Sharing » in Alfonso Ascencio-Herrera and Myron H. Nordquist (sous la dir. de), The United Nations Convention on the Law of the Sea, Part XI Regime and the International Seabed Authority: A Twenty-Five Year Journey, Brill | Nijhoff, 2022, p. 367.
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marins de la côte du Myanmar, quoique du côté bangladais de la ligne de délimitation
38. De même, la délimitation effectuée par le tribunal arbitral en deçà et au-delà de 200 milles marins dans l’affaire Bangladesh c. Inde a généré une zone située au-delà de 200 milles marins de la côte du Bangladesh mais en deçà de 200 milles marins de la côte de l’Inde, quoique du côté bangladais de la ligne de délimitation39. Du point de vue de la délimitation, ces tribunaux ont attribué au Bangladesh, à titre de plateau continental au-delà de 200 milles marins, une zone qui, autrement, aurait fait partie du plateau continental revenant respectivement au Myanmar et à l’Inde en deçà de 200 milles marins de leurs côtes. Ainsi, ces décisions étaient fondées sur le constat que les droits des parties à un plateau continental pouvaient se chevaucher et se chevauchaient effectivement40. Comme je l’ai expliqué plus haut, ce point relève de l’étape de la détermination (voir le paragraphe 11).
33. L’arrêt de la Cour en l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya) est également pertinent. La Cour y a admis que le plateau continental du Kenya au-delà de 200 milles marins pouvait s’étendre en deçà de 200 milles marins de la côte de la Somalie. Elle a affirmé que, en fonction de l’étendue des droits du Kenya (selon ce qui pourrait être déterminé sur la base des recommandations de la Commission des limites), la ligne de délimitation qu’elle avait définie pouvait créer une zone « située au-delà de 200 milles marins des côtes du Kenya et en deçà de 200 milles marins de celles de la Somalie, mais du côté kényan de ladite ligne »41. La Cour a qualifié cette zone d’« éventuelle zone grise » (représentée sur le croquis no 12 de l’arrêt en question sous la forme d’une zone cunéiforme de couleur grise)42. La raison pour laquelle la Cour a employé le terme « éventuelle » est simple. Lorsque l’arrêt a été rendu en 2021, la Commission n’avait pas encore formulé de recommandation relativement à la demande de plateau continental au-delà de 200 milles marins du Kenya43. Des doutes subsistaient donc — à l’époque, mais plus aujourd’hui44 — quant à l’étendue du plateau continental auquel le Kenya pouvait prétendre au-delà de 200 milles marins. Cela étant, la Cour a jugé possible, du point de vue juridique, que les droits des parties à un plateau continental se chevauchent.
34. La manière dont la Cour a délimité la frontière maritime entre les parties au-delà de 200 milles marins montre aussi clairement que telle était bien là sa position. La Cour a opéré cette délimitation en prolongeant au-delà de 200 milles marins la même ligne géodésique qui constituait la frontière maritime unique délimitant la zone économique exclusive et le plateau continental jusqu’à 200 milles marins45. Tel est le point clé : s’il n’y avait pas eu chevauchement des droits à un plateau continental, la Cour n’aurait pas pu procéder ainsi — du moins au début. Seule la Somalie aurait eu droit à un plateau continental dans la zone cunéiforme et la Cour aurait été obligée de définir
38 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 119, par. 463.
39 Bay of Bengal Maritime Boundary Arbitration (Bangladesh v. India), sentence du 7 juillet 2014, RSA, vol. XXXII, p. 147, par. 498.
40 Malcolm D. Evans, « Maritime Boundary Delimitation: Whatever Next? » in Jill Barrett and Richard Barnes (sous la dir. de), Law of the Sea: UNCLOS as a Living Treaty, British Institute of International and Comparative Law, 2016, p. 74.
41 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 277, par. 197.
42 Ibid., p. 278.
43 Ibid., p. 220, par. 34.
44 Ce qui était une « éventuelle zone grise » dans l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya) est devenu une réalité, car la Commission des limites du plateau continental a approuvé les recommandations faites par sa sous-commission, ce qui semble confirmer que le Kenya avait droit à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de sa côte. Voir le résumé des recommandations de la Commission des limites du plateau continental concernant la demande présentée par la République du Kenya le 6 mai 2009, adoptées par la Sous-Commission le 8 novembre 2022 puis par la Commission, et modifiées le 7 mars 2023 ; accessible en anglais à l’adresse suivante : https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/ken35_09/20230307ComSumRecKen.pdf.
45 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 277, par. 196.
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une ligne de délimitation suivant un tracé « en zigzag ». Or, ce n’est pas ce qu’elle a fait. Elle n’a vraisemblablement rien trouvé dans le droit international qui l’empêchât de tracer la frontière maritime de telle sorte que le plateau continental du Kenya au-delà de 200 milles marins s’étende en deçà de 200 milles marins des lignes de base de la Somalie.
35. L’on peut se demander en quoi ces décisions diffèrent du présent arrêt.
36. Au paragraphe 72 — qui n’est pas un modèle de clarté — de l’arrêt, la Cour est prompte à répondre que les trois affaires susmentionnées « ne sont d’aucune aide ». Elle tente de se réfugier derrière l’argument que la présente affaire s’en démarque en ce que le Nicaragua « revendique un plateau continental étendu qui se situe en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un ou de plusieurs autres États » (ibid.). Selon l’arrêt, dans les deux affaires du golfe du Bengale, c’était au contraire « le recours à une ligne d’équidistance ajustée, dans une délimitation entre deux États adjacents, [qui] a[vait] donné lieu à une “zone grise”, en tant que conséquence fortuite de cet ajustement ». De même, dans l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), c’était le recours à une ligne d’équidistance ajustée qui avait donné lieu, « en tant que conséquence fortuite », à une éventuelle zone grise entre deux États adjacents.
Il est difficile de savoir comment interpréter cette déclaration sibylline. Il semble qu’elle se résume à une distinction entre États ayant des côtes adjacentes (comme dans les affaires du golfe du Bengale et dans celle relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya)) et États dont les côtes se font face (comme c’est le cas en l’espèce). Il est vrai que l’existence d’une zone de chevauchement et la manière dont celle-ci sera traitée sont fonction de la configuration côtière. La délimitation par un tribunal des droits d’États adjacents tant en deçà qu’au-delà de 200 milles marins génère une zone grise dès lors que la frontière maritime unique délimitant les espaces maritimes dont ces États peuvent se prévaloir sur 200 milles marins ne suit pas la ligne d’équidistance. Entre États dont les côtes se font face, lorsque les deux côtes sont distantes de plus de 400 milles marins et que seul un État peut revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins — comme c’est le cas en l’espèce —, la zone grise peut prendre une autre forme que celle, cunéiforme, qui est créée lorsqu’il s’agit d’États ayant des côtes adjacentes. Le cas échéant, la forme et la taille de la zone grise varieront en fonction de l’étendue du plateau continental auquel un État a droit au-delà de 200 milles marins, telle qu’elle aura été déterminée par une cour ou un tribunal par application des règles de délimitation maritime requises pour parvenir à un résultat équitable.
37. En l’espèce, la Colombie soutenait que les zones grises dans les affaires du golfe du Bengale et dans celle relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya) n’étaient qu’une « conséquence fortuite » du processus de délimitation. Cela me paraît aller à l’encontre du but recherché : dire que les zones grises sont une conséquence fortuite de la délimitation revient à reconnaître, tout d’abord, que les droits des parties se chevauchent et donc que, du point de vue juridique, ils peuvent se chevaucher46. Encore une fois, les cours et les tribunaux ne peuvent procéder à une délimitation que là où il y a chevauchement des droits des parties.
La défenderesse affirmait en outre que les zones grises « de petite taille » en jeu dans ces décisions différaient de « l’énorme zone grise que le Nicaragua cherch[ait] … à créer » en l’espèce47.
Cela revient à confondre l’étape préliminaire de la détermination avec la délimitation finale. Je conviens que, selon les circonstances d’une affaire donnée, il y a quelque chose d’inéquitable à
46 Jin-Hyun Paik, « The Grey Area in the Bay of Bengal Case » in Myron H. Nordquist et al. (sous la dir. de), International Marine Economy: Law and Policy, Brill | Nijhoff, 2017, p. 275.
47 CR 2022/26, p. 46, par. 3 (Palestini).
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attribuer, à un État A doté d’une vaste marge, une zone qu’il peut revendiquer comme plateau continental au-delà de 200 milles marins mais qui se situe dans la zone de 200 milles marins d’un État B. Dans cette hypothèse, l’État B pourrait se retrouver avec un plateau continental n’atteignant pas la limite de 200 milles marins à partir de sa côte, alors que l’État A jouirait d’un plateau continental s’étendant non seulement jusqu’à 200 milles marins de sa côte, mais aussi au-delà. Cependant, il s’agit là d’une question de délimitation. Si la taille d’une zone grise peut avoir un certain rôle à jouer aux étapes ultérieures de la délimitation — par exemple en tant qu’éventuelle circonstance pertinente pour une solution équitable —, elle n’en joue toutefois aucun dans la détermination de l’existence d’un chevauchement de droits.
La configuration côtière des États — que leurs côtes se fassent face ou qu’elles soient adjacentes — ne peut avoir d’incidence sur la question de principe consistant à établir, à l’étape de la détermination, si le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins peut empiéter sur le plateau continental auquel un autre État a droit sur la base du critère de la distance de 200 milles marins. Le droit de l’État côtier sur le plateau continental est le même, quelle que soit sa situation côtière48.
Plus exactement, si les zones grises sont « impossibles » parce que, du point de vue juridique, il ne peut y avoir chevauchement de droits — comme la Cour semble le conclure maintenant au paragraphe 82 de l’arrêt —, alors elles sont impossibles quelles que soient les circonstances.
38. Il paraît donc inévitable de conclure que le présent arrêt s’écarte de la jurisprudence de la Cour et de celle des tribunaux internationaux. Cette jurisprudence contient une conclusion de droit constamment réaffirmée qui est ici tout simplement ignorée. Je regrette que la Cour n’offre aucun argument convaincant pour expliquer cette rupture49. Comme mes éminents collègues l’ont fait observer par le passé, la Cour « doit s’assurer de la cohérence de la solution retenue avec sa propre jurisprudence afin de garantir la sécurité juridique … et cela est spécialement vrai dans les différentes phases de la procédure d’une même affaire ou s’agissant d’affaires connexes »50.
IV. LA PRATIQUE DES ÉTATS
39. Je reviens à présent sur l’existence supposée d’une règle de droit international coutumier qui ferait obstacle à ce que le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins puisse s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. D’après la jurisprudence établie de la Cour, pour qu’une règle de droit international coutumier soit réputée exister, il faut qu’il y ait « une pratique constante », ainsi qu’une opinio juris51. Malgré l’importance que revêt cette question, et les longues argumentations des Parties sur ce point, on peut difficilement dire que la Cour se soit efforcée de déterminer la coutume de façon très rigoureuse. Dans l’arrêt, elle ne consacre qu’un seul paragraphe à l’« analyse » de cette pratique (arrêt, par. 77). D’ailleurs, les arguments des Parties n’y sont même pas résumés correctement. J’estime donc nécessaire de fournir un bref résumé des moyens juridiques qui ont été avancés. J’examinerai également ci-après, sans viser à l’exhaustivité, les deux éléments de la coutume.
48 Articles 77 et 83 de la convention.
49 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 428, par. 53.
50 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), déclaration commune du juge Ranjeva, vice-président, et des juges Guillaume, Higgins, Kooijmans, Al-Khasawneh, Buergenthal et Elaraby, p. 330, par. 3.
51 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 44, par. 77.
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40. Fondamentalement, la Colombie faisait valoir que les États suivent une règle coutumière voulant que le prolongement naturel « ne constitue pas une source de titre dans les espaces maritimes situés en deçà de la limite de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État »52. Elle faisait référence à la pratique d’une trentaine d’États dotés d’une vaste marge (35 États dans son contre-mémoire53, 31 dans sa duplique54) qui, selon elle, « auraient pu demander [un plateau continental au-delà de 200 milles marins de leurs côtes] empiétant sur la zone des 200 milles marins à laquelle avait droit un autre État, mais… [ont] born[é] leur demande à la limite des 200 milles marins de l’autre État »55. Ce supposé ensemble de pratiques prend pour l’essentiel la forme de 51 demandes soumises à la Commission des limites, compilées dans une annexe du contre-mémoire56.
41. Cet argument n’est pas nouveau. La défenderesse s’en était déjà prévalu en 201257.
A. La pratique des États
42. Existe-t-il une pratique générale des États qui corroborerait l’existence de cette règle coutumière putative ? Il semblerait que la réponse à cette question soit affirmative — mais seulement à première vue. Un certain nombre d’États, dans leurs demandes à la Commission des limites, ou dans les « informations préliminaires » qu’ils lui ont communiquées, ont limité leur prétention à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de sorte que celui-ci ne s’étende pas en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un État voisin. La retenue dont ces États font preuve varie dans la forme mais est de manière générale cohérente. Certains États ont placé les points fixes de la limite extérieure proposée pour leur plateau continental sur la limite des 200 milles marins d’un État voisin. D’autres ont utilisé des points terminaux délibérément placés juste avant la limite des 200 milles marins d’un État voisin. C’est le cas aussi bien dans des demandes présentées à titre individuel que dans des demandes conjointes. Cette pratique pourrait être décrite comme une sorte de « pratique négative », au sens où elle consiste à s’abstenir. Je conviens que cette pratique forme un ensemble non négligeable. Elle semble répandue et on en trouve des exemples dans différentes parties du monde.
43. Le Nicaragua soutenait que cet ensemble de pratiques ne suffit pas à donner naissance à une règle coutumière, car les États qui ont contribué à sa formation « ne représentent même pas 25 % des États parties » à la convention58. Or cet argument tiré d’une proportion d’États fait long feu. Pour apprécier la pratique dans sa globalité, il faut tenir compte des États particulièrement impliqués dans les actes en question, ou qui sont les plus susceptibles d’être concernés par la règle coutumière alléguée. Il s’agit en l’espèce des États dotés d’une vaste marge et qui peuvent revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins s’étendant jusqu’en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. La question est de savoir si, au sein de ce « groupe » plus restreint, une majorité d’États a adopté une pratique représentative et constante consistant à ne pas revendiquer un
52 Duplique de la Colombie, par. 3.1.
53 Contre-mémoire de la Colombie, par. 370.
54 Duplique de la Colombie, par. 3.38.
55 Contre-mémoire de la Colombie, par. 3.70.
56 Ibid.,, annexe 50.
57 Voir, par exemple, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), CR 2012/12, p. 60, par. 78 (Bundy). À l’audience, les conseils de la Colombie ont fait référence à 32 « dossiers » présentés à la Commission des limites (18 demandes complètes, 14 dépôts d’« informations préliminaires »), laissant entendre que la plupart des États « approchent la limite de 200 milles marins d’autres États … et évit[ent] d’empiéter sur la limite des 200 milles marins d’autres États ».
58 Observations écrites du Nicaragua sur la réponse de la Colombie à la question posée à cette dernière par M. le juge Robinson.
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plateau continental aussi proche de la côte d’un autre État. La Cour part de ce postulat pour examiner cet ensemble de pratiques — à bon droit.
44. Cela étant, je me sens obligé de dire que l’analyse de la Cour est incomplète.
45. En premier lieu, dans l’arrêt, la Cour ne reconnaît pas (et a fortiori n’analyse pas) une pratique étatique existante contraire, consistant pour les États à revendiquer un plateau continental qui s’étend jusqu’à moins de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. Il en existe plusieurs exemples, dont certains ne font pas débat entre les Parties, notamment : i) la demande présentée en 2011 par le Bangladesh concernant le golfe du Bengale59 ; ii) les informations préliminaires communiquées en 2009 par le Cameroun au sujet du golfe de Guinée60 ; iii) la demande partielle présentée en 2012 par la Chine concernant une partie de la mer de Chine méridionale61 ; iv) la demande partielle présentée en 2014 par la France concernant Saint-Pierre-et-Miquelon62 ; v) la demande partielle présentée en 2012 par la Corée concernant la mer de Chine méridionale63 ; vi) la demande présentée en 2013 par le Nicaragua concernant la mer des Caraïbes64 ; vii) la demande présentée en 2001 par la Russie concernant l’océan Arctique65 ; viii) le résumé modifié de la demande présentée en 2015 par la Somalie concernant l’océan Indien66 ; ix) les informations préliminaires communiquées en 2009 par la Tanzanie concernant l’océan Indien67 ; ou x) la demande
59 Voir Submission by the People’s Republic of Bangladesh to the Commission on the Limits of the Continental Shelf, Executive Summary, février 2011, p. 11 (dans laquelle le Bangladesh revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins des côtes de l’Inde et du Myanmar. Au paragraphe 5.1 du résumé de sa demande, le Bangladesh signale que les espaces maritimes qu’il revendique empiètent sur ceux de l’Inde et du Myanmar).
60 Voir Demande préliminaire du Cameroun aux fins de l’extension des limites de son plateau continental, 11 mai 2009, p. 4 (dans laquelle le Cameroun revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte de Guinée équatoriale).
61 Voir Submission by the People’s Republic of China Concerning the Outer Limits of the Continental Shelf beyond 200 Nautical Miles in Part of the East China Sea, p. 7, fig. 2 (dans laquelle la Chine revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte du Japon).
62 Voir Demande partielle à la Commission des limites du plateau continental conformément au paragraphe 8 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer concernant la zone de Saint-Pierre-et-Miquelon, première partie, résumé, p. 5, fig. 2 (dans laquelle la France revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte du Canada). Voir également Pascale Ricard, « Saint-Pierre-et-Miquelon. Les prolongements (sous-marins) d’un arbitrage ? » in Alina Miron et Denys-Sacha Robin (sous la dir. de), Atlas des espaces maritimes de la France (Éditions Pedone, 2022), p. 189.
63 Voir Partial Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf pursuant to Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of the Sea, Executive Summary, p. 9, fig. 1 (dans laquelle la Corée revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte du Japon).
64 Voir Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf pursuant to Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of the Sea, June 2013, Part I: Executive Summary, p. 4, fig. 1.
65 Voir Submission by the Russian Federation to the Commission on the Limits of the Continental Shelf, 20 December 2001, Executive Summary, map 2 « Area of the continental shelf of the Russian Federation in the Arctic Ocean beyond 200-nautical-mile zone » (dans laquelle la Russie revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte de la Norvège).
66 Voir Continental Shelf Submission of the Federal Republic of Somalia, Executive Summary Amended, p. 9, fig. 2 (où la Somalie semble revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte du Yémen).
67 Voir Preliminary Information Indicative of the outer limits of the continental shelf and Description of the status of preparation of making a submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf for the United Republic of Tanzania, 7 mai 2009, p. 10, fig. 4 (dans laquelle la Tanzanie revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte des Seychelles).
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présentée en 2009 par l’Argentine concernant l’océan Atlantique Sud
68. Cette pratique contredit l’affirmation plutôt excessive que l’on trouve dans l’arrêt, à savoir que « la grande majorité » des États parties à la CNUDM ayant saisi la Commission des limites d’une demande a décidé de ne pas y revendiquer des limites situées à moins de 200 milles marins de la côte d’un autre État (arrêt, par. 77). Les États susmentionnés ne représentent pas un « petit nombre » (ibid.).
46. L’arrêt méconnaît également l’abondante pratique étatique disponible. La Cour se contente de faire référence à la pratique négative invoquée par la défenderesse, comme s’il n’existait rien d’autre dans la pratique des États, ou même dans le dossier de l’affaire. La Cour est appelée à déterminer ce que dit le droit international. Pour ce faire, elle n’a pas à se limiter à un examen des arguments avancés par les parties, elle doit rechercher « tous précédents, doctrines et faits qui lui [sont] accessibles et qui [pour]raient, le cas échéant » révéler l’existence de la règle coutumière putative69. Je regrette de constater que la Cour ne s’est pas acquittée de cette tâche.
47. La Cour ne tient pas compte des positions adoptées par divers États devant des cours et tribunaux internationaux dans des affaires de délimitation. Dans leurs argumentations, ces États ont soit reconnu l’existence d’une zone grise, soit expressément affirmé que, du point de vue des principes juridiques, le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins peut s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État70. Les exposés du Bangladesh71, du Canada, de la Côte d’Ivoire72, du Ghana73, de la Trinité-et-Tobago, des États-Unis ou de la Somalie74 sont de bons exemples. Comme je l’ai indiqué plus haut, les cours et tribunaux internationaux ont eu à traiter de la question de la zone grise à maintes reprises. Les déclarations officielles faites par l’Australie dans le cadre de la procédure de conciliation concernant la mer de Timor sont également pertinentes75. Dans cette affaire, l’Australie revendiquait un plateau
68 Voir demande de l’Argentine, Outer Limits of the Continental Shelf, p. 23, fig. 7. Les limites extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins revendiqué par l’Argentine dans la région de la Terre de Feu semblent situées à moins de 200 milles marins des lignes de base du Chili.
69 Lotus, arrêt no 9, 1927, C.P.J.I., série A n o 10, p. 31.
70 Projets de conclusion sur la détermination du droit international coutumier et commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 2018, vol. II, deuxième partie, p. 91 (paragraphe 5 de la conclusion 6).
71 TIDM mémoires, procès-verbaux et documents 2012, vol. 17/I, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), mémoire du Bangladesh, p. 143, par. 7.39 (où il est indiqué que « [l]’on ne saurait en effet admettre la thèse selon laquelle l’existence ne serait-ce que d’une infime partie de la ZEE de l’État B au-delà de la limite extérieure de la ZEE de l’État A aurait juridiquement pour effet de priver ce dernier des droits qu’il aurait autrement, en vertu de l’article 76 de la Convention, sur son plateau continental élargi»).
72 TIDM mémoires, procès-verbaux et documents 2017, vol. 26/I, Délimitation de la frontière maritime dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), fond, contre-mémoire de la Côte d’Ivoire, p. 833, par. 8.32-8.34 (où il est dit que la zone grise est « un phénomène connu et bien répertorié » et que la Chambre spéciale devrait la délimiter) et fig. 8.3.
73 Ibid., mémoire du Ghana, p. 171, par. 5.82 (où il est admis que, dans cette affaire, la méthode de la bissectrice générerait une zone grise).
74 C.I.J. Mémoires, Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), mémoire de la Somalie, p. 113, par. 7.33, et fig. 7.4 (représentant une zone grise de 8 875,5 km²).
75 In the Matter of the Maritime Boundary between Timor-Leste and Australia (the « Timor Sea Conciliation »), Report and Recommendations of the Compulsory Conciliation Commission between Timor-Leste and Australia on the Timor Sea, affaire CPA n° 2016-10, par. 234.
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continental au-delà de 200 milles marins, jusqu’au bord de la fosse de Timor qui est située à moins de 200 milles marins des lignes de base du Timor-Leste
76.
On trouve également une pratique contraire pertinente sous la forme de traités77.
48. L’on peut donc se demander s’il existe en fait une pratique générale.
49. J’admets que quelques incohérences et contradictions n’empêchent pas de conclure à l’existence d’une « pratique générale ». Il ne faut pas s’attendre à ce que l’application de la règle putative « soit parfaite » dans la pratique des États, en ce sens que ceux-ci s’abstiendraient « avec une entière constance » de revendiquer un plateau continental en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État78. Je reconnais également que la pratique de certains États varie et pourrait donc mériter une importance moindre. Néanmoins, il semble raisonnable de déduire de ce qui précède que pas moins de 20 États ont considéré — que ce soit dans leur demande à la Commission des limites, dans les informations préliminaires qu’ils lui ont communiquées, ou d’une autre manière — que le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins pouvait s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. Cette pratique étatique semble susceptible de remettre sérieusement en question l’élément de la « pratique générale ». Et pourtant, la Cour n’en tient aucun compte. Dans l’arrêt, elle n’explique pas pourquoi elle l’ignore, se contentant de livrer une analyse très générale. Il est permis de se demander si la Cour « [ne] reste [pas] aussi vague dans son raisonnement … parce que les détails ne résisteraient pas à l’analyse »79.
50. En tout état de cause, établir qu’une certaine pratique a un caractère suffisamment général ne permet pas en soi de conclure à l’existence d’une règle de droit international coutumier. La pratique étatique doit s’accompagner d’une opinio juris, et ce, même lorsqu’elle se manifeste en partie sous la forme d’abstentions, ce qui peut rendre l’appréciation de l’opinio juris plus difficile80. C’est à ce critère que je m’intéresserai à présent.
B. L’acceptation de la pratique comme étant le droit (opinio juris)
51. Les Parties ont exprimé des vues très différentes sur l’opinio juris. Pour le Nicaragua, il ne suffit pas de montrer que quelque 30 États se sont abstenus de revendiquer un plateau continental dans la zone de 200 milles marins d’un autre État ; il faut également montrer que, « s’ils se sont abstenus[, c’est] parce qu’ils étaient convaincus que le droit international ne leur permettait pas de faire autrement. Seule cette conviction pourrait fournir l’opinio juris nécessaire pour instituer une
76 Le fait que l’Australie n’ait pas présenté de demande à ce sujet à la Commission des limites n’ôte rien à la valeur de la pratique. L’Australie semble considérer qu’il peut ne pas être nécessaire de saisir la Commission d’une demande lorsque le plateau continental revendiqué au-delà de 200 milles marins s’étend en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. Voir Andrew Serdy, « Is There a 400-Mile Rule in UNCLOS Article 76 (8) » (2008), International & Comparative Law Quarterly, vol. 57, p. 948 ; Victor Prescott, « Resources of the Continental Margin and International Law » in Peter J. Cook and Chris M. Carleton (sous la dir. de), Continental Shelf Limits: The Scientific and Legal Interface (Oxford University Press 2000), p. 73.
77 Voir, par exemple, le traité entre le Gouvernement australien et le Gouvernement de la République d’Indonésie établissant la limite de la zone économique exclusive et certaines autres lignes de délimitation des fonds marins, signé le 14 mars 1997, pas encore entré en vigueur, Bulletin du droit de la mer n° 35 (1997), p. 112 et suiv.
78 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 98, par. 186 (mutatis mutandis).
79 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), C.I.J. Recueil 1985, opinion dissidente du juge Schwebel, p. 186.
80 Lotus, arrêt n° 9, 1927, C.P.J.I. série A n° 10, p. 28.
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règle »
81. À l’annexe 2 de ses observations écrites sur la réponse de la Colombie à une question posée par un membre de la Cour, le Nicaragua examine les demandes à la Commission des limites invoquées par la défenderesse. Il en conclut que pas une seule « n’indique directement ou même indirectement » que le comportement des États concernés fût imposé par le droit82.
52. L’arrêt repose sur l’hypothèse que cette pratique répond à un sentiment d’obligation juridique. Il postule que ces abstentions sont forcément motivées par un sentiment d’obligation et non par des raisons extrajuridiques, telles que l’opportunité politique ou la commodité, même si les États n’ont pas présenté leur abstention comme étant juridiquement requise par une règle de droit international coutumier.
Or cette façon d’appréhender les choses pose de sérieuses difficultés. La Cour le reconnaît dans l’arrêt, car elle dit que cette pratique « a pu être motivée en partie par des considérations autres qu’un sentiment d’obligation juridique » (arrêt, par. 77). C’est là une prudente réserve, d’autant que seuls les résumés des demandes à la Commission des limites sont accessibles au public et ont été versés au dossier de l’affaire. Ces résumés contiennent des cartes ainsi que les coordonnées des limites extérieures du plateau continental et des lignes de base, et mentionnent les dispositions de l’article 76 qui sont invoquées, mais ils n’ont que peu d’utilité, voire aucune, pour établir l’existence d’une opinio juris. Les raisons pour lesquelles les États agissent comme ils le font n’y sont pas expliquées. Et pourtant, la Cour oublie immédiatement cette réserve lorsqu’elle déduit que cette pratique étatique négative, « étant donné son ampleur sur une longue période, … peut être considérée comme l’expression de l’opinio juris » (ibid.).
53. Pour la Colombie, il y a une seule explication à la pratique négative des États. Selon elle, « ce serait pousser loin la crédulité que de penser que 31 États, pourtant convaincus d’avoir une source de titre légitime sur les fonds marins et leur sous-sol à l’intérieur [de la zone de 200 milles marins] d’un autre État, ont tout bonnement renoncé à ce titre sans rien en retour »83. La réponse évidente à cet argument est tout simplement que les motivations varient. Un État peut s’abstenir de revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins s’étendant en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État notamment a) pour éviter une crise diplomatique84 ; b) pour éviter une procédure d’objection de la Commission des limites, ce qui entraînerait un blocage de sa demande ou un retard important dans l’examen de celle-ci ; ou c) parce que la zone en question ne vaut pas forcément la peine d’être revendiquée85. Ces motivations ne sont pas de « folles spéculations »86, comme la défenderesse voudrait le faire accroire. Elles se reflètent dans la pratique des États.
54. L’hypothèse b) mérite qu’on s’y attarde. Il convient d’avoir la procédure de délinéation de la Commission des limites à l’esprit. Les États adoptent diverses stratégies pour éviter que leur
81 CR 2022/25, p. 40, par. 60 (Lowe).
82 Observations écrites du Nicaragua sur la réponse de la Colombie à la question posée à cette dernière par M. le juge Robinson, par. 15.
83 Duplique de la Colombie, par. 3.39.
84 Voir, par exemple, Jun, Qiu et Zhang Haiwen, « Partial Submission Made by the Republic of Korea to the Commission on the Limits of the Continental Shelf: A Review », China Oceans Law Review, vol. 2013 (18), p. 91.
85 Voir, par exemple, Øystein Jensen, « Russia’s Revised Arctic Seabed Submission » (2016), Ocean Development & International Law, vol. 47 (1), p. 82.
86 CR 2022/28, p. 15, par. 16 (Wood).
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demande ne soit bloquée par un de leurs voisins
87. Ils peuvent essayer d’obtenir des assurances de « non-objection ». Ils peuvent présenter une demande partielle. Ils peuvent même modifier leur demande pour exclure des espaces en litige88. Il n’est pas exagéré d’avancer que certains États préfèrent renoncer à une zone de plateau continental à laquelle ils pourraient prétendre au-delà de 200 milles marins ; après tout, « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».
55. De fait, la demande du Nicaragua à la Commission des limites est bloquée depuis dix ans89.
56. Pour ne citer qu’un exemple illustrant l’hypothèse b), on peut mentionner la demande de 2009 de la Trinité-et-Tobago. Je rappellerai qu’en l’affaire La Barbade c. Trinité-et-Tobago, les parties cherchaient comment délimiter une zone de chevauchement (qu’elles appelaient « zone intermédiaire »), supposément située à plus de 200 milles marins de la Trinité-et-Tobago mais à moins de 200 milles marins de la côte de La Barbade. La Trinité-et-Tobago considérait que le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins pouvait s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État90. Pourtant, dans sa demande de 2009 à la Commission, tout en maintenant son point de vue sur le droit, elle s’est abstenue de revendiquer une portion de plateau continental en deçà de 200 milles marins des côtes de La Barbade. N’étant pas parvenue à négocier des assurances de non-objection avec La Barbade, la Trinité-et-Tobago a clairement indiqué qu’elle avait décidé de présenter une demande qui « ne soit pas conditionnée par l’utilisation d’espaces maritimes en deçà de 200 [milles marins] de la ligne côtière de La Barbade »91.
57. Dès lors, était-il raisonnable pour la Cour d’inférer l’expression d’une opinio juris comme elle l’a fait ? Je ne le crois pas.
58. J’admets que, dans certaines circonstances, la pratique des États peut être motivée par l’opinio juris. Et je ne dis pas que les quelque 30 États qui se sont abstenus de revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins s’étendant jusqu’à moins de 200 milles marins des côtes d’un autre État l’ont tous fait pour des raisons extrajuridiques. Peut-être certains ont-ils adopté cette pratique par sentiment d’obligation juridique à cause de la règle putative de droit international coutumier. Mais est-il vraiment raisonnable de présumer que tous l’ont fait ? Après mûre réflexion, j’estime, à la lumière des circonstances et sur la base des informations limitées qui figurent dans les résumés des demandes à la Commission des limites, qu’une telle déduction est hasardeuse. La Cour n’a pas de boule de cristal lui permettant de deviner les motivations des États. L’arrêt n’explique pas pourquoi, dans les circonstances de l’espèce, une telle déduction est correcte ou même raisonnable.
87 Voir Coalter Lathrop, « Continental Shelf Delimitation Beyond 200 Nautical Miles: Approaches Taken by Coastal States before the Commission on the Limits of the Continental Shelf » in David A. Colson et Robert W. Smith (sous la dir. de), International Maritime Boundaries, vol. VI, 2011, p. 4147.
88 Voir, par exemple, Executive Summary, Partial Amended Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf in Respect of the North Sea pursuant to Article 76 of the United Nations Convention on the Law of the Sea by the Republic of Palau, 12 octobre 2017, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/depts/los/clcs_new/ submissions_files/plw41_09/plw2017executivesummary.pdf
89 Il semble que la demande n’ait pas avancé depuis 2013. Voir État d’avancement des travaux de la Commission des limites du plateau continental, déclaration du président, CLCS/83, 31 mars 2014, point 14, par. 78-83.
90 Voir, par exemple, Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and Tobago, contre-mémoire de la République de Trinité-et-Tobago, volume 1 (1), par. 272 (où il est avancé que « le plateau continental d’un État A peut chevaucher la zone économique exclusive d’un État B, et coexister avec celle-ci »).
91 Executive Summary, Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf pursuant to Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of the Sea, Republic of Trinidad and Tobago, 12 mai 2009, p. 17-18.
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59. Indépendamment de ce problème méthodologique, il me semble que la conclusion de la Cour se heurte à une opinio juris claire en sens contraire. Le présent arrêt ne reconnaît pas l’existence d’expressions manifestes d’une opinio juris selon laquelle le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins peut s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
60. Or de telles expressions figurent par exemple dans les informations préliminaires transmises par le Cameroun à la Commission des limites le 11 mai 2009, ainsi que dans la note verbale de la France datée du 17 décembre 2014 concernant la demande présentée au sujet de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette demande de la France semble inclure des zones situées à moins de 200 milles marins du Canada, et les informations préliminaires communiquées par le Cameroun incluent des zones situées à moins de 200 milles marins de la Guinée équatoriale. En réponse à une note verbale du Canada, la France a fait valoir que ses revendications n’étaient « contraires ni à la [CNUDM] ni à aucune règle de droit international »92. Dans ses informations préliminaires, le Cameroun reconnaît expressément que son « titre juridique … au-delà de 200 milles marins est, du fait de la configuration géopolitique de la région, appelé à … chevaucher … les titres partiellement concurrents que des États voisins sont susceptibles de faire valoir … en deçà de 200 milles marins »93. On trouve également une expression analogue d’opinio juris dans une note verbale de la République de Corée en date du 23 janvier 201394.
61. On peut y ajouter les positions défendues par divers États devant des cours et tribunaux internationaux95 dans des affaires de délimitation. Comme je l’ai dit plus haut, on peut citer les exposés d’États tels que le Bangladesh, le Canada, la Côte d’Ivoire, le Ghana, les Maldives, la Trinité-et-Tobago, les États-Unis ou la Somalie. Dans l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine, par exemple, le Canada reconnaissait que la ligne de délimitation qu’il proposait aurait pour effet de créer une petite « zone grise ». Selon lui, en pareille situation, le plateau continental pouvait relever de la juridiction de l’un des États, et la colonne d’eau, de celle de l’autre96. Les États-Unis, quant à eux, affirmaient que « [l]a communauté internationale reconnai[ssait] depuis longtemps l’existence de la zone grise »97 et qu’à « la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer … pas une seule fois … n’a[vait été] abordé[e] la question de la zone grise dans les débats sur la zone de 200 milles marins »98. Se référant à plusieurs exemples de la pratique des États, ils avançaient que dans celle-ci « la création d’une zone grise n’[était]
92 Note verbale de la France en date du 17 décembre 2021, TS/MSM/n° 62, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/3931489.
93 Demande préliminaire du Cameroun aux fins de l’extension des limites de son plateau continental, 11 mai 2009, p. 4, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/preliminary/cmr2009 informationpreliminaire.pdf.
94 Note verbale de la République de Corée en date du 23 janvier 2013, MUN/022/13, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/kor65_12/kor_re_jpn_23_01_2013f.pdf (soulignant que selon la CNUDM « les droits exercés sur le plateau continental reposent sur deux éléments distincts [qui ] ont autant de poids l’un que l’autre [et que l]e Japon ne saurait donc se prévaloir du critère lié à la distance pour méconnaître le droit dont jouit la Corée en vertu des données géomorphologiques »).
95 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 135, par. 77 (où les positions adoptées par divers États permettent de mettre en évidence l’opinio juris).
96 Voir C.I.J. Mémoires, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-Unis d’Amérique), vol. VI, p. 163, plaidoirie de M. Weil.
97 Ibid., vol. VII, p. 218, réponse de M. Colson.
98 Ibid., p. 219.
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manifestement pas considérée comme un problème à éviter »
99. La zone grise était représentée sur les cartes annexées aux exposés des parties.
62. Dans l’affaire du Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives dans l’océan Indien devant la Chambre spéciale du TIDM, il fut demandé aux parties si elles considéraient que le plateau continental revendiqué par les Maldives au-delà de 200 milles marins de leurs lignes de base pouvait s’étendre au-delà de la limite des 200 milles marins de Maurice, comme représenté à la figure 29 du contre-mémoire des Maldives et à la figure 6 de leur duplique100, qui montraient une zone grise. Cette zone était située du côté maldivien de la ligne de délimitation, au-delà de 200 milles marins de la côte des Maldives mais en deçà de 200 milles marins des lignes de base de Maurice. En réponse, les Maldives ont « confirm[é] leur position selon laquelle leur titre sur le plateau continental au-delà de 200 [milles marins] de [leur] ligne de base p[ouvai]t être prolongé de la sorte »101.
63. Le présent arrêt n’explique pas de quelle manière la supposée opinio juris mise en évidence par la Cour concorde avec les exemples suscités.
C. Bilan
64. La conclusion de la Cour quant à l’existence d’une règle coutumière inéquivoque est sujette à caution. Elle repose sur des exemples de pratique étatique soigneusement choisis, tandis que l’opinio juris n’est guère analysée (voire pas du tout). Elle ne correspond pas non plus aux indications données par les moyens auxiliaires de détermination des règles de droit, notamment les décisions de cours et de tribunaux internationaux (voir plus haut, les paragraphes 31 à 38) et la doctrine102. Je suis au regret de dire que l’analyse de la Cour ne permet pas d’établir l’existence de la règle alléguée.
V. LE DROIT À UNE ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE
65. Il y a un autre aspect qui me paraît appeler des observations. Jusqu’ici, la question du chevauchement de droits a été appréhendée sous l’angle du plateau continental, c’est-à-dire en posant la question de savoir si le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins peut empiéter sur le plateau continental d’un autre État en deçà de 200 milles marins. Selon moi, la réponse est « oui ».
66. Une autre façon d’aborder la question consiste à s’y intéresser sous l’angle de la zone économique exclusive. Les États peuvent revendiquer une zone économique exclusive jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de leur mer territoriale. On peut donc se demander si le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins peut empiéter sur la zone économique exclusive à laquelle un autre État a droit.
99 Ibid.
100 Délimitation de la frontière maritime dans l’océan Indien (Maurice/Maldives), TIDM Recueil 2022-2023, à paraître, par. 57.
101 ITLOS/PV.22C28/4, p. 7 (Sander), accessible à l’adresse suivante : https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/ documents/cases/28/Merits_Pleadings/TIDM_PV22_A28_4_Rev.1_Fr.pdf.
102 Les auteurs ayant examiné cette question ont tous conclu que la pratique d’abstention des États qui se dégage des demandes à la Commission des limites n’est pas assortie d’une opinio juris suffisante. Voir, par exemple, Xuexia Liao, The Continental Shelf Delimitation beyond 200 Nautical Miles: Towards a Common Approach to Maritime Boundary-making (Cambridge University Press, 2021), p. 81 (où il est dit qu’« en l’absence d’éléments démontrant de manière plus convaincante le caractère contraignant du comportement des États, il est difficile d’établir l’opinio juris nécessaire à la formation d’une règle de droit international coutumier »).
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Autrement dit : le droit d’un État côtier à une zone économique exclusive, qui comprend les eaux susjacentes aux fonds marins, mais aussi les fonds marins et leur sous-sol, « exclut-il » tout droit d’un autre État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base s’étendant dans la même zone ? La Colombie n’a eu de cesse de faire valoir que tel est le cas. Là encore, il s’agit d’une question de droit, et elle se pose à l’étape de la détermination.
L’argument n’est pas nouveau. La défenderesse s’en était déjà prévalue en 2012.
67. L’arrêt de la Cour ne traite pas directement cette question, et je ne souhaite pas y revenir. Il suffit de noter que les décisions dans les affaires du golfe du Bengale et dans l’affaire Somalie c. Kenya devant la Cour concluaient, dans la mesure où elles reconnaissaient l’existence de zones grises, que le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins peut atteindre et chevaucher la zone économique exclusive d’un autre État. Telle est la juste conclusion en droit. Les institutions du plateau continental et de la zone économique exclusive « ne se confondent pas »103. Aucune ne saurait, pour éviter un chevauchement, annuler l’autre ou avoir priorité sur elle104. Je le répète, une particularité des droits maritimes est qu’ils peuvent se chevaucher (voir plus haut le paragraphe 12). Cela reste vrai même lorsque les droits concernent des espaces maritimes de nature différente105.
68. Les paragraphes 68 à 70 de l’arrêt sont consacrés à la relation entre les régimes respectifs de la zone économique exclusive et du plateau continental en droit international coutumier. La Cour considère sans doute cette relation comme pertinente aux fins de répondre à sa première question. Elle note que le régime de la zone économique exclusive résulte d’un compromis ; elle relève que ce régime confère à l’État côtier des droits souverains d’exploration, d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles ; elle rappelle que, dans la zone économique exclusive, les droits relatifs aux fonds marins et à leur sous-sol doivent être exercés conformément au régime juridique applicable au plateau continental. Ces observations sont en apparence incontestables, et je pourrais souscrire au raisonnement de la Cour si celui-ci ne semblait pas s’accompagner d’une thèse voilée dont les implications ne sont pas démêlées dans l’arrêt mais n’en sont pas moins considérables.
69. Au paragraphe 70 de l’arrêt, la Cour cite un passage de son arrêt de 1985 en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), qui se lit comme suit :
« Bien que les institutions du plateau continental et de la zone économique exclusive ne se confondent pas, les droits qu’une zone économique exclusive comporte sur les fonds marins de cette zone sont définis par renvoi au régime prévu pour le plateau continental. S’il peut y avoir un plateau continental sans zone économique exclusive, il ne saurait exister de zone économique exclusive sans plateau continental correspondant. » (Arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 33, par. 34.)
La Cour n’explique pas en quoi ce passage de l’arrêt de 1985 est pertinent. Elle ne tire aucune conclusion de son raisonnement.
103 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 33, par. 34.
104 Voir Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and Tobago, sentence du 11 avril 2006, RSA, vol. XXVII, p. 213, par. 234 (où il est dit que « le plateau continental et la ZEE coexistent en tant qu’institutions distinctes, la seconde n’ayant pas absorbé le premier (Libye/Malte, C.I.J. Recueil 1985, p. 13), et le premier ne déplaçant pas la seconde ».)
105 Par exemple, dans son arrêt de 2012, la Cour a constaté un chevauchement entre la mer territoriale à laquelle la Colombie a droit autour de ses îles et le plateau continental et la zone économique exclusive auxquels le Nicaragua pouvait prétendre. Elle n’a pas retenu l’argument de la Colombie qui affirmait que sa mer territoriale « l’emport[ait] ». Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 689, par. 174 ; et p. 690, par. 177.
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70. J’ai du mal à voir une simple coïncidence dans la citation de ce passage. Tout au long de la procédure, la Colombie s’est appuyée sur cet extrait de l’arrêt rendu en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte) pour laisser entendre que la Cour devait éviter la « création » d’une « énorme » zone grise. De l’avis de la défenderesse, on ne peut admettre l’existence d’une zone grise en l’espèce sans remettre en cause la notion même de zone économique exclusive, qui, selon elle, a été conçue pour réunir toutes les couches physiques de la mer en une zone placée sous une seule juridiction nationale, dans laquelle l’État côtier exercerait des droits souverains sur les ressources tant biologiques que non biologiques (arrêt, par. 63). La Colombie soutenait qu’une zone économique exclusive dont la colonne d’eau serait dissociée des fonds marins et de leur sous-sol ne serait plus une zone économique exclusive (ibid., par. 64). Pour étayer cet argument, elle entendait s’appuyer sur la « conclusion » de la Cour en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), telle que citée ci-dessus, à savoir qu’« il ne saurait exister de zone économique exclusive sans plateau continental correspondant »106.
71. Or cette citation tronquée n’étaye pas l’argumentation de la Colombie. En l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), la Cour rappelait seulement ce qui est une évidence : un plateau continental existe ipso facto et ab initio107, tandis qu’une zone économique exclusive doit être proclamée par l’État côtier. Il n’existe de zone économique exclusive que dans la mesure où l’État côtier décide d’en proclamer une108. C’est la raison pour laquelle, « [s]’il peut y avoir un plateau continental sans zone économique exclusive, il ne saurait exister de zone économique exclusive sans plateau continental correspondant ». Mais c’est tout. Ce passage n’accrédite pas la thèse que « la colonne d’eau de la zone économique exclusive ne peut en principe être dissociée de ses fonds marins et de son sous-sol »109. C’est une interprétation de l’arrêt de 1985, qui ne trouve aucune confirmation dans le texte de celui-ci.
72. En tout état de cause, les réserves de la défenderesse à l’égard d’une distinction entre les droits sur la colonne d’eau et ceux sur le plateau continental dans une zone donnée concernent l’obtention d’un résultat équitable. Elles ne concernent pas l’étape de la détermination. Comme on l’a vu plus haut (voir le paragraphe 19), il convient d’établir une distinction entre la zone de droits concurrents et l’espace maritime qui pourra être défini par une cour ou un tribunal sur la base desdits droits concurrents. Certes, dans les affaires du golfe du Bengale, par exemple, les solutions retenues par les tribunaux pour délimiter les zones maritimes auxquelles avaient droit les parties ont abouti à des espaces maritimes dans lesquels la juridiction sur la colonne d’eau a été attribuée à un État, et celle sur les fonds marins et leur sous-sol, à un autre État. Ainsi que le tribunal arbitral l’a indiqué en l’affaire Bangladesh c. Inde, « [l]’établissement d’une zone maritime dans laquelle les États concernés ont des droits partagés n’est pas inhabituel au regard de la convention »110. Ce n’est pas inhabituel non plus dans la pratique. Il va sans dire que la Cour aurait pu parvenir à cette solution, ou à une autre, dans la tâche qui lui incombait de trouver une solution équitable en l’espèce, si elle avait procédé à la délimitation.
106 Voir, par exemple, duplique de la Colombie, par. 2.20 et 3.21 ; CR 2022/26, p. 45, par. 1 (Palestini) ; CR 2022/28, p. 38, par. 13 (Valencia-Ospina).
107 Article 77, paragraphe 3, de la convention.
108 David Joseph Attard, The Exclusive Economic Zone in International Law (Oxford University Press 1987), p. 141.
109 CR 2022/26, p. 48-49, par. 7 (Palestini).
110 Bay of Bengal Maritime Boundary Arbitration (Bangladesh v. India), sentence du 7 juillet 2014, RSA, vol. XXXII, p. 148, par. 507.
- 23 -
VI. CONCLUSIONS
73. Le présent arrêt pose un principe juridique qui n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour, du TIDM ou du tribunal arbitral constitué en application de l’annexe VII. Je conçois que les juges et les conseils puissent être plus à l’aise dans le domaine juridique qu’avec des questions de géomorphologie et de géologie, mais cela ne saurait justifier de suivre une approche qui évite de tenir compte des faits tels qu’ils ont été présentés par les parties dans une affaire donnée.
74. Je ne puis être d’accord avec la conclusion à laquelle parvient la Cour au sujet de la première question juridique qu’elle a posée aux Parties dans son ordonnance du 4 octobre 2022, pas plus qu’avec la décision qui en découle dans le dispositif de l’arrêt (arrêt, par. 104, point 1). Il ne faut pas pour autant déduire de mon vote que j’aurais nécessairement accueilli la demande du Nicaragua en ce qui concerne la ligne de délimitation qu’il proposait. La délimitation de cette frontière maritime est une question sur laquelle la Cour aurait été amenée à se prononcer, en appliquant les règles exigeant l’obtention d’un résultat équitable, si elle avait permis à l’affaire d’arriver à ce stade.
75. Je ne peux que constater que le présent arrêt a pour conséquence de conduire à un résultat inéquitable.
(Signé) Peter TOMKA.
___________

Bilingual Content

454
DISSENTING OPINION OF JUDGE TOMKA
Serious misgivings about Judgment’s conclusion that under customary
international law a State’s entitlement to a continental shelf beyond
200 nautical miles from the baselines from which the breadth of its territorial
sea is measured may not extend within 200 nautical miles from the
baselines of another State  Court arrives at a conclusion it could have
arrived at in 2012 had it believed that such a rule existed  Bifurcated
procedure  No opportunity for the Applicant to present its case in full.
Conclusion of the Court based on hypothetical “assumption” and inconclusive
travaux préparatoires of the Convention  No trace in Convention
or in travaux préparatoires that States participating in negotiations
“assumed” that a State’s continental shelf entitlement beyond 200 nautical
miles “would only extend into maritime areas that would otherwise be
located in the Area”.
Identification of customary international law  No widespread and uniform
State practice in support of alleged customary rule  Court ignores
State practice that contradicts its finding.
No opinio juris in support of alleged customary rule  Flawed methodology
 Court infers opinio juris from negative State practice  Negative
State practice not motivated by a sense of legal obligation  Court ignores
the view of those States that maintain that a State’s continental shelf beyond
200 nautical miles may extend within 200 nautical miles from the baselines
of another State.
Finding of the Court based on relationship between continental shelf
and exclusive economic zone  Court’s 1985 Judgment Continental Shelf
(Libyan Arab Jamahiriya/Malta) misrepresented  1985 Judgment does not
support finding of the Court.
Finding of the Court departs from the jurisprudence of international
courts and tribunals  Court provides no rationale for this departure 
Fragmentation.
1. This Judgment is disquieting. It has been arrived at by an irregular procedure
which prevented the Applicant from presenting its case in full as
required by the Rules of Court. The Court rejects the Applicant’s submissions
just on the basis of its written pleadings. The Court is expected to rule
on the final submissions of the applicant as presented at the end of the oral
proceedings which have to be submitted by the agent in written, duly signed
454
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE TOMKA
[Traduction]
Sérieux doutes quant à la conclusion de l’arrêt qui voudrait qu’en droit
international coutumier le droit d’un État à un plateau continental au-delà
de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la
largeur de sa mer territoriale ne puisse pas s’étendre à des espaces maritimes
en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État — Cour
parvenant à une conclusion à laquelle elle aurait pu parvenir en 2012 si elle
avait cru à l’existence d’une telle règle — Procédure scindée — Demandeur
privé de la possibilité de présenter l’intégralité de son argumentation.
Conclusion de la Cour fondée sur une hypothétique « considération » et
des travaux préparatoires de la convention peu probants — Nulle indication
dans la convention et dans les travaux préparatoires que les États participant
aux négociations « considéraient » que le plateau continental auquel un
État peut prétendre au-delà de 200 milles marins « ne pouvait se prolonger
que dans des espaces maritimes qui, autrement, feraient partie de la Zone ».
Détermination du droit international coutumier — Absence de pratique
des États répandue et uniforme à l’appui de la règle coutumière alléguée —
Cour passant sous silence la pratique étatique contraire à ses conclusions.
Absence d’opinio juris à l’appui de la règle coutumière alléguée —
Méthodologie erronée — Cour déduisant l’opinio juris d’une pratique
négative des États — Pratique négative des États ne s’expliquant pas par un
sentiment d’obligation juridique — Cour faisant abstraction des vues des
États pour lesquels le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles
marins peut s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un
autre État.
Conclusion de la Cour fondée sur la relation entre plateau continental et
zone économique exclusive — Lecture erronée de l’arrêt rendu par la Cour
en 1985 en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/
Malte) — Arrêt de 1985 ne venant pas étayer la décision de la Cour.
Conclusion de la Cour s’écartant de la jurisprudence des cours et tribunaux
internationaux — Cour ne donnant aucune explication à cette
rupture — Fragmentation.
1. Le présent arrêt est perturbant. Il est l’aboutissement d’une procédure
irrégulière qui a empêché le demandeur de présenter l’intégralité de son
argumentation comme le veut le Règlement. La Cour rejette les conclusions
du demandeur sur la seule base de ses écritures. Or, elle est censée statuer
sur les conclusions finales du demandeur telles qu’elles ont été présentées
oralement au terme des audiences et par écrit dans un document dûment
455 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
form1. The Court in its Order of 4 October 2022 directed the Parties to
address “exclusively” the two questions it put to them2.
2. The Court adopted this procedure without ascertaining the Parties’
views on the procedure as required by the Rules of Court3.
3. The Judgment is not based on the application of international law but
on a rule that the Court simply “invented”. The Judgment does not provide
any serious analysis of State practice nor the required opinio juris. It limits
itself to a simple assertation of “customary rule”.
4. It is perplexing that, in its 2012 Judgment, the Court did not dismiss
Nicaragua’s claim to a continental shelf beyond 200 nautical miles on the
basis of what the Court now asserts to be a “customary rule of international
law”. It is to be recalled that, already in 2012, Colombia presented legal arguments
in support of its position that a State’s entitlement to a continental
shelf beyond 200 nautical miles may not extend within 200 nautical miles
from the baselines of another State4, the same arguments it has repeated in
the current proceedings. The Court did not consider these legal arguments
in 2012. Instead, the Court decided that it could not uphold Nicaragua’s
continental shelf delimitation claim contained in its final submission I (3)5
because Nicaragua, being a party to the 1982 United Nations Convention
on the Law of the Sea (hereinafter “UNCLOS” or the “Convention”), had
not presented its full submission to the Commission on the Limits of the
Continental Shelf (hereinafter the “CLCS” or the “Commission”) in accordance
with Article 76, paragraph 8, of the Convention6.
5. The Court subsequently confirmed, in its Judgment on preliminary
objections rendered in 2016 in the present case, that it did not proceed to the
delimitation of Nicaragua’s continental shelf beyond 200 nautical miles for
that particular reason, and not because Nicaragua’s entitlement cannot
1 Article 60, paragraph 2, of the Rules of Court.
2 Question of the Delimitation of the Continental Shelf between Nicaragua and Colombia
beyond 200 Nautical Miles from the Nicaraguan Coast (Nicaragua v. Colombia), Order of
4 October 2022, I.C.J. Reports 2022 (II), p. 565 (emphasis added).
3 Article 31 of the Rules of Court.
4 Rejoinder of Colombia, pp. 119-121, paras. 4.11-4.12, pp. 149-156, paras. 4.60-4.69, p. 157,
para. 4.71 and pp. 331-332, para. 13; CR 2012/11, pp. 27-28, para. 34 (Crawford); CR 2012/12,
pp. 60-61, paras. 77-78 (Bundy); CR 2012/16, p. 52, para. 85 (Bundy). For Nicaragua’s arguments,
as presented to the Court in 2012, see notably Reply of Nicaragua, paras. 3.47-3.56,
3.67; CR 2012/8, pp. 27-28, paras. 6-7 (Oude Elferink); CR 2012/9, pp. 25, 27, 28-31, 34-35,
paras. 21, 30, 38-48, 53, 66-73 (Lowe); CR 2012/15, pp. 23-26, paras. 31-51 (Lowe).
5 In its final submission I (3), Nicaragua requested the Court to decide that “[t]he appropriate
form of delimitation, within the geographical and legal framework constituted by the mainland
coasts of Nicaragua and Colombia, is a continental shelf boundary dividing by equal
parts the overlapping entitlements to a continental shelf of both Parties”.
6 Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment, I.C.J. Reports
2012 (II), p. 719, para. 251 (3). It will be noted that the Court saw this issue as one of
“delimitation”.
455
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka)
signé par l’agent1. Dans son ordonnance du 4 octobre 2022, la Cour avait
enjoint aux Parties de « circonscrire » leurs plaidoiries à deux questions
qu’elle leur posait2.
2. La Cour avait décidé de procéder ainsi sans s’informer des vues des Parties
sur les questions de procédure, comme l’exige son Règlement3.
3. L’arrêt est non pas fondé sur l’application du droit international mais sur
une règle que la Cour a tout simplement « inventée ». Il ne contient aucune
analyse sérieuse de la pratique des États ni de l’opinio juris requise. Il se
borne à se réclamer d’une « règle coutumière ».
4. Il est déroutant que la Cour, dans son arrêt de 2012, n’ait pas rejeté la
prétention du Nicaragua à un plateau continental au-delà de 200 milles
marins sur le fondement de ce qu’elle affirme maintenant être une « règle
coutumière de droit international ». Il y a lieu de rappeler que, en 2012 déjà,
la Colombie avait présenté des arguments juridiques pour démontrer que le
plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles
marins ne peut pas s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base
d’un autre État4, les mêmes qu’elle a fait valoir en l’espèce. La Cour n’a pas
examiné ces arguments juridiques en 2012. Au lieu de cela, elle a jugé qu’elle
ne pouvait accueillir la demande de délimitation du plateau continental formulée
au point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua5 car celui-ci, bien
que partie à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982
(ci-après la « CNUDM » ou la « convention »), n’avait pas présenté une
demande complète à la Commission des limites du plateau continental
(ci-après la « Commission des limites » ou la « Commission ») comme le
requiert le paragraphe 8 de l’article 76 de la convention6.
5. La Cour a confirmé par la suite, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires
rendu en l’espèce en 2016, que c’était précisément pour cette raison
qu’elle n’avait pas procédé à la délimitation du plateau continental du Nicaragua
au-delà de 200 milles marins, et non parce que ce plateau ne pouvait
1 Paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement de la Cour.
2 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie
au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance
du 4 octobre 2022, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 565 (les italiques sont de moi).
3 Article 31 du Règlement de la Cour.
4 Duplique de la Colombie, p. 119-121, par. 4.11-4.12, p. 149-156, par. 4.60-4.69, p. 157,
par. 4.71, et p. 331-332, par. 13 ; CR 2012/11, p. 27-28, par. 34 (Crawford) ; CR 2012/12, p. 60-61,
par. 77-78 (Bundy) ; CR 2012/16, p. 52, par. 85 (Bundy). En ce qui concerne les arguments du
demandeur, tels qu’ils furent présentés à la Cour en 2012, voir notamment la réplique du Nicaragua,
par. 3.47-3.56 et par. 3.67 ; CR 2012/8, p. 27-28, par. 6-7 (Oude Elferink) ; CR 2012/9,
p. 25, par. 21 ; p. 27, par. 30 ; p. 28-31, par. 38-48 et 53 ; p. 34-35, par. 66-73 (Lowe).
5 Au point I. 3) de ses conclusions finales, le Nicaragua priait la Cour de dire que, « dans le
cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales du Nicaragua et de la
Colombie, la méthode de délimitation à retenir consiste à tracer une limite opérant une division
par parts égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur celui-ci
se chevauchent ».
6 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II),
p. 719, par. 251 3). On relèvera que la Cour a considéré qu’il s’agissait d’une question de
« délimitation ».
456 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
extend within 200 nautical miles from Colombia’s mainland coast. Having
heard the Parties’ arguments on the scope of its 2012 Judgment, the Court
stated that
“[i]t has found that delimitation of the continental shelf beyond
200 nautical miles from the Nicaraguan coast was conditional on the
submission by Nicaragua of information on the limits of its continental
shelf beyond 200 nautical miles, provided for in paragraph 8 of Article
76 of UNCLOS, to the CLCS. The Court thus did not settle the
question of delimitation in 2012 because it was not, at that time, in a
position to do so.”7
6. Still in 2016, the Court was of the view that it would be able to proceed
to the delimitation of the continental shelf beyond 200 nautical miles
claimed by Nicaragua subsequent to the filing of Nicaragua’s submission to
the Commission in 2013. The Court has thus allowed a further decade of
litigation between the Parties, only to arrive in 2023 at the conclusion it
could have arrived at in 2012, had it been convinced that this rule of customary
international law existed.
7. In its Order of 4 October 2022, the Court formulated two questions of
law to the Parties:
“(1) Under customary international law, may a State’s entitlement to a
continental shelf beyond 200 nautical miles from the baselines from
which the breadth of its territorial sea is measured extend within
200 nautical miles from the baselines of another State?
(2) What are the criteria under customary international law for the
determination of the limit of the continental shelf beyond 200 nautical
miles from the baselines from which the breadth of the territorial sea is
measured and, in this regard, do paragraphs 2 to 6 of Article 76 of the
United Nations Convention on the Law of the Sea reflect customary
international law?”8
8. In today’s Judgment the Court rejects Nicaragua’s request for delimitation
because, according to it, under customary international law, a State’s
entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical miles from the baselines
from which the breadth of its territorial sea is measured “may not
extend within 200 nautical miles from the baselines of another State” (Judgment,
para. 79). Today’s conclusion by the Court is surprising since the
Court is supposed to know the law (iura novit curia). As the Court has stated
in the past,
7 Question of the Delimitation of the Continental Shelf between Nicaragua and Colombia
beyond 200 Nautical Miles from the Nicaraguan Coast (Nicaragua v. Colombia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 132, para. 85.
8 Question of the Delimitation of the Continental Shelf between Nicaragua and Colombia
beyond 200 Nautical Miles from the Nicaraguan Coast (Nicaragua v. Colombia), Order of
4 October 2022, I.C.J. Reports 2022 (II), p. 565.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 456
pas s’étendre en deçà de 200 milles marins de la côte continentale de la
Colombie. Ayant entendu les arguments des Parties sur la portée de l’arrêt de
2012, la Cour a dit avoir
« conclu que la délimitation du plateau continental au-delà des 200 milles
marins des côtes nicaraguayennes était conditionnée par la soumission,
de la part du Nicaragua, des informations sur les limites de son plateau
continental au-delà de 200 milles marins, prévues au paragraphe 8 de
l’article 76 de la CNUDM, à la Commission. La Cour n’a[vait] donc pas
tranché la question de la délimitation, en 2012, parce qu’elle n’était pas,
alors, en mesure de le faire. »7
6. En 2016 encore, la Cour estimait qu’elle pouvait procéder à la délimitation
du plateau continental au-delà de 200 milles marins que le Nicaragua
avait sollicitée après avoir déposé sa demande à la Commission des limites
en 2013. Elle a ainsi ouvert la voie à une autre décennie de procédures
judiciaires entre les Parties, et ce, pour parvenir en 2023 à une conclusion
à laquelle elle aurait pu parvenir en 2012, si elle avait été convaincue de
l’existence de cette règle de droit international coutumier.
7. Dans son ordonnance du 4 octobre 2022, la Cour a posé deux questions
de droit aux Parties :
« 1) En droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau
continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles
est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut-il s’étendre à
des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base
d’un autre État ?
2) Quels sont en droit international coutumier les critères sur la base
desquels il convient de déterminer les limites du plateau continental
au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est
mesurée la largeur de la mer territoriale ? À cet égard, les paragraphes 2
à 6 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la
mer reflètent-ils le droit international coutumier ? »8
8. Dans le présent arrêt, la Cour rejette la demande de délimitation du
Nicaragua car, selon elle, en droit international coutumier, le droit d’un État
à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à
partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale « ne peut pas
s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de
base d’un autre État » (arrêt, par. 79). Cette conclusion est étonnante car la
Cour est censée connaître le droit (iura novit curia). Comme elle l’a dit par
le passé,
7 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie
au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 132, par. 85.
8 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie
au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance
du 4 octobre 2022, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 565.
457 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
“as an international judicial organ, [it] is deemed to take judicial notice
of international law . . . It being the duty of the Court itself to ascertain
and apply the relevant law in the given circumstances of the case, the
burden of establishing or proving rules of international law cannot be
imposed upon any of the parties, for the law lies within the judicial
knowledge of the Court.”9
The question remains why the Court did not adopt this view in 2012. No
answer is given in the present Judgment.
9. As I disagree with the Court’s conclusion, I should explain why.
I. Scope and Meaning of the First Question
10. The Court’s first question concerns only one step in the delimitation
process. As the Judgment correctly points out, “[a]n essential step in any
delimitation is to determine whether there are entitlements, and whether
they overlap” (Judgment, para. 42). This step is essential for at least two
reasons. For one, what States claim to be entitled to, and what they are in
point of fact entitled to, do not always coincide; the Court must therefore
determine for itself what the parties’ entitlements are. It does so by identifying
the parties’ coasts that generate entitlements to maritime areas.
Entitlements are said to “overlap” when the projections from the coast of one
party overlap with projections from the coast of the other party10. This step
is also essential because overlapping entitlements are a condition precedent
for the Court to proceed to delimitation; in the absence of overlapping
entitlements, there is simply nothing for the Court to delimit.
11. The Court’s question is directed at this preliminary step of the delimitation
process (which I will for convenience refer to simply as “the
identification step”). The question has been framed in terms of law, as a legal
question in general, not in terms of the circumstances of the present case.
12. At risk of stating the obvious, just because a State is entitled to a
certain maritime area, this does not mean that it must obtain the full extent
of that entitlement at the end of the delimitation process. Unlike a valid
title over a certain territory, which implies the exclusion of any other title
over the same territory, maritime entitlements have the particular feature
that they can overlap with other maritime entitlements11. As the Court
9 Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland), Merits, Judgment, I.C.J. Reports
1974, p. 9, para. 17, and Fisheries Jurisdiction (Federal Republic of Germany v. Iceland),
Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 181, para. 18.
10 See Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J.
Reports 2009, p. 89, para. 77.
11 Prosper Weil, “Délimitation maritime et délimitation terrestre” in Yoram Dinstein and
Mala Tabory (eds.), International Law at a Time of Perplexity: Essays in Honour of Shabtai
Rosenne, Martinus Nijhoff Publishers, 1989, pp. 1021-1023.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 457
« en tant qu’organe judiciaire international, [elle] n’en est pas moins censée
constater le droit international… La Cour ayant pour fonction de
déterminer et d’appliquer le droit dans les circonstances de chaque
espèce, la charge d’établir ou de prouver les règles de droit international
ne saurait être imposée à l’une ou l’autre Partie, car le droit ressortit au
domaine de la connaissance judiciaire de la Cour. »9
Reste à savoir pourquoi la Cour n’a pas adopté cette position en 2012. Le présent
arrêt ne contient aucune réponse à cette question.
9. Étant donné que je ne souscris pas à la conclusion de la Cour, il me faut
expliquer pourquoi.
I. La portée et la signification de la première question
10. La première question de la Cour ne concerne qu’une étape du processus
de délimitation. Comme le rappelle l’arrêt à juste titre, « [l]’une des
étapes essentielles dans tout processus de délimitation consiste à déterminer
s’il existe des droits, et si ceux-ci se chevauchent » (arrêt, par. 42). Cette
étape est essentielle pour au moins deux raisons. Tout d’abord, les droits que
les États revendiquent ne coïncident pas toujours avec ceux auxquels ils
peuvent en réalité prétendre ; la Cour doit donc déterminer elle-même ce à
quoi les parties ont droit. Pour cela, elle définit quelles côtes des parties
génèrent des droits à des espaces maritimes. Il y a « chevauchement » de
droits lorsque les projections de la côte d’une partie empiètent sur celles de
la côte de l’autre partie10. Cette étape est également essentielle parce que le
chevauchement de droits conditionne la possibilité de procéder à une délimitation
; en l’absence de chevauchement de droits, la Cour n’a tout simplement
rien à délimiter.
11. La question de la Cour vise cette étape préliminaire du processus de
délimitation (que, par commodité, j’appellerai simplement « l’étape de la
détermination »). Elle est posée au regard du droit, comme l’est généralement
une question juridique, et non au regard des circonstances de l’espèce.
12. Au risque d’exprimer une évidence, rappelons que ce n’est pas parce
qu’un État a droit à un espace maritime donné qu’il doit se voir accorder
toute l’étendue de cet espace au terme du processus de délimitation. À la différence
d’un titre valide sur un territoire donné, qui emporte l’exclusion de
tout autre titre sur ce même territoire, les droits à des espaces maritimes ont
ceci de particulier qu’ils peuvent se chevaucher11. Comme la Cour l’a expli-
9 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 1974, p. 9, par. 17, et Compétence en matière de pêcheries (République fédérale
d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 181, par. 18.
10 Voir Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J.
Recueil 2009, p. 89, par. 77.
11 Prosper Weil, « Délimitation maritime et délimitation terrestre » dans Yoram Dinstein et
Mala Tabory (sous la dir. de), International Law at a Time of Perplexity: Essays in Honour of
Shabtai Rosenne, Martinus Nijhoff Publishers, 1989, p. 1021-1023.
458 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
explained in the Maritime Delimitation in the Black Sea case, the task of
delimitation consists of “resolving the overlapping claims by drawing a line
of separation of the maritime areas concerned”12. This requires that, so far as
possible, the line of delimitation should “allow the coasts of the [p]arties to
produce their effects in terms of maritime entitlements in a reasonable and
mutually balanced way”13. Entitlements can be amputated to achieve an
equitable solution. The delimitation process often results in one or both
parties not obtaining areas that they would otherwise be entitled to had it not
been for the presence of the other14.
13. It follows that an affirmative answer to the Court’s question in no way
implies that Nicaragua must be allocated all, most — or indeed any — of the
area where the Parties’ entitlements might overlap within 200 nautical miles
from Colombia’s coast.
14. It is also useful to say a word about the problem which is at the heart
of the Court’s question and to put this problem into context. Usually, the
identification step is a straightforward exercise, even when the parties
disagree, for example, about the identification of their relevant coasts. Not so
in the present case. The existence and breadth of Nicaragua’s entitlement to
a continental shelf beyond 200 nautical miles15 must be determined by the
application of the geomorphological and geological criteria set out in Article
76 of the Convention, rather than just the configuration of its coasts16.
To establish its entitlement, Nicaragua relies on its 2013 submission to
the Commission. According to Nicaragua, this submission provides sufficient
data to show that it has an entitlement to a continental shelf beyond
200 nautical miles in accordance with the geological and geomorphological
criteria, the limits of which are subject to the constraints set out in
12 Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Reports
2009, p. 89, para. 77.
13 Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment, I.C.J. Reports
2012 (II), p. 703, para. 215.
14 Maritime Delimitation in the Area between Greenland and Jan Mayen (Denmark v.
Norway), Judgment, I.C.J. Reports 1993, p. 64, para. 59.
15 I shall avoid the use of the expression “extended continental shelf”. Though perhaps
convenient as a shorthand expression, it finds no basis in the Convention and can be misleading.
Obviously, when a State claims a continental shelf beyond 200 nautical miles, it is not
“extending” its continental shelf or claiming something additional to the continental shelf. It
is merely asserting the outer limits of an entitlement that international law recognizes exist
ipso facto and ab initio. See paragraph 29 of this opinion.
16 Though it must be stated that, because Nicaragua invokes the distance constraint line in
the delineation of the outer limits of the continental shelf in accordance with Article 76, paragraph
5, of the Convention, Nicaragua’s coast remains relevant. The distance constraint line
submitted by Nicaragua is constructed by arcs at 350 nautical miles’ distance from the baselines
from which the territorial sea is measured.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 458
qué dans l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire, la
délimitation consiste à « résoudre le problème du chevauchement des revendications
en traçant une ligne de séparation entre les espaces maritimes
concernés »12. Pour cela, la ligne de délimitation doit, autant que faire se
peut, « permettre aux côtes des [p]arties de produire leurs effets, en matière
de droits à des espaces maritimes, d’une manière raisonnable et équilibrée
pour chacune d’entre elles »13. Les espaces dont les parties peuvent se prévaloir
peuvent être amputés pour parvenir à une solution équitable. Le
processus de délimitation conduit souvent à ce que l’une des parties, voire
les deux, n’obtienne pas les espaces qu’elle pouvait avoir sans la présence de
l’autre partie14.
13. Il s’ensuit qu’une réponse affirmative à la question de la Cour n’implique
en rien qu’il faille accorder au Nicaragua l’intégralité ou la plus
grande partie — ou même une quelconque portion — de la zone, en deçà de
200 milles marins de la côte colombienne, dans laquelle les droits des Parties
pourraient se chevaucher.
14. Il est également utile de dire un mot du problème qui est au coeur de la
question de la Cour et de replacer ce problème dans son contexte. L’étape de
la détermination est généralement un exercice simple, même lorsque les
parties ne s’entendent pas, par exemple, sur la définition de leurs côtes pertinentes.
Tel n’est pas le cas en l’espèce. L’existence et l’étendue du plateau
continental auquel le Nicaragua peut prétendre au-delà de 200 milles
marins15 doivent être déterminées par l’application des critères géologiques
et géomorphologiques énoncés à l’article 76 de la convention, et non par la
seule configuration de ses côtes16. Pour établir son droit, le Nicaragua s’appuie
sur la demande qu’il a soumise à la Commission des limites en 2013.
Selon lui, cette demande contient suffisamment de données pour démontrer
que, suivant les critères géologiques et géomorphologiques, il peut revendiquer
un plateau continental au-delà de 200 milles marins dont les limites
12 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009,
p. 89, par. 77.
13 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II),
p. 703, par. 215.
14 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark
c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 64, par. 59.
15 J’éviterai d’employer l’expression « plateau continental étendu ». Même si elle est sans
doute bien pratique, cette formule abrégée ne trouve aucun fondement dans la convention et est
de nature à induire en erreur. De toute évidence, lorsqu’un État revendique un plateau continental
au-delà de 200 milles marins, il n’« étend » pas son plateau continental et ne cherche pas
non plus à lui adjoindre quoi que ce soit. Il fait simplement valoir la limite extérieure d’un
espace que le droit international lui reconnaît ipso facto et ab initio. Voir le paragraphe 29 de
la présente opinion.
16 Il faut cependant préciser que, du fait que le Nicaragua entend délinéer la limite extérieure
du plateau continental par une ligne tracée selon le critère de la distance, conformément au
paragraphe 5 de l’article 76 de la convention, sa côte demeure pertinente. La ligne qu’il propose
ainsi est construite au moyen d’arcs tracés à une distance de 350 milles marins des lignes de
base à partir desquelles est mesurée la mer territoriale.
459 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
Article 76, paragraph 5, of the Convention. Colombia opposes this claim. It
argues that Nicaragua has not established that the natural prolongation from
Nicaragua’s land territory extends far enough to overlap with Colombia’s
200-nautical-mile entitlement to the continental shelf, measured from
Colombia’s mainland coast17.
If Colombia is correct on the facts, there would be no need for the Court to
proceed to the delimitation as there would be no overlapping entitlements
within 200 nautical miles from Colombia’s mainland coast.
15. But this is not the problem at the heart of the Court’s question. The
problem at the heart of the Court’s question — and of today’s Judgment — is
one of law. It concerns a situation where, in a given area, broad-margin
State A claims an entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical
miles from its coast and within 200 nautical miles from the coast of State B,
where the latter State has a continental shelf entitlement based on the
200 nautical miles distance criterion and an entitlement to an exclusive economic
zone up to 200 nautical miles. This situation is not a new phenomenon,
nor is it uncommon; international courts and tribunals have been faced with
it on several occasions.
16. In the Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine
Area case, the parties debated a similar issue, where Canada, for convenience,
referred to an area of overlapping entitlements beyond 200 nautical
miles from the United States’ coast but within 200 nautical miles from its
coast as the “grey area”18. While the Chamber of the Court was not called
upon to delimit the parties’ entitlements in that area, the parties in that case
advocated for different delimitation lines that created grey areas of varying
sizes when extended seaward19. This issue was also before the arbitral
tribunal in the Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad
and Tobago20. However, the tribunal took no position on “the substance of
the problem”21. Three other cases, namely the two cases concerning the
delimitation in the Bay of Bengal, Delimitation of the Maritime Boundary
17 Rejoinder of Colombia, paras. 6.43-6.81.
18 See I.C.J. Pleadings, Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area
(Canada/United States of America), Vol. III, pp. 214-217, paras. 570-576. See also ibid., Vol. V,
pp. 477-478, paras. 243-245. This appears to be the first time the expression “grey area” was
used in this sense in international practice. On this expression and its different uses, see David
A. Colson, “The Legal Regime of Maritime Boundary Agreements” in Jonathan I. Charney
and Lewis M. Alexander, International Maritime Boundaries, Martinus Nijhoff, 1993, Vol. I,
pp. 67-69.
19 I.C.J. Pleadings, Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area
(Canada/United States of America), Vol. VI, pp. 162-164, argument of Mr Weil; ibid.,
Vol. VII, pp. 217-220, Rejoinder of Mr Colson.
20 Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and Tobago, Award of
11 April 2006, United Nations, Reports of International Arbitral Awards (RIAA), Vol. XXVII,
p. 242, para. 367.
21 Ibid., p. 242, para. 368.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 459
sont soumises aux contraintes énoncées au paragraphe 5 de l’article 76 de la
convention. La Colombie s’oppose à cette revendication, faisant valoir que le
Nicaragua n’a pas apporté la preuve que le prolongement naturel de son
territoire terrestre s’étend suffisamment loin pour chevaucher le plateau
continental auquel elle-même a droit sur 200 milles marins à partir de sa
côte continentale17.
Si la Colombie avait raison en ce qui concerne les faits, la Cour n’aurait
nullement besoin de procéder à la délimitation, car il n’y aurait pas de chevauchement
de droits en deçà de 200 milles marins de la côte continentale
colombienne.
15. Tel n’est cependant pas le problème qui est au coeur de la question de la
Cour. Le problème au coeur de cette question — et du présent arrêt — est
d’ordre juridique. Il concerne une situation dans laquelle, dans une zone
donnée, un État A doté d’une vaste marge revendique un plateau continental
dont la limite est située au-delà de 200 milles marins de sa côte et en deçà de
200 milles marins de la côte d’un État B, lequel a droit à un plateau continental
sur la base du critère de la distance de 200 milles marins et à une zone
économique exclusive sur cette même distance. Il n’y a là rien de nouveau ni
d’inhabituel, les cours et tribunaux internationaux ayant déjà été confrontés
à plusieurs reprises à une telle situation.
16. Dans l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime dans la
région du golfe du Maine, les parties avaient débattu une situation analogue,
dans laquelle le Canada, par commodité, appelait « zone grise » une zone de
chevauchement des droits située au-delà de 200 milles marins de la côte
américaine mais en deçà de 200 milles marins de sa propre côte18. Bien qu’il
n’eût pas été demandé à la chambre de la Cour de délimiter leurs droits dans
cette zone, les parties avaient présenté différentes lignes de délimitation qui,
en se prolongeant au large, créaient des zones grises de tailles diverses19. La
même question a été soumise au tribunal arbitral dans l’Arbitrage entre la
Barbade et la République de Trinité-et-Tobago20, mais celui-ci n’a pas pris
position sur « le fond du problème »21. Elle a aussi été examinée dans trois
autres affaires, à savoir les deux relatives à la délimitation dans le golfe du
17 Duplique de la Colombie, par. 6.43-6.81.
18 Voir C.I.J. Mémoires, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du
Maine (Canada/États-Unis d’Amérique), vol. III, p. 214-217, par. 570-576. Voir également
ibid., vol. V, p. 477-478, par. 243-245. Il semble que ce soit là la première fois que l’expression
« zone grise » a été employée en ce sens dans la pratique internationale. Concernant cette
expression et ses différents emplois, voir David A. Colson, « The Legal Regime of Maritime
Boundary Agreements » dans Jonathan I. Charney et Lewis M. Alexander, International
Maritime Boundaries, vol. 1, Martinus Nijhoff, 1993, p. 67-69.
19 C.I.J. Mémoires, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine
(Canada/États-Unis d’Amérique), vol. VI, p. 162-164, plaidoirie de M. Weil ; ibid., vol. VII,
p. 217-220, réponse de M. Colson.
20 Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago, sentence du 11 avril
2006, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXVII, p. 242, par. 367.
21 Ibid., p. 242, par. 368.
460 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
in the Bay of Bengal (Bangladesh/Myanmar)22 and Bay of Bengal Maritime
Boundary Arbitration (Bangladesh v. India)23 (hereinafter the “Bay of
Bengal cases”), as well as the Court’s Judgment in the Maritime Delimitation
in the Indian Ocean (Somalia v. Kenya) case24, have also addressed this
issue. I shall return to these cases and their implications below.
17. In the present case, the area of overlapping entitlements arises because
Nicaragua claims a continental shelf entitlement beyond 200 nautical miles
that extends far out into the Western Caribbean and within 200 nautical
miles of Colombia’s mainland coast, where it encounters Colombia’s entitlement
to a continental shelf based on the 200 nautical miles distance
criterion.
18. At the identification step, such an area of overlap raises various questions
of law which for some time had mostly been the concern of scholarly
writings25. One question is whether as a matter of law such an overlap of
entitlements may occur in the first place. That is: is a State “prevented” from
claiming its continental shelf entitlement beyond 200 nautical miles into an
area that is claimed by another coastal State as its own continental shelf
on the basis of the 200 nautical miles distance criterion? Colombia has
strenuously argued that this is so.
19. It should be clear that today’s Judgment is concerned with the area of
overlapping entitlements at the identification step. The question is whether
the Parties’ entitlements overlap thus calling for a delimitation. How the
Court should then approach delimiting the area of overlapping entitlements,
and what the Parties’ rights would be in such a maritime area, is a question
of equitable delimitation that is not within the scope of the Court’s first question.
In this sense, it is important to distinguish between (1) an area of
overlapping entitlements and (2) the maritime area that may be established
by a court or tribunal. This distinction is important. The Respondent seems
to assume that the existence of an area of overlapping entitlements in the
22 Delimitation of the Maritime Boundary in the Bay of Bengal (Bangladesh/Myanmar),
Judgment, ITLOS Reports 2012, pp. 119-121, paras. 463-476.
23 Bay of Bengal Maritime Boundary Arbitration (Bangladesh v. India), Award of 7 July
2014, RIAA, Vol. XXXII, pp. 155-157, paras. 498-508.
24 Maritime Delimitation in the Indian Ocean (Somalia v. Kenya), Judgment, I.C.J. Reports
2021, p. 277, para. 197.
25 See e.g. Malcom D. Evans, “Delimitation and the Common Maritime Boundary”, British
Yearbook of International Law, 1994, Vol. 64 (1), pp. 283-332; Alex G. Oude Elferink, “Does
Undisputed Title to a Maritime Zone Always Exclude Its Delimitation: The Grey Area Issue”,
The International Journal of Marine and Coastal Law, 1998, Vol. 13 (2), p. 143; Malcolm
D. Evans, “Maritime Boundary Delimitation: Whatever Next?” in Jill Barrett and Richard
Barnes (eds.), Law of the Sea: UNCLOS as a Living Treaty, British Institute of International
and Comparative Law, 2016, pp. 70-79; Xuexia Liao, “Is There a Hierarchical Relationship
between Natural Prolongation and Distance in the Continental Shelf Delimitation?”, The
International Journal of Marine and Coastal Law, 2018, Vol. 33 (1), p. 79.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 460
Bengale, le différend relatif à la Délimitation de la frontière maritime dans
le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar)22 e t l’Arbitrage concernant la
frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh c. Inde)23 (ci-après
les « affaires du Golfe du Bengale »), et celle relative à la Délimitation
maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya) sur laquelle la Cour a statué24.
Je reviendrai plus loin sur ces affaires et leurs implications.
17. En la présente espèce, s’il se crée une zone de chevauchement de droits,
c’est parce que le Nicaragua revendique un plateau continental de plus de
200 milles marins qui s’étend loin dans les Caraïbes occidentales et jusqu’en
deçà de 200 milles marins de la côte continentale colombienne, où il rencontre
le plateau continental auquel la Colombie a droit selon le critère de la
distance de 200 milles marins.
18. À l’étape de la détermination, une telle zone de chevauchement soulève
plusieurs questions de droit qui, pendant assez longtemps, ont surtout intéressé
les auteurs de doctrine25. L’une de ces questions est de savoir si pareil
chevauchement peut même seulement se produire du point de vue juridique.
Autrement dit, un État est-il « empêché » de revendiquer un plateau continental
au-delà de 200 milles marins dans une zone qu’un autre État côtier
revendique comme son propre plateau continental sur la base du critère de la
distance de 200 milles marins ? La Colombie a vigoureusement défendu
cette thèse.
19. Il faut garder à l’esprit que le présent arrêt porte sur la zone de chevauchement
de droits à l’étape de la détermination. La question est de savoir si
les droits des Parties se chevauchent, exigeant ainsi une délimitation. La
manière dont la Cour devrait alors envisager celle-ci et quels seraient les
droits des Parties dans une telle zone maritime est une affaire d’équité qui ne
relève pas de la première question de la Cour. Il importe donc à cet égard de
faire la distinction entre 1) une zone de chevauchement de droits et 2) les
espaces maritimes qu’une cour ou un tribunal pourra définir. Cette distinction
est importante. La Colombie semble considérer que l’existence d’une
zone de chevauchement de droits dans la mer des Caraïbes en deçà de
22 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar),
arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 119-121, par. 463-476.
23 Arbitrage concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh c.
Inde), sentence du 7 juillet 2014, RSA, vol. XXXII, p. 155-157, par. 498-508.
24 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021,
p. 277, par. 197.
25 Voir, par exemple, Malcom D. Evans, « Delimitation and the Common Maritime Boundary
», British Yearbook of International Law, 1994, vol. 64 1), p. 283-332 ; Alex G. Oude
Elferink, « Does Undisputed Title to a Maritime Zone Always Exclude Its Delimitation: The
Grey Area Issue », The International Journal of Marine and Coastal Law, 1998, vol. 13 2),
p. 143 ; Malcolm D. Evans, « Maritime Boundary Delimitation: Whatever Next? » dans
Jill Barrett et Richard Barnes (sous la dir. de), Law of the Sea: UNCLOS as a Living Treaty,
British Institute of International and Comparative Law, 2016, p. 70-79 ; Xuexia Liao, « Is There
a Hierarchical Relationship between Natural Prolongation and Distance in the Continental
Shelf Delimitation? », The International Journal of Marine and Coastal Law, 2018, vol. 33 1),
p. 79.
461 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
Caribbean Sea within 200 nautical miles of its mainland coast necessarily
means that the Court will have to establish the same kind of maritime area
established, for instance, in the Bay of Bengal cases, with the same division
of rights. This is not so. Should the Parties’ entitlements overlap, it would be
for the Court to adopt its own equitable solution.
20. I have set out these preliminary considerations in some length because
they are necessary to understand the Court’s first question.
II. Entitlement to the Continental Shelf
beyond 200 Nautical Miles
21. The starting-point of the enquiry is Article 76, paragraph 1, of the
Convention. While the Convention is not applicable as between the Parties,
the Court has stated that the definition of the continental shelf set out therein
forms part of customary international law26. There is no doubt in my mind
that the other key provisions defining the outer limits of the continental shelf
beyond 200 nautical miles are also reflective of customary international
law27. The continental shelf concept cannot have a different meaning in
customary international law than in the Convention. The Convention provides
that the continental shelf of a coastal State comprises the seabed and
subsoil of the submarine areas that either (a) extend “beyond its territorial
sea throughout the natural prolongation of its land territory to the outer edge
of the continental margin”, or (b) “to a distance of 200 nautical miles from
the baselines from which the breadth of the territorial sea is measured where
the outer edge of the continental margin does not extend up to that distance”
28. In this respect, Article 76 of the Convention contains a series of
complementary provisions that define the continental margin and specify
how its outer edge is to be determined beyond 200 nautical miles.
22. The first key provision is paragraph 3, which defines the “continental
margin”. The second key provision, contained in paragraph 4 (a) (i) and
(ii), determines the position of the outer limit of the continental margin by
means of the application of two rules (sometimes referred to as “formulae”).
Both the “1 per cent sediment thickness formula” and the “60-nautical-mile
distance formula” specified in paragraph (4) (a) are applied by reference to
the foot of the continental slope, a geological feature. The result that one
26 Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment, I.C.J. Reports
2012 (II), p. 666, para. 118; Question of the Delimitation of the Continental Shelf between
Nicaragua and Colombia beyond 200 Nautical Miles from the Nicaraguan Coast (Nicaragua
v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 130, para. 78.
27 See Kevin A. Baumert, “The Outer Limits of the Continental Shelf under Customary
International Law”, American Journal of International Law, 2017, Vol. 111, p. 827.
28 Article 76, paragraph 1, of the Convention (emphasis added).
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 461
200 milles marins de sa côte continentale emporte nécessairement l’établissement
par la Cour du même type d’espaces maritimes que ceux définis par
exemple dans les affaires du Golfe du Bengale, avec la même répartition des
droits. Si les droits des Parties se chevauchaient, il appartiendrait à la Cour
d’adopter sa propre solution équitable.
20. Si j’ai exposé assez longuement ces observations préliminaires, c’est
parce qu’elles sont nécessaires pour comprendre la première question de la
Cour.
II. Le droit à un plateau continental
au-delà de 200 milles marins
21. Le point de départ de l’analyse est le paragraphe 1 de l’article 76 de la
CNUDM. Bien que celle-ci ne soit pas applicable entre les Parties, la Cour
a estimé que la définition du plateau continental qui y est énoncée faisait
partie du droit international coutumier26. Il ne fait pour moi aucun doute que
les autres dispositions clés qui définissent la limite extérieure du plateau
continental au-delà de 200 milles marins reflètent également le droit international
coutumier27. La notion de plateau continental ne peut avoir en droit
international coutumier un autre sens que celui de la convention. Celle-ci
dispose que le plateau continental d’un État côtier comprend les fonds marins
et leur sous-sol s’étendant a) « au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue
du prolongement naturel du territoire terrestre de cet État jusqu’au
rebord externe de la marge continentale », ou b) « jusqu’à 200 milles marins
des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale,
lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une
distance inférieure »28. À cet égard, l’article 76 contient une série de dispositions
complémentaires qui définissent la marge continentale et précisent la
manière dont son rebord externe doit être déterminé au-delà de 200 milles
marins.
22. La première disposition clé est le paragraphe 3, qui définit la « marge
continentale ». La deuxième, contenue aux sous-alinéas i) et ii) de l’alinéa a)
du paragraphe 4, indique comment déterminer le rebord externe de la marge
continentale par l’application de deux règles (parfois appelées « formules »).
Tant la « formule de l’épaisseur sédimentaire de 1 % » que la « formule de
la distance de 60 milles marins », décrites à l’alinéa a) du paragraphe 4,
s’appliquent par référence à une formation géologique, le pied du talus
26 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II),
p. 666, par. 118 ; Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la
Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 130, par. 78.
27 Voir Kevin A. Baumert, « The Outer Limits of the Continental Shelf under Customary
International Law », American Journal of International Law, 2017, vol. 111, p. 827.
28 Paragraphe 1 de l’article 76 de la convention (les italiques sont de moi).
462 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
derives from the application of the formulae must then be subjected to the
constraints specified in paragraph 5. The first constraint in paragraph 5
(the “distance constraint”) provides that the outer limits of the continental
shelf may not exceed 350 nautical miles from the baselines from which the
breadth of the territorial sea is measured. Alternatively, States may apply the
second constraint in paragraph 5 (the “depth constraint”), which provides
that the outer limits of the continental shelf may not exceed 100 nautical
miles from the 2,500 metre isobath, which is a line connecting the depth of
2,500 metres.
23. The distance constraint of 350 nautical miles can be set aside when
submarine elevations are still natural parts of the continental margin, such
as its plateaux, rises, caps, banks and spurs29.
24. A State can use the most favourable combination of the formulae in
order to establish the outer edge of its continental margin and it can also use
the most favourable combination of the depth and distance constraints to
establish the outer limits of the continental shelf30.
25. If I have outlined the rules defining the outer limits of the continental
shelf beyond 200 nautical miles in some detail, it is not to show that the
determination of the outer limits of the continental shelf beyond 200 nautical
miles is a complicated matter. It is to show what the rules bring and do not
bring to the table; they bring in concepts of geodesy, geology, geophysics
and hydrography, as well as very precise formulae and constraints. What
they do not bring, however, is this: the notion that a State’s entitlement to a
continental shelf beyond 200 nautical miles “stops” at, or “cannot extend”
within, 200 nautical miles from the baselines of another State.
26. The Convention is silent on the issue whether a State’s entitlement
to a continental shelf beyond 200 nautical miles may extend within
200 nautical miles from the baselines of another State. In the absence of a
limitation to this effect, it must be accepted that the existence and breadth
of a continental shelf entitlement beyond 200 nautical miles depend solely
on the geological and geomorphological criteria set out above, subject to
the applicable constraints under paragraph 5 of Article 76. This conclusion
is in harmony with the cardinal principle, often repeated in delimitation
cases, that “the land dominates the sea”. A State’s maritime entitlements
derive from its sovereignty over the land, notably its coast that generates
maritime entitlements. As the Court observed in the North Sea Continental
29 Article 76, paragraph 6, of the Convention.
30 However, there is one restriction on when a State is permitted to use the more favourable
constraint (or combination of constraints). According to Article 76, paragraph 6, “submarine
ridges” constitute a special case to which only the distance constraint (and not the depth
constraint) may be applied.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 462
continental. Le résultat obtenu par l’application de ces formules doit ensuite
satisfaire aux conditions énoncées au paragraphe 5. Selon la première (la
« contrainte de la distance »), la limite extérieure du plateau continental doit
se situer à une distance n’excédant pas 350 milles marins des lignes de base
à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale. Les États
peuvent également appliquer la seconde condition énoncée au paragraphe 5
(la « contrainte de la profondeur »), selon laquelle la limite extérieure du
plateau continental doit se situer à une distance n’excédant pas 100 milles
marins de l’isobathe de 2 500 mètres, qui est la ligne reliant les points de
2 500 mètres de profondeur.
23. Il est possible de ne pas appliquer la contrainte de la distance de
350 milles marins dans le cas de hauts-fonds qui demeurent des éléments
naturels de la marge continentale, tels que les plateaux, seuils, crêtes, bancs
ou éperons qu’elle comporte29.
24. Un État peut recourir à la combinaison de formules qui lui est la plus
favorable pour définir le rebord externe de sa marge continentale et combiner
également à son avantage les critères de distance et de profondeur pour
déterminer la limite extérieure de son plateau continental30.
25. Si j’ai exposé en détail les règles qui servent à déterminer la limite
extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins, c’est non pas
pour montrer que cette détermination est une question complexe, mais pour
mettre en évidence ce que ces règles contiennent et ne contiennent pas. Elles
font appel à des notions de géodésie, de géologie, de géophysique et d’hydrographie,
ainsi qu’à des formules et contraintes très précises. En revanche, il
est une chose dont elles ne parlent pas : l’idée que le plateau continental
auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins « s’arrête » à
200 milles marins des lignes de base d’un autre État ou « ne puisse s’étendre »
en deçà.
26. La convention ne dit rien sur le point de savoir si le plateau continental
qu’un État peut revendiquer au-delà de 200 milles marins peut s’étendre ou
non en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. En
l’absence de restriction à cet égard, il faut admettre que l’existence et l’étendue
d’un plateau continental au-delà de 200 milles marins ne dépendent que
des critères géologiques et géomorphologiques susmentionnés, sous réserve
des contraintes applicables prévues au paragraphe 5 de l’article 76 de la
convention. Cette conclusion est conforme au principe fondamental, souvent
réaffirmé dans les affaires de délimitation, qui veut que « la terre domine la
mer ». Le droit d’un État à des espaces maritimes découle de sa souveraineté
sur la terre, en particulier sa côte qui génère des droits à des espaces
29 Paragraphe 6 de l’article 76 de la convention.
30 Il existe cependant une restriction à la faculté d’un État de recourir au critère (ou combinaison
de critères) le plus favorable. Selon le paragraphe 6 de l’article 76, les « dorsales
sous-marines » constituent des cas particuliers auxquels seule la contrainte de la distance peut
s’appliquer (à l’exclusion de celle de la profondeur).
463 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
Shelf cases31, and later in the Maritime Delimitation in the Black Sea case32,
this principle is the basis for a continental shelf entitlement. The existence
of a coastal State’s continental shelf entitlement does not depend on the proximity
to the coast of another State.
27. There is also no reservation in the Convention that specifies that a
State’s continental shelf entitlement beyond 200 nautical miles cannot overlap
with the continental shelf within 200 nautical miles of another State. In
the absence of such a reservation, it must be accepted that these entitlements
may overlap. As mentioned above, a feature of maritime entitlements is that
they can overlap with one another.
28. The Parties have referred extensively to the travaux préparatoires of
the Convention in support of their arguments. But, as the Court’s Judgment
correctly notes, the issue of one State’s continental shelf beyond 200 nautical
miles extending within 200 nautical miles from the baselines of another
State was “not debated during the Third United Nations Conference on the
Law of the Sea” (Judgment, para. 76). This is not entirely surprising. It may
be recalled that during the negotiation of the continental shelf régime, only
30 or so States were seen as possibly having continental margins beyond
200 nautical miles from their coasts that would call for the application of the
delineation procedure set out in Article 7633. States may not have envisioned
all aspects of this issue during the negotiations.
29. Despite the foregoing and the absence of any express limitation, in
paragraph 76 of the Judgment, the Court seems inclined to find a tacit limitation
to the entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical miles on
the basis of paragraphs 4 to 9 of Article 76, as well as Article 82, paragraph
1, of the Convention, which concerns payments and contributions with
respect to the exploitation of the non-living resources of the continental shelf
which would otherwise have been part of the Area.
The Judgment ventures that these provisions suggest that “the States participating
in the negotiations assumed that the [continental shelf beyond
200 nautical miles] would only extend into maritime areas that would
otherwise be located in the Area” — the implication being that a continental
shelf beyond 200 nautical miles can only extend in the Area and not
within 200 nautical miles from the baselines of another State (Judgment,
para. 76, emphasis added). There is no trace of such an assumption in the
31 North Sea Continental Shelf (Federal Republic of Germany/Denmark; Federal Republic
of Germany/Netherlands), Judgment, I.C.J. Reports 1969, p. 51, para. 96.
32 Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Reports
2009, p. 89, para. 77.
33 See United Nations, Office of Legal Affairs, Division for Ocean Affairs and the Law of the
Sea, The Law of the Sea: Definition of the Continental Shelf: An Examination of the Relevant
Provisions of the United Nations Convention on the Law of the Sea, New York, 1993, p. 6.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 463
maritimes. Comme la Cour l’a fait observer dans les affaires du Plateau
continental de la mer du Nord 31, puis dans celle relative à la Délimitation
maritime en mer Noire32, c’est sur ce principe que repose le droit à un plateau
continental. L’existence du droit d’un État côtier à un plateau continental ne
dépend pas de la proximité de la côte d’un autre État.
27. La convention ne contient pas non plus de réserve à l’effet de dire que le
plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles
marins ne peut pas empiéter sur le plateau continental revenant à un autre État
en deçà de 200 milles marins. En l’absence d’une telle réserve, il faut admettre
que ces droits peuvent se chevaucher. Comme je l’ai dit plus haut, les droits à
des espaces maritimes ont pour particularité de pouvoir se chevaucher.
28. Les Parties ont fait abondamment référence aux travaux préparatoires
de la convention pour étayer leurs arguments. Mais, comme la Cour le relève
à juste titre dans l’arrêt, la question de savoir si le plateau continental d’un
État au-delà de 200 milles marins peut se prolonger en deçà de 200 milles
marins des lignes de base d’un autre État « n’a pas été débattue pendant la
troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer » (arrêt, par. 76).
Cela n’est pas tout à fait surprenant. Il convient de rappeler que, au moment
de la négociation du régime du plateau continental, seuls une trentaine
d’États avaient été jugés susceptibles d’avoir une marge continentale allant
au-delà de 200 milles marins de leurs côtes, qui exigerait l’application de la
procédure de délinéation énoncée à l’article 7633. Les États n’avaient peutêtre
pas envisagé alors tous les aspects de cette question.
29. Nonobstant ce qui précède et malgré l’absence de toute restriction
explicite, la Cour semble tentée, au paragraphe 76 de l’arrêt, de conclure à
l’existence d’une restriction implicite du droit à un plateau continental
au-delà de 200 milles marins, sur la base des paragraphes 4 à 9 de l’article 76
de la convention, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 82, lequel a trait aux
contributions en espèces ou en nature à verser au titre de l’exploitation des
ressources non biologiques du plateau continental qui, autrement, feraient
partie de la Zone.
Dans l’arrêt, la Cour avance que ces dispositions semblent indiquer que
« les États participant aux négociations considéraient que le plateau continental
[au-delà de 200 milles marins] ne pouvait se prolonger que dans des
espaces maritimes qui, autrement, feraient partie de la Zone » — ce qui
impliquerait que le plateau continental au-delà de 200 milles marins ne
peut se prolonger que dans la Zone et non en deçà de 200 milles marins des
lignes de base d’un autre État (arrêt, par. 76, les italiques sont de moi). Or,
31 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ;
République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 51, par. 96.
32 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009,
p. 89, par. 77.
33 Voir Nations Unies, Bureau des affaires juridiques, division des affaires maritimes et du
droit de la mer, Le droit de la mer — La définition du plateau continental : Examen des dispositions
pertinentes relatives au plateau continental dans la Convention des Nations Unies sur
le droit de la mer, New York, 1994, p. 6.
464 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
travaux préparatoires of the Convention. In my view, this is a mere supposition
which, even if accepted, could not jettison the clear text of the Convention.
The concept of the continental shelf had developed several decades before
the adoption of the 1982 Convention. As the Court stated authoritatively in
1969, the rights of the coastal State in respect of the area of continental shelf
that constitutes a natural prolongation of its land territory into and under the
sea “exist ipso facto and ab initio, by virtue of its sovereignty over the
land”34. States had long recognized this concept and accepted that it could
extend beyond 200 nautical miles from a State’s coast up to the continental
slope, even if the precise outer limits of the continental shelf remained
debated35. For a time, the breadth of the continental shelf was conventionally
defined with an exploitability test36. But this was rather imprecise. The formulae
and constraints of Article 76 described above were the results of
extensive negotiation, and they constituted an attempt at defining, but also
limiting, the breadth of the continental shelves of broad-margin States37.
They provide a methodology to establish the limits of the continental shelf.
Given that the provisions of the Convention were subjected to scrutiny and
extensive negotiation, the idea that the Convention imposes a tacit limitation
on States’ continental shelf entitlements beyond 200 nautical miles is untenable.
30. Thus, in my view, the answer to the question “may a State’s entitlement
to a continental shelf beyond 200 nautical miles . . . extend within 200 nautical
miles from the baselines of another State?” is “yes”. There is nothing in
the Convention to suggest otherwise.
III. Jurisprudence
31. The jurisprudence of the Court and international tribunals in maritime
delimitation cases supports the conclusion just reached. The Court and other
tribunals have accepted that a State’s entitlement to a continental shelf
beyond 200 nautical miles may extend within 200 nautical miles from
34 North Sea Continental Shelf (Federal Republic of Germany/Denmark; Federal Republic
of Germany/Netherlands), Judgment, I.C.J. Reports 1969, p. 22, para. 19.
35 R. Y. Jennings, “The Limits of Continental Shelf Jurisdiction: Some Possible Implications
of the North Sea Case Judgment”, International and Comparative Law Quarterly, 1969,
Vol. 18, p. 830.
36 Article 1 of the 1958 Convention on the Continental Shelf.
37 Ted L. McDorman, “An ISA Side Issue: UNCLOS, Article 82 and Revenue Sharing” in
Alfonso Ascencio-Herrera and Myron H. Nordquist (eds.), The United Nations Convention on
the Law of the Sea, Part XI Regime and the International Seabed Authority: A Twenty-Five
Year Journey, Brill/Nijhoff, 2022, p. 367.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 464
pareille hypothèse n’apparaît nulle part dans les travaux préparatoires de
la convention. Il ne s’agit, selon moi, que d’une simple spéculation qui,
même à supposer qu’elle soit juste, ne saurait remplacer le texte clair de la
convention.
La notion de plateau continental avait pris forme plusieurs décennies avant
l’adoption de la convention de 1982. Comme la Cour l’a affirmé sans équivoque
en 1969, les droits de l’État côtier concernant la zone du plateau
continental qui constitue un prolongement naturel de son territoire sous la
mer « existent ipso facto et ab initio en vertu de la souveraineté de l’État sur
ce territoire »34. Les États avaient depuis longtemps accepté cette notion et
admis que le plateau continental pouvait s’étendre au-delà de 200 milles
marins de la côte d’un État jusqu’au talus continental, même si la question de
ses limites extérieures précises continuait de faire l’objet de discussions35.
Pendant un temps, l’étendue du plateau continental a été définie conventionnellement
à l’aide du critère de l’exploitation36. Cette méthode était toutefois
assez imprécise. Les formules et contraintes de l’article 76 décrites précédemment
sont le résultat de longues négociations et visaient à définir, mais
aussi à limiter, l’étendue du plateau continental des États dotés d’une vaste
marge37. Elles offrent une méthode pour établir les limites du plateau continental.
Sachant que les dispositions de la convention ont été minutieusement
analysées et longuement négociées, l’idée que celle-ci impose une restriction
implicite au droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles
marins n’est pas défendable.
30. Aussi suis-je d’avis qu’il y a lieu de répondre par l’affirmative à la question
de savoir si « le droit d’un État à un plateau continental au-delà de
200 milles marins … peut[] s’étendre à des espaces maritimes en deçà de
200 milles marins des lignes de base d’un autre État ». Aucune disposition
de la convention ne porte à croire le contraire.
III. La jurisprudence
31. La jurisprudence de la Cour et des tribunaux internationaux en matière
de délimitation maritime étaye la conclusion qui précède. Ces juridictions
ont reconnu que le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins
pouvait s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre
34 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ;
République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 22, par. 19.
35 R. Y. Jennings, « The Limits of Continental Shelf Jurisdiction: Some Possible Implications
of the North Sea Case Judgment », International and Comparative Law Quarterly, 1969,
vol. 18, p. 830.
36 Article premier de la convention de 1958 sur le plateau continental.
37 Ted L. McDorman, « An ISA Side Issue: UNCLOS, Article 82 and Revenue Sharing »
dans Alfonso Ascencio-Herrera et Myron H. Nordquist (sous la dir. de), The United Nations
Convention on the Law of the Sea, Part XI Regime and the International Seabed Authority:
A Twenty-Five Year Journey, Brill/Nijhoff, 2022, p. 367.
465 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
the baselines of another State. The Bay of Bengal cases, as well as the Court’s
Judgment in the Maritime Delimitation in the Indian Ocean case, are
particularly relevant here.
32. In the Bay of Bengal cases, both the International Tribunal for the Law
of the Sea (hereinafter “ITLOS”) and an Annex VII tribunal accepted that
the parties’ entitlements overlapped in the grey area. In the first Bay of Bengal
case, ITLOS delimited the maritime entitlements of Bangladesh and
Myanmar, including their entitlements beyond 200 nautical miles from their
coasts. As the ITLOS shifted the provisional equidistance line in favour of
Bangladesh, the delimitation of the continental shelf beyond 200 nautical
miles involved an area located beyond 200 nautical miles from the coast of
Bangladesh but within 200 nautical miles from the coast of Myanmar, yet on
the Bangladeshi side of the delimitation line38. Similarly, the arbitral tribunal’s
delimitation within and beyond 200 nautical miles in Bangladesh v.
India involved an area lying beyond 200 nautical miles from the coast of
Bangladesh and within 200 nautical miles from the coast of India, yet on the
Bangladeshi side of the delimitation line39. As a matter of delimitation, the
tribunals allocated to Bangladesh an area corresponding to its continental
shelf beyond 200 nautical miles that would have otherwise been areas of the
continental shelf within 200 nautical miles of Myanmar and India. Thus,
these decisions are premised on the finding that the parties’ continental shelf
entitlements could and did overlap40. As discussed above, this concerns the
identification step (see paragraph 11).
33. The Court’s Judgment in Somalia v. Kenya is also relevant. There, the
Court accepted that Kenya’s entitlement to a continental shelf beyond
200 nautical miles could extend within 200 nautical miles from Somalia’s
coast. In that case, the Court stated that, depending on the extent of Kenya’s
entitlement (as it may be established on the basis of the Commission’s recommendations),
the delimitation line constructed by the Court might give
rise to an area “located beyond 200 nautical miles from the coast of Kenya
and within 200 nautical miles from the coast of Somalia, but on the Kenyan
side of the delimitation line”41. The Court described this area as a “possible
grey area” (which is depicted on sketch-map No. 12 of the Judgment as a
small grey wedge)42. The reason the Court used the term “possible” is plain.
38 Delimitation of the Maritime Boundary in the Bay of Bengal (Bangladesh/Myanmar),
Judgment, ITLOS Reports 2012, p. 119, para. 463.
39 Bay of Bengal Maritime Boundary Arbitration (Bangladesh v. India), Award of 7 July
2014, RIAA, Vol. XXXII, p. 147, para. 498.
40 Malcolm D. Evans, “Maritime Boundary Delimitation: Whatever Next?” in Jill Barrett
and Richard Barnes (eds.), Law of the Sea: UNCLOS as a Living Treaty, British Institute of
International and Comparative Law, 2016, p. 74.
41 Maritime Delimitation in the Indian Ocean (Somalia v. Kenya), Judgment, I.C.J. Reports
2021, p. 277, para. 197.
42 Ibid., p. 278.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 465
État. Les décisions rendues dans les affaires du Golfe du Bengale ainsi que
celle de la Cour relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien sont
particulièrement intéressantes à cet égard.
32. Dans les affaires du Golfe du Bengale, le Tribunal international du droit
de la mer (TIDM) et un tribunal arbitral constitué conformément à l’annexe
VII ont accepté que les droits des parties se chevauchent dans une zone
grise. Dans la première, l’affaire Bangladesh/Myanmar, le TIDM a délimité
les espaces maritimes revenant à chacune des parties, y compris leurs droits
au-delà de 200 milles marins de leurs côtes. Le TIDM ayant déplacé la ligne
d’équidistance provisoire au bénéfice du demandeur, la délimitation du plateau
continental au-delà de 200 milles marins a généré une zone située
au-delà de 200 milles marins de la côte du Bangladesh mais en deçà de
200 milles marins de la côte du Myanmar, quoique du côté bangladais de la
ligne de délimitation38. De même, la délimitation effectuée par le tribunal
arbitral en deçà et au-delà de 200 milles marins dans l’affaire Bangladesh
c. Inde a généré une zone située au-delà de 200 milles marins de la côte du
Bangladesh mais en deçà de 200 milles marins de la côte de l’Inde, quoique
du côté bangladais de la ligne de délimitation39. Du point de vue de la délimitation,
ces tribunaux ont attribué au Bangladesh, à titre de plateau continental
au-delà de 200 milles marins, une zone qui, autrement, aurait fait partie du
plateau continental revenant respectivement au Myanmar et à l’Inde en deçà
de 200 milles marins de leurs côtes. Ainsi, ces décisions étaient fondées sur
le constat que les droits des parties à un plateau continental pouvaient se chevaucher
et se chevauchaient effectivement40. Comme je l’ai expliqué plus
haut, ce point relève de l’étape de la détermination (voir le paragraphe 11).
33. L’arrêt de la Cour en l’affaire Somalie c. Kenya est également pertinent.
La Cour y a admis que le plateau continental du Kenya au-delà de 200 milles
marins pouvait s’étendre en deçà de 200 milles marins de la côte de la Somalie.
Elle a affirmé que, en fonction de l’étendue des droits du Kenya (selon ce
qui pourrait être déterminé sur la base des recommandations de la Commission
des limites), la ligne de délimitation qu’elle avait définie pouvait créer
une zone « située au-delà de 200 milles marins des côtes du Kenya et en deçà
de 200 milles marins de celles de la Somalie, mais du côté kényan de ladite
ligne »41. La Cour a qualifié cette zone d’« éventuelle zone grise » (représentée
sur le croquis no 12 de l’arrêt en question sous la forme d’une zone
cunéiforme de couleur grise)42. La raison pour laquelle la Cour a employé le
38 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar),
arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 119, par. 463.
39 Arbitrage concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh
c. Inde), sentence du 7 juillet 2014, RSA, vol. XXXII, p. 147, par. 498.
40 Malcolm D. Evans, « Maritime Boundary Delimitation: Whatever Next? » dans Jill
Barrett et Richard Barnes (sous la dir. de), Law of the Sea: UNCLOS as a Living Treaty, British
Institute of International and Comparative Law, 2016, p. 74.
41 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021,
p. 277, par. 197.
42 Ibid., p. 278.
466 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
When the Judgment was rendered in 2021, the Commission had not issued
its recommendations in respect of Kenya’s submission on the continental
shelf beyond 200 nautical miles43. There thus remained — at the time, but no
more44 — some doubt about the extent of Kenya’s continental shelf entitlement
beyond 200 nautical miles. That said, the Court considered that the
parties’ continental shelf entitlements could overlap as a matter of law.
34. That the Court so considered is also evident from the way the Court
delimited the maritime boundary beyond 200 nautical miles between the
parties. It did so by extending, beyond 200 nautical miles, the same geodetic
line that constitutes the single maritime boundary delimiting the exclusive
economic zone and the continental shelf up to 200 nautical miles45. The issue
is this: had there been no overlapping continental shelf entitlements, the
Court would have been precluded from doing so —at least initially. Somalia
alone would have had a continental shelf entitlement within the wedge. The
Court would have had to draw a delimitation line taking a “zig-zag” course.
The Court did not do so, however. Presumably, it saw no bar in international
law to delimit the maritime boundary in such a way as resulting in Kenya’s
continental shelf beyond 200 nautical miles extending within 200 nautical
miles from the baselines of Somalia.
35. The question may be asked how these decisions differ from the present
one?
36. In paragraph 72 — which is not a model of clarity — the Court’s Judgment
is quick to reply that these three decisions are “of no assistance”. The
Judgment attempts to find safety in the suggestion that the present case differs
from these decisions because Nicaragua “claims an extended continental
shelf that lies within 200 nautical miles from the baselines of one or more
other States”. By contrast, says the Judgment, in the two Bay of Bengal
cases, it was the “use of an adjusted equidistance line in a delimitation
between adjacent States [that], as an incidental result of that adjustment,
gave rise to a grey area”. Likewise, in Somalia v. Kenya, it was the use of an
adjusted equidistance line that gave rise, “as an incidental result”, to a possible
grey area between two adjacent States.
43 Ibid., p. 220, para. 34.
44 What was referred to as a “possible grey area” in Somalia v. Kenya has become a reality,
for the recommendations issued by the Subcommission of the Commission on the Limits of the
Continental Shelf were approved by the Commission itself and seem to confirm that Kenya has
an entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical miles from its coast. See Summary
of Recommendations of the CLSC in regard to the Submission Made by the Republic of Kenya
on 6 May 2009, adopted by the Subcommission on 8 November 2022, approved by the
Commission, with amendments, on 7 March 2023, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/
submissions_files/ken35_09/20230307ComSumRecKen.pdf.
45 Maritime Delimitation in the Indian Ocean (Somalia v. Kenya), Judgment, I.C.J. Reports
2021, p. 277, para. 196.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 466
terme « éventuelle » est simple. Lorsque l’arrêt a été rendu en 2021, la Commission
n’avait pas encore formulé de recommandation relativement à la
demande de plateau continental au-delà de 200 milles marins du Kenya43.
Des doutes subsistaient donc — à l’époque, mais plus aujourd’hui44 — quant
à l’étendue du plateau continental auquel le Kenya pouvait prétendre au-delà
de 200 milles marins. Cela étant, la Cour a jugé possible, du point de vue juridique,
que les droits des parties à un plateau continental se chevauchent.
34. La manière dont la Cour a délimité la frontière maritime entre les parties
au-delà de 200 milles marins montre aussi clairement que telle était bien
là sa position. La Cour a opéré cette délimitation en prolongeant au-delà de
200 milles marins la même ligne géodésique qui constituait la frontière
maritime unique délimitant la zone économique exclusive et le plateau continental
jusqu’à 200 milles marins45. Tel est le point clé : s’il n’y avait pas eu
chevauchement des droits à un plateau continental, la Cour n’aurait pas pu
procéder ainsi — du moins au début. Seule la Somalie aurait eu droit à un
plateau continental dans la zone cunéiforme et la Cour aurait été obligée de
définir une ligne de délimitation suivant un tracé « en zigzag ». Or, ce n’est
pas ce qu’elle a fait. Elle n’a vraisemblablement rien trouvé dans le droit
international qui l’empêchât de tracer la frontière maritime de telle sorte que
le plateau continental du Kenya au-delà de 200 milles marins s’étende en
deçà de 200 milles marins des lignes de base de la Somalie.
35. L’on peut se demander en quoi ces décisions diffèrent du présent
arrêt.
36. Au paragraphe 72 — qui n’est pas un modèle de clarté — de l’arrêt, la
Cour est prompte à répondre que les trois affaires susmentionnées « ne sont
d’aucune aide ». Elle tente de se réfugier derrière l’argument que la présente
affaire s’en démarque en ce que le Nicaragua « revendique un plateau continental
étendu qui se situe en deçà de 200 milles marins des lignes de base
d’un ou de plusieurs autres États ». Selon l’arrêt, dans les deux affaires du
Golfe du Bengale, c’était au contraire « le recours à une ligne d’équidistance
ajustée, dans une délimitation entre deux États adjacents, [qui] a[vait] donné
lieu à une “zone grise”, en tant que conséquence fortuite de cet ajustement ».
De même, dans l’affaire Somalie c. Kenya, c’était le recours à une ligne
d’équidistance ajustée qui avait donné lieu, « en tant que conséquence fortuite
», à une éventuelle zone grise entre deux États adjacents.
43 Ibid., p. 220, par. 34.
44 Ce qui était une « éventuelle zone grise » dans l’affaire Somalie c. Kenya est devenu une
réalité, car la Commission des limites du plateau continental a approuvé les recommandations
faites par sa sous-commission, ce qui semble confirmer que le Kenya avait droit à un plateau
continental au-delà de 200 milles marins de sa côte. Voir le résumé des recommandations de
la Commission des limites du plateau continental concernant la demande présentée par la
République du Kenya le 6 mai 2009, adoptées par la sous-commission le 8 novembre 2022
puis par la Commission, et modifiées le 7 mars 2023 ; accessible en anglais à l’adresse suivante :
https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/ken35_09/20230307ComSum
RecKen.pdf.
45 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021,
p. 277, par. 196.
467 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
It is hard to know what to make of this cryptic statement. What it seems
to boil down to is a distinction between States with adjacent coasts (the Bay
of Bengal cases and Somalia v. Kenya) and States with opposite coasts (as in
this case). It is true that an area of overlap may arise and be dealt with differently
depending on the coastal configuration. When a tribunal delimits the
entitlements of adjacent States both within and beyond 200 nautical miles, a
grey area will arise whenever the single maritime boundary of the 200-
nautical-mile entitlements departs from an equidistance line. Between States
with opposite coasts, where the distance between the two coasts is greater
than 400 nautical miles, and only one State has an entitlement to a continental
shelf beyond 200 nautical miles — as is the case here — the grey area
may have a different shape than the wedge-shaped areas seen with adjacent
States. The shape and size of the grey area, if any, will vary depending on the
extent of a State’s entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical
miles as determined by a court or tribunal applying the rules on maritime
delimitation calling for the achievement of an equitable result.
37. The Respondent insists that the grey areas of the Bay of Bengal cases
and Somalia v. Kenya were merely “incidental results” of the delimitation
process. This looks to me self-defeating: to suggest that they were incidental
results of the delimitation is to accept that the parties’ entitlements overlapped
to begin with, and hence, that they can overlap as a matter of law46.
Again, courts and tribunals may only delimit the parties’ entitlements that
overlap.
The Respondent further suggests that the “small” grey areas at stake in
these decisions are different from “the huge grey area that Nicaragua seeks
to create in the present [case]”47.
This confuses the preliminary identification step with the final delimitation.
I agree that, depending on the circumstances of a particular case, there
may be something inequitable in allocating to broad-margin State A an area
which it may claim as a continental shelf beyond 200 nautical miles but that
falls within 200 nautical miles of State B. In such a hypothesis, State B could
be left with a continental shelf not reaching 200 nautical miles from its coast,
whereas State A would enjoy its continental shelf both up to and beyond
200 nautical miles from its coast. However, this is a matter of delimitation.
The size of a grey area may have some role to play at later stages of the
delimitation — for instance, as a possible circumstance relevant to an equitable
solution — but it plays no role in determining whether there is an
overlap of entitlements.
46 Jin-Hyun Paik, “The Grey Area in the Bay of Bengal Case” in Myron H. Nordquist et al.
(eds.), International Marine Economy: Law and Policy, Brill/Nijhoff, 2017, p. 275.
47 CR 2022/26, p. 46, para. 3 (Palestini).
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 467
Il est difficile de savoir comment interpréter cette déclaration sibylline. Il
semble qu’elle se résume à une distinction entre États ayant des côtes adjacentes
(comme dans les affaires du Golfe du Bengale et dans Somalie c. Kenya) et États
dont les côtes se font face (comme c’est le cas en l’espèce). Il est vrai que
l’existence d’une zone de chevauchement et la manière dont celle-ci sera traitée
sont fonction de la configuration côtière. La délimitation par un tribunal des
droits d’États adjacents tant en deçà qu’au-delà de 200 milles marins génère une
zone grise dès lors que la frontière maritime unique délimitant les espaces maritimes
dont ces États peuvent se prévaloir sur 200 milles marins ne suit pas
la ligne d’équidistance. Entre États dont les côtes se font face, lorsque les deux
côtes sont distantes de plus de 400 milles marins et que seul un État peut revendiquer
un plateau continental au-delà de 200 milles marins — comme c’est le
cas en l’espèce —, la zone grise peut prendre une autre forme que celle, cunéiforme,
qui est créée lorsqu’il s’agit d’États ayant des côtes adjacentes. Le cas
échéant, la forme et la taille de la zone grise varieront en fonction de l’étendue
du plateau continental auquel un État a droit au-delà de 200 milles marins, telle
qu’elle aura été déterminée par une cour ou un tribunal par application des règles
de délimitation maritime requises pour parvenir à un résultat équitable.
37. En l’espèce, la Colombie soutenait que les zones grises dans les affaires
du Golfe du Bengale et dans Somalie c. Kenya n’étaient qu’une « conséquence
fortuite » du processus de délimitation. Cela me paraît aller à l’encontre du
but recherché : dire que les zones grises sont une conséquence fortuite de la
délimitation revient à reconnaître, tout d’abord, que les droits des parties se
chevauchent et donc que, du point de vue juridique, ils peuvent se chevaucher46.
Encore une fois, les cours et les tribunaux ne peuvent procéder à une
délimitation que là où il y a chevauchement des droits des parties.
La défenderesse affirmait en outre que les zones grises « de petite taille »
en jeu dans ces décisions différaient de « l’énorme zone grise que le Nicaragua
cherch[ait] … à créer » en l’espèce47.
Cela revient à confondre l’étape préliminaire de la détermination avec la
délimitation finale. Je conviens que, selon les circonstances d’une affaire
donnée, il y a quelque chose d’inéquitable à attribuer, à un État A doté d’une
vaste marge, une zone qu’il peut revendiquer comme plateau continental
au-delà de 200 milles marins mais qui se situe dans la zone de 200 milles
marins d’un État B. Dans cette hypothèse, l’État B pourrait se retrouver avec
un plateau continental n’atteignant pas la limite de 200 milles marins à partir
de sa côte, alors que l’État A jouirait d’un plateau continental s’étendant non
seulement jusqu’à 200 milles marins de sa côte, mais aussi au-delà. Cependant,
il s’agit là d’une question de délimitation. Si la taille d’une zone grise
peut avoir un certain rôle à jouer aux étapes ultérieures de la délimitation —
par exemple en tant qu’éventuelle circonstance pertinente pour une solution
équitable —, elle n’en joue toutefois aucun dans la détermination de l’existence
d’un chevauchement de droits.
46 Jin-Hyun Paik, « The Grey Area in the Bay of Bengal Case » dans Myron H. Nordquist et
al. (sous la dir. de), International Marine Economy: Law and Policy, Brill/Nijhoff, 2017, p. 275.
47 CR 2022/26, p. 46, par. 3 (Palestini).
468 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
The coastal configuration of States — whether they are States with opposite
or adjacent coasts — can have no bearing on the issue of principle
whether, at the identification step, a State’s continental shelf entitlement
beyond 200 nautical miles may overlap with another State’s entitlement to a
continental shelf based on the 200-nautical miles distance criterion. The
entitlement of the coastal State over the continental shelf is the same, no
matter its coastal situation48.
Rather, if grey areas are “impossible” because legally there can be no
overlapping entitlements — as today’s Judgment seems to conclude in paragraph
82 — then grey areas are impossible no matter the circumstances.
38. It seems, therefore, that there is no escape from the conclusion that
today’s Judgment departs from the Court’s jurisprudence and that of international
tribunals. This jurisprudence contains a consistent finding of law
which the Court simply ignores. I regret that the Court provides no convincing
rationale for this departure49. As my distinguished colleagues observed
in the past, the Court
“must ensure consistency with its own past case law in order to provide
predictability . . . This is especially true in different phases of the same
case or with regard to closely related cases”50.
IV. Practice of States
39. I pass now to an examination of the existence of an alleged rule of
customary international law that would prevent a State’s entitlement to a
continental shelf beyond 200 nautical miles from extending within 200 nautical
miles from the baselines of another State. According to the Court’s
settled jurisprudence, the existence of a rule of customary international law
requires that there be “a settled practice” together with opinio juris51. Despite
the importance of this question and the extensive pleadings of the Parties on
this issue, it is hard to say that the Court has taken its task of identifying
custom very seriously. The Court’s Judgment devotes only a single
48 Articles 77 and 83 of UNCLOS.
49 Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Croatia v. Serbia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2008, p. 428,
para. 53.
50 Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I), joint declaration of Vice-President Ranjeva, Judges Guillaume,
Higgins, Kooijmans, Al-Khasawneh, Buergenthal and Elaraby, p. 330, para. 3.
51 North Sea Continental Shelf (Federal Republic of Germany/Denmark; Federal Republic
of Germany/ Netherlands), Judgment, I.C.J. Reports 1969, p. 44, para. 77.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 468
La configuration côtière des États — que leurs côtes se fassent face
ou qu’elles soient adjacentes — ne peut avoir d’incidence sur la question
de principe consistant à établir, à l’étape de la détermination, si le plateau
continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins
peut empiéter sur le plateau continental auquel un autre État a droit sur
la base du critère de la distance de 200 milles marins. Le droit de l’État
côtier sur le plateau continental est le même, quelle que soit sa situation
côtière48.
Plus exactement, si les zones grises sont « impossibles » parce que, du
point de vue juridique, il ne peut y avoir chevauchement de droits — comme
la Cour semble le conclure maintenant au paragraphe 82 de l’arrêt —, alors
elles sont impossibles quelles que soient les circonstances.
38. Il paraît donc inévitable de conclure que le présent arrêt s’écarte de la
jurisprudence de la Cour et de celle des tribunaux internationaux. Cette
jurisprudence contient une conclusion de droit constamment réaffirmée qui
est ici tout simplement ignorée. Je regrette que la Cour n’offre aucun argument
convaincant pour expliquer cette rupture49. Comme mes éminents
collègues l’ont fait observer par le passé, la Cour
« doit s’assurer de la cohérence de la solution retenue avec sa propre
jurisprudence afin de garantir la sécurité juridique … et cela est spécialement
vrai dans les différentes phases de la procédure d’une même
affaire ou s’agissant d’affaires connexes »50.
IV. La pratique des États
39. Je reviens à présent sur l’existence supposée d’une règle de droit international
coutumier qui ferait obstacle à ce que le plateau continental d’un
État au-delà de 200 milles marins puisse s’étendre en deçà de 200 milles
marins des lignes de base d’un autre État. D’après la jurisprudence établie
de la Cour, pour qu’une règle de droit international coutumier soit réputée
exister, il faut qu’il y ait « une pratique constante », ainsi qu’une opinio
juris51. Malgré l’importance que revêt cette question, et les longues argumentations
des Parties sur ce point, on peut difficilement dire que la Cour se
soit efforcée de déterminer la coutume de façon très rigoureuse. Dans l’arrêt,
48 Articles 77 et 83 de la convention.
49 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 428, par. 53.
50 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), déclaration commune du juge Ranjeva, vice-président, et
des juges Guillaume, Higgins, Kooijmans, Al-Khasawneh, Buergenthal et Elaraby, p. 330,
par. 3.
51 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ;
République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 44, par. 77.
469 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
paragraph to its “analysis” of this practice (Judgment, para. 77). In fact, the
Judgment does not even summarize the Parties’ arguments properly. I thus
feel the need to give a very summary account of the Parties’ legal contentions.
Without being exhaustive, I shall also examine the two elements of
custom below.
40. Basically, the Respondent argues that States follow a customary rule
according to which natural prolongation “is not a source of title within
maritime areas that lie 200 nautical miles from another State’s baselines”52.
It refers to the practice of some 30 broad-margin States (35 States in its
Counter-Memorial53, 31 States in its Rejoinder54) which, it says,
“could have potentially claimed [a continental shelf beyond 200 nautical
miles from their coasts] that would have encroached upon the 200-
nautical-mile entitlement of another State, but . . . stopped at the other
State’s 200-nautical-mile zone”55.
This alleged body of practice mostly takes the form of 51 CLCS submissions,
which Colombia compiled in an annex to its Counter-Memorial56.
41. This argument is not new. The Respondent made the same argument in
201257.
A. State Practice
42. Is there a general practice of States in support of the putative customary
rule? The answer appears to be affirmative — but only at first sight.
A number of States in their submissions or “preliminary information” to
the Commission have limited their claims to a continental shelf entitlement
beyond 200 nautical miles in a way that does not extend within 200 nautical
miles from a neighbouring State’s baselines. This practice of self-restraint
varies in shape but is generally consistent. Some States have placed the fixed
points of their proposed continental shelf outer limits on the 200 nautical
miles limit of a neighbouring State. Others have used endpoints that
deliberately stop short of the 200 nautical miles limit of a neighbouring
State. This is true both of individual CLCS submissions and of joint
52 Rejoinder of Colombia, para. 3.1.
53 Counter-Memorial of Colombia, para. 3.70.
54 Rejoinder of Colombia, para. 3.38.
55 Counter-Memorial of Colombia, para. 3.70.
56 Ibid., Ann. 50.
57 See e.g. Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), CR 2012/12, p. 60,
para. 78 (Bundy). During the oral proceedings, counsel for Colombia referred to some
32 “filings” to the CLCS (18 full submissions, 14 submissions of “Preliminary Information”),
suggesting that most States “approach other States 200-mile limits . . . and [avoid] encroaching
on the 200-mile limits of other States”.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 469
elle ne consacre qu’un seul paragraphe à l’« analyse » de cette pratique (arrêt,
par. 77). D’ailleurs, les arguments des Parties n’y sont même pas résumés
correctement. J’estime donc nécessaire de fournir un bref résumé des
moyens juridiques qui ont été avancés. J’examinerai également ci-après,
sans viser à l’exhaustivité, les deux éléments de la coutume.
40. Fondamentalement, la Colombie faisait valoir que les États suivent une
règle coutumière voulant que le prolongement naturel « ne constitue pas une
source de titre dans les espaces maritimes situés en deçà de la limite de
200 milles marins des lignes de base d’un autre État »52. Elle faisait référence
à la pratique d’une trentaine d’États dotés d’une vaste marge (35 États dans
son contre-mémoire53, 31 dans sa duplique54) qui, selon elle,
« auraient pu demander [un plateau continental au-delà de 200 milles
marins de leurs côtes] empiétant sur la zone de 200 milles marins à
laquelle avait droit un autre État, mais … [ont] born[é] leur demande à la
limite de 200 milles marins de l’autre État »55.
Ce supposé ensemble de pratiques prend pour l’essentiel la forme de
51 demandes soumises à la Commission des limites, compilées dans une
annexe du contre-mémoire56.
41. Cet argument n’est pas nouveau. La défenderesse s’en était déjà prévalue
en 201257.
A. La pratique des États
42. Existe-t-il une pratique générale des États qui corroborerait l’existence
de cette règle coutumière putative ? Il semblerait que la réponse à cette
question soit affirmative — mais seulement à première vue. Un certain
nombre d’États, dans leurs demandes à la Commission des limites, ou dans
les « informations préliminaires » qu’ils lui ont communiquées, ont limité
leur prétention à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de
sorte que celui-ci ne s’étende pas en deçà de 200 milles marins des lignes de
base d’un État voisin. La retenue dont ces États font preuve varie dans la
forme mais est de manière générale cohérente. Certains États ont placé les
points fixes de la limite extérieure proposée pour leur plateau continental sur
la limite des 200 milles marins d’un État voisin. D’autres ont utilisé des
52 Duplique de la Colombie, par. 3.1.
53 Contre-mémoire de la Colombie, par. 3.70.
54 Duplique de la Colombie, par. 3.38.
55 Contre-mémoire de la Colombie, par. 3.70.
56 Ibid., annexe 50.
57 Voir, par exemple, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), CR 2012/12,
p. 60, par. 78 (Bundy). À l’audience, les conseils de la Colombie ont fait référence à
32 « dossiers » présentés à la Commission des limites (18 demandes complètes, 14 dépôts
d’« information[s] préliminaire[s] »), laissant entendre que la plupart des États « approchent la
limite de 200 milles marins d’autres États … et évit[ent] d’empiéter sur la limite de 200 milles
marins d’autres États ».
470 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
submissions. This practice may be described as a form of “negative practice”,
in the sense that it consists of abstentions. I agree that this body of
practice is not insignificant. It originates from various parts of the world, and
it appears widespread.
43. Nicaragua argues that this body of practice is insufficient to give rise
to a customary rule because the States that have engaged in it “do not represent
even 25 [per cent] of the State Parties” to the Convention58. This
threshold argument misses the mark. In assessing the generality of State
practice, regard must be had to those States that are particularly involved in
the relevant activity or are most likely to be concerned with the alleged
customary rule. In the present case, this includes those broad-margin
States that can claim a continental shelf beyond 200 nautical miles that can
extend within 200 nautical miles from the baselines of another State. Within
this more limited “pool” of States, the question is whether most States have
adopted a representative and consistent practice not to claim a continental
shelf entitlement so close to another State’s coast. The Court’s Judgment
proceeds on the basis of this postulate to assess this body of practice.
Rightly so.
44. This being said, I feel bound to say that the Court’s analysis is
incomplete.
45. For one, the Judgment does not acknowledge, much less analyse,
the existence of contrary State practice whereby States have claimed
a continental shelf entitlement that extends within 200 nautical miles
from the baselines of another State. Examples — some of them uncontroversial
as between the Parties — include: (i) Bangladesh’s 2011
submission in respect of the Bay of Bengal59; (ii) Cameroon’s 2009
preliminary information in respect of the Gulf of Guinea60;
(iii) China’s 2012 partial submission in part of the East China
58 Written comments by Nicaragua on the reply of Colombia to the question put to it by
Judge Robinson, para. 10.
59 See Submission by the People’s Republic of Bangladesh to the Commission on the Limits
of the Continental Shelf, Executive Summary, February 2011, p. 11 (in which Bangladesh
claimed an entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical miles that extends within
200 nautical miles from the coasts of India and Myanmar. In paragraph 5.1 of its Executive
Summary, Bangladesh explained that its maritime entitlements overlap with those of India and
Myanmar).
60 See Demande préliminaire du Cameroun aux fins de l’extension des limites de son Plateau
Continental, 11 May 2009, p. 4 (in which Cameroon claimed an entitlement to a continental
shelf beyond 200 nautical miles that extends within 200 nautical miles from the coast of Equatorial
Guinea).
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 470
points terminaux délibérément placés juste avant la limite de 200 milles
marins d’un État voisin. C’est le cas aussi bien dans des demandes présentées
à titre individuel que dans des demandes conjointes. Cette pratique
pourrait être décrite comme une sorte de « pratique négative », au sens où
elle consiste à s’abstenir. Je conviens que cette pratique forme un ensemble
non négligeable. Elle semble répandue et on en trouve des exemples dans différentes
parties du monde.
43. Le Nicaragua soutenait que cet ensemble de pratiques ne suffit pas à
donner naissance à une règle coutumière, car les États qui ont contribué
à sa formation « ne représentent même pas 25 % des États parties » à la
convention58. Or cet argument tiré d’une proportion d’États fait long feu.
Pour apprécier la pratique dans sa globalité, il faut tenir compte des
États particulièrement impliqués dans les actes en question, ou qui sont
le plus susceptibles d’être concernés par la règle coutumière alléguée. Il
s’agit en l’espèce des États dotés d’une vaste marge et qui peuvent
revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins s’étendant
jusqu’en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
La question est de savoir si, au sein de ce « groupe » plus restreint, une
majorité d’États ont adopté une pratique représentative et constante consistant
à ne pas revendiquer un plateau continental aussi proche de la côte d’un
autre État. La Cour part de ce postulat pour examiner cet ensemble de
pratiques — à bon droit.
44. Cela étant, je me sens obligé de dire que l’analyse de la Cour est
incomplète.
45. En premier lieu, dans l’arrêt, la Cour ne reconnaît pas (et a fortiori
n’analyse pas) une pratique étatique existante contraire, consistant pour les
États à revendiquer un plateau continental qui s’étend jusqu’à moins de
200 milles marins des lignes de base d’un autre État. Il en existe plusieurs
exemples, dont certains ne font pas débat entre les Parties, notamment :
i) la demande présentée en 2011 par le Bangladesh concernant le golfe du
Bengale59 ; ii) les informations préliminaires communiquées en 2009 par
le Cameroun au sujet du golfe de Guinée60 ; iii) la demande partielle
58 Observations écrites du Nicaragua sur la réponse de la Colombie à la question posée à
cette dernière par le juge Robinson, par. 10.
59 Voir Submission by the People’s Republic of Bangladesh to the Commission on the Limits
of the Continental Shelf, Executive Summary, février 2011, p. 11 (dans laquelle le Bangladesh
revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de
200 milles marins des côtes de l’Inde et du Myanmar. Au paragraphe 5.1 du résumé de sa
demande, le Bangladesh signale que les espaces maritimes qu’il revendique empiètent sur
ceux de l’Inde et du Myanmar).
60 Voir Demande préliminaire du Cameroun aux fins de l’extension des limites de son
plateau continental, 11 mai 2009, p. 4 (dans laquelle le Cameroun revendique un plateau continental
au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte de
Guinée équatoriale).
471 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
Sea61; (iv) France’s 2014 partial submission in respect of Saint-Pierre-et-
Miquelon62; (v) Korea’s 2012 partial submission in respect of the East
China Sea63; (vi) the Applicant’s 2013 submission in respect of the
Caribbean Sea64; (vii) Russia’s 2001 submission in respect of the Arctic
Ocean65; (viii) Somalia’s 2015 amended executive summary of its submission
in respect of the Indian Ocean66; (ix) Tanzania’s 2009 preliminary
information in respect of the Indian Ocean67; or (x) Argentina’s 2009 submission
in respect of the South Atlantic Ocean68. This practice cuts against
the Judgment’s rather exaggerated assertion that the “vast majority” of
States parties to UNCLOS that have made submissions to the CLCS have
chosen not to assert therein limits that extend within 200 nautical miles
of another State’s coast (Judgment, para. 77). This is not a “small number”
of States (ibid.).
61 See Submission by the People’s Republic of China concerning the Outer Limits of the
Continental Shelf beyond 200 Nautical Miles in Part of the East China Sea, p. 7, fig. 2 (in
which China claimed an entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical miles that
extends within 200 nautical miles from the coast of Japan).
62 See Partial Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf, pursuant
to Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of the Sea in
respect of the Area of Saint-Pierre-et-Miquelon, Part 1, Executive Summary, p. 5, fig. 2 (in
which France claimed an entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical miles that
extends within 200 nautical miles from the coast of Canada). See also Pascale Ricard, “Saint-
Pierre-et-Miquelon. Les prolongements (sous-marins) d’un arbitrage?” in Alina Miron and
Denys-Sacha Robin (eds.), Atlas des espaces maritimes de la France, Pedone, 2022, p. 189.
63 See Partial Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf pursuant
to Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of the Sea, Executive
Summary, p. 9, fig. 1 (in which Korea claimed an entitlement to a continental shelf beyond
200 nautical miles that extends within 200 nautical miles from the coast of Japan).
64 See Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf pursuant to
Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of the Sea, June 2013,
Part I: Executive Summary, p. 4, fig. 1.
65 See Submission by the Russian Federation, to the Commission on the Limits of the Continental
Shelf, 20 December 2001, Executive Summary, map 2 “Area of the continental shelf of
the Russian Federation in the Arctic Ocean beyond 200-nautical-mile zone” (in which Russia
claimed an entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical miles that extends within
200 nautical miles from the coast of Norway).
66 See Continental Shelf Submission of the Federal Republic of Somalia, Executive Summary
Amended, p. 9, fig. 2 (in which Somalia appears to claim an entitlement to a continental
shelf beyond 200 nautical miles that extends within 200 nautical miles from the coast of
Yemen).
67 See Preliminary Information Indicative of the Outer Limits of the Continental Shelf and
Description of the Status of Preparation of Making a Submission to the Commission on the
Limits of the Continental Shelf for the United Republic of Tanzania, 7 May 2009, p. 10, fig. 4
(in which Tanzania claimed an entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical miles
that extends within 200 nautical miles from the coast of the Seychelles).
68 See Argentine Submission, Outer Limits of the Continental Shelf, p. 23, fig. 7. The outer
limits of the continental shelf beyond 200 nautical miles claimed by Argentina in the Tierra
del Fuego margin region would appear to extend within 200 nautical miles from Chile’s
baselines.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 471
présentée en 2012 par la Chine concernant une partie de la mer de Chine
méridionale61 ; iv) la demande partielle présentée en 2014 par la France
concernant Saint-Pierre-et-Miquelon62 ; v) la demande partielle présentée en
2012 par la Corée concernant la mer de Chine méridionale63 ; vi) la demande
présentée en 2013 par le Nicaragua concernant la mer des Caraïbes64 ; vii) la
demande présentée en 2001 par la Russie concernant l’océan Arctique65 ;
viii) le résumé modifié de la demande présentée en 2015 par la Somalie
concernant l’océan Indien66 ; ix) les informations préliminaires communiquées
en 2009 par la Tanzanie concernant l’océan Indien67 ; ou x) la demande
présentée en 2009 par l’Argentine concernant l’océan Atlantique Sud68. Cette
pratique contredit l’affirmation plutôt excessive que l’on trouve dans l’arrêt,
à savoir que la « grande majorité » des États parties à la CNUDM ayant
saisi la Commission des limites d’une demande ont décidé de ne pas y revendiquer
des limites situées à moins de 200 milles marins de la côte d’un autre
État (arrêt, par. 77). Les États susmentionnés ne représentent pas un « petit
nombre » (ibid.).
61 Voir Submission by the People’s Republic of China concerning the Outer Limits of the
Continental Shelf beyond 200 Nautical Miles in Part of the East China Sea, p. 7, fig. 2 (dans
laquelle la Chine revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend
en deçà de 200 milles marins de la côte du Japon).
62 Voir Demande partielle à la Commission des limites du plateau continental conformément
au paragraphe 8 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer concernant
la zone de Saint-Pierre-et-Miquelon, première partie, résumé, p. 5, fig. 2 (dans laquelle la
France revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de
200 milles marins de la côte du Canada). Voir également Pascale Ricard, « Saint-Pierre-et-
Miquelon. Les prolongements (sous-marins) d’un arbitrage ? » dans Alina Miron et Denys-Sacha
Robin (sous la dir. de), Atlas des espaces maritimes de la France, Pedone, 2022, p. 189.
63 Voir Partial Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf
pursuant to Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of the Sea,
Executive Summary, p. 9, fig. 1 (dans laquelle la Corée revendique un plateau continental
au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte du Japon).
64 Voir Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf pursuant to
Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of the Sea, June 2013,
Part I: Executive Summary, p. 4, fig. 1.
65 Voir Submission by the Russian Federation to the Commission on the Limits of the Continental
Shelf, 20 December 2001, Executive Summary, map 2 « Area of the continental shelf of
the Russian Federation in the Arctic Ocean beyond 200-nautical-mile zone » (dans laquelle la
Russie revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de
200 milles marins de la côte de la Norvège).
66 Voir Continental Shelf Submission of the Federal Republic of Somalia, Executive
Summary Amended, p. 9, fig. 2 (dans laquelle la Somalie semble revendiquer un plateau continental
au-delà de 200 milles marins qui s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte du
Yémen).
67 Voir Preliminary Information Indicative of the Outer Limits of the Continental Shelf and
Description of the Status of Preparation of Making a Submission to the Commission on the
Limits of the Continental Shelf for the United Republic of Tanzania, 7 mai 2009, p. 10, fig. 4
(dans laquelle la Tanzanie revendique un plateau continental au-delà de 200 milles marins qui
s’étend en deçà de 200 milles marins de la côte des Seychelles).
68 Voir Demande de l’Argentine, Outer Limits of the Continental Shelf, p. 23, fig. 7. Les
limites extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins revendiqué par
l’Argentine dans la région de la Terre de Feu semblent situées à moins de 200 milles marins
des lignes de base du Chili.
472 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
46. The Judgment also ignores the wealth of State practice available. The
Court simply refers to the negative practice adduced by the Respondent, as
though nothing else existed in the practice of States or even in the record
before it. The Court is tasked with ascertaining what the international law is.
In the fulfilment of its task, the Court need not confine itself to a consideration
of the arguments put forward by the parties, but must research “all
precedents, teachings and facts to which it ha[s] access and which might possibly”
reveal the existence of the putative customary rule69. I regret to say
that the Court has not fulfilled its task.
47. The Court ignores the positions taken by States before international
courts and tribunals in delimitation cases. These are pleadings in which
States either have acknowledged the existence of a grey area, or expressly
claimed that, as matter of legal principle, a State’s entitlement to a continental
shelf beyond 200 nautical miles may extend within 200 nautical miles
from the baselines of another State70. The pleadings of Bangladesh71, Canada,
Côte d’Ivoire72, Ghana73, Trinidad and Tobago, the United States or
Somalia74 are illustrative. As mentioned above, the grey area issue has found
itself before international courts and tribunals on a number of occasions.
The official statements made by Australia in the Timor Sea Conciliation are
also relevant75. There, Australia claimed an entitlement to a continental shelf
beyond 200 nautical miles up to the edge of the Timor Trough that extended
within 200 nautical miles from the baselines of Timor-Leste76.
69 “Lotus”, Judgment No. 9, 1927, P.C.I.J., Series A, No. 10, p. 31.
70 “Conclusions on identification of customary international law, with commentaries”, Yearbook
of the International Law Commission, 2018, Vol. II, Part Two, p. 91 (Conclusion 6,
para. 5).
71 ITLOS Pleadings, Minutes of Public Sittings and Documents 2012, Vol. 17/I, Delimitation
of the Maritime Boundary in the Bay of Bengal (Bangladesh/Myanmar), Memorial of
Bangladesh, p. 143, para. 7.39 (stating that “[t]he proposition that even a sliver of EEZ of
State B beyond the outer limit of State A’s EEZ puts an end by operation of law to the entitlement
that State A would otherwise have under Article 76 of UNCLOS to its outer continental
shelf should not be entertained”).
72 ITLOS Pleadings, Minutes of Public Sittings and Documents 2017, Vol. 26/I, Delimitation
of the Maritime Boundary in the Atlantic Ocean (Ghana/Côte d’Ivoire), Merits,
Counter-Memorial of the Côte d’Ivoire, p. 833, paras. 8.32-8.34 (describing the grey area as
“un phénomène connu et bien répertorié” and suggesting that the Special Chamber should
delimit the grey area) and fig. 8.3.
73 Ibid., Memorial of Ghana, p. 171, para. 5.82 (recognizing that the use of the bisector
method in that case would create a grey area).
74 I.C.J. Pleadings, Maritime Delimitation in the Indian Ocean (Somalia v. Kenya), Memorial
of Somalia, p. 113, para. 7.33, and fig. 7.4 (depicting a grey area of 8,875.5 sq km).
75 Timor Sea Conciliation (Timor-Leste v. Australia), Report and Recommendations of the
Compulsory Conciliation Commission between Timor-Leste and Australia on the Timor Sea,
PCA Case No 2016-10, para. 234.
76 The fact that Australia has not made a submission to the CLCS in this regard does not
reduce the weight of this practice. Australia appears to be of the view that a CLCS submission
may not be needed when the area of continental shelf beyond 200 nautical miles claimed
falls within 200 nautical miles of the baselines of another State. See Andrew Serdy, “Is There a
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 472
46. L’arrêt méconnaît également l’abondante pratique étatique disponible.
La Cour se contente de faire référence à la pratique négative invoquée par
la défenderesse, comme s’il n’existait rien d’autre dans la pratique des États,
ou même dans le dossier de l’affaire. La Cour est appelée à déterminer ce que
dit le droit international. Pour ce faire, elle n’a pas à se limiter à un examen
des arguments avancés par les parties, elle doit rechercher « tous précédents,
doctrines et faits qui lui [sont] accessibles et qui [pour]raient, le cas échéant »
révéler l’existence de la règle coutumière putative69. Je regrette de constater
que la Cour ne s’est pas acquittée de cette tâche.
47. La Cour ne tient pas compte des positions adoptées par divers États
devant des cours et tribunaux internationaux dans des affaires de délimitation.
Dans leurs argumentations, ces États ont soit reconnu l’existence d’une zone
grise, soit expressément affirmé que, du point de vue des principes juridiques,
le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles
marins peut s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un
autre État70. Les exposés du Bangladesh71, du Canada, de la Côte d’Ivoire72, du
Ghana73, de la Trinité-et-Tobago, des États-Unis ou de la Somalie74 sont de
bons exemples. Comme je l’ai indiqué plus haut, les cours et tribunaux internationaux
ont eu à traiter de la question de la zone grise à maintes reprises.
Les déclarations officielles faites par l’Australie dans le cadre de la procédure
de conciliation concernant la mer de Timor sont également pertinentes75. Dans
cette affaire, l’Australie revendiquait un plateau continental au-delà de
200 milles marins, jusqu’au bord de la fosse de Timor qui est située à moins
de 200 milles marins des lignes de base du Timor-Leste76.
69 « Lotus », arrêt no 9, 1927, C.P.J.I. série A no 10, p. 31.
70 « Projets de conclusion sur la détermination du droit international coutumier et commentaires
y relatifs », Annuaire de la Commission du droit international, 2018, vol. II, deuxième
partie, p. 91 (paragraphe 5 de la conclusion 6).
71 TIDM mémoires, procès-verbaux et documents 2012, vol. 17/I, Délimitation de la frontière
maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), mémoire du Bangladesh,
p. 143, par. 7.39 (où il est indiqué que « [l]’on ne saurait en effet admettre la thèse selon laquelle
l’existence ne serait-ce que d’une infime partie de la ZEE de l’État B au-delà de la limite extérieure
de la ZEE de l’État A aurait juridiquement pour effet de priver ce dernier des droits qu’il
aurait autrement, en vertu de l’article 76 de la Convention, sur son plateau continental élargi »).
72 TIDM mémoires, procès-verbaux et documents 2017, vol. 26/I, Délimitation de la
frontière maritime dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), fond, contre-mémoire de la
Côte d’Ivoire, p. 833, par. 8.32-8.34 (où il est dit que la zone grise est « un phénomène connu et
bien répertorié » et que la Chambre spéciale devrait la délimiter) et fig. 8.3.
73 Ibid., mémoire du Ghana, p. 171, par. 5.82 (où il est admis que, dans cette affaire, la
méthode de la bissectrice générerait une zone grise).
74 C.I.J. Mémoires, Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), mémoire
de la Somalie, p. 113, par. 7.33, et fig. 7.4 (représentant une zone grise de 8 875,5 km²).
75 Timor Sea Conciliation (Timor-Leste v. Australia), Report and Recommendations of the
Compulsory Conciliation Commission between Timor-Leste and Australia on the Timor Sea,
affaire CPA n° 2016-10, par. 234.
76 Le fait que l’Australie n’ait pas présenté de demande à ce sujet à la Commission des
limites n’ôte rien à la valeur de la pratique. L’Australie semble considérer qu’il peut ne pas être
nécessaire de saisir la Commission d’une demande lorsque le plateau continental revendiqué
au-delà de 200 milles marins s’étend en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un
473 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
Relevant contrary practice can also be found in the form of treaties77.
48. Thus, it may be asked whether there is in fact a general practice?
49. I accept that some inconsistencies and contradictions are not necessarily
fatal to a finding of “a general practice”. It is not expected that in the
practice of States the application of the putative rule “should have been perfect”,
in the sense that States should have refrained with “complete
consistency” from claiming a continental shelf entitlement within 200 nautical
miles of another State’s baselines78. I also accept that, for some States,
practice varies and should arguably be given less weight. Nevertheless, it
seems reasonable to infer from the foregoing that up to 20 States have
accepted — either in their CLCS submissions, preliminary information, or
otherwise — that a continental shelf entitlement beyond 200 nautical miles
may extend within 200 nautical miles of another State’s baselines. This State
practice seems capable of seriously calling into question the element of a
“general practice”. Yet, the Court treats this practice as of no account. The
Judgment does not explain why and is content to adopt a very general analysis.
It may be asked whether the Court is “so general because the particulars
do not withstand analysis”79.
50. Be that as it may, establishing that a certain practice is sufficiently general
does not in itself suffice to find a rule of customary international law.
State practice must be accompanied by opinio juris. This is true even when
some of the practice takes the form of abstentions, which may make the
ascertainment of opinio juris more difficult80. It is to this requirement that I
turn next.
B. Acceptance as Law (Opinio Juris)
51. The Parties have expressed markedly different views on opinio juris.
For Nicaragua, it is not enough to show that 30 States or so have refrained
from claiming a continental shelf entitlement within 200 nautical miles of
400-Mile Rule in UNCLOS Article 76 (8)?” (2008), International and Comparative Law
Quarterly, Vol. 57, p. 948; Victor Prescott, “Resources of the Continental Margin and International
Law” in Peter J. Cook and Chris M. Carleton (eds.) Continental Shelf Limits: The
Scientific and Legal Interface, Oxford University Press, 2000, p. 73.
77 See e.g. Treaty between the Government of Australia and the Government of the
Republic of Indonesia Establishing an Exclusive Economic Zone Boundary and Certain Seabed
Boundaries, signed 14 March 1997, not yet in force, International Legal Materials, 1997,
Vol. XXXVI, No. 5, p. 1055.
78 Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States
of America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 98, para. 186 (mutatis mutandis).
79 Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), Judgment, I.C.J. Reports 1985,
dissenting opinion of Judge Schwebel, p. 186.
80 “Lotus”, Judgment No. 9, 1927, P.C.I.J., Series A, No. 10, p. 28.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 473
On trouve également une pratique contraire pertinente sous la forme de
traités77.
48. L’on peut donc se demander s’il existe en fait une pratique générale.
49. J’admets que quelques incohérences et contradictions n’empêchent pas
de conclure à l’existence d’« une pratique générale ». Il ne faut pas s’attendre
à ce que l’application de la règle putative « soit parfaite » dans la pratique des
États, en ce sens que ceux-ci s’abstiendraient « avec une entière constance »
de revendiquer un plateau continental en deçà de 200 milles marins des
lignes de base d’un autre État78. Je reconnais également que la pratique de
certains États varie et pourrait donc mériter une importance moindre. Néanmoins,
il semble raisonnable de déduire de ce qui précède que pas moins de
20 États ont considéré — que ce soit dans leur demande à la Commission des
limites, dans les informations préliminaires qu’ils lui ont communiquées, ou
d’une autre manière — que le plateau continental d’un État au-delà de
200 milles marins pouvait s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes
de base d’un autre État. Cette pratique étatique semble susceptible de
remettre sérieusement en question l’élément de la « pratique générale ». Et
pourtant, la Cour n’en tient aucun compte. Dans l’arrêt, elle n’explique pas
pourquoi elle l’ignore, se contentant de livrer une analyse très générale. Il est
permis de se demander si la Cour « [ne] reste [pas] aussi vague dans son raisonnement
… parce que les détails ne résisteraient pas à l’analyse »79.
50. En tout état de cause, établir qu’une certaine pratique a un caractère
suffisamment général ne permet pas en soi de conclure à l’existence d’une
règle de droit international coutumier. La pratique étatique doit s’accompagner
d’une opinio juris, et ce, même lorsqu’elle se manifeste en partie sous
la forme d’abstentions, ce qui peut rendre l’appréciation de l’opinio juris plus
difficile80. C’est à ce critère que je m’intéresserai à présent.
B. L’acceptation de la pratique comme étant le droit (opinio juris)
51. Les Parties ont exprimé des vues très différentes sur l’opinio juris. Pour
le Nicaragua, il ne suffit pas de montrer que quelque 30 États se sont abstenus
de revendiquer un plateau continental dans la zone de 200 milles marins
autre État. Voir Andrew Serdy, « Is There a 400-Mile Rule in UNCLOS Article 76 (8)? »,
International and Comparative Law Quarterly, 2008, vol. 57, p. 948 ; Victor Prescott,
« Resources of the Continental Margin and International Law » dans Peter J. Cook et Chris
M. Carleton (sous la dir. de), Continental Shelf Limits: The Scientific and Legal Interface,
Oxford University Press, 2000, p. 73.
77 Voir, par exemple, le traité entre le Gouvernement australien et le Gouvernement de la
République d’Indonésie établissant la limite de la zone économique exclusive et certaines
autres lignes de délimitation des fonds marins, signé le 14 mars 1997, pas encore entré en
vigueur, Bulletin du droit de la mer, n° 35, 1997, p. 112 et suiv.
78 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-
Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 98, par. 186 (mutatis mutandis).
79 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985,
opinion dissidente du juge Schwebel, p. 186.
80 Lotus, arrêt n° 9, 1927, C.P.J.I. série A n° 10, p. 28.
474 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
another State; it must also be shown that “they did so in the belief that
international law gave them no option but to do so. Only that belief could
supply the opinio juris necessary as the basis of a rule”81. In Annex 2 of its
written comments on Colombia’s reply to the question put to it by a Member
of the Court, Nicaragua reviews the CLCS submissions referred to by
Colombia. It concludes from this review that not even a single CLCS
submission “states directly or·even indirectly” that their conduct is compelled
by the law82.
52. The Judgment is grounded on the assumption that this practice is
undertaken with a sense of legal obligation. It assumes that these abstentions
must be motivated by a sense of obligation and not by extra-legal motives,
such as political expediency or convenience, even though States have not
framed their abstentions as legally compelled by reason of a rule of customary
international law.
There are serious difficulties about this way of looking at things. The
Judgment recognizes this, for it states that this practice “may have been
motivated in part by considerations other than a sense of legal obligation”
(Judgment, para. 77). This is a prudent disclaimer, especially considering
that only the executive summaries of CLCS submissions are made public
and included in the record before the Court. These summaries contain maps,
co-ordinates indicating the outer limits of the continental shelf and baselines,
and the indication of which provisions of Article 76 are invoked, but
they are of little to no assistance in ascertaining opinio juris. They do not
explain why States act the way they do. Yet this disclaimer is immediately
forgotten when the Court infers that this negative State practice, “given its
extent over a long period of time, . . . may be seen as an expression of opinio
juris” (ibid.).
53. According to the Respondent, there is only one explanation for the negative
practice of States. As it sees it, it would “strain[] credulity to suggest
that 31 States, while believing that they had a legitimate source of title to the
seabed and subsoil within [200 nautical miles from the baselines of another
State], simply relinquished such title in return for nothing”83. The complete
answer to this argument is simply that motives vary. A State may refrain
from claiming an entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical
miles that extends within 200 nautical miles from the baselines of another
State notably (a) to put off a diplomatic row84; (b) to avoid the objection pro-
81 CR 2022/25, p. 40, para. 60 (Lowe).
82 Written comments by Nicaragua on the reply of Colombia to the question put to it by
Judge Robinson, para. 15.
83 Rejoinder of Colombia, para. 3.39.
84 See e.g. Jun, Qiu and Zhang Haiwen, “Partial Submission Made by the Republic of Korea
to the Commission on the Limits of the Continental Shelf: A Review”, China Oceans Law
Review, Vol. 2013 (18), p. 91.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 474
d’un autre État ; il faut également montrer que, « s’ils se sont abstenus[, c’est]
parce qu’ils étaient convaincus que le droit international ne leur permettait
pas de faire autrement. Seule cette conviction pourrait fournir l’opinio juris
nécessaire pour instituer une règle »81. À l’annexe 2 de ses observations
écrites sur la réponse de la Colombie à une question posée par un membre de
la Cour, le Nicaragua examine les demandes à la Commission des limites
invoquées par la défenderesse. Il en conclut que pas une seule « n’indique
directement ou même indirectement » que le comportement des États concernés
fût imposé par le droit82.
52. L’arrêt repose sur l’hypothèse que cette pratique répond à un sentiment
d’obligation juridique. Il postule que ces abstentions sont forcément motivées
par un sentiment d’obligation et non par des raisons extrajuridiques,
telles que l’opportunité politique ou la commodité, même si les États n’ont
pas présenté leur abstention comme étant juridiquement requise par une
règle de droit international coutumier.
Or cette façon d’appréhender les choses pose de sérieuses difficultés. La
Cour le reconnaît dans l’arrêt, car elle dit que cette pratique « a pu être motivée
en partie par des considérations autres qu’un sentiment d’obligation
juridique » (arrêt, par. 77). C’est là une prudente réserve, d’autant que seuls
les résumés des demandes à la Commission des limites sont accessibles au
public et ont été versés au dossier de l’affaire. Ces résumés contiennent des
cartes ainsi que les coordonnées des limites extérieures du plateau continental
et des lignes de base, et mentionnent les dispositions de l’article 76 qui
sont invoquées, mais ils n’ont que peu d’utilité, voire aucune, pour établir
l’existence d’une opinio juris. Les raisons pour lesquelles les États agissent
comme ils le font n’y sont pas expliquées. Et pourtant, la Cour oublie immédiatement
cette réserve lorsqu’elle déduit que cette pratique étatique négative,
« étant donné son ampleur sur une longue période, … peut être considérée
comme l’expression de l’opinio juris » (ibid.).
53. Pour la Colombie, il y a une seule explication à la pratique négative des
États. Selon elle, « ce serait pousser loin la crédulité que de penser que
31 États, pourtant convaincus d’avoir une source de titre légitime sur les
fonds marins et leur sous-sol à l’intérieur de la [zone de 200 milles marins]
d’un autre État, ont tout bonnement renoncé à ce titre sans rien en retour »83.
La réponse évidente à cet argument est tout simplement que les motivations
varient. Un État peut s’abstenir de revendiquer un plateau continental au-delà
de 200 milles marins s’étendant en deçà de 200 milles marins des lignes de
base d’un autre État notamment a) pour éviter une crise diplomatique84 ;
81 CR 2022/25, p. 40, par. 60 (Lowe).
82 Observations écrites du Nicaragua sur la réponse de la Colombie à la question posée à
cette dernière par le juge Robinson, par. 15.
83 Duplique de la Colombie, par. 3.39.
84 Voir, par exemple, Jun, Qiu et Zhang Haiwen, « Partial Submission Made by the Republic
of Korea to the Commission on the Limits of the Continental Shelf: A Review », China Oceans
Law Review, vol. 2013 (18), p. 91.
475 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
cedure of the CLCS, which would result in blocking or seriously delaying
the consideration of its submission; or (c) because a given area may not be
worth claiming85. These motives are not “wild speculations”86, as the
Respondent would have it. They are reflected in the practice of States.
54. Circumstance (b) deserves consideration. The delineation procedure at
the CLCS must be borne in mind. States have adopted various strategies to
avoid the possibility of their submissions being blocked by a neighbour87.
They may seek assurances of “no objection”. They may make a partial submission.
They may even amend their submissions to exclude areas that are in
dispute88. It is not far-fetched to suggest that some States have preferred to
relinquish an area of continental shelf entitlement beyond 200 nautical miles;
after all, “half a loaf is better than none”.
55. Indeed, the Applicant’s submission to the CLCS has been blocked for
a decade89.
56. To give only one example of circumstance (b), reference may be made
to the 2009 submission of Trinidad and Tobago. It will be recalled that, in the
Barbados/Trinidad and Tobago case, the parties debated how to delimit an
area of overlap (which they referred to as the “intermediate zone”), said to be
beyond 200 nautical miles from Trinidad and Tobago but within 200 nautical
miles of the coast of Barbados. Trinidad and Tobago was of the view that
a State’s entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical miles may
extend within 200 nautical miles from the baselines of another State90. Yet,
in its 2009 CLCS submission, while maintaining its view on the law, it
abstained from claiming a continental shelf within 200 nautical miles of
Barbados. Being unable to secure an agreement from Barbados not to object
to its CLCS submission, Trinidad and Tobago clearly stated that it decided to
85 See e.g. Øystein Jensen, “Russia’s Revised Arctic Seabed Submission”, Ocean Development
and International Law, 2016, Vol. 47 (1), p. 82.
86 CR 2022/28, p. 15, para. 16 (Wood).
87 See Coalter Lathrop, “Continental Shelf Delimitation beyond 200 Nautical Miles:
Approaches Taken by Coastal States before the Commission on the Limits of the Continental
Shelf” in David A. Colson and Robert W. Smith (eds.) International Maritime Boundaries,
2011, Vol. VI, p. 4147.
88 See e.g. Executive Summary, Partial Amended Submission to the Commission on the
Limits of the Continental Shelf in respect of the North Sea pursuant to Article 76 of the
United Nations Convention on the Law of the Sea by the Republic of Palau, 12 October
2017, available at https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/plw41_09/
plw2017executivesummary.pdf.
89 The Submission appears to have made no progress since 2013. See Progress of Work in
the Commission on the Limits of the Continental Shelf, Statement by the Chair, CLCS/83,
31 March 2014, Item 14, paras. 78-83.
90 See e.g. Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and Tobago, Counter-
Memorial of the Republic of Trinidad and Tobago, Vol. 1 (1), para. 272 (advancing the view
that “the continental shelf of State A can overlap and co-exist with the exclusive economic
zone of State B”).
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 475
b) pour éviter une procédure d’objection de la Commission des limites, ce
qui entraînerait un blocage de sa demande ou un retard important dans l’examen
de celle-ci ; ou c) parce que la zone en question ne vaut pas forcément la
peine d’être revendiquée85. Ces motivations ne sont pas de « folles spéculations
»86, comme la défenderesse voudrait le faire accroire. Elles se reflètent
dans la pratique des États.
54. L’hypothèse b) mérite qu’on s’y attarde. Il convient d’avoir la procédure
de délinéation de la Commission des limites à l’esprit. Les États
adoptent diverses stratégies pour éviter que leur demande ne soit bloquée par
un de leurs voisins87. Ils peuvent essayer d’obtenir des assurances de
« non-objection ». Ils peuvent présenter une demande partielle. Ils peuvent
même modifier leur demande pour exclure des espaces en litige88. Il n’est pas
exagéré d’avancer que certains États préfèrent renoncer à une zone du plateau
continental à laquelle ils pourraient prétendre au-delà de 200 milles
marins ; après tout, « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».
55. De fait, la demande du Nicaragua à la Commission des limites est bloquée
depuis dix ans89.
56. Pour ne citer qu’un exemple illustrant l’hypothèse b), on peut mentionner
la demande de 2009 de la Trinité-et-Tobago. Je rappellerai que, en
l’affaire Barbade/Trinité-et-Tobago, les parties cherchaient comment délimiter
une zone de chevauchement (qu’elles appelaient « zone intermédiaire »),
supposément située à plus de 200 milles marins de la Trinité-et-Tobago mais
à moins de 200 milles marins de la côte de la Barbade. La Trinité-et-Tobago
considérait que le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins
pouvait s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre
État90. Pourtant, dans sa demande de 2009 à la Commission, tout en maintenant
son point de vue sur le droit, elle s’est abstenue de revendiquer une
portion de plateau continental en deçà de 200 milles marins des côtes de la
Barbade. N’étant pas parvenue à négocier des assurances de non-objection
85 Voir, par exemple, Øystein Jensen, « Russia’s Revised Arctic Seabed Submission », Ocean
Development and International Law, 2016, vol. 47 (1), p. 82.
86 CR 2022/28, p. 15, par. 16 (Wood).
87 Voir Coalter Lathrop, « Continental Shelf Delimitation beyond 200 Nautical Miles:
Approaches Taken by Coastal States before the Commission on the Limits of the Continental
Shelf » dans David A. Colson et Robert W. Smith (sous la dir. de), International Maritime
Boundaries, vol. VI, 2011, p. 4147.
88 Voir, par exemple, Executive Summary, Partial Amended Submission to the Commission
on the Limits of the Continental Shelf in respect of the North Sea pursuant to Article 76 of the
United Nations Convention on the Law of the Sea by the Republic of Palau, 12 octobre 2017,
accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/
plw41_09/plw2017executivesummary.pdf
89 Il semble que la demande n’ait pas avancé depuis 2013. Voir État d’avancement des
travaux de la Commission des limites du plateau continental, déclaration du président,
CLCS/83, 31 mars 2014, point 14, par. 78-83.
90 Voir, par exemple, Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and
Tobago, contre-mémoire de la République de Trinité-et-Tobago, vol. 1 (1), par. 272 (où il est
avancé que « le plateau continental d’un État A peut chevaucher la zone économique exclusive
d’un État B, et coexister avec celle-ci »).
476 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
submit a submission that was “not dependent on the utilization of maritime
space within 200 [nautical miles] of the Barbados coastline”91.
57. Was it reasonable, then, for the Court to infer opinio juris in the way it
did? I think not.
58. I accept that, in certain circumstances, State practice may have been
motivated by opinio juris. And I do not suggest that all 30 or so States that
have refrained from claiming a continental shelf beyond 200 nautical miles
that extends within 200 nautical miles of another State have done so for
extra-legal motives. It may well be that some of them have undertaken this
practice with a sense of legal obligation on the basis of the putative rule of
customary international law. But is it really reasonable to suppose that all of
them did? In my considered view, in light of the circumstances and on the
basis of the limited information available in the executive summaries, such
an inference is a perilous leap to make. The Court holds no crystal ball into
the motives of States. The Judgment fails to explain why, in the circumstances,
such an inference is appropriate or even reasonable.
59. Quite apart from this methodological problem, it seems to me that the
Court’s finding flies in the face of clear opinio juris to the contrary. Today’s
Judgment does not acknowledge the existence of clear expressions of opinio
juris to the effect that a State’s entitlement to a continental shelf beyond
200 nautical miles may extend within 200 nautical miles from the baselines
of another State.
60. Such expressions can be found, for instance, in Cameroon’s preliminary
information to the Commission of 11 May 2009, as well as France’s
Note Verbale dated 17 December 2014 concerning its submission on Saint-
Pierre-et-Miquelon. France’s submission to the Commission in relation to
Saint-Pierre-et-Miquelon appears to include areas that are located within
200 nautical miles from Canada, whereas Cameroon’s preliminary information
includes areas that are located within 200 nautical miles from Equatorial
Guinea. In response to a Note Verbale from Canada, France expressed the
view that its claims “do not run counter to [UNCLOS] or any rule of international
law”92. In its preliminary information, Cameroon explicitly
acknowledges that
“its resulting legal title beyond 200 nautical miles is, because of the
geopolitical configuration of the region, called upon to overlap with the
91 Executive Summary, Submission to the Commission on the Limits of the Continental
Shelf pursuant to Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of
the Sea, Republic of Trinidad and Tobago, 12 May 2009, pp. 17-18.
92 Note Verbale of France dated 17 December 2014, TS/MSM/No. 622, available at
https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/can70_13/1467831E.pdf.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 476
avec la Barbade, la Trinité-et-Tobago a clairement indiqué qu’elle avait
décidé de présenter une demande qui « ne soit pas conditionnée par l’utilisation
d’espaces maritimes en deçà de 200 [milles marins] de la ligne côtière
de la Barbade »91.
57. Dès lors, était-il raisonnable pour la Cour d’inférer l’expression d’une
opinio juris comme elle l’a fait ? Je ne le crois pas.
58. J’admets que, dans certaines circonstances, la pratique des États peut
être motivée par l’opinio juris. Et je ne dis pas que les quelque 30 États qui
se sont abstenus de revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles
marins s’étendant jusqu’à moins de 200 milles marins des côtes d’un autre
État l’ont tous fait pour des raisons extrajuridiques. Peut-être certains ont-ils
adopté cette pratique par sentiment d’obligation juridique à cause de la règle
putative de droit international coutumier. Mais est-il vraiment raisonnable
de présumer que tous l’ont fait ? Après mûre réflexion, j’estime, à la lumière
des circonstances et sur la base des informations limitées qui figurent dans
les résumés des demandes à la Commission des limites, qu’une telle déduction
est hasardeuse. La Cour n’a pas de boule de cristal lui permettant
de deviner les motivations des États. L’arrêt n’explique pas pourquoi, dans
les circonstances de l’espèce, une telle déduction est correcte ou même
raisonnable.
59. Indépendamment de ce problème méthodologique, il me semble que la
conclusion de la Cour se heurte à une opinio juris claire en sens contraire.
Le présent arrêt ne reconnaît pas l’existence d’expressions manifestes
d’une opinio juris selon laquelle le plateau continental auquel un État peut
prétendre au-delà de 200 milles marins peut s’étendre en deçà de 200 milles
marins des lignes de base d’un autre État.
60. Or de telles expressions figurent par exemple dans les informations
préliminaires transmises par le Cameroun à la Commission des limites le
11 mai 2009, ainsi que dans la note verbale de la France datée du 17 décembre
2014 concernant la demande présentée au sujet de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Cette demande de la France semble inclure des zones situées à moins de
200 milles marins du Canada, et les informations préliminaires communiquées
par le Cameroun incluent des zones situées à moins de 200 milles
marins de la Guinée équatoriale. En réponse à une note verbale du Canada,
la France a fait valoir que ses revendications n’étaient « contraires ni à la
[CNUDM], ni à aucune règle de droit international »92. Dans ses informations
préliminaires, le Cameroun reconnaît expressément que son
« titre juridique … au-delà de 200 milles marins est, du fait de la configuration
géo-politique de la région, appelé à … chevaucher … les titres
91 Executive Summary, Submission to the Commission on the Limits of the Continental
Shelf pursuant to Article 76, paragraph 8, of the United Nations Convention on the Law of the
Sea, Republic of Trinidad and Tobago, 12 mai 2009, p. 17-18.
92 Note verbale de la France en date du 17 décembre 2014, TS/MSM/n° 622, accessible à
l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/3931489.
477 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
partially competing titles that neighbouring States may assert . . . within
200 nautical miles”93.
A similar expression of opinio juris can be found in a Note Verbale of the
Republic of Korea dated 23 January 201394.
61. To this can be added the positions taken by States in their statements
before international courts and tribunals95 in delimitation cases. As mentioned
above, examples include the pleadings of such States as Bangladesh,
Canada, Côte d’Ivoire, Ghana, the Maldives, Trinidad and Tobago, the
United States, or Somalia. In the Delimitation of the Maritime Boundary in
the Gulf of Maine Area case, for instance, Canada accepted that its proposed
delimitation line would create a small “grey area”. It suggested that, in such
a situation, the continental shelf could be subject to the jurisdiction of one
State, and the water column subject to the other96. The United States, for its
part, asserted that “[t]he international community long has recognized the
existence of the grey area”97 and that “the Third United Nations Conference
on the Law of the Sea . . . never once . . . took up the grey area issue in all the
debates about the 200-nautical-mile zone”98. Referring to various instances
of State practice, it suggested that “the practice of States clearly does not
regard the creation of a grey area as a problem to be avoided”99. The grey
area was depicted in maps annexed to the parties’ pleadings.
62. In the Dispute concerning Delimitation of the Maritime Boundary
between Mauritius and Maldives in the Indian Ocean (Mauritius/Maldives)
case before the Special Chamber of the ITLOS, the question was put to the
parties whether the Maldives’ entitlement to the continental shelf beyond
200 nautical miles from its baseline can be extended into the 200 nautical
miles limit of Mauritius, as indicated in figure 29 of the Maldives’ Counter-
Memorial and figure 6 of the Maldives’ Rejoinder100, which depicted a grey
93 Demande préliminaire du Cameroun aux fins de l’extension des limites de son plateau
continental, 11 May 2009, p. 4, available at https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_
files/preliminary/cmr2009informationpreliminaire.pdf (my translation).
94 Note Verbale of the Republic of Korea dated 23 January 2013, MUN/022/13, available at
https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/kor65_12/kor_re_ jpn_23_01_
2013.pdf (stating that UNCLOS “establishe[d] two distinct bases of entitlement in the continental
shelf . . . Neither . . . is afforded priority over the other under the Convention. Japan,
therefore, cannot use its entitlement based on the distance criterion to negate Korea’s entitlement
based on geomorphological considerations”).
95 Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy: Greece intervening), Judgment,
I.C.J. Reports 2012 (I), p. 135, para. 77 (relying on the positions taken by States to identify
opinio juris).
96 See I.C.J. Pleadings, Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area
(Canada/United States of America), Vol. VI, p. 163, argument of Mr Weil.
97 Ibid., Vol. VII, p. 218, reply of Mr Colson.
98 Ibid., p. 219.
99 Ibid.
100 Dispute concerning Delimitation of the Maritime Boundary between Mauritius and
Maldives in the Indian Ocean (Mauritius/Maldives), ITLOS Reports 2022-2023, to be published,
para. 57.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 477
partiellement concurrents que des États voisins sont susceptibles de
faire valoir … en deçà de 200 milles marins »93.
On trouve également une expression analogue d’opinio juris dans une note
verbale de la République de Corée en date du 23 janvier 201394.
61. On peut y ajouter les positions défendues par divers États devant des
cours et tribunaux internationaux95 dans des affaires de délimitation. Comme
je l’ai dit plus haut, on peut citer les exposés d’États tels que le Bangladesh,
le Canada, la Côte d’Ivoire, le Ghana, les Maldives, la Trinité-et-Tobago, les
États-Unis ou la Somalie. Dans l’affaire de la Délimitation de la frontière
maritime dans la région du golfe du Maine, par exemple, le Canada reconnaissait
que la ligne de délimitation qu’il proposait aurait pour effet de créer
une petite « zone grise ». Selon lui, en pareille situation, le plateau continental
pouvait relever de la juridiction de l’un des États, et la colonne d’eau, de
celle de l’autre96. Les États-Unis, quant à eux, affirmaient que « [l]a communauté
internationale reconnai[ssait] depuis longtemps l’existence de la zone
grise »97 et qu’à « la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la
mer … pas une seule fois … n’a[vait été] abordé[e] la question de la zone
grise dans les débats sur la zone de 200 milles marins »98. Se référant à plusieurs
exemples de la pratique des États, ils avançaient que dans celle-ci « la
création d’une zone grise n’[était] manifestement pas considérée comme un
problème à éviter »99. La zone grise était représentée sur les cartes annexées
aux exposés des parties.
62. Dans l’affaire du Différend relatif à la délimitation de la frontière
maritime entre Maurice et les Maldives dans l’océan Indien (Maurice/
Maldives) devant la Chambre spéciale du TIDM, il fut demandé aux parties
si elles considéraient que le plateau continental revendiqué par les Maldives
au-delà de 200 milles marins de leurs lignes de base pouvait s’étendre au-delà
de la limite des 200 milles marins de Maurice, comme représenté à la
figure 29 du contre-mémoire des Maldives et à la figure 6 de leur duplique100,
93 Demande préliminaire du Cameroun aux fins de l’extension des limites de son plateau
continental, 11 mai 2009, p. 4, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/depts/los/
clcs_new/submissions_files/preliminary/cmr2009informationpreliminaire.pdf.
94 Note verbale de la République de Corée en date du 23 janvier 2013, MUN/022/13,
accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/
kor65_12/kor_re_jpn_23_01_2013f.pdf (soulignant que, selon la CNUDM, « les droits exercés
sur le plateau continental reposent sur deux éléments distincts [qui] ont autant de poids l’un
que l’autre [et que l]e Japon ne saurait donc se prévaloir du critère lié à la distance pour méconnaître
le droit dont jouit la Corée en vertu des données géomorphologiques »).
95 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 135, par. 77 (où les positions adoptées par divers États permettent de
mettre en évidence l’opinio juris).
96 Voir C.I.J. Mémoires, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du
Maine (Canada/États-Unis d’Amérique), vol. VI, p. 163, plaidoirie de M. Weil.
97 Ibid., vol. VII, p. 218, réponse de M. Colson.
98 Ibid., p. 219.
99 Ibid.
100 Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives
dans l’océan Indien (Maurice/Maldives), TIDM Recueil 2022-2023, à paraître, par. 57.
478 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
area. That area was on the Maldives’ side of the delimitation line, located
beyond 200 nautical miles from the coast of the Maldives but within 200 nautical
miles from the baselines of Mauritius. In response, the Maldives
“confirm[ed] its position that [its] entitlement to the continental shelf beyond
200 nautical miles from its baseline can be so extended”101.
63. The present Judgment does not explain how the opinio juris supposedly
identified by the Court squares with the above examples.
C. Assessment
64. The Court’s finding on a bright-line customary rule is open to serious
doubt. This finding rests on a curated selection of State practice, and on little
to no analysis of opinio juris. The Court’s finding also does not comport with
the indications furnished by subsidiary means for the determination of rules
of law, including the decisions of international courts and tribunals (see
above, paragraphs 31-38) and scholarly writings102. I regret that the Court’s
analysis does not demonstrate the existence of the alleged rule.
V. Entitlement to the Exclusive Economic Zone
65. There is another matter which seems to call for comment. So far, the
question of the overlap of entitlements has been approached from the perspective
of the continental shelf, that is, by asking whether a State’s
continental shelf entitlement beyond 200 nautical miles may overlap with
another State’s continental shelf within 200 nautical miles. I have reasoned
that the answer is “yes”.
66. Another way to approach the issue is from the perspective of the exclusive
economic zone. States are entitled to an exclusive economic zone of up
to 200 nautical miles from the baselines from which the breadth of the territorial
sea is measured. It may thus be asked whether one State’s continental
shelf entitlement beyond 200 nautical miles may overlap with another State’s
exclusive economic zone entitlement. That is: does the entitlement of a
coastal State to an exclusive economic zone, encompassing the waters superjacent
to the seabed, but also the seabed and its subsoil, “exclude” an
entitlement by another State to a continental shelf beyond 200 nautical
101 ITLOS/PV.22C28/4, p. 7 (Sander).
102 The scholarly writings that have examined this issue all conclude that the negative practice
of States in the form of CLCS submissions is not accompanied by sufficient opinio juris.
See e.g. Xuexia Liao, The Continental Shelf Delimitation beyond 200 Nautical Miles: Towards
a Common Approach to Maritime Boundary-making, Cambridge University Press, 2021, p. 81
(stating that “[u]nless more convincing evidence regarding the binding nature of States’
behavior is available, it is difficult to establish the opinio juris that is necessary for the formation
of customary international law”).
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 478
qui montraient une zone grise. Cette zone était située du côté maldivien de
la ligne de délimitation, au-delà de 200 milles marins de la côte des Maldives
mais en deçà de 200 milles marins des lignes de base de Maurice. En
réponse, les Maldives ont « confirm[é] leur position selon laquelle leur titre
sur le plateau continental au-delà de 200 [milles marins] de [leur] ligne de
base p[ouvai]t être prolongé de la sorte »101.
63. Le présent arrêt n’explique pas de quelle manière la supposée opinio
juris mise en évidence par la Cour concorde avec les exemples suscités.
C. Bilan
64. La conclusion de la Cour quant à l’existence d’une règle coutumière
inéquivoque est sujette à caution. Elle repose sur des exemples de pratique
étatique soigneusement choisis, tandis que l’opinio juris n’est guère analysée
(voire pas du tout). Elle ne correspond pas non plus aux indications données
par les moyens auxiliaires de détermination des règles de droit, notamment
les décisions de cours et de tribunaux internationaux (voir plus haut, les
paragraphes 31-38) et la doctrine102. Je suis au regret de dire que l’analyse de
la Cour ne permet pas d’établir l’existence de la règle alléguée.
V. Le droit à une zone économique exclusive
65. Il y a un autre aspect qui me paraît appeler des observations. Jusqu’ici,
la question du chevauchement de droits a été appréhendée sous l’angle du
plateau continental, c’est-à-dire en posant la question de savoir si le plateau
continental auquel un État peut prétendre au-delà de 200 milles marins peut
empiéter sur le plateau continental d’un autre État en deçà de 200 milles
marins. Selon moi, la réponse est « oui ».
66. Une autre façon d’aborder la question consiste à s’y intéresser sous
l’angle de la zone économique exclusive. Les États peuvent revendiquer une
zone économique exclusive jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à
partir desquelles est mesurée la largeur de leur mer territoriale. On peut donc
se demander si le plateau continental auquel un État peut prétendre au-delà
de 200 milles marins peut empiéter sur la zone économique exclusive à
laquelle un autre État a droit. Autrement dit : le droit d’un État côtier à une
zone économique exclusive, qui comprend les eaux sus-jacentes aux fonds
marins, mais aussi les fonds marins et leur sous-sol, « exclut-il » tout droit
101 ITLOS/PV.22C28/4, p. 8 (Sander).
102 Les auteurs ayant examiné cette question ont tous conclu que la pratique d’abstention des
États qui se dégage des demandes à la Commission des limites n’est pas assortie d’une opinio
juris suffisante. Voir, par exemple, Xuexia Liao, The Continental Shelf Delimitation beyond
200 Nautical Miles: Towards a Common Approach to Maritime Boundary-making, Cambridge
University Press, 2021, p. 81 (où il est dit que, « en l’absence d’éléments démontrant de manière
plus convaincante le caractère contraignant du comportement des États, il est difficile d’établir
l’opinio juris nécessaire à la formation d’une règle de droit international coutumier »).
479 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
miles from its baselines that extends into the same area? Colombia has
strenuously argued that this is so. Again, this a question of law and it arises
at the identification step.
This argument is not new. The Respondent made the same argument in
2012.
67. The Court’s Judgment does not squarely engage with this question, and
I do not wish to dwell on it. It suffices to note that the Bay of Bengal decisions
and the Court’s Judgment in Somalia v. Kenya, in so far as they recognized
the existence of grey areas, found that an entitlement to a continental shelf
beyond 200 nautical miles may extend and overlap with an exclusive economic
zone entitlement. That is the correct finding in law. The institutions of
the continental shelf and the exclusive economic zone are “different and distinct”
103. Neither nullifies — or takes “priority” over — the other to prevent
an overlap104. Again, a feature of maritime entitlements is that they can overlap
(see paragraph 12 above). This is true even when the entitlements are of
a different nature105.
68. Paragraphs 68 to 70 of the Judgment are devoted to the relationship
between the régime of the exclusive economic zone and that of the continental
shelf under customary international law. Presumably, this relationship is
seen by the Court as germane to answering the first question. The Court
observes that the régime of the exclusive economic zone is the result of a
compromise; it notes that this régime confers sovereign rights of exploration,
exploitation, conservation and management of natural resources to the
coastal State; it recalls that, within the exclusive economic zone, the rights
with respect to the seabed and subsoil are to be exercised in accordance with
the régime of the continental shelf. These observations are on their face
unobjectionable, and I could subscribe to the Court’s reasoning were it not
for the fact that this reasoning seems to carry with it a veiled proposition the
implications of which are not teased out in the Judgment but nonetheless
significant.
69. In paragraph 70 of the Judgment the Court quotes a passage of its
1985 Judgment in the Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta)
case. Said passage reads as follows:
103 Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), Judgment, I.C.J. Reports 1985, p. 33,
para. 34.
104 See Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and Tobago, Award of
11 April 2006, RIAA, Vol. XXVII, p. 213, para. 234 (stating that “the continental shelf and the
EEZ co-exist as separate institutions, as the latter has not absorbed the former (Libya/Malta,
I.C.J. Reports 1985, p. 13) and as the former does not displace the latter”).
105 For instance, in its 2012 Judgment, the Court found an overlap between the territorial sea
entitlement of Colombia derived from islands and the entitlement of Nicaragua to a continental
shelf and exclusive economic zone. The Court did not accept Colombia’s argument that its
territorial sea had “priority”. See Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia),
I.C.J. Reports 2012 (II), p. 689, para. 174 and p. 690, para. 177.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 479
d’un autre État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de ses
lignes de base s’étendant dans la même zone ? La Colombie n’a eu de cesse
de faire valoir que tel est le cas. Là encore, il s’agit d’une question de droit,
et elle se pose à l’étape de la détermination.
L’argument n’est pas nouveau. La défenderesse s’en était déjà prévalue en
2012.
67. L’arrêt de la Cour ne traite pas directement cette question, et je ne souhaite
pas y revenir. Il suffit de noter que les décisions dans les affaires du
Golfe du Bengale et dans l’affaire Somalie c. Kenya devant la Cour concluaient,
dans la mesure où elles reconnaissaient l’existence de zones grises, que
le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins peut atteindre
et chevaucher la zone économique exclusive d’un autre État. Telle est la juste
conclusion en droit. Les institutions du plateau continental et de la zone économique
exclusive « ne se confondent pas »103. Aucune ne saurait, pour éviter
un chevauchement, annuler l’autre ou avoir priorité sur elle104. Je le répète,
une particularité des droits maritimes est qu’ils peuvent se chevaucher
(voir plus haut le paragraphe 12). Cela reste vrai même lorsque les droits
concernent des espaces maritimes de nature différente105.
68. Les paragraphes 68 à 70 de l’arrêt sont consacrés à la relation entre les
régimes respectifs de la zone économique exclusive et du plateau continental
en droit international coutumier. La Cour considère sans doute cette relation
comme pertinente aux fins de répondre à sa première question. Elle note que
le régime de la zone économique exclusive résulte d’un compromis ; elle
relève que ce régime confère à l’État côtier des droits souverains d’exploration,
d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles ;
elle rappelle que, dans la zone économique exclusive, les droits relatifs aux
fonds marins et à leur sous-sol doivent être exercés conformément au régime
juridique applicable au plateau continental. Ces observations sont en apparence
incontestables, et je pourrais souscrire au raisonnement de la Cour
si celui-ci ne semblait pas s’accompagner d’une thèse voilée dont les implications
ne sont pas démêlées dans l’arrêt mais n’en sont pas moins
considérables.
69. Au paragraphe 70 de l’arrêt, la Cour cite un passage de son arrêt de
1985 en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte),
qui se lit comme suit :
103 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 33,
par. 34.
104 Voir Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago, sentence du
11 avril 2006, RSA, vol. XXVII, p. 213, par. 234 (où il est dit que « le plateau continental et la
ZEE coexistent en tant qu’institutions distinctes, la seconde n’ayant pas absorbé le premier
(Libye/Malte, C.I.J. Recueil 1985, p. 13), et le premier ne déplaçant pas la seconde ».)
105 Par exemple, dans son arrêt de 2012, la Cour a constaté un chevauchement entre la mer
territoriale à laquelle la Colombie a droit autour de ses îles et le plateau continental et la zone
économique exclusive auxquels le Nicaragua pouvait prétendre. Elle n’a pas retenu l’argument
de la Colombie qui affirmait que sa mer territoriale « l’emport[ait] ». Voir Différend territorial
et maritime (Nicaragua c. Colombie), C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 689, par. 174, et p. 690,
par. 177.
480 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
“Although the institutions of the continental shelf and the exclusive
economic zone are different and distinct, the rights which the exclusive
economic zone entails over the sea-bed of the zone are defined by reference
to the régime laid down for the continental shelf. Although there
can be a continental shelf where there is no exclusive economic zone,
there cannot be an exclusive economic zone without a corresponding
continental shelf.” (Judgment, I.C.J. Reports 1985, p. 33, para. 34.)
The Court does not explain why this passage of the 1985 Judgment is relevant.
It draws no conclusion from its reasoning.
70. I find it hard to see the quotation of this passage as a mere happenstance.
Throughout the proceedings, the Respondent has relied on this
passage of the Court’s Judgment in the Continental Shelf (Libyan Arab
Jamahiriya/Malta) case to suggest that the Court should avoid “creating” a
“huge” grey area in the present case. For Colombia, the existence of a grey
area cannot be upheld in this case without calling into question the very
notion of the exclusive economic zone, which, it claims, was meant to join
all the physical layers of the sea under one national jurisdiction in which the
coastal State would exercise sovereign rights over both the living and
non-living resources (Judgment, para. 63). Colombia argues that an exclusive
economic zone the water column of which is divorced from the seabed
and subsoil, is no longer an exclusive economic zone (ibid., para. 64). To
support this argument, Colombia purports to rely on the Court’s “finding” in
the Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta) case, quoted above,
that “there cannot be an exclusive economic zone without a corresponding
continental shelf”106.
71. The truncated passage on which Colombia relies does not support its
argument. In Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), the Court
was merely stating the obvious: a continental shelf exists ipso facto and
ab initio107, whereas an exclusive economic zone has to be proclaimed by the
coastal State. An exclusive economic zone exists only in so far as the coastal
State chooses to proclaim such a zone108. That is why “[a]lthough there can
be a continental shelf where there is no exclusive economic zone, there cannot
be an exclusive economic zone without a corresponding continental
shelf”. That is all. This passage does not stand for the proposition that “the
water column of the exclusive economic zone cannot in principle be divorced
from its sea-bed and subsoil”109. This is a reading of the 1985 Judgment that
its text cannot bear.
106 See e.g. Rejoinder of Colombia, paras. 2.20 and 3.21; CR 2022/26, p. 45, para. 1 (Palestini);
CR 2022/28, p. 38, para. 13 (Valencia-Ospina).
107 Article 77, paragraph 3, of the Convention.
108 David Joseph Attard, The Exclusive Economic Zone in International Law, Oxford
University Press, 1987, p. 141.
109 CR 2022/26, pp. 48-49, para. 7 (Palestini).
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 480
« Bien que les institutions du plateau continental et de la zone économique
exclusive ne se confondent pas, les droits qu’une zone économique
exclusive comporte sur les fonds marins de cette zone sont définis par
renvoi au régime prévu pour le plateau continental. S’il peut y avoir un
plateau continental sans zone économique exclusive, il ne saurait exister
de zone économique exclusive sans plateau continental correspondant. »
(Arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 33, par. 34.)
La Cour n’explique pas en quoi ce passage de l’arrêt de 1985 est pertinent.
Elle ne tire aucune conclusion de son raisonnement.
70. J’ai du mal à voir une simple coïncidence dans la citation de ce passage.
Tout au long de la procédure, la Colombie s’est appuyée sur cet extrait
de l’arrêt rendu en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe
libyenne/Malte) pour laisser entendre que la Cour devait éviter la « création »
d’une « énorme » zone grise. De l’avis de la défenderesse, on ne peut admettre
l’existence d’une zone grise en l’espèce sans remettre en cause la notion
même de zone économique exclusive, qui, selon elle, a été conçue pour
réunir toutes les couches physiques de la mer en une zone placée sous une
seule juridiction nationale, dans laquelle l’État côtier exercerait des droits
souverains sur les ressources tant biologiques que non biologiques (arrêt,
par. 63). La Colombie soutenait qu’une zone économique exclusive dont la
colonne d’eau serait dissociée des fonds marins et de leur sous-sol ne serait
plus une zone économique exclusive (ibid., par. 64). Pour étayer cet argument,
elle entendait s’appuyer sur la « conclusion » de la Cour en l’affaire du
Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), telle que citée
ci-dessus, à savoir qu’« il ne saurait exister de zone économique exclusive
sans plateau continental correspondant »106.
71. Or cette citation tronquée n’étaye pas l’argumentation de la Colombie.
En l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), la
Cour rappelait seulement ce qui est une évidence : un plateau continental
existe ipso facto et ab initio107, tandis qu’une zone économique exclusive doit
être proclamée par l’État côtier. Il n’existe de zone économique exclusive que
dans la mesure où l’État côtier décide d’en proclamer une108. C’est la raison
pour laquelle, « [s]’il peut y avoir un plateau continental sans zone économique
exclusive, il ne saurait exister de zone économique exclusive sans
plateau continental correspondant ». Mais c’est tout. Ce passage n’accrédite
pas la thèse que « la colonne d’eau de la zone économique exclusive ne peut
en principe être dissociée de ses fonds marins et de son sous-sol »109. C’est
une interprétation de l’arrêt de 1985, qui ne trouve aucune confirmation dans
le texte de celui-ci.
106 Voir, par exemple, duplique de la Colombie, par. 2.20 et 3.21 ; CR 2022/26, p. 45, par. 1
(Palestini) ; CR 2022/28, p. 38, par. 13 (Valencia-Ospina).
107 Article 77, paragraphe 3, de la convention.
108 David Joseph Attard, The Exclusive Economic Zone in International Law, Oxford
University Press, 1987, p. 141.
109 CR 2022/26, p. 48-49, par. 7 (Palestini).
481 delimitation of the continental shelf (diss. op. tomka)
72. In any event, the Respondent’s concerns against differentiating
water-column rights and continental-shelf rights in a given area relate to the
achievement of an equitable result. They do not concern the identification
step. As mentioned above (see paragraph 19), an area of overlapping entitlements
must be distinguished from the maritime area that may be established
by a court or tribunal on the basis of such overlapping entitlements. It is true
that in the Bay of Bengal cases, for instance, the tribunals’ decisions to
delimit the parties’ entitlements resulted in maritime areas in which jurisdiction
over the water column was adjudicated as appertaining to one State and
jurisdiction over the seabed and subsoil to another. As the arbitral tribunal
explained in Bangladesh v. India, “[t]he establishment of a maritime area in
which the States concerned have shared rights is not unknown under the
Convention”110. It is also not unknown in practice. Needless to say, the Court
could have arrived at this or at a different solution in its task to find an equitable
solution in the present case had it proceeded to the delimitation.
VI. Conclusions
73. This Judgment asserts a legal principle which is not consistent with the
jurisprudence of the Court, the International Tribunal of the Law of the Sea,
and an Annex VII arbitral tribunal. I understand that judges and lawyers
may feel more at home in the legal sphere than in matters of geomorphology
and geology. This, however, cannot justify an approach which avoids dealing
with the facts as presented by the parties in a particular case.
74. I have found myself unable to agree with the conclusion reached by
the Court on the first legal question it put to the Parties in its Order of
4 October 2022, and with its finding in the operative clause of the Judgment
which follows from its conclusion (Judgment, para. 104 (1)). My vote however
should not be seen as meaning that I would have necessarily upheld
Nicaragua’s submission as far as the delimitation line it proposed. The
determination of the maritime boundary would have been a matter for
adjudication, applying the rules calling for the achievement of an equitable
result, had the Court allowed the case to proceed to that stage.
75. I only note that the consequences of today’s Judgment lead to an inequitable
result.
(Signed) Peter Tomka.
110 Bay of Bengal Maritime Boundary Arbitration (Bangladesh v. India), Award of 7 July
2014, RIAA, Vol. XXXII, p. 148, para. 507.
délimitation du plateau continental (op. diss. tomka) 481
72. En tout état de cause, les réserves de la défenderesse à l’égard d’une
distinction entre les droits sur la colonne d’eau et ceux sur le plateau continental
dans une zone donnée concernent l’obtention d’un résultat équitable.
Elles ne concernent pas l’étape de la détermination. Comme on l’a vu plus
haut (voir le paragraphe 19), il convient d’établir une distinction entre la
zone de droits concurrents et l’espace maritime qui pourra être défini par une
cour ou un tribunal sur la base desdits droits concurrents. Certes, dans les
affaires du Golfe du Bengale, par exemple, les solutions retenues par les
tribunaux pour délimiter les zones maritimes auxquelles avaient droit les
parties ont abouti à des espaces maritimes dans lesquels la juridiction sur la
colonne d’eau a été attribuée à un État, et celle sur les fonds marins et leur
sous-sol, à un autre État. Ainsi que le tribunal arbitral l’a indiqué en l’affaire
Bangladesh c. Inde, « [l]’établissement d’une zone maritime dans laquelle les
États concernés ont des droits partagés n’est pas inhabituel au regard de la
convention »110. Ce n’est pas inhabituel non plus dans la pratique. Il va sans
dire que la Cour aurait pu parvenir à cette solution, ou à une autre, dans la
tâche qui lui incombait de trouver une solution équitable en l’espèce, si elle
avait procédé à la délimitation.
VI. Conclusions
73. Le présent arrêt pose un principe juridique qui n’est pas conforme à la
jurisprudence de la Cour, du Tribunal international du droit de la mer ou du
tribunal arbitral constitué en application de l’annexe VII. Je conçois que les
juges et les conseils puissent être plus à l’aise dans le domaine juridique
qu’avec des questions de géomorphologie et de géologie, mais cela ne saurait
justifier de suivre une approche qui évite de tenir compte des faits tels qu’ils
ont été présentés par les parties dans une affaire donnée.
74. Je ne puis être d’accord avec la conclusion à laquelle parvient la Cour
au sujet de la première question juridique qu’elle a posée aux Parties dans
son ordonnance du 4 octobre 2022, pas plus qu’avec la décision qui en
découle dans le dispositif de l’arrêt (arrêt, par. 104, point 1). Il ne faut pas
pour autant déduire de mon vote que j’aurais nécessairement accueilli la
demande du Nicaragua en ce qui concerne la ligne de délimitation qu’il
proposait. La délimitation de cette frontière maritime est une question sur
laquelle la Cour aurait été amenée à se prononcer, en appliquant les règles
exigeant l’obtention d’un résultat équitable, si elle avait permis à l’affaire
d’arriver à ce stade.
75. Je ne peux que constater que le présent arrêt a pour conséquence de
conduire à un résultat inéquitable.
(Signé) Peter Tomka.
110 Arbitrage concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh c.
Inde), sentence du 7 juillet 2014, RSA, vol. XXXII, p. 148, par. 507.

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Opinion dissidente de M. le juge Tomka

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