Arrêt du 13 juillet 2023

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154-20230713-JUD-01-00-EN
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TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-20
I. CONTEXTE GÉNÉRAL 21-26
II. VUE D’ENSEMBLE DES POSITIONS DES PARTIES 27-34
III. PREMIÈRE QUESTION FORMULÉE DANS L’ORDONNANCE DU 4 OCTOBRE 2022 35-79
A. Le caractère préalable de la première question 37-45
B. Le droit international coutumier applicable aux espaces maritimes en cause 46-53
C. En droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut-il s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État ? 54-79
IV. SECONDE QUESTION FORMULÉE DANS L’ORDONNANCE DU 4 OCTOBRE 2022 80-82
V. EXAMEN DES CONCLUSIONS DU NICARAGUA 83-103
A. La demande contenue dans le premier chef de conclusions du Nicaragua 85-87
B. La demande contenue dans le deuxième chef de conclusions du Nicaragua 88-92
C. La demande contenue dans le troisième chef de conclusions du Nicaragua 93-102
DISPOSITIF 104
__________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2023
2023
13 juillet
Rôle général
no 154
13 juillet 2023
QUESTION DE LA DÉLIMITATION DU PLATEAU CONTINENTAL ENTRE LE NICARAGUA ET LA COLOMBIE AU-DELÀ DE 200 MILLES MARINS DE LA CÔTE NICARAGUAYENNE
(NICARAGUA c. COLOMBIE)
Contexte général  Géographie  Arrêt rendu par la Cour en 2012 en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) portant délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive de chaque Partie jusqu’à la limite située à 200 milles marins de la côte nicaraguayenne  Requête déposée par le Nicaragua le 16 septembre 2013  Demande de délimitation de la frontière maritime dans les zones de plateau continental au-delà des limites établies dans l’arrêt de 2012  Lignes de délimitation proposées par le Nicaragua dans ses écritures  Ordonnance rendue par la Cour le 4 octobre 2022  Nécessité de trancher d’abord certaines questions de droit.
*
Première question formulée dans l’ordonnance du 4 octobre 2022  Question de savoir si le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base peut s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État  Détermination de l’existence de droits concurrents comme première étape dans toute délimitation maritime  Caractère préalable de la première question  Nécessité d’y répondre pour savoir s’il y a lieu pour la Cour de procéder à la délimitation demandée par le Nicaragua.
Droit international coutumier applicable aux espaces maritimes en cause  Nicaragua étant partie à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (la « CNUDM ») mais pas la Colombie  Élaboration de la CNUDM à la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de
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la mer (la « conférence »)  Prise en considération de la pratique des États dans la rédaction de la CNUDM  Méthode de négociation de la CNUDM  Texte exhaustif et intégré formant un compromis global  Relation entre la partie V, relative à la zone économique exclusive, et la partie VI, relative au plateau continental, étant précisée au paragraphe 3 de l’article 56 de la CNUDM  Article 56 de la CNUDM reflétant les règles coutumières relatives aux droits et obligations dans la zone économique exclusive  Définition du plateau continental au paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM faisant partie du droit international coutumier.
Régime juridique gouvernant la zone économique exclusive tel que défini dans la CNUDM résultant d’un compromis obtenu pendant la conférence  Articles 56, 58, 61, 62 et 73 de la CNUDM relatifs aux droits et obligations des États côtiers et des autres États dans la zone économique exclusive reflétant le droit international coutumier  Interrelation des régimes juridiques gouvernant respectivement la zone économique exclusive et le plateau continental en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un État  Zone économique exclusive ne pouvant exister sans plateau continental correspondant  Question de la « zone grise »  Conséquence fortuite de l’ajustement de la ligne d’équidistance  Circonstances dans les affaires du Golfe du Bengale différant de celles de la présente instance  Critères servant à déterminer les limites extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins résultant d’un compromis obtenu au cours des dernières sessions de la conférence  Objectif étant d’éviter les empiètements abusifs sur les espaces maritimes situés au-delà des limites des juridictions nationales (la « Zone »)  Texte de l’article 76 de la CNUDM semblant indiquer que les États participant aux négociations considéraient que le plateau continental étendu ne pouvait se prolonger que dans des espaces maritimes qui, autrement, feraient partie de la Zone  Contributions en espèces au titre de l’exploitation des ressources non biologiques du plateau continental au-delà de 200 milles marins  Conférence n’ayant apparemment pas débattu la possibilité que le plateau continental étendu d’un État se prolonge en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État  Grande majorité des États parties à la CNUDM ayant déposé des demandes auprès de la Commission des limites du plateau continental (la « Commission ») n’ayant pas revendiqué un plateau continental étendu dont les limites se situeraient à moins de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État  Pratique des États devant la Commission révélant l’existence d’une opinio juris  Opposition aux demandes des États revendiquant un plateau continental étendu empiétant sur les zones maritimes d’autres États en deçà de 200 milles marins  Pratique des États suffisamment répandue et uniforme  Telle pratique pouvant être considérée comme l’expression de l’opinio juris  En droit international coutumier, droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base ne pouvant pas s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
*
Seconde question formulée dans l’ordonnance du 4 octobre 2022  Critères établis en droit international coutumier pour déterminer la limite du plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base d’un État et question de savoir si les paragraphes 2 à 6 de l’article 76 de la CNUDM reflètent le droit international coutumier  Nul besoin pour la Cour de se prononcer sur la seconde question étant donné sa réponse à la première.
*
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Examen des conclusions présentées par le Nicaragua dans ses écritures.
Demande contenue dans le premier chef de conclusions du Nicaragua  Coordonnées proposées par le Nicaragua pour délimiter le plateau continental dans la zone située au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base mais en deçà de 200 milles marins des lignes de base de la Colombie  Nicaragua n’ayant pas droit à un plateau continental étendu se prolongeant jusqu’à moins de 200 milles marins des lignes de base de la côte continentale colombienne  Absence de zone de droits concurrents à délimiter  Demande contenue dans le premier chef de conclusions du Nicaragua ne pouvant être accueillie.
Demande contenue dans le deuxième chef de conclusions du Nicaragua  Espaces maritimes revenant à San Andrés, Providencia et Santa Catalina ne devant pas s’étendre, selon le Nicaragua, à l’est de la limite de 200 milles marins de la zone économique exclusive nicaraguayenne  Nicaragua n’ayant pas droit à un plateau continental étendu se prolongeant jusqu’à moins de 200 milles marins des lignes de base de San Andrés et de Providencia  Absence de zone de droits concurrents à délimiter  Demande contenue dans le deuxième chef de conclusions du Nicaragua ne pouvant être accueillie.
Demande contenue dans le troisième chef de conclusions du Nicaragua  Effet éventuel des droits à des espaces maritimes générés par Serranilla, Bajo Nuevo et Serrana sur toute délimitation maritime entre les Parties  Deux possibilités concernant Serranilla et Bajo Nuevo  Droits à une zone économique exclusive et à un plateau continental ou absence de tels droits  Dans l’un ou l’autre cas, absence de zone de droits concurrents à délimiter  Effet produit par les droits de Serrana à des espaces maritimes ayant été déterminé de manière définitive dans l’arrêt de 2012  Demande contenue dans le troisième chef de conclusions du Nicaragua ne pouvant être accueillie.
ARRÊT
Présents : MME DONOGHUE, présidente ; M. GEVORGIAN, vice-président ; MM. TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA, YUSUF, MMES XUE, SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON, SALAM, IWASAWA, NOLTE, MME CHARLESWORTH, M. BRANT, juges ; MM. MCRAE, SKOTNIKOV, juges ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
En l’affaire relative à la question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne,
entre
la République du Nicaragua,
représentée par
S. Exc. M. Carlos José Argüello Gómez, représentant permanent de la République du Nicaragua auprès des organisations internationales au Royaume des Pays-Bas, membre de la Commission du droit international,
comme agent et conseil ;
- 4 -
M. Alex Oude Elferink, directeur de l’Institut néerlandais du droit de la mer, professeur de droit international de la mer à l’Université d’Utrecht,
M. Vaughan Lowe, KC, professeur émérite de droit international public (chaire Chichele) à l’Université d’Oxford, membre de l’Institut de droit international, membre du barreau d’Angleterre et du Pays de Galles,
M. Alain Pellet, professeur émérite de l’Université Paris Nanterre, ancien président de la Commission du droit international, président de l’Institut de droit international,
comme conseils et avocats ;
Mme Claudia Loza Obregon, conseillère juridique au ministère des affaires étrangères de la République du Nicaragua,
M. Benjamin Samson, Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Université Paris Nanterre,
comme conseils adjoints ;
M. Robin Cleverly, MA, DPhil, CGeol, FGS, consultant en droit de la mer, Marbdy Consulting Ltd,
comme conseiller scientifique et technique ;
Mme Sherly Noguera de Argüello, consule générale de la République du Nicaragua,
comme administratrice,
et
la République de Colombie,
représentée par
S. Exc. M. Eduardo Valencia-Ospina, ancien greffier et ancien greffier adjoint de la Cour internationale de Justice, ancien membre, rapporteur spécial et président de la Commission du droit international,
comme agent et conseil ;
S. Exc. Mme Carolina Olarte-Bácares, doyenne de la faculté de droit de la Pontificia Universidad Javeriana, membre de la Cour permanente d’arbitrage, ambassadrice de la République de Colombie auprès du Royaume des Pays-Bas,
S. Exc. Mme Elizabeth Taylor Jay, ancienne ambassadrice de la République de Colombie auprès de la République du Kenya et ancienne représentante permanente de la République de Colombie auprès du Programme des Nations Unies pour l’environnement et du Programme des Nations Unies pour les établissements humains,
comme coagentes ;
S. Exc. M. Álvaro Leyva Durán, ministre des affaires étrangères de la République de Colombie,
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S. Exc. M. Everth Hawkins Sjogreen, gouverneur de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, République de Colombie,
comme autorités nationales ;
M. W. Michael Reisman, professeur émérite de droit international (chaire Myres S. McDougal) à l’Université de Yale, membre de l’Institut de droit international,
Sir Michael Wood, KCMG, KC, ancien membre de la Commission du droit international, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Rodman R. Bundy, ancien avocat à la cour d’appel de Paris, membre du barreau de l’État de New York, associé au cabinet Squire Patton Boggs, LLP (Singapour),
M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Paris Nanterre, secrétaire général de l’Académie de droit international de La Haye, membre associé de l’Institut de droit international, membre du barreau de Paris, cabinet Sygna Partners,
Mme Laurence Boisson de Chazournes, professeure de droit international et organisation internationale à l’Université de Genève, professeure au Collège de France (2022-2023), membre de l’Institut de droit international,
M. Lorenzo Palestini, chargé d’enseignement à l’Institut de hautes études internationales et du développement et à l’Université de Genève,
comme conseils et avocats ;
M. Andrés Villegas Jaramillo, coordonnateur du groupe chargé des affaires portées devant la Cour internationale de Justice au sein du ministère des affaires étrangères de la République de Colombie, membre associé de l’Instituto Hispano-Luso-Americano de Derecho Internacional,
M. Makane Moïse Mbengue, professeur à l’Université de Genève, directeur du département de droit international public et organisation internationale, membre associé de l’Institut de droit international,
M. Eran Sthoeger, Esq., professeur adjoint de droit international à la Brooklyn Law School et à la Seton Hall Law School, membre du barreau de l’État de New York,
M. Alvin Yap, avocat et solicitor à la Cour suprême de Singapour, cabinet Squire Patton Boggs, LLP (Singapour),
M. Gershon Hasin, chargé d’enseignement en droit invité à l’Université de Yale,
M. Gabriel Cifuentes, conseiller auprès du ministre des affaires étrangères de la République de Colombie,
comme conseils ;
Mme Jenny Bowie Wilches, première secrétaire, ambassade de la République de Colombie au Royaume des Pays-Bas,
Mme Viviana Andrea Medina Cruz, deuxième secrétaire, ambassade de la République de Colombie au Royaume des Pays-Bas,
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M. Raúl Alfonso Simancas Gómez, troisième secrétaire, ambassade de la République de Colombie au Royaume des Pays-Bas,
M. Oscar Casallas Méndez, troisième secrétaire, groupe chargé des affaires portées devant la Cour internationale de Justice,
M. Carlos Colmenares Castro, troisième secrétaire, groupe chargé des affaires portées devant la Cour internationale de Justice,
comme représentants du ministère des affaires étrangères de la République de Colombie ;
Le contre-amiral Ernesto Segovia Forero, chef des opérations navales,
Le capitaine de vaisseau Hermann León, représentant de la Colombie auprès de l’Organisation maritime internationale,
Le capitaine de vaisseau William Pedroza, marine nationale de Colombie, chef de la direction chargée des intérêts maritimes et fluviaux,
comme représentants de la marine de la République de Colombie ;
M. Lindsay Parson, géologue, directeur de Maritime Zone Solutions Ltd (Royaume-Uni), ancien membre et président de la commission technique et juridique de l’Autorité internationale des fonds marins (ONU),
M. Peter Croker, géophysicien, consultant, The M Horizon (UK) Ltd, ancien président de la Commission des limites du plateau continental (ONU),
M. Walter R. Roest, géophysicien, directeur de Roest Consultant EIRL (France), membre de la Commission des limites du plateau continental (ONU),
M. Scott Edmonds, cartographe, directeur de International Mapping,
M. Thomas Frogh, cartographe, International Mapping,
comme conseillers techniques,
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Le 16 septembre 2013, le Gouvernement de la République du Nicaragua (ci-après le « Nicaragua ») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République de Colombie (ci-après la « Colombie ») au sujet d’un différend portant sur « la délimitation entre, d’une part, le plateau continental du Nicaragua s’étendant au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale du Nicaragua et, d’autre part, le plateau continental de la Colombie ».
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2. Dans sa requête, le Nicaragua entendait fonder la compétence de la Cour sur l’article XXXI du traité américain de règlement pacifique signé le 30 avril 1948, dénommé officiellement, aux termes de son article LX, le « pacte de Bogotá ».
3. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a immédiatement communiqué la requête au Gouvernement colombien ; il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt de cette requête par le Nicaragua.
4. Conformément au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a informé les Membres des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, du dépôt de la requête en leur transmettant le texte bilingue imprimé de celle-ci.
5. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles a fait usage du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut de désigner un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. Le Nicaragua a nommé à cet effet M. Leonid Skotnikov ; la Colombie a d’abord nommé M. Charles N. Brower, qui a démissionné de ses fonctions le 5 juin 2022, puis M. Donald McRae.
6. Par ordonnance du 9 décembre 2013, la Cour a fixé au 9 décembre 2014 et au 9 décembre 2015 les dates d’expiration des délais pour le dépôt, respectivement, d’un mémoire par le Nicaragua et d’un contre-mémoire par la Colombie.
7. Le 14 août 2014, avant l’expiration du délai prescrit pour le dépôt du mémoire du Nicaragua, la Colombie, se référant à l’article 79 du Règlement de la Cour du 14 avril 1978, tel qu’amendé le 1er février 2001, a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête. Par ordonnance du 19 septembre 2014, la Cour, constatant qu’en vertu du paragraphe 5 de l’article 79 de son Règlement la procédure sur le fond se trouvait suspendue, a fixé au 19 janvier 2015 la date d’expiration du délai dans lequel le Nicaragua pouvait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par la Colombie. Le Nicaragua a déposé son exposé dans le délai ainsi fixé.
8. Par lettre en date du 10 novembre 2014, sur les instructions données par la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’article 43 de son Règlement, le greffier a adressé aux États parties au pacte de Bogotá la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour. En application des dispositions du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, il a en outre adressé à l’Organisation des États américains (ci-après l’« OEA ») la notification prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut. Par lettre du 5 janvier 2015, le secrétaire général de l’OEA a indiqué que celle-ci n’entendait présenter aucune observation écrite au sens du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement.
9. Par lettre en date du 17 février 2015, le Gouvernement de la République du Chili (ci-après le « Chili »), se référant au paragraphe 1 de l’article 53 du Règlement de la Cour, a demandé à recevoir copie des pièces de procédure et documents y annexés produits en l’affaire. Ayant consulté les Parties conformément à cette même disposition, le président de la Cour a décidé d’accéder à cette demande. Le greffier a dûment communiqué cette décision au Gouvernement chilien et aux Parties. En conséquence, des exemplaires des exceptions préliminaires soulevées par la Colombie et de l’exposé écrit contenant les observations et conclusions du Nicaragua à leur sujet ont été transmis au Chili.
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10. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par la Colombie ont été tenues les 5, 6, 7 et 9 octobre 2015. Dans son arrêt du 17 mars 2016, la Cour a dit qu’elle avait compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour connaître de la première demande que formulait le Nicaragua dans sa requête (voir le paragraphe 18 ci-après), par laquelle il la priait de déterminer « [l]e tracé précis de la frontière maritime entre les portions de plateau continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au-delà des limites établies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012 » en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) ; la Cour a également dit que cette demande était recevable (Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 140, par. 126).
11. Par ordonnance du 28 avril 2016, la Cour a fixé au 28 septembre 2016 et au 28 septembre 2017 les nouvelles dates d’expiration des délais pour le dépôt, respectivement, d’un mémoire par le Nicaragua et d’un contre-mémoire par la Colombie. Ces pièces ont été déposées dans les délais ainsi fixés. Le Nicaragua a également fourni à la Cour des copies de sa demande complète à la Commission des limites du plateau continental (ci-après la « Commission des limites » ou « la Commission »), expliquant que ce document faisait partie intégrante de son mémoire et que, conformément aux règles énoncées dans l’annexe II du règlement intérieur de la Commission, il avait un caractère confidentiel.
12. Par lettres en date du 6 octobre 2016 et du 22 novembre 2016, respectivement, les Gouvernements de la République du Costa Rica (ci-après le « Costa Rica ») et de la République du Panama (ci-après le « Panama »), se référant au paragraphe 1 de l’article 53 du Règlement de la Cour, ont demandé à recevoir copie des pièces de procédure et documents y annexés produits en l’affaire. Après avoir consulté les Parties conformément à cette même disposition, la Cour a décidé de communiquer au Costa Rica et au Panama les pièces en question, à l’exception de la demande présentée par le Nicaragua à la Commission des limites. Le greffier a dûment fait connaître ces décisions au Costa Rica et au Panama, ainsi qu’aux Parties. Un exemplaire du mémoire du Nicaragua, sans ladite demande, a également été mis à la disposition du Chili (voir le paragraphe 9 ci-dessus).
13. Par ordonnance en date du 8 décembre 2017, la Cour a autorisé la présentation d’une réplique par le Nicaragua et d’une duplique par la Colombie, et fixé au 9 juillet 2018 et au 11 février 2019 les dates d’expiration des délais pour le dépôt respectif de ces pièces. La réplique du Nicaragua et la duplique de la Colombie ont été déposées dans les délais ainsi fixés.
14. Dans une ordonnance en date du 4 octobre 2022, la Cour a indiqué que, dans les circonstances de l’espèce, avant de procéder à tout examen des questions techniques et scientifiques de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale nicaraguayenne, il était nécessaire de se prononcer sur certaines questions de droit, après avoir entendu les Parties à leur sujet. En conséquence, elle a décidé que
« la République du Nicaragua et la République de Colombie devr[aie]nt, lors des … audiences [qui se tiendraient] en l’affaire, circonscrire leurs plaidoiries aux deux questions suivantes :
1) En droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut-il s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État ?
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2) Quels sont en droit international coutumier les critères sur la base desquels il convient de déterminer les limites du plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale ? À cet égard, les paragraphes 2 à 6 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer reflètent-ils le droit international coutumier ? » (Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance du 4 octobre 2022.)
15. Après avoir consulté les Parties et compte tenu de l’objet des audiences, la Cour a décidé, en vertu du paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, de ne pas rendre accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale des exemplaires des écritures et des documents y annexés.
16. Des audiences publiques sur les deux questions formulées par la Cour dans son ordonnance du 4 octobre 2022 (voir le paragraphe 14 ci-dessus) se sont tenues les 5, 6, 7 et 9 décembre 2022, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses :
Pour le Nicaragua : S. Exc. M. Carlos José Argüello Gómez,
M. Vaughan Lowe,
M. Alex Oude Elferink,
M. Alain Pellet.
Pour la Colombie : S. Exc. M. Eduardo Valencia-Ospina,
Sir Michael Wood,
M. Rodman Bundy,
M. Lorenzo Palestini,
M. Jean-Marc Thouvenin,
Mme Laurence Boisson de Chazournes.
17. À l’audience, un membre de la Cour a posé une question à la Colombie, à laquelle il a été répondu oralement, conformément au paragraphe 4 de l’article 61 du Règlement de la Cour. Le Nicaragua a présenté, le 15 décembre 2022, des observations écrites sur la réponse orale de la Colombie.
*
18. Dans la requête, les demandes ci-après ont été formulées par le Nicaragua :
« Le Nicaragua prie la Cour de déterminer :
Premièrement : Le tracé précis de la frontière maritime entre les portions de plateau continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au-delà des limites établies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012.
Deuxièmement : Les principes et les règles de droit international régissant les droits et obligations des deux États concernant la zone de plateau continental où leurs revendications se chevauchent et l’utilisation des ressources qui s’y trouvent, et ce, dans l’attente de la délimitation de leur frontière maritime au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne. »
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19. Dans les pièces de procédure, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement du Nicaragua,
dans le mémoire :
« Pour les raisons exposées dans le présent mémoire, la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger que :
1. Dans les zones du plateau continental qui relèvent respectivement du Nicaragua et de la Colombie au-delà de la frontière fixée par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012, la frontière maritime entre ces deux États suit des lignes géodésiques reliant les points dont les coordonnées sont les suivantes :
Point
Latitude
Longitude
1
14° 43' 20,6" N
74° 34' 49,1" O
2
14° 21' 53,4" N
75° 15' 39,3" O
3
13° 59' 29,8" N
76° 5' 15,6" O
4
13° 51' 26,0" N
76° 21' 57,1" O
5
13° 46' 6,1" N
76° 35' 44,9" O
6
13° 42' 31,1" N
76° 41' 20,33" O
7
12° 41' 56,9" N
77° 32' 27,4" O
8
12° 15' 38,3" N
77° 47' 56,3" O
2. Les îles de San Andrés et Providencia ont droit à un plateau continental jusqu’à une ligne constituée d’arcs de 200 milles marins partant des lignes de base à partir desquelles est mesurée la mer territoriale du Nicaragua, ligne qui relie les points ayant les coordonnées suivantes :
Point
Latitude
Longitude
A
13° 46' 35,7" N
79° 12' 23,1" O
C
12° 42' 24,1" N
79° 34' 4,7" O
B
12° 24' 9,4" N
79° 34' 4,7" O
3. Serranilla et Bajo Nuevo sont enclavées et bénéficient chacune d’une mer territoriale de 12 milles marins. »
dans la réplique :
« Pour les raisons exposées dans le mémoire et la présente réplique, la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger que :
- 11 -
1. Dans les zones du plateau continental qui relèvent respectivement du Nicaragua et de la Colombie au-delà de la frontière fixée par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012, la frontière maritime entre ces deux États suit des lignes géodésiques reliant les points dont les coordonnées sont les suivantes :
Point
Latitude
Longitude
1
14° 43' 20,6" N
74° 34' 49,1" O
2
14° 21' 53,4" N
75° 15' 39,3" O
3
13° 59' 29,8" N
76° 5' 15,6" O
4
13° 51' 26,0" N
76° 21' 57,1" O
5
13° 46' 6,1" N
76° 35' 44,9" O
6
13° 42' 31,1" N
76° 41' 20,33" O
7
12° 41' 56,9" N
77° 32' 27,4" O
8
12° 15' 38,3" N
77° 47' 56,3" O
2. Les îles de San Andrés et Providencia ont droit à un plateau continental jusqu’à une ligne constituée d’arcs de 200 milles marins partant des lignes de base à partir desquelles est mesurée la mer territoriale du Nicaragua, ligne qui relie les points ayant les coordonnées suivantes :
Point
Latitude
Longitude
A
13° 46' 35,7" N
79° 12' 23,1" O
C
12° 42' 24,1" N
79° 34' 4,7" O
B
12° 24' 9,4" N
79° 34' 4,7" O
3. Serranilla et Bajo Nuevo sont enclavées et bénéficient chacune d’une mer territoriale de 12 milles marins, et Serrana est enclavée, ainsi que la Cour en a décidé dans son arrêt de novembre 2012. »
Au nom du Gouvernement de la Colombie,
dans le contre-mémoire :
« [P]our les raisons exposées dans le présent contre‑mémoire, et se réservant le droit de modifier ou de compléter les présentes conclusions, la Colombie prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
La demande du Nicaragua tendant à obtenir une délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins de sa côte est définitivement rejetée. »
- 12 -
dans la duplique :
« [P]our les raisons exposées dans son contre-mémoire et dans sa duplique, et se réservant le droit de modifier ou de compléter les présentes conclusions, la Colombie prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
La demande du Nicaragua tendant à obtenir une délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins de sa côte est définitivement rejetée. »
20. Au cours de la procédure orale, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement du Nicaragua,
« En l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), pour les motifs exposés dans ses écritures et dans ses plaidoiries, le Nicaragua prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
I. Les questions de droit appellent une réponse affirmative :
A. En droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
B. Les paragraphes 2 à 6 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer reflètent le droit international coutumier.
II. Le Nicaragua prie respectueusement la Cour de fixer à présent un calendrier pour examiner toutes les autres demandes pendantes qui sont exposées dans ses écritures, et statuer à leur sujet.
Le Nicaragua se réserve formellement le droit de compléter ses conclusions finales à la lumière des circonstances factuelles de l’espèce compte tenu de la décision prise par la Cour dans son ordonnance du 4 octobre 2022. »
Au nom du Gouvernement de la Colombie,
« En l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), vu l’ordonnance du 4 octobre 2022 et les questions de droit qui y sont posées, la Colombie prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
1. S’agissant de la première question :
i) En droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale ne peut pas s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
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2. S’agissant de la seconde question :
i) En droit international coutumier, il n’existe pas de critères sur la base desquels il conviendrait de déterminer les limites du plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale lorsque la limite extérieure dudit plateau continental se situe à l’intérieur de la zone de 200 milles marins d’un autre État.
ii) Les paragraphes 2 à 6 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer ne reflètent pas le droit international coutumier.
En outre, les réponses à ces deux questions conditionnant l’ensemble des demandes du Nicaragua telles qu’elles ont été formulées au cours de la procédure, la Colombie prie également la Cour de dire et juger que :
3. La demande du Nicaragua tendant à obtenir une délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins à partir de sa côte est définitivement rejetée.
4. En conséquence, la demande du Nicaragua tendant à ce que soit fixé un calendrier pour que la Cour examine toutes les autres demandes pendantes qui sont exposées dans ses écritures, et statue à leur sujet, est rejetée. »
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I. CONTEXTE GÉNÉRAL
21. Les espaces maritimes qui font l’objet de la présente procédure se trouvent dans la mer des Caraïbes, bras de l’océan Atlantique partiellement entouré, au nord et à l’est, par un certain nombre d’îles et fermé, au sud et à l’ouest, par l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale. La côte est du Nicaragua fait face à la partie sud-ouest de la mer des Caraïbes. Au nord, le Nicaragua est bordé par le Honduras, et au sud, par le Costa Rica et le Panama. Au nord-est, il fait face à la Jamaïque et, à l’est, à la côte continentale de la Colombie, laquelle est située dans la partie sud de la mer des Caraïbes. Sur sa façade caraïbe, la Colombie est bordée à l’ouest par le Panama, et à l’est par le Venezuela. Les îles colombiennes de San Andrés, Providencia et Santa Catalina sont situées dans la partie sud-ouest de la mer des Caraïbes, à quelque 100 à 150 milles marins à l’est de la côte nicaraguayenne. (Pour la géographie générale de la zone, voir le croquis no 1.)
22. Le 6 décembre 2001, le Nicaragua a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la Colombie au sujet d’un différend portant sur un « ensemble de questions juridiques connexes … qui demeur[ai]ent en suspens » entre les deux États « en matière de titre territorial et de délimitation maritime » dans les Caraïbes occidentales (affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie)).
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CROQUIS NO 1 : GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
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23. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 19 novembre 2012 en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) (ci-après l’« arrêt de 2012 »), la Cour a reconnu à la Colombie « la souveraineté sur les îles faisant partie des formations suivantes : Alburquerque, Bajo Nuevo, cayes de l’Est-Sud-Est, Quitasueño, Roncador, Serrana et Serranilla » (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 718, point 1 du par. 251). Elle a également établi une frontière maritime unique délimitant le plateau continental et les zones économiques exclusives du Nicaragua et de la Colombie jusqu’à la limite située à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la mer territoriale nicaraguayenne (ibid., p. 719-720, point 4 du par. 251). La Cour a cependant fait observer dans son raisonnement que, le Nicaragua n’ayant pas encore notifié au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies l’emplacement de ces lignes de base en application du paragraphe 2 de l’article 16 de la convention de 1982 des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la « CNUDM » ou la « convention »), la position précise des points terminaux de la frontière maritime, à l’est, ne pouvait pas être déterminée et n’était donc indiquée que de manière approximative sur le croquis figurant à la page 714 dudit arrêt (ibid., p. 713, par. 237). (Pour le tracé de la frontière maritime établie par la Cour dans son arrêt de 2012, voir le croquis no 2.)
24. Dans l’arrêt de 2012, la Cour a en outre conclu qu’elle ne pouvait pas faire droit à la demande contenue au point 3 de la première conclusion finale du Nicaragua, par laquelle celui-ci la priait de dire et juger que,
« dans le cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales du Nicaragua et de la Colombie, la méthode de délimitation à retenir consiste à tracer une limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent » (Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 636, par. 17, et p. 719, point 3 du par. 251).
En particulier, la Cour a relevé que,
« le Nicaragua n’ayant pas … apporté la preuve que sa marge continentale s’étend[ait] suffisamment loin pour chevaucher le plateau continental dont la Colombie p[ouvai]t se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale, [elle] n’[étai]t pas en mesure de délimiter les portions du plateau continental relevant de chacune des Parties, comme le lui demand[ait] le Nicaragua, même en utilisant la formulation générale proposée par ce dernier » (ibid., p. 669, par. 129).
La Cour a fait observer à cet égard que le Nicaragua n’avait communiqué à la Commission des limites que des « informations préliminaires » qui étaient « loin de satisfaire aux exigences requises pour pouvoir être considérées comme [l]es informations … sur les limites de son plateau continental, lorsque celui-ci s’étend au-delà de 200 milles marins » qui doivent être soumises conformément au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM (ibid., p. 669, par. 127).
25. Le 24 juin 2013, conformément au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM, le Nicaragua a soumis à la Commission sa demande complète concernant les limites de son plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale.
26. Le 16 septembre 2013, le Nicaragua a déposé une requête introduisant la présente instance, par laquelle il priait la Cour de déterminer le tracé précis de sa frontière maritime avec la Colombie dans les zones du plateau continental qui leur reviennent respectivement au-delà des limites établies par la Cour dans son arrêt de 2012 (voir le paragraphe 1 ci-dessus). Les deux Parties ont produit de
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CROQUIS NO 2 : TRACÉ DE LA FRONTIÈRE MARITIME ÉTABLIE PAR LA COUR DANS SON ARRÊT DE 2012
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très nombreux éléments scientifiques et techniques sur le point de savoir si le Nicaragua avait établi son droit à revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale (également appelé « plateau continental étendu ») et, dans l’affirmative, apporté la preuve des limites extérieures précises de celui-ci.
II. VUE D’ENSEMBLE DES POSITIONS DES PARTIES
27. Le Nicaragua soutient qu’il peut prétendre à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de sa côte. Afin d’étayer sa revendication, il se réfère à la demande qu’il a présentée à la Commission des limites le 24 juin 2013 qui, selon lui, contient des « informations techniques complètes » permettant à la Commission d’examiner cette demande et de formuler au sujet des limites extérieures de son plateau continental les recommandations visées au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM. Le Nicaragua affirme qu’il a établi l’existence d’un prolongement naturel de son territoire terrestre jusqu’au rebord externe de la marge continentale, et qu’il y a une continuité tant géologique que géomorphologique entre sa masse terrestre et les fonds marins et leur sous-sol situés au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base.
28. Le Nicaragua définit le rebord externe de la marge continentale, au-delà de 200 milles marins de sa côte, par référence aux formules et critères énoncés aux paragraphes 4 à 6 de l’article 76 de la CNUDM. Il affirme que la Commission applique ces dispositions pour déterminer si un État a droit à un plateau continental au-delà de cette distance. Selon lui, les paragraphes 2 à 6 de l’article 76 de la convention reflètent le droit international coutumier.
29. Le Nicaragua relève que la Colombie ne revendique, au titre de sa masse continentale, qu’un plateau continental s’étendant jusqu’à 200 milles marins de ses lignes de base. Le Nicaragua propose, s’agissant de la masse continentale colombienne, une ligne de délimitation provisoire qu’il désigne comme la « ligne de délimitation provisoire entre les côtes continentales des Parties ». Cette ligne divise en parts égales la zone de chevauchement entre la limite de 200 milles marins du plateau continental revenant à la Colombie au titre de sa côte continentale et la limite extérieure du plateau continental étendu du Nicaragua, telle que lui-même l’a décrite dans sa demande à la Commission. Cette ligne est représentée à la figure 5.1 du mémoire du Nicaragua, qui est reproduite ci-après.
30. Pour ce qui est des îles colombiennes, le Nicaragua soutient que seules les formations maritimes de San Andrés, Providencia et Santa Catalina peuvent être considérées comme des îles ayant droit à un plateau continental en vertu de la règle coutumière reflétée au paragraphe 2 de l’article 121 de la CNUDM, tandis que Quitasueño, Alburquerque, Bajo Nuevo, les cayes de l’Est-Sud-Est, Roncador, Serrana et Serranilla sont des « rochers » au sens coutumier reflété au paragraphe 3 de l’article 121 de la CNUDM et ne génèrent pas de droit à un plateau continental. Le Nicaragua considère que San Andrés, Providencia et Santa Catalina sont situées sur la même marge continentale que sa propre masse continentale et qu’elles pourraient donc ouvrir droit à un plateau continental au-delà de 200 milles marins jusqu’au rebord de cette marge. Selon lui, toutefois, ce plateau continental ne devrait pas s’étendre à l’est de la limite de 200 milles marins des lignes de base nicaraguayennes, l’arrêt de 2012 ayant déjà attribué à ces îles des droits liés au plateau continental qui sont très importants au regard de leur taille réduite. Le Nicaragua est donc d’avis que ces îles ont droit à un plateau continental jusqu’à une ligne constituée d’arcs de 200 milles marins partant des lignes de base à partir desquelles est mesurée sa propre mer territoriale, ligne qui relie les points A, C et B dont les coordonnées figurent dans les conclusions présentées dans son mémoire puis réaffirmées dans sa réplique (voir le paragraphe 19 ci-dessus). Le Nicaragua estime également que les formations maritimes colombiennes que sont la caye Serranilla et Bajo Nuevo ne devraient se voir accorder qu’une mer territoriale de 12 milles marins. La délimitation finale proposée par le Nicaragua est représentée à la figure 7.1 de sa réplique, qui est reproduite ci-après.
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CARTE REPRÉSENTANT LA « LIGNE DE DÉLIMITATION PROVISOIRE ENTRE LES CÔTES CONTINENTALES DES PARTIES » PROPOSÉE PAR LE NICARAGUA
(Source : Mémoire du Nicaragua, figure 5.1, p. 128. Original en anglais.)
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CARTE REPRÉSENTANT LA DÉLIMITATION FINALE PROPOSÉE PAR LE NICARAGUA (Source : Réplique du Nicaragua, figure 7.1, p. 208. Original en anglais.)
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31. La Colombie prie la Cour de rejeter la demande du Nicaragua tendant à la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne. Elle soutient en particulier que, en droit international coutumier, un État ne peut pas revendiquer un plateau continental s’étendant au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base si celui-ci empiète sur la zone économique exclusive et le plateau continental auxquels un autre État a droit sur 200 milles marins mesurés à partir de sa côte continentale et de ses îles.
32. Au sujet du plateau continental auquel le Nicaragua prétend avoir droit au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne, la Colombie soutient que c’est à tort que le demandeur tient pour acquis que sa demande à la Commission des limites constitue en soi une preuve de l’existence d’un tel plateau continental étendu. Selon elle, les paragraphes 2 à 6 de l’article 76 de la CNUDM, qui énoncent les formules scientifiques et techniques précises permettant d’établir la limite au-delà de laquelle un plateau continental étendu ne peut pas être revendiqué, ne reflètent pas le droit international coutumier. La défenderesse affirme que la revendication d’un État côtier à un plateau continental au-delà de 200 milles marins doit être fondée sur l’existence d’un prolongement naturel du territoire terrestre, établie par les caractéristiques physiques du plateau en fonction de facteurs géologiques et géomorphologiques. À cet égard, elle fait valoir que le Nicaragua n’a pas prouvé avec la certitude scientifique voulue que son territoire terrestre se prolongeait naturellement au-delà de 200 milles marins de sa côte. Elle avance qu’un certain nombre de ruptures géomorphologiques et discontinuités géologiques fondamentales du plateau continental physique viennent interrompre le prolongement naturel du territoire terrestre du Nicaragua bien avant d’atteindre la limite des 200 milles marins à partir de la côte nicaraguayenne.
33. S’agissant de ses propres droits à des espaces maritimes, la Colombie soutient que, conformément au droit international coutumier, tant sa masse continentale que ses îles ouvrent droit à une zone économique exclusive de 200 milles marins, avec le plateau continental « correspondant ». Elle rappelle que, dans l’arrêt de 2012, la Cour a jugé que San Andrés, Providencia et Santa Catalina généraient une mer territoriale, une zone économique exclusive et un plateau continental, et qu’elles détenaient des droits importants dans les espaces à l’est de la ligne située à 200 milles marins des lignes de base du Nicaragua. La Colombie affirme en outre que Roncador, Serrana, Serranilla et Bajo Nuevo ne sont pas des rochers et ont donc droit à une zone économique exclusive et au plateau continental « correspondant », y compris dans les zones situées à plus de 200 milles marins des lignes de base nicaraguayennes. La Colombie avance que chacune de ces îles se prête à l’habitation humaine ou à une vie économique propre. Elle ajoute que, même si Serrana, Roncador, Serranilla et Bajo Nuevo n’étaient pas considérées comme ayant droit à une zone économique exclusive et à un plateau continental, la demande du Nicaragua serait néanmoins vouée à l’échec parce que son plateau continental étendu ne peut franchir « à saute-mouton » ou « par-dessous » la zone économique exclusive et le plateau continental « correspondant » de San Andrés, Providencia et Santa Catalina.
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34. Dans son ordonnance du 4 octobre 2022, la Cour a indiqué que, dans les circonstances de l’espèce, il lui était nécessaire de se prononcer d’abord sur certaines questions de droit, après avoir entendu les Parties à leur sujet, et a ainsi posé deux questions aux Parties (voir le paragraphe 14 ci-dessus). Elle examinera la première question (partie III), avant de se pencher sur la seconde question (partie IV). Elle examinera ensuite les demandes contenues dans les conclusions du Nicaragua (partie V).
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III. PREMIÈRE QUESTION FORMULÉE DANS L’ORDONNANCE DU 4 OCTOBRE 2022
35. La Cour rappelle que la première question qu’elle a formulée dans l’ordonnance du 4 octobre 2022 (ci-après la « première question ») est ainsi rédigée :
« En droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut-il s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État ? » (Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance du 4 octobre 2022.)
36. La Cour examinera tout d’abord le caractère préalable de la première question (section A). Elle déterminera ensuite le droit international coutumier applicable en l’espèce aux espaces maritimes en cause (section B), avant de répondre à la première question (section C).
A. Le caractère préalable de la première question
37. La Cour rappelle que, par sa requête du 16 septembre 2013, le Nicaragua a introduit une instance contre la Colombie concernant un différend relatif à
« la délimitation entre, d’une part, le plateau continental du Nicaragua s’étendant au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale du Nicaragua et, d’autre part, le plateau continental de la Colombie ».
38. Dans son ordonnance du 4 octobre 2022, la Cour a considéré que, dans les circonstances de l’espèce,
« avant de procéder à tout examen des questions scientifiques et techniques relatives à la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale du Nicaragua, … [il était] nécessaire de se prononcer sur certaines questions de droit, après avoir entendu les Parties à leur sujet » (Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance du 4 octobre 2022).
39. La Cour note que les Parties, si elles conviennent que la première question qu’elle leur a posée s’inscrit dans le contexte factuel particulier de la présente instance, ont néanmoins abordé celle-ci différemment.
40. Le Nicaragua affirme qu’il y a un chevauchement entre son propre droit à un plateau continental étendu et le droit de la Colombie à un plateau continental en deçà de 200 milles marins de sa côte et que, en conséquence, la Cour doit procéder à une délimitation équitable. C’est ce chevauchement, selon lui, qui rend nécessaire une délimitation des espaces maritimes dans la zone où les droits des Parties entrent en concurrence.
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41. La Colombie, pour sa part, considère qu’un État doit d’abord établir qu’il a un titre juridique sur une zone maritime donnée qui chevauche un espace dont un autre État peut se prévaloir, avant que les principes et règles de délimitation maritime n’entrent en jeu. Elle est d’avis que ce n’est pas la délimitation qui génère un titre juridique mais, plutôt, le titre juridique qui donne lieu à la nécessité de délimiter.
42. Ainsi que la Cour l’a dit par le passé, « [l]’une des étapes essentielles dans tout processus de délimitation consiste à déterminer s’il existe des droits, et si ceux-ci se chevauchent » (Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 276, par. 193 ; voir Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 42, par. 34). La détermination de l’existence d’une zone de chevauchement entre les droits de deux États, fondés respectivement sur un titre juridique distinct, est la première étape dans toute délimitation maritime, car « la délimitation consiste à résoudre le problème du chevauchement des revendications en traçant une ligne de séparation entre les espaces maritimes concernés » (Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 89, par. 77).
43. En conséquence, la première question a un caractère préalable, en ce sens qu’il faut y répondre afin de savoir s’il y a lieu pour la Cour de procéder à la délimitation demandée par le Nicaragua, et, par suite, s’il est nécessaire d’examiner les questions scientifiques et techniques qui se poseraient aux fins d’une telle délimitation.
44. La Cour a demandé aux Parties de fonder leurs arguments sur le droit international coutumier, qui est applicable à la présente instance puisque, contrairement au Nicaragua, la Colombie n’est pas partie à la CNUDM.
45. La Cour en vient à la détermination du droit international coutumier applicable aux espaces maritimes en cause, soit la zone économique exclusive et le plateau continental.
B. Le droit international coutumier applicable aux espaces maritimes en cause
46. La Cour rappelle que « la substance du droit international coutumier doit être recherchée en premier lieu dans la pratique effective et l’opinio juris des États », et que « les conventions multilatérales peuvent avoir un rôle important à jouer en enregistrant et définissant les règles dérivées de la coutume ou même en les développant » (Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 29-30, par. 27 ; voir aussi Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 42, par. 73).
47. La CNUDM a été élaborée dans le cadre de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, qui s’est tenue sur une période de neuf ans, de décembre 1973 jusqu’à l’adoption de la convention à Montego Bay le 10 décembre 1982. Comme le précise son préambule, l’objectif de la convention était de parvenir à « la codification et [au] développement progressif du droit de la mer ». Avant même la conclusion des négociations, certains aspects des régimes juridiques régissant les espaces maritimes des États côtiers, notamment le plateau continental et la zone économique exclusive, faisaient l’objet d’une pratique des États qui agissaient, le plus souvent, au travers de déclarations, lois et règlements. Cette pratique a été prise en considération lors de l’élaboration de la convention. Un très grand nombre d’États sont depuis devenus parties à celle-ci, ce qui a contribué de façon significative à la cristallisation de certaines règles coutumières.
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48. Comme l’indique le préambule de la convention, « les problèmes des espaces marins sont étroitement liés entre eux et doivent être envisagés dans leur ensemble ». La méthode de négociation de la conférence fut conçue dans cette optique et avait pour objectif la recherche d’un consensus à travers une série de textes provisoires et interdépendants sur les différentes questions en cause, ce qui a abouti à un texte exhaustif et intégré formant un compromis global (package deal).
49. Le caractère intégré des différentes parties de la convention est particulièrement manifeste en ce qui concerne la partie V de la CNUDM, relative à la zone économique exclusive, et la partie VI, relative au plateau continental. La relation entre ces deux parties est précisée au paragraphe 3 de l’article 56. Cet article dispose ainsi :
« 1. Dans la zone économique exclusive, l’État côtier a :
a) des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents ;
b) juridiction, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, en ce qui concerne :
i) la mise en place et l’utilisation d’îles artificielles, d’installations et d’ouvrages ;
ii) la recherche scientifique marine ;
iii) la protection et la préservation du milieu marin ;
c) les autres droits et obligations prévus par la Convention.
2. Lorsque, dans la zone économique exclusive, il exerce ses droits et s’acquitte de ses obligations en vertu de la Convention, l’État côtier tient dûment compte des droits et des obligations des autres États et agit d’une manière compatible avec la Convention.
3. Les droits relatifs aux fonds marins et à leur sous-sol énoncés dans le présent article s’exercent conformément à la partie VI. »
50. Dans l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), la Cour a conclu que l’article 56 reflétait les règles coutumières sur les droits et obligations de l’État côtier dans la zone économique exclusive (arrêt du 21 avril 2022, par. 57).
51. La Cour en vient au plateau continental qui est défini au paragraphe premier de l’article 76 de la CNUDM :
« Le plateau continental d’un État côtier comprend les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet État jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure. »
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52. La Cour rappelle que cette définition fait partie du droit international coutumier (Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 118).
53. Au vu de ce qui précède, la Cour examinera la question de savoir si, en droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
C. En droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut-il s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État ?
54. Les Parties s’opposent sur le point de savoir si le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
55. Le Nicaragua soutient que le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins peut s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
56. Selon le Nicaragua, le plateau continental et les droits y relatifs relèvent automatiquement de l’État côtier, sans que celui-ci ait besoin de les exercer ou de procéder à une quelconque déclaration à leur sujet, ce qui n’est pas le cas pour la zone économique exclusive. Le demandeur soutient qu’il n’existe en droit international coutumier, ou dans la CNUDM, aucune règle selon laquelle la zone économique exclusive relèverait ipso facto et ab initio de l’État côtier.
57. Le Nicaragua reconnaît que, là où il y a chevauchement entre le plateau continental d’un État fondé sur le prolongement naturel, et la zone de 200 milles marins d’un autre État, les États ont en général préféré avoir une frontière maritime unique plutôt que d’être dans la situation où une partie du plateau continental de l’un se trouve dans la zone de 200 milles marins de l’autre. Il ajoute cependant que cette pratique n’est pas la preuve d’une norme coutumière en la matière, faute d’opinio juris. Il fait valoir que la pratique des États qui s’abstiennent, dans leurs demandes à la Commission, de revendiquer un plateau continental étendu dont les limites extérieures se situeraient en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État s’explique par des considérations autres qu’un sentiment d’obligation juridique, en particulier la volonté d’éviter que leur demande ne donne lieu à un différend, ce qui amènerait la Commission à refuser de l’examiner. Le Nicaragua se réfère également à certains exemples d’États qui ont adressé à la Commission des demandes qui portaient sur l’extension d’un plateau continental dans la zone de 200 milles marins d’un autre État, et relève que cette pratique étaye la thèse que le plateau continental au-delà de 200 milles marins peut s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un État voisin.
58. Le Nicaragua se réfère aussi aux deux affaires relatives à la délimitation dans le golfe du Bengale, à savoir la Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 64-68, par. 225-240 et l’Arbitrage concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh c. Inde), sentence du 7 juillet 2014, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXXII, p. 104-106, par. 336-346 (ci-après les « affaires du Golfe du Bengale »). Selon le Nicaragua, les décisions rendues dans ces
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deux affaires signifient que, lorsque le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base s’étend dans la zone économique exclusive d’un autre État, cela donne lieu à une « zone grise » dans laquelle les deux États doivent coopérer. Il s’ensuit, de l’avis du Nicaragua, qu’il n’existe pas de règle de droit international coutumier faisant disparaître le droit d’un État à un plateau continental étendu qui chevaucherait le plateau continental d’un autre État en deçà de 200 milles marins des lignes de base de ce dernier.
59. Le Nicaragua soutient qu’il ne peut y avoir de différence en droit entre le droit d’un État à un plateau continental sur le fondement du critère du prolongement naturel et son droit à un plateau continental sur le fondement du critère de la distance. Il affirme qu’il existe un plateau continental unique en deçà et au-delà de 200 milles marins des lignes de base de l’État côtier, et que le même régime juridique s’applique à l’ensemble de ce plateau. Tout en reconnaissant que les États parties à la CNUDM sont tenus d’acquitter des contributions au titre de l’exploitation des ressources non biologiques de leur plateau continental au-delà de 200 milles marins, le Nicaragua soutient que la nature juridique des droits de l’État côtier est identique sur toute l’étendue de son plateau continental. Il ajoute que l’unicité du plateau continental a été confirmée dans la sentence arbitrale de 2006 rendue en l’affaire Barbade/Trinité-et-Tobago (sentence du 11 avril 2006, RSA, vol. XXVII, p. 208-209, par. 213), dans la décision du Tribunal international du droit de la mer (TIDM) en l’affaire entre le Bangladesh et le Myanmar (Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 96-97, par. 361-362) et dans la décision de la chambre spéciale du TIDM dans le Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Ghana et la Côte d’Ivoire dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire) (arrêt, TIDM Recueil 2017, p. 136, par. 490, et p. 142, par. 526).
60. Le Nicaragua considère que le prolongement naturel est le fondement du titre juridique de l’État côtier en deçà et au-delà de 200 milles marins. Selon lui, à ce jour, aucun critère de « distance » n’a été introduit pour limiter la portée des prétentions relatives au plateau continental, excepté dans les dispositions de la CNUDM concernant le tracé du rebord externe de la marge continentale. Rappelant les origines historiques du concept de plateau continental, le Nicaragua souligne que, dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, la Cour a confirmé que chaque État côtier détient des droits souverains sur les ressources naturelles exploitables des fonds marins qui constituent un prolongement naturel de son territoire terrestre sous la mer, sans qu’aucun critère de « distance » ne s’applique.
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61. La Colombie, de son côté, considère que le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins ne peut s’étendre en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
62. La Colombie soutient que le paragraphe 3 de l’article 56, dans la partie V de la CNUDM qui concerne la zone économique exclusive, prévoit que les droits relatifs aux fonds marins et à leur sous-sol s’exercent conformément à la partie VI de la convention qui concerne le plateau continental, et dont les dispositions ont ainsi été incorporées par renvoi au régime juridique gouvernant la zone économique exclusive.
63. La défenderesse affirme que la délimitation voulue par le Nicaragua entraînerait la superposition verticale de deux juridictions nationales distinctes pour des couches distinctes relatives
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à différentes portions de la mer. Selon la Colombie, sa demande en l’espèce est sans commune mesure avec les « zones grises » créées par les décisions en matière de délimitation des affaires du Golfe du Bengale. Elle fait valoir que ces zones grises sont une conséquence fortuite de l’ajustement de la ligne d’équidistance dans le cadre du tracé de la frontière maritime unique entre deux États dont les côtes sont adjacentes. La Colombie ajoute que l’on ne peut admettre l’existence d’une zone grise dans le cas d’espèce sans remettre en cause la notion même de zone économique exclusive, qui, selon elle, a été conçue pour réunir toutes les couches physiques de la mer en une zone placée sous une seule juridiction nationale, dans laquelle l’État côtier exercerait des droits souverains sur les ressources tant biologiques que non biologiques. La Colombie conclut sur ce point que les deux décisions relatives au Golfe du Bengale sont sans pertinence en l’espèce, car elles ne concernaient pas une délimitation entre la zone de 200 milles marins à laquelle un État a droit et le plateau continental étendu revendiqué par un autre État.
64. La Colombie souligne que le régime juridique gouvernant la zone économique exclusive résulte d’un compromis obtenu pendant la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, qui a tenu compte des propositions d’un certain nombre de pays latino-américains et africains tendant à la création d’une nouvelle zone sui generis de 200 milles marins. Dans cette zone, qui devait être dotée d’un « régime juridique particulier » et qui ne serait ni la mer territoriale ni la haute mer, l’État côtier posséderait des droits souverains exclusifs sur toutes les ressources biologiques et non biologiques de la colonne d’eau, des fonds marins et de leur sous-sol. Ainsi, selon la défenderesse, une zone économique exclusive dont la colonne d’eau serait dissociée des fonds marins et de leur sous-sol ne serait plus une zone économique exclusive.
65. En ce qui concerne le plateau continental, la Colombie rappelle qu’en deçà de 200 milles marins le titre juridique est fonction de la distance, et que la géologie et la géomorphologie ne sont pas pertinentes à cet égard. Si elle reconnaît que du point de vue matériel l’institution du plateau continental est en général la même en deçà et au-delà de 200 milles marins des lignes de base d’un État, la Colombie soutient cependant que l’idée d’un plateau continental unique défendue par le Nicaragua n’a aucune pertinence parce que les règles à suivre pour la détermination du droit de l’État côtier à un plateau continental diffèrent selon que la zone concernée est située en deçà ou au-delà de 200 milles marins.
66. La Colombie affirme que le compromis global reflété dans la CNUDM résulte des préoccupations des négociateurs relatives à la définition des limites extérieures de la marge continentale par rapport à la Zone internationale des fonds marins (ci-après la « Zone »), patrimoine commun de l’humanité. Elle estime que cela est confirmé par l’obligation incombant à l’État côtier de s’acquitter de certaines contributions en espèce ou en nature au titre de l’exploitation des ressources minérales dans la zone située au-delà de 200 milles marins.
67. Selon la défenderesse, la pratique des États, dans certaines circonstances, peut attester l’existence d’une opinio juris et il ressort clairement d’une analyse des demandes d’extension du plateau continental déposées auprès de la Commission des limites qu’une très large majorité des États ayant déposé de telles demandes ne prétend pas à un plateau continental qui empiéterait sur des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. La Colombie ajoute que la grande majorité des délimitations par voie d’accord entre États a fait abstraction des caractéristiques géologiques et géomorphologiques dans la zone de 200 milles marins de toute côte.
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68. Pour étayer leurs positions respectives, les Parties ont exposé leurs vues à la fois sur la relation entre le régime applicable à la zone économique exclusive et celui qui gouverne le plateau continental, et sur certaines considérations se rapportant au régime du plateau continental étendu. La Cour examinera ces deux points l’un après l’autre.
69. La Cour rappelle que le régime gouvernant la zone économique exclusive tel qu’il est défini dans la CNUDM résulte d’un compromis obtenu lors de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Ce régime confère notamment à l’État côtier l’exclusivité des droits souverains d’exploration, d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles jusqu’à 200 milles marins de sa côte, tout en précisant certaines obligations de l’État côtier (article 56), ainsi que les droits et les obligations des autres États dans cette zone (article 58). La Cour a dit que les droits et obligations des États côtiers et des autres États dans la zone économique exclusive, énoncés aux articles 56, 58, 61, 62 et 73 de la CNUDM, reflètent le droit international coutumier (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), arrêt du 21 avril 2022, par. 57).
70. Comme il a été dit plus haut (voir le paragraphe 49), les régimes juridiques qui gouvernent la zone économique exclusive et le plateau continental en deçà de 200 milles marins des lignes de base de l’État côtier sont reliés entre eux. En effet, dans la zone économique exclusive, les droits relatifs aux fonds marins et à leur sous-sol doivent être exercés conformément au régime juridique applicable au plateau continental (paragraphe 3 de l’article 56 de la CNUDM), et l’État côtier exerce sur le plateau continental des droits souverains s’agissant de l’exploration et de l’exploitation de ses ressources naturelles (paragraphes 1 et 2 de l’article 77 de la CNUDM). La Cour a affirmé dans son arrêt de 1985 en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte) que,
« [b]ien que les institutions du plateau continental et de la zone économique exclusive ne se confondent pas, les droits qu’une zone économique exclusive comporte sur les fonds marins de cette zone sont définis par renvoi au régime prévu pour le plateau continental. S’il peut y avoir un plateau continental sans zone économique exclusive, il ne saurait exister de zone économique exclusive sans plateau continental correspondant. » (Arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 33, par. 34.)
71. En ce qui concerne les affaires du Golfe du Bengale, la Cour rappelle que, dans celle opposant le Bangladesh et le Myanmar, le TIDM a délimité les zones de 200 milles marins de deux États adjacents en construisant une ligne d’équidistance provisoire, qu’il a ensuite ajustée. Le tribunal a déterminé que les deux parties avaient droit à un plateau continental étendu et a prolongé le tracé de la ligne d’équidistance au-delà de la limite de 200 milles marins à compter de la côte du Bangladesh (Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 118, par. 460-462). Le recours à une ligne d’équidistance ajustée a produit une zone cunéiforme de taille limitée située en deçà de 200 milles marins de la côte du Myanmar mais du côté bangladais de la ligne délimitant les plateaux continentaux des parties. Ainsi que le tribunal l’a relevé, cette « zone grise est une conséquence de la délimitation » (ibid., p. 119-120, par. 463 et 472). De même, dans l’affaire entre le Bangladesh et l’Inde, le tribunal arbitral a conclu que les deux parties avaient droit à un plateau continental étendu et a suivi la méthode de l’équidistance ajustée, ce qui a produit une « zone grise » de taille limitée située à la fois dans la zone du plateau continental étendu du Bangladesh et dans la zone de 200 milles marins de l’Inde (Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du Bengale, sentence du 7 juillet 2014, RSA, vol. XXXII, p. 147, par. 498). Chaque tribunal a précisé que, à l’intérieur de la « zone grise », la frontière maritime déterminait les droits des parties sur le plateau continental conformément à l’article 77 de la CNUDM, mais ne limitait pas autrement les droits respectifs du Myanmar et de l’Inde à l’égard de la zone économique exclusive, tels qu’énoncés
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à l’article 56 de la CNUDM, notamment ceux relatifs à la colonne d’eau surjacente. Les deux tribunaux ont souligné qu’il appartenait aux parties de prendre les mesures qu’elles jugeaient appropriées s’agissant des zones maritimes dans lesquelles elles avaient des droits partagés, y compris en concluant de nouveaux accords ou en mettant en place des arrangements de coopération (ibid., p. 148-149, par. 505 et 507-508 ; Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 121, par. 474-476).
72. Dans les deux affaires du Golfe du Bengale, le recours à une ligne d’équidistance ajustée, dans une délimitation entre deux États adjacents, a donné lieu à une « zone grise », en tant que conséquence fortuite de cet ajustement. Les circonstances dans ces affaires sont distinctes de la situation en l’espèce, dans laquelle un État revendique un plateau continental étendu qui se situe en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un ou de plusieurs autres États. La Cour est d’avis que les décisions précitées ne sont d’aucune aide pour répondre à la première question posée dans la présente affaire.
73. Dans l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), la Cour a retenu une ligne d’équidistance ajustée comme frontière maritime unique entre les zones de 200 milles marins des parties. La ligne de délimitation se poursuivait selon ce tracé au-delà de 200 milles marins des lignes de base de chacune des parties. La Cour a fait observer que la délimitation pouvait faire apparaître une zone de taille limitée située en deçà de 200 milles marins de la côte somalienne mais du côté kényan de la frontière. Cependant, contrairement à la situation qui prévalait dans les deux affaires du Golfe du Bengale, elle a considéré que l’existence d’une « zone grise » n’était qu’une éventualité, en fonction de l’étendue des droits du Kenya à un plateau continental étendu. Elle n’a donc pas jugé nécessaire de se prononcer sur le régime juridique qui s’appliquerait dans cette « zone grise » éventuelle (arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 277, par. 197).
74. La Cour en vient maintenant à certaines considérations relatives au régime gouvernant le plateau continental étendu.
75. La Cour relève que, en droit international coutumier contemporain, il existe un plateau continental unique en ce sens que les droits substantiels d’un État côtier sur son plateau continental sont, de manière générale, les mêmes en deçà et au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base. Cependant, le droit d’un État à un plateau continental en deçà de 200 milles marins de ses lignes de base et son droit à un plateau continental étendu au-delà de 200 milles marins n’ont pas le même fondement. En effet, en droit international coutumier, tel que reflété au paragraphe 1 de l’article 76 de la convention, le droit d’un État au plateau continental est déterminé de deux manières différentes : en deçà de 200 milles marins de sa côte, selon le critère de la distance, et au-delà de 200 milles marins, selon le critère du prolongement naturel, dont les limites extérieures doivent être déterminées sur la base de critères scientifiques et techniques.
76. La Cour note en outre que les conditions de fond et de procédure qui entrent en ligne de compte pour la détermination des limites extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins étaient le résultat d’un compromis obtenu au cours des dernières sessions de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Il s’agissait d’éviter des empiètements abusifs sur le fond des mers et des océans, ainsi que leur sous-sol, au-delà des limites de la juridiction nationale, considérés comme « le patrimoine commun de l’humanité » et désignés dans la convention comme la « Zone » (paragraphe 1 de l’article premier de la convention). Le texte de l’article 76 de la CNUDM, notamment les règles aux paragraphes 4 à 7, le rôle dévolu à la Commission des limites au paragraphe 8, et l’obligation de remettre des cartes et des renseignements pertinents qui est
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énoncée au paragraphe 9, semble indiquer que les États participant aux négociations considéraient que le plateau continental étendu ne pouvait se prolonger que dans des espaces maritimes qui, autrement, feraient partie de la Zone. À cet égard, la Cour a souligné que le rôle principal de la Commission des limites
« consist[ait] à veiller à ce que le plateau continental d’un État côtier ne dépass[ât] pas les limites prévues aux paragraphes 4, 5 et 6 de l’article 76 de la CNUDM et à éviter ainsi que le plateau continental n’empi[étât] sur la « Zone et ses ressources [qui] sont le patrimoine commun de l’humanité » (article 136 de la CNUDM) » (Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 136, par. 109).
Sur la base de la considération qui précède, le paragraphe 1 de l’article 82 de la convention prévoit que des contributions en espèces ou en nature doivent être acquittées, par l’intermédiaire de l’Autorité internationale des fonds marins, au titre de l’exploitation « des ressources non biologiques du plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale ». Une telle contribution ne servirait pas l’objectif de cette disposition dans le cas où le plateau continental d’un État au-delà de 200 milles marins s’étendrait à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. En outre, bien que les Parties aient abondamment fait référence aux travaux préparatoires de la CNUDM, il apparaît que la possibilité que le plateau continental étendu d’un État se prolonge en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État n’a pas été débattue pendant la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer.
77. La Cour constate que, dans la pratique, la grande majorité des États parties à la convention ayant déposé des demandes auprès de la Commission des limites ont choisi de ne pas revendiquer un plateau continental étendu dont les limites extérieures se situeraient à moins de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. La Cour estime que la pratique des États devant la Commission révèle l’existence d’une opinio juris, même si cette pratique a pu être motivée en partie par des considérations autres qu’un sentiment d’obligation juridique. De même, à la connaissance de la Cour, seul un petit nombre d’États ont prétendu, dans leurs demandes, avoir droit à un plateau continental étendu empiétant sur les zones maritimes en deçà de 200 milles marins d’autres États et, dans ces cas, les États concernés se sont opposés à ces demandes. Parmi le petit nombre d’États côtiers non parties à la convention, la Cour n’a connaissance d’aucun cas où l’un d’entre eux aurait revendiqué un plateau continental étendu se prolongeant jusqu’en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. Prise dans son ensemble, la pratique des États peut être considérée comme suffisamment répandue et uniforme aux fins de l’identification du droit international coutumier. En outre, étant donné son ampleur sur une longue période, cette pratique étatique peut être considérée comme l’expression de l’opinio juris, qui est un élément constitutif du droit international coutumier. En effet, cet élément peut être démontré « par voie d’induction en partant de l’analyse d’une pratique suffisamment étoffée et convaincante » (Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 299, par. 111).
78. La Cour fait observer que le raisonnement précédemment exposé repose sur la relation qui existe entre, d’une part, le plateau continental étendu d’un État et, d’autre part, la zone économique exclusive et le plateau continental jusqu’à 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
79. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que, en droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale ne peut pas s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
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IV. SECONDE QUESTION FORMULÉE DANS L’ORDONNANCE DU 4 OCTOBRE 2022
80. La Cour rappelle que la seconde question qu’elle a formulée dans l’ordonnance du 4 octobre 2022 est ainsi rédigée :
« Quels sont en droit international coutumier les critères sur la base desquels il convient de déterminer les limites du plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale ? À cet égard, les paragraphes 2 à 6 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer reflètent-ils le droit international coutumier ? »
81. La Cour a conclu, en réponse à la première question, que le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale ne peut pas s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État (voir le paragraphe 79 ci-dessus). Par conséquent, même si un État peut démontrer qu’il a droit à un plateau continental étendu, celui-ci ne peut se prolonger jusqu’à moins de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État.
82. Il résulte de la réponse donnée par la Cour à la première question que, quels que soient les critères selon lesquels est établie la limite extérieure du plateau continental étendu auquel un État a droit, ce plateau continental étendu ne peut pas chevaucher la zone du plateau continental qui est située en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. En l’absence de droits concurrents sur les mêmes espaces maritimes, la Cour ne peut procéder à une délimitation maritime (voir le paragraphe 42 ci-dessus). Dès lors, point n’est besoin pour elle de se prononcer sur la seconde question.
V. EXAMEN DES CONCLUSIONS DU NICARAGUA
83. Sur le fondement de la conclusion à laquelle elle est parvenue précédemment (voir le paragraphe 79), la Cour examinera à présent les demandes contenues dans les conclusions du Nicaragua.
84. À cet égard, la Cour rappelle que le Nicaragua, dans sa requête, lui demande de déterminer « [l]e tracé précis de la frontière maritime entre les portions de plateau continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au-delà des limites établies par la Cour dans [l’]arrêt [de] 2012 ». Tout au long de la procédure en l’espèce, le Nicaragua a maintenu que l’objet de sa demande était la délimitation de cette frontière maritime. Lors de la procédure orale, il a expliqué que les conclusions formulées dans son mémoire et dans sa réplique précisaient seulement la demande faite dans sa requête. La Cour estime qu’il convient d’examiner les conclusions du Nicaragua dans ce contexte.
A. La demande contenue dans le premier chef de conclusions du Nicaragua
85. Dans la demande qu’il formule par son premier chef de conclusions, présenté dans le mémoire puis réaffirmé dans la réplique (voir le paragraphe 19 ci-dessus), le Nicaragua propose des coordonnées pour délimiter le plateau continental entre la Colombie et lui-même dans la zone située au-delà de 200 milles marins des lignes de base de sa côte mais en deçà de 200 milles marins des lignes de base de la côte continentale colombienne.
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86. La Cour a conclu que, en droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale ne peut pas s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État (voir le paragraphe 79 ci-dessus). Il en résulte que, indépendamment de toute considération scientifique ou technique, le Nicaragua n’a pas droit à un plateau continental étendu se prolongeant jusqu’à moins de 200 milles marins des lignes de base de la côte continentale colombienne. Par conséquent, en deçà de 200 milles marins desdites lignes de base, il n’y a pas de zone de droits concurrents à délimiter en l’espèce.
87. Pour ces motifs, la demande contenue dans le premier chef de conclusions du Nicaragua ne peut être accueillie.
B. La demande contenue dans le deuxième chef de conclusions du Nicaragua
88. Dans la demande qu’il formule par son deuxième chef de conclusions, présenté dans le mémoire puis réaffirmé dans la réplique (voir le paragraphe 19 ci-dessus), le Nicaragua propose des coordonnées pour délimiter les zones de plateau continental où, selon lui, le plateau continental étendu auquel il peut prétendre chevauche le plateau continental de 200 milles marins auquel la Colombie peut elle-même prétendre à partir des lignes de base des côtes de San Andrés et de Providencia. Le Nicaragua admet que, en principe, les îles de San Andrés et Providencia ouvrent droit chacune à un plateau continental s’étendant sur 200 milles marins au moins. Il affirme cependant que ces plateaux continentaux ne devraient pas s’étendre à l’est de la limite de 200 milles marins de sa propre zone économique exclusive, parce que ces îles sont de petite taille et que l’arrêt de 2012 leur a déjà attribué des espaces maritimes « [bien] plus que suffisants ».
89. Pour sa part, la Colombie considère que San Andrés et Providencia génèrent des droits à des espaces maritimes dans toutes les directions à partir de leurs lignes de base et que ces espaces s’étendent donc à l’est de la ligne située à 200 milles marins des lignes de base nicaraguayennes. Elle ajoute que la revendication du Nicaragua va à l’encontre de l’arrêt de 2012, en ce sens qu’elle aurait pour résultat de priver ces îles des espaces maritimes auxquels elles ont droit vers l’est.
90. Dans son arrêt de 2012, la Cour avait constaté que les Parties s’accordaient sur les droits potentiels de San Andrés, Providencia et Santa Catalina à des espaces maritimes, en particulier sur le fait que ces îles « engendr[ai]ent des droits à une mer territoriale, à une zone économique exclusive et à un plateau continental » (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 686, par. 168). Elle avait ajouté que « [c]es espaces maritimes p[ouvai]ent, en théorie, s’étendre dans toutes les directions sur une distance de 200 milles marins » et, en particulier, s’étendre vers l’est jusqu’à une zone située « au-delà de la limite de 200 milles marins [à partir des] lignes de base nicaraguayennes » (ibid., p. 686 et 688, par. 168 ; voir aussi ibid., p. 716, par. 244). En la présente espèce, le Nicaragua fait valoir que cette zone se trouve dans celle de son plateau continental étendu.
91. La Cour relève que les espaces maritimes auxquels ont droit San Andrés et Providencia s’étendent vers l’est au-delà de 200 milles marins des lignes de base du Nicaragua et donc dans la zone où celui-ci revendique un plateau continental étendu. Or, elle a conclu que, en droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale ne peut pas s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État (voir le paragraphe 79
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ci-dessus). Il en résulte que le Nicaragua n’a pas droit à un plateau continental étendu se prolongeant jusqu’à moins de 200 milles marins des lignes de base de San Andrés et de Providencia. Par conséquent, en deçà de 200 milles marins desdites lignes de base, il n’y a pas de zone de droits concurrents à délimiter en l’espèce.
92. Pour ces motifs, la demande contenue dans le deuxième chef de conclusions du Nicaragua ne peut être accueillie.
C. La demande contenue dans le troisième chef de conclusions du Nicaragua
93. La demande contenue dans le troisième chef de conclusions du Nicaragua, tel qu’il est présenté dans la réplique (voir le paragraphe 19 ci-dessus), concerne les droits à des espaces maritimes générés par Serranilla, Bajo Nuevo et Serrana. Plus précisément, le Nicaragua prie la Cour de dire que « Serranilla et Bajo Nuevo sont enclavées et bénéficient chacune d’une mer territoriale de 12 milles marins, et [que] Serrana est enclavée, ainsi que la Cour en a décidé dans son arrêt de novembre 2012 ».
94. À l’appui de cette demande, le Nicaragua invoque la conclusion de la Cour, dans l’arrêt de 2012, selon laquelle le régime juridique applicable aux îles tel que défini à l’article 121 de la CNUDM forme un tout indivisible, qui fait intégralement partie du droit international coutumier (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 674, par. 139). Conformément à ce régime, si une île est considérée comme un rocher ne se prêtant pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre, elle n’aura pas de zone économique exclusive ni de plateau continental.
95. Le Nicaragua soutient que, sur ce fondement, Serranilla et Bajo Nuevo ne peuvent pas prétendre à une zone économique exclusive ou à un plateau continental. Quant à Serrana, il relève qu’elle a été enclavée par l’arrêt de 2012 et que, en tout état de cause, c’est un rocher qui ne peut se prêter à l’habitation humaine ou à une vie économique propre. De l’avis du Nicaragua, Serrana ne peut donc générer des droits à une zone économique exclusive ou à un plateau continental.
96. La Colombie maintient que les trois formations maritimes, en tant qu’îles de l’archipel de San Andrés se prêtant à l’habitation humaine ou à une vie économique propre, ont droit chacune à une zone économique exclusive et au plateau continental « correspondant » jusqu’à 200 milles marins, pouvant s’étendre à l’est de la ligne située à 200 milles marins des lignes de base nicaraguayennes.
97. La Cour rappelle que, dans son arrêt de 2012, elle a conclu que la Colombie détient la souveraineté sur les îles de Serranilla, Bajo Nuevo et Serrana (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 718, point 1 du par. 251). Elle note aussi que, par la demande qu’il a présentée dans sa requête, telle qu’il l’a ensuite précisée dans ses écritures, le Nicaragua sollicitait la délimitation de la frontière maritime entre les portions de plateau continental relevant de chacune des Parties au-delà des limites établies par la Cour dans l’arrêt de 2012. Aussi faut-il comprendre le troisième chef de conclusions du Nicaragua, dont celui-ci a dit qu’il venait préciser la demande de délimitation contenue dans sa requête (voir le paragraphe 84 ci-dessus), comme demandant une conclusion précise quant à l’effet qu’auraient, le cas échéant, les droits à des espaces maritimes générés par Serranilla, Bajo Nuevo et Serrana sur toute délimitation maritime entre les Parties.
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98. Dans son arrêt de 2012, la Cour avait conclu qu’elle n’avait pas à se prononcer sur la portée des droits à des espaces maritimes générés par Serranilla et Bajo Nuevo, car ces formations se trouvaient en dehors de la zone de délimitation définie dans l’arrêt (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 689, par. 175).
99. La Cour relève deux possibilités en ce qui concerne les droits maritimes que peuvent générer Serranilla et Bajo Nuevo. Si ces formations ont droit chacune à une zone économique exclusive et à un plateau continental, alors, selon la conclusion à laquelle la Cour est parvenue précédemment (voir le paragraphe 79), le plateau continental étendu que revendique le Nicaragua ne peut pas se prolonger jusqu’à l’intérieur des espaces maritimes auxquels ces îles peuvent prétendre sur 200 milles marins. Si, à l’inverse, Serranilla ou Bajo Nuevo n’ont pas droit à une zone économique exclusive ou à un plateau continental, alors elles ne génèrent aucun droit maritime dans la zone où le Nicaragua revendique un plateau continental étendu. Dans l’un ou l’autre cas, compte tenu de la conclusion de la Cour concernant la première question (voir le paragraphe 79 ci-dessus), en deçà de 200 milles marins des lignes de base de Serranilla et Bajo Nuevo, il ne peut y avoir de zone de droits concurrents à un plateau continental qui requière une délimitation en la présente instance.
100. La Cour considère donc qu’il n’est point besoin pour elle de déterminer la portée des droits de Serranilla et Bajo Nuevo à des espaces maritimes pour régler le différend soumis par le Nicaragua dans sa requête.
101. La Cour rappelle en outre avoir déjà déterminé dans l’arrêt de 2012 l’effet produit par les droits de Serrana à des espaces maritimes. Après avoir conclu que Serrana ouvrait droit à une mer territoriale, elle avait dit que,
« [c]ompte tenu de sa petite taille, de son éloignement et d’autres caractéristiques, il conv[enait] en tout état de cause, pour parvenir à un résultat équitable, que la ligne frontière suiv[ît] la limite extérieure de la mer territoriale entourant cette île. La frontière suivra[it] donc l’enveloppe d’arcs tracée à 12 milles marins de la caye de Serrana et des autres cayes avoisinantes. » (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 715, par. 238.)
Dans le dispositif de cet arrêt, la Cour avait décidé que, autour de Serrana, la frontière maritime entre les Parties suivrait une enveloppe d’arcs à une distance de 12 milles marins mesurée à partir de la caye de Serrana et des cayes avoisinantes (ibid., p. 718, point 5 du par. 251). L’effet produit par les droits de Serrana à des espaces maritimes ayant été déterminé de manière définitive dans l’arrêt de 2012, point n’est besoin pour la Cour de le confirmer en la présente espèce.
102. Pour ces motifs, la demande contenue dans le troisième chef de conclusions du Nicaragua ne peut être accueillie.
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103. Compte tenu de ce qui précède, point n’est besoin pour la Cour de fixer un calendrier pour la poursuite de la procédure en l’affaire, comme le Nicaragua l’en a priée dans ses conclusions lors de la procédure orale.
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104. Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par treize voix contre quatre,
Rejette la demande par laquelle la République du Nicaragua la prie de dire et juger que sa frontière maritime avec la République de Colombie, dans les zones du plateau continental qui, selon la République du Nicaragua, reviennent à chacune au-delà de la frontière fixée par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012, suit des lignes géodésiques reliant les points 1 à 8 dont les coordonnées figurent au paragraphe 19 ci-dessus ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Nolte, Brant, juges ; M. McRae, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Tomka, Robinson, Mme Charlesworth, juges ; M. Skotnikov, juge ad hoc ;
2) Par treize voix contre quatre,
Rejette la demande par laquelle la République du Nicaragua la prie de dire et juger que les îles de San Andrés et Providencia ont droit à un plateau continental jusqu’à une ligne constituée d’arcs de 200 milles marins partant des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale et reliant les points A, C et B dont les coordonnées figurent au paragraphe 19 ci-dessus ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Nolte, Brant, juges ; M. McRae, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Tomka, Robinson, Mme Charlesworth, juges ; M. Skotnikov, juge ad hoc ;
3) Par douze voix contre cinq,
Rejette la demande de la République du Nicaragua portant sur les droits à des espaces maritimes générés par Serranilla et Bajo Nuevo.
POUR : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Brant, juges ; M. McRae, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Tomka, Robinson, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; M. Skotnikov, juge ad hoc.
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Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le treize juillet deux mille vingt-trois, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République du Nicaragua et au Gouvernement de la République de Colombie.
La présidente,
(Signé) Joan E. DONOGHUE.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
M. le juge TOMKA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; Mme la juge XUE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge BHANDARI joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ROBINSON joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; MM. les juges IWASAWA et NOLTE joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; Mme la juge CHARLESWORTH joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge ad hoc SKOTNIKOV joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
(Paraphé) J.E.D.
(Paraphé) Ph.G.
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Arrêt du 13 juillet 2023

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