Résumé de l'ordonnance du 7 décembre 2021

Document Number
181-20211207-SUM-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2021/5
Date of the Document
Document File

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Non officiel
Résumé 2021/5
Le 7 décembre 2021
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Azerbaïdjan c. Arménie)
Demande en indication de mesures conservatoires
La Cour commence par rappeler que, le 23 septembre 2021, l’Azerbaïdjan a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre l’Arménie à raison de violations alléguées de la convention internationale du 21 décembre 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la «CIEDR» ou la «convention»). Dans sa requête, l’Azerbaïdjan soutient que l’Arménie s’est livrée, et continue de se livrer, «à une série d’actes de discrimination visant les Azerbaïdjanais, sur le fondement de leur origine «nationale ou ethnique» au sens de la CIEDR». Il prétend en particulier que «les politiques et les actes de nettoyage ethnique, d’annihilation culturelle et de provocation à la haine de l’Arménie contre les Azerbaïdjanais portent systématiquement atteinte aux droits et aux libertés des Azerbaïdjanais, ainsi qu’aux droits propres de l’Azerbaïdjan, en violation de la CIEDR». La requête était accompagnée d’une demande en indication de mesures conservatoires tendant à ce que les droits invoqués par l’Azerbaïdjan soient protégés «contre le préjudice causé par le comportement illicite persistant de l’Arménie», en attendant l’arrêt définitif de la Cour en l’affaire.
I. INTRODUCTION (PAR. 13-14)
La Cour expose le contexte historique général dans lequel s’inscrit le différend. Elle rappelle à cet égard que l’Azerbaïdjan et l’Arménie, deux Républiques de l’ancienne Union des Républiques socialistes soviétiques, ont accédé à l’indépendance les 18 octobre et 21 septembre 1991, respectivement. En Union soviétique, la région du Haut-Karabakh était une entité autonome («oblast»), dont la population était en majorité d’origine arménienne, et qui était située sur le territoire de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Les revendications concurrentes des Parties sur cette région ont donné lieu à des hostilités qui se sont conclues par un cessez-le-feu en mai 1994. De nouvelles hostilités ont éclaté en septembre 2020 (ci-après le «conflit de 2020») ; elles ont duré quarante-quatre jours. Le 9 novembre 2020, le président de la République d’Azerbaïdjan, le premier ministre de la République d’Arménie et le président de la Fédération de Russie ont signé une déclaration, dite «déclaration trilatérale», qui proclamait, à compter du 10 novembre 2020, «[u]n cessez-le-feu complet et la cessation de toutes les hostilités dans la zone de conflit du Haut-Karabakh». Notant que les divergences entre les Parties sont anciennes et recouvrent des aspects très variés, la Cour relève néanmoins que le demandeur a invoqué l’article 22 de la CIEDR comme titre de compétence en la présente procédure, et que la portée de l’affaire est dès lors circonscrite par cette convention.
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II. COMPÉTENCE PRIMA FACIE (PAR. 15-40)
1. Observations générales (par. 15-18)
La Cour rappelle que, d’après sa jurisprudence, elle ne peut indiquer des mesures conservatoires que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée ; toutefois, elle n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire. En la présente espèce, l’Azerbaïdjan entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour ainsi que sur l’article 22 de la CIEDR. La Cour doit donc commencer par vérifier si ces dispositions lui confèrent prima facie compétence pour statuer sur le fond de l’affaire, et lui permettent ainsi — sous réserve que les autres conditions requises soient réunies — d’indiquer des mesures conservatoires.
La Cour note que l’Azerbaïdjan et l’Arménie sont tous deux parties à la CIEDR, et que ni le premier ni la seconde n’a fait de réserve à l’article 22 ni à aucune autre disposition de la convention.
2. Existence d’un différend concernant l’interprétation ou l’application de la CIEDR (par. 19-28)
La Cour rappelle que l’article 22 de la CIEDR subordonne la compétence de la Cour à l’existence d’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention. L’Azerbaïdjan invoquant pour fonder sa compétence la clause compromissoire contenue dans une convention internationale, la Cour doit rechercher si les actes et omissions dénoncés par le demandeur sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de l’instrument en question et si, en conséquence, le différend est de ceux dont elle pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae.
La Cour observe que, pour déterminer s’il existait un différend entre les parties au moment du dépôt d’une requête, elle tient notamment compte de l’ensemble des déclarations ou documents échangés entre elles. Ce faisant, elle accorde une attention particulière «aux auteurs des déclarations ou documents, aux personnes auxquelles [ceux-ci] étaient destinés ou qui en ont effectivement eu connaissance» et aux contenus en question. L’existence d’un différend doit être établie objectivement par la Cour ; c’est une question de fond, et non de forme ou de procédure.
La Cour note que, d’après l’Azerbaïdjan, l’Arménie a manqué et continue de manquer aux obligations lui incombant au titre des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR, et a engagé sa responsabilité, notamment pour s’être livrée à des pratiques de nettoyage ethnique. L’Azerbaïdjan allègue en particulier que, alors que le conflit de 2020 avait pris fin, l’Arménie a empêché les personnes d’origine azerbaïdjanaise déplacées de retourner dans les régions qu’elle contrôlait auparavant, en refusant de lui communiquer des informations sur les champs de mines situés dans les zones où résidaient ces personnes, pour qu’il puisse y mener des opérations de déminage. Il affirme également que l’Arménie a engagé sa responsabilité pour avoir incité à la haine et à la violence contre les personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise par des discours haineux et la diffusion d’une propagande raciste, y compris au plus haut niveau de l’Etat, avoir toléré la présence de «groupes xénophobes ethnonationalistes armés» sur son sol, avoir mené, favorisé ou soutenu des opérations de désinformation sur les réseaux sociaux, et avoir omis de mener des enquêtes sur les manquements à des obligations découlant de la CIEDR à l’égard des personnes d’origine azerbaïdjanaise et de préserver les éléments de preuve y afférents.
La Cour considère que les échanges entre les Parties antérieurs au dépôt de la requête montrent que celles-ci s’opposent quant à la question de savoir si certains actes ou omissions présumés de l’Arménie ont emporté manquement à ses obligations découlant de la CIEDR. Elle note que, selon l’Azerbaïdjan, l’Arménie a manqué à divers égards aux obligations que lui impose la convention ; l’Arménie, quant à elle, nie avoir commis l’une quelconque des violations alléguées et que les actes
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dénoncés entrent dans les prévisions de la CIEDR. La Cour observe que la divergence des vues de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie sur le point de savoir si cette dernière respectait les engagements qu’elle avait pris au titre de la CIEDR était déjà manifeste dans le premier échange de lettres, datées respectivement du 8 et du 22 décembre 2020, entre les ministres des affaires étrangères des Parties immédiatement après le conflit de 2020. Selon elle, cette divergence est en outre établie par des échanges ultérieurs entre les Parties. Aux fins de la présente procédure, la Cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de déterminer si l’Arménie a manqué aux obligations lui incombant au titre de la CIEDR, ce qu’elle ne pourrait faire que dans le cadre de l’examen de l’affaire au fond. Au stade d’une ordonnance en indication de mesures conservatoires, elle doit déterminer si les actes et omissions dont l’Azerbaïdjan tire grief sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de la CIEDR. De l’avis de la Cour, tel est le cas de certains au moins des actes et omissions que l’Azerbaïdjan reproche à l’Arménie.
En conséquence, la Cour conclut qu’il existe une base suffisante à ce stade pour établir prima facie qu’un différend oppose les Parties quant à l’interprétation ou à l’application de la CIEDR.
3. Conditions procédurales préalables (par. 29-39)
Se penchant ensuite sur les conditions procédurales préalables énoncées à l’article 22 de la CIEDR, la Cour observe que, aux termes de cet article, un différend ne peut être porté devant elle que s’il n’a «pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par [la] Convention». A cet égard, rappelle-t-elle, elle a déjà dit que l’article 22 de la CIEDR établit des conditions procédurales préalables auxquelles il doit être satisfait avant qu’elle ne soit saisie, et que lesdites conditions préalables à sa saisine présentent un caractère alternatif et non cumulatif. Dès lors que l’Azerbaïdjan ne prétend pas que le différend qui l’oppose à l’Arménie a été soumis aux «procédures expressément prévues par [la] Convention», qui commencent par la saisine du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en vertu de l’article 11 de la convention, la Cour recherchera seulement si ce différend n’a «pas été réglé par voie de négociation», au sens de l’article 22. En outre, celui-ci dispose qu’un différend ne peut être porté devant la Cour à la requête de l’une ou l’autre des parties à ce différend que si celles-ci ne sont pas convenues d’un autre mode de règlement. La Cour note à cet égard qu’aucune des Parties ne prétend qu’elles seraient parvenues à un accord sur un autre mode de règlement. Au stade actuel de la procédure, la Cour déterminera ainsi s’il apparaît, prima facie, que l’Azerbaïdjan a véritablement cherché à mener des négociations avec l’Arménie en vue de régler le différend qui les oppose au sujet du respect, par cette dernière, des obligations matérielles lui incombant au titre de la CIEDR, et si l’Azerbaïdjan a poursuivi ces négociations autant qu’il était possible.
S’agissant de la condition préalable de négociation énoncée à l’article 22 de la CIEDR, la Cour relève que les négociations sont à distinguer des simples protestations ou contestations, et supposent que l’une des parties ait véritablement cherché à engager un dialogue avec l’autre, en vue de régler le différend. Si les parties ont cherché à négocier ou ont entamé des négociations, cette condition préalable n’est réputée remplie que lorsque la tentative de négocier a été vaine ou que les négociations ont échoué, sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse. Pour satisfaire à cette condition préalable, «ladite négociation doit … concerner l’objet du différend, qui doit lui-même se rapporter aux obligations de fond prévues par l’instrument en question».
La Cour relève que, comme en témoignent les pièces dont elle dispose, l’Azerbaïdjan a reproché à l’Arménie des manquements aux obligations découlant de la CIEDR lors de divers échanges bilatéraux ultérieurs à la signature de la déclaration trilatérale en novembre 2020. En particulier, les Parties ont entretenu une correspondance sous la forme d’une série de notes diplomatiques de novembre 2020 à septembre 2021 et ont tenu plusieurs séries de réunions bilatérales traitant des modalités procédurales ainsi que de l’étendue et des sujets de leurs négociations portant sur les manquements allégués à des obligations découlant de la CIEDR.
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La Cour constate que, du premier échange entre les ministres arménien et azerbaïdjanais des affaires étrangères par lettres datées respectivement du 11 novembre et du 8 décembre 2020 jusqu’à la dernière réunion bilatérale tenue les 14 et 15 septembre 2021, les positions des Parties ne semblent pas avoir évolué. Bien que ces dernières aient réussi à s’entendre sur certaines modalités procédurales, notamment sur le calendrier des travaux et sur les sujets de discussion, aucun progrès similaire n’a été fait sur les questions de fond relatives aux manquements aux obligations découlant de la CIEDR dont l’Azerbaïdjan fait grief à l’Arménie. Les éléments dont dispose la Cour au sujet des sessions bilatérales tenues les 15 et 16 juillet, 30 et 31 août et 14 et 15 septembre 2021 montrent une absence de progrès dans la recherche d’un terrain d’entente sur les questions de fond. La Cour constate en outre que les deux Parties semblent accepter l’idée que les négociations engagées entre elles en vue de régler les griefs formulés par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie au sujet de la CIEDR ont abouti à une impasse. Bien que l’Azerbaïdjan, lors d’échanges bilatéraux, ait reproché à l’Arménie d’avoir manqué à diverses obligations découlant de la CIEDR, et que les Parties aient, à maintes reprises sur une période de plusieurs mois, échangé des courriers et tenu des réunions, il semble également à la Cour que leurs positions sur le manquement allégué de l’Arménie aux obligations mises à sa charge par la convention soient restées inchangées et que les négociations aient abouti à une impasse. Il lui apparaît donc que le différend entre les Parties concernant l’interprétation et l’application de la CIEDR n’avait pas été réglé par voie de négociation à la date du dépôt de la requête.
Rappelant que, à ce stade de la procédure, elle doit se prononcer uniquement sur sa compétence prima facie, la Cour conclut que les conditions procédurales préalables énoncées à l’article 22 de la CIEDR paraissent avoir été remplies.
4. Conclusion quant à la compétence prima facie (par. 40)
La Cour conclut de ce qui précède que, prima facie, elle a compétence en vertu de l’article 22 de la CIEDR pour connaître de l’affaire dans la mesure où le différend opposant les Parties concerne «l’interprétation ou l’application» de la convention.
III. LES DROITS DONT LA PROTECTION EST RECHERCHÉE ET LE LIEN ENTRE CES DROITS ET LES MESURES DEMANDÉES (PAR. 41-58)
S’agissant des droits dont la protection est recherchée, la Cour fait observer que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision au fond, les droits revendiqués par chacune des parties. Il s’ensuit qu’elle doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre des parties. Aussi ne peut-elle exercer ce pouvoir que si elle estime que les droits invoqués par le demandeur sont au moins plausibles.
La Cour ajoute cependant que, à ce stade de la procédure, elle n’est pas appelée à se prononcer définitivement sur le point de savoir si les droits que l’Azerbaïdjan souhaite voir protégés existent ; il lui faut seulement déterminer si les droits que celui-ci revendique au fond et dont il sollicite la protection sont plausibles. En outre, un lien doit exister entre les droits dont la protection est recherchée et les mesures conservatoires demandées.
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La Cour note que la CIEDR impose aux Etats parties un certain nombre d’obligations en ce qui concerne l’élimination de la discrimination raciale sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations. Elle note en outre que les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR visent à protéger les individus de la discrimination raciale et rappelle, comme elle l’a déjà fait par le passé dans d’autres affaires dans lesquelles l’article 22 de la CIEDR était invoqué comme base de sa compétence, qu’il existe une corrélation entre le respect des droits des individus consacrés par la convention, les obligations incombant aux Etats parties au titre de la CIEDR et le droit qu’ont ceux-ci de demander l’exécution de ces obligations.
La Cour rappelle qu’un Etat partie à la CIEDR ne peut invoquer les droits énoncés dans les articles cités ci-dessus que dans la mesure où les actes dont il tire grief constituent des actes de discrimination raciale au sens de l’article premier de la convention. Dans le contexte d’une demande en indication de mesures conservatoires, la Cour doit examiner si les droits revendiqués par un demandeur sont au moins plausibles.
La Cour considère, au vu des informations que les Parties lui ont soumises, que certains au moins des droits revendiqués par l’Azerbaïdjan sont des droits plausibles au regard de la convention. Ainsi en va-t-il de ceux que l’Arménie aurait violés en manquant de condamner les activités menées sur son territoire par des groupes qui, selon l’Azerbaïdjan, sont des groupes xénophobes ethnonationalistes armés, auteurs de faits d’incitation à la violence contre les personnes d’origine azerbaïdjanaise, et en manquant de punir ceux qui sont responsables de telles activités. En ce qui concerne les droits que l’Azerbaïdjan prétend tenir de la CIEDR relativement au comportement présumé de l’Arménie s’agissant des mines terrestres, la Cour rappelle que, selon l’Azerbaïdjan, le comportement en question s’inscrit dans le cadre d’une politique de nettoyage ethnique menée de longue date. Elle convient qu’une politique consistant à éloigner des personnes sur la base de leur origine nationale ou ethnique d’une région donnée, et à les empêcher d’y revenir, peut faire intervenir des droits garantis par la CIEDR, et qu’une telle politique peut être exécutée par divers moyens militaires. Cependant, elle ne considère pas que la CIEDR impose de manière plausible à l’Arménie une quelconque obligation de prendre des mesures pour permettre à l’Azerbaïdjan de procéder au déminage, ou de cesser définitivement ses opérations de minage. L’Azerbaïdjan n’a pas produit devant la Cour d’éléments de preuve démontrant que le comportement allégué de l’Arménie s’agissant des mines terrestres ait «pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité», des droits des personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise.
La Cour en vient ensuite à la condition du lien entre les droits revendiqués par l’Azerbaïdjan et les mesures conservatoires sollicitées. Elle rappelle à cet égard que seuls certains des droits revendiqués par l’Azerbaïdjan ont été jugés plausibles à ce stade de la procédure. Elle se borne par conséquent à rechercher si le lien requis existe entre ces droits et les mesures sollicitées par l’Azerbaïdjan.
La Cour estime qu’il existe un lien entre l’une des mesures sollicitées par l’Azerbaïdjan et les droits plausibles que ce dernier cherche à protéger. Tel est le cas de la mesure tendant à ce qu’aucune organisation ou personne privée sur le territoire de l’Arménie ne se livre à des faits d’incitation et d’encouragement à la haine raciale ou à la violence à caractère raciste contre des personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise. Cette mesure vise, selon la Cour, à préserver des droits plausibles invoqués par l’Azerbaïdjan sur le fondement de la CIEDR.
La Cour en conclut qu’un lien existe entre certains des droits revendiqués par l’Azerbaïdjan et l’une des mesures conservatoires sollicitées.
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IV. RISQUE DE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE ET URGENCE (PAR. 59-67)
La Cour rappelle qu’elle tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’il existe un risque qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire ou lorsque la méconnaissance alléguée de ces droits risque d’entraîner des conséquences irréparables. Ce pouvoir n’est toutefois exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués avant que la Cour ne rende sa décision définitive. La condition d’urgence est remplie dès lors que les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable peuvent «intervenir à tout moment» avant que la Cour ne se prononce de manière définitive en l’affaire. La Cour doit donc rechercher si pareil risque existe à ce stade de la procédure. La Cour n’a pas, aux fins de sa décision sur la demande en indication de mesures conservatoires, à établir l’existence de violations de la CIEDR, mais doit déterminer si les circonstances exigent l’indication de telles mesures à l’effet de protéger certains droits conférés par cet instrument. Elle ne peut pas, à ce stade, conclure de façon définitive sur les faits, et sa décision sur la demande en indication de mesures conservatoires laisse intact le droit de chacune des Parties de faire valoir à cet égard ses moyens au fond.
La Cour recherche ensuite si un préjudice irréparable pourrait être causé aux droits qu’elle a jugés plausibles et s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un tel préjudice leur soit causé avant qu’elle ne rende sa décision définitive.
La Cour rappelle que, dans de précédentes affaires concernant la CIEDR, elle a dit que les droits énoncés aux alinéas a), b), c), d) et e) de l’article 5 sont d’une nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait se révéler irréparable. Elle estime que cette conclusion vaut aussi pour le droit des personnes de ne pas subir la haine et la discrimination raciales, tel qu’il découle de l’article 4 de la CIEDR.
De l’avis de la Cour, les actes prohibés par l’article 4 de la CIEDR — tels que la propagande encourageant la haine raciale ainsi que l’incitation à la discrimination raciale ou aux actes de violence visant tout groupe de personnes en raison de leur origine nationale ou ethnique — peuvent propager dans la société un climat imprégné de racisme. Pareille situation pourrait avoir de graves effets préjudiciables sur les personnes appartenant au groupe protégé. Ces effets préjudiciables peuvent être notamment, mais pas seulement, le risque de sévices ou de souffrances et de détresse psychologiques.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la méconnaissance alléguée des droits qu’elle a jugés plausibles risque d’entraîner un préjudice irréparable à ces droits et qu’il y a urgence, c’est-à-dire qu’il existe un risque réel et imminent qu’un tel préjudice soit causé avant que la Cour ne se prononce de manière définitive en l’affaire.
V. CONCLUSION ET MESURES À ADOPTER (PAR. 68-75)
La Cour conclut de l’ensemble des considérations qui précèdent que les conditions auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires sont réunies. Il y a donc lieu pour elle d’indiquer, dans l’attente de sa décision définitive, certaines mesures visant à protéger les droits revendiqués par l’Azerbaïdjan, tels qu’ils ont été spécifiés précédemment. La Cour rappelle que, lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui est présentée, elle a le pouvoir, en vertu de son Statut, d’indiquer des mesures en tout ou en partie différentes de celles qui sont sollicitées.
En la présente espèce, ayant examiné le libellé des mesures conservatoires demandées par l’Azerbaïdjan ainsi que les circonstances de l’affaire, la Cour estime que les mesures à indiquer n’ont pas à être identiques à celles qui sont sollicitées. La Cour considère que l’Arménie doit, dans le cadre des obligations que lui impose la CIEDR, prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher
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l’incitation et l’encouragement à la haine raciale, y compris par des organisations ou des personnes privées sur son territoire, contre les personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise.
La Cour rappelle que l’Azerbaïdjan l’a priée d’indiquer des mesures destinées à prévenir toute aggravation du différend l’opposant à l’Arménie. Lorsqu’elle indique des mesures conservatoires à l’effet de sauvegarder des droits particuliers, la Cour peut aussi indiquer des mesures conservatoires à l’effet d’empêcher l’aggravation ou l’extension du différend si elle estime que les circonstances l’exigent. En la présente espèce, ayant examiné l’ensemble des circonstances, la Cour estime nécessaire d’indiquer une mesure supplémentaire adressée aux deux Parties, visant à prévenir toute aggravation du différend entre elles. S’agissant des mesures conservatoires que l’Azerbaïdjan l’a priée d’indiquer tendant à prescrire à l’Arménie de «prendre des dispositions pour que soient effectivement garantie la collecte, empêchée la destruction et assurée la préservation des éléments de preuve associés [à des] cas allégués de crimes perpétrés contre des Azerbaïdjanais en raison de leur appartenance ethnique» et de rendre compte régulièrement de la mise en oeuvre des mesures qu’elle aurait ordonnées, la Cour estime que, dans les circonstances particulières de l’espèce, ces mesures ne sont pas justifiées.
VI. DISPOSITIF (PAR. 76)
Le texte complet du dispositif de l’ordonnance se lit comme suit :
«Par ces motifs,
LA COUR,
Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :
1) A l’unanimité,
La République d’Arménie doit, conformément aux obligations que lui impose la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’incitation et l’encouragement à la haine raciale, y compris par des organisations ou des personnes privées sur son territoire, contre les personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise ;
2) A l’unanimité,
Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.»
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M. le juge IWASAWA joint une déclaration à l’ordonnance.
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Annexe au résumé 2021/5
Déclaration de M. le juge Iwasawa
M. le juge Iwasawa fait observer que, conformément à l’article 4 de la CIEDR, il convient d’adopter les mesures destinées à éliminer l’incitation à la haine raciale en «tenant compte des principes formulés dans la déclaration universelle des droits de l’homme», notamment la liberté d’expression. L’exercice du droit à la liberté d’expression peut faire l’objet de certaines restrictions, qui ne sont toutefois autorisées que dans des conditions bien précises. Les mesures destinées à éliminer l’incitation à la haine raciale doivent satisfaire à ces conditions.
Les Parties à la présente affaire se sont, à deux reprises dans leur histoire récente, affrontées dans le cadre d’hostilités à grande échelle. M. le juge Iwasawa souligne que c’est dans ces circonstances que la Cour indique à l’Arménie de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’incitation et l’encouragement à la haine raciale contre les personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise.
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Résumé de l'ordonnance du 7 décembre 2021

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