DISCOURS DE MME LA JUGE JOAN E. DONOGHUE, PRÉSIDENTE DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, À L’OCCASION DE LA SOIXANTE-SEIZIÈME SESSION DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
Le 28 octobre 2021
Monsieur le président, Excellences, Mesdames et Messieurs les délégués,
C’est pour moi un honneur que de m’adresser à l’Assemblée générale, pour la première fois depuis le début de mon mandat de présidente de la Cour internationale de Justice, alors que l’Assemblée procède à l’examen du rapport annuel de la Cour. La Cour se félicite de perpétuer cette tradition déjà ancienne, qui lui permet d’informer chaque année les membres de l’Assemblée générale de son activité.
L’année dernière, les restrictions imposées par la pandémie de COVID-19 ont obligé mon prédécesseur, le juge Abdulqawi Yusuf, à s’exprimer devant l’Assemblée à distance depuis La Haye. Je suis heureuse de pouvoir le faire cette année en personne à New York.
Avant toute chose, je souhaite saisir cette occasion pour féliciter S. Exc. M. Abdulla Shahid de son élection à la présidence de la soixante-seizième session de votre auguste Assemblée et je lui adresse tous mes voeux de succès dans l’exercice de cette noble fonction.
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Monsieur le président,
Avant de commencer mon survol des activités récentes de la Cour, je tiens à rendre hommage, au nom des membres de la Cour, à notre éminent ami et confrère James Crawford, décédé le 31 mai de cette année. Le juge Crawford avait un caractère chaleureux et une grande générosité d’esprit, qui nous manquent profondément. A toutes les étapes d’une vie extraordinairement remplie, que ce soit lorsqu’il était jeune avocat et universitaire talentueux dans son Australie natale, puis en tant que professeur charismatique à l’université de Cambridge, membre éminent de la Commission du droit international, illustre conseil appelé à plaider devant notre Cour et enfin membre estimé de la Cour, le juge Crawford a apporté une contribution remarquable au droit international public. Sa disparition représente une grande perte.
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Monsieur le président,
Depuis le 1er août 2020, date du début de la période couverte par le rapport annuel de la Cour, le rôle de cette dernière est demeuré très fourni : 15 affaires contentieuses y sont actuellement inscrites, qui font intervenir des Etats de toutes les régions du monde et portent sur un large éventail de sujets, notamment la délimitation terrestre et maritime, le statut des cours d’eau internationaux et les réparations pour faits internationalement illicites, ainsi que sur des violations alléguées de traités bilatéraux et multilatéraux concernant, entre autres, les relations diplomatiques, l’élimination de la discrimination raciale, la prévention du génocide et la répression du financement du terrorisme.
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Si le rôle ne s’est pas étoffé en 2020, période qui a coïncidé avec les phases initiales de la pandémie de COVID-19, trois nouvelles affaires contentieuses, à ce jour, ont en revanche été portées devant la Cour en 2021. Une instance relative à des questions de délimitation terrestre et maritime et de souveraineté sur des îles a été introduite en mars 2021 par voie de compromis entre la République gabonaise et la République de Guinée équatoriale. En septembre 2021, une requête introductive d’instance a été déposée par l’Arménie contre l’Azerbaïdjan à raison de violations alléguées de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Une autre requête alléguant des violations de la même convention a été déposée par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie ce mois-ci.
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Monsieur le président, Excellences,
La période couverte par le dernier rapport annuel de la Cour s’est déroulée tout entière pendant la pandémie de COVID-19. Cela n’a pas empêché la Cour de tenir des audiences hybrides dans six affaires, notamment dans trois affaires pendant l’automne 2021, et de rendre cinq arrêts pendant cette période. Avant de revenir dans un instant plus en détail sur ces arrêts, je note que quatre affaires sont en cours de délibéré : une sur la question des réparations, c’est l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) ; une sur le fond, c’est l’affaire des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie); et deux sur des demandes en indication de mesures conservatoires, à savoir les deux affaires relatives à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan) et (Azerbaïdjan c. Arménie).
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Monsieur le président,
Ainsi qu’il est d’usage, je vais maintenant exposer succinctement la teneur des décisions que la Cour a rendues pendant la période considérée, en commençant par son arrêt du 11 décembre 2020 sur le fond en l’affaire des Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France). Cette instance a été introduite par la Guinée équatoriale le 13 juin 2016. L’arrêt sur le fond du 11 décembre 2020 porte sur un différend concernant le statut juridique d’un immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris. Le demandeur alléguait que l’immeuble en cause abritait les locaux de son ambassade et jouissait par conséquent de l’inviolabilité et des autres garanties énoncées à l’article 22 de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. Dans le cadre d’une enquête pénale, les autorités françaises avaient pris certaines mesures concernant cet immeuble, parmi lesquelles des perquisitions et la saisie de biens mobiliers. Selon la Guinée équatoriale, ces mesures constituaient autant de manquements aux obligations de l’Etat accréditaire découlant de la convention de Vienne. Dans son arrêt, la Cour a estimé que la convention de Vienne ne pouvait être interprétée comme autorisant un Etat accréditant à imposer unilatéralement son choix de locaux de la mission à l’Etat accréditaire lorsque ce dernier avait objecté à ce choix, dès lors que cette objection avait été communiquée en temps voulu et n’avait un caractère ni arbitraire ni discriminatoire. La Cour a dit que l’immeuble de l’avenue Foch à Paris n’avait jamais acquis le statut de locaux de la mission et que, par conséquent, la France n’avait pas manqué aux obligations qui lui incombaient au titre de l’article 22 de la convention de Vienne.
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Les questions que soulevait cette affaire relevaient de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques qui, comme vous le savez tous, fixe des règles concernant les missions diplomatiques et leur personnel dont on a pu dire qu’elles étaient au nombre des «règles les plus anciennement établies et les plus fondamentales du droit international». Dans son récent arrêt en l’affaire opposant la Guinée équatoriale à la France, la Cour a consciencieusement mis en regard les droits et obligations respectifs des Etats accréditant et accréditaire au titre de la convention, conformément à sa jurisprudence antérieure.
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Le 18 décembre 2020, la Cour a rendu son arrêt sur la compétence en l’affaire de la Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela). Dans cette affaire, le Guyana avait introduit contre le Venezuela une instance par laquelle il priait la Cour, entre autres demandes, de confirmer la validité de la sentence arbitrale rendue le 3 octobre 1899 et de la frontière fixée par ladite sentence. Il entendait fonder la compétence de la Cour sur une disposition de l’accord bilatéral signé en 1966 à Genève en vue de régler le différend frontalier entre les deux Etats, aux termes duquel, disait-il, les Parties avaient «convenu de conférer au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies le pouvoir de choisir le moyen de règlement du différend». Dans un mémorandum adressé à la Cour, le Venezuela a répondu qu’il estimait que celle-ci n’avait manifestement pas compétence pour connaître de l’affaire et qu’il ne prendrait pas part à l’instance. Le 30 juin 2020, la Cour a tenu une audience à laquelle seul le Guyana a comparu.
Le rôle joué par le Secrétaire général dans le processus long de plusieurs décennies qui a abouti à la saisine de la Cour constitue une caractéristique de cette affaire qui mérite d’être signalée. Après diverses tentatives de trouver une solution à leur différend par la négociation et les autres moyens de règlement pacifique prévus par l’accord de Genève, en 1983 les Parties s’en sont remises au Secrétaire général pour le choix du moyen de règlement. Au début de 1990, le Secrétaire général a choisi la procédure des bons offices comme moyen de règlement approprié. Cette procédure a été dirigée par des représentants personnels nommés par les Secrétaires généraux successifs pendant près de trois décennies. En janvier 2018, le Secrétaire général a déclaré qu’«aucun progrès significatif n’ayant été réalisé en vue d’un accord complet sur le règlement du différend», il avait «retenu la Cour internationale de Justice comme prochain moyen d’atteindre cet objectif».
Dans son arrêt du 18 décembre 2020 sur la compétence, la Cour a conclu qu’en signant l’accord de Genève, les deux Parties avaient conféré au Secrétaire général l’autorité de choisir, parmi les moyens de règlement des différends prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, le règlement judiciaire par la Cour internationale de Justice, qui est l’«organe judiciaire principal des Nations Unies» selon l’article 92 de la Charte. La Cour a décidé en conséquence que sa compétence était établie. Elle a conclu qu’elle avait été valablement saisie du différend par le dépôt de la requête du Guyana et qu’elle était compétente pour connaître des demandes du Guyana se rapportant à la validité de la sentence de 1899, ainsi qu’à la question connexe du règlement définitif du différend concernant la frontière terrestre entre les territoires respectifs des Parties. Elle a également conclu qu’elle n’était pas compétente pour connaître de certaines autres demandes du Guyana. L’affaire est maintenant passée au stade de l’examen au fond.
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Le 3 février 2021, la Cour a rendu son arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire relative à des Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique). Cette instance a été introduite par la République islamique d’Iran contre les Etats-Unis sur le fondement de la clause compromissoire d’un traité bilatéral, le traité d’amitié de 1955. Les demandes de l’Iran étaient axées sur la décision prise par les Etats-Unis, en mai 2018, de réimposer un certain nombre de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, des ressortissants iraniens et des sociétés iraniennes, ainsi que sur d’autres mesures restrictives annoncées par les Etats-Unis.
Les Etats-Unis ont soulevé cinq exceptions préliminaires dans cette affaire. Les deux premières se rapportent à la compétence ratione materiae de la Cour pour connaître de l’affaire sur le fondement du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié. Les Etats-Unis soutenaient que l’objet véritable de l’affaire était un différend relatif à l’application du plan d’action global commun, instrument qui était totalement distinct du traité d’amitié, et que la grande majorité des mesures contestées par l’Iran concernaient le commerce et les transactions entre l’Iran et des pays tiers, ou leurs sociétés et ressortissants, et n’entraient donc pas dans le champ d’application ratione materiae du traité d’amitié. La troisième exception soulevée par les Etats-Unis concernait la recevabilité de la requête de l’Iran au motif qu’elle procéderait d’un abus de procédure et poserait des questions d’opportunité judiciaire. Les quatrième et cinquième exceptions étaient fondées sur les alinéas b) et c) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, aux termes desquels ce traité n’empêche pas l’adoption de mesures concernant les substances fissiles ou nécessaires à la protection «des intérêts vitaux [de l’Etat concerné] sur le plan de la sécurité».
Le 3 février 2021, la Cour a rendu son arrêt sur les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis, qu’elle a toutes rejetées, déclarant qu’elle avait compétence, en vertu du traité bilatéral, pour connaître de la requête introduite par l’Iran et que ladite requête était recevable. L’affaire se trouve maintenant dans la phase du fond.
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Le 4 février 2021, la Cour a rendu son arrêt sur les exceptions préliminaires dans l’instance introduite par le Qatar contre les Emirats arabes unis et concernant l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Cette instance a été introduite sur le fondement de la clause compromissoire de ladite convention (que je désignerai également ci-après la «CIEDR»). Dans sa requête, le Qatar visait un certain nombre de mesures prises par les Emirats arabes unis le ou après le 5 juin 2017, parmi lesquelles la rupture de ses relations diplomatiques avec le Qatar, la fermeture de l’espace aérien et des ports émiriens aux «Qatariens», diverses dispositions concernant les médias qatariens et les expressions de soutien au Qatar, et diverses mesures qualifiées par le Qatar d’«interdiction d’entrée» faite aux ressortissants qatariens et de «décision d’expulsion» des résidents et visiteurs qatariens du territoire émirien. Le Qatar soutenait que ces mesures constituaient, de la part des Emirats arabes unis, des manquements aux obligations que la convention met à leur charge. Les Emirats arabes unis ont soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la requête. La Cour a dû résoudre une question centrale, qui était celle de savoir si l’expression «origine nationale» mentionnée dans la définition de la discrimination raciale figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR englobait la nationalité actuelle. Elle a conclu que tel n’était pas le cas, et que par conséquent les mesures fondées sur la nationalité actuelle de ses ressortissants dont le Qatar tirait grief en l’espèce n’entraient pas dans le champ d’application de la convention. Ayant par ailleurs relevé que la CIEDR concernait uniquement des individus ou des groupes d’individus, la Cour en a conclu que la demande du Qatar relative aux sociétés de médias qatariennes n’entrait pas dans le champ d’application de cet instrument. En ce qui concerne le grief de discrimination indirecte exposé
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par le Qatar, la Cour a conclu que les mesures en cause n’opéraient pas, par leur but ou par leur effet, une discrimination raciale au sens de la convention. L’affaire a donc été radiée du rôle de la Cour.
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Enfin, la Cour a récemment, le 12 octobre 2021, rendu son arrêt sur le fond en l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya). Cette instance avait été introduite en août 2014 par la Somalie, qui invoquait comme base de compétence les déclarations des deux Etats reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour. La Somalie priait la Cour de délimiter les espaces maritimes entre les deux pays, en demandant que la frontière maritime suive une ligne d’équidistance non ajustée traversant tous les espaces maritimes. De son côté, le Kenya soutenait qu’il existait déjà une délimitation convenue entre les Parties, la Somalie ayant acquiescé à une frontière suivant un parallèle.
La Somalie et le Kenya ont l’une et l’autre participé à deux tours de procédure écrite sur le fond. En outre, peu de temps avant le début de la procédure orale, le Kenya a produit de «nouveaux documents et éléments de preuve», dont plusieurs volumes d’annexes, ainsi qu’un document expliquant «la nature et la pertinence des éléments de preuve additionnels». La Cour a décidé d’autoriser la production de ces pièces, étant entendu que la Somalie aurait la possibilité de présenter des observations à leur égard au cours des audiences. Du 15 au 18 mars 2021, la Cour a tenu des audiences auxquelles seule la Somalie a participé.
Dans son arrêt d’octobre 2021, la Cour a conclu qu’il n’existait pas de frontière maritime convenue entre les deux pays. Elle s’est ensuite employée à délimiter la mer territoriale, la zone économique exclusive et le plateau continental, y compris le plateau continental au-delà de 200 milles marins. Dans son arrêt, elle a tracé la frontière maritime dans la mer territoriale en construisant la ligne médiane prévue à l’article 15 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Pour la zone économique exclusive et le plateau continental jusqu’à 200 milles marins, elle a suivi sa méthode habituelle en trois étapes : elle a établi une ligne d’équidistance provisoire, examiné s’il existait des circonstances pertinentes imposant d’ajuster cette ligne afin de parvenir à un résultat équitable, constaté qu’il convenait effectivement d’ajuster la ligne à cette fin, et vérifié que la frontière ainsi obtenue n’aboutissait pas à une disproportion marquée. Pour finir, la Cour, examinant une allégation formulée par la Somalie, a conclu que le Kenya n’avait pas manqué à ses obligations internationales à raison des activités maritimes auxquelles il s’était livré dans la zone litigieuse.
Cette affaire présentait un trait particulier, qui était que les deux Etats avaient demandé à la Cour de délimiter leur plateau continental au-delà de 200 milles marins. La Cour a observé que la Somalie et le Kenya avaient tous deux présenté à la Commission des limites du plateau continental la demande prévue au paragraphe 8 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Dans leurs demandes, les deux Etats avaient affirmé que, dans la plus grande partie de la zone de chevauchement de leurs revendications au-delà de 200 milles marins, leur plateau continental s’étendait sur une distance maximale de 350 milles marins. En outre, aucune des Parties ne conteste l’existence des droits de l’autre à un plateau continental au-delà de 200 milles marins ni l’étendue de cette revendication. La Cour a décidé de procéder à la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins et conclu que leur frontière maritime, après cette limite, se poursuit le long de la même ligne géodésique que leur frontière en deçà de 200 milles marins, jusqu’à ce qu’elle atteigne les limites extérieures du plateau continental de chacune des Parties, qui devront être tracées par la Somalie et le Kenya sur la base des recommandations formulées par la Commission des limites du plateau continental, ou jusqu’à ce qu’elle atteigne la zone où les droits d’Etats tiers sont susceptibles d’être affectés.
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Monsieur le président,
Avant de quitter le sujet des activités judiciaires de la Cour, je voudrais formuler quelques observations sur la manière dont celle-ci aborde les questions préliminaires de compétence et de recevabilité. Ayant siégé onze années à la Cour, je crois pouvoir témoigner du soin extrême avec lequel elle étudie la question de savoir si elle est compétente pour connaître d’une affaire donnée. Dans nombre des affaires qui lui sont soumises, cette question exige un examen attentif, comme le montrent les instances dont elle a eu à s’occuper pendant la période dont je traite.
Comme je l’ai dit, la Cour a, durant cette période, rendu trois arrêts sur la compétence et la recevabilité. Deux des affaires concernées sont passées à la phase du fond, tandis que la troisième a été radiée du rôle après que la Cour eut conclu qu’elle n’avait pas compétence pour connaître de la requête du demandeur. Dans chacune des deux autres affaires sur lesquelles la Cour a rendu un arrêt sur le fond, celui-ci avait été précédé d’un arrêt sur les exceptions préliminaires soulevées par le défendeur. Les questions de compétence sont tout aussi importantes dans les procédures faisant suite à une demande en indication de mesures conservatoires, sachant que, pour indiquer de telles mesures, la Cour doit avoir conclu que les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée.
Lorsqu’elle examine des questions de compétence, la Cour est pleinement consciente que son autorité dépend, entre autres facteurs, du respect absolu qu’elle témoigne pour les limites de sa compétence, puisque son Statut a fait du consentement la clef de voûte de son cadre juridictionnel. Son approche des questions de compétence sur le double plan de la procédure et du droit matériel reflète cette priorité. Cela ne l’empêche pas d’accorder toute l’attention qui leur est due aux considérations d’équité que font valoir les Etats demandeurs et à leur droit d’utiliser à leur avantage les mécanismes de règlement pacifique des différends internationaux, lorsque de tels mécanismes existent. S’il est vrai que les Etats défendeurs ne devraient pas être contraints de voir leurs différends internationaux examinés sur le fond lorsqu’il n’existe pas de base de compétence valable pour ce faire, la Cour est cependant tenue envers les Etats demandeurs d’examiner et de juger toutes les affaires pour lesquelles cette base de compétence existe.
Nous espérons que l’attention que la Cour porte à ces impératifs rivaux mais complémentaires et aux questions complexes de compétence que peuvent poser les instances dont elle est saisie, ainsi que la haute qualité de ses arrêts et le caractère équitable et transparent de ses procédures continueront de justifier et de renforcer la confiance que les Etats placent en elle.
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Monsieur le président,
J’évoquerai à présent quelques questions non judiciaires importantes sur lesquelles je voudrais appeler l’attention de l’Assemblée.
Pour commencer, je donnerai un bref aperçu des modifications apportées pendant la période considérée au Règlement de la Cour et à ses Instructions de procédure.
Premièrement, en décembre 2020, la Cour a ajouté un article 11 à la résolution visant sa pratique interne en matière judiciaire. Cet article offre à la Cour la possibilité de former une commission ad hoc composée de trois juges et chargée de l’aider à assurer le suivi de la mise en oeuvre des mesures qu’elle indique. La commission ad hoc a pour mandat d’examiner les
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renseignements fournis par les parties sur le sujet, de rendre compte périodiquement à la Cour et de lui faire des recommandations sur la suite à donner si nécessaire. Si l’adoption de l’article 11 de la résolution a permis de faire connaître l’existence de cette nouvelle procédure aux parties actuelles et futures devant la Cour ainsi qu’au grand public, la formation et le fonctionnement de la commission ad hoc continuent cependant de relever de la procédure interne de la Cour, à l’instar des autres modalités de ses délibérations internes évoquées dans d’autres articles de la même résolution.
La deuxième modification apportée aux textes régissant le fonctionnement de la Cour répond à une tendance croissante des Etats à joindre de volumineuses annexes à leurs pièces de procédure. Les équipes chargées de préparer le dossier d’une affaire croient peut-être assurer un avantage à la partie qu’elles représentent en produisant une documentation exhaustive en soutien à leurs plaidoiries devant la Cour. Mais, comme vous le savez tous, vous qui êtes familiers des travaux de l’Assemblée générale, des documents plus courts et plus concentrés sont souvent plus convaincants et plus efficaces qu’un vaste catalogue de documents plus ou moins pertinents et fiables. Un volume excessif de documents non seulement constitue un fardeau pour les juges, qui doivent rechercher les éléments pertinents dans de trop longues annexes, mais encore impose à la Cour des coûts considérables de traduction, de traitement et de reproduction. La Cour a donc, en janvier 2021, renforcé son instruction de procédure III, en plafonnant le nombre total de pages des annexes soumises par une partie à l’appui de ses écritures, à moins que la Cour ne décide, à la demande d’une partie, que les circonstances particulières d’une affaire justifient de dépasser le plafond.
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Je voudrais aussi faire le point sur les progrès accomplis concernant la création d’un fonds d’affectation spéciale au bénéfice du programme relatif aux Judicial Fellows de la Cour. Chaque année, dans le cadre de ce programme, les facultés de droit qui y participent proposent des candidats choisis parmi leurs étudiants récemment diplômés. Quinze de ces candidats sont retenus par la Cour et affectés à un juge pour une période d’environ dix mois. Une fois à la Cour, les Judicial Fellows assistent aux audiences publiques, procèdent à des recherches, rédigent des mémorandums sur des questions juridiques ou des aspects factuels des affaires pendantes et prennent part à d’autres travaux de la Cour. Jusqu’à présent, pour participer à ce programme de formation, chaque Judicial Fellow devait pouvoir compter sur le soutien financier de l’université qui le parrainait, laquelle devait accepter de financer son allocation de subsistance, son assurance santé et ses frais de voyage s’il était sélectionné. S’il est vrai que les universités des pays développés incluent parmi leurs candidats des étudiants venant de régions du monde sous-représentées, la Cour a, au fil des années, pris conscience de ce que le financement requis au titre du parrainage avait empêché des universités moins richement dotées, en particulier celles des pays en développement, de lui proposer des candidats.
Le fonds d’affectation spéciale pour le programme relatif aux Judicial Fellows de la Cour est une initiative lancée par mon prédécesseur qui répond au souci d’élargir et de diversifier les sources de candidatures et d’ouvrir l’accès à ce programme à de jeunes et brillants juristes issus de pays en développement et fréquentant des universités de ces pays. Dans le cadre de ce programme, le fonds d’affectation spéciale financera, à la place de l’université qui les envoie, la participation des candidats retenus. La Cour se réjouit vivement que l’Assemblée générale ait accordé un soutien sans réserve à cette initiative en adoptant, le 14 décembre 2020, sa résolution 75/129, par laquelle elle a prié le Secrétaire général de créer et d’administrer le fonds d’affectation spéciale. Celui-ci a été créé officiellement par le Secrétaire général le 16 avril 2021. Le Département de l’appui opérationnel a été chargé d’en assurer l’administration à titre principal, avec l’aide du Bureau de la gestion des programmes de développement des capacités du Département des affaires économiques et sociales. Il appartient maintenant aux Etats, institutions financières internationales, organismes donateurs, organisations intergouvernementales, organisations non gouvernementales et personnes physiques et morales de verser des contributions financières volontaires au fonds afin d’assurer le succès de ce
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dispositif. A ce sujet, j’ai le plaisir d’annoncer que des dons ont déjà été faits par un certain nombre d’Etats, et nous avons bon espoir que d’autres parties intéressées suivront leur exemple. A la lumière du versement de ces premières contributions, nous espérons que la prochaine promotion de Judicial Fellows du programme, qui commencera à l’automne 2022, comptera un ou plusieurs jeunes diplômés en droit admissibles aux bourses du fonds d’affectation spéciale.
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Monsieur le président, Excellences, Mesdames et Messieurs les délégués,
Quand j’ai été élue présidente de la Cour en février 2021, j’avais pleinement conscience de ce que le début de ma présidence coïnciderait avec une date d’importance historique pour notre institution. Le 19 avril 2021 a en effet marqué le soixante-quinzième anniversaire de la séance inaugurale de la Cour, tenue le 18 avril 1946 dans la grande salle de justice. La Cour avait initialement prévu de commémorer ce soixante-quinzième anniversaire lors d’une séance solennelle tenue au Palais de la Paix, en présence d’invités de marque. La pandémie l’a malheureusement contrainte à reporter cette commémoration jusqu’à ce qu’il soit possible de l’organiser dans des conditions convenables et en toute sécurité.
En attendant, la Cour a tiré tout le parti qu’elle pouvait des plates-formes virtuelles à sa disposition pour célébrer cet important anniversaire. Certains d’entre vous ont pu lire l’article que nous avons publié sur ce sujet dans Chronique de l’ONU, le magazine en ligne emblématique de l’Organisation. Nous avons, en avril également, diffusé sur notre site Internet une allocution vidéo, soulignant que les motivations des premiers partisans d’une cour internationale permanente sont toujours celles qui nous animent aujourd’hui, à savoir la volonté de promouvoir et de renforcer le règlement pacifique des différends. La nature de ces différends et le corpus de droit international que nous appliquons pour les régler peuvent certes évoluer et se transformer au fil des années, mais, comme le montre la jurisprudence de la Cour, la communauté internationale peut compter sur l’organe judiciaire principal de l’ONU pour rendre des arrêts et donner des avis consultatifs impartiaux et qui font autorité, et ceci dans tous les domaines du droit international. Parmi les autres initiatives visant à stimuler l’intérêt du public pour le soixante-quinzième anniversaire de la Cour, je citerai la fonction de visite guidée virtuelle du Palais de la Paix dont s’est enrichi son site Internet, ainsi qu’une nouvelle vidéo institutionnelle qui y a été ajoutée pour présenter les activités et le rôle de la Cour. Et pour finir sur ce chapitre, notre Greffe a parachevé l’élaboration d’un livre consacré aux travaux et aux réalisations de la «Cour mondiale». Cet ouvrage illustré, qui sera publié d’ici la fin de l’année, a été rédigé à l’intention du grand public afin de faire connaître la mission de la Cour et de répondre aux questions les plus fréquentes sur ses procédures et ses activités.
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Monsieur le président,
Pendant l’année écoulée, à l’instar de l’Assemblée générale et de presque toutes les autres institutions internationales et nationales, la Cour a dû composer avec les effets persistants de la pandémie de COVID-19. Au début de la pandémie, c’est-à-dire au printemps 2020, elle a reporté brièvement quelques audiences tout en adaptant ses méthodes de travail à cette crise sanitaire sans précédent. Comme l’a expliqué mon prédécesseur dans son discours de l’année dernière à l’Assemblée, la Cour a réagi très promptement à cette nouvelle situation, si bien que ses séances
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publiques, délibérations et autres séances privées se sont, dans une large mesure, tenues sous forme hybride. Le Règlement de la Cour a en outre été modifié en juin 2020 afin de préciser que, lorsque des raisons sanitaires, des motifs de sécurité ou d’autres motifs impérieux l’exigent, celle-ci peut décider de tenir tout ou partie de ses audiences par liaison vidéo.
Pour assurer le bon déroulement, dans les deux langues officielles de la Cour, de ces audiences hybrides qui comptent des participants situés dans toutes les régions du monde, des essais techniques complets sont toujours effectués à l’avance avec les parties, notamment pour tester les systèmes d’interprétation et d’affichage d’éléments venant étayer les arguments, tels que des cartes géographiques. Les parties ont la possibilité de dépêcher un certain nombre de représentants autorisés à participer aux audiences dans la grande salle de justice, en respectant les distances de sécurité, tandis que les autres membres de leur délégation peuvent suivre les plaidoiries par liaison vidéo dans une autre salle du Palais de la Paix.
Si les Etats peuvent être assurés que la Cour continuera de remplir sa mission en utilisant tous les moyens dont elle dispose, y compris les moyens techniques les plus modernes, c’est toutefois avec un grand soulagement que celle-ci observe le début d’un retour progressif de la situation sanitaire mondiale à la normale. La Cour a hâte de retrouver, dès que la pandémie le permettra, le format traditionnel de ses travaux. Après avoir siégé pendant onze années à la Cour, je ne saurais trop souligner à quel point il importe que ses audiences se déroulent dans le cadre officiel et solennel de la grande salle de Justice du Palais de la Paix, en présence des parties et du public.
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Ces quelques mots que je viens de dire sur l’importance de la grande salle de Justice m’amènent à mon dernier sujet, le projet de rénovation du Palais de la Paix, dont il est question depuis plusieurs années déjà. Le Gouvernement néerlandais a déterminé que ce bâtiment emblématique de La Haye où la Cour et sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale, ont le privilège de siéger depuis près de cent ans, a besoin de réparations, et notamment de travaux de désamiantage de certaines de ses parties. Pendant l’année écoulée, les consultations se sont poursuivies entre, d’une part, le greffier et le président de la Cour mon prédécesseur d’abord, puis moi-même et, d’autre part, le ministère néerlandais des affaires étrangères pour savoir quelles dispositions le pays hôte a l’intention de prendre au sujet de la rénovation et du déménagement au moins partiel de la Cour et de son Greffe. Pendant ces consultations, la Cour a fait savoir qu’elle aurait besoin, pour préparer son déménagement, d’un préavis de deux ans à compter de la date à laquelle des arrangements concrets auront été convenus, tout en insistant sur la nécessité que les travaux de rénovation soient organisés et exécutés d’une façon perturbant le moins possible le déroulement de ses activités judiciaires. La Cour a également souligné l’importance pour elle de se réinstaller dans le Palais de la Paix dans les meilleurs délais après la rénovation, compte tenu des liens étroits que son histoire, son image et son identité entretiennent avec ce monument au service de la paix.
Comme il est dit dans le rapport annuel de la Cour, de nombreuses incertitudes demeurent sur la portée et l’ampleur du déménagement envisagé, ainsi que sur son calendrier. C’est pourquoi, lorsqu’elle a préparé son projet de budget pour 2022, la Cour a considéré qu’il serait prématuré d’y inclure des demandes de crédits spécifiques pour le futur déménagement, au lieu de quoi elle a demandé des crédits pour deux postes d’assistance temporaire destinés à apporter un appui technique au Greffe pendant la phase de préparation du déménagement.
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Je suis reconnaissante à notre pays hôte de l’esprit constructif avec lequel il s’est engagé dans ces consultations. La Cour attend avec intérêt que les autorités néerlandaises lui communiquent des informations plus détaillées sur la portée, les modalités et le calendrier de la rénovation et sur les incidences de ce projet sur ses travaux. Elle a bon espoir que ses préoccupations recevront toute l’attention voulue avant qu’une décision définitive ne soit prise sur ces questions.
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Monsieur le président, Excellences, Mesdames et Messieurs les délégués,
Je vous remercie de m’avoir offert cette occasion de m’adresser à vous aujourd’hui et présente à l’Assemblée générale tous mes voeux de succès pour cette soixante-seizième session.
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Discours de Mme la juge Joan Donoghue, présidente de la Cour internationale de Justice, à l'occasion de la soixante-seizième session de l’Assemblée générale des Nations Unies