Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE DES ACTIVITÉS ARMÉES SUR LE TERRITOIRE DU CONGO
(RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO C. OUGANDA)
CONTRE-MÉMOIRE DE L’OUGANDA QUESTION DES RÉPARATIONS
6 février 2018
[Traduction du Greffe]
TABLES DES MATIÈRES
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CHAPITRE 1 — INTRODUCTION .......................................................................................................... 1
I. L’arrêt de 2005 ...................................................................................................................... 1
II. Les efforts déployés après le prononcé de l’arrêt pour régler la question des réparations ............................................................................................................................. 4
III. Les réparations de guerre dans une perspective historique et économique ........................... 5
IV. Plan du contre-mémoire ...................................................................................................... 10
CHAPITRE 2 — LE CONTEXTE ET LA PORTÉE DE L’INTERVENTION DE L’OUGANDA ....................... 14
I. Le contexte historique du conflit déclenché en 1998 .......................................................... 15
A. La colonisation et la création de conflits ethniques et territoriaux ................................. 15
B. Le régime autoritaire et le déclin économique après l’accession à l’indépendance ....... 17
C. La montée des tensions ethniques au cours des années 1990 ......................................... 23
D. L’incidence des guerres civiles dans la région ............................................................... 23
II. Le rôle de l’Ouganda dans le conflit de 1998 ...................................................................... 25
A. Les parties au conflit ...................................................................................................... 25
B. Le rôle de l’Ouganda en Ituri ......................................................................................... 28
C. La situation d’après-guerre............................................................................................. 31
CHAPITRE 3 — LES FAILLES SYSTÉMATIQUES VICIANT LA DÉMARCHE DE LA RDC EN MATIÈRE D’ADMINISTRATION DE LA PREUVE ........................................................................ 34
I. C’est à la RDC qu’incombe la charge de la preuve ............................................................. 37
II. Pour s’acquitter de la charge lui incombant, la RDC doit présenter des éléments convaincants prouvant l’existence d’un préjudice susceptible d’évaluation financière avec un degré élevé de certitude .......................................................................................... 39
A. La nécessité de présenter des éléments convaincants apportant, avec un degré élevé de certitude, la preuve d’un préjudice spécifique ................................................. 40
B. L’exigence selon laquelle le dommage doit être susceptible d’évaluation financière ........................................................................................................................ 45
C. La distinction existant entre la procédure traditionnelle de règlement des réclamations interétatiques et les techniques spécialisées des organes modernes chargés de connaître d’actions collectives ..................................................................... 46
III. Les éléments de preuve invoqués par la RDC présentent des failles fondamentales et ne sont pas convaincants ..................................................................................................... 48
A. La RDC omet systématiquement de présenter des éléments de preuve concernant les dommages particuliers qu’elle impute à l’Ouganda et leur évaluation ..................... 48
B. La RDC omet systématiquement de présenter des éléments de preuve en rapport avec les assertions contenues dans son mémoire ou étayant celles-ci ............................ 51
C. Les failles que présentent les principaux types d’informations générales soumises par la RDC...................................................................................................................... 51
1. Les rapports de l’Organisation des Nations Unies ...................................................... 53
2. Les rapports des organisations non gouvernementales ............................................... 59
- ii -
3. Les éléments collectés par la RDC pour les besoins de la cause ................................ 61
CHAPITRE 4 — LES FAILLES SYSTÉMATIQUES DANS L’INTERPRÉTATION QUE LA RDC DONNE DU DROIT ................................................................................................................................ 66
I. La RDC ne s’acquitte pas de l’obligation de prouver la matérialité d’actions spécifiques imputables à l’Ouganda et l’existence d’un lien de causalité entre celles-ci et les dommages allégués ...................................................................................... 66
A. La RDC doit prouver la matérialité des actions spécifiques de l’Ouganda relevant des conclusions générales énoncées dans l’arrêt de 2005 .............................................. 66
B. La RDC doit également établir un lien de causalité entre chaque action spécifique de l’Ouganda et le dommage allégué ............................................................................. 69
1. La condition de l’existence d’un lien de causalité direct et certain ............................ 69
2. La condition de l’existence d’un lien de causalité s’applique en cas de manquement à l’obligation de faire preuve de la diligence requise............................ 72
3. La condition de l’existence d’un lien de causalité s’applique également en cas de manquement aux principes de non-recours à la force et de non-intervention ........ 73
C. Dans son mémoire, la RDC ne prouve ni la matérialité d’actions spécifiques de l’Ouganda relevant des conclusions générales de la Cour ni l’existence du lien de causalité requis ............................................................................................................... 74
D. L’approche qu’il convient d’adopter en matière d’attribution et de causalité ................ 76
1. Les actes des forces militaires ougandaises à l’origine d’un préjudice direct ............ 77
2. Le soutien apporté par l’Ouganda aux groupes rebelles ............................................. 77
3. Les manquements de l’Ouganda à son obligation de faire preuve de la diligence requise ......................................................................................................................... 78
4. Les violations par l’Ouganda des normes relatives à l’emploi de la force et à la non-intervention .......................................................................................................... 79
II. La RDC attend en substance de la Cour qu’elle tranche la question de la réparation ex aequo et bono, ce que la Cour ne peut pas faire ............................................................. 80
A. La RDC méconnaît le droit international en matière de réparations dans le contexte des réclamations interétatiques ........................................................................ 80
B. La RDC s’appuie systématiquement, pour justifier ses demandes, sur des pourcentages, déductions ou multiplicateurs inexpliqués présentés comme «raisonnables» ou «équitables» ...................................................................................... 86
C. La Cour n’a pas la faculté de statuer ex aequo et bono sur la présente affaire............... 88
III. La RDC demande en substance à la Cour d’obliger l’Ouganda à verser des dommages-intérêts punitifs, ce que la Cour ne peut pas faire ............................................. 89
IV. La RDC ne saurait obtenir une indemnité supérieure à la capacité de paiement de l’Ouganda ............................................................................................................................ 92
CHAPITRE 5 — LES DEMANDES DE LA RDC EN RELATION AVEC DES PERTES EN VIES HUMAINES PRÉSENTENT DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES ET NE SONT PAS ÉTAYÉES ......... 95
I. Les demandes de la RDC ne reposent pas sur la méthode ou les éléments de preuve habituellement employés pour établir la matérialité de décès et la valeur de vies perdues ................................................................................................................................ 96
II. La RDC n’a pas apporté la preuve de l’ampleur du préjudice qu’elle affirme avoir subi en relation avec les pertes en vies humaines alléguées ................................................ 98
- iii -
A. L’assertion de la RDC selon laquelle l’Ouganda aurait causé 182 000 décès en RDC relève de la spéculation et est dénuée de fondement ............................................. 99
1. La RDC se fonde à tort sur les enquêtes de mortalité rétrospectives de l’IRC ......... 100
2. L’allégation de la RDC selon laquelle l’Ouganda serait responsable de 45 % des décès qui se seraient produits sur l’ensemble de son territoire est totalement arbitraire.................................................................................................................... 107
3. D’autres sources, notamment les propres «éléments de preuve» de la RDC, mettent à mal les allégations de celle-ci concernant le nombre de décès causés sur son territoire ........................................................................................................ 108
B. Les failles que présentent les demandes de la RDC ressortent de manière flagrante de la ventilation du nombre de décès par région que celle-ci avance ........... 113
1. Lieux autres que l’Ituri et Kisangani ........................................................................ 114
2. Ituri ........................................................................................................................... 116
3. Kisangani .................................................................................................................. 119
4. Soldats congolais ...................................................................................................... 124
III. L’évaluation du préjudice lié aux pertes en vies humaines avancée par la RDC présente des failles méthodologiques ................................................................................ 125
CHAPITRE 6 — LES DEMANDES DE LA RDC EN RELATION AVEC DES DOMMAGES AUX PERSONNES AUTRES QUE LES PERTES EN VIES HUMAINES PRÉSENTENT DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES ET NE SONT PAS ÉTAYÉES ................................................................... 133
I. Les demandes de la RDC ne reposent pas sur les méthodes ou les éléments de preuve habituellement employés pour établir le bien-fondé d’une demande d’indemnisation au titre de dommages aux personnes ................................................................................. 133
II. La RDC n’a pas apporté la preuve de l’ampleur des dommages aux personnes qui résulteraient d’actions spécifiques de l’Ouganda .............................................................. 136
A. La RDC n’a pas apporté la preuve du nombre, de la nature et de l’ampleur des préjudices corporels qui résulteraient d’actions spécifiques de l’Ouganda .................. 137
1. Ituri ........................................................................................................................... 138
2. Kisangani .................................................................................................................. 142
3. Autres lieux (Beni, Butembo et Gemena) ................................................................. 145
B. La RDC n’a pas apporté la preuve de cas de violences sexuelles qui résulteraient d’actions spécifiques de l’Ouganda .............................................................................. 146
C. La RDC n’a pas apporté la preuve d’un préjudice, s’agissant des enfants-soldats, qui résulterait d’actions spécifiques de l’Ouganda ....................................................... 152
D. La RDC n’a pas apporté la preuve d’un préjudice, s’agissant des déplacements de populations, qui résulterait d’actions spécifiques de l’Ouganda .................................. 155
1. Ituri ........................................................................................................................... 155
2. Kisangani .................................................................................................................. 156
3. Autres lieux (Beni, Butembo et Gemena) ................................................................. 157
III. L’évaluation que fait la RDC des dommages aux personnes présente des failles méthodologiques ............................................................................................................... 157
A. L’évaluation par la RDC des dommages aux personnes .............................................. 158
1. Les préjudices corporels ........................................................................................... 158
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2. Les violences sexuelles ............................................................................................. 159
3. Les enfants-soldats ................................................................................................... 160
4. Les déplacements ...................................................................................................... 160
B. L’évaluation par la RDC des dommages aux personnes n’est pas étayée et présente des failles méthodologiques ........................................................................... 161
CHAPITRE 7 — LES DEMANDES DE LA RDC EN RELATION AVEC DES DOMMAGES MATÉRIELS PRÉSENTENT DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES ET NE SONT PAS ÉTAYÉES ......................... 164
I. Les demandes de la RDC ne reposent pas sur la méthode ou les éléments de preuve habituellement employés pour établir l’existence de dommages matériels et le bien-fondé de leur évaluation .................................................................................................... 165
II. La RDC n’a pas apporté la preuve de l’ampleur des dommages matériels qu’elle invoque, et l’évaluation qu’elle en donne présente des failles méthodologiques .............. 166
A. Ituri ............................................................................................................................... 168
1. Habitations ................................................................................................................ 168
2. Infrastructures ........................................................................................................... 172
3. Biens meubles ........................................................................................................... 174
B. Kisangani ...................................................................................................................... 176
1. Habitations ................................................................................................................ 177
2. Biens meubles ........................................................................................................... 179
3. Infrastructures d’enseignement et de soins ............................................................... 181
4. Lieux de culte ........................................................................................................... 183
5. Entreprises publiques ................................................................................................ 184
6. Entreprises privées .................................................................................................... 190
C. Lieux autres que l’Ituri et Kisangani (Beni, Butembo et Gemena) .............................. 193
D. L’armée congolaise ...................................................................................................... 195
CHAPITRE 8 — LES DEMANDES DE LA RDC RELATIVES AUX RESSOURCES NATURELLES PRÉSENTENT DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES ET NE SONT PAS ÉTAYÉES ......................... 201
I. La RDC ne fonde pas ses demandes sur les méthodes habituellement employées pour établir l’existence et le coût de dommages tels que ceux qu’elle allègue ......................... 201
II. La RDC n’a pas apporté la preuve de l’ampleur des dommages liés aux ressources naturelles qu’elle invoque, et l’évaluation qu’elle en donne présente des failles méthodologiques ............................................................................................................... 205
A. Les ressources minières ................................................................................................ 206
1. La RDC n’a pas apporté la preuve de l’existence des dommages allégués en ce qui concerne les ressources minières ........................................................................ 206
2. L’évaluation que fait la RDC des dommages allégués présente des failles méthodologiques ....................................................................................................... 228
B. La faune ........................................................................................................................ 229
1. La RDC n’a pas apporté la preuve de l’existence du préjudice que l’Ouganda aurait causé à sa faune .............................................................................................. 230
2. L’évaluation que fait la RDC des dommages allégués présente des failles méthodologiques ....................................................................................................... 239
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C. La déforestation ............................................................................................................ 243
1. La RDC n’a pas apporté la preuve d’un quelconque acte spécifique imputable à l’Ouganda qui aurait entraîné une déforestation de son territoire............................. 243
2. L’évaluation que fait la RDC des dommages allégués présente des failles méthodologiques ....................................................................................................... 249
CHAPITRE 9 — LE PRÉJUDICE MACROÉCONOMIQUE ..................................................................... 251
I. Les demandes relatives à un préjudice macroéconomique telles que celle de la RDC ont été uniformément rejetées dans la pratique et dans la jurisprudence .......................... 251
II. Le préjudice macroéconomique relève de la spéculation et le lien de causalité est trop ténu ............................................................................................................................. 254
III. Le préjudice macroéconomique ne constitue pas un manque à gagner (lucrum cessans) ............................................................................................................................. 255
IV. La demande présentée par la RDC au titre d’un préjudice macroéconomique est incompatible avec l’arrêt de 2005 ..................................................................................... 256
A. La demande au titre d’un préjudice macroéconomique ne satisfait pas à l’exigence de l’arrêt de 2005 relative au «préjudice exact» ......................................... 257
B. La demande de la RDC au titre d’un préjudice macroéconomique ne tient pas compte de l’exigence selon laquelle ce préjudice doit être «le fait» d’«actions spécifiques» de l’Ouganda ............................................................................................................................. 258
C. La demande de la RDC au titre d’un préjudice macroéconomique suppose que l’Ouganda soit responsable d’une «guerre d’agression», ce qu’il n’est pas ................. 259
V. La demande de la RDC au titre d’un préjudice macroéconomique présente en tout état de cause des failles sur les plans économique et méthodologique.............................. 260
CHAPITRE 10 — LA RDC NE SAURAIT PRÉTENDRE AUX AUTRES RÉPARATIONS QU’ELLE SOLLICITE ............................................................................................................................. 264
I. La RDC ne peut prétendre qu’à des intérêts simples calculés à compter de la date de l’arrêt prescrivant le versement d’une indemnisation ........................................................ 264
II. La RDC ne peut prétendre à la satisfaction qu’elle réclame en sus................................... 270
A. Satisfaction sous forme d’une obligation de conduire des enquêtes et de mener des poursuites pénales à l’encontre d’officiers et de soldats des UPDF ...................... 271
B. Satisfaction sous forme d’une obligation de paiement de 125 millions de dollars au titre de dommages immatériels ................................................................................ 273
III. La RDC ne peut prétendre au remboursement de ses frais de procédure, y compris les honoraires de ses conseils ............................................................................................ 276
Conclusions .................................................................................................................................... 278
Certification .................................................................................................................................... 279
Liste des acronymes ....................................................................................................................... 280
Liste des annexes ............................................................................................................................ 282
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1.1. Conformément à l’ordonnance de la Cour en date du 6 décembre 2016 fixant au 6 février 2018 la date d’expiration du délai à cet effet, l’Ouganda soumet respectueusement le présent contre-mémoire, en réponse au mémoire portant sur la question des réparations présenté en septembre 2016 par la République démocratique du Congo (RDC).
I. L’ARRÊT DE 2005
1.2. La RDC avait introduit la présente instance par une requête en date du 23 juin 1999, formulant un certain nombre de griefs contre l’Ouganda découlant de la présence et des activités de celui-ci sur le territoire congolais. Dans son contre-mémoire consacré au fond en date du 21 avril 2001, l’Ouganda a répondu aux allégations de cet ordre et présenté des demandes reconventionnelles portant notamment sur des mauvais traitements infligés par la RDC à des diplomates et autres ressortissants ougandais, et sur le manquement par la RDC aux obligations internationales qui lui incombaient à l’égard de la mission diplomatique ougandaise à Kinshasa. La Cour a ensuite autorisé un second tour d’écritures.
1.3. A l’issue de la procédure écrite, la Cour a, en avril 2005, tenu des audiences consacrées à l’examen des demandes de la RDC et des demandes reconventionnelles de l’Ouganda. Dans l’arrêt au fond qu’elle a rendu le 19 décembre 2005 (ci-après «l’arrêt de 2005»), elle a estimé que les deux Parties étaient tenues, l’une envers l’autre, de réparer le préjudice causé par leurs faits internationalement illicites.
1.4. Dans le dispositif de l’arrêt de 2005, la Cour a notamment — aux fins qui nous occupent dans le présent contre-mémoire, conclu que l’Ouganda :
1) «en se livrant à des actions militaires à l’encontre de la République démocratique du Congo sur le territoire de celle-ci, en occupant l’Ituri et en soutenant activement, sur les plans militaire, logistique, économique et financier, des forces irrégulières qui opéraient sur le territoire congolais, a violé le principe du non-recours à la force dans les relations internationales et le principe de non-intervention ;»1
2) «par le comportement de ses forces armées, qui ont commis des meurtres et des actes de torture et autres formes de traitement inhumain à l’encontre de la population civile congolaise, ont détruit des villages et des bâtiments civils, ont manqué d’établir une distinction entre cibles civiles et cibles militaires et de protéger la population civile lors d’affrontements avec d’autres combattants, ont entraîné des enfants-soldats, ont incité au conflit ethnique et ont manqué de prendre des mesures visant à y mettre un terme, et pour n’avoir pas, en tant que puissance occupante, pris de mesures visant à respecter et à faire respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire dans le district de
1 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005 (ci-après «Activités armées (2005)»), par. 345, point 1 du dispositif.
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l’Ituri, … a violé les obligations lui incombant en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire ;»2
3) «par les actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles congolaises commis par des membres des forces armées ougandaises sur le territoire de la République démocratique du Congo, et par son manquement aux obligations lui incombant, en tant que puissance occupante dans le district de l’Ituri, d’empêcher les actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles congolaises, … a violé les obligations qui sont les siennes, en vertu du droit international, envers la République démocratique du Congo ;»3 et
4) «a l’obligation, envers la République démocratique du Congo, de réparer le préjudice causé»4.
1.5. D’emblée, l’Ouganda tient à préciser clairement qu’il regrette les souffrances humaines infligées en RDC durant les temps troublés auxquels renvoie la présente instance, et se réjouit d’avoir renoué avec son voisin, dans un esprit de fraternité africaine, des relations amicales qui sont appelées à se renforcer.
1.6. Compte tenu des demandes de réparation avancées par la RDC dans son mémoire, l’Ouganda estime également nécessaire de relever que la Cour a circonscrit, à d’importants égards, les conclusions qu’elle a formulées dans son arrêt de 2005.
Premièrement, elle a expressément limité la portée de ses conclusions ratione temporis à la période allant du 7 août 1998 (date du début de l’intervention de l’Ouganda) au 2 juin 2003 (date du retrait de l’Ouganda du territoire congolais)5 ;
deuxièmement, elle s’est expressément refusée à attribuer à l’Ouganda les actes commis par le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba6, ou de tout autre groupe rebelle sévissant en RDC ;
troisièmement, si elle a jugé l’Ouganda responsable d’avoir manqué de prendre des mesures visant à faire respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire en Ituri, la Cour n’a pas estimé que sa responsabilité était directement engagée à raison d’actes commis par des tiers ;
quatrièmement, si elle a jugé l’Ouganda responsable d’actes constitutifs d’une exploitation des ressources naturelles congolaises commis par des membres de son armée, la Cour s’est refusée à conclure qu’il existait une «politique gouvernementale de l’Ouganda visant à l’exploitation de ressources naturelles de la RDC, ou que cet Etat ait entrepris son intervention militaire dans le dessein d’obtenir un accès aux ressources congolaises»7 ;
cinquièmement, si elle a jugé l’Ouganda responsable d’avoir manqué aux obligations lui incombant, en tant que puissance occupante dans le district de l’Ituri, d’empêcher les actes de
2 Activités armées (2005), par. 345, point 3 du dispositif.
3 Ibid., par. 345, point 4 du dispositif.
4 Ibid., par. 345, point 5 du dispositif.
5 Ibid., par. 149, 264.
6 Ibid., par. 161.
7 Ibid., par. 242.
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tiers constitutifs d’exploitation des ressources naturelles congolaises, la Cour n’a pas considéré que sa responsabilité était directement engagée à raison de ces actes ;8 et
sixièmement, elle s’est refusée à juger l’Ouganda ne serait-ce qu’indirectement responsable d’actes constitutifs d’exploitation des ressources naturelles commis par des groupes rebelles en dehors de l’Ituri9.
1.7. L’Ouganda insiste sur ces aspects car, ainsi qu’il sera montré dans les chapitres suivants, la RDC formule, dans son mémoire, un certain nombre de demandes qui vont, totalement ou partiellement, au-delà des limites ratione materiae, ratione temporis, ratione loci et ratione personae établies dans l’arrêt de 2005. Ainsi, en ce qui concerne les demandes ayant trait aux pertes en vies humaines, la RDC postule (à tort) que l’Ouganda porte la responsabilité de tous les meurtres commis par d’autres sur le territoire congolais durant le conflit, où et à quelque moment qu’ils l’aient été. L’Ouganda affirme respectueusement qu’il n’est pas plus loisible à la RDC de faire abstraction des limites indispensables fixées par la Cour dans son arrêt de 2005 qu’à lui-même de rejeter ce que celle-ci a effectivement décidé. Au même titre que l’arrêt, les limites que celui-ci impose sont revêtues de l’autorité de la chose jugée.
1.8. Non moins important est ce que la Cour a clairement indiqué être ses exigences, au présent stade des réparations, quant à la preuve que devrait apporter la RDC pour étayer ses demandes. En particulier, au paragraphe 260 de l’arrêt de 2005, elle a déclaré ce qui suit :
«La Cour juge par ailleurs appropriée la demande de la RDC tendant à ce que la nature, les formes et le montant de la réparation qui lui est due soient, à défaut d’accord entre les Parties, déterminés par la Cour dans une phase ultérieure de la procédure. La RDC aurait ainsi l’occasion de démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable.»10
1.9. Il sera montré au chapitre 3 que cette obligation d’1) apporter la preuve 2) du préjudice exact subi 3) en conséquence de 4) faits illicites spécifiques s’inscrit pleinement dans la logique de la jurisprudence de la Cour en matière de réparations et de la pratique internationale de façon plus générale. Dans son mémoire, à propos des réparations sollicitées au titre de ses demandes reconventionnelles, l’Ouganda s’est astreint à se conformer à ces exigences strictes. Lorsqu’il s’en est estimé incapable, il a renoncé à demander réparation au-delà de la satisfaction déjà offerte par l’arrêt de 200511.
1.10. En revanche, les demandes présentées par la RDC dans son mémoire ne remplissent aucune des exigences en matière de preuve spécifiées. Nous démontrerons que, pour l’essentiel, la RDC s’abstient d’apporter la preuve spécifique que la Cour a déclarée nécessaire, n’avançant que des demandes on ne peut plus générales et de nature spéculative.
1.11. Pour reprendre l’exemple des demandes qu’elle formule au titre des pertes en vies humaines qu’elle allègue, la RDC, loin d’apporter, dans son mémoire, la moindre preuve
8 Activités armées (2005), par. 345, point 4 du dispositif.
9 Ibid., par. 247.
10 Ibid., par. 260 (les italiques sont de nous).
11 Voir, par exemple, mémoire de l’Ouganda (ci-après «MO»), par. 3.33.
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spécifique, fonde principalement ses revendications sur des études épidémiologiques très critiquées prétendant quantifier le surnombre de décès, toutes causes confondues, qu’a connu la RDC pendant et après le conflit. Les importantes failles que présentent ces études seront exposées au chapitre 5. Pour l’heure, il suffira de relever que la RDC néglige fondamentalement d’apporter la preuve que tels décès précis se sont produits à tels endroits précis à tels moments précis, en conséquence de tels faits internationalement illicites précis commis par l’Ouganda relevant des catégories générales spécifiées par la Cour en 2005. Au lieu de cela, la RDC adopte une démarche en totale rupture avec celle dont la Cour avait pourtant affirmé qu’elle serait requise, en matière de preuve, au présent stade des réparations.
1.12. Faute de prendre au sérieux l’obligation d’étayer ses demandes, la RDC avance des chiffres imaginaires, caractérisés par des «pourcentages», «clés de répartition» et «multiplicateurs» sortis de son imagination, ce qui l’amène à réclamer, à titre d’indemnités, un montant véritablement faramineux : quelque 13,5 milliards de dollars des Etats-Unis (ci-après «dollars»). Un Etat demandeur est toujours censé présenter des éléments prouvant avec un degré élevé de certitude le bien-fondé de ses demandes d’indemnisation, mais il l’est plus encore lorsque les sommes réclamées sont aussi manifestement exorbitantes. Or la RDC ne présente absolument rien de tel dans son mémoire.
1.13. Il apparaît de surcroît clairement en divers points de ce mémoire que la RDC elle-même ne prend guère au sérieux ses propres méthodes, ce qui l’amène à inviter la Cour à déterminer elle-même les montants qu’elle estimerait «raisonnables» ou «équitables», voire à fixer «une somme forfaitaire». Globalement, la demande de la RDC n’est pas fondée en droit ; elle vise soit à ce que la Cour statue sur la question des réparations ex aequo et bono soit à ce qu’elle impose à l’Ouganda des dommages-intérêts punitifs sans lien aucun avec le préjudice effectivement subi.
1.14. L’Ouganda a conscience de la portée des conclusions auxquelles la Cour a abouti dans son arrêt de 2005. La solennité même de ces constats montre que la Cour a, de fait, déjà attribué à la RDC une importante réparation sous forme de satisfaction.
1.15. La Cour a certes déclaré dans son arrêt de 2005 que l’Ouganda était tenu de réparer le préjudice causé. Mais cette obligation est expressément conditionnée à celle imposée à la RDC par la Cour d’apporter la preuve du préjudice exact subi en conséquence de faits illicites spécifiques de l’Ouganda. Comme cela sera démontré dans les chapitres suivants, la RDC, bien qu’elle ait disposé de onze années pour le faire, n’a pas apporté cette preuve. Aucun fondement juridique ne permet dès lors à la Cour de lui adjuger les indemnités, et encore moins le montant manifestement excessif, qu’elle demande.
II. LES EFFORTS DÉPLOYÉS APRÈS LE PRONONCÉ DE L’ARRÊT POUR RÉGLER LA QUESTION DES RÉPARATIONS
1.16. Dans son mémoire sur les réparations, l’Ouganda rappelle les efforts déployés par les Parties pour régler cette question par voie de négociations directes12. Il s’abstiendra donc de les récapituler, mais estime significatif que, quand il lui a fallu énoncer sa demande devant la Cour, la RDC a ramené à quelque 13,5 milliards de dollars le montant des indemnités réclamées, fixé à 23,5 milliards pendant les négociations, soit une baisse de plus de 40 %. Une réduction aussi drastique confirme que les chiffres qu’elle avance relèvent de considérations stratégiques, et non factuelles.
12 MO, par. 1.16-1.52.
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1.17. L’Ouganda a également indiqué dans son mémoire qu’il ne considérait pas les négociations sur la question des réparations comme épuisées13. A cet égard, il tient à informer la Cour que les Parties ont poursuivi leurs pourparlers, même après le dépôt de leurs mémoires respectifs en septembre 2016. Leurs représentants se sont ainsi réunis à Pretoria (Afrique du Sud) le 22 février 2017 et, tout récemment, le 30 janvier 2018. Aussi l’Ouganda conserve-t-il l’espoir que les Parties parviennent à régler leurs divergences de manière bilatérale, sans abuser plus avant du temps de la Cour.
1.18. Une issue consensuelle étant néanmoins loin d’être assurée, l’Ouganda soumet, conformément à l’ordonnance de la Cour du 6 décembre 2016, le présent contre-mémoire aux fins d’exposer sa position en droit de manière aussi claire que possible.
III. LES RÉPARATIONS DE GUERRE DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE ET ÉCONOMIQUE
1.19. Ainsi qu’indiqué ci-dessus, la Cour, au point 5 du dispositif de son arrêt de 2005, a dit «que la République de l’Ouganda a[vait] l’obligation, envers la République démocratique du Congo, de réparer le préjudice causé»14 à raison des diverses violations du droit international dont l’Ouganda a été jugé responsable. Ces violations ont eu lieu dans le cadre d’un conflit armé international. En d’autres termes, il est légitime de considérer «la question de la réparation [qui doit maintenant être] réglée par la Cour»15 comme portant sur des réparations de guerre.
1.20. C’est la première fois, en soixante-dix ans d’existence, que la Cour est appelée à se prononcer sur une demande de cette nature. De fait, c’est la première fois qu’une juridiction internationale permanente a affaire à une telle question. Compte tenu du caractère exceptionnel et inédit de la présente espèce, l’Ouganda s’attachera à replacer brièvement cette question dans une perspective historique et évoquera certaines considérations économiques qui ont une incidence sur les questions juridiques que la Cour doit trancher.
1.21. Avant le XXe siècle, nombre d’accords de paix comprenaient des dispositions prévoyant le versement d’importantes sommes d’argent en signe d’assujettissement du vaincu à la puissance victorieuse. La pratique consistant à verser une indemnité ou un tribut de guerre reposait sur l’idée que le rétablissement de la paix avait un prix.
1.22. Les auteurs du traité de Versailles de 1919, qui a mis fin à la première guerre mondiale, envisageaient les «réparations de guerre» comme une conséquence juridique de la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement de la guerre. C’est ce qui ressort de l’article 231 du traité, la (tristement) célèbre disposition relative à la responsabilité de la guerre (Kriegsschuld)16 : signe d’un
13 MO, par. 1.47.
14 Activités armées (2005), par. 345, point 5 du dispositif.
15 Ibid., par. 345, point 6 du dispositif.
16 Traité de Versailles du 28 juin 1919, partie VIII (Réparations), sect. I, art. 231 : «Les Gouvernements alliés et associés déclarent et l’Allemagne reconnaît que l’Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre, qui leur a été imposée par l’agression de l’Allemagne et de ses alliés.»
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changement de paradigme, le versement de réparations devait ici permettre d’indemniser les Etats lésés à raison du préjudice subi du fait du recours de l’Allemagne à la guerre17.
1.23. Le régime de réparation prévu dans le traité de Versailles allait être controversé tout au long de l’entre-deux-guerres, non seulement entre l’Allemagne et les puissances alliées et associées, mais aussi entre les Alliés eux-mêmes. Il allait également nourrir le ressentiment et le nationalisme revanchard en Allemagne. A propos de l’expérience des réparations de guerre imposées par le régime de Versailles (avant son aménagement par les plans Dawes et Young, puis son abandon), John Maynard Keynes avait prophétisé : «La moralité internationale, ramenée à un légalisme sans nuance, pourrait se révéler éminemment préjudiciable pour la communauté mondiale»18.
1.24. L’échec du régime de réparations prévu par le traité de Versailles était présent dans tous les esprits au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les règlements conclus en et après 1945 obéissaient à une autre logique, le pragmatisme l’emportant sur le «légalisme sans nuance» sous-tendant le traité de Versailles19. La Cour a ainsi relevé en l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat que,
«pendant un siècle, la quasi-totalité des traités de paix ou règlements d’après-guerre ont reflété le choix soit de ne pas exiger le versement d’indemnités, soit de recourir à titre de compensation au versement d’une somme forfaitaire. Compte tenu de cette pratique, il est difficile d’apercevoir en droit international une règle imposant une indemnisation complète pour chacune des victimes, dont la communauté internationale des Etats dans son ensemble s’accorderait à estimer qu’elle ne peut souffrir aucune dérogation»20.
1.25. La Commission d’indemnisation des Nations Unies (ou CINU), établie à la suite de l’invasion du Koweït par l’Iraq en 1990, est à l’origine d’un régime de réparations de guerre contemporain tout à fait intéressant. Création originale, elle avait été instituée de manière unilatérale par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) (résolution 687 (1991)), recourait à une procédure complexe de règlement des réclamations collectives et pouvait être saisie par des gouvernements, des organisations internationales, des individus ou des entreprises. Ayant réparti en plusieurs catégories les réclamations qui lui étaient soumises, elle a appliqué, pour la plupart d’entre elles, un processus d’échantillonnage et des règles de procédure souples, réservant la mise en oeuvre de procédures contentieuses quasi judiciaires aux réclamations les plus importantes et les plus complexes21. Si la charge que représenteraient les indemnités
17 P. d’Argent, «Réparations» in Dictionnaire de la guerre et de la paix, in B. Jeangène et F. Ramel (sous la dir. de) (2002), p. 1178-1182.
18 J. Maynard Keynes, The Collected Writings, vol. 3: A Revision of the Treaty (1978), p. 94. Sur le régime des réparations de guerre prévu par le traité de Versailles, les autres traités de règlement postérieurs à la première guerre mondiale et la période de l’entre-deux-guerres, voir P. d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public (oct. 2002), p. 46-104, 105-119 et 121-126.
19 P. d’Argent, «Reparations after World War II», Max Planck Encyclopedia of Public International Law (mai 2009), p. 2.
20 Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 141, par. 94.
21 Ainsi qu’elle l’indique sur son site,
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allouées par la CINU a pu susciter des craintes, la décision du Conseil de sécurité de créer un fonds spécial géré par l’ONU et alimenté par un pourcentage prélevé sur les recettes provenant de la vente de pétrole, de produits pétroliers et de gaz naturel irakiens pour financer les paiements accordés a permis de les apaiser22 .
1.26. Une commission la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a également été établie, par accord entre ces deux pays, à la suite du conflit les ayant opposés de 1998 à 200023. Aux fins de la présente espèce, point n’est besoin d’examiner en détail la compétence, les procédures et les conclusions de cette commission. Il suffit de noter que celle-ci fournit un exemple contemporain de procédure arbitrale globale entre Etats portant sur des demandes de réparation pour faits de guerre24.
1.27. Dans le présent contre-mémoire, l’Ouganda fera référence, en tant que de besoin, aux décisions de la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie à propos de certains points de droit essentiels. Il déplore que, pour sa part, la RDC n’ait pas tenu compte des précieux enseignements qu’il y a lieu d’en tirer. Il convient en particulier de souligner que la commission des réclamations a toujours gardé à l’esprit la douloureuse expérience du traité de Versailles et prêté une grande attention aux capacités de paiement des parties, ainsi qu’au contexte socioculturel et économique dans lequel les réclamations avaient été présentées.
1.28. L’Ethiopie lui avait soumis une réclamation s’élevant à quelque 14,3 milliards de dollars, l’Erythrée, à 6 milliards. Dans sa décision relative à l’indemnisation, la commission n’a fait
«la Commission a été saisie de quelque 2,7 millions de réclamations pour une valeur totale de 352,5 milliards de dollars. Elle en a clos l’examen en 2005 et a accordé au total 52,4 milliards de dollars à 1,5 million de demandeurs. Dix-neuf comités de commissaires ont examiné et évalué les réclamations introduites par des gouvernements, organisations internationales, entreprises ou individus, avant de remettre leurs recommandations au Conseil d’administration, pour approbation. A ce jour, la Commission a versé environ 47,8 milliards de dollars d’indemnités aux demandeurs dont la réclamation a abouti. Seul un montant n’a pas été versé intégralement, quelque 4,6 milliards restant à payer. Cette somme, qui visait à compenser les pertes de production et le manque à gagner découlant des dommages causés aux gisements pétroliers du Koweït, est la plus élevée adjugée par le Conseil d’administration de la Commission» [traduction du Greffe],
voir la page d’accueil du site de la Commission d’indemnisation des Nations Unies (CINU), accessible à l’adresse suivante : http://www.uncc.ch/ (dernière consultation le 7 mai 2017).
Au sujet de la Commission, voir notamment P. d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public, op. cit., p. 352-418 ; V. Heiskanen, «The United Nations Compensation Commission», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 296 (2002) ; A. Kolliopoulos, La Commission d’indemnisation des Nations Unies et le droit de la responsabilité internationale (2001), p. 2.
22 Voir Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ci-après «Conseil de sécurité», 3004e séance, résolution 705 (1991) (15 août 1991), annexe 2, et ibid., 3519e séance, résolution 986 (1995), doc. S/RES/986 en date du 14 avril 1995, annexe 6 : en vertu de ces résolutions, 30 % des produits de la vente de pétrole irakien devaient être retenus à des fins de réparations. Ce pourcentage a été ramené à 25 % en 2000 (ibid., 4241e séance, résolution 1330 (2000), doc. S/RES/1330 (2000) en date du 5 décembre 2000, annexe 10), puis à 5 % après le conflit de 2003 et compte tenu de l’urgente nécessité de reconstruire les infrastructures et rétablir les services en Iraq. Voir ibid., 4761e séance, résolution 1483 (2003), doc. S/RES/1483 en date du 22 mai 2003, annexe 18 ; ibid., 4987e séance, résolution 1546 (2004), doc. S/RES/1546 en date du 8 juin 2004, annexe 20.
23 Accord entre le Gouvernement de l’Etat d’Erythrée et le Gouvernement de la République fédérale démocratique d’Ethiopie (ci-après «Accord entre l’Erythrée et l’Ethiopie»), Nations Unies, Recueil des traités (ci-après «RTNU»), vol. 2138, I-37274 (2001), p. 100, entré en vigueur le 12 décembre 2000.
24 Sur la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, voir notamment S. D. Murphy et al., Litigating War: Mass Civil Injury and the Eritrea-Ethiopia Claims Commission (2013) ; P. d’Argent et J. d’Aspremont, «La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : un premier bilan», Annuaire français de droit international, vol. 53 (2007), p. 347-396 ; P. d’Argent, «La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : suite et fin», Annuaire français de droit international, vol. 55 (2009), p. 279-297.
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droit qu’à une petite fraction de ces demandes, adjugeant 174 036 520 dollars à l’Ethiopie et 163 520 865 dollars à l’Erythrée (comprenant les versements destinés aux individus).
1.29. L’Ouganda reconnaît que les règles coutumières relatives à la responsabilité internationale de l’Etat pour fait internationalement illicite s’appliquent dans le contexte des réparations pour faits de guerre de la même façon que dans d’autres cadres. En d’autres termes, il n’existe pas de lex specialis à suivre en l’espèce25. Néanmoins, ces règles coutumières ne sauraient être mises en oeuvre aveuglément, indépendamment du contexte de l’affaire. S’il y a un enseignement à retenir de l’histoire, c’est bien que la question des réparations de guerre doit être traitée avec doigté et compte tenu des implications à long terme de l’octroi de toute indemnisation pour les relations entre les Etats concernés et, plus généralement, pour la paix et la sécurité internationales. C’est pourquoi l’on ne saurait faire abstraction des répercussions économiques qu’aurait la décision d’adjuger les montants clairement exorbitants demandés par la RDC.
1.30. Dans son mémoire de septembre 2016, l’Ouganda a rappelé que, durant les négociations entre les Parties consécutives au prononcé de l’arrêt de 2005, la RDC avait demandé des indemnités correspondant à quelque 23,5 milliards de dollars, sans justifier ce chiffre26. Pour resituer cette demande dans une perspective économique et historique, il convient de rappeler que :
d’après la Banque mondiale, le PIB de l’Ouganda en 2015 s’élevait au total à 27,059 milliards de dollars27 ; et que
selon le calendrier des paiements établi à Londres en 1921, l’Allemagne devait acquitter un montant équivalant à quelque 450 milliards de dollars d’aujourd’hui28, soit la quasi-totalité de son PIB de l’époque29.
En d’autres termes, pendant les négociations, l’Ouganda s’est vu réclamer un montant représentant à peu près la totalité de son PIB. C’est un montant correspondant que l’Allemagne, avant lui, s’était vu réclamer au titre du calendrier des paiements qui lui était imposé ; or, la suite de l’histoire est connue.
1.31. Devant la Cour, la RDC a réduit d’une dizaine de milliards le montant réclamé, ramené à quelque 13,5 milliards de dollars. Or, si l’Ouganda était tenu de payer ne serait-ce que ce montant revu à la baisse, près de la moitié de son PIB c’est-à-dire la moitié de la valeur marchande de l’ensemble des biens et des services finals produits sur son territoire au cours d’une année — devrait lui être confisqué pour être transféré à la RDC. Autrement dit, la somme réclamée demeure astronomique. La lui adjuger reviendrait à infliger à l’Ouganda une «vivisection économique»30 comparable à celle que le traité de Versailles a fait subir à l’Allemagne après la première guerre mondiale.
25 P. d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public, op. cit., p. 441-449, 830-831 ; A. Gattini, Le riparazioni di guerra nel diritto internazionale (2003), p. 494-495, 510-511, 524-528.
26 Voir MO, par. 1.22 et 1.35.
27 Banque mondiale, «Ouganda», accessible à l’adresse suivante : https://data.worldbank.org/country/uganda (dernière consultation le 15 janvier 2018).
28 Département du travail des Etats-Unis, direction des statistiques du travail, calculateur de l’inflation de l’indice des prix à la consommation, accessible à l’adresse suivante : https://www.bls.gov/data/inflation_calculator.htm (dernière consultation le 25 janvier 2018).
29 Ibid.
30 J. W. Wheeler-Bennett, The Wreck of Reparations, Being the Political Background of the Lausanne Agreement (1932), p. 255.
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1.32. Rapporté au budget de l’Ouganda, le montant demandé par la RDC donne tout autant à réfléchir. Les 13,5 milliards de dollars réclamés correspondent à peu près au double des dépenses publiques consolidées de l’Ouganda pour 2016-2017 (26,3 billions de shillings ougandais, soit 7,2 milliards de dollars)31. Faire droit à la demande de la RDC signifierait donc que, pendant deux ans, la totalité du montant consacré par l’Ouganda à ces dépenses devrait être versée à la RDC, ce qui impliquerait la suppression de tous les services publics, dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de l’aide sociale. La population ougandaise paierait ainsi un lourd tribut, faisant planer le spectre de l’instabilité. Ce n’est bien entendu pas là ce que recherche expressément la RDC, mais les conséquences n’en seraient pas moins celles-ci. Accéder à sa demande reviendrait à priver la population ougandaise de ses moyens d’existence et compromettrait la capacité de l’Ouganda d’honorer les obligations qui lui incombent en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme.
1.33. Il convient aussi de rappeler que la RDC et l’Ouganda bénéficient tous deux de l’aide publique au développement. Pendant la période allant de 2010 à 2014, la RDC a reçu en moyenne 3,4 milliards de dollars chaque année, tandis que le montant annuel alloué à l’Ouganda à ce titre s’élevait à 1,66 milliard32. L’Ouganda consacre une part importante de cette somme à la mise en oeuvre d’un ambitieux plan de paix, de redressement et de développement couvrant 55 districts et neuf municipalités dans le nord de son territoire33. Ce plan établit un cadre national pour lutter contre les causes socioéconomiques d’instabilité et de conflit. Sa portée et ses objectifs sont bien plus larges que ceux de la plupart des plans de développement ; il s’agit en réalité d’un plan de paix global pour un pays marqué par des années de dissensions34. La réalisation de ce plan, qui a été salué par le Conseil de sécurité35, dépend de la coopération de plusieurs agences de l’ONU, notamment le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l’UNICEF et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
31 Parlement de la République de l’Ouganda, «Parliament Approves 2016/2017 National Budget», accessible à l’adresse suivante : http://www.parliament.go.ug/index.php/about-parliament/parliamentary-ne… (dernière consultation le 15 janvier 2018) ; davantage de détails sur le site du ministère des finances et de la prévision économique de l’Ouganda, «Uganda Budget Information», accessible à l’adresse suivante : http://www.budget.go.ug/ (dernière consultation le 25 janvier 2018).
32 Ces deux chiffres sont exprimés en dollars de 2013 : Organisation de coopération et de développement économiques, «Development Aid at a Glance Statistics by Region, 2. Africa», accessible à l’adresse suivante : https://www.oecd.org/dac/stats/documentupload/2%20Africa%20%20Developme… (dernière consultation le 15 janvier 2018).
33 République de l’Ouganda, «Peace, Recovery and Development Plan for Northern Uganda (PRDP) (2007-2010)», accessible à l’adresse suivante : https://www.brookings.edu/wpcontent/uploads/2016/07/Uganda_PRDP-2007.pdf (dernière consultation le 15 janvier 2018), p. vii. En 2008, la Norvège et la Suède ont conclu avec le Gouvernement ougandais un accord d’aide visant à financer le plan, et l’Irlande et le Danemark leur ont emboîté le pas. Certains «projets spéciaux» ont aussi reçu l’aide de la Banque mondiale et de l’Union européenne. Voir Gouvernement de l’Ouganda, ministère norvégien des affaires étrangères et Agence suédoise de coopération internationale pour le développement, «Interim Joint Financing Arrangement between the Government of Uganda and the Signatory Development Partners Concerning Support to the Peace, Recovery and Development Plan for Northern Uganda (PRDP) (2007-2010)» (18 déc. 2008) ; et République de l’Ouganda, «Peace, Recovery and Development Plan (PRDP 2) Grant Guidelines for Local Governments» (juin 2012), p. 2-3.
34 Les domaines couverts par la première phase du plan (juillet 2009-juin 2012) portaient sur les activités à mener d’urgence à l’issue du conflit (promotion d’initiatives de paix, rationalisation des forces auxiliaires, aide d’urgence ou retour des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, par exemple). Dans la deuxième phase (juillet 2012 - juin 2015), l’accent était mis sur la reprise économique et l’atténuation des facteurs de conflit potentiels (notamment par le biais du développement d’entreprises, de la gestion des terres, de processus communautaires de règlement des différends et de réconciliation). A l’heure actuelle, la troisième phase du plan (juillet 2015-juin 2021) est en cours de mise en oeuvre.
35 Conseil de sécurité, 6058e séance, déclaration de son président, doc. S/PRST/2008/48 en date du 22 décembre 2008, p. 2 («Le Conseil se félicite du rétablissement de la paix et de la sécurité dans le nord de l’Ouganda. Il encourage le Gouvernement ougandais à respecter, avec le concours de ses partenaires internationaux, l’engagement qu’il a pris d’accélérer le processus de réconciliation, de redressement et de développement dans la région par la mise en oeuvre rapide de son Plan de paix, de redressement et de développement et des dispositions pertinentes de l’Accord de paix final, et de dégager sans tarder les fonds prévus pour l’exécution du Plan.»), annexe 23.
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1.34. L’Ouganda exhorte respectueusement la Cour à se montrer, lorsqu’elle se prononcera sur les demandes de la RDC, sensible aux efforts décisifs ainsi déployés pour jeter les fondements d’une paix et d’une stabilité durables dans le nord du pays, le plus touché par le conflit, notamment les régions limitrophes de la RDC. L’argent est un bien fongible, de sorte que, si la Cour décide d’adjuger des indemnités élevées, les fonds destinés à aider la population ougandaise aboutiront, en pratique, dans les coffres de la RDC (sans que la Cour puisse d’aucune façon en contrôler l’affectation).
1.35. Comme il sera démontré dans la suite du présent contre-mémoire, les demandes de la RDC présentent des failles fondamentales, d’ordre juridique comme factuel. Il n’y a donc pas lieu, en droit, d’adjuger les indemnités réclamées par celle-ci. Au-delà de ces failles juridiques, l’Ouganda prie la Cour de garder à l’esprit les considérations historiques et économiques rappelées ci-dessus, sans quoi le moralisme sans nuance, pratiqué sous couleur de légalité internationale, pourrait de nouveau se révéler préjudiciable à la paix et à la sécurité internationales36.
IV. PLAN DU CONTRE-MÉMOIRE
1.36. Le contre-mémoire de l’Ouganda se compose de plusieurs volumes : le volume I contient le texte du contre-mémoire proprement dit et les volumes II et III, d’autres documents présentés à l’appui des thèses qui y sont exposées.
1.37. Le corps du contre-mémoire est divisé en dix chapitres, suivis des conclusions de l’Ouganda. Après la présente introduction, le chapitre 2 expose brièvement l’histoire de la RDC et retrace les circonstances de l’intervention de l’Ouganda entre 1998 et 2003. Le but de cet aperçu est de fournir les éléments nécessaires pour replacer les demandes d’indemnisation de la RDC dans leur contexte. Sera évoqué, entre autres, le fait que la RDC présente l’Ouganda comme le seul responsable du conflit entre les groupes ethniques hema et lendu en Ituri, et prétend qu’il serait à l’origine de dommages macroéconomiques s’élevant à quelque 5,7 milliards de dollars. L’histoire nous apprend que conflits et chaos sévissent depuis longtemps en RDC et que, lorsque l’intervention ougandaise a commencé, en 1998, le pays était en proie à une récession généralisée, fruit de décennies de gabegie et de mauvaise gouvernance.
1.38. L’histoire nous enseigne également qu’un grand nombre d’acteurs étrangers et un plus grand nombre encore d’acteurs congolais, dont des groupes armés en quantités vertigineuses, ont pris part au conflit en RDC. L’Ouganda ne saurait être rendu responsable de tout, ou presque, ce qui s’est passé dans le cadre de celui-ci, comme le voudrait la RDC, au vu de la demande exorbitante qu’elle soumet à la Cour.
1.39. Le chapitre 3 traite, d’une manière générale, des failles systématiques viciant la démarche de la RDC en matière d’administration de la preuve. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que la RDC a l’obligation d’établir les faits qu’elle allègue à l’appui de ses demandes. En outre, pour s’acquitter de cette charge de la preuve, la RDC doit nécessairement présenter des éléments convaincants attestant avec un degré élevé de certitude qu’un préjudice susceptible d’évaluation financière a été subi. Dans ce chapitre, il sera démontré que, loin d’accepter et d’assumer cette obligation, la RDC a systématiquement manqué d’apporter, au moyen des éléments requis, la preuve de faits spécifiques imputables à l’Ouganda et à l’origine de dommages spécifiques, ainsi que du bien-fondé de son évaluation de ces dommages. Lorsqu’elle
36 Conseil de sécurité, 6058e séance, déclaration de son président, doc. S/PRST/2008/48 en date du 22 décembre 2008, annexe 23.
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fournit des «éléments de preuve», il n’est pas rare que ceux-ci n’étayent pas les demandes exposées dans son mémoire, voire qu’ils les contredisent. Au lieu de produire des éléments concernant des cas de dommages précis, la RDC se fonde sur des informations par trop générales et vagues de divers ordres (rapports d’organisations internationales ou d’organisations non gouvernementales (ONG) et matériaux qu’elle a elle-même recueillis aux fins de la présente procédure) qui ne prouvent pas son droit à la réparation recherchée.
1.40. Le chapitre 4 traite, là encore d’une manière générale, des failles systématiques dans l’interprétation que la RDC donne du droit applicable à la présente procédure. Si elle se targue de respecter les règles relatives à la responsabilité de l’Etat, la RDC, dans de nombreux cas, méconnaît, dénature ou applique à mauvais escient celles qui lui imposent de démontrer que des actions spécifiques sont imputables à l’Ouganda et qu’un lien de causalité relie ces actions aux préjudices qu’elle allègue. Il en ressort que la RDC attend en substance de la Cour qu’elle tranche la question de la réparation ex aequo et bono ou impose des dommages-intérêts punitifs à l’Ouganda, ce que la Cour ne saurait faire. En conclusion de ce chapitre, il sera montré que la RDC cherche à obtenir abusivement une indemnisation dont le montant excède les capacités de paiement de l’Ouganda.
1.41. L’analyse générale des failles que présentent systématiquement les éléments de preuve avancés par la RDC et son interprétation du droit est ensuite approfondie dans le contexte des différents chefs de préjudice qu’elle allègue. Le chapitre 5 traite des demandes d’indemnisation présentées par la RDC à raison des pertes en vies humaines qui auraient été causées par l’Ouganda pendant le conflit de 1998 à 2003. Seront d’abord rappelés les méthodes et les types d’éléments habituellement employés devant les juridictions internationales, dans des cas similaires, afin de mettre en évidence le fossé qui existe entre la méthodologie traditionnelle et l’approche suivie par la RDC en l’espèce. Il sera ensuite montré que, au lieu de s’efforcer de présenter la preuve détaillée que la Cour a dit attendre d’elle à ce stade, la RDC fonde en grande partie ses demandes relatives aux pertes en vies humaines sur des informations de nature très générale, qu’elle associe à une série de «pourcentages», de «clefs de répartition» et de «multiplicateurs» dépourvus de fondement, au point de les réduire à de pures spéculations. A la fin du chapitre, il sera établi que l’estimation des indemnités dues à raison des pertes en vies humaines à laquelle la RDC prétend arriver présente des failles méthodologiques et est incompatible avec la réalité économique du pays.
1.42. Le chapitre 6 traite des demandes de la RDC en relation avec des dommages aux personnes autres que les pertes en vies humaines, c’est-à-dire les préjudices corporels, les violences sexuelles, les préjudices causés aux enfants-soldats et les déplacements de populations. Dans un premier temps, il sera rappelé quels sont les méthodes et les éléments de preuve habituellement employés dans ce type de circonstances devant les juridictions internationales, et montré que la RDC n’a pas fourni de moyens de preuve comparables en l’espèce. Comme pour ses demandes relatives aux pertes en vies humaines, la RDC n’apporte pas la preuve spécifique de l’existence des préjudices allégués ou d’un lien avec l’Ouganda. Au lieu de quoi, elle choisit de se fonder sur des informations on ne peut plus générales et, ce faisant, manque de s’acquitter de l’obligation en matière de preuve que la Cour a mise à sa charge en 2005. En conclusion de ce chapitre, il sera montré que les évaluations des dommages aux personnes allégués auxquelles la RDC prétend arriver sont elles aussi fondamentalement erronées.
1.43. Le chapitre 7 traite de la demande d’indemnisation présentée par la RDC à raison des dommages matériels subis en Ituri, à Kisangani et dans trois autres régions (Beni, Butembo et Gemena). Il y sera démontré que cette demande ne repose pas sur des éléments prouvant avec un degré élevé voire un quelconque degré de certitude que les dommages matériels allégués ont bien eu lieu et qu’ils résultent de faits illicites spécifiques imputables à l’Ouganda. Il en ressortira
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également que la RDC n’a pas non plus produit d’éléments établissant sans l’ombre d’un doute le bien-fondé de l’évaluation des dommages qu’elle avance. Elle se contente de présenter une série de tableaux compilant des informations non vérifiées, qui ne sont pas étayés par des éléments de preuve. Il est dès lors impossible de déterminer si l’indemnisation demandée correspond à des dommages réellement causés par l’Ouganda.
1.44. Le chapitre 8 traite de la demande de la RDC relative à la prétendue exploitation illégale de ressources naturelles. Cette demande couvre trois catégories de ressources : les ressources minérales (or, diamant et coltan), la faune et les ressources forestières. Il sera montré que, tentant en vain de se soustraire à la charge de la preuve qui lui incombe, la RDC présente une série de propositions indéfendables qui reposent sur des éléments de preuve non convaincants ou sur des conjectures. S’agissant des ressources minérales, elle s’appuie entièrement sur une théorie avancée par le premier Groupe d’experts de l’ONU, qui a été infirmée. Il sera établi que le rapport sur lequel la RDC fonde sa demande a été largement critiqué (y compris par la RDC elle-même), avant d’être désavoué.
1.45. En ce qui concerne la faune, la RDC s’abstient également d’apporter la moindre preuve spécifique, préférant s’appuyer sur des études menées, selon ses dires (qu’elle n’étaye pas), dans ses parcs nationaux ; ces études, dont la qualité laisse à désirer, révèleraient un déclin général de la population de différentes espèces animales. Ce chapitre montrera, d’une part, que les prétendus éléments de preuve sur lesquels s’appuie la RDC sont sujets à caution et sont d’ailleurs contredits par d’autres sources qu’elle cite et, d’autre part, que l’estimation de la valeur de la faune qu’elle prétend faire valoir est dépourvue de fondement. A propos de la déforestation, il ressortira que la RDC se fonde sur le rapport du premier Groupe d’experts de l’ONU déjà invoqué à l’appui de sa demande relative aux ressources minérales. Ce rapport ayant été désavoué, la RDC ne saurait s’en autoriser.
1.46. Le chapitre 9 traite de la demande de la RDC relative au «préjudice macroéconomique» qu’elle aurait subi. Cette seule demande s’élève à 5,7 milliards de dollars, soit plus de 40 % du total des indemnités réclamées. Ce chapitre montrera que cette demande est indéfendable car 1) elle va à l’encontre de la pratique internationale et de la jurisprudence ; 2) elle relève de la plus pure spéculation et est incompatible avec toute notion de causalité ; 3) elle ne saurait se justifier en droit au titre du manque à gagner (lucrum cessans) avancé par la RDC ; et 4) ses prémisses, telles que présentées par la RDC, sont incompatibles avec l’arrêt de 2005.
1.47. Sans préjudice de ce qui précède, il sera aussi démontré que la méthode employée par les experts dont se réclame la RDC pour quantifier le «préjudice macroéconomique» qu’elle fait valoir est entachée d’une série de vices rédhibitoires. Ces experts se fondent sur les ouvrages de Paul Collier et Anke Hoeffler, de l’université d’Oxford. A la demande de l’Ouganda, ces deux économistes ont examiné le rapport de la RDC et conclu qu’y était faite «une application erronée de [leur] méthode, que le concept sur lequel les auteurs se fond[aient] dans leur estimation [était] bancal et que leur analyse technique [était] incorrecte».
1.48. Enfin, le chapitre 10 traite de la demande de la RDC tendant à ce que la Cour octroie des intérêts moratoires et certaines formes de réparations non compensatoires. Au terme d’un examen de la question des intérêts soulevée dans le mémoire de la RDC, il sera montré que celle-ci n’a pas droit à des mesures de satisfaction supplémentaires sous forme d’une obligation, pour l’Ouganda, de conduire des enquêtes et de mener des poursuites pénales à l’encontre de membres de son personnel militaire ou d’une obligation de verser 125 millions de dollars au titre de
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«dommages immatériels». Enfin, il sera expliqué pourquoi la RDC ne saurait prétendre au remboursement de ses frais de procédure, y compris les honoraires de ses conseils.
1.49. L’Ouganda clôt le présent contre-mémoire en présentant ses conclusions.
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CHAPITRE 2 LE CONTEXTE ET LA PORTÉE DE L’INTERVENTION DE L’OUGANDA
2.1. Le présent chapitre expose brièvement l’histoire de la RDC et retrace les circonstances de l’intervention de l’Ouganda entre 1998 et 2003. Il ne s’agit en rien de contester la moindre des conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans son arrêt de 2005, mais simplement de fournir l’arrière-plan permettant de replacer les demandes de réparation de la RDC dans leur contexte.
2.2. La RDC avance ainsi, dans son mémoire, que, par son intervention, l’Ouganda lui aurait causé des dommages macroéconomiques se montant à près de 5,7 milliards de dollars des Etats-Unis (ci-après «dollars»). Ainsi qu’il sera expliqué plus en détail au chapitre 9, cet aspect de sa demande repose sur l’hypothèse que la RDC aurait bénéficié, à partir de 1998, d’une croissance économique constante. Or, toutes les données disponibles montrent que l’économie congolaise connaissait alors une période de récession prolongée causée par des années de gabegie et de mauvaise gouvernance. L’argumentation de la RDC est donc fondée sur une prémisse que dément sa propre histoire.
2.3. Dans son mémoire, la RDC présente par ailleurs l’Ouganda comme étant seul responsable du conflit opposant les groupes ethniques hema et lendu en Ituri. L’histoire révèle pourtant que ce conflit ancien, qui remonte à la période coloniale au moins et se poursuit encore aujourd’hui, est à la fois antérieur et postérieur à l’intervention de l’Ouganda.
2.4. Les demandes de la RDC concernant des dommages supposément causés au moment du conflit en Ituri reposent en outre sur l’idée que ceux-ci auraient pu être évités si l’Ouganda n’était pas intervenu, ou s’il s’était acquitté des obligations auxquelles il était, en tant que puissance occupante, tenu dans ce district. Or, là encore, la RDC ne tient pas suffisamment compte du contexte. Premièrement, nombre des problèmes rencontrés en Ituri, eux aussi anciens et endémiques, étaient totalement indépendants de l’intervention de l’Ouganda. De plus, la présence de ce dernier en Ituri (et, d’ailleurs, dans l’ensemble de la RDC) était limitée : au plus fort du déploiement de ses troupes en RDC, l’Ouganda comptait à peine 10 000 hommes dans le pays, leur nombre étant moins élevé en Ituri.
2.5. Qui plus est, l’histoire montre que le conflit secouant la RDC a mis en présence un grand nombre d’acteurs étrangers et un plus grand nombre encore d’acteurs congolais, dont un ensemble hétéroclite de groupes armés internes. L’Ouganda n’a pas l’entière responsabilité, au regard du droit international relatif aux réparations, de ce qui s’est passé pendant le conflit, comme revient à l’affirmer la demande exorbitante que la RDC a présentée à la Cour.
2.6. L’Ouganda fait respectueusement valoir qu’une juste appréciation de son intervention, ainsi que des demandes de réparation de la RDC, suppose nécessairement de tenir compte du fait que le chaos régnait depuis bien longtemps déjà dans cet Etat, notamment dans sa partie orientale.
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2.7. Le présent chapitre est structuré comme suit : la première partie traite de certains aspects essentiels de l’histoire de la RDC qui ont conduit au conflit de 1998-2003, et la seconde présente des éléments contextuels concernant l’intervention de l’Ouganda en RDC entre 1998 et 2003.
I. LE CONTEXTE HISTORIQUE DU CONFLIT DÉCLENCHÉ EN 1998
A. La colonisation et la création de conflits ethniques et territoriaux
2.8. La RDC est, depuis longtemps, minée par l’instabilité, la gabegie, la violence et un conflit ethnique qui trouve ses racines à l’époque coloniale.
2.9. C’est il y a plus d’un siècle que les colons européens allaient commencer à s’intéresser à la zone correspondant à ce qui deviendrait la RDC, et y semer les germes du conflit. Le 7 août 1884, le roi Léopold II de Belgique et Henry Morton Stanley, explorateur gallo-américain, s’assirent autour d’une table à Oostende (Belgique) pour tracer une première esquisse du futur Congo37, délimitant une zone plus vaste que l’Europe de l’Ouest sur le seul fondement de l’emplacement des concessions et des «postes» établis par Stanley et ses hommes, sans tenir le moindre compte de considérations d’ordre naturel ou historique38. Les groupes ethniques peuplant la zone ainsi délimitée se comptaient littéralement par centaines.
2.10. En 1885, le roi Léopold II établit l’«Etat indépendant du Congo»39. A la différence d’autres colonies européennes, l’Etat indépendant du Congo était la propriété personnelle du roi40, qui l’administrait directement par le truchement d’une entité privée, l’«Association internationale du Congo»41. Afin d’exploiter les vastes ressources naturelles de ce territoire, notamment l’ivoire, le caoutchouc et les ressources minérales, Léopold II légalisa le travail forcé. Il créa en outre une armée personnelle, la «Force publique», pour garantir l’exécution des travaux obligatoires et l’acquittement d’impôts42.
2.11. La Force publique s’illustra par son extrême brutalité. Passages à tabac, viols, actes de torture, mutilations, meurtres et destructions d’habitations par le feu étaient monnaie courante43. Ces agissements provoquèrent plusieurs soulèvements sanglants entre 1895 et 1908, notamment dans le Kasaï, le Kwango, l’Uele et le Katanga44.
2.12. L’Ituri fut l’une des premières régions de ce qui est aujourd’hui l’est de la RDC à être soumise au régime de l’Etat indépendant du Congo45. Au cours d’une expédition, en 1899, Stanley
37 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire (2012), p. 78-79, annexe 89.
38 Ibid., p. 78.
39 Ibid., p. 77.
40 Ibid., p. 77-78.
41 Ibid., p. 78.
42 A. Maurel, Le Congo de la colonisation belge à l’indépendance (1992), p. 28-30, annexe 72.
43 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 110-111, annexe 89 ; A. Maurel, Le Congo de la colonisation belge à l’indépendance, op. cit., p. 31-32, annexe 72.
44 Ibid., p. 34, annexe 72.
45 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010 (2015), p. 288, annexe 90.
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avait rencontré des Hema et des Lendu qu’il avait baptisés, respectivement, les «Ouahouma» et les «Balegga», décrivant les premiers comme des «berger[s] d’agréable physionomie»46, «voisins tranquilles, aimables et bienveillants»47, dotés de «traits presque européens»48, et les seconds, comme des «négroïdes au nez épaté et à la peau très noire s’attaquant au sol avec leurs bêches»49. Ces généralisations abusives concernant chacun de ces groupes ethniques, largement diffusées dans les ouvrages à succès de Stanley, ont servi de fondement aux politiques coloniales belges et ont laissé, en termes de préjugés, des traces indélébiles50.
2.13. Les violations généralisées des droits de l’homme commises par l’Etat indépendant du Congo, relatées dans des oeuvres littéraires telles que Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad ou Le soliloque du roi Léopold de Mark Twain, suscitèrent l’indignation de la communauté internationale. En 1908, l’Etat indépendant du Congo perdit son statut d’Etat, son territoire devenant colonie belge. Les autorités coloniales désignèrent alors des dirigeants locaux pour administrer leur vaste territoire, souvent sur le fondement de stéréotypes ethniques. Leur décision de favoriser certains groupes ethniques au détriment d’autres serait un ferment de discorde51.
2.14. En Ituri, par exemple, la puissance coloniale allait perpétuer le mythe de la supériorité des Hema. Un article de 1920 illustre la vision stéréotypée qu’avaient les Européens des deux groupes ethniques : «Ce n’est que depuis l’arrivée des Européens que les Bahema, toujours ambitieux et fourbes, cherchent à dominer les Walendu afin de mieux les exploiter»52. Pour les Européens, les Lendu étaient «indisciplinés» et «belliqueux», et «essay[aient] fréquemment d’affirmer leur indépendance … en mettant au défi les forces du gouvernement»53.
2.15. Les autorités coloniales confièrent aux Hema des responsabilités ainsi que des privilèges spéciaux, les Lendu étant, en revanche, systématiquement exclus et relégués aux travaux dans les mines et les plantations54. Outre une stratification de la société locale en fonction de
46 H. M. Stanley, Dans les ténèbres de l’Afrique : Recherche, délivrance et retraite d’Emin Pacha, vol. II (1890), p. 352, annexe 69.
47 Ibid., p. 365.
48 Ibid., p. 350.
49 Ibid., p. 353.
50 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», Projet Usalama : Comprendre les groupes armés congolais (2013), p. 19, annexe 88 ; J. Pottier, «Representations of Ethnicity in the Search for Peace: Ituri, Democratic Republic of Congo», African Affairs, vol. 109, no 434 (27 nov. 2009), p. 24, 47, annexe 83.
51 A. Maurel, Le Congo de la colonisation belge à l’indépendance, op. cit., p. 85-86, annexe 72 ; D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 18, 22, annexe 88.
52 J. Pottier, «Representations of Ethnicity in the Search for Peace: Ituri, Democratic Republic of Congo», op. cit., p. 43, annexe 83.
53 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 23, annexe 88.
54 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 289, annexe 90 ; Conseil de sécurité, rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003), doc. S/2004/573 en date du 16 juillet 2004, par. 14, mémoire de la République démocratique du Congo (2016) (ci-après «MRDC»), annexe 1.6.
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critères ethniques55, cette situation donna lieu à des violences56, notamment en Ituri, où des soulèvements se produisirent en 1911, 1919, 1920 et 192957.
2.16. Alors que, au niveau national, l’administration coloniale encourageait l’implantation européenne, les tensions s’accentuèrent58. Ainsi, les terres des communautés locales furent confisquées dans l’ensemble du Congo belge pour accueillir les nouveaux colons, et un système double de droits fonciers fut introduit59. Les terres vacantes devinrent, pour la plupart, propriété de l’Etat, confiées aux colons européens afin qu’ils puissent y établir des plantations. Dans le cas des parcelles déjà contrôlées par les autorités traditionnelles, l’administration coloniale institutionnalisa ce contrôle sur une base ethnique. Quiconque n’appartenait pas au groupe ethnique dont était issue l’autorité traditionnelle ou ne respectait pas cette dernière se voyait refuser l’accès à la terre60. Ce système de droits fonciers donna naissance à des conflits interethniques pernicieux et persistants, aux conséquences dramatiques.
2.17. En Ituri, les Lendu firent tout particulièrement les frais de ce nouveau régime : des milliers d’hectares de terrains communautaires sur lesquels ils travaillaient depuis des siècles leur furent confisqués en faveur des Européens et des Hema61.
B. Le régime autoritaire et le déclin économique après l’accession à l’indépendance
2.18. La difficile accession du Congo à l’indépendance et quarante années de mauvaise gouvernance allaient entraîner une sévère récession économique, alimentant les tensions interethniques et les conflits.
2.19. Après la seconde guerre mondiale, alors que d’autres territoires coloniaux commençaient, partout dans le monde, à se libérer de l’emprise coloniale, les revendications d’indépendance prirent de l’ampleur au Congo62. Le 4 janvier 1959, des émeutes massives
55 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 289, annexe 90.
56 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 22. Ainsi, en 1911, le commissaire de district belge confia à un chef hema nommé Bomera la responsabilité de l’ensemble des populations du territoire actuel de l’Irumu, dans lequel est située Bunia, la capitale. Cette nomination provoqua un soulèvement, et en décembre 1911, les Lendu tuèrent Bomera, ainsi que 200 autres villageois hema. Les troupes de la Force publique répliquèrent brutalement et l’administration coloniale sépara les deux communautés, leur assignant des territoires administratifs distincts et définis. Cette mesure, dont l’objectif était de mettre fin aux hostilités interethniques, ne fit qu’exacerber les tensions (annexe 88) ; F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 288, annexe 90 ; T. Vircoulon, «L’Ituri ou la guerre au pluriel», Afrique contemporaine, vol. 2005/3, no 215 (2005), p. 138, annexe 82.
57 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 288-289, annexe 90.
58 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 24, annexe 88.
59 K. Vlassenroot, «The Promise of Ethnic Conflict: Militarisation and Enclave-Formation in South Kivu», in Conflict and Ethnicity in Central Africa, D. Goyvaerts (sous la dir. de) (2000), p. 62-63, annexe 74 ; F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 289, annexe 90.
60 K. Vlassenroot, «The Promise of Ethnic Conflict: Militarisation and Enclave-Formation in South Kivu», op. cit., p. 62-63, annexe 74.
61 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 289, annexe 90.
62 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 255-256, annexe 89.
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éclataient à Kinshasa63. La semaine suivante, la Belgique promit d’accorder l’indépendance «sans atermoiements funestes, mais sans précipitation inconsidérée»64. Contrainte par les événements, elle annonça, lors d’une conférence en janvier 1960, que le Congo accèderait à l’indépendance le 30 juin 196065.
2.20. Le Congo était mal préparé. En 1959, les Congolais n’avaient aucune expérience de l’autonomie, bénéficiaient de peu de possibilités d’éducation et rares étaient ceux qui s’étaient vu confier des responsabilités au sein de l’administration coloniale. Le pays ne disposait pas de parlement et il n’existait aucune culture de débat institutionnalisé ou d’opposition66. L’administration ne comptait que trois hauts fonctionnaires congolais, et l’armée, aucun officier congolais67. De plus, les écoles secondaires publiques n’avaient été créées qu’en 1938, la première université, en 1954 et la première faculté de droit, en 195868. Lors de l’accession à l’indépendance, le pays ne comptait que trente diplômés universitaires69.
2.21. Les élections générales tenues à la veille de l’indépendance, fin mai 1960, avaient été remportées par le Mouvement national congolais, dirigé par Patrice Lumumba70, mais, bientôt, des troubles civils allaient secouer le pays. Des mutineries et des révoltes éclatèrent dans les rangs de la Force publique71. Le Katanga et le Sud-Kasaï, représentant à eux deux un quart du territoire du Congo, tentèrent de faire sécession72. Les combats qui opposèrent alors l’armée congolaise et les forces rebelles conduisirent à des massacres qui firent des milliers de victimes parmi les civils73.
2.22. Patrice Lumumba fut assassiné en 1961 et les quatre années qui suivirent virent le nouvel Etat s’enfoncer davantage encore dans la crise74. En 1965, Mobutu Sese Seko s’empara du pouvoir lors d’un coup d’Etat qui marquerait le début de trente-deux ans de règne75. En 1971, il rebaptisa le pays République du Zaïre. Comme l’administration coloniale avant lui, le régime de
63 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 270-272.
64 Ibid., p. 273.
65 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 280, 282.
66 Ibid., p. 307.
67 BBC, «The Story of Africa, Independence, Case Study: Congo», accessible à l’adresse suivante : http://www.bbc.co.uk/worldservice/africa/features/storyafrica/14chapter… (dernière consultation le 15 janvier 2018), annexe 101.
68 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 240, annexe 89.
69 BBC, «The Story of Africa, Independence, Case Study: Congo», accessible à l’adresse suivante : http://www.bbc.co.uk/worldservice/africa/features/storyafrica/14chapter… (dernière consultation le 15 janvier 2018), annexe 101.
70 [Note manquante dans l’original.]
71 G. Nzongola-Ntalaja, Washington Office on Africa, «Appendix One: Historical Background, From Leopold to Mobutu», in Zaire: A Nation Held Hostage (1992), p. 8, annexe 73.
72 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 326-327, annexe 89.
73 Ibid.
74 G. Nzongola-Ntalaja, «Appendix One: Historical Background, From Leopold to Mobutu», op. cit., p. 9, annexe 73.
75 BBC, The Story of Africa, Independence, Case Study: Congo, accessible à l’adresse suivante : http://www.bbc.co.uk/worldservice/africa/features/storyafrica/14chapter… (dernière consultation le 15 janvier 2018), annexe 101.
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Mobutu fut marqué par un autoritarisme brutal et une politique consistant à «diviser pour mieux régner» dont l’effet fut d’exacerber les conflits interethniques et territoriaux76.
2.23. En Ituri, les Hema continuèrent à occuper de hautes fonctions au sein de l’appareil d’Etat77, dominant l’administration, la justice et la police78. Les violences interethniques se poursuivirent. Un an après l’accession à l’indépendance, les autorités de la province, aux mains des Hema, réprimèrent brutalement une révolte lendu, faisant de nombreuses victimes79. De nouvelles explosions de violence se produisirent par la suite, notamment en 1971, 1981 et 1992, des propriétaires hema ayant soudoyé des membres des forces de sécurité zaïroises pour que ceux-ci attaquent des communautés lendu avec lesquelles ils étaient en conflit sur des questions de terres et de bétail80.
2.24. A la fin des années 1960 et au début des années 1970, Mobutu adopta deux lois qui eurent d’importantes implications sur la propriété foncière et l’économie, et aggravèrent encore les tensions interethniques. La première, s’inscrivant dans un processus dit de «zaïrianisation», se traduisit par l’expropriation des propriétaires étrangers d’entreprises et de plantations81, et la seconde, la loi de 1973 portant régime général des biens, par la nationalisation de toutes les terres82. Mobutu pouvait ainsi redistribuer les biens fonciers et les concessions en faveur de ceux de ses sujets qui lui étaient fidèles83.
2.25. En Ituri, cette nouvelle législation bénéficia davantage encore aux Hema, qui étaient politiquement liés au régime de Mobutu84. Ils obtinrent la majorité des concessions foncières, au prix d’importants déplacements de Lendu85. Les propriétaires belges dont les terres avaient été nationalisées confièrent leurs biens à des administrateurs hema en espérant qu’il leur serait permis de revenir (espoir qui se révélerait vain, les Hema ayant enregistré les biens sous leurs propres noms)86. Les ouvriers qui travaillaient sur ces terres contrôlées par les Hema étaient, dans leur grande majorité, lendu.
76 C. Kabemba, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), Centre de documentation et de recherche, «La République démocratique du Congo : de l’indépendance à la première guerre mondiale africaine», rapport WRITENET no 16/2000 (juin 2001), p. 3, annexe 12.
77 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 290, annexe 90 ; D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 25, annexe 88.
78 Ibid., p. 30-31, annexe 88.
79 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 290, annexe 90.
80 T. Vircoulon, «L’Ituri ou la guerre au pluriel», op. cit., p. 138, annexe 82 ; J.-P. Bemba, Le choix de la liberté (2002), p. 98 (MRDC, annexe 2.13).
81 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 383, annexe 89.
82 K. Vlassenroot, «The Promise of Ethnic Conflict: Militarisation and Enclave-Formation in South Kivu», op. cit., p. 63-64, annexe 74.
83 Ibid., p. 64.
84 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 29-30, annexe 88.
85 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 290, 295, annexe 90.
86 T. Vircoulon, «L’Ituri ou la guerre au pluriel», op. cit., p. 131, annexe 82.
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2.26. Pour répondre au sentiment de marginalisation et d’exclusion de sa communauté, un dirigeant lendu, Soma Mastaki, créa, en 1974, le Parti de libération des Walendu (PLW)87. Ce mouvement opta rapidement pour la violence, et de nombreux morts furent à déplorer parmi la population civile hema88.
2.27. Outre l’autoritarisme et le favoritisme ethnique, le régime de Mobutu se caractérisait par une gestion de l’économie calamiteuse et une corruption généralisée. Ces problèmes internes furent exacerbés par des facteurs économiques mondiaux, les crises pétrolières des années 1970 ainsi qu’une chute de 40 % de la demande sur le marché du cuivre en 1975 ayant entraîné l’économie déjà défaillante dans une profonde récession89.
2.28. L’extraction des ressources naturelles avait longtemps été un pivot de l’économie congolaise. Or, faute d’investissements, les infrastructures se délabrèrent, les équipements se détériorèrent et la production s’effondra. Ainsi, au milieu des années 1980, la production de cuivre représentait moins de 10 % de son niveau d’antan90. Dix ans plus tard, les compagnies minières nationales mettaient la clef sous la porte91. En 1995, l’extraction minière avait atteint un niveau si bas qu’elle fut remplacée par la production agricole au premier rang des exportations du pays92.
2.29. La situation régnant, de manière générale, en RDC, était la même en Ituri, où les infrastructures en déliquescence décourageaient l’investissement, ce qui entraîna une dégradation des équipements miniers et un effondrement des profits93. Face à cette situation, nombre de mineurs se tournèrent vers l’extraction artisanale94, pratique jusqu’alors illicite mais légalisée par Mobutu en 198195. Des dizaines de milliers de personnes commencèrent alors, notamment en Ituri, à exploiter les minerais par leurs propres moyens et à les vendre partout où elles le pouvaient, et en particulier en Ouganda, au Rwanda et au Burundi96.
87 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 290, annexe 90 ; D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 31, annexe 88.
88 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit.,
89 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 398-399, annexe 89.
90 G. Kiakwama & J. Chevallier, The World Bank, «Nonreformers: Democratic Republic of the Congo», Aid and Reform in Africa: Lessons from Ten Case Studies, S. Devarajan, D. Dollar, T. Holmgren (dir. publ.) (2001), p. 637, annexe 76.
91 E. F. Kisangani & F. S. Bobb, Historical Dictionary of the Democratic Republic of the Congo (2010), p. 355-357, annexe 84.
92 Ibid.
93 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 26-27, annexe 88.
94 Ibid.
95 Ibid. ; F. Missier et O. Vallee, «Du scandale zaïrois au Congo gemmocratique», in Chasse au diamant au Congo/Zaïre, L. Monnier, B. Jewsiewicki, G. de Villers (sous la dir. de) (2001), p. 27-28, annexe 77.
96 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 26-27, annexe 88 ; S. Gatimu, Institute for Security Studies, «The true cost of mineral smuggling in the DRC», accessible à l’adresse suivante : https://issafrica.org/iss-today/the-true-cost-of-mineral-smuggling-in-t… (dernière consultation le 11 janvier 2016), annexe 91.
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2.30. Au milieu des années 1990, Kampala, la capitale de l’Ouganda, était devenue l’une des plaques tournantes du commerce de minerais97. Différents facteurs l’expliquent, parmi lesquels, premièrement, le fait que les conflits dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu en RDC, ainsi qu’au Burundi et au Rwanda, avaient modifié les axes d’échange habituels98. L’Ouganda avait également commencé à libéraliser son économie, axant sa quête de croissance sur ses exportations, en réponse aux pressions de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). En 1994, le gouvernement ougandais mit fin au monopole sur les achats d’or dont jouissait la Bank of Uganda, abrogea la taxe sur l’exportation de l’or et assouplit les contraintes administratives imposées aux sociétés de négoce99. Ces mesures entraînèrent, à partir de 1995, un bond des exportations privées de minerais congolais depuis l’Ouganda100.
2.31. Deux épisodes, dits des «pillages», vinrent encore affaiblir l’économie de la RDC et entamer les recettes des compagnies minières101. En septembre 1991, des soldats, mécontents de leur solde, entreprirent de piller des sociétés privées et des bâtiments publics de Kinshasa. Ils furent bientôt suivis par la population locale, les déprédations se généralisant à l’ensemble du pays. Les usines et les entreprises furent totalement dépouillées102. En 1993, les soldats se livrèrent à de semblables exactions à Kinshasa103.
2.32. Le déclin de l’économie était si marqué que, en 1996, le PIB par habitant de ce qui était alors encore le Zaïre n’atteignait pas 40 % de son niveau de 1958104. Selon un rapport de la Banque mondiale, «[[l]a pauvreté s’[était] généralisée, et les indicateurs sociaux, auparavant meilleurs que dans le reste de l’Afrique sub-saharienne, s’[étaient] nettement dégradés»105. Ce même rapport indiquait : «Les infrastructures, non entretenues, se sont détériorées à tel point que la plupart des régions se retrouvent aujourd’hui complètement isolées»106. Le service de transport fluvial avait cessé de fonctionner et les routes disparaissaient sous la végétation107 ; les ordures non collectées s’amoncelaient dans les rues ; les écoles publiques fermaient ; les policiers et soldats, mal payés, pillaient les magasins, rançonnaient les journalistes étrangers, et utilisaient les véhicules militaires pour offrir des services de taxi108. Le gouvernement avait renoncé à fournir tout service de santé ou
97 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 27-29, annexe 88.
98 Ibid.
99 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit.
100 Ibid.
101 F. Missier et O. Vallee, «Du scandale zaïrois au Congo gemmocratique», op. cit., p. 27-28, annexe 77.
102 E. F. Kisangani & F. S. Bobb, Historical Dictionary of the Democratic Republic of the Congo, op. cit., p. 352, 425-426, annexe 84.
103 Ibid.
104 G. Kiakwama & J. Chevallier, «Nonreformers: Democratic Republic of the Congo», op. cit., p. 637, annexe 76.
105 Ibid.
106 Ibid.
107 A. Hochschild, «Congo’s Many Plunderers», Economic & Political Weekly, vol. 36, no 4, (27 janv.-2 fév. 2001), p. 287-288, annexe 78.
108 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 399, annexe 89 ; A. Hochschild, «Congo’s Many Plunderers», op. cit., p. 287-288, annexe 78.
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d’éducation ; pour ce qui est de l’armée, les troupes étaient démotivées et insuffisamment équipées109.
2.33. La faiblesse du gouvernement central permit à des potentats locaux d’asseoir leur contrôle et de former des milices locales110. La criminalité et les violations des droits de l’homme s’intensifièrent alors que la pauvreté s’aggravait111.
2.34. Le gouvernement zaïrois lui-même, dans une étude établie en 1995 par son ministère du plan et de la reconstruction nationale, admit que la situation se dégradait rapidement, ainsi que l’avaient souligné l’UNICEF, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et l’OMS112. Les conclusions de son étude étaient les suivantes :
entre 1984 et 1995, les taux de mortalité avaient nettement augmenté pour les enfants et les adultes113 ;
chaque année, le PIB perdait 10 %, alors que la population augmentait de 3,1 %114 ;
la dette nationale avait atteint 10 milliards de dollars, soit près du double du PIB du pays (environ 5,5 milliards de dollars)115 ;
le revenu réel par habitant, de 350 dollars en 1959, n’était plus que de 240 en 1981, et d’à peine 100 dollars en 1995116 ;
5 % de la population, vivant essentiellement à Kinshasa et Shaba, possédait la moitié des richesses117 ;
la population congolaise avait développé une économie informelle de survie, qui, quoique dynamique, échappait à l’impôt118 ; et
la violence et la délinquance juvéniles étaient en forte expansion119.
109 E. Pay & D. Goyvaerts, «Belgium, the Congo, Zaire, and Congo: A Short History of a Very Shaky Relationship», in Conflict and Ethnicity in Central Africa, D. Goyvaerts (sous la dir. de) (2000), p. 30, annexe 75.
110 K. Vlassenroot, «The Promise of Ethnic Conflict: Militarisation and Enclave-Formation in South Kivu», op. cit., p. 71, annexe 74.
111 Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, République démocratique du Congo, 1993-2003 : rapport du projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo (ci-après «rapport Mapping») (août 2010), par. 130, annexe 25.
112 République du Zaïre, ministère du plan et reconstruction nationale, «Enquête nationale sur la situation des enfants et des femmes au Zaïre en 1995, rapport final» (fév. 1996), p. 6, annexe 41.
113 Ibid., p. 59-60.
114 Ibid., p. 6.
115 Ibid.
116 Ibid.
117 Ibid.
118 Ibid., p. 6-7.
119 Ibid., p. 7.
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C. La montée des tensions ethniques au cours des années 1990
2.35. Plusieurs événements contribuèrent, dans les années 1990, à exacerber les tensions ethniques en RDC, semant de nouveaux germes d’instabilité, de violence et de conflit. Après la fin de la guerre froide, les pressions s’accentuèrent en faveur de la démocratisation. Mobutu lança alors un pseudo processus de démocratisation, usant de la tactique consistant à «diviser pour mieux régner», qu’il s’employait parallèlement à saboter en attisant les hostilités ethniques. Selon un observateur, «l’ethnicité fut l’instrument principal» utilisé pour «inquiéter, détruire ou désorganiser [s]es rivaux»120. Les milices de jeunes proliféraient121.
2.36. En Ituri, les Hema et les Lendu en profitèrent de part et d’autre pour fonder des partis politiques visant à sauvegarder leurs intérêts. Les Hema créèrent le parti ETE (qui signifie «bétail» en hema), et les Lendu, celui de la Libération de la race opprimée en Ituri (LORI)122. Les deux groupes mobilisèrent la jeunesse et encouragèrent la violence.
2.37. En Ituri, les tensions étaient particulièrement vives dans les territoires de Djugu et d’Irumu. A Djugu, les chefs lendu de la collectivité des Walendu Pitsi firent valoir des droits coutumiers sur des concessions territoriales détenues par des hommes d’affaires hema123. Parallèlement, mettant à profit leurs relations politiques, les Hema étendirent leurs concessions et annexèrent certains territoires des villages lendu voisins124. Les rares litiges portés devant les tribunaux furent tranchés en faveur des Hema. Les Lendu n’avaient pas les moyens financiers de contester les titres125, mais ils refusèrent de partir. S’ensuivirent des affrontements armés avec la police126. Lors d’un incident qui se déroula en Irumu, un différend remontant à 1910 à propos de la propriété des villages de Lagabo, Lapka et Nombe fut à l’origine de 270 morts127. Dans le chaos, le bataillon de Mobutu perdit le contrôle et recourut à l’artillerie lourde contre les Lendu, tuant plus de 300 civils128.
D. L’incidence des guerres civiles dans la région
2.38. Le génocide de 1994 au Rwanda allait aggraver l’instabilité en RDC, en particulier à l’est.
2.39. Après l’assassinat, le 6 avril 1994, du président rwandais hutu Habyarimana, des éléments des Forces armées rwandaises (FAR) à dominante hutue et des milices extrémistes hutues Interahamwe massacrèrent de 800 000 à un million de Tutsis et de Hutus modérés en l’espace de
120 K. Vlassenroot, «The Promise of Ethnic Conflict: Militarisation and Enclave-Formation in South Kivu», op. cit., p. 71, annexe 74.
121 Ibid.
122 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 291, annexe 90.
123 D. Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo», op. cit., p. 31, annexe 88.
124 Ibid.
125 T. Vircoulon, «L’Ituri ou la guerre au pluriel», op. cit., p. 131, annexe 82.
126 Rapport Mapping, par. 365, annexe 25.
127 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 291, annexe 90.
128 Ibid.
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trois mois129. Le Front patriotique rwandais (FPR) à dominante tutsie réagit en lançant une offensive et en s’emparant du pouvoir en juillet 1994.
2.40. Environ 1,5 million de réfugiés, dont des membres des FAR, des Interahamwe et d’autres «génocidaires» en déroute, s’enfuirent vers l’est du Zaïre. Forts d’une grande partie de l’arsenal militaire et des caisses de l’Etat rwandais, ils commencèrent à planifier des attaques contre le Rwanda, non sans une certaine complaisance de la part de Mobutu et du reste de la communauté internationale130.
2.41. Les génocidaires rwandais rejoignirent, dans l’est du Zaïre, une dizaine d’autres groupes rebelles opposés aux régimes de pays voisins, comme l’Angola, le Burundi et l’Ouganda. La RDC elle-même a reconnu, dans un document joint à la requête qu’elle a déposée en la présente affaire, que «[l]’afflux massif des réfugiés [h]utus rwandais dans les Provinces orientales du Congo, en 1994, … a[vait] davantage exacerbé le problème de sécurité à la frontière commune entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda»131. Elle a également souligné que «[l]es actions de la rébellion ougandaise («Armée du Seigneur») aux abords de la frontière congolo-ougandaise [avaient] également [été] un facteur d’instabilité dans la région des Grands Lacs»132.
2.42. En 1996, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), coalition menée par Laurent-Désiré Kabila, mena un soulèvement contre Mobutu, le forçant à quitter le pouvoir, avec le soutien du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda133. Le 25 mai 1997, Kabila s’autoproclama président et rebaptisa le pays «République démocratique du Congo»134.
2.43. Le président Kabila accéda au pouvoir en promettant de démocratiser le pays et de relancer l’économie. Cependant, en quelques mois, il avait perdu ses soutiens tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Son refus de coopérer à l’enquête du Secrétaire général de l’ONU visant des abus en matière de droits de l’homme lui aliéna notamment ceux qui l’avaient appuyé sur le plan international135.
2.44. Les mesures autoritaires de Kabila suscitèrent également des dissensions internes. Le 22 mars 1997, Kabila avait annoncé l’interdiction de tous les partis politiques jusqu’à la fin de la «guerre de libération» ; il suspendit ensuite les activités politiques des partis d’opposition pendant deux ans136. Les forces de sécurité du nouveau régime s’en prirent aux dirigeants et aux militants
129 D. Van Reybrouck, Congo : Une histoire, op. cit., p. 444, annexe 89.
130 Ibid., p. 445, annexe 89.
131 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Rwanda), livre blanc, tomes I et II, annexé à la requête introductive d’instance du Gouvernement de la République démocratique du Congo (ci-après «livre blanc de la RDC»), déposée le 23 juin 1999, p. 2, par. 8.
132 Livre blanc de la RDC, p. 2, par. 8.
133 Livre blanc de la RDC, p. 2, par. 9.
134 Rapport Mapping, par. 180, annexe 25.
135 Ibid., par. 180, annexe 25 ; ONU, Haut-Commissariat aux droits de l’homme, «Statement by Mrs Mary Robinson, U.N. High Commissioner for Human Rights», accessible à l’adresse suivante : http://newsarchive.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsI… (dernière consultation le 16 janvier 2018), annexe 7.
136 F. Ngolet, Crisis in the Congo (2011), p. 6-7, annexe 86.
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des principaux partis d’opposition et commirent de nombreuses atrocités : des manifestants furent torturés et assassinés et des proches de dirigeants de l’opposition, violés137.
2.45. Lorsque le conflit éclata de nouveau en 1998, l’héritage de la colonisation et quatre décennies de mauvaise gouvernance avaient laissé le peuple congolais appauvri et sans voix au chapitre, et les clivages ethniques étaient à leur comble.
II. LE RÔLE DE L’OUGANDA DANS LE CONFLIT DE 1998
A. Les parties au conflit
2.46. Critiqué de toutes parts, le président Kabila se retourna contre ses anciens alliés, en particulier le Rwanda, qui avait maintenu une présence importante en RDC après son arrivée au pouvoir, des responsables rwandais occupant même des postes importants dans son nouveau gouvernement. En juillet 1998, Kabila releva ainsi de ses fonctions le chef d’état-major de l’armée congolaise, James Kabarebe, un général rwandais, et ordonna à tous les soldats rwandais de quitter le territoire congolais138.
2.47. Le 2 août 1998, une coalition de groupes rebelles congolais et de forces rwandaises déclencha une rébellion visant à renverser Kabila139. Le gouvernement chercha à mobiliser le soutien du public en incitant à s’en prendre aux Rwandais et se «livr[a] à une véritable traque des Tutsi[s], des Banyamulenge [Tutsi[s] congolais] et des personnes d’origine rwandaise en général»140. Le directeur de cabinet du président Kabila, Abdulaye Yerodia Ndombasi, «attisa la haine contre les Tutsi[s], les comparant à [des] «virus, [à des] moustique[s] et [à des] ordure[s] à écraser avec détermination et résolution»»141.
2.48. Incapable de réprimer seul la rébellion, Kabila sollicita l’aide d’Etats voisins. L’Angola, le Tchad, la Libye, la Namibie, le Soudan et le Zimbabwe lui prêtèrent main-forte, notamment en envoyant des troupes. La Cour a déjà constaté que l’Ouganda était intervenu le 7 août 1998142.
2.49. Peu après le déclenchement du conflit, la RDC s’est de fait trouvée divisée en deux zones. L’une, à l’est, était administrée par un groupe rebelle appelé Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et sa branche armée, l’Armée nationale congolaise (ANC), avec l’appui du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda. L’autre, à l’ouest, était contrôlée par le Gouvernement de la RDC, avec le soutien de ses alliés extérieurs143.
137 Rapport Mapping, par. 302, annexe 25.
138 Rapport Mapping, par. 308, annexe 25.
139 Ibid., par. 308-309, annexe 25.
140 Ibid., par. 312, annexe 25.
141 Ibid., par. 313, annexe 25.
142 Activités armées (2005), par. 149.
143 Rapport Mapping, par. 309, annexe 25.
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2.50. Outre la présence en RDC de ces armées nationales, au moins 21 grands groupes armés irréguliers et bien davantage de groupes irréguliers de taille plus modeste étaient mêlés au conflit144.
2.51. Les constants changements d’alliances allaient rendre le conflit particulièrement complexe et son règlement difficile. Kabila noua au fil du temps des alliances avec différents groupes rebelles, dont les groupes armés maï-maï, les ex-FAR/Interahamwe, le groupe armé hutu burundais des Forces pour la défense de la démocratie (FDD), ainsi que l’Armée de libération du Rwanda (ALiR)145. En novembre 1998, Jean-Pierre Bemba créa un nouveau mouvement politique et militaire, le MLC146, qui contrôlait l’essentiel de la province de l’Equateur. En mars 1999, le RCD éclata en deux factions le RCD-Goma et le RCD-ML147 , qui disposaient l’une et l’autre de leur propre groupe armé (l’ANC et l’APC, respectivement), et auxquelles il fallait encore ajouter un autre groupe rebelle appelé le RCD-National ou RCD-N.
2.52. Dans son arrêt de 2005, la Cour a fait observer que «les actes commis par les diverses parties [au] conflit complexe que conna[issait] la RDC [avaient] contribué aux immenses souffrances de la population congolaise»148. Si l’Ouganda comprend que la «large responsabilité des Etats de la région ne saurait excuser [son] action militaire illicite»149, il n’en demeure pas moins qu’il n’était que l’un des très nombreux acteurs impliqués dans le conflit.
2.53. Une équipe envoyée par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme pour dresser l’inventaire des violations graves du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme commises en RDC entre 1993 et 2003 a conclu dans son rapport (ci-après «rapport Mapping») que tous les groupes armés présents en RDC s’étaient rendus responsables d’actes illicites, y compris les forces et les alliés de la RDC elle-même150.
2.54. Les auteurs du rapport Mapping ont notamment conclu ce qui suit :
des éléments de l’armée et des services de sécurité congolais ont exécuté, torturé et violé des civils, recruté plus de 4000 enfants-soldats et pris pour cible des travailleurs humanitaires qui essayaient de venir en aide aux victimes de bombardements151 ;
144 Rapport Mapping, par. 19-20 et 38, note 36, annexe 25. Parmi les groupes rebelles figuraient le Rassemblement congolais pour la démocratie–Goma (RCD-G), le Mouvement de libération du Congo (MLC), le Rassemblement congolais pour la démocratie/Kisangani–Mouvement de libération (RCD-K/ML), le Rassemblement congolais pour la démocratie–National (RCD-N), les milices hema [Union des patriotes congolais (UPC) et Parti pour l’unité et la sauvegarde du Congo (PUSIC)], les milices lendu/ngiti [Front national intégrationniste (FNI) et la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI)], les Forces armées populaires congolaises (FAPC), les Mayi-Mayi, les Mudundu-40, les Forces de Masunzu et les ex-Forces armées rwandaises et Interahamwe (ex-FAR/Interahamwe).
145 Rapport Mapping, par. 310, annexe 25.
146 Ibid.
147 Ibid.
148 Activités armées (2005), par. 221.
149 Rapport Mapping, par. 15[2].
150 Ibid., par. 525, annexe 25.
151 Ibid., par. 312-313, 329, 334 et 718, annexe 25.
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les forces armées zimbabwéennes ont mené à l’arme lourde et sans discrimination des attaques qui ont fait des centaines de morts et de blessés parmi les civils et causé le déplacement de milliers d’autres. Elles ont également détruit des unités sanitaires et des lieux de culte152 ;
les forces armées tchadiennes ont, en de nombreuses occasions, brûlé vifs des civils153 ; et
les forces armées angolaises ont pillé des habitations, tué et violé des civils à si grande échelle que les auteurs du rapport ont supposé que la hiérarchie militaire angolaise avait toléré, voire planifié les atrocités154.
2.55. La RDC a déposé une requête introductive d’instance devant la Cour non seulement contre l’Ouganda, mais également contre le Burundi et le Rwanda, faisant notamment état de violations généralisées du droit humanitaire155. Toutefois, les deux affaires y relatives ont finalement été radiées du rôle de la Cour car, à la différence de l’Ouganda, ni le Burundi ni le Rwanda ne reconnaissent la juridiction obligatoire de celle-ci.
2.56. Si les auteurs du rapport Mapping ont consigné au total plus de 339 violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire sur le territoire de la RDC entre août 1998 et juin 2003156, seule une infime fraction d’entre elles présentaient un lien quelconque avec l’Ouganda.
2.57. A cet égard, il importe de noter que, au plus fort de leur déploiement, les Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) ne comptaient que 10 000 soldats en RDC, alors que d’autres pays et groupes rebelles étaient présents en nombres autrement plus importants. La Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) a ainsi évalué à quelque 23 400 et à 12 000, respectivement, le nombre de soldats rwandais et zimbabwéens qui se trouvaient en RDC157.
2.58. Le conflit qui a sévi à peu près au même moment entre l’Erythrée et l’Ethiopie fournit une comparaison éclairante. Au cours de la guerre qui a suivi l’invasion de l’Ethiopie par l’Erythrée, en 1998, 300 000 soldats ont été déployés de part et d’autre158. La commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a en définitive condamné chaque partie à verser à l’autre quelque 170 millions de dollars à titre d’indemnisation à raison de préjudices causés dans le cadre du conflit. Or, le nombre de soldats ougandais envoyés en RDC était à peu près 30 fois moindre.
152 Rapport Mapping, par. 334, annexe 25.
153 Ibid., par. 382, annexe 25.
154 Ibid., par. 332, annexe 25.
155 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Rwanda), requête introductive d’instance, 1999, rôle no 117, déposée le 23 juin 1999 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Burundi), requête introductive d’instance, 1999, rôle no 115, déposée le 23 juin 1999 ; livre blanc de la RDC, par. 8.
156 Rapport Mapping, par. 19 et 21, annexe 25.
157 IRIN, «15 312 soldats étrangers se sont déjà retirés, selon l’ONU», accessible à l’adresse suivante : http://www.irinnews.org/fr/node/203505 (dernière consultation le 2 octobre 2002), annexe 93.
158 Voir, par exemple, International Crisis Group, «Ethiopia and Eritrea: War or Peace?», ICG Africa Report no 68 (24 sept. 2003), p. 9. Dans sa décision concernant l’indemnisation, la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a adjugé 161 455 000 dollars à l’Erythrée et 174 036 520 dollars à l’Ethiopie, annexe 55.
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2.59. L’Ouganda répète que, s’il soulève ces questions, ce n’est pas pour contester ou minorer d’une quelconque autre façon la responsabilité qui lui incombe à raison de ses propres actes, telle que constatée par la Cour en 2005159. Il juge cependant important de rappeler que d’autres acteurs ont également participé au conflit en RDC et devraient donc être tenus pour responsables de leurs actes (même s’ils ne peuvent être attraits devant la Cour).
2.60. Il importe aussi de rappeler que, si la Cour a jugé que l’Ouganda avait engagé sa responsabilité à raison de certains actes commis par les soldats des UPDF, elle a expressément conclu qu’il n’avait pas mené une politique de terreur160. Elle a en outre expressément conclu que l’Ouganda ne contrôlait pas le comportement des autres groupes armés auxquels il apportait son soutien comme le MLC et le RCD et qu’il n’était pas responsable de ce comportement161.
2.61. Les rapports indiquent par ailleurs que, à de nombreuses reprises, l’Ouganda a pris l’initiative de mesures destinées à protéger les civils des conséquences du conflit. A titre d’exemple, l’équipe Mapping a relaté que l’Ouganda (à la différence du Rwanda) avait mis en garde la population locale de Kisangani avant le début des hostilités et qu’il avait maintes fois demandé l’évacuation de certaines zones civiles162. En 2002 et en 2003, les soldats des UPDF sont également intervenus à de nombreuses reprises en Ituri pour arrêter les violences de groupes rebelles contre des civils163.
B. Le rôle de l’Ouganda en Ituri
2.62. En 2005, la Cour a constaté que l’Ouganda était une puissance occupante en Ituri et qu’il lui appartenait, à ce titre, de «prendre toutes les mesures qui dépendaient de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il était possible, l’ordre public et la sécurité dans le territoire occupé en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur en RDC»164. Elle a également conclu que l’Ouganda ne s’était pas conformé à ces obligations165.
2.63. Aux fins de l’évaluation de la situation en Ituri, il importe de tenir compte du conflit complexe et profondément enraciné auquel avait été en proie la région pendant plus d’un siècle avant 1998. L’Ouganda lui-même s’est trouvé dans une position intenable. Nombre des faits illicites qui se sont produits en Ituri échappaient à son contrôle comme, d’ailleurs, à tout contrôle. L’Ouganda n’a ni créé le conflit dans cette région, ni été à même de le régler.
2.64. Compte tenu de ses capacités réduites, son emprise est restée limitée en RDC. Selon un expert «[l]es UPDF n’ont pas posté de troupes dans la plupart des zones rurales, laissant ainsi un vide politique propice à la formation de milices locales et à l’administration des affaires publiques
159 Activités armées (2005), par. 345.
160 Ibid., par. 212.
161 Activités armées (2005), par. 160 et 177.
162 Rapport Mapping, par. 362-363, annexe 25.
163 Ibid., par. 413 et 422, annexe 25.
164 Activités armées (2005), par. 178.
165 Ibid., par. 345.
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par celles-ci»166. Ces mêmes facteurs, ainsi que la nature du terrain, équatorial, expliquent que les UPDF aient difficilement pu se tenir informées des faits et gestes des milices167.
2.65. Il n’en demeure pas moins que l’Ouganda et le RCD-ML ont tous deux pris des mesures visant à régler par la médiation le conflit entre les Hema et les Lendu, et à rétablir la paix. En définitive, les tentatives du RCD-ML pour organiser des réunions intercommunautaires débouchèrent, en octobre 1999, sur la signature d’accords de paix168. Cette initiative permit de ramener le calme dans le nord de l’Ituri. Au sud, toutefois, des tensions continuèrent d’éclater entre les milices hema et lendu169.
2.66. En décembre, le président ougandais Yoweri Museveni invita à Kampala 18 délégués, parmi lesquels des représentants des Lendu et des Hema170. Au terme de ces pourparlers, Ernest Uringi Padolo, ressortissant de la RDC qui, en sa qualité de membre de la communauté alur, était considéré comme neutre dans le conflit, fut désigné gouverneur171. Sur la base de plaintes déposées par des habitants de l’Ituri, l’Ouganda mena également des enquêtes sur des soldats ougandais, en renvoyant et remplaçant certains, jugés coupables d’abus172. Selon le rapport Mapping, «[c]es initiatives ... permi[rent] de ramener le calme dans le district au cours de 2000»173.
2.67. Comme dans d’autres parties de la RDC, les changements d’alliances et scissions de groupes rebelles prolongèrent le conflit en Ituri. Les divisions internes au sein du RCD-ML entraînèrent une reprise des hostilités ; l’Ouganda s’offrit comme médiateur, mais en vain174. Il tenta également de faciliter l’unification du RCD-ML et du MLC en un seul mouvement, le Front de Libération du Congo (FLC), dirigé par Jean-Pierre Bemba. Dans son ouvrage (sur lequel la RDC fait fond dans son mémoire175), M. Bemba souligne les limites du pouvoir dont disposait l’Ouganda pour enrayer le cycle de violence en Ituri, estimant qu’«aucune autorité politico-administrative
166 A. Veit, Intervention as Indirect Rule: Civil War and Statebuilding in the Democratic Republic of Congo (2010), p. 122, annexe 85.
167 IRIN, «Special Report on the Ituri Clashes Part II: The Ugandan position», accessible à l’adresse suivante : http://www.irinnews.org/report/12700/drc-irin-special-report-ituri-clas… (dernière consultation le 3 mars 2000), annexe 92.
168 Rapport Mapping, par. 369, annexe 25.
169 Ibid.
170 Ibid., par. 370 ; A. Veit, Intervention as Indirect Rule: Civil War and Statebuilding in the Democratic Republic of Congo, op. cit., p. 114-115, annexe 85. IRIN, «Special Report on the Ituri Clashes Part II: The Ugandan position», accessible à l’adresse suivante : http://www.irinnews.org/report/12700/drc-irin-specialreport-ituri-clash… (dernière consultation le 3 mars 2000), annexe 92.
171 Rapport Mapping, par. 370, annexe 25.
172 IRIN, «Special Report on the Ituri Clashes Part II: The Ugandan position», accessible à l’adresse suivante : http://www.irinnews.org/report/12700/drc-irin-special-report-ituri-clas… (dernière consultation le 3 mars 2000), annexe 92.
173 Rapport Mapping, par. 370, annexe 25.
174 Ibid., par. 404.
175 MRDC, par. 2.47-2.48, note de bas de page no 129 ; MRDC, par. 2.51-2.52, note de bas de page no°132 ; MRDC, par. 2.53, 2.55, 2.85 et 5.16.
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n’[était] en mesure de calmer sur [le] terrain les tensions et [de] ramener les extrémistes à la raison»176.
2.68. Les efforts déployés par le FLC en vue d’organiser des consultations avec les chefs traditionnels connurent un certain succès. En février 2001, les parties signèrent un protocole d’accord prévoyant la cessation immédiate des hostilités, le désarmement des miliciens et le démantèlement des camps d’entraînement. Selon le rapport Mapping, «le nombre de violations ... diminu[a] sensiblement» au cours des mois qui suivirent, bien que les «tensions intercommunautaires» restassent fortes et que «les milices [aient] continué de s’armer»177.
2.69. Malheureusement, les efforts de l’Ouganda visant à unir le MLC et le RCD-ML afin d’endiguer la violence furent bientôt contrariés par l’alliance entre ce dernier et le Gouvernement congolais178. Avec l’entrée en jeu des Gouvernements de la RDC et du Rwanda, qui allaient entraîner et appuyer des groupes rebelles, les abus se généralisèrent en Ituri179. En février 2002, Thomas Lubanga et des soldats hema réagirent en quittant l’APC/RCD-ML pour former un nouveau groupe politico-militaire hema, l’Union des patriotes congolais (UPC)180. En réponse, l’APC, soutenue par le Gouvernement congolais, encouragea les membres des milices lendu à unir leurs forces au Front national intégrationniste (FNI) et à la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI)181. L’UPC avait commencé par s’allier à l’Ouganda mais, à la fin de l’année 2002, elle rompit cette alliance après s’être rapprochée du Rwanda182.
2.70. A maintes reprises, les soldats des UPDF tentèrent de protéger les victimes de massacres183. En 2002, ils intervinrent ainsi à Mabanga, dans le territoire de Djugu (Ituri), pour couvrir la fuite de «non-originaires» qui étaient pris pour cible par des miliciens hema-gegere184. En plusieurs occasions en 2003, des soldats des UPDF basés à Kilo et Bunia intervinrent également pour faire cesser les violences du groupe rebelle FNI à l’encontre de civils185.
2.71. Incapable d’exercer un contrôle sur les différentes milices rivales en Ituri, l’Ouganda se retrouva face à un dilemme : manquer aux engagements qu’il avait contractés au titre du processus de Lusaka, renforcer sa présence militaire et s’enfoncer plus profondément dans les turbulences du conflit, ou s’en retirer entièrement.
176 J.-P. Bemba, Le choix de la liberté (20[02]), p. 100 (le passage complet se lit comme suit : «Pendant plus de deux mois, aucune autorité politico-administrative n’est en mesure de calmer sur [le] terrain les tensions et [de] ramener les extrémistes à la raison. Les commandants ougandais semblent débordés par le déferlement de violences et de massacres.»), MRDC, annexe 2.13.
177 Rapport Mapping, par. 408, annexe 25.
178 Ibid., par. 395 et 409 ; A. Veit, Intervention as Indirect Rule: Civil War and Statebuilding in the Democratic Republic of Congo, op. cit., p. 116, annexe 85.
179 Conseil de sécurité, rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003), doc. S/2004/573 en date du 16 juillet 2004, par. 2-4, MRDC, annexe 1.6 ; A. Veit, Intervention as Indirect Rule: Civil War and Statebuilding in the Democratic Republic of Congo, op. cit., p. 116-119, annexe 85.
180 Rapport Mapping, par. 409, annexe 25.
181 Ibid.
182 Ibid., par. 418.
183 IRIN, «Special Report on the Ituri Clashes Part II: The Ugandan position», accessible à l’adresse suivante : http://www.irinnews.org/report/12700/drc-irin-special-report-ituri-clas… (dernière consultation le 3 mars 2000), annexe 92.
184 Rapport Mapping, par. 413, annexe 25.
185 Ibid., par. 421-422.
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2.72. Dans un premier temps, l’Ouganda opta pour la seconde possibilité. Lorsque le président Museveni annonça, en avril 2001, le retrait immédiat des troupes ougandaises stationnées en RDC, anticipant ainsi sur le calendrier fixé dans le cadre du processus de Lusaka et des accords connexes, le Secrétaire général de l’ONU intercéda auprès de lui en demandant expressément le maintien en RDC des forces ougandaises et le «respect [du] calendrier convenu pour un retrait ordonné»186. Il était donc reconnu que, tout bien pesé, la présence de l’Ouganda servait les intérêts de la paix et de la stabilité dans la région, et était assurément préférable à toute autre solution.
2.73. Ainsi que prévu dans le cadre de l’accord de Lusaka, l’Ouganda entama le processus de désengagement du conflit en participant au Dialogue intercongolais, qui s’ouvrit le 25 février 2002 à Sun City (Afrique du Sud)187. Le 6 septembre 2002, il conclut ensuite avec la RDC un accord de paix définitif à Luanda188. Le 2 juin 2003, il avait retiré ses troupes189.
C. La situation d’après-guerre
2.74. Après le retrait de l’Ouganda, les violences dans l’est de la RDC se poursuivirent, perpétuant une situation qui prévalait même avant 1998190. Les groupes rebelles en Ituri continuent à ce jour de s’en prendre aux civils191.
2.75. Lorsque les troupes des UPDF quittèrent l’Ituri, des milliers de civils, craignant pour leur sécurité, les suivirent en Ouganda192. Certains s’y installèrent ; d’autres rentrèrent chez eux lorsque l’intensité des combats diminua, pour revenir lorsque ceux-ci reprirent de plus belle193.
186 Activités armées (2005), par. 97 ; lettre en date du 4 mai 2001 adressée à M. Yoweri Kaguta Museveni, président et ministre de la défense de la République de l’Ouganda, par Kofi Annan, Secrétaire général de l’ONU, annexe 36.
187 Rapport Mapping, par. 396, annexe 25.
188 Ibid., par. 397.
189 Activités armées (2005), par. 264.
190 F. E. Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010, op. cit., p. 301, annexe 90 ; rapport Mapping, par. 423-429, annexe 25.
191 L. Oussou, MONUSCO, «La force de la MONUSCO invite les communautés en Ituri à dialoguer pour la paix», accessible à l’adresse suivante : https://monusco.unmissions.org/la-force-de-la-monusco-invite-les-commun… (dernière consultation le 11 août 2017), p. 2, annexe 100 ; Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Organisation des Nations Unies, «DR Congo: Weekly Humanitarian Update (19-23 June 2017)», accessible en anglais à l’adresse suivante : https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/dr-congo-weekly-… (dernière consultation le 23 juin 2017), annexe 30 ; Conseil de sécurité, 7998e séance, «Security Council Members Stress Need for Democratic Republic of Congo to Hold Fair, Free, Inclusive Elections without Further Delay», doc. SC/12907 en date du 11 juillet 2017, annexe 32.
192 Rapport Mapping, par. 423, annexe 25 ; M. Mutuli (V. Tan, dir. publ.), HCR, «Uganda counts close to 20,000 new Congolese refugees from Ituri region», accessible à l’adresse suivante : http://www.unhcr.org/en-us/news/latest/2003/5/3ec7977f4/uganda-counts-c… (dernière consultation le 19 mai 2003), annexe 94.
193 M. Mutuli (V. Tan, dir. publ.), HCR, «Congolese march to Uganda: «Soldiers before us, death behind us»», accessible à l’adresse suivante : http://www.unhcr.org/en-us/news/latest/2003/5/3ecb770f9/congolese-march… (dernière consultation le 21 mai 2003), annexe 95 ; D. Nthengwe (L. Dobbs), HCR, «30 000 civils congolais fuient un regain de violence en Ituri», accessible à l’adresse suivante : http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2009/4/4acf01f327/30-000-civils-co… (dernière consultation le 7 avril 2009), annexe 24.
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2.76. Depuis 2003, l’Ouganda est le principal pays d’accueil pour les réfugiés de la RDC194, dont le nombre, à la fin de l’année 2017, s’élevait encore à plus de 236 500195. Les politiques ougandaises en matière d’accueil et de droit d’asile sont largement reconnues comme comptant parmi les plus progressistes au monde196. L’Ouganda donne à tous les réfugiés, y compris congolais, des terres à cultiver et leur permet d’accéder aux mêmes services publics que les ressortissants ougandais, notamment à l’enseignement. Les réfugiés ont également le droit de travailler et de créer leur propre entreprise, et de circuler librement197.
2.77. En juin 2017, le Secrétaire général de l’ONU a déclaré que «par le passé, la politique de l’Ouganda en matière de réfugiés a[vait] été exemplaire et [que], aujourd’hui encore, alors même qu’il [devait] faire face au plus grand afflux de l’année écoulée, il demeur[ait] un symbole de l’intégrité du régime de protection des réfugiés»198. Le Secrétaire général appelait la communauté internationale à apporter son concours à l’Ouganda, dont les «sacrifices [étaient] consentis dans des circonstances extrêmement difficiles»199.
2.78. Depuis la fin du conflit, l’Ouganda s’est également attaché à promouvoir la paix en RDC, et dans la région de manière plus générale. A titre d’exemple, il a contribué activement à faciliter les pourparlers entre le Gouvernement de la RDC et le groupe rebelle M-23, qui ont débouché, en décembre 2013, sur un accord visant à mettre fin aux hostilités entre ces deux entités.
2.79. Par la voix de son président, le Conseil de sécurité de l’ONU a reconnu le rôle de l’Ouganda200. Le 14 novembre 2013, il avait notamment déclaré ce qui suit : «Le Conseil salue l’action menée par le Président Museveni et le Ministre de la défense Kiyonga, qui ont favorisé la conclusion de ces pourparlers.»201 Le Conseil de sécurité l’a réaffirmé dans la résolution 2147 (2014). Mme Mary Robinson, envoyée spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour la région des Grands Lacs, ainsi que d’autres responsables de l’ONU ont également félicité le président
194 HCR, «Appel global 2004 du HCR Ouganda», accessible à l’adresse suivante : http://www.unhcr.org/fr/publications/fundraising/4ad2f0faf/appel-global… (dernière consultation le 31 décembre 2003), p. 113, annexe 17.
195 Ibid., «HCR: La crise de déplacements de populations s’aggrave en RDC», accessible à l’adresse suivante : http://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2017/10/59ef2dada/hcr-crise-depla… (dernière consultation le 24 octobre 2017), annexe 34.
196 [Note manquante dans l’original.]
197 HCR, C. Yaxley, «L’Ouganda héberge désormais plus de 500 000 réfugiés et demandeurs d’asile», accessible à l’adresse suivante : http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2015/12/5677d4e8c/louganda-heberge… (dernière consultation le 18 décembre 2015), annexe 29 ; HCR, C. Wachiaya, «Des refugiés avides de savoir s’entassent dans les salles de classe d’une école ougandaise», accessible à l’adresse suivante : http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2017/9/59b7f93da/refugies-avides-s… (dernière consultation le 11 septembre 2017), annexe 33.
198 Secrétaire général de l’ONU, «The Secretary-General’s opening remarks to the Uganda Solidarity Summit on Refugees», accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2017-06-23/secretary-gene… (dernière consultation le 23 juin 2017), annexe 31.
199 Ibid.
200 Conseil de sécurité, 7150e séance, à propos de la prorogation du mandat de la MONUSCO, doc. S/RES/2147 (2014) en date du 28 mars 2014, p. 2, annexe 28.
201 Conseil de sécurité, 7058e séance, déclaration de son président, doc. S/PRST/2013/17 en date du 14 novembre 2013, annexe 27.
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Museveni et le ministre Kiyonga pour leur «leadership», jugeant que leur patience et leur détermination avaient facilité la conclusion de l’accord202.
2.80. Le Gouvernement de la RDC lui-même a expressément reconnu la contribution apportée par l’Ouganda en vue de stabiliser la région. A une réunion ministérielle tenue à Johannesburg en 2012, le ministre congolais de la justice et des droits de l’homme a ainsi loué les efforts de l’Ouganda et «exprimé la gratitude du Gouvernement de la RDC pour le rôle positif [qu’il avait] joué ... dans le cadre de la stabilisation de la région des Grands Lacs»203.
*
2.81. La RDC est en proie à l’instabilité et à la violence depuis l’époque coloniale. Les graves problèmes auxquels elle fait face ne remontent pas à 1998, date du début de l’intervention ougandaise, et n’ont pas pris fin en 2003, date du retrait de l’Ouganda. Même pendant le conflit, celui-ci n’était qu’une des nombreuses parties prenantes, tant internationales que nationales. La RDC ne peut donc espérer que lui soit imputée la responsabilité de tout ce qui s’est produit durant le conflit, et encore moins avant ou après celui-ci, ce qu’elle cherche en réalité à obtenir avec l’exorbitante demande d’indemnisation qu’elle a présentée dans son mémoire.
202 Centre d’actualités de l’ONU, «Les envoyés spéciaux pour les Grands Lacs saluent l’annonce du M23 de mettre fin à sa rébellion», accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/fr/story/2013/11/277662-les-envoyes-speciaux-pour-l… (dernière consultation le 5 novembre 2013), annexe 26.
203 République de l’Ouganda et République démocratique du Congo, procès-verbal de la réunion ministérielle (13-14 sept. 2012), p. 2, MO, annexe 7.
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CHAPITRE 3 LES FAILLES SYSTÉMATIQUES VICIANT LA DÉMARCHE DE LA RDC EN MATIÈRE D’ADMINISTRATION DE LA PREUVE
3.1. Au paragraphe 260 de son arrêt de 2005, la Cour a indiqué que, au présent stade des réparations, la RDC devrait 1) «apport[er] la preuve» 2) du «préjudice exact» qu’elle avait subi 3) «du fait des» 4) «actions spécifiques de l’Ouganda» constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable204. Dans son mémoire, la RDC n’accorde l’importance voulue à aucun de ces éléments. Elle ne produit pas, alors que la charge lui en incombe, les moyens lui permettant de faire les démonstrations voulues avec un degré élevé de certitude. Du reste, sans même parler de degré élevé, les éléments qu’elle soumet n’apportent de preuve de la matérialité des dommages qu’elle allègue à aucun degré de certitude. Ils n’établissent ni le préjudice exact qui aurait été subi ni l’existence d’un lien de causalité entre celui-ci et certaines actions spécifiques imputables à l’Ouganda.
3.2. Au lieu de produire les moyens de preuve requis, la RDC se limite essentiellement à invoquer les conclusions énoncées par la Cour dans son arrêt de 2005, comme si elles établissaient, en elles-mêmes, que l’Ouganda lui est redevable à hauteur du montant exorbitant qu’elle réclame (13,4 milliards de dollars des Etats-Unis (ci-après «dollars»). Cette manière de procéder va clairement à l’encontre du libellé exprès du paragraphe 260 de l’arrêt 2005. Elle prend également le contre-pied de la position qu’a défendue la RDC elle-même. Comme la Cour le rappelle dans son arrêt de 2005, «[l]a RDC [a] reconn[u] que, «pour déterminer l’étendue de la réparation, il lui incomb[ait] de préciser la nature du préjudice et d’établir le lien de causalité avec le fait illicite initial»»205.
3.3. La RDC n’est pas sans savoir ce que la Cour a décidé, et n’a pas décidé, dans son arrêt de 2005. Relevant que la RDC n’avait eu de cesse d’affirmer que la décision qu’elle sollicitait au stade du fond était une décision «de principe», le juge ad hoc Verhoeven, désigné par elle, a assimilé l’arrêt à un jugement «déclaratoire»206, en ce sens que la Cour s’y est seulement prononcée de manière générale sur l’allégation de la RDC selon laquelle l’Ouganda était l’auteur de faits illicites relevant de telles ou telles catégories, sans se pencher, pour chacune de ces catégories, sur le détail du comportement spécifique incriminé.
3.4. En effet, comme le relevait le juge Verhoeven, ce ne serait «qu’à un stade ultérieur de la procédure que, l’illégalité constatée, la Cour [serait] … appelée à statuer sur les formes et l’étendue de [la] réparation si les Parties ne parv[enaient] pas à se mettre d’accord sur ce point»207. Et le juge de préciser : «Dans l’espèce présente, la réalité des dommages ne prête aucunement à doutes. Sa particularité est toutefois que la Cour les a traités en quelque sorte par catégorie, sans se prononcer sur chacun des «incidents» dommageables»208.
204 Activités armées (2005), par. 260
205 Ibid., par. 258.
206 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), déclaration du juge ad hoc Verhoeven, C.I.J. Recueil 2005 (ci-après «déclaration du juge ad hoc Verhoeven»), par. 2.
207 Déclaration du juge ad hoc Verhoeven, par. 2.
208 Ibid., par. 2 a).
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3.5. Le juge Verhoeven a reconnu que des prononcés détaillés seraient nécessaires au stade des réparations.
«Ce n’est pas seulement de la forme et du montant de [la réparation] qu’il … appartiendra en effet [à la Cour] de décider si les Parties ne s’entendent pas à ce propos ; c’est aussi le lien de causalité qui rattache le dommage à un acte du défendeur engageant sa responsabilité qu’il lui revient d’établir, dans le cadre des «incidents» relevant de la catégorie sur laquelle elle s’est prononcée.»209
Il a également reconnu que ce ne serait pas là chose facile : «Dans le contexte d’un conflit armé, l’existence d’un lien de causalité entre le dommage et la violation du droit sera par exemple souvent malaisée à établir, du moins sur la base des critères traditionnellement utilisés à cet effet.»210
3.6. L’Ouganda tient à préciser qu’il ne s’agit pas de remettre en cause les conclusions auxquelles la Cour est parvenue en 2005. Mais le fait est que ces constatations ont été formulées à un niveau très général : la Cour disposait d’éléments établissant globalement que les violations avaient eu lieu, qui suffisaient à prouver que l’Ouganda s’était rendu responsable de certains types de faits illicites au cours d’une certaine période, dans certaines parties, au sens large, de la RDC. Ces prononcés ne se rapportaient pas spécifiquement à des incidents précis à l’origine d’un préjudice imputables à un comportement illicite de l’Ouganda, et ne touchaient pas, notamment, à l’ampleur ou à l’évaluation de ce préjudice.
3.7. C’est ce qui ressort clairement du texte de l’arrêt de 2005 lui-même, dans lequel la Cour a expressément affirmé qu’elle ne trancherait pas de questions factuelles se rapportant à des cas spécifiques. Elle l’a fait en ces termes : «Afin de statuer sur la demande de la RDC, point n’est besoin pour la Cour de parvenir à un prononcé sur les faits s’agissant de chacun des incidents allégués.»211
3.8. Comme l’a reconnu le juge Verhoeven, il incombe donc à la RDC, au présent stade de la procédure, de produire les moyens de preuve afférents aux «incidents» spécifiques relevant de chacune des catégories de faits illicites sur laquelle la Cour s’est prononcée en 2005. De même que les Etats demandeurs dans l’affaire du Détroit de Corfou et dans l’affaire Diallo (dont il sera question ci-dessous), la RDC doit apporter, au moyen d’éléments convaincants, la preuve du préjudice exact qu’elle a subi du fait d’actions illicites spécifiques de l’Ouganda et justifier l’évaluation qu’elle en donne.
3.9. La RDC, dans son mémoire, ne l’a pas fait. Bien qu’elle adopte différentes tactiques, elle considère dans la plupart des cas qu’il lui suffit de fournir quelques «exemples» de circonstances dans lesquelles serait survenu un dommage; puis elle intègre différents chiffres puisés dans une poignée de rapports d’organisations internationales ou d’organisations non gouvernementales, qu’elle associe ensuite à des «multiplicateurs», «clefs de distributions» et «pourcentages» choisis de manière arbitraire, pour aboutir à des demandes d’indemnisation dont le montant est tout à fait excessif.
209 Déclaration du juge ad hoc Verhoeven, par. 2 a).
210 Ibid., par. 5.
211 Activités armées (2005), par. 239.
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3.10. Du reste, la RDC ne se cache pas de ne pas réellement chercher à apporter la preuve du préjudice exact subi à raison de faits internationalement illicites spécifiques de l’Ouganda. Elle exprime ainsi sans ambiguïté son intention de ne pas «individualiser [ni] identifier chaque préjudice spécifique causé pendant» la guerre212. De même précise-t-elle que «les dommages ne seront pas distingués en fonction de la règle de droit international qui a été violée»213.
3.11. Au lieu de présenter à la Cour des moyens établissant dès à présent la nature exacte du préjudice causé à des personnes ou à des biens, et le lien rattachant ce préjudice aux faits illicites de l’Ouganda, la RDC propose simplement que lui soit allouée une somme d’argent considérable, appelée à être ultérieurement distribuée aux victimes par l’intermédiaire du fonds ou de la commission «charg[é] de la mise sur pied de la procédure par laquelle les[dites] victimes [auront] p[u] présenter leurs demandes de réparation individuelle, de l’examen de ces demandes et de la répartition des sommes dues à titre d’indemnisation»214.
3.12. L’Ouganda considère que, par là-même, la RDC admet que ses demandes actuelles sont dépourvues de tout rapport réel avec les individus ou les biens spécifiques censés avoir subi le préjudice. Il soutient respectueusement que la Cour ne devrait pas cautionner une approche consistant ainsi à «mettre la charrue avant les boeufs», et allant à l’encontre des précisions expresses qu’elle a apportées en 2005 quant aux obligations incombant à la RDC en matière de preuve à ce stade des réparations.
*
3.13. Dans le présent chapitre, l’Ouganda montrera les failles que présente de manière systématique la démarche adoptée par la RDC en matière d’administration de la preuve tout au long du mémoire. Il sera d’abord établi, dans la section I, qu’il incombe à la RDC de justifier, preuves à l’appui, ses demandes de réparation. Dans la section II, il sera ensuite démontré qu’il lui faut, pour ce faire, présenter des éléments convaincants prouvant, avec un degré élevé de certitude, 1) qu’un préjudice susceptible d’évaluation financière a été subi du fait des violations du droit international commises par l’Ouganda et 2) que son évaluation de ce préjudice est fondée. Enfin, il sera montré, dans la section III, que la RDC n’apporte pas la preuve systématique de la matérialité des dommages qu’elle invoque, et que les principaux types d’éléments de preuve sur lesquels elle se fonde présentent d’importantes lacunes. Par conséquent, la RDC ne s’est pas acquittée de la charge de la preuve lui incombant à cet égard.
212 MRDC, par. 2.07.
213 Ibid., par. 2.05.
214 Ibid., par. 7.51.
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I. C’EST À LA RDC QU’INCOMBE LA CHARGE DE LA PREUVE
3.14. Selon un principe fondamental de droit international procédural dont la Cour s’est maintes fois fait l’écho , c’est à la partie qui allègue certains faits qu’incombe la charge de les établir, en en apportant la preuve suffisante (onus probandi incumbit actori). Dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar, la Cour a dit, à propos de la «série de faits et d’allégations … affirmés ou avancées par l’un ou par l’autre», que «la charge de les prouver incomb[ait] évidemment à la Partie qui les [avait] affirm[és] ou … avanc[ées]»215. Plus récemment, dans l’affaire des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, la Cour l’a réaffirmé en ces termes : «[S]elon le principe bien établi onus probandi incumbit actori, c’est à la partie qui avance certains faits d’en démontrer l’existence. Ce principe [a été] confirmé par la Cour à maintes reprises.»216
3.15. Ces constats ont été formulés alors que la Cour était appelée à statuer sur des faits au stade du fond, mais le même principe s’applique à l’établissement des faits au stade des réparations. Divers éléments factuels qui n’étaient pas en jeu dans la phase du fond doivent être établis alors à l’appui d’une demande de réparation, dont le lieu et la date de l’incident dans le cadre duquel le préjudice a eu lieu, les personnes tuées ou blessées (ou les biens endommagés) lors de cet incident, et le lien entre celui-ci et le comportement de l’Etat défendeur emportant violation du droit international. De même, dans la mesure où le droit national peut revêtir une pertinence à l’appui d’une proposition donnée quant au montant généralement versé en cas de décès consécutif à un fait illicite dans un pays en particulier, par exemple (la RDC a renvoyé à cet effet à sa jurisprudence nationale), il convient d’en établir, preuve à l’appui, le contenu, qui constitue alors une question de fait217.
3.16. Ainsi, dans l’affaire du Détroit de Corfou, la Cour a conclu à la nécessité d’une phase consacrée à la réparation, «le Gouvernement du Royaume-Uni n’ayant pas présenté de preuve à l’appui de ses demandes» relatives aux diverses sommes réclamées et l’Albanie n’ayant pas encore répondu218. Par conséquent, au stade des réparations, il était entendu, pour la Cour, que le Royaume-Uni soumettrait des éléments de preuve à l’appui des trois chefs de demande ci-après : 1) indemnités dues pour les décès survenus dans le personnel naval et pour les blessures infligées à
215 Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 16.
216 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), par. 162. Voir aussi Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 (ci-après «Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (fond, 1986)»), par. 101 («[C]’est au plaideur qui cherche à établir un fait qu’incombe la charge de la preuve.») ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (ci-après «Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007)»), par. 204 («En ce qui concerne la charge de la preuve, il est constant que le demandeur est tenu d’étayer ses arguments, et qu’une partie qui avance un fait est tenue de l’établir.») ; Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, par. 45 («Il est un principe général de droit, confirmé par la jurisprudence de la Cour, selon lequel une partie qui avance un élément de fait à l’appui de sa prétention doit établir celui-ci.») ; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, par. 68 («Ainsi que la Cour l’a indiqué à plusieurs reprises, c’est à la partie qui avance un élément de fait à l’appui de sa prétention qu’il incombe de l’établir») ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisaton, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), (ci-après «Diallo (2012)»), par. 15 («En règle générale, il appartient à la partie qui allègue un fait au soutien de ses prétentions de faire la preuve de l’existence de ce fait.») ; Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), par. 72 («[C]’est, en règle générale, à la Partie qui avance certains faits d’en démontrer l’existence.»).
217 Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. série A no 7, p. 19 («Du point de vue du droit international et de la Cour qui est son organe, les lois nationales sont de simples faits, manifestation de la volonté et de l’activité des Etats»).
218 Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fixation du montant des réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 1949 (ci-après «Détroit de Corfou (réparations, 1949)»), p. 249.
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ce personnel ; 2) dommages causés au contre-torpilleur Volage ; et 3) perte du contre-torpilleur Saumarez219.
3.17. Pour chacun de ces chefs de demande, le Royaume-Uni a fourni des déclarations sous serment et autres preuves documentaires justifiant directement les sommes réclamées. Relevons qu’il n’a pas demandé réparation à raison de préjudices d’ordre plus conjectural ou indirect. Ainsi, il n’a pas présenté de demandes pour les marins tués qui n’avaient pas de charge de famille, l’instruction d’autres marins destinés à remplacer ceux qui avaient été tués, la perte de vêtements et d’effets personnels, ou encore l’impossibilité d’utiliser le Saumarez avant qu’il n’ait pu être remplacé ou le Volage pendant la durée des réparations220.
3.18. Dans l’affaire Diallo, bien qu’ayant conclu au fond que le droit international avait été violé, la Cour, au stade des réparations, a explicité qu’il appartenait à l’Etat demandeur d’apporter, pour chaque «chef de préjudice», la preuve en fait : 1) de l’existence d’un préjudice spécifique relevant de ce chef ; 2) de l’imputabilité de ce préjudice à l’Etat défendeur ; et 3) du bien-fondé de l’évaluation avancée.
3.19. Dans l’arrêt y afférent, la Cour a ainsi indiqué qu’«elle commencera[it] par s’intéresser aux éléments de preuve présentés par la Guinée à l’appui de chacun des chefs de préjudice exposés dans sa demande»221. Pour
«chacun de ces chefs, [elle] examinera[it] si l’existence du préjudice [était] établie. Ensuite, elle «rechercher[ait] si et dans quelle mesure le dommage invoqué par le demandeur [était] la conséquence du comportement illicite du défendeur» … Une fois que l’existence du préjudice et le lien de causalité avec les faits illicites aur[aient] été établis, la Cour procédera[it] à l’évaluation de ce préjudice»222.
3.20. Il ne s’ensuit pas que l’Etat demandeur doive prouver derechef les faits ayant permis d’établir la responsabilité de l’Etat défendeur au stade du fond. Mais il lui incombe de prouver les faits au titre desquels il prétend avoir droit à une réparation donnée, notamment en démontrant l’existence de préjudices spécifiques et celle de l’existence du lien de cause à effet requis, et en justifiant l’évaluation avancée.
3.21. Si l’Etat demandeur affirme, par exemple, qu’une violation générale du droit international lui a fait subir un préjudice dont il évalue la réparation à 5 millions de dollars, point n’est besoin pour lui de prouver de nouveau que la violation en question a bien été commise, ou qu’elle engage la responsabilité de l’Etat défendeur. En revanche, il lui faut apporter la preuve factuelle 1) que tel préjudice spécifique a été subi ; 2) que ce préjudice résulte d’un comportement illicite attribuable à l’Etat défendeur ; et 3) que c’est à bon droit que la réparation en est évaluée à cinq millions de dollars. C’est précisément pour ces raisons que la Cour, dans son arrêt de 2005, a dit que la RDC devait «démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a[vait] subi
219 Détroit de Corfou (réparations, 1949), p. 248-250.
220 Observations présentées à la Cour, en vertu de l’ordonnance de celle-ci en date du 9 avril 1949, par le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord en l’affaire du Détroit de Corfou (réparations, 1949), p. 2.
221 Diallo (2012), par. 16.
222 Ibid., par. 14, citant Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007).
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du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable»223.
3.22. Faute de s’acquitter de cette charge de la preuve au stade des réparations, l’Etat demandeur ne peut se voir adjuger ses conclusions224. Dans l’affaire relative à la Convention contre le génocide (Bosnie c. Serbie), la Cour a ainsi déterminé que la Serbie avait violé l’obligation de prévention lui incombant en vertu de ladite convention, mais elle n’a pas jugé établi que le comportement illicite de la Serbie aurait entraîné un préjudice.
3.23. «Appelée … à statuer sur la demande de réparation», la Cour a indiqué dans ladite affaire qu’elle devait «rechercher si et dans quelle mesure le dommage invoqué par le demandeur [était] la conséquence du comportement illicite du défendeur, de telle sorte que ce dernier serait tenu de le réparer»225. La Cour a considéré que le degré de certitude nécessaire pour établir que le préjudice aurait pu être empêché si la Serbie s’était acquittée de son obligation faisait défaut. La Bosnie n’était donc pas en droit de recevoir une indemnisation à raison du fait illicite. Elle n’était en droit de recevoir qu’une réparation sous forme de satisfaction226.
3.24. Dans ce cas, c’est l’incapacité d’établir un lien de causalité suffisant entre le fait illicite et le préjudice allégué qui était en cause. Néanmoins, le principe demeure le même pour tous les éléments devant être démontrés au stade des réparations. Bien qu’ayant obtenu gain de cause sur le fond, l’Etat demandeur n’en conserve pas moins la responsabilité de prouver les faits, de montrer si et dans quelle mesure le préjudice allégué est la conséquence du comportement illicite de l’Etat défendeur, et de justifier l’évaluation qu’il en donne.
3.25. En ne s’acquittant pas de cette responsabilité, l’Etat demandeur ne modifie en rien les conclusions de la Cour quant au fond. Simplement, il manque d’apporter la preuve nécessaire pour convaincre la Cour de l’existence d’un préjudice spécifique et d’un lien de causalité entre ce préjudice et le comportement de l’Etat défendeur, ainsi que du bien-fondé de l’évaluation qu’il a avancée.
II. POUR S’ACQUITTER DE LA CHARGE LUI INCOMBANT, LA RDC DOIT PRÉSENTER DES ÉLÉMENTS CONVAINCANTS PROUVANT L’EXISTENCE D’UN PRÉJUDICE SUSCEPTIBLE D’ÉVALUATION FINANCIÈRE AVEC UN DEGRÉ ÉLEVÉ DE CERTITUDE
3.26. Ainsi qu’il a été montré dans la précédente section, il appartient à la RDC de prouver que le préjudice exact qu’elle allègue découle de violations du droit international commises par l’Ouganda, et de justifier l’évaluation qu’elle en donne. Dans cette section, l’Ouganda démontrera que, pour s’acquitter de la charge lui incombant à cet égard, la RDC doit présenter à la Cour des éléments de preuve convaincants établissant, avec un degré élevé de certitude, les trois éléments clefs en cause au présent stade de la procédure : 1) l’existence d’un préjudice spécifique ; 2) l’existence d’un lien de causalité entre celui-ci et le comportement illicite de l’Ouganda ; et 3) le
223 Activités armées (2005), par. 260.
224 Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (fond, 1986), par. 101 («[C]’est … au plaideur qui cherche à établir un fait qu’incombe la charge de la preuve ; lorsque celle-ci n’est pas produite, une conclusion peut être rejetée dans l’arrêt comme insuffisamment démontrée.»).
225 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 467 (les italiques sont de nous).
226 Ibid., par. 463.
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bien-fondé de l’évaluation de ce préjudice227. Ces trois éléments seront examinés tour à tour ci-dessous.
A. La nécessité de présenter des éléments convaincants apportant, avec un degré élevé de certitude, la preuve d’un préjudice spécifique
3.27. La jurisprudence de la Cour indique que les accusations «d’une gravité … exceptionnelle» exigent d’être prouvées avec «un degré de certitude»228 bien précis, les moyens produits devant «suffi[re] à rapporter la preuve judiciaire décisive» ou être d’une «force probante suffisante»229. Comme elle le rappelle dans son arrêt relatif à la Convention contre le génocide (Bosnie c. Serbie), la Cour
«a admis de longue date que les allégations formulées contre un Etat qui comprennent des accusations d’une exceptionnelle gravité doivent être prouvées par des éléments ayant pleine force probante … La Cour doit être pleinement convaincue qu’ont été clairement avérées les allégations formulées au cours de l’instance … Le même critère s’applique à la preuve de l’attribution de tels actes.»230
3.28. Même lorsque l’accusation n’était pas d’une gravité exceptionnelle, la Cour a «exig[é] qu’elle soit prouvée avec un degré élevé de certitude, à la mesure de sa gravité»231.
3.29. Au stade du fond, en la présente espèce, la Cour est de même partie du principe que les allégations d’une exceptionnelle gravité devaient être prouvées par des éléments convaincants. Elle a refusé d’adjuger certaines conclusions lorsqu’«aucun élément de preuve ne lui a[vait] été soumis sur lequel un tribunal pou[vait] s’appuyer pour établir» les faits allégués232, ou lorsque les moyens de preuve qui lui avaient été soumis ne l’avaient pas «convaincue»233, ne permettaient pas «d’étayer» les faits allégués234 ou n’étaient pas «suffisants»235.
227 Activités armées (2005), par. 260.
228 Détroit de Corfou (Royaume Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 4 (ci-après «Détroit de Corfou (fond, 1949)», p. 17.
229 Ibid., p. 16-17.
230 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 209 (les italiques sont de nous).
231 Ibid., par. 210 (les italiques sont de nous) (énonçant le critère à l’aune duquel il convenait de déterminer si la Serbie avait violé l’obligation lui incombant de prévenir le génocide et d’extrader les personnes accusées de ce crime).
232 Activités armées (2005), par. 130 (refusant de considérer comme établi «qu’il existait un accord entre la RDC et le Soudan en vue de participer à une opération militaire contre l’Ouganda ou de soutenir pareille opération ; ou que quelque autre action du Soudan (dont la réalité demeure incertaine) aurait, de par sa nature, pu justifier la thèse de l’Ouganda selon laquelle il a[vait] agi en état de légitime défense»).
233 Ibid., par. 91 («La Cour ne tirera aucune conclusion quant à la responsabilité de chacune des Parties pour toute violation de l’accord de Lusaka. Elle se contentera d’indiquer que les éléments de preuve produits ne l’ont pas convaincue de la présence des forces ougandaises à Mobenzene, Bururu, Bomongo et Moboza au cours de la période examinée aux fins de répondre aux conclusions finales de la RDC.»).
234 Ibid., par. 123 («La Cour examinera à présent les éléments de preuve produits pour étayer l’affirmation selon laquelle le Soudan soutenait des groupes anti-ougandais basés en RDC, à savoir la FUNA, l’UNRF II et la NALU. Ces pièces consistent en un rapport politique ougandais de 1998, qui en lui-même n’a rien de probant, et en un discours du président Museveni de 2000. Aucune d’entre elles ne permet d’étayer les faits allégués.»).
235 Ibid., par. 173 («En vue de parvenir à une conclusion sur la question de savoir si un Etat dont les forces militaires sont présentes sur le territoire d’un autre Etat du fait d’une intervention est une «puissance occupante» au sens où l’entend le jus in bello, la Cour examinera tout d’abord s’il existe des éléments de preuve suffisants démontrant que ladite autorité se trouvait effectivement établie et exercée dans les zones en question par l’Etat auteur de l’intervention.»).
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3.30. Bien que la présente procédure concerne non pas le fond, mais la réparation, nombre d’allégations de la RDC relatives, par exemple, au nombre de personnes dont la mort serait due à des faits illicites de l’Ouganda n’en sont pas moins d’une «exceptionnelle gravité». Il est ainsi autrement plus grave d’imputer à l’Ouganda la responsabilité de 180 000 morts que par exemple d’une centaine de décès. Il y a donc lieu pour la RDC d’établir ces nouveaux faits avec un degré élevé de certitude, au moyen d’éléments de preuve convaincants.
3.31. Lorsqu’elle a eu à connaître de demandes en réparation, la Cour a toujours insisté sur la nécessité pour les Etats de s’acquitter de leur obligation d’apporter la preuve du préjudice spécifique, d’établir l’existence du lien de causalité et de justifier l’évaluation de ce préjudice, et ce, au moyen d’éléments convaincants. En outre, elle n’a pas fait droit aux demandes extravagantes ou indéfendables. A cet égard, la démarche qu’elle a adoptée à l’égard de la preuve au stade des réparations en l’affaire du Détroit de Corfou est tout à fait éclairante. Bien que l’Albanie n’eût pas comparu dans le cadre de cette procédure, la Cour a indiqué qu’il lui fallait déterminer si les conclusions du Royaume-Uni relatives à la réparation étaient «fondées en fait et en droit»236. Elle a relevé qu’il ne lui appartenait pas, néanmoins, «d’en vérifier l’exactitude dans tous les détails — tâche qui, dans certains cas et en raison de l’absence de contradiction, pourrait s’avérer pratiquement impossible. Il suffi[sait] que, par les voies qu’elle estim[ait] appropriées, la Cour acqu[ît] la conviction que ces conclusions [étaient] fondées»237. Elle a ainsi déclaré les conclusions du Royaume-Uni «fondées» et «justifiées»238 en se basant sur les éléments de preuve détaillés, et directement liés à la réparation demandée, fournis par ce pays239.
3.32. S’agissant des décès et blessures affectant le personnel naval, le Royaume-Uni avait ainsi soumis une déclaration sous serment et une liste établie par le ministère des pensions déclinant l’identité de chaque marin tué, accompagnée d’informations relatives au montant exact des pensions et indemnités allouées à leurs ayants droit, aux frais d’administration y afférents, au coût du traitement médical et chirurgical des marins invalides, et au montant supplémentaire prévu afin de tenir compte de la probabilité d’une augmentation future des pensions individuelles240.
3.33. S’agissant des dommages causés au Volage, le Royaume-Uni avait soumis à la fois un devis provisoire des frais de réparation de son contre-torpilleur241 et une déclaration sous serment de l’adjoint civil au directeur des chantiers navals à l’amirauté précisant les coûts spécifiques correspondant à la main d’oeuvre, aux matériaux, aux fournitures contractuelles et aux autres frais effectifs ayant dû être engagés aux fins des réparations242.
236 Détroit de Corfou (réparations, 1949), p. 248.
237 Ibid.
238 La Cour a également pu se reporter au rapport d’expertise du 1er décembre 1949, qui figure à l’annexe 2 de l’arrêt sur la réparation. Voir Détroit de Corfou (réparations, 1949), p. 258.
239 Ibid., p. 249-250.
240 Mémoire du Royaume-Uni dans l’affaire du Détroit de Corfou (réparations, 1949), annexe 12. Voir aussi les observations présentées à la Cour, en vertu de l’ordonnance de celle-ci en date du 9 avril 1949, par le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord dans cette même affaire, p. 3 et p. 5-7.
241 Mémoire du Royaume-Uni dans l’affaire du Détroit de Corfou (réparations, 1949), annexe 14.
242 Observations présentées à la Cour, en vertu de l’ordonnance de celle-ci en date du 9 avril 1949, par le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord dans l’affaire du Détroit de Corfou (réparations, 1949), p. 3 et p. 8-9.
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3.34. S’agissant de la perte du Saumarez, il avait présenté une déclaration sous serment d’un officier chargé des constructions navales à l’amirauté ainsi que des informations détaillées sur les dégâts spécifiquement subis par le contre-torpilleur243.
3.35. La Cour disposait également d’une déclaration sous serment d’un employé du département des finances du matériel de l’amirauté, indiquant la valeur spécifique des approvisionnements et de l’équipement perdus sur les navires244. Pour les deux contre-torpilleurs, le Royaume-Uni avait également fourni des photographies prises peu après les explosions d’octobre 1946, montrant les dommages qui leur avaient été causés et les mines qui en étaient à l’origine245.
3.36. De même, en l’affaire Diallo, la Cour avait exigé, à l’appui des demandes d’indemnisation de la République de Guinée, des preuves convaincantes quant au préjudice spécifique subi. Dans cette instance, sa tâche était plus ardue qu’elle ne l’avait été dans l’affaire du Détroit de Corfou, parce que la partie défenderesse la RDC contestait l’ampleur du préjudice en cause (mettant notamment en question la présence de tels ou tels biens dans l’appartement de M. Diallo), l’existence d’un lien de causalité entre ce préjudice et son propre comportement illicite (mettant notamment en question le fait que M. Diallo eût été empêché de rapatrier ses biens en Guinée), et l’évaluation donnée par la Guinée de ce préjudice (mettant notamment en question la valeur des différents biens).
3.37. Dans l’affaire Diallo, où elle était non pas demanderesse mais défenderesse, la RDC n’avait eu de cesse d’insister catégoriquement sur la nécessité de produire les éléments convaincants requis s’agissant du préjudice spécifique allégué246. La Cour, bien qu’ayant, au stade antérieur, conclu que la responsabilité de la RDC était engagée, s’est rangée à cette position, et a refusé d’adjuger des indemnités dans de nombreux cas où la Guinée avait manqué de fournir des éléments convaincants étayant l’ampleur spécifique du préjudice allégué, l’imputabilité de celui-ci à la RDC ou sa propre évaluation.
3.38. La Guinée avait rangé dans deux catégories les dommages découlant de la violation spécifique du droit international commise à l’encontre d’un individu précis, à l’identité connue M. Diallo , qui avait été expulsé du territoire congolais de manière illicite, invoquant, d’une part, un préjudice matériel (perte de biens personnels, perte d’avoirs bancaires et perte de
243 Mémoire du Royaume-Uni dans l’affaire du Détroit de Corfou (réparations, 1949), annexe 10. Voir aussi les observations présentées à la Cour, en vertu de l’ordonnance de celle-ci en date du 9 avril 1949, par le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord dans cette même affaire, p. 3 et 9-10.
244 Observations présentées à la Cour, en vertu de l’ordonnance de celle-ci en date du 9 avril 1949, par le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord dans l’affaire du Détroit de Corfou (réparations, 1949), p. 3 et 9.
245 Mémoire du Royaume-Uni dans l’affaire du Détroit de Corfou (réparations, 1949), annexe 8.
246 Voir, par exemple, le contre-mémoire de la République démocratique du Congo, phase de fixation de l’indemnité de la Guinée par la RDC, dans l’affaire Diallo (2012), par. 2.36 («[L]a RDC souligne que l’Etat demandeur doit soit produire des preuves écrites pour étayer ses réclamations financières, soit retirer celles-ci s’il n’en a pas les preuves.») ; ibid., par. 2.35 («Or, dans la présente affaire, la Guinée n’a produit aucun document probant pour justifier ni la réalité des revenus professionnels allégués ni le manque à gagner sur lesdits revenus dans le chef de M. Diallo.») ; ibid., par. 2.42 («C’est donc à ce stade de la procédure que la Guinée devait administrer devant la Cour une triple preuve : 1) la preuve crédible et convaincante de l’existence réelle et non imaginaire des effets personnels de M. Diallo, 2) la preuve de la perte effective et non hypothétique desdits effets après son expulsion, et 3) la preuve crédible et irréfutable de leur valeur financière.») ; ibid., par. 2.60 («[La Guinée] ne produit pas devant la Cour deux certificats d’enregistrement, les seuls titres de propriété reconnus en droit congolais, relatifs [aux] deux propriétés immobilières pour prouver leur existence…») ; ibid., par. 2.64 («[L]a Guinée n’a pas justifié à la satisfaction de la Cour par les documents probants déposés par elle, le montant de l’indemnité [réclamé].»).
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revenus) et, d’autre part, un préjudice non matériel (que la Guinée a appelé «préjudice moral et psychologique», et la RDC, «préjudice immatériel»)247. Au titre du préjudice matériel, la Guinée réclamait un montant de 550 000 dollars à raison de la perte de certains objets de grande valeur et du mobilier qui se seraient trouvés dans l’appartement de M. Diallo, ainsi que de la perte d’avoirs bancaires. Elle demandait également à être indemnisée à hauteur de quelque 6,5 millions de dollars à raison de la perte de revenus subie au moment de la détention, puis de l’expulsion, de M. Diallo. La RDC contestait ces montants excessifs, arguant qu’ils n’avaient pas été justifiés au moyen d’éléments de preuve convaincants. La Cour en est convenue.
3.39. S’agissant de la perte alléguée de biens et de mobilier qui se seraient trouvés dans l’appartement, la Guinée avait présenté un inventaire répertoriant expressément certains d’entre eux, mais sans fournir la preuve de ce qu’il en était advenu après l’expulsion de M. Diallo.248 En conséquence, la RDC a fait valoir qu’aucune indemnité ne devait être accordée. La Cour s’est essentiellement rangée à ce point de vue, concluant que, «[d]ans l’ensemble, la Guinée n’a[vait] pas réussi à établir l’étendue de la perte subie par M. Diallo en ce qui concerne ses biens personnels répertoriés dans l’inventaire ni la mesure dans laquelle cette perte aurait été causée par le comportement illicite de la RDC»249.
3.40. Et d’ajouter :
«Du reste, quand bien même [elle aurait pu] établi[r] que les biens personnels inventoriés [avaient] été perdus, et qu’ils l’[avaient] été en conséquence du comportement illicite de la RDC, la Guinée n’a produit aucun élément de preuve permettant d’en déterminer la valeur (individuelle ou globale)»250.
La Cour a néanmoins décidé d’adjuger une indemnité d’un montant de 10 000 dollars au titre de la perte de tels biens, en indiquant que, indépendamment du nombre ou de la valeur de ceux-ci, M. Diallo aurait eu à subir des frais au moment de les déménager en Guinée après son expulsion illicite.251
3.41. S’agissant des objets de grande valeur, qui n’étaient pas répertoriés dans l’inventaire, la RDC avait fait valoir que la Guinée n’avait produit aucune preuve à l’appui de sa demande d’indemnisation. Là encore, la Cour en est convenue, affirmant que
«[l]a Guinée n’a[vait] présenté aucune preuve que M. Diallo possédait ces articles au moment de son expulsion, que, à supposer que tel ait été le cas, ceux-ci se trouvaient dans son appartement, ou qu’ils [avaient] été perdus en conséquence du traitement qui lui a[vait] été infligé par la RDC»252.
En conséquence, aucune indemnité n’a été adjugée à ce titre.
3.42. S’agissant de la perte alléguée de sommes détenues sur des comptes en banque, la RDC avait là aussi fait valoir qu’elle ne pouvait donner lieu au versement d’indemnités faute
247 Diallo (2012), par. 18.
248 Ibid., par. 31.
249 Ibid.
250 Ibid., par. 32.
251 Ibid., par. 33 , 36, 55, 60 2).
252 Ibid., par. 34.
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d’informations détaillées sur les comptes en cause. De cela aussi, la Cour est convenue, concluant en ces termes :
«[L]a Guinée n’a fourni aucun détail ni aucune preuve à l’appui de ce qu’elle avance. Elle n’a donné aucune information sur le montant total des sommes ainsi détenues ni sur le solde de tel ou tel compte, non plus que sur le nom des établissements bancaires concernés. Elle n’a en outre avancé aucun élément démontrant que les détentions et l’expulsion illicites de M. Diallo auraient provoqué la perte de tels avoirs.»253
En conséquence, aucune indemnité n’a été adjugée à ce titre.
3.43. La Cour a de même fait sienne la position de la RDC selon laquelle la prétendue perte de revenus de M. Diallo ne devait pas donner lieu à indemnisation, en concluant que «la Guinée n’en [avait] apport[é] aucune preuve. Elle n[’a] produit aucun relevé bancaire ni aucune déclaration fiscale. Elle n’[a] pas davantage [produit] de pièces comptables [des sociétés] attestant qu[e] l’une ou l’autre» aurait procédé à de tels versements, qui auraient été interrompus254.
3.44. La situation était différente en ce qui concerne le préjudice non matériel parce que les faits établis au stade du fond permettaient de conclure qu’un préjudice spécifique avait bien été causé à un individu donné. La Cour disposait d’éléments de preuve directs montrant que M. Diallo avait été détenu pendant 66 jours (du 5 novembre 1995 au 10 janvier 1996), puis de nouveau pendant six jours (du 25 au 31 janvier 1996), avant d’être expulsé de RDC, le 31 janvier 1996. En outre, il n’était pas contesté, au stade des réparations, que ce préjudice résultait d’une violation du droit international imputable à la RDC. Sur le fondement de l’existence avérée d’un préjudice spécifique causé, à un moment et en un lieu donnés, à une personne dûment identifiée, la Cour a donc pu conclure que «le comportement illicite de la RDC a[vait] été pour M. Diallo une source d’importantes souffrances psychologiques et qu’il a[vait] porté atteinte à sa réputation»255. Néanmoins, bien que la Guinée eût réclamé, au titre de ce chef de préjudice, une indemnité s’élevant à 250 000 dollars, la Cour en a fixé le montant à 85 000 dollars256.
3.45. Ainsi, alors que la Cour avait, au stade du fond, conclu que la RDC avait détenu et expulsé M. Diallo en violation du droit international, ce constat ne constituait pas à lui seul la preuve requise s’agissant du préjudice spécifique censé être résulté de cette violation, non plus que du bien-fondé de l’évaluation de ce préjudice. La Cour attendait encore de la Guinée qu’elle produisît des éléments prouvant de manière convaincante l’ampleur du préjudice allégué ainsi que l’existence d’un lien entre celui-ci et le comportement illicite de la RDC, et qu’elle justifiât l’évaluation qu’elle avait donnée.
3.46. Ayant été appelée à ester en tant que défenderesse en l’affaire Diallo, et ayant elle-même insisté alors pour que fussent appliqués ces critères d’administration de la preuve, la RDC n’est pas sans les connaître. Il est donc particulièrement curieux que ainsi qu’il sera montré dans la suite de ce contre-mémoire elle ne s’acquitte pas en l’espèce des obligations lui incombant à cet égard.
253 Diallo (2012), par. 35.
254 Ibid., par. 41.
255 Ibid., par. 21.
256 Ibid., par. 25, 61 1).
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B. L’exigence selon laquelle le dommage doit être susceptible d’évaluation financière
3.47. Dans son mémoire, la RDC formule principalement des demandes d’indemnisation. Selon les règles relatives à la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, une indemnisation ne peut être obtenue qu’à raison d’un dommage susceptible d’évaluation financière. L’article 36 du projet d’articles de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite (ci-après les «articles sur la responsabilité de l’Etat») indique, en son paragraphe 1, que la réparation du dommage causé peut prendre la forme d’une indemnisation puis, en son paragraphe 2, que «[l]’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi»257.
3.48. Un élément de cette règle est que le dommage allégué doit pouvoir être chiffré sur le plan financier. Dans son commentaire, la CDI déclare : «L’étendue de cette obligation est délimitée par les mots «tout dommage susceptible d’évaluation financière», c’est-à-dire tout dommage pouvant être évalué en termes financiers»258.
3.49. Un autre élément de cette règle est qu’un Etat ne peut présenter une réclamation qui, en substance, vise à obtenir une indemnisation pour des dommages abstraits et non précisés. Sa demande doit viser un dommage spécifique à des personnes ou à des biens. Ainsi, la CDI déclare également dans son commentaire que
«[l]’expression «susceptible d’évaluation financière» a pour objet d’exclure ce que l’on nomme parfois le «préjudice moral» causé à un Etat, c’est-à-dire l’affront ou le préjudice causé par une violation de droits non accompagnée d’un dommage réel aux biens ou aux personnes : c’est là l’objet de la satisfaction, dont traite l’article 37»259.
3.50. La démonstration que la RDC cherche à faire dans son mémoire ne vise pas à établir des dommages susceptibles d’évaluation financière. Bien qu’elle fasse état de dommages causés à des personnes, des biens, des ressources minérales, des animaux et à son économie d’une manière générale, la RDC ne tente guère de la cibler sur tel ou tel aspect précis des dommages en question (ainsi qu’il sera exposé plus avant dans la section C ci-dessous et dans les chapitres suivants). Les personnes au nom desquelles elle prétend demander une indemnisation ne sont nullement identifiées, aucune indication de lieu, d’âge, de revenu ou autre n’étant fournie à leur sujet. La RDC ne fournit pas davantage de précisions s’agissant des biens à raison desquels elle demande une indemnisation, par exemple des informations concernant leur valeur comptable ou leur valeur de liquidation, ou encore le lieu, la date ou l’étendue du dommage qui leur aurait été causé.
3.51. Au contraire, tout en feignant d’invoquer précisément de tels dommages susceptibles d’évaluation financière, la RDC se fonde en vérité sur une «démonstration» extrêmement générale invitant à l’octroi d’un montant forfaitaire260, une démarche qui ne saurait être réputée constituer une évaluation «d’un dommage réel aux biens ou aux personnes». Partant, les éléments de preuve qu’elle avance démontrent que ses réclamations ne constituent en réalité qu’une demande
257 Commission du droit international (CDI), projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs (2001) (ci-après «articles sur la responsabilité de l’Etat»), Annuaire de la Commission du droit international, vol. II, deuxième partie.
258 Ibid., commentaire de l’article 36, par. 5.
259 Ibid., commentaire de l’article 36, par. 1.
260 MRDC, par. 1.18. Voir également MRDC, par. 6.76 («A cet égard, rien n’interdit à la Cour de fixer une somme globale qui recouvre à la fois l’indemnisation des différents dommages subis et la satisfaction exemplaire qui est requise.»).
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d’indemnisation massive pour des dommages moraux qu’elle aurait elle-même subis. Or, comme il a déjà été dit, ce type de dommages n’est pas susceptible d’évaluation financière et appelle un règlement par voie de satisfaction, et non d’indemnisation.
C. La distinction existant entre la procédure traditionnelle de règlement des réclamations interétatiques et les techniques spécialisées des organes modernes chargés de connaître d’actions collectives
3.52. La RDC ne peut se soustraire à son obligation de présenter des preuves convaincantes de dommages susceptibles d’évaluation financière en prônant le simple octroi de sommes forfaitaires, habituellement réservé aux organes chargés de connaître d’actions collectives. Dans le cadre de telles actions, des Etats peuvent convenir de traiter l’indemnisation de préjudices d’une manière très différente de celle suivie par les cours et tribunaux internationaux, par exemple en chargeant une commission de régler les réclamations au moyen de procédures accélérées, qui peuvent faire appel à des techniques spécialisées telles que le couplage de données, l’échantillonnage statistique et l’analyse de régression.
3.53. Dans ce contexte, l’indemnisation de telle ou telle catégorie de réclamations se calcule selon des barèmes établis, ce qui nécessite au préalable : 1) de définir le groupe de demandeurs fondé à recevoir une indemnisation ; 2) d’établir un montant fixe d’indemnisation pour ce groupe s’agissant d’un type donné de préjudice ; 3) d’établir le niveau d’exigence en matière de preuve auquel une personne devra satisfaire pour démontrer son appartenance au groupe défini ; 4) de concevoir des formulaires de réclamation devant être remplis par chaque personne, ou en son nom, et assortis des justificatifs requis ; et 5) d’établir un mécanisme d’échantillonnage permettant de vérifier les justificatifs soumis, afin de ne pas avoir à examiner les éléments joints à chaque réclamation.
3.54. Le recours à des formulaires de réclamation, à l’échantillonnage et à l’analyse de régression permet de déroger aux règles et à la procédure traditionnellement suivies en droit international. Cela étant, bien qu’elles permettent de traiter les réclamations collectives avec davantage de célérité sur la base d’une démonstration minimale, ces techniques requièrent généralement une infrastructure administrative très importante pour le traitement des réclamations. En outre, elles débouchent couramment sur l’octroi d’indemnités forfaitaires d’un montant inférieur à ce qu’il aurait sans doute été si l’évaluation avait porté sur le dommage réel261.
3.55. La CINU, qui a été établie par le Conseil de sécurité de l’ONU262 pour connaître de préjudices résultant de l’invasion du Koweït par l’Iraq dans les années 1990-1991, constitue un bon exemple d’un tel organe. Cette commission a oeuvré pendant une quinzaine d’années, employant
261 Voir, d’une manière générale, M. Frigessi di Rattalma & T. Treves, The United Nations Compensation Commission : A Handbook (1999) ; H. Van Houtte, «Mass Property Claim Resolution in a Post-War Society: The Commission for Real Property Claims in Bosnia and Herzegovina», Institutional and Procedural Aspects of Mass Claims Settlement Systems, Cour permanente d’arbitrage (dir. publ.) (2000) ; Redressing Injustices Through Mass Claims Processes: Innovative Responses to Unique Challenges, Cour permanente d’arbitrage (dir. publ.) (2006) ; H. Holtzmann & E. Kristjánsdóttir, International Mass Claims Processes (2007) ; H. Van Houtte et al., Post-War Restoration of Property Rights Under International Law, Vol. 1: Institutional Features and Substantive Law (2008) ; H. Van Houtte et al., Post-War Restoration of Property Rights Under International Law, Vol. 2: Procedural Aspects (2008) ; R. P. Alford, «The Claims Resolution Tribunal», The Rules, Practice and Jurisprudence of International Courts and Tribunals, Giorgetti (sous la dir. de) (2012) ; L. Brilmayer et al., International Claims Commissions: Righting Wrongs After Conflict (2017).
262 Voir Conseil de sécurité, 2981e séance, résolution 687 (1991), doc. S/RES/687 en date du 8 avril 1991, par. 16, annexe 1.
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(au plus fort de son activité) quelque 300 juristes, comptables, experts en sinistres et spécialistes des technologies de l’information afin de traiter environ 2,7 millions de réclamations au total263.
3.56. Pour mener à bien sa mission, la Commission d’indemnisation a adopté un système extrêmement complexe consistant à répartir les réclamations selon différentes catégories : certaines sommes forfaitaires étaient octroyées lorsque les réclamations faisaient l’objet d’un traitement accéléré, sur la base d’une démonstration minimale, et des sommes plus importantes étaient accordées pour les réclamations examinées avec moins de célérité, sur la base d’une démonstration plus poussée264. Les requérants individuels soumettaient leurs demandes à la commission par l’intermédiaire de leur gouvernement (ou d’une organisation internationale lorsque cela était impossible), et celle-ci versait les indemnités allouées aux gouvernements (ou aux organisations internationales) concernés, qui avaient alors la responsabilité de les distribuer aux personnes dont la réclamation avait abouti.
3.57. Bien qu’elle ait ses avantages265, cette méthode n’est pas adaptée à une procédure interétatique traditionnelle telle que celle-ci, qui ne se prête guère à l’application des techniques de règlement des réclamations collectives. La RDC a fait état d’un grand nombre de dommages occasionnés par le comportement de l’Ouganda, mais cela ne la fonde pas en soi à utiliser des approximations grossières, des estimations basées sur des conjectures et des montants forfaitaires. La méthode classique, qui exige que des éléments convaincants, présentant un degré élevé de certitude, soient fournis à l’appui de l’existence et de l’évaluation des dommages causés par les faits illicites de l’Ouganda, demeure applicable.
3.58. Un exemple plus pertinent en l’espèce est celui de la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, qui a été en activité de 2001 à 2009 et a examiné des réclamations essentiellement interétatiques découlant du conflit armé ayant fait rage entre les deux Etats de 1998 à 2000266. Cette commission –– dont les travaux peuvent être considérés comme un précédent à condition de garder à l’esprit le mandat précis qui était le sien –– a été amenée, comme la Cour aujourd’hui, à examiner des violations du droit international perpétrées au cours d’un conflit armé entre deux Etats africains. Le conflit entre l’Erythrée et l’Ethiopie avait donné lieu à des combats le
263 Voir la page d’accueil du site Internet de la CINU, accessible à l’adresse suivante : https://uncc.ch/home (dernière consultation le 22 janvier 2018).
264 S’agissant des réclamations de la catégorie A (personnes ayant dû quitter le Koweït ou l’Iraq), les barèmes d’indemnisation étaient, en cas de succès de la réclamation, fixés à un maximum de 4000 dollars par personne et de 8000 dollars par famille, sauf cumul avec une réclamation d’une autre catégorie. S’agissant des réclamations de la catégorie B (personnes ayant subi un grave préjudice corporel ou dont le conjoint, l’enfant ou le parent avait perdu la vie par suite de l’invasion et de l’occupation du Koweït par l’Iraq), les barèmes d’indemnisation étaient, en cas de succès, de 2500 dollars par personne et de 10 000 dollars au maximum par famille. La catégorie C concernait les réclamations individuelles d’un montant inférieur à 100 000 dollars, des montants fixes étant attribués à 21 catégories de pertes (départ d’Iraq ou du Koweït, dommage corporel, préjudice psychologique ou moral, perte de biens personnels, perte de fonds déposés en banque, d’actions ou d’autres titres, perte de revenu, perte de biens immobiliers, et perte commerciale ou industrielle des personnes physiques). Les réclamations de la catégorie D étaient similaires à celles de la catégorie C mais excédaient les 100 000 dollars. La catégorie E concernait les réclamations émanant de sociétés ou d’autres entités privées, ou encore d’entreprises du secteur public. La catégorie F concernait les réclamations formulées par des gouvernements ou des organisations internationales à raison de différents types de dommages.
265 De telles techniques ont, à des degrés divers, été utilisées par les organes chargés de connaître d’actions collectives suivants : commission chargée de régler les réclamations des réfugiés et personnes déplacées portant sur des biens fonciers (Bosnie-Herzégovine), commission des litiges relatifs au logement et aux biens immeubles (Kosovo) ; programme de dédommagement du travail forcé en Allemagne ; International Commission in Holocaust Era Insurance Claims ; tribunal arbitral pour les comptes en déshérence ; et programme relatif aux avoirs des victimes de l’Holocauste.
266 Les décisions préliminaires et les sentences de la Commission sont compilées dans les publications de la division de la codification de l’Organisation des Nations Unies ; voir Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (ci-après «RSA»), vol. XXVI, accessible à l’adresse suivante : http://legal.un.org/riaa/vol_26.shtml (dernière consultation le 22 janvier 2018).
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long de trois fronts différents au sein des deux Etats, à l’occupation de territoires tout au long des hostilités, à l’internement de milliers de civils et de prisonniers de guerre, et au déplacement ou à l’expulsion de milliers de civils.
3.59. Pour parvenir à ses conclusions, la commission des réclamations ne s’est pas fondée sur des éléments de preuve fragmentaires et non corroborés, pas plus qu’elle n’a eu recours à des «multiplicateurs», «clefs de répartition» et «pourcentages» tels que ceux proposés par la RDC dans son mémoire. Elle a examiné de près et utilisé une masse considérable d’éléments de preuve solides et corroborés, comprenant : des preuves documentaires, des dossiers médicaux ou d’hospitalisation, des justificatifs de dépenses, des photographies et des images satellites, ainsi que des déclarations signées et sous serment dont certains ont ensuite été corroborés par des publications gouvernementales ou émanant d’organisations internationales.
3.60. L’Erythrée et l’Ethiopie réclamaient l’une et l’autre des milliards de dollars à raison de dommages qu’elles prétendaient avoir subis au cours de la guerre, qui avait duré près de trois ans. L’Ethiopie, qui faisait grief à l’Erythrée d’avoir déclenché la guerre en envahissant illicitement son territoire, thèse qu’a en définitive retenue la commission, réclamait une indemnisation totale de quelque 14,3 milliards de dollars. L’Erythrée réclamait pour sa part des indemnités de 6 milliards de dollars. Après avoir examiné avec soin les éléments de preuve, la commission a accordé en tout 161 455 000 dollars à l’Erythrée267 et 174 036 520 dollars à l’Ethiopie.
3.61. D’autres juridictions interétatiques classiques ont également examiné de nombreuses réclamations nées de situations chaotiques, comme ce fut le cas du tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran créé à la suite de la révolution iranienne de 1979. Bien qu’il fût difficile d’établir le bien-fondé de milliers de demandes d’indemnités relatives à des biens perdus ou à des contrats rompus dans le sillage de la révolution iranienne, ce tribunal a reçu et examiné attentivement une vaste gamme d’éléments de preuve ciblés se rapportant spécifiquement aux dommages allégués et à leur évaluation, notamment des éléments de preuve documentaires (états financiers, titres de propriété, factures ou mémorandums de l’époque), des déclarations sous serment, des rapports d’expert et des photographies268.
3.62. La RDC n’a nullement tenté de présenter des éléments de preuve similaires en l’espèce. Au contraire, comme il sera exposé dans la section suivante, les «éléments de preuve» sur lesquels elle cherche à faire fond présentent des failles irrémédiables.
III. LES ÉLÉMENTS DE PREUVE INVOQUÉS PAR LA RDC PRÉSENTENT DES FAILLES FONDAMENTALES ET NE SONT PAS CONVAINCANTS
A. La RDC omet systématiquement de présenter des éléments de preuve concernant les dommages particuliers qu’elle impute à l’Ouganda et leur évaluation
3.63. L’Ouganda exposera les failles spécifiques que présentent les éléments de preuve invoqués par la RDC dans la suite du présent contre-mémoire, lorsqu’il examinera telle ou telle catégorie de dommages allégués. Aux fins du présent chapitre, il se bornera à démontrer de
267 Quelques réclamations présentées directement par des personnes fortunées ont également été accueillies, pour un montant total de 2 065 865 dollars.
268 G. H. Aldrich, The Jurisprudence of the Iran-United States Claims Tribunal (1996), p. 343-359 ; C. N. Brower et J. D. Brueschke, The Iran-United States Claims Tribunal, op. cit., p. 183-198.
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manière plus générale que la RDC n’a pas soumis à la Cour les types d’éléments qu’une partie est normalement censée produire dans une procédure interétatique pour établir : 1) l’existence du dommage allégué ; 2) l’existence d’un lien entre ce dommage et les faits illicites de l’Ouganda ; et 3) l’évaluation dudit dommage.
3.64. Dans son mémoire, la RDC ne prétend pas évaluer les dommages particuliers qu’elle a subis incident par incident, ou localité par localité, en apportant la preuve de cas précis de décès, de préjudices corporels ou pertes de biens dont il serait avéré qu’ils résultent de faits illicites spécifiques de l’Ouganda. Si elle l’avait fait, elle aurait vraisemblablement présenté à la Cour : le certificat de décès ou le dossier médical, clinique ou hospitalier des victimes ; une liste indiquant l’âge et la profession des personnes décédées ainsi que l’identité des membres de leur famille ayant survécu ; des documents contemporains attestant l’existence des biens endommagés et, le cas échéant, des justificatifs indiquant leur valeur à l’achat ; des factures pour la restauration ou la reconstruction de biens ; d’autres éléments de preuve documentaires qui doivent être disponibles même en temps de guerre ; des déclarations sous serment des victimes ou de leur famille ; et des déclarations sous serment de représentants officiels (maires, chefs religieux ou autres) bien placés pour parler des dommages causés au sein de la communauté.
3.65. Bien qu’elle ne s’inscrive pas dans le cadre d’une procédure interétatique, l’ordonnance de réparation rendue par la Cour pénale internationale (CPI) en l’affaire Katanga livre des enseignements utiles sur les types d’éléments de preuve qui doivent pouvoir être recueillis dans le cas de dommages causés à des personnes ou à des biens dans l’est de RDC, fût-ce pendant le conflit armé. La chambre de la CPI chargée de statuer sur l’indemnisation due à un groupe de 341 personnes à raison de l’attaque perpétrée en 2003 contre le village de Bogoro, dans l’est de la RDC, par le Front national intégrationniste et la Force de résistance patriotique de l’Ituri s’est vu soumettre et a utilisé différentes sortes d’éléments de preuve. Ces éléments comprenaient : des certificats de décès ; des rapports médicaux ; des certificats médicaux délivrés par des organisations non gouvernementales ; des dossiers d’hospitalisation ; des rapports d’expertise médico-légale ; des attestations de liens de parenté ; ou encore des attestations de résidence ou de logement signées portant le sceau officiel de la RDC269.
3.66. La RDC ne soumet aucun élément de preuve similaire à la Cour.
3.67. Au lieu de chercher à présenter de manière systématique de tels éléments, la RDC adopte une démarche différente : elle extrait arbitrairement de quelques rapports (qui, de manière générale, ne portent pas sur les faits illicites de l’Ouganda) des chiffres non corroborés qu’elle associe à des «pourcentages», «clefs de répartition» et «multiplicateurs» de son invention afin d’aboutir à des demandes d’indemnités dont le montant est, de toute évidence, artificiellement gonflé.
3.68. Par exemple, ainsi qu’il sera exposé en détail au chapitre 5, afin de déterminer le nombre de décès «caus[és] par l’invasion … de [son territoire] par l’Ouganda», la RDC se fonde sur les rapports non corroborés et largement critiqués d’une organisation non gouvernementale pour avancer qu’il y aurait eu, entre 1998 et 2004, 3,9 millions de morts de plus sur son sol que si le conflit n’avait pas eu lieu. Ensuite, sans aucun élément à l’appui, la RDC réduit ce chiffre à
269 Cour pénale internationale (CPI), Le Procureur c. Germain Katanga [anciennement Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui], affaire n° ICC-01/04-01/07-3728, ordonnance de réparation en vertu de l’article 75 du Statut de la CPI, Chambre de première instance II, 24 mars 2017). Une grande partie des éléments de preuve est énumérée à l’annexe II de l’ordonnance. Voir version publique expurgée de l’annexe II, Le Procureur c. Germain Katanga, affaire n° ICC-01/04-01/07-3728 (3 août 2017).
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400 000 pour rendre compte du nombre de décès prétendument dus à des actes de violence. Puis, là encore sans aucun élément à l’appui, elle applique une «clef de répartition» de 45 % pour attribuer la responsabilité de 180 000 décès de civils à l’Ouganda.
3.69. La RDC ne s’arrête pas là. Elle divise encore ce nombre, toujours sans aucun élément à l’appui, pour soutenir que 40 000 de ces civils auraient été victimes de violences «délibérées», contrairement aux 140 000 autres. Aux fins du calcul du montant de l’indemnité due, elle propose ensuite de manière arbitraire de multiplier ce premier nombre par 34 000 dollars (un montant qu’elle prétend déduire des indemnités adjugées par ses propres tribunaux dans les cas de décès), et le second par 18 913 dollars (un montant censé correspondre à la perte de revenu futur pour chaque personne de ce groupe).
3.70. A chaque étape, la RDC fonde ses chiffres non pas sur des éléments de preuve, et encore moins sur des éléments relatifs à des dommages spécifiques qui auraient été causés à des personnes spécifiques à une date et un endroit donnés du fait des actes de l’Ouganda, mais sur des conjectures échafaudées à partir d’estimations au juger.
3.71. Pour tenter de donner un semblant de réalisme à ses conjectures, la RDC se réfère «à des fins … illustratives» à des informations concernant quelques incidents, souvent non corroborées, qui se seraient produits à telle date et à tel endroit. A cet effet, elle se fonde principalement sur des rapports généraux émanant de l’ONU ou d’organisations non gouvernementales, ainsi que sur une série de «tableaux de synthèse» apparemment établis sur la base de «formulaires de réclamation» recueillis par elle plusieurs années après le prononcé de l’arrêt de la Cour en 2005. Il convient de préciser que ces informations relatives à certains incidents ne sont pas utilisées pour justifier une demande d’indemnisation à raison des incidents concernés, mais «illustrent» simplement les dommages que la RDC prétend avoir subis à bien plus grande échelle.
3.72. La RDC reconnaît elle-même que sa démarche ne revêt pas un caractère systématique. Elle admet que ces rapports généraux «n’entrent … pas dans un degré de détails te[l] qu’ils permettent d’établir les préjudices subis sur un plan individuel», et que ses enquêtes sur le terrain «étaient limité[es] et n[’]ont pas permis [aux enquêteurs] de dresser une cartographie exhaustive des dommages subis dans ce contexte»270. Pourtant, ces quelques «illustrations» seraient censées étayer les montants arbitraires et excessifs que la RDC avance et manipule au moyen de «pourcentages», de «clefs de répartition» et de «multiplicateurs» inexpliqués afin de chiffrer à des milliards de dollars les dommages prétendument causés par l’Ouganda.
3.73. Comme il a été expliqué plus tôt, l’histoire enseigne qu’il est parfaitement possible de faire une démonstration sérieuse et étayée devant les juridictions internationales. Une telle démonstration a ainsi été faite devant la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie et la Cour pénale internationale (laquelle connaissait alors d’une affaire concernant l’est de la RDC). Il est certes compréhensible que la capacité d’une partie de produire de tels éléments de preuve puisse être entamée, par exemple lorsque les éléments permettant d’établir le nombre précis de décès survenus dans une ville ou un village particulier, ou l’âge de certaines victimes, sont lacunaires. Toutefois, dans le cas présent, la RDC ne produit globalement aucun élément de preuve, documentaire ou autre, de la nature de ceux qui sont généralement attendus. Son dossier ne souffre pas de lacunes, il est tout simplement vide.
270 MRDC, par. 1.39.
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3.74. Partant, la RDC n’établit pas l’existence du préjudice qu’elle affirme avoir subi avec un degré élevé, voire le moindre degré, de certitude. Le résultat est un tissu d’allégations qui sont totalement dépourvues de fondement.
B. La RDC omet systématiquement de présenter des éléments de preuve en rapport avec les assertions contenues dans son mémoire ou étayant celles-ci
3.75. Comme il a été indiqué dans la sous-section précédente, la RDC ne présente pas d’éléments de preuve portant sur les dommages particuliers qu’elle reproche à l’Ouganda d’avoir causés ou sur leur évaluation. Elle tâche simplement d’étayer ses réclamations au moyen d’informations bien plus générales. Une faille récurrente dans sa démarche est qu’elle ne relie pas les allégations formulées dans le texte de son mémoire aux informations générales contenues dans les annexes de cette pièce. Ce problème se manifeste de diverses manières.
3.76. Premièrement, elle formule souvent dans le texte de son mémoire des assertions en citant comme source un «élément de preuve» figurant dans une annexe. Or une lecture de l’annexe en question montre que celle-ci n’étaye en rien ce qui est dit dans le mémoire271.
3.77. Deuxièmement, elle formule souvent dans son mémoire des assertions qui sont censées être étayées par plusieurs annexes. Or, une lecture conjointe des annexes en question montre que celles-ci se contredisent fréquemment entre elles, et contredisent ce qui est dit dans le mémoire272.
3.78. Troisièmement, pour tenter d’appuyer ses dires, la RDC renvoie souvent à un type d’éléments de preuve mais fait l’impasse sur les autres types d’éléments qu’elle a soumis, ou qui sont disponibles, et qui contredisent sa thèse273. De fait, il n’est pas rare qu’elle invoque une source d’informations donnée, telle que le rapport d’une organisation, comme si ce document venait clore le débat. Pourtant, dans de nombreux cas, il existe des sources plus récentes, par exemple un rapport ultérieur de la même organisation ou d’une autre, qui rectifient ou invalident l’information antérieure. La RDC omet invariablement de signaler l’existence de ces informations ultérieures, et surtout d’expliquer en quoi elle demeurerait crédible en invoquant celles qui sont plus anciennes.
C. Les failles que présentent les principaux types d’informations générales soumises par la RDC
3.79. Ainsi qu’il a été exposé plus haut, la RDC ne présente pas systématiquement des éléments de preuve à l’appui de ses demandes d’indemnités, mais adopte une autre stratégie. Elle prétend fonder ses demandes sur des sources crédibles, telles que divers rapports de l’ONU, le rapport de la commission judiciaire d’enquête sur les allégations d’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse en République démocratique du Congo (ci-après la «commission Porter»)274 et le rapport de sa propre enquête sur les préjudices subis275. Cependant, ces sources ne sont citées qu’à des fins «illustratives» ; elles ne confirment pas en elles-mêmes
271 Voir, par exemple, chap. 5, sect. II) A.
272 Voir, par exemple, chap. 6, sect. II) A.
273 Voir, par exemple, chap. 7, sect. II) A.
274 République de l’Ouganda, commission judiciaire d’enquête sur les allégations d’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse en République démocratique du Congo, 2001, rapport final (ci-après «rapport final de la commission Porter») (nov. 2002), p. 53, annexe 52.
275 MRDC, par. 1.27-1.37.
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-- voire contredisent souvent –– les chiffres exorbitants avancés par la RDC. La RDC ne s’appuie pas véritablement sur ces sources, et soit ne présente aucune preuve étayant directement les chiffres sur lesquels elle fonde en réalité ses demandes, soit base ses calculs sur des sources non corroborées et partisanes276.
3.80. D’une manière générale, les rapports d’organisations internationales ou non gouvernementales cités par la RDC, qui sont relativement peu nombreux, n’apportent aucune précision quant aux dommages spécifiques qui auraient été subis à une date et un endroit donnés. Ils n’apportent pas davantage de précisions sur le point de savoir si tel dommage est dû aux actions de l’Ouganda, pas plus qu’ils ne confortent l’évaluation du dommage allégué. Les rapports en question fournissent certaines informations générales qui auraient pu se révéler pertinentes au stade du fond, mais qui ne constituent pas les éléments de preuve requis au présent stade des réparations afin d’établir, par exemple : le nombre de personnes tuées ou victimes de préjudice corporel et autre ; l’existence d’un lien de causalité entre le dommage et le comportement de l’Ouganda (par opposition à celui d’autres parties belligérantes) ; le revenu moyen des victimes et leur espérance de vie ; la moyenne des dommages causés à des biens dans les zones touchées ; la valeur moyenne des biens, et ainsi de suite.
3.81. En tant que tels, les rapports cités ne fournissent pas d’éléments de preuve convaincants quant à l’existence de dommages spécifiques de l’ampleur alléguée par la RDC, ou au point de savoir si pareils dommages résultaient d’actions de l’Ouganda. En outre, ces rapports ne contiennent aucun élément d’évaluation, de sorte que la RDC en est réduite à présenter à la Cour des chiffres assez extraordinaires, des «multiplicateurs», «clefs de répartition» et autres «pourcentages» qu’elle semble avoir choisis de façon aléatoire.
3.82. Dans quelques cas limités, les rapports et autres informations soumis par la RDC font bien référence à un dommage particulier. En théorie, de telles informations pourraient être utilisées pour établir l’indemnisation due à raison de l’incident concerné. Cependant, comme il sera démontré ci-dessous et dans d’autres chapitres, ces informations ne le permettent généralement même pas étant donné la manière dont elles ont été recueillies, le temps écoulé entre le moment où elles l’ont été et le dommage, le manque de relation avec l’une des conclusions de la Cour sur la responsabilité, l’absence de toute autre source pour les corroborer voire leur invalidation ultérieure par d’autres sources crédibles277. En tout état de cause, pareilles informations sont trop peu nombreuses pour justifier les indemnités exorbitantes que la RDC réclame.
3.83. La RDC se sert principalement de trois types d’informations pour étayer ses demandes d’indemnités : 1) des rapports de l’ONU ; 2) des rapports d’organisations non gouvernementales ; et 3) des éléments qu’elle a compilés aux fins de la présente procédure bien après les événements en cause. Elle prétend adopter ainsi une approche à la fois «inductive» (fondée sur des «enquêtes réalisées sur le terrain après la fin du conflit») et «déductive» (fondée sur des rapports plus généraux «publiés pendant ou après la guerre»)278.
3.84. Il sera démontré dans d’autres chapitres, consacrés à des catégories particulières de dommages allégués, que ces sources sont inadéquates. L’analyse ci-dessous ne vise qu’à expliquer
276 MRDC, par. 2.07.
277 Activités armées (2005), par. 61.
278 MRDC, par. 1.38.
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de façon générale pourquoi il ne saurait être considéré qu’elles étayent les réclamations de la RDC, que ce soit de manière inductive ou déductive.
1. Les rapports de l’Organisation des Nations Unies
3.85. En premier lieu, la RDC invoque, à l’appui de ses réclamations, des rapports émanant de l’ONU. Dans la plupart des cas, elle n’invoque ceux-ci qu’à des fins «illustratives». Elle ne les utilise que pour démontrer que certains dommages se sont produits à certains endroits, et non pour montrer que ces dommages résultaient d’une violation du droit international par l’Ouganda, en établir l’étendue ou en justifier l’évaluation.
3.86. La RDC n’appuie directement sur ces rapports de l’ONU qu’une petite partie de ses allégations, notamment celles relatives aux personnes tuées ou blessées à Kisangani et en Ituri, ou au nombre d’établissements scolaires et d’habitations prétendument endommagés. Ce faisant, elle prend généralement les nombres les plus élevés figurant dans ces rapports, fussent-ils non corroborés ou même contredits par d’autres sources crédibles, tout en ignorant les chiffres inférieurs qui ne cadrent pas avec ses prétentions.
3.87. La Cour a, par le passé, fait montre de prudence même à l’égard de rapports émanant de l’ONU, reconnaissant que leur valeur probante pouvait varier en fonction de deux facteurs, en particulier : 1) les informations d’origine utilisées pour les établir ; et 2) l’existence de sources corroborantes.
3.88. S’agissant des informations d’origine, la Cour a ainsi, dans son arrêt de 2005, refusé de faire fond sur des passages du rapport du Secrétaire général du 4 septembre 2000 concernant la MONUC, au motif que ce rapport «reposai[t] sur des informations de seconde main»279.
3.89. L’utilisation de rapports qui reprennent simplement d’autres sources pose problème étant donné que de tels rapports ne confirment généralement pas en eux-mêmes l’exactitude de l’information initiale, qu’ils ne font que répéter ou résumer sans la vérifier. Comme la Cour l’a expliqué dans l’affaire Croatie c. Serbie, les preuves indirectes de «[c]e type … et les autres matériaux documentaires (tels qu’articles de presse et extraits d’ouvrages) ne constituent qu’une preuve secondaire, qui ne peut être utilisée que pour confirmer la réalité de faits établis par d’autres éléments de preuve»280. De même, dans l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique, la Cour a formulé l’avertissement suivant : «Il peut apparaître après examen que des nouvelles fort répandues proviennent d’une source unique, de sorte qu’en dépit de leur nombre elles n’ont pas de force probante plus grande que celle-ci»281.
3.90. Sourde à ces mises en garde, la RDC cite des rapports de l’ONU sans examiner aucunement l’origine des informations sur lesquelles ces rapports sont fondés, à savoir s’il s’agit par exemple d’informations diffusées par les médias ou obtenues auprès d’une organisation non gouvernementale.
279 Activités armées (2005), par. 159.
280 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (ci-après «Croatie c. Serbie (2015)»), p. 87, par. 239, citant Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (fond, 1986), par. 62.
281 Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (fond, 1986), par. 63.
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3.91. En ce qui concerne la corroboration, la Cour a noté dans son arrêt de 2005 qu’elle «prendra[it] en considération les éléments de preuve contenus dans certains documents de l’ONU dans la mesure où ils [auraient] une valeur probante et [seraient] corroborés, si nécessaire, par d’autres sources crédibles»282. Elle a précisé qu’elle «traitera[it] avec prudence les éléments de preuve … provenant d’une source unique»283. C’est du reste ainsi qu’elle avait traité d’autres types d’éléments de preuve, accueillant avec scepticisme ceux émanant de sources uniques et non corroborées284.
3.92. Là encore, la RDC cite généralement les rapports de l’ONU sans aucunement se demander si les informations qu’ils contiennent sont corroborées (ou contredites) par quelque autre source.
a) Le rapport Mapping de l’Organisation des Nations Unies
3.93. L’un des rapports de l’ONU que la RDC cite dans son mémoire est le «[r]apport du Projet Mapping du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme» (ci-après «rapport Mapping»)285. Un examen attentif montre toutefois que la RDC se base en réalité fort peu sur ce rapport pour aboutir aux chiffres qu’elle avance de fait au sujet de l’étendue et de l’évaluation des dommages qu’elle prétend avoir subis. Elle l’utilise surtout pour donner un aperçu de quelques incidents lors desquels des dommages spécifiques auraient été causés. Sa réticence à invoquer le rapport Mapping directement à l’appui de ses réclamations s’explique par le fait que celui-ci ne corrobore en rien les chiffres qu’elle avance. En fait, il contredit fondamentalement les prétentions de la RDC.
3.94. Publié en août 2010, le rapport Mapping est le fruit d’une tentative de «cartographier» les plus graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003. L’ONU a envoyé plus de vingt spécialistes des droits de l’homme aux quatre coins de la RDC entre octobre 2008 et mai 2009 afin de glaner des documents et d’interroger des témoins286. L’équipe Mapping a passé en revue 1500 documents émanant de sources très diverses, dont l’ONU, le Gouvernement de la RDC et des organisations non gouvernementales287. Elle a également rencontré plus de 200 représentants d’organisations non gouvernementales et des représentants des autorités congolaises288.
3.95. Toutes les sources citées dans le mémoire de la RDC ont été examinées par l’équipe Mapping, exception faite des éléments que la RDC a préparés aux fins de l’instance289. L’équipe Mapping a apprécié la fiabilité des informations obtenues «en deux temps, en considérant d’abord la fiabilité et la crédibilité de la source et par la suite la validité et la véracité des informations en
282 Activités armées (2005), par. 205 (les italiques sont de nous).
283 Ibid., par. 61.
284 Croatie c. Serbie (2015), par. 344-345.
285 Rapport Mapping, annexe 25.
286 Ibid., par. 3.
287 Ibid., par. 14.
288 Ibid., par. 11-12.
289 Ibid., annexe II, p. 525-558.
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tant que telles»290. Dans son rapport, elle a également «identifi[é] à quel groupe armé appartenait le ou les auteurs présumés»291.
3.96. Dans quelques cas, l’équipe Mapping impute la responsabilité d’une violation de droits de l’homme ou du droit international humanitaire à des membres des forces militaires ougandaises. Mais dans la plupart des cas, elle ne fait rien de tel. Ces derniers cas sont révélateurs : ils montrent que, le plus souvent, l’équipe Mapping, sur la base de tous les éléments à sa disposition, n’a pas pu établir que l’incident concerné était le fait de l’Ouganda.
3.97. Dans quelques cas également, le rapport Mapping donne un nombre précis (ou estimé) de personnes tuées ou blessées par suite d’actes de l’Ouganda. Mais dans la plupart des cas, il ne fournit pas de précisions de cette nature. Là encore, cette absence de précisions est révélatrice car elle montre que, le plus souvent, l’équipe Mapping, sur la base de tous les éléments à sa disposition, n’a pas pu établir de tels chiffres sur la foi de ce qu’elle estimait être des preuves crédibles.
3.98. Il convient de noter que, bien que les auteurs du rapport Mapping aient tenté d’estimer les pertes en vies humaines causées au cours de cette période par des violations du droit international, la RDC ne se fonde pas sur ce rapport pour son propre calcul de l’indemnité due à raison de telles pertes. La raison en est simple : le rapport invalide ses prétentions. Par exemple, la RDC tient l’Ouganda pour responsable de la mort de 180 000 civils en territoire congolais. Or, sur la base de son enquête, l’équipe Mapping n’a pu attribuer à l’Ouganda qu’une infime partie de ces décès.
3.99. Au lieu d’utiliser les conclusions du rapport Mapping à l’appui de sa demande globale concernant les pertes en vies humaines, la RDC ne s’en sert directement qu’à l’appui de ses allégations relatives deux chefs de préjudice : les pertes en vies humaines et les préjudices corporels causés à Kisangani, et le préjudice subi par les enfants-soldats. Et encore, même dans ce cas, l’utilisation qu’elle en fait est souvent fallacieuse et doit être accueillie avec prudence.
3.100. Par exemple, dans son arrêt de 2005, la Cour a conclu que l’Ouganda avait illicitement «entraîné des enfants-soldats»292. Pour calculer le nombre de ces enfants-soldats (qu’elle évalue à 2500), la RDC se base notamment sur la conclusion du rapport Mapping selon laquelle, «[e]n 2001, le MLC aurait reconnu avoir 1 800 [enfants-soldats] dans ses rangs»293. En d’autres termes, la RDC prétend qu’il suffit de savoir combien d’enfants-soldats se trouvaient théoriquement dans les rangs du MLC pour savoir combien d’enfants-soldats ont été entraînés par l’Ouganda.
3.101. Toutefois, établir la présence d’enfants-soldats au sein du MLC (à la supposer effectivement avérée) ne revient pas à établir que ces enfants ont été entraînés par l’Ouganda. Qui plus est, même à supposer que le MLC a effectivement entraîné 1800 enfants-soldats, cette conduite ne peut être imputée à l’Ouganda, la Cour ayant conclu en 2005 que celui-ci n’exerçait
290 Rapport Mapping, par. 7.
291 Ibid., par. 8.
292 Activités armées (2005), par. 345, point 3 du dispositif.
293 Rapport Mapping, par. 697.
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pas un contrôle effectif sur le MLC294. Le rapport Mapping ne fournit donc aucune preuve permettant d’établir combien d’enfants-soldats auraient été entraînés par l’Ouganda.
b) Les autres rapports de l’Organisation des Nations Unies
3.102. Les autres rapports de l’ONU sur lesquels se fonde la RDC295 sont tous antérieurs au rapport Mapping de 2010 et doivent être appréciés à l’aune de celui-ci. En clair, l’équipe Mapping a soigneusement examiné296 l’ensemble des rapports déjà établis, y compris ceux concernant la MONUC, ceux du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en RDC et celui de la mission d’évaluation interinstitutions qui s’est rendue à Kisangani, et elle n’a validé que les informations qui, selon elle, laissaient raisonnablement penser qu’un incident s’était produit.
3.103. La Cour a indiqué qu’elle «traitera[it] avec prudence les éléments de preuve … provenant d’une source unique»297. Plutôt que d’analyser les informations utilisées aux fins de l’établissement de chacun des rapports susmentionnés ou de les analyser collectivement en vue de dégager les éléments de preuve corroborés par des sources indépendantes, la RDC retient systématiquement les chiffres les plus élevés parmi ceux cités et omet de rechercher si ces chiffres sont contredits par des rapports subséquents.
294 Activités armées (2005), par. 160.
295 Conseil économique et social de l’Organisation des Nations Unies (ECOSOC), rapport sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo présenté par le rapporteur spécial, M. Roberto Garretón, conformément à la résolution 1999/56 de la Commission des droits de l’homme, doc. E/CN.4/2000/42 en date du 18 janvier 2000, MRDC, annexe 1.5 ; Conseil de sécurité, rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003), doc. S/2004/573 en date du 16 juillet 2004, MRDC, annexe 1.6 ; ibid., rapport du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2001/357 en date du 12 avril 2001 (ci-après «groupe d’experts de l’ONU, premier rapport du 12 avril 2001»), annexe 11 ; ibid., rapport final du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2002/1146 en date du 16 octobre 2002) (ci-après «groupe d’experts de l’ONU, rapport du 16 octobre 2002»), annexe 15 ; ibid., lettre datée du 15 octobre 2003 adressée au Secrétaire général par le président du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2003/1027 en date du 23 octobre 2003, annexe 19 ; ibid., additif au rapport du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2001/1072 en date du 13 novembre 2001 (ci-après «groupe d’experts de l’ONU, additif au premier rapport du 12 avril 2001»), annexe 13 ; Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ci-après «Assemblée générale»), rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo, doc A/55/403 en date du 20 septembre 2000, MRDC, annexe 3.1 ; Conseil de sécurité, rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2002/1005 en date du 10 septembre 2002, MRDC, annexe 3.2 ; ibid., sixième rapport du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2001/128 en date du 12 février 2001, MRDC, annexe 3.4 ; ibid., deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2003/566 en date du 27 mai 2003, MRDC, annexe 3.6 ; Assemblée générale, question de la violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales, où qu’elles se produisent dans le monde, en particulier dans les pays et territoires coloniaux et dépendants, doc. A/54/361 en date du 17 septembre 1999, MRDC, annexe 4.12 ; Organisation de l’unité africaine, «Report of the Secretary-General on the Situation in the Democratic Republic of Congo (6-10 July 1999)», MRDC, annexe 4.16 ; Assemblée générale, troisième rapport du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2000/566 en date du 12 juin 2000, MRDC, annexe 4.22 ; ECOSOC, rapport sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo présenté par le rapporteur spécial, M. Roberto Garretón, conformément à la résolution 2000/15 de la Commission des droits de l’homme, doc. E/CN.4/2001/40 en date du 1er février 2001, MRDC, annexe 4.23 ; Conseil de sécurité, rapport de la mission d’évaluation interinstitutions qui s’est rendue à Kisangani en application du paragraphe 14 de la résolution 1304 du Conseil de sécurité, doc. S/2000/1153 en date du 4 décembre 2000, MRDC, annexe 4.24.
296 Rapport Mapping, annexe II, p. 525-558
297 Activités armées (2005), par. 61.
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3.104. La RDC prétend par exemple que l’Ouganda est responsable de 60 000 décès en Ituri.298 Elle fonde cette affirmation sur le deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la MONUC, où il est dit : «Depuis la première grande explosion de violence en juin 1999, il y a eu selon les estimations plus de 60 000 morts»299. Or, non seulement la responsabilité de l’Ouganda à cet égard n’est nullement mise en cause dans ce rapport, mais celui-ci ne mentionne pas non plus les sources à l’origine de cette affirmation, pas plus qu’il n’indique la méthode employée pour parvenir à ce chiffre. Le chiffre avancé pourrait donc être tiré de la presse ou de rapports d’organisations non gouvernementales, tout comme il a pu être obtenu par extrapolation à partir d’estimations disparates et indirectes.
3.105. Il est tout aussi révélateur que, depuis la publication du deuxième rapport spécial de 2003, aucune autre source n’ait corroboré ce chiffre. De fait, dans les rapports subséquents, il est considérablement revu à la baisse. Ainsi, dans le rapport spécial de la MONUC sur les événements en Ituri, publié un an plus tard en 2004, non seulement le chiffre de 60 000 n’apparaît nulle part mais les estimations données représentent moins de la moitié de ce chiffre300.
3.106. Qui plus est, le rapport Mapping de 2010, établi à partir de précédents rapports de l’ONU et d’informations recueillies par l’équipe Mapping déployée dans la région, ne fait aucunement mention de 60 000 décès mais conclut qu’il existe des raisons plausibles de supposer qu’il y a eu des «centaines de morts» en Ituri.301
3.107. Dans son mémoire, la RDC a donc retenu le chiffre le plus élevé qu’elle a pu trouver pour étayer ses demandes relatives aux pertes en vies humaines. De surcroît, ce chiffre émane d’une source unique qui ne précise pas la provenance des informations retenues, n’est pas corroboré et est même contredit par des sources récentes.
3.108. De même, s’agissant de ses demandes relatives aux ressources naturelles, la RDC se fonde sur les premiers rapports d’un «groupe d’experts» composé de cinq personnes nommées en 2000 par le Secrétaire général de l’ONU afin d’enquêter sur les allégations relatives à l’exploitation
298 MRDC, par. 3.23.
299 Conseil de sécurité, deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2003/566 en date du 27 mai 2003, MRDC, annexe 3.6.
300 Le rapport renvoie aux chiffres fournis par le Gouvernement congolais, qui estime à 20 000 et à 8000, respectivement, le nombre de décès survenus entre 1999 et 2001, puis entre 2002 et 2003. Conseil de sécurité, rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003), doc. S/2004/573 en date du 16 juillet 2004, p. 56 et 16, MRDC, annexe 1.6.
301 Rapport Mapping, par. 366. De même, la RDC s’appuie sur le sixième rapport du Secrétaire général sur la MONUC de 2001 pour calculer le nombre d’enfants-soldats recrutés par l’Ouganda, et plus particulièrement sur le passage où il est dit : «Au moment où l’on mettait la dernière main au présent rapport, on a appris que 600 de ces enfants seraient transférés à la garde d’organisations humanitaires la semaine prochaine.» MRDC, par. 3.35. Le rapport Mapping, qui contenait une analyse du sixième rapport du Secrétaire général sur la MONUC, ne permet pas de confirmer ce chiffre ; il indique en revanche que «163 au moins de ces enfants ont été envoyés en Ouganda suivre une formation militaire dans le camp de l’UPDF à Kyankwanzi avant d’être finalement rapatriés en Ituri par l’UNICEF en février 2001.» Rapport Mapping, par. 429. Le chiffre de 600 enfants figure uniquement dans le sixième rapport du Secrétaire général sur la MONUC de 2001.
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illégale de l’or, du diamant, du coltan et d’autres ressources sur son territoire302. En revanche, elle ne fait aucun effort pour analyser les informations à partir desquelles ces rapports ont été établis ou déterminer si elles ont été corroborées par des sources indépendantes.
3.109. Si la RDC s’était livrée à cet exercice, elle aurait constaté que les premiers rapports du groupe d’experts ont été vivement critiqués par d’autres sources indépendantes303, notamment la commission Porter, constituée par l’Ouganda.304 De fait, compte tenu de la controverse entourant la composition du groupe d’experts, le mandat de celui-ci a été prorogé, et de nouveaux membres nommés, aux fins de procéder à une vérification des conclusions précédentes305. Dans un «additif» au premier rapport, le groupe ainsi reconstitué a invalidé plusieurs de celles-ci306. La RDC presse ainsi la Cour d’accepter des conclusions dont elle sait assurément qu’elles ont été désavouées par la suite.
3.110. Lorsqu’elle a examiné au fond les demandes de la RDC relatives aux ressources naturelles, la Cour a accordé davantage de crédibilité au rapport de la commission Porter307, source sur laquelle la RDC ne s’appuie que de manière très sélective (souvent en présentant des informations décontextualisées ou en faisant fi d’autres informations qui viendraient contredire sa position). La commission Porter a tout particulièrement critiqué la méthodologie et les conclusions du Groupe d’experts, estimant que celui-ci avait invoqué des chiffres outranciers et omis de prendre en considération la question de savoir si les «informateurs … n’[avaient] pas exagéré»308.
3.111. Il est important de rappeler que la commission Porter a conclu que le Groupe d’experts avait, à tort, jugé l’Ouganda responsable d’activités de contrebande menées par des particuliers et des rebelles309, formulé de graves allégations en prenant pour argent comptant le témoignage par ouï-dire et non corroboré d’un seul et unique témoin310, et critiqué des actes
302 En définitive, cinq rapports ont été publiés en tant que documents du Conseil de sécurité. Voir, par exemple, groupe d’experts des Nations Unies, rapport du 12 avril 2001, annexe 11 ; ibid., rapport du 16 octobre 2002, annexe 15 ; Conseil de sécurité, lettre datée du 15 octobre 2003 adressée au Secrétaire général par le président du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2003/1027 en date du 23 octobre 2003 (ci-après «Groupe d’experts des Nations Unies, rapport final du 23 octobre 2003»), annexe 19 ; ibid., lettre datée du 17 juin 2003 adressée au Secrétaire général par le président du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2002/1146/Add.1 en date du 20 juin 2003.
303 Voir groupe d’experts des Nations Unies, rapport final du 23 octobre 2003, par. 9 («Comme les membres du Conseil le savent, la publication des annexes du dernier rapport du groupe d’experts (S/2002/1146) a suscité des vives réactions des parties qui y sont désignées.»), annexe 19.
304 Rapport final de la commission Porter, annexe 52.
305 Le 24 janvier 2003, le Conseil de sécurité, par sa résolution 1457 (2003), a confié au groupe d’experts un nouveau mandat de six mois, en lui donnant pour instruction de vérifier, de confirmer et de mettre à jour ses conclusions, et, au besoin, de revoir les listes annexées à ses rapports précédents. Conseil de sécurité, 4691e séance, résolution 1457 (2003), doc. S/RES/1457 en date du 24 janvier 2003, p. 2, annexe 16.
306 Groupe d’experts des Nations Unies, additif au premier rapport du 12 avril 2001, annexe 13. Voir rapport final de la commission Porter, p. 161 et 168, annexe 52.
307 Activités armées (2005), par. 61. («La Cour relève par ailleurs qu’une attention particulière mérite d’être prêtée aux éléments de preuve obtenus par l’audition d’individus directement concernés et soumis à un contre-interrogatoire par des juges rompus à l’examen et à l’appréciation de grandes quantités d’informations factuelles, parfois de nature technique. Elle tiendra donc compte comme il convient du rapport de la commission Porter, qui a suivi cette méthodologie. Elle relève encore que la crédibilité de ce rapport, qui a été reconnue par les deux Parties, n’a, depuis sa publication, jamais été contestée.»)
308 Rapport final de la commission Porter, p. 32, annexe 52.
309 Ibid., p. 34-36.
310 Ibid., p. 35.
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parfaitement licites, reconnus par le Gouvernement de la RDC et conformes à tous les règlements en vigueur311. La commission Porter a également reproché au Groupe d’experts de formuler des allégations à l’encontre de l’Ouganda sans pouvoir les confirmer et de ne pas répondre aux observations et informations présentées par celui-ci à la suite de la publication du premier rapport (voire d’en faire fi).312
2. Les rapports des organisations non gouvernementales
3.112. Pour étayer ses demandes, la RDC s’appuie sur une deuxième grande catégorie d’informations, à savoir les rapports établis par des organisations non gouvernementales, qu’elles soient basées hors du territoire congolais (comme Human Rights Watch) ou opèrent sur place (comme le Groupe Lotus). Ces rapports, tout comme ceux de l’ONU, sont dépourvus de valeur probante dès lors qu’ils se fondent sur des informations indirectes et non corroborées. Qui plus est, pareils rapports reposent généralement sur des informations de seconde main issues de sources peu fiables tendant à défendre une cause, et non comme éléments de preuve susceptibles d’étayer les conclusions d’une instance judiciaire. Dans son arrêt de 2005, la Cour a ainsi écarté les rapports établis par l’International Crisis Group et Human Rights Watch, au motif qu’ils n’étaient pas corroborés et ne disaient pas, en fait, ce que la RDC leur faisait dire313.
3.113. Les éléments de preuve cités par la RDC à l’appui de sa demande relative aux pertes en vies humaines, par exemple, proviennent essentiellement des rapports d’une organisation non gouvernementale, l’International Rescue Committee (IRC). Se fondant de manière très approximative sur des rapports établis par l’IRC dans le cadre d’une campagne de sensibilisation à la situation en RDC, celle-ci prétend que l’Ouganda est responsable du décès de 180 000 civils.314 Si la RDC les avait minutieusement analysés, l’opportunité de faire fond sur ces rapports lui serait apparue douteuse. Force est de constater notamment que ni les informations sous-jacentes ni les rapports eux-mêmes ne tendaient à identifier les responsables de ces décès. De fait, l’IRC n’a jamais imputé le moindre décès à l’Ouganda, alors même que cette organisation a consigné des données relatives aux morts violentes attribuables à des Etats tiers.315
3.114. De plus, ainsi qu’il sera exposé plus loin au chapitre 5, la méthodologie et les méthodes de calcul employés par l’IRC ont été sévèrement critiqués par nombre de spécialistes et d’organisations indépendantes. Le système d’information de santé et nutrition (HNTS, d’après l’acronyme anglais), initiative interinstitutions menée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la
311 Rapport final de la commission Porter, p. 32, 36-37.
312 Ibid., p. 30-31.
313 Activités armées (2005), par. 159. D’autres instances judiciaires font montre du même souci de prudence. Ainsi, la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie (CREE) semble avoir fait preuve d’une grande circonspection dans le traitement réservé aux rapports et autres documents publiés par des organisations non gouvernementales, craignant peut-être qu’ils aient été établis à partir d’informations incomplètes ou reposant sur des affirmations infondées émanant de l’un ou l’autre des gouvernements concernés.
314 MRDC, par. 2.64. Ainsi qu’il sera exposé au chapitre 4 du présent contre-mémoire, l’IRC a estimé à 3,9 millions le nombre de personnes tuées en RDC entre 1998 et 2007, considérant que «les violences n’[étaient] à incriminer que dans [moins de] 10 % des cas». International Rescue Committee (IRC), Burnet Institute, «Mortalité en République démocratique du Congo : une crise au long cours» (2007), p. ii, annexe 60. La RDC avance, sans aucune explication, qu’il est «raisonnable» de s’appuyer sur «une estimation minimale de 400 000 victimes, soit un dixième du chiffre donné par l’IRC», puis retient de manière arbitraire et non circonstanciée une «clé de répartition de 45 %», pour conclure que l’Ouganda est responsable de 180 000 décès. MRDC, par. 2.70-2.71.
315 Voir, par exemple, IRC, «Mortalité dans l’est de la République démocratique du Congo : Résultats de cinq enquêtes de mortalité réalisées par l’IRC» (mai 2000), p. 11, annexe 50 ; IRC, «Mortalité en République démocratique du Congo : Résultats d’une enquête nationale» (2003), p. 6, annexe 54.
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santé (OMS)316, a conclu qu’il était difficile de confirmer le nombre de décès avancés par l’IRC317. Le Human Security Report Project (HSRP), centre de recherche indépendant affilié à l’université Simon Fraser de Vancouver (Canada), a critiqué de même les méthodes employées par l’IRC pour établir son rapport sur la période 2009-2010318. Par ailleurs, comme la RDC le reconnaît elle-même, les résultats des études de l’IRC ont été réfutés par André Lambert et Louis Lohlé-Tart, deux démographes travaillant pour le compte de l’Association pour le développement de la recherche appliquée en sciences sociales (ADRASS), bureau d’études belge319. Selon leurs estimations, le nombre de décès attribuables au conflit ne saurait dépasser les 200 000 soit à peine 5 % du chiffre avancé par l’IRC , ce qu’ils considèrent déjà comme un chiffre trop élevé320.
3.115. La RDC s’appuie aussi sur plusieurs rapports émanant d’organisations non gouvernementales installées sur le territoire congolais, telles que le Groupe Lotus, le Groupe Justice et libération, et le Collectif des organisations et associations des jeunes du Sud-Kivu en RDC (COJESKI). Ces organisations non gouvernementales locales chiffrent le nombre de victimes sans indiquer leurs sources ni la méthodologie suivie et sans fournir ni éléments de preuve ni moyens de procéder aux vérifications requises.
3.116. Qui plus est, leurs rapports ne sont pas corroborés. Adoptant la même approche que pour les rapports de l’ONU précédents, l’équipe Mapping en a tenu compte aux fins de l’établissement de son rapport de 2010 mais n’a pas validé les chiffres cités. La RDC les invoque néanmoins aux fins de ses calculs321.
3.117. La RDC entend par exemple imputer à l’Ouganda la responsabilité du décès de 100 civils à la suite des affrontements survenus à Kisangani en août 1999. Elle s’appuie pour ce faire sur les déclarations de deux organisations non gouvernementales congolaises : le Groupe Lotus et le COJESKI322. Or, dans le rapport du premier, on lit que, «[à] en croire les sources humanitaires, 63 personnes civiles auraient succombé», mais aussi que «[d’]autres sources, par contre, présentent un bilan provisoire d’au moins 100 civils tués.»323 Le Groupe Lotus ne prétend
316 Le Système d’information de santé et nutrition (HNTS), système interinstitutions hébergé par l’OMS, a été créé à la demande du coordonnateur des secours d’urgence des Nations Unies dans le cadre de la réforme de l’aide humanitaire. Institué fin 2007 par le comité permanent interorganisations, le HNTS vise à générer des informations impartiales, crédibles et actualisées sur les taux de mortalité et de nutrition des populations touchées par des situations de crise et d’urgence, en particulier celles qui retiennent le moins l’attention des bailleurs de fonds et des médias, en recourant dans la mesure du possible à des méthodes normalisées de collecte et d’analyse de données. Le HNTS assure deux grandes fonctions : 1) il apporte un appui opérationnel au personnel humanitaire sur le terrain en assurant l’évaluation par les pairs des lignes directrices et autres documents pertinents, en participant aux missions d’évaluation, en émettant des avis sur les plans d’enquête et en dispensant des conseils techniques à différents organismes, et 2) il élabore des normes de collecte et de mesure des données, par l’intermédiaire de son groupe d’experts de référence ; assure la collecte, l’analyse et la diffusion de données ; et dispense des avis techniques indépendants sur diverses questions en rapport avec les études de développement et de validation des méthodes.
317 HNTS, Rapport d’évaluation par les pairs : réexamen de la mortalité imputable au conflit en République démocratique du Congo pour la période 1998-2006 (2009), p. 21, annexe 63.
318 Human Security Report Project (HSRP), «Partie II, Effondrement des coûts de la guerre», Rapport sur la sécurité humaine (2009-2010), p. 128, annexe 64.
319 MRDC, par. 2.68.
320 Voir ci-dessous, chap. 5.
321 Rapport Mapping, annexe II, p. 525-558, annexe 25.
322 MRDC, par. 4.27.
323 Groupe Lotus, «Les conséquences de la contraction des alliances et factions rebelles au nord-est de la RDC La guerre de Kisangani» (sept. 1999) (les italiques sont de nous), MRDC, annexe 4.18.
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donc pas lui-même que ces informations sont exactes et ne donne aucune indication quant à la manière dont ces chiffres ont été obtenus ni par qui ou encore sur quelle base. Le COJESKI, pour sa part, soutient que 175 personnes ont été tuées mais ne précise le nom d’aucune des victimes ni le lieu de leur décès ou l’identité des responsables. Il ne précise pas davantage la méthodologie suivie ni ne spécifie si les chiffres avancés ont été vérifiés.324
3.118. Le rapport Mapping, établi grâce à un accès illimité aux rapports des ONG susmentionnés et aux enquêtes de terrain menées par l’équipe chargée du projet, conclut, lui, que ces incidents «[auraient] provoqué la mort de plus de 30 civils»325. La RDC, plutôt que de s’y reporter, retient le chiffre plus élevé avancé par une autre ONG, alors que rien ne vient étayer ce chiffre ni le corroborer et qu’il est en contradiction avec d’autres rapports.
3. Les éléments collectés par la RDC pour les besoins de la cause
3.119. La troisième grande catégorie d’informations sur lesquelles la RDC entend fonder ses demandes recouvre les éléments qu’elle a elle-même compilés aux fins de la phase de réparation de la présente procédure. Ces informations sont entachées de vices généraux, auxquels s’ajoutent des failles propres aux différents documents préparés par la RDC.
3.120. En règle générale, il convient d’accorder une faible valeur probante à ce type d’informations. Non seulement ces éléments de preuve ont été compilés par une partie intéressée mais rien n’indique qu’ils sont irréfutables et convaincants. Ainsi, la seule preuve attestant les dommages matériels prétendument subis par l’armée congolaise est une liste récapitulative des équipements militaires, assortis d’une valeur nominale, qui auraient été détruits lors d’affrontements armés.326 La RDC ne fournit aucune information sous-jacente ni preuve venant corroborer ses dires quant à l’étendue ou à la valeur des dommages prétendument subis. Qui plus est, cette liste n’a pas été préparée par un expert indépendant ou une tierce partie mais par un officier supérieur de l’armée congolaise le 31 août 2016, soit environ deux semaines avant le dépôt par la RDC de son mémoire sur la question des réparations.
3.121. La Cour tend à faire montre de circonspection face à des informations de nature à servir les intérêts de la partie qui les fournit. De fait, lorsqu’elle a examiné le fond de la présente espèce, la Cour a indiqué qu’elle «traitera[it] avec prudence les éléments de preuve spécialement établis aux fins de l’affaire»327. Elle a notamment observé qu’«un membre du gouvernement d’un Etat qui est partie à une instance devant la Cour — et tout particulièrement à une instance concernant un conflit armé — «tendra[it] vraisemblablement à s’identifier aux intérêts de son pays»»328. La Cour a également souligné qu’elle préférait «des informations fournies à l’époque des événements par des personnes ayant eu de ceux-ci une connaissance directe»329 à des documents préparés bien après les événements en question par des personnes n’ayant pas participé auxdits événements.
324 Collectif des organisations et associations des jeunes du Sud-Kivu en RDC (COJESKI), «Dans les provinces occupées de la République démocratique du Congo : les violations massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire au seuil du paroxysme» (oct. 1999), p. 58, MRDC, annexe 4.17.
325 Rapport Mapping, par. 361, annexe 25.
326 «Evaluation des dégâts militaires dans les rangs des FARD[C] par l’armée ougandaise et alliés, fait à Kinshasa le 31/08/2016», MRDC, annexe 7.4.
327 Activités armées (2005), par. 61.
328 Ibid., par. 65, citant Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (fond, 1986), par. 70.
329 Activités armées (2005), par. 61.
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3.122. Outre ces vices généraux, il convient de relever des failles propres aux documents particuliers préparés par la RDC, dont l’Ouganda démontrera ici la gravité. Pour ce faire, il se penchera plus particulièrement sur une certaine catégorie de documents, à savoir les listes établies par la RDC, prétendument à partir des informations contenues dans les «formulaires de réclamation» remplis par les victimes après 2005. (Nous traiterons plus loin, en tant que de besoin, des lacunes propres à d’autres documents préparés par la RDC.)
3.123. Les annexes au mémoire de la RDC contiennent plusieurs listes prétendument établies à partir de «formulaires de réclamation» remplis par des victimes.330 A l’instar des rapports de l’ONU et de certaines organisations non gouvernementales dont il est question plus haut, la RDC ne s’en sert en réalité pas pour étayer systématiquement et directement ses demandes d’indemnisation mais uniquement à des fins «illustratives».331
3.124. Dans son mémoire, la RDC affirme332 avoir, après 2005, créé une «commission d’experts» qui a procédé à «un travail … étendu de collecte de données», par le biais notamment de l’élaboration de «fiche[s] d’identification» et l’envoi d’«équipes» chargées de recueillir, en divers lieux, des «formulaires de réclamation» signés dans lesquels les victimes décrivaient la nature du préjudice allégué. La RDC soutient que près de 10 000 fiches ont aussi été collectées et que «[c]es fiches sont annexées [à son] mémoire».333
3.125. Tous les arguments avancés par la RDC sur la base de ces «formulaires de réclamation» présentent des défauts graves, voire rédhibitoires.
3.126. Premièrement, contrairement à ce qu’affirme la RDC, aucun «formulaire de réclamation» n’a été annexé au mémoire, et il n’existe nulle trace non plus d’un quelconque «[l]ogiciel permettant de consulter les fiches individuelles des victimes (uniquement en format électronique)»334. La Cour ne saurait retenir à titre de preuves des informations, ou des listes établies à partir d’informations, qui ne lui ont pas été présentées.
3.127. Du reste, à supposer que les formulaires de réclamation en question soient similaires à ceux qu’elle a produits dans le cadre des négociations bilatérales avec l’Ouganda, l’on peut
330 «Evaluation des décès à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.1 ; «Evaluation des blessures et autres dommages corporels à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.2 ; «Evaluation des fuites dans la forêt à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.3 ; «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.4 ; «Fiches individuelles de la guerre des six jours», MRDC, annexe 4.8.
331 MRDC, par. 4.16 («[L]a RDC utilisera, à titre illustratif et non exhaustif, les résultats des travaux des commissions d’experts créées aux fins de la présente procédure») ; MRDC, par. 4.59 («A ainsi été rassemblée une documentation imposante, sur la base des formulaires remplis par les victimes, qui a été traitée sous formes de listes ou de fiches. Elle rassemble, à titre illustratif et non exhaustif, des renseignements sur les victimes et les divers types de dommages qu’elles ont subis.»).
332 Ibid., par. 1.30-1.35. Deux arrêtés ministériels relatifs à la commission d’experts sont joints au mémoire de la RDC dont ils constituent les annexes 1.1 et 1.2.
333 Ibid., par. 1.35 («Ces fiches sont annexées au présent mémoire.»).
334 MRDC, par. 1.27. Ce prétendu logiciel n’est qu’un simple dossier appelé «Logiciel permettant de consulter les fiches individuelles des victimes (uniquement en format électronique)» figurant à l’annexe 1.3, qui se compose de sous-dossiers contenant des tableaux de synthèse relatifs aux décès, aux blessures, aux déplacements et aux dommages causés aux biens en Ituri, à Kisangani, à Beni, à Butembo et à Gemena. Ces tableaux de synthèse sont les mêmes que ceux figurant dans d’autres annexes (notamment les annexes 2.4bis, 2.4ter et 2.4quater concernant les biens perdus à Beni, Butembo et Gemena, ainsi que les annexes du dossier appelé «Dommage Perte Biens», à l’annexe 1.3). Ces doublons ne font que semer encore davantage la confusion autour de demandes imprécises qui prêtent déjà à confusion.
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comprendre que la RDC ne soit pas encline à les divulguer. En règle générale, les formulaires présentés à l’Ouganda n’étaient pas signés et leur authenticité n’était pas attestée par des témoins ; il y était souvent fait mention de préjudices causés par des acteurs autres que l’Ouganda ; le préjudice subi y était rarement évalué ; certains formulaires avaient été remplis plusieurs fois par la même personne ; enfin, ils n’étaient assortis d’aucun justificatif. Si la RDC les avait soumis à la Cour, leur manque de fiabilité aurait été aisé à démontrer.
3.128. Deuxièmement, les «formulaires de réclamation» ont manifestement été collectés plusieurs années après les événements en cause — et les listes connexes ont été établies par la RDC plus tardivement encore335. De fait, la RDC reconnaît que «[c]e travail de collecte des informations auprès des victimes elles-mêmes, réalisé plusieurs années après la fin de la guerre, s’est révélé particulièrement difficile et délicat» en raison de «la difficulté pour [les victimes] de se remémorer les circonstances précises» et «de retrouver les documents officiels»336. A cet égard, l’Ouganda rappelle que, lors de l’examen de l’affaire au fond, la Cour n’a pas jugé probantes les déclarations de certains ressortissants congolais, faites «plus de trois ans après les événements allégués, et quelque vingt mois après» sa saisine, et qui, de surcroît, n’étaient même pas signées337. La même conclusion s’applique a fortiori aux diverses listes produites par la RDC et censées reposer sur les formulaires de réclamation.
3.129. Troisièmement, la RDC n’a pas exposé en détail la méthode qu’elle a utilisée pour collecter les prétendus «formulaires de réclamation». Cela soulève une préoccupation évidente : dès lors qu’une personne est contactée par un agent de l’Etat et informée de la possibilité qu’un tribunal international l’indemnise sur la base du formulaire qu’elle aura rempli, il y a raisonnablement lieu de douter de l’objectivité des informations qu’elle fournira.
3.130. La commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a fait montre d’une extrême prudence s’agissant du poids à accorder aux formulaires de réclamation spécialement préparés pour les besoins de l’espèce, notamment ceux qui ne présentaient pas le lien requis avec les conclusions afférentes à la responsabilité338. Elle a ainsi déclaré que
«la procédure conçue et mise en oeuvre par l’Erythrée aux fins des réclamations relatives aux biens comporte des lacunes importantes. L’examen des formulaires confirme que les réclamations présentées sont sans rapport avec les conclusions de la Commission en matière de responsabilité et qu’elles portent sur d’importants chefs de dommages pour lesquels la Commission n’a pas fait de constatation de responsabilité.
335 MRDC,par. 1.28-1.35.
336 Ibid., par. 1.33. (Le passage complet se lit comme suit : «Ce travail de collecte des informations auprès des victimes elles-mêmes, réalisé plusieurs années après la fin de la guerre, s’est révélé particulièrement difficile et délicat. Plusieurs éléments ont rendu complexe la récolte de preuves sur le terrain, comme : le faible niveau d’instruction de la majorité des victimes ; la difficulté pour ces dernières de se remémorer les circonstances précises d’événements à la fois profondément traumatisants et parfois déjà anciens ; les difficultés de retrouver les documents officiels comme les pièces d’identité, certificats de décès, etc., pour toute la période de guerre qui s’est caractérisée par une désorganisation profonde de tous les services administratifs et publics».).
337 Activités armées (2005), par. 64.
338 Les décisions préliminaires et les sentences de la Commission sont regroupées dans le Recueil des sentences arbitrales (vol. XXVI), publié par la division de la codification de l’Organisation des Nations Unies, accessible à l’adresse suivante : http://legal.un.org/riaa/vol_26.shtml (dernière consultation le 22 janvier 2018).
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Certaines questions sont formulées de telle manière qu’elles ont pu inciter les intéressés à exagérer leurs demandes ou à fournir des informations peu fiables.»339
3.131. La commission a en outre déclaré que la «procédure servant à apprécier les demandes relatives aux pertes de biens semble par ailleurs largement dissociée de tout élément de preuve sous-jacent. Les personnes qui ont rempli ces formulaires n’étaient pas tenues de produire des justificatifs ou autres documents à l’appui, et les explications qu’elles ont pu apporter n’ont manifestement pas été retenues aux fins de l’évaluation des montants réclamés.»340
3.132. Ainsi qu’il sera exposé plus en détail aux chapitres 5 à 9, la RDC s’appuie sur des listes établies à partir desdits «formulaires», même si ceux-ci semblent comporter exactement le même genre de lacunes : ils ne sont pas clairement liés aux conclusions de la Cour en matière de responsabilité auxquels ils sont censés se rapporter ; ils ont été remplis aux fins des besoins de la présente espèce ; ils ne semblent pas être assortis de justificatifs ; enfin, ils visent à étayer des réclamations qui semblent sans rapport avec les informations qu’ils contiennent.
3.133. L’examen des listes apparemment établies à partir des formulaires présentés par la RDC révèle des déficiences plus graves encore. Ainsi, s’agissant des décès, la RDC produit trois listes de personnes ayant prétendument été tuées : 1) une liste établie par la commission d’experts de la RDC (annexe 4.5.a) ; 2) une liste d’origine inconnue intitulée «Liste des victimes des différentes guerres de Kinsangani (14-17 août 1999, 5 mai 2000 et 5-10 juin 2000)» (annexe 4.6) ; 3) une liste de réclamations (annexe 4.7 a). Il n’est indiqué dans aucune de ces listes que l’Ouganda serait responsable des actes ayant conduit à l’un quelconque des décès répertoriés. L’âge des victimes n’est pas davantage mentionné, non plus qu’une éventuelle activité rémunérée.
3.134. Fait significatif, la RDC ne s’est fondée sur aucune de ces listes pour calculer le montant de l’indemnité qu’elle réclame à raison des pertes en vies humaines. Voilà qui laisse entrevoir deux possibilités, dont aucune ne lui est favorable : soit la RDC elle-même ne juge pas ces listes fiables, soit elle les juge fiables mais, fâcheusement, elles ne justifient pas la somme exorbitante réclamée.
3.135. Examinons encore la liste présentée par la RDC au sujet des pillages en Ituri. Dans ce cas précis, la RDC se fonde sur «une liste détaillée des biens pillés relevant de différentes catégories (bétail, véhicules, marchandises, etc.), établie sur la base [des] fiches» qu’elle a collectées341. Bien que la RDC affirme que cette liste détaillée est annexée au chapitre 3 de son mémoire342, pareille annexe n’existe pas. Il s’agirait en réalité, semble-t-il, de l’annexe 1.3, qui contient un sous-dossier appelé «Victimes_PerteBien_ITURI». Ce sous-dossier répertorie en effet les personnes qui auraient perdu des biens, en incluant un descriptif et la valeur estimée de ceux-ci343. Toutefois, les informations qu’il contient ne sont étayées par aucun élément permettant d’établir que le dommage a bien été causé et justifiant l’évaluation qui en est faite.
339 CREE, Eritrea’s Damages Claims (Réclamations de dommages de l’Erythrée), sentence finale, décision du 17 août 2009 (ci-après «Eritreas’s Damages Claims (Final Award, 2009)»), RSA, vol. XXVI (2009), p. 505, par. 66.
340 Ibid., par. 67.
341 MRDC, par. 3.48.
342 Ibid.
343 «Evaluation pertes des biens», dans le fichier «Victimes_PerteBien_ITURI», MRDC, annexe 1.3.
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3.136. De fait, les valeurs associées aux différentes catégories de biens répertoriés sont en général identiques, indépendamment de la partie de RDC où le préjudice matériel aurait été subi. Ainsi, la valeur d’un véhicule est quasi systématiquement estimée à 10 000 dollars, quels que soient le lieu et la période considérés. Cela laisse à penser que ces chiffres n’ont pas été puisés dans des formulaires individuels mais qu’ils sont le produit d’un choix arbitraire opéré par la RDC elle-même. De la même façon, aucun élément de preuve ne démontre que les biens répertoriés dans la liste ont été pillés par des soldats des UPDF ou en conséquence du non-respect par l’Ouganda de ses obligations en tant que puissance occupante.
3.137. Par ailleurs, les listes que la RDC prétend avoir établies à partir des formulaires de réclamation ne permettent pas de relier les biens répertoriés et les formulaires correspondants. Sur les 4164 morts énumérés à l’annexe 4.7, une grande majorité (soit 3827 personnes) ne sont même pas désignés nommément, mais simplement par la mention «non signalé»344. Toutefois, comme l’a déclaré la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, il ne peut y avoir d’évaluation «lorsque la réclamation porte sur des myriades de victimes hypothétiques»345.
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3.138. En conclusion, la Cour a clairement indiqué dans son arrêt de 2005 que, dans la phase de la procédure consacrée à la réparation, il appartiendrait à la RDC d’apporter la preuve du préjudice exact qu’elle a subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites. Dans le présent chapitre, il a été démontré que la RDC, de manière générale, n’avait pas apporté la moindre preuve en ce sens.
3.139. Bien qu’elle emploie différentes tactiques, la RDC, dans la plupart des cas, au lieu d’apporter la preuve du préjudice exact découlant d’incidents spécifiques, se borne à fournir quelques «illustrations» d’incidents au cours desquels des préjudices auraient été subis, sur la base de différentes sources profondément déficientes. La RDC extrait ensuite des chiffres élevés d’une poignée de rapports eux-mêmes entachés d’erreurs, et manipule ces chiffres au moyen de «multiplicateurs», de «clefs de répartition» ou de «pourcentages» arbitraires. Le montant total qu’elle réclame en conséquence ne peut être considéré autrement que comme outrancièrement gonflé.
3.140. L’Ouganda soutient respectueusement que la légèreté dont fait preuve la RDC s’agissant d’établir le bien-fondé de ses demandes ne saurait être tolérée. C’est à la RDC qu’incombe la charge de la preuve en la matière, et il lui appartient de s’acquitter de sa responsabilité à cet égard en présentant des éléments convaincants établissant, avec un degré élevé de certitude, l’existence de préjudices spécifiques susceptibles d’évaluation financière subis du fait d’actions illicites spécifiques de l’Ouganda, ainsi que le bien-fondé de l’évaluation qu’elle avance. Or, dans son mémoire, la RDC n’établit rien de tel.
344 «Evaluation décès», MRDC, annexe 4.7 a.
345 CREE, Ethiopia’s Damages Claims (Réclamations de dommages de l’Ethiopie), sentence finale, décision du 17 août 2009 (ci-après «Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009)), RSA, vol. XXVI (2009), p. 631, par. 64.
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CHAPITRE 4 LES FAILLES SYSTÉMATIQUES DANS L’INTERPRÉTATION QUE LA RDC DONNE DU DROIT
4.1. Nous avons vu au chapitre précédent les failles systématiques qui vicient la démarche adoptée par la RDC en matière d’administration de la preuve. Nous verrons dans le chapitre qui suit les failles juridiques omniprésentes dans son mémoire.
4.2. Dans la section I, nous montrerons comment la RDC a méconnu, dénaturé ou appliqué à mauvais escient les règles qui lui imposent de démontrer que des actions spécifiques sont imputables à l’Ouganda et qu’un lien de causalité relie ces actions aux dommages qu’elle prétend avoir subis. Dans la section II, nous montrerons que la RDC attend en substance de la Cour qu’elle tranche la question de l’indemnisation ex aequo et bono, ce que la Cour ne peut pas faire. Dans la section III, nous expliquerons que la RDC demande en réalité à la Cour d’obliger l’Ouganda à verser des dommages-intérêts punitifs, ce que la Cour ne peut faire davantage. Enfin, dans la section IV, nous montrerons que la RDC cherche à obtenir abusivement une indemnisation dont le montant dépasse les capacités de paiement de l’Ouganda.
I. LA RDC NE S’ACQUITTE PAS DE L’OBLIGATION DE PROUVER LA MATÉRIALITÉ D’ACTIONS SPÉCIFIQUES IMPUTABLES À L’OUGANDA ET L’EXISTENCE D’UN LIEN DE CAUSALITÉ ENTRE CELLES-CI ET LES DOMMAGE ALLÉGUÉS
4.3. L’Ouganda a déjà rappelé que la Cour, dans son arrêt de 2005, avait clairement dit qu’au cours de la présente phase de la procédure, «[l]a RDC aurait … l’occasion de démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable»346 .
4.4. La RDC doit donc maintenant «démontrer, en en apportant la preuve», la matérialité des «actions spécifiques de l’Ouganda» qui constituent des faits internationalement illicites. A supposer qu’elle le fasse, la RDC devra ensuite démontrer également, en en apportant la preuve, l’existence d’un lien de causalité entre ces actions spécifiques et le «préjudice exact» qu’elle prétend avoir subi, et justifier l’évaluation qu’elle donne des dommages causés.
4.5. En d’autres termes, même si la RDC établit l’existence d’un dommage, celui-ci ne pourra ouvrir droit à indemnisation dans la présente procédure que si la RDC démontre qu’elle l’a subi «du fait» d’«actions spécifiques» de l’Ouganda constituant les faits internationalement illicites énumérés dans l’arrêt de 2005, et si elle justifie également l’évaluation qu’elle en donne.
A. La RDC doit prouver la matérialité des actions spécifiques de l’Ouganda relevant des conclusions générales énoncées dans l’arrêt de 2005
4.6. Aux fins de sa demande d’indemnisation, la RDC aurait dû commencer par déterminer à quel fait internationalement illicite dont l’Ouganda a été déclaré responsable dans l’arrêt de 2005 correspond chacun des dommages qu’elle affirme avoir subi. Or, dans son mémoire, elle omet généralement de préciser sur quelles conclusions générales de l’arrêt de 2005 elle fonde ses
346 Activités armées (2005), par. 260 (les italiques sont de nous).
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prétentions. Elle méconnaît dans une large mesure ce qu’a dit la Cour sur les faits internationalement illicites dont l’Ouganda a été déclaré responsable.
4.7. La RDC méconnaît également les conclusions générales de la Cour en ce qui concerne les actes dont l’Ouganda n’est pas responsable. Or, ces conclusions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée tout autant que celles qui mettent l’Ouganda en cause347. Pourtant, comme nous le verrons plus loin, la RDC essaie de les contourner en donnant une interprétation abusivement élastique de son obligation de prouver la matérialité des actions spécifiques imputables à l’Ouganda.
4.8. Dans son arrêt de 2005, la Cour a distingué quatre catégories d’actes imputables à l’Ouganda qui constituaient des faits internationalement illicites. C’est eu égard à ces quatre types d’actes que la matérialité des actions spécifiques de l’Ouganda doit être prouvée.
4.9. Premièrement, la Cour est parvenue à la conclusion générale que les forces armées ougandaises avaient elles-mêmes commis des actes ayant causé des dommages en RDC. Elle a constaté que, dans une mesure indéterminée, elles avaient été les auteurs de meurtres, d’actes de torture et d’autres formes de traitement inhumain contre la population civile congolaise, qu’elles avaient détruit des villages et des bâtiments civils, manqué d’établir une distinction entre cibles civiles et cibles militaires et omis de protéger la population civile lors d’affrontements avec d’autres combattants, entraîné des enfants-soldats et incité au conflit ethnique348. La Cour a constaté en outre que, dans une mesure indéterminée également, les forces armées ougandaises avaient commis des actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles congolaises349. Les actes de cette catégorie, contrairement à ceux dont nous parlerons plus loin, sont à l’origine d’un préjudice directement causé par des organes de l’Ouganda.
4.10. La RDC a certes le droit de demander des indemnités sur le fondement de cette conclusion générale de la Cour. Pour les obtenir, cependant, elle doit maintenant apporter la preuve de la matérialité d’actions spécifiques commises par les forces armées ougandaises ayant consisté en meurtres, actes de torture, destructions de biens, etc., en produisant, par exemple, des éléments permettant d’établir que tels incidents précis se seraient produits à tels moment et endroit précis.
4.11. Deuxièmement, dans l’arrêt de 2005, la Cour est parvenue à la conclusion générale, en droit, que l’Ouganda, illicitement, avait fourni un appui militaire, logistique et économique à des forces irrégulières opérant sur le territoire congolais350. Mais elle a aussi explicitement précisé que ces forces «n’étaient pas sous le contrôle de l’Ouganda»351, lequel ne pouvait donc se voir attribuer leur conduite. Ainsi, même si elle peut demander réparation sur le fondement de cette conclusion générale, la RDC doit maintenant apporter la preuve de la matérialité d’actions spécifiques de l’Ouganda ayant revêtu la forme d’une assistance aux forces irrégulières.
4.12. La réparation due à la RDC ne saurait être évaluée sur la base des préjudices causés par les groupes rebelles, sur lesquels l’Ouganda n’exerçait pas de contrôle effectif. Comme il a été dit
347 Activités armées (2005), par. 260, citant Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (fond, 1986).
348 Activités armées (2005), par. 345, point 3 du dispositif.
349 Ibid., par. 345, point 4 du dispositif.
350 Ibid., par. 345, point 1 du dispositif.
351 Ibid., par. 247, renvoyant au paragraphe 160. Voir aussi par. 177.
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précédemment, la Cour a conclu qu’elle ne pouvait attribuer à l’Ouganda la conduite des forces irrégulières que celui-ci soutenait. Si elle déclarait maintenant que l’Ouganda doit malgré tout réparer le préjudice causé par cette conduite, cela reviendrait à infirmer sa conclusion initiale explicite. En outre, la Cour a expliqué que, pour satisfaire au critère du «contrôle effectif», il devait avoir été démontré que pareil contrôle s’était exercé «à l’occasion de chacune des opérations au cours desquelles les violations alléguées se seraient produites, et non pas en général, à l’égard de l’ensemble des actions menées par les personnes ou groupes de personnes ayant commis lesdites violations»352.
4.13. Troisièmement, dans l’arrêt de 2005, la Cour est parvenue à la conclusion générale, en droit, que l’Ouganda, en tant que puissance occupante du district de l’Ituri, n’avait pas pris de mesures pour assurer le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire353, ni pour empêcher les actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles congolaises354. Là encore, les faits internationalement illicites imputés à l’Ouganda n’ont pas été à l’origine de dommages directs en RDC. Ce qui est reproché à l’Ouganda, c’est de n’avoir pas exercé la diligence voulue pour empêcher que des dommages ne soient causés par des tiers. Pour obtenir des indemnités sur le fondement de cette conclusion générale, la RDC doit maintenant établir les mesures spécifiques que l’Ouganda aurait omis de prendre, en tant que puissance occupante de l’Ituri.
4.14. La réparation due à la RDC à raison du manquement, par l’Ouganda, à son obligation de faire preuve de la diligence requise ne saurait être évaluée par référence aux préjudices matériellement causés par des tiers dans le territoire occupé. Ainsi que la Cour l’a expliqué dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), il est nécessaire «de déduire de l’ensemble de l’affaire, avec un degré suffisant de certitude, que le [dommage] aurait été effectivement empêché si le défendeur avait adopté un comportement conforme à ses obligations juridiques»355.
4.15. Quatrièmement, dans l’arrêt de 2005, la Cour est parvenue à la conclusion générale que l’Ouganda avait engagé sa responsabilité en se livrant à des activités militaires sur le territoire de la RDC sans le consentement de celle-ci, en violation du principe du non-recours à la force dans les relations internationales et du principe de non-intervention356. Pour obtenir des indemnités sur le fondement de cette conclusion générale, la RDC doit apporter la preuve de la matérialité d’actions spécifiques de l’Ouganda (par exemple, l’emploi de l’artillerie contre des forces militaires congolaises à tel endroit précis) contraires à ces principes.
4.16. La RDC ne peut se borner à invoquer les conclusions générales de la Cour fondées sur le jus ad bellum pour demander réparation de tout dommage survenu pendant le conflit. Cela reviendrait à méconnaître que la Cour, dans l’arrêt de 2005, a expressément dit qu’il incombait à la
352 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (ci-après «Application de la convention contre le génocide (2007)»), par. 400.
353 Activités armées (2005), par. 345, point 3 du dispositif.
354 Ibid., par. 345, point 4 du dispositif.
355 Application de la convention contre le génocide (2007), par. 462.
355 Ibid., par. 247.
356 Activités armées (2005), par. 345, point 1 du dispositif.
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RDC de prouver la matérialité des «actions spécifiques de l’Ouganda». De même que pour les faits illicites relevant des autres catégories, la RDC doit maintenant se concentrer sur les actions spécifiques de l’Ouganda relevant de cette conclusion générale de la Cour.
4.17. Il va sans dire que les actes dont la Cour, en 2005, n’a pas déclaré l’Ouganda responsable ne sauraient fonder l’octroi d’indemnités au présent stade des réparations. En particulier, la conduite des groupes rebelles en dehors de l’Ituri n’est pas directement attribuable à l’Ouganda, qui ne saurait pas davantage se voir reprocher d’avoir manqué à une quelconque obligation de l’empêcher. La Cour a explicitement déclaré que, «s’agissant des activités illégales de tels groupes en dehors de l’Ituri, [elle] ne p[ouvait] conclure que l’Ouganda a[vait] manqué à son devoir de vigilance»357.
B. La RDC doit également établir un lien de causalité entre chaque action spécifique de l’Ouganda et le dommage allégué
4.18. Pour étayer sa demande de réparation, la RDC doit non seulement prouver la matérialité des «actions spécifiques de l’Ouganda» relevant des catégories générales de faits illicites constatés par la Cour en 2005, mais également que c’est «du fait» de ces actions qu’elle a subi le préjudice allégué. En d’autres termes, la RDC doit prouver l’existence d’un lien de causalité entre les actions et le préjudice allégué.
1. La condition de l’existence d’un lien de causalité direct et certain
4.19. L’un des principes fondamentaux en matière de responsabilité de l’Etat est qu’il n’y a obligation de réparation que si un préjudice dûment établi est le résultat d’un fait internationalement illicite. L’article 31 du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, intitulé «Réparation», codifie cette condition comme suit : «1. L’Etat responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite. 2. Le préjudice comprend tout dommage, tant matériel que moral, résultant du fait internationalement illicite de l’Etat.»358
4.20. Dans son commentaire de l’article 31, la CDI précise que la formulation du paragraphe 2 «vise à indiquer que l’objet de la réparation est, globalement, le préjudice résultant du fait internationalement illicite et imputable à celui-ci, et non toutes les conséquences de ce fait»359.
4.21. Autrement dit, pour reprendre les propres termes de la Cour, l’obligation de réparation n’est déclenchée que s’il existe «un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite ... et le préjudice subi».360 La Cour l’a ainsi expliqué en l’affaire Diallo :
«Pour chacun de ces chefs, la Cour examinera si l’existence du préjudice est établie. Ensuite, elle «rechercher[a] si et dans quelle mesure le dommage invoqué par le demandeur est la conséquence du comportement illicite du défendeur», en analysant
357 Activités armées (2005), par. 247.
358 Responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies le 28 janvier 2002, doc. A/RES/56/83, art. 31, annexe 14 (les italiques sont de nous).
359 V. Kangulumba Mbambi, Indemnisation des victimes des accidents de la circulation et assurance de responsabilité civile automobile (2002), p. 92, par. 9 (les italiques sont de nous).
360 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462.
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«s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite … et le préjudice subi par le demandeur» … Une fois que l’existence du préjudice et le lien de causalité avec les faits illicites auront été établis, la Cour procédera à l’évaluation de ce préjudice.»361
4.22. Ce n’est que si l’existence d’un tel lien de causalité est établie que le préjudice allégué peut être considéré en droit comme étant la «conséquence»362, ou le résultat, du fait illicite. Certains auteurs considèrent d’ailleurs que, en droit international, l’exigence de causalité est inhérente à la notion de «préjudice» car, même s’il est avéré, un préjudice ne peut faire l’objet d’une réclamation que s’il est réputé être la conséquence du fait illicite363.
4.23. Dans la pratique internationale, on considère souvent que la condition de l’existence d’un «lien de causalité suffisamment direct et certain» est remplie si le fait illicite est la «cause immédiate» du préjudice. On retrouve ce critère de la cause immédiate dans la jurisprudence de nombreuses juridictions internationales, notamment celle des commissions mixtes de réclamations intervenues dans les arbitrages vénézuéliens364, de la commission générale des réclamations Etats-Unis/Mexique365 et de la commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne366 établie après la première guerre mondiale. Ce critère est également appliqué par des juridictions contemporaines comme le tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran367, les tribunaux arbitraux
361 Diallo (2012), par. 14.
362 Ibid.
363 J. J. Combacau et S. Sur, Droit international public (1995), p. 539.
364 Voir Company General of the Orinoco Case, sentence arbitrale du 31 juillet 1905, RSA, vol. X, p. 282 («Ils ne sont pas le résultat immédiat de l’acte initial ayant causé des dommages dont [le Gouvernement défendeur] est tenu pour responsable») ; Heirs of Jules Brun Case, sentence arbitrale du 31 juillet 1905, RSA, vol. X, p. 40 («[L]a blessure par balle ainsi infligée a été la cause immédiate du décès de Jules Brun.») ; Heirs of Jean Maninat Case, sentence arbitrale du 31 juillet 1905, RSA, vol. X, p. 81 («peut être considérée comme la cause naturelle et immédiate d’un état qui a évolué par la suite, et donc rendre le défenseur responsable de cet état») ; Davis Case (fond) (1903), RSA, vol. IX, p. 463 («cette négligence de la victime a été l’une des causes directes et immédiates des préjudices invoqués») ; Valentiner Case (1903), RSA, vol. [X], p. 403 («la perte de la récolte a été une conséquence naturelle et immédiate de cet enrôlement illégal»). Voir aussi commission mixte des réclamations Etats-Unis/Venezuela (1903-1905) : Dix Case, RSA, vol. IX, p. 121 («Les gouvernements, comme les individus, ne sont responsables que des conséquences immédiates et naturelles de leurs actes»), et Monnot Case, RSA, vol. IX, p. 233 («Il a le droit d’être indemnisé pour les conséquences immédiates et directes de la saisie illégale de son bien»).
365 Armando Cobos Lopez (United Mexican States) v. United States of America, sentence arbitrale du 2 mars 1926, RSA, vol. IV, p. 20.
366 Voir Commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne, Administrative Decision No. II, sentence, 1er novembre 1923, RSA, vol. VII, p. 29-30 ; United States Steel Products Company (United States) v. Germany, Costa Rica Union Mining Company (United States) v. Germany, and South Porto Rico Sugar Company (United States) v. Germany (War-Risk Insurance Premium), 1er novembre 1923, RSA, vol. VII, p. 44-63 passim ; Eastern Steamship Lines, Inc. (United States) v. Germany (War-Risk Insurance Premium Claim), 11 mars 1924, RSA, vol. VII ; Provident Mutual Life Insurance Company and Others (United States) v. Germany (Life Insurance Claim), 18 septembre 1924, RSA, vol. VII, p. 112-113 et 116 ; Eisenbach Brothers and Company (United States) v. Germany, 13 mai 1925, RSA, vol. VII, p. 202-203 ; Standard Oil Company of New York (United States) v. Germany, Sun Oil Company (United States) v. Germany, and Pierce Oil Company (United States) v. Germany, 21 avril 1926, RSA, vol. VII, p. 307 ; Harriss, Irby & Vose (United States) v. Germany, 31 août 1926, RSA, vol. VIII, p. 20 ; S. Stanwood Menken, Administrator of the Estate of Alice E. Tesson, Deceased, and Others (United States) v. Germany, and Andrew C. McGowin, Administrator of the Estate of Frank B. Tesson, Deceased, and Others (United States) v. Germany, 31 août 1926, RSA, vol. VIII, p. 25 ; Rosa Vollweiler (United States) v. Germany, 8 mars 1928, RSA, vol. VIII, p. 50 ; James A. Beha, Superintendent of Insurance of the State of New York, as Liquidator of Norske Lloyd Insurance Company, Limited, for American Policyholders (United States) v. Germany, 12 avril 1928, RSA, vol. VIII, p. 56 ; George Achelis, Julie Achelis Spies, John Achelis, Estate of Annie Achelis Vietor, Deceased, and Estate of Fritz Achelis, Deceased, Heirs and Legatees of the Estate of Thomas Achelis, Deceased (United States) v. Germany, 25 avril 1928, RSA, vol. VIII, p. 63.
367 Tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran, Hoffland Honey co. v. Natl. Iranian Oil Co. (Case No. 495), sentence n° 22-495-2 du 26 janvier 1983, Iran-U.S.C.T.R., vol. 2, p. 41.
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constitués sous l’égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI)368, la Cour européenne des droits de l’homme369, la Cour interaméricaine des droits de l’homme370 et la Cour pénale internationale371. Il convient de souligner que la Commission d’indemnisation des Nations Unies372 et la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie373 ont aussi toutes deux retenu le critère de la cause immédiate lorsqu’elles ont été appelées à statuer sur des demandes de réparation liées à des faits de guerre.
4.24. Le critère de la cause immédiate a pour effet de soustraire à l’obligation de réparation tout préjudice qui entretiendrait un rapport indirect374 ou trop éloigné avec le fait illicite375. De même, un dommage qui n’était pas «prévisible»376 dans le cours ordinaire des événements est réputé entretenir un rapport trop éloigné avec le fait illicite, duquel il ne résulte donc pas. (A cet
368 Voir Biwater Gauff (Tanzania) Ltd. v. United Republic of Tanzania, affaire CIRDI n °ARB/05/22, sentence du 24 juillet 2008 (Born, Landau, Hanotiau), p. 233, par. 787 ; Joseph Charles Lemire v. Ukraine, affaire CIRDI n °ARB/06/18, sentence du 28 mars 2011 (Fernández-Armesto, Paulsson, Voss), p. 50, par. 163 ; LG&E Energy Corp., LG&E Capital Corp. LG&E International, Inc. v. Argentine Republic, affaire CIRDI no ARB/02/1, sentence du 25 juillet 2007 (de Maekelt, Rezek, J. van den Berg), p. 14, par. 50.
369 CEDH, Paulet v. The United Kingdom (requête n° 6219/08), arrêt du 13 mai 2014, par. 73 : «Cependant, en l’absence de lien de causalité immédiat entre la violation de nature procédurale constatée et la perte pécuniaire subie par le requérant par suite de l’exécution de l’ordonnance de confiscation, la Cour ne peut accorder au requérant une indemnité au titre de ce chef.» Dans l’affaire Iglesias Gil et A.U.I. c. Espagne (requête n° 56673/00), la Cour a estimé que le lien de causalité était «trop ténu» pour qu’il y ait immédiateté (arrêt définitif du 29 [avril] 2003), par. 70).
370 Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), Aloeboetoe et al. v. Suriname, arrêt du 10 septembre 1993 (réparations et coûts), p. 12, par. 48.
371 CPI, Le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi, affaire no ICC-01/12-01/15, ordonnance de réparation du 17 août 2017 (chambre de première instance VIII), par. 74.
372 Dans sa résolution 687 (1991) adoptée à sa 2981e séance du [3] avril 1991, le Conseil de sécurité affirme que l’Iraq est responsable «de toute perte, de tout dommage y compris les atteintes à l’environnement et la destruction des ressources naturelles et de tous autres préjudices directs subis … du fait de son invasion et de son occupation illicites du Koweït» (doc. S/RES/687, par. 16) (annexe 1). Le critère de la «perte directe» a été jugé équivalent au critère habituel de la «cause immédiate» :
«Le lien de causalité est présumé exister si, dans le cours ordinaire des événements, le dommage était prévisible. La prévisibilité prévaut dans la pratique judiciaire. A présent, la question que les tribunaux se posent le plus couramment en guise de critère pour statuer sur une demande de réparation semble être celle de savoir si l’acte d’un Etat était la «cause immédiate» de la perte subie, ou si le lien avec cet acte était trop éloigné pour générer une responsabilité.» E. Lauterpacht et al. (dir. publ.), International Law Reports, vol. 117 (2000). [Traduction du Greffe.]
Voir aussi : Conseil de sécurité, conseil d’administration de la CINU, rapport et recommandations du comité de commissaires sur la première tranche de réclamations individuelles pour pertes et préjudices jusqu’à concurrence de 100 000 dollars des Etats-Unis (réclamations de la catégorie «C»), doc. S/AC.26/1994/3 en date du 21 décembre 1994, p. 22-23 (annexe 5), et rapport et recommandations du Comité de commissaires sur la septième tranche de réclamations individuelles pour pertes et préjudices jusqu’à concurrence de 100 000 dollars des Etats-Unis (réclamations de la catégorie «C»), doc. S/AC.26/1999/11 en date du 24 juin 1999, p. 17, par. 29 (annexe 8).
373 CREE, décisions préliminaires, décision no 7 du 27 juillet 2007 («Guidance Regarding Jus ad Bellum Liability»), RSA, vol. XXVI, p. 507.
374 «The Geneva Arbitration» (affaire dite Alabama), in J. B. Moore, History and Digest of the International Arbitrations to which the United States Has Been a Party (1898), p. 641 (1872).
375 Voir rapport de la Commission à l’Assemblée générale sur les travaux de sa cinquante-troisième session, Annuaire de la Commission du droit international, vol. II (deuxième partie), doc. A/CN.4/SER/A/2001/Add.1 (2001), p. 93.
376 Responsabilité de l’Allemagne à raison des dommages causés dans les colonies portugaises du Sud de l’Afrique (Portugal c. Allemagne), RSA, vol. II, p. 1031.
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égard, le droit congolais, qui s’inspire des législations française et belge, ne diffère guère du droit international.377)
4.25. En somme, le préjudice que l’Etat responsable d’un fait internationalement illicite est tenu de réparer doit être «imputable»378 à ce même fait. Et tel est le cas uniquement si le fait est la cause immédiate c’est-à-dire directe et certaine du préjudice en question. L’Etat n’est pas responsable de «toutes les conséquences» d’un fait internationalement illicite379.
2. La condition de l’existence d’un lien de causalité s’applique en cas de manquement à l’obligation de faire preuve de la diligence requise
4.26. Les règles relatives à la causalité que nous venons d’évoquer sont pleinement applicables lorsque le dommage à réparer résulte d’un manquement à l’obligation de faire preuve de la diligence requise.
4.27. Ainsi qu’il a été rappelé précédemment, la Cour a eu à trancher cette question après avoir établi que la République fédérale de Yougoslavie, en omettant d’exercer la diligence voulue pour empêcher l’armée de la Republika Srpska de commettre des atrocités à Srebrenica, avait engagé sa responsabilité au regard de l’article premier de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Tout en concluant qu’il y avait eu violation, la Cour a rejeté la demande de réparation de la Bosnie-Herzégovine, faisant observer ce qui suit :
«[L]e défendeur disposait indubitablement de moyens d’influence non négligeables à l’égard des autorités politiques et militaires des Serbes de Bosnie, qu’il aurait pu, et par conséquent dû, mettre en oeuvre en vue d’essayer d’empêcher les atrocités ; il n’a cependant pas été démontré que, dans le contexte particulier de ces événements, ces moyens eussent été suffisants pour atteindre le résultat que le défendeur aurait dû rechercher. La Cour ne pouvant donc regarder comme établie l’existence d’un lien de causalité entre la violation par le défendeur de son obligation de prévention et les dommages entraînés par le génocide de Srebrenica, l’indemnisation n’apparaît pas comme la forme appropriée de réparation qu’appelle la violation de l’obligation de prévenir le génocide.»380
4.28. Ainsi, même lorsqu’un manquement à l’obligation de faire preuve de la diligence requise est établi, le demandeur doit démontrer que le dommage qu’il allègue «aurait été effectivement empêché si le défendeur avait adopté un comportement conforme à ses obligations juridiques». A défaut, aucune indemnisation ne peut être adjugée. En pareil cas, comme dans l’affaire Bosnie c. Serbie, la satisfaction est la forme de réparation appropriée.
377 V. Kangulumba Mbambi, Indemnisation des victimes des accidents de la circulation et assurance de responsabilité civile automobile, op. cit., p. 352.
378 Articles sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 31, par. 9.
379 Ibid.
380 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. [462].
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3. La condition de l’existence d’un lien de causalité s’applique également en cas de manquement aux principes de non-recours à la force et de non-intervention
4.29. Les mêmes règles relatives à la causalité sont pleinement applicables lorsque le dommage résulte d’un manquement aux principes de non-recours à la force et de non-intervention dans les relations internationales, ainsi que le confirment la jurisprudence, la doctrine et la pratique des Etats381.
4.30. Il ne suffit pas, pour établir le lien de causalité requis, de conclure que le préjudice ne se serait pas produit en l’absence de recours illicite à la force. Le comité de commissaires de la CINU a ainsi commencé par dire que,
«pour conclure à l’existence d’un lien direct, il ne suffi[sait] pas de considérer que, n’eussent été l’invasion et l’occupation [du Koweït par l’Iraq], la perte ne se serait pas produite. Si l’on appliquait ainsi le critère du «sine qua non» («but for test»), parfois aussi appelé «facteur déterminant», toute perte pouvant être reliée par un lien de causalité à l’invasion et à l’occupation serait indemnisable. Le critère appliqué serait alors plus étendu que celui prévu dans la résolution 687, selon lequel seules les pertes résultant directement de l’invasion et de l’occupation sont indemnisables, et le «sine qua non» peut, au mieux, servir de critère d’exclusion.»382
4.31. D’autres juridictions internationales ont suivi la même approche. Appelée à statuer sur la responsabilité de l’Erythrée dans des violations du jus ad bellum, la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a ainsi déclaré que
«la notion de «cause immédiate», communément employée, est le meilleur moyen de qualifier ce lien nécessaire. Pour apprécier si ce critère est rempli et si le lien de causalité est suffisamment étroit dans une situation donnée, la Commission examinera notamment si tel ou tel dommage était raisonnablement prévisible par l’auteur du fait internationalement illicite en question. L’élément de prévision, même s’il peut poser lui-même des difficultés, offre une certaine rigueur et une certaine prévisibilité aux fins de l’appréciation de l’immédiateté. Par conséquent, on lui accordera un grand poids à l’heure de déterminer si des dommages donnés ouvrent droit à réparation».383
4.32. C’est sur la base de ces principes que la Commission d’indemnisation des Nations Unies a rejeté, en l’absence de lien de causalité suffisamment direct, toutes les demandes portant sur des pertes subies en conséquence de l’embargo décidé par le Conseil de sécurité ou,
381 Voir, de manière générale, P. d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public, op. cit., p. 644-659.
382 E. Lauterpacht et al. (dir. publ.), International Law Reports, op. cit., par. 214.
383 CREE, décisions préliminaires, décision no 7 du 27 juillet 2007 («Guidance Regarding Jus ad Bellum Liability»), RSA, vol. XXVI (2009), p. 631, par. 13.
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plus généralement, des pertes «imputables au chaos économique résultant de l’invasion et de l’occupation illicite[s] du Koweït par l’Iraq».384
4.33. De même, la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a rejeté les demandes d’indemnisation présentées par chacune des parties au sujet de dommages macroéconomiques qui, selon elles, avaient résulté de la «perturbation générale de l’économie civile en temps de guerre»385 ou du «déclin généralisé de la situation économique»386. La commission a estimé que la responsabilité internationale d’un Etat ne s’étendait pas «à toutes les pertes et perturbations qui vont de pair avec un conflit international»387 car une «violation du jus ad bellum ... n’emporte pas une responsabilité pour tout ce qui se produit postérieurement [à cette violation]»388.
4.34. Par conséquent, pour déterminer si, du point de vue juridique, un préjudice donné résulte d’une intervention illicite ou d’un recours illicite à la force, il ne suffit pas de dire qu’il n’y aurait pas eu préjudice s’il n’y avait pas eu recours à la force. Pour que la condition du lien de causalité soit remplie, le demandeur doit démontrer qu’un tel lien, direct et certain, existe entre l’intervention ou le recours à la force et le préjudice allégué389.
4.35. De même, lorsqu’un Etat a porté atteinte au principe de non-intervention en apportant un soutien logistique ou financier à des forces irrégulières actives sur le territoire d’un autre Etat, il ne suffit pas d’affirmer que, sans ce soutien, certains préjudices n’auraient pas été causés. Pour que ces préjudices ouvrent droit à indemnisation par l’Etat responsable, il doit être établi que le soutien logistique ou financier apporté en est la cause directe et certaine.
C. Dans son mémoire, la RDC ne prouve ni la matérialité d’actions spécifiques de l’Ouganda relevant des conclusions générales de la Cour, ni l’existence du lien de causalité requis
4.36. Dans son mémoire, la RDC ne s’efforce guère de faire la démonstration assortie de preuves qui lui a été demandée dans l’arrêt de 2005, aux fins d’établir : 1) la matérialité d’actes spécifiques imputables à l’Ouganda relevant de l’une ou l’autre des conclusions générales de cet
384 Conseil de sécurité, conseil d’administration de la CINU, huitième session, Indemnisation des pertes industrielles ou commerciales résultant de l’invasion et de l’occupation illicite du Koweït par l’Iraq lorsque l’embargo sur le commerce et les mesures connexes ont également joué comme cause, décision prise par le conseil d’administration de la CINU à sa 31e séance le 18 décembre 1992 à Genève, doc. S/AC.26/1992/15 en date du 4 janvier 1993, par. 5 (annexe 4). Voir également les paragraphes 3 et 9, lus conjointement avec le paragraphe 3 du document «Décision 9 adoptée par le conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies à la reprise de sa quatrième session (23e séance, tenue le 6 mars 1992)», doc. S/AC.26/1992/9 en date du 6 mars 1992, par. 6 (annexe 3).
385 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 395.
386 Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 207.
387 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 289.
388 Ibid., par. 289.
389 Voir Différend Società Mineraria et Metallurgica di Pertusola — décisions nos 47, 95 et 121, RSA, vol. XIII (11 mai 1950 et 3 mars 1952), p. 186 :
«Le dommage, pour pouvoir donner naissance à l’obligation de le réparer, ne doit pas avoir comme cause uniquement l’état de guerre, mais encore un fait dû à cet état et qui a atteint un bien en Italie soumis à restitution au sens de l’article 78, par. 4 a, in principio [du traité de paix de 1947 avec l’Italie]. Il ne suffit pas, d’après l’analyse grammaticale, d’un lien de causalité indirect entre le dommage qu’a valu au ressortissant des Puissances Alliées ou Associées la propriété d’un bien en Italie, et l’état de guerre qui a existé entre l’Italie et les Puissances Alliées et Associées ; il faut, bien plus, un lien de causalité direct entre le dommage et un fait dommageable dû à la guerre et qui a frappé le bien.»
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arrêt ; 2) les dommages spécifiques subis par la RDC ; et 3) l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct et certain entre lesdits actes et lesdits dommages.
4.37. Au contraire, la RDC se borne, dans le mémoire, à tenter de prouver l’existence de certains types de dommages de manière générale, puis présuppose (sans le démontrer) qu’il existe un lien entre ces dommages et un fait illicite imputable à l’Ouganda. Cette façon de procéder lui permet de maximiser ses prétentions tout en réduisant au minimum les preuves qu’elle apporte, mais n’aide aucunement la Cour à s’acquitter de la lourde tâche qui l’attend.
4.38. Plusieurs passages du mémoire sont révélateurs des failles omniprésentes qui vicient la démonstration par laquelle la RDC prétend prouver la matérialité d’actions spécifiques commises par l’Ouganda et de dommages spécifiques qu’elle aurait subis, ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre les unes et les autres. Par exemple, au paragraphe 1.25, elle affirme que «l’ensemble des dommages causés par le comportement illicite de l’Ouganda découle en réalité de l’invasion du territoire congolais qui a débuté au mois d’août 1998 ainsi que du soutien que cet Etat a apporté dès cette date à des groupes irréguliers», soulignant que «l’ensemble de ces dommages ont bien été la conséquence du comportement illicite de l’Ouganda, que cette conséquence soit immédiate ou résulte d’une chaîne ininterrompue d’événements»390.
4.39. La RDC réaffirme ce même point de vue plus loin dans le mémoire :
«En premier lieu, les dommages ne seront pas distingués en fonction de la règle de droit international qui a été violée, qu’il s’agisse essentiellement de l’interdiction du recours à la force dans les relations internationales, de la violation du droit des conflits armés ou encore du droit international des droits humains. En pratique, tous les dégâts humains et matériels dont il sera question résultent d’ailleurs de l’invasion de la RDC par les forces ougandaises, que ce soit à court (parce qu’ils ont été occasionné lors de l’arrivée des troupes ougandaises) ou à plus long terme (lorsqu’ils résultent de la répression des actes de résistance ou plus généralement d’exactions qui ont eu lieu après la phase de l’invasion stricto sensu).»391
4.40. Au sujet des préjudices causés par les forces irrégulières auxquelles l’Ouganda a apporté un soutien, la RDC dit encore :
«Le critère déterminant n’est en effet pas celui de la licéité intrinsèque de chacun de ces actes, ni encore moins celui de leur attribution à l’Ouganda. Il réside dans le constat que cet acte dommageable n’aurait pas été causé sans le soutien de l’Ouganda, explicitement établi par la Cour comme illicite celui-là, à ces forces irrégulières.»392
390 MRDC, par. 1.25 (le passage complet se lit comme suit : «l’ensemble des dommages causés par le comportement illicite de l’Ouganda découle en réalité de l’invasion du territoire congolais qui a débuté au mois d’août 1998 ainsi que du soutien que cet Etat a apporté dès cette date à des groupes irréguliers. Il n’existe aucune raison et ceci rejoint les principes juridiques rappelés plus haut de distinguer les dommages en fonction de la règle juridique qui a été violée, même si les spécificités de certaines d’entre elles peuvent parfois être prises en compte pour mesurer la gravité du dommage. Ce qui importe, dans l’ensemble, c’est de démontrer que l’ensemble de ces dommages ont bien été la conséquence du comportement illicite de l’Ouganda, que cette conséquence soit immédiate ou résulte d’une chaîne ininterrompue d’événements.»).
391 Ibid., par. 2.05.
392 MRDC, par. 2.06.
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4.41. Il ressort clairement de ces passages que la RDC se dérobe à son obligation d’apporter la preuve que telles ou telles actions spécifiques ont été commises par l’Ouganda, qu’elle-même a subi tels ou tels dommages spécifiques, et qu’un lien de causalité relie les premières aux seconds. La RDC préfère s’en tenir à avancer qu’un dommage indéterminé s’est produit pendant le conflit et que, dans une certaine mesure, il ne se serait pas produit «n’eussent été» les actions de l’Ouganda. Selon elle, chacun des préjudices causés sur son territoire pendant le conflit est, dans une certaine proportion, automatiquement relié à l’Ouganda par un lien de causalité ininterrompu.
4.42. Pour certains des préjudices allégués, la RDC réclame une indemnisation complète, tandis que pour d’autres, elle applique un pourcentage. Ainsi, elle affirme que l’Ouganda est responsable de 45 % du nombre de morts violentes qui seraient selon elle survenues pendant le conflit393 et des dommages macroéconomiques qui auraient été causés394. S’agissant des dommages touchant la faune, la part de responsabilité qu’elle entend attribuer à l’Ouganda varie de 50 à 90 %395.
4.43. Par cette répartition, la RDC semble admettre que «d’autres acteurs sont responsables [du] déclenchement [du conflit]»396 et que certaines pertes résulteraient d’une «pluralité d[e] causes»397. Les pourcentages qu’elle applique ne sont toutefois pas systématiques et ne reposent apparemment guère que sur de simples hypothèses.
4.44. Mais surtout, et c’est là le plus important, la RDC, par ces grossières tentatives de «répartition» censées donner un caractère «raisonnable» à ses prétentions, cherche en réalité à masquer les failles fondamentales de sa démarche, et notamment le fait qu’elle est incapable de prouver la matérialité de faits spécifiques imputables à l’Ouganda ou de dommages spécifiques qu’elle aurait subis, de même que l’existence d’un quelconque lien de causalité entre les premiers et les seconds. Or, en l’absence de faits spécifiques, de dommages et de lien de causalité dûment attestés, l’Ouganda ne peut pas même être assimilé à l’une des multiples causes ayant entraîné un dommage ouvrant droit à indemnisation.
D. L’approche qu’il convient d’adopter en matière d’attribution et de causalité
4.45. Les demandes de la RDC doivent être examinées à l’aune du critère de la cause immédiate pour ce qui est des quatre catégories générales de faits dont la Cour a déclaré l’Ouganda responsable dans son arrêt de 2005 : 1) les actes des forces militaires ougandaises ayant directement causé des dommages matériels ou humains ; 2) le soutien apporté par l’Ouganda aux groupes rebelles (sans qu’ils fussent sous son contrôle effectif) ; 3) le manquement au devoir de diligence en Ituri ; et 4) les actes commis en violation des normes relatives à l’emploi de la force et à la non-intervention. Dans les paragraphes ci-après, nous reviendrons successivement sur ces quatre types de faits.
393 MRDC, par. 2.71.
394 Ibid., par. 6.32. Voir plus loin les observations sur le caractère non indemnisable, au regard du droit international, du dommage macroéconomique allégué.
395 Ibid., par. 5.151, 5.161, 5.165, 5.167, 5.169 et 5.171.
396 Ibid., par. 2.71.
397 Ibid., par. 1.24. Au sujet de la pluralité de causes et de la répartition, voir P. d’Argent, «Reparation, Cessation, Assurances and Guarantees of Non-Repetition in Situations of Shared Responsibility» in Principles of Shared Responsibility in International Law: an Appraisal of the State of the Art, A. Nolkaemper & I. Plakokefalos (dir. publ.) (2014), p. 208-250.
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1. Les actes des forces militaires ougandaises à l’origine d’un préjudice direct
4.46. L’Ouganda ne conteste pas que la responsabilité des préjudices directement causés par les membres de ses forces armées lui incombe en principe ; ce cas de figure ne soulève pas de questions de causalité complexes. Il appartient toutefois à la RDC d’établir l’existence de tels préjudices et de prouver qu’ils ont été causés par des membres des forces militaires ougandaises.
4.47. Dans son mémoire, la RDC n’apporte pas les preuves voulues. Comme nous le montrerons dans les chapitres suivants, même dans le cadre de demandes se rapportant aux préjudices directement causés par les forces militaires ougandaises, elle manque invariablement de fournir le minimum de justificatifs requis aux fins d’établir, notamment, les dates des incidents allégués, le nombre et l’identité des victimes ou les faits qui engageraient la responsabilité de l’Ouganda.
2. Le soutien apporté par l’Ouganda aux groupes rebelles
4.48. Dans son mémoire, le demandeur part du principe que, du fait du soutien qu’il a fourni à certains groupes rebelles en RDC, l’Ouganda doit réparer tout préjudice causé par ces groupes. Il se fonde à cet égard sur le critère du «sine qua non» («but for test»), mentionné plus haut. Selon lui, n’eût été le soutien de l’Ouganda, les dommages imputables aux groupes rebelles n’auraient pas été à déplorer.
4.49. Même à supposer que la RDC ait dûment établi, dans son mémoire, le «préjudice exact» causé par les groupes rebelles (ce qu’elle n’a pas fait), il lui faudrait aussi prouver que le préjudice a été «subi du fait»398 du soutien illicite apporté par l’Ouganda auxdits groupes. Il ne suffit pas d’affirmer in abstracto que, sans le soutien de l’Ouganda, le préjudice imputable aux groupes rebelles aurait été évité. Le critère du «sine qua non» que la RDC prie la Cour d’appliquer suppose un rapport beaucoup trop indirect et incertain pour satisfaire à la nécessité d’établir un lien de causalité qui soit, au contraire, «suffisamment direct et certain entre le fait illicite … et le préjudice subi»399, telle qu’énoncée dans la jurisprudence.
4.50. L’application de ce critère pour le moins vague que défend la RDC impliquerait en réalité de revenir sur des questions tranchées avec l’autorité de la chose jugée en 2005. Ainsi que mentionné, l’arrêt de 2005 indique clairement que l’Ouganda n’a pas créé le MLC400 et que celui-ci bénéficiait d’un large degré d’autonomie dans la conduite de ses opérations. La Cour a d’ailleurs déterminé non seulement que l’Ouganda ne contrôlait pas, mais encore qu’il ne «pouvait contrôler» le MLC401. Conclure aujourd’hui que l’Ouganda est tenu à réparation à raison du comportement dudit groupe reviendrait à lui imputer effectivement la responsabilité de ce comportement, ce que la Cour s’est expressément refusée à faire en 2005.
4.51. L’argument de la RDC selon lequel les préjudices imputables au MLC n’auraient pas eu lieu n’eût été l’assistance de l’Ouganda est également démenti par les faits. Le chef du MLC, Jean-Pierre Bemba, a lui-même déclaré que «c’était lui qui contrôlait … l’opération militaire, et
398 Activités armées (2005), par. 260.
399 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462. Ces termes exacts ont été repris dans l’arrêt Diallo (2012), par. 14.
400 Activités armées (2005), par. 160.
401 Ibid.
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non l’Ouganda»402. En outre, le modus operandi du MLC/ALC était assez rudimentaire, ses membres recourant à des machettes et armes de petit calibre qui pouvaient être obtenues sans appui extérieur. Le MLC/ALC comptait également nombre de transfuges des forces armées zaïro-congolaises, ayant rejoint ses rangs avec leurs armes et équipement403. Il a aussi utilisé le matériel et puisé dans les stocks abandonnés par les soldats congolais en fuite, comme la RDC le reconnaît elle-même404.
4.52. Ainsi, outre qu’elle manque d’établir en droit le lien de causalité requis, l’affirmation de la RDC selon laquelle, n’eût été l’appui de l’Ouganda, les préjudices imputables à des groupes rebelles tels que le MLC n’auraient pas eu lieu soulève d’importantes questions de fait, auxquelles la RDC néglige de répondre.
4.53. Des arguments similaires peuvent être avancés relativement à d’autres groupes rebelles. La Cour n’a nulle part conclu, dans son arrêt de 2005, que telles ou telles forces irrégulières, pas même le RCD (ou le RCD–Mouvement de Libération (ML), rival de l’aile pro-rwandaise RCD–Goma), agissaient selon les instructions ou sous le contrôle effectif de l’Ouganda.
3. Les manquements de l’Ouganda à son obligation de faire preuve de la diligence requise
4.54. La Cour, dans son arrêt de 2005, a conclu que l’Ouganda avait été une puissance occupante en Ituri à partir du 18 juin 1999405, et que sa responsabilité était engagée parce qu’il n’avait pas exercé «la vigilance requise pour prévenir les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire par d’autres acteurs présents sur le territoire occupé, en ce compris les groupes rebelles agissant pour leur propre compte»406.
4.55. Ainsi qu’il a été indiqué, le lien de causalité entre une omission illicite et un préjudice «ne pourrait être regardé comme établi que si la Cour était en mesure de déduire de l’ensemble de l’affaire, avec un degré suffisant de certitude, que le [préjudice] aurait été effectivement empêché si le défendeur avait adopté un comportement conforme à ses obligations juridiques»407. Il appartient par conséquent à la RDC d’établir avec un degré élevé de certitude que les préjudices causés par d’autres acteurs en Ituri auraient été effectivement empêchés si l’Ouganda avait adopté un comportement conforme à l’obligation qui lui incombait de «protéger les habitants du territoire occupé contre les actes de violence»408. Dans son mémoire, la RDC n’a non seulement pas fait, mais n’a pas même tenté de faire, cette démonstration.
4.56. En outre, au vu de : 1) la taille de l’Ituri (65 658 km², soit environ la taille de Sri Lanka, et plus de deux fois celle de la Belgique) ; 2) sa démographie (entre 3,3 et 5,5 millions
402 Activités armées (2005), par. 158.
403 Rapport Mapping, par. 381, annexe 25. 410436
404 MRDC, par. 2.51, 2.53.
405 Activités armées (2005), par. 175.
406 Ibid., par. 179.
407 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462.
408 Activités armées (2005), par. 178.
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d’habitants dispersés dans des villages reculés et représentant 18 groupes ethniques)409 ; 3) la densité de la forêt équatoriale qui recouvre la plus grande partie du territoire ; 4) le conflit ethnique qui oppose depuis de longues années les tribus lendu et hema (conflit auquel le Gouvernement congolais lui-même n’est pas parvenu à mettre un terme à ce jour)410 ; 5) la culture de la cruauté prévalant au sein de milices armées telles que les Maï-Maï ; et 6) la taille modeste du déploiement ougandais pendant le conflit («dix mille soldats «au plus fort de leur déploiement»»)411, l’Ouganda n’aurait jamais pu empêcher tous les préjudices imputables à d’autres acteurs en Ituri. Même s’il s’était pleinement acquitté de son obligation de faire preuve de la diligence requise, l’Ouganda n’était pas et n’aurait pu être omniprésent dans cette région.
4.57. Que la Cour soit parvenue à la conclusion générale que l’Ouganda avait manqué de s’acquitter des obligations de vigilance et de prévention qui étaient les siennes en tant que puissance occupante ne dispense pas la RDC d’apporter, ainsi qu’il lui incombe à ce stade, la preuve des préjudices spécifiques causés par d’autres acteurs en Ituri, d’établir les mesures spécifiques que l’Ouganda a manqué de prendre en tant que puissance occupante, et de justifier l’existence d’un lien de causalité entre ces manquements et les préjudices allégués. Dans son mémoire, la RDC n’a établi aucun de ces éléments (non plus que le bien-fondé de l’évaluation qu’elle avance).
4. Les violations par l’Ouganda des normes relatives à l’emploi de la force et à la non-intervention
4.58. La RDC affirme que les violations, par l’Ouganda, des principes concernant l’emploi de la force et la non-intervention rendent celui-ci responsable de tout ce qui s’est produit sur son territoire après le début de l’intervention ougandaise. L’Ouganda le conteste, considérant que la Cour devrait suivre l’approche retenue par la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie et «déterminer le préjudice dont le fait délictueux [imputable à l’Ouganda] a été la cause immédiate en appréciant les conséquences que les responsables civils et militaires [ougandais] auraient raisonnablement pu anticiper au moment de l’acte illicite»412. A cet égard, la commission a clairement précisé qu’elle ne «considérait pas que la responsabilité internationale d’un Etat s’étende, en pareil cas, à toutes les pertes et perturbations qui vont de pair avec un conflit international. La violation du jus ad bellum par un Etat n’emporte pas une responsabilité pour tout ce qui se produit postérieurement. Pour emporter pareille responsabilité, il doit exister un lien de causalité suffisant.»413
4.59. La Cour doit donc déterminer si la RDC a présenté des éléments de preuve lui permettant d’établir «si telles ou telles conséquences avaient été prévues ou auraient dû l’être par les responsables [ougandais] usant d’une faculté de jugement raisonnable au moment» du fait
409 Voir MRDC, par. 3.04, citant le Conseil de sécurité, rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003), doc. S/2004/573 en date du 16 juillet 2004. MRDC, annexe 1.6.
410 L. Oussou, MONUSCO, «La force de la MONUSCO invite les communautés en Ituri à dialoguer pour la paix», accessible à l’adresse suivante : https://monusco.unmissions.org/la-force-de-la-monuscoinvite-les-communa… (dernière consultation le 11 août 2017), p. 2, annexe 100 ; bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, «DR Congo: Weekly Humanitarian Update (19-23 juin 2017)», accessible à l’adresse suivante : https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/dr-congo-weekly-… (dernière consultation le 23 juin 2017), annexe 30 ; Conseil de sécurité, 7998e séance, «Security Council Members Stress Need for Democratic Republic of Congo to Hold Fair, Free, Inclusive Elections without Further Delay», doc. SC/12907 en date du 11 juillet 2017, annexe 32.
411 Activités armées (2005), par. 170.
412 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 284.
413 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 289.
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délictueux imputable à l’Ouganda, étant entendu que, «si l’éventail de conséquences possibles de ses actes qu’une partie est censée prévoir est trop large, ou ces répercussions trop éloignées dans le temps ou dans l’espace, le caractère prévisible perd son sens en tant qu’outil d’appréciation de la cause immédiate»414. La RDC n’a pas présenté de preuves satisfaisant à ce critère.
4.60. Tout comme ses allégations relatives au soutien qu’aurait apporté l’Ouganda à certains groupes rebelles, cet aspect des demandes de la RDC est invariablement fondé sur l’affirmation générale selon laquelle, n’eussent été l’emploi de la force et l’intervention de l’Ouganda, des préjudices exceptionnellement vastes et variés, et répartis qui plus est sur un large pan du territoire congolais et sur plusieurs années, ne se seraient pas produits. Pareille approche ne permet pas à la Cour de rattacher aux violations reprochées à l’Ouganda tels ou tels préjudices précis au motif que ceux-ci auraient été prévus, ou auraient dû l’être, par les responsables ougandais usant d’une faculté de jugement raisonnable au moment des faits.
4.61. Parmi les réclamations que la RDC avance exclusivement au titre de la violation des normes relatives à l’emploi de la force et à la non-intervention se distingue tout particulièrement l’indemnisation demandée au titre du préjudice macroéconomique. Il en sera question en détail au chapitre 9. L’Ouganda se contentera ici de relever que la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a refusé d’accorder une indemnisation à raison du préjudice macroéconomique qui serait résulté d’une violation du jus ad bellum, faisant observer ce qui suit : «Depuis l’arbitrage de l’Alabama au moins, les arbitres rejettent les demandes de réparation au titre des dommages infligés aux intérêts économiques généraux de l’Etat vainqueur ou de ses ressortissants, ou au titre de ses dépenses de guerre.»415
II. LA RDC ATTEND EN SUBSTANCE DE LA COUR QU’ELLE TRANCHE LA QUESTION DE LA RÉPARATION EX AEQUO ET BONO, CE QUE LA COUR NE PEUT PAS FAIRE
4.62. Plutôt que de s’employer à apporter la preuve requise par l’arrêt de 2005 et, plus généralement, par le droit international, la RDC a recours à des méthodes éminemment subjectives dont force est de conclure qu’elles visent à amener la Cour à statuer ex aequo et bono. Toutefois, la Cour ne saurait statuer ainsi, à moins que les deux Parties n’y consentent.
A. La RDC méconnaît le droit international en matière de réparations dans le contexte des réclamations interétatiques
4.63. La RDC affirme que la méthode qu’elle utilise pour évaluer le montant de l’indemnisation due est fondée sur les règles traditionnelles en matière de responsabilité de l’Etat416, telles que codifiées dans les articles de la CDI sur cette question. Or, rien n’est moins vrai.
4.64 Ses demandes concernant le préjudice causé par les groupes rebelles soutenus par l’Ouganda montrent à quel point la RDC néglige le droit dans son mémoire. Comme cela a déjà été précisé, la conduite des groupes rebelles ne saurait être attribuée à l’Ouganda à moins que le critère bien établi du «contrôle effectif», que la Cour a toujours appliqué417, ne soit rempli. Si elle avait
414 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 290.
415 Ibid., par. 286.
416 MRDC, par. 1.18.
417 Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (fond, 1986), par. 115 ; Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 406.
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véritablement fondé ses demandes sur le droit et non sur sa perception subjective de ce qui est raisonnable, équitable ou juste , la RDC se serait à tout le moins efforcée de démontrer la matérialité de préjudices spécifiques causés par certains groupes rebelles qui, «en adoptant ce comportement, agi[ssaient] en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de [l’Ouganda]»418. Or, loin de ce faire, elle se contente d’affirmer que l’Ouganda doit verser des indemnités à raison de l’ensemble des dommages causés par ces groupes parce que ces dommages «découle[raient] logiquement de [son] soutien illicite, en ce sens qu’ils n’auraient pas pu être causés sans ce soutien»419.
4.65. La RDC s’écarte aussi du droit lorsqu’elle invite la Cour à fixer un montant total, une «somme globale», qui ne présente pas de rapport direct avec le préjudice réellement subi420. Elle tente de s’en justifier en invoquant la complexité de l’instance et la multitude de faits internationalement illicites421. Se référant à son mémoire sur le fond, la RDC affirme que le versement d’un tel montant forfaitaire est «à la fois nécessaire et souhaitable»422. Cet emploi du terme «souhaitable» est éloquent et confirme le caractère non juridique de son approche.
4.66. De la même manière, la RDC affirme qu’elle a, «dans son évaluation de l’indemnisation des dommages causés aux personnes à la suite des violations du droit international dont l’Ouganda s’est rendu responsable sur le territoire du Congo entre 1998 et 2003, … été largement guidée par les lignes dégagées par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2005»423, faisant référence aux Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire (ci-après les «Principes fondamentaux et directives»)424. Pourtant, une fois de plus, ce n’est là qu’un faux-semblant.
4.67. Il convient tout d’abord de relever que les Principes fondamentaux et directives sont spécifiquement adressés aux Etats aux fins d’une mise en oeuvre au niveau national. Ils ne visent pas à énoncer des normes juridiques devant être appliquées par les cours ou tribunaux internationaux. Il y est
«[r]ecommand[é] aux Etats de tenir compte des Principes fondamentaux et directives, d’en promouvoir le respect et de les porter à l’attention des membres des organes exécutifs de l’Etat, en particulier les responsables de l’application des lois et les membres des forces militaires et de sécurité, des organes législatifs, des organes judiciaires, des victimes et de leurs représentants, des défenseurs des droits de l’homme et des avocats, des médias et du grand public»425.
418 Rapport de la Commission à l’Assemblée générale sur les travaux de sa cinquante-troisième session, Annuaire de la Commission du droit international, vol. II, deuxième partie, doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (2001), art. 8.
419 MRDC, par. 1.24.
420 Ibid., par. 1.11. Voir aussi ibid., par. 1.18.
421 Ibid., par. 1.11.
422 Ibid.
423 MRDC, par. 7.05.
424 Assemblée générale, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, doc. A/RES/60/147 en date du 21 mars 2006, annexe 21.
425 Assemblée générale, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, doc. A/RES/60/147 en date du 21 mars 2006, annexe 21.
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4.68. Plus important encore, les Principes fondamentaux et directives imposent sans ambiguïté de traiter la question des réparations au cas par cas et sur la base des règles de droit traditionnelles applicables aux demandes y relatives, et non sur le fondement d’abstraites notions de justice, ni, a fortiori, du principe ex aequo et bono. C’est ce qu’indique clairement le préambule :
«Soulignant que les Principes fondamentaux et directives n’entraînent pas de nouvelles obligations en droit international ou interne, mais définissent des mécanismes, modalités, procédures et méthodes pour l’exécution d’obligations juridiques qui existent déjà en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, qui sont complémentaires bien que différents dans leurs normes.»426
Les Principes fondamentaux et directives visaient donc à récapituler, à l’intention des Etats, les obligations juridiques existantes, et les mécanismes d’exécution de ces dernières, en vue de garantir aux victimes de violations d’obligations internationales spécifiques le droit à un recours et à réparation.
4.69. L’accent mis sur la nécessité de traiter la question au cas par cas est non moins clair :
«Conformément à la législation interne et au droit international, et compte tenu des circonstances de chaque cas, il devrait être assuré aux victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, selon qu’il convient et de manière proportionnée à la gravité de la violation et aux circonstances de chaque cas, une réparation pleine et effective, comme l’énoncent les principes 19 à 23, notamment sous les formes suivantes : restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition.»427
4.70. De la même manière, s’agissant de l’indemnisation, il est précisé que celle-ci «devrait être accordée pour tout dommage … qui se prête à une évaluation économique, selon qu’il convient et de manière proportionnée à la gravité de la violation et aux circonstances de chaque cas»428.
4.71. Telle n’est pas l’approche suivie par la RDC. A propos du préjudice causé aux personnes, par exemple, celle-ci reconnaît que, du fait de l’«impossibilité» de prendre en compte les spécificités de chacune des victimes, elle a été «amen[ée] à chiffrer le montant des indemnisations dues pour chaque catégorie de dommages causés aux personnes sur une base forfaitaire, laquelle a vocation à couvrir l’ensemble des éléments de préjudice identifiés par l’Assemblée générale dans les Principes susmentionnés»429.
4.72. Ainsi, tout en affirmant respecter les Principes fondamentaux et directives, la RDC suit en réalité un tout autre chemin. Premièrement, ainsi qu’il sera évoqué dans la prochaine section, elle semble tirer de nulle part les estimations qu’elle avance quant au nombre de victimes, lesquelles ne sont identifiées d’aucune façon.
426 Assemblée générale, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, doc. A/RES/60/147 en date du 21 mars 2006, note 78, préambule, par. 7 (les italiques sont de nous).
427 Ibid., par. 18 (les italiques sont de nous).
428 Ibid., par. 20 (les italiques sont de nous).
429 MRDC, par. 7.07.
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4.73. Deuxièmement, plutôt que de tenir compte de données concrètes en rapport avec les victimes (nombre estimé d’adultes par rapport au nombre d’enfants, espérance de vie ou revenus approximatifs, etc.), la RDC se contente de fixer le montant de l’indemnisation due à chacune sur la base de la somme dont elle affirme (sans en apporter la preuve) qu’elle est adjugée par les juridictions congolaises dans des circonstances similaires. Elle soutient ainsi que, lorsque les atteintes aux personnes résultent d’actes de violence délibérément dirigés contre les populations civiles, l’indemnisation devrait être fondée «sur la jurisprudence des juridictions congolaises [ayant] été amenées à juger et à condamner les responsables de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans l’est du Congo»430.
4.74. Or, dans cette jurisprudence nationale, il n’est en général pas tenu compte des circonstances propres à chaque cas. Dans un jugement rendu le 18 février 2007 (mis au jour par l’Ouganda mais non produit par la RDC), par exemple, le tribunal militaire de garnison de Mbandaka a imposé à la RDC de verser à toute une catégorie de plaignants les indemnités ci-après : 200 dollars des Etats-Unis (ci-après «dollars») pour la victime des coups et blessures simples ; 500 dollars pour les victimes d’extorsion ; 600 dollars pour les victimes de pillage ; 2000 dollars pour les victimes d’arrestation arbitraire, de détention illégale et de torture ; 5000 dollars pour les victimes de viol ; et 30 000 dollars pour la victime de viol décédée431.
4.75. De fait, les juridictions congolaises, dans leurs décisions, font rarement la distinction entre les différents types de préjudice, matériel ou immatériel ; elles se bornent à adjuger une certaine somme, sans tenir compte de la nature spécifique du comportement en cause ni des préjudices spécifiques causés aux victimes. Ainsi, dans l’affaire Kakado, où les actes incriminés étaient nombreux (meurtre, viol, pillage et atteinte aux biens, ainsi que la conduite d’un mouvement insurrectionnel), le prévenu a été condamné à verser deux millions de dollars «au titre du dédommagement pour tout préjudice subi»432, ce qui revenait à englober tous les types de préjudice, matériel et immatériel, dans une unique catégorie générale.
4.76. Des régimes d’indemnisation aussi généraux et indifférenciés ne sont pas conformes à la règle essentielle énoncée dans les Principes fondamentaux et directives selon laquelle la réparation doit être calculée à la lumière «des circonstances de chaque cas». Naturellement, un même montant pourra être accordé au titre du préjudice moral, pour un type de dommage précis, à tout un groupe d’individus se trouvant dans une même situation, mais adjuger indistinctement des indemnités au titre de dommages matériels revient à bafouer les exigences des Principes fondamentaux et directives, et contrevient aux règles traditionnelles du droit international concernant l’indemnisation due dans de telles circonstances.
4.77. D’autres que nous ont analysé les décisions des juridictions congolaises et conclu qu’elles ne procédaient pas de l’application des normes juridiques traditionnelles, et certainement pas du type de celles codifiées dans les règles sur la responsabilité de l’Etat ou les Principes fondamentaux et directives. Ainsi, dans un rapport de 2014 y relatif, l’ONG bien connue Avocats
430 MRDC, par. 7.08 (original en français).
431 Waka-Lifumba (MP et PC. c. Botuli), RP 134/2007 (tribunal militaire de garnison de Mbandaka, 18 février 2007), annexe 44. Pour un autre exemple analogue, voir aussi Maniraguha et Sibomana (MP et PC (400) c. Jean Bosco Maniraguha alias Kazungu et consorts), RP 275/09, 521/10 RMP 581/07 et 1573/KMC/10 (tribunal militaire de garnison de Bukavu, 16 août 2011), annexe 47.
432 Kakado (MP et PC c. Kakado Barnaba), RP 071/09, 009/010 et RP 074/010 (tribunal militaire de garnison de Bunia, 9 juillet 2010), p. 174, annexe 46. On retrouve la même formulation dans l’affaire Basele et consorts (MP et PC c. Basele Lutula alias Colonel Thom’s et consorts), RP 167/09 et RMP 944/MBM/09 (tribunal militaire de garnison de Kisangani, 3 juin 2009), annexe 45.
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sans frontières a souligné «l’absence de transparence dans l’indemnisation des victimes de dommages corporels»433, ainsi que le manque de critères spécifiques dans l’évaluation de ces préjudices, d’une part, et l’allocation de dommages-intérêts tous préjudices confondus, d’autre part434. S’agissant du manque de critères spécifiques, était cité le cas d’un tribunal ayant adjugé, indistinctement, 15 000 dollars à tous les ayants droit de victimes décédées, sans nullement prendre en considération les spécificités propres à chaque cas435.
4.78. De la même manière, un rapport sur la réponse judiciaire aux violences sexuelles commises au cours de la période 2010-2011, publié par le ministère congolais de la justice et des droits humains, soulignait qu’un certain nombre de décisions prises par les juridictions congolaises ne précisaient pas sur quelle base elles fondaient leur évaluation de la réparation due aux victimes et «recour[aient] à l’équité alors qu’il s’agi[ssait] de dommages qui p[ouvaient] être évalués de manière objective»436. Et d’ajouter : «Le juge donne l’impression que toutes les victimes catégorisées suivant les infractions [dont elles ont fait l’objet] ont subi un même préjudice, ce qui ne semble pourtant pas évident»437.
4.79. Puisqu’elles procèdent ainsi, sans faire de distinctions, il n’est guère surprenant que les juridictions congolaises indiquent parfois expressément statuer, en tout ou partie, ex aequo et bono. Dans un jugement rendu en 2010 en l’affaire Kakado438, par exemple, le tribunal militaire de garnison de Bunia a explicitement précisé qu’il tranchait l’affaire ex aequo et bono lorsqu’il a condamné le prévenu à verser deux millions de dollars à 12 victimes439. C’est également ce qu’a fait, en 2006, le tribunal militaire de garnison de Mbandaka lorsqu’il s’est prononcé sur des viols et décès résultant de viol en l’affaire Songo Mboyo 440, ainsi que le tribunal militaire de Bukavo, en 2012, en l’affaire Mupoke, à propos de meurtres, préjudices corporels, viols et pillages441.
4.80. Le recours au principe ex aequo et bono ne concerne pas uniquement les tribunaux militaires de RDC. Ainsi, la Haute Cour de Kalamu y fait expressément référence à trois reprises
433 M. Ekofo Inganya, Avocats sans frontières, La réparation des crimes internationaux en droit congolais (2014), p. 77, annexe 67.
434 Ibid., p. 79.
435 Ibid.
436 RDC, ministère de la justice et des droits humains, et PNUD, «Monitoring judiciaire 2010-2011. Rapport sur les données relatives à la réponse judiciaire aux cas de violences sexuelles à l’Est de la République démocratique du Congo (2010-2011)», p. 55, annexe 65.
437 Ibid., p. 56.
438 Kakado (MP et PC c. Kakado Barnaba), RP 071/09, 009/010 et RP 074/010 (tribunal militaire de garnison de Bunia, 9 juillet 2010), p. 174, annexe 46. Le passage pertinent est ainsi libellé : «En conséquence, le Tribunal condamne, ex aequo et bono, seul, le prévenu KAKADO BARNABA YONGA TSHOPENA à payer au titre du dédommagement pour tout préjudice subi comme suit.»
439 Ibid.
440 Songo Mboyo (MP et PC c. Bokila et consorts), RP 084/2005 (tribunal militaire de garnison de Mbandaka, 12 avril 2006), annexe 43. L’arrêt rendu en appel a confirmé la condamnation et fixé des indemnités plus élevées. Songo Mboyo (MP et PC c. Bokila et consorts), RPA 014/2006 (cour militaire de l’Equateur, 7 juin 2006), cité in M. Ekofo Inganya, Avocats sans Frontières, La réparation des crimes internationaux en droit congolais, op. cit., p. 82-83, annexe 67.
441 Affaire Mupoke, également connue sous le nom de Kabala et consorts (MP et 107 PC c. Kabala Mandumba et consorts ; MP et PC c. Kabala Mandumba), RP 708/12 (tribunal militaire de garnison de Bukavu, 15 oct. 2012), p. 222 : «Le Tribunal, comme leurs conseils, estimera leurs dommages-intérêts ex aequo et bono.», annexe 49.
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dans le cadre de sa décision en l’affaire des Kimbanguistes, au sujet de l’indemnisation due à raison de dommages causés aux biens appartenant à l’Eglise442.
4.81. Dans un rapport de 2013 portant sur l’indemnisation octroyée par les juridictions congolaises aux victimes de violences sexuelles, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (ou FIDH) relevait ce qui suit :
«Les magistrats congolais n’évaluent pas les dommages individuels pour déterminer le montant de l’indemnité à verser aux victimes de violences sexuelles, et le montant alloué est rarement justifié. En ce sens, les juges décident généralement ex aequo et bono. Ainsi, par exemple, des juges peuvent décider d’attribuer 10 000 dollars pour les victimes de viol décédées et 5000 dollars pour les victimes survivantes de viol, sans justifier le montant ni évaluer les dommages possibles pour chaque victime.»443
4.82. En invoquant les décisions rendues par ses juridictions nationales sur des demandes d’indemnisation, la RDC admet de fait qu’elle est en train d’inviter la Cour à statuer, à leur exemple, ex aequo et bono.
4.83. Son invocation de ces décisions est par ailleurs contestable pour une autre raison : rien ne prouve que les indemnisations qui devaient théoriquement être versées l’aient jamais été. Bien que la RDC elle-même ait été défendeur dans nombre de ces cas, et en mesure, en sa qualité de souverain, de faire appliquer les décisions rendues contre des défendeurs individuels dans d’autres, la FIDH relève dans son rapport ce qui suit :
«Si la procédure pénale aboutit à une condamnation, le juge peut ordonner des réparations financières, qui devront être versées à la victime soit par l’individu condamné, soit par l’Etat, soit par les deux. Mais un jugement ordonnant des réparations ne représente que le début d’un nouveau et long combat, resté vain jusqu’ici, pour obtenir effectivement la réparation due. A ce jour en effet, aucune décision de justice prévoyant le versement de réparations n’a été exécutée. La FIDH n’a pas rencontré une seule victime de violences sexuelles ayant reçu les dédommagements prévus par le juge.»444
4.84. Un rapport établi en mars 2017 par Impunity Watch confirme que la quasi-totalité des victimes qui se sont vu adjuger des dommages-intérêts par des juridictions congolaises attendent toujours d’être indemnisées. Etant donné que la grande majorité des condamnés sont insolvables, l’indemnisation effective repose presque exclusivement sur la volonté et la capacité de paiement de la RDC (dans les cas où l’Etat a de fait été condamné in solidum)445. A ce jour, seules les victimes de l’affaire Songo Mboyo ont effectivement été indemnisées par l’Etat ; elles ne l’ont été,
442 Kimbanguistes (MP et PC Kumba et consorts MP et PC c. Mputu Muteba et consorts), RP 11.154/11.155/11.156 (tribunal de grande instance de Kinshasa/Kalamu, 17 déc. 2011), annexe 48.
443 Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Les victimes de crimes sexuels obtiennent rarement justice et jamais réparation : changer la donne pour combattre l’impunité (oct. 2013), p. 61.
444 FIDH, Les victimes de crimes sexuels obtiennent rarement justice et jamais réparation : changer la donne pour combattre l’impunité, op. cit., p. 59 (les italiques sont de nous).
445 G. Kasongo Safari, Impunity Watch, «Justice transitionnelle en République Démocratique du Congo : avancées, obstacles… et opportunités», Great Lake Dispatches, no 5 (mars 2017), p. 39.
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cependant, que plus de huit ans après le prononcé de la décision, ce qui atténue la portée de cette exception446.
B. La RDC s’appuie systématiquement, pour justifier ses demandes, sur des pourcentages, déductions ou multiplicateurs inexpliqués présentés comme «raisonnables» ou «équitables»
4.85. Plutôt que de fonder ses demandes sur les règles de droit international régissant les réparations dans le contexte de réclamations interétatiques, la RDC a mis au point ses propres méthodes subjectives, si éloignées des pratiques habituelles qu’elles équivalent de fait à inviter la Cour à statuer ex aequo et bono.
4.86. Ainsi, elle multiplie ou minore certains chiffres à l’aide de pourcentages inexpliqués, et qui ne trouvent aucun fondement en droit. Dans le cadre de sa demande d’indemnisation à raison de pertes en vies humaines, par exemple, elle affirme «estime[r] raisonnable de considérer que l’Ouganda ne peut être tenu de réparer que 45 % des dommages … causés à la fois par [son] comportement illicite … et par celui d’autres Etats ou de groupes qui n’ont pas été soutenus par [lui]»447. De même, en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles de la RDC, et en particulier les pertes d’espèces animales dans le parc national de la Garamba, elle déclare qu’«il est raisonnable et équitable de considérer que 50 % de ce préjudice total a été causé par les faits illicites de l’Ouganda»448.
4.87. Autre exemple de la subjectivité de sa méthode, qui intervient souvent en conjonction avec l’emploi de pourcentages inexpliqués (comme on peut également le voir dans les exemples cités ci-dessus), la RDC cherche régulièrement à faire passer telles ou telles estimations ou sommes pour «raisonnables», «justes» ou «équitables». Le caractère raisonnable et équitable joue bien entendu un rôle dans le cadre du raisonnement juridique lorsqu’il est invoqué et appliqué dans les limites du droit (infra legem), notamment lorsqu’il s’agit de quantifier un préjudice non matériel après qu’il a dûment été établi449. Mais de telles notions ne sauraient être invoquées ou appliquées de manière à agir en dehors du droit (praeter legem), comme le fait la RDC dans son mémoire.
4.88. Ainsi, en ce qui concerne l’indemnisation à raison de pertes en vies humaines, par exemple, la RDC déclare qu’elle «estime raisonnable, dans le présent contexte, de tabler sur une estimation minimale de 400 000 victimes, soit 10 fois moins que le chiffre de l’IRC qui résulte d’études publiées dans les revues scientifiques les plus renommées, spécialement The Lancet»450. Puis, ayant appliqué le taux de 45 %, qu’elle prétend également «raisonnable», la RDC avance le chiffre de «180 000 décès dont on peut raisonnablement considérer qu’ils sont une conséquence de l’invasion d’une partie substantielle du territoire congolais par l’Ouganda»451.
446 G. Kasongo Safari, Impunity Watch, «Justice transitionnelle en République Démocratique du Congo : avancées, obstacles… et opportunités», Great Lake Dispatches, no 5 (mars 2017), p. 39.Ibid.
447 MRDC, par. 1.24 (les italiques sont de nous).
448 Ibid., par. 5.167 (les italiques sont de nous).
449 Diallo (2012), par. 24 («La détermination du montant de l’indemnité due à raison d’un préjudice immatériel repose nécessairement sur des considérations d’équité.») A contrario, la détermination du montant de l’indemnité due à raison d’un préjudice matériel ne saurait reposer sur des considérations d’équité, mais uniquement sur des éléments de fait dûment établis.
450 MRDC, par. 2.70 (les italiques sont de nous). Voir également ibid., par. 3.23.
451 Ibid., par. 2.71 (les italiques sont de nous).
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4.89. Au sujet de son estimation théorique du nombre de viols, la RDC affirme qu’«on peut raisonnablement estimer que le nombre réel de viols dont l’Ouganda est responsable dans les régions dont il est question dans le présent chapitre se monte à un nombre cinq fois plus élevé que ceux qui ont été déclarés, soit 60 cas»452.
4.90. Et à propos du nombre d’enfants-soldats que l’Ouganda aurait recrutés et entraînés :
«Même s’il est, ici encore, très difficile de quantifier exactement l’ampleur du phénomène des enfants-soldats durant le conflit en Ituri, les données reprises ci-dessus paraissent fournir des bases raisonnables pour une telle évaluation. La République démocratique du Congo estime donc sur cette base que le nombre d’enfants soldats recrutés et entraînés par les différents protagonistes du conflit en Ituri entre 2000 et 2003 se monte à 2500. C’est ce chiffre qui sera donc retenu comme base de sa demande de réparation pour cette catégorie de dommages dans le cadre de la présente procédure.»453
4.91. On retrouve un emploi identique d’estimations «raisonnables» ou «équitables» s’agissant du nombre de centres sanitaires et d’hôpitaux qui auraient été endommagés454, de bâtiments administratifs qui auraient été détruits455 et d’autres dommages causés456. C’est tout particulièrement au chapitre 7 de son mémoire que la RDC fait largement appel à de tels concepts praeter legem, tentant de s’y raccrocher systématiquement pour expliquer pourquoi les calculs subjectifs qu’elle avance, sans les étayer par des éléments de preuve, pour chiffrer les cas de décès457, de blessures et mutilations458, de violences sexuelles459, de recrutement et d’utilisation d’enfants-soldats460 ou encore de personnes déplacées461 devraient être acceptés.
4.92. On peut assurément contester que l’emploi de tels pourcentages ou estimations soit effectivement «raisonnable». Il n’y a rien de raisonnable à appliquer indifféremment le même pourcentage à une vaste catégorie de dommages sans opérer la moindre distinction en fonction du lieu ou moment où ils ont été causés ou de la manière dont ils l’ont été. En tout état de cause, ce qui est décisif, c’est que la méthode de la RDC n’est manifestement pas fondée en droit.
4.93. De fait, la RDC substitue à un raisonnement fondé sur les règles de droit international relatives à la responsabilité de l’Etat un raisonnement que l’on ne saurait qualifier que d’ex aequo et bono. Le droit bien établi applicable aux réclamations interétatiques ne permet pas d’employer des chiffres sommaires ou échafaudés de toutes pièces étiquetés comme «raisonnables» ou «équitables». Il impose au contraire de s’appuyer sur des faits permettant d’établir, en ce qui
452 MRDC, par. 2.79 (les italiques sont de nous).
453 Ibid., par. 3.36 (les italiques sont de nous).
454 Ibid., point b) du par. 3.45.
455 Ibid., point c) du par. 3.45.
456 Voir, par exemple, ibid., par. 4.28, 4.29, 4.43.
457 Ibid., par. 7.12.
458 MRDC, par. 7.17.
459 Ibid., par. 7.24.
460 Ibid., par. 7.27.
461 Ibid., par. 7.31.
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concerne les victimes, les préjudices et leurs auteurs, les éléments de spécificité, de causalité immédiate et de différenciation, ce que la RDC n’a nullement fait.
C. La Cour n’a pas la faculté de statuer ex aequo et bono sur la présente affaire
4.94. Il est bien connu que le paragraphe 2 de l’article 38 du Statut de la Cour confère à celle-ci la faculté de statuer ex aequo et bono sur une affaire, si et seulement si les parties en sont d’accord. Dans ce cas, la Cour «agit à ce titre à la demande expresse des parties»462.
4.95. La Cour a maintes fois souligné que, en l’absence d’une telle demande expresse, elle ne pouvait statuer ex aequo et bono et était tenue d’appliquer le droit international463. Les citations suivantes ne sont que quelques exemples :
«[P]areil pouvoir [de statuer ex aequo et bono], de nature absolument exceptionnelle, devrait résulter d’un texte positif et clair»464 ;
«[L]a Cour ne peut [rendre une décision ex aequo et bono] que si les Parties en sont convenues (art. 38, par. 2, du Statut). En pareil cas la Cour n’a plus à appliquer strictement des règles juridiques, le but étant de parvenir à un règlement approprié»465 ;
«La Chambre est tenue par son Statut et requise par les Parties non pas de décider ex aequo et bono, mais d’asseoir le résultat à atteindre sur une base de droit»466 ;
«Il est clair que la Chambre ne peut, en la présente affaire, statuer ex aequo et bono. N’ayant pas reçu des Parties la mission de procéder à un ajustement de leurs intérêts respectifs, elle doit également écarter en l’espèce tout recours à l’équité contra legem»467 ;
462 H. Lauterpacht, The Function of Law in the International Community (2011), p. 325.
463 Voir, par exemple, A. Pellet, «Article 38», The Statute of the International Court of Justice, A. Zimmerman et al. (sous la dir. de) (2012), p. 731 ; L. Trakman, «Ex Aequo et Bono: Demystifying an Ancient Concept», Chicago Journal of International Law, vol. 8, n° 2 (2008), p. 625. Voir également l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 157. Voir encore ibid., p. 161.
464 Zones franches de la Haute-Savoie et du pays de Gex, ordonnance du 6 décembre 1930, C.P.J.I. série A no 24, p. 10. Le caractère absolu de cette exigence a également été mis en exergue par des tribunaux arbitraux. Voir, par exemple, Cases of Dual Nationality Decision n° 22, RSA, vol. XIV (8 mai 1954), p. 33
(«C’est uniquement à défaut de règles de droit applicables qu’[un tribunal arbitral] peut statuer ex aequo et bono. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce. Il convient de préciser que c’est dans le cadre de la doctrine et des décisions de la Cour que l’application des principes généraux ne dépasse pas les limites du droit positif ; en les mettant en oeuvre, le juge ne devient pas libre de statuer ex aequo et bono. Cela découle du fait que l’article 38 du Statut exige un accord formel entre les parties pour permettre à la Cour d’user de la faculté de statuer selon les principes de justice et d’équité.»)
Voir également Sentence arbitrale relative à la question des frontières du Brésil et de la Guyane française, RSA, vol. XXVIII (1er décembre 1900), p. 357.
465 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, opinion dissidente de M. le juge Oda, par. 71. Voir également Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1966, par. 90 ; et Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, par. 45.
466 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, par. 59.
467 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, par. 28.
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«Ce renvoi [dans le compromis] aux règles du droit international et au «premier paragraphe» de l’article 38 exclut manifestement la possibilité de statuer ex aequo et bono.»468
4.96. Dans son mémoire, la RDC tente de faire accroire, en invoquant ses écritures sur le fond et les principes juridiques qu’elle y a théoriquement suivis469, que l’Ouganda a consenti à l’application du critère du caractère «raisonnable» et «équitable». Elle affirme que
«l’Ouganda n’a, dans le cadre de la présente procédure, jamais remis en cause ces principes juridiques. On pourrait même considérer qu’il les a implicitement acceptés au vu de son silence circonstancié, la RDC exprimant et réitérant au contraire sa position dans le corps de son mémoire et de sa réplique, ainsi d’ailleurs que dans ses conclusions.»470
4.97. La RDC prend ses désirs pour des réalités. L’Ouganda n’a jamais consenti à appliquer, en matière de réparation, des principes qui s’écartent du droit. Au contraire, en 2002, il a clairement rejeté l’approche de la RDC en matière d’indemnisation, faisant observer qu’«il y a[vait] dans le mémoire congolais une confusion fondamentale entre la preuve des violations d’obligations juridiques et la question de l’évaluation des dommages (ou de l’indemnisation)»471. L’Ouganda continue de rejeter cette approche. Il n’existe pas d’accord entre les Parties tendant à ce que la Cour applique les principes extrajuridiques que défend la RDC.
4.98. Dans son mémoire, la RDC évite prudemment de mentionner le paragraphe 2 de l’article 38 du Statut, mais cela ne change rien au fait que, en réalité, elle invite la Cour à statuer ex aequo et bono sur la question des réparations. Qu’elle s’appuie sur des pourcentages, des déductions et des multiplicateurs arbitrairement choisis, qu’elle qualifie à de nombreuses reprises ses estimations de «raisonnables» ou d’«équitables» en guise de justification et qu’elle invoque abondamment des décisions elles-mêmes rendues sur ce fondement par ses propres juridictions atteste qu’elle cherche à arracher à la Cour une décision ex aequo et bono. Le fait même qu’elle tente (en vain) de prouver l’existence d’un accord avec l’Ouganda sur les principes qu’il s’agit d’appliquer montre que la RDC a parfaitement conscience de demander à la Cour, en substance, de trancher la présente affaire d’une manière que ne saurait tolérer la primauté du droit.
III. LA RDC DEMANDE EN SUBSTANCE À LA COUR D’OBLIGER L’OUGANDA À VERSER DES DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS, CE QUE LA COUR NE PEUT PAS FAIRE
4.99. Ses demandes étant si peu fondées sur des moyens de preuve et de droit, force est de déduire que la RDC prie la Cour de lui adjuger des dommages-intérêts ex aequo et bono, à moins qu’il ne s’agisse d’obliger l’Ouganda à verser des dommages-intérêts punitifs. Au lieu de justifier le montant des dommages-intérêts qu’elle demande au titre de l’indemnisation du préjudice qu’elle a effectivement subi, la RDC semble inviter la Cour à punir l’Ouganda pour les faits internationalement illicites constatés au stade de l’examen de l’affaire au fond.
468 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, par. 47.
469 Réplique de la République démocratique du Congo (29 mai 2002), par. 1.59-1.60 ; MRDC, par. 1.18.
470 MRDC, par. 1.23.
471 Duplique de la République de l’Ouganda (6 déc. 2002), par. 30-31.
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4.100. Aucune base juridique ne pourrait conférer à la RDC le droit d’obtenir des dommages-intérêts punitifs. Il est communément admis que «les dommages-intérêts punitifs apparaissent inadmissibles en droit international pour diverses raisons théoriques et pratiques»472.
4.101. Premièrement, il ne ressort pas de la pratique des Etats qu’une règle de droit international coutumier permettant d’adjuger des dommages-intérêts punitifs serait largement admise. De fait, dans le cadre du règlement interétatique des différends, les réparations, le cas échéant, ne sont pas qualifiées de punitives.
4.102. Deuxièmement, il n’existe pas de concordance entre les principaux systèmes juridiques dont pourrait se déduire l’existence d’un principe général de droit permettant d’adjuger des dommages-intérêts punitifs. Si ceux-ci existent dans certains systèmes juridiques internes (notamment dans les pays de common law), la plupart des Etats (notamment les pays de droit romano-germanique) ne les admettent pas ou restreignent strictement la possibilité d’en prescrire l’octroi.
4.103. Troisièmement, quand bien même un tel principe existerait dans tous les systèmes juridiques (quod non), il ne serait pas opportun, au vu de ce que recouvre l’ordre juridique international, de l’ériger en principe de droit international. Imposer des dommages-intérêts punitifs à un Etat se heurterait en effet, entre autres, au principe de l’égalité souveraine, ainsi qu’à la répugnance à considérer les Etats comme des auteurs de crimes.
4.104. Quatrièmement, les juridictions internationales, lorsqu’elles appliquent le droit international, ne s’estiment pas libres d’adjuger des dommages-intérêts punitifs, ainsi qu’il est généralement admis dans la doctrine473. Dans les affaires relatives au Lusitania, principal précédent en la matière, la commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne a clairement rejeté la notion de dommages-intérêts punitifs en droit international474. Les passages les plus pertinents de la sentence sont reproduits ci-après :
«[A] notre avis, les termes «à titre d’exemple, de vengeance ou de punition (exemplary, vindicative et punitive) sont inadéquats. La notion de dommages-intérêts (damages) est inspirée par l’idée de satisfaction, de réparation d’une perte subie ; il s’agit de la compensation d’un dommage fixée judiciairement …»475
«Que le droit international donne à la victime le droit d’obtenir réparation pour souffrance morale, une blessure d’ordre affectif ou une humiliation, une honte, le déshonneur, la perte d’une position sociale, une atteinte au crédit ou à la réputation, et que l’indemnisation doive être proportionnelle au préjudice, cela ne fait aucun doute. De tels dommages sont très réels, et le seul fait qu’ils sont difficiles à mesurer ou à
472 S. Wittich, «Punitive Damages», in The Law of International Responsibility, J. Crawford et al. (dir. publ.) (2010), p. 668. Voir également, ibid., p. 674 («Pour conclure, on peut affirmer que, ainsi qu’il ressort de la pratique, l’allocation de dommages-intérêts punitifs en droit international n’est pas clairement validée et la rareté de la pratique en la matière atteste de ce que, pour l’instant, il ne s’agit assurément pas d’un remède généralement admis en droit international.») MO, annexe 31.
473 MO, annexe 31, p. 671. («Par conséquent, la majorité des auteurs sont d’avis, et cela semble plus logique, que si les cours et tribunaux se déclarent incompétents pour octroyer des dommages-intérêts punitifs, c’est parce qu’il est généralement admis que ceux-ci ne constituent pas un remède approprié en droit international.» [Traduction du Greffe.])
474 Commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne, RSA, vol. VII (1er nov. 1923-30 oct. 1939), p. 32-44.
475 Ibid., p. 39.
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estimer en valeurs monétaires ne les rend pas moins réels et n’est pas une raison qui puisse empêcher une victime d’être indemnisée sous la forme de dommages-intérêts, mais non à titre de sanction.»476
4.105. Pour motiver le refus d’octroyer des dommages-intérêts punitifs, la commission de réclamations a, notamment, invoqué la souveraineté des Etats :
«Le conseil n’a su nous indiquer aucun exemple où un tribunal arbitral international avait adjugé une indemnité monétaire comportant des dommages-intérêts à titre d’exemple, de vengeance ou de punition en faveur d’un Etat souverain ayant présenté une réclamation au nom de ses ressortissants aux dépens d’un autre Etat souverain.»477
4.106. Il en va de même de la jurisprudence plus récente. Ainsi, dans l’affaire du Détroit de Corfou, la Cour, bien qu’ayant reconnu les «graves omissions» de l’Albanie478, a traité la question de l’indemnisation sans faire mention de dommages-intérêts punitifs. De même, des décisions concernant de graves violations du droit international rendues par d’autres juridictions, telles que le Tribunal international du droit de la mer («usage d’une force excessive»)479, la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie (violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies)480, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (violations graves des droits de l’homme)481 et la Cour européenne des droits de l’homme (ibid.)482, s’en sont constamment tenues aux formes traditionnelles de réparation483. De fait, «l’on ne trouve aucun exemple, dans la pratique internationale contemporaine, de juridiction internationale ayant adjugé des dommages-intérêts punitifs»484.
4.107. La CDI a débattu de ce point à l’occasion de ses travaux concernant la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, alors qu’elle se penchait sur la question de savoir si les Etats pouvaient commettre des crimes. Le premier rapporteur spécial, M. F.V. Garcia Amador, avait relevé que «[l]’existence d’une «réparation de caractère pénal» sembl[ait] … impliquer l’imputation d’une responsabilité de même nature»485. On sait que la notion de lege ferenda de
476 Commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne, RSA, vol. VII (1er nov. 1923-30 oct. 1939), p. 40 (les italiques sont de nous).
477 Ibid.
478 Détroit de Corfou (fond, 1949), p. 23.
479 Navire «Saiga» (no°2) (Saint-Vincent-et-les-Grenadines c. Guinée), arrêt du 1er juillet 1999, TIDM Recueil 1999, par. 159.
480 Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 271-276 et suiv.
481 Voir, par exemple, Case of Velásquez-Rodríguez v. Honduras, CIDH, arrêt du 21 juillet 1989, série C, n° 7, par. 38 («ce principe n’est, à ce jour, pas applicable en droit international».)
482 Voir, par exemple, Case of B.B. v. The United Kingdom (requête n° 53760/00), CEDH, arrêt du 10 février 2004, p. 9, par. 36 («La Cour rappelle qu’elle n’adjuge pas de dommages-intérêts majorés ou punitifs.»).
483 De même, dans les affaires concernant des litiges entre un investisseur et un Etat, l’octroi de dommages-intérêts punitifs a été rejeté. Voir, par exemple, CMS Gas Transmission Company v. The Argentine Republic, CIRDI, affaire n° ARB/01/8, sentence du 12 mai 2005 (Orrego Vicuña, Lalonde, Rezek), par. 404 ; Ioannis Kardassopoulos and Ron Fuchs v. Republic of Georgia, CIRDI, affaires n° ARB/05/18 et ARB/07/15, sentence du 3 mars 2010 (Fortier, Orrego Vicuña, Lowe), par. 508, 513, 655.
484 S. Wittich, «Punitive Damages», op. cit., p. 671, MO, annexe 31. Voir également, C. Gray, Judicial Remedies in International Law (1987), p. 28.
485 Responsabilité internationale : rapport de F. V. García Amador, rapporteur spécial, in Annuaire de la Commission du droit international, vol. II, première partie, doc. A/CN.4/96 (1956).
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«crime d’Etat» a été introduite dans les travaux de la commission par Roberto Ago, puis développée par Gaetano Arangio-Ruiz qui, en dépit de la quasi-unanimité de la jurisprudence à exclure les dommages-intérêts punitifs des réparations pouvant être imposées dans le cadre du règlement de différends interétatiques, a proposé que soient mentionnés dans le projet les «dommages-intérêts symboliques ou punitifs»486. Cette proposition a été rejetée par la CDI, qui a toutefois fait mention, parmi les formes possibles de satisfaction, de «dommages-intérêts correspondant à la gravité de l’atteinte»487.
4.108. En définitive, le dernier rapporteur, James Crawford, s’est interrogé «sur la possibilité d’imposer des amendes ou des dommages-intérêts punitifs, au moins dans le cas des violations graves ou flagrantes» du droit international488. Il semblait, bien que prudemment, prêt à réintroduire l’idée de «dommages-intérêts punitifs» ou «dommages-intérêts correspondant à la gravité de la violation» — les deux expressions étant proposées entre crochets — dans son projet d’article 51 relatif aux «Conséquences des violations graves d’obligations dues à la communauté internationale dans son ensemble»489.
4.109. Ces propositions ont toutefois été rejetées par la CDI, et la référence à de tels dommages-intérêts (ainsi qu’à la notion de «crime d’Etat») a été supprimée de la version finale des articles sur la responsabilité de l’Etat. Dans ses commentaires y relatifs, la CDI a déclaré sans ambiguïté que «l’allocation de dommages-intérêts punitifs n’[était] pas reconnue en droit international, même en cas de violations graves d’obligations découlant de normes impératives»490.
4.110. Ainsi que cela a été exposé ci-dessus, et qu’il sera démontré plus avant dans la suite de ce contre-mémoire, les réclamations de la RDC ne sont fondées ni au regard des éléments de preuve, ni au regard du droit. Dans la mesure où il convient d’y voir une demande tendant à ce que la Cour adjuge des dommages-intérêts punitifs, elles ne sont pas conformes au droit international.
IV. LA RDC NE SAURAIT OBTENIR UNE INDEMNITÉ SUPÉRIEURE À LA CAPACITÉ DE PAIEMENT DE L’OUGANDA
4.111. Le chapitre 1 du présent contre-mémoire portait sur le montant extraordinaire que la RDC cherche à se voir adjuger à raison de «réparations de guerre». Ce montant surpasse largement celui que l’Ouganda consacre chaque année au maintien de fonctions sociétales essentielles, telles que l’enseignement et le système de santé. En passant en revue les principes pertinents de droit international en matière d’indemnisation dans son propre mémoire soumis au présent stade des
486 G. Arangio-Ruiz, rapporteur spécial, Deuxième rapport sur la responsabilité des Etats, in Annuaire de la Commission du droit international, 1989, vol. II, première partie, doc. A/CN.4/425 et Corr.1 et Add.1 et Corr.1, par. 139-147, 191.
487 «2288e séance, lundi 20 juillet 1992, à 10 heures», in Annuaire de la Commission du droit international, 1992, vol. I, comptes rendus analytiques des séances de la quarante-quatrième session, 4 mai-24 juillet 1992, par. 5.
488 J. Crawford, rapporteur spécial, troisième rapport sur la responsabilité des Etats, in Annuaire de la Commission du droit international, 2000, vol. II, première partie, par. 380.
489 Ibid., par. 412.
490 Articles sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 39, par. 5. Voir également J. Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibility: Introduction, Text and Commentaries (2002), p. 19 («les dommages-intérêts punitifs ont été omis, et ce, délibérément») ; ibid., p. 36 (relevant «la réticence à introduire dans le champ de la responsabilité de l’Etat tout ce qui pourrait revêtir un caractère punitif») ; J. Crawford, State Responsibility: The General Part (2013), p. 526 («l’écrasant rejet de la modeste proposition de la CDI relative à des «dommages-intérêts correspondant à la gravité de la violation» montre que la notion de dommages-intérêts punitifs n’est pour l’instant pas défendable en droit international».)
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réparations491, l’Ouganda a fait valoir que ceux-ci interdisaient d’exiger d’un Etat responsable qu’il verse une indemnité supérieure à sa capacité de paiement et ce, a fortiori si cela devait entraîner un grave préjudice pour sa population492. L’indemnisation doit être à la mesure de la capacité de paiement de l’Etat responsable et ne saurait avoir pour effet de priver son peuple de ses moyens de subsistance493. De toute évidence, le montant réclamé par la RDC — quelque 13,5 milliards de dollars au total — est sans commune mesure avec la capacité de paiement de l’Ouganda et engendrerait un grave préjudice pour le pays et son peuple.
4.112. La commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a tenu compte de cette règle en examinant les sommes colossales réclamées par chacun de ces pays. L’Ethiopie demandait presque 14,3 milliards de dollars au titre de dommages résultant de violations par l’Erythrée du jus ad bellum et du jus in bello. L’Erythrée réclamait pour sa part quelque six milliards de dollars à l’Ethiopie au titre de dommages résultant de violations du jus in bello494.
4.113. La commission s’est dite préoccupée par l’ampleur de ces réclamations, «considérables, tant dans l’absolu qu’au regard de la capacité économique du pays contre lequel elles [étaient] présentées»495. Elle a également relevé que les demandes de cet ordre soulevaient «des questions importantes quant au chevauchement entre le droit de la responsabilité des Etats et les normes fondamentales relatives aux droits de l’homme»496, lesquelles exigent de limiter l’indemnisation pour ne pas imposer de charges accablantes à l’Etat payeur. La commission a ainsi exposé :
«L’Ethiopie et l’Erythrée sont l’une et l’autre parties au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le paragraphe 2 de l’article premier commun aux deux instruments énonce qu’«[e]n aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance». Il a été relevé, à l’audience, que cette réserve figurait dans les premières versions du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat élaboré par la Commission du droit international, mais n’a pas été retenue dans le texte final adopté. Cela est sans incidence sur la règle fondamentale du droit des droits de l’homme énoncée au paragraphe 2 de l’article premier desdits pactes, qui s’applique incontestablement aux Parties.
De même, le paragraphe 1 de l’article 2 du PIDESC oblige les deux Parties à prendre des mesures pour assurer le «plein exercice» des droits reconnus par cet instrument. La commission garde à l’esprit que, dans ses observations générales, le
491 MO, par. 2.55-2.69 et suiv.
492 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 22 ; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 22. Voir également W. Bishop, «State Responsibility», Recueil des Cours, 1965, volume II, p. 403, MO, annexe 22 ; R. Falk, «Reparations, International Law, and Global Justice», in The Handbook of Reparations (P. de Greiff (sous la dir. de), 2006), vol. II, p. 492, MO, annexe 28 ; C. Tomuschat, «Reparations in Favour of Individual Victims of Gross Violations of Human Rights and International Humanitarian Law», in La promotion de la justice, des droits de l’homme et du règlement des conflits par le droit international, Liber Amicorum Lucius Caflisch (M. Kohen (sous la dir. de)), (2007), vol. II, p. 581 et suiv., MO, annexe 30.
493 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 19; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 19.
494 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 18-19 ; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 18.
495 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 18 ; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 18.
496 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 19 ; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 19.
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Comité des droits économiques, sociaux et culturels a déterminé un ensemble de mesures à prendre, si nécessaire, par les Etats, en vue, notamment, d’améliorer l’accès aux soins médicaux [et à] l’éducation … et aux ressources permettant d’assurer de meilleures conditions de subsistance. Un certain nombre d’observateurs concernés par la question, ainsi que les organismes des Nations Unies compétents en matière de développement, ont approuvé ces observations générales et s’en inspirent dans leur travail.»497
«Nonobstant les obligations contractées de part et d’autre au titre des pactes, les montants réclamés par chacune des parties représenteraient pour l’économie et la population de l’autre une charge par trop écrasante.»498
4.114. L’Ethiopie a soutenu que l’obligation d’indemnisation incombant non pas au peuple de l’Erythrée, mais à son gouvernement, la commission n’avait pas à se préoccuper de pareilles conséquences. La commission a rejeté cet argument au motif que «[d]es demandes d’indemnisation de très grande ampleur exigeraient, de par leur nature, de détourner une part importante des ressources nationales du pays payeur et de ses citoyens, qui ont besoin de soins de santé, d’éducation et d’autres services publics au profit du pays bénéficiaire»499.
4.115. Bien qu’elle eût déclaré l’Erythrée responsable de violations du jus ad bellum et du jus in bello, la commission a estimé nécessaire de «limiter le montant des indemnités accordées» pour ne pas imposer à cet Etat un fardeau financier «tel, eu égard à sa situation économique et à son niveau de solvabilité, qu’il compromettrait sa capacité de répondre aux besoins élémentaires de sa population»500.
4.116. Cette conclusion témoigne de l’importance particulière accordée par la commission au rang de l’Erythrée dans le classement du Rapport mondial sur le développement humain501. La commission a fait observer que sa décision à cet égard était fondée sur la «pratique des Etats ayant prévalu dans les années qui [avaient] suivi le traité de Versailles, [laquelle] consistait à attacher une importance décisive aux besoins de la population touchée pour déterminer les montants à allouer au titre des réparations de guerre»502.
4.117. A l’instar de l’Erythrée et de l’Ethiopie, l’Ouganda est un pays en développement qui, s’il a pu obtenir de bons résultats en matière économique, doit encore faire face à d’importants défis, en matière, notamment, de lutte contre la pauvreté, d’espérance de vie ou d’accès à l’éducation. Il est essentiel pour son avenir, son peuple et ses relations avec ses voisins, que l’indemnité adjugée, le cas échéant, à la RDC ne dépasse pas la capacité de paiement de l’Ouganda et ne cause pas de grave préjudice à la population ougandaise.
497 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 20 ; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 20 (les italiques sont de nous).
498 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 19-21 ; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 19-21 (les italiques sont de nous).
499 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 21 ; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 21.
500 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 313.
501 Ibid., par. 18.
502 Ibid., par. 21 ; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 21.
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CHAPITRE 5 LES DEMANDES DE LA RDC EN RELATION AVEC DES PERTES EN VIES HUMAINES PRÉSENTENT DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES ET NE SONT PAS ÉTAYÉES
5.1. La RDC réclame la somme de 4 045 646 000 dollars des Etats-Unis (ci-après «dollars») à titre d’indemnités dues pour le décès de 182 000 personnes dont elle affirme que l’Ouganda est la cause503. Cette indemnisation couvre selon elle le préjudice matériel constitué essentiellement par la perte de revenus des familles des défunts et le préjudice moral résultant des conditions dans lesquelles les actes allégués ont été commis504.
5.2. La somme susmentionnée se décompose en 1,36 milliard de dollars pour 40 000 décès résultant de ce que la RDC qualifie d’«actes de violence délibérés» commis contre la population civile en Ituri505, et 2,69 milliards de dollars environ pour 142 000 décès dus à des actes «autres que des actes de violence délibérés» en Ituri, à Kisangani et dans d’autres régions506.
5.3. Le montant demandé pour les décès résultant d’«actes de violence délibérés» serait fondé sur les montants des indemnisations adjugées par les juridictions congolaises aux familles des personnes tuées dans le contexte de la perpétration de crimes graves de droit international507. Selon la RDC, lesdits montants s’échelonnent entre 5000 et 100 000 dollars, la somme moyenne étant de 34 000 dollars508. Ce dernier chiffre est ensuite multiplié par le nombre allégué de victimes d’actes de violence délibérés (40 000), soit un résultat total de 1,36 milliard de dollars509.
5.4. La RDC calcule le montant demandé pour les décès résultant d’actes «autres que des actes de violence délibérés» sur la base du revenu futur que la victime aurait perçu si elle avait vécu et atteint l’âge prévu eu égard à son espérance de vie normale510. Ce revenu futur est fondé sur deux variables multipliées l’une par l’autre : 25,11 (la moyenne des années de vie qui auraient été perdues) et 753,20 dollars (qui correspondrait au PIB de la RDC par habitant en 2015). Le montant demandé par personne s’élève donc à 18 913 dollars511.
5.5. La RDC multiplie ensuite ce chiffre par le nombre présumé de décès résultant d’actes de violence non délibérés :
20 000 personnes qui auraient perdu la vie en Ituri en raison du manquement de l’Ouganda aux obligations qui lui incombaient en tant que puissance occupante (20 000 x 18 913 = 378 260 000 dollars) ;
503 MRDC, par. 7.15, 2.71, 7.64.
504 Ibid., par. 7.11.
505 Ibid., par. 7.15.
506 Ibid., par. 7.15.
507 Ibid., par. 7.12.
508 Ibid.
509 Ibid., par. 7.13.
510 Ibid., par. 7.09.
511 Ibid., par. 7.09.
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920 personnes ayant trouvé la mort au cours des combats entre les forces armées ougandaises et les forces armées rwandaises à Kisangani en 1999 et 2000 (920 x 18 913 = 17 399 960 dollars) ;
119 080 personnes qui auraient trouvé la mort au cours des combats qui se sont déroulés dans d’autres parties de la RDC entre 1998 et 2003 (119 080 x 18 913 = 2 252 160 040 dollars) ;
2000 soldats et officiers des Forces armées congolaises («FAC») (2000 x 18 913 = 37 826 000 dollars)512.
Le montant total des indemnités demandées pour cette catégorie s’élève, comme indiqué, à quelque 2,69 milliards de dollars513.
5.6. Ainsi qu’il sera montré ci-après, ces demandes présentent des failles méthodologiques et ne sont pas étayées par les éléments de preuve. Le fait est qu’elles relèvent de la pure spéculation. La RDC ne satisfait donc pas à l’obligation que la Cour lui a imposée, en 2005, d’apporter «la preuve» du «préjudice exact» subi «du fait» des «actions spécifiques de l’Ouganda» constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable514. Par conséquent, rien ne justifie que lui soient accordées les indemnités qu’elle réclame à raison de pertes en vies humaines alléguées.
*
5.7. La section I du présent chapitre est consacrée à un bref examen, dans la pratique et la jurisprudence internationales, des méthodes et éléments habituellement employés pour établir la matérialité de décès et la valeur de vies perdues. A la section II, il sera montré que les assertions de la RDC concernant le nombre de décès qui seraient dus à des actions de l’Ouganda ne sont pas étayées par des éléments de preuve ; à vrai dire, ce sont de pures spéculations. La section III traite des vices méthodologiques qui entachent la tentative d’appréciation par la RDC de la valeur des vies perdues en cause.
I. LES DEMANDES DE LA RDC NE REPOSENT PAS SUR LA MÉTHODE OU LES ÉLÉMENTS DE PREUVE HABITUELLEMENT EMPLOYÉS POUR ÉTABLIR LA MATÉRIALITÉ DE DÉCÈS ET LA VALEUR DE VIES PERDUES
5.8. Avant de passer à la demande d’indemnisation de la RDC concernant les pertes en vies humaines, l’Ouganda juge utile de rappeler brièvement les méthodes que les Etats et les juridictions internationales ont désormais coutume d’employer pour établir la matérialité de décès et la valeur de vies perdues. Il n’en apparaîtra que mieux que la RDC n’a en rien rempli son obligation de prouver ses assertions concernant les pertes en vies humaines prétendument causées par l’Ouganda.
512 MRDC, par. 7.15.
513 Ibid.
514 Voir chap. 3.
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5.9. Un examen de la pratique515 montre que la méthode à employer pour apporter la preuve nécessaire à une indemnisation au titre de pertes en vies humaines comporte plusieurs éléments : 1) l’identification des personnes supposées être décédées, mention devant être faite de leur nom, ainsi que du lieu et de la date du décès ; 2) l’identification, plus particulièrement, de celles qui exerçaient une activité rémunérée, étant entendu que, pour les personnes (enfants ou personnes âgées, par exemple) qui n’en exerçaient pas, il n’est en général pas alloué d’indemnisation au titre d’un dommage matériel ; 3) pour les victimes qui exerçaient une telle activité, des renseignements sur leurs revenus, établis à partir soit de justificatifs de leurs propres revenus soit, au minimum, de tels justificatifs concernant des personnes exerçant le même type d’activité professionnelle ; 4) des informations sur le gain manqué pour les héritiers de la victime, sur la base de son espérance de vie, au moyen, par exemple, de tables actuarielles ou autres concernant spécifiquement la localité d’origine.
5.10. Ces éléments sont en général établis par diverses formes de preuves documentaires contemporaines des décès allégués, complétées par des déclarations sous serment de personnes ayant été témoins de meurtres, ou de dirigeants locaux connaissant bien les faits en question. Comme l’Ouganda le montrera ci-après, la RDC n’a pas produit la moindre preuve de ce type.
5.11. L’absence de preuve devant la Cour en l’espèce offre un vif contraste avec, par exemple, la démonstration apportée devant la Cour pénale internationale (CPI) au stade des réparations dans l’affaire Katanga. Cette affaire concernait le massacre d’au moins 200 civils commis en 2003 dans le village de Bogoro, en Ituri516. Malgré l’isolement et la pauvreté de la région, ainsi que le temps écoulé entre la commission des crimes et le stade des réparations (atteint en 2015), les demandeurs ont été en mesure de produire diverses formes de preuves tangibles, notamment : 1) des certificats de décès signés par un officier de l’état civil de la RDC ; 2) des attestations de lien de parenté (pour établir la relation de parenté entre le demandeur et le défunt) ; 3) lorsque de telles attestations n’étaient pas disponibles, d’autres renseignements suffisants pour établir l’existence d’un lien familial (montrant, par exemple, que le nom de famille sur la carte électorale du demandeur correspondait à celui inscrit sur un certificat de décès).
5.12. Comme indiqué au chapitre 3, pareils moyens se rapportant spécifiquement à chaque victime ont été produits devant la Cour au stade des réparations dans l’affaire du Détroit de Corfou (qui portait, notamment, sur la mort de soldats britanniques)517. De même, la pratique des juridictions régionales des droits de l’homme518 et les accords de règlement négociés entre Etats montrent qu’est exigée la présentation d’éléments de preuve se rapportant spécifiquement à chaque victime519. D’autres techniques peuvent être utilisées pour traiter des réclamations en grand nombre au titre de décès portées devant des commissions de réclamations complexes, mais, comme il est
515 Voir, de manière générale, E. M. Borchard, The Diplomatic Protection of Citizens Abroad or the Law of International Claims (1916) ; J. H. Ralston, The Law and Procedure of International Tribunals (1926) ; M. M. Whiteman, Damages in International Law (1937) ; A. H. Feller, The Mexican Claims Commissions, 1923-1934: A Study in the Law and Procedure of International Tribunals (1935) ; G. H. Hackworth (dir. publ.), Digest of International Law, vol. 5 (1943) ; R. B. Lilich (dir. publ.), International Law of State Responsibility for Injuries to Aliens (1983) ; C. Gray, Judicial Remedies in International Law, op. cit.
516 Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, affaire n° ICC-01/04-01/07-3728, ordonnance de réparation en vertu de l’article 75 du Statut (chambre de première instance II, 24 mars 2017).
517 Détroit de Corfou (réparations, 1949).
518 Voir D. Shelton, Remedies in International Human Rights Law (2015), p. 315-375.
519 Voir, de manière générale, R. B. Lillich, International Claims: Postwar British Practice (1967) ; B. H. Weston, International Claims: Postwar French Practice (1971) ; B. H. Weston et al., International Claims: Their Settlement by Lump Sum Agreements, 1975-1995 (1999).
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expliqué au chapitre 3, ces techniques ne sont pas appropriées dans le contexte des litiges interétatiques traditionnels.
5.13. L’Ouganda comprend qu’il puisse être difficile de recueillir des preuves de dommages qui se sont produits dans des zones reculées pendant un conflit armé. Il n’en demeure pas moins que, comme on le verra ci-après, la RDC n’a tout simplement fourni aucun élément du type de ceux normalement attendus pour prouver la matérialité du préjudice exact constitué par des décès et pour apprécier le bien-fondé de l’évaluation qui en est faite. Les preuves ne sont pas seulement lacunaires, elles sont inexistantes.
5.14. Cette absence de preuves est d’autant plus frappante que la RDC elle-même affirme avoir recueilli des éléments du type normalement attendu. Plus précisément, au paragraphe 1.32 de son mémoire, elle indique avoir, dans le cadre du processus de collecte de renseignements à l’appui de ses demandes,
«récolté d’autres éléments de preuve, tels des films documentaires, des photographies, des objets ou vestiges de la guerre (comme des éclats d’obus, des munitions), des rapports d’ONG locales et internationales, des témoignages filmés de victimes, des certificats de décès ou d’autres documents médicaux ou judiciaires»520.
Pour des raisons que la RDC n’explique pas, aucune information de ce type n’accompagne cependant son mémoire.
II. LA RDC N’A PAS APPORTÉ LA PREUVE DE L’AMPLEUR DU PRÉJUDICE QU’ELLE AFFIRME AVOIR SUBI EN RELATION AVEC LES PERTES EN VIES HUMAINES ALLÉGUÉES
5.15. La demande d’indemnisation de la RDC au titre de pertes en vies humaines doit, bien entendu, être examinée à la lumière de ce que la Cour a décidé et n’a pas décidé dans l’arrêt qu’elle a rendu sur le fond.
5.16. Dans son arrêt de 2005, la Cour a dit que l’Ouganda avait violé le principe du non-recours à la force dans les relations internationales et le principe de non-intervention521. Elle n’a toutefois pas indiqué que ces violations avaient entraîné l’un quelconque des décès que la RDC allègue à présent.
5.17. La Cour a aussi dit que, par le comportement de ses forces armées, l’Ouganda avait violé les obligations lui incombant en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire522. Les dommages visés sous ce chef dans le dispositif de l’arrêt étaient des «meurtres … à l’encontre de la population civile congolaise»523. La Cour a en outre constaté que les forces armées ougandaises avaient manqué «d’établir une distinction entre cibles civiles et cibles militaires et de protéger la population civile lors d’affrontements avec d’autres combattants»,
520 MRDC, par. 1.35.
521 Activités armées (2005), par. 345, point 1 du dispositif.
522 Ibid., par. 345, point 3 du dispositif.
523 Ibid.
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et que l’Ouganda avait «incité au conflit ethnique» et «manqué de prendre des mesures visant à y mettre un terme», mais elle n’a fait état d’aucun décès spécifique résultant de ces violations524.
5.18. La Cour a également dit que l’Ouganda, en tant que puissance occupante dans le district de l’Ituri, avait manqué de prendre des mesures visant à respecter et à faire respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire525. Elle n’a, là non plus, fait état dans le dispositif d’aucun décès résultant de cette conduite.
5.19. Les conclusions de la Cour selon lesquelles l’Ouganda a, en commettant des meurtres, violé les obligations qui lui incombaient en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire n’ont été formulées qu’à un niveau très général. La Cour n’a rien dit spécifiquement à propos de décès précis. Au contraire, elle a fait expressément peser sur la RDC l’obligation, dans une phase ultérieure de la procédure la phase présente , d’apporter la preuve du préjudice exact qu’elle avait subi du fait des «actions spécifiques de l’Ouganda»526. La RDC ne s’est cependant en rien acquittée de la charge de la preuve lui incombant à cet égard. On peut même dire qu’elle n’a fait aucun effort sérieux en ce sens.
5.20. Dans son mémoire, la RDC renvoie à plusieurs sources indiquant que certaines personnes sont décédées à certains moments dans certains lieux. Elle fait aussi état des formulaires de réclamation que ses enquêteurs ont recueillis aux fins de la présente procédure. Mais elle ne s’appuie pas sur ces sources pour établir le nombre de décès qui auraient été causés par les actions de l’Ouganda. Au lieu de quoi, elle ne les invoque que pour «illustrer» les préjudices prétendument subis.
5.21. Plutôt que de s’efforcer d’établir la matérialité des décès précis survenus à des moments précis dans des endroits précis, la RDC adopte une approche qui, affirme-t-elle, «consiste à faire appel aux travaux scientifiques de type épidémiologique ou démographique qui ont étudié la surmortalité causée par le conflit»527. Les failles propres à l’approche «épidémiologique» et «démographique» de la RDC sont exposées en détail ci-dessous. Le point crucial, pour l’heure, est que la RDC s’abstient expressément de présenter la preuve détaillée que la Cour a dit attendre d’elle (et qui est requise par la pratique et la jurisprudence pertinentes) au profit d’une approche populationnelle très générale. A lui seul, ce point justifie le rejet de ce volet de la demande de la RDC. De plus, dût-il être accepté, l’argumentaire de la RDC n’étaye pas ses demandes au titre des pertes en vies humaines alléguées.
A. L’assertion de la RDC selon laquelle l’Ouganda aurait causé 182 000 décès en RDC relève de la spéculation et est dénuée de fondement
5.22. Le postulat de départ sur lequel la RDC fonde ses demandes est que le total des décès de civils causés par l’invasion ougandaise s’élève à 180 000528.
524 Activités armées (2005), par. 345, point 3 du dispositif.
525 Ibid., par. 345, point 1 du dispositif.
526 Ibid., par. 260.
527 MRDC, par. 2.62.
528 Ibid., par. 2.71.
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5.23. La RDC prétend calculer ce nombre en deux temps, sur la base d’éléments dont chacun relève de la spéculation et est réfuté par d’autres :
Premièrement, la RDC cite une série de quatre études sur la mortalité menées par l’International Rescue Committee (IRC) entre 2000 et 2004, dans lesquelles celui-ci a estimé à 3,9 millions les décès en surnombre en RDC entre 1998 et 2003529. Ce chiffre est celui des décès toutes causes confondues ; «[l]es violences ne sont à incriminer que dans moins de 10 % des cas, les autres causes de décès étant essentiellement des maladies telles que la malaria, la diarrhée et la pneumonie, ainsi que la malnutrition, causes pour lesquelles existent pourtant des moyens accessibles de prévention et de traitement»530.
S’appuyant sur les évaluations de l’IRC, la RDC fait valoir que, «[a]u vu de la prudence qu’il convient d’observer dans le cadre d’une procédure judiciaire», elle «estime raisonnable, dans le présent contexte, de tabler sur une estimation minimale de 400 000 victimes, soit 10 fois moins que le chiffre de l’IRC»531.
Deuxièmement, la RDC applique ce qu’elle appelle «une clé de répartition» de 45 % pour calculer, à partir du nombre retenu, le nombre de morts dont l’Ouganda serait responsable. Elle multiplie donc le nombre total de civils tués (400 000) par 0,45 pour aboutir à un total de 180 000 décès dont, selon elle, «on peut raisonnablement considérer qu’ils sont une conséquence de l’invasion d’une partie substantielle du territoire congolais par l’Ouganda»532.
Dans les deux cas, sa démarche est mal inspirée.
1. La RDC se fonde à tort sur les enquêtes de mortalité rétrospectives de l’IRC
5.24. La RDC a tort de se fonder sur les enquêtes de mortalité de l’IRC pour quantifier les décès en surnombre intervenus sur son territoire entre 1998 et 2004. Tout d’abord, comme certains commentateurs l’ont fait observer, ces études s’inscrivaient dans le cadre d’une campagne de sensibilisation, visant à appeler l’attention de la communauté internationale sur la crise en RDC533. Il n’est donc pas surprenant que leur validité scientifique ait fait l’objet de vives critiques.
529 MRDC, par. 2.64, citant l’annexe 2.16. La quatrième étude de l’IRC couvrait la période allant de janvier 2003 à avril 2004, soit une période de 11 mois après le départ de l’Ouganda de la RDC en juin 2003 (Activités armées (2005), par. 254). Les décès en surnombre ont été estimés à 500 000 pendant cette période (IRC, Burnet Institute, «Mortality in the Democratic Republic of the Congo: Results from a Nationwide Survey» (2004), annexe 56). Même s’il était retenu, le chiffre de 3,9 millions avancé par la RDC devrait être rectifié pour tenir compte de ce problème.
530 MRDC, par. 2.64 ; IRC, Burnet Institute, «La mortalité en République démocratique du Congo : une crise au long cours», op. cit., p. ii, annexe 60.
531 MRDC, par. 2.70.
532 Ibid., par. 2.71. D’entrée de jeu, malgré la prétendue «prudence qu’il convient d’observer dans le cadre d’une procédure judiciaire», la RDC se trompe dans ses calculs. Elle retient en effet, pour son «estimation minimale» de «400 000 victimes», le dixième du chiffre établi par l’IRC. Ce chiffre s’élevant à 3,9 millions, un dixième correspond à 390 000 et non à 400 000. En outre, c’est de manière arbitraire que la RDC applique un taux de 10 %. L’IRC a simplement indiqué que «moins de 10 %» des 3,9 millions de victimes présumées auraient péri des suites de violences. «Moins de 10» ne veut pas dire 10, mais peut avoir n’importe quelle valeur inférieure à 10. Au surplus, ainsi qu’il sera montré dans la suite du chapitre, la proportion des décès imputables aux violences, telle qu’elle ressort des quatre études de l’IRC, était de 4,2, et non de 10 %. Voir infra, par. 5.46.
533 Voir, par exemple, HSRP, «Partie II, Effondrement des coûts de la guerre», Rapport sur la sécurité humaine (2009-2010), p. 24-25 ; A. Lambert, L. Lohlé-Tart, La surmortalité au Congo (RDC) durant les troubles de 1998-2004 : une estimation des décès en surnombre, scientifiquement fondée à partir des méthodes de la démographie (oct. 2008), p. 1, annexe 62 ; HNTS, Rapport d’évaluation par les pairs : réexamen de la mortalité imputable au conflit en République démocratique du Congo pour la période 1998-2006, op. cit., p. 3, annexe 63.
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5.25. La RDC elle-même en admet d’ailleurs le caractère douteux dans son mémoire, lorsqu’elle reconnaît que, ayant mené leur propre étude en 2008, deux démographes belges de l’Association pour le développement de la recherche appliquée en sciences sociales, André Lambert et Louis Lohlé-Tart, ont «abouti … à un chiffre de 200 000 morts dus aux troubles, divisant ainsi grossièrement le nombre initial [indiqué par l’IRC] par 20»534. En réalité, Lambert et Lohlé-Tart ont conclu que même ce chiffre de 200 000 morts était probablement très exagéré535.
5.26. Pour comprendre les failles que présentent les travaux de l’IRC et les raisons pour lesquelles la RDC a tort de se fonder sur ces études, il convient de bien saisir comment l’IRC a procédé. Celui-ci a estimé le taux brut de mortalité correspondant à la période du conflit en effectuant des enquêtes auprès d’un échantillon de foyers dans une sélection de régions de la RDC. Les personnes interrogées étaient priées d’indiquer la taille et la composition de leur foyer, et les éventuels décès intervenus au sein de celui-ci pendant la période à l’examen (première étude : 1998-2000 ; deuxième étude : 2000-2001 ; troisième étude : 2002 ; et quatrième étude : 2003-2004). L’IRC a ensuite comparé son estimation du taux brut de mortalité durant le conflit à un hypothétique taux de mortalité d’avant-guerre pour évaluer la surmortalité liée au conflit.
5.27. La Cour n’a pas à prendre pour argent comptant l’affirmation de l’Ouganda sur les failles des travaux de l’IRC. Il lui suffit de se pencher sur les propos de ce dernier, qui a lui-même admis que ses enquêtes de mortalité comportaient des défauts méthodologiques ayant probablement entraîné une surestimation du nombre de décès. Dans sa première étude, l’IRC a ainsi notamment reconnu la limitation suivante :
««[L]es renseignements fournis par les personnes interrogées n’ont donné lieu à aucune confirmation et n’ont fait l’objet d’aucun suivi», ce qui présente «deux aspects problématiques : les intéressés pouvaient avoir menti aux enquêteurs ou s’être mépris sur la cause ou le mois des décès signalés, ou encore sur l’âge des défunts.»»536
5.28. D’autres limitations ont en outre été mentionnées dans un synopsis des études paru dans la revue Lancet :
Bien que des informations aient été recherchées sur la cause des décès, «aucune autopsie verbale structurée n’a été effectuée»537. En outre, «aucune confirmation indépendante de la cause de décès n’a été demandée auprès des établissements de santé ou d’autres sources»538.
534 MRDC, par. 2.68 («ils aboutissent à un chiffre de 200 000 morts dus aux troubles, divisant ainsi grossièrement le nombre initial par 20»).
535 A. Lambert, L. Lohlé-Tart, La surmortalité au Congo (RDC) durant les troubles de 1998-2004 : une estimation des décès en surnombre, scientifiquement fondée à partir des méthodes de la démographie, op. cit. p. 17, annexe 62.
536 Voir L. Roberts, IRC Health Unit, «Mortality in Eastern Democratic Republic of Congo: Results from 11 Surveys» (2001), p. 15, annexe 51.
537 Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), on entend, par autopsie verbale,
«une méthode employée pour déterminer la cause d’un décès à partir d’un entretien avec un proche parent ou autres pourvoyeurs de soins. Cet entretien est mené au moyen d’un formulaire standardisé permettant de recueillir des informations sur les signes, symptômes, antécédents médicaux et circonstances qui ont précédé le décès. La cause de celui-ci, ou l’enchaînement de causes qui l’ont entraîné, est déterminée en fonction des données recueillies grâce au questionnaire [d’autopsie verbale] et à toute autre information disponible.»
OMS, Verbal Autopsy Standards: 2012 WHO Verbal Autopsy Instrument (2012), annexe 96.
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Du fait de l’utilisation «[de] données inexactes d’un recensement officiel», fournies par la RDC, «[i]l se peut qu’un biais de sélection ait été introduit»539.
La mortalité liée aux violences a été surestimée pour les régions où, avant la guerre, les taux de mortalité étaient supérieurs à la moyenne540, ce qui a affecté particulièrement les résultats pour l’est de la RDC, qui avait subi les conséquences du génocide commis au Rwanda en 1994 et de la guerre civile ayant conduit au renversement de Mobutu, avant même que le conflit n’éclate en 1998541.
5.29. De fait, Les Roberts, responsable de l’équipe de l’IRC dans le cadre des deux premières études, a reconnu que son équipe n’avait pas suivi les «protocoles théoriques standards», qualifiant «de piètres pratiques scientifiques»542 les procédures d’enquête observées.
5.30. Outre Lambert et Lohlé-Tart, d’autres experts de renom ont vivement critiqué le rapport de l’IRC. Le Système d’information de santé et nutrition (HNTS, d’après l’acronyme anglais) est un système interinstitutions hébergé par l’OMS, qui «vise à générer des informations impartiales, crédibles et actualisées sur les taux de mortalité et de nutrition des populations touchées par des situations de crise et d’urgence»543. En 2006, le HNTS s’est penché sur les études de l’IRC, dont il a conclu que les estimations des décès en surnombre pouvaient «difficilement être corroborées»544.
5.31. Le HNTS s’est montré particulièrement sceptique quant au taux de mortalité théorique d’avant-guerre retenu par l’IRC. (Celui-ci ayant employé une méthode qui suppose de comparer le taux de mortalité enregistré pendant le conflit au taux brut de mortalité d’avant-guerre, toute erreur dans l’estimation de ce dernier a un effet important sur les calculs. En résumé, plus le taux brut de mortalité d’avant-guerre est faible, plus le nombre estimé de décès intervenus pendant le conflit, donnée qui en résulte, est élevé. A l’inverse, plus le premier taux est élevé, plus le nombre de décès en surnombre est faible.)
5.32. L’IRC a fondé ses calculs sur un taux brut de mortalité d’avant-guerre estimé à 1,5 décès pour 1000 personnes par mois, soit le taux brut de mortalité moyen des pays d’Afrique subsaharienne. Le HNTS a considéré injustifié le recours à ce taux moyen, déclarant ce qui suit :
«Le choix du taux moyen de l’Afrique subsaharienne pour indice comparatif pose aussi problème, car il repose sur l’hypothèse que le régime démographique en RDC correspondait à la «moyenne africaine» avant que la guerre n’éclate. En fait, plusieurs régimes démographiques distincts, présentant chacun leurs caractéristiques
538 B. Coghlan, R. Brennan et al., «Mortalité en République démocratique du Congo : enquête nationale», The Lancet, vol. 367, no 9504 (7 janv. 2006), p. 50, annexe 58.
539 Ibid. L’existence d’un biais de sélection signifie que l’échantillon obtenu n’est pas représentatif de la population que l’enquête visait à analyser.
540 B. Coghlan, R. Brennan et al., «Mortalité en République démocratique du Congo : enquête nationale», op. cit., p. 50, annexe 58.
541 Ibid.
542 HSRP, «Partie II, Effondrement des coûts de la guerre», Rapport sur la sécurité humaine (2009-2010), op. cit., annexe 64.
543 HNTS, Rapport d’évaluation par les pairs : réexamen de la mortalité imputable au conflit en République démocratique du Congo pour la période 1998-2006, op. cit., page de couverture, annexe 63.
544 Ibid., p. 21.
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propres, sont susceptibles de coexister en Afrique. Par exemple, les pays enregistrant une très forte prévalence de VIH/sida affichent des courbes de mortalité différentes de celles observées dans les pays à faible prévalence. En 1998, la RDC était un pays plongé depuis de nombreuses années dans une profonde crise de gouvernance, qui peut avoir modifié les courbes de mortalité.»545
5.33. Le HNTS a également fait observer que, dans ses calculs, l’IRC avait postulé une hausse soudaine et marquée de la mortalité au début du conflit en RDC, par rapport à la référence d’avant-guerre, hypothèse qui a eu une grande incidence sur les estimations en résultant. Selon le HNTS,
«l’hypothèse sous-jacente retenue par l’IRC selon laquelle la mortalité aurait subitement augmenté en 1998 lorsque la guerre a éclaté n’est probablement pas justifiée. Selon l’IRC, la principale cause directe de mortalité n’est pas la violence, mais la maladie ; l’on pourrait donc supposer que la hausse devrait être en grande partie progressive, traduisant une aggravation des conditions générales en temps de guerre.»546.
5.34. Le HNTS a par ailleurs critiqué les études de l’IRC au motif qu’elles ne tenaient pas compte de la répartition par âge de la population congolaise, écrivant :
«Le taux brut de mortalité n’est pas la mesure indiquée pour comparer la mortalité enregistrée dans différents pays ou à différentes périodes, dans la mesure où il est fonction de la structure par âge de la population. À taux selon l’âge égaux, une population vieillissante présentera normalement un taux brut de mortalité sensiblement plus élevé qu’une population comptant une proportion importante de jeunes. Ainsi, le taux brut de mortalité est influencé par la structure par âge et donc par le taux de fécondité. De même, les populations dont la structure par âge présente des distorsions, par exemple pour cause de conflits ou de migrations, peuvent très bien afficher des taux bruts de mortalité s’écartant sensiblement de ceux enregistrés dans les populations non affectées par ces distorsions, alors que la mortalité sous-jacente y est identique. Par conséquent, il est par principe absurde de comparer le taux brut de mortalité à un taux brut de référence sans standardisation par âge, permettant d’exprimer le taux brut de référence en termes de structure par âge de la population réelle.»547
5.35. D’autres organisations indépendantes partagent les réserves du HNTS. Le Human Security Report Project (HSRP), centre de recherche indépendant affilié à l’Université Simon Fraser de Vancouver (Canada), a examiné en 2010 les études de l’IRC dans un rapport intitulé «The Causes of Peace and the Shrinking Costs of War», présentant une critique approfondie de ces travaux.
5.36. Au niveau le plus fondamental, le HSRP a mis en doute la validité du recours à des enquêtes rétrospectives de mortalité telles que pratiquées par l’IRC aux fins de l’évaluation du surnombre de décès pendant un conflit. Il estime que, dans la mesure où elles sont «associées à trop de sources d’incertitudes et d’erreurs», pareilles enquêtes «sont tout bonnement un instrument trop
545 HNTS, Rapport d’évaluation par les pairs : réexamen de la mortalité imputable au conflit en République démocratique du Congo pour la période 1998-2006, op. cit., p. 8.
546 Ibid., p. 9.
547 Ibid., p. 8.
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rudimentaire pour déceler l’incidence de la plupart des guerres sur les taux de mortalité nationaux»548. Et d’en conclure que «les enquêtes de mortalité rétrospectives sont rarement l’instrument qui convient pour évaluer les décès en surnombre intervenus dans le cadre de guerres frappant des pays pauvres, hormis dans le cas relativement peu fréquent de conflits très brefs»549.
5.37. Le HSRP a également relevé que les organisations internationales oeuvrant dans le domaine de la santé ne se servaient pas de telles enquêtes pour évaluer le surnombre de décès dû à des guerres :
«Les enquêtes nationales sur la santé des populations conduites par le programme mondial des enquêtes démographiques et de santé (Demographic and Health Surveys The DHS Program), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne sont pas utilisées par ces organisations pour établir ce type d’estimations à juste titre, selon nous.»550
5.38. S’agissant des propres études de l’IRC, le HSRP s’est montré tout aussi critique. Faisant écho à ce qu’avait écrit le HNTS, il a déterminé que le plus gros problème individuel était le taux brut de mortalité d’avant-guerre théorique retenu comme référence par l’IRC afin d’estimer le surnombre de décès pendant le conflit.
5.39. Comme indiqué plus haut, l’IRC a fondé ses calculs sur un taux brut de mortalité d’avant-guerre théorique correspondant au taux brut de mortalité moyen enregistré dans les pays d’Afrique subsaharienne. Le HSRP a jugé ce postulat de départ indéfendable :
«[L]’IRC n’explique nulle part les raisons le poussant à considérer que la moyenne de l’Afrique subsaharienne est une mesure appropriée du taux de mortalité d’avant-guerre dans un pays qui est loin de répondre au profil moyen de l’Afrique subsaharienne.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La RDC peine à décoller du plancher de la plupart des indicateurs de développement établis pour l’Afrique subsaharienne. Elle a souffert pendant deux décennies d’une récession économique dévastatrice, qui entre le milieu des années 1970 et 1998 a fait reculer son PIB (produit intérieur brut) par habitant de plus de 300 dollars des Etats-Unis à tout juste un tiers de ce chiffre. L’aide extérieure a presque complètement disparu du pays au début des années 1990 et le gouvernement totalement incompétent et corrompu de Mobutu Sese Seko a sombré dans le chaos le plus total dès 1997.»551
5.40. Le HSRP a considéré que, s’agissant de la période d’avant-guerre, un taux brut de mortalité de 2,0 pour 1000 par mois serait probablement plus exact (que celui de 1,5 pour 1000 avancé par l’IRC). La simple application de ce nouveau taux entraînait «une réduction massive du
548 HSRP, «Partie II, Effondrement des coûts de la guerre», Rapport sur la sécurité humaine (2009-2010), op. cit., p. 132, annexe 64.
549 Ibid.
550 Ibid.
551 HSRP, «Partie II, Effondrement des coûts de la guerre», Rapport sur la sécurité humaine (2009-2010), op. cit., p. 125.
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nombre de décès excédentaires»552. Le HSRP s’est néanmoins empressé de préciser que, en revisant ainsi les calculs, il n’entendait pas fournir une estimation «correcte»553, considérant que «l’absence de données suffisamment fiables rend[ait] cette entreprise impossible»554. Il s’agissait simplement de «montrer en quoi une hausse modeste, mais plausible, d’un taux de mortalité de référence hautement discutable p[ouvait] radicalement faire baisser la surmortalité estimée»555.
5.41. De fait, le HSRP a relevé que les incertitudes intrinsèques à la détermination du taux de mortalité de référence étaient susceptibles de rendre «indécelables» les
«décès en surnombre dus à des conflits de faible intensité ... Si la surmortalité effective est moindre que les incertitudes associées aux données déterminant les profils de mortalité avant et pendant la guerre, alors l’incidence des décès dus à la guerre risque d’être masquée par l’imprécision des instruments mêmes qui sont mis en oeuvre pour tenter de les mesurer.»556
5.42. Le HSRP a découvert d’autres erreurs tout aussi problématiques dans la méthode suivie par l’IRC. S’agissant des deux premières études de ce dernier (qui portaient sur les années 1998 à 2001 et couvraient 2,5 millions, sur un nombre total estimé à 3,9 millions de décès en surnombre intervenus entre 1998 et 2004), il a en particulier fait observer 1) que les sites étudiés par l’IRC n’avaient pas été choisis de manière aléatoire et qu’ils ne permettaient donc pas d’obtenir une estimation fiable des résultats à l’échelle nationale557 ; et 2) que l’IRC n’avait pas extrapolé correctement les résultats s’y rapportant au reste de la RDC, considérée dans son ensemble. Sur cette base aussi, le HSRP a conclu que les estimations produites par l’IRC devaient «être rejet[ées]»558.
5.43. Un examen plus poussé des travaux de l’IRC confirme ces critiques et suscite des réserves sur, en particulier, l’opportunité d’en tirer la moindre conclusion sur les conséquences des actions de l’Ouganda en RDC.
5.44. Dans ses deux premières études, l’IRC n’a enquêté en tout et pour tout que sur huit sites, dont le HSRP a, comme il a déjà été indiqué, critiqué le choix arbitraire. Autre point, tout aussi important, un seul des huit lieux étudiés relevait de la sphère d’activité de l’Ouganda, à savoir Kisangani (qui a fait l’objet d’une enquête dans les deux cas). Il est significatif que le taux de
552 HSRP, «Partie II, Effondrement des coûts de la guerre», Rapport sur la sécurité humaine (2009-2010), op. cit., p. 130.
553 Ibid., p. 130.
554 Ibid.
555 Ibid.
556 Ibid., p. 135.
557 Dans trois des huit régions choisies pour les deux premières enquêtes — Kisangani, Kabare et Katana —, l’IRC avait mis en place des programmes d’assistance humanitaire, ou entendait le faire. Selon le HSRP, il devait logiquement s’agir de régions à fort taux de mortalité, puisque l’IRC n’aurait guère eu de raison de lancer de tels programmes dans des régions à faible mortalité. Les données de l’IRC avaient donc tendance à refléter des taux de mortalité plus élevés, et l’IRC n’aurait pas dû en extrapoler les chiffres au niveau national. HSRP, «Partie II, Effondrement des coûts de la guerre», Rapport sur la sécurité humaine (2009-2010), op. cit., annexe 64.
558 HSRP, «Partie II, Effondrement des coûts de la guerre», Rapport sur la sécurité humaine (2009-2010), op. cit., p. 128, annexe 64.
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mortalité qui y a été enregistré était le plus faible de l’enquête de 2000559 et le deuxième plus faible de celle de 2001560. (En comparaison, les régions aux taux de mortalité les plus élevés des études (Moba, avec 11,4/12,1561, et Kalamie, avec 10,8562) étaient situées dans la partie la plus méridionale des provinces orientales, c’est-à-dire loin de la région où opérait l’Ouganda.)
5.45. Plus important encore, aucun des décès recensés à Kisangani dans les deux premières études n’a été imputé à des violences. Autrement dit, dans l’unique région où l’Ouganda était présent, l’IRC n’a, que ce soit dans sa première ou dans sa deuxième étude, relevé aucun fait de meurtre — pas un seul — commis par cet Etat ou par un quelconque autre protagoniste. A l’évidence, l’on ne saurait se fonder d’un point de vue juridique, ni même logique, sur ses études pour attribuer à l’Ouganda la responsabilité du moindre décès.
5.46. L’Ouganda ajoute que, dans ses demandes, la RDC surestime également le nombre de décès imputables de manière générale aux violences. Selon elle, l’IRC aurait conclu de ses études que moins de 10 % des décès découlaient de violences563, ce qui est nettement exagéré. Dans les quatre premières études, les pourcentages correspondants étaient en effet de 11,1 %, 9,4 %, 1,6 % et 1,8 %, respectivement564. Sur l’ensemble de ces études, le pourcentage des décès dus à des violences n’était que de 4,2 %565, ce qui signifie que, même à retenir l’estimation très douteuse de l’IRC, chiffrant à 3,9 millions les décès en surnombre, seuls quelque 160 000 — et non 400 000, comme l’affirme la RDC — de ceux-ci auraient été causés par des violences directes.
5.47. Autre point tout aussi important, aucun des décès — pas un seul — dus à des violences directes que l’IRC a recensés n’a été attribué à l’Ouganda. Nous avons déjà examiné plus haut les deux premières études, mais cette remarque vaut également pour la troisième et la quatrième. Là encore, aucun des décès dus à des violences qui ont été consignés n’est lié de quelque façon que ce soit à l’Ouganda, ce qui est significatif, car l’identité de certains des auteurs des faits est par ailleurs précisée ; parmi eux, les Interahamwe, le RCD et le Rwanda.
5.48. L’on voit difficilement comment la RDC peut juger raisonnable de s’appuyer sur des études dont il ne ressort pas que l’Ouganda aurait provoqué, du fait d’actes de violence, ne serait-ce qu’un seul décès pour justifier la demande selon laquelle il serait en réalité responsable de la mort de 180 000 civils congolais.
559 IRC, «Mortalité dans l’est de la République démocratique du Congo : Résultats de cinq enquêtes de mortalité réalisées par l’IRC» (mai 2000), p. 12, annexe 50.
560 L. Roberts, IRC Health Unit, «Mortality in Eastern Democratic Republic of Congo: Results from 11 Surveys», op. cit., p. 21-22, annexe 51.
561 Ibid. ; IRC, «Mortalité dans l’est de la République démocratique du Congo : Résultats de cinq enquêtes de mortalité réalisées par l’IRC», op. cit., p. 12, annexe 50.
562 L. Roberts, IRC Health Unit, «Mortality in Eastern Democratic Republic of Congo: Results from 11 Surveys», op. cit., p. 21-22, annexe 51.
563 MRDC, par. 266-267.
564 IRC, «Mortalité en République démocratique du Congo : Résultats d’une enquête nationale» (2003), p. 11, annexe 54 ; IRC, Burnet Institute, «Mortality in the Democratic Republic of Congo: Results from a Nationwide Survey», op. cit., p. 15, annexe 56.
565 L’Ouganda a établi cette moyenne en calculant le nombre total de décès et de décès résultant de violences recensés dans les quatre études de l’IRC.
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5.49. En tentant de faire fond sur les études de l’IRC pour quantifier les décès en surnombre causés par le conflit et, a fortiori, de s’en autoriser pour attribuer à l’Ouganda la responsabilité de la mort de 180 000 civils, la RDC se fourvoie donc entièrement.
2. L’allégation de la RDC selon laquelle l’Ouganda serait responsable de 45 % des décès qui se seraient produits sur l’ensemble de son territoire est totalement arbitraire
5.50. Le choix par la RDC d’une «clef de répartition» de 45 % pour déterminer la part des décès en surnombre, tels qu’évalués par l’IRC, «dont on peut raisonnablement considérer qu’[ils] [sont] une conséquence de l’invasion d’une partie substantielle du territoire congolais par l’Ouganda»566 relève non seulement du domaine de la spéculation, mais également de l’arbitraire le plus total.
5.51. Le mémoire de la RDC ne fournit, en particulier, aucun élément de preuve ni même aucune explication rationnelle à l’appui du choix de cette «clef de répartition» de 45 %. Loin de chercher à s’en justifier, la RDC se contente d’affirmer péremptoirement qu’elle a pris en considération la «responsab[ilité] d’autres acteurs [dans le] déclenchement [du conflit]»567. De fait, elle a choisi ce pourcentage au hasard.
5.52. En procédant ainsi, sur la base de conjectures et sans fournir d’explications, la RDC méconnaît de façon flagrante l’obligation d’établir un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite et le préjudice568. La commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a estimé que, s’agissant des demandes se montant à «plusieurs millions de dollars», la quantification du préjudice «ne p[ouvait] reposer exclusivement sur des appréciations subjectives de ce qui est raisonnable»569. Or, la RDC ne la fait reposer sur rien d’autre.
5.53. Outre cette lacune évidente, la «clé de répartition» invoquée par la RDC manque indubitablement de crédibilité. Ainsi qu’il a été exposé au chapitre 2570, les forces armées d’au moins huit autres Etats (Angola, Burundi, Tchad, RDC, Namibie, Soudan, Rwanda et Zimbabwe) ont participé au conflit, ainsi que pas moins de 21 grands groupes armés irréguliers (et un nombre plus important encore de groupes de taille plus modeste).
5.54. L’Ouganda, quant à lui, n’a de plus joué qu’un rôle relativement limité, les effectifs de ses troupes ne dépassant pas 10 000 soldats au plus fort de leur déploiement en RDC. Il n’y a donc manifestement pas lieu de lui attribuer la responsabilité de ce qui correspond de fait à la moitié des morts violentes qui se seraient produites en RDC. Pour parvenir aux 180 000 décès que la RDC cherche à lui imputer, il faudrait que chaque soldat ougandais personnel médical, religieux et cuisiniers compris soit responsable de la mort de 18 Congolais. L’absurdité de cette assertion se passe de tout commentaire.
5.55. Dans son arrêt de 2005, la Cour a souligné que «les actes commis par les différentes parties» pas uniquement l’Ouganda au «conflit complexe qu[’a connu] la RDC [avaient]
566 MRDC, par. 2.71.
567 Ibid.
568 Voir chap. 4.
569 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 85.
570 Voir chap. 2, partie II.
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contribué aux immenses souffrances de la population congolaise»571. Parmi ces nombreuses parties figurait notamment le Gouvernement de la RDC572. Attribuer à l’Ouganda la responsabilité de 45 % des morts violentes en RDC serait en contradiction avec les constatations de la Cour.
5.56. Il n’est pas possible de se fonder sur les chiffres que la RDC prétend déduire du rapport de l’IRC un rapport partisan et largement critiqué , non plus que sur le pourcentage de 45 % du nombre estimé de décès qu’elle cherche à imputer à l’Ouganda sur son territoire, pour attribuer à celui-ci, a fortiori dans le cadre d’une procédure judiciaire, une responsabilité au regard du droit international, s’agissant des pertes en vies humaines qui ont eu lieu en RDC entre août 1998 et juin 2003.
3. D’autres sources, notamment les propres «éléments de preuve» de la RDC, mettent à mal les allégations de celle-ci concernant le nombre de décès causés sur son territoire
5.57. Les affirmations extravagantes de la RDC concernant le nombre de décès dont l’Ouganda serait responsable sont par ailleurs contredites par d’autres informations, notamment des éléments de preuve qu’elle a elle-même produits.
5.58. Ainsi que précisé dans la section III C) 3) du chapitre 3, la RDC prétend avoir mené des études visant à établir la nature et la portée des dommages causés par l’Ouganda pendant le conflit. Parmi les sources d’information collectées figurent quelque 10 000 formulaires de réclamation, censés synthétiser les «renseignements recueillis sur le terrain, avec le nom de la victime, l’indication des dommages subis ainsi, dans certains cas, qu’une évaluation approximative des préjudices»573.
5.59. Pour des raisons qu’elle seule connaît, la RDC a choisi de ne verser aucun de ces formulaires au dossier de la présente affaire, se contentant de produire une série de tableaux, non certifiés et non signés, qui en récapituleraient le contenu. Elle ne fournit, dans son mémoire, aucune information sur la manière dont ces tableaux ont été établis.
5.60. Les informations prétendument synthétisées dans les tableaux de la RDC ne constituent pas des éléments de preuve fiables susceptibles de fonder les conclusions de la Cour. Ils offrent, au mieux, une compilation non vérifiée (ni vérifiable) d’éléments prétendument contenus dans les documents invoqués, qui n’ont pas été présentés à la Cour.
571 Activités armées (2005), par. 221.
572 L’IRC indiquait ainsi dans son rapport de 2007 :
«Les décès résultant de violences ne représentaient que 0,4 % du total des décès au niveau national — 0,6 % dans l’Est, et 0,3 % dans l’Ouest. Dans cette dernière région, deux décès sur trois semblaient être liés à la répression qui a visé les partisans de l’opposition à Kinshasa et au Bas-Congo au cours du mois de mars 2007. Parmi les victimes figuraient deux garçons de neuf et douze ans. Sur 11 décès recensés dans l’Est, sept s’étaient produits dans le Nord-Kivu. Dans neuf cas, les auteurs des faits ont été identifiés : il s’agissait notamment d’agents de police, de Maï-Maï, et de membres des forces démocratiques de libération du Rwanda et de l’armée nationale congolaise. Une seule victime de mort violente était une femme, abattue par la police dans la province d’Itebero, dans le Nord-Kivu.» IRC, Burnet Institute, «La mortalité en République démocratique du Congo : une crise au long cours», op. cit., p. 12, annexe 60.
573 MRDC, par. 1.35.
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5.61. Par ailleurs, même à les prendre pour argent comptant ce qu’il n’y a pas lieu de faire , ces tableaux récapitulatifs, essentiellement, ne contiennent pas le type d’informations qui permettraient de fonder des conclusions juridiques définitives. Dans de nombreux cas, le nom des prétendues victimes n’est pas fourni, et aucune précision n’est donnée quant aux circonstances date, cause et personne(s) responsable(s), notamment du décès.
5.62. Quoi qu’il en soit, ce qui importe tout particulièrement aux fins de la présente démonstration, c’est la mesure dans laquelle le nombre des décès allégués recensés dans les tableaux de synthèse diffère des chiffres avancés dans le mémoire. D’après les tableaux, le nombre total de décès se monte à 5893574, l’Ouganda n’en étant jamais désigné comme responsable. Les prétendus éléments de preuve de la RDC elle-même, censément fondés sur des documents originaux, contredisent donc ses affirmations exagérées concernant le nombre de décès dont l’Ouganda serait responsable.
5.63. D’autres sources neutres confirment elles aussi le caractère excessif des chiffres avancés par la RDC. Tel est le cas de l’UCDP (pour «Uppsala Conflict Data Program»), programme mis en oeuvre par l’Université d’Uppsala à Stockholm (Suède), qui vise à constituer une base de données sur les victimes liées aux conflits. Selon son site Internet, l’UCDP est
«le principal fournisseur mondial d’informations concernant la violence organisée et le plus ancien projet de collecte de données sur les guerres civiles, puisqu’il existe depuis près de quarante ans … L’UCDP produit des données de haute qualité, recueillies de manière systématique et à l’échelle mondiale, comparables d’un cas et d’un pays à l’autre, et s’inscrivant dans le cadre de séries chronologiques longues actualisées annuellement.»575
5.64. La base de données de l’UCDP englobe les décès liés aux combats576 et les épisodes de violence unilatérale577. Elle est alimentée par des publications d’agences de presse, des rapports de recherche, des monographies, ainsi que des documents établis par les agences internationales et multinationales et les organisations non gouvernementales (ONG)578. Sont également utilisés, lorsqu’ils sont disponibles, des documents émanant directement des acteurs du conflit (notamment des belligérants). L’UCDP puise dans la base de données Factiva des informations qui sont complétées et vérifiées à l’aide de bulletins, journaux et autres publications, tels que l’Africa Research Bulletin, ainsi que de données accessibles en ligne émanant d’organisations non gouvernementales et intergouvernementales. Chaque fois qu’un événement ou un compte rendu
574 «Rapport Décès Effectif_Par_Ville_1998_à_2003», dans le dossier «Dommage Décès», MRDC, annexe 1.3.
575 Université d’Uppsala, département de la paix et de la recherche, «About UCDP», accessible à l’adresse suivante : http://pcr.uu.se/research/ucdp/about-ucdp/ (dernière consultation le 25 janvier 2018), annexe 104.
576 Selon l’UCDP, il s’agit des «décès causés par le recours à la force dans le cadre d’un «conflit dyadique», c’est-à-dire un conflit opposant activement deux parties antagonistes armées. Les décès liés aux combats incluent les civils pris entre deux feux, les victimes de bombardements aveugles, etc.», Université d’Uppsala, département de la paix et de la recherche, «Definitions: Battle Related Deaths», accessible à l’adresse suivante : http://www.pcr.uu.se/research/ucdp/definitions/ (dernière consultation le 24 janvier 2018), annexe 102.
577 La «violence unilatérale» désigne, selon l’UCDP, l’utilisation de la force armée par le gouvernement d’un Etat ou par un groupe formellement organisé contre la population civile, causant au moins 25 décès par an. Université d’Uppsala, département de la paix et de la recherche, «One-sided Violence», accessible à l’adresse suivante : http://pcr.uu.se/research/ucdp/definitions/#One-sided_violence (dernière consultation le 26 janvier 2018), annexe 105.
578 Université d’Uppsala, département de la paix et de la recherche, «FAQ, How are UCDP Data Collected?», accessible à l’adresse suivante : http://pcr.uu.se/research/ucdp/faq#How_are_UCDP_data_collected_ (dernière consultation le 26 janvier 2018), annexe 106.
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nécessite de plus amples vérifications, l’UCDP contacte des experts régionaux et locaux pour obtenir les corroborations nécessaires.
5.65. Le conflit en RDC est l’un des nombreux cas que couvre la base de données de l’UCDP. L’Ouganda a examiné avec soin les informations qui y figurent. Les résultats sont édifiants. Selon les «meilleures estimations» de l’UCDP, les chiffres relatifs aux décès causés par le conflit entre août 1998 et juin 2003 sont les suivants :
29 376 décès au total (civils et rebelles compris)579, dont
211 (0,7 %) liés à l’Ouganda, et
310 (civils et rebelles) liés à des groupes affiliés à l’Ouganda, tels que le RCD-ML, le RCD-N et le FLC.
5.66. Par comparaison, la base de données fait état de 9420 décès (de civils et rebelles) liés à l’armée de la RDC580.
5.67. Même si on limite la recherche aux victimes civiles, les résultats obtenus demeurent nettement moins élevés. Pour la période située entre août 1998 et juin 2003, les «meilleures estimations» sont les suivantes581 :
13 593 décès de civils, dont
32 (0,2 %) liés à l’Ouganda, et
240 autres décès répertoriés liés à des groupes affiliés à l’Ouganda.
5.68. Par comparaison, à nouveau, la base de données de l’UCDP associe 1429 décès de civils à l’armée congolaise582.
5.69. L’ACLED (pour «Armed Conflict Location and Event Data Project»), projet mis en oeuvre dans le cadre de l’Université du Sussex (Royaume-Uni), administre une base de données similaire, consacrée aux Etats en développement, tout particulièrement en Afrique. Selon son site Internet, la base de données est alimentée par des informations issues des quotidiens locaux, régionaux, nationaux et continentaux, des rapports d’ONG et d’organismes humanitaires, complétées par les travaux de journalistes spécialisés. Ses données sont traitées par des analystes expérimentés, qui collectent l’essentiel des informations à partir de ces sources, et sont ensuite vérifiées par deux autres spécialistes.
579 Université d’Uppsala, département de la paix et de la recherche, «DR Congo, Zaire», accessible à l’adresse suivante : http://ucdp.uu.se/#/country/490 (dernière consultation le 26 janvier 2018). Le document accessible à partir de l’option de téléchargement comporte trois colonnes correspondant aux «meilleure estimation», «estimation la plus élevée» et «estimation la plus basse» ; pour ce qui est de la période considérée, l’estimation la plus élevée était de 51 109 morts et la plus basse, de 28 197.
580 Chiffres établis à partir de la colonne «meilleure estimation».
581 En prenant pour référence la même période que plus haut, il a été procédé à un nettoyage de données pour ne retenir que celles concernant les civils tués par des groupes armés (soit les cas de violence unilatérale). Les chiffres ont été établis à partir de la colonne «meilleure estimation».
582 Chiffres établis à partir de la colonne «meilleure estimation».
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5.70. Comme pour celle de l’UCDP, l’Ouganda a soigneusement examiné la base de données de l’ACLED. Celle-ci recense583 :
23 791 décès au total (de civils et de militaires), dont
3295 (14 %) liés à l’Ouganda, et
2559 liés à des groupes affiliés à l’Ouganda, notamment le MLC et le FLC584.
5.71. S’agissant des victimes civiles585, l’ACLED dénombre :
8012 décès de civils répertoriés, dont
117 (1,5 %) causés par des actes de violence unilatérale perpétrés par l’Ouganda, et
170 décès causés par des actes de violence unilatérale perpétrés par des groupes affiliés à l’Ouganda586.
5.72. L’Ouganda a également examiné avec soin le rapport Mapping établi sous les auspices du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme pour rendre compte des graves violations des droits de l’homme commises en RDC entre mars 1993 et juin 2003. Les conclusions du rapport sont fondées sur des entretiens «avec plusieurs centaines d’interlocuteurs, tant congolais qu’étrangers, qui ont été témoins des atrocités commises dans le pays»587, ainsi que sur l’examen de
«[p]lus de 1500 documents à ce sujet provenant de plusieurs sources, dont certaines confidentielles, … y compris de l’Organisation des Nations Unies, du Gouvernement congolais, des organisations congolaises des droits de l’homme, des grandes organisations internationales des droits de l’homme, des médias nationaux et internationaux et de diverses ONG (notamment syndicats, groupes religieux, groupes humanitaires et groupes de victimes). De plus, différents experts nationaux et internationaux ont été consultés afin d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche, de compléter certaines informations obtenues et d’affiner l’analyse générale de la situation.»588
5.73. Ces informations ont ensuite été «véri[fiées] … afin de les corroborer ou de les infirmer à l’aide de sources indépendantes» et d’obtenir en même temps «de nouvelles informations concernant des violations jamais rapportées auparavant»589. En résumé, les auteurs du rapport Mapping ont dressé une compilation et la synthèse de toutes les informations préexistantes qu’ils ont jugées suffisamment dignes de foi.
583 Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), «Democratic Republic of the Congo», accessible à l’adresse suivante : https://www.acleddata.com/tag/democratic-republic-of-congo/ (dernière consultation le 26 janvier 2018). Les données utilisées étaient issues d’incidents datant de la période allant d’août 1998 à juin 2003.
584 Ainsi que d’autres groupes.
585 Les civils tués dans le cadre de combats ne sont pas inclus ici ; sont uniquement comprises les victimes civiles directement visées par les violences.
586 Notamment le MLC et le FLC.
587 Rapport Mapping, p. 1, annexe 25.
588 Ibid., par. 14.
589 Ibid.
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5.74. Il convient toutefois d’examiner avec prudence les conclusions de l’équipe Mapping :
«L’objectif premier du Mapping étant de «rassembler les informations de base sur les incidents découverts», le niveau de preuve requis était de toute évidence inférieur à ce qui est exigé en matière criminelle devant une instance judiciaire. Il ne s’agissait donc pas d’être convaincu hors de tout doute raisonnable de l’existence d’une infraction mais plutôt d’avoir une suspicion raisonnable que l’incident s’était produit.»590
Autrement dit, le critère d’établissement de la preuve retenu par l’équipe Mapping aux fins de répertorier les incidents était moins strict que celui requis devant la Cour aux fins de prouver un fait avec un degré élevé de certitude591.
5.75. L’Ouganda a recensé tous les cas où le rapport Mapping lui impute, directement ou indirectement, un ou plusieurs décès intervenus dans la période allant du 7 août 1998 au 2 juin 2003. Sont ici compris les décès causés dans le cadre d’affrontements entre l’Ouganda et d’autres groupes armés, ou par d’autres parties avec l’assistance théorique de l’Ouganda. Un tableau les répertoriant dans leur totalité est joint à l’annexe 110 du présent contre-mémoire592.
5.76. Lorsque l’on additionne ces chiffres, il ressort du rapport Mapping que le nombre total de décès pour lesquels il existe ne serait-ce qu’une «suspicion raisonnable» qu’ils sont le résultat d’un comportement mettant en cause l’Ouganda serait d’environ 2291593.
5.77. Qu’ils émanent de l’UCDP, de l’ACLED ou du rapport Mapping, les chiffres sont tous nettement inférieurs à ceux avancés par la RDC, et relèvent même d’un tout autre ordre de grandeur.
5.78. Or, s’agissant du poids à accorder à ces chiffres, il y a lieu de souligner que la RDC elle-même considère que les rapports internationaux, notamment le rapport Mapping, fournissent l’ordre de grandeur qu’il convient de retenir pour apprécier l’étendue des dommages que la RDC aurait subis.
5.79. En expliquant sa démarche méthodologique soit l’utilisation de formulaires de réclamation et d’autres données relevant d’«une recherche sur le terrain» ainsi que de «renseignements [collectés] à partir de rapports élaborés par divers acteurs, principalement
590 Rapport Mapping, par. 7. («On définit la suspicion raisonnable comme «nécessitant un ensemble d’indices fiables correspondant à d’autres circonstances confirmées, tendant à montrer que l’incident s’est produit». L’évaluation de la fiabilité des informations obtenues s’est faite en deux temps, en considérant d’abord la fiabilité et la crédibilité de la source et par la suite la validité et la véracité des informations en tant que telles.»)
591 Voir chap. 3, partie II A).
592 «Calculated Number of Civilian Deaths between 7 August 1998 and 2 June 2003» (source : rapport Mapping), annexe 110. Cette liste ne tient pas compte de certains incidents qui se seraient produits début août 1998 dans les environs de Kinshasa, la Cour ayant conclu en 2005 avec l’autorité de la chose jugée que l’Ouganda n’y avait pas participé (Activités armées (2005), par. 254). L’Ouganda a également écarté un incident qui se serait produit après le 2 juin 2003, date à laquelle la Cour a établi que son intervention avait pris fin.
593 Le rapport Mapping ne fournit pas toujours de chiffres précis. Chaque fois qu’il est fait mention de «plusieurs» victimes, l’Ouganda a retenu, aux fins d’une quantification approximative, la valeur quatre ; lorsqu’un chiffre s’accompagne de la mention «au moins», l’Ouganda a retenu ce chiffre ; lorsque le nombre de tués se situe «entre» deux valeurs spécifiques, l’Ouganda a retenu la moyenne des deux.
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internationaux, qui avaient accès aux zones concernées pendant la période critique»594 , la RDC a en effet admis que
«[l]es rapports internationaux, pour leur part, ne visaient à l’évidence pas le même objectif [que les formulaires de réclamation]. Ils avaient pour fonction de faire un bilan général des dégâts matériels et humains occasionnés par le conflit. S’ils fournissent des informations précieuses sur une série d’événements particuliers, ils n’entrent pour autant pas dans un degré de détails tels qu’ils permettent d’établir les préjudices subis sur un plan individuel à la suite de ces événements. Les bilans d’ensemble qu’ils présentent sont néanmoins précieux, car ils donnent des ordres de grandeur des dommages résultant des manquements par l’Ouganda à ses obligations internationales.»595
5.80. En avançant un bilan largement supérieur aux nombres de victimes figurant dans les propres rapports internationaux dont elle soutient qu’ils fournissent les «ordres de grandeur» s’agissant des «dommages résultant des manquements par l’Ouganda à ses obligations internationales», la RDC contredit directement son propre raisonnement.
5.81. La RDC souligne elle-même que
«[l]es milliers de cas recensés [dans les formulaires de réclamation] ne sont que des exemples illustrant la réalité et l’étendue des dommages subis sur le terrain. Ils doivent être mis en relation avec les chiffres résultant des différents rapports qui ont une vocation plus générale et globalisante»596 .
5.82. Or, une fois que les formulaires sont mis «en relation» comme la RDC soutient qu’ils «doivent» l’être avec les bases de données de l’UCDP et de l’ACLED et avec le rapport Mapping, le constat est sans appel : l’allégation de la RDC selon laquelle l’Ouganda aurait été responsable de 180 000 décès de civils pendant le conflit est infondée et excessive au plus haut point.
5.83. Par ailleurs, les données fournies par l’UCDP et l’ACLED démontrent que, en tentant d’attribuer à l’Ouganda la responsabilité de 45 % des décès allégués de civils, la RDC perd tout sens de la mesure. Les pourcentages de décès de civils imputés à l’Ouganda dans ces bases de données se situent entre 0,2 % et 1,5 %. Aucun de ces chiffres ne s’approche ne serait-ce qu’un tant soit peu de la «clé de répartition» retenue arbitrairement par la RDC.
B. Les failles que présentent les demandes de la RDC ressortent de manière flagrante de la ventilation du nombre de décès par région que celle-ci avance
5.84. Que l’imputation à l’Ouganda de la mort de 180 000 civils soit arbitraire est encore illustré par la manière dont la RDC prétend ventiler ce nombre par région : 1) Ituri (60 000 morts) ; 2) Kisangani (920 morts) ; 3) autres (119 080 morts).
594 MRDC, par. 1.36.
595 Ibid., par. 1.39.
596 Ibid., par. 1.40.
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1. Lieux autres que l’Ituri et Kisangani
5.85. Puisque la RDC soutient que les décès de civils dont elle impute la responsabilité à l’Ouganda seraient, pour près de deux tiers d’entre eux, survenus ailleurs qu’en Ituri et qu’à Kisangani et parce que sa manière de procéder en ce qui les concerne met on ne peut plus clairement en évidence le caractère excessif et le défaut de fondement de ses prétentions , l’Ouganda commencera par cet aspect de ses allégations.
5.86. Ainsi qu’il a été indiqué, la RDC prétend que l’Ouganda aurait causé la mort de 119 080 civils ailleurs qu’en Ituri et qu’à Kisangani. La manière dont elle aboutit à ce chiffre est révélatrice. Elle se contente de retrancher le nombre de décès de civils qu’elle accuse l’Ouganda d’avoir causés en Ituri (60 000) et à Kisangani (920) du nombre total de morts (180 000) dont elle cherche à lui attribuer la responsabilité.
5.87. En d’autres termes, elle parvient à ce chiffre de 119 080 décès à la suite non pas d’un processus rigoureux d’établissement de la preuve, mais d’un simple exercice arithmétique. L’Ouganda étant, selon ses dires, responsable de la mort de 180 000 civils au total, et étant, toujours selon ses dires, responsable de la mort de 60 920 civils en Ituri et à Kisangani, il s’ensuit, d’après elle, qu’il porte la responsabilité de quelque 120 000 décès intervenus ailleurs.
5.88. Cette reconstitution à rebours est pour le moins loin de satisfaire à la nécessité d’apporter la preuve, au moyen d’éléments convaincants, du préjudice exact subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda. Au contraire, elle repose entièrement sur des allégations marquées au coin de l’arbitraire et de la spéculation (consistant à soutenir que le conflit a été à l’origine de 400 000 morts violentes, relevant pour 45 % d’entre elles de la responsabilité de l’Ouganda), que l’Ouganda a déjà réfutées.
5.89. En outre, le nombre très important de décès qui auraient eu lieu ailleurs qu’en Ituri et qu’à Kisangani n’est, a priori, pas crédible. La RDC admet que les violences et les affrontements les plus graves ont eu lieu en Ituri et à Kisangani597. Elle admet en outre qu’ailleurs, les UPDF avançaient, «sans rencontrer de résistance», que les «prises» par celles-ci de certaines localités «ne se sont pas traduites par des affrontements violents, et [qu’elles] n’ont donc pas occasionné de dommages étendus en termes de pertes de vies humaines»598 voire, dans certains cas, la moindre perte de vie humaine599. Soutenir nonobstant que l’Ouganda a causé deux fois plus de morts dans ces autres régions qu’il ne l’a fait en Ituri et à Kisangani défie toute vraisemblance.
5.90. Le caractère exorbitant du nombre – 119 080 – de décès de civils que la RDC attribue à l’Ouganda en dehors de l’Ituri et de Kisangani ressort également des éléments de preuve qu’elle a elle-même soumis. Ainsi qu’il a été dit, les tableaux inclus dans le mémoire de la RDC et censés synthétiser le contenu des formulaires de réclamation recueillis rendent compte d’un total de 5893 décès600. Seuls 684 (soit 11,6 %) de ces 5893 décès auraient eu lieu ailleurs qu’en Ituri ou
597 MRDC, par. 0.17.
598 Ibid., par. 2.17
599 Voir, par exemple, ibid., par. 2.17, 2.19, 2.43.
600 «Rapport Décès_Effectif_Par_Ville_1998_à_2003», dans le dossier «Dommage Décès», MRDC, annexe 1.3.
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qu’à Kisangani : quatre à Gemena, 37 à Butembo et 643 à Beni601. Une fois de plus, l’Ouganda n’est pas même désigné comme responsable d’un seul d’entre eux.
5.91. Relevons encore que, dans le cas de 561 de ces 684 prétendus décès, la victime n’est pas même identifiée. Seule apparaît la mention «non signalé»602. Dans les 134 autres cas, il n’est fourni aucune information 1) sur l’âge et la date de la mort ou 2) la cause de celle-ci. A défaut de produire des renseignements aussi élémentaires, la RDC ne peut espérer s’acquitter de la charge lui incombant d’apporter, au moyen d’éléments convaincants, la preuve de l’existence et de l’ampleur du préjudice dont elle demande réparation.
5.92. Le rapport Mapping montre lui aussi que le chiffre de 119 080 décès hors Ituri et Kisangani avancé est infondé.
5.93. La RDC cite, dans son mémoire, «à des fins … illustratives», un certain nombre de rapports d’organisations internationales et non gouvernementales faisant état de décès attribués à l’Ouganda ou à des groupes rebelles soutenus par celui-ci ailleurs qu’en Ituri et qu’à Kisangani. L’Ouganda n’imposera pas à la Cour une analyse fastidieuse de chacun de ces rapports et des prétendus incidents dont ils rendent compte. Comme il a été relevé, le rapport Mapping reposait sur une compilation des informations existantes réalisée en 2008-2009. L’équipe qui en est à l’origine disposait de l’ensemble des rapports individuels cités par la RDC. Elle a ainsi, en ce qui concerne les cas de décès, intégré dans son propre rapport les informations émanant d’autres sources qui suffisaient selon elle à fonder une «suspicion raisonnable» que tel ou tel incident s’était bien produit.
5.94. Or, un examen attentif du rapport Mapping met irrémédiablement à mal l’affirmation de la RDC selon laquelle l’Ouganda serait responsable de la mort de 119 000 civils hors Ituri et Kisangani. Au contraire, l’équipe qui en est l’auteur a estimé raisonnable de considérer que, ailleurs qu’en Ituri et qu’à Kisangani :
quelque 49 décès auraient été dus au seul Ouganda603 ;
une centaine d’autres décès auraient été causés par l’Ouganda et des milices/groupes rebelles au cours d’opérations conjointes604 ; et
quelque 147 personnes auraient trouvé la mort lors de combats opposant des milices/groupes rebelles aidés par les UPDF d’une part, à d’autres milices/groupes rebelles aidés par le Rwanda ou la RDC, d’autre part605.
601 «Rapport Décès Effectif_Par_Ville_1998_à_2003», dans le dossier «Dommage Décès», MRDC, annexe 1.3.
602 «Evaluation Décès», dans le fichier «Victimes_Décès_BENI», MRDC, annexe 1.3 (549 cas) ; «Evaluation Décès» dans le fichier «Victimes_Décès_BUTEMBO», MRDC, annexe 1.3 (9 cas) ; «Evaluation Décès» dans le fichier «Victimes_Décès_GEMENA», MRDC, annexe 1.3 (3 cas).
603 «Calculated Number of Civilian Deaths between 7 August 1998 and 2 June 2003» (source : rapport Mapping), annexe 110 ; rapport Mapping, par. 347 (9), par. 348 (36), par. 349 (4), annexe 25.
604 Ibid., op. cit., annexe 110 ; rapport Mapping, par. 402 (100), annexe 25.
605 Ibid., op. cit., annexe 110 ; rapport Mapping, par. 346 (24), par. 381 (7), par. 381 (24), par. 383 (15), par. 385 (1), par. 392 (48), par. 443 (25), annexe 25.
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5.95. Quand bien même il serait accordé foi, tel quel, au rapport Mapping ce que l’Ouganda ne juge pas opportun, eu égard au critère de la preuve relativement peu rigoureux qui y est employé , le nombre total de décès dont la responsabilité peut être attribuée à l’Ouganda ailleurs qu’en Ituri et qu’à Kisangani ne dépasserait pas les 296.
2. Ituri
5.96. La RDC soutient que l’Ouganda est responsable de la mort de 60 000 civils en Ituri606. A l’appui de cette allégation, elle cite le passage suivant du deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la MONUC : «Depuis la première grande explosion de violence en juin 1999, il y a eu selon les estimations plus de 60 000 morts».607 Sur ce seul fondement, la RDC indique que «[c]’est … le nombre de 60 000 tués qu[’elle] retiendra comme base de cette partie de sa réclamation dans le cadre de la présente procédure»608.
5.97. La RDC avance ensuite que, sur les 60 000 civils qui auraient été tués, «40 000 … ont été victimes de violences délibérées dirigées contre les populations civiles», «[l]e tiers restant (soit 20 000 personnes) représent[ant] quant à lui la partie des habitants de l’Ituri qui ont perdu la vie dans d’autres circonstances liées aux conflits qui ont déchiré cette région entre 1998 et 2003»609.
5.98. Ni l’une ni l’autre de ces allégations ne sont étayées par le moindre élément – ni, a fortiori, le moindre élément convaincant – qui les prouverait avec un degré élevé de certitude.
5.99. On ne trouve littéralement rien dans le deuxième rapport spécial du Secrétaire général qui vienne directement ou indirectement appuyer la conclusion selon laquelle l’Ouganda serait responsable de 60 000 décès en Ituri. Tout d’abord, le Secrétaire général ne prétend pas, a priori, avancer là des éléments de fait définitifs. Au contraire, la phrase citée accompagne le chiffre indiqué de la mention «selon les estimations»610. Les faits sur lesquels repose cette «estimation» ne sont pas mentionnés. Une chose est claire, toutefois : il n’est ici nullement question de responsabilité de l’Ouganda.
5.100. C’est là un élément significatif car, ailleurs dans ce même rapport, les parties responsables d’actes de violence sont expressément désignées. Au paragraphe qui précède immédiatement l’estimation susmentionnée, on lit ainsi ceci :
«[D]es massacres tant de Lendu que de Hema ont bien eu lieu en lturi depuis février 2003. Du 17 janvier au 6 mars, dans une tentative visant à prendre le contrôle total de la région de l’Ituri, un groupe de miliciens dénommé l’Union des patriotes
606 MRDC, par. 3.23.
607 Conseil de sécurité, deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2003/566 en date du 27 mai 2003, annexe 3.6, par. 10 ; MRDC, par. 3.22.
608 MRDC, par. 3.23.
609 Ibid. (Le passage pertinent se lit ainsi : «[L]es deux tiers (soit 40 000 personnes) ont été victimes de violences délibérées dirigées contre les populations civiles. Le tiers restant (soit 20 000 personnes) représente quant à lui la partie des habitants de l’Ituri qui ont perdu la vie dans d’autres circonstances liées aux conflits qui ont déchiré cette région entre 1998 et 2003.»)
610 Conseil de sécurité, deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2003/566 en date du 27 mai 2003, par. 10, MRDC, annexe 3.6.
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congolais (UPC) a lancé de vastes opérations militaires dans quatre localités, qui se sont soldées en tueries, destruction de biens et déplacements massifs de population.»611
L’Ouganda n’est pas mentionné.
5.101. La suite du rapport comporte même une référence indirecte au rôle d’endiguement de la violence qu’a pu jouer l’Ouganda. Il est ainsi relevé que, après son retrait, les violences se sont intensifiées :
«Immédiatement après le départ de l’UPDF de Bunia, des milices Hema et Lendu ont cherché à établir leur contrôle sur la ville, ce qui a entraîné de violents accrochages, souvent près des locaux des Nations Unies. Les accrochages étaient également accompagnés de pillages généralisés, y compris des locaux du Bureau de la coordination des affaires humanitaires.»612
5.102. Qui plus est, la RDC ne fournit aucune preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle 40 000 personnes auraient été victimes de violences délibérées, tandis que 20 000 auraient perdu la vie «dans d’autres circonstances». Cette distinction semble totalement arbitraire, et la RDC ne fait pas même mine d’invoquer la moindre source capable de l’étayer.
5.103. Le caractère arbitraire et spéculatif du nombre de 60 000 décès imputables à l’Ouganda en Ituri est confirmé par d’autres éléments que la RDC invoque à des «fins … illustratives», sans y puiser effectivement des informations de nature à établir l’ampleur du préjudice allégué.
5.104. Dans l’annexe consacrée aux pertes en vies humaines en Ituri (Victimes_Décès_Ituri), la RDC ne dénombre, dans un tableau censé synthétiser le contenu des formulaires de réclamation recueillis par le Gouvernement congolais, que 4164 décès613. Mais même ce chiffre, dix fois inférieur au nombre avancé par la RDC (60 000), n’est pas digne de foi.
5.105. Premièrement, ainsi qu’indiqué, la RDC n’a pas versé au dossier ces formulaires de réclamation. L’Ouganda ou la Cour ne sont donc pas en mesure ne serait-ce que de tenter de vérifier la justesse des informations qu’elle prétend résumer dans ses tableaux.
5.106. Deuxièmement, quand bien même ces formulaires auraient été produits, il y aurait lieu de douter de leur valeur probante. En effet, ils ont été recueillis des années après les faits, l’ont été aux fins d’une procédure contentieuse (dans le dessein — à terme — d’obtenir réparation) et sont, de l’aveu de la RDC, souvent fondés sur des informations de seconde main, émanant parfois de
611 Conseil de sécurité, deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2003/566 en date du 27 mai 2003, par. 10, MRDC, par. 9, annexe 3.6.
612 Ibid., par. 16.
613 «Evaluation Décès», dans le fichier «Victimes_Décès_ITURI», p. 115, MRDC, annexe 1.3. Ce chiffre est contredit par celui que la RDC avance dans un autre de ses documents, où elle dénombre, mais sans les identifier, 4502 victimes en Ituri. Voir «Tableau de synthèse effectif décès», dans le fichier «TableauSynthèseEffectifDécès_1998_à_2003», p. 4, MRDC, annexe 1.3. Ce document ne présente que le nombre de personnes qui auraient été tuées dans différentes parties de l’Ituri. Aucun élément de preuve n’est produit dans le mémoire de la RDC pour justifier les chiffres avancés.
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sources partisanes ou de personnes qui ne se remémoraient pas clairement les faits qu’elles prétendaient rapporter.
5.107. Le manque de valeur probante des formulaires de réclamation ressort également des synthèses qui en sont présentées dans l’annexe correspondante. Sur les 4164 personnes qui auraient trouvé la mort en Ituri, 3827 n’ont pas même été identifiées614. Là encore, seule apparaît la mention «non signalé». Or, comme l’avait constaté la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, il ne peut y avoir d’évaluation «lorsque la réclamation porte sur des myriades de victimes hypothétiques»615. L’évaluation de l’indemnisation demandée au nom de ces prétendues victimes relève donc du seul domaine de la conjecture.
5.108. En sus des 3827 victimes non identifiées, l’annexe répertorie nommément maintes personnes (337) qui seraient décédées, mais sans présenter d’informations quant à 1) la cause de leur mort, 2) leur âge ou 3) la date du décès616. Or, sans ces informations, il ne peut être établi que l’Ouganda est responsable desdits décès.
5.109. La RDC cite également, encore une fois à des «fins … illustratives», plusieurs rapports d’organisations internationales ou non gouvernementales rendant compte de décès attribués aux UPDF en Ituri. De même que pour les cas de décès intervenus ailleurs qu’en Ituri et à Kisangani, l’Ouganda n’infligera pas à la Cour une analyse fastidieuse de chacun des rapports cités, qui étaient tous en la possession de l’équipe à l’origine du rapport Mapping lorsque celle-ci a mené à bien ses travaux, en 2008-2009. Ce rapport inventorie tous les incidents dont l’équipe a conclu qu’il y avait «raisonnable[ment]» lieu de «soupçon[ner]» qu’ils avaient bien eu lieu.
5.110. Or, d’un examen détaillé de ce rapport, il ressort :
qu’une centaine de décès auraient été dus au seul Ouganda en Ituri617 ;
que 988 autres décès auraient été causés par l’Ouganda et des milices/groupes rebelles au cours d’opérations conjointes618 ; et
que quelque 335 personnes auraient trouvé la mort lors de combats opposant des milices/groupes rebelles aidés par les UPDF d’une part, et d’autres milices/groupes rebelles aidés par le Rwanda ou la RDC, d’autre part619.
5.111. Ainsi, à supposer que les incidents allégués dont fait état le rapport Mapping soient avérés, le nombre total de décès en Ituri dont l’Ouganda pourrait être tenu pour responsable s’élèverait à quelque 1423.
614 «Evaluation Décès», dans le dossier «Victimes_Décès_ITURI», MRDC, annexe 1.3.
615 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 64.
616 «Evaluation Décès», dans le dossier «Victimes_Décès_ITURI», MRDC, annexe 1.3.
617 Rapport Mapping, par. 405 (100), annexe 25.
618 Ibid., par. 366 (25), 370 (10), par. 405 (105), par. 405 (25), par. 407 (225), par. 408 (6), par. 408 (35), par. 408 (400), par. 409 (27), par. 411 (80) ; par. 417 (50).
619 Ibid., par. 369 (250), par. 412 (50), par. 421 (35), annexe 25.
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5.112. L’Ouganda reconnaît bien sûr que, en Ituri, il ne porte pas uniquement la responsabilité des pertes en vies humaines directement causées par les UPDF. La Cour, dans son arrêt de 2005, a jugé que l’Ouganda ne s’était pas acquitté de l’obligation qui lui incombait, en tant que puissance occupante en Ituri, de faire preuve de la vigilance requise pour prévenir des faits d’autrui620. Mais la RDC ne peut invoquer ce prononcé pour attribuer à l’Ouganda la responsabilité de tous les décès causés du fait d’autrui en Ituri. Ceux-ci ne pourraient lui être attribués que si la RDC prouvait, «avec un degré suffisant de certitude, que [les massacres commis] aurai[ent] été effectivement empêché[s] si [l’Ouganda] avait adopté un comportement conforme [aux] obligations juridiques» lui incombant en tant que puissance occupante621. Dans son mémoire, la RDC ne tente en rien d’en apporter la preuve suffisante.
5.113. L’Ouganda reconnaît également que, dans son arrêt de 2005, la Cour a considéré qu’il existait «des éléments de preuve crédibles … établissa[nt] que les UPDF [avaient] incité à des conflits ethniques et qu’elles n’[avaient] pris aucune mesure pour prévenir de tels conflits dans le district de l’Ituri»622. Mais une fois de plus, cette conclusion générale, qui ne renvoie à aucun élément de preuve spécifique, ne suffit pas pour attribuer à l’Ouganda la responsabilité des décès occasionnés par les violences ethniques entre Hema et Lendu.
5.114. Conformément à la charge lui incombant à ce stade de la procédure, la RDC doit produire des éléments mettant en évidence des faits d’incitation précis de l’Ouganda ayant entraîné la mort d’individus précis, dûment identifiés. La RDC n’a pas seulement omis de produire de tels éléments, elle n’a en rien tenté de s’acquitter de la charge pesant sur elle à cet égard. Dès lors, il n’est pas possible de se fonder sur les conclusions générales que la Cour a pu formuler pour attribuer à l’Ouganda la responsabilité d’un quelconque nombre de décès résultant de violences ethniques.
5.115. L’affirmation de la RDC selon laquelle l’Ouganda porterait la responsabilité de 60 000 décès en Ituri est donc entièrement dépourvue de fondement.
3. Kisangani
5.116. La RDC affirme que l’Ouganda a causé la mort de 920 personnes à Kisangani623.
5.117. Cette allégation est, elle aussi, dépourvue de fondement, puisque les décès constatés à Kisangani ne peuvent tous être attribués à l’Ouganda. En outre, les éléments que la RDC produit à l’appui de sa prétention relèvent eux aussi de la spéculation, et ne sont pas crédibles.
5.118. S’agissant de l’imputabilité, la RDC cherche à attribuer à l’Ouganda la responsabilité de décès qu’elle a elle-même causés, au motif — erroné — que l’Ouganda aurait «fourni un soutien politique et militaire» à un groupe rebelle et que celui-ci aurait «opéré directement sous [son] commandement»624. Or, la Cour n’a jamais conclu que le RCD était sous le contrôle effectif de
620 Voir chap. 4.
621 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462.
622 Activités armées (2005), par. 209.
623 MRDC, par. 4.64.
624 Ibid., par. 4.09, 4.11, 4.13.
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l’Ouganda, non plus qu’il n’a été établi qu’il s’agissait d’un organe de celui-ci. Le comportement du RCD n’est donc pas attribuable à l’Ouganda.
5.119. La RDC cherche également, de manière inacceptable, à attribuer à l’Ouganda la responsabilité de l’ensemble des décès causés par le Rwanda et par d’autres groupes rebelles non soutenus par l’Ouganda, en arguant à non moins mauvais escient que, «n’eût été» l’intervention de ce pays en RDC, ces décès n’auraient pas été à déplorer625. Pour les raisons exposées au chapitre 4626, cette approche de la causalité est d’ordre trop conjectural ; le lien de cause à effet théorisé est trop dilué pour justifier l’imputation à l’Ouganda de décès causés par le Rwanda et par les groupes rebelles soutenus par celui-ci.
5.120. Quant aux éléments de preuve produits par la RDC, ils ne sont pas assez convaincants pour permettre de conclure, avec un degré élevé de certitude, que l’Ouganda aurait causé la mort de 920 personnes à Kisangani.
a) Août 1998-mai 1999
5.121. Pour la période allant d’août 1998 à mai 1999, la RDC attribue à l’Ouganda la responsabilité de la mort de 26 personnes tuées lors des affrontements d’août-septembre 1998 ou d’un raid aérien, en janvier 1999627. Elle infère ce chiffre de rapports du Groupe Lotus, du Groupe Justice et Libération et du COJESKI. Ces rapports ont été établis bien des mois après les faits628 mais, indépendamment même de ce problème liminaire, ils n’étayent pas l’allégation de la RDC.
5.122. S’agissant des affrontements d’août-septembre 1998, le Groupe Lotus fait état de la mort de 10 civils629, mais affirme que ceux-ci ont été tués par des «rebelles» au cours de combats avec les FAC, et non par l’Ouganda630. Rien ne permet donc, d’un point de vue factuel, d’attribuer le préjudice allégué à ce titre à l’Ouganda. (Il mérite en outre d’être relevé que le Groupe Lotus, à propos de ce même incident, a rapporté que les FAC avaient causé la mort de bien plus de civils que les rebelles et que à la différence de ces derniers ils n’avaient présenté aucune excuse, ni fourni de réparation à la population locale631.)
5.123. S’agissant du raid aérien de janvier 1999, la RDC se fonde sur des informations émanant du Groupe Justice et Libération632 et du COJESKI633, qui présentent de listes différentes (la première dénombrant 10 morts, la seconde en recensant 12). La RDC additionne ces deux
625 MRDC, par. 4.14.
626 Voir chap. 4, sect. I, point D).
627 MRDC, par. 4.20.
628 Ibid.
629 Ibid.
630 Rapport du groupe Lotus de Kisangani (15 oct. 1998), sect. 3.1 et 3.2, MRDC, annexe 4.15.
631 Ibid.
632 Rapport du Groupe Justice et Libération, II (23 mai 1999), p. 3, MRDC, annexe 4.10.b. Le groupe Justice et Libération dénombre 10 décès dus à des tirs des forces aériennes congolaises.
633 Communiqué du 2 août 1998, reproduit en annexe 3 du rapport du groupe Lotus de Kisangani (15 oct. 1998), MRDC, annexe 4.11. Le COJESKI rapporte que 12 personnes ont trouvé la mort à la suite de cet incident.
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chiffres, déduit la seconde occurrence des noms communs aux deux listes, et aboutit ainsi au nombre de 16 victimes du raid aérien dont le décès serait imputable à Ouganda634.
5.124. Les rapports cités ne sont, néanmoins, d’aucune aide à la RDC, car les décès dus à ce raid ne peuvent être attribués à l’Ouganda. Le rapport Mapping rend ainsi compte de cet épisode dans les termes suivants : «Le 10 janvier 1999, un avion des FAC a bombardé sans discrimination la ville de Kisangani, tuant 12 civils et en blessant 27»635. C’est donc la RDC elle-même, et non l’Ouganda qui porte la responsabilité de ces décès (à les supposer établis).
b) Affrontements d’août 1999
5.125. La RDC cherche également à imputer à l’Ouganda la mort d’une centaine de civils tués dans les affrontements ayant opposé, en août 1999, l’APR et les UPDF à Kisangani. Elle semble avoir choisi ce chiffre au hasard, sur la base de différentes sources, qui présentent elles-mêmes des chiffres contradictoires et non confirmés.
5.126. La RDC affirme ainsi que le Groupe Lotus a établi la mort de 100 civils636. Or, il se trouve que l’organisation en question a elle-même mis en doute ce chiffre, qu’elle n’était pas en mesure de vérifier, écrivant : «A en croire les sources humanitaires, 63 personnes civiles auraient succombé. Le chiffre demeure tout de même discutable, dans la mesure où certains corps de civils étaient trouvés revêtus d’uniformes militaires.»637 Le Groupe Lotus ajoute que «[d’]autres sources, par contre, présentent un bilan provisoire d’au moins 100 civils tués»638. Mais il n’apporte aucune indication sur ces sources, aucun gage de leur fiabilité, et n’entreprend en aucun cas de vérifier lui-même ce chiffre.
5.127. La RDC cite également un rapport du COJESKI dénombrant la mort de 175 personnes au cours de la période considérée. Elle admet toutefois qu’il n’y est fait aucune distinction entre militaires et civils639. En outre, ce rapport est pour le moins sujet à caution, car il ne précise pas l’identité des victimes, ni où ni par qui elles ont été tuées. La méthodologie employée n’est pas spécifiée, et il n’est pas indiqué si les chiffres avancés ont été vérifiés640.
5.128. Il est d’autant plus inexplicable que la RDC ait retenu, à partir de ces deux sources non confirmées, le chiffre de 100 civils tués qu’un bilan bien moins élevé a été avancé dans le rapport Mapping. Selon ce dernier, «les militaires de l’APR et de l’UPDF [auraient] fait usage d’armes lourdes dans des zones à forte densité de population civile lors des combats qui les ont
634 MRDC, par. 4.20.
635 Rapport Mapping, par. 360, annexe 25 («Au cours de la période considérée, des avions des FAC ont bombardé à plusieurs reprises les positions de l’ANC/APR/UPDF en province Orientale. L’incident allégué suivant a été documenté : Le 10 janvier 1999, un avion des FAC a bombardé sans discrimination la ville de Kisangani, tuant 12 civils et en blessant 27.»)
636 MRDC, par. 427.
637 Groupe Lotus, «Les conséquences de la contraction des alliances et factions rebelles au nord-est de la République démocratique du Congo La guerre de Kisangani», op. cit., sect. II, par. 3.2, MRDC, annexe 4.18.
638 Ibid.
639 MRDC, par. 4.27 citant : COJESKI, «Dans les provinces occupées de la République démocratique du Congo : les violations massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire au seuil du paroxysme», op. cit., p. 58, MRDC, annexe 4.17.
640 Ibid.
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opposés pour le contrôle de la ville de Kisangani. Ces combats [auraient] provoqué la mort de plus de 30 civils et en [auraient] blessé plus d’une centaine. L’APR a tiré sur des cibles militaires ainsi que sur des résidences privées appartenant à des civils soupçonnés de soutenir les Ougandais»641.
5.129. Ainsi, outre que le nombre de personnes tuées dont il fait état est bien inférieur à celui avancé par la RDC, ce rapport indique que les décès allégués n’ont pas tous été causés par l’Ouganda, le Rwanda ayant (au contraire de celui-ci) pris pour cible des résidences privées.
c) Les affrontements de mai 2000
5.130. La RDC soutient que l’Ouganda a causé la mort de trente civils dans le cadre des combats qui ont opposé l’APR et les UPDF le 5 mai 2000642.
5.131. Ce chiffre est établi à partir des listes de victimes civiles présumées constituées par le Groupe Lotus et le Groupe Justice et Libération643, listes qui n’étayent pourtant en rien son allégation. Si elles fournissent le nom des victimes supposées, elles ne s’accompagnent en effet d’aucune preuve que ces personnes ont effectivement été tuées, ou qu’elles l’ont été par l’Ouganda.
5.132. Comme tant d’autres fois, le chiffre avancé par la RDC est démenti par le rapport Mapping. Bien que les auteurs de celui-ci aient estimé raisonnable de supposer que les affrontements du 5 mai 2000 entre l’APR et les UPDF aient causé la mort de «plus de vingt-quatre civils»644, ils n’ont, là encore, nullement indiqué que tous ces décès seraient imputables à l’Ouganda. De fait, le rapport souligne que, contrairement au Rwanda, l’Ouganda «avait prévenu la population de l’imminence de bombardements et avait demandé l’évacuation de plusieurs périmètres situés à proximité de leurs cibles»645. Ainsi, même si le chiffre de «plus de vingt-quatre» décès avancé dans le rapport Mapping devait être retenu quod non , tous ne pourraient pas être attribués à l’Ouganda.
d) Les affrontements intervenus entre le 5 et le 11 juin 2000
5.133. La RDC prétend que l’Ouganda est responsable de la mort de 760 civils tués dans le cadre des combats que se sont livrés l’APR et les UPDF entre le 5 et le 11 juin 2000. Elle renvoie, à l’appui de cette allégation, à plusieurs sources qui présentent à cet égard des chiffres nettement différents646. Dans l’éventail ainsi proposé, la RDC choisit ce chiffre de 760, apparemment au hasard.
641 Rapport Mapping, par. 361, annexe 25.
642 MRDC, par. 4.34.
643 Ibid. ; J.–P. Badidike (sous la dir. de), Guerre et droits de l’homme en République démocratique du Congo, 2009 (MRDC, annexe 4.10). «Pertes en vies humaines à Kisangani, les dommages résultant des incidents d’août 1998 à la fin mai 1999», MRDC, annexe 4.1.
644 Rapport Mapping, par. 362, annexe 25.
645 Ibid., par. 361-364.
646 MRDC, par. 4.41-4.42 («[L]e troisième rapport du Secrétaire général sur la MONUC, en date du 12 juin 2000, fixe le nombre de civils tués à cette occasion à 150 … [L]e rapporteur spécial sur la situation des droits humains en RDC, Roberto Garreton, estime quant à lui que, «[o]utre quelques combattants, près de 1000 Congolais ont trouvé la mort … [L]a mission d’évaluation interinstitutions créée à la demande du Conseil de sécurité des Nations Unies … indique que … «[p]lus de 760 civils ont été tués».»).
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5.134. La RDC soutient que ce chiffre résulte des enquêtes réalisées par la mission d’évaluation interinstitutions établie à la demande du Conseil de sécurité de l’ONU et dépêchée à Kisangani en 2000647. Or, dans son rapport, celle-ci se borne à affirmer que «plus de 760 civils ont été tués» dans le cadre du conflit entre le Rwanda et l’Ouganda ; il n’est fourni aucun élément de preuve pour le justifier, ni indiqué que l’Ouganda serait seul responsable de la totalité de ces décès648.
5.135. Le rapport interinstitutions doit en outre être interprété à la lumière des conclusions ultérieures du rapport de l’équipe Mapping, qui a estimé raisonnable de supposer que, lors des événements intervenus entre le 5 et le 11 juin 2000, «les deux camps [le Rwanda et l’Ouganda] [avaient] tu[é] entre 244 et 760 civils»649.
5.136. L’ampleur de cette fourchette tend à jeter le doute sur le nombre de morts que la RDC cherche à imputer à l’Ouganda. Comme si souvent, celle-ci semble une fois encore avoir simplement retenu le chiffre le plus élevé possible afin de gonfler au maximum le montant réclamé.
5.137. Quel que soit le chiffre qu’il convienne de retenir, les décès ne pourraient tous être attribués à l’Ouganda. Cela est d’autant plus vrai que le rapport Mapping souligne que, à la différence du Rwanda, les UPDF avaient, dans la période du 5 au 11 juin 2000, «pris certaines dispositions pour éviter les pertes civiles en ordonnant l’évacuation des zones de combat avant le début des hostilités et en interdisant l’accès à trois zones déclarées hors limites pour les non-combattants»650.
*
5.138. La RDC tente également de justifier son allégation selon laquelle l’Ouganda serait responsable de 920 morts à Kisangani en invoquant un certain nombre d’annexes qui reproduisent des listes de victimes.
5.139. La RDC se réfère ainsi à l’annexe 4.5 a), censée synthétiser les travaux de la commission d’experts qu’elle a instituée aux fins de procéder à l’identification des victimes et des dommages que celles-ci ont subis du fait des activités illicites de l’Ouganda651. Cette annexe contient une liste de 922 personnes qui auraient été tuées par celui-ci, étayée, selon la RDC, par «une documentation imposante [rassemblée] sur la base des formulaires remplis»652.
647 MRDC, par. 4.41.
648 Rapport de la mission d’évaluation interinstitutions qui s’est rendue à Kisangani en application du paragraphe 14 de la résolution 1304 du Conseil de sécurité, doc. S/2000/1153 en date du 4 décembre 2000, par. 14, 16, MRDC, annexe 4.24.
649 Rapport Mapping, par. 363, annexe 25.
650 Ibid., par. 363-364 ; citant le groupe Lotus, la RDC prétend en outre que l’Ouganda est responsable de la mort de quatre civils tués par des mines et des explosifs restés après la guerre à Kisangani (MRDC, par. 4.56-4.57). Cette allégation n’est toutefois pas étayée par le rapport du groupe Lotus, qui n’indique nullement que des mines et explosifs auraient été placés ou abandonnés par l’Ouganda, annexe 25.
651 MRDC, par. 4.60.
652 Ibid., par. 4.59-4.60.
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5.140. Or, la RDC n’a pas produit ne serait-ce qu’un seul document étayant les informations contenues dans le tableau de synthèse présenté à l’annexe 4.5 a). A l’instar de tous les autres tableaux qu’elle a communiqués, celui-ci n’a aucune valeur probante. De plus, quand bien même il devrait être admis, il ne fournit, dans de nombreux cas, aucune information quant à la cause, la date ou le lieu du décès653.
5.141. La RDC se réfère en outre à l’annexe 4.6, autre tableau de synthèse qui répertorie 701 victimes alléguées. Elle n’explique toutefois nullement comment ou sur quel fondement cette liste a été établie654. Ce document est donc lui aussi dépourvu de valeur probante.
5.142. La RDC croit également pouvoir invoquer un «fichier, constitué de plus de 10 000 fiches manuscrites couvrant les victimes dans l’ensemble du territoire de la RDC», et qui contient une «évaluation financière des dommages»655. Les informations extraites de ce «fichier» concernant Kisangani sont reproduites à l’annexe 4.7 a), qui dénombre 600 personnes prétendument tuées par l’Ouganda. Là encore, la RDC ne fournit aucun élément de preuve, ni aucune explication sur la manière dont ce chiffre a été obtenu. De plus, 272 des victimes répertoriées ne sont même pas identifiées.
5.143. La RDC n’a donc pas étayé son allégation selon laquelle l’Ouganda aurait causé la mort de 920 personnes à Kisangani.
4. Soldats congolais
5.144. Outre les 180 000 décès de civils dont elle attribue la responsabilité à l’Ouganda, la RDC soutient également que celui-ci a causé la mort de 2 000 soldats des FAC656.
5.145. L’Ouganda tient tout d’abord à faire observer que, ni dans le dispositif ni dans les motifs de son arrêt de 2005, la Cour ne l’a jugé responsable de la mort de soldats congolais, limitant ses conclusions aux seuls décès de civils657. En formulant cette allégation, la RDC dépasse donc le cadre ratione materiae de l’arrêt de 2005 et, partant, ne saurait solliciter réparation du préjudice allégué à raison du décès de soldats.
5.146. De plus, quand bien même la RDC serait en droit d’être indemnisée à ce titre (ce qui n’est pas le cas), sa demande n’est pas justifiée. De fait, l’on ne comprend pas bien comment elle aboutit à un bilan total de 2000 soldats morts. Dans le corps de son mémoire, la RDC ne mentionne que 1000 soldats tués dans la province de l’Equateur658. La source citée, toutefois, évoque un chiffre moins élevé : 800 morts659. La RDC n’explique pas sur quel fondement elle prétend porter ce chiffre tout d’abord à 1000 (au chapitre 2), puis à 2000 (au chapitre 7).
653 Voir notamment RDC, commission d’experts, «Identification des victimes et évaluation du préjudice : personnes tuées», p. 4, 12, 16, 18, 19, 20-25, MRDC, annexe 4.5 a.
654 MRDC, par. 4.61.
655 Ibid., par. 4.62.
656 Ibid., par. 7.14-7.15.
657 Activités armées (2005), par. 345, point 3 du dispositif.
658 MRDC, par. 2.56.
659 Voir ibid., par. 2.55.
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5.147. Par ailleurs, l’incident invoqué concerne des combats entre les FAC et l’ALC (le bras armé du MLC), et non les UPDF. Or, ainsi que l’Ouganda l’a déjà rappelé, la Cour s’est expressément refusée à le tenir pour responsable des actes du MLC660. La RDC ne saurait donc demander à être indemnisée par l’Ouganda à raison de décès causés par l’ALC.
5.148. La seule autre information concernant les pertes en vies humaines dans les rangs des FAC que l’Ouganda a été en mesure de trouver dans le mémoire de la RDC figure en première page de l’annexe 7.4 (qui n’est pas citée dans le corps du mémoire). Il s’agit d’un énième tableau de synthèse qui n’est pas signé et dont on ne connaît ni les conditions d’établissement ni les auteurs, censé répertorier, notamment, les pertes subies par les FAC dans des lieux donnés. Est ainsi avancé un «total des décès répertoriés» de 1501, «estimation» qui passe ensuite, sans aucune explication, à 2000661. De plus, hormis son intitulé, qui renvoie aux dégâts militaires prétendument causés par «l’armée ougandaise et [ses] alliés»662, rien dans le tableau ne relie les décès allégués à l’Ouganda. Plus fondamentalement encore, ce document ne constitue pas un élément de preuve fiable pour toutes les raisons déjà exposées au sujet des autres tableaux de ce type produits par la RDC. Celle-ci ne saurait donc demander à être indemnisée à raison de ces décès, qui n’ont pas été prouvés.
*
5.149. Il s’ensuit que les allégations de la RDC concernant le nombre de décès résultant de l’intervention de l’Ouganda relèvent de la plus pure spéculation et n’ont nullement été justifiées.
III. L’ÉVALUATION DU PRÉJUDICE LIÉ AUX PERTES EN VIES HUMAINES AVANCÉE PAR LA RDC PRÉSENTE DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES
5.150. L’évaluation de l’indemnisation due au titre des pertes en vies humaines proposée par la RDC relève de même de la plus pure spéculation et n’a pas davantage été justifiée.
5.151. Ainsi qu’il a été indiqué en introduction du présent chapitre, la RDC choisit, pour évaluer le montant de l’indemnité due au titre des pertes en vies humaines, de procéder différemment selon que les décès allégués résultent de «violences délibérées» ou de situations «autres que celles d’actes de violence délibérée», selon ses propres termes.
5.152. Dans le premier cas, la RDC évalue l’indemnisation due en se fondant sur celle qu’adjugent, selon elle, les juridictions congolaises aux familles des personnes tuées par le Gouvernement congolais dans le contexte de graves violations du droit international663. Elle avance que les indemnités octroyées s’échelonnent entre 5000 et 100 000 dollars, la moyenne s’établissant supposément à 34 000 dollars664. Elle multiplie ensuite par ce chiffre le nombre allégué de victimes
660 Voir ci-dessus, par. 5.111-5.112.
661 RDC, «Evaluation des dégâts militaires dans les rangs des FARD[C] par l’armée ougandaise et alliés, fait à Kinshasa le 31/08/2016», p. 1, MRDC, annexe 7.4.
662 Ibid.
663 MRDC, par. 7.12.
664 Ibid.
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de violences délibérées (40 000), pour aboutir à 1,36 milliard de dollars665. Ce multiplicateur de 34 000 dollars est tout aussi arbitraire et injustifié que le nombre de victimes allégué par la RDC.
5.153. L’Ouganda fait tout d’abord observer que la RDC n’évoque aucune source autorisée à l’appui de l’argument selon lequel la juste mesure de l’indemnisation doit être appréciée par référence aux décisions des juridictions de l’Etat demandeur. Comme pour nombre d’autres aspects de sa demande, elle n’offre pour toute justification, dans son mémoire, que la simple assertion subjective qu’il serait «raisonnable» de procéder ainsi666.
5.154. De plus, quand bien même le droit interne congolais serait pertinent à l’égard des questions dont la Cour est saisie, encore faut-il que la RDC le démontre, preuves à l’appui667. Or, la RDC ne l’a pas fait, ne versant pas une seule décision de ses juridictions internes ni aucun autre document en émanant montrant quel a été le montant de l’indemnité allouée ; encore moins a-t-elle communiqué des informations permettant de conclure que l’indemnité adjugée se chiffrait effectivement en «moyenne» à 34 000 dollars. N’a donc été produit devant la Cour aucun élément de preuve établissant que les indemnités adjugées par les juridictions congolaises se situent entre 5000 et 100 000 dollars, et s’élèvent en moyenne à 34 000 dollars.
5.155. Dans le même temps, la RDC met elle-même en évidence le caractère manifestement arbitraire des chiffres sur lesquels elle entend se fonder. Elle admet ainsi, dans son mémoire, que «la motivation» des décisions par lesquelles les juridictions congolaises accordent une indemnisation «reste souvent sommaire», certains jugements en étant «totalement dépourvus» ou étant «manifestement arbitraires»668. Par ailleurs, son invocation de décisions tendant au versement d’indemnités par le Gouvernement congolais lui-même ne manque pas d’ironie, puisque, selon le rapport Mapping, celui-ci a systématiquement refusé d’y donner suite669.
5.156. L’évaluation par la RDC pour ce qui est des pertes en vies humaines relevant de situations «autres que celles d’actes de violence délibérée» n’est pas davantage justifiée. La RDC prétend calculer le montant de l’indemnité due à ce titre en se fondant sur les revenus futurs qui auraient été perçus par les victimes si elles avaient atteint l’âge correspondant à l’espérance de vie moyenne en RDC670. Selon la RDC, ce revenu futur serait de 18 913 dollars par victime671.
5.157. La RDC obtient ce chiffre en multipliant deux variables : 1) le nombre moyen d’années de vie perdues par victime (qu’elle chiffre à 25,11) et 2) le revenu moyen escompté pour ces années (elle utilise à cet égard son produit intérieur brut (PIB) par habitant pour 2015, qu’elle estime à 753,20 dollars)672. Or, ni l’une ni l’autre de ces variables n’a lieu d’être retenue.
665 MRDC, par. 7.13.
666 Ibid., par. 7.12.
667 Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. série A no 7, p. 19.
668 MRDC, par. 708.
669 Rapport Mapping, par. 46-53, annexe 25.
670 MRDC, par. 7.09.
671 Ibid.
672 Ibid.
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5.158. La RDC calcule le nombre moyen d’années de vie perdues par victime alléguée (25,11) en soustrayant «[l]’âge moyen des victimes, tel qu’il peut être déterminé sur la base des fiches établies par [s]es enquêteurs» (qu’elle chiffre à 27 ans)673, de la «durée d’espérance de vie qui prévalait en 2003» (qu’elle chiffre à 52,11 ans).
5.159. L’Ouganda ne conteste pas que l’espérance de vie sur laquelle se fonde la RDC soit globalement exacte. D’après les informations publiées sur le site Internet de l’OMS, l’espérance de vie moyenne en RDC est passée de 51,3 à 52,8 ans entre 2000 et 2003674.
5.160. L’âge moyen des victimes alléguées (27 ans) avancé par la RDC soulève en revanche de sérieuses difficultés. Ainsi qu’il a été indiqué, la RDC prétend que ce chiffre a été «déterminé sur la base des fiches établies par [s]es enquêteurs»675. Elle n’indique toutefois nullement quelles fiches, précisément, ont été utilisées, comment ces fiches ont été établies ni comment cette moyenne théorique a été calculée. Il n’existe donc aucun élément permettant de donner quelque crédit à cette affirmation, et moins encore de la vérifier676.
5.161. Le calcul de la RDC repose en outre sur une hypothèse erronée, à savoir que toutes les victimes, quels que soient leur âge, leur situation de famille ou les revenus qu’elles auraient effectivement pu escompter, auraient exercé de manière ininterrompue une activité rémunérée à temps plein jusqu’à leur mort. Cette affirmation apparaît immédiatement indéfendable pour d’évidentes raisons.
5.162. Pour ce qui est de la seconde variable de l’équation de la RDC le revenu moyen des victimes alléguées , l’utilisation du PIB par habitant pour 2015 (qu’elle chiffre à 753,20 dollars) comme variable de substitution pour le revenu annuel escompté est tout aussi indéfendable. Premièrement, le chiffre qu’avance la RDC est inexact. Selon des données de la Banque mondiale qu’elle ne mentionne pas, son PIB par habitant était, en 2015, de 475 dollars (chiffre exprimé en dollars actuels), soit près de 37 % de moins.
5.163. Il est en outre totalement inapproprié d’utiliser un chiffre de 2015 pour calculer une valeur applicable à la période 1998-2003. (Selon la Banque mondiale, le PIB par habitant de la RDC était de 139 dollars en 1998, et de 174 dollars en 2003, les deux chiffres étant exprimés en dollars actuels.)
5.164. Plus fondamentalement encore, le PIB par habitant ne saurait être utilisé comme variable de substitution pour le revenu individuel escompté puisqu’il ne s’agit pas d’un revenu individuel moyen ni d’une approximation raisonnable de celui-ci. De fait, ce n’est qu’un ratio, une
673 MRDC, par. 7.09.
674 OMS, «Life expectancy, Data by country», accessible à l’adresse suivante : http://apps.who.int/ gho/data/node.main.688?lang=en (dernière consultation le 6 juin 2016), annexe 97. Les données ne couvrent pas les années antérieures à 2000.
675 MRDC, par. 7.09.
676 Pour ce qui concerne les formulaires de réclamation et autres informations synthétisées dans ses annexes relatives aux pertes en vies humaines auxquels se réfère la RDC, l’Ouganda a démontré ci-dessus que, dans de nombreux cas, les victimes alléguées n’y sont pas identifiées, et que, dans de nombreux autres, aucun justificatif permettant d’établir la date de naissance ou de décès n’est fourni. Les tableaux de synthèse de la RDC ne sauraient donc fonder le calcul de la moyenne qu’elle avance.
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fraction, dont la partie inférieure le dénominateur correspond à la population totale du pays, et la partie supérieure le numérateur , au PIB total.
5.165. Un représentant du FMI a bien expliqué ce que recouvre le PIB :
«Le PIB mesure la valeur monétaire des biens et services finals c’est-à-dire ceux qui sont achetés par l’utilisateur final produits dans un pays pendant une période donnée (par exemple, un trimestre ou une année). Il prend en considération l’ensemble de la production générée sur le territoire national. Le PIB regroupe les biens et services produits à destination du marché ; il englobe également certaines productions non marchandes, telles que les services de défense ou d’éducation fournis par le gouvernement.»677
5.166. Bien au-delà du revenu des habitants d’un pays, le PIB couvre donc «l’ensemble de la production générée sur le territoire national». Il tient compte de la valeur générée et des revenus engrangés par les sociétés commerciales, et même par le gouvernement. Il inclut également les richesses qui, bien que créées dans le pays, n’y sont pas restées, telles que les bénéfices des sociétés étrangères.
5.167. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) indique quant à elle :
«Le PIB par habitant, conçu comme un indicateur du produit total généré par l’activité économique d’un pays, est souvent utilisé pour mesurer le bien-être matériel de la population. Or, l’intégralité de ce produit ne finit pas nécessairement dans le porte-monnaie des ménages. Une partie peut être retenue par l’Etat aux fins de la constitution de fonds souverains ou du remboursement de ses dettes ; une autre, par les entreprises, pour équilibrer leur bilan ; une autre encore, par les sociétés mères établies à l’étranger, qui souhaitent rapatrier les bénéfices de leurs filiales.»678
5.168. Dans la mesure où le PIB par habitant englobe de nombreux éléments sans rapport avec le revenu individuel (notamment les produits générés par le gouvernement ou les sociétés), ainsi que des fonds rapatriés dans d’autres pays, sa valeur excède nettement toute estimation raisonnable du revenu individuel. Selon un cabinet d’analyse économique, il constitue «un indicateur important des résultats économiques et une unité de mesure utile aux fins des comparaisons du niveau de vie moyen et de la prospérité économique de différents pays. Toutefois, il ne s’agit pas d’un instrument de mesure du revenu personnel»679.
5.169. Le revenu par habitant serait plus approprié pour mesurer le revenu individuel moyen. Or, il n’existe pas de données à cet égard concernant la RDC dans les statistiques de la Banque
677 T. Callen, Fonds monétaire international, «Gross Domestic Product: An Economy’s All», accessible à l’adresse suivante : http://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/basics/gdp.htm (dernière consultation le 29 juillet 2017), annexe 99.
678 OCDE Insights, Debate and Issues, «Statistical Insights: What does GDP per capita tell us about households’ material well-being?», accessible à l’adresse suivante: http://oecdinsights.org/2016/10/06/gdp-per-capita-households-material-w… (dernière consultation le 6 octobre 2016), annexe 98.
679 FocusEconomics, «What is GDP per capita?», accessible à l’adresse suivante : https://www.focus-economics.com/economic-indicator/gdp-per-capita (dernière consultation le 24 janvier 2018) (les italiques sont de nous), annexe 103.
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mondiale. En effet, si celle-ci s’efforce de rendre compte du revenu des ménages par habitant pour tous les pays dans sa base de données sur les «indicateurs du développement dans le monde», le champ correspondant n’a pas été renseigné dans le cas de la RDC680. Il convient donc de rechercher ailleurs les données concernant le revenu par habitant en RDC.
5.170. Heureusement, celui-ci a fait l’objet, en RDC, d’un certain nombre d’estimations, lesquelles sont toutes sensiblement identiques, quoiqu’elles ne cadrent pas avec le chiffre avancé par cet Etat dans son mémoire. La RDC a en effet elle-même fourni, dans d’autres circonstances, des estimations de ce revenu individuel moyen. Toutes sont nettement moins élevées que les chiffres qu’elle présente maintenant :
Expliquant les difficultés rencontrées par les Congolais luttant contre le VIH/sida, le Gouvernement de la RDC indiquait ainsi, dans un rapport de juillet 2006 consacré à la réduction de la pauvreté :
«Avec près de 100 $ US de revenu annuel par habitant, le coût annuel du traitement aux Anti-Rétro-Viraux (ARV) soit 360 $ US par personne, constitue un fardeau rendant la prise en charge hors de portée de la majorité des ménages affectés, et du réseau familial de solidarité.»681
Dans un autre rapport cité par l’ONU, il indiquait que le revenu par habitant et par jour avait chuté entre les années 1970 et 2004, notant qu’il était passé de 0,30 dollar en 1998 à moins de 0,20 dollar (soit 73 dollars par an) en 2004682.
5.171. Des rapports émanant d’autres sources fiables contiennent également des estimations du revenu congolais par habitant qui sont à peu près identiques et bien inférieures au chiffre de 753 dollars retenu par la RDC. A titre d’exemple, le Conseil économique et social (ECOSOC) notait dans un rapport de 2007 que «l’UNICEF dans son document programme 2007 pour la République démocratique du Congo … estim[ait] à 120 dollars E.-U. [le revenu] par an et par tête d’habitant»683.
5.172. En chiffrant à 753 dollars en moyenne la perte de revenu par victime et par an, la RDC avance ainsi une estimation qui est en contradiction flagrante avec les chiffres qu’elle-même et que des organismes extérieurs ont publiés. Il est en outre impossible d’admettre le chiffre avancé eu égard à la pauvreté et au chômage généralisé dont le Gouvernement de la RDC a maintes fois fait le constat détaillé. Les faits ci-après, par exemple, mentionnés dans son Document de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté de juillet 2006 attestent l’ampleur des problèmes que connaît le pays :
680 Banque mondiale, «Indicateurs du développement dans le monde», accessible à l’adresse suivante : http://databank.worldbank.org/data/reports.aspx?source=world-developmen… (dernière consultation le 31 janvier 2018).
681 République démocratique du Congo (RDC), «Document de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté» (juillet 2006), par. 174 (les italiques sont de nous), annexe 59.
682 ECOSOC, Application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, deuxième, troisième, quatrième et cinquième rapports périodiques, soumis en un seul document, en vertu des articles 16 et 17 du Pacte, République démocratique du Congo, doc. E/C.12/COD/5 en date du 14 août 2007 (ci-après le «rapport relatif à l’application du Pacte», par. 111, annexe 22 citant le ministère du plan de la RDC, «Document de stratégie de réduction de la pauvreté», fév. 2004, point 2.2, par. 23 et par. 3.
683 Rapport relatif à l’application du Pacte, par. 111 (les italiques sont de nous), annexe 22.
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«Les indicateurs du développement humain (éducation, santé, accès aux biens et services socio-économiques), de la prévalence du VIH/Sida, du cadre de vie, et de la protection sociale, confirment non seulement le diagnostic [d’extrême pauvreté] ci-haut, mais établissent aussi, que la pauvreté en RDC est un phénomène de masse, généralisé, et chronique. Le diagnostic établit également que les facteurs individuels et collectifs qui expliquent la pauvreté et la vulnérabilité des populations sont notamment : i) la structure de la famille ; ii) le niveau d’instruction (chef de ménage, parents) ; iii) l’emploi et iv) la province de résidence.»684
«Pour l’ensemble du pays, l’incidence de la pauvreté (71,34 %) est très élevée si on la compare à celle des autres pays de l’Afrique centrale. Il en est également de la profondeur (32,23 %) et de la sévérité de la pauvreté (18,02 %).»685
5.173. Le Gouvernement de la RDC a publié en 2011 un rapport de «deuxième génération» relatif à la réduction de la pauvreté686 qui brossait un tableau non moins sombre :
«En RDC, sept ménages sur dix sont pauvres avec une disparité entre milieu rural où environ huit ménages sur dix sont pauvres et milieu urbain où moins de sept ménages sur dix sont pauvres.»687
«La question de l’emploi constitue une préoccupation majeure de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté en RDC. L’enquête 1-2-3 de 2005 montre que la plupart des pauvres sont au chômage ou en situation de sous-emploi. Par ailleurs, on déplore le nombre élevé d’enfants travailleurs et un taux élevé de chômage qui frappe la tranche de la population de 15-35 ans.»688
(Dans son mémoire, la RDC affirme que les défunts avaient, en moyenne, 27 ans, ce qui les placerait dans une tranche d’âge frappée de manière disproportionnée par le chômage.)
5.174. Un rapport de 2007 de l’ECOSOC689 dressait un tableau tout aussi préoccupant de l’ampleur du chômage :
«En 2000, l’emploi a représenté 2 % de la population totale, 4 % de la population active et 8 % de la population active masculine.»690
«Les travailleurs salariés représentent 7 %, cette faible proportion indique qu’il y a effondrement de l’emploi moderne en République démocratique du Congo. Le volume de la main-d’oeuvre salariée qui était de 8 % en 1958 est tombé à 2 % en 1997.»691
684 RDC, «Document de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté» (juillet 2006), par. 9, annexe 59.
685 RDC, ibid., par. 58, annexe 59.
686 RDC, «Document de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté, deuxième génération, 2011-2015», vol. I (oct. 2011), par. 20 («Il importe de préciser que cette analyse du profil de pauvreté faite dans ce document est basée sur les données de l’enquête 1-2-3 de 2005, en absence de nouvelles enquêtes.»), annexe 42.
687 RDC, «Document de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté, deuxième génération, 2011-2015», op. cit., par. 17.
688 République démocratique du Congo, «Document de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté, deuxième Génération, 2011-2015», op. cit., par. 238 (original français).
689 Rapport relatif à l’application du Pacte, annexe 22.
690 Rapport relatif à l’application du Pacte, par. 58, annexe 22.
691 Rapport relatif à l’application du Pacte, par. 61, annexe 22.
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5.175. Indépendamment de tous ces aspects, à supposer que l’ensemble des personnes qui seraient décédées en RDC aient exercé une activité rémunérée et que le revenu moyen et non le PIB par habitant soit dûment employé pour évaluer le montant de l’indemnisation due à raison de décès consécutifs à un fait illicite, la question n’en serait pas réglée pour autant.
5.176. D’un point de vue purement économique, les dommages-intérêts doivent être calculés de manière à permettre aux ayants droit de se maintenir dans la situation qui aurait été la leur si la vie de leur proche ne s’était pas achevée prématurément. Telle est précisément l’optique que le Royaume-Uni a adoptée et que la Cour a retenue dans l’affaire du Détroit de Corfou. Des économistes spécialisés dans ce domaine ont fait observer que, pour apprécier la valeur d’une vie perdue pour la famille du défunt, les sommes que celui-ci aurait dépensées pour sa propre consommation ou qui n’auraient, pour toute autre raison, pas profité à ses proches survivants devaient être soustraites de son revenu futur escompté692. Il s’agit de garantir que les survivants ne bénéficient pas d’une «manne» sous la forme de sommes qu’ils n’auraient pas perçues si leur proche avait vécu.
5.177. L’économiste Burton Weisbrod a ainsi estimé la valeur de la vie en se fondant sur les «revenus attendus, nets de la consommation, partant de la notion que la mort de l’individu entraîne non seulement une perte de contribution productive, mais aussi une perte de créances sur la consommation future»693. Et, dans un autre ouvrage fréquemment cité, les économistes Dublin et Lokta ont «défini … la valeur de l’homme comme étant la valeur actualisée de ses revenus futurs nets, à savoir ses revenus futurs bruts moins ce qu’il consomme ou dépense pour lui-même»694.
5.178. Comme l’Ouganda l’a souligné tout au long de ce chapitre, la RDC n’a présenté aucun élément de preuve permettant d’établir avec un tant soit peu de précision le nombre de personnes décédées du fait des actions illicites de l’Ouganda, leur identité, leur âge, leur statut professionnel ou le montant de leurs revenus (le cas échéant). La RDC n’ayant pas non plus fourni le moindre élément dont pourrait se déduire, fût-ce approximativement, la part des revenus utilisée par un ressortissant congolais pour subvenir à ses propres besoins, rien ne permet de quantifier la proportion de ceux-ci qu’il s’agirait de retrancher.
5.179. La seule chose que l’on puisse conclure avec certitude est qu’une part du chiffre correspondant au revenu annuel moyen qui, selon les rapports de la RDC, était d’environ 73 dollars en 2004, et de «près de» 100 dollars en 2006 doit en être retranchée afin de rendre
692 Même parmi les économistes qui ne défalqueraient pas, aux fins de l’évaluation, la consommation du défunt dans tous les cas, certains pourront convenir qu’il faudrait la déduire si l’objectif était de quantifier l’impact économique de son décès pour sa famille. Rashi Fein a ainsi reconnu que
«le chiffre net (valeur brute moins la consommation) calculé par Dublin et Lotka pour déterminer la valeur monétaire de la vie d’un homme pour sa famille [était] correct aux fins visées par les auteurs … Il est vrai que l’homme consomme en partie pour subvenir à ses propres besoins et, en ce sens, une partie de sa consommation peut être considérée comme un investissement brut aux fins d’amortissement». D. Rice, B. Cooper, «La valeur économique de la vie humaine», American Journal of Public Health, vol. 57, no 11 (nov. 1967), p. 1959 citant R. Fein, Economics of Mental Illness (New York, Basic Books, 1958).
En revanche, Rashi Fein jugeait cette déduction inappropriée dans le cas qui l’occupait car il évaluait l’effet de la disparition de la personne «sur la société», et non (comme nous le faisons ici) sur sa famille, annexe 70.
693 B. A. Weisbrod, Economics of Public Health (1961), tel que présenté in J. S. Landefeld, E. Seskin, «La valeur économique de la vie humaine : Rapprocher théorie et pratique», American Journal of Public Health, vol. 72, no 6 (juin 1982), p. 556, annexe 71.
694 D. Rice, B. Cooper, «La valeur économique de la vie humaine», American Journal of Public Health, vol. 57, no 11, op. cit., p. 1955, annexe 70, faisant référence à L. I. Dublin et A. J. Lotka, The Money Value of a Man (1946), chap. 2, p. 6-21.
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dûment compte de la contribution que le défunt aurait apportée au revenu familial par année. En outre, quel que soit le chiffre qu’il puisse paraître plus juste de retenir, en l’absence des éléments de preuve requis, celui de 753 dollars par an avancé par la RDC est à l’évidence indéfendable.
*
5.180. Pour l’ensemble des raisons exposées dans le chapitre ci-dessus, tant le nombre de décès que la RDC impute à l’intervention de l’Ouganda que la valeur qu’elle prétend attribuer à chaque vie perdue relèvent de la pure spéculation et n’ont nullement été justifiées.
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CHAPITRE 6 LES DEMANDES DE LA RDC EN RELATION AVEC DES DOMMAGES AUX PERSONNES AUTRES QUE LES PERTES EN VIES HUMAINES PRÉSENTENT DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES ET NE SONT PAS ÉTAYÉES
6.1. La RDC réclame la somme de 304 775 800 dollars des Etats-Unis (ci-après «dollars») à titre d’indemnités dues pour les dommages aux personnes autres que les pertes en vies humaines dont elle affirme que l’Ouganda est la cause. Ce montant se décompose comme suit :
54 464 000 dollars à raison des préjudices corporels695 ;
33 458 000 dollars à raison des violences sexuelles696 ;
30 000 000 dollars à raison du recrutement, de l’entraînement et de l’utilisation d’enfants-soldats697 ; et
186 850 800 dollars à raison des déplacements de populations698.
6.2. De même que celles relatives aux pertes en vies humaines, ces demandes de la RDC non seulement présentent des failles méthodologiques mais encore relèvent de la pure spéculation. La RDC n’a pas, pour ces demandes non plus, apporté la preuve de faits précis imputables à l’Ouganda et à l’origine de cas précis de dommages personnels, et encore moins démontré le bien-fondé de l’évaluation qu’elle fait de ces dommages. Partant, elle n’a pas donné à la Cour matière à lui adjuger les indemnités qu’elle sollicite au titre de ce chef de dommage.
6.3. A la section I du présent chapitre, il sera démontré que les demandes de la RDC ne sont pas fondées sur les méthodes et éléments de preuve habituellement employés pour établir la matérialité de dommages aux personnes en droit international. A la section II, il sera montré que la RDC n’a pas apporté la preuve de faits précis imputables à l’Ouganda qui auraient entraîné des cas précis de tels dommages. Enfin, à la section III, il sera montré que, en sus de ne pas être étayée par des éléments de preuve, l’évaluation que fait la RDC des dommages aux personnes qu’elle allègue est entachée de failles méthodologiques.
I. LES DEMANDES DE LA RDC NE REPOSENT PAS SUR LES MÉTHODES OU LES ÉLÉMENTS DE PREUVE HABITUELLEMENT EMPLOYÉS POUR ÉTABLIR LE BIEN-FONDÉ D’UNE DEMANDE D’INDEMNISATION AU TITRE DE DOMMAGES AUX PERSONNES
6.4. De même que pour les demandes relatives aux pertes en vies humaines, il importe de souligner dès en amont que celles que présente la RDC au titre de dommages aux personnes ne reposent pas sur les méthodes ou les éléments de preuve que les Etats et les juridictions internationales ont désormais coutume d’employer pour établir l’existence de tels dommages et le bien-fondé de l’évaluation qui en est donnée.
695 MRDC, par. 7.21.
696 Ibid., par. 7.25.
697 Ibid., par. 7.28.
698 Ibid., par. 7.32.
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6.5. Un examen de la pratique montre que le bien-fondé d’une demande d’indemnisation au titre de dommages aux personnes sera établi sur la base de plusieurs éléments. Il faudra ainsi : 1) identifier les personnes supposées avoir été blessées ; 2) détailler le préjudice subi, notamment sa nature, en précisant la date et le lieu où il a été causé ; 3) démontrer l’existence d’un lien de causalité entre ce préjudice et le comportement de l’Etat défendeur ; 4) identifier, parmi les victimes, les personnes qui exerçaient une activité rémunérée et déterminer dans quelle mesure le préjudice subi a été pour elles à l’origine d’un manque à gagner ; et 5) justifier les frais correspondant aux soins médicaux et autres dépenses encourus en conséquence du préjudice699.
6.6. Ces éléments sont en général établis par des preuves documentaires contemporaines des dommages allégués, complétées par des déclarations sous serment de personnes ayant subi ou soigné les blessures, ou de dirigeants locaux connaissant bien les faits en question. Le manque à gagner est habituellement déterminé au moyen de preuves spécifiques des revenus que percevait effectivement la victime ou de justificatifs concernant des personnes exerçant le même type d’activité professionnelle que la victime. Les frais correspondant à des soins médicaux et autres dépenses sont établis grâce aux dossiers cliniques et autres dossiers médicaux ou d’hospitalisation, ou encore aux déclarations sous serment des victimes ou de professionnels de la santé.
6.7. C’est dans cette optique qu’a procédé la Cour, lorsqu’elle a fixé le montant de l’indemnisation due au titre de dommages aux personnes dans l’affaire du Détroit de Corfou700, ainsi qu’il a été indiqué au chapitre 3. C’est également l’approche observée dans la pratique des juridictions régionales des droits de l’homme701, les décisions relatives aux réparations rendues par la CPI702, et les accords de règlement négociés entre Etats703.
6.8. Ainsi, dans les cas de violences sexuelles et d’autres dommages personnels dont a été saisie la Cour interaméricaine des droits de l’homme, les victimes ont présenté des expertises médicales et psychologiques704, des certificats de naissance, des déclarations sous serment détaillées, des informations sur leur activité professionnelle, des justificatifs de revenus (fiches de paie, par exemple) ou de dépenses (pour l’achat de médicaments, par exemple), et autres
699 Voir, de manière générale, E. M. Borchard, The Diplomatic Protection of Citizens Abroad or the Law of International Claims (1916) ; J. H. Ralston, The Law and Procedure of International Tribunals (1926) ; M. M. Whiteman, Damages in International Law (1937) ; A. H. Feller, The Mexican Claims Commissions, 1923-1934: A Study in the Law and Procedure of International Tribunals (1935) ; G. H. Hackworth (sous la dir. de), Digest of International Law, vol. 5 (1943) ; R. B. Lilich (sous la dir. de), International Law of State Responsibility for Injuries to Aliens (1983) ; C. Gray, Judicial Remedies in International Law (1987). Voir également CPI, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, affaire n° ICC-01/04-01/06, décision fixant le montant des réparations auxquelles Thomas Lubanga Dyilo est tenu (chambre de première instance II, 15 déc. 2017) (ci-après la «décision relative aux réparations en l’affaire Lubanga (15 déc. 2017)»), p. 37, p. 40 ; Afro-Descendant Communities Displaced From the Cacarica River Basin (Operation Genesis) v. Colombia (Communautés afro-descendantes déplacées du bassin du fleuve Cacarica c. Colombie, arrêt, exceptions préliminaires, réparations et frais (CIDH, 20 nov. 2013) (ci-après «Communautés afro-descendantes déplacées» (20 nov. 2013)»).
700 Détroit de Corfou (réparation, 1949), p. 244.
701 Voir D. Shelton, Remedies in International Human Rights Law, op. cit., p. 315-375.
702 Décision relative aux réparations en l’affaire Lubanga (15 déc. 2017) ; Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, affaire n° ICC-01/04-01/07-3728, ordonnance de réparation en vertu de l’article 75 du Statut (chambre de première instance II, 24 mars 2017).
703 Voir, de manière générale, R. B. Lillich, International Claims: Postwar British Practice (1967) ; B. H. Weston, International Claims: Postwar French Practice (1971); B. Weston & R. Lillich., International Claims: Their Settlement by Lump Sum Agreements (1975); B. H. Weston et al., International Claims: Their Settlement by Lump Sum Agreements, 1975-1995 (1999).
704 Voir, par exemple, Loayza Tamayo v. Peru/Loayza Tamayo c. Pérou, arrêt, réparations et frais (CIDH, 27 nov. 1998), par. 29-32.
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documents705. L’Erythrée et l’Ethiopie ont produit des éléments de preuve analogues devant leur commission des réclamations, qui a jugé particulièrement convaincants les récits des témoins oculaires, corroborés par les témoignages de médecins ayant eux-mêmes traité les victimes de viol706. La commission a, en revanche, écarté les allégations de violences sexuelles «ne comportant tout au plus que des allusions ou des références non détaillées aux viols» allégués707.
6.9. Des personnes déplacées et d’anciens enfants-soldats, y compris en RDC, ont également produit ce type d’éléments de preuve devant d’autres juridictions internationales. Les 531 personnes déplacées dans le cadre de l’opération «Genesis» dont le cas a été soumis à la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont ainsi soumis un grand nombre d’éléments établissant en détail le préjudice qu’ils avaient subi et le lien de cause à effet entre ce préjudice et le comportement illicite de l’Etat défendeur (en l’occurrence, la Colombie)708. Au nombre de ces éléments figuraient :
des déclarations sous serment rendant compte dans le détail des déplacements et des conditions d’hébergement dans des foyers, y compris en décrivant concrètement la surpopulation, les conditions de couchage déplorables, la promiscuité et le manque d’eau et de nourriture709 ;
des déclarations faites au Bureau du procureur par des témoins et des membres de groupes paramilitaires démobilisés710, ainsi que des documents émanant de cours et tribunaux (par exemple une ordonnance de mise en détention et d’autres décisions rendues par des instances pénales711) établissant que l’opération faisait partie d’une stratégie visant à occuper les territoires et à «terroriser la population civile non combattante pour la forcer au départ»712 ; et
des estimations détaillées du manque à gagner subi (ainsi que de la valeur des biens perdus)713.
6.10. Ainsi qu’il a été indiqué au chapitre 5, la CPI a déterminé le montant des réparations dues dans le contexte spécifique du conflit armé en RDC, notamment dans les décisions qu’elle a rendues en 2017 relativement aux affaires Katanga et Lubanga. Dans le cadre de l’affaire Katanga, un certain nombre de demandeurs qui réclamaient réparation à raison de déplacements forcés ont soumis des preuves documentaires établissant l’existence du préjudice dont ils s’étaient déclarés victimes, sous la forme de cartes de réfugiés ou d’attestations de familles de réfugiés (émanant souvent de l’Ouganda). Ce nonobstant, la Chambre a conclu que le lien de causalité rattachant le préjudice à M. Katanga n’était pas établi714, et qu’elle n’était donc pas «en mesure de lier [l]e
705 Voir Loayza Tamayo v. Peru/Loayza Tamayo c. Pérou, arrêt, réparations et frais (CIDH, 27 nov. 1998), par. 41 ; Molina Theissen v. Guatemala/Molina Theissen c. Guatemala, arrêt, réparations et frais (CIDH, 3 juillet 2004), par. 52-53.
706 CREE, Eritrea’s Central Front Claims, sentence partielle, Front central Réclamations de l’Erythrée nos 2, 4, 6, 7, 8 et 22, décision du 28 avril 2004, par. 80.
707 CREE, Ethiopia Western-Eastern Front Claims, sentence partielle, Fronts oriental et occidental Réclamations de l’Ethiopie nos1 et 3, décision du 19 décembre 2005, par. 55.
708 Communautés afro-descendantes déplacées (20 novembre 2013), par. 411, 415, 417.
709 Ibid., par. 118.
710 Ibid., par. 112, note 205.
711 Ibid., par. 114, note 211, par. 112, notes 206 et 211.
712 Ibid., par. 114.
713 Ibid., par. 466.
714 CPI, Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, affaire n° ICC-01/04-01/07-3728, ordonnance de réparation en vertu de l’article 75 du Statut (chambre de première instance II, 24 mars 2017), par. 111.
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préjudice matériel et/ou psychologique» à l’attaque spécifique dont M. Katanga avait été déclaré coupable715.
6.11. Dans l’affaire Lubanga, qui avait trait au recrutement d’enfants-soldats en Ituri, et dont la question des réparations a été récemment tranchée par la CPI, nombre des 473 demandeurs ont, pour établir leur identité716 et ce qu’ils avaient enduré, présenté des déclarations signées, des dépositions de témoins corroborant leurs dires, des photographies et des attestations de démobilisation717. Pour établir le lien de causalité rattachant le préjudice au comportement de M. Lubanga, ils devaient démontrer qu’ils avaient été enrôlés dans les rangs de l’UPC ou des FPLC, ou avaient participé aux activités de celles-ci, entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003, et qu’ils avaient moins de 15 ans au cours de cette même période718. Ils ont été nombreux à pouvoir apporter la preuve requise sous forme de documents d’identité, de déclarations sous serment, de dépositions de témoins, de photographies et d’attestations de démobilisation719.
6.12. La RDC a omis de fournir le moindre élément de preuve comparable en la présente espèce. Elle n’a pas produit de documents 1) attestant l’identité des personnes qui auraient subi un préjudice corporel ; 2) décrivant en quoi consistait ce préjudice ; 3) établissant un lien de causalité entre ce dernier et un comportement attribuable à l’Ouganda ; ou 4) apportant des précisions sur le manque à gagner, les frais correspondant à des soins médicaux ou toutes autres dépenses. Elle se garde d’entrer dans le détail, préférant se fonder sur des assertions extrêmement générales qu’elle puise dans des sources non confirmées, conjuguées à des multiplicateurs choisis de manière arbitraire, quand il ne s’agit pas d’estimations faites au juger.
II. LA RDC N’A PAS APPORTÉ LA PREUVE DE L’AMPLEUR DES DOMMAGES AUX PERSONNES QUI RÉSULTERAIENT D’ACTIONS SPÉCIFIQUES DE L’OUGANDA
6.13. Dans les sections qui vont suivre, l’Ouganda montrera que la RDC n’a pas apporté la preuve de faits spécifiques qui lui seraient imputables et auraient été à l’origine de dommages aux personnes spécifiques, que ce soit en ce qui concerne a) les préjudices corporels, b) les violences sexuelles, c) le recours à des enfants-soldats ou d) les déplacements de populations. Pour chacune de ces catégories, l’Ouganda relève que la RDC n’a pas produit d’éléments ni, a fortiori, d’éléments convaincants rendant compte de manière cohérente d’incidents qui auraient causé des préjudices corporels à des personnes données, en des lieux et à des moments précis, et dans
715 CPI, Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, affaire n° ICC-01/04-01/07-3728, ordonnance de réparation en vertu de l’article 75 du Statut (chambre de première instance II, 24 mars 2017), par. 138. L’un des demandeurs, le demandeur a/0013/08, a présenté un document montrant qu’il avait été admis à l’hôpital le 26 février 2003, et une photographie de lui-même, pansé. Ibid., annexe II, par. 1961-1963. Il ressortait de la date et de l’emplacement de l’établissement que son hospitalisation était liée à l’attaque de Bogoro. Une autre demanderesse, la demanderesse a/1205/10, a produit un rapport d’expertise montrant qu’elle avait été blessée au cours de cette attaque spécifique. Ibid., par. 2741-2743.
716 Dont des cartes d’électeur, des cartes d’impôt personnel et des cartes d’étudiant et d’élève. Lubanga, décision relative aux réparations (15 décembre 2017), par. 68.
717 Ibid., par. 44. Un certain nombre de demandeurs ont produit des photographies les montrant, enfants, en uniforme de soldat ou arborant un tatouage d’appartenance à la milice, des attestations de sortie d’un groupe armé et des déclarations de chefs de village attestant que le préjudice allégué résultait de l’appartenance à la milice. Ibid., par. 44 et 62. La commission nationale de la démobilisation et réinsertion (la «CONADER») et plusieurs ONG ont fourni des attestations de démobilisation à d’anciens enfants-soldats. Ibid., par. 98. La Chambre a été en mesure d’analyser la cohérence interne des déclarations des demandeurs, et a prêté attention au niveau de détail des faits relatés, et notamment aux lieux, dates, noms, conditions de vie au sein de la milice, ainsi qu’aux circonstances dans lesquelles les intéressés avaient été enrôlés et avaient quitté la milice. Ibid., par. 63, 64.
718 Ibid., par. 66.
719 Ibid., par. 42, 63-68.
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lesquels auraient été impliqués des membres des forces armées ougandaises ou autres protagonistes dont elle aurait démontré que le comportement était attribuable à l’Ouganda. La RDC ne cherche pas davantage à fournir des informations sur la nature exacte des préjudices censés avoir été subis, se contentant de les classer par catégories générales incluant les violences sexuelles, le recours à des enfants-soldats et les déplacements de populations.
6.14. Comme elle l’a fait dans le cadre de ses demandes relatives aux pertes en vies humaines, la RDC suit une stratégie qui revient essentiellement à invoquer les conclusions générales auxquelles la Cour est parvenue dans son arrêt de 2005 comme justifiant, en elles-mêmes, ses demandes de réparation. La RDC ne fournit que des informations d’ordre très général, dont la crédibilité, dans la plupart des cas, laisse à désirer, en mettant en avant quelques incidents présentés à titre «illustrati[f]», dans l’espoir de voir la Cour procéder par extrapolation et lui adjuger sur ce fondement des indemnités colossales. Or, conformément à sa jurisprudence constante, la Cour a déjà indiqué qu’elle ne saurait se contenter d’une telle approche en l’espèce. Il incombe à la RDC, à ce stade a-t-elle dit , «de démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable»720. Or, la RDC ne s’est pas acquittée de cette charge.
A. La RDC n’a pas apporté la preuve du nombre, de la nature et de l’ampleur des préjudices corporels qui résulteraient d’actions spécifiques de l’Ouganda
6.15. La RDC chiffre à 32 140 le nombre de personnes ayant subi des préjudices corporels imputables à l’Ouganda721. Ce chiffre recouvre 20 000 prétendues victimes d’«actes de violence délibérés» en Ituri, et 12 140 prétendues victimes d’actes survenus dans d’autres circonstances en Ituri, à Kisangani et ailleurs722.
6.16. Pour apprécier le bien-fondé de ces prétentions, il convient bien sûr de partir de ce que la Cour a dit et n’a pas dit dans son arrêt de 2005 sur le fond.
6.17. Dans le dispositif de cet arrêt, la Cour a conclu que les forces armées ougandaises avaient violé le droit international relatif aux droits de l’homme et le droit international humanitaire en commettant «des actes de torture et autres formes de traitement inhumain à l’encontre de la population civile congolaise»723. Elle a également jugé que les soldats ougandais avaient «manqué d’établir une distinction entre cibles civiles et militaires et de protéger la population civile lors d’affrontements avec d’autres combattants» et avaient «incité au conflit ethnique»724. En outre, elle a estimé que l’Ouganda avait manqué, en tant que puissance occupante en Ituri, de prendre les mesures visant à respecter et à faire respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire725. En dehors de ces conclusions générales, la Cour n’a pas expressément fait mention de préjudices corporels dans le dispositif de son arrêt.
720 Activités armées (2005), par. 260 (les italiques sont de nous).
721 MRDC, par. 7.18-7-21.
722 Ibid («attaques délibérées» ; «en dehors des situations où les populations civiles ont été spécifiquement visées par des actes de violence»).
723 Activités armées (2005), par. 345, point 3 du dispositif.
724 Ibid.
725 Ibid.
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6.18. Au présent stade, il appartient à la RDC d’apporter la preuve des préjudices exacts subis du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda entrant dans le cadre de ces conclusions générales. Or, elle ne l’a pas fait pour ce qui est des préjudices corporels qui auraient été causés 1) en Ituri, 2) à Kisangani ou 3) ailleurs.
1. Ituri
6.19. La RDC affirme que 30 000 personnes ont subi «des blessures graves en conséquence du manquement par l’Ouganda à ses obligations en tant que puissance occupante de l’Ituri entre 1998 et 2003»726. Elle n’aboutit pas à ce chiffre sur la base d’éléments se rapportant à des cas précis de personnes ou de groupes de personnes blessées lors d’incidents survenus dans des endroits précis de l’Ituri et à des dates précises au cours de la période pertinente. Elle n’explique pas davantage sur quel fondement elle fait la part entre les différents types de préjudices, en fonction de leur gravité ou de leur nature. Pour cette seule raison, la Cour devrait refuser de faire droit à cet aspect de sa demande. En outre, même à admettre les chiffres avancés par la RDC, la méthodologie adoptée par celle-ci est fondamentalement erronée.
6.20. D’après le mémoire de la RDC, le chiffre de 30 000 victimes de «blessures graves» est le résultat d’un «mode de calcul conservateur»727. Celui-ci repose sur quatre prémisses :
premièrement, la RDC soutient que 60 000 personnes ont trouvé la mort au cours du conflit en Ituri ;
deuxièmement, elle postule que le nombre de personnes blessées dans cette région représente «la moitié» de ce chiffre728 ;
troisièmement, elle «estime» que, sur 30 000 personnes théoriquement blessées, 20 000 ont été «victimes de violences délibérées dirigées contre les populations civiles», et 10 000 ont «subi des blessures ou des mutilations dans d’autres circonstances liées aux conflits» qui ont déchiré l’Ituri729 ; et
quatrièmement, elle avance l’hypothèse que, sur 20 000 victimes de violences délibérées, 15 000 ont été gravement blessées, les 5000 autres entrant dans la catégorie des blessés légers730.
Tous ces chiffres sont tirés de simples conjectures.
6.21. La prémisse initiale sur laquelle repose la prétention de la RDC à savoir que l’Ouganda aurait causé la mort de 60 000 personnes en Ituri est entièrement dépourvue de
726 MRDC, par. 3.28.
727 Ibid.
728 Ibid.
729 Ibid., par. 3.29. (Le passage complet se lit comme suit : «Il apparaît logique, dans les circonstances de l’espèce, d’appliquer à ce nombre la même ventilation que celle retenue pour les vies humaines. En l’occurrence, la RDC estime donc que les deux tiers (soit 20 000 personnes) des blessés ou mutilés ont été victimes de violences délibérées dirigées contre les populations civiles. Le tiers restant (soit 10 000 personnes) représente quant à lui la partie des habitants de l’Ituri qui ont subi des blessures ou des mutilations dans d’autres circonstances liées aux conflits qui ont déchiré cette région entre 1998 et 2003.»)
730 Ibid., par. 7.18.
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fondement, ainsi qu’il a été démontré au chapitre 5731. Cette prétention s’appuie sur un unique rapport de l’ONU, qui fait état d’une estimation du nombre de morts en Ituri, non corroborée, sans rattacher le moindre des décès ainsi dénombrés à l’Ouganda.
6.22. La Cour a, par le passé, fait montre de prudence à l’égard des rapports de l’ONU, en reconnaissant que leur valeur probatoire variait en fonction, notamment, de deux facteurs: 1) les éléments de preuve sous-jacents utilisés pour les établir ; 2) l’existence de matériaux les corroborant732. Le rapport de l’ONU sur lequel se fonde la RDC ne fournit aucun élément de cette nature à l’appui de l’estimation du nombre de décès, et cette estimation n’est pas davantage corroborée par quelque autre source. En outre, le rapport ne fait état d’aucun lien entre l’Ouganda et les décès dont le nombre est ainsi estimé733. A cet égard, il est notable que le rapport désigne un certain nombre d’autres auteurs de violences, mais non l’Ouganda. De fait, il reconnaît indirectement que ce dernier a contribué à endiguer la violence734.
6.23. La deuxième prémisse sur laquelle repose le «mode de calcul conservateur» auquel a recours la RDC à savoir que le nombre de personnes blessées en Ituri pourrait, sans que l’on sache en vertu de quoi, être présumé correspondre à «la moitié» des 60 000 personnes qui auraient trouvé la mort au cours de la même période est également dépourvue de fondement.
6.24. La RDC, dans son mémoire, n’apporte littéralement aucun élément à l’appui du ratio entre morts et blessés en Ituri qu’elle postule. Elle tente de justifier ce ratio en affirmant qu’il «est très inférieur à celui relevé dans divers conflits récents»735. A titre d’exemple, elle évoque le rapport de 1 à 8 entre les soldats français tués et blessés en Afghanistan entre 2001 et 2012, et un rapport de 1 à 3 pour les soldats de l’armée des Etats-Unis engagés au Viet Nam736. Même à admettre l’exactitude de ces ratios, ceux-ci sont dépourvus de toute pertinence en l’espèce. Ils renvoient à des conflits on ne peut plus différents, concernent non pas des civils, mais des soldats, et du reste, ils ont été contestés par d’autres sources. De fait, la différence notable entre les ratios évoqués (1 pour 8 d’un côté, et 1 pour 3 de l’autre) ne fait que souligner la nécessité de se montrer prudent lorsque l’on procède par généralisation. Il ne se dégage aucune constante capable de s’appliquer à d’autres situations de conflit, a fortiori celle de la RDC.
6.25. Plus fondamentalement encore, il a été montré au chapitre 4 que le recours à des multiplicateurs et ratios dont le choix n’est pas motivé n’avait pas sa place dans une procédure judiciaire737. Comme l’avait conclu la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, l’utilisation de multiplicateurs et «l’addition mécanique de multiples facteurs», outre qu’elles sont sans précédent en droit international, sont «arbitraires et dépourvues de fondement juridique»738.
731 Voir chap. 5, sect. II B) 2).
732 Voir Croatie c. Serbie (2015), par. 239, citant Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (fond, 1986), par. 62.
733 Voir chap. 5, sect. II B) 2).
734 Conseil de sécurité, Deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2003/566 en date du 27 mai 2003, par. 10 ; MRDC, annexe 3.6 ; MRDC, par. 3.22.
735 MRDC, par. 3.28. («Le ratio entre morts et blessés retenu en l’espèce par la RDC dans ce contexte particulier est très inférieur à celui relevé dans divers conflits récents.»)
736 Ibid., par. 3.29, note 267.
737 Voir chap. 4, sect. II B).
738 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 62-63.
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6.26. La troisième prémisse sur laquelle s’appuie la RDC consistant à répartir en deux catégories les 30 000 prétendues victimes, et à affirmer que 20 000 d’entre elles auraient subi des violences délibérées, et 10 000 d’autres types de violences est également erronée. La seule pseudo-justification qu’apporte la RDC est qu’une telle ventilation «apparaît logique», puisque c’est celle qu’elle a retenue dans le cadre de ses demandes relatives aux décès allégués en Ituri739. Or, il n’y a là rien de logique. La RDC n’a produit aucun élément justifiant la répartition qu’elle a proposée dans le cadre de ses demandes relatives aux pertes en vies humaines. Le seul fait de la reprendre dans le contexte de ses demandes relatives aux dommages aux personnes ne la rend pas plus valable. Dans les deux cas, la RDC se contente de postuler une conclusion qu’il lui faut étayer.
6.27. La dernière prémisse sur laquelle se fonde la RDC, à savoir que, sur 20 000 victimes de violences délibérées, 15 000 auraient été grièvement blessées, tandis que 5000 seraient des blessés légers, présente les mêmes lacunes740. La RDC ne produit pas le moindre élément de preuve à l’appui de ces assertions. Il n’y a dès lors pas même matière à examiner celles-ci, et encore moins de raisons d’y ajouter foi.
6.28. Loin d’être «conservateur», le «mode de calcul» adopté par la RDC repose entièrement sur une accumulation de postulats relevant de la pure spéculation. Les chiffres qu’avance la RDC ne sont pas fondés sur des éléments prouvant avec un degré élevé voire un quelconque degré de certitude le nombre de personnes blessées du fait du comportement illicite de l’Ouganda.
6.29. Les propres tableaux soumis par la RDC, qui sont censés compiler les données figurant dans les formulaires de réclamation relatifs aux préjudices corporels (que la RDC n’a pas produits), viennent clairement contredire l’allégation selon laquelle 30 000 personnes auraient subi des préjudices de cette nature du fait d’actions de l’Ouganda en Ituri741. L’un des tableaux, intitulé «Rapport fréquence type lésions de 1998 à 2003 : Ituri»742, soumis à l’annexe 1.3 du mémoire de la RDC, ne répertorie que 197 victimes de préjudices corporels en Ituri743. Un autre, intitulé «Victimes_Lésion_ITURI», en dénombre 454744. Quel que soit le chiffre exact si tant est que l’un des deux le soit , les chiffres déduits des propres formulaires de réclamation de la RDC n’ont rien à voir avec celui de 30 000 victimes que celle-ci a mis en avant.
6.30. Du reste, même les chiffres contradictoires apparaissant dans les tableaux de la RDC sont dépourvus de crédibilité, pour les raisons qui ont été explicitées aux chapitres 3 et 5. Bien que ces tableaux soient censés synthétiser les informations figurant dans les formulaires de réclamation recueillis aux fins de la présente espèce, la RDC n’a pas versé au dossier ces formulaires eux-mêmes. Il est donc impossible de vérifier la justesse des informations dont la synthèse nous est présentée.
739 MRDC, par. 3.23, 3.29. («Il apparaît logique, dans les circonstances de l’espèce, d’appliquer à ce nombre la même ventilation que celle retenue pour les pertes de vies humaines.»)
740 Ibid., par. 7.18.
741 Logiciel permettant de consulter les fiches individuelles des victimes (uniquement en format électronique), MRDC, annexe 1.3 ; MRDC, par. 1.35.
742 MRDC, annexe 1.3.
743 Voir le tableau «Rapport Fréquence Type Lésions de 1998 à 2003», figurant dans le dossier «Liste Type Lésion et leur fréquence ITURI», p. 1, MRDC, annexe 1.3. Le nombre total, incluant les viols simples et les viols aggravés, est de 513. Puisque la RDC traite des cas de viol dans un chapitre distinct, le chiffre à retenir ici doit être celui correspondant aux personnes victimes d’autres types de préjudices corporels (513-316 = 197).
744 Voir «Evaluation Lésions», dans le fichier «Victimes_Lésion_ITURI», p. 18, MRDC, annexe 1.3.
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6.31. L’Ouganda observe encore que, même à leur ajouter foi, les tableaux synthétiques sur lesquels s’appuie la RDC ne nous apprennent pas grand-chose. Ainsi, dans le cas du tableau intitulé «Victimes Lésion Ituri», 327 des 454 victimes alléguées ne sont pas même identifiées745. Seules apparaissent les mentions «non signalé», «deuxième personne», «troisième personne», sur la base de déclarations qu’auraient faites des tiers. En outre, les préjudices corporels qui auraient été subis ne sont pas précisés, non plus que les dates et lieux. Il n’est pas davantage fait état de l’identité du responsable présumé ; il n’a pas même été tenté d’établir un lien de causalité entre le préjudice corporel allégué et l’Ouganda.
6.32. A titre d’exemple, un extrait du tableau intitulé «Victimes Lésion Ituri» est reproduit ci-dessous746 :
Il est utile de rappeler ici une fois de plus la mise en garde de la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie : «Il ne peut y avoir d’évaluation [rigoureuse] lorsque la réclamation porte sur des myriades de victimes hypothétiques.»747
6.33. S’évertuant à fonder sur des faits son évaluation au juger, la RDC fournit des exemples de préjudices corporels imputés aux UPDF et à divers autres acteurs en Ituri, sur la base de plusieurs rapports de l’ONU748. L’Ouganda conteste ces allégations mais, même à en admettre le bien-fondé, ces exemples ne viennent pas étayer les demandes de la RDC. Au contraire, ils montrent à quel point le nombre de victimes de préjudices corporels invoqué par la RDC est dépourvu de fondement.
6.34. La RDC, dans son mémoire, ne mentionne des chiffres spécifiques que dans deux cas. «Il est par exemple fait mention de 30 civils blessés à la suite des combats menés par l[es] UPDF pour reprendre la ville de Bunia en mars 2003, de 80 civils grièvement blessés dans l’attaque de la
745 Voir «Evaluation Lésions» dans le fichier «Victimes_Lésion_ITURI», p. 18, MRDC, annexe 1.3
746 Ibid., p. 1.
747 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 64.
748 MRDC, par. 3.25-3.28.
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paroisse de Drodro et des villages environnants, le 3 avril 2003»749. Elle invoque, à l’appui de ses dires, le rapport spécial de la MONUC sur les événements en Ituri. Or, les allégations que contient ce rapport sont des plus nuancées. Ce n’est qu’au conditionnel qu’est évoquée la possible implication des UPDF750 ; en outre, il y est précisé que celles-ci ont «rétabli l’ordre le 8 mars [2003]»751 et qu’elles ont, par ailleurs, contesté la version des faits dont il est rendu compte752.
6.35. En conséquence, s’agissant de l’Ituri, la RDC n’a pas établi 1) que les préjudices corporels invoqués ont effectivement été infligés ; 2) que les soldats ougandais en sont directement à l’origine ; 3) que ces préjudices sont la conséquence d’un comportement que des acteurs non-étatiques auraient observé sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de l’Ouganda; ou 4) que ces préjudices auraient été effectivement empêchés si l’Ouganda avait adopté un comportement conforme aux obligations lui incombant en tant que puissance occupante753.
2. Kisangani
6.36. La RDC soutient, sur le fondement de rapports émanant d’ONG et de l’ONU, que l’Ouganda est responsable de préjudices corporels causés à 1937 personnes à Kisangani754. Cette allégation est, dans une certaine mesure, plus ciblée que les autres du point de vue temporel, les blessés présumés étant associés à des périodes particulières : 37 personnes jusqu’à mai 1999 ; 100 en août 1999 ; 100 en mai 2000 et 1700 en juin 2000755. Toutefois, ainsi qu’en témoignent ces chiffres presque tous ronds, la RDC persiste à présenter ses allégations sans soumettre systématiquement des éléments de preuve se rapportant à des cas précis de personnes ou de groupes de personnes blessées lors d’incidents survenus en des lieux précis et à des dates précises, et du fait d’actes précis imputables à l’Ouganda. Les chiffres qu’elle invoque reposent intégralement sur des informations très générales, associées à des hypothèses infondées et arbitraires. Aussi, et sur ce seul fondement, la Cour peut rejeter les demandes présentées par la RDC au titre des dommages aux personnes causés à Kisangani, d’autant que ces demandes sont également entachées d’autres vices au regard du droit et de l’administration de la preuve.
6.37. Premièrement, la RDC prétend que l’Ouganda est responsable de préjudices causés par des groupes rebelles sur lesquels il n’avait aucun contrôle, sans fournir la moindre preuve d’un lien de causalité entre ces préjudices et une quelconque action de l’Ouganda. Ainsi, pour ce qui est de la période allant jusqu’à mai 1999, la RDC attribue à l’Ouganda la responsabilité des blessures causées à 36 personnes lors des hostilités ayant opposé le RCD et les FAC en janvier 1999756, se fondant à cet effet sur l’hypothèse erronée selon laquelle il aurait fourni ««un soutien politique et militaire»» au RCD qui, soutient-elle, ««opé[rait] directement sous … commandement [ougandais]»»757. Or, ainsi qu’il a été rappelé au chapitre 4, la Cour, dans son arrêt de 2005, n’a pas considéré que les agissements du RCD ou de tout autre groupe rebelle fussent attribuables à
749 MRDC, par. 3.25.
750 Conseil de sécurité, Rapport spécial de la MONUC sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003), doc. S/2004/573 en date du 16 juillet 2004, par. 73 et 75, MRDC, annexe 1.6.
751 Ibid., par. 74.
752 Ibid., par. 76, MRDC, annexe 1.6.
753 Voir chap. 4, sect. II B) 2).
754 MRDC, par. 4.65.
755 Ibid., par. 4.64.
756 Ibid., par. 4.21.
757 Ibid., par. 4.09, 4.11, 4.13.
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l’Ouganda758. La responsabilité des préjudices corporels qui ont pu être causés par le RCD ne saurait donc, sans autre justification, être attribuée à l’Ouganda.
6.38. De plus, selon le rapport du Projet Mapping, c’est la RDC elle-même, et non le RCD, qui a causé les préjudices supposés de janvier 1999, en procédant, le 10 janvier 1999, au bombardement aveugle de Kisangani759.
6.39. Deuxièmement, les propos que la RDC prête aux sources qu’elle cite sont inexacts. Ainsi qu’il a été rappelé au chapitre 3, la Cour, dans son arrêt de 2005, a refusé de se fonder sur les rapports de l’International Crisis Group et de Human Rights Watch au motif, notamment, qu’en réalité ils ne disaient pas ce que la RDC leur faisait dire760. Le même problème se pose ici.
6.40. La RDC prétend par exemple que l’Ouganda est responsable des blessures causées à 100 personnes en mai 2000. Elle fonde cette allégation sur les rapports de deux ONG congolaises, le Groupe Lotus et le Groupe Justice et Libération, qui ont établi la liste de 79 et 32 noms respectivement761. Il semble que la RDC ne retienne ni l’un ni l’autre de ces chiffres, ni la moyenne des deux, mais les additionne plutôt avant d’arrondir la somme obtenue, affirmant : «On peut ici tabler, en considération des probables doublons, sur un nombre de 100 victimes»762. Or, étant donné que, dans leur grande majorité, les noms figurent sur chacune des deux listes, il est tout à fait discutable que la RDC s’appuie sur un chiffre supérieur à ceux indiqués dans l’un et l’autre des rapports763. Plus important encore, ces deux documents ne désignent aucunement l’Ouganda comme étant le responsable des blessures causées. Ni l’un ni l’autre ne peuvent donc étayer l’allégation de la RDC.
6.41. Troisièmement, les sources de la RDC n’apportent aucun élément de preuve sous-jacent et ne sont pas corroborées. Elles ont en outre été remises en question par des rapports établis ultérieurement. Ainsi, les auteurs du rapport du Projet Mapping, qui ont examiné l’ensemble des sources citées par la RDC, n’ont pas été en mesure de confirmer les chiffres avancés, se contentant de conclure qu’un «nombre indéterminé» de personnes avaient été blessées lors des affrontements de mai 2000 entre les UPDF et l’APR764.
758 Voir chap. 4, partie I A).
759 Rapport Mapping, par. 360, annexe 25.
760 Activités armées (2005), par. 159. D’autres juridictions ont fait preuve de la même prudence. La commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie s’est ainsi montrée circonspecte à l’égard de rapports et autres documents émanant d’organisations non gouvernementales, craignant peut-être que ceux-ci ne reposent sur des informations incomplètes ou découlant d’allégations infondées formulées par l’un ou l’autre des deux Etats. Sean D. Murphy et al., Litigating War: Mass Civil Injury and the Eritrea-Ethiopia Claims Commission (2013), p. 193.
761 «Annexe 2 Blessés à Kisangani», p. 3-13, MRDC, annexe 4.2, citant Groupe Lotus, Les rivalités ougando-rwandaises à Kisangani: la prise en otage de la population civile (mai 2000), MRDC, annexe 4.19 (quoique la RDC prétende que le rapport dresse la liste de 80 personnes, on n’y trouve que 79 noms), et Groupe Justice et Libération, «La guerre des Alliés à Kisangani (du 5 mai au 10 juin 2000) et le droit à la paix», MRDC, annexe 4.10.d). (La RDC fournit 32 noms qu’elle prétend tirer d’une annexe à ce rapport, qu’elle n’a pas produite.)
762 MRDC, par. 4.35.
763 Groupe Lotus, Les rivalités ougando-rwandaises à Kisangani : la prise en otage de la population civile (mai 2000), MRDC, annexe 4.19 ; Groupe Justice et Libération, «La guerre des Alliés à Kisangani (du 5 mai au 10 juin 2000) et le droit à la paix», MRDC, annexe 4.10.d.
764 Rapport Mapping, par. 362, annexe 25.
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6.42. Citant le rapport de la mission d’évaluation interinstitutions à Kisangani (le «rapport interinstitutions»), la RDC affirme en outre que l’Ouganda est responsable des blessures causées à 1700 personnes dans cette ville en juin 2000765. Or, dans le rapport, ce chiffre est qualifié de simple estimation766. Le rapport du Projet Mapping, qui revient également sur le rapport interinstitutions, fournit un autre chiffre, indiquant que «plus de mille» personnes ont été blessées lors des affrontements de juin 2000 entre les UPDF et l’APR, là encore, sans préciser combien l’ont été à la suite d’actes imputables à l’Ouganda767.
6.43. Quatrièmement, les sources que cite la RDC n’établissent pas le lien de causalité requis entre les préjudices corporels subis et l’Ouganda. Aucune n’indique que celui-ci serait responsable de l’intégralité du nombre estimé de préjudices. Il est, de fait, précisé dans le rapport du Projet Mapping que, lors des affrontements de mai 2000, l’Ouganda avait, contrairement au Rwanda, «prévenu la population de l’imminence de bombardements et avait demandé l’évacuation de plusieurs périmètres situés à proximité de leurs cibles» avant le début des hostilités768. Pour ce qui concerne les événements de juin 2000, le rapport indique que «[les] UPDF [avaient] pris certaines dispositions pour éviter les pertes civiles en ordonnant l’évacuation des zones de combat avant le début des hostilités et en interdisant l’accès à trois zones déclarées hors limites pour les non-combattants»769.
6.44. Enfin, les éléments de preuve présentés par la RDC elle-même contredisent le chiffre annoncé de 1937 blessés à Kisangani770. Le mémoire de la RDC contient différentes listes de victimes alléguées, manifestement établies à partir des formulaires de réclamation supposément recueillis. La RDC fournit un tableau qui récapitule, par nombre et type de lésion, les préjudices corporels qui auraient été causés à Kisangani entre 1998 et 2003. Sont recensées au total 752 atteintes à l’intégrité physique (hors violences sexuelles)771. Cependant, certaines victimes ne sont pas identifiées et d’autres, bien que nommées, semblent avoir présenté plusieurs plaintes sans qu’aucune justification ne soit fournie à cet égard. Un extrait de cette liste est reproduit ci-dessous772 :
765 MRDC, par. 4.44-4.46.
766 Rapport de la mission d’évaluation interinstitutions qui s’est rendue à Kisangani en application du paragraphe 14 de la résolution 1304 du Conseil de sécurité, doc. S/2000/1153 en date du 4 décembre 2000, par. 16, MRDC, annexe 4.24. (Le texte original anglais du rapport contient le terme «estimated» qui n’a pas été traduit dans la version française.)
767 Rapport Mapping, par. 363, note 599, annexe 25.
768 Ibid., par. 362.
769 Ibid., par. 363.
770 MRDC, par. 4.65.
771 Tableau intitulé «Rapport Fréquence Type Lésions de 1998 à 2003» dans le fichier «Liste Type Lésion et leur fréquence KISANGANI», p. 1, MRDC, annexe 1.3.
772 Tableau intitulé «Evaluation Lésions» dans le fichier «Victimes_Lésion_KISANGANI», p. 40, MRDC, annexe 1.3.
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6.45. Un autre tableau censé lister les victimes de Kisangani par commune annonce un
nombre total de 672773 ; un troisième tableau fournit quant à lui le chiffre de 684 personnes
blessées774. Ces chiffres ne coïncident donc nullement entre eux, et n’atteignent pas même la moitié
des chiffres avancés dans le mémoire de la RDC.
6.46. Il s’ensuit que la RDC n’a pas démontré, en en apportant la preuve, le préjudice exact
qu’elle aurait subi, s’agissant des préjudices corporels infligés à Kisangani, du fait d’actions
spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable.
3. Autres lieux (Beni, Butembo et Gemena)
6.47. La RDC soutient que l’on peut, dans d’autres lieux que le district de l’Ituri et la ville de
Kisangani, «établir avec certitude» que l’Ouganda est à l’origine des blessures causées à «203
[personnes]… (130 pour Beni, 68 pour Butembo et 5 pour Gemena)»775. Ces chiffres sont pourtant
loin d’être certains, et les demandes de la RDC à cet égard doivent donc être rejetées pour absence
de preuve.
6.48. Tout d’abord, l’annexe 2.2 du mémoire de la RDC indique un nombre théorique de
blessés à Butembo de 54, et non de 68 comme la RDC le prétend776. Si cet écart peut sembler
minime, la récurrence des erreurs de calcul de la RDC finit par mettre en doute la fiabilité de tous
les chiffres qu’elle avance.
773 «Tableau de synthèse Effectif Lésions» dans le fichier «TableauSynthèseEffectifLésion_1998_à_2003», p. 1,
MRDC, annexe 1.3.
774 Tableau intitulé «Evaluation Lésions» dans le fichier «Victimes_Lésion_KISANGANI», p. 42, MRDC,
annexe 1.3.
775 MRDC, par. 2.75.
776 La RDC recense les préjudices corporels et les viols dans le même tableau ; elle donne un nombre total de 74
cas dont 20 viols présumés, ce qui ramène à 54 (74-20) les préjudices corporels présumés. «Rapport Fréquence Type
Lésions de 1998 à 2003», p. 19, MRDC, annexe 2.2.
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6.49. En tout état de cause, les demandes de la RDC concernant les préjudices corporels
causés à Beni, Butembo et Gemena sont exclusivement fondées sur les tableaux figurant sous
l’annexe 2.2., qui sont censés résumer les informations figurant sur les fiches individuelles (non
produites). A l’instar des autres tableaux récapitulatifs de la RDC, l’annexe 2.2. ne fournit aucun
détail, ne prétendant même pas indiquer la cause, la nature et la gravité des atteintes alléguées777.
En outre, nombre des victimes ne sont pas identifiées, comme le montre l’extrait suivant de la liste
concernant Butembo778 :
6.50. Aucun élément ne permet donc de confirmer l’exactitude des informations résumées
dans l’annexe 2.2.
*
6.51. Pour les motifs précédemment exposés, il s’ensuit que la RDC n’a pas apporté la
preuve du «préjudice exact» qu’elle aurait subi, s’agissant des préjudices corporels, du fait
d’actions illicites spécifiques de l’Ouganda.
B. La RDC n’a pas apporté la preuve de cas de violences sexuelles
qui résulteraient d’actions spécifiques de l’Ouganda
6.52. La RDC affirme que l’Ouganda est responsable des dommages subis par 1730 victimes
présumées de violences sexuelles779, dont 1100 victimes de «viol aggravé»780 et 630 victimes de
«viol simple»781. (La RDC définit le «viol aggravé» comme un viol accompagné d’autres mauvais
traitements ou ayant causé une infection par maladie sexuellement transmissible ou une fausse
couche782). Sur ce nombre total de cas de viols, 1710 auraient eu lieu en Ituri783, 18 à Kisangani784
et 12 dans d’autres régions785.
777 «Rapport Fréquence Type Lésion de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.2.
778 Ibid., p. 23.
779 MRDC, par. 7.24.
780 Ibid.
781 Ibid., par. 7.24.
782 Ibid., par. 7.22.
783 Ibid., par. 3.32.
249
250
- 147 -
6.53. Nous commencerons par relever que la Cour, dans l’arrêt de 2005, n’a formulé aucune conclusion sur des faits de violences sexuelles, ni même mentionné de tels faits. La RDC n’en a elle-même pas davantage parlé au cours de la procédure orale sur le fond. Son silence à ce sujet dans ses exposés et l’absence de toute conclusion de la Cour sur des faits spécifiques de violences sexuelles susceptibles d’avoir engagé la responsabilité de l’Ouganda semblent montrer clairement que cette catégorie de préjudice corporel n’a pas été prise en considération dans l’arrêt de 2005. Aucune demande d’indemnisation présentée par la RDC relativement à des viols présumés ne saurait donc être accueillie à ce stade de l’affaire.
6.54. La Cour a conclu de manière générale que les forces ougandaises avaient commis «des actes de torture et autres formes de traitement inhumain à l’encontre de la population civile congolaise»786. Les violences sexuelles étant une forme de «traitement inhumain»787 et de «torture»788, imputer de tels actes à l’Ouganda est une allégation extrêmement grave qui aurait dû être soumise et examinée au stade du fond.
6.55. Indépendamment de cette condition minimale, les allégations de violences sexuelles formulées par la RDC présentent les mêmes lacunes, s’agissant des moyens de preuve, et les mêmes failles, sur le plan juridique, que ses demandes relatives aux décès et autres préjudices corporels.
6.56. La RDC calcule en deux étapes le nombre de victimes de viol. Elle tire d’abord un chiffre des tableaux qu’elle a elle-même établis aux fins du présent différend tableaux dont les auteurs ne sont pas indiqués ni les données, vérifiées. Ensuite, recourant à sa méthode désormais familière, elle applique un facteur arbitraire, multipliant par cinq le nombre de victimes déterminé à la première étape. Or, ni le nombre initialement retenu ni sa multiplication par cinq ne peuvent fonder une allégation crédible.
6.57. Au sujet de l’Ituri, la RDC dit que «[s]euls 342 cas de viols ont pu [y] être répertoriés par les enquêteurs congolais», dont, précise-t-elle, «122 cas de viols simples et 220 cas de viols aggravés»789. Elle affirme que ces chiffres «résulte[nt] d’une utilisation du logiciel confectionné par [ses soins] aux fins de la présente procédure» dont les résultats sont joints à son mémoire sous l’annexe 1.3790.
6.58. La RDC suppute ensuite que
784 MRDC, par. 7.24. Dans un autre chapitre du mémoire, la RDC affirme que l’Ouganda est responsable de 13 viols à Kisangani. Ibid., par. 4.60 b.
785 Ibid. Dans un autre chapitre du mémoire, la RDC affirme que l’Ouganda est responsable de 60 viols dans d’autres régions du pays. Ibid., par. 2.79.
786 Activités armées (2005), par. 345, point 3 du dispositif.
787 Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Le Procureur c. Duško Tadić, affaire n° IT-94-1-T, jugement (chambre de première instance) du 7 mai 1997 et opinion jointe; Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Prosecutor against Alex Tamba Brima, Brima Bazzy Kamera, Santigie Borbor Kanu, affaire n° SCSL-04-16-A, arrêt (chambre d’appel) du 22 février 2008, par. 202.
788 Voir TPIY, Le Procureur c. Kvočka et consorts, affaire n° IT-98-30/1-T, jugement (chambre d’appel) du 2 novembre 2001; Le Procureur c. Mucić et consorts, affaire n° IT-96-21-T, jugement (chambre de première instance) du 16 novembre 1998, p. 172 ; dans cette instance connue sous le nom d’Affaire Čelebići, le tribunal a considéré que des viols constituaient des actes de torture.
789 MRDC, par. 3.32.
790 Ibid., par. 3.32, note 274; ibid., par. 7.24.
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252
- 148 -
«[e]u égard, d’une part, à la pratique générale qui consiste à ne pas déclarer de tels
faits et, de l’autre, à l’importance du recours au viol comme arme de guerre contre les
populations civiles en Ituri … le nombre réel de viols dont l’Ouganda est
responsable… se monte à un nombre cinq fois plus élevé que ceux qui ont été
déclarés, soit 1710 cas»791.
Elle conclut que c’est «ce nombre qui sera retenu comme base de [sa] demande de
réparation … pour cette catégorie de dommages»792, ajoutant que «[l]a même ventilation que celle
résultant des fiches [établies par les enquêteurs congolais] sera opérée, donnant une projection de
610 cas de viols simples et de 1100 cas de viols aggravés»793.
6.59. S’agissant de Kisangani, la RDC affirme que l’Ouganda s’y est rendu responsable de
18 viols794. Elle se fonde à cet égard sur un tableau élaboré par sa commission d’experts aux fins du
présent différend, joint sous l’annexe 4.5.b de son mémoire, qui recense 15 (et non 18) victimes
présumées de viol.
6.60. Pour ce qui est des cas recensés dans d’autres régions, la RDC s’appuie une fois de
plus sur les tableaux de synthèse figurant dans les fiches «établies par [son] équipe d’enquête» à
partir des formulaires de réclamation remplis par les victimes. Elle indique que ces tableaux, qui
sont joints sous l’annexe 2.2 de son mémoire et qui recensent tous les types de préjudices corporels
y compris les viols, «ne permettent de prouver … que l’existence de 12 viols (2 cas recensés pour
Beni, 10 pour Butembo)».795 Nous reproduisons ci-dessous le tableau figurant à l’annexe 2.2 d’où
la RDC tire le nombre de viols qui, selon elle, auraient été commis à Beni (aucune autre référence
ou information concernant des viols commis à Beni n’est fournie par ailleurs) :
La RDC affirme en outre que l’on peut «raisonnablement estimer que le nombre réel de viols dont
l’Ouganda est responsable … se monte à un nombre cinq fois plus élevé que ceux qui ont été
déclarés, soit 60 cas.»796
6.61. Rien ne vient étayer les chiffres sur lesquels s’appuie la RDC. Comme il a été dit plus
haut, les documents joints sous les annexes 1.3, 2.2 et 4.5 contiennent de simples listes qui
énoncent, sans les attester, l’identité des victimes ou des agresseurs présumés et les circonstances
791 MRDC, par. 3.32.
792 Ibid.
793 Ibid.
794 Ibid., par. 7.24.
795 Voir ibid., par. 2.79, où il est fait référence à la rubrique «Rapport Fréquence Type Lésions de 1998 à 2003»,
MRDC, annexe 2.2.
796 Ibid., par. 2.79.
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des faits dénoncés. Aucun élément crédible ne permet donc de confirmer les chiffres invoqués, ni
de justifier la ventilation entre «viol simple» et «viol aggravé»797.
6.62. De fait, les chiffres figurant à l’annexe 1.3 ne correspondent même pas à ceux qui sont
avancés par la RDC (soit 122 viols simples et 220 viols aggravés) :
797 MRDC, par. 3.32; rubrique «Rapport Fréquence Type Lésions de 1998 à 2003», dossier «Liste Type Lésion et
leur fréquence ITURI», MRDC, annexe 1.3.
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6.63. Et, là encore, la plupart des victimes ne sont pas nommément identifiées798 :
798 Rubrique «Evaluation lésions», fichier «Victimes_Lésion_ITURI», p. 4, MRDC, annexe 1.3.
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- 151 -
6.64. Sous l’annexe 4.5.b est produite une liste ostensiblement longue de personnes victimes
de blessures, lésions ou viols dont les auteurs ne sont pas identifiés ou seulement désignés par le
vague terme de «militaires», comme on peut le voir dans les extraits suivants799 :
Seuls quatre cas sont attribués à des militaires ougandais, sans autre précision ni justification. Par
conséquent, rien ne permet de conclure que les victimes recensées sur cette liste aient subi un
préjudice corporel par suite de faits illicites de l’Ouganda.
6.65. La décision de la RDC de multiplier par cinq le nombre de viols recensés participe
d’une simple conjecture et est dépourvue de tout fondement en fait ou en droit. Hormis affirmer de
manière générale que la plupart des violences sexuelles ne sont pas dénoncées, la RDC ne fournit
dans son mémoire aucun élément crédible qui puisse justifier son choix du facteur cinq. Elle
semble avoir choisi celui-ci au hasard, tout comme les pourcentages et les multiplicateurs qu’elle
applique aux décès et aux préjudices corporels. Cette inflation arbitraire de ses demandes n’est
étayée d’aucune preuve et n’a pas lieu d’être examinée par un tribunal.
6.66. La «projection» de la RDC, qui applique la «même ventilation» entre «viol aggravé» et
«viol simple»800 au nombre total de viols commis selon elle en Ituri (soit 342 x 5 = 1710, selon le
résultat de sa multiplication), est tout autant dénuée de fondement. La RDC se borne à déclarer que
«[l]a même ventilation que celle résultant des fiches [établies par les enquêteurs congolais] sera
opérée, donnant une projection de 610 cas de viols simples et de 1100 cas de viols aggravés»801.
Elle ne donne aucune raison ou explication à l’appui de cette affirmation, qui n’est qu’une simple
hypothèse.
6.67. Il s’ensuit que la RDC n’a pas démontré, en en apportant la preuve, le préjudice exact
qu’elle aurait subi, s’agissant des préjudices corporels résultant de violences sexuelles, du fait
d’actions spécifiques de l’Ouganda commises en violation du droit international.
799 RDC, commission d’experts, «Identification des victimes et évaluation des dommages : blessures, lésions
corporelles, viols et autres», p. 30-31, MRDC, annexe 4.5.b.
800 MRDC, par. 3.32.
801 Ibid., par. 3.32.
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C. La RDC n’a pas apporté la preuve d’un préjudice, s’agissant des enfants-soldats, qui résulterait d’actions spécifiques de l’Ouganda
6.68. La RDC réclame des indemnités à raison du sort réservé à 2500 enfants-soldats, dont elle affirme qu’ils ont été «recrutés et entraînés par les différents protagonistes du conflit en Ituri»802.
6.69. Dans le dispositif de l’arrêt de 2005, la Cour a conclu, de manière générale, que les forces armées de l’Ouganda avaient «entraîné des enfants-soldats»803. Elle a également formulé les conclusions générales déjà évoquées quant aux violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire804, y compris le manquement de l’Ouganda, en tant que puissance occupante de l’Ituri, à prendre «de[s] mesures visant à respecter et à faire respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire»805.
6.70. De même que pour tous les autres chefs de dommage, il incombe à la RDC, à ce stade, d’apporter la preuve du préjudice exact subi, en ce qui concerne les enfants-soldats, du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda, au moyen d’éléments convaincants se rapportant à des incidents précis, intervenus dans des endroits précis et à des moments précis806. Cet aspect de sa demande étant limité à l’Ituri, la RDC doit établir soit que l’Ouganda était directement impliqué dans le recrutement, l’entraînement ou l’utilisation d’enfants-soldats, soit que le recrutement, l’entraînement ou l’utilisation d’enfants-soldats du fait de tiers «aurait été effectivement empêché si le défendeur avait adopté un comportement conforme à ses obligations juridiques»807.
6.71. Il a été rappelé, au chapitre 4, que la Cour avait traité de la question du manquement d’un Etat à ses obligations de faire preuve de la diligence requise en l’affaire du Génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro). Elle avait alors dit ceci :
«[L]e défendeur disposait indubitablement de moyens d’influence non négligeables à l’égard des autorités politiques et militaires des Serbes de Bosnie, qu’il aurait pu, et par conséquent dû, mettre en oeuvre en vue d’essayer d’empêcher les atrocités ; il n’a cependant pas été démontré que, dans le contexte particulier de ces événements, ces moyens eussent été suffisants pour atteindre le résultat que le défendeur aurait dû rechercher. La Cour ne pouvant donc regarder comme établie l’existence d’un lien de causalité entre la violation par le défendeur de son obligation de prévention et les dommages entraînés par le génocide de Srebrenica, l’indemnisation n’apparaît pas comme la forme appropriée de réparation qu’appelle la violation de l’obligation de prévenir le génocide.»808
6.72. La RDC fonde l’allégation selon laquelle la responsabilité de l’Ouganda est engagée à raison du sort réservé à 2500 enfants-soldats sur trois sources : le sixième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la MONUC, le jugement de la CPI en l’affaire Lubanga et le rapport du
802 MRDC, par. 3.36 (les italiques sont de nous).
803 Activités armées (2005), par. 345, point 3 du dispositif.
804 Ibid., par. 345, point 1 du dispositif.
805 Ibid., par. 345, point 3 du dispositif.
806 Voir chap. 3.
807 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462. Voir aussi chap. 4, sect. IV A).
808 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462.
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projet Mapping. Plus précisément, elle commence par citer le sixième rapport du Secrétaire général sur la MONUC, où l’on peut lire : «Au moment où l’on mettait la dernière main au présent rapport, on a appris que 600 de ces enfants seraient transférés [depuis l’Ouganda] à la garde d’organisations humanitaires la semaine prochaine»809. Elle se réfère ensuite au jugement rendu par la CPI en l’affaire Lubanga, qu’elle lit à sa manière pour donner à entendre que la chambre de première instance aurait conclu que 700 enfants-soldats avaient été recrutés avec l’aide de l’Ouganda, et transférés en Ouganda pour y être entraînés810. Enfin, la RDC cite également le rapport du projet Mapping, qui indique que, «[e]n 2001, le MLC aurait reconnu avoir 1800 [enfants-soldats] dans ses rangs»811.
6.73. LA RDC n’explique pas comment, à partir de ces sources, elle aboutit au chiffre de 2500, qui semble être la somme de ceux mentionnés dans le jugement Lubanga (700) et dans le rapport du projet Mapping (1800). En tout état de cause, les chiffres apparaissant dans les trois sources invoquées par la RDC ne sauraient fonder la demande formulée à l’encontre de l’Ouganda. Ils ont été réfutés (pour ceux du sixième rapport sur la MONUC), présentés sous un faux jour (pour ceux du jugement Lubanga) ou encore renvoient à des faits n’ont pas le lien requis avec l’Ouganda (dans le cas du rapport du projet Mapping) .
6.74. Il est difficile de comprendre pourquoi la RDC invoque le sixième rapport du Secrétaire général sur la MONUC, puisqu’elle admet elle-même (fût-ce seulement en note de bas de page) que ce rapport a ultérieurement été rectifié par l’équipe chargée du projet Mapping. Ainsi, en note de bas de page 278, correspondant au paragraphe 3.35 de son mémoire, la RDC reconnaît que ladite équipe a indiqué «ce qui s’[était] effectivement passé en février 2001 (soit le rapatriement de 163 enfants seulement, et non des 600 initialement prévus)»812. (L’Ouganda note que ce sont là les seuls enfants-soldats pour lesquels un lien avec les UPDF a été évoqué dans le rapport du projet Mapping813.)
6.75. La RDC rend compte de manière trompeuse du jugement Lubanga en paraphrasant la déposition d’un témoin (le témoin P-0116) et en la faisant passer pour une conclusion de la chambre de première instance814. Or, le témoin P-0116 n’a pas assisté de visu aux faits en cause: certaines personnes non identifiées lui ont «rapporté» que «quelque 700 jeunes» avaient été emmenés en Ouganda815. Par ailleurs, il a indiqué que certains, mais non la totalité, des
809 MRDC, par. 3.35 ; Conseil de sécurité, Sixième rapport du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2001/128 en date du 12 février 2001, par. 66, MRDC, annexe 3.4.
810 MRDC, par. 3.35.
811 Ibid.
812 Ibid., par. 3.35, note 278.
813 En revanche, nombreux sont les éléments établissant que des soldats congolais ont recruté, entraîné et fait participer à leurs activités armées des enfants en nombres autrement plus importants : «En 2003 l’Organisation des Nations Unies estimait que 10 % des FAC étaient composées d’[enfants-soldats] et le Ministre des droits humains [congolais] reconnaissait qu’il y avait 3 000 [enfants-soldats] attendant d’être démobilisés au sein des FAC.» Rapport Mapping, par. 693, annexe 25.
814 MRDC, par. 3.35, citant Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, affaire no ICC-01/04-01/06, jugement (CPI, chambre de première instance I, 14 mars 2012), par. 1033.
815 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, affaire no ICC-01/04-01/06, jugement (CPI, chambre de première instance I, 14 mars 2012), par. 1033.
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«700 jeunes» étaient des enfants816. La chambre de première instance n’a pas retenu sa déposition aux fins d’établir les faits, déclarant qu’il ne lui était «pas nécessaire [de] détermine[r] avec précision l’âge des individus concernés puisque ces faits s[’étaient] déroulés hors de la période visée par les charges et ne revêt[aient] de pertinence que dans la mesure où ils éclair[aient] le contexte et les circonstances d’ensemble»817.
6.76. La RDC cite également le rapport du projet Mapping de l’ONU, où l’on lit que, «[e]n 2001, le MLC aurait reconnu avoir 1800 [enfants-soldats] dans ses rangs»818. Le rapport en question n’établit toutefois aucun lien entre les actions alléguées du MLC et l’Ouganda. Ni le rapport du projet Mapping ni les autres moyens présentés par la RDC n’apportent la preuve que les enfants-soldats dont il s’agit ont été recrutés par l’Ouganda ou entraînés dans des camps des UPDF.
6.77. En outre, ainsi qu’il a été dit, la demande de la RDC est expressément circonscrite au recrutement, à l’entraînement et à l’utilisation d’enfants-soldats en Ituri. Or, le MLC était essentiellement actif dans la province de l’Equateur, qui ne se trouvait pas sous le contrôle de l’Ouganda819. L’allégation relative au MLC est dès lors dépourvue de pertinence aux fins de la demande présentée par la RDC dans son mémoire.
6.78. De surcroît, quand bien même cette allégation se rapporterait à l’Ituri (quod non), la RDC n’en devrait pas moins apporter la preuve que l’utilisation par le MLC d’enfants-soldats aurait été effectivement empêchée si l’Ouganda s’était acquitté des obligations lui incombant en tant que puissance occupante. La RDC ne fait pas même mine de tenter de le démontrer.
6.79. Le simple fait que l’Ouganda a apporté un soutien au MLC ne suffit bien évidemment pas à engager sa responsabilité pour les actes de ce groupe. De fait, la Cour s’est expressément refusée à dire que les actions du MLC étaient attribuables à l’Ouganda dans son arrêt de 2005. Déclarer l’Ouganda responsable de tels actes à ce stade serait faire litière du principe de l’autorité de la chose jugée, a fortiori s’il n’a pas été démontré que l’Ouganda avait prise directe sur la décision du MLC d’utiliser des enfants-soldats, ou que les enfants ont été recrutés ou entraînés dans des zones qui se trouvaient sous son contrôle, ou encore que leur recrutement et leur entraînement auraient pu être empêchés s’il s’était acquitté de ses obligations en tant que puissance occupante.
6.80. Ainsi, la RDC n’a pas, dans son mémoire, apporté les preuves requises à l’appui de l’allégation selon laquelle l’Ouganda aurait engagé sa responsabilité à raison du recrutement, de l’entraînement et de l’utilisation de 2500 enfants-soldats.
816 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, affaire no ICC-01/04-01/06, jugement (CPI, chambre de première instance I, 14 mars 2012), par. 1032. La Cour a noté que «P-0116 a rapporté que les enfants en question étaient en grande majorité des Hema et que nombre d’entre eux avaient moins de 15 ans», ce qui donne à entendre que les 700 jeunes gens n’avaient pas nécessairement moins de 15 ans.
817 Ibid., par. 1043.
818 MRDC, par. 3.35.
819 Voir rapport Mapping, annexe 25, par. 310 ; Activités armées (2005).
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D. La RDC n’a pas apporté la preuve d’un préjudice, s’agissant des déplacements de populations, qui résulterait d’actions spécifiques de l’Ouganda
6.81. Selon la RDC, l’Ouganda serait responsable du déplacement de 668 538 personnes820, dont 600 000 en Ituri, 68 000 à Kisangani et les 538 autres ailleurs dans le pays.
6.82. Les chiffres avancés par la RDC à ce sujet ne sont pas établis sur la base d’éléments de preuve se rapportant à des cas précis de personnes ou de groupes de personnes déplacées de villes ou de villages précis et à des dates précises pendant la période pertinente. Le fait de ne pas traiter des circonstances précises des déplacements compromet irrémédiablement les demandes de la RDC, car rien n’indique que ces mouvements de populations aient été causés par des manoeuvres délibérées, attribuables à l’Ouganda, visant à faire fuir les civils, ni qu’ils aient résulté directement de la violation par celui-ci du jus ad bellum. Aussi, et sur ce seul fondement, la Cour devrait rejeter la demande formulée par la RDC au titre des dommages aux personnes résultant de déplacements.
6.83. L’Ouganda s’attachera néanmoins à démonter ici la méthode que la RDC impose à la Cour. Il sera démontré dans les sections qui suivent que la RDC ne s’est pas acquittée de son obligation d’apporter à ce stade la preuve du préjudice précis qu’elle a subi, s’agissant des déplacements de populations, du fait d’actions spécifiques imputables à l’Ouganda.
1. Ituri
6.84. En ce qui concerne l’Ituri, la RDC soutient que l’Ouganda est responsable du déplacement de 600 000 personnes qui ont fui la violence délibérée «en conséquence du manquement par l’Ouganda à ses obligations en tant que puissance occupante de [cette région] entre 1998 et 2003»821. Elle s’appuie à cet égard sur le deuxième rapport spécial du Secrétaire général de l’ONU sur la MONUC, qui fait mention d’une estimation du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) établissant «entre 500 000 et 600 000» le nombre de personnes qui ont été déplacées en Ituri822. Or le recours à cette source par la RDC n’est pas approprié, et ce, pour plusieurs raisons.
6.85. Premièrement, l’estimation du BCAH n’est que cela : une estimation. De surcroît, la grande différence entre les deux chiffres cités 100 000 personnes témoigne d’un degré d’incertitude considérable. Or la RDC ne fournit aucune explication quant à la raison pour laquelle elle a opté pour le plus élevé des deux chiffres comme base de sa demande. Ce choix apparemment arbitraire de l’estimation la plus élevée possible est en contradiction avec le souci qu’elle professe «de respecter les exigences de sérieux et de rigueur qui caractérisent la procédure judiciaire»823. Il n’est pas non plus conforme à l’obligation qu’a la RDC de démontrer le préjudice précis qu’elle a subi du fait d’actions illicites spécifiques de l’Ouganda.
6.86. Deuxièmement, rien dans le rapport du Secrétaire général ne montre que les personnes dénombrées aient fui la «violence délibérée», ni que ce déplacement aurait été évité si l’Ouganda
820 MRDC, par. 7.30-7.32.
821 Ibid., par. 3.41.
822 Ibid., par. 3.41, note 293, citant le deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2003/566 en date du 27 mai 2003, par. 10, MRDC, annexe 3.6.
823 Ibid., par. 2.75.
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s’était conformé à ses obligations en tant que puissance occupante en Ituri824. Le rapport avance simplement une estimation du nombre total de personnes déplacées dans la région, quelle que soit la cause de leur déplacement. Le BCAH et le Secrétaire général n’indiquent pas les circonstances des déplacements, ni leur durée ou les dates auxquelles ils se sont produits, et ne précisent pas davantage si les personnes concernées ont pu rentrer chez elles et quels préjudices elles ont subis en conséquence de leur déplacement.
6.87. La RDC n’établit pas non plus un quelconque lien de causalité entre le préjudice allégué et le comportement illicite de l’Ouganda. Elle prouve encore moins que, dans le contexte spécifique de ces événements, il aurait suffi que l’Ouganda fasse preuve de la diligence voulue pour empêcher le déplacement allégué825. Elle ne saurait dès lors invoquer le rapport à l’appui de ses demandes.
2. Kisangani
6.88. La RDC soutient ensuite que l’Ouganda est responsable du déplacement de 68 000 personnes «qui ont fui leur domicile pour des périodes plus brèves» à Kisangani826. Cette allégation repose uniquement sur le rapport interinstitutions, qui dit que les combats ayant opposé le Rwanda et l’Ouganda à Kisangani en juin 2000 ont «contraint quelque 65 000 habitants de [cette ville] à se réfugier dans la forêt proche» et qu’«[e]nviron 3000 personnes déplacées ont été logées dans un camp à Katele»827. Plusieurs raisons donnent à penser que ces chiffres sont surestimés et que l’Ouganda ne peut se voir attribuer la responsabilité de tels déplacements.
6.89. Ainsi qu’il a été rappelé précédemment, la Cour a déclaré dans l’arrêt de 2005 qu’elle «prendra[it] en considération les éléments de preuve contenus dans certains documents de l’ONU dans la mesure où ils ont une valeur probante et sont corroborés, si nécessaire, par d’autres sources crédibles.»828 Elle a également déclaré qu’elle «traitera[it] avec prudence les éléments de preuve … provenant d’une source unique.»829 Or, la mission interinstitutions n’avance aucun élément de preuve ni aucune méthode à l’appui de ses estimations. Son rapport n’indique pas non plus la durée du déplacement, ni sa durée ou les dates auxquelles il s’est produit, et ne précise pas davantage si les personnes concernées ont pu rentrer chez elles et quels préjudices elles ont subis en conséquence de leur déplacement.
6.90. De surcroît, les auteurs du rapport du projet Mapping ont, après avoir examiné diverses sources, y compris le rapport interinstitutions, refusé de retenir ce chiffre et avancé une estimation bien plus prudente et nuancée, selon laquelle les affrontements de juin 2000 à Kisangani avaient provoqué «le déplacement de milliers de personnes»830. Le mot «milliers» renvoie manifestement à un nombre inférieur et probablement très inférieur à 10 000. On parlerait en effet de «dizaines de milliers», et non de «milliers», pour une estimation de 30 000 personnes, par exemple. L’emploi du
824 Voir Conseil de sécurité, deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, doc. S/2003/566 en date du 27 mai 2003, par. 10, MRDC, annexe 3.6.
825 Voir Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 438. Voir également chap. 4, sect. I D).
826 MRDC, par. 7.31.
827 Ibid., par. 4.47, citant le rapport interinstitutions, par. 57, MRDC, annexe 4.24.
828 Activités armées (2005), par. 205.
829 Ibid., par. 61.
830 Rapport Mapping, par. 363, annexe 25.
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terme «milliers» indique donc que l’équipe du projet Mapping n’était pas d’accord avec le chiffre de 68 000 personnes avancé par le rapport interinstitutions.
6.91. Par conséquent, le mémoire de la RDC ne fournit aucun élément prouvant de manière convaincante que l’Ouganda a causé le déplacement de 68 000 personnes à Kisangani.
3. Autres lieux (Beni, Butembo et Gemena)
6.92. La RDC soutient que l’Ouganda est également responsable du déplacement de 538 personnes en dehors de l’Ituri et de Kisangani: 433 à Beni, 93 à Butembo et 12 à Gemena831. Cette allégation s’appuie sur «les fiches établi[e]s par sa commission d’enquête»832.
6.93. Ainsi qu’il a déjà été dit, la RDC n’a produit aucune des fiches en question, ni autre pièce justificative, à l’appui de ses dires. Il est par conséquent impossible de déterminer si sa demande repose sur des éléments convaincants susceptibles de prouver, avec un degré élevé de certitude, l’existence du préjudice allégué ou d’un lien de causalité entre celui-ci et le comportement illicite de l’Ouganda.
6.94. La RDC ne soumet que l’annexe 2.3, une simple liste non signée qui ne contient aucun détail quant à l’identité des victimes, les circonstances et les causes de leur déplacement, ou les préjudices qu’elles ont subis.
*
6.95. Ainsi, la RDC n’a pas fourni d’éléments prouvant de façon convaincante que l’Ouganda est responsable du déplacement de 668 538 personnes833.
6.96. Le caractère exagéré de cette allégation de la RDC apparaît également lorsqu’on la place dans un contexte plus vaste. Le HCR estime qu’«[e]n tout, 621 711 réfugiés de RDC se trouvent [actuellement] dans plus de 11 pays africains»834. Soutenir que l’Ouganda est à lui seul responsable du déplacement de plus de personnes que le nombre total actuel de réfugiés congolais en Afrique (la violence et les affrontements perdurant à ce jour dans le pays) est absurde.
III. L’ÉVALUATION QUE FAIT LA RDC DES DOMMAGES AUX PERSONNES PRÉSENTE DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES
6.97. L’évaluation par la RDC du montant des dommages aux personnes qui viennent d’être décrits n’est pas non plus étayée par des éléments de preuve et a été faite selon une méthode qui n’est pas conforme à celles employées pour les réclamations entre Etats. Dans les paragraphes suivants, nous passerons en revue la stratégie adoptée par la RDC pour évaluer chaque catégorie de
831 MRDC, par. 2.83.
832 Ibid.
833 Ibid., par. 7.30-7.31.
834 HCR, «HCR : La crise de déplacements de populations s’aggrave en RDC» (24 oct. 2017), p. 3, annexe 34.
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dommages aux personnes (section A), puis démontrerons en quoi cette stratégie est à la fois infondée et viciée (section B).
A. L’évaluation par la RDC des dommages aux personnes
1. Les préjudices corporels
6.98. La RDC réclame la somme de 54 464 000 dollars à titre d’indemnités835 dues pour les préjudices corporels dont l’Ouganda serait, selon elle, responsable. Elle tire cette évaluation des indemnités qui seraient accordées par ses juridictions internes pour trois catégories de blessures : 1) les blessures lourdes causées par des violences délibérées ; 2) les blessures légères causées par des violences délibérées ; et 3) les blessures causées par des violences non délibérées.
6.99. Pour les blessures lourdes causées par des violences délibérées, la RDC demande 3500 dollars par victime, ce qui représente la somme «moyenne» octroyée à titre de réparation «par les juridictions congolaises aux personnes blessées ou mutilées dans le contexte de la perpétration de crimes graves de droit international»836. (La RDC soutient que ces indemnisations «s’échelonnent entre 550 et 5000 dollars»837.)
6.100. Pour les blessures légères causées par des violences délibérées, la RDC demande 150 dollars par victime, ce qui représente selon elle «la somme moyenne» octroyée à titre de réparation par ses juridictions internes838.
6.101. Enfin, pour les blessures causées par des violences non délibérées, la RDC retient «la somme minimale de 100 dollars» par victime, par référence aux montants octroyés par «les juridictions ordinaires congolaises à titre de réparation aux victimes de blessures … accidentelles»839.
6.102. La RDC multiplie ces sommes moyennes théoriques par le nombre de victimes alléguées :
52 500 000 dollars pour les blessures lourdes causées par des violences délibérées à 15 000 victimes alléguées en Ituri (soit 15 000 x 3500 dollars)840 ;
750 000 dollars pour les blessures légères causées par des violences délibérées à 5000 victimes alléguées en Ituri (soit 5000 x 150 dollars)841 ; et
835 MRDC, par. 7.21.
836 Ibid., par. 7.17. Le montant total de l’indemnité réclamée par la RDC pour cette catégorie de dommages est de 52 500 000 dollars (soit 3500 dollars x 15 000 victimes alléguées qui auraient subi des blessures lourdes causées par des violences délibérées en Ituri. MRDC, par. 7.18).
837 Ibid.
838 Ibid. Le montant total de l’indemnité réclamée par la RDC pour cette catégorie de dommages est de 750 000 dollars (soit 150 dollars x 5000 victimes alléguées qui auraient subi des blessures légères causées par des violences délibérées en Ituri.)
839 Ibid., par. 7.19. Le montant total de l’indemnité réclamée par la RDC pour cette catégorie de dommages est de 1 214 000 dollars (soit 100 dollars x 12 140 victimes alléguées qui auraient subi des blessures causées par des violences non délibérées en Ituri (10 000), à Kisangani (1937) et ailleurs (203).)
840 Ibid., par. 7.18.
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1 214 000 dollars pour les blessures causées par des violences non délibérées à 12 140 victimes alléguées (10 000 en Ituri ; 1937 à Kisangani ; et 203 en d’autres lieux) (soit 12 140 x 100 dollars)842.
6.103. Selon la RDC, le montant demandé à titre d’indemnité couvre à la fois le préjudice matériel, qui comprend «le coût des soins, les pertes de revenus du fait des incapacités physiques temporaires ou permanentes résultant des blessures [et] les pertes de chances», et le préjudice moral, qui comprend «le traumatisme résultant des atrocités commises, l’angoisse que les faits se reproduisent, les souffrances résultant des difficultés d’accès aux soins, la détresse résultant de l’absence d’intervention des autorités en place et de l’absence de poursuite des auteurs des faits, la dégradation permanente de la qualité de la vie des victimes de mutilations, de même que l’atteinte irrémédiable à leur image et à leur estime de soi.»843
2. Les violences sexuelles
6.104. Ainsi qu’il a été dit précédemment, la RDC demande la somme de 33 458 000 dollars à titre d’indemnités dues pour le préjudice subi par les victimes de violences sexuelles dont l’Ouganda serait responsable844.
6.105. Tout comme pour les préjudices corporels, la RDC évalue le montant des indemnités dues au titre des violences sexuelles en se référant aux montants qui seraient octroyés par ses juridictions internes. Selon elle, ces montants «s’échelonnent entre 10 000 et 750 000 dollars des Etats-Unis, avec une moyenne de 23 200 dollars des Etats-Unis» pour des viols aggravés, et «entre 700 et 50 000 dollars des Etats-Unis, la somme moyenne étant de 12 600 dollars des Etats-Unis» pour les viols simples845. La RDC multiplie ces sommes moyennes par le nombre de victimes alléguées de violences sexuelles :
25 520 000 dollars pour 1100 victimes de viol aggravé (soit 23 200 dollars x 1100)846 ; et
7 938 000 dollars pour 630 victimes de viol simple (soit 12 600 dollars x 630)847.
6.106. Là encore, le montant demandé à titre d’indemnité couvre, selon la RDC, à la fois le préjudice matériel, qui comprend «le coût des soins qui ont dû être prodigués aux victimes», et le préjudice moral, qui reflète «l’ostracisme dont sont frappées les victimes», leurs chances réduites de trouver un époux, «la persistance de douleurs», «une infection par maladie sexuellement transmissible» ou la perte d’un enfant si le viol a provoqué une fausse couche848.
841 MRDC, par. 7.18.
842 Ibid., par. 7.20.
843 Ibid., par. 7.16.
844 Ibid., par. 7.25.
845 Ibid., par. 7.23.
846 Ibid., par. 7.24.
847 Ibid.
848 Ibid., par. 7.22.
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3. Les enfants-soldats
6.107. La RDC réclame la somme de 30 millions de dollars à titre d’indemnités dues à raison du recrutement et de l’entraînement d’enfants-soldats849. Pour parvenir à ce chiffre, elle multiplie ce qui est selon elle le montant moyen alloué aux victimes par ses juridictions dans des circonstances analogues850, soit 12 000 dollars, par 2500, qui est le nombre de victimes qu’elle recense pour cette catégorie de préjudice (soit 2500 x 12 000 dollars)851. (L’Ouganda relève que, en sus des autres problèmes, tels qu’exposés plus loin, que pose son évaluation, la RDC ne se donne pas la peine d’expliquer dans son mémoire quels «actes qui ont engendré des préjudices similaires à ceux subis par les enfants-soldats»852 ont été retenus comme point de référence pour évaluer le préjudice causé aux enfants-soldats ni en quoi cet élément de comparaison est pertinent pour évaluer ce préjudice.)
6.108. De même que pour les préjudices corporels et les violences sexuelles, la RDC affirme que le montant demandé à titre d’indemnité couvre à la fois le préjudice matériel, qui réside dans la privation d’accès à l’éducation et la perte de chances et, pour les familles des enfants concernés, la perte des contributions normalement apportées par ceux-ci à l’économie familiale (tâches domestiques, surveillance des troupeaux, etc.), et le préjudice moral lié aux traumatismes résultant de l’arrachement de ces enfants à leur famille et de leur exposition à divers mauvais traitements ainsi qu’aux violences de la guerre853.
4. Les déplacements
6.109. Enfin, la RDC réclame la somme de 186 853 800 dollars à titre d’indemnités dues pour les dommages qu’auraient subis 668 538 personnes déplacées854. Ce montant se décompose en 180 millions de dollars pour les personnes qui ont fui leur domicile pour échapper à des actes de violence délibérés contre les populations civiles855 et 6 853 000 dollars pour celles qui ont quitté leur domicile pendant de brèves périodes pour échapper au conflit armé856.
6.110. Pour évaluer le préjudice subi par les personnes déplacées du fait de violences délibérées, la RDC juge «raisonnable de retenir la somme de 300 dollars des Etats-Unis» pour chaque victime relevant de cette catégorie857, après quoi elle multiplie ce montant par 600 000, qui serait le nombre de personnes ayant fui des violences délibérées. Le montant total demandé au titre de cette catégorie de dommages s’élève donc à 180 millions de dollars (600 000 x 300 dollars). Selon la RDC, le montant demandé ne concerne que l’Ituri et couvre à la fois le préjudice matériel résultant de la suspension des activités professionnelles des personnes qui auraient été déplacées, durant toute la période où elles se sont cachées, et le préjudice moral qu’elles ont subi à cause des atrocités commises contre les autres membres de leur groupe ainsi qu’à cause de l’angoisse générée
849 MRDC, par. 7.28.
850 Ibid., par. 7.27.
851 Ibid., par. 7.28.
852 Ibid., par. 7.27.
853 Ibid., par. 7.26.
854 Ibid., par. 7.30-7.32.
855 Ibid., par. 7.30.
856 Ibid., par. 7.31.
857 Ibid., par. 7.30.
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par la crainte de voir les faits se reproduire et de leur détresse face à l’absence d’intervention des autorités en place et l’absence de poursuites contre les auteurs des faits858.
6.111. Pour évaluer le préjudice subi par les personnes déplacées du fait de violences non délibérées, la RDC juge «raisonnable de retenir la somme de 100 dollars des Etats-Unis» pour chacune des victimes relevant de cette catégorie859, après quoi elle multiplie ce montant par 68 538, qui serait le nombre de ces victimes (68 000 à Kisangani et 538 dans les autres régions de l’est de la RDC)860. Le montant total demandé au titre de cette catégorie de dommages s’élève donc à 6 853 800 dollars (68 538 x 100 dollars)861. Là encore, il couvrirait à la fois le préjudice matériel, qui serait identique à celui subi par les personnes fuyant des violences délibérées, et le préjudice moral, qui «se limite pour sa part, à l’angoisse liée à l’abandon de son domicile et à la crainte de le retrouver détruit, endommagé ou pillé.»862
B. L’évaluation par la RDC des dommages aux personnes n’est pas étayée et présente des failles méthodologiques
6.112. L’évaluation que fait la RDC de l’indemnisation due au titre des dommages aux personnes n’est pas étayée par des éléments de preuve et est établie selon une méthode erronée. En premier lieu, ainsi qu’il a été rappelé au chapitre 5863, la RDC ne dit pas de quelle source elle tire le principe selon lequel la Cour devrait déterminer le montant de l’indemnité due à raison des dommages aux personnes en se fondant sur les décisions rendues par les juridictions internes de l’Etat demandeur. De même que pour sa demande au titre des pertes en vies humaines, la seule raison que la RDC avance dans le mémoire pour justifier sa thèse est que — en toute subjectivité — elle estime cela «raisonnable»864.
6.113. De surcroît, quand bien même les préjudices subis par la RDC pourraient, en droit international, être évalués par référence aux indemnités allouées par les juridictions congolaises (quod non), la jurisprudence de ces dernières est une question de fait dont la RDC doit apporter la preuve865. Or elle ne s’est pas acquittée de cette obligation. Tout en fondant théoriquement son évaluation des indemnités dues pour les préjudices corporels, les violences sexuelles et le recours aux enfants-soldats sur la jurisprudence de ses juridictions internes, la RDC ne fournit pas un seul jugement ou autre document démontrant les montants des indemnités adjugées par celles-ci. Qui plus est, elle admet que les décisions portant indemnisation rendues par les juridictions congolaises s’accompagnent d’une «motivation… souvent sommaire» et que certaines sont même «totalement dépourvu[e]s de motivation ou manifestement arbitraires»866.
6.114. Un rapport établi en 2011 par le ministère congolais de la justice et des droits humains et le PNUD relève plusieurs problèmes en ce qui concerne l’évaluation des préjudices par les
858 MRDC, par. 7.30.
859 Ibid., par. 7.31.
860 Ibid.
861 Ibid.
862 Ibid.
863 Chap. 5, sect. III.
864 MRDC, par. 7.17.
865 Voir chap. 3, sect. I.
866 MRDC, par. 7.08.
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tribunaux congolais notamment dans les affaires de violences sexuelles. De nombreuses décisions n’indiquent pas clairement sur quelle base le montant de l’indemnité a été calculé, ou ne précisent pas la nature, l’étendue ou la gravité du préjudice en cause867. D’autres décisions octroient une indemnisation ex aequo et bono alors même que le préjudice peut être évalué de manière objective, par exemple lorsqu’il s’agit de problèmes de santé consécutifs à des violences sexuelles, qui peuvent être appréciés par un médecin868. Dans d’autres décisions encore, le montant de l’indemnité demandé par la victime est simplement jugé «exagéré» et une somme moindre est accordée ex aequo et bono sans que ce choix soit motivé ou raisonné869.
6.115. Pour ce qui est des demandes qu’elle formule au titre des déplacements de populations, la RDC ne justifie aucunement les chiffres qu’elle avance. Les préjudices sont quantifiés uniquement en fonction de ce qu’elle «estime raisonnable»870. Pourquoi le montant du préjudice subi par les personnes déplacées du fait de violences délibérées serait-il de 300 dollars, et celui du préjudice subi par les autres personnes déplacées, de 100 dollars ? La RDC ne l’explique pas. Cela est d’autant plus étonnant qu’elle soutient que le montant demandé à titre d’indemnité couvre des éléments tels que le «coût des soins», les «pertes de revenus» et les «pertes de chances». A supposer que cela soit vrai, la RDC devrait pouvoir justifier les montants réclamés par des arguments plus convaincants que sa propre estimation de ce qui est «raisonnable».
6.116. L’Ouganda soutient respectueusement qu’il convient également d’apprécier la demande d’indemnisation présentée par la RDC à raison des déplacements de populations supposément causés par le conflit à la lumière du fait que, loin de fuir les forces ougandaises, de nombreux Congolais ont cherché refuge en Ouganda. Ainsi qu’il a été rappelé au chapitre 2, l’Ouganda est le principal pays d’accueil des réfugiés congolais depuis le déclenchement du conflit871. Plus de 236 500 d’entre eux y vivent aujourd’hui872. De surcroît, les politiques de l’Ouganda en matière d’accueil des réfugiés et d’asile sont largement reconnues comme étant parmi les plus progressistes au monde873. L’Ouganda offre en effet à tous les réfugiés, y compris ceux en provenance de RDC, des terres à cultiver et l’accès aux mêmes services que ses ressortissants, notamment à l’éducation874.
6.117. Enfin, quelle que soit la catégorie de dommages aux personnes qu’elle allègue, la RDC ne cherche aucunement à évaluer le montant du préjudice subi en se fondant sur des facteurs spécifiques aux victimes, ainsi que l’exige la jurisprudence constante de la Cour, y compris l’arrêt
867 RDC, ministère de la justice et des droits humains, et PNUD, «Monitoring judiciaire 2010-2011. Rapport sur les données relatives à la réponse judiciaire aux cas de violences sexuelles à l’Est de la République démocratique du Congo» (2010-2011), p. 55, annexe 65.
868 RDC, ministère de la justice et des droits humains, et PNUD, «Monitoring judiciaire 2010-2011. Rapport sur les données relatives à la réponse judiciaire aux cas de violences sexuelles à l’Est de la République démocratique du Congo», op. cit., p. 56, annexe 65, citant l’article 14 du code pénal congolais («l’officier du Ministère Public ou le juge requièrent d’office un médecin et un psychologue, afin d’apprécier l’état de la victime des violences sexuelles et de déterminer les soins appropriés ainsi que d’évaluer l’importance du préjudice subi par celle-ci et son aggravation ultérieure».)
869 RDC, ministère de la justice et des droits humains, et PNUD, «Monitoring judiciaire 2010-2011. Rapport sur les données relatives à la réponse judiciaire aux cas de violences sexuelles à l’Est de la République démocratique du Congo», op. cit., p. 56, annexe 65.
870 MRDC, par. 7.30-7.31.
871 HCR, «Appel global 2004», rubrique «Ouganda» (31 déc. 2003), p. 113, annexe 17.
872 HCR, «HCR : La crise de déplacements de populations s’aggrave en RDC» (24 oct. 2017), annexe 34.
873 Voir chap. 2, sect. II C).
874 C. Yaxley, HCR, «L’Ouganda héberge désormais plus de 500 000 réfugiés et demandeurs d’asile» (18 déc. 2015), annexe 29.
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de 2005. Bien qu’elle affirme que le montant demandé à titre d’indemnité couvre divers éléments, tels que le «coût des soins», les «pertes de revenus», les «pertes de chances» et «le traumatisme résultant des atrocités commises», elle ne fournit absolument aucun élément de preuve quant à la nature exacte du préjudice et de ses conséquences, par exemple des rapports médicaux ou psychiatriques, des factures ou des reçus attestant du coût des soins, ou des précisions sur les pertes de revenus.
6.118. Comme il a déjà été dit, l’Ouganda est conscient qu’il peut être difficile de recueillir les preuves de dommages causés dans le cadre d’un conflit armé, mais l’octroi de réparations dans les affaires Lubanga et Katanga démontre qu’il est, à tout le moins, possible de présenter quelques éléments attestant des préjudices subis en temps de guerre, y compris en RDC. Pourtant, l’absence d’éléments probants tels que ceux qui ont été produits par les victimes dans ces deux affaires, ou par l’Ethiopie et l’Erythrée devant leur commission des réclamations, est particulièrement flagrante dans le mémoire de la RDC. Il n’y a pas de documents primaires ou de dépositions de témoins attestant des faits sur la base de renseignements de première main. Comme pour les demandes formulées au titre des pertes en vies humaines, l’administration de la preuve par la RDC ne présente pas seulement des lacunes, elle est inexistante.
*
6.119. Pour les raisons qui précèdent, tant le nombre de dommages aux personnes que la RDC impute à l’intervention de l’Ouganda que l’évaluation qu’elle prétend en donner relèvent de la pure spéculation et n’ont pas été justifiés.
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CHAPITRE 7 LES DEMANDES DE LA RDC EN RELATION AVEC DES DOMMAGES MATÉRIELS PRÉSENTENT DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES ET NE SONT PAS ÉTAYÉES
7.1. La RDC réclame la somme de 239 971 970 dollars des Etats-Unis875 (ci-après «dollars») à titre d’indemnités dues pour les dommages matériels prétendument causés par l’Ouganda. Ce montant se décompose comme suit :
41 524 613 dollars pour l’Ituri876 ;
17 323 998 dollars pour Kisangani877 ;
5 526 527 dollars pour Beni878 ;
2 680 000 dollars pour Butembo879 ;
97 550 dollars pour Gemena880 ;
97 412 090 dollars pour la Société nationale d’électricité (SNEL)881 ;
69 417 192 dollars au titre des dommages matériels causés aux forces armées congolaises882.
7.2. Comme pour les demandes examinées aux chapitres précédents, la RDC ne s’est pas acquittée de la charge qui lui incombait d’étayer celles-ci au moyen d’éléments convaincants établissant, avec un degré élevé de certitude, le préjudice exact qui aurait été subi par suite de faits internationalement illicites spécifiques imputables à l’Ouganda, ou le bien-fondé de l’évaluation dudit préjudice883.
7.3. La section I du présent chapitre est consacrée à un examen des méthodes habituellement employées aux fins d’établir l’existence de dommages matériels et d’évaluer ceux-ci en droit international (méthodes que la RDC, dans son mémoire, s’est refusée à suivre). A la section II, il sera montré que les demandes formulées par la RDC au titre de dommages matériels ne sont pas étayées par des éléments de preuve et qu’elles présentent des failles méthodologiques.
875 MRDC, par. 7.64. L’Ouganda relève que la somme avancée par la RDC au titre des différents chefs de préjudice allégués n’est pas juste. En additionnant, toutes catégories confondues, les montants correspondant aux dommages dont la RDC demande l’indemnisation pour chacune des régions visées, ainsi que pour la Société nationale d’électricité et les forces armées congolaises, on aboutit en réalité à un total de 233 980 970 dollars, et non aux 239 971 970 dollars qu’elle réclame.
876 Ibid., par. 7.44.
877 Ibid., par. 7.46.
878 Ibid.
879 Ibid.
880 Ibid.
881 Ibid., par. 7.47.
882 Ibid., par. 7.48.
883 Voir chap. 3 et 4.
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I. LES DEMANDES DE LA RDC NE REPOSENT PAS SUR LA MÉTHODE OU LES ÉLÉMENTS DE PREUVE HABITUELLEMENT EMPLOYÉS POUR ÉTABLIR L’EXISTENCE DE DOMMAGES MATÉRIELS ET LE BIEN-FONDÉ DE LEUR ÉVALUATION
7.4. Ce chapitre est essentiellement consacré aux lacunes d’ordre juridique et factuel que présentent systématiquement les demandes d’indemnisation de la RDC pour dommages matériels. Cependant, il importe de souligner d’emblée que ces demandes ne s’appuient pas sur les méthodes ou les éléments de preuve que les Etats et les juridictions internationales ont désormais coutume d’employer aux fins d’établir l’existence de tels dommages et le bien-fondé de leur évaluation.
7.5. Un examen de cette pratique montre que le bien-fondé d’une demande d’indemnisation au titre de dommages matériels sera établi sur la base de plusieurs éléments. Devront ainsi avoir été spécifiés : 1) le bien qui aurait été endommagé, ainsi que la date et le lieu du dommage ; 2) la nature de ce dommage s’il est, par exemple, total ou partiel ; et 3) la valeur loyale et marchande ainsi que la valeur de remplacement ou de liquidation du bien884.
7.6. Ces éléments sont en général établis par des preuves documentaires contemporaines des dommages allégués habituellement disponibles reçus, inventaires détaillés, titres de propriété, dossiers d’assurance, registres cadastraux, documents fiscaux, par exemple , ainsi que par des preuves de perte : demandes d’indemnisation adressées à l’assurance, ajustement du montant imposé, estimations des pertes à remplacer, ou reçus attestant le remplacement ou la reconstruction du bien. En sus de ces preuves documentaires, des déclarations sous serment du propriétaire du bien préciseront habituellement les circonstances spécifiques entourant la perte de celui-ci. Aux fins de chiffrer la perte, il pourra être présenté des éléments établissant : 1) la valeur en capital du bien perdu ; 2) l’indemnisation due, le cas échéant, pour manque à gagner (lucrum cessans) ; et 3) le montant des dépenses accessoires associées à la perte du bien.
7.7. Telle est l’approche que la Cour a suivie lorsqu’elle a fixé le montant de l’indemnisation due au titre de dommages matériels dans l’affaire du Détroit de Corfou885 et dans l’affaire Diallo886, ainsi qu’il a été dit au chapitre 3, et telle est également l’approche observée dans les exposés qui lui ont été soumis, en l’affaire de l’Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) par exemple887. C’est encore celle que l’on retrouve dans la pratique des juridictions régionales des droits de l’homme888 et les accords de règlement négociés entre Etats889. Au cours des dernières années, la méthode et les éléments requis pour établir les pertes de bien ont été affinés et précisés à travers la jurisprudence
884 Voir, de manière générale, E. M. Borchard, The Diplomatic Protection of Citizens Abroad or the Law of International Claims (1916) ; J. H. Ralston, The Law and Procedure of International Tribunals (1926) ; Marjorie M. Whiteman, Damages in International Law (1937) ; A. H. Feller, The Mexican Claims Commissions, 1923-1934: A Study in the Law and Procedure of International Tribunals (1935) ; G. H. Hackworth (sous la dir. de), Digest of International Law, vol. 5 (1943) ; R. B. Lilich (sous la dir. de), International Law of State Responsibility for Injuries to Aliens (1983) ; C. Gray, Judicial Remedies in International Law (1987) ; R. B. Lilich (sous la dir. de), The Valuation of Nationalized Property in International Law (1972).
885 Détroit de Corfou (réparation, 1949).
886 Diallo (2012).
887 Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 15.
888 Voir D. Shelton, Remedies in International Human Rights Law, op. cit., p. 315-375.
889 Voir, de manière générale, R. B. Lillich, International Claims: Postwar British Practice (1967) ; B. H. Weston, International Claims: Postwar French Practice (1971) ; B. Weston & R. Lillich, International Claims: Their Settlement by Lump Sum Agreements (1975) ; B. H. Weston et al., International Claims: Their Settlement by Lump Sum Agreements, 1975-1995 (1999).
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du Tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran890 et les innombrables affaires entre investisseurs et Etat portées devant des tribunaux arbitraux ad hoc891.
7.8. D’autres techniques peuvent être utilisées pour traiter des réclamations en grand nombre concernant des dommages matériels qui sont portées devant des commissions de réclamations complexes, mais, comme il a été expliqué au chapitre 3, ces techniques ne sont pas appropriées dans le contexte des litiges interétatiques soumis à une instance judiciaire internationale. L’Ouganda est conscient qu’il peut être difficile de recueillir des preuves de dommages matériels survenus dans des zones reculées pendant un conflit armé. Reste et c’est le point essentiel que la RDC n’a fourni aucun des éléments sur la base desquels sont habituellement établis l’existence d’un préjudice particulier lié à des dommages matériels et l’évaluation dudit préjudice.
II. LA RDC N’A PAS APPORTÉ LA PREUVE DE L’AMPLEUR DES DOMMAGES MATÉRIELS QU’ELLE INVOQUE, ET L’ÉVALUATION QU’ELLE EN DONNE PRÉSENTE DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES
7.9. Avant d’entrer dans le détail des demandes de la RDC relatives aux dommages matériels, il convient de rappeler les conclusions pertinentes auxquelles la Cour est parvenue dans son arrêt de 2005 sur le fond.
7.10. En 2005, la Cour a jugé que l’Ouganda avait violé le principe du non-recours à la force dans les relations internationales ainsi que le principe de non-intervention892. Elle n’a pas toutefois spécifié que ces violations auraient entraîné l’une quelconque des pertes alléguées à présent par la RDC.
7.11. La Cour a également estimé que, par le comportement de ses forces armées, l’Ouganda avait violé les obligations lui incombant en vertu du droit relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire893. Dans ce contexte, elle a, dans le dispositif, constaté que l’Ouganda avait «détruit des villages et des bâtiments civils». Si elle a également conclu qu’il avait manqué «d’établir une distinction entre cibles civiles et militaires et de protéger la population civile lors d’affrontements avec d’autres combattants», «incité au conflit ethnique» et «manqué de prendre des mesures visant à y mettre un terme», elle n’a pas, en revanche, mentionné dans le dispositif le moindre dommage matériel spécifique qui en serait résulté. Ainsi, le dispositif de l’arrêt de 2005 ne fait nulle part expressément état de dommages causés par les forces armées ougandaises à des biens appartenant à la SNEL ou à d’autres entreprises publiques, ou encore aux forces armées congolaises.
7.12. Enfin, la Cour a estimé que l’Ouganda avait manqué, en tant que puissance occupante en Ituri, de prendre les mesures visant à respecter et à faire respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire894. Là encore, elle ne spécifie pas dans le dispositif le type de
890 Voir, de manière générale, G. H. Adrich, The Jurisprudence of the Iran-United States Claims Tribunal (oct. 1996) ; C. N. Brower, The Iran-United States Claims Tribunal, op. cit. ; R. B. Lilich et al., The Iran-United States Claims Tribunal: Its Contribution to the Law of State Responsibility (1998).
891 Voir, de manière générale, B. Sabahi, Compensation and Restitution in Investor-State Arbitration: Principles and Practice (2011) ; M. Sornarajah, The International Law of Foreign Investment (2017).
892 Activités armées (2005), par. 345, point 1 du dispositif.
893 Ibid., par. 345, point 2 du dispositif.
894 Ibid., par. 345, point 3 du dispositif.
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dommages matériels spécifiques qui auraient résulté, à ce titre, d’actes de pillage, par exemple (quoiqu’elle y mentionne expressément le «pillage» dans le contexte de l’exploitation des ressources naturelles)895.
7.13. Dans l’arrêt de 2005, la Cour semble s’être fondée, pour conclure à la destruction de «villages et d[e] bâtiments civils», sur quatre rapports de l’ONU et une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU896 ; trois de ces documents concernaient plus particulièrement Beni, Kisangani ou l’Ituri, et les deux autres, à la fois le comportement du Rwanda et celui de l’Ouganda. La Cour y fait référence uniquement à propos de la destruction totale ou partielle de maisons, villages et localités, mais, une fois de plus, ne mentionne pas d’autres types de dommages matériels, causés par exemple à la SNEL, à d’autres entreprises publiques ou aux forces armées congolaises.
7.14. S’agissant du manquement de l’Ouganda à son obligation de protéger la population civile et de faire la distinction entre combattants et non-combattants, la Cour, dans son arrêt de 2005, cite deux rapports de l’ONU. S’agissant des dommages matériels, la Cour relève qu’il ressort de l’un des deux (celui relatif à Kisangani) que, par suite du comportement et du Rwanda et de l’Ouganda, plus de 4000 maisons ont été partiellement endommagées, détruites ou rendues inhabitables ; 69 écoles ont été frappées par des obus ; d’autres bâtiments publics ont été fortement endommagés ; et l’infrastructure de santé et la cathédrale ont subi d’importants dégâts897. Le second rapport (concernant l’Ituri) indique que des maisons et des commerces ont été pillés, et que des obus ont été tirés sur des habitations, par le fait à la fois de l’UPC et de l’Ouganda898. La Cour n’a donc évoqué que deux localités pertinentes pour cet aspect de ses conclusions.
7.15. S’agissant des pertes matérielles résultant de l’incitation au conflit ethnique, la Cour, dans son arrêt de 2005, renvoie à trois rapports de l’ONU, censés être corroborés par un rapport de Human Rights Watch. S’agissant des dommages matériels, la Cour a simplement noté que, selon l’un de ces rapports, l’Ouganda aurait encouragé et soutenu la saisie de terres par les Hema899.
7.16. Les conclusions auxquelles la Cour est parvenue quant aux dommages matériels sont donc de nature extrêmement générale. Il est dès lors impossible, sur cette base, de dresser le constat ou de procéder à l’évaluation des dommages spécifiques imputables à l’Ouganda. Ce dernier a déjà indiqué que, en 2005, la Cour avait expressément fait peser sur la RDC l’obligation d’apporter la preuve du préjudice exact subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont celui-ci était responsable. Ainsi qu’il sera démontré dans les sections qui suivent, la RDC, dans son mémoire, ne s’est acquittée de la charge de la preuve lui incombant à cet égard pour aucun des dommages matériels allégués, que ce soit en Ituri, à Kisangani ou ailleurs.
895 Activités armées (2005), par. 345, point 4 du dispositif.
896 Ibid., par. 206.
897 Ibid., par. 208.
898 Ibid.
899 Ibid., par. 209.
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A. Ituri
7.17. La RDC réclame la somme de 41 524 613 dollars à titre d’indemnités dues à raison de dommages matériels causés «par les différents protagonistes» en Ituri, alors que cette région était occupée par l’Ouganda900. Ce montant se décompose comme suit :
12 956 200 dollars au titre de la destruction d’habitations ;
21 250 000 dollars au titre de la destruction d’infrastructures ; et
7 318 413 dollars au titre de pillages901.
Or, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame.
7.18. Ainsi qu’il sera montré ci-après, la RDC ne tente même pas de prouver que l’un quelconque des dommages dont elle demande réparation aurait été directement le fait de l’Ouganda. Elle entend que soit attribuée à celui-ci la responsabilité des dommages causés en Ituri par «les différents protagonistes» sur la base d’un seul et unique argument, à savoir que ces dommages ne se seraient pas produits si l’Ouganda s’était acquitté des obligations lui incombant en tant que puissance occupante. Or, la RDC ne produit aucun élément mettant en évidence des mesures spécifiques que l’Ouganda aurait manqué de prendre en Ituri, ou établissant un lien de causalité direct entre pareil manquement et des dommages particuliers.
7.19. La RDC n’a pas davantage produit d’éléments établissant sans l’ombre d’un doute le bien-fondé de l’évaluation qu’elle avance. Aucun des chiffres qu’elle met en avant n’est étayé par des éléments de preuve crédibles ni, a fortiori, convaincants. Seuls sont présentés, dans le mémoire de la RDC, des tableaux de synthèse, mais qui ne sont accompagnés d’aucun justificatif. Il est dès lors impossible de déterminer avec un quelconque degré de certitude si l’indemnisation demandée correspond à des dommages réels.
1. Habitations
7.20. La RDC soutient que le nombre d’habitations détruites «en conséquence du manquement par l’Ouganda à ses obligations en tant que puissance occupante de l’Ituri, entre 1998 et 2003, se monte à 8693»902. Et d’ajouter : «[O]n peut raisonnablement estimer que les habitations peuvent être distinguées en fonction de la clé de répartition suivante : 5 % d’habitations de luxe, 15 % d’habitations intermédiaires, et 80 % d’habitations légères»903.
7.21. Sur la base de ces prétendues «clés de répartition», la RDC demande à être indemnisée pour la destruction totale ou partielle de :
435 habitations de luxe ;
1304 habitations intermédiaires ; et
900 MRDC, par. 3.45.
901 Ibid., par. 7.43.
902 Ibid., par. 3.45 c).
903 Ibid., par. 7.35.
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6954 habitations légères904.
7.22. Pour chiffrer les dommages qui auraient été subis, la RDC applique un barème qu’elle prétend avoir établi «sur la base de la valeur de reconstruction des habitations en cause». Ce barème est le suivant :
habitations de luxe : 10 000 dollars ;
habitations intermédiaires : 5000 dollars ; et
habitations légères : 300 dollars905.
7.23. Elle multiplie ensuite le nombre d’habitations endommagées par le coût nominal de leur reconstruction, aboutissant aux chiffres suivants :
habitations de luxe : 4 350 000 dollars (435 x 10 000 dollars) ;
habitations intermédiaires : 6 520 000 dollars (1304 x 5000 dollars) ; et
habitations légères : 2 086 200 dollars (6954 x 300 dollars)906.
Le montant total de l’indemnisation réclamée par la RDC pour cette catégorie de dommages se monte ainsi à 12 956 200 dollars907.
7.24. Or, fondamentalement, les chiffres sur lesquels la RDC s’appuie à chaque étape sont controuvés ; ils ne reposent sur aucune preuve digne de ce nom. En conséquence, la demande de la RDC est dépourvue de fondement.
7.25. Pour ce qui est de l’ampleur des dommages, la RDC ne produit aucun élément fiable à l’appui de l’affirmation selon laquelle le nombre d’habitations détruites en Ituri se monterait à 8693. Ce chiffre semble totalement arbitraire — comme semble l’être la «clé» en fonction de laquelle les habitations sont réparties en habitations «de luxe», «intermédiaires» et «légères».
7.26. La RDC se fonde exclusivement, pour étayer ces chiffres, sur l’annexe 1.3 de son mémoire908, où figure simplement un tableau synthétique intitulé «Evaluation pertes des biens», censé reposer sur «les enquêtes diligentées par la RDC»909.
7.27. Or, ce tableau ne contient aucune donnée sur laquelle la Cour pourrait se fonder. Il ne répertorie pas d’habitations détruites, même lorsqu’il inventorie les lieux des «événement[s]». Il ne précise pas l’étendue de la destruction — partielle ou complète. (Les habitations, apparemment,
904 MRDC, par. 7.35, 3.45 c).
905 Ibid., par. 7.35.
906 Ibid., par. 7.36.
907 Ibid., par. 7.37.
908 Ibid., par. 3.45 c), notes 313-316.
909 Ibid., par. 3.45 c) ; «Evaluation pertes des biens» dans le dossier «Victimes_PerteBien_ITURI», MRDC, annexe 1.3.
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auraient été soit totalement épargnées soit totalement détruites.) Il ne spécifie pas davantage le jour,
le mois ou ne serait-ce que l’année du dommage.
7.28. Fait non moins important, la RDC ne fournit aucune preuve selon laquelle l’un
quelconque des dommages allégués aurait été causé par les UPDF ou aurait été la conséquence du
manquement de l’Ouganda à son obligation de diligence en tant que puissance occupante. La RDC
semble simplement présumer que toute destruction d’habitations en Ituri, où et à quelque date
qu’elle ait pu avoir lieu, peut être imputée à l’Ouganda. L’annexe 1.3 ne permet donc nullement
d’établir avec un quelconque degré de crédibilité ni, a fortiori, de certitude, l’ampleur des
dommages susceptibles d’avoir été causés par des faits illicites de l’Ouganda.
7.29. S’agissant de l’évaluation de ces dommages, la RDC n’a pas non plus apporté la
preuve que le barème en vertu duquel elles prétend fixer trois valeurs de reconstruction différentes
rend compte des coûts de reconstruction effectifs. Elle ne produit aucun document ni, du reste, de
preuve d’un quelconque type, permettant de chiffrer la reconstruction ne fût-ce que d’une seule
habitation. En d’autres termes, les prétendus coûts de réparation et de reconstruction semblent
totalement arbitraires.
7.30. La crédibilité de cet aspect des demandes de la RDC est encore entamée par de simples
erreurs arithmétiques, qui ont pour effet de gonfler le montant des indemnités réclamées. Dans bien
des cas, les résultats des multiplications effectuées par la RDC à partir de ses propres chiffres sont
erronés, comme l’illustrent les exemples ci-dessous tirés de ses tableaux :
910
911
910 «Evaluation pertes des biens» dans le dossier «Victimes_PerteBien_ITURI», p. 137, MRDC, annexe 1.3.
911 Ibid., p. 9.
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912
7.31. Désireuse d’étayer ses demandes relatives à des pertes de biens, la RDC, dans son
mémoire, évoque aussi plusieurs incidents en impliquant les forces ougandaises. Elle s’y réfère non
pour apporter la preuve de pertes spécifiques imputables à l’Ouganda et justifier les chiffres qu’elle
a avancés, mais aux fins «d’illustr[er]» qu’un préjudice a été causé. Or, même à cet égard, ses
assertions pèchent souvent par manque de crédibilité.
7.32. Ainsi, au paragraphe 3.42 de son mémoire, la RDC énumère des cas de destruction en
Ituri, parfois en spécifiant le nombre de maisons qui auraient été endommagées. A l’alinéa j) de ce
paragraphe, elle indique par exemple que, «[à] partir de la localité de Zumbe, attaquée les 15 et
16 octobre 2002 par des milices hema accompagnées de soldats ougandais, «les attaquants ont
incendié tous les villages voisins» ; à cette occasion, «plus de 500 édifices, parmi lesquels des
centres sanitaires et des écoles» ont été détruits913. Elle cite comme source le rapport du projet
Mapping. Or, celui-ci ne fait, à propos de cet incident, aucune référence à l’Ouganda, et aucun des
dommages occasionnés n’y est attribué à celui-ci. Au contraire, le rapport du projet Mapping les
associe expressément à des miliciens de l’UPC, et non à l’Ouganda :
«Entre le 15 et le 16 octobre 2002, des miliciens de l’UPC ont tué au moins
180 personnes, dont des civils, dans la localité de Zumbe de la collectivité des
Walendu Tatsi. Les miliciens ont également violé au moins 50 femmes. La plupart des
victimes ont été tuées à coups de machette ou de lance. Certaines ont été tuées par
balle. Certaines ont survécu mais ont été gravement mutilées. Après avoir pillé de
nombreux biens et volé 1500 têtes de bétail, les troupes de l’UPC ont incendié le
village, détruisant plus de 500 édifices, parmi lesquels des centres sanitaires et des
écoles. Zumbe était un fief du FRPI.»914
7.33. Du reste, quand bien même le compte rendu de la RDC aurait été exact, il ne lui serait
toujours d’aucune aide. La Cour a indiqué que le comportement de groupes rebelles n’était pas,
dans l’absolu, attribuable à l’Ouganda. Les dommages causés par les rebelles en Ituri résultant
directement du manquement de l’Ouganda à prendre, en tant que puissance occupante, des mesures
spécifiques pourraient certes être susceptibles d’indemnisation, mais la RDC n’a produit aucune
912 «Evaluation pertes des biens» dans le dossier «Victimes_PerteBien_ITURI», p. 99, MRDC, annexe 1.3.
913 MRDC, par. 3.42 j).
914 Rapport Mapping, par. 414, (les italiques sont de nous), annexe 25.
291
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preuve établissant un tel manquement dans le cas des habitations qui auraient été détruites en Ituri915.
7.34. En conclusion, la RDC n’ayant pas apporté la preuve des dommages exacts causés à des habitations en Ituri du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef.
2. Infrastructures
7.35. La RDC demande également à être indemnisée à raison de la destruction d’infrastructures en Ituri. Plus précisément, elle réclame la somme de 21 250 000 dollars à titre d’indemnités dues pour la destruction de 200 écoles, de 50 infrastructures de santé et de 60 bâtiments administratifs916. Ce montant est calculé sur la base de la «valeur moyenne» supposée de ces infrastructures, valeur qui peut, selon la RDC, «être estimée» à 75 000 dollars par établissement scolaire, 75 000 dollars par infrastructure de santé et 50 000 dollars par bâtiment administratif917. Il n’y a nullement lieu pour la Cour d’adjuger les indemnités réclamées, parce que la RDC n’a aucunement apporté la preuve de l’existence des dommages qu’elle allègue ou du bien-fondé de l’évaluation qu’elle en donne, et n’a pas davantage tenté d’établir que ces dommages auraient été la conséquence directe de faits illicites de l’Ouganda.
7.36. Les affirmations de la RDC quant à l’ampleur des dommages (nombre d’écoles, d’infrastructures de santé et de bâtiments administratifs détruits) sont dépourvues de fondement.
7.37. S’agissant des infrastructures d’enseignement, la RDC cite le deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la MONUC (2003) à l’appui de l’affirmation selon laquelle l’Ouganda serait responsable de la destruction de 200 écoles918. Or, ce rapport ne vient pas étayer cette prétention. Il ne fait qu’indiquer, de manière générale et sans renvoyer au moindre élément de preuve, que 200 écoles ont été détruites au cours des années qu’a duré le conflit armé en RDC. Il n’y est nullement spécifié que les destructions auraient été le fait des soldats des UPDF ou la conséquence du manquement de l’Ouganda à s’acquitter des obligations lui incombant en tant que puissance occupante.
915 Pour les mêmes raisons, les autres incidents invoqués par la RDC à titre illustratif qui renvoient à des dommages causés par les rebelles en Ituri ne peuvent fonder sa demande d’indemnisation, même si la RDC a choisi d’en exciper à cet effet. Cela vaut en particulier pour les incidents mentionnés aux alinéas b), c), f), h), i), j), k), l) du paragraphe 3.42 du mémoire de la RDC, qui se rapportent à la destruction par les rebelles d’habitations, d’établissements scolaires, d’infrastructures de santé et de bâtiments administratifs. Il convient également de souligner qu’aucun dommage découlant de ces incidents n’est associé à un fait illicite de l’Ouganda, ou à un manquement de la part de celui-ci à prendre, en tant que puissance occupante en Ituri, des mesures spécifiques.
916 MRDC, par. 7.39-7.42.
917 Ibid., par. 7.39. Pour ce qui est des établissements scolaires, la RDC soutient que, «[g]lobalement, la valeur moyenne d’une infrastructure d’enseignement peut être estimée à 75 000 dollars». Le montant total de l’indemnité qu’elle réclame à ce titre «est donc de 200 x 75 000 dollars, soit 15 000 000 (quinze millions) dollars».
Pour ce qui est des infrastructures de santé, la RDC écrit que, «[g]lobalement, la valeur moyenne d’une infrastructure de santé peut être estimée à 75 000 dollars». Le montant total de l’indemnité qu’elle réclame à ce titre «est donc de 50 x 75 000 dollars, soit 3 750 000 (trois millions sept cent cinquante mille) dollars» ; MRDC, par. 7.40.
Pour ce qui est des bâtiments administratifs, la RDC soutient que, «[g]lobalement, la valeur moyenne d’une infrastructure administrative peut être estimée à 50 000 dollars». Le montant total de l’indemnité qu’elle réclame à ce titre est donc de 50 x 50 000 dollars, soit 2 500 000 (deux millions cinq cent mille) dollars» ; MRDC, par. 7.41.
918 Ibid., par. 3.45 a).
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7.38. En outre, la RDC ne fait pas état d’autres sources crédibles qui viendraient corroborer le chiffre qu’elle puise dans le deuxième rapport spécial de 2003919. Ainsi, le rapport du projet Mapping de l’ONU, dont les auteurs ont passé en revue ce deuxième rapport (entre maintes autres sources), ne dénombre pas d’écoles détruites, ni ne mentionne a fortiori que pareilles destructions seraient dues à l’Ouganda.
7.39. Là encore, le chiffre sur lequel se fonde la RDC est contredit par ses propres «enquêtes». L’annexe 1.3 de son mémoire fait uniquement état de la destruction de 18 écoles et 12 jardins scolaires920. Mais même ces chiffres autrement moins élevés figurant dans le tableau de synthèse consacré à l’«évaluation perte des biens» sont a priori dépourvus de fondement ; il n’est soumis aucun justificatif à l’appui des données présentées, non plus que d’informations pertinentes sur les établissements en question, telles que leur emplacement ou leur taille.
7.40. En outre, quand bien même ces chiffres seraient justifiés (quod non), la RDC ne démontre pas que les dommages répertoriés dans son tableau seraient à rattacher, par un lien de cause à effet, au comportement illicite de l’Ouganda. Il n’est fourni aucune information qui permettrait d’établir un tel lien : ni la date, ni les auteurs, ni l’ampleur du dommage ni encore le coût des réparations ou de la reconstruction ne sont précisés.
7.41. En ce qui concerne le nombre allégué d’infrastructures de santé détruites, la RDC se contente d’affirmer que, «[s]ur la base des données dont elle dispose, [elle] estime raisonnable de retenir le nombre de 50 dispensaires et hôpitaux»921. Toutefois, elle ne produit aucun élément autorisant la Cour à conclure que 50 bâtiments de ce type ont en effet été détruits, ou que leur destruction aurait été la conséquence directe de faits illicites spécifiques imputables à l’Ouganda. Une fois encore, elle ne produit, dans son mémoire, aucun document ou aucune information permettant d’établir la date, les auteurs ou l’ampleur du dommage allégué ou encore de calculer le coût des réparations ou de la reconstruction.
7.42. Au contraire, les données qu’elle présente révèlent une tout autre réalité. Le tableau intitulé «Evaluation pertes des biens» qui figure à l’annexe 1.3 mentionne seulement la destruction de sept hôpitaux et d’un dispensaire922, et encore ces huit établissements sont-ils mentionnés sans autre précision, le degré de destruction (minimal, partiel ou total) n’est-il pas spécifié, et aucun lien de causalité avec les faits spécifiques n’est-il établi. En outre, même à le juger — quod non — fiable et exact, le tableau de synthèse ne saurait fonder l’octroi d’une indemnisation.
7.43. S’agissant de la destruction alléguée de 50 bâtiments administratifs («bureaux, logements de fonctionnaires, prisons, etc.»)923, la demande de la RDC est également dépourvue de fondement. La RDC elle-même affirme que «les fiches établies par [s]es enquêteurs» n’inventorient que «[d]ouze cas spécifiques de destruction»924. Mais, soutient-elle, ceci ne
919 Activités armées (2005), par. 205 (les éléments de preuve contenus dans certains documents de l’Organisation des Nations Unies pourront être pris en considération «dans la mesure où ils ont une valeur probante et sont corroborés, si nécessaire, par d’autres sources crédibles»).
920 «Evaluation pertes des biens», dans le fichier «Victimes_PerteBien_ITURI», MRDC, annexe 1.3.
921 MRDC, par. 3.45 b).
922 «Evaluation pertes des biens», dans le fichier «Victimes_PerteBien_ITURI», p. 41-42, 58, MRDC, annexe 1.3.
923 MRDC, par. 3.45 c)
924 Ibid.
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représente qu’«une fraction des dommages … qui ont été réellement subis»925. En conséquence, elle «estime raisonnable de retenir … le nombre de 50 bâtiments administratifs détruits dans la région de l’Ituri entre 1998 et 2003»926.
7.44. De même que pour les autres volets des demandes de la RDC, de telles appréciations subjectives de ce qui est raisonnable ne peuvent servir de fondement à l’octroi d’indemnités927. La RDC ne s’est en rien acquittée de l’obligation mise à sa charge par la Cour en 2005 : apporter la preuve du préjudice exact directement causé par un comportement illicite spécifique imputable à l’Ouganda. Une fois de plus, la RDC ne produit aucun document permettant d’établir la date, les auteurs, l’ampleur du dommage allégué ou encore le coût des réparations ou de la reconstruction.
7.45. La RDC n’a pas seulement manqué d’apporter la preuve que l’Ouganda serait responsable de la destruction de 200 écoles, 50 infrastructures de santé et 50 bâtiments administratifs, elle a aussi failli à démontrer la fiabilité de sa prétendue «méthode d’évaluation».
7.46. La RDC ne fournit aucun élément pour expliquer, et encore moins justifier au moyen d’éléments de preuve, les «valeurs moyennes» qu’elle attribue aux infrastructures faisant l’objet de sa demande — 75 000 dollars par établissement d’enseignement, 75 000, également, par infrastructure de santé et 50 000 dollars par bâtiment administratif . Là encore, ces chiffres semblent avoir été choisis au juger aux fins de la présente procédure. La RDC n’a pas même prétendu les fonder sur les coûts réels de réparation et de reconstruction des établissements présentés comme détruits.
7.47. Le fait est d’autant plus remarquable que ces informations sont entièrement en sa possession. La RDC aurait pu, et dû, inventorier lesdits dommages, et établir des estimations détaillées des coûts de réparation et de reconstruction de telles infrastructures. Si elle a effectivement procédé à de telles réparations/reconstructions, elle dispose a priori de documents établissant les dépenses qu’elle a encourues. Or, elle n’a produit aucun élément de cette nature. En lieu et place, elle demande à la Cour de prêter simplement à ces dommages telle nature, telle ampleur et un lien qui les rattacherait à des faits spécifiques de l’Ouganda.
7.48. La RDC n’ayant pas apporté la preuve des dommages exacts causés aux infrastructures en Ituri du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef.
3. Biens meubles
7.49. La RDC réclame la somme de 7 318 413 dollars à titre d’indemnités dues pour des biens qui auraient été pillés du fait du manquement de l’Ouganda aux obligations lui incombant en tant que puissance occupante en Ituri928. Pour justifier ce montant, la RDC fournit «[u]ne liste détaillée des biens pillés»929 constituée à partir des «fiches établies par [s]es enquêteurs»930.
925 MRDC, par. 3.45 c).
926 Ibid.
927 Ibid.
928 Ibid., par. 7.43.
929 Ibid., par. 3.48.
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7.50. La RDC écrit que cette «liste détaillée» est «reprise en annexe du … [chapitre 3]» de son mémoire931. Or, ledit chapitre ne comporte aucune annexe de cette nature. La RDC semble en réalité faire référence à l’annexe 1.3, qui contient un fichier intitulé «Evaluation pertes des biens», dans lequel figure un tableau synthétique censé répertorier : 1) les victimes de pillages ; 2) les biens soustraits ; et 3) la valeur de ces biens932.
7.51. Une fois de plus, la RDC n’apporte toutefois aucun élément permettant d’établir que les biens répertoriés dans son tableau ont effectivement été pillés, ou qu’ils l’ont été par les soldats des UPDF ou par suite du manquement de l’Ouganda à ses obligations en tant que puissance occupante. Ne serait-ce que pour cette seule raison, la RDC ne peut se voir octroyer les indemnités qu’elle réclame.
7.52. Ce volet de la demande de la RDC doit également être rejeté pour une autre raison : les évaluations que la RDC donne dans son tableau apparaissent totalement arbitraires. La RDC n’a pas fourni un seul document permettant d’établir l’identité des propriétaires ou la valeur des biens qui auraient été pillés. Elle n’a pas davantage expliqué pourquoi elle a retenu telle ou telle valeur nominale pour chacun des différents biens répertoriés.
7.53. Dans près d’un millier de cas répertoriés dans le tableau intitulé «Victimes_PerteBien_ITURI», la RDC ne désigne pas même nommément le bien qui aurait été pillé. Elle se contente de termes génériques, évoquant «divers biens», des «marchandises», «meubles» ou «ustensiles de cuisine», sans mentionner l’article spécifique dont il s’agit933.
7.54. A chacun des biens relevant de ces grandes catégories, la RDC attribue aussi, sans justificatif aucun, des valeurs monétaires exagérément élevées, allant de 10 000 à plus d’un million de dollars pour les «divers biens». Elle réclame ainsi plus de 2 millions de dollars d’indemnités au titre du seul prétendu pillage de biens «divers»934.
7.55. La valeur des biens pillés répertoriés dans la «liste détaillée» établie par la RDC présente par ailleurs une uniformité qui défie la vraisemblance. Sont ainsi listés, dans la catégorie générique «meubles», plus de 400 biens qui auraient appartenu à des propriétaires différents de localités différentes. Or, la même valeur (5000 dollars) est associée à chacun935. La RDC fournit de même une estimation uniforme en ce qui concerne d’autres biens, indépendamment de leur
930 MRDC, par. 7.43.
931 Ibid., par. 3.48.
932 «Evaluation pertes des biens», dans le fichier «Victimes_PerteBien_ITURI», MRDC, annexe 1.3.
933 Ibid. L’on trouve ainsi 82 éléments dans la catégorie «marchandise», 463 dans la catégories «meuble» et 43 dans celle intitulée «divers biens».
934 Dans cette catégorie, elle avance de nombreux montants allant de 10 000 à 100 000 dollars, d’autres allant de 100 000 à 1 million de dollars et un montant dépassant 1 million de dollars. Or, aucun n’est accompagné du moindre élément d’explication ou de preuve permettant d’établir l’étendue réelle des dommages directement dus à des faits illicites de l’Ouganda, et le bien-fondé de l’évaluation avancée. Voir, par exemple, «Evaluation pertes des biens» dans le fichier «Victimes_perteBien_ITURI», p. 49, 60, 169, MRDC, annexe 1.3.
935 Dans certains cas, la valeur des «meubles» est estimée à 5000, 8000 ou 10 000 dollars. Or, ces «évaluations» sont pour le moins difficiles à accepter. Ainsi, à la page 15 du tableau de synthèse, la RDC allègue que du mobilier dont elle ne précise pas la nature aurait été détruit en même temps qu’une «habitation légère». Elle évalue ce mobilier à 10 000 dollars. Or, il n’est a priori pas plausible qu’une habitation légère, dont la valeur est estimée à 300 dollars, ait pu abriter des meubles dont la valeur représenterait plus de 30 fois celle de la maison elle-même. Voir «Evaluation pertes des biens» dans le fichier «Victimes_PerteBien_ITURI», p. 15, MRDC, annexe 1.3.
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provenance ou de l’identité des victimes présumées936. Ainsi, elle attribue une valeur de 10 000 dollars à la quasi-totalité des véhicules, et de 250 dollars à la totalité des téléviseurs937. En d’autres termes, les évaluations que donne la RDC ne sont pas fondées sur des informations spécifiques, et ne reflètent pas des dommages effectifs ; les chiffres qu’elle avance semblent au contraire avoir été choisis au juger aux fins de la présente procédure.
7.56. Ainsi aboutit-on à des demandes exorbitantes et arbitraires. Pour les seuls «meubles» pillés, par exemple, la RDC demande à être indemnisée à hauteur de 2 millions de dollars. Au lieu d’être étayée par des éléments de preuve et fondée sur des méthodes d’évaluation fiables, la réclamation qu’elle avance au titre de pillages est un édifice de spéculation reposant sur de pures conjectures. De fait, sa demande est si arbitraire et si détachée de la réalité que la RDC ne prend nulle part la peine d’expliquer comment elle aboutit au montant total des indemnités qu’elle réclame à ce titre (7 318 413 dollars). L’Ouganda a diligemment cherché et cherche encore le fondement sur lequel ce montant avait été calculé, mais n’en a trouvé nulle trace dans le mémoire de la RDC ou les annexes.
7.57. La RDC n’ayant pas, s’agissant des biens pillés en Ituri, apporté la preuve du préjudice exact causé du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef.
B. Kisangani
7.58. La RDC réclame une indemnisation d’un montant de 17 323 998 dollars à raison de dommages matériels qui auraient été causés à Kisangani. Selon elle, cette somme couvre six catégories : les dommages aux habitations, le pillage ou la destruction de biens meubles, la destruction d’infrastructures d’enseignement et de soins, les dommages aux lieux de culte, les dommages aux entreprises publiques, et ceux causés aux entreprises privées938. La RDC ne précise nulle part, dans son mémoire, la ventilation de la somme totale entre ces six catégories, de sorte qu’il est impossible de déterminer comment et sur quelle base elle parvient au montant de 17 323 998 dollars qu’elle sollicite.
7.59. A cette somme inexpliquée, la RDC ajoute encore près de 100 millions de dollars (97 412 090 dollars, pour être précis) au titre de dommages prétendument causés à la SNEL939.
7.60. Comme il sera démontré ci-après, la RDC n’a pas apporté la preuve que quelque dommage matériel causé à Kisangani ait directement été le fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites. Elle n’a pas davantage établi la valeur de l’un quelconque de ces biens perdus.
936 «Evaluation pertes des biens», dans le fichier «Victimes_PerteBien_ITURI», MRDC, annexe 1.3. Il convient de souligner que les «marchandises», dont la nature n’est pas précisée, sont systématiquement évaluées à 1000 dollars ; que les «vaches» ont été évaluées à 300 dollars dans 300 cas ; les «véhicules» à 10 000 dollars dans la quasi-totalité des cas, et ce, indépendamment de leur état ou du lieu du dommage ; les «vélos», à 100 dollars chacun ; les «télévisions», à 250 dollars, dans tous les cas ; les «chèvres», à 100 dollars dans plus de 500 cas ; et les «ustensiles de cuisine», à 200 dollars dans la quasi-totalité des cas.
937 «Evaluation pertes des biens», dans le fichier «Victimes_PerteBien_ITURI», MRDC, annexe 1.3.
938 MRDC, par. 4.71.
939 Ibid., par. 7.47.
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1. Habitations
7.61. La RDC ne précise pas le montant de l’indemnisation qu’elle réclame à raison des dommages qui auraient été causés à des habitations à Kisangani, montant qu’il est en outre impossible de déduire des documents joints à son mémoire. De fait, ces derniers se contredisent quant au nombre d’habitations prétendument endommagées, n’indiquent aucune méthode d’évaluation claire et ne démontrent pas que l’un quelconque des dommages potentiels résultait de faits illicites spécifiques de l’Ouganda.
7.62. Dans son mémoire, la RDC affirme que, à Kisangani, l’Ouganda aurait endommagé «100 [habitations] en août 1999, 100 en mai 2000 et 4083 en juin 2000 soit un total arrondi de 4300 logements endommagés»940. Cette allégation n’est toutefois pas étayée par les sources citées.
7.63. S’agissant de l’endommagement ou de la destruction de «100 habitations en août 1999 et de 100 autres en mai 2000», l’unique base invoquée à l’appui de l’allégation selon laquelle ces dommages matériels auraient été causés par l’Ouganda est l’annexe 4.3 du mémoire, dans laquelle la RDC fournit des extraits triés sur le volet de rapports des ONG Groupe Lotus et Groupe Justice et Libération, établies sur son territoire941.
7.64. Or, les extraits figurant dans l’annexe 4.3 n’indiquent pas le nombre d’habitations endommagées en août 1999 et ne font état que de 21 logements auxquels des dommages auraient été causés en mai 2000. Les propres éléments de preuve de la RDC démontrent donc tout au plus que 21 habitations au total auraient été touchées au cours de la période pertinente, et non 200, comme l’affirme cet Etat dans son mémoire. On ignore sur quoi la RDC s’est appuyée pour décider que ce dernier chiffre était celui qu’il convenait de retenir.
7.65. Au surplus, dans les extraits joints des rapports cités, les ONG ne cherchaient même pas à attribuer à l’Ouganda la responsabilité de l’endommagement de ces 21 habitations. Ces rapports font au contraire expressément mention de dommages causés par des troupes rwandaises et burundaises, ainsi que par des rebelles congolais942, et soulignent le rôle qu’a joué «le Gouvernement de la RDC [en] favoris[ant] … les violations de[s] droits» de la population de Kisangani943.
7.66. Pour ce qui est des dommages qui auraient été causés à 4083 habitations en juin 2000, la RDC se fonde à tort sur le rapport interinstitutions de l’ONU. Il y a lieu de noter que ce rapport n’attribue pas à l’Ouganda la responsabilité des dommages indiqués ; il contient seulement des observations générales sur ceux causés au cours d’affrontements militaires.
940 MRDC, par. 4.68 (les italiques sont de nous). Le nombre total théorique d’habitations endommagées est bien entendu de 4283, et non de 4300. Ici comme ailleurs, la RDC arrondit purement et simplement les chiffres lorsque cela l’arrange.
941 Voir, par exemple, «Atteintes aux biens à Kisangani», p. 3-4, MRDC, annexe 4.3.
942 Voir, par exemple, Groupe Lotus, «Les conséquences de la contraction des alliances et factions rebelles au nord-est de la République démocratique du Congo — La guerre de Kisangani», op. cit., p. 7, MRDC, annexe 4.18 ; Groupe Lotus, «Les rivalités ougando-rwandaises à Kisangani» (mai 2000), p. 3, MRDC, annexe 4.19 ; Groupe Lotus, «Rapport sur la guerre de six jours à Kisangani» (juillet 2000), p. 4, MRDC, annexe 4.20 ; Conseil de sécurité, «Rapport de la mission d’évaluation interinstitutions qui s’est rendue à Kisangani en application du paragraphe 14 de la résolution 1304 du Conseil de sécurité», doc. S/2000/1153 en date du 4 décembre 2000, p. 9, MRDC, annexe 4.24.
943 Groupe Lotus, «Rapport du Groupe Lotus de Kisangani du 15 octobre 1998», p. 11, annexe 4.15.
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7.67. La RDC ne démontre pas non plus que le chiffre qu’elle retient, tiré du rapport interinstitutions de l’ONU, est corroboré par d’autres sources crédibles944. A cet égard, il est révélateur que le Groupe Lotus — sa source privilégiée lorsqu’elle contient des chiffres plus élevés — a indiqué que, en juin 2000, 456 habitations — peu ou prou un dixième du chiffre invoqué par la RDC — avaient été endommagées. Et encore n’attribue-t-il pas à l’Ouganda la responsabilité de ces dommages945.
7.68. L’affirmation de la RDC selon laquelle l’Ouganda aurait endommagé 4300 habitations à Kisangani est également réfutée par d’autres documents joints au mémoire congolais. A titre d’exemple, le tableau intitulé «Liste des biens perdus de 1998 à 2003», qui figure à l’annexe 1.3946, est censé récapituler les types de biens endommagés à Kisangani. Or, ce tableau recense au total 1341 habitations, et non 4300947. Et même ce chiffre réduit est contredit par un autre tableau, figurant lui aussi à l’annexe 1.3 et intitulé «Evaluation pertes des biens»948, qui fait état d’un nombre encore inférieur : 1130 habitations949.
7.69. La crédibilité de l’ensemble des chiffres présentés dans les tableaux de la RDC est remise en question par leur manque total de précision. Comme dans le cas de l’indemnisation réclamée par la RDC à raison des dommages prétendument causés à certaines habitations en Ituri, pas un seul logement n’est spécifié : il n’existe aucun élément de preuve concernant le lieu, l’ampleur ou la période des endommagements allégués. La RDC ne justifie pas non plus sa répartition des logements prétendument touchés entre les trois catégories retenues (habitations de luxe, moyennes et légères). En outre, aucune information n’est fournie sur l’état des biens avant leur endommagement allégué, l’ampleur des dommages réels ou l’existence d’un lien de causalité avec des faits illicites spécifiques de l’Ouganda.
7.70. S’agissant du montant des indemnités réclamées, la RDC fait vaguement allusion, dans son mémoire, aux «montants qui ... résultent» des annexes 2.4 et 4.3950. Or, en dépit de tous ses efforts, l’Ouganda n’est pas parvenu à trouver un quelconque montant compréhensible «qui en résulte[]». L’annexe 2.4 ne contient que des tableaux résumant les dommages prétendument causés à Beni, Butembo et Gemena, mais pas à Kisangani. Quant à l’annexe 4.3, elle constitue un simple recueil d’extraits non corroborés de rapports du Groupe Lotus et du Groupe Justice et Libération qui n’exposent aucune méthode d’évaluation et dans lesquels il n’est pas procédé à une appréciation de l’indemnisation.
7.71. Bien qu’il ne soit pas cité dans le mémoire de la RDC, l’unique passage où une tentative d’évaluation semble avoir été faite se trouve dans l’annexe 4.7.d. Celle-ci prend la forme
944 Activités armées (2005), par. 205 (les éléments de preuve figurant dans des documents de l’Organisation des Nations Unies peuvent être pris en considération «dans la mesure où ils ont une valeur probante et sont corroborés, si nécessaire, par d’autres sources crédibles»).
945 Groupe Lotus, «Rapport sur la guerre de six jours à Kisangani» (juillet 2000), p. 5, MRDC, annexe 4.20 (367 habitations partiellement touchées et 89 gravement touchées).
946 «Liste des biens perdus de 1998 à 2003», dans le fichier «Liste Biens Perdus et leurs fréquences KISANGANI», MRDC, annexe 1.3.
947 Ibid., p. 3-4, MRDC, annexe 1.3 («Habitation[s] de luxe» : 63 ; «Habitation[s] légère[s]» : 220 ; «Habitation[s] moyenne[s]» : 1058 ; Total : 1341.).
948 «Evaluation pertes des biens», dans le fichier «Victimes_PerteBien_KISANGANI», MRDC, annexe 1.3.
949 «Listes numérisées pour Kisangani», «Evaluation pertes des biens», MRDC, annexe 4.7.d («Habitation[s] de luxe» : 56 ; «Habitation[s] légère[s]» : 113 ; «Habitation[s] moyenne[s]» : 927 ; Total : 1130.).
950 MRDC, par. 7.45.
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d’un tableau récapitulatif établi à partir de déclarations non signées ni certifiées sous serment, dépourvu de tout élément à l’appui et intitulé «Evaluation pertes des biens», qui énumère les dommages qui auraient été causés à différentes catégories de biens951. Ce tableau mentionne un total de 1130 logements, dont chacun est multiplié par l’un des facteurs du barème d’«évaluation» suivant : 10 000 dollars pour les habitations de luxe, 5000 dollars pour les habitations moyennes et 1000/500/400/300/150 dollars pour les habitations légères.
7.72. L’annexe 4.7.d n’indique pas ce que représentent les montants réclamés issus de l’évaluation ni comment ils ont été calculés. Compte tenu de la similitude (pour ne pas dire de l’identité) entre ces montants et ceux avancés pour les habitations en Ituri, il s’agit apparemment de «coûts de reconstruction». L’Ouganda soutient respectueusement qu’il est à l’évidence peu plausible que pareils coûts soient identiques quels que soient l’ampleur des dommages et le lieu. (La RDC semble également avoir appliqué ces mêmes coûts de reconstruction en ce qui concerne les habitations prétendument endommagées à Beni, Butembo et Gemena.) Les ressemblances avec la demande relative aux habitations en Ituri ne s’arrêtent pas là. Comme dans ce dernier cas, les prétendus «coûts de reconstruction» à Kisangani ne sont pas étayés par le moindre élément de preuve.
7.73. L’absence totale de preuves ainsi que la confusion suscitée par les chiffres disparates et contradictoires concernant les habitations prétendument endommagées qui sont avancés dans les propres sources de la RDC pourraient expliquer pourquoi celle-ci ne fait aucun effort, dans son mémoire, pour quantifier de manière claire, compréhensible et défendable l’indemnisation qu’elle revendique à ce titre.
7.74. En tout état de cause, la RDC n’ayant pas apporté la preuve des dommages exacts causés à des habitations à Kisangani du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef.
2. Biens meubles
7.75. La RDC n’a pas non plus expressément précisé le montant de l’indemnisation qu’elle réclame au titre d’actes allégués de pillage et de destruction de biens meubles à Kisangani. Elle n’a pas davantage posé quelque fondement crédible qui permettrait de l’évaluer.
7.76. La RDC déclare que le «nombre d’incidents» de pillage ou de destruction de biens qu’elle a «retenu ... comme base de sa demande de réparation pour cette catégorie de dommage est équivalent à celui des habitations détruites ou endommagées ... soit 4300 au total»952. Cette demande est irrecevable pour trois raisons au moins.
7.77. Premièrement, l’idée sous-jacente est dépourvue de fondement. Comme il a été démontré ci-dessus, la RDC n’a pas prouvé que l’Ouganda avait réellement endommagé ou détruit 4300 habitations à Kisangani. Deuxièmement, il n’existe aucune raison logique — ni même rationnelle — de penser que le nombre de cas de pillages pourrait simplement être considéré comme égal à celui des habitations prétendument endommagées. Troisièmement, en tout état de
951 «Listes numérisées pour Kisangani» : «Evaluation pertes des biens», MRDC, annexe 4.7.d.
952 MRDC, par. 4.69.
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cause, la RDC ne produit aucun élément à l’appui de sa demande ; elle se contente d’avancer une assertion non étayée.
7.78. Pour chacune des trois raisons précitées, cet aspect de la demande de la RDC relève de la pure spéculation et ne saurait constituer une base d’indemnisation crédible.
7.79. Ce volet de la demande congolaise est en outre clairement contredit par le tableau récapitulatif intitulé «Evaluation pertes des biens», joint à l’annexe 1.3 du mémoire de la RDC. Ce tableau, qui se veut une liste exhaustive des dommages que l’Ouganda aurait causés à Kisangani, recense 2396 victimes alléguées d’actes de pillage et de destruction de biens meubles, et non 4300953.
7.80. S’il constitue le véritable fondement de cet aspect insaisissable de la demande d’indemnisation de la RDC, ce chiffre de 2396 cas de pillages n’a toutefois pas non plus été prouvé. Le tableau récapitulatif correspondant présente les mêmes défauts que tous les autres tableaux congolais examinés ci-dessus (et ci-après). Il ne contient aucun élément de preuve concernant les propriétaires des biens prétendument endommagés, l’ampleur des dommages potentiels, la valeur attribuée aux biens ou un quelconque lien de causalité avec les faits illicites de l’Ouganda954. Le montant total de l’indemnité réclamée au titre de ce chef n’y est même pas précisé.
7.81. Les informations données dans ce tableau récapitulatif sont en outre contredites par un autre, intitulé «Identification des victimes et évaluation des dommages : pertes des biens (Kisangani)»955. Bien que ce second tableau soit présenté dans l’annexe 4.5.c de son mémoire, la RDC ne le cite pas dans le texte de la pièce principale. Etabli par la commission d’experts congolais, le tableau de l’annexe 4.5.c recense un nombre encore inférieur de victimes alléguées de dommages matériels (1807 personnes), qu’il «évalue» à 144 560 000 dollars956. L’on ignore cependant sur quelle base repose ce montant, aucune valeur individuelle n’étant attribuée, et encore moins prouvée, à la quasi-totalité des biens sommairement énumérés.
7.82. Reconnaissant peut-être le caractère arbitraire de cette «évaluation», la RDC réduit ensuite radicalement le montant indiqué à l’annexe 4.5.c, le ramenant de 144 560 000 dollars à la somme forfaitaire bien inférieure de 80 000 dollars957. Cette somme ne semble toutefois apparaître dans aucun des calculs de la RDC, de sorte que l’on ne sait pas très bien si celle-ci la réclame effectivement. Même si tel était le cas, la demande en ce sens ne saurait être accueillie, car elle est dépourvue de fondement.
953 Voir «Evaluation pertes des biens» dans le fichier «Victimes_PerteBien_KISANGANI», MRDC, annexe 1.3.
954 Là encore, il convient de souligner que le prix des biens non précisés, qualifiés de manière générique d’«habits (valise)», est évalué dans la quasi-totalité des cas à 200 dollars ; les téléviseurs sont tous évalués à 250 dollars ; les véhicules presque toujours à 10 000 dollars, quels que soient leur état et le lieu ; et les bicyclettes à 100 dollars chacune.
955 République démocratique du Congo, Commission d’experts, «Identification des victimes et évaluation des dommages : pertes des biens», MRDC, annexe 4.5.c.
956 Ibid., p. 215.
957 République démocratique du Congo, Commission d’experts, «Identification des victimes et évaluation des dommages : pertes des biens», MRDC, annexe 4.5.c, p. 1 (où la Commission d’experts congolais précise «Montant unitaire forfaitaire d’indemnisation : 80 000 [dollars des Etats-Unis]».).
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7.83. La RDC n’ayant pas, s’agissant des actes de pillage et de destruction de biens meubles à Kisangani, apporté la preuve du préjudice exact causé du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef.
3. Infrastructures d’enseignement et de soins
7.84. La RDC réclame également une indemnisation à raison des dommages qui auraient été causés à des infrastructures d’enseignement et de soins à Kisangani958, là encore sans en préciser le montant. Il n’est pas davantage possible de déduire un chiffre exact des documents qu’elle soumet. Il n’y a donc pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef.
7.85. S’agissant des infrastructures d’enseignement, la RDC affirme solliciter une indemnisation à raison de dommages que l’Ouganda aurait causés à 69 écoles959. Quand bien même, quod non, ce chiffre serait étayé par des éléments de preuve crédibles, la RDC n’a pas fait le moindre effort pour quantifier le préjudice qu’elle aurait subi. Comme elle n’a pas précisé le lieu, l’ampleur ou la date des dégâts, non plus que les dommages exacts qui auraient été causés à l’une quelconque des écoles prétendument touchées, et encore moins prouvé que ces dommages auraient directement résulté des actes illicites de l’Ouganda, il est impossible de procéder à une évaluation de l’indemnisation960.
7.86. En ce qui concerne les assertions qu’elle avance, la RDC se contredit à maintes reprises. Pour s’en assurer, la Cour n’a qu’à consulter les documents qui semblent avoir été élaborés par les enquêteurs congolais. L’un d’eux est l’annexe 4.5.f du mémoire de la RDC, intitulée «Identification des victimes et évaluation des dommages : associations sans but lucratif (Kisangani)»961. Selon cette annexe, seules huit (et non 69) écoles auraient été touchées, et le dommage allégué aurait essentiellement pris la forme d’une perte d’«effets personnels et divers», et non d’une destruction ou de dommages graves. Mais ensuite, cinq de ces huit écoles sont inexplicablement omises dans une autre annexe de la RDC, à savoir l’annexe 4.7.d intitulée «Evaluation pertes des biens», qui se veut pourtant exhaustive962.
7.87. Des contradictions analogues émaillent également les évaluations par la RDC des dommages qui auraient été causés à ces écoles. Le montant de l’indemnisation réclamée au titre des établissements recensés dans l’annexe 4.5.f augmente ainsi inexplicablement lorsque ces mêmes établissements sont déplacés à l’annexe 4.7.d, comme le montre le tableau ci-après :
958 MRDC, par. 4.73.
959 Ibid.
960 Le rapport interinstitutions n’attribue pas ces dommages à l’Ouganda, mais contient seulement des observations générales sur les dommages causés lors d’affrontements militaires. Conseil de sécurité, rapport de la mission d’évaluation interinstitutions qui s’est rendue à Kisangani en application du paragraphe 14 de la résolution 1304 du Conseil de sécurité», Nations Unies, doc. S/2000/1153 en date du 4 déc.2000, MRDC, annexe 4.24. En outre, les chiffres figurant dans ce rapport ne sont étayés par aucun élément de preuve ni corroborés par d’autres sources.
961 RDC, commission d’experts, «Identification des victimes et évaluation des dommages : ASBL et autres identités», MRDC, annexe 4.5.f.
962 Listes numérisées pour Kisangani, «Evaluation pertes des biens», MRDC, annexe 4.7.d.
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Ecoles
Montants dans l’annexe 4.5.f (dollars E.-U.)
Montants dans l’annexe 4.7.d (dollars E.-U.)
Complexe scolaire Okapi
5000 (p. 3)
9610 (p. 80)
Complexe scolaire Odilo
1500 (p. 3)
1630 (p. 80)
Complexe scolaire Home Feyen
6000 (p. 3)
35 315 (p. 80)
Complexe éducatif de Likunde
4500 (p. 3)
7625 (p. 79-80)
Le traitement cavalier que la RDC a réservé à ces données remet en question non seulement l’exactitude des tableaux récapitulatifs concernés, mais aussi celle de l’ensemble des tableaux que cet Etat a présentés à la Cour.
7.88. Pour ce qui est de ces tableaux particuliers, il n’existe certainement pas, à première vue, de base justifiant de privilégier un jeu de chiffres contradictoires par rapport à l’autre. Au surplus, la RDC n’a pas présenté à la Cour de documents à l’appui d’une telle démarche. Il n’existe tout simplement aucun élément attestant que les dommages allégués ont effectivement été causés, qu’ils l’ont été du fait des actions illicites spécifiques de l’Ouganda, ou encore que les évaluations indiquées sont exactes et qu’elles correspondent aux dommages réels.
7.89. S’agissant des infrastructures de soins, la RDC affirme que les «combats» livrés par l’Ouganda ont endommagé 13 hôpitaux à Kisangani963. Cette allégation ne repose que sur des déclarations non étayées ni corroborées tirées d’une unique source : l’ONG Groupe Lotus964. En plus de manquer de force probante, ces déclarations ne militent en réalité pas en faveur de la demande de la RDC à cet égard. Si on les prend pour argent comptant, l’on constate que le Groupe Lotus se réfère à deux incidents seulement, qui n’ont en fait rien à voir avec les dommages provoqués par les «combats». L’un concernerait «5 rebelles dont 3 Tutsi et deux Ougandais» qui auraient dérobé des médicaments non précisés et 200 dollars dans un hôpital965 et l’autre, des «militaires Ougandais» qui auraient également volé des médicaments non précisés ainsi que 300 francs congolais dans un autre hôpital966.
7.90. Pareils incidents, à supposer qu’ils se soient réellement produits et qu’ils puissent être imputés à l’Ouganda, constituent des dommages matériels relativement mineurs. L’on ne sait pas si la RDC s’en sert réellement pour calculer sa demande d’indemnisation, puisqu’elle n’a indiqué aucun montant ni fondement y afférent.
7.91. La RDC n’ayant pas apporté la preuve des dommages exacts causés à des infrastructures d’enseignement et de soins à Kisangani du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef.
963 MRDC, par. 4.74.
964 «Administrations publiques et cultes à Kisangani», MRDC, annexe 4.4, p. 5-7.
965 Ibid., p. 6.
966 Ibid., p. 7.
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4. Lieux de culte
7.92. La RDC réclame également une indemnisation à raison de dommages qui auraient été causés à des lieux de culte à Kisangani, mais là encore, elle n’en précise pas le montant967.
7.93. Les éléments de preuve soumis à la Cour par la RDC font apparaître qu’une seule institution religieuse, l’archidiocèse de Kisangani, a soumis des documents censés justifier une demande d’indemnisation (d’un montant de 4 811 713 dollars)968. Si telle est la somme que la RDC utilise comme base de sa demande non spécifiée, celle-ci est irrecevable.
7.94. La documentation prétendument soumise par l’archidiocèse de Kisangani ne se compose que d’une liste non signée de montants estimés de travaux de réparation, qui a été établie dans des circonstances et à une date inconnues969. Même si ce devis pouvait être considéré comme authentique et fiable, quod non, rien ne prouverait qu’il correspond aux coûts réels de réparation ou, plus important encore, aux dommages directement causés par l’Ouganda, par opposition à d’autres protagonistes.
7.95. En plus d’être dépourvue de fondement, la somme indiquée relève manifestement du domaine de la spéculation. Sur ce montant, près de 2 millions de dollars ont trait à des postes inexpliqués et non prouvés tels que «Frais d’expertise Technique»970 (5 %), «Imprévus physiques»971 (10 %) et «Majoration incertitude liée à l’incertitude prix»972 (50 %), ce qui ne peut en aucun cas avoir un quelconque lien de causalité direct avec les actions de l’Ouganda973. Ces éléments accroissent encore le caractère arbitraire de la demande et le caractère ténu d’un tel lien.
7.96. Enfin, le montant réclamé est également incorrect d’un point de vue mathématique. On peut le constater sur l’extrait reproduit ci-après de la première page du rapport exposant le calcul des coûts de réparation de la Cathédrale Notre Dame du Très Saint Rosaire974 :
967 MRDC, par. 4.75.
968 Ibid., faisant référence à l’annexe 4.28 (République démocratique du Congo, Archidiocèse de Kisangani, «Travaux de réparation des dégâts causés par la guerre», B.P. 505 (5-10 juin 2000)). Dans l’annexe 4.4 de son mémoire (Administrations publiques et cultes à Kisangani), la RDC a également recensé certaines entités sans fournir la moindre explication ou preuve quant à la nature, l’étendue, la date et la cause des dommages potentiels.
969 Voir République démocratique du Congo, Archidiocèse de Kisangani, «Travaux de réparation des dégâts causés par la guerre», B.P. 505 (5-10 juin 2000), MRDC, annexe 4.28. «Travaux de réparation des dégâts causés par la guerre du 5 au 10 juin 2000».
970 Ibid., p. 2.
971 Ibid.
972 Ibid.
973 Les calculs exposés aux pages 1 et 2 du rapport figurant dans l’annexe 4.28 font apparaître que les coûts de réparation allégués de la Cathédrale Notre Dame du Très Saint Rosaire et des «Sites 2 à 17» s’élèvent à 287 380,90 et 2 742 019,57 dollars, respectivement. Dans le rapport, ces montants de base, qui donnent un total de 2 895 288 dollars, sont majorés sans la moindre explication de 5 % à raison de frais d’expertise, de 10 % à raison d’imprévus physiques et de 50 % à raison de l’incertitude des prix après la crise, de sorte que le montant de la demande augmente de pas moins de 1 916 425 dollars. Ibid., p. 1-2.
974 RDC, «Devis Archidiocèse de Kisangani», MRDC, annexe 4.28. «Travaux de réparation des dégâts causés par la guerre du 5 au 10 juin 2000», p. 1.
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La somme indiquée au poste de la quatrième ligne (191 587,27 dollars) ne peut être obtenue qu’en
comptant deux fois la majoration spéculative de 10 % relative aux «imprévus physiques» de la
troisième ligne (15 326,96 dollars)975. Le problème ici n’est pas tant le montant (lequel est
lui-même douteux) que le calcul manifestement erroné, qui illustre une fois de plus les lacunes
omniprésentes dans les calculs de dommages effectués par la RDC, remettant ainsi en question la
crédibilité des sommes que celle-ci a présentées à la Cour.
7.97. La RDC n’ayant pas apporté la preuve des dommages exacts causés à des lieux de culte
à Kisangani, y compris à son archidiocèse, du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant
des faits internationalement illicites, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame
au titre de ce chef.
5. Entreprises publiques
7.98. La RDC sollicite par ailleurs réparation au nom de trois entreprises publiques qui
auraient subi des dommages à Kisangani : la Société nationale d’électricité (SNEL), la régie des
voies aériennes (RVA) et la Banque centrale du Congo976. Elle invoque, dans son mémoire,
l’«évaluation détaillée» établie par chacune de ces administrations, sur laquelle elle fonde ses
demandes d’indemnisation977. L’Ouganda examinera tour à tour les différentes demandes.
7.99. Au nom de la SNEL, entreprise publique congolaise, la RDC demande à être
indemnisée à hauteur de 97 412 090 dollars978. Cette réclamation de près de 100 millions de dollars
est exclusivement fondée sur un rapport non signé, établi par la SNEL le 31 mai 2016, soit
quelques mois à peine avant le dépôt par la RDC de son mémoire, en réponse à une demande du
ministère congolais de la justice. Or, la Cour a souvent écarté pareils documents non signés, établis
975 RDC, «Devis Archidiocèse de Kisangani», MRDC, annexe 4.28. «Travaux de réparation des dégâts causés par
la guerre du 5 au 10 juin 2000», p. 1.Plus précisément, il est mathématiquement impossible de parvenir à 191 587,27 sans
additionner deux fois 15 326,96 (153 269,81 + 7663,49 + 15 326,96 + 15 326,96 = 191 587,2[2]). Cette somme erronée
de 191 587,27 dollars est ensuite multipliée par le facteur arbitraire et conjectural de 50 % («majoration incertitude liée à
l’incertitude prix»). Le montant de 287 380,90 dollars qui en résulte est non seulement arbitraire mais aussi
mathématiquement faux.
976 MRDC, par. 4.72. Si elle prétend que «quelque 25 administrations publiques ont subi des dommages à
Kisangani», la RDC ne précise pas desquelles il s’agit, hormis ces trois entités.
977 Ibid., par. 7.47.
978 Ibid. ; Société nationale d’électricité (SNEL), réclamation N/Réf/DG/2016/4208 (9 juin 2016), p. 4, MRDC,
annexe 4.26.
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pour les besoins de la cause par des personnes étant partie prenante, plusieurs années après les événements allégués979.
7.100. De plus, le rapport de la SNEL n’est étayé par aucun élément de preuve. Hormis quatre pages de déclarations péremptoires rassemblées sous les intitulés «Introduction», «Etat d’avancement de la récolte des données», «Difficultés rencontrées», «Principes directeurs de valorisation de patrimoine» et «Méthodologie de valorisation», le rapport ne contient que des tableaux récapitulatifs censés dresser une liste des dommages subis par les différents centres de la SNEL980.
7.101. Parmi les questions fondamentales auxquelles le rapport de la SNEL ne répond pas figurent celles de savoir quand les dommages allégués se sont produits et qui en est à l’origine. L’on trouve ce qui se rapproche le plus d’une réponse à ces questions essentielles dans deux affirmations péremptoires. La première est contenue dans la note de transmission adressée au ministre de la justice de la RDC, par laquelle le directeur du département de distribution en provinces de la SNEL indique que l’entreprise a reçu de différentes entités des informations concernant «les effets des activités armées de l’Ouganda sur le territoire congolais au cours de la période 1998-2003»981. La seconde apparaît dans l’introduction du rapport, qui précise que la SNEL a procédé à l’inventaire des dégâts causés sur son réseau de distribution électrique à la suite de «l’occupation d’une partie du territoire congolais par l’armée ougandaise»982.
7.102. Le reste du rapport de la SNEL ne comporte, en revanche, aucun détail concernant la date, le lieu ou encore l’origine des dommages, excluant toute possibilité d’établir avec un quelconque degré de certitude si ceux-ci se sont effectivement produits, si leur étendue alléguée est exacte, et s’ils découlent directement d’actions spécifiques illicites de l’Ouganda.
7.103. En outre, le rapport ne s’accompagne d’aucune documentation corroborant les assertions qui y sont formulées. Il n’existe, par exemple, aucune communication interne (que se seraient notamment adressée le siège de la SNEL et ses établissements locaux), ni aucune communication échangée entre la SNEL et des organismes publics, et a fortiori aucune qui soit contemporaine aux dommages allégués. Pareils éléments de preuve devraient avoir été établis dans le cadre des opérations normales de l’entreprise ; il paraît inconcevable qu’une entreprise publique enregistrant des pertes de 97 millions de dollars n’en fasse pas état au moment de leur survenance. L’absence totale de documents justificatifs remet donc sérieusement en cause l’existence des dommages.
7.104. La méthode d’évaluation de la SNEL soulève elle aussi des doutes. Le rapport de 2016 est manifestement fondé sur un rapport établi antérieurement, en 2008983, qui n’a pas été versé au dossier de l’affaire. La SNEL admet toutefois que ce rapport présentait des lacunes, qui ont été reportées dans celui de 2016 et l’ont irrémédiablement vicié. Elle reconnaît par exemple qu’il n’existe aucun document étayant la valeur attribuée aux immobilisations984 énumérées dans le rapport de 2008, et que certains des chiffres y figurant ne sont pas corroborés par les prix du
979 Activités armées (2005), par. 64, 125.
980 SNEL, réclamation N/Réf/DG/2016/4208 (9 juin 2016), p. 4, MRDC, annexe 4.26.
981 Ibid., p. 1.
982 Ibid.
983 Ibid, p. 2.
984 Ibid., p. 2. (Le rapport souligne «[l]’absence des valorisations des immobilisations concernées».)
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marché ni fondés sur une méthode particulière, et sont donc susceptibles d’être contestés985. Ces valeurs non établies ont néanmoins été retenues comme des chiffres définitifs aux fins de l’estimation des dommages dans le rapport de 2016986.
7.105. La SNEL reconnaît par ailleurs dans ce nouveau rapport que, en raison de l’absence de titre de propriété en ce qui concerne bon nombre de biens, certains dommages n’ont pu être estimés987. Elle a, semble-t-il, cru pouvoir compenser l’absence admise d’éléments de preuve par des hypothèses et des conjectures. Enfin, étant dans l’impossibilité d’établir le coût réel des biens supposément endommagés, elle a appliqué le coût de renouvellement actuel988, lequel n’est lui-même corroboré par aucun élément de preuve.
7.106. Une réclamation de près de 100 millions de dollars ne saurait être fondée sur de si minces éléments.
7.107. Le caractère arbitraire de ce chiffre est encore confirmé par ses différentes composantes. L’élément le plus important de la réclamation de la SNEL concerne les «Dégâts et forfait humains», qui se montent, selon celle-ci, à 27 163 539 dollars989. Ce chiffre ne repose que sur des affirmations vagues et parfois incompréhensibles présentées dans un tableau récapitulatif qui, à l’instar du rapport lui-même, n’est pas signé990. Un certain nombre d’affirmations sont par ailleurs incomplètes, l’une des rubriques indiquant par exemple : «Avant les hostilités, le centre avait … agents … ont été mutés … agents étaient morts»991. (Les blancs correspondent, semble-t-il, aux chiffres qui devaient être fournis par la SNEL.) Le tableau comporte en outre des éléments totalement incompréhensibles, tels que le membre de phrase «Projet pas d’agent sauf les agents du projet»992.
7.108. Tout ce qu’indique le tableau, c’est que, à une date et pour des raisons inconnues, quarante-deux employés de la SNEL non identifiés ont été mutés de différents lieux non précisés, et que quelque treize autres, dont l’identité n’est pas non plus révélée, ont péri dans des conditions indéterminées. Un ensemble aussi opaque et restreint de «faits» ne saurait justifier une réclamation de plus de 27 millions de dollars. De plus, outre qu’elle n’a fourni aucune preuve de l’existence d’un quelconque dommage, la RDC ne produit aucun élément, et a fortiori aucun élément convaincant, reliant directement les dommages allégués à des faits illicites spécifiques imputables à l’Ouganda.
985 SNEL, réclamation N/Réf/DG/2016/4208 (9 juin 2016), p. 2, MRDC, annexe 4.26.
986 Ibid., p. 3.
987 Ibid., p. 2.
988 Ibid., p. 3-4.
989 Ibid., p. 4. Le montant exact réclamé est de «27 163 539,11 [dollars]».
990 Ibid., p. 5, où figure le «tableau récapitulatif des dégâts causés par l’occupation de l’armée ougandaise», qui, sans fournir le moindre détail, comporte des rubriques aussi générales que «certains agents décédés suite au non accès aux soins et d’autres en mutation» ou «quelques agents partis pendant les hostilités et d’autres mutés vers Kisangani».
991 Ibid.
992 Ibid.
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7.109. Il en va de même des six autres composantes de la demande présentée au nom de la
SNEL, qui se montent à un total d’environ 70 millions de dollars993. Tous ces éléments sont
associés à des abréviations énigmatiques correspondant à des équipements et infrastructures pour
lesquels n’est fournie aucune explication ni pièce justificative. Cela est illustré par le tableau 7.1,
«Evaluation du coût de réparation des équipements électromécaniques des centrales thermiques»,
présenté à la page 6 du rapport de 2016 de la SNEL :
993 Soit : pillage des centrales thermiques ou hydroélectriques (23 900 759,86 dollars) ; destruction des postes
MT/MT et cabines MT/BT (9 245 787, 20 dollars) ; dégâts subis par les réseaux MT, BT et EP (15 864 152,44 dollars) ;
manque à gagner sur les ventes (6 543 952 dollars) ; dégâts sur bâtiments administratifs et résidence SNEL
(12 255 899,51 dollars) ; autres préjudices (2 438 000 dollars).
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7.110. Ainsi que l’on peut le voir, la RDC fonde une réclamation de près de 24 millions de dollars sur un simple tableau non signé et non étayé, qui se borne à dresser une liste de lieux et de valeurs d’équipements électriques sans fournir la moindre information concernant la date à laquelle le dommage aurait été causé, son étendue ou encore les circonstances dans lesquelles il se serait produit994.
7.111. Figure également dans le rapport de la SNEL une réclamation au titre du «manque à gagner sur les ventes», d’un montant de 6 543 953 dollars, fondée sur un tableau apparaissant à la page 14. Cet aspect de la demande, lui aussi voué à l’échec, repose sur une prétendue perte de recettes causée par la disparition de deux centrales hydroélectriques situées à Kisangani et Gbadolite. Ces pertes alléguées s’étendent sur une période de huit ans, de 1998 à 2005. Dans un «commentaire» apparaissant juste au-dessous du tableau, il est précisé que cette période de huit ans «corres[pond] à la période de guerre».
7.112. Pour déterminer le montant des pertes subies par les deux centrales pendant chacune de ces huit années, les auteurs du rapport ont choisi d’établir une estimation pour les années 2004, 2005 et 2007, puis une moyenne sur ces trois années (laquelle est ensuite appliquée rétroactivement à chacune des huit années). Les recettes globales de la SNEL et les recettes estimées des centrales de Kisangani et de Gbadolite sont précisées pour chacune des trois années retenues. Il est expliqué, dans le commentaire, que les recettes estimées des centrales de Kisangani et de Gbadolite ont été calculées en retenant l’hypothèse selon laquelle 65 % des recettes globales provenaient de Kisangani et 2 % de Gbadolite (il est également précisé que ces pourcentages ont été établis à partir des données de 2013-2015).
7.113. Le rapport ne fournit toutefois aucun élément prouvant que ces centrales hydroélectriques ont effectivement été endommagées, intégralement ou en partie. Il ne fournit pas non plus d’informations pour expliquer quand et par qui ces dommages auraient été causés, et repose apparemment sur l’hypothèse improbable et non étayée selon laquelle les forces armées ougandaises auraient complètement détruit les deux centrales dès le 1er janvier 1998, soit avant la date de l’intervention de l’Ouganda.
7.114. Tout calcul du manque à gagner aurait dû être fondé sur les recettes engrangées avant les événements de 1998 données qui devraient être aisément accessibles auprès de la SNEL , et non sur les recettes postérieures au retrait des forces ougandaises. En outre, et alors même que la RDC a elle-même admis, pendant la phase du fond de la présente affaire, que ce retrait était achevé au 2 juin 2003995, la SNEL fait porter sa demande relative au manque à gagner sur huit années, au motif que le conflit armé aurait duré pendant toute la période écoulée entre 1998 et 2005. Le rapport de la SNEL est entaché d’erreurs et d’insuffisances si grossières qu’il ne saurait être invoqué comme élément de preuve pour démontrer un quelconque manque à gagner.
994 Les autres éléments constitutifs de la réclamation de la SNEL sont eux aussi fondés sur des tableaux dépourvus de signature et de pièces justificatives : le montant réclamé au titre de la «destruction des postes MT/MT et cabines MT/BT», soit 9 245 787,20 dollars, est fondé sur le tableau récapitulatif de la page 4 ; le montant réclamé au titre des «dégâts subis par les réseaux MT, BP et EP», soit 15 864 152,44 dollars, repose exclusivement sur ce même tableau de la page 4 ; le montant réclamé au titre du «manque à gagner sur les ventes», soit 6 543 952 dollars, est fondé sur le tableau récapitulatif 7.9 de la page 14 ; enfin, la demande générale présentée au titre des «autres préjudices», d’un montant de 2 438 000 dollars, repose sur le tableau récapitulatif 7.8 de la page 13. Voir SNEL, réclamation N/Réf/DG/2016/4208 (9 juin 2016), MRDC, annexe 4.26.
995 Activités armées (2005), par. 167.
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7.115. Qu’on l’envisage dans son ensemble ou du point de vue de chacun des éléments qui la
composent, la demande présentée au nom de la SNEL mène à la même conclusion : la RDC n’a pas
établi avec un degré de certitude suffisant que les dommages invoqués se sont effectivement
produits, qu’ils ont été directement causés par l’Ouganda et que l’évaluation de ces dommages est
corroborée par des éléments de preuve et fondée sur des méthodes fiables.
7.116. La RDC ne fait pas mieux avec ses demandes d’indemnisation présentées au nom des
deux autres entreprises publiques. Elle réclame, au nom de la RVA, une somme de 19 353 000
dollars996. Cette demande repose exclusivement sur le tableau récapitulatif non signé et non daté,
établi de toute évidence pour les besoins de la présente espèce, qui est reproduit ci-dessous :
996 «Réclamation de la Régie des voies aériennes (RVA)», annexe 4.27.
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7.117. Ce tableau ne saurait remplacer de réels éléments de preuve démontrant que la RVA a subi les dommages allégués, que ces dommages ont été directement causés par des faits illicites spécifiques imputables à l’Ouganda, et que la valeur attribuée à chacun des éléments revendiqués correspond à leur valeur réelle. En l’absence de ces éléments de preuve, la demande est vouée à l’échec.
7.118. Il n’existe pas davantage de preuves étayant la demande d’un montant de 4830 dollars présentée au nom de la Banque centrale du Congo997. A l’appui de cette demande, la RDC invoque l’annexe 4.7.c, un tableau récapitulatif qui, outre qu’il est non signé, concerne, de manière incompréhensible, les dommages prétendument causés non pas à la Banque centrale mais aux personnes déplacées.
7.119. De toute évidence, la RDC entendait plutôt se référer au tableau intitulé «Evaluation pertes des biens» figurant sous l’annexe 4.7.d. C’est, pour autant que l’Ouganda ait pu en juger, le seul document visant à récapituler les dommages subis par la Banque centrale. Il énumère les postes suivants, exprimés en dollars des Etats-Unis : «argent en espèce … 2630», «chaîne musicale … 650», «radio … 1300» et «télévision … 250»998. La somme de ces chiffres correspond au montant que la RDC sollicite au nom de la Banque centrale (4830 dollars)999.
7.120. A supposer que ces éléments soient exacts, cet aspect de la demande n’en demeure pas moins infondé. Comme pour tous les autres tableaux récapitulatifs non signés qu’elle produit, aucun élément de preuve fiable ne permet d’étayer les affirmations de la RDC concernant l’existence des dommages allégués. Aucun élément de preuve ne permet a fortiori d’établir un lien direct entre les dommages allégués et des actes illicites commis par l’Ouganda. Cette demande est donc elle aussi vouée à l’échec faute de preuves1000.
6. Entreprises privées
7.121. La RDC demande également réparation pour les dommages causés à des entreprises privées à Kisangani. Cependant, elle n’indique pas clairement le fondement de sa demande ni le montant précis qu’elle réclame1001. Elle se contente d’affirmer ceci : «[o]n a pu … compter 23 [cas] pour la guerre de 1999, 13 pour celle de mai 2000 et une dizaine pour juin 2000»1002. Elle ajoute ensuite que les dommages subis par les entreprises privées étant «de nature et d’ampleur variable, ils ne peuvent être globalisés ici»1003. La RDC s’est engagée à exposer, au chapitre 7 de son mémoire, le calcul du montant réclamé1004, mais n’a jamais tenu sa promesse.
997 MRDC, par. 4.72.
998 Listes numérisées pour Kisangani, «Evaluation pertes des biens», p. 36, MRDC, annexe 4.7.d.
999 Ibid.
1000 La demande semble également fallacieuse. D’autres documents produits par la RDC établissent pour les radios une «évaluation» uniformisée de 50 dollars, quels que soient le lieu et la date des dommages allégués. Voir par exemple «Evaluation pertes des biens», dans le fichier «Victimes_PerteBien_KISANGANI», p. 1, MRDC, annexe 1.3. Dans le cas de la Banque centrale, la demande présentée au titre de la radio s’élève en revanche à 1 300 dollars, soit un montant six fois supérieur à l’évaluation de la télévision, dont la valeur est fixée à 250 dollars !
1001 MRDC, par. 4.70.
1002 Ibid.
1003 Ibid.
1004 Ibid., par. 4.76.
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7.122. Comme il a déjà été dit, la RDC affirme, dans son mémoire, que l’Ouganda a causé des dommages à environ 46 entreprises privées1005. Or, d’autres chiffres apparaissent dans les documents annexés établis par les «enquêteurs» congolais. Seules neuf entreprises sont mentionnées dans le tableau intitulé «Identification des victimes et évaluation des dommages : sociétés commerciales et établissements privés (Kisangani)», soumis à l’annexe 4.5.e1006, et toutes ne sont pas énumérées à l’annexe 4.7.d («Evaluation pertes des biens») et à l’annexe 1.3 («Victimes_PerteBien_KISANGANI»)1007, lesquelles contiennent des tableaux récapitulatifs identiques censés représenter l’ensemble des dommages qui auraient été occasionnés à Kisangani1008.
7.123. Un examen en regard des annexes 4.5.e et 4.7.d révèle par ailleurs que les descriptions et «évaluations» des dommages causés aux entreprises varient d’une annexe à l’autre. A titre d’exemple, à l’annexe 4.5.e, les dommages subis par Ets Hôtel Kisangani sont évalués à 18 830 dollars, alors que, à l’annexe 4.7.d, la somme réclamée pour le même hôtel n’est que de 8364 dollars1009.
7.124. Compte tenu de ces contradictions, il est difficile, voire impossible, de comprendre les demandes de la RDC. Il est tout aussi impossible d’aplanir ces divergences en s’appuyant sur quelque élément de preuve concret que ce soit. Dans ce cas, comme dans bien d’autres, les demandes de la RDC sont présentées sous la forme de tableaux récapitulatifs qui ne sont reliés à aucun élément de preuve sous-jacent. L’Ouganda et la Cour sont supposés considérer que ces tableaux contradictoires suffisent à établir la réalité des dommages, leur imputabilité à l’Ouganda et l’exactitude des évaluations indiquées.
7.125. Il ressort des documents de la RDC examinés par l’Ouganda que seule la Société textile de Kisangani (SOTEXKI) a fourni des données tendant à étayer une demande de réparation. Pour autant, toutes ces données ne font que mettre en exergue le caractère arbitraire de la demande.
1005 Ibid., par. 4.70. («On retrouve enfin les dommages subis par les entreprises privées. On a pu en compter 23 pour la guerre de 1999, 13 pour celle de mai 2000 et une dizaine pour juin 2000»). Les annexes 4.3 («Atteintes aux biens à Kisangani») et 4.4 («Administrations publiques et cultes à Kisangani») du mémoire de la RDC ne sont ni plus ni moins qu’un assemblage de bribes extirpées de rapports infondés et non corroborés qui ont été établis par les organisations non gouvernementales congolaises Groupe Lotus et COJESKI, et dans lesquels l’Ouganda n’est même pas mis en cause directement en tant qu’auteur des dommages allégués.
1006 Cette annexe n’est composée que d’un tableau récapitulatif dont certaines entrées sont incomplètes et qui ne contient aucun élément de preuve relatif à la question de savoir si les dommages dont il est fait état, qui s’élèveraient à 2 104 203 dollars, sont effectivement une conséquence directe des actes illicites spécifiques imputables à l’Ouganda. De fait, comme le montre celui-ci au paragraphe 7.105 de son contre-mémoire, la plus importante composante des dommages exposés dans ce tableau est la réclamation de la SOTEXKI qui porte sur la somme de 1 642 224 dollars et concerne des dommages qui ont, en fait, été causés par des acteurs autres que l’Ouganda.
1007 Il convient de souligner que les annexes 4.7.d («Listes numérisées pour Kisangani», «Evaluation pertes des biens») et 1.3 («Evaluation pertes des biens», dans le fichier «Victimes_PerteBien_KISANGANI» du mémoire de la RDC sont composées des mêmes tableaux récapitulatifs. La multiplicité inexpliquée de ces tableaux identiques énumérant de prétendus dommages non seulement en ce qui concerne Kisangani, mais également Ituri, Gemena, Beni et Butembo, ne fait qu’ajouter à la confusion alors même que les demandes sont déjà fort confuses.
1008 A titre d’exemple, l’hôtel Masudin, qui fait l’objet d’une demande infondée de 4 452 dollars, est mentionné dans l’annexe 4.5.e du mémoire de la RDC (RDC, commission d’experts, «Identification des victimes et évaluation des dommages : sociétés commerciales et établissements privés»), mais pas dans l’annexe 4.7.d («Listes numérisées pour Kisangani», «Evaluation pertes des biens»).
1009 Pour ce qui est des différences dans la description des dommages allégués, voir les pages 48 et 105 des «Listes numérisées pour Kisangani», «Evaluation pertes des biens» (MRDC, annexe 4.7.d).
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7.126. S’appuyant sur des rapports établis par des fonctionnaires de police congolais1010, la SOTEXKI demande réparation à hauteur de 1 642 224 dollars1011. La demande ne saurait cependant aboutir pour au moins trois raisons.
7.127. Premièrement, ces rapports ne contiennent aucun élément attestant de manière convaincante que les dommages allégués sont imputables à l’Ouganda. A l’issue des enquêtes menées peu après les événements à l’origine de ces dommages, les inspecteurs de la police congolaise ont consigné dans leurs rapports que les dommages causés en août 1999 était le fait d’«[i]nconnus (hommes en uniforme militaire)»1012 qui étaient des «alliés rwandais et ougandais du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD)»1013, et que les dommages au Yacht Club et au hangar de la société au cours des cinq années qu’avait duré la guerre avaient été causés par l’AFDL1014. En d’autres termes, dans les rapports qu’ils ont établis à l’époque, les fonctionnaires de police congolais n’ont jamais attribué à l’Ouganda la responsabilité de quelque dommage que ce soit1015. Tout au plus trouve-t-on de vagues références aux «alliés ougandais», cités parmi d’autres acteurs. Le lien de causalité requis entre les actes illicites de l’Ouganda et les dommages allégués est donc absent.
7.128. Deuxièmement, les dommages allégués ne sont pas suffisamment établis. La SOTEXKI se borne à présenter une série de tableaux récapitulatifs dans lesquels sont énumérés des biens et leur valeur. Cela ne suffit pas. Comme la Cour l’a précisé dans l’affaire Diallo, une liste de biens ne suffit pas, en soi, à établir la valeur de ceux-ci. Pour ce faire, selon la Cour, il convient de soumettre des factures, des reçus, des documents d’assurance ou tout autre document similaire démontrant la valeur des biens en question1016. Or, la SOTEXKI ne fournit rien de tel en l’espèce.
7.129. Troisièmement, l’allégation de la SOTEXKI, qui prétend que les dommages subis se chiffrent à 1 642 224 dollars, n’est pas étayée par les documents sur lesquels elle entend s’appuyer. En réalité, le total des évaluations indiquées dans les tableaux récapitulatifs ne se monte pas à 1 642 224 dollars mais se situe à plus de 20 % en-deçà de ce montant, soit 1 292 224,91 dollars1017, et aucun des documents que présente la RDC n’explique cette différence de 350 000 dollars.
1010 Société textile de Kisangani (SOTEXTI), réclamation, N/Réf:DG/ADM/KIN?009/2016 (2 mai 2016), p. 2, MRDC, annexe 4.25. («Parquet près le Tribunal de Grande Instance de Kisangani, Commission gouvernementale d’identification des victimes»).
1011 MRDC, par. 4.69, et SOTEXKI, réclamation, N/Réf:DG/ADM/KIN?009/2016 (2 mai 2016), annexe 4.25.
1012 SOTEXKI, réclamation, N/Réf:DG/ADM/KIN?009/2016 (2 mai 2016), p. 6, annexe 4.25.
1013 Ibid.
1014 Ibid.
1015 Il est surprenant de constater la manière dont, à la lumière de ces conclusions officielles, les représentants de la SOTEXKI ont prétendu, dans les formulaires de réclamation non signés de la RDC, que les dommages avaient été causés par les «armées ougandaise et rwandaise». Il convient de rejeter cette velléité et de considérer ces formulaires pour ce qu’ils sont, à savoir des déclarations postérieures aux faits émanant de personnes intéressées par l’issue de la procédure. Dans d’autres documents, joints à titre d’annexes par la RDC, il est noté que la SOTEXKI a fait l’objet de pillages «orchestrés par les militaires Rwandais, Burundais et Congolais», Groupe Lotus, «Les conséquences de la contraction des alliances et factions rebelles au nord-est de la République démocratique du Congo La guerre de Kisangani», op. cit., annexe 4.18.
1016 Diallo (2012), par. 32, 34-36.
1017 SOTEXKI, réclamation, N/Réf:DG/ADM/KIN?009/2016, (2 mai 2016), p. 35, 44, 49-50, MRDC, annexe 4.25 (dommages causés entre le 15 et le 17 août 1999 : 1 056 776, 14 dollars, p. 35 ; dommages causés pendant la guerre des six jours : 46 533,77 dollars, p. 44 ; dommages causés au hangar de la société pendant la guerre de cinq ans : 123 188 dollars, p. 49 ; et dommages causés au Yacht Club pendant la guerre de cinq ans : 65 727 dollars, p. 50. L’ensemble de ces dommages s’élève à 1 292 224,91 dollars).
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7.130. La demande que la RDC a soumise au nom de la SOTEXKI est donc non seulement infondée, mais également dépourvue de crédibilité.
*
7.131. Pour toutes ces raisons, la demande de la RDC portant sur la somme de 17 323 998 dollars censée correspondre aux dommages causés aux biens à Kisangani est infondée et ne saurait donc être accueillie.
C. Lieux autres que l’Ituri et Kisangani (Beni, Butembo et Gemena)
7.132. La RDC réclame également la somme de 8 304 077 dollars à titre d’indemnités dues pour les dommages matériels subis à Beni, Butembo et Gemena1018. Ce montant se décompose comme suit :
5 526 527 dollars pour Beni ;
2 680 000 dollars pour Butembo ;
97 550 dollars pour Gemena1019.
7.133. Selon la RDC, les montants indiqués résultent de «listes détaillées» établies par ses enquêteurs et figurant à l’annexe 2.41020. Pourtant, cette annexe ne contient ni les chiffres cités ni les «listes détaillées» censées les étayer1021. Leur provenance et leur fondement sont inconnus.
7.134. De fait, les chiffres que la RDC mentionne dans son mémoire sont contredits par ceux de l’annexe 2.4, ces derniers étant eux-mêmes contredits par les chiffres produits dans d’autres
1018 MRDC, par. 2.85.
1019 MRDC, par. 2.87 et 7.46. En outre, au paragraphe 2.87 de son mémoire, la RDC renvoie également à 43 incidents survenus à Maboya et à Loya, sans pour autant formuler de demande concernant d’éventuels dommages causés dans ces localités.
1020 MRDC, par. 7.45 et 2.85.
1021 L’annexe 2.4 du mémoire de la RDC («Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2003») ne consiste qu’en une série de tableaux récapitulatifs sibyllins intitulés «Tableau de synthèse effectif perte biens» et «Tableau de synthèse évaluation perte biens». Ces tableaux, comme leur titre le laisse entendre, visent à «faire la synthèse» des cas de prétendus dommages matériels, assortis de leur évaluation chiffrée, énumérés dans d’autres tableaux récapitulatifs établis par les enquêteurs congolais (parmi lesquels «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2004 : Détail évaluation perte des biens à Beni de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.4bis, «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2005 : Détail évaluation perte des biens à Butembo de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.4ter, et «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2003 : détail évaluation perte des biens à Gemena de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.4quater («Evaluation Pertes des Biens»)).
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documents annexés établis par les enquêteurs de la RDC1022. C’est ce que nous montrons dans le tableau suivant :
Beni
Butembo
Gemena
5 526 527 dollars (MRDC, par. 7.46)
2 680 000 dollars (MRDC, par. 7.46)
97 550 dollars (MRDC, par. 7.46)
5 013 987 dollars (annexe 2.4)
6 449 424 dollars (annexe 2.4)
«6 4827985E7» dollars (annexe 2.4)
5 551 427 dollars (annexe 2.4bis, «Evaluation pertes des Biens»)
65 130 030 dollars (annexe 2.4ter, «Evaluation pertes des Biens»)
«6 477755E7» dollars (annexe 2.4quater, «Evaluation pertes des Biens»)
7.135. Quel que soit le chiffre réel, les documents établis en théorie par les enquêteurs de la RDC ne constituent pas des éléments de preuve convaincants en ce qu’ils présentent les mêmes failles que ceux qui concernent l’Ituri et Kisangani : ce ne sont que des tableaux récapitulatifs non signés, non datés et non étayés contenant une énumération de divers biens auxquels sont attribuées des valeurs arbitraires1023. Ici comme ailleurs, la RDC ne fournit, à l’appui de sa demande, aucun élément de preuve, a fortiori convaincant, qui permettrait d’établir avec quelque degré de certitude que ce soit que les biens recensés dans les tableaux récapitulatifs ont effectivement subi des dommages, que ceux-ci résultent directement des actes illicites spécifiques imputables à l’Ouganda et que les valeurs qui leur sont attribuées sont exactes. Pour cette seule raison, la RDC ne saurait obtenir les indemnités qu’elle réclame.
7.136. Au surplus, les indemnités réclamées par la RDC ne sauraient être accordées car celle-ci n’a pas fourni le moindre document établissant la propriété et la valeur réelle de l’un quelconque des biens prétendument endommagés. Elle n’a pas non plus expliqué le fondement des valeurs attribuées aux biens qui auraient subi des dommages à Beni, Butembo et Gemena. Ces valeurs ressemblent d’ailleurs de manière frappante à celles attribuées aux biens qui auraient subi des
1022 Parmi ceux-ci figurent «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2004 : Détail évaluation perte des biens à Beni de 1998 à 2003» (MRDC, annexe 2.4bis), qui contient un tableau récapitulatif intitulé «Liste des Biens Perdus de 1998 à 2003» à Beni ; «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2005 : Détail évaluation perte des biens à Butembo de 1998 à 2003» (MRDC, annexe 2.4ter), qui renferme un tableau récapitulatif intitulé «Liste des Biens Perdus de 1998 à 2003» à Butembo ; et «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2003 : Détail évaluation perte des biens à Gemena de 1998 à 2003» (MRDC, annexe 2.4quater) composée d’un tableau récapitulatif intitulé «Liste des Biens Perdus de 1998 à 2003» à Gemena. Les mêmes tableaux récapitulatifs contenant les mêmes informations sont de nouveau soumis à l’annexe 1.3 du mémoire de la RDC, dans le dossier «Dommage perte biens», dans les fichiers «Victimes_PerteBien_BENI», «Victimes_PerteBien_BUTEMBO» et «Victimes_PerteBien_GEMENA».
1023 Il s’agit notamment des documents suivants : «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2004 : Détail évaluation perte des biens à Beni de 1998 à 2003» (MRDC, annexe 2.4bis), qui contient un tableau récapitulatif énumérant les pertes matérielles à Beni ; «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2005 : Détail évaluation perte des biens à Butembo de 1998 à 2003» (MRDC, annexe 2.4ter), qui contient un tableau récapitulatif énumérant les pertes de biens à Butembo ; et «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2003», «Détail évaluation perte des biens à Gemena de 1998 à 2003» (MRDC, annexe 2.4quater), composée d’un tableau récapitulatif énumérant les pertes de biens à Gemena. Les mêmes tableaux récapitulatifs contenant les mêmes informations sont de nouveau soumis à l’annexe 1.3 du mémoire de la RDC dans le dossier «Dommage perte biens».
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dommages en Ituri et à Kisangani1024. L’uniformité des valeurs indiquées, indépendamment du lieu, de l’ampleur des dommages ou de l’identité des victimes alléguées, laisse à penser que les «évaluations» faites par la RDC ne sont pas fondées sur des informations précises et ne reflètent pas les dommages réels.
7.137. La demande de la RDC est arbitraire et spéculative au point que celle-ci manque même d’y expliquer comment elle est parvenue au montant total des indemnités qu’elle réclame pour Beni, Butembo et Gemena.
7.138. Comme dans les cas de l’Ituri et de Kisangani, la RDC n’ayant pas apporté la preuve des dommages matériels exacts causés à Beni, Butembo et Gemena du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef.
D. L’armée congolaise
7.139. La RDC réclame également la somme de 69 417 192 dollars à titre d’indemnités dues pour les «dommages matériels» que son armée aurait subis «dans le cadre des combats qui l’ont opposée à l’UPDF et aux mouvements rebelles soutenus par cette dernière»1025.
7.140. Cette demande échoue tout d’abord en raison de l’absence d’un quelconque lien avec les conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans son arrêt de 2005. D’un point de vue juridique, la RDC ne peut réclamer une indemnisation allant au-delà de ce qui a été décidé au fond, en faisant valoir des dommages qu’elle n’avait pas invoqués à ce stade.
7.141. L’arrêt de 2005 de la Cour se limite aux demandes que la RDC avait avancées dans sa requête, telles qu’elles ont été développées au cours des procédures écrite et orale, et dans ses conclusions finales. A aucun moment de la phase de l’examen au fond, la RDC n’a soulevé la moindre question relative à des dommages matériels prétendument subis par son armée. La Cour n’a pas davantage formulé une quelconque conclusion à ce sujet dans le dispositif ou le texte de l’arrêt de 2005.
1024 La RDC présente à nouveau des prix uniformes qui ne prennent pas en compte le lieu, l’ampleur des dommages et l’identité des victimes. A titre d’exemple, à Beni, Butembo et Gemena, un cochon est systématiquement évalué à 80 dollars, une vache à 300 dollars et une bicyclette à 100 dollars. Voir dans MRDC, annexe 1.3, le dossier «Evaluation pertes des biens» qui figure dans chacun des fichiers «Victimes_PerteBien_BENI», «Victimes_PerteBien_BUTEMBO» et «Victimes_PerteBien_GEMENA». Les articles indéfinis, décrits de manière générique comme des vêtements (valise) et les ustensiles de cuisine sont toujours évalués à 200 dollars. Ibid. En outre, s’agissant de Butembo, les tableaux montrent l’existence de 18 diamants évalués à 1000 dollars pièce, et 12 diamants ont été évalués à 25 000 dollars pièce à Beni. Voir MRDC, annexe 1.3, le dossier «Evaluation Pertes des Biens» dans les fichiers «Victimes_PerteBien_BENI» et «_PerteBien_BUTEMBO». Toutefois, il n’est nullement démontré que les victimes alléguées possédaient des diamants et aucun document ne confirme les valeurs qui leur ont été appliquées. Il y a également lieu de noter que la RDC attribue des prix uniformes aux diamants alors qu’il est bien connu que la valeur de ce type de pierres dépend de différents facteurs. Enfin, il convient de souligner par ailleurs que les catégories de dommages aux biens telles qu’elles figurent dans les tableaux «Evaluation pertes des biens» ne correspondent souvent pas aux mêmes catégories que celles dont la «synthèse» a été faite à l’annexe 2.4. Voir «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.4, «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2004 : Détail évaluation perte des biens à Beni de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.4bis et «Evaluation des pertes des biens à Beni, Butembo et Gemena de 1998 à 2005 : Détail évaluation perte des biens à Butembo de 1998 à 2003», MRDC, annexe 2.4ter.
1025 MRDC, par. 7.48
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7.142. Tout comme les demandes qui échappent à la compétence de la Cour ne peuvent être examinées au fond1026, celles qui ne lui ont pas été présentées à ce stade ne sauraient servir de base à une indemnisation dans la présente phase des réparations1027. En conséquence, la RDC ne peut, au stade actuel, formuler des demandes qui dépassent le cadre de ce qui a été prouvé à la Cour lors de l’examen au fond.
7.143. Qui plus est, même si la RDC pouvait remédier au problème de cette condition minimale (quod non), ce volet de sa demande ferait tout de même long feu faute de preuves. Ladite demande ne repose que sur deux tableaux récapitulatifs qu’un officier supérieur de l’armée congolaise a élaborés le 31 août 2016 — soit deux semaines à peine avant que la RDC ne soumette son mémoire à la Cour. Or, cette dernière a coutume d’écarter les documents établis par des personnes intéressées, aux fins d’une procédure judiciaire, des années après les faits allégués en question1028.
7.144. Et quand bien même les deux tableaux récapitulatifs figurant dans l’annexe 7.4 du mémoire de la RDC seraient considérés comme authentiques et fiables (ce qui ne devrait pas être le cas), ils ne feraient rien de plus que souligner la nature spéculative et arbitraire de la demande congolaise. Ces deux tableaux sont reproduits ci-après. Le premier recense les prétendus dommages, qu’il est censé quantifier en fonction des valeurs alléguées du second tableau. Rien, dans l’un ou l’autre de ces tableaux, n’est cependant étayé par des éléments de preuve authentiques.
1026 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 23, par. 19 («La Cour ne doit pas excéder la compétence que lui ont reconnue les Parties»).
1027 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 37, par. 49 (la Cour a conclu qu’une certaine question soulevée par l’Etat demandeur allait au-delà de la demande telle qu’elle avait été formulée, de sorte qu’elle «n’examinera[it] pas la question plus avant».). Voir également le chapitre 3 ci-dessus pour une analyse plus poussée.
1028 Activités armées (2005), par. 64 et 125.
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1029
1029 «Evaluation des dégâts militaires dans les rangs des FARD[C] par l’armée ougandaise et alliés, fait à
Kinshasa le 31/08/2016», p. 1, MRDC, annexe 7.4.
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7.145. A l’appui des dommages allégués, la RDC n’invoque qu’une seule source : l’ouvrage Le choix de la liberté rédigé par J. Bemba, dirigeant du MLC1031. Il est quelque peu ironique que la RDC ne soit pas parvenue à trouver de meilleure source que des extraits d’un livre dans lequel M. Bemba se vante des résultats que son groupe a obtenus sous son commandement lors de batailles livrées à l’armée congolaise1032. Il est plus ironique encore que la RDC ne puisse corroborer aucun de ces dommages par des documents des FAC datant de l’époque des faits. En réalité, cet Etat se livre purement et simplement à des spéculations en inventant des chiffres pour «concrétiser» les allégations générales de M. Bemba.
7.146. A titre d’exemple, la RDC cite l’ouvrage de M. Bemba pour étayer la thèse selon laquelle l’armée congolaise aurait «abandonn[é] des centaines de caisses de munitions» après avoir
1030 «Evaluation des dégâts militaires dans les rangs des FARD[C] par l’armée ougandaise et alliés, fait à Kinshasa le 31/08/2016», p. 2, MRDC, annexe 7.4.
1031 Voir MRDC, par. 2.48, 2.51, 2.53 et 2.55, où l’ouvrage Le choix de la liberté de M. Bemba est le seul élément cité à l’appui des dommages que l’armée congolaise aurait subis à Mindembo, Pimu, Gbadolite et Ubangi, respectivement.
1032 Ibid.
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combattu le MLC près d’Ubangi1033. Sur la seule base de cette allégation vague, elle affirme que 800 tonnes de munitions auraient été endommagées1034. Rien ne prouve que telle est la quantité réelle de munitions perdues par l’armée congolaise1035.
7.147. En tout état de cause, peu importe quels dommages causés aux FAC la RDC cherche à tirer de l’ouvrage de M. Bemba. Ce dernier n’a rien dit sur des dommages précis qui auraient été occasionnés par des soldats des UPDF. Au contraire, il a insisté sur le fait que c’était lui qui contrôlait les opérations militaires, et non l’Ouganda1036. En outre, comme celui-ci l’a déjà relevé, la Cour a bien précisé que le comportement du MLC ne lui était pas imputable1037.
7.148. La RDC ne produit pas davantage un quelconque élément à l’appui de son évaluation des dommages allégués. Les valeurs attribuées aux armes et équipements militaires recensés dans le tableau récapitulatif ne sont étayées par aucun document1038.
7.149. Contrairement à la demande présentée en l’affaire du Détroit de Corfou, dans laquelle les dommages matériels causés aux navires militaires du Royaume-Uni avaient été établis par des éléments convaincants, notamment des preuves documentaires et des photographies datant de l’époque des faits, et leur évaluation reposait sur une méthode crédible et solide1039, la demande congolaise est fondée sur une série de spéculations.
1033 MRDC, par. 2.55.
1034 «Evaluation des dégâts militaires dans les rangs des FARD[C] par l’armée ougandaise et alliés, fait à Kinshasa le 31/08/2016», MRDC, annexe 7.4. Voir également l’extrait de l’ouvrage de M. Bemba, cité au paragraphe 2.55 du mémoire de la RDC, mentionnant que l’armée congolaise a abandonné du matériel d’artillerie lourde et des armes légères, sans qu’un nombre exact ne soit précisé. Cependant, la RDC affirme, sans fournir le moindre élément de preuve, que 600 unités d’armement auraient été endommagées. Voir également le paragraphe 2.51 du mémoire congolais, citant l’ouvrage de M. Bemba, selon lequel l’armée congolaise aurait «abandonn[é] ... plusieurs lance-roquettes». Sur cette base précaire, la RDC prétend que 10 lance-roquettes auraient été endommagés. MRDC, par. 2.55 et 2.51.
1035 Voir, par exemple, MRDC, par. 2.55, citant J.-P. Bemba, Le choix de la Liberté (2002), MRDC, annexe 2.13.
1036 Voir MRDC, par. 2.48, 2.51, 2.53 et 2.55, où l’ouvrage Le choix de la liberté de M. Bemba (2002), MRDC, annexe 2.13, est le seul élément cité à l’appui des dommages que l’armée congolaise aurait subis à Mindembo, Pimu, Gbadolite et Ubangi, respectivement. Voir également la conclusion suivante de la Cour :
«[E]n réalité, les pages de l’ouvrage de M. Bemba citées par la RDC n’étayent pas l’allégation de la «création» du MLC par l’Ouganda et portent sur une période postérieure qui va de mars à juillet 1999. [La Cour] a pris note de la description que M. Bemba fait dans son livre de l’entraînement de ses hommes par des instructeurs militaires ougandais et estime que cette description s’accorde avec les déclarations faites à la même époque par l’intéressé, telles qu’elles sont reproduites dans le rapport de l’ICG du 20 août 1999. La Cour a également pris note de l’insistance, en novembre 1999, de M. Bemba sur le fait que, s’il recevait bien un soutien, c’était lui qui contrôlait cependant l’opération militaire, et non l’Ouganda. La Cour est aussi d’avis que le plan de désengagement de Harare visait simplement à identifier les positions respectivement occupées par les différentes parties, sans se prononcer sur les relations des unes avec les autres.» Activités armées (2005), par. 158.
1037 Activités armées (2005), par. 160.
1038 Voir le tableau 2 de l’«Evaluation des dégâts militaires dans les rangs des FARD[C] par l’armée ougandaise et alliés, fait à Kinshasa le 31/08/2016», MRDC, annexe 7.4. En outre, ce tableau n’attribue pas de valeur à quatre types d’armes («Mi 12,7 mm», «Mi 14,5 mm», «Mortier 82 mm» et «Canon 75 mm»). L’on ignore donc sur quelle base la RDC a apprécié les dommages relatifs à ces éléments de sa demande. Elle évalue ainsi deux mortiers de 82 mm à 5432 dollars chacun, sans même préciser la source de ce montant allégué. Il en va de même de l’estimation, par la RDC, de canons de 75 mm à une valeur de 13 000 dollars chacun. Voir le tableau 1 de «Evaluation des dégâts militaires dans les rangs des FARD[C] par l’armée ougandaise et alliés, fait à Kinshasa le 31/08/2016», annexe 7.4.
1039 Détroit de Corfou (réparations, 1949).
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7.150. La RDC n’ayant pas apporté la preuve des dommages exacts subis par son armée du fait d’actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites, il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef.
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7.151 Pour toutes les raisons qui précèdent, la RDC n’a pas droit à l’indemnisation qu’elle réclame à raison des dommages matériels allégués.
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CHAPITRE 8 LES DEMANDES DE LA RDC RELATIVES AUX RESSOURCES NATURELLES PRÉSENTENT DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES ET NE SONT PAS ÉTAYÉES
8.1. La RDC réclame la somme de 3 478 494 205 dollars des Etats-Unis (ci-après «dollars») à titre d’indemnités dues pour les préjudices que l’Ouganda aurait causés s’agissant de ses ressources naturelles1040. Ce montant se décompose comme suit :
685513 737 dollars pour l’exploitation alléguée de l’or, du diamant et du coltan ;
2 692 980 468 dollars pour des dommages allégués à la faune ; et
100 000 000 dollars pour la déforestation alléguée1041.
8.2. Comme pour ses autres demandes, examinées aux chapitres précédents, la RDC ne présente ici aucune preuve de ce qu’elle avance : elle ne produit, pour démontrer l’existence du préjudice exact qu’elle aurait subi par suite de faits illicites spécifiques de l’Ouganda, ou pour justifier l’évaluation qu’elle en donne, aucun élément emportant la conviction avec un degré élevé de certitude.
8.3. A la section I du présent chapitre seront examinées les techniques habituellement employées aux fins d’établir la matérialité et le coût des dommages liés aux ressources naturelles en droit international (des techniques que la RDC refuse d’appliquer dans son mémoire). Dans la section II, il sera ensuite démontré que les demandes de la RDC à cet égard présentent des failles méthodologiques et ne sont pas étayées par des éléments de preuve.
I. LA RDC NE FONDE PAS SES DEMANDES SUR LES MÉTHODES HABITUELLEMENT EMPLOYÉES POUR ÉTABLIR L’EXISTENCE ET LE COÛT DE DOMMAGES TELS QUE CEUX QU’ELLE ALLÈGUE
8.4. Le présent chapitre porte principalement sur les failles systématiques qui entachent, du point de vue du droit comme des faits, les demandes de la RDC relatives à l’exploitation alléguée de ses ressources naturelles. Mais, avant toute chose, il importe de relever que ces demandes ne sont pas fondées sur les méthodes ou les éléments de preuve habituellement employés pour démontrer l’existence de dommages tels que ceux dont la RDC fait état, ainsi que le bien-fondé de l’évaluation qui en est donnée.
8.5. Un examen de la pratique pertinente en matière de pillage, de saccage ou de spoliation1042 montre que le bien-fondé d’une demande d’indemnisation au titre de l’exploitation de
1040 MRDC, par. 5.190.
1041 Ibid., par. 5.190. La RDC s’est également réservé le droit de formuler des demandes supplémentaires à raison de l’exploitation alléguée de l’or et du diamant, ainsi que de la déforestation. Elle n’est nullement fondée à le faire, pour les raisons exposées dans les sections relatives aux demandes d’indemnités intenables qu’elle formule à raison de l’exploitation alléguée de ressources naturelles et de la déforestation.
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ressources naturelles sera établi sur la base de plusieurs éléments. Il faudra ainsi: 1) déterminer le ou les lieux précis où l’exploitation a eu lieu (mines, puits de pétrole, carrières, forêts ou cours d’eau desquels les ressources ont été extraites) ; 2) déterminer l’époque précise durant laquelle l’exploitation a eu lieu ; 3) évaluer, fût-ce approximativement, la quantité de ressources extraites ; et 4) évaluer lesdites ressources.
8.6. Ces éléments doivent être établis au moyen des preuves documentaires habituellement disponibles au sujet des différentes ressources naturelles concernées. Par exemple, si un Etat entend prouver qu’une mine d’or donnée a été exploitée de manière illicite, il devra présenter des rapports, des livres comptables et d’autres documents établis au cours des années ayant précédé la saisie de la mine, lorsque celle-ci était exploitée normalement. La saisie de la mine doit ensuite être démontrée soit par des récits de l’époque soit par les déclarations sous serment de personnes ayant une connaissance directe des faits. Il est possible d’évaluer le préjudice résultant de la perte des ressources en question en se référant aux années antérieures d’exploitation de la mine concernée, en déduisant les coûts d’extraction et en tenant compte de tout changement de situation (par exemple lorsque l’état de la mine s’est dégradé par suite du conflit armé). Si la mine d’or est détenue et exploitée par une entreprise privée et non par l’Etat, ce dernier doit établir que l’entreprise en question a toujours eu sa nationalité depuis la date du préjudice jusqu’à celle du dépôt de sa réclamation, à tout le moins. Une fois ces éléments particuliers établis, si l’exploitation a eu lieu au sein d’un territoire occupé, la puissance occupante peut encore démontrer que l’exploitation alléguée était conforme aux lois de la guerre relatives à l’usufruit.
8.7. D’autres techniques peuvent être utilisées par les commissions chargées d’examiner des réclamations collectives complexes relatives à des dommages causés à des biens mais, ainsi qu’il a été exposé au chapitre 3, ces techniques ne sont pas appropriées dans le contexte d’une procédure interétatique devant la Cour. Même devant de telles commissions, les critères à remplir pour établir le bien-fondé d’une réclamation relative aux ressources naturelles sont généralement très rigoureux, un bon exemple étant celui des réclamations de la catégorie «E1» qui ont été soumises à la Commission d’indemnisation des Nations Unies au sujet du secteur pétrolier koweïtien1043.
8.8. Ainsi qu’il a été dit aux chapitres précédents, l’Ouganda est conscient des difficultés que peut supposer la collecte d’éléments de preuve sur l’exploitation de ressources naturelles en temps de conflit armé. Toujours est-il que la RDC n’a soumis aucun élément de preuve du type de ceux qu’un Etat est habituellement censé produire pour établir l’existence d’un préjudice spécifique qu’il a subi sous la forme d’une exploitation de ressources naturelles, ainsi que le bien-fondé de l’évaluation qu’il en donne.
1042 S’agissant du pillage, du saccage et de la spoliation, le mode et les critères d’établissement de la preuve ont été énoncés dans divers précédents sous la plume des tribunaux pénaux internationaux et des commissions mixtes des réclamations qui ont oeuvré de l’époque de Nuremberg à nos jours, notamment dans des situations où des ressources naturelles avaient été saisies. Voir, par exemple, Polish Forestry, Case No. 7150, commission des Nations Unies pour les crimes de guerre, History of the United Nations War Crimes Commission and the Development of the Laws of War (1948), p. 485 (dans cette affaire, la commission a déclaré les forces allemandes responsables de la surexploitation de forêts de la Pologne occupée). Voir, de manière générale, M. A. Lundberg, «The Plunder of Natural Resources during War : A War Crime?», Georgetown Journal of International Law, vol. 39 (2007-2008) ; D. Dam-de Jong, International Law and Governance of Natural Resources in Conflict and Post-Conflict Situations (2015) ; F. Ortino et N. M. Tabari, «International Dispute Settlement : The Settlement of Disputes Concerning Natural Resources — Applicable Law and Standards of Review», Research Handbook on International Law and Natural resources (E. Morgera & K. Kulovesi (dir. publ.), 2016), p. 496.
1043 Voir Conseil de sécurité, rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la deuxième tranche des réclamations de la catégorie «E1», doc. S/AC.26/1999/10 en date du 24 juin 1999, par. 30-32, annexe 9. Voir, de manière générale, C. Payne et P. Sand (dir. publ.), Gulf War Reparations and the UN Compensation Commission: Environmental Liability (2011).
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8.9. Il sera démontré ci-après que, au lieu de suivre la méthode habituelle pour prouver la matérialité du préjudice qu’elle allègue et justifier l’évaluation qu’elle en donne, la RDC échafaude ses demandes en se fondant principalement sur des allégations non étayées et des données mal interprétées qu’elle a extraites de manière sélective des rapports très critiqués du groupe d’experts de l’ONU1044. Sur la seule base du premier de ces rapports, en date du 12 avril 2001, la RDC prétend ainsi, à tort, que la différence entre la production et les exportations ougandaises de ressources minérales entre 1998 et 2003 démontre d’une certaine façon que l’Ouganda a illicitement exploité les ressources minérales congolaises1045. La RDC avance cette idée erronée alors qu’elle sait pertinemment qu’il y a été renoncé dans le rapport final du groupe d’experts en date du 23 octobre 2003, où il n’est pas même laissé entendre que les exportations ougandaises de minerais au cours de la période considérée fussent liées à une exploitation illicite des ressources naturelles congolaises (une allégation également réfutée dans le rapport final de la commission Porter)1046. De même, la RDC fonde entièrement sa demande d’indemnisation pour la déforestation sur «l’étude de cas» concernant DARA Forest qui était utilisée dans le premier rapport du groupe d’experts de l’ONU, mais qui ne l’était plus dans le rapport final1047. Nombre des autres demandes de la RDC concernant les ressources naturelles sont pareillement fondées sur des allégations glanées dans les rapports du groupe d’experts et présentées de manière fallacieuse comme étant confirmées (ce qu’elles ne sont pas)1048.
8.10. La thèse de la RDC sur les ressources naturelles reposant presque totalement sur les rapports du groupe d’experts de l’ONU, il est utile de rappeler ici les limites de ces rapports de manière générale (les problèmes particuliers qu’ils présentent seront examinés plus loin, conjointement avec tel ou tel aspect des demandes de la RDC).
8.11. Créé par le Conseil de sécurité, le groupe d’experts de l’ONU était chargé de proposer des solutions à l’exploitation illicite des ressources naturelles de la RDC. Ses rapports ne visaient pas à établir la responsabilité des violations du droit international qui avaient été commises, but dans lequel la RDC tente de les utiliser aujourd’hui. Ce groupe était essentiellement un organe politique, dont la seule mission était de proposer des solutions politiques aux problèmes rencontrés sur le terrain. Le Conseil de sécurité n’ignorait pas que les rapports qui pourraient être produits ne répondraient pas aux exigences rigoureuses d’une procédure judiciaire, et il a pris soin de rappeler que ledit groupe d’experts n’était pas un organe judiciaire investi du pouvoir ou de la capacité de recueillir ou évaluer des éléments de preuve1049.
1044 Groupe d’experts de l’ONU, premier rapport du 12 avril 2001, annexe 11 ; additif au premier rapport du 12 avril 2001, annexe 13 ; rapport du 16 octobre 2002, annexe 15.
1045 Voir par. 8.47-8.94.
1046 Voir par. 8.68-8.71.
1047 Voir par. 8.153-8.164.
1048 MRDC, par. 5.07, 5.08, 5.28, 5.30, 5.33, 5.37, 5.40, 5.41, 5.86-5.88, 5.90, 5.95, 5.104, 5.114, 5.115, 5.127, 5.174-5.176, 5.182.
1049 S’exprimant sur les travaux du groupe d’experts initialement constitué, le président du Conseil de sécurité a ainsi déclaré : «Je voudrais répéter un point que d’autres intervenants ont déjà noté avant moi. Notre objectif n’est pas de punir ou de blâmer ; notre objectif est et doit rester la mise en oeuvre fructueuse de l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka, ainsi que [d]es résolutions pertinentes du Conseil de sécurité». Dans le même ordre d’idées, le représentant permanent du Royaume-Uni a fait observer ce qui suit : «Nous devons nous engager mutuellement et essayer de parvenir à une plus grande clarté, mais il nous faut également nous concentrer sur l’objectif fondamental qui n’est pas ici de châtier ou bien de condamner individuellement, mais de s’attaquer au processus de paix plus large et d’atténuer les souffrances du peuple congolais.» Pour un exposé exhaustif et pleinement documenté, voir la duplique soumise par la République de l’Ouganda (6 décembre 2002) dans la phase consacrée au fond, par. 332-338.
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8.12. Même après ce rappel de leur objectif limité, les rapports du groupe d’experts de l’ONU, et en particulier le premier, sur lequel la RDC se fonde principalement, se révèlent foncièrement viciés. Le premier a été critiqué pour son manque d’objectivité et de crédibilité, ce qui a valu à ses auteurs d’être remplacés. Le nouveau groupe a reconnu que le rapport du 12 avril 2001 n’était pas satisfaisant et qu’il ne pouvait en corriger tous les problèmes. Certaines des failles du premier rapport ont donc gangrené les rapports suivants. Un troisième rapport a ainsi été établi, mais il ne valait toujours guère mieux que les précédents. Lors d’un débat public du Conseil de sécurité, certains membres ont clairement fait savoir qu’aucun de ces rapports ne suffisait à justifier une intervention du Conseil de sécurité1050. Si les rapports du groupe d’experts n’ont pu justifier une action politique, ils peuvent encore moins satisfaire aux exigences d’une action judiciaire contre un Etat, qui impose des critères plus rigoureux aux fins de l’établissement de la preuve.
8.13. Il convient de noter que, par le passé, la RDC a elle-même admis que les rapports du groupe d’experts de l’ONU (en particulier le premier, sur lequel elle se fonde si largement) manquaient de crédibilité. Lors de débats au Conseil de sécurité, elle en avait contesté certains passages qui mettaient en cause le comportement de son gouvernement. Elle avait alors relevé trois failles majeures dans ces rapports : 1) leurs auteurs formulaient des accusations sans tenir compte du contexte factuel ; 2) les accusations formulées ne reposaient pas sur des éléments de preuve ; et 3) les rapports ne faisaient pas la part de ce qui était licite et de ce qui ne l’était pas1051.
8.14. La RDC n’est pas le seul Etat qui ait constaté les insuffisances des rapports du groupe d’experts, tant s’en faut. Nombre d’autres Etats les ont également critiqués, relevant, entre autres lacunes, l’omission : de distinguer les faits de simples ouï-dire ; d’étayer les allégations formulées par des éléments de preuve ; de rechercher des éléments corroborants ; d’interroger les témoins concernés ; d’examiner les documents pertinents ; d’identifier les sources ; de tenir compte du contexte des événements ; de distinguer les activités licites des activités illicites ; de donner aux personnes accusées une possibilité de s’expliquer ou de répondre de quelque autre façon aux accusations formulées à leur encontre ; et de satisfaire aux conditions élémentaires d’impartialité1052.
8.15. Etant donné ces problèmes largement reconnus, il n’est guère étonnant que, dans son arrêt de 2005, la Cour ne se soit pas fondée sur les rapports du groupe d’experts de l’ONU pour parvenir à ses conclusions concernant l’exploitation illégale de ressources naturelles. Au lieu de cela, la Cour s’est essentiellement fondée sur le rapport de la Commission Porter, qui avait été établie par l’Ouganda1053. Comme elle l’a exposé dans son arrêt,
«une attention particulière mérite d’être prêtée aux éléments de preuve obtenus par l’audition d’individus directement concernés et soumis à un contre-interrogatoire par des juges rompus à l’examen et à l’appréciation de grandes quantités d’informations factuelles, parfois de nature technique»1054.
1050 Pour un exposé exhaustif et pleinement documenté, voir la duplique présentée par la République de l’Ouganda (6 déc. 2002) dans la phase consacrée au fond, par. 339-375.
1051 Ibid., par. 340-344.
1052 Ibid., par. 340-375.
1053 Rapport final de la commission Porter, annexe 52.
1054 Activités armées (2005), par. 61.
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II. LA RDC N’A PAS APPORTÉ LA PREUVE DE L’AMPLEUR DES DOMMAGES LIÉS AUX RESSOURCES NATURELLES QU’ELLE INVOQUE, ET L’ÉVALUATION QU’ELLE EN DONNE PRÉSENTE DES FAILLES MÉTHODOLOGIQUES
8.16. Avant d’examiner le détail des demandes de réparations de la RDC au titre des ressources naturelles, il convient de rappeler brièvement les conclusions qu’a rendues sur ce point la Cour dans son arrêt de 2005.
8.17. Sur la base, essentiellement, du rapport de la commission Porter, la Cour a jugé que la responsabilité de l’Ouganda était engagée à deux égards1055. Premièrement, elle a dit que
«des officiers et des soldats des UPDF, parmi lesquels les officiers les plus haut gradés, [avaient] participé au pillage et à l’exploitation des ressources naturelles de la RDC et que les autorités militaires n’[avaient] pris aucune mesure pour mettre un terme à ces activités»1056.
Cette conclusion était essentiellement fondée sur des passages du rapport de la commission Porter consacrés au comportement fautif de certains officiers et soldats des UPDF tirant parti de leur affectation en RDC à des fins de profit personnel1057. Deuxièmement, elle a conclu que, en Ituri,
«l’Ouganda a[vait] manqué à son devoir de vigilance en ne prenant pas les mesures adéquates pour s’assurer que ses forces armées ne se livreraient pas au pillage et à l’exploitation des ressources naturelles de la RDC»1058.
8.18. Sur ce fondement, la Cour a dit, dans le dispositif, que l’Ouganda avait violé les obligations qui étaient les siennes, en vertu du droit international,
«par les actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles congolaises commis par des membres d[e ses] forces armées … sur le territoire de la République démocratique du Congo, et par son manquement aux obligations lui incombant, en tant que puissance occupante dans le district de l’Ituri, d’empêcher les actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles congolaises»1059.
La conclusion de la Cour était clairement limitée à la période au cours de laquelle les forces ougandaises étaient présentes sur le territoire congolais, et, en dehors de l’Ituri, aux actes directement commis par elles.
8.19. Il importe tout autant de rappeler ce que la Cour n’a pas dit dans son arrêt de 2005. Premièrement, contrairement à ce qu’affirme la RDC, elle n’a pas conclu qu’existait «une politique gouvernementale de l’Ouganda visant à l’exploitation de ressources naturelles de la RDC, ou que cet Etat [avait] entrepris son intervention militaire dans le dessein d’obtenir un accès aux ressources congolaises»1060. Deuxièmement, elle n’a pas conclu que l’Ouganda avait engagé sa responsabilité à
1055 Activités armées (2005), par. 237-250.
1056 Ibid., par. 242.
1057 Voir ibid., par. 238-242, renvoyant aux parties suivantes du rapport final de la commission Porter : 13.1, 13.2, 13.4, 14.4, 14.5, 15.7, 18.5.1, 20.3, 21.3, 21.3.4, annexe 52.
1058 Activités armées (2005), par. 246.
1059 Ibid., par. 345, point 4 du dispositif.
1060 Activités armées (2005), par. 242.
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raison d’actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles commis par des groupe rebelles ailleurs qu’en Ituri1061.
8.20. En outre, la Cour n’a pas formulé de conclusions relatives à des ressources naturelles en particulier, ou à des lieux précis. Elle a simplement indiqué que, de manière générale, des actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles avaient eu lieu, à une échelle indéterminée. Elle a d’ailleurs expressément déclaré que «point n’[était] besoin pour [elle] de se prononcer sur les faits propres à chacun des incidents allégués»1062.
8.21. Il incombe dès lors à la RDC d’apporter à ce stade la preuve du préjudice exact subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable1063. Ainsi qu’il sera démontré ci-après, la RDC ne s’est acquittée de cette charge dans son mémoire, pour aucun des aspects de sa demande. Elle a présenté une série d’affirmations indéfendables, reposant sur des éléments peu convaincants, voire de pures spéculations, en vue de réclamer des montants tout à fait excessifs. Dès lors, il n’y a pas de raison crédible d’adjuger à la RDC les indemnités qu’elle demande.
A. Les ressources minières
8.22. La RDC réclame la somme de 685 513 737 dollars à titre d’indemnités dues pour l’exploitation alléguée de ses ressources minières. Ce montant se décompose comme suit :
675 541 972 dollars à raison de l’exploitation de l’or ;
7 055 885 dollars à raison de l’exploitation du diamant ; et
2 915 880 dollars à raison de l’exploitation du coltan 1064.
Toutefois, la RDC n’apporte nullement la preuve de l’existence des préjudices allégués, du lien de causalité requis ou du bien-fondé de son évaluation.
1. La RDC n’a pas apporté la preuve de l’existence des dommages allégués en ce qui concerne les ressources minières
8.23. A l’appui de sa demande d’indemnisation au titre d’une prétendue exploitation illégale de ressources minières, la RDC procède, de manière assez simpliste, en trois étapes :
1. Elle commence par affirmer que des soldats des UPDF étaient présents sur certaines parties de son territoire, et part du principe qu’ils l’ont été constamment entre 1998 et 2003 ;
2. Elle évoque ensuite plusieurs incidents auxquels auraient participé des éléments des UPDF ;
1061 Activités armées (2005), par. 247. («Quant à l’argument selon lequel l’Ouganda n’aurait pas non plus prévenu les actes de pillage et d’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC par des groupes rebelles, la Cour a déjà établi que ces derniers n’étaient pas sous le contrôle de l’Ouganda (voir paragraphe 160 ci-dessus). Aussi, s’agissant des activités illégales de tels groupes en dehors de l’Ituri, la Cour ne peut conclure que l’Ouganda a manqué à son devoir de vigilance.»)
1062 Ibid., par. 237.
1063 Voir chapitres 3 et 4 du contre-mémoire de l’Ouganda.
1064 MRDC, par. 5.190.
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3. De ces prémisses fragiles , elle passe à des données économiques mal interprétées, qu’elle tire du premier rapport du groupe d’experts de l’ONU, lequel a été discrédité, pour faire valoir que l’écart entre le volume des ressources minières extraites en Ouganda, qu’elle présente comme faible, et celui, élevé au contraire, des exportations de ces mêmes ressources depuis l’Ouganda, entre 1998 et 2003, permettrait pour des raisons bien mystérieuses d’établir à la fois l’exploitation illégale de ces ressources par l’Ouganda, et l’ampleur de cette exploitation.
8.24. Ces prétentions de la RDC sont entachées d’une série de vices rédhibitoires : elles n’entrent, pour certaines d’entre elles, pas même dans le cadre des conclusions auxquelles la Cour est parvenue en 2005 ; elles ne sont pas, pour la quasi-totalité d’entre elles, étayées par des preuves de faits spécifiques imputables à l’Ouganda à l’origine d’une exploitation illégale des ressources minières ; enfin, lorsque la RDC produit des éléments relatifs à de très rares faits internationalement illicites attribuables à l’Ouganda, elle ne précise ni ne prouve le préjudice exact qui en serait résulté. L’utilisation que fait la RDC des «données économiques» susmentionnées ne permet pas de pallier ces lacunes, que l’Ouganda examinera ici tour à tour.
a) La RDC ne peut demander à être indemnisée sur la base de prétentions qui n’entrent pas dans le cadre des conclusions auxquelles la Cour est parvenue sur les ressources naturelles
8.25. La RDC ne peut demander à être indemnisée qu’à raison de préjudices résultant de faits qui relèvent des conclusions auxquelles la Cour a abouti en 2005 sur les ressources naturelles1065. Elle a toutefois fait fi de cette exigence à plusieurs égards.
8.26. Ainsi, la RDC affirme que l’Ouganda a exploité des gisements d’or à Bondo, dans le district du Bas-Uélé (province de l’Equateur)1066. Elle se base à cet égard sur un passage du premier rapport du groupe d’experts de l’ONU qui se lit comme suit :
«Dans la localité de Bondo, province de l’Equateur, des jeunes de 12 à 18 ans étaient recrutés par [le dirigeant du MLC] Jean-Pierre Bemba. Les alliés ougandais entraînaient les recrues et leur inculquaient l’idée que l’armée ougandaise était une «armée de développement» dont l’objectif était d’améliorer les conditions de vie de la population. Après la séance «d’exercice physique» d’une heure le matin, [elles] étaient envoyés dans les mines d’or afin d’extraire le minerai pour le compte des Ougandais et [de] M. Bemba.»1067
8.27. Outre qu’elle n’est pas étayée par des éléments de preuve, et qu’elle n’a pas été corroborée, cette déclaration est trop vague pour établir de manière convaincante un lien entre l’exploitation de l’or à Bondo et l’Ouganda. Telle est du reste également la conclusion à laquelle a abouti la commission Porter, lorsqu’elle a dressé le constat suivant :
«Les officiers et les hommes des UPDF que la présente Commission a interrogés ont reconnu que Jean-Pierre Bemba était un allié et qu’ils entraînaient les rebelles sous ses ordres. Mais ils ont nié qu’ils entraînaient de jeunes gens recrutés par M. Bemba pour extraire de l’or, des diamants ou de la colombotantalite (coltan). Jean-Pierre Bemba a également nié l’allégation. Etant donné que le nom des témoins oculaires allégués qui ont donné des informations au Groupe initial n’a pas été
1065 Voir chap. 3, sect. II A).
1066 MRDC, par. 5.36-5.38.
1067 Ibid., par. 5.37.
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dévoilé, la présente Commission ne peut pas faire davantage de recherches sur cette question et conclu[t] qu’elle n’est pas en mesure de trouver des preuves à l’appui de cette allégation.»1068
8.28. Tout au plus le passage du premier rapport du groupe d’experts de l’ONU que cite la RDC indique-t-il que les rebelles du MLC exploitaient des gisements d’or. Mais la RDC ne peut s’en prévaloir, car cette conclusion irait à l’encontre de celle à laquelle la Cour est expressément parvenue dans son arrêt de 2005, lorsqu’elle a écarté la responsabilité de l’Ouganda pour les actes de pillage et d’exploitation commis par des groupes rebelles ailleurs qu’en Ituri1069. Un comportement illicite dont la Cour n’a pas jugé l’Ouganda responsable en 2005 ne saurait à l’évidence fonder l’octroi d’indemnités1070.
8.29. Il en va de même s’agissant des nouvelles allégations on ne peut plus générales de la RDC selon lesquelles «[l]e commerce officieux de l’or [était] très probablement facilité par la mise en application laxiste des régulations existantes aux postes frontières entre l’Ouganda et le Congo», et par le fait que les sociétés commerciales ougandaises n’étaient pas obligées «de s’enquérir de l’origine de l’or qu’elles achetaient»1071. Pour étayer ces allégations, la RDC soutient également que deux sociétés privées basées en Ouganda Uganda Commercial Impex Ltd. et Machanga Ltd. «ont déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch que l’or dont [elles] faisaient commerce provenait du Congo (et plus spécifiquement d’Ituri)»1072.
8.30. Là encore, la RDC méconnaît le fait que la Cour n’a pas déclaré que l’Ouganda avait engagé sa responsabilité internationale à raison d’une «application laxiste» de réglementations ou de son manquement à imposer à des sociétés privées l’obligation de s’enquérir de l’origine de l’or dont elles faisaient l’acquisition. Elle n’a pas davantage jugé qu’il l’avait engagée à raison du «commerce officieux de l’or» auquel se livraient des personnes privées1073. Or, le principe d’autorité de la chose jugée interdit à la RDC de réclamer des indemnités sur la base d’allégations dépourvues de lien avec des faits dont l’Ouganda a été jugé responsable en 2005.
8.31. La référence que fait la RDC à un rapport de Human Rights Watch datant de 2005, et mentionnant deux sociétés commerciales ougandaises faisant commerce d’or congolais, n’étaye pas davantage sa thèse. Human Rights Watch a expliqué ces sociétés achetaient de l’or à des personnes privées en RDC, et l’exportaient vers Dubaï, l’Afrique du Sud et la Suisse. L’organisation n’a rien
1068 Rapport final de la commission Porter, p. 71 (les italiques sont de nous), annexe 52.
1069 Activités armées (2005), par. 247 («Quant à l’argument selon lequel l’Ouganda n’aurait pas non plus prévenu les actes de pillage et d’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC par des groupes rebelles, la Cour a déjà établi que ces derniers n’étaient pas sous le contrôle de l’Ouganda (voir par. 160 ci-dessus). Aussi, s’agissant des activités illégales de tels groupes en dehors de l’Ituri, la Cour ne peut conclure que l’Ouganda a manqué à son devoir de vigilance.»).
1070 Quand bien même quod non la RDC pourrait apporter la preuve que les forces des UPDF ont exploité de l’or dans les mines de la région de Bondo, le fait demeure qu’elle ne produit aucune information sur l’ampleur de cette exploitation.
1071 MRDC, par. 5.48, citant Human Rights Watch, Le fléau de l’or, République démocratique du Congo (2005), annexe 57.
1072 MRDC, par. 5.51.
1073 De fait, la commission Porter a conclu que l’Ouganda ne pouvait être tenu pour responsable du fait que de l’or avait été passé en contrebande en raison de «l’inefficacité de son administration des douanes et [d’]une frontière poreuse. Ce n’est pas le seul pays africain [à être] confronté à ce genre de problèmes.» ; rapport final de la commission Porter, p. 109, annexe 52. Elle a également constaté que le groupe d’experts de l’ONU avait attribué à tort à l’Ouganda des faits de contrebande commis par des rebelles ou des acteurs privés. Voir rapport final de la commission Porter, p. 163-164 ;167, annexe 52.
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vu là d’illicite : pour elle, ces sociétés «n’op[éraient] pas illégalement mais profit[aient] plutôt de régulations laxistes sur le commerce de l’or»1074. De fait, la RDC n’a produit aucune preuve rattachant les opérations de ces sociétés, ou d’une quelconque société ougandaise, à des faits internationalement illicites dont la Cour a reconnu l’Ouganda responsable en 2005.
8.32. La RDC méconnaît également les conclusions de la Cour quant à la responsabilité de l’Ouganda, lorsqu’elle réclame des indemnités pour la prétendue destruction de la mine de Gorumbwa, et le «vol», en des endroits non spécifiés, «de carburant et d’explosifs» appartenant à la société minière OKIMO1075. La RDC est peut-être fondée à réclamer des indemnités à ce titre, mais pas sous le chef d’exploitation de ressources naturelles. De telles demandes doivent être considérées comme relatives à des destructions de biens, mais quand bien même, pareilles destructions ne pourraient ouvrir droit à indemnisation que si la RDC établissait à la fois l’ampleur des dommages qui auraient été causés et l’existence d’un lien direct entre ceux-ci et des actions illicites spécifiques attribuables à l’Ouganda (or, elle n’a fait ni l’un ni l’autre)1076.
b) La RDC n’est pas fondée à réclamer des indemnités au titre de dommages qui ne sont pas la conséquence de faits illicites de l’Ouganda
8.33. Dans son arrêt de 2005, la Cour a indiqué que, au stade des réparations soit le stade actuel , la RDC devrait apporter la preuve d’«actions spécifiques de l’Ouganda» à l’origine pour elle d’un «préjudice» précis. Dès lors, quand bien même la RDC parviendrait à établir que des ressources minières ont été exploitées de manière illégale, le préjudice ainsi causé ne serait indemnisable que si elle apportait la preuve qu’il résulte d’actions spécifiques de l’Ouganda relevant des faits internationalement illicites visés dans l’arrêt de 20051077.
8.34. Or, la RDC n’a guère, en substance, produit de preuves de faits précis d’exploitation illégale imputables à l’Ouganda, non plus que d’indications de lieux précis où ils se seraient déroulés. Elle n’a pas davantage cherché à spécifier des périodes au cours desquelles ils se seraient produits. Elle se contente de présupposer que toute exploitation de ressources naturelles en RDC est forcément imputable à l’Ouganda. A vrai dire, son postulat de départ est plus outrancier encore. Ainsi qu’il sera montré plus en détail ci-après, ses demandes sont tout entières fondées sur l’idée que les données relatives aux exportations de minerai à partir du territoire ougandais apporteraient la preuve d’une exploitation illégale attribuable à l’Ouganda sur le territoire congolais. Or, une multitude de raisons justifient de ne pas faire l’amalgame entre ces exportations à partir du territoire ougandais, fussent-elles avérées, et l’exploitation illégale de minerai par l’Ouganda sur le sol congolais. Aussi la RDC ne saurait-elle se dispenser d’apporter toutes les preuves requises lorsqu’elle invoque des cas précis d’exploitation illégale sur son territoire afin de permettre à la Cour d’acquérir la certitude que, dans chaque circonstance, c’est bien un fait précis de l’Ouganda qui est l’origine d’une exploitation illégale sur le territoire congolais, et qu’il ne s’agit pas
1074 Human Rights Watch, Le fléau de l’or, République démocratique du Congo, op. cit., p. 109 (les italiques sont de nous), annexe 57.
1075 MRDC, par. 5.28, 5.32.
1076 Les éléments de preuve produits à l’appui de ces demandes continuent de laisser à désirer. Ainsi, l’allégation de la RDC selon laquelle des soldats des UPDF auraient détruit la mine de Gorumbwa repose sur un rapport illisible, daté du 4 septembre 1999, que la société OKIMO a adressé au gouverneur de la province de Kibali-Ituri. Or, ce rapport ne fait nulle mention de soldats des UPDF. Qui plus est, même si la RDC pouvait apporter la preuve que la mine a bien été détruite par des soldats des UPDF, il lui faudrait encore fournir des justificatifs établissant l’ampleur des dégâts causés et permettant d’évaluer les dommages. Voir MRDC, par. 5.28 ; «Rapport de la société OKIMO au gouverneur de la province de Kibali-Ituri, 4 septembre 1999», MRDC, annexe 5.5.
1077 Voir chap. 4, sect. I B).
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d’exploitation légale des ressources sur le sol congolais ou ailleurs, ni d’exploitation illégale des ressources congolaises par un tiers autre que l’Ouganda.
8.35. La RDC soutient, par exemple, que, en Ituri, des miliciens du FNI ont repris à l’UPC la mine d’Adidi en mars 2003, et contraint les orpailleurs à leur verser chacun une taxe d’environ un dollar1078. A défaut de mettre en cause des soldats des UPDF, cette allégation semble reposer sur un prétendu manquement de l’Ouganda aux obligations lui incombant en tant que puissance occupante de l’Ituri d’empêcher l’exploitation par des tiers des ressources naturelles congolaises.
8.36. Ainsi qu’il a été indiqué au chapitre 4, la réparation due à la RDC à raison du manquement, par l’Ouganda, aux obligations lui incombant en tant que puissance occupante ne saurait être évaluée par simple référence aux préjudices matériellement causés par des tiers. Le lien de causalité rattachant une omission illicite à un préjudice «ne pourrait être regardé comme établi que si la Cour était en mesure de déduire de l’ensemble de l’affaire, avec un degré suffisant de certitude, que le [préjudice] aurait été effectivement empêché si le défendeur avait adopté un comportement conforme à ses obligations juridiques»1079. Or, la RDC n’a produit aucune preuve établissant que les faits incriminés dans le cas de la mine d’Adidi (comme, d’ailleurs, de toute autre mine en Ituri) n’auraient effectivement pas eu lieu si l’Ouganda avait adopté un comportement conforme à son obligation de faire preuve de la diligence requise.
8.37. Dans son mémoire, la RDC n’établit pas davantage l’existence d’un lien de causalité direct entre l’exploitation du coltan qu’elle allègue et des faits illicites dont la responsabilité reviendrait à l’Ouganda1080. Elle renvoie ainsi au rapport du groupe d’experts de l’ONU du 16 octobre 2002 qui fait référence, mais sans aucune preuve à l’appui, à l’exploitation du coltan par différents groupes armés opérant sous la protection des UPDF dans la Province orientale1081. Le groupe d’experts prétend illustrer son propos par une «étude de cas», celui de «La Conmet»: propriété d’un officier des UPDF, cette société aurait bénéficié, pour toutes ses activités, d’une «exonération totale» accordée par le commissaire général pour le RCD/Kisangani, qui lui aurait permis de vendre du coltan à l’étranger au prix de 17 dollars le kilo, sans acquitter de droits à caractère fiscal ni de droits de douane1082.
8.38. La RDC a tort de considérer que l’«étude du cas» de La Conmet apporte la preuve d’un préjudice causé par l’Ouganda. La commission Porter a estimé que cette étude n’était «pas étay[ée] par des preuves crédibles»1083. De fait, elle a recueilli divers éléments dignes de foi confirmant qu’aucun Ougandais, a fortiori officier des UPDF, ne détenait de participation dans cette société1084. La commission a également montré qu’il était faux d’affirmer que La Conmet aurait exploité du coltan de manière illégale :
1078 MRDC, par. 5.22. La RDC soutient également que les miliciens du FNI ont finalement détruit «de nombreuses infrastructures, ainsi que … la mine d’Adidi elle-même». Ibid.
1079 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462.
1080 Le coltan, troncation des mots «colombite» et «tantalite» ce dernier étant le nom sous lequel il est désigné dans l’industrie est un minerai dont sont extraits le niobium et le tantale.
1081 MRDC, par. 5.86, 5.87, faisant référence au rapport du groupe d’experts de l’ONU en date 16 octobre 2002, par. 108-111, annexe 15.
1082 Ibid.
1083 Rapport final de la commission Porter, p. 183, annexe 52.
1084 Ibid.
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«A la lumière des preuves disponibles, La Conmet n’a effectué qu’une seule expédition de colombotantalite en provenance de la République démocratique du Congo à destination d’Ulba, au Kazakhstan, en octobre 2000. La commission a en sa possession des reçus pour les taxes d’exportation payées par la société aux autorités congolaises. C’est pourquoi il n’est pas correct de dire que la société a été exonérée des droits à caractère fiscal et des droits de douane.»1085
8.39. Les autres demandes de la RDC relatives à l’exploitation alléguée du coltan doivent être rejetées également faute de lien de causalité. Citant l’observation de la commission Porter selon laquelle «il ne fa[it] aucun doute que de la colombotantalite provenant de la République démocratique du Congo [a] transité par l’Ouganda», par exemple, la RDC voit dans ce simple constat la preuve concluante que du coltan a été exploité de manière illégale par l’Ouganda1086. Cette inférence est à l’évidence erronée. En outre, elle n’est pas étayée par le rapport de la commission Porter. Celui-ci a conclu que La Conmet avait exporté du coltan après acquittement aux autorités congolaises de droits à caractère fiscal et de droits de douane, ce qui indique que, pour autant que du coltan provenant de la RDC ait transité par le territoire ougandais, ce transit s’est fait dans le cadre d’échanges commerciaux réguliers.
8.40. C’est ce que confirme également un autre exemple relatif à l’exportation de coltan par une société thaïlandaise, Dara Forêt/DARA-Forest. La commission Porter a constaté que
«Dara Forêt a[vait] exporté du coltan pour lequel [elle] avait une licence qu[e son propriétaire, M. Kotiram] a produite devant la … Commission. Cette licence ne semble pas avoir été falsifiée. Les minéraux ont transité par l’Ouganda. M. Kotiram a produit devant la présente Commission des documents douaniers qui ont été vérifiés pour la présente Commission par l’administration fiscale ougandaise.»1087
8.41. Le seul transit de marchandises congolaises à travers le territoire ougandais ne permet pas de conclure à une quelconque exploitation illégale par l’Ouganda. Les entités opérant dans l’est de la RDC ne pouvaient importer ou exporter via Kinshasa, en raison de l’absence d’infrastructures de transport. Le transit a pu être maintenu via l’Ouganda, par où il passait depuis longtemps, . L’interdire aurait eu des conséquences préjudiciables pour la population de l’est du Congo. C’est ce qu’a confirmé dans son rapport du 16 octobre 2002 le groupe d’experts de l’ONU, qui déconseillait de fermer la frontière entre la RDC et l’Ouganda et d’imposer un embargo sur le commerce transfrontalier1088.
8.42. L’allégation de la RDC ne serait défendable que si celle-ci pouvait présenter des éléments convaincants établissant que telles quantités précises de coltan ont transité via l’Ouganda par suite d’actions illicites spécifiques imputables à celui-ci. Or, la RDC n’a rien produit de tel.
1085 Rapport final de la commission Porter, p. 183, annexe 52.
1086 MRDC, par. 5.88, citant le rapport final de la commission Porter, p. 111, annexe 52.
1087 Rapport final de la commission Porter, p. 61, annexe 52.
1088 Groupe d’experts de l’ONU, rapport du 16 octobre 2002, p. 29, par. 155, annexe 15.
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Elle n’a, du reste, pas soumis la moindre preuve à l’appui de sa demande d’indemnisation au titre de l’exploitation du coltan1089.
c) Dans les rares cas où elle produit des éléments tendant à établir des faits spécifiques imputables à l’Ouganda, la RDC n’apporte pas la preuve du préjudice exact qu’elle a subi
8.43. Dans quelques très rares cas, la RDC produit des éléments, essentiellement puisés dans le rapport de la commission Porter, tendant à établir des faits spécifiques imputables à l’Ouganda à l’origine d’une exploitation illégale de ses ressources minières. Cependant, quand bien même ces éléments seraient jugés convaincants, la RDC n’a pas pris la peine d’apporter la preuve du préjudice exact qui en serait résulté1090.
8.44. La RDC renvoie au constat dressé par la commission Porter selon lequel des soldats des UPDF ont prélevé, à des fins d’enrichissement personnel, «de l’or auprès des mineurs[,] qui devaient verser des contributions pour pouvoir exploiter la mine»1091. La commission a également mentionné les opérations de la société Victoria, enregistrée à Goma (RDC), affirmant qu’elle achetait de l’or et des diamants avec l’aval des rebelles, et acquittait des taxes au MLC1092. Bien que la société Victoria ne comptât «parmi ses actionnaires [aucun] Ougandais vivant en Ouganda», et que «[l’]Ouganda en tant qu’Etat n[e fût] pas impliqué dans» ses activités1093, un officier supérieur des UPDF aurait, d’après la commission Porter, «facilité» les opérations commerciales du groupe en échange de paiements destinés à en assurer «la sécurité», dans le dessein d’en tirer «profit… lui-même»1094.
8.45. Ces actions pourraient certes relever des conclusions générales de la Cour reconnaissant l’engagement de la responsabilité de l’Ouganda au titre de l’exploitation illégale de ressources minérales, mais le seul fait de prouver qu’elles ont eu lieu n’ouvre pas automatiquement droit à une indemnisation pécuniaire. A l’instar des Etats demandeurs en l’affaire du Détroit de Corfou et en l’affaire Diallo, la RDC doit encore, à l’aide d’éléments convaincants, apporter la preuve du préjudice spécifique qu’elle a subi en conséquence. Or, elle ne l’a aucunement apportée dans son mémoire. Elle n’a pas produit d’éléments ni, a fortiori, d’éléments convaincants
1089 La RDC cite également des sources non confirmées indiquant que, lors d’affrontements avec les UPDF, des miliciens ont récupéré du coltan. Ainsi renvoie-t-elle à un rapport d’une ONG congolaise à l’appui de l’allégation selon laquelle les Maï-Maï ont repris à un convoi des UPDF un «colis d’au moins 5000 kilogrammes de coltan». MRDC, par. 2.27. Toutefois, la source sur laquelle elle se fonde ne mentionne aucun «colis d’au moins 5000 kilogrammes de coltan». Celui-ci semble être un pur produit de l’imagination de la RDC. Voir MRDC, par. 5.89, citant le rapport intitulé «Point de vue de la Société civile du Grand Nord sur les interventions militaires de l’Ouganda en République démocratique du Congo» (extraits), MRDC, annexe 2.7.
1090 Voir chap. 3, sect. III.
1091 MRDC, par. 5.35, faisant référence au rapport final de la commission Porter, p. 69, annexe 52.
1092 Ibid., par. 5.67-5.68, faisant référence au rapport final de la commission Porter, p. 119-120, annexe 52.
1093 Rapport final de la commission Porter, p. 164, annexe 52.
1094 MRDC, par. 5.67-5.68, faisant référence au rapport final de la commission Porter, p. 119-112, annexe 52. Or, la commission Porter met en doute l’allégation de la RDC selon laquelle l’intéressé était directement impliqué dans les opérations de la société Victoria et avait des intérêts dans celle-ci, écrivant qu’elle «ne dispose pas de preuves concluantes pour le démontrer». Rapport final de la commission Porter, p. 81, annexe 52.
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établissant l’ampleur du préjudice subi du fait de telles actions, ou de tout autre acte allégué1095. Elle n’a fourni, relativement à l’extraction de telles ressources aux emplacements indiqués avant le conflit, aucune donnée permettant d’évaluer l’exploitation qui en a été faite au cours de ce dernier. De même ne tente-t-elle en rien d’établir au moyen de preuves documentaires qu’elle-même ou l’une quelconque de ses sociétés aurait subi la moindre perte de valeur nette.
8.46. En bref, même dans les rares cas où des éléments tendent à établir que des membres individuels des UPDF se seraient livrés à des activités d’exploitation illégale, la RDC n’a produit aucune information permettant de préciser et d’avérer le préjudice exact qui en serait résulté. Partant, elle n’a pas fourni à la Cour matière à lui adjuger la moindre indemnisation1096.
d) Les «données économiques» sur lesquelles se fonde la RDC ne prouvent rien
8.47. Tentant en vain d’esquiver l’obligation qui lui incombe d’apporter la preuve du préjudice exact résultant de faits internationalement illicites spécifiques qui seraient imputables à l’Ouganda1097, la RDC soutient que la différence entre la production et l’exportation supposées d’or, de diamants, de coltan/niobium de l’Ouganda entre 1998 et 2003 peut offrir un moyen indirect d’évaluer le préjudice qu’elle aurait subi du fait de l’exploitation illégale de ces ressources1098.
8.48. A titre liminaire, l’Ouganda observe que, en tentant à mauvais escient de se fonder sur ses exportations de minerai supposées pour établir le préjudice qu’elle aurait subi, la RDC prend de fait le contrepied de la conclusion expresse à laquelle a abouti la Cour, qui en 2005 n’a pas estimé établi qu’ait «exist[é] une politique gouvernementale de l’Ouganda visant à l’exploitation de ressources naturelles de la RDC, ou que cet Etat ait entrepris son intervention militaire dans le dessein d’obtenir un accès aux ressources congolaises»1099. Mais ce n’est pas la seule considération justifiant d’écarter la demande de la RDC, tant s’en faut.
8.49. La RDC fonde entièrement sa demande sur le premier rapport du groupe d’experts de l’ONU, qui a été très largement critiqué (y compris par la RDC elle-même)1100. Dans ce rapport, le premier groupe d’experts a tenté, en se fondant peu judicieusement sur des données économiques, de confirmer que les ressources naturelles de la RDC avaient fait l’objet d’une exploitation
1095 Ainsi, la RDC soutient, sur la base de sources qui n’ont pas été corroborées, que des «militaires ougandais ont réquisitionné l’or de la société OKIMO», MRDC, par. 5.32. Quand bien même elle pourrait établir le bien-fondé de cette allégation, il lui faudrait encore établir quelle quantité d’or a effectivement été réquisitionnée. Or, elle ne présente aucune preuve spécifiant quelle quantité l’aurait été ni où. Autre exemple : la RDC se réfère à un document illisible, contenant des informations non corroborées, de la direction de la société OKIMO, rapportant l’occupation, le 23 mai 2001, par «les orpailleurs illégaux», encadrés par des militaires ougandais et par le coordonnateur du RCD/ML, de la mine de Durba et des installations de la société. MRDC, par. 5.29, citant la lettre du 23 mai 2001 adressée au secrétaire national des affaires intérieures du FLC par Gaspard Lubenda Diemu, MRDC, annexe 5.7. Quand bien même cette allégation serait étayée par les éléments de preuve requis, la RDC n’en a pas moins manqué d’établir la période au cours de laquelle la mine aurait été exploitée de manière illégale ; le volume de ressources aurifères qui en auraient été extraites au cours de la période pertinente, et le cas échéant la part de ces ressources dont l’exploitation aurait été le fait de soldats des UPDF ; ou encore les volumes extraits aux mêmes endroits avant la guerre, en vue d’évaluer l’exploitation de ces ressources au cours du conflit.
1096 Diallo (2012), par. 32, 34-36 (la Cour ne pouvant adjuger d’indemnité de nature pécuniaire que si le demandeur a apporté la preuve de l’existence d’un préjudice spécifique) ; Activités armées (2005), par. 260.
1097 Activités armées (2005), par. 260.
1098 MRDC, par. 5.54, 5.81-5.82, 5.91.
1099 Activités armées (2005), par. 242.
1100 Voir ci-dessus, par. 8.12-8.15.
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illégale1101. Il a puisé dans des sources mal choisies des informations statistiques sur la production et l’exportation supposées d’or, de diamants et de coltan/niobium de l’Ouganda entre 1998 et 2003. Constatant que le volume allégué des exportations de ces ressources à partir du territoire ougandais était supérieur à celui de la production nationale, il en a tiré cette conjecture: «L’écart observé entre la production et les exportations pourrait avoir son origine dans l’exploitation des ressources naturelles de la République démocratique du Congo.»1102
8.50. Comme le suggère l’emploi, au conditionnel, du verbe «pourrait», le groupe d’experts lui-même n’est pas allé jusqu’à affirmer positivement que l’écart observé entre la production et les exportations s’expliquait par l’exploitation illégale par l’Ouganda des ressources minières congolaises. La RDC n’en présente pas moins cette conjecture du premier groupe d’experts comme un fait avéré, et produit les données économiques extraites du premier rapport sans se donner la peine de comprendre ce qu’elles signifient effectivement.
8.51. Une importante remarque s’impose à titre liminaire. Les données économiques sur lesquelles la RDC se fonde sont un salmigondis de chiffres que le premier groupe d’experts a concocté à partir de sources variées mais jamais sur la base des données statistiques officielles de l’Ouganda , dont des données non confirmées de tierces parties, et des données incomplètes de certaines institutions ougandaises. Ces autres données doivent être analysées à la lumière des informations statistiques officielles de l’Ouganda.
8.52. En Ouganda, la «source d’information statistique officielle» est le bureau ougandais de la statistique (Uganda Bureau of Statistics, ou «UBOS», selon l’acronyme anglais)1103, «principale agence de collecte et de diffusion de données, dont le rôle est d’assurer la coordination, le suivi et le bon fonctionnement du système statistique national»1104. L’UBOS est chargé de fournir des «services d’informations statistiques centralisés»1105, de «promouvoir la standardisation de la collecte, de l’analyse et de la publication de statistiques afin de garantir l’uniformité et la fiabilité des données»1106, et de «structurer et [de] maintenir une banque centrale de données statistiques»1107.
8.53. S’agissant des exportations ougandaises, l’UBOS recueille les statistiques pertinentes auprès de la banque de l’Ouganda, l’administration fiscale, le ministère de l’énergie et de la mise en valeur des ressources minérales ainsi qu’auprès des autorités douanières. Les statistiques de chacune de ces sources ne portant que sur des aspects donnés, il incombe à l’UBOS de les analyser et de les accorder pour brosser un tableau fidèle des exportations effectives de l’Ouganda.
8.54. Les données statistiques sont d’abord «dûment traitées et leur qualité vérifiée», après quoi elles sont «mises à la disposition du public»1108, dans un recueil publié chaque année. Ces
1101 Groupe d’experts de l’ONU, premier rapport du 12 avril 2001, par. 94-102, annexe 11.
1102 Ibid., par. 97 (les italiques sont de nous).
1103 Loi ougandaise no 12 sur le bureau ougandais de la statistique, publiée au Journal officiel no°36, vol. XCI, supplément lois no°7, 11 juin 1998, partie II 4) 2) b), annexe 35.
1104 Ibid., partie II 4) 1).
1105 Ibid., partie II 4) 2) a) i).
1106 Ibid., partie II 4) 2) a) ii).
1107 Ibid., partie II 4) 3) e).
1108 Ibid., partie III 20).
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recueils sont aisément accessibles en ligne depuis 2002, et comportent des données couvrant la période allant de 1997 à 20161109. Le processus de collecte et de contrôle des données statistiques étant un processus qui s’inscrit dans la durée, les données publiées sont sujettes à des revisions ultérieures, eu égard à d’éventuelles erreurs1110.
8.55. Les recueils de statistiques incluent chaque année les données intéressant le commerce extérieur de l’Ouganda. Ces données y sont reproduites à la section 4.2 intitulée «External Trade» (commerce extérieur), qui est complétée par le tableau 4.2.A intitulé «Exports by quantity» (exportations en volume). Ce tableau énumère les matières premières régulièrement exportées. Celles qui ne le sont pas, et qui ne génèrent pas de recettes importantes, ne sont pas répertoriées individuellement, mais peuvent être regroupées dans une catégorie générale1111.
8.56. Dans l’analyse qui va suivre, l’Ouganda se référera donc aux données officielles reproduites dans le tableau 4.2.A, à la section 4.2 consacrée au commerce extérieur, qui sont publiées dans les recueils de statistiques annuels. Ces données seront complétées au besoin par d’autres données officielles provenant de l’UBOS.
8.57. L’Ouganda avait déjà fourni ces explications dans le cadre de ses observations au Conseil de sécurité, montrant que le premier groupe d’experts de l’ONU n’avait pas pris en compte les statistiques officielles de l’UBOS et s’était fondé sur d’autres sources, non confirmées, et des données d’autres institutions ougandaises mal interprétées1112. Il est à noter que le groupe d’experts reconstitué a admis ces explications et que, dans son rapport du 16 octobre 2002, il a rejeté l’idée, erronée, que les données économiques mentionnées dans le premier rapport apporteraient la preuve d’une exploitation illégale1113.
8.58. La RDC persiste néanmoins à présenter les données non étayées, non vérifiées, non corroborées, et mal interprétées qui figuraient dans le premier rapport du groupe d’experts et à s’y référer pour fonder ses demandes d’indemnisation au titre de l’exploitation de l’or, du diamant et du coltan/niobium.
1109 Voir bureau ougandais de la statistique, «Statistical Abstracts», disponible à l’adresse suivante : http://www.ubos.org/publications/statistical-abstract/ (dernière consultation le 27 janvier 2018).
1110 Ainsi qu’indiqué dans la publication de 2002, «le recueil de statistiques vise à offrir un outil de référence statistique pratique, et à renvoyer vers d’autres sources et publications statistiques. Il convient toutefois de relever que les contenus émanant du bureau de la statistique et de nombreuses autres institutions sont sujets à erreurs en raison d’un certain nombre de facteurs, dont : la variabilité d’échantillonnage (dans le cas de sondages) ; l’erreur de déclaration entachant les données intéressant les unités individuelles ; des données incomplètes ; les non-réponses, erreurs d’imputation et erreurs de traitement». Voir bureau ougandais de la statistique, «Statistical Abstracts» (2002, 2004, 2005), 2002 Statistical Abstract, p. 1, annexe 38.
1111 Cependant, si un usager souhaite obtenir des informations plus détaillées sur telle ou telle matière première incluse dans une catégorie générale, il peut adresser une demande en ce sens à l’UBOS.
1112 Conseil de sécurité, réponse du Gouvernement de la République de l’Ouganda à l’additif au rapport du groupe d’experts relatif à l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2001/1163 en date du [10] décembre 2001, p. 7-8, annexe 37.
1113 Voir ci-dessus, par. 8.9.
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i) «Données économiques» relatives à l’or
8.59. Pour illustrer l’ampleur du préjudice qu’elle aurait subi du fait de l’exploitation non avérée de l’or, la RDC se fonde sur des «données économiques» figurant dans le tableau 1 du premier rapport du groupe d’experts de l’ONU1114. Ce tableau est reproduit ci-dessous :
8.60. Le premier groupe d’experts de l’ONU indique avoir tiré ces données d’une source unique : le ministère de l’énergie et de la mise en valeur des ressources minérales de l’Ouganda. Or, ces données n’apportent pas d’indications concluantes ni exhaustives sur les exportations de l’Ouganda. Ainsi qu’il sera expliqué ci-après, elles ne renvoient pas à des exportations effectives1115.
8.61. La RDC ajoute ensuite aux données puisées dans le tableau 1 du premier rapport du groupe d’experts de l’ONU des informations émanant du ministère de l’énergie et de la mise en valeur des ressources minérales pour les années 2001 à 2003 (non analysées par le premier groupe d’experts). Sur ce fondement, elle écrit ceci :
«En 2001, l’Ouganda exportait, selon [l]es rapports [du ministère], 6,09 tonnes d’or pour une production propre de 0,000142 tonne. En 2002, l’Ouganda exportait 7,589 tonnes d’or pour une production propre de 0,002565 tonne. En 2003, l’Ouganda exportait 4,16 tonnes d’or pour une production propre de 0,040 tonne.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Suivant les statistiques du ministère ougandais de l’énergie et du développement minéral, fournies au Groupe d’experts et complétées par les rapports
1114 Groupe d’experts de l’ONU, premier rapport du 12 avril 2001, p. 21, annexe 11.
1115 Voir plus loin, par. 8.63.
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annuels dudit ministère, l’Ouganda a exporté 45,149 tonnes d’or de 1998 à 2003, pour une production propre de 0,06 tonne. L’exportation non justifiable par une production propre s’élève donc à 45,143 tonnes.»1116
8.62. Sur ce fondement, la RDC affirme que le volume d’or congolais exploité de manière illégale par l’Ouganda serait au minimum de 45,143 tonnes1117. Cette affirmation est erronée, notamment parce qu’elle fait abstraction de données statistiques et d’une évolution de la réglementation qui expliquent la divergence apparente entre la production et l’exportation d’or supposées de l’Ouganda.
8.63. En s’appuyant sur les données relatives à l’exportation émanant du ministère de l’énergie et de la mise en valeur des ressources minérales, le premier groupe d’experts a commis une erreur importante, que la RDC a reproduite à son tour. Les chiffres du ministère de l’énergie sont ceux figurant sur les permis d’exportation délivrés par le ministère. Ils indiquent la quantité d’or faisant l’objet d’une demande d’autorisation d’exporter à partir de l’Ouganda, et non les volumes effectivement exportés. Les quantités dont il est fait état sont donc plus élevées que celles des exportations effectives.
8.64. Il ressort de données officielles de l’UBOS que le volume des exportations effectives d’or est bien moindre. Les statistiques officielles publiées dans les recueils de 2002, 2004 et 2005 sont synthétisées dans le tableau ci-dessous1118 :
Tableau 8.1 Volume des exportations ougandaises d’or et de composés d’or, 1997-2004
ANNEE
VOLUME (kg)
1997
1381
1998
665
1999
4231
2000
5297
2001
6161
2002
7117
2003
3478
2004
5465
1116 MRDC, par. 5.42, 5.55.
1117 MRDC, par. 5.55. La RDC avance aussi un second montant, à savoir que l’Ouganda aurait exploité 67 tonnes d’or entre 1998 et 2000. Ainsi qu’il sera montré aux paragraphes 8.72 et suivants, cette affirmation est dépourvue de tout fondement.
1118 Ce tableau combine des données extraites du tableau 4.2A des recueils de statistiques de l’UBOS pour les années 2002, 2004 et 2005, annexe 38.
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8.65. L’Ouganda relève que, une fois en possession d’informations plus exactes, l’UBOS a mis à jour ces chiffres. Le changement le plus notable est un ajustement à la hausse de 665 à 2247 kilogrammes d’or exportés pour l’année 19981119. Les données mises à jour sont reproduites dans le tableau ci-dessous :
Tableau 8.2 Volume des exportations ougandaises d’or et de composés d’or (après mise à jour de l’UBOS)
ANNEE
VOLUME (kg)
1997
2035
1998
2247
1999
4231
2000
5926
2001
6158
2002
7086
2003
3275
2004
5277
Total
36 235
8.66. Les statistiques officielles ougandaises montrent ainsi que, n’en déplaise à la RDC, l’Ouganda n’a pas, entre 1998 et 2003, exporté 45 149 mais 28 923 kilogrammes d’or1120.
8.67. Un changement de réglementation a également contribué à l’écart observé entre les chiffres relatifs aux exportations et à la production dont il est fait état. Il a été expliqué au chapitre 2 que l’Ouganda avait adopté des mesures de libéralisation des échanges en 1990 qui se sont traduites, notamment, par la suppression de droits à l’exportation. En conséquence, les exportateurs n’avaient plus de raison de ne pas déclarer toutes leurs exportations. En outre, les chiffres relatifs à la production d’or en Ouganda sont sous-évalués. Nombre de mineurs artisanaux et autres petits producteurs ne déclaraient pas leur production de crainte de faire l’objet de poursuites pour s’être livrés à des activités minières sans être titulaires de la licence requise. Ces producteurs écoulaient ensuite le minerai non déclaré auprès d’exportateurs agréés qui, eux, les déclaraient en tant qu’exportations, de sorte que les chiffres relatifs au volume des exportations étaient supérieurs à ceux relatifs à la production. Ainsi, après la libéralisation des politiques commerciales de l’Ouganda, un écart est apparu entre les volumes de production et d’exportation. Les exportateurs n’avaient plus de raison de ne pas rendre compte de la totalité de leur activité, mais nombre de producteurs continuaient de ne pas déclarer la leur.
8.68. L’Ouganda a présenté ces explications dans ses réponses au groupe d’experts reconstitué, qui était chargé de combler les lacunes du premier rapport. Ainsi qu’il a déjà été indiqué, le groupe d’experts reconstitué n’a pas, dans son rapport final, retenu la conjecture infondée que le premier groupe d’experts avait formée, sur la base de données erronées, et selon laquelle «[l]’écart observé entre la production et les exportations [en Ouganda] pourrait avoir son origine dans l’exploitation des ressources naturelles» congolaises1121. Le groupe d’experts reconstitué n’a pas même établi de lien entre les exportations d’or (ou d’autres minerais) de l’Ouganda et une exploitation, par celui-ci, des ressources naturelles de la RDC.
1119 Lettre du 26 octobre 2017 adressée au Solicitor General, ministère de la justice et des affaires constitutionnelles, par Imelda Atai Musana, directrice exécutive du bureau ougandais de la statistique, annexe 39.
1120 Bureau ougandais de la statistique, recueils de statistiques (2002, 2004, 2005), annexe 38.
1121 Groupe d’experts de l’ONU, premier rapport du 12 avril 2001, par. 97 (les italiques sont de nous), annexe 11.
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8.69. Les arguments et données économiques que la RDC puise dans le premier rapport du groupe d’experts ont également été remis en question par la commission Porter. Après avoir rigoureusement analysé les données économiques et entendu les déclarations sous serment des protagonistes, la commission Porter est parvenue à plusieurs conclusions. Elle a tout d’abord confirmé que le fait que les mineurs artisanaux ne déclaraient pas leur production expliquait que les chiffres relatifs aux exportations d’or de l’Ouganda fussent supérieurs aux chiffres officiels relatifs à la production:
«[L]es chiffres correspondant à la production en Ouganda ne reflètent pas la production réelle, parce que les mineurs artisanaux ne déclarent pas leur production, tandis que les exportateurs le font. Néanmoins, il existe une production artisanale très répandue en Ouganda, étant donné qu’elle correspondrait à la seule source de production d’or en Ouganda, outre la production d’une mine en développement.»1122
8.70. La commission Porter a également constaté que de l’or était passé en contrebande à travers les frontières toujours poreuses entre la RDC et l’Ouganda, échappant au contrôle des autorités ougandaises. Elle a jugé que l’Ouganda n’était pas responsable de ce trafic, ni chargé de prévenir la contrebande, et qu’il n’en avait tiré aucun profit:
«En ce qui concerne la collecte des statistiques proprement dite, il semble que le problème soit dû à l’enregistrement de la production. La présente Commission s’est rendue chez un exportateur d’or et a assisté à une transaction, depuis la visite du client apportant de la poussière d’or non traitée à la fusion de l’or et au paiement effectué pour cette opération. Le client était un homme d’affaires d’Arua [en RDC] et il a apporté un grand colis qui contenait de nombreux paquets plus petits, chacun appartenant [à] un mineur artisanal. Chaque paquet était minutieusement étiqueté et portait le nom de l’artisan. Le contenu a été fondu et évalué individuellement et le paiement pour chaque artisan a été calculé.
Dans ces circonstances, il est irréaliste de s’attendre à ce que les artisans déclarent leur production d’or, ainsi que la source, même si la législation le requiert. C’est seulement l’exportateur qui est tenu de remplir des formulaires statistiques pour l’exportation. Les volumes de production et, information plus importante, la source doivent également être mentionnés par la première personne en Ouganda qui fond de l’or, parce que la poussière d’or amenée contient de nombreuses impuretés. A cet égard, il ressort [très] clairement de la visite que l’administration fiscale ougandaise n’a aucun espoir de percevoir des droits à l’importation. En effet, les paquets individuels sont si petits (plus petits qu’une boîte d’allumettes, bien qu’ils soient plus lourds et tout de même plus précieux) qu’ils sont faciles à cacher. Pour la même raison, il pourrait être irréaliste de demander des chiffres concernant les sources, parce que l’or passé en contrebande au-delà de la frontière ne serait probablement pas déclaré comme … provenant d’un autre pays que l’Ouganda, de telle sorte qu’il ne serait pas taxable. Il a été dit à la présente Commission que les sources … étaient toutes situées en Ouganda. Mais si l’on regarde les noms des personnes intéressées et compte tenu [de ce] que le client provenait d’Arua, cela est peu probable.
Pour la présente Commission qui a pu observer les pratiques et les procédures pour, au moins, la production artisanale de l’or, il serait très difficile, voire impossible, de contrôler les importations d’or passant à la frontière ou de produire des statistiques sur la production de toute nature. C’est pourquoi, même si le Gouvernement de l’Ouganda aurait dû se rendre compte que les volumes de
1122 Rapport final de la commission Porter, p. 109, annexe 52.
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production ne correspondaient pas aux chiffres des exportations, il ne pouvait pas y faire grand-chose.»1123
Et d’ajouter :
«Dès lors, il apparaît … clairement que l’or a fait l’objet d’une contrebande à grande échelle et que les chiffres[, de quelque source qu’ils] prov[iennent,] ne sont pas fiables. On se demande comment on peut donner à entendre que l’Ouganda devait être au courant de ce qui se passait au niveau de l’or ou comment l’Ouganda peut être blâmé pour autre chose que l’inefficacité de son administration des douanes et une frontière poreuse. Ce n’est pas le seul pays africain [à être] confronté à ce genre de problèmes.»1124
8.71. De même que la commission Porter dans son rapport, la Cour n’a nulle part conclu dans son arrêt de 2005 que l’Ouganda se serait rendu responsable de contrebande d’or. Elle n’a pas davantage jugé qu’il aurait tiré un quelconque profit de l’exploitation illégale de ce métal. Il va sans dire que la RDC ne produit aucun élément de preuve reliant ne fût-ce qu’un seul gramme d’or exploité de manière illégale ou passé en contrebande aux exportations de l’Ouganda. L’affirmation selon laquelle l’Ouganda aurait exploité de manière illégale 45 tonnes d’or congolais est donc dépourvue de tout fondement1125.
8.72. Outre ce montant «minimal», la RDC en avance un second, prétendant que l’Ouganda aurait, en réalité, exporté plus de 67 tonnes d’or congolais entre 1998 et 2003. Elle se fonde, à mauvais escient, sur des données économiques de la base «COMTRADE» de la division de statistique de l’ONU, qu’elle a puisées dans le rapport de la commission Porter. Cette dernière s’est quant à elle servie des statistiques COMTRADE sur l’exportation supposée d’or de l’Ouganda pour les comparer à celles du ministère de l’énergie et de la mise en valeur des ressources minérales citées dans le premier rapport du groupe d’experts1126. La commission a également passé en revue les données COMTRADE sur l’or qui aurait été importé par les partenaires commerciaux de l’Ouganda1127. Au terme de cette analyse, elle a jugé les statistiques COMTRADE de peu d’utilité pour déterminer le volume effectif des exportations d’or de l’Ouganda1128.
8.73. Qu’à cela ne tienne, la RDC n’en persiste pas moins à faire référence aux chiffres COMTRADE figurant dans le rapport de la commission Porter, qu’elle cite de manière sélective:
«Les chiffres COMTRADE présentés par la Commission Porter sont globalement plus élevés que ceux du Groupe d’experts. Selon cette source, 3 tonnes d’or ont été exportées d’Ouganda en 1998 (soit moins que les 5,03 tonnes mentionnées par le Groupe d’experts), mais ce chiffre passe ensuite à 21 tonnes en 1999 (contre 11,45 selon le Groupe d’experts), à 43 tonnes en 2000 (contre 10,83 selon le Groupe d’experts), puis à zéro en 2001 (année pour laquelle le Groupe d’experts ne
1123 Rapport final de la commission Porter, p. 110-111 (les italiques sont de nous), annexe 52.
1124 Ibid., p. 109 (les italiques sont de nous), annexe 52.
1125 MRDC, par. 5.55.
1126 Rapport final de la commission Porter, p. 108, annexe 52.
1127 Ibid., p. 109.
1128 Ibid.
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présente pas de chiffre). Le rapport de la Commission Porter ne présente pas de chiffres pour 2002 et 2003.»1129
8.74. Et d’en conclure :
«Suivant les statistiques COMTRADE présentées par la Commission Porter, l’Ouganda a exporté 3 tonnes d’or en 1998, 21 tonnes en 1999, 43 tonnes en 2000 et zéro tonnes en 2001, soit un total de 67 tonnes de 1998 à 2000. La Commission Porter ne présente aucun chiffre pour 2002 et 2003.»1130
8.75. La RDC avance ainsi un second montant aux fins de sa demande d’indemnisation, affirmant que l’Ouganda devrait être reconnu responsable de l’exploitation illégale d’au moins 67 tonnes d’or, et se réserve le droit de compléter sa demande en fonction des chiffres COMTRADE pour les années 2002 et 20031131.
8.76. La passion de la RDC pour les chiffres élevés ne fait aucun doute. Mais la commission Porter a conclu que les chiffres COMTRADE cités par la RDC n’avaient aucun sens :
«La présente Commission est préoccupée par le fait que les chiffres provenant de la base de données COMTRADE déclarés par l’Office ougandais des statistiques sont les suivants : 16, 35 et 43 millions de dollars des Etats-Unis pour 1998, 1999 et 2000 respectivement. Ces chiffres sont beaucoup trop élevés pour correspondre à la production artisanale probable en République démocratique du Congo, même si elle est additionnée à celle de l’Ouganda, et ils ne correspondent pas aux chiffres provenant de la base COMTRADE correspondant aux importations des partenaires, qui sont de 2, 4 et 14 millions de dollars des Etats-Unis seulement, qui sont beaucoup plus acceptables au regard de la production artisanale.»1132
Comme l’a clairement indiqué la commission Porter, 67 tonnes représentent un volume trop élevé pour correspondre à la production artisanale (qui était, à l’époque, la principale forme de production) d’or en RDC et en Ouganda. En outre, les volumes d’or dont l’exportation est prêtée à l’Ouganda ne correspondent pas à ceux que ses partenaires commerciaux auraient importés depuis l’Ouganda. La quantité d’or que ceux-ci auraient fait venir de l’Ouganda entre 1998 et 2001 se monte à 20 000 kilogrammes, soit un chiffre très proche de celui (18 562 kilogrammes) qui apparaît dans les recueils de statistiques de l’UBOS, tels que mis à jour par celui-ci1133, pour 1998-2001.
8.77. La thèse de la RDC selon laquelle l’Ouganda aurait exploité de manière illégale 67 tonnes d’or congolais fait long feu, et son autre version, à savoir que l’Ouganda aurait exploité de cette manière 45 143 tonnes d’or congolais, tout autant. La RDC n’a fourni aucune justification étayant, en droit, sa demande d’indemnisation au titre de l’exploitation de l’or.
1129 MRDC, par. 5.45.
1130 Ibid., par. 5.55 (les italiques sont de nous).
1131 Ibid., par. 5.61.
1132 Rapport final de la commission Porter, p. 110 (les italiques sont de nous), annexe 52.
1133 Lettre du 26 octobre 2017 adressée au Solicitor General, ministère de la justice et des affaires constitutionnelles, par Imelda Atai Musana, directrice exécutive du bureau ougandais de la statistique, UBOS/30/30, annexe 39.
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ii. «Données économiques» relatives au diamant
8.78. Afin d’essayer de montrer l’ampleur du préjudice qu’elle prétend avoir subi à raison de l’exploitation du diamant dont elle n’a pas prouvé l’existence, la RDC s’appuie sur des données économiques résumées dans un tableau, appelé «tableau 1», provenant d’un rapport du groupe parlementaire du Parlement britannique (tous partis confondus)1134, reproduit ci-dessous :
Tableau 1 Exportation et production de minéraux par l’Ouganda (1994-2000)
Année
Or/exploitation (tonnes)
Or/production (tonnes)
Coltan/exportation (tonnes)
Coltan/production (tonnes)
Niobium/exportation (dollars E.-U.)
Diamant/exportation (dollars E.-U.)
1994
0,22
0,0016
-
0,435
-
-
1995
3,09
0,0015
-
1,824
-
1996
5,07
0,0030
-
-
-
1997
6,82
0,0064
2,57
-
13 000
198 302
1998
5,03
0,0082
18,57
-
580 000
1 440 000
1999
11,45
0,0047
69,50
-
782 000
1 813 500
2000
10,83
0,0044
-
-
-
1 263 385
2001
2 539 000
Sources : Pour le coltan et l’or, ministère ougandais de l’énergie et de la mise en valeur des ressources minérales ; pour le niobium, données agrégées de l’OMC ; pour le diamant, conseil supérieur du diamant (tous les chiffres ont été présentés dans le rapport d’enquête d’avril 2001 du groupe d’experts de l’ONU, à l’exception de ceux ayant trait à l’année 2001, qui sont tirés de Dietrich, Christian (2002)). Il convient de noter que l’Ouganda ne produit ni niobium ni diamant et il s’agit donc de réexportation de minéraux extraits ailleurs.
8.79. La RDC additionne la valeur présumée des exportations annuelles de diamants effectuées par l’Ouganda au cours de la période allant de 1998 à 2001 et, comme elle l’a fait pour l’or, soutient sur cette seule base que l’exploitation illégale du diamant par l’Ouganda sur son sol pendant cette période a produit 7 055 885 dollars1135. Elle se réserve en outre le droit d’ajouter à ce montant les chiffres correspondant aux exportations de diamants réalisées par l’Ouganda en 2002 et 2003, afin de couvrir l’intégralité de la période pendant laquelle celui-ci se trouvait sur son territoire1136.
8.80. Cette demande est tout aussi absurde que celle relative à l’or. Les chiffres récapitulés dans le tableau 1 ne disent pas ce que la RDC veut leur faire dire. De plus, la version expurgée qu’elle en donne au paragraphe 5.76 de son mémoire ne précise pas les sources des données sous-tendant cet aspect de sa demande.
8.81. L’Ouganda, pour sa part, a reproduit le tableau dans son intégralité. Comme il est indiqué, les données relatives à la valeur présumée des diamants qu’il a exportés provenaient essentiellement d’une institution privée, le conseil supérieur du diamant (devenu l’Antwerp World Diamond Center) ; elles furent initialement présentées dans le premier rapport du groupe d’experts de l’ONU, puis reproduites dans celui du groupe parlementaire du Parlement britannique (tous partis confondus).
1134 La RDC a joint à l’annexe 5.10 de son mémoire le mauvais rapport du groupe parlementaire du Parlement britannique (tous partis confondus). Le bon rapport contenant le tableau reproduit au paragraphe 5.76 de son mémoire figure à l’annexe 53 du présent contre-mémoire.
1135 MRDC, par. 5.81.
1136 Ibid., par. 5.61.
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8.82. Il n’est pas dit si ces données ont fait l’objet d’une vérification indépendante, que ce soit par le groupe d’experts de l’ONU, le groupe parlementaire du Parlement britannique (tous partis confondus) ou toute autre entité : la RDC ne donne pas de précision, et encore moins de preuve, sur ce point dans son mémoire. Soulignons que la commission Porter et l’Ouganda avaient tous deux précédemment demandé au groupe d’experts de leur communiquer les données qu’il avait obtenues auprès du conseil supérieur du diamant1137, et que, pour des raisons inconnues, cela leur avait été refusé. La RDC n’a pas non plus produit de documents du conseil supérieur du diamant susceptibles de corroborer les données sur lesquelles elle s’appuie. L’ensemble de sa demande d’indemnisation semble donc reposer exclusivement sur des éléments de «preuve» émanant d’une source unique et non confirmés1138. Il conviendra de l’examiner avec circonspection à son égard - si tant est qu’elle doive être examinée1139.
8.83. De fait, la fiabilité de ces données non confirmées a été remise en question1140. Après avoir pris contact avec le conseil supérieur du diamant pour vérifier les statistiques dont le groupe d’experts de l’ONU faisait mention, la commission Porter a conclu que la source des chiffres en question était non pas les exportations légales de diamants de l’Ouganda mais l’origine déclarée des importations à leur arrivée en Belgique :
«La présente Commission a vérifié les informations du Groupe initial auprès du Conseil supérieur du diamant. Cette vérification a révélé que, bien que les autorités belges soient aujourd’hui très vigilantes, à l’époque en question, elles acceptaient comme source des diamants celle déclarée par l’importateur et les statistiques du Conseil supérieur du diamant (que le Groupe initial a cité comme étant sa source) concernent les importations vers la Belgique. C’est pourquoi, bien que le Groupe initial ait considéré comme suspect le fait que, d’après les statistiques extérieures, l’Ouganda était un exportateur de diamants, cette information était en fait basée sur les chiffres les moins fiables.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[L]es conclusions [de la présente commission] sont incontestables : il n’y a pas de chiffres pour l’importation de diamants ni de chiffres de transit. C’est pourquoi il est assez clair que les diamants ont été passés en contrebande par l’Ouganda et ont été déclarés comme des diamants provenant de l’Ouganda par les contrebandiers lorsqu’ils sont arrivés à Anvers. La présente Commission dispose de preuves concernant une seule transaction de ce type, qui a été menée à titre privé1141. Ceci dit,
1137 Conseil de sécurité, Réponse du Gouvernement de la République de l’Ouganda à l’additif au rapport du groupe d’experts relatif à l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2001/1163 en date du [10] décembre 2001, p. 5 et 34-35, annexe 37.
1138 Activités armées (2005), par. 61 («La Cour traitera avec prudence les éléments de preuve spécialement établis aux fins de l’affaire ainsi que ceux provenant d’une source unique.»). Ibid., par. 159 («La Cour a laissé de côté divers autres éléments invoqués comme probants à cet égard par la RDC, estimant que ceux-ci n’étaient pas confirmés, reposaient sur des informations de seconde main, ou ne disaient pas en fait ce que la RDC leur fait dire, voire revêtaient un caractère partisan.»).
1139 Ibid., par. 61.
1140 Ibid.
1141 La transaction en question a été expliquée comme suit aux pages 113 et 114 du rapport final de la commission Porter :
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étant donné qu’aucune taxe n’a été payée en Ouganda, il est difficile de comprendre l’importance des taux d’imposition plus bas appliqués à Kampala ; il est difficile de comprendre comment le Trésor ougandais en tire un bénéfice et comment les UPDF peuvent utiliser les recettes ainsi obtenues pour continuer à faire la guerre, comme le Groupe reconstitué le prétend. Les taxes payées en République démocratique du Congo seraient payées aux autorités rebelles, qui pourraient utiliser l’argent pour poursuivre la guerre. Cependant, la faute ne peut pas en être rejetée sur l’Ouganda, bien qu’il soit exact qu’il y ait des motifs de croire que certains commandants de haut rang profitaient secrètement à titre personnel du «financement de la sécurité», ce qui est une question différente. Il s’agit d’un exemple spécifique de l’omission malencontreuse commise par le Groupe reconstitué dans l’accomplissement de son mandat.»1142
8.84. Dans son mémoire, la RDC omet un autre détail important. En effet, en reproduisant les données figurant dans le tableau 1, le groupe parlementaire du Parlement britannique (tous partis confondus) avait expressément indique que «[l]e Gouvernement ougandais a[vait] contesté ces chiffres, qui [avaient] été présentés pour la première fois dans le premier rapport du groupe d’experts de l’Organisation des Nations Unies»1143.
«Par exemple, la présente Commission a retrouvé les éléments d’une affaire de police en Ouganda, dans laquelle un certain Khalil, qui est mentionné dans le rapport du Groupe initial, a reconnu avoir obtenu des diamants en République démocratique du Congo en avril 2000. Il a expliqué qu’il les avait transportés par avion vers la base aérienne militaire et enfin qu’il les avait envoyés dans un colis par l’intermédiaire d’associés à l’aéroport international, où les diamants avaient été échangés (dans les toilettes pour hommes de l’aéroport) pour un montant de 550 000 dollars des Etats-Unis en espèces auprès d’un messager venu de Belgique, qui avait repris le premier avion à destination de la Belgique. Cet échange n’était guère honnête, notamment parce qu’il n’y a aucun enregistrement d’importation, d’exportation ni de transit à travers l’Ouganda. La raison pour laquelle l’affaire a été rapportée à la police en Ouganda était que sur le chemin du retour vers Kampala, la voiture a été arrêtée par des hommes en armes et l’argent a été volé. L’affaire est examinée de façon plus approfondie au paragraphe 21.3 ci-dessous. Il se fait que la source d’information en Belgique déclarant que les diamants provenaient initialement de l’Ouganda (ce qui n’était pas le cas) était le messager qui avait participé à cette transaction louche. Si le Groupe initial avait été informé de tout cela, il n’aurait peut-être pas été si empressé de blâmer l’Ouganda. Pour établir la source d’information sur laquelle le Groupe d’experts se basait, il suffisait d’un simple coup de téléphone, car c’est la façon dont la présente Commission a obtenu cette information. Il ne fait aucun doute que des diamants sont passés en contrebande et déclarés à tort comme provenant de l’Ouganda. Compte tenu du fait qu’une fortune peut être transportée dans une poche, il est difficile de dire ce que l’Ouganda en tant qu’Etat peut faire à ce sujet. Les pays partenaires doivent savoir que l’Ouganda n’est pas un pays producteur de diamants ; pourtant, ils sont prêts à publier des chiffres qui nient ce fait.», annexe 52.
1142 Ibid., p. 113 et 162, annexe 52.
1143 Rapport du groupe parlementaire du Parlement britannique sur la région des Grands Lacs et la prévention du génocide (tous partis confondus), «La République démocratique du Congo victime de ses richesses : à qui profite l’exploitation des ressources naturelles ?», p. 18, note 54, annexe 53.
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8.85. De fait, l’Ouganda avait une bonne raison pour ce faire. D’après les statistiques officielles de l’UBOS, il n’a exporté que d’infimes quantités de diamants entre 1998 et 2003. Cela ressort du tableau reproduit ci-dessous :
Tableau 8.3 : Exportations, par l’Ouganda, de diamants, de poussière de diamant et de poudre de diamant, ventilées en fonction de la quantité et de la valeur (exprimée en dollars des Etats-Unis), 1997-20041144
Année
Quantité (kg)
Valeur (dollars E.-U.)
1997
0
4 141
1998
-
-
1999
-
-
2000
-
-
2001
0
201
2002
-
-
2003
-
-
2004
0
52
8.86. L’allégation de la RDC selon laquelle l’Ouganda aurait illégalement exploité ses mines de diamant pour une valeur de 7 055 885 dollars est par conséquent dénuée de fondement. La RDC n’a produit aucun élément qui permette, en droit, de lui adjuger une indemnité pécuniaire au titre de ce chef de dommage non justifié.
iii. Coltan/Niobium
8.87. Afin de montrer l’ampleur du préjudice qu’elle prétend avoir subi à raison de l’exploitation du coltan/niobium, la RDC se fonde à nouveau sur les «données économiques» figurant dans le tableau 1 du rapport du groupe parlementaire du Parlement britannique (tous partis confondus). Ce tableau reprend les données initialement présentées dans le premier rapport du groupe d’experts de l’ONU, lequel s’appuyait sur des statistiques émanant du ministère ougandais de l’énergie et de la mise en valeur des ressources minérales. Par souci de commodité, il est reproduit ci-dessous :
1144 Lettre du 26 octobre 2017 adressée au Solicitor General, ministère de la justice et des affaires constitutionnelles, par Imelda Atai Musana, directrice exécutive du Bureau ougandais de la statistique, annexe 39. Les exportations de diamants n’étant pas régulières et ne générant pas de recettes importantes, les diamants ne font pas l’objet d’une ligne distincte dans la synthèse statistique. Par conséquent, les données à ce sujet sont gérées séparément par l’UBOS et sont disponibles sur demande. Voir ci-dessus, par. 8.55.
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- 226 -
Tableau 1 Exportation et production de minéraux par l’Ouganda (1994-2000)
Année
Or/exploitation (tonnes)
Or/production (tonnes)
Coltan/exportation (tonnes)
Coltan/production (tonnes)
Niobium/exportation (dollars E.-U.)
Diamant/exportation (dollars E.-U.)
1994
0,22
0,0016
-
0,435
-
-
1995
3,09
0,0015
-
1,824
-
1996
5,07
0,0030
-
-
-
1997
6,82
0,0064
2,57
-
13 000
198 302
1998
5,03
0,0082
18,57
-
580 000
1 440 000
1999
11,45
0,0047
69,50
-
782 000
1 813 500
2000
10,83
0,0044
-
-
-
1 263 385
2001
2 539 000
Sources : pour le coltan et l’or, ministère ougandais de l’énergie et de la mise en valeur des ressources minérales ; pour le niobium, données agrégées de l’OMC ; pour le diamant, conseil supérieur du diamant (tous les chiffres ont été présentés dans le rapport d’enquête d’avril 2001 du groupe d’experts de l’ONU, à l’exception de ceux ayant trait à l’année 2001, qui sont tirés de Dietrich, Christian (2002)). Il convient de noter que l’Ouganda ne produit ni niobium ni diamant et il s’agit donc de réexportation de minéraux extraits ailleurs.
8.88. S’appuyant sur ce seul tableau, la RDC affirme que, de 1998 à 2000, l’Ouganda a illégalement exporté 90 640 kilos de coltan congolais, ainsi que du niobium congolais pour une valeur de 1 375 000 dollars1145.
8.89. Même si, quod non1146, la RDC avait soumis à la Cour des preuves sur des cas précis d’actes attribuables à l’Ouganda ayant donné lieu à l’exploitation illégale du coltan/niobium sur son territoire, ces «données économiques» ne lui seraient d’aucune utilité pour prouver l’ampleur du préjudice.
8.90. S’agissant des données sur le coltan, il convient de relever que ce minerai n’apparaît pas même comme une matière première d’exportation dans les statistiques officielles de l’UBOS, lequel consigne en revanche les exportations de niobium et de tantale (tous deux extraits du coltan), dont le volume pour la période allant de 1997 à 2004 figure dans les tableaux ci-dessous :
1145 MRDC, par. 5.91. Il convient également de relever que la RDC, tout en étant incapable d’établir un lien entre les exportations de niobium et l’Ouganda, n’hésite pas à attribuer à celui-ci ce qui ne saurait en aucun cas lui être attribué. Elle ajoute en effet les chiffres de 1997, dépassant ainsi la portée ratione temporis de l’arrêt de 2005, qui se limite à la période allant de 1998 à 2003. En l’espèce, il ne s’agit pas tant d’appeler l’attention sur le montant de 13 000 dollars, insignifiant par rapport à la demande de la RDC qui s’élève à plusieurs milliards de dollars, que de souligner que si la demande de la RDC atteint ces sommes astronomiques c’est en raison d’erreurs arithmétiques, qui vont de pair avec des failles juridiques.
1146 Ainsi qu’il ressort de son mémoire, par. 8.37-8.38, la RDC n’a même pas établi que l’Ouganda ait été impliqué dans l’exploitation illégale du coltan/niobium. Ses allégations reposent sur ce qui s’est avéré être une exploitation légale du coltan, par l’entreprise La Conmet.
379
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- 227 -
Tableau 8.4 : Exportations, par l’Ouganda, de niobium, ventilées en fonction de la quantité et de la valeur (exprimée en dollars des Etats-Unis), 1997-2004
Année
Quantité (kg)
Valeur (dollars E.-U.)
1997
-
-
1998
11 060
231 265
1999
802
6 632
2000
-
-
2001
4 038
19 398
2002
-
-
2003
-
-
2004
-
-
Tableau 8.5 : Exportations, par l’Ouganda, de tantale, ventilées en fonction de la quantité et de la valeur (exprimée en dollars des Etats-Unis), 1997-2004
Année
Quantité (kg)
Valeur (dollars E.-U.)
1997
-
-
1998
5 767
289 253
1999
-
-
2000
-
-
2001
1 550
8 500
2002
-
-
2003
-
-
2004
-
-
8.91. Le tableau 8.4 montre que la valeur des exportations de niobium pour les années indiquées se chiffrait à 257 295 dollars, un montant presque cinq fois inférieur à celui avancé par la RDC. Même en y ajoutant la valeur des exportations de colombo-tantalite (297 753 dollars), ce chiffre serait encore près de trois fois moins élevé que celui que donne la RDC.
8.92. Même ces montants bien plus faibles ne sont pas reliés par la RDC à un quelconque fait précis d’exploitation illégale présumée du coltan/niobium congolais par l’Ouganda. À cet égard, celui-ci fait observer que la commission Porter a réfuté l’allégation selon laquelle ses exportations de niobium provenaient de l’exploitation illégale des ressources congolaises :
«Le Groupe initial affirme que l’évolution des exportations de niobium semble être la même : pas de production avant 1997, ensuite une augmentation des exportations. En ce qui concerne toutes ces ressources minérales, compte tenu de la liste des sources de données du Groupe initial, la présente Commission s’est adressée à l’OMC, qui a déclaré qu’elle ne disposait pas de telles statistiques, et a renvoyé la Commission à la base de données des Nations Unies COMTRADE. Dans ce domaine, il existe une certaine confusion, étant donné que les chiffres sont quelque peu différents. L’Ouganda déclare des exportations à compter de 1995, tandis que les importations par les partenaires commencent en 1998. Cette situation saborde la conclusion tirée par le Groupe initial selon laquelle les exportations ont commencé en 1997 et ont donc coïncidé avec le début de la guerre. Les chiffres donnés par le Groupe initial sont beaucoup plus élevés que ceux mentionnés dans la base de données COMTRADE. Cependant, les chiffres ne dépassent jamais 782 000 dollars des Etats-Unis par an, quelle que soit la source. La présente Commission ne pense pas que
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les chiffres corroborent la conclusion formulée par le Groupe initial ni que le niobium soit réellement lié à l’exploitation illégale alléguée des ressources naturelles de la République démocratique du Congo.»1147
8.93. La RDC ne saurait donc s’appuyer sur ces «données économiques» pour étayer sa demande d’indemnisation à raison de l’exploitation du coltan/niobium.
8.94. Pour conclure, la RDC ne prouve rien en se bornant à reprendre les allégations et les données du premier rapport du groupe d’experts de l’ONU, qui a été ultérieurement réfuté et désavoué. Elle n’apporte pas non plus à la Cour la moindre preuve sur une quelconque corrélation entre les exportations ougandaises d’or, de diamants et de coltan et les actions illicites spécifiques qui entrent dans le champ de l’arrêt de 2005.
8.95. Compte tenu de la gravité des allégations que porte la RDC et du montant astronomique qu’elle demande à titre d’indemnisation, des éléments plus solides que des conjectures reposant sur des données économiques douteuses sont requis. La demande de la RDC «exige[] un degré de certitude qui n’est pas atteint ici»1148. En conséquence, il n’y a pas lieu d’adjuger à la RDC les indemnités qu’elle réclame.
2. L’évaluation que fait la RDC des dommages allégués présente des failles méthodologiques
8.96. Etant donné que la RDC n’a pas été en mesure de prouver, pour aucun chef de dommage allégué, le préjudice exact qu’elle a subi du fait d’actions illicites spécifiques imputables à l’Ouganda, il est inutile d’examiner l’évaluation de ce préjudice (non justifié)1149. Nous nous limiterons donc à revenir brièvement sur une faille fondamentale qui vicie la tentative d’évaluation de la RDC, afin de mettre au moins en évidence le caractère arbitraire des demandes formulées.
8.97. En sus de s’appuyer sur des données économiques inexactes, censées témoigner des exportations ougandaises de minerais, pour essayer de prouver la matérialité de faits spécifiques d’exploitation de ses ressources par l’Ouganda et l’ampleur du préjudice qui en serait résulté1150, la RDC tente d’évaluer les dommages subis à partir de la valeur marchande (prix à l’exportation) de ce volume théorique de ressources exploitées1151. Cette approche aboutit à une vaste exagération des dommages allégués.
8.98. Ce que la RDC réclame, c’est une indemnisation pour l’exploitation illégale présumée de ressources minières. Le préjudice qu’elle aurait ainsi subi ne peut pas être évalué à l’aune de la valeur commerciale des minerais extraits et exportés, mais à celle de la perte de valeur nette qu’elle accuse en conséquence, s’agissant de l’exploitation de ces ressources. A titre d’exemple, si une mine appartient à l’Etat ou à un ressortissant congolais, la perte que la RDC peut faire valoir correspond à la valeur des minerais extraits une fois déduits le coût de l’extraction. Si la mine est la propriété privée d’un étranger, la demande de la RDC est limitée au manque à gagner s’agissant
1147 Rapport final de la commission Porter, p. 123-124, annexe 52.
1148 Détroit de Corfou (fond, 1949), p. 17.
1149 Diallo (2012), par. 14 («Une fois que l’existence du préjudice et le lien de causalité avec les faits illicites auront été établis, la Cour procédera à l’évaluation de ce préjudice»).
1150 Voir par. 8.64-8.65, 8.84 et 8.90 ; MRDC, par. 5.91-5.92.
1151 MRDC, par. 5.91-5.92.
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des recettes fiscales, des redevances et d’autres droits qui lui auraient été versés. En outre, ces différents chefs de dommage devraient être étayés par des preuves documentaires ou d’autres éléments pertinents.
8.99. La RDC ne procède pas ainsi, et ne produit pas non plus d’éléments susceptibles de justifier l’évaluation qu’elle donne de son préjudice. Elle se contente de multiplier le volume des minerais qui auraient été illégalement exploités (dans le cas de l’or, par exemple, 45 tonnes) par ce qu’elle affirme être le cours moyen sur le marché pendant la période allant de 1998 à 2004 (toujours dans le cas de l’or, 14 964,49 dollars par kilogramme). Cette tentative de quantification est si clairement viciée et dénuée de fondement qu’il est inutile pour l’Ouganda de s’étendre sur le sujet.
*
8.100. Etant donné que la RDC n’a pas établi l’ampleur du préjudice qu’elle dit avoir subi à raison de l’exploitation illégale par l’Ouganda de ses ressources minières, ni produit d’éléments solides permettant de prouver la valeur de ce préjudice (non justifié), il n’y a pas lieu de lui adjuger les indemnités qu’elle réclame au titre de ce chef de dommage.
B. La faune
8.101. La RDC réclame la somme de 2 692 980 468 dollars1152 à titre d’indemnités dues à raison du préjudice que l’Ouganda aurait causé à la faune dans quatre parcs nationaux : le parc national des Virunga1153, le parc national de la Garamba1154, la réserve de faune à okapis1155 et le parc national de la Maïko1156.
8.102. La RDC obtient ce montant à partir de quatre hypothèses erronées, dont aucune n’est étayée d’éléments permettant de prouver la matérialité d’actes spécifiques imputables à l’Ouganda, l’existence du préjudice exact qui en serait résulté ou le bien-fondé de l’évaluation qui en est faite.
Premièrement, la RDC allègue une perte directe due à la disparition de 54 892 animaux de 16 espèces différentes, qui auraient été abattus dans ses parcs nationaux entre 1998 et 2003-2004.
Deuxièmement, elle suppute ensuite une perte indirecte due au déficit de 463 792 descendants de première génération, auxquels les animaux prétendument abattus auraient donné naissance.
Troisièmement, elle assigne des valeurs monétaires aux animaux abattus et non nés en s’appuyant sur des prix arbitraires, inappropriés et de source douteuse, notamment ceux
1152 MRDC, par. 5.172.
1153 Ibid., par. 5.165.
1154 Ibid., par. 5.167.
1155 Ibid., par. 5.169.
1156 Ibid., par. 5.171.
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pratiqués sur le «marché noir». En outre, à la valeur des éléphants et des rhinocéros elle ajoute un montant supplémentaire basé sur le prix au «marché noir» de l’ivoire et des cornes de rhinocéros.
Quatrièmement, «afin d’assurer pleinement le caractère équitable et raisonnable de sa demande»1157, elle applique de manière arbitraire un pourcentage de réduction, selon le tableau ci-dessous, pour tenir compte du fait évident que l’Ouganda n’était pas le seul responsable du préjudice dont elle demande à être indemnisée.
Tableau 8.6 : Le pourcentage de réduction appliqué par la RDC pour chaque parc national
Parc national
Préjudice allégué (en dollars E.-U.)
Part du préjudice imputée à l’Ouganda (en dollars E.-U.)
Virunga
1 038 920 2731158
x 80 % = 831 136 2181159
Garamba
2 070 513 8611160
x 50 % = 1 035 256 9301161
Réserve de faune à okapis
716 133 8001162
x 90 % = 644 520 4201163
Maïko
366 133 8001164
x 50 % = 183 066 9001165
Total :
2 692 980 468
8.103. La RDC ne démontre absolument pas l’existence des dommages dont elle cherche à rendre l’Ouganda responsable, ni d’un quelconque lien entre ces dommages et des actes illicites précis imputables à celui-ci. L’évaluation qu’elle donne du préjudice allégué présente également des failles fondamentales.
1. La RDC n’a pas apporté la preuve de l’existence du préjudice que l’Ouganda aurait causé à sa faune
8.104. Il est permis de douter que les demandes présentées par la RDC à raison des dommages causés à la faune entrent dans le champ de l’arrêt rendu par la Cour en 2005. Au stade du fond, la RDC avait cherché à imputer à l’Ouganda certains faits, dont la matérialité n’avait pas été prouvée, qui auraient selon elle causé des dommages à la faune: le massacre de 4000 éléphants dans le parc national de la Garamba, la possession de 800 kilos d’ivoire et l’exportation de 40 okapis provenant de la réserve d’Epulu1166. Or dans son arrêt de 2005, y compris dans le dispositif, la Cour n’a formulé aucune conclusion selon laquelle l’Ouganda aurait porté atteinte à la faune en RDC.
1157 MRDC, par. 5.164.
1158 Ibid., par. 5.162.
1159 Ibid., par. 5.165.
1160 Ibid., par. 5.166.
1161 Ibid., par. 5.167.
1162 Ibid., par. 5.168.
1163 Ibid., par. 5.169.
1164 Ibid., par. 5.170.
1165 Ibid., par. 5.171.
1166 Réplique de la RDC sur le fond, dans Activités armées (2005), par. 4.32. Il est significatif que, n’ayant pu démontrer le bien-fondé de ces allégations au stade du fond, la RDC renonce à inclure ces pertes supposées dans son évaluation.
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8.105. Dans son mémoire, la RDC part de l’hypothèse que les conclusions générales de la Cour sur les «ressources naturelles» incluent les dommages causés à la faune qu’elle invoque, mais cette hypothèse pourrait bien se révéler erronée. C’est à la Cour qu’il appartient d’en juger, mais l’Ouganda estime que son silence sur ce point indique que les allégations de la RDC ont été considérées comme infondées.
8.106. A supposer, arguendo, que les conclusions de la Cour sur le fond autorisent la présentation d’une demande d’indemnisation relative à la faune, les prétentions de la RDC à ce titre excèdent clairement la portée de ces conclusions. Comme il a été dit précédemment, au stade du fond, la RDC n’a invoqué devant la Cour qu’un nombre limité de faits ayant causé des dommages à la faune (le massacre de 4000 éléphants, la possession de 800 kilos d’ivoire et l’exportation de 40 okapis). Si la Cour, au stade du fond, a conclu que des faits constitutifs de cette forme d’exploitation des ressources avaient eu lieu, alors la RDC doit, au stade actuel de la procédure, se contenter de demander réparation pour ces seuls faits. Or, elle présente maintenant des demandes entièrement nouvelles pour des dommages à la faune d’une ampleur très supérieure à ceux qu’elle avait allégués précédemment, et qui sortent donc très largement du cadre des conclusions de la Cour au fond.
8.107. A supposer, arguendo, que les conclusions de la Cour sur le fond autorisent la RDC à demander des réparations illimitées pour tous les nouveaux prétendus dommages à la faune qu’elle pourrait imaginer, la RDC n’en serait pas moins tenue de produire, au cours de la présente phase de la procédure, des éléments de preuve convaincants établissant, avec un degré élevé de certitude, la matérialité des faits illicites spécifiques imputables à l’Ouganda qui auraient causé des dommages spécifiques à la faune congolaise, ainsi que le bien-fondé de l’évaluation qui est faite de ces dommages. Comme il sera démontré ci-après, les demandes de la RDC ne satisfont pas à ces exigences.
a) Les allégations relatives aux pertes directes subies par la faune congolaise ne sont pas fondées
8.108. Pour commencer, l’Ouganda relève que la RDC ne fournit aucune preuve quant à des cas précis d’incidents ou d’actes imputables à l’Ouganda qui auraient causé des dommages à la faune congolaise. La RDC ne produit aucun élément attestant que, à des dates et en des lieux précis, les forces militaires ougandaises ont entrepris des actions spécifiques ayant entraîné des dommages pour la faune congolaise. Aucune déposition de témoin oculaire n’a été présentée à la Cour, ni aucune déclaration sous serment d’autres personnes ayant éventuellement connaissance de faits précis, ni aucune preuve documentaire ou photographique contemporaine des faits qui puisse montrer qui a fait quoi et quand. Cette seule raison justifierait de rejeter les demandes d’indemnisation présentées par la RDC au titre des dommages causées à sa faune.
8.109. Au lieu d’étayer ses prétentions par des éléments attestant de cas précis de dommages, la RDC prétend mesurer les pertes directes à l’aide d’informations générales et vagues provenant de l’une de ses propres institutions, pour les 16 espèces d’animaux qui auraient été tués dans les parcs nationaux congolais par suite de «l’invasion ougandaise»1167.
1167 MRDC, par. 5.93, 5.161, 5.166, 5.168, 5.170.
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8.110. Les pertes alléguées sont résumées dans le tableau ci-dessous1168 :
8.111. Ainsi, selon la RDC, 54 892 animaux auraient, au total, été tués du fait du
comportement de l’Ouganda. Cette perte a été évaluée par une source unique : l’Institut congolais
pour la conservation de la nature (ICCN), un établissement public chargé de gérer les parcs
nationaux congolais1169. Il n’est toutefois pas précisé dans le mémoire selon quelle méthode et sur
quelle base l’ICCN a recueilli et compilé ces renseignements.
8.112. On ne trouve pas davantage d’explication dans le document de l’ICCN intitulé
«Récapitulatif des espèces décimées sur les aires protégées de l’ICCN», qui constitue l’annexe 1 de
l’annexe 5.13 du mémoire de la RDC1170. Il s’agit en fait d’un simple tableau récapitulatif de deux
pages non signé et non daté auquel n’est joint aucun élément de preuve.
8.113. Le tableau lui-même est constitué de trois colonnes. La première et la deuxième
indiquent le nombre théorique d’animaux présents en 1998 et 2003/2004, respectivement, dans les
parcs nationaux congolais concernés. La troisième colonne indique le nombre d’animaux qui
auraient été tués. (Il s’avère que ces derniers chiffres constituent la différence entre ceux affichés
dans la première et dans la deuxième colonnes)1171.
8.114. En ce qui concerne le parc national de la Garamba, par exemple, le tableau indique
sommairement qu’il y avait 6535 éléphants en 1998 et seulement 1535 en 2003/2004. Sur cette
base et sur cette base uniquement la RDC soutient que 5000 éléphants ont été tués dans ce
parc du fait de l’intervention ougandaise1172. En suivant le même raisonnement, elle conclut que
2000 éléphants ont été tués dans la réserve de faune à okapis1173, 2000 dans le parc national de la
1168 Le tableau est présenté dans MRDC, par. 5.138.
1169 MRDC, par. 5.101.
1170 Annexe 1 intitulée «Récapitulatif des espèces décimées sur les aires protégées de l’ICCN», qui contient le
document de l’ICCN non daté intitulé «Dégâts causés par les militaires ougandais dans les aires protégées à l’Est de la
RDC» qui figure après la page 20 dans J. Okana et al., «Evaluation des dommages causés à la faune congolaise par
l’Ouganda entre 1998 et 2003 (sept. 2016) [dus à l’agression de la RDC par l’armée ougandaise entre 1998 et 2003],
citant le document de l’Institut congolais pour la conservation de la nature, «Récapitulatif des espèces décimées sur les
aires protégées de l’ICCN», MRDC, annexe 5.13.
1171 Ibid.
1172 Ibid.
1173 Ibid., p. 22-23 (5000 éléphants en 1998 moins 3000 en 2003/2004).
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Maiko1174 et 1229 dans le parc national des Virunga1175. Additionnant ces chiffres, la RDC affirme sans hésiter que le nombre total d’éléphants tués dans l’ensemble des quatre parcs nationaux du fait du comportement de l’Ouganda s’élève à 10 229 (5000 + 2000 + 2000 + 1229). Elle procède exactement de la même manière pour calculer les pertes théoriques concernant d’autres espèces d’animaux1176.
8.115. Ni l’ICCN ni la RDC n’ont fourni le moindre élément prouvant l’exactitude de ces chiffres. De fait, ainsi qu’il a été dit, le tableau de l’ICCN ne contient aucune information quant à la manière dont ces chiffres ont été calculés, pas plus qu’il ne fournit un quelconque inventaire des animaux qui, à l’époque, étaient présents dans les parcs nationaux. Force est donc de conclure que la RDC semble tout simplement avoir inventé les chiffres qu’elle avance aux fins de la présente instance.
8.116. La RDC tente curieusement de valider ses allégations en s’appuyant sur des données de l’UNESCO concernant les animaux dans ses parcs nationaux. C’est toutefois bien en vain, car ces données ne font en fait que mettre en évidence le caractère très exagéré des chiffres qu’elle avance. Ainsi que nous venons de le voir, la RDC soutient que 5000 éléphants ont été tués dans le parc national de la Garamba, puisque 6535 éléphants y auraient été présents en 1998 et 1535 en 2003/2004. Or les statistiques de l’UNESCO font état des chiffres suivants pour le même parc : 5878 éléphants en 1998 ; 5983 en 2000 ; et 6848 en 20041177. En d’autres termes, ils font en réalité apparaître une augmentation constante du nombre d’éléphants pendant le conflit. (Il convient également de relever qu’aucun des rapports de l’UNESCO cités par la RDC ne donne à penser que des animaux aient été tués dans les parcs nationaux congolais du fait du comportement de l’Ouganda).
8.117. Quand bien même on ferait fi de ces failles absolument fondamentales, et à supposer que le nombre d’animaux prétendument tués soit exact (ce qui n’est pas le cas), il n’en demeurerait pas moins que la RDC n’a pas apporté la preuve que les animaux «manquants» aient été tués. Même s’il y avait effectivement eu 6535 éléphants dans le parc national de la Garamba en 1998 et 1535 en 2003/2004, cela ne signifie pas nécessairement que 5000 éléphants aient été tués. De nombreuses autres explications sont possibles, notamment la migration, les décès naturels causés par la sécheresse et d’autres facteurs, ou l’oeuvre des prédateurs. On ne saurait tout simplement supposer que l’ensemble de ces animaux ont été tués, ainsi que le fait la RDC.
8.118. Non contente de s’appuyer sur cette thèse non vérifiée, la RDC postule en outre que ces animaux ont tous été tués du fait de l’invasion ougandaise, et ce, sans en apporter la moindre preuve. Au lieu de cela, elle essaie d’établir à tort un lien de causalité en suivant le raisonnement suivant : si des soldats des UPDF étaient présents dans un lieu donné, cela signifie que l’Ouganda est responsable de pertes causées dans ce lieu1178. Or pareil raisonnement n’est pas conforme à
1174 «Evaluation des dommages causés à la faune congolaise par l’Ouganda entre 1998 et 2003 (sept. 2016) [dus à l’agression de la RDC par l’armée ougandaise entre 1998 et 2003], citant le document de l’Institut congolais pour la conservation de la nature, «Récapitulatif des espèces décimées sur les aires protégées de l’ICCN», MRDC, annexe 5.13 (5897 éléphants en 1998 moins 3897 en 2003/2004).
1175 Ibid. (1250 éléphants en 1998 moins 21 en 2003/2004).
1176 Ibid.
1177 MRDC, par. 5.120.
1178 MRDC, Voir par. 5.161-5.165 (Virunga) ; par. 5.168-5.169 (okapis) ; par. 5.170-5.171 (Maiko).
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l’exigence d’un lien de causalité immédiat qui s’applique même dans le cadre de violations du jus ad bellum, ainsi que nous l’avons vu au chapitre 41179.
8.119. S’agissant des pertes alléguées dans le parc national de la Maiko, par exemple, la RDC commence par affirmer ce qui suit :
«Le 21 août 1998, les brigades rebelles du RCD-ML, appuyées par l’APR et les UPDF, lancèrent une opération terrestre le long de l’axe Lubutu, qui se situe en lisière du parc. C’est après cette opération que les troupes ougandaises arrivèrent à Kisangani, les 21 et 22 août 1998»1180.
8.120. Et de conclure, sur ce maigre fondement, que «[l]es recensements de l’ICCN mènent à estimer le nombre d’animaux tués à 1000 antilopes et 2000 éléphants»1181.
8.121. On retrouve le même raisonnement erroné s’agissant des pertes recensées dans le parc de la Garamba1182. La RDC extrait à ce sujet deux observations non corroborées du premier rapport établi le 12 avril 2001 par le groupe d’experts de l’ONU. Le rapport dit par exemple : «[D]ans le secteur contrôlé par les forces ougandaises et les rebelles soudanais, près de 4 000 éléphants sur une population de 12 000 ont été tués dans le parc de Garamba, dans le nord-est de la République démocratique du Congo, entre 1995 et 1999»1183. Ailleurs, il est dit qu’«en août 2000, le colonel Mugeni des Forces armées ougandaises et plusieurs de ses soldats ont été découverts avec 800 kilogrammes de défenses dans leur véhicule près du parc de Garamba»1184. La RDC s’empresse alors de reprendre cette conclusion quant à l’étendue des dommages qui auraient été causés par l’Ouganda dans le parc de la Garamba : «Les évaluations de l’ICCN font état de la perte de 5000 antilopes, 5000 éléphants, 92 girafes, 21 rhinocéros blancs, 3905 phacochères, 17 bubales, 808 waterbuck[s] et 135 guibs harnachés»1185.
8.122. Cette conclusion ne découle pas des observations qui précèdent et elle n’est étayée d’aucun élément de preuve, mais ce ne sont pas là les seules faiblesses de la thèse de la RDC. Un autre défaut tient à ce que les deux observations extraites du rapport du groupe d’experts de l’ONU ne sont ni fondées ni vérifiées. De fait, elles ont par la suite été mises en doute par des sources crédibles. Ainsi, la commission Porter a réfuté l’allégation relative au braconnage que pratiqueraient des Ougandais dans le parc national de la Garamba, déclarant ce qui suit :
«Au paragraphe 61 de son rapport, le Groupe initial affirme qu’entre 1995 et 1999, 30 % des éléphants ont été tués dans le parc national de Garambwe dans des régions contrôlées par les forces ougandaises et les rebelles soudanais. Il déclare que des problèmes similaires auraient été constatés dans d’autres parcs. Nous ne disposons pas de preuves indiquant qui est responsable de ces activités. Toutefois, il existe des preuves que bien qu’il y ait eu un détachement à Durba, c’est-à-dire à proximité du
1179 Voir chap. 4, sect. I B).
1180 MRDC, par. 5.133.
1181 Ibid., par. 5.134.
1182 Ibid., par. 5.113-5.124.
1183 Ibid., par. 5.114 citant le premier rapport du groupe d’experts de l’ONU en date du 12 avril 2001, par. 61 (les italiques sont de la RDC), MRDC, annexe 1.7.
1184 Ibid., par. 5.115 citant le premier rapport du groupe d’experts de l’ONU en date du 12 avril 2001, par. 62 (les italiques sont de la RDC), MRDC, annexe 1.7.
1185 Ibid., par. 5.117.
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parc, sa mission ne couvrait pas le parc. Des rapports congolais sur la sécurité qui ont été produits signalent des faits de braconnage perpétrés par la SPLA dans le parc de Garamba. Il existe d’autres rapports concernant des problèmes causés par la SPLA à cet endroit (pièce jointe FM/07/102). Il convient également de noter que l’allégation du Groupe initial couvre la période allant de 1995 à 1999. Les troupes ougandaises ne sont arrivées dans la région qu’à la fin de l’année 1998 et par conséquent, elles ne peuvent être visées par cette allégation, le cas échéant, que pour une très courte période.»1186
8.123. Une réfutation non moins convaincante de cette même allégation a été formulée par Mme Kes Hillman Smith, coordinatrice du projet de protection de la faune dans le parc national de la Garamba1187. A propos du braconnage des éléphants, elle a fait observer ce qui suit :
«Depuis le début de 1997, le parc national de la Garamba au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC ancien Zaïre) subit les effets de deux guerres dans le pays… Les braconniers qui y sévissent ces dernières années sont principalement à la recherche de viande. D’après les patrouilles qui y ont été effectuées, 70 à 80 % des braconniers sont des Soudanais, généralement des «déserteurs de la SPLA», qui emploient des armes provenant de la guerre en cours au Sud-Soudan voisin. Les autres sont des Congolais de la région. Toutefois, l’intensification du braconnage pendant les phases actives des deux guerres en RDC n’était pas due à un afflux de braconniers congolais ou à l’occupation militaire. Les mêmes braconniers étaient présents durant toute la période, mais la lutte contre le braconnage menée par les gardes a temporairement cessé ou diminué et les braconniers ont profité de l’état de non-droit.»1188
8.124. Il n’est pas fait mention d’Ougandais massacrant des éléphants dans le parc de la Garamba. Certes, cette source mentionne l’Ouganda, mais pour en dire ceci : «Les forces ougandaises ont pris des mesures en vue d’assurer la conservation des espèces et ont empêché la vente de viande d’animaux sauvages ; une petite augmentation du braconnage a été observée».1189
8.125. L’absence de véritable lien de causalité entre les dommages qui auraient été causés dans les parcs nationaux congolais et le comportement de l’Ouganda est encore mise en évidence par le fait que la RDC attribue à ce dernier une part de responsabilité arbitraire. Ainsi, elle soutient sans aucune preuve ni justification que l’Ouganda est à l’origine, «au minimum», de 50 % des dommages dans le parc national de la Garamba, de 50 % dans le parc national de la Maiko, de 80 % dans le parc national des Virunga et de 90 % dans la réserve de faune à okapis1190.
1186 Rapport final de la commission Porter, p. 72 (les italiques sont de nous), annexe 52. La commission Porter a également estimé sans fondement l’allégation du groupe d’experts de l’ONU selon laquelle un officier des UPDF aurait été découvert avec 800 kilogrammes de défenses : «Le rapport du Groupe initial ne mentionne pas la date à laquelle ce lot de défenses d’éléphant a été découvert ni par qui il a été découvert ni à quel département ou à quel responsable du Gouvernement de l’Ouganda le rapport a été transmis». Ibid.
1187 Le projet, qui a été mis en oeuvre dans les années 1990, visait à assurer la conservation du rhinocéros blanc du Nord dans le parc national de la Garamba. Kes Hillman Smith vivait dans le parc, où elle a oeuvré à la protection de la faune pendant vingt ans.
1188 K. Hillman Smith, «Status of Northern White Rhinos and Elephants in Garamba National Park, Democratic Republic of Congo, During the Wars», Pachyderm no 31 (juillet.-déc. 2001), p. 79, annexe 79.
1189 K. Hillman Smith, «Status of Northern White Rhinos and Elephants in Garamba National Park, Democratic Republic of Congo, During the Wars», Pachyderm no 31 (juillet.-déc. 2001), p. 79, annexe 79.
1190 MRDC, par. 5.167, 5.171, 5.165 et 5.169.
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8.126. Pour constater à quel point ces pourcentages sont arbitraires, il suffit à la Cour de se pencher sur la section que la RDC consacre aux pertes recensées dans la réserve de faune à okapis (où, selon elle, 1000 antilopes, 2000 éléphants, 1000 okapis et 2000 chimpanzés auraient été tués)1191. Pour prouver «le lien de causalité existant entre la présence de l’armée ougandaise et l’atteinte portée à la faune»1192, la RDC s’appuie sur une seule citation provenant d’un rapport de l’UNESCO :
«Durant la guerre civile, Epulu fut la ligne de front entre les parties belligérantes. L’état de non-droit que cela a engendré a fourni l’occasion à des milliers de mineurs itinérants, tout comme à des éléments de l’armée ougandaise, de pénétrer les forêts de l’est de la RDC pour l’exploitation du bois et des mines d’or, de diamant et de coltan. Les campements miniers itinérants composés de leurs familles, de commerçants itinérants et autres opportunistes sont apparus un peu partout dans la forêt. Les effets sur la faune furent dévastateurs, les campements miniers devenant autant de centres pour le commerce du gibier et de l’ivoire»1193.
8.127. Sur cette base, la RDC soutient que l’Ouganda est responsable de 90 % des pertes alléguées dans la réserve de faune à okapis1194. Quand bien même les faits relatés seraient vrais, le rapport cité n’étaye en rien les allégations de la RDC. Le simple fait que des «éléments de l’armée ougandaise» auraient été présents à une date non spécifiée quelque part dans la réserve de faune à okapis ne signifie pas que l’Ouganda puisse être jugé responsable des dommages causés, grâce à «[l]’état de non-droit [dans les années 1990]», par diverses «parties belligérantes», «[des milliers de] miniers itinérants», des chasseurs, des «commerçants itinérants» et d’«autres opportunistes». Cela est d’autant plus vrai que la RDC n’a produit aucun élément, a fortiori aucun élément convaincant, qui permette d’établir l’existence d’un lien entre un dommage précis causé dans la réserve de faune à okapis, ou dans n’importe quel autre parc national congolais, et des faits illicites précis imputables à l’Ouganda.
8.128. En fait, un article copublié par Jean Joseph Mapilanga, un responsable congolais de l’ICCN, démontre que les UPDF ont contribué à la prévention du braconnage dans la réserve de faune à okapis. A partir de 2000, les UPDF, l’APC et l’ICCN ont participé à une opération conjointe désignée «Opération Tango», dans le cadre de laquelle une équipe constituée de 34 membres des UPDF et de l’APC a confisqué leurs armes et munitions aux braconniers1195. Aux dires de M. Mapilanga, au bout de cinq mois, plus aucune nouvelle trace de braconnage n’a été observée1196. De plus, les UPDF ont formé les gardes du parc nouvellement déployés à la lutte contre le braconnage des éléphants1197.
8.129. Il découle de ce qui précède que les allégations de la RDC selon lesquelles la faune congolaise aurait subi des pertes directes ne sont pas fondées.
1191 MRDC, par. 5.125 et suivants.
1192 Ibid., par. 5.128 (les italiques sont de nous).
1193 UNESCO, Le patrimoine mondial dans le bassin du Congo (les italiques sont de la RDC), annexe 5.16. MRDC, par. 5.128.
1194 MRDC, par. 5.169.
1195 L. Mubalama, J. J. Mapilanga, «Less Elephant Slaughter in the Okapi Faunal Reserve, Democratic Republic of Congo, with Operation Tango», Pachyderm, n° 31, op. cit., p. 39, annexe 80.
1196 Ibid.
1197 Ibid.
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b) Les allégations relatives au préjudice indirect causé à la faune congolaise ne sont pas fondées
8.130. La RDC soutient en outre que la faune congolaise aurait subi des pertes indirectes1198. Elle quantifie celles-ci en tentant de calculer le nombre d’animaux qui aurait constitué la première génération issue des 54 892 animaux abattus, selon elle, durant le conflit1199. Ainsi qu’il a été expliqué précédemment, la RDC n’a apporté la preuve ni du nombre d’animaux tués ni de l’existence d’un quelconque lien de causalité avec des faits illicites précis imputables à l’Ouganda. Cette seule raison suffit à faire échec aux allégations qu’elle formule au sujet des pertes indirectes.
8.131. Lesdites allégations ne sauraient être accueillies pour d’autres raisons encore. Elles semblent très hypothétiques. Toute tentative de calculer le nombre d’animaux qui, dans un scénario a contrario, seraient nés repose, par définition, sur une myriade de supputations invérifiables qui ne fournissent à la Cour aucune base pour formuler une quelconque conclusion juridique. Ce dommage est de surcroît trop éloigné du préjudice direct allégué pour constituer un motif de réparation acceptable en droit international.
8.132. De surcroît, la méthode même qu’emploie la RDC pour calculer le nombre d’animaux qui seraient nés est irrémédiablement erronée. S’appuyant sur une seule étude du pourcentage de mâles et de femelles composant une population de chaque espèce (sex-ratio), datant de 1985, la RDC applique ce même pourcentage de façon mécanique aux animaux qui auraient été abattus pour évaluer le nombre de femelles tuées1200. Elle multiplie ensuite le nombre de femelles de chaque espèce supposément tuées par le nombre de petits auxquels celles-ci auraient supposément donné naissance au cours des cinq années qui se sont écoulées entre 1998 et 20031201. Le nombre de descendants de première génération qui, selon la RDC, seraient nés au cours de cette période est reproduit dans le tableau no 4 de son mémoire, que nous reproduisons ci-dessous1202 :
1198 MRDC, par. 5.135.
1199 Ibid., par. 5.135-5.136.
1200 Ibid., par. 5.139.
1201 Ibid., par. 5.139-5.140.
1202 Ibid., par. 5.141.
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Tableau 8.8 : Nombre de descendants de première génération qui seraient nés, selon la RDC
Espèces/Parcs
Total
Femelles
Mâles
Petits
Total
Antilopes
18 765
8235
187 650
214 650
Eléphants
5115
5115
25 575
35 803
Hippopotames
54
53
270
377
Buffles
4913
4135
24 565
33 613
Girafes
46
46
184
276
Okapis
500
500
2000
3000
Rhinocéros
11
10
22
43
Phacochères
2514
1458
201 120
205 092
Babouins
48
48
96
192
Mangoustes
31
45
1860
1937
Crocodiles
36
36
9000
9072
Bubales
10
7
100
117
Cobes de buffon
101
59
1515
1675
Waterbucks
589
258
2945
3792
Guibs harnachés
89
65
890
1044
Chimpanzés
1200
800
6000
8000
Additionnant tous ces chiffres, la RDC soutient que le nombre de descendants de première génération qui seraient nés s’élève à 463 792.
8.133. L’Ouganda estime que le caractère hypothétique et arbitraire de cette allégation est plus qu’évident. Mais il apparaît également dans la manière dont la RDC calcule le nombre d’éléphants qui ne sont pas nés.
8.134. Ainsi qu’il a déjà été dit, la RDC soutient que 5000 éléphants ont été abattus dans le parc national de la Garamba. A ce chiffre qu’elle avance sans aucune preuve, elle applique un «sex-ratio» théorique de 50/50 chez les éléphants1203, pour parvenir à la conclusion que, sur les 5000 éléphants qui auraient été abattus, 2500 étaient des femelles1204. Affirmant qu’un éléphant donne naissance à «un bébé par an»1205, elle multiplie 2500 par cinq (un petit pour chacune des cinq années qu’a duré le conflit) et en conclut que, pour le seul parc national de la Garamba, le nombre d’éléphants qui ne sont pas nés s’élève à 12 500. Ce calcul est profondément vicié à bien des égards.
8.135. Ce que dit la RDC au sujet de la reproduction des éléphants est faux. Les éléphants ne donnent pas naissance à un petit par an. En fait, ils ont la période de gestation la plus longue chez les mammifères : presque deux ans1206. De surcroît, les femelles sont principalement fertiles entre l’âge de 25 et 45 ans et les intervalles entre les naissances sont de quatre à cinq ans1207. Il serait par
1203 MRDC, par. 5.139. Voir Tableau no 2 «Sex-ratio et rythme de reproduction des espèces».
1204 Ibid., par. 5.140. Voir Tableau no 3 «Nombre de mâles et de femelles de chaque espèce, par parc».
1205 Ibid., par. 5.139. Voir Tableau no 2 «Sex-ratio et rythme de reproduction des espèces».
1206 S. C. P. Williams, «The Elephant in the Womb», Science. Peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.sciencemag.org/news/2012/06/elephant-womb (dernière consultation le 19 juin 2012), annexe 87.
1207 World Wildlife Fund, «African elephants» Peut être consulté à l’adresse suivante : http://wwf.panda.org/knowledge_hub/endangered_species/elephants/african… (dernière consultation le 29 janvier 2018), annexe 107.
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conséquent biologiquement impossible que, en cinq ans, 2500 femelles donnent naissance à 12 500 petits. (En dehors du fait qu’ils reposent sur des hypothèses scientifiques erronées, les calculs de la RDC ne tiennent pas non plus compte des pertes inévitables liées à la sélection naturelle et à d’autres facteurs influant sur le taux de mortalité des éléphanteaux).
8.136. Adoptant la même approche erronée pour calculer le nombre d’éléphants qui ne sont pas nés dans les trois autres parcs nationaux, la RDC suppute que ce sont au total 25 575 éléphants qui ne sont pas nés1208. Pour ces pertes hypothétiques, elle demande une indemnisation tout aussi théorique. Ainsi qu’il sera expliqué ci-après, pour les seuls 25 575 éléphants qui, selon elle, ne seraient pas nés, la RDC réclame la somme faramineuse de quelque 640 millions de dollars à titre d’indemnités1209.
8.137. Il n’existe aucun fondement en fait ou en droit pour adjuger à la RDC l’indemnité qu’elle réclame au titre des dommages indirects qui auraient été causés à sa faune.
2. L’évaluation que fait la RDC des dommages allégués présente des failles méthodologiques
8.138. La RDC n’ayant pas apporté la preuve des pertes exactes qu’elle aurait subies du fait d’actes illicites précis imputables à l’Ouganda, il est superflu d’examiner l’évaluation du préjudice qui en serait résulté1210. Nous analyserons néanmoins brièvement la manière dont la RDC prétend évaluer ces prétendues pertes subies par sa faune, afin de mettre en évidence le caractère arbitraire de sa demande.
8.139. La RDC cherche à quantifier le montant de l’indemnisation qu’elle demande en attribuant aux animaux des valeurs qui ne reposent sur aucun élément de preuve convaincant, ou ne serait-ce que fiable1211. Quelques exemples suffiront à le démontrer.
8.140. La RDC soutient que la valeur monétaire d’un éléphant, par exemple, est de 50 000 dollars1212. A l’appui de cette allégation, elle invoque pour seule référence le site Internet de l’entreprise African Sky Hunting, qui propose «10 jours de chasse à l’éléphant» en Afrique du Sud
1208 MRDC, par. 5.141. Voir tableau no 4 «Nombre d’animaux en ce compris leur progéniture, par parc» (12 500 éléphants qui ne sont pas nés dans le parc de la Garamba, 3075 dans le parc des Virunga, 5000 dans le parc de la Maiko et 5000 dans la réserve de faune à okapis).
1209 Ainsi que nous le verrons plus loin, la RDC soutient de façon arbitraire que le prix d’un éléphanteau s’élève à 25 000 dollars.
1210 Diallo (2012), par. 14 («Une fois que l’existence du préjudice et le lien de causalité avec les faits illicites auront été établis, la Cour procédera à l’évaluation de ce préjudice.»)
1211 MRDC, par. 5.153. Par souci d’exhaustivité, il convient de préciser que la RDC a suggéré mais finalement abandonné une «autre» option selon laquelle les dommages à la faune auraient pu être évalués en fonction «des revenus qu[e les animaux] peuvent générer en rapport avec … l’écotourisme». MRDC, par. 5.145-151, 5.152. Il n’est pas surprenant qu’elle ait finalement abandonné cette «méthode d’évaluation». Les dommages causés au secteur de l’écotourisme en RDC sont de toute évidence hypothétiques, en particulier du fait que celle-ci n’avait (et n’a) pas, pour cette activité, d’infrastructures comparables à celles de l’Afrique du Sud, du Kenya, de la Tanzanie et de la Zambie, qu’elle prend pour référence pour évaluer les revenus qu’elle tirerait à l’avenir de l’«écotourisme». La RDC n’a pas non plus produit d’éléments de preuve en ce qui concerne l’écotourisme sur son territoire avant 1998, les zones où vivait la faune qui étaient utilisées à des fins d’écotourisme avant le conflit et qui auraient été impactées par celui-ci, ou les dommages précis causés à l’écotourisme par l’Ouganda.
1212 Ibid., par. 5.159, point 3.
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pour 37 602 dollars1213. Cette offre en ligne pour un safari à l’éléphant dans un autre pays n’est nullement indicative de la valeur d’un éléphant au Congo pendant un conflit armé. Pourtant, la RDC prend ce chiffre de 37 602 dollars comme base, puis le porte à 50 000 dollars, affirmant, pour tenter de justifier cette augmentation, que les éléphants congolais sont plus menacés que ceux d’Afrique du Sud1214. Pareille spéculation, qui vient s’ajouter à une autre, ne saurait constituer la base de l’évaluation d’un préjudice devant un tribunal.
8.141. Quant à la valeur des chimpanzés et des crocodiles, la RDC la fixe à 50 000 et 15 000 dollars par tête respectivement1215. Pour ce faire, elle se fonde sur les prix au «marché noir» d’un orang-outan indonésien (pour les chimpanzés) et d’un alligator chinois (pour les crocodiles) commercialisés illégalement en Asie, chiffres qu’elle tire d’un rapport datant de 2008 intitulé «International Illegal Trade in Wildlife: Threats and U.S. Policy»1216. L’«évaluation» qu’elle fait présente des failles fondamentales. Le rapport de 2008, établi par le service de recherche du Congrès des Etats-Unis d’Amérique, n’avait pas pour objectif de dresser une «liste de prix» mais d’alimenter un débat sur les menaces que fait peser sur la sécurité environnementale et nationale des Etats-Unis le trafic international illégal d’espèces sauvages et de proposer des solutions politiques pour lutter contre ce trafic1217. Dans ce contexte, pour illustrer les défis qui se posent, le rapport mentionnait certains prix au «marché noir» d’espèces commercialisées illégalement. Il est regrettable que la RDC se réfère aux prix du «marché noir» et qui plus est, pour des espèces totalement différentes aux fins d’évaluer le montant d’une indemnisation, car cela revient à reconnaître implicitement une validité au commerce illégal des espèces sauvages1218.
8.142. Invoquer les cours du «marché noir» est également inapproprié d’un point de vue purement économique. Les transactions pratiquées sur un tel marché sont secrètes et, dès lors, les données dont on dispose à ce sujet sont incomplètes et ne sauraient refléter les prix courants ou moyens. Ces transactions sont en outre très particulières. Il est par conséquent inopportun d’appliquer les valeurs monétaires d’espèces vendues ponctuellement sur le marché illégal à des espèces qui auraient été abattues dans le cadre d’un conflit armé. Enfin, les prix du «marché noir» ne correspondent pas au coût de remplacement : la RDC n’entend sûrement remplacer les animaux qui auraient été abattus sur son territoire par d’autres de la même espèce achetés sur ce marché illégal.
8.143. Pour certains autres animaux, la RDC évalue le montant de l’indemnité due sur la base du prix à l’unité d’animaux, parfois d’une espèce différente, vendus vivants aux enchères ou
1213 J. Okana et al., Evaluation des dommages causés à la faune congolaise par l’Ouganda entre 1998 et 2003 (sept. 2016), citant African Sky Hunting, Eléphant, MRDC, annexe 5.13.
1214 Ibid., par. 5.159, point 3.
1215 Ibid., par. 5.159, points 2 et 7.
1216 Ibid., par. 5.159, points 2 et 7. La RDC évalue le montant d’un chimpanzé et d’un crocodile congolais à 50 000 et 15 000 dollars des Etats-Unis, respectivement.
1217 L. Wyler, P. Sheikh, International Trade in Wildlife: Threats and U.S. Policy, CRS Report for Congress, RL34395 (22 août 2008), p. 3, annexe 61.
1218 Il convient également de souligner qu’il n’est pas fait mention, dans le rapport du service de recherche du Congrès, de chimpanzés ni de crocodiles congolais. Le fait que la RDC extrapole, à partir des prix au «marché illicite» d’un orang-outan et d’un alligator chinois, ceux d’un chimpanzé et d’un crocodile congolais, respectivement, est donc totalement arbitraire. Un orang-outan n’appartient pas à la même famille de primates qu’un chimpanzé congolais. Un crocodile d’Afrique de l’ouest et un alligator chinois sont des espèces totalement différentes. De surcroît, les orangs-outans et les alligators chinois sont également inscrits sur la liste des espèces en danger critique d’extinction établie par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Enfin, contrairement à ce que soutient la RDC, le chimpanzé et le crocodile d’Afrique de l’ouest ne sont pas des «espèces menacées d’extinction». MRDC, par. 5.155.
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en ligne dans des pays tiers1219. Cette méthode d’évaluation présente elle aussi des failles importantes. Les prix des animaux vendus dans d’autres pays dépendent de facteurs spécifiques à ces marchés et ne permettent donc pas d’évaluer les pertes qu’aurait subies la RDC au cours du conflit. Appliquer le prix d’un animal vendu aux enchères ou en ligne à des animaux faisant partie d’un troupeau n’est pas non plus approprié, car cela revient à surévaluer les animaux du troupeau pris individuellement. Par ailleurs, les prix pratiqués dans le cadre de ventes aux enchères ou en ligne d’animaux à l’unité répercutent des coûts importants liés à leur capture et à leur élevage1220. Par conséquent, la RDC ne saurait, par exemple, s’appuyer sur le prix d’une antilope sud-africaine vendue aux enchères ou en ligne en Afrique du Sud pour évaluer les pertes qu’elle dit avoir subies du fait de l’abattage d’antilopes sur son territoire1221.
8.144. Un autre problème méthodologique dans l’emploi par la RDC de prix pratiqués dans le cadre de ventes aux enchères ou en ligne est que cette dernière tire ces chiffres de sources fragmentaires et qui ne sont pas fiables, puis augmente les prix ainsi obtenus en s’appuyant sur des hypothèses approximatives. Pareil procédé débouche invariablement sur des prix arbitraires. Ainsi, la RDC soutient que «les prix pour une girafe ordinaire varient de 1300 à 80 000 dollars des Etats-Unis»1222. Et puisque, selon elle, les girafes congolaises sont menacées, leur prix devrait être censé être identique à celui des «primates gravement menacés, à savoir 50 000 dollars»1223.
8.145. Pour affirmer que le prix d’une girafe ordinaire peut atteindre 80 000 dollars, la RDC s’appuie sur une observation non étayée issue d’un seul site Internet (www.exoticanimalsforsale.net), où il est précisé que l’achat d’une girafe peut coûter jusqu’à 80 000 dollars. Cette base est bien peu convaincante pour fonder une demande d’indemnisation devant une juridiction chargée d’appliquer le droit. La RDC n’apporte pas plus d’éléments de preuve ou d’explications quant à la raison pour laquelle le montant de 50 000 dollars serait la valeur de «primates gravement menacés», ou pour laquelle ce montant est simplement censé s’appliquer pareillement à une girafe menacée1224.
1219 MRDC, par. 5.155. La RDC applique cette méthode pour établir le prix des hippopotames, des girafes, des rhinocéros, des guibs harnachés, des hartebeest, des cobes, des waterbuck, des phacochères, des babouins et des mangoustes.
1220 Par exemple, les sources citées par la RDC expliquent que capturer un hippopotame en vue de le vendre aux enchères comporte des risques et des coûts importants : il n’est pas possible d’avoir recours aux tranquillisants lors de la capture, car l’animal pourrait s’enfuir dans l’eau et se noyer ; on le sépare donc de son troupeau, on l’affame pendant de nombreuses journées puis on l’attire dans un piège à l’aide de nourriture ; il faut ensuite attendre un certain temps avant que l’animal soit suffisamment en forme pour être vendu aux enchères. D. Farrell, Associated Press, Billings Gazette, «African animal auction draws 2,000», document disponible à l’adresse suivante : https://billingsgazette.com/news/world/african-animal-auction-draws/art…. html (dernière consultation le 22 juin 2002), annexe 81.
1221 MRDC, par. 5.159, point 1.
1222 Ibid., point 8.
1223 Ibid.
1224 La RDC extrapole le même prix pour un okapi, déclarant que les okapis et les girafes «font partie de la même famille». Rien ne venant étayer le prix revendiqué, il ne saurait non plus être employé aux fins d’évaluer les pertes liées à l’abattage des okapis. MRDC, par. 5.159, point 9.
Autre exemple de l’arbitraire de la RDC, l’évaluation qu’elle donne de la valeur des rhinocéros au point 10 du par. 5.159 de son mémoire. Elle soutient que «l’évaluation a eu égard au prix d’animaux vivants vendus en Afrique du Sud, qui était de 28 000 dollars des Etats-Unis en moyenne». Ce prix aurait ensuite été «réévalué au regard du statut de protection des différentes populations de rhinocéros» et «[l]e prix retenu pour les rhinocéros de la RDC a dès lors été fixé à 50 000 dollars des Etats-Unis». Elle ne précise cependant pas la source dont elle a tiré le prix moyen des rhinocéros vendus en Afrique du Sud, pas plus qu’elle n’explique selon quels critères elle a réévalué le prix moyen des rhinocéros congolais pour l’établir à 50 000 dollars.
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8.146. Le caractère hypothétique et arbitraire des prix que la RDC assigne aux animaux se manifeste encore dans d’autres aspects. Ainsi, comme cela a été précisé, la RDC demande à être indemnisée non seulement au titre des animaux qui auraient été tués, mais également au titre de leur première génération de petits non nés. Cela conduit à une double comptabilisation des animaux abattus puisque, en général, la valeur d’un animal tient compte de sa capacité à se reproduire.
8.147. La double indemnisation est encore plus alarmante lorsqu’on constate à quel point la manière dont la RDC assigne des valeurs aux petits non nés est arbitraire. Ainsi, elle soutient sans aucune preuve à l’appui, que le prix d’un éléphant non né est de 25 000 dollars (la moitié du prix demandé pour un éléphant adulte, qui lui-même ne repose sur aucun fondement, ainsi que cela a été démontré ci-dessus)1225. Multipliant ce prix hypothétique par un nombre d’éléphants non nés non moins hypothétique, la RDC demande ainsi 639 375 000 dollars de dommages-intérêts au seul titre des éléphants non nés1226.
8.148. En ce qui concerne les autres animaux, la RDC assigne parfois la même valeur aux petits qu’aux adultes. Ainsi, elle affirme, de nouveau sans le prouver, que le prix d’un petit phacochère devrait être identique à celui d’un adulte, soit 5055 dollars1227. Pour la seule première génération de phacochères non nés uniquement dans le parc de la Garamba, la RDC réclame un montant total de plus de 1 milliard de dollars au titre des pertes qu’elle aurait subies1228.
8.149. L’évaluation par la RDC des montants qu’elle réclame au titre des pertes qui auraient été infligées à sa faune n’est donc pas seulement erronée d’un point de vue méthodologique ; elle est également hypothétique et mène à une double réparation qui ne saurait être admise.
*
8.150. La RDC n’ayant pas apporté la preuve, au moyen d’éléments emportant la conviction avec un degré élevé de certitude, que des faits illicites précis de l’Ouganda ont directement causé un préjudice à sa faune, rien ne justifie qu’une indemnisation lui soit adjugée pour ce chef de dommage.
La RDC n’a pas non plus apporté la preuve de ce que le prix d’un phacochère est de 5055 dollars ou de ce que le «prix moyen» sur l’Internet d’un babouin est de 2000 dollars, pas plus qu’elle n’a expliqué pourquoi ce prix devrait être identique à celui d’une mangouste, étant donné que babouin et mangouste appartiennent à deux espèces totalement différentes. MRDC, par. 5.159, points 5 et 6.
1225 Voir ci-dessus, par. 8.139.
1226 En ce qui concerne les éléphants, la RDC demande en fait une triple réparation. Outre les réclamations formulées au titre des pertes liées aux éléphants adultes qui auraient été abattus qu’elle évalue à 511 400 000 dollars ainsi qu’à leurs petits non nés qu’elle évalue à 639 375 000 dollars , la RDC présente une demande au titre des pertes relatives à l’ivoire de tous les éléphants adultes, qu’elle évalue à 664 820 000 dollars sur la base des prix pratiqués au «marché illicite» (1 022 800 kg d’ivoire x 650 dollars/kg). MRDC, par. 5.161, 5.166, 5.169 et 5.170 (tableaux d’évaluation).
Elle demande la même triple réparation en ce qui concerne les rhinocéros : 1 050 000 dollars au titre des animaux adultes qui auraient été abattus ; 550 000 dollars au titre des rhinocéros qui ne seraient pas nés ; et 787 500 dollars au titre des cornes qui auraient été prélevées sur les animaux adultes. Voir MRDC, tableau d’évaluation au paragraphe 5.166.
1227 MRDC, par. 5.159, point 5.
1228 Ibid., par. 5.166.
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C. La déforestation
8.151. La RDC réclame la somme de 100 millions de dollars à titre d’indemnités dues à raison de la déforestation supposément causée par l’exploitation et l’exportation par l’Ouganda du bois d’oeuvre congolais1229. Ce montant couvre, selon elle, «la valeur commerciale du bois et les diverses taxes qui auraient dû être perçues sur celui-ci, mais aussi l’atteinte à la biodiversité et à l’habitat des espèces animales»1230.
8.152. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2005, la Cour n’a pas expressément conclu que l’exploitation et l’exportation de bois d’oeuvre congolais par l’Ouganda avaient entraîné une déforestation du territoire de la RDC1231. Il est donc peu probable que ses conclusions juridiques générales concernant les ressources naturelles aient pu couvrir l’exploitation du bois d’oeuvre. Par conséquent, la demande de la RDC à cet égard doit être rejetée car elle n’entre pas dans le champ de l’arrêt.
8.153. Et quand bien même la Cour, dans son arrêt de 2005, aurait effectivement inclus des actes d’exploitation illégale, sous forme de déforestation, dans les faits reprochés à l’Ouganda, le montant réclamé sous ce chef de dommage (100 000 000 dollars) semble sorti de nulle part. La RDC n’a communiqué aucun document mentionnant ce chiffre et ne dit pas non plus dans son mémoire comment elle l’a obtenu. La seule explication plausible semble être la suivante : tout en rappelant elle-même la «prudence qu’il convient d’observer dans le cadre d’une procédure judiciaire», la RDC s’est contentée d’arrondir le chiffre de 94 888 800 dollars (qui correspond selon elle au montant des exportations illégales supposément réalisées par la société DARA-Forest) car c’est le seul chiffre expressément mentionné dans l’évaluation qu’elle donne des dommages qu’elle prétend avoir subis du fait de la déforestation1232. Sa demande à hauteur de cent millions de dollars n’est manifestement pas étayée.
8.154. Même à supposer que la RDC ait réellement subi un dommage de 94 888 800 dollars, il n’en reste pas moins que sa demande repose entièrement sur l’hypothèse que l’Ouganda serait responsable de l’exploitation illégale de 216 000 mètres cubes de bois d’oeuvre congolais, hypothèse elle-même fondée sur l’allégation selon laquelle une prétendue compagnie forestière «ougando-thaïlandaise», la société DARA-Forest susmentionnée, aurait illégalement exporté 48 000 mètres cubes de bois chaque année pendant quatre ans et demi, soit 216 000 mètres cubes au total (4,5 x 48 000). Or, ainsi que nous le verrons ci-après, les éléments de preuve produits par la RDC sont entachés d’erreurs, non corroborés et dépourvus de tout caractère probant. L’évaluation que donne la RDC de ce préjudice non établi est tout aussi discutable.
1. La RDC n’a pas apporté la preuve d’un quelconque acte spécifique imputable à l’Ouganda qui aurait entraîné une déforestation de son territoire
8.155. A supposer, arguendo, que, dans son arrêt de 2005, la Cour ait inclus dans les faits reprochés à l’Ouganda des actes d’exploitation illégale, sous forme de déforestation, sur le territoire de la RDC, il incombe toujours à celle-ci, à ce stade de la procédure, d’établir, à l’aide d’éléments de preuve emportant la conviction avec un haut degré de certitude, la matérialité d’actes
1229 MRDC, par. 5.173, 5.190.
1230 Ibid., par. 5.184.
1231 Il convient par ailleurs de souligner que les documents sur lesquels la Cour s’est fondée pour parvenir à sa conclusion générale relative à l’exploitation illégale des ressources naturelles n’établissaient aucun lien entre l’Ouganda et la déforestation, ou l’exploitation et l’exportation de bois congolais.
1232 MRDC, par. 5.187.
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spécifiques d’exploitation forestière attribuables à l’Ouganda, ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre ces actes et tout dommage qu’elle aurait subi. Le mémoire de la RDC n’offre pas la démonstration requise.
8.156. La demande de la RDC est intégralement fondée sur l’«étude du cas DARA-Forest» contenue dans le premier rapport du groupe d’experts de l’ONU1233, dont il ressort qu’une «société forestière ougando-thaïlandaise appelée DARA-Forest»1234 aurait exploité illégalement le bois d’oeuvre congolais à des fins d’exportation en Ouganda1235. Ce rapport indiquait encore :
«D’après les récits de témoins oculaires, les images recueillies par satellite, les déclarations d’acteurs principaux et la propre enquête du Groupe, il est suffisamment prouvé que l’exploitation de bois d’oeuvre est directement liée à la présence ougandaise dans la Province orientale. Ces activités ont atteint des proportions alarmantes et les Ougandais (civils, militaires et sociétés) y participent très largement. En mai 2000, le RCD-ML a octroyé une concession de 100 000 hectares à DARA-Forest. Depuis septembre 1998, cette société exporte en gros chaque année environ 48 000 mètres cubes de bois d’oeuvre.»1236
8.157. S’appuyant sur ces affirmations, la RDC soutient que, «[s]i l’on considère que les exportations illicites de DARA-Forest se sont poursuivies pendant quatre ans et demi, au volume annuel de 48 000 mètres cubes», l’Ouganda doit être tenu pour responsable de l’exploitation illégale de 216 000 mètres cubes de bois d’oeuvre congolais1237.
8.158. Dans chacun de ses aspects, le préjudice allégué est entaché d’erreur. Pour commencer, la demande de la RDC repose intégralement sur un fondement unique et fragile, l’«étude du cas DARA-Forest» figurant dans le premier rapport des experts de l’ONU, qui a fait l’objet de vives critiques. Après avoir procédé à un examen «approfondi» de cette étude de cas1238, la commission Porter a présenté ses conclusions dans un rapport que la Cour a considéré comme un élément de preuve digne de foi en s’y référant à maintes reprises dans son arrêt de 20051239. Dans ce rapport, la commission dénonçait les graves lacunes de l’étude de cas relative à DARA-Forest : «Au vu des preuves dont elle dispose, la commission conclut que l’enquête menée par le Groupe initial concernant Dara Forêt était fondamentalement viciée, et que pas une seule des allégations formulées dans cette prétendue étude n’est étayée.»1240
8.159. S’agissant tout d’abord de l’allégation générale selon laquelle l’Ouganda avait exploité et exporté du bois d’oeuvre congolais, la commission Porter a conclu à l’absence de preuve :
1233 Groupe d’experts de l’ONU, premier rapport du 12 avril 2001, par. 47-54, annexe 11 ; MRDC, par. 5.174-5.175.
1234 Ibid., par. 47, annexe 11.
1235 Ibid., par. 47-49.
1236 MRDC, par. 5.175, citant le premier rapport du groupe d’experts de l’ONU en date du 12 avril 2001, par. 54, annexe 11.
1237 Ibid., par. 5.187.
1238 Rapport final de la commission Porter, p. 72, annexe 52.
1239 Activités armées (2005), par. 61, 78 et 237.
1240 Rapport final de la commission Porter, p. 62, annexe 52.
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«La présente commission ne dispose d’aucun élément prouvant que l’Ouganda, en tant que pays ou en tant que gouvernement, récolte du bois d’oeuvre en République démocratique du Congo ; elle doute, par conséquent, de l’exactitude de l’allégation formulée à cet égard dans le rapport. Du bois d’oeuvre est effectivement importé de RDC, et fait également l’objet, de toute évidence, d’activités illicites de contrebande étant donné la porosité de ses frontières. La documentation que la commission a pu consulter indique que le bois d’oeuvre coupé en République démocratique du Congo est soumis, dans ce pays, aux taxes sur les exportations, qui sont prélevées par les autorités rebelles et acquittées.»1241
8.160. Pour ce qui est des allégations selon lesquelles les activités d’exploitation du bois d’oeuvre étaient directement liées à la présence ougandaise dans la province Orientale et que des soldats ougandais y étaient mêlés, la commission Porter les a également estimées infondées, précisant que «la présence des UPDF dans la province Orientale» avait pour seul objectif d’«assurer la sécurité et l’accès aux marchés étrangers dont les Congolais avaient été si longtemps privés»1242. De fait, ni le groupe d’experts de l’ONU ni la RDC n’ont produit d’élément reliant les UPDF dans leur ensemble ou des soldats individuels à l’exploitation du bois d’oeuvre.
8.161. Il est vrai que, ainsi que la commission Porter l’a fait observer, «des Ougandais se rendaient au Congo pour négocier l’achat d’arbres avec des titulaires de concessions ou des chefs congolais individuels et importer en Ouganda le bois d’oeuvre une fois coupé»1243. Toutefois, comme la commission l’a relevé, ce «commerce transfrontalier existe depuis des temps immémoriaux»1244 et le comportement de personnes privées exerçant des activités commerciales ne saurait être imputé à l’Ouganda.
8.162. Enfin, pour ce qui est, plus particulièrement, de l’allégation selon laquelle DARA-Forest était une société «ougando-thaïlandaise» exportant quelque 48 000 mètres cubes de bois d’oeuvre chaque année, la commission Porter l’a réfutée, l’estimant dépourvue de tout fondement :
«La commission est vivement préoccupée par l’approche suivie par le Groupe initial sur cette question. Bien qu’il ne fasse aucune référence à la fiabilité des sources mentionnées, au vu de l’importance accordée aux événements allégués, le Groupe initial semble avoir jugé raisonnable de se fonder sur lesdites sources, qui ne sont pas divulguées et n’ont apparemment pas été évaluées. Or, l’interprétation des faits donnée par ces sources, ainsi que par le Groupe initial, apparaît très clairement erronée. Il aurait suffi d’un bref entretien avec M. Kotiram [témoin essentiel lié aux opérations de DARA-Forest] et ses associés pour établir la vérité, mais celui-ci assure n’avoir jamais été contacté. Il y a donc lieu de s’interroger, compte tenu du poids accordé à cette prétendue étude de cas, sur les conditions dans lesquelles le Groupe initial a recueilli les informations ayant fondé ses conclusions, en ce qui concerne non seulement Dara-Forest mais également l’ensemble des autres points du rapport.»1245
1241 Rapport final de la commission Porter, p. 55 (les italiques sont de nous).
1242 Ibid., p. 61-62 (les italiques sont de nous).
1243 Ibid., p. 56.
1244 Ibid., p. 58.
1245 Ibid., p. 62.
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8.163. Outre ces critiques formulées par la commission Porter, le groupe d’experts de l’ONU lui-même, «[ayant] examiné de plus près le statut juridique de DARA Forest» et ses opérations en RDC, est par la suite revenu sur l’allégation imputant à une hypothétique compagnie «ougando-thaïlandaise» des activités illégales d’exploitation et d’exportation de bois d’oeuvre congolais1246. La nouvelle position du groupe d’experts sur ce point est exposée dans un additif au rapport du 12 avril 2001, que la RDC a joint à son mémoire sous l’annexe 1.8 et qu’elle cite abondamment dans le chapitre relatif aux dommages causés à la flore1247. La RDC semble toutefois perdre de vue que les passages de ce rapport complémentaire qu’elle cite confirment quatre points importants qui portent un coup fatal à son argumentation :
Premièrement, DARA-Forest n’était pas une société «ougando-thaïlandaise» et ne comptait parmi ses actionnaires ou au sein de sa direction aucun Ougandais, que ce soit à titre officiel ou privé. Il est expliqué dans le rapport complémentaire qu’il s’agissait d’«une société [forestière] thaïlandaise opérant dans la province du Nord-Kivu», qui était enregistrée au Congo1248. Son «actionnaire … principal» était Royal Star Holdings, qui «appar[tenait] en partie au Directeur général de DARA Forest, John Kotiram»1249, ressortissant thaïlandais1250. Outre John Kotiram, la société avait «trois autres actionnaires congolais»1251.
1246 Groupe d’experts de l’ONU, additif au premier rapport du 12 avril 2001, par. 72, annexe 13.
1247 MRDC, par. 5.176 :
«En fait, les fonctionnaires nommés par le Gouvernement de Kinshasa remplissent encore des fonctions comme celles de douanier ou de percepteur dans les régions tenues par les rebelles. Toutefois, les impôts ne sont pas reçus par le Gouvernement de Kinshasa et sont détournés par les rebelles à leur propre usage. Cette situation est reconnue par le Gouvernement congolais, qui a offert, en septembre 2001, de payer les 37 mois d’arriérés de salaire de ces fonctionnaires. Le Gouvernement de Kinshasa semble également avoir reconnu les activités des entités commerciales qui opèrent dans les régions aux mains des rebelles. On peut citer, entre autres exemples, la société allemande Somikivu, qui opère dans l’est de la République démocratique du Congo, mais continue à payer des impôts aux rebelles et maintient un bureau à Kinshasa. Interrogé sur le statut juridique des entités commerciales qui opèrent dans les territoires contrôlés ou occupés par les rebelles, le Ministre congolais de la justice a dit au Groupe d’experts, lors d’une réunion tenue en septembre 2001, qu’aucune des concessions n’avait été révoquée jusque-là et qu’une évaluation serait effectuée au cas par cas lorsque le Gouvernement reprendrait le contrôle des régions dans lesquelles ces entités opéraient.
Pour en avoir la preuve, le Groupe d’experts a examiné de plus près le statut juridique de DARA Forest, société thaïlandaise opérant dans la province du Nord-Kivu. DARA Forest est une société d’exploitation forestière enregistrée au Congo qui appartient à cinq actionnaires. Le principal d’entre eux, Royal Star Holdings, appartient en partie au Directeur général de DARA Forest, John Kortiram, ainsi qu’à trois autres actionnaires congolais. En mars 1998, DARA Forest a été enregistrée à Kinshasa en tant que société congolaise, après quoi des travaux ont commencé en vue de la construction d’une scierie à Mangina, dans la province du Nord-Kivu. En juin 1998, DARA Forest s’est vu accorder une concession forestière de 35 000 hectares par l’Autorité provinciale du Nord-Kivu, qui accorde des concessions aux sociétés après leur enregistrement auprès du Gouvernement central. La même autorité a également accordé à DARA Forest une licence d’exploitation pour acheter du bois à des exploitants forestiers locaux et l’exporter. Ses exportations, à destination des Etats-Unis et de la Chine, ont commencé au début de 1999, quelques mois après le commencement de la guerre.
DARA Forest, qui a respecté tous les règlements en vigueur, paie actuellement ses impôts à la même banque qu’avant la prise de la région par les rebelles. Elle a également affaire aux mêmes fonctionnaires des douanes lorsqu’elle exporte ses produits et importe du matériel de production. Le Groupe d’experts a également appris que les autorités congolaises du Nord-Kivu procèdent tous les deux mois à une vérification pour s’assurer que DARA Forest se conforme aux conditions des licences qui lui ont été accordées. En outre, le 12 septembre 2001, le Ministère de la justice à Kinshasa a accordé à DARA Forest un certificat d’enregistrement, qui semble indiquer clairement que le Gouvernement de la RDC reconnaît la société et accepte qu’elle opère dans des zones tenues par les rebelles.»
1248 MRDC, par. 5.176 (les italiques sont de nous) ; groupe d’experts de l’ONU, additif au premier rapport du 12 avril 2001, par. 72, annexe 13.
1249 MRDC, par. 5.176 (les italiques sont de nous) ; groupe d’experts de l’ONU, additif au premier rapport du 12 avril 2001, par. 72, annexe 13.
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Deuxièmement, DARA-Forest exerçait ses activités d’exploitation forestière en vertu de concessions octroyées par les autorités congolaises, et exportait l’ensemble de son bois à destination d’autres pays que l’Ouganda. Il est indiqué dans le rapport complémentaire que, «[e]n juin 1998, DARA Forest s’est vu accorder une concession forestière de 35 000 hectares par l’Autorité provinciale du Nord-Kivu, qui accorde des concessions aux sociétés après leur enregistrement auprès du Gouvernement central. La même autorité a également accordé à DARA Forest une licence d’exploitation pour acheter du bois à des exploitants forestiers locaux et l’exporter. Ses exportations, à destination des Etats-Unis et de la Chine, ont commencé au début de 1999, quelques mois après le commencement de la guerre.»1252
Troisièmement, après avoir obtenu ces concessions en juin 1998, DARA-Forest a poursuivi ses activités d’exploitation pendant le conflit, au titre de nouvelles concessions octroyées par les autorités congolaises locales, après que celles-ci eurent vérifié et confirmé que l’entreprise respectait les conditions des permis accordés. Le gouvernement central lui a par ailleurs délivré un certificat d’enregistrement et l’a autorisée à opérer dans les zones tenues par les rebelles. Il est ainsi précisé dans le rapport complémentaire : «DARA Forest, qui a respecté tous les règlements en vigueur, paie actuellement ses impôts à la même banque qu’avant la prise de la région par les rebelles. Elle a également affaire aux mêmes fonctionnaires des douanes lorsqu’elle exporte ses produits et importe du matériel de production. … [L]es autorités congolaises du Nord-Kivu procèdent tous les deux mois à une vérification pour s’assurer que DARA Forest se conforme aux conditions des licences qui lui ont été accordées. En outre, le 12 eptembre 2001, le Ministère de la justice à Kinshasa a accordé à DARA Forest un certificat d’enregistrement, qui semble indiquer clairement que le Gouvernement de la RDC reconnaît la société et accepte qu’elle opère dans des zones tenues par les rebelles»1253.
Quatrièmement, les auteurs du rapport complémentaire n’ont pas confirmé les allégations antérieures tirées de l’«étude du cas DARA-Forest» selon lesquelles la société avait, entre 1998 et 2001, exporté un volume annuel de 48 000 mètres cubes de bois, et avait continué d’exporter ce même volume pendant deux ans et demi supplémentaires1254.
8.164. Ainsi, les éléments de preuve produits par la RDC elle-même contredisent son allégation selon laquelle l’Ouganda aurait exploité illégalement 216 000 mètres cubes de bois d’oeuvre congolais.
8.165. Ce qui est stupéfiant dans cette allégation, ce n’est pas tant son absence totale de fondement, ni le fait que la RDC ait tenté fallacieusement d’utiliser une société forestière «ougando-thaïlandaise» inexistante pour faire croire que le préjudice qu’elle allègue satisfait aux critères de l’imputabilité et de la cause immédiate, ni qu’elle ait retenu le chiffre non attesté de 48 000 mètres cubes comme volume annuel effectif des exportations de bois, ni encore qu’elle ait présumé que ce volume non attesté d’exportations annuelles s’était maintenu pendant quatre ans et demi1255. Ce qui est réellement incroyable, c’est que la RDC présente une telle demande à la Cour
1250 Rapport final de la commission Porter, p. 56-58, annexe 52.
1251 MRDC, par. 5.176 ; groupe d’experts de l’ONU, additif au premier rapport du 12 avril 2001, par. 72, annexe 13.
1252 MRDC, par. 5.176 (les italiques sont de nous) ; groupe d’experts de l’ONU, additif au premier rapport du 12 avril 2001, par. 71-73, annexe 13.
1253 MRDC, par. 5.176 (les italiques sont de nous) ; groupe d’experts de l’ONU, additif au premier rapport du 12 avril 2001, par. 71-73, annexe 13.
1254 Groupe d’experts de l’ONU, additif au premier rapport du 12 avril 2001, par. 71-74, annexe 13.
1255 Voir MRDC, par. 5.187.
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en se fondant sur des allégations dont elle sait qu’elles sont erronées et qu’elles ont été réfutées et rétractées.
8.166. La RDC a en outre annexé à son mémoire, sans toutefois s’y attarder dans le cadre de sa demande relative à la déforestation, une étude scientifique établie en mai 2015 par la Direction des inventaires et aménagement forestiers de son ministère d’environnement et développement durable1256. Dans son mémoire, elle se contente d’indiquer à cet égard, de manière très générale :
«[Cette] étude scientifique a fait apparaître que la déforestation massive à l’est du pays est la plus marquée dans les zones où ont opéré les forces armées ougandaises. Au regard de ce constat, les pertes causées par les faits illicites de l’Ouganda se chiffrent en plusieurs centaines de milliers d’hectares et plusieurs milliards de dollars. La RDC se réserve le droit de compléter sa demande à cet égard en cours d’instance.»1257
8.167. Cette étude est manifestement un document de travail dont le seul objet était de suivre l’évolution du couvert forestier de la RDC entre 1990 et 20101258. Ses auteurs n’avaient pas pour mission de rechercher ou d’établir les causes des changements intervenus dans la canopée congolaise1259. Le document de travail ne mentionne aucun fait ni élément de preuve établissant un préjudice particulier causé par des faits illicites attribuables à l’Ouganda. Il ne fournit pas non plus d’estimation ou d’évaluation du volume de bois exploité entre 1990 et 2010. C’est donc de manière totalement infondée que la RDC affirme que ce document de travail démontre que «les pertes causées par les faits illicites de l’Ouganda se chiffrent en plusieurs centaines de milliers d’hectares et plusieurs milliards de dollars»1260.
8.168. Il existe une autre raison tout aussi évidente pour laquelle la RDC ne saurait sérieusement se fonder sur ce document de travail : la période qu’il couvre (de 1990 à 2010) excède largement les limites ratione temporis de l’arrêt de 2005, qui circonscrit expressément à la période allant d’août 1998 à juin 2003 les faits internationalement illicites dont la Cour a conclu que l’Ouganda était responsable.
8.169. La RDC n’a donc pas présenté d’éléments probants susceptibles d’établir la matérialité d’une quelconque action spécifique imputable à l’Ouganda et consistant en l’exploitation des ressources forestières qui aurait causé un préjudice à la RDC.
2. L’évaluation que fait la RDC des dommages allégués présente des failles méthodologiques
8.170. La RDC n’ayant pas démontré qu’une quelconque action spécifique imputable à l’Ouganda lui aurait causé un dommage, point n’est besoin de traiter en détail l’approche erronée qu’elle a suivie pour évaluer le préjudice qu’elle allègue sans l’attester. Ainsi que la Cour l’a dit en
1256 Direction des inventaires et aménagement forestiers, ministère d’environnement et développement durable, Protocole méthodologique de l’évaluation du couvert forestier national de référence en République démocratique du Congo, mai 2015, MRDC, annexe 5.20.
1257 MRDC, par. 5.188 (les italiques sont de nous).
1258 RDC, Direction des inventaires et aménagement forestiers, ministère de l’environnement et du développement durable, «Projet Terra-Congo Protocole méthodologique de l’évaluation du couvert forestier national de référence en République démocratique du Congo, mai 2015», p. 6, MRDC, annexe 5.20.
1259 Ibid.
1260 MRDC, par. 5.188.
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l’affaire Diallo, une évaluation n’est justifiée que si l’existence du préjudice en question et du lien de causalité direct est établie1261. Nous n’examinerons donc que brièvement l’évaluation de la RDC pour souligner d’autres éléments hypothétiques de cette demande tout à fait arbitraire.
8.171. L’opération par laquelle la RDC tente d’attribuer une valeur à son préjudice allégué tient en un seul paragraphe :
«Si l’on considère que les exportations illicites de DARA-Forest se sont poursuivies pendant 4 ans et demi, au volume annuel de 48 000 m3, ces exportations représentent au total une valeur marchande de (48 000 x 4,5 x 439,30) = 94 888 800 dollars des Etats-Unis (quatre-vingt-quatorze millions huit cent quatre-vingt-huit mille huit cent dollars).»1262
8.172. Ainsi que nous l’avons vu plus haut, il n’existe aucun élément crédible permettant de conclure que 48 000 m3 de bois d’oeuvre auraient été exploités pendant 4 ans et demi. Le troisième facteur de la formule de calcul erronée de la RDC est lui aussi dépourvu de fondement : il s’agit de la valeur commerciale moyenne supposée de ce bois (439,30 dollars le mètre cube). Toute perte subie par la RDC doit être estimée non à partir de la valeur commerciale du bois mais à partir du manque à gagner en matière de paiements liés aux concessions ou de recettes fiscales se rapportant à son exploitation. La RDC ne fait aucun effort pour quantifier ces pertes.
8.173. Si elle avait tenté de déterminer le manque à gagner en matière de paiements liés aux concessions et de recettes fiscales relatives aux activités de DARA-Forest (manque à gagner qui, là encore, n’est pas imputable à l’Ouganda), la RDC aurait constaté qu’aucune indemnisation ne lui est due. Ses propres éléments de preuve montrent en effet que DARA-Forest «a respecté tous les règlements en vigueur», s’est «conform[é]e aux conditions des licences qui lui ont été accordées» et a «pa[yé] ses impôts à la même banque qu’avant la prise de la région par les rebelles», et que «le Gouvernement de la RDC [a] reconn[u] la société et accept[é] qu’elle opère dans des zones tenues par les rebelles»1263. En conséquence, rien ne permet à la RDC de réclamer ne serait-ce que la perte de recettes fiscales.
8.174. En outre, même si le prix des exportations de bois était pertinent aux fins de la présente analyse (quod non), l’affirmation de la RDC selon laquelle le prix du bois exporté de son territoire entre 1998 et 2003 s’élevait en moyenne à 439,30 dollars le mètre cube n’est pas étayée par des éléments de preuve fiables. A l’appui de cette assertion, la RDC présente, au paragraphe 5.186 de son mémoire, un tableau qui semble être fondé sur des données tirées du site Internet de l’Organisation internationale des bois tropicaux (ci-après l’«OIBT»)1264. Ce tableau ne recense toutefois que les prix afférents à la période comprise entre 1998 et 2001 ; il ne contient aucune donnée sur les années 2002 et 2003. Sans ces éléments de preuve, la RDC ne peut soutenir de manière crédible que le prix moyen du mètre cube de bois congolais exporté entre 1998 et 2003 était de 439,30 dollars. En réalité, l’Ouganda a examiné les données de l’OIBT concernant les années qui font défaut et a constaté que les prix correspondants ramenaient la valeur moyenne pour
1261 Diallo (2012), par. 14.
1262 MRDC, par. 5.187.
1263 MRDC, par. 5.176, citant l’additif au premier rapport du groupe d’experts de l’ONU en date du 12 avril 2001, MRDC, annexe 1.8, par. 71-73.
1264 MRDC, par. 5.186. Voir Organisation internationale des bois tropicaux, «Base de données de l’examen biennal», accessible à l’adresse suivante : https://www.itto.int/fr/biennal_review/%20?mode=searchdata (dernière consultation le 29 janvier 2018), annexe 108.
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la période 1998-2003 à 428,86 dollars1265. Cette différence peut paraître faible, mais elle a un effet considérable sur le calcul général, puisqu’elle réduit de plus de 2 millions de dollars le montant réclamé (qui s’établit dès lors à 92 648 400 dollars).
8.175. Cette différence d’environ 2 millions de dollars pourra sembler insignifiante à la RDC compte tenu du fait que celle-ci réclame plusieurs milliards de dollars, mais une erreur de calcul de quelques millions transforme vite le résultat en milliards.
8.176. La RDC n’ayant pas apporté la preuve, au moyen d’éléments emportant la conviction avec un degré élevé de certitude, que l’Ouganda lui ait causé un préjudice en exploitant illégalement le bois d’oeuvre congolais, rien ne justifie qu’une indemnisation lui soit adjugée à ce titre.
*
8.177. Tout comme dans le cas des autres chefs de dommage qu’elle fait valoir, la RDC n’a nullement tenté d’étayer par les moyens habituels ses demandes relatives à l’exploitation illégale de ses ressources naturelles. Au lieu de cela, elle a élaboré une série de thèses indéfendables, qui reposent sur des spéculations ou des éléments de preuve non convaincants, afin de réclamer des montants d’indemnités extrêmement exagérés, privant ainsi la Cour de tout fondement crédible qui permette de lui adjuger l’indemnisation qu’elle réclame.
1265 Selon l’OIBT, le prix du bois exporté depuis le Congo en 2002 et en 2003 était de 367 et 448,99 dollars, respectivement. Voir Organisation internationale des bois tropicaux, «Base de données de l’examen biennal», accessible à l’adresse suivante : https://www.itto.int/fr/biennal_review/%20?mode=searchdata (dernière consultation le 29 janvier 2018), annexe 108.
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CHAPITRE 9 LE PRÉJUDICE MACROÉCONOMIQUE
9.1. Au chapitre 6 de son mémoire, la RDC présente, sous le chef de «préjudice macroéconomique», la plus importante catégorie individuelle de préjudices allégués pour lesquels elle demande à être indemnisée. A ce titre, elle prétend avoir subi une perte de 12 697 779 493,27 dollars des Etats-Unis (ci-après «dollars»), soit environ 12,7 milliards, à raison du retard qu’elle aurait pris dans son développement économique par suite du conflit. Elle reconnaît toutefois que ce préjudice allégué ne saurait sérieusement être imputé uniquement à l’Ouganda, qu’elle ne tient donc pour responsable «que» de 45 % des prétendus dommages, soit 5 714 000 775 dollars 1266. A elle seule, cette demande représente plus de 40 % des indemnités réclamées par la RDC.
9.2. Dans le présent chapitre, nous montrerons qu’aucune des sommes alléguées -- qu’il s’agisse de 12,7 ou de 5,7 milliards de dollars ou encore de tout autre montant ne saurait être accordée. La demande de la RDC relative au «préjudice macroéconomique» allégué est entachée de vices, tant au regard du droit que du point de vue économique.
9.3. Dans une perspective juridique, une telle demande n’est pas susceptible d’indemnisation en droit international. Dans la section I du présent chapitre, il sera démontré que cette demande n’est pas conforme à la pratique et la jurisprudence internationales ; dans la section II, qu’elle relève de la pure spéculation et qu’elle est incompatible avec toute notion de causalité ; dans la section III, qu’elle ne saurait se justifier au titre du lucrum cessans, comme la RDC tente de le faire dans son mémoire ; et dans la section IV, qu’elle repose sur une hypothèse incompatible avec l’arrêt de 2005.
9.4. Dans la section V, nous montrerons que, d’un point de vue économique et factuel, la méthode utilisée par la RDC pour quantifier sa demande est entachée de nombreux vices rédhibitoires.
I. LES DEMANDES RELATIVES À UN PRÉJUDICE MACROÉCONOMIQUE TELLES QUE CELLE DE LA RDC ONT ÉTÉ UNIFORMÉMENT REJETÉES DANS LA PRATIQUE ET DANS LA JURISPRUDENCE
9.5. Dans son mémoire, la RDC fonde sa demande au titre d’un préjudice macroéconomique en avançant que la guerre
«affecte ainsi la trajectoire de la croissance du produit intérieur brut (PIB) qui mesure la création des richesses produites par des agents économiques nationaux et étrangers sur un territoire national donné. Elle perturbe les activités économiques tant dans les zones affectées par les opérations militaires que dans celles qui ne sont pas touchées, car les acteurs économiques présents dans ces dernières participent malgré tout à l’effort de guerre, et l’étendue de leur marché est forcément réduite.
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1266 Au stade des négociations, la RDC affirmait avoir subi des dommages macroéconomiques à hauteur de 16 milliards de dollars et réclamait 12 milliards à l’Ouganda.
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La guerre … désorganise toute la vie dans un pays qui perd toute attractivité et compétitivité, chasse et décourage les investisseurs présents et potentiels, détourne les touristes et réduit la consommation finale des ménages qui est une composante significative dans la formation de la richesse d’un pays. Par ailleurs, la guerre entraîne un accroissement des importations en biens de consommation et donc la pénurie des devises. Ceci entraîne ou aggrave le déficit de la balance commerciale car, en contraste avec cet accroissement des importations, les exportations accusent une forte baisse en raison de la faiblesse de la production.»1267
9.6. La RDC considère que l’Ouganda est dans l’obligation de l’indemniser pour cette perturbation économique car, conformément aux articles sur la responsabilité de l’Etat de la CDI, tout Etat responsable d’un fait internationalement illicite est tenu de «réparer intégralement le préjudice causé» par ledit fait1268. La RDC estime que, puisque cette perturbation économique n’aurait pas eu lieu sans l’intervention de l’Ouganda, celui-ci doit la réparer.
9.7. La demande de la RDC au titre d’un préjudice macroéconomique ne saurait prospérer parce que les demandes de cette sorte ont été rejetées de manière uniforme et constante dans la pratique et dans la jurisprudence. A cet égard, il est révélateur que, dans son mémoire, la RDC ne cite pas un seul exemple où le recul des performances macroéconomiques d’un Etat a été considéré en droit international comme un chef de dommage susceptible d’indemnisation.
9.8. Pas même dans le cadre du traité de Versailles, il n’a été tenté d’imposer à l’Allemagne la responsabilité financière de la perturbation économique générale qui avait accompagné la première guerre mondiale. Alors que les dommages réels aux biens et aux personnes ont été chiffrés pour calculer le montant des réparations dues par l’Allemagne, la perturbation économique générale qui est survenue en corollaire de la guerre n’a pas été évaluée1269. De même, après la deuxième guerre mondiale, aucun des régimes de réparation conventionnels ou unilatéraux imposés aux puissances de l’Axe n’incluait l’obligation de compenser ne serait-ce qu‘une infime partie des conséquences macroéconomiques considérables de la guerre.
9.9. Les deux guerres mondiales ont eu des effets profonds et durables sur les économies des nations victorieuses. Il va donc sans dire que les puissances victorieuses n’ont pas estimé approprié, ni même possible d’imputer aux Etats vaincus la responsabilité de leurs pertes macroéconomiques.
9.10. La pratique des tribunaux arbitraux et des commissions d’indemnisation va dans le même sens. Même lorsque les conséquences macroéconomiques des guerres étaient plus limitées que celles des deux premières guerres mondiales, les demandes d’indemnisation relatives au préjudice macroéconomique ont toujours été rejetées.
9.11. A la suite de la création de la CINU après la guerre entre l’Iraq et le Koweït en 1990 et 1991, le Conseil d’administration de cette commission a expressément exclu, en raison de l’absence de lien de causalité suffisamment direct, toutes les demandes relatives aux pertes dues à l’embargo imposé par le Conseil de sécurité de l’ONU ou, plus généralement, aux pertes
1267 MRDC, par. 6.07 et 6.09.
1268 MRDC, par. 6.03, citant les articles sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 31, par. 1 (les italiques sont dans l’original).
1269 P. d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public, op. cit., p. 88.
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«imputables au chaos économique résultant de l’invasion et de l’occupation illicite du Koweït par l’Iraq»1270.
9.12. De même, la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie n’a pas hésité à écarter les demandes d’indemnisation présentées par les deux Etats au titre de dommages macroéconomiques qui auraient résulté d’une «perturbation générale de l’économie civile en temps de guerre»1271 ou d’une «dégradation généralisée de la conjoncture économique»1272. Elle a estimé que la responsabilité internationale d’un Etat ne s’étendait pas «à l’ensemble des pertes et perturbations découlant d’un conflit international»1273, au motif qu’«[une] violation du jus ad bellum ... ne cré[ait] pas de responsabilité à raison de tous les faits intervenant postérieurement»1274 et que le jus in bello «n’englob[ait] pas la protection de l’économie au sens large»1275.
9.13. La commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a en outre observé qu’«[a]ucun système de responsabilité juridique ne p[ouvait] couvrir l’ensemble des conséquences économiques de la guerre»1276. Le droit international n’impose pas l’obligation de verser une indemnité au titre des «conséquences économiques et sociales généralisées de la guerre»1277. Après avoir examiné la jurisprudence internationale en la matière, la commission a relevé qu’aucun tribunal international n’avait jamais «jugé qu’une situation généralisée de perturbation et de déclin économiques liés à la guerre constitu[ait] un chef de dommages indemnisable, pas même dans le cas de certains types de préjudices présentant un lien relativement étroit avec un comportement illicite»1278.
9.14. La jurisprudence plus ancienne confirme la justesse de la décision de la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, selon laquelle les conséquences économiques généralisées de la guerre n’ouvrent pas droit à indemnisation. Par exemple, un certain nombre de demandes présentées au nom de ressortissants américains devant la commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne faisaient valoir que «en substance, ... en vertu de l’article 231 du traité de Versailles [], l’Allemagne est «responsable de l’ensemble des dommages ou pertes
1270 Conseil de sécurité, conseil d’administration de la CINU, huitième session, Indemnisation des pertes industrielles ou commerciales résultant de l’invasion et de l’occupation illicite du Koweït par l’Iraq lorsque l’embargo sur le commerce et les mesures connexes ont également joué comme cause, décision prise par le conseil d’administration de la CINU à sa 31e séance le 18 décembre 1992 à Genève, doc. S/AC.26/1992/15 en date du 4 janv. 1993, par. 5, annexe 4. Voir aussi ibid., par. 3 et 9. Conseil de sécurité, Décision 9 adoptée par le conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies à la reprise de sa quatrième session (23e séance, tenue le 6 mars 1992), doc. S/AC.26/1992/9 en date du 6 mars 1992, par. 6, annexe 3.
1271 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 395.
1272 Eritreas’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 207.
1273 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 289.
1274 Ibid.
1275 Eritreas’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 207.
1276 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 395.
1277 Ibid., par. 286 et 395.
1278 Ibid., par. 286. Eritreas’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 207 ; Alabama Claims, Protocol V, Record of the proceedings of the Tribunal of Arbitration at the fifth conference held at Geneva, in Switzerland, on the 19th of June, 1872, réimprimé dans J. C. Bancroft Davis, Report of the Agent of the United States Before the Tribunal of Arbitration at Geneva (1873), p. 545 ; Commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne, Administrative Decision No. II, sentence, 1er nov. 1923, RSA, vol. VII, p. 23 et 28 (La commission créée par les Etats-Unis d’Amérique et l’Allemagne après la première guerre mondiale a rejeté les demandes visant à ce que l’Allemagne soit déclarée responsable «de l’ensemble des dommages ou pertes consécutifs à la guerre»).
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subis en conséquence de la guerre, quels que soient les actes ayant causé immédiatement le préjudice ou quels qu’en soient les auteurs»»1279. La commission a été catégorique :
«[C]et argument [est] rejeté. ... Lorsque le dommage est éloigné, dans l’enchaînement des causes, de l’acte incriminé, il n’appartient pas au tribunal de chercher à démêler un écheveau de causes et d’effets ou pour suivre, à travers un labyrinthe de pensées confuses, divers enchaînements connexes et collatéraux, dans le but d’établir un lien entre l’Allemagne et un dommage particulier. ... Pareil argument, développé jusqu’à sa conclusion logique, attribuerait à l’Allemagne la responsabilité de l’augmentation du coût de la vie, des impôts sur le revenu et les bénéfices, des tarifs ferroviaires et du fret ferroviaire et maritime, ainsi que des pertes subies dans le cadre de la révolution russe bref, de tous les coûts ou conséquences de la guerre, directs ou éloignés, dans la mesure où ces coûts ou pertes sont supportés par des ressortissants américains. … [I]l s’ensuivrait que l’Allemagne serait responsable de toutes les pertes de quelconque nature, même si la cause en est tout à fait étrangère à la guerre, subies par des ressortissants américains, où que ce soit et de quelque manière que ce soit, depuis le 31 juillet 1914. La simple mention de ces extrémités où nous entraîne l’interprétation qui nous est proposée en démontre le caractère irrationnel.»1280
9.15. C’est pour ces mêmes raisons précisément que la demande d’indemnisation de la RDC à raison d’un préjudice macroéconomique allégué doit être rejetée en droit. L’Ouganda n’est pas dans l’obligation de verser une indemnité à ce titre, quel qu’en soit le montant.
II. LE PRÉJUDICE MACROÉCONOMIQUE RELÈVE DE LA SPÉCULATION ET LE LIEN DE CAUSALITÉ EST TROP TÉNU
9.16. Ainsi qu’il ressort de la décision de la commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne citée ci-dessus, si le préjudice macroéconomique n’ouvre pas droit à indemnisation en droit international, c’est essentiellement parce qu’il relève, par nature, de la spéculation et que le lien de causalité entre la violation du jus ad bellum et le dommage n’est «pas suffisamment direct»1281 et «trop ténu»1282.
9.17. Le caractère spéculatif de la demande au titre d’un préjudice macroéconomique, telle qu’elle est présentée par la RDC, est évident. Selon ses propres termes, la RDC se fonde sur «la probabilité d[’une] corrélation» entre «six variables»1283 à partir desquelles est établi un «modèle»1284, qui est «esti[mé] … au moyen de deux méthodes statistiques (la méthode des moindres carrés ordinaires (MCO) et la méthode du moment généralisé (GMM)) qui permettent
1279 Commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne, Administrative Decision No. II, sentence, 1er nov. 1923, RSA, vol. VII , p. 28.
1280 Ibid., p. 28 à 30.
1281 Voir Conseil de sécurité, conseil d’administration de la CINU, huitième session, Indemnisation des pertes industrielles ou commerciales résultant de l’invasion et de l’occupation illicite du Koweït par l’Iraq lorsque l’embargo sur le commerce et les mesures connexes ont également joué comme cause, décision prise par le conseil d’administration de la CINU à sa 31e séance le 18 décembre 1992 à Genève, doc. S/AC.26/1992/15 en date du 4 janvier 1993, par. 3, 9, annexe 4.
1282 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 402.
1283 MRDC, par. 6.21.
1284 MRDC, par. 6.22.
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d’évaluer les coefficients du modèle sous la forme des élasticités en vue de mesurer la sensibilité de la croissance économique par suite de la variation d’une des variables exogènes du modèle»1285.
9.18. L’Ouganda fait respectueusement valoir qu’une demande en réparation ne saurait être justifiée au moyen de probabilités, variables, méthodes statistiques et autres formules énigmatiques. Pour qu’un dommage donne droit à indemnisation, son existence doit être dûment établie et prouvée, et non pas inférée de statistiques et de probabilités.
9.19. La Cour ne manquera pas de remarquer que, dans son mémoire, la RDC dit très vaguement, du préjudice macroéconomique qu’elle allègue, qu’il a été «causé par la guerre de 1998 à 2003»1286, sans s’y attarder. Ce lien de causalité très général et non établi ne saurait suffire pour satisfaire aux prescriptions juridiques pertinentes. La RDC l’admet d’ailleurs, lorsqu’elle indique, au paragraphe 6.20, que les différentes variables sur lesquelles elle se fonde «n’éta[blissent] ni ne prou[vent] la causalité entre un tel impact [économique] et le conflit lui-même»1287, précisant que c’est la raison pour laquelle «l’analyse de la corrélation est complétée par l’étude économétrique proprement dite»1288. Or, cette «étude économétrique» n’offre pas davantage de fondement juridique un tant soit peu solide qui satisfasse à la condition du lien de causalité.
9.20. Ainsi qu’il a été rappelé au chapitre 4, l’obligation de réparation découlant des règles sur la responsabilité internationale des Etats porte uniquement sur «le préjudice résultant du fait internationalement illicite et imputable à [un] Etat», et exclut «toutes les conséquences de ce fait»1289. Dans la demande qu’elle présente au titre de dommages macroéconomiques, la RDC n’établit pas de lien de causalité entre des faits illicites imputables à l’Ouganda et le préjudice qu’elle invoque.
III. LE PRÉJUDICE MACROÉCONOMIQUE NE CONSTITUE PAS UN MANQUE À GAGNER (LUCRUM CESSANS)
9.21. La RDC soutient que le préjudice macroéconomique qu’elle aurait subi ouvre droit à réparation au motif qu’il «constitue un manque à gagner» équivalent à un lucrum cessans1290. De fait, c’est là le seul fondement juridique qu’elle avance (quoique fort brièvement) pour justifier sa demande au titre d’un préjudice macroéconomique.
9.22. Les efforts mis en oeuvre par la RDC pour fonder sa demande relative au préjudice macroéconomique sur le principe du lucrum cessans procèdent d’un amalgame grossier entre différentes notions. Le concept du lucrum cessans ou de «manque à gagner», au sens du paragraphe 2 de l’article 36 du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat, n’englobe pas et ne saurait englober le préjudice macroéconomique que la RDC invoque. De fait, celui-ci est inconciliable avec la notion même de manque à gagner.
1285 MRDC, par. 6.22.
1286 Ibid., par. 6.11.
1287 Ibid., par. 6.20.
1288 Ibid.
1289 Articles sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 31, par. 9 (les italiques sont de nous).
1290 MRDC, par. 6.03-6.04.
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9.23. Dans son commentaire du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat, la CDI indique clairement que le manque à gagner doit se rapporter à des biens productifs de revenus ayant subi un dommage et dont il était légitime d’attendre des revenus avec un certain degré de certitude1291. Autrement dit, le droit international impose que les biens n’ayant pas produit les revenus escomptés aient été spécifiquement conçus à cet effet, et qu’ils aient été lésés par le fait illicite en question (damnum emergens).
9.24. L’économie d’une nation ne constitue pas un bien de cette sorte. Si les Etats aspirent certes à la croissance économique, cet objectif n’est jamais garanti et dépend de nombreux facteurs. En outre, la plupart des les nombreux éléments qui constituent collectivement la richesse d’un pays ne sont pas de nature à générer en soi des revenus, et n’expriment cette richesse que pris dans leur ensemble.
9.25. Dans son mémoire, la RDC est incapable de désigner un seul bien conçu pour générer des revenus qui aurait subi des dommages causés par l’intervention de l’Ouganda. Elle est d’autant plus incapable d’établir avec un quelconque degré de certitude le manque à gagner qui en aurait résulté.
9.26. L’amalgame de notions sur lequel est fondée l’allégation de préjudice macroéconomique de la RDC ressort également du fait que celle-ci réclame des intérêts compensatoires (au taux de 6 %, et commençant à courir le 28 septembre 2016) sur la somme demandée1292. Or, la CDI a souligné que,
«[s]i des indemnités pour manque à gagner [étaient] allouées, il n’[était] pas indiqué d’octroyer des intérêts (en vertu de l’article 38) sur les capitaux productifs de profits pendant la même période, tout simplement parce que le capital ne [pouvait] produire simultanément des intérêts et des profits. L’objectif premier est d’éviter une double indemnisation tout en assurant une réparation intégrale.»1293
9.27. En appliquant des intérêts compensatoires sur la somme qu’elle réclame au titre de son préjudice macroéconomique allégué, la RDC va donc à l’encontre de sa propre argumentation et de son propre raisonnement, et révèle le caractère fallacieux de sa tentative d’assimilation de ce préjudice à un lucrum cessans.
IV. LA DEMANDE PRÉSENTÉE PAR LA RDC AU TITRE D’UN PRÉJUDICE MACROÉCONOMIQUE EST INCOMPATIBLE AVEC L’ARRÊT DE 2005
9.28. Nous avons déjà rappelé que, conformément au paragraphe 260 de l’arrêt de 2005, la RDC doit à présent «démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable»1294. Autrement dit, les demandes congolaises doivent toutes satisfaire à trois conditions cumulatives : 1) elles doivent concerner un «préjudice exact» dont la réalité est dûment établie ; 2) ce préjudice doit résulter d’«actions spécifiques» de l’Ouganda ; et 3) ces actions doivent constituer des violations du droit international dûment constatées par la Cour et dont
1291 Articles sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 36, par. 27 à 34.
1292 MRDC, par. 7.61, 7.62 et 7.89 b).
1293 Articles sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 36, par. 33 (les italiques sont de nous).
1294 Activités armées (2005), par. 260 (les italiques sont de nous).
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l’Ouganda a été jugé responsable. La demande présentée par la RDC au titre d’un préjudice macroéconomique ne remplit aucune de ces trois conditions :
premièrement, elle ne satisfait pas à l’exigence relative au «préjudice exact», car elle a trait à une multiplicité de facteurs économiques que la RDC elle-même décrit comme étant constitutifs d’un préjudice «plus généra[l]» ;
deuxièmement, elle ne tient pas compte de l’obligation de démontrer que le préjudice allégué est le «fait» d’«actions spécifiques» de l’Ouganda, puisqu’elle ne mentionne aucune action précise dont cet Etat serait responsable au regard du droit international et qui pourrait avoir causé pareil préjudice macroéconomique général, et ne démontre pas non plus qu’existe le lien de causalité requis ; et
troisièmement, elle repose expressément sur l’existence d’une prétendue «guerre d’agression» dont la Cour n’a jamais considéré l’Ouganda comme responsable.
A. La demande au titre d’un préjudice macroéconomique ne satisfait pas à l’exigence de l’arrêt de 2005 relative au «préjudice exact»
9.29. Le chapitre 6 du mémoire de la RDC commence par la phrase suivante : «Au-delà des préjudices spécifiques qui ont été décrits dans les chapitres précédents, l’invasion de la RDC par l’Ouganda a aussi causé des préjudices plus généraux.»1295
9.30. La RDC affirme donc elle-même que sa demande d’ordre macroéconomique a trait à des «préjudices plus généraux» plutôt qu’à des préjudices «spécifiques», de sorte que, de son propre aveu, elle est incapable de faire état d’un quelconque «préjudice» spécifique ou «exact» au sens du paragraphe 260 de l’arrêt de 2005.
9.31 La RDC elle-même écrit que sa demande d’ordre macroéconomique concerne une multiplicité de facteurs économiques : un «ralentissement ..., voire un arrêt, de l’activité économique, en plus de la destruction du tissu économique»1296, ainsi que l’effet que la guerre aurait eu sur
«le produit intérieur brut (PIB), la production dans tous les secteurs de la vie économique nationale, la balance des paiements courants (en raison de la variation de la balance commerciale, des décaissements liés aux paiements des importations d’armes et d’équipements militaires), le niveau de tourisme et des services, l’endettement, les réserves monétaires, les finances publiques et l’investissement brut.»1297
9.32. En d’autres termes, la RDC admet que le préjudice macroéconomique qui lui aurait été causé se rapporte à un large éventail d’aspects touchant à la vie économique d’une nation ; il s’agirait d’un déclin de tous les secteurs de l’économie. Ce qui, en soi, est le contraire de ce que la RDC doit démontrer, en en apportant la preuve, à savoir un «préjudice exact», qu’elle aurait subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites.
1295 MRDC, par. 6.01.
1296 Ibid., par. 6.02.
1297 Ibid., par. 6.06.
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9.33. Pour satisfaire à l’exigence relative au «préjudice exact» énoncée par la Cour, la RDC aurait dû prouver et quantifier l’effet négatif d’actions illicites spécifiques de l’Ouganda sur chacun des facteurs économiques qu’elle cite : le PIB, la production dans chaque secteur donné, la balance commerciale, le tourisme, les services, l’endettement, etc. — à supposer, bien entendu, que ces éléments puissent constituer un intérêt dûment protégé au regard du droit international (quod non). Or, la RDC ne fait rien de tel dans son mémoire. Au lieu de cela, elle pratique un amalgame entre tous ces éléments, qu’elle réunit dans sa demande sous un seul chef de dommage global intitulé «préjudice macroéconomique», sans démontrer que chacun des différents éléments constitutifs de celui-ci est dûment protégé par le droit international.
9.34. En outre, la RDC affirme que
«les effets des conflits armés … se perpétuent dans le temps, quand bien même les év[é]nements qui les ont causés disparaissent. C’est ce qu’on appelle des «effets d’hystérèse des conflits armés», qui comprennent par exemple les troubles post-traumatiques et psychiques, les lésions corporelles permanentes, les impacts des balles et obus, les personnes déplacées, refugiées et victimes des viols, les enfants enrôlés de force dans les groupes armés, etc.»1298
9.35. Autrement dit, lorsque, dans son mémoire, elle tente effectivement d’ajouter des éléments précis à sa demande d’ordre macroéconomique, la RDC ne fait que révéler que ce chef de dommage en englobe d’autres qui sont également invoqués ailleurs (c’est-à-dire les préjudices corporels, les viols, les déplacements de population, les enfants-soldats, etc.). En réalité, elle réclame donc une double réparation au titre de certains éléments des dommages qu’elle fait valoir dans d’autres parties de son mémoire sous couvert d’un préjudice macroéconomique qui, en tant que tel, n’est pas susceptible d’indemnisation en droit international.
B. La demande de la RDC au titre d’un préjudice macroéconomique ne tient pas compte de l’exigence selon laquelle ce préjudice doit être «le fait» d’«actions spécifiques» de l’Ouganda
9.36. Nulle part dans son mémoire la RDC ne fait état d’«actions spécifiques» de l’Ouganda considérées comme illicites dans l’arrêt de 2005 qui auraient causé, individuellement ou cumulativement, le préjudice macroéconomique qu’elle allègue. Elle ne satisfait donc pas non plus à la deuxième condition énoncée dans cet arrêt. Au lieu de cela, comme il sera démontré dans la sous-section C qui suit, la RDC fonde sa demande au titre d’un préjudice macroéconomique sur un prétendu fait internationalement illicite dont la Cour n’a jamais jugé l’Ouganda responsable.
9.37. Au surplus, la demande d’ordre macroéconomique de la RDC ne répond absolument pas à l’exigence relative à la cause immédiate, décrite en détail au chapitre 4 du présent contre-mémoire. Comme nous l’avons vu plus haut, c’est d’ailleurs précisément en raison de l’absence du lien de causalité requis que, à ce jour, toutes les demandes analogues à celle de la RDC ont été rejetées1299.
1298 MRDC, par. 6.27.
1299 Voir chap. 4, sect. II B).
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C. La demande de la RDC au titre d’un préjudice macroéconomique suppose que l’Ouganda soit responsable d’une «guerre d’agression», ce qu’il n’est pas
9.38. Lorsqu’elle expose, dans son mémoire, sa demande relative à un «préjudice macroéconomique», la RDC se réfère à maintes reprises à une prétendue «guerre d’agression»1300 qu’aurait menée l’Ouganda et dont celui-ci aurait été jugé responsable dans l’arrêt de 2005. Nul doute que la RDC emploie ces grands mots pour convaincre la Cour que sa demande d’ordre macroéconomique d’un montant exorbitant est justifiée. C’est aussi sur cette supposée «guerre d’agression» qu’elle fonde expressément sa demande. Voici ce qu’elle écrit dans son mémoire :
«Les effets d’une agression armée ne se limitent pas seulement au champ de bataille. Un recours à la force de grande ampleur, comme celui dont a été victime la RDC entre 1998 et 2003 de la part de l’Ouganda, provoque en même temps un ralentissement considérable, voire un arrêt, de l’activité économique, en plus de la destruction du tissu économique. Au cours d’une guerre d’agression, nombre des unités de production qui soutiennent l’économie et la croissance d’un Etat, sont mises à l’arrêt. Lorsque l’agresseur se met à piller et à détruire les unités de production, lorsque la population — facteur important de production — se trouve obligée de quitter son milieu de vie, il est évident que le circuit économique d’un Etat va connaître de très sérieuses désorganisations1301.
Le préjudice macro-économique qui en résulte constitue un manque à gagner qui appelle réparation1302.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C’est pourquoi[] l’analyse de la corrélation est complétée par l’étude économétrique proprement dite, pour évaluer l’impact sur l’économie congolaise de la guerre d’agression menée par l’Ouganda. Le manque à gagner enregistré par l’économie congolaise peut ainsi être calculé.»1303
9.39. Si elle a bien qualifié l’«intervention militaire illicite de l’Ouganda» de «violation grave» du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies1304, la Cour n’a toutefois jamais jugé que cet Etat eût mené une «guerre d’agression» contre la RDC. Elle s’est en effet clairement abstenue de conclure à une «agression», tant dans son raisonnement que dans le dispositif. Dans l’arrêt de 2005, la Cour a pris acte du fait que les demandes de la RDC dirigées contre l’Ouganda étaient «liées à ce qu[e cette dernière] appel[ait] une agression»1305. Mais elle n’a pas retenu la qualification congolaise et n’a employé nulle part le mot «agression» pour dépeindre le comportement ougandais.
9.40. L’emploi que fait la RDC de l’expression «guerre d’agression» au chapitre 6 de son mémoire est par conséquent injustifié et incompatible avec l’arrêt de 2005. L’Ouganda estime qu’il va également à l’encontre de l’avertissement que la Cour avait adressé aux deux Parties en 2005, à savoir «que, dans la phase de la procédure consacrée à la réparation, ni l’une ni l’autre … ne
1300 MRDC, par. 6.02, 6.20, 6.24 et 6.31. Voir également par. 7.78 («L’Ouganda a délibérément mené une guerre d’agression contre [l’]un de ses voisins.»).
1301 MRDC, par. 6.02 (les italiques sont de nous).
1302 MRDC, par. 6.03 (les italiques sont de nous).
1303 Ibid., par. 6.20 (les italiques sont de nous).
1304 Activités armées (2005), par. 165.
1305 Ibid., par. 54.
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pourra[it] remettre en cause les conclusions du[dit] arrêt qui ser[aie]nt passées en force de chose jugée»1306.
9.41. En tout état de cause, ce qui importe ici, c’est le fait que la RDC lie expressément sa demande d’ordre macroéconomique à une «guerre d’agression» inexistante, et non à une quelconque «action spécifique» de l’Ouganda. La Cour devrait donc rejeter cette demande au motif que, en plus de toutes ses autres failles examinées plus haut, elle repose sur un moyen de droit incompatible avec l’arrêt de 2005.
V. LA DEMANDE DE LA RDC AU TITRE D’UN PRÉJUDICE MACROÉCONOMIQUE PRÉSENTE EN TOUT ÉTAT DE CAUSE DES FAILLES SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE
9.42. Même si l’on faisait abstraction de l’absence de fondement juridique, la demande d’ordre macroéconomique de la RDC serait vouée à l’échec pour la raison supplémentaire que la méthode suivie est irrémédiablement viciée.
9.43. La demande de la RDC relative à un préjudice macroéconomique s’appuie sur une étude réalisée par Justin Okana N’siawi Lebun, professeur d’économie à l’Université de Kinshasa, et Gastonfils Lonzo Lubu, doctorant à la même université. Cette étude quant à elle puise largement dans les écrits de sir Paul Collier et Mme Anke Hoeffler, deux professeurs de l’Université d’Oxford qui ont publié plusieurs études sur les conséquences économiques et le coût des guerres civiles. La RDC reconnaît s’être inspirée de ces deux derniers auteurs dans le texte de son mémoire :
«[L]’analyse économétrique [effectuée par la RDC] a été basée sur le modèle de P. Collier et [d’]A. Hoeffler. Ces deux économistes de la Banque Mondiale sont spécialisés dans la modélisation des impacts de la guerre sur la performance des économies affectées.»1307
9.44. L’Ouganda a demandé à sir Paul Collier et à Mme Hoeffler d’évaluer comment les experts de la RDC avaient utilisé et appliqué leurs recherches. Les intéressés ont accepté et établi un bref rapport exposant leurs vues, joint en tant qu’annexe 109 du présent contre-mémoire. Comme la Cour pourra le constater, ils rejettent catégoriquement et à tous égards l’analyse des experts congolais.
9.45. Sir Paul Collier et Mme Hoeffler commencent par évaluer sommairement le rapport d’experts soumis par la RDC, précisant qu’il
«constitue une application erronée de [leur] méthode, que le concept sur lequel se fondent les auteurs dans leur estimation est bancal et que leur analyse technique est incorrecte. Par conséquent, … les résultats et conclusions qu’ils proposent doivent être écartés.»1308
1306 Activités armées (2005), par. 260, citant Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (fond, 1986).
1307 MRDC, par. 6.13.
1308 Université d’Oxford, Sir P. Collier et A. Hoeffler, «Evaluation de l’impact de la présence militaire ougandaise en République démocratique du Congo» (20 oct. 2017) (ci-après le «rapport Collier et Hoeffler»), p. 1, annexe 109.
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9.46. Sir Paul Collier et Mme Hoeffler expliquent ensuite en détail leurs critiques, qui portent essentiellement sur la manière dont MM. Lebun et Lubu ont construit l’hypothèse sous-tendant leur analyse. Voici ce qu’ils écrivent :
«Cette analyse est profondément viciée. Nous nous pencherons plus avant sur certains des vices techniques dans la section suivante, mais le défaut général est plus fondamental. Pour être précis, [les auteurs] calculent les pertes sur la base d’une hypothétique croissance positive du PIB à compter de 1998 (Lebun et Lubu, graphique 2, p. 20). Etant donné que l’économie congolaise a connu un déclin quasiment ininterrompu au cours des 3 décennies qui ont précédé 1998, aucune méthode fondée sur des séries temporelles ne permettrait d’émettre de manière plausible une telle hypothèse. De fait, il aurait été plus probable, sur la base de quelque série temporelle que ce soit, de prévoir que ce déclin poursuivrait son cours, et c’est d’ailleurs bien ce qui s’est produit lors des trois années suivantes.
En 2001, l’économie a connu un début de reprise. MM. Lebun et Lubu (2016 : 18) reconnaissent ce redressement, mais ne l’expliquent pas. Sa cause la plus probable est le soudain enchérissement des matières premières au niveau mondial, ou supercycle des matières premières, que MM. Lebun et Lubu ne prennent pas correctement en considération.»1309
9.47. Selon sir Paul Collier et Mme Hoeffler,
«Le point de départ de l’analyse de Lebun et Lubu (2016) est une présentation des données utilisées et un modèle théorique. Comme souvent dans la littérature, ils mettent ensuite ce modèle à l’épreuve de l’analyse statistique.»1310.
Cependant, «[l]’un des problèmes fondamentaux relevés dans la mise en oeuvre de cette méthode expérimentale est qu’ils ne testent pas réellement le modèle précis qu’ils établissent», ce défaut étant explicité comme suit :
«Les auteurs partent d’un modèle standard de croissance de Solow, qui a été utilisé dans des études à large effectif pour examiner la croissance des pays africains (Hoeffler 2002). Toutefois, ils optent ensuite pour une augmentation non standardisée du modèle sans autre forme d’explication (p. 8). Ils procèdent alors à des estimations en entrant dans ce modèle élargi des données de la RDC. Ils appliquent en premier lieu une méthode des moindres carrés ordinaire, qui n’est pas adaptée à ce type de séries temporelles, principalement parce que les termes d’erreur sont autocorrélés et que la non-prise en compte de cette corrélation induit des estimations biaisées. Ils n’expliquent pas ce problème propre à la méthode des moindres carrés ordinaire, mais présentent en revanche des estimations fondées sur un estimateur de la méthode des moments généralisée. Ils justifient le recours à cette méthode en invoquant le fait qu’elle «permet d’évaluer le coefficient du modèle sous forme d’élasticités». C’est factuellement incorrect. La transformation logarithmique du modèle permet l’interprétation des coefficients comme des élasticités. La technique d’estimation par la méthode des moments généralisée est utilisée dans les régressions de croissance afin de rendre compte des effets pays non observés et de régler les problèmes d’endogénéité. La méthode des moments généralisée n’est pas non plus une méthode d’ajustement des séries temporelles et on voit mal comment les auteurs peuvent appliquer cette méthode d’estimation des données de panel en prenant pour données d’entrée des données issues d’un seul pays. Les auteurs passent ensuite aux tests
1309 Rapport Collier et Hoeffler, p. 5.
1310 Ibid., p. 6.
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paramétriques et non paramétriques de validation (p. 10). Cette partie est particulièrement difficile à suivre et, vu que l’estimation par la méthode des moments généralisée ne peut produire ici des résultats sensés, nous nous abstiendrons de commenter plus avant ces tentatives de validation. Les coefficients de cette analyse très peu convaincante sont ensuite utilisés pour calculer les dommages à la page 18. Vu le caractère non concluant des estimations précédentes, nous n’avons aucune confiance dans ces calculs avancés.»1311
9.48. Sir Paul Collier et Mme Hoeffler relèvent encore d’autres lacunes méthodologiques :
MM. Lebun et Lubu «utilisent des méthodes d’estimation pensées pour des échantillons à effectif large, mais les appliquent à des données issues d’un seul pays, la RDC», ce qui est problématique parce que «les données africaines sont généralement de mauvaise qualité (Jerven 2013) et que nombre des points de données sont en soi des estimations». En conséquence, «la qualité des données devrait faire l’objet d’un examen, or elle n’est pas abordée»1312 ;
«face à certains passages décrivant les méthodes employées, le lecteur a bien du mal à comprendre le cheminement suivi par les auteurs, dont les recherches consultées sont par ailleurs mal référencées.» Sir Paul Collier et Mme Hoeffler sont «conscients que les chercheurs africains n’ont souvent qu’un accès restreint aux publications récentes, mais les travaux cités par les auteurs sont bien établis dans la littérature et sont désormais disponibles auprès de sources libres. Ils citent d’anciens documents de travail au lieu des versions publiées dans des revues scientifiques, laissant supposer qu’ils n’ont pas vérifié si les recherches citées avaient été publiées dans des revues à comité de lecture.»1313
9.49. Après avoir rappelé le déclin spectaculaire et constant que l’économie congolaise a connu depuis les premières années du régime Mobutu — le revenu national par habitant était de 972 dollars des Etats-Unis en 1965 (exprimé en dollars constants de 2010)1314, de 333 en 1997 et de 271 en 2001 —, suivi de la reprise progressive due à la «hausse sans précédent des matières premières non pétrolières au niveau mondial»1315, sir Paul Collier et Mme Hoeffler
«formul[ent] l’hypothèse d’un scénario inverse, dans lequel, si l’Ouganda n’avait pas été présent militairement sans autorisation de 1998 à 2001, ce déclin se serait poursuivi à son rythme à long terme antérieur, jusqu’à ce que le supercycle mondial des matières premières, qui a débuté en 2001, commence à tirer l’économie du pays vers le haut. L’évolution de l’économie selon ce scénario évident est représentée par la ligne descendante en pointillés. Cette hypothèse ne fait apparaître aucun coût
1311 Rapport Collier et Hoeffler, p. 7 (les italiques sont de nous).
1312 Ibid., p. 6 (les italiques sont de nous).
1313 Ibid., p. 7 (les italiques sont de nous).
1314 La Cour ne manquera pas de relever que, alors que sir Paul Collier et Mme Hoeffler font état de statistiques tirées des indicateurs du développement dans le monde qu’ils expriment en dollars des Etats-Unis constants de 2010, la RDC, calcule quant à elle ses différents montants en faisant référence à plusieurs moyennes annuelles entre 1960 et 2008 (notamment au paragraphe 6.18 de son mémoire), mais sans indiquer l’année de référence retenue pour exprimer chacun des montants en dollars. Or, la valeur du dollar n’est pas la même en 1980 et dix ou vingt ans plus tard. Il est tout simplement stupéfiant que la RDC ne précise nulle part, dans son mémoire, quelle année de référence elle retient lorsqu’elle présente des montants libellés en dollars.
1315 Rapport Collier et Hoeffler, p. 5-6, annexe 109.
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économique qui serait associé à l’intervention militaire. Le PIB effectif est toujours supérieur au PIB théorique.»1316
9.50. Globalement, sir Paul Collier et Mme Hoeffler concluent que «les estimations de MM. Lebun et Lubu (2016) sont entachées de lacunes méthodologiques si graves que l’on ne saurait les prendre au sérieux et qu’il convient de les écarter»1317.
9.51. Outre les lacunes méthodologiques que sir Paul Collier et Mme Hoeffler ont mises en évidence dans le rapport de MM. Lebun et Lubu, la Cour notera que la demande d’ordre macroéconomique de la RDC est expressément fondée sur des hypothèses factuelles qui ne reflètent nullement les réalités de l’économie congolaise, fût-ce en temps de paix. Selon le mémoire congolais,
«[e]n période de paix, les entreprises du pays écoulent librement leurs productions sur l’ensemble du territoire selon la disponibilité des débouchés. En l’absence de guerre, il se développe des économies d’énergie[] ainsi que des économies d’échelle[], tandis que sont explorés et exploités des débouchés entre firmes, favorisant ainsi le commerce interbranches et le commerce intra-branches. La circulation des personnes, des biens et des services s’opère sans entraves et l’argent circule, sous forme de flux financiers, à travers tout le territoire national et au sein de l’ensemble de l’économie du pays.»1318
9.52. Jamais la situation en RDC, que ce soit avant, pendant ou après le conflit, ne s’est approchée de cette description idéale d’une économie en temps de paix. Le vaste territoire congolais est constitué de forêts impénétrables et, comme il a été rappelé au chapitre 2, le réseau routier et l’infrastructure de transport y ont toujours été sous-développés. Le commerce entre les régions est limité par des obstacles naturels, les distances considérables et le manque d’infrastructure1319. De plus, la corruption à tous les niveaux de l’Etat1320 accroît artificiellement le coût des transactions, freine les investissements et porte gravement atteinte à l’économie.
9.53. En résumé, pour faire valoir ses dommages macroéconomiques allégués, la RDC s’appuie sur une fiction qui ne correspond pas à ses réalités économiques.
*
9.54. Pour toutes les raisons qui précèdent, l’Ouganda soutient respectueusement que la demande d’ordre macroéconomique de la RDC devrait être rejetée dans son intégralité.
1316 Rapport Collier et Hoeffler, p. 6.
1317 Ibid., p. 8.
1318 MRDC, par. 6.08.
1319 Pour un compte rendu historique du développement lent et difficile de l’infrastructure de transport en RDC, voir notamment D. Van Reybrouck, Congo: Une histoire (2015), annexe 89.
1320 Voir M. Chêne, Transparency International, «U4 Expert Answer: Overview of corruption and anti-corruption in the Democratic Republic of Congo (DRC)» (8 oct. 2010).
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CHAPITRE 10 LA RDC NE SAURAIT PRÉTENDRE AUX AUTRES RÉPARATIONS QU’ELLE SOLLICITE
10.1. En sus de l’indemnisation qu’elle réclame à raison des dommages causés aux personnes (dont il a été question aux chapitres 5 et 6 du présent contre-mémoire), aux biens (chapitre 7) et aux ressources naturelles (chapitre 8), ainsi qu’à raison d’un préjudice macroéconomique (chapitre 9), la RDC prie la Cour de lui adjuger également des intérêts moratoires et certaines formes supplémentaires de réparation. Plus précisément, elle demande :
1) «des intérêts compensatoires … à concurrence de 6 %, et ce à partir de la date du dépôt d[e son] mémoire» ;
2) «la somme de 125 millions de dollars des Etats-Unis au titre de mesure de satisfaction pour l’ensemble des dommages immatériels résultant des violations du droit international constatées par la Cour dans son arrêt du 19 décembre 2005» ;
3) «au titre de mesures de satisfaction, … [la] m[ise] en oeuvre des enquêtes et des poursuites pénales à l’encontre des officiers et des soldats de[s] UPDF impliqués dans les violations du droit international humanitaire ou des normes internationales de protection des droits de la personne commises en territoire congolais entre 1998 et 2003» ;
4) «en cas de non-paiement de l’indemnité octroyée par la Cour à la date du jugement, des intérêts moratoires … sur la somme principale au taux que la Cour jugera approprié de fixer» ;
5) «[le] dédommage[ment de] la RDC, pour l’ensemble des frais de justice exposés par cette dernière dans le cadre de la présente affaire.»1321
10.2. L’Ouganda ne voit pas d’objection à ce que la Cour rende une ordonnance concernant les intérêts moratoires. Les autres demandes en réparation que formule la RDC sont toutefois mal inspirées, injustifiées et juridiquement indéfendables ; elles devraient donc être rejetées. La Cour devrait considérer que les conclusions qu’elle a énoncées au stade du fond constituent une satisfaction appropriée pour les faits internationalement illicites commis par l’Ouganda.
I. LA RDC NE PEUT PRÉTENDRE QU’À DES INTÉRÊTS SIMPLES CALCULÉS À COMPTER DE LA DATE DE L’ARRÊT PRESCRIVANT LE VERSEMENT D’UNE INDEMNISATION
10.3. La RDC réclame deux types d’intérêts différents. Premièrement, dans l’hypothèse où ne seraient pas payées les indemnités que la Cour pourrait adjuger dans son arrêt en la présente phase des réparations, la RDC sollicite des intérêts simples, au taux que la Cour jugera approprié.
10.4. Si la Cour devait lui ordonner d’indemniser la RDC, l’Ouganda admet qu’elle pourrait également lui ordonner de payer, en cas de défaut de versement des indemnités dans un délai raisonnable, des intérêts en sus, courant à partir de la date de l’arrêt et jusqu’au versement1322. Ordonner le paiement de tels «intérêts moratoires» serait cohérent avec la jurisprudence de la Cour,
1321 MRDC, par. 7.89 b)–f).
1322 En l’affaire Diallo, la Cour a décidé dans son arrêt du 19 juin 2012 que la somme accordée devait être acquittée le 31 août de cette même année (soit environ 60 jours ouvrables plus tard) et que, «en cas de non-paiement à la date indiquée, des intérêts courr[aie]nt sur la somme principale due …, à compter du 1er septembre 2012, au taux annuel de 6 pour cent». Ahmadou Sadio Diallo (2012), point 5 du dispositif.
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ainsi qu’avec les règles de procédure d’autres cours et tribunaux internationaux applicables aux instances entre Etats.
10.5. Par ailleurs, l’Ouganda soutient que ce qui constitue un «délai raisonnable» pour le versement d’une quelconque indemnité doit être fonction du montant de celle-ci ; plus la somme est importante, plus long sera le temps nécessaire à l’obtention et au transfert des fonds.
10.6. S’agissant du taux d’intérêt annuel, la RDC s’en remet, dans son mémoire, au jugement de la Cour, laissant entendre que les «intérêts moratoires courront sur la somme principale au taux que la Cour jugera approprié de fixer»1323. L’Ouganda reconnaît à cet égard que la Cour dispose d’une marge d’appréciation. Toutefois, au vu des conditions prévalant actuellement sur le marché, il la prie de fixer un taux ne dépassant pas 3 %1324.
10.7. Deuxièmement, la RDC sollicite également des intérêts simples à un taux annuel de 6 % sur toute indemnisation que pourrait ordonner la Cour, lesquels seraient calculés pour la période comprise entre la date de dépôt de son mémoire sur la question des réparations (28 septembre 2016) et la date de l’arrêt de la Cour. A la différence de la première demande, ordonner des «intérêts compensatoires», dans les circonstances de l’espèce, ne serait pas conforme à la jurisprudence de la Cour ni aux règles de droit international applicables à l’indemnisation interétatique. Pareils intérêts ne devraient donc pas figurer dans un quelconque arrêt.
10.8. La RDC tente de justifier cet aspect de sa demande d’intérêts de la manière suivante :
«Une période de temps considérable se sera écoulée entre le moment où ces dommages sont survenus, le moment où ils ont été évalués, le moment où la présente demande est formulée, et enfin celui où les victimes seront effectivement indemnisées. Cet écoulement du temps entraîne forcément une dépréciation des sommes en cause, en raison entre autres de l’inflation (même si celle-ci a connu un ralentissement notable en RDC au cours des dernières années). L’octroi d’intérêts compensatoires sur les sommes dues par l’Ouganda à titre de mesures d’indemnisation constitue la manière la plus efficace de remédier à cette perte de valeur.»1325
10.9. La RDC ajoute également que, pour garantir une indemnisation intégrale, «les intérêts doivent commencer à courir au moment de la commission du fait internationalement illicite. C’est en effet dès ce moment-là que s’ouvre le droit à réparation des victimes de ces faits»1326.
10.10. Pourtant, dans ses conclusions finales, la RDC ne fournit pas d’évaluation des dommages à la date où ceux-ci sont survenus, évaluation à laquelle s’ajouterait un montant supplémentaire d’intérêts compensatoires courant à partir de cette date et jusqu’à aujourd’hui. Elle soumet en revanche une évaluation du préjudice qu’elle a subi «à la date du dépôt du présent mémoire» dans la phase actuelle, sollicitant en sus 6 % d’intérêts calculés «à partir de» cette
1323 MRDC, par. 7.89 e).
1324 Par exemple, le taux interbancaire offert à Londres (LIBOR) — le taux d’intérêt de base utilisé pour les prêts entre banques sur le marché interbancaire de Londres, également utilisé comme référence pour fixer le taux d’intérêt des autres prêts — est actuellement inférieur à 2 %.
1325 MRDC, par. 7.56 (les italiques sont de nous).
1326 Ibid., par. 7.58 (les italiques sont de nous). Voir aussi ibid., par. 7.60 (où la RDC maintient «sa position de principe selon laquelle les intérêts doivent commencer à courir à compter du fait illicite») (les italiques sont de nous).
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date1327. Il y a donc une incohérence entre la raison affichée par la RDC pour solliciter l’octroi d’intérêts et la demande d’intérêts qu’elle présente à la Cour.
10.11. Cette incohérence s’explique par le fait que la RDC n’a pas, de son propre aveu, tenté de chiffrer le préjudice allégué à la date à laquelle celui-ci serait survenu. Le demandeur reconnaît au paragraphe 7.59 de son mémoire que la méthode qu’il a appliquée pour évaluer les dommages allégués ne fait aucun cas de la date à laquelle ceux-ci se seraient produits. Les sommes réclamées pour les préjudices corporels, par exemple, sont fixées dans les jugements rendus par les tribunaux nationaux congolais entre 2009 et 2015. Des «feuilles de calcul», censées attester les dommages aux biens, ont été établies des années après l’arrêt rendu par la Cour en 2005. L’évaluation des dommages aux ressources naturelles repose sur des éléments survenus «entre la décision [de 2005] de la Cour et une époque récente». Le «dommage macroéconomique a quant à lui été évalué» en 20051328. Par conséquent, la RDC ne saurait réclamer des intérêts sur le montant estimé du préjudice à compter de la date à laquelle serait survenu celui-ci et jusqu’à ce jour, puisque toutes les évaluations qu’elle a fournies (ainsi que les éléments de preuve sur lesquels elles reposent) sont largement postérieures à la date à laquelle le préjudice aurait été causé.
10.12. En conséquence, la RDC a dû revoir sa façon de faire. Tout comme elle considère qu’elle aurait été en droit de chiffrer les dommages à compter de la date à laquelle ceux-ci se sont produits, la RDC estime qu’elle peut, comme solution de rechange, demander des intérêts compensatoires à partir de toute date ultérieure à laquelle elle a déterminé le montant du préjudice1329. Ses évaluations reposant sur des informations postérieures à la survenue du préjudice, mais antérieures au dépôt de son mémoire, elle semble considérer qu’elle peut demander des intérêts à partir de la date de dépôt de cette pièce, puisque c’est à cette date qu’elle a évalué le montant correspondant à l’ensemble des dommages allégués.
10.13. La RDC n’invoque aucun précédent à l’appui de sa demande d’intérêts compensatoires courant à partir de la date de dépôt d’une pièce de procédure et jusqu’à la date de la décision de la juridiction saisie, que ce soit en droit international ou national. Ce seul fait permet assurément de conclure que l’approche suivie par la RDC est erronée.
10.14. Les failles du postulat de la RDC sont encore plus problématiques. Les règles applicables à l’indemnisation entre Etats ne prévoient pas d’octroyer des intérêts compensatoires sur la simple base des réclamations du demandeur ou du fait qu’il y a eu préjudice à un moment donné. Ces intérêts s’appliquent seulement lorsque la Cour détermine qu’une somme fixée était due au demandeur à une certaine date échue, ce qui nécessite alors le versement d’intérêts compensatoires supplémentaires afin de garantir une réparation intégrale au moment du règlement définitif du différend. Or tel n’est pas le cas en l’espèce.
10.15. Dans sa toute première affaire, qui concernait le Vapeur Wimbledon, la Cour permanente de Justice internationale a affirmé ce qui suit :
«Quant aux taux des intérêts, la Cour trouve acceptable dans la situation financière actuelle du monde, en tenant compte des conditions admises pour les emprunts publics, les 6 % demandés ; ces intérêts, cependant, doivent courir non pas à
1327 MRDC, par. 7.89 b) (les italiques sont de nous).
1328 Ibid., par. 7.59.
1329 Ibid.
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compter du jour de l’arrivée du Wimbledon à l’entrée du Canal de Kiel, suivant la réclamation des demandeurs, mais bien de la date du présent arrêt, c’est-à-dire du moment où le montant de la somme due a été fixé et l’obligation de payer établie.»1330
10.16. La Cour n’avait alors pas considéré que le calcul des intérêts courait à compter de la date du préjudice ou de la date à laquelle les trois Etats demandeurs lui avaient soumis leurs écritures. Elle avait en revanche jugé que les intérêts devaient courir à partir de la date de son propre arrêt, une fois fixé le montant de la réparation due par l’Allemagne et l’obligation de celle-ci établie.
10.17. A la lumière de précédents tels que l’affaire du Vapeur Wimbledon, l’article 38 du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, intitulé «Intérêts», se lit comme suit :
«1. Des intérêts sur toute somme principale due en vertu du présent chapitre [concernant la «[r]éparation du préjudice»] sont payables dans la mesure nécessaire pour assurer la réparation intégrale. Le taux d’intérêt et le mode de calcul sont fixés de façon à atteindre ce résultat.
2. Les intérêts courent à compter de la date à laquelle la somme principale aurait dû être versée jusqu’au jour où l’obligation de payer est exécutée.»1331
10.18. L’idée que les intérêts courent «à compter de la date à laquelle la somme principale aurait dû être versée» renvoie généralement à la date à laquelle une juridiction internationale évalue définitivement la somme due. Dans certains cas, la date à laquelle «la somme principale aurait dû être versée» peut être antérieure à la décision si cette somme «est déterminée avant la date du règlement, de l’arrêt ou de la sentence relatifs à la réclamation et dans la mesure qui est nécessaire pour assurer la réparation intégrale»1332. Le cas où un Etat a envers un autre Etat une dette déterminée qui doit être réglée à une date précise en constitue le principal exemple. Le fait qu’il ne s’acquitte pas de sa dette en temps voulu peut donner lieu à des intérêts compensatoires (également conçus comme des «dommages-intérêts moratoires» dus pour retard au paiement de la dette) qui seront calculés à partir de la date à laquelle la somme était due.
10.19. Pourtant, même dans ce cas, les tribunaux internationaux s’abstiennent souvent de se fonder sur la date à laquelle la dette était due pour calculer les intérêts. Dans l’affaire de l’Indemnité russe, citée en exemple par la CDI1333 (et à laquelle la RDC fait référence dans son mémoire1334), le tribunal a noté ce qui suit :
«D’assez nombreuses sentences arbitrales internationales ont admis, même lorsqu’il s’agissait de dommages-intérêts moratoires, qu’il n’y avait pas lieu de les faire courir toujours dès la date du fait dommageable (Etats-Unis contre Venezuela, Orinoco, sentence de La Haye du 25 octobre 1910, protocoles, p. 59 ; Etats-Unis contre Chili, 15 mai 1863, sentence de S.M. le Roi des Belges Leopold I, La Fontaine,
1330 Vapeur Wimbledon, arrêt, 1923, C.P.J.I. série A no 1, p. 32 (les italiques sont de nous). Voir également l’affaire Georges Pinson c. Etats-Unis mexicains (France/Mexique), sentence du 19 octobre 1928, RSA, vol. V, p. 452-453, par. 71.
1331 Articles sur la responsabilité de l’Etat, p. 115.
1332 Articles sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 38, par. 2.
1333 Ibid., p. 117, note 619.
1334 MRDC, par. 7.60.
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Pasicrisie, p. 36, colonne 2, et p. 37, colonne 1 ; Allemagne contre Venezuela, Arrangement du 7 mai 1903, Ralston and Doyle, Venezuelan Arbitrations, Washington, 1904, p. 520 à 523 ; Etats-Unis contre Venezuela, 5 décembre 1885, Moore, Digest of International Arbitrations, p. 3545 et p. 3567, vol. 4, etc.).»1335
10.20. En pareils cas, la date souvent utilisée comme point de départ pour le calcul des intérêts est plutôt celle de la réception de la demande de remboursement de la dette. Le tribunal a ainsi poursuivi comme suit : «en principe, le Gouvernement Impérial Ottoman était tenu, vis-à-vis du Gouvernement Impérial de Russie, à des indemnités moratoires à partir du 31 décembre 1890/12 janvier 1891, date de la réception d’une mise en demeure explicite et régulière»1336.
10.21. En tout état de cause, ces éléments n’existent manifestement pas en l’espèce. Rien ne permet de soutenir qu’une somme due à titre de réparation par l’Ouganda à la RDC a été «fixée» à une date spécifique antérieure (comme la date du mémoire de la RDC), ni qu’une obligation de s’acquitter de pareille somme a été «établie» à cette date.
10.22. La notion de somme «déterminée» ne renvoie pas simplement à un quelconque montant réclamé par un Etat demandeur, mais fait référence à une somme formellement due par un Etat à un autre Etat, comme dans le cas du remboursement d’une dette ou lorsqu’un contrat prévoit une clause pénale. Cela n’a rien de comparable avec les réclamations visant des millions de dollars des Etats-Unis (ci-après «dollars») de réparation que la RDC présente dans son mémoire. En conséquence, rien ne permet d’octroyer des intérêts compensatoires calculés à compter de la date du dépôt du mémoire de la RDC.
10.23. En outre, la demande de la RDC visant pareils intérêts compensatoires pose d’autres problèmes. Premièrement, si l’on fixe le point de départ du calcul des intérêts compensatoires à la date où le demandeur dépose son mémoire, la réparation est alors liée dans le temps à un point arbitraire du processus de règlement d’un différend entre Etats1337. Cela exigerait de la Cour qu’elle évalue la réparation en tentant de revenir en arrière afin de reconstituer la situation qui prévalait au moment où la pièce a été déposée.
10.24. Deuxièmement, la demande de la RDC est inappropriée en raison de la nature des réparations qu’elle demande. De manière générale, elle cherche à obtenir réparation sur la base des valeurs attribuées à ce jour, tant s’agissant du préjudice physique subi par les personnes que des dommages causés aux biens. La demande de la RDC ne tend pas davantage à ce que la Cour détermine la valeur des préjudices allégués en septembre 2016 qu’en septembre 2010 ou en septembre 2018. Pourtant, comme le fait observer la CDI dans son commentaire, «les intérêts peuvent ne pas être accordés lorsque le préjudice est fixé en valeur courante à la date de la sentence»1338. Si la Cour accorde réparation sur la base d’une estimation généralisée à la date d’aujourd’hui, elle n’est pas fondée à y ajouter des intérêts compensatoires.
1335 Affaire de l’Indemnité russe (Russie, Turquie), 11 novembre 1912, RSA, vol. XI, p. 442-443 (les italiques sont de nous).
1336 Ibid., p. 446.
1337 Dès 1875, dans l’affaire du Montijo, le tribunal arbitral nota que «la question rest[ait] ouverte de savoir si les intérêts d[evaient] courir durant les négociations diplomatiques, qui [avaient] souvent tendance à traîner en longueur». La Fontaine, Pasicrisie Internationale (1794-1900) : Stemae Montijo (Colombia v. USA), sentence arbitrale (26 juillet 1875), [p. 220] / Colombie-Etats-Unis, Affaire du Montijo, 26 juillet 1875, Recueil des arbitrages internationaux, tome III (1954), Paris, Les Editions internationales, p. 679.
1338 Articles sur la responsabilité de l’Etat, p. 115, note 602.
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10.25. En outre, comme cela est démontré aux chapitres 5 à 9 du présent contre-mémoire, les demandes de réparation de la RDC sont tellement dissociées du préjudice réel qu’il est possible de considérer qu’elle cherche au fond à obtenir une somme forfaitaire, une stratégie qui ne justifie pas non plus le versement d’intérêts compensatoires supplémentaires.
10.26. Les tribunaux internationaux ont exclu les intérêts compensatoires lorsque le préjudice était évalué à la date de la sentence ou de l’arrêt. Dans l’Affaire relative à la concession des phares de l’Empire ottoman, le tribunal arbitral s’est exprimé ainsi :
«Si le Tribunal avait adopté la méthode de fixer les montants des dettes, à l’époque de leur naissance, dans les monnaies d’origine et de faire retomber ensuite l’effet des dévaluations de ces monnaies sur les parties, il y aurait eu lieu de les faire bénéficier également de l’intérêt. Si, au contraire, le Tribunal était parti de l’idée que la Société, en cas de paiement immédiat de ses créances, aurait investi les sommes ainsi perçues en or pour se protéger contre tout risque de dévaluation, l’allocation d’intérêts aurait été illogique.
Dans le système d’indemnisation que le Tribunal a fini par adopter, il n’y a pas non plus lieu d’allouer des intérêts en sus des sommes en capital accordées. En effet, l’idée fondamentale de ce système consiste précisément à fixer dans une monnaie présente la valeur réelle que les créances avaient dans le passé en leur monnaie d’origine. En exprimant la valeur réelle d’autrefois aussi exactement que possible dans la monnaie d’aujourd’hui, le Tribunal fait délibérément abstraction de toutes les vicissitudes des monnaies d’origine. Il a, pour ainsi dire, jeté un pont à travers toute la période mouvementée des années écoulées et s’est placé consciemment dans le présent. Dans ces conditions, la justice aussi bien que la logique commandent de ne pas allouer en plus d’intérêts couvrant le passé»1339.
10.27. A l’appui de sa demande, la RDC mentionne deux sentences arbitrales en matière d’investissement qui concernaient un préjudice économique ; pour aboutir au montant total dû aux investisseurs privés, les tribunaux arbitraux ont déterminé le montant de la perte économique à la date du préjudice, puis calculé le montant des intérêts sur ladite somme à compter de cette date jusqu’à la date de la sentence1340. Ces sentences n’étayent manifestement pas une demande visant à obtenir des intérêts calculés à compter de la date du dépôt d’une pièce de procédure dans laquelle le demandeur donne une estimation de sa prétention. En outre, il s’agissait d’affaires présentées devant des tribunaux ad hoc constitués sous les auspices du CIRDI et chargés de régler des différends entre des Etats, d’une part, et des investisseurs privés, d’autre part. Comme telles, elles présentent une pertinence limitée dans le contexte d’un différend entre Etats soumis à une juridiction internationale. Le point le plus important est que ces cas ne font que confirmer la règle de base, à savoir que ce n’est que si le tribunal détermine qu’une somme fixée était due au demandeur à une certaine date échue qu’il y a lieu d’accorder des intérêts compensatoires supplémentaires de manière à garantir une réparation intégrale au moment du règlement définitif du différend.
1339 Affaire relative à la concession des phares de l’Empire ottoman (Grèce, France), Nations Unies, RSA, vol. XII (24/27 juillet 1956), p. 252-253. Voir également P. d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public, op. cit., p. 710-711.
1340 Voir la note 671 du mémoire de la RDC : «Voir. par exemple les affaires Metalclad Corporation v. United Mexican States, Affaire CIRDI n°ARB(AF)/97/1, 30 août 2000, par. 128 ou Venezuela Holdings B.V and others v. Bolivarian Republic of Venezuela, Affaire CIRDI no ARB/07/27, Sentence, 9 octobre 2014, par. 397.»
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10.28. Troisièmement, la RDC cherche à obtenir des intérêts compensatoires pour des préjudices subis par des personnes physiques. Or, selon une jurisprudence bien établie, «[a]ucun intérêt ne saurait être accordé en tant que tel s’agissant de demandes portant sur des préjudices subis uniquement par des personnes physiques et n’impliquant ni la saisie de biens ni des dommages qui leur auraient été causés»1341. La commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne a clairement expliqué ce qui suit :
«Il n’y a rien qui justifie l’allocation de dommages à raison de pertes d’intérêts lorsque la perte n’a pas été liquidée, ni lorsqu’on ne peut mathématiquement déterminer le montant de celle-ci. Dans les réclamations relevant de cette catégorie, on n’accordera pas d’indemnités pour les pertes d’intérêts. Mais lorsque le montant de la perte aura été fixé par la Commission, l’allocation portera intérêt à partir de la date où la décision aura été rendue. A cette classe appartiennent les réclamations visant des pertes résultant de blessures, de la mort, des mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre, ou d’actes portant atteinte à la santé, à la capacité de travail ou à l’honneur.»1342
10.29. En résumé, dans les circonstances de la présente espèce, la RDC n’aurait droit à des intérêts que si la Cour rendait un arrêt prescrivant à l’Ouganda de lui verser une somme déterminée à titre de réparation et que celui-ci manquait de s’acquitter de cette obligation dans un délai raisonnable. Dans ce cas de figure, la RDC aurait droit à l’indemnisation ainsi fixée et à des intérêts simples calculés sur cette somme à compter de la date de l’arrêt de la Cour jusqu’à la date du règlement effectif des sommes dues. Comme il a déjà été dit, l’Ouganda soutient respectueusement que, dans la conjoncture économique mondiale actuelle, le taux annuel de tels intérêts ne devrait pas dépasser 3 %.
II. LA RDC NE PEUT PRÉTENDRE À LA SATISFACTION QU’ELLE RÉCLAME EN SUS
10.30. La RDC soutient que, quel que soit le montant de l’indemnisation qui pourrait lui être adjugée par la Cour, «ce mode de réparation ne suffira pas à remédier à l’ampleur des dégâts et des souffrances qui ont résulté de la violation par l’Ouganda de ses obligations internationales»1343. En conséquence, elle réclame une réparation supplémentaire sous forme de satisfaction. A cet effet, elle invoque l’article 37 des articles sur la responsabilité de l’Etat1344, qui se lit comme suit :
«Satisfaction
1. L’Etat responsable d’un fait internationalement illicite est tenu de donner satisfaction pour le préjudice causé par ce fait dans la mesure où il ne peut pas être réparé par la restitution ou l’indemnisation.
2. La satisfaction peut consister en une reconnaissance de la violation, une expression de regrets, des excuses formelles ou toute autre modalité appropriée.
1341 Commission mixte des réclamations Allemagne/Venezuela, sentence de l’arbitre H. M. Duffield, dans les affaires Christern & Co., Becker & Co., Max Fischbach, Richard Friedericy, Otto Kummerow, et A. Daumen contre le Venezuela, Nations Unies, RSA, vol. X (1903), p. 366 (les italiques sont dans l’original).
1342 Commission mixte des réclamations Etats-Unis/Allemagne, Décisions administratives et opinions de caractère général et opinions rendues dans les réclamations individuelles du «Lusitania» publiées par J.C. Witenberg, Décision administrative no III, tome I, Les Presses universitaires de France, Paris, 1926, p. 69.
1343 MRDC, par. 7.65.
1344 Ibid.
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3. La satisfaction ne doit pas être hors de proportion avec le préjudice et ne peut pas prendre une forme humiliante pour l’Etat responsable.»1345
10.31. La RDC demande à la Cour d’indiquer des mesures de satisfaction de deux ordres. Premièrement, elle voudrait qu’il soit ordonné à l’Ouganda d’entamer, à ce «titre…, la mise en oeuvre d’enquêtes et de poursuites pénales à l’encontre des officiers et des soldats de[s] UPDF impliqués dans les faits en cause»1346.
10.32. Deuxièmement, elle prie la Cour de prescrire à l’Ouganda le versement «de 125 millions de dollars … au titre de mesure de satisfaction pour l’ensemble des dommages immatériels résultant des violations du droit international constatées par la Cour dans son arrêt du 19 décembre 2005»1347. Ce chiffre colossal est la somme de deux montants : 1) 25 millions de dollars «pour permettre la création d’un fonds visant à favoriser la réconciliation entre les Hema et les Lendu»1348 ; et 2) 100 millions de dollars, «au titre de mesure de satisfaction, pour les dommages immatériels subis par l’Etat et la population congolais…»1349.
10.33. Ces demandes sont, l’une comme l’autre, mal inspirées, injustifiées et juridiquement indéfendables et, partant, elles doivent être rejetées. La CDI a fait observer qu’«[u]ne des formes de satisfaction les plus fréquentes pour dommage moral ou immatériel [était] la déclaration d’illicéité faite par une cour ou un tribunal compétent»1350. De fait, nombreux sont les cas dans lesquels les cours ou tribunaux ont considéré que la déclaration d’illicéité constituait une mesure de satisfaction appropriée, y compris alors que l’emploi de la force était en jeu1351. L’Ouganda soutient respectueusement que la Cour doit adopter la même approche en la présente espèce.
A. Satisfaction sous forme d’une obligation de conduire des enquêtes et de mener des poursuites pénales à l’encontre d’officiers et de soldats des UPDF
10.34. A l’appui de sa demande tendant à ce que, à titre de satisfaction, il soit prescrit à l’Ouganda de procéder à des enquêtes et à des poursuites pénales à l’encontre d’officiers et de soldats des UPDF, la RDC écrit que,
«à la suite des massacres survenus à Bunia en janvier 2001, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en RDC a … demandé au Gouvernement ougandais et au FLC d[’enquêter sur l’incident et de traduire en justice les responsables]»1352.
Affirmant ne disposer «d’aucun document ou information qui attesterait que des enquêtes pénales auraient été diligentées»1353, la RDC soutient que «la mise en oeuvre de telles poursuites apparaît
1345 Articles sur la responsabilité de l’Etat.
1346 MRDC, par. 7.71.
1347 Ibid., par. 7.89.
1348 Ibid., par. 7.75.
1349 Ibid., par. 7.83.
1350 Articles sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 37, par. 6.
1351 Voir, par exemple, les affaires du Carthage et du Manouba, sentences du 6 mai 1913 (France c. Italie), RSA, vol. XI, p. 449 et suiv., p. 460-461, et p. 463 et suiv., p. 475, respectivement ; Détroit de Corfou (fond, 1949), p. 35.
1352 MRDC, par. 7.68 (le passage complet se lit ainsi : «[A] la suite des massacres survenus à Bunia en janvier 2001, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en RDC a… demandé au Gouvernement ougandais et au FLC de «lancer des enquêtes sur l’incident susmentionné afin d’identifier les responsables et de les traduire en justice»»).
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comme un élément majeur de la réparation [qui lui serait] due … pour ces faits, à titre de mesure de satisfaction»1354.
10.35. Cette demande pèche à divers égards, dont chacun justifie à lui seul de l’écarter. Premièrement, il n’a pas été versé au dossier soumis à la Cour, que ce soit dans la phase du fond ou au présent stade, le moindre élément factuel établissant qu’aucun officier ni soldat des UPDF n’a été l’objet d’une enquête, de sanctions disciplinaires ou de poursuites en rapport avec les événements qui se seraient déroulés à Bunia en janvier 2001. La Cour ne dispose dès lors d’aucun élément de preuve lui permettant de conclure que de telles mesures d’enquête ou de poursuites ont, ou au contraire n’ont pas, été prises.
10.36. Deuxièmement, si aucun moyen factuel n’a été versé au dossier soumis à la Cour, c’est parce que la RDC n’a jamais allégué, au stade du fond, que l’Ouganda a manqué de prendre de telles mesures et moins encore qu’il a manqué de ce faire dans le cas de tel ou tel soldat ou officier des UPDF en particulier. Ainsi, la RDC n’a jamais évoqué au stade du fond la «demande» du rapporteur spécial, qui n’est du reste pas juridiquement contraignante. La demande de satisfaction de la RDC ne renvoie donc directement à aucun constat spécifique de responsabilité découlant du comportement de soldats ou d’officiers particuliers. Or, la Cour ne peut ici juger que l’Ouganda est tenu d’engager des enquêtes ou des poursuites sans s’être prononcée, au stade du fond, sur le comportement d’individus précis.
10.37. Troisièmement, au regard des deux points précédents, il est clair que la demande de la RDC représente en réalité une nouvelle mise en cause de la responsabilité de l’Ouganda, qui n’avait pas été formulée dans la phase du fond, et partant, n’est pas recevable au stade actuel. En substance, la RDC prie à présent la Cour de juger que l’Ouganda a violé le droit international en n’engageant pas d’enquêtes ou de poursuites contre des officiers ou soldats des UPDF, une demande qu’elle aurait pu former — ce qu’elle n’a pas fait — au stade du fond. Eût-elle soumis une telle demande, et fût-elle parvenue à démontrer que l’Ouganda s’est abstenu de prendre de telles mesures à l’encontre d’individus donnés et a, de ce fait, violé le droit international, alors, peut-être, la réparation de cette violation pourrait prendre la forme d’une obligation mise à la charge de l’Ouganda de soumettre lesdits individus à des enquêtes et poursuites. Mais la RDC a brûlé toutes ces étapes. Sa demande a beau être présentée en termes de demande de réparation d’un certain ordre, l’absence de prédicat factuel ou juridique formulé au stade du fond justifiant d’accorder la «satisfaction» sollicitée montre qu’il s’agit en réalité d’une nouvelle demande qui ne dit pas son nom, et dont la Cour ne peut connaître à ce stade tardif.
10.38. Après avoir mentionné la requête du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en RDC, et déploré que rien n’atteste que la moindre mesure ait été entreprise «à ce jour», la RDC affirme qu’«il est manifeste que [les autorités ougandaises] sont tenues de diligenter semblables poursuites en vertu du droit international»1355. Cette déclaration vaut aveu que sa demande vise en réalité à faire constater que, en manquant à son obligation de poursuite, l’Ouganda a violé le droit international, et non simplement à obtenir une forme spécifique de réparation. Dans sa demande, la RDC passe outre à la distinction entre, d’une part, les règles primaires, dont la
1353 MRDC, par. 7.69.
1354 Ibid., par. 7.70.
1355 Ibid., par. 7.69 (les italiques sont de nous).
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violation engage la responsabilité internationale d’un Etat1356 et, d’autre part, les règles secondaires, qui couvrent les conséquences découlant de l’engagement de cette responsabilité1357. En alléguant que l’Ouganda n’a pas diligenté d’enquêtes ou de poursuites alors que ses autorités y étaient tenues en vertu du droit international, la RDC se réfère (mais trop tardivement) à une règle primaire, et non à une question de réparation.
B. Satisfaction sous forme d’une obligation de paiement de 125 millions de dollars au titre de dommages immatériels
10.39. Dans le cadre de sa seconde demande de satisfaction, la RDC prie la Cour de prescrire à l’Ouganda de lui verser 125 millions de dollars à raison de «dommages immatériels». Plus précisément, la RDC réclame «la somme de 125 millions de dollars … au titre de mesure de satisfaction pour l’ensemble des dommages immatériels résultant des violations du droit international constatées par la Cour dans son arrêt du 19 décembre 2005»1358.
10.40. Cette demande soulève un problème liminaire, en ce qu’elle met en cause un type de dommage déjà visé par les autres demandes de la RDC, et que, partant, la décision d’y faire droit entraînerait une double indemnisation. Ainsi, elle inclut notamment, sous le chef de «dommages immatériels», les «violations du droit international humanitaire ou des normes internationales de protection des droits de la personne commises sur le territoire de l’Ituri», la somme réclamée devant permettre la création d’un fonds «visant à favoriser la réconciliation entre les Hema et les Lendu»1359. Elle renvoie également, sous ce même chef, aux «dommages immatériels subis par … la population congolaise»1360. Or, sa demande au titre de tels «dommages immatériels» (qui sont du reste à distinguer du préjudice immatériel subi par la RDC elle-même1361) ne diffère en rien d’une demande d’indemnisation au titre du préjudice moral subi par les personnes. Le préjudice moral causé aux ressortissants congolais est déjà couvert par les demandes d’indemnisation de la RDC, qui met en avant ce chef pour différentes catégories de dommages1362.
1356 Certains traités imposent à un Etat l’obligation de poursuivre les auteurs présumés d’une infraction se trouvant sur son territoire, obligation à laquelle il peut parfois se soustraire en extradant l’intéressé, ou en le remettant à un tribunal international. Pour un point récent sur l’obligation «d’extrader ou de poursuivre», voir les articles sur la responsabilité de l’Etat («L’obligation d’extrader ou de poursuivre (aut dedere aut judicare)»). Les demandes présentées par la RDC au stade du fond ne renvoyaient, cependant, à aucune obligation de cette nature.
1357 Articles sur la responsabilité de l’Etat, commentaire général, par. 1.
1358 MRDC, par. 7.89 c).
1359 Ibid., par. 7.75.
1360 Ibid., par. 7.83.
1361 G. Arangio-Ruiz, «Deuxième rapport sur la responsabilité de l’Etat», in Annuaire de la Commission du droit international, vol. II, première partie, doc. no A/CN.4/425 & Corr.1 et Add.1 & Corr. 1 (1989), [p. 5], par. 13. Voir aussi J. Crawford, «Troisième rapport sur la responsabilité des Etats», in Annuaire de la Commission du droit international, vol. II, première partie, doc. A/CN.4/507 et Add.1-4 (2000), [p. 58], par. 180.
1362 MRDC, par. 7.11 («La dimension de préjudice moral est, quant à elle, particulièrement importante dans les cas auxquels il vient d’être fait référence, au vu des conditions souvent atroces dans lesquelles les massacres des populations civiles ont été perpétrés.») ; ibid., par. 7.16 («On peut retenir au titre du préjudice moral le traumatisme résultant des atrocités commises, l’angoisse que les faits se reproduisent, les souffrances résultant des difficultés d’accès aux soins, la détresse résultant de l’absence d’intervention des autorités en place et de l’absence de poursuite des auteurs des faits, la dégradation permanente de la qualité de la vie des victimes de mutilations, de même que l’atteinte irrémédiable à leur image et à leur estime de soi.») ; ibid., par. 7.26 («Le préjudice moral résulte quant à lui des traumatismes résultant de l’arrachement de ces enfants à leur famille et de leur exposition à divers mauvais traitements ainsi qu’aux violences de la guerre.») ; ibid., par. 7.30 («Le préjudice moral consiste quant à lui dans le traumatisme résultant pour les déplacés des atrocités commises contre les autres membres de leur groupe, de l’angoisse que des faits du même ordre se reproduisent, ainsi que de la détresse résultant de l’absence d’intervention des autorités en place et de l’absence de poursuite des auteurs des faits.»).
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10.41. Il convient également de noter que, si la satisfaction peut, au regard des règles relatives à la responsabilité de l’Etat, prendre la forme du versement d’une somme d’argent, dans la pratique, il n’a jamais été octroyé, à ce titre, de montant autre que purement symbolique. Dans l’affaire Arends, par exemple, le versement d’un montant de 100 dollars a été ordonné à titre de satisfaction1363, ce montant s’élevant, en l’affaire Brower, à un shilling1364. Qui plus est, même les exemples de montants symboliques alloués à titre de mesure de satisfaction sont extrêmement rares, tout particulièrement dans la pratique récente. Dans son troisième rapport sur la responsabilité des Etats, le professeur Crawford écrivait ainsi : «S’il existe quelques exemples d’octroi de dommages-intérêts symboliques par des tribunaux internationaux, ceux-ci sont rares dans la pratique récente»1365 et
«[i]l ne semble pas y avoir eu d’exemple d’octroi de dommages-intérêts symboliques par un tribunal international dans une affaire interétatique depuis l’attribution à la France de 1 franc français dans l’affaire relative à la Concession des Phares de l’Empire ottoman (France c. Grèce)»1366.
Le constat reste identique même lorsque la violation du droit international en cause est une violation du jus ad bellum1367.
10.42. Outre ces observations générales, il existe une autre raison de rejeter la demande de satisfaction tendant à imposer à l’Ouganda le versement de 25 millions de dollars «pour permettre la création d’un fonds visant à favoriser la réconciliation entre les Hema et les Lendu»1368. Pour dire les choses simplement, imposer une mesure de satisfaction de cette nature serait totalement inédit en droit international1369.
10.43. Le seul précédent que cite la RDC à l’appui de sa demande de création d’un tel fonds est l’affaire du Rainbow Warrior. Or, dans cette dernière, la création d’un fonds n’a pas été ordonnée, mais simplement recommandée par le tribunal1370. En outre, cette recommandation ne relevait pas de la réparation décidée par le tribunal. Le tribunal a d’abord traité celle-ci en déclarant
1363 Voir, par exemple, commission mixte des réclamations Pays-Bas/Venezuela, surarbitre Plumley, Arends Case (Netherlands v. Venezuela), RSA, vol. 10, p. 729 (1903), p. 729-730. Plus généralement, G. Arangio-Ruiz, «Deuxième rapport sur la responsabilité de l’Etat», in Annuaire de la Commission du droit international, vol. II, première partie, doc. no A/CN.4/425 & Corr.1 et Add.1 & Corr. 1 (1989), voir la note 1361, [p. 37-38], par. 114-118.
1364 Arbitral Tribunal (Great Britain – United States) constituted under the Special Agreement of August 18, 1910, Isaac M. Brower (United States) v. Great Britain (Fijian Land Claims), RSA, vol. 6, p. 109 (14 novembre 1923), p. 112.
1365 J. Crawford, «Troisième rapport sur la responsabilité des Etats», 15 mars, 15 juin, 10 et 18 juillet et 4 août 2000, in Annuaire de la Commission du droit international, vol. II, première partie, [p. 59-60], par. 188.
1366 Ibid., note 375 ; Affaire relative à la concession des phares de l’Empire ottoman (Grèce, France), RSA, vol. XII, p. 155 (24-27 juillet 1956) (numéro de vente : 63.V.3), p. 216. L’affaire du Rainbow Warrior, qui est un cas à part, ne constitue pas un précédent convaincant, puisque le principe de l’octroi d’une satisfaction sous forme pécuniaire avait été admis par la France, et que le tribunal devait simplement en fixer le montant : il a décidé de diviser par deux la différence entre le montant proposé par la France et celui réclamé par la Nouvelle-Zélande (Affaire concernant les problèmes nés entre la Nouvelle-Zélande et la France relatifs à l’interprétation ou à l’application de deux accords conclus le 9 juillet 1986, lesquels concernaient les problèmes découlant de l’affaire du Rainbow Warrior, sentence du 30 avril 1990, reproduite dans Revue générale de droit international public, vol. 94, 1990, p. 838-878).
1367 P. d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public, op. cit., note 1339, p. 718.
1368 MRDC, par. 7.75.
1369 P. d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public, op. cit., p. 719-720.
1370 Affaire concernant les problèmes nés entre la Nouvelle-Zélande et la France relatifs à l’interprétation ou à l’application de deux accords conclus le 9 juillet 1986, lesquels concernaient les problèmes découlant de l’affaire du Rainbow Warrior, sentence du 30 avril 1990, Revue générale de droit international public, vol. 94 [p. 87-877], par. 126-127.
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que «la condamnation de la République française à raison des violations de ses obligations envers la Nouvelle-Zélande, rendue publique par la décision du Tribunal, constitu[ait] … une satisfaction appropriée pour les dommages légaux et moraux causés à la Nouvelle-Zélande»1371. Ce n’est qu’après cette déclaration qu’il a émis sa recommandation.
10.44. Prescrire une mesure du type de celle demandée par la RDC excéderait la fonction de la Cour en tant qu’instance judiciaire accordant des réparations conformément aux règles régissant la responsabilité des Etats. Une telle mesure participerait de l’exercice d’un pouvoir ex aequo et bono ou relèverait d’une forme de dommages-intérêts punitifs ; or, l’un comme l’autre n’ont pas lieu d’être en l’espèce1372.
10.45. D’autres considérations justifient également de rejeter la demande de satisfaction tendant à imposer à l’Ouganda le paiement de 100 millions de dollars «pour les dommages immatériels subis par l’Etat et la population congolais…»1373. En particulier, il serait mal inspiré de prescrire le versement d’une somme aussi importante à titre de satisfaction pour des dommages immatériels causés à un Etat.
10.46. Selon la CDI,
«le préjudice que l’Etat responsable est tenu de réparer intégralement comprend «tout dommage, tant matériel que moral, résultant du fait internationalement illicite d’un Etat». Le dommage, matériel ou moral, résultant d’un fait internationalement illicite peut normalement être évalué financièrement et est donc sujet à indemnisation. En revanche, la satisfaction est destinée à réparer ces dommages qui, n’étant pas susceptibles d’évaluation financière, constituent un affront pour l’Etat.»1374
La CDI rappelle ensuite immédiatement que «[c]es préjudices sont souvent de nature symbolique, et découlent du simple fait de la violation de l’obligation, indépendamment des conséquences matérielles de cette violation pour l’Etat concerné»1375. C’est pourquoi elle indique clairement que pareille satisfaction ne doit pas se traduire par le versement de sommes excessives, qui seraient nécessairement perçues comme punitives :
«Comme il y a eu, par le passé, des demandes excessives faites sous le couvert de la «satisfaction»1376, il paraît nécessaire de poser des limites aux mesures qui peuvent être demandées comme mode de satisfaction, et ce pour prévenir les abus qui sont contraires au principe de l’égalité des Etats1377. En particulier, la satisfaction n’est
1371 Affaire concernant les problèmes nés entre la Nouvelle-Zélande et la France relatifs à l’interprétation ou à l’application de deux accords conclus le 9 juillet 1986, lesquels concernaient les problèmes découlant de l’affaire du Rainbow Warrior, sentence du 30 avril 1990, Revue générale de droit international public, [p. 875,] par. 123.
1372 Voir chap. 4, sect. I D) et E).
1373 MRDC, par. 7.83 (les italiques sont de nous).
1374 Articles sur la responsabilité des Etats, commentaire de l’article 37, par. 3.
1375 Ibid.
1376 Ibid., [p. 115,] note 600 :
«Par exemple, la note conjointe présentée au Gouvernement chinois en 1900 après la révolte des Boxers et la demande formulée contre la Grèce par la Conférence des ambassadeurs dans l’affaire Tellini en 1923 : voir C. Eagleton, The Responsibility of States in International Law, New York, New York University Press, 1928, p. 187 et 188.»
1377 Ibid., note 601 :
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pas censée avoir un caractère punitif, et n’inclut donc pas de dommages-intérêts punitifs. Le paragraphe 3 de l’article 371378 fixe les limites de l’obligation de satisfaction sur la base de deux critères : premièrement, la satisfaction doit être proportionnée au préjudice ; et deuxièmement, elle ne peut pas prendre une forme humiliante pour l’Etat responsable. Il est vrai que le terme «humiliant» est imprécis, mais les exemples d’exigences de ce type ne manquent pas dans l’histoire.»1379
10.47. Dans la présente espèce, loin de demander l’«octroi de dommages-intérêts symboliques pour préjudice non pécuniaire»1380, la RDC réclame le versement d’une somme colossale 125 millions de dollars à titre de satisfaction pour les dommages immatériels que sa population et elle-même ont subis. La Cour devrait refuser de faire droit à cette demande, qui ne saurait être considérée comme une forme de satisfaction légitimement exigible d’un Etat. Cette mesure est clairement censée avoir un caractère punitif et humiliant et ne constitue dès lors pas une forme de satisfaction acceptable au regard du droit international.
III. LA RDC NE PEUT PRÉTENDRE AU REMBOURSEMENT DE SES FRAIS DE PROCÉDURE, Y COMPRIS LES HONORAIRES DE SES CONSEILS
10.48. Enfin, la RDC, «[e]n sus des mesures d’indemnisation et de satisfaction [mentionnées,] demande à la Cour de dire et juger que les frais de procédure exposés par [elle] dans le cadre de la présente affaire doivent être supportés par l’Ouganda»1381. Cette demande doit elle aussi être écartée.
10.49. Y faire droit irait à l’encontre du principe énoncé à l’article 64 du Statut de la Cour, lequel prévoit que, «[s]’il n’en est autrement décidé par la Cour, chaque partie supporte ses frais de procédure». Y faire droit irait également à l’encontre de la pratique de la Cour et de sa devancière ; ni l’une ni l’autre n’ont jamais prononcé de condamnation aux dépens. Comme l’a relevé la Cour dans son avis consultatif de 1973 sur la Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, l’article 64 exprime un «principe fondamental» dans le contentieux devant les tribunaux internationaux1382. La Cour a réaffirmé cette position à plusieurs reprises1383. Fait notable, la RDC elle-même concède que «de telles demandes sont rarement présentées à la Cour»1384.
«La nécessité de prévenir les abus dans le contexte de la satisfaction a été soulignée par des auteurs tels que J. C. Bluntschli, Das moderne Völkerrecht der civilisirten Staten als Rechtsbuch dargestellt (3e éd.) (Nördlingen, 1878) ; traduction française de M. C. Lardy, Le droit international codifié (5e éd. revue et corrigée) (Paris, 1895), p. 268 et 269.»
1378 L’article 37 prévoit en son paragraphe 3 que «[l]a satisfaction ne doit pas être hors de proportion avec le préjudice et ne peut pas prendre une forme humiliante pour l’Etat responsable»
1379 Ibid., commentaire de l’article 37, par. 8.
1380 Ibid., par. 5.
1381 MRDC, par. 7.85.
1382 Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 212, par. 98.
1383 Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (I), par. 18 ; Diallo (2012), par. 58-60 ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), par. 144.
1384 MRDC, par. 7.86.
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- 277 -
10.50. S. Rosenne a expliqué que la position adoptée par la Cour montre que l’approche à suivre découle de «la théorie classique de l’arbitrage international et du principe de l’égalité des parties, excluant d’assimiler la relation entre les parties à un rapport plaignant/défendeur»1385. De fait, contrairement à ce que donne à entendre la RDC, le principe énoncé à l’article 64 du Statut n’est pas lié à la nature ou à la gravité d’une affaire, mais à la qualité des parties (qui sont des Etats) appelées à ester devant la Cour en tant que souverains égaux, cherchant de part et d’autre à faire valoir leurs positions dans le contexte du règlement pacifique des différends. Ce n’est que si l’une des parties commettait un grave abus de procédure que la Cour pourrait envisager de déroger à ce principe1386, mais cette hypothèse ne s’applique pas en la présente espèce.
10.51. Condamner l’Ouganda aux dépens en la présente affaire serait malencontreux pour une autre raison encore. Tout au long de son contre-mémoire, l’Ouganda a démontré que les demandes de la RDC étaient indéfendables, qu’elles reposaient sur des prémisses arbitraires et déraisonnables, et qu’elles ne trouvaient de fondement ni en droit, ni dans la pratique. C’est la RDC qui a avancé des demandes de réparations totalement injustifiées en faisant fi des éléments essentiels que la Cour avait expressément appelé la RDC à établir à ce stade : à savoir, les dommages spécifiques subis par la RDC, les actions spécifiques de l’Ouganda entrant dans le champ des conclusions générales auxquelles la Cour est parvenue en 2005, le lien de causalité entre ces actions spécifiques et le préjudice allégué, et le bien-fondé de l’évaluation de ce préjudice.
10.52. Le manque de sérieux entachant sa manière de procéder ressort clairement de la comparaison entre le montant que la RDC réclamait dans le cadre de ses négociations avec l’Ouganda en vue de parvenir à un règlement (quelque 25 milliards de dollars), et celui demandé à présent devant la Cour (quelque 13,5 milliards de dollars). Ni l’un ni l’autre de ces chiffres n’est justifié en droit ou en fait, et l’extrême disparité entre ces deux montants montre que c’est la RDC qui fait preuve de mauvaise foi en présentant ses demandes d’indemnisation, et non l’Ouganda.
10.53. Enfin, l’Ouganda observe que la demande de la RDC tendant à sa condamnation aux dépens est symptomatique de l’ensemble de ses réclamations, qui présentent toutes un caractère drastique et punitif, et qui, partant, ne doivent pas être cautionnées. Ainsi qu’indiqué au chapitre 4, le droit international interdit à un Etat de verser des réparations excédant sa capacité de paiement, a fortiori si cela doit causer un grave préjudice à sa population1387. Les montants demandés par la RDC à titre de réparations sont sans commune mesure avec la capacité de paiement de l’Ouganda et l’octroi de telles sommes, s’il était prescrit, infligerait un préjudice grave à ce pays et à sa population. L’Ouganda est donc pleinement fondé à s’opposer aux demandes de la RDC, et rien ne justifie une décision tendant à ce qu’il supporte les frais de procédure de la RDC, y compris les honoraires de ses conseils.
*
10.54. Pour les raisons susmentionnées, rien ne justifie en fait ou en droit d’accorder à la RDC les autres formes de réparation qu’elle réclame, exception faite des intérêts simples qu’elle demande à se voir octroyer dans l’hypothèse où l’Ouganda n’acquitterait pas dans un délai raisonnable toute indemnité que pourrait prescrire la Cour.
1385 S. Rosenne & M. Shaw, Rosenne’s Law and Practice of the International Court (2016), p. 1320.
1386 Voir R. Kolb, La Cour internationale de Justice (2013), p. 1035-1036.
1387 Ethiopia’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 19 ; Eritrea’s Damages Claims (Final Award, 2009), par. 19.
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CONCLUSIONS
Sur la base des faits et du droit exposés dans le présent contre-mémoire, l’Ouganda prie respectueusement la Cour de dire et juger que,
1) le constat de la responsabilité internationale de l’Ouganda, énoncé par la Cour dans l’arrêt de 2005, constitue une forme appropriée de satisfaction, qui répare le préjudice subi ;
2) toutes les autres demandes de réparation présentées par la RDC sont rejetées ; et
3) chaque Partie supporte ses propres dépens.
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CERTIFICATION
Je certifie que les annexes jointes sont des copies conformes des documents auxquels il est fait référence.
Le 6 février 2018.
L’agent de la République de l’Ouganda,
Attorney General de la République de l’Ouganda,
(Signé) M. William BYARUHANGA, SC.
___________
474
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LISTE DES ACRONYMES
A
ACLED
Armed Conflict Location and Event Data Project
ADRASS
Association pour le développement de la recherche appliquée en sciences sociales
AFDL
Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo
ALC
Armée de libération du Congo
ALiR
Armée de libération du Rwanda
ANC
Armée nationale congolaise
APC
Action permanente pour le Congo
C
CINU
Commission d’indemnisation des Nations Unies
COJESKI
Collectif des organisations et associations des jeunes du Sud-Kivu en RDC
COMTRADE
Base de données statistiques sur le commerce des marchandises de l’Organisation des Nations Unies
CREE
Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie
E
ECOSOC
Conseil économique et social de l’Organisation des Nations Unies
F
FAC
Forces armées congolaises
FAR
Forces armées rwandaises
FDD
Forces pour la défense de la démocratie
FIDH
Fédération internationale des ligues des droits de l’homme
FLC
Front de libération du Congo
FMI
Fonds monétaire international
FNI
Front national intégrationniste
FPR
Front patriotique rwandais
FRPI
Force de résistance patriotique de l’Ituri
G
GMM
Méthode du moment généralisé
H
HCR
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
HNTS
Health and Nutrition Tracking Service
HSRP
Human Security Report Project
I
ICCN
Institut congolais pour la conservation de la nature
IRC
International Rescue Committee
L
LORI
Liberation of the Oppressed Race in Ituri
M
MCO
Moindres carrés ordinaires
ML
Mouvement de libération
MLC
Mouvement de libération du Congo
MONUC
Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo
O
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
OCHA/BCAH
Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Organisation des Nations Unies
OIBT
Organisation internationale des bois tropicaux
OMS
Organisation mondiale de la santé
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P
PLW
Parti de libération des Walendu
PNUD
Programme des Nations Unies pour le développement
R
RCD
Rassemblement congolais pour la démocratie
RCD-Goma
Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma
RCD-ML
Rassemblement congolais pour la démocratie-Mouvement de libération
RCD-N
Rassemblement congolais pour la démocratie-National
S
SNEL
Société nationale d’électricité
SOTEXKI
Société textile de Kisangani
U
UBOS
Bureau ougandais de la statistique
UCDP
Uppsala Conflict Data Program
UNESCO
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
UNICEF
Fonds des Nations Unies pour l’enfance
UPC
Union des patriotes congolais
UPDF
Forces de défense du peuple ougandais
___________
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LISTE DES ANNEXES
VOLUME II
Documents des Nations Unies
Annexe 1
Nations Unies, Conseil de sécurité, 2981e séance, résolution 687 (1991), doc. S.RES/687 en date du [3] avril 1991 [extraits]
Annexe 2
Nations Unies, Conseil de sécurité, 3004e séance, résolution 705 (1991) (15 août 1991)
Annexe 3
Nations Unies, Conseil de sécurité, Décision 9 adoptée par le conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies à la reprise de sa quatrième session (23e séance, tenue le 6 mars 1992), doc. S/AC.26/1992/9 en date du 6 mars 1992
Annexe 4
Nations Unies, Conseil de sécurité, conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies, huitième session, Indemnisation des pertes industrielles ou commerciales résultant de l’invasion et de l’occupation illicite du Koweït par l’Iraq lorsque l’embargo sur le commerce et les mesures connexes ont également joué comme cause, doc. S/AC.26/1992/15 en date du 4 janvier 1993 [extrait]
Annexe 5
Nations Unies, Conseil de sécurité, conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies, Rapport et recommandations du comité de commissaires sur la première tranche de réclamations individuelles pour pertes et préjudices jusqu’à concurrence de 100 000 dollars des Etats-Unis (réclamations de la catégorie «C»), doc. S/AC.26/1994/3 en date du 21 décembre 1994 [extraits]
Annexe 6
Nations Unies, Conseil de sécurité, 3519e séance, résolution 986 (1995), doc. S/RES/986 en date du 14 avril 1995
[Annexe 7 non traduite]
Annexe 7
U.N. Human Rights, Office of the High Commissioner, Statement by Mrs. Mary Robinson, U.N. High Commissioner for Human Rights (19 Sept. 1997)
Annexe 8
Nations Unies, Conseil de sécurité, conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies, Rapport et recommandations du comité de commissaires sur la septième tranche de réclamations individuelles pour pertes et préjudices jusqu’à concurrence de 100 000 dollars des Etats-Unis (réclamations de la catégorie «C»), doc. S/AC.26/1999/11 en date du 24 juin 1999 [extraits]
Annexe 9
Nations Unies, Conseil de sécurité, conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies, Rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la deuxième tranche des réclamations de la catégorie «E1», doc. S/AC.26/1999/10 en date du 24 juin 1999 [extraits]
Annexe 10
Nations Unies, Conseil de sécurité, 4241e séance, résolution 1330 (2000), doc. S/RES/1330 (2000) en date du 5 décembre 2000
Annexe 11
Nations Unies, Conseil de sécurité, Rapport du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2001/357 en date du 12 avril 2001 [extraits]
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[Annexe 12 non traduite]
Annexe 12
Claude Kabemba, U.N.H.C.R., Centre for Documentation and Research, The Democratic Republic of Congo: From Independence to Africa’s First World War, WRITENET Paper No. 16/2000 (June 2001)
Annexe 13
Nations Unies, Conseil de sécurité, Additif au rapport du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2001/1072 en date du 13 novembre 2001 [extraits]
Annexe 14
Nations Unies, Assemblée générale, Responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, doc. A/RES/56/83 en date du 28 janvier 2002 [extraits]
Annexe 15
Nations Unies, Conseil de sécurité, Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo, doc. S/2002/1146 en date du 16 octobre 2002 [extraits]
Annexe 16
Nations Unies, Conseil de sécurité, 4691e séance, résolution 1457 (2003), doc. S/RES/1457 (2003) en date du 24 janvier 2003
Annexe 17
HCR, «Appel global 2004», rubrique «Ouganda» (31 déc. 2003) [extrait]
Annexe 18
Nations Unies, Conseil de sécurité, 4761e séance, résolution 1483 (2003), doc. S/RES/1483 en date du 22 mai 2003
Annexe 19
Nations Unies, Conseil de sécurité, lettre datée du 15 octobre 2003, adressée au Secrétaire général par le président du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, doc. S/2003/1027 en date du 23 octobre 2003 [extrait]
Annexe 20
Nations Unies, Conseil de sécurité, 4987e séance, résolution 1546 (2004), doc. S/RES/1546 en date du 8 juin 2004
Annexe 21
Nations Unies, Assemblée générale, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, doc. A/RES/60/147 en date du 21 mars 2006
Annexe 22
Nations Unies, Conseil économique et social, application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, deuxième, troisième, quatrième et cinquième rapports périodiques, soumis en un seul document, en vertu des articles 16 et 17 du Pacte, République démocratique du Congo, doc. E/C.12/COD/5 en date du 14 août 2007 [extraits]
Annexe 23
Nations Unies, Conseil de sécurité, 6058e séance, déclaration du président du Conseil de sécurité, doc. S/PRST/2008/48 en date du 22 décembre 2008
[Annexe 24 non traduite]
Annexe 24
D. Nthengwe, ed. L. Dobbs, U.N.H.C.R, 30,000 Congolese flee to escape fresh conflict in Ituri district (7 Apr. 2009)
Annexe 25
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, République démocratique du Congo, 1993-2003 : rapport du projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo (août 2010) [extraits]
- 284 -
[Annexe 26 non traduite]
Annexe 26
U.N. News Center, DR Congo: U.N. envoy welcomes end of M23 rebellion, commitment to peace talks (5 Nov. 2013)
Annexe 27
Nations Unies, Conseil de sécurité, 7058e séance, déclaration du président du Conseil de sécurité, doc. S/PRST/2013/17 en date du 14 novembre 2013
Annexe 28
Nations Unies, Conseil de sécurité, 7150e séance, à propos de la prorogation du mandat de la MONUSCO, doc. S/RES/2147 (2014) en date du 28 mars 2014 [extrait]
Annexe 29
HCR, Charlie Yaxley, «L’Ouganda héberge désormais plus de 500 000 réfugiés et demandeurs d’asile» (18 déc. 2015)
[Annexes 30 à 33 non traduites]
Annexe 30
U.N. Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, DR Congo: Weekly Humanitarian Update (19-23 June 2017) (23 June 2017)
Annexe 31
U.N. Secretary General, The Secretary-General’s opening remarks to the Uganda Solidarity Summit on Refugees (23 June 2017)
Annexe 32
U.N. Security Council, 7998th Meeting, Security Council Members Stress Need for Democratic Republic of Congo to Hold Fair, Free, Inclusive Elections without Further Delay, U.N. Doc. SC/12907 (11 July 2017)
Annexe 33
Catherine Wachiaya, U.N.H.C.R., Eager refugees cram crowded classrooms in Ugandan school (11 Sept. 2017)
Annexe 34
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, «HCR : la crise de déplacement de population s’aggrave en République démocratique du Congo» (24 oct. 2017)
Documents du Gouvernement de l’Ouganda
[Annexe 35 non traduite]
Annexe 35
Uganda, Act 12, the Uganda Bureau of Statistics Act, published in The Uganda Gazette, No. 36, Vol. XCI, Acts Supplement No. 7 (11 June 1998)
Annexe 36
Lettre de Kofi A. Annan, Secrétaire général de l’ONU, à S. Exc. Yoweri Kaguta Museveni, président de la République de l’Ouganda, en date du 4 mai 2001
Annexe 37
Nations Unies, Conseil de sécurité, réponse du Gouvernement de la République de l’Ouganda à l’additif au rapport du groupe d’experts relatif à l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo, doc. S/2001/1163 en date du [10] décembre 2001 [extraits]
[Annexes 38 à 40 non traduites]
Annexe 38
Uganda Bureau of Statistics, Statistical Abstracts (2002, 2004, 2005)
Annexe 39
Letter from Imelda Atai Musana, Executive Director, Uganda Bureau of Statistics to the Solicitor General, Ministry of Justice and Constitutional Affairs, UBOS/30/30 (26 Oct. 2017)
Annexe 40
Uganda Bureau of Statistics, Exports and Imports (1981-2016)
- 285 -
Documents du Gouvernement de la RDC
[Annexes 41 à 49 non reproduites : original français]
Annexe 41
République du Zaïre, ministère du plan et [de la] reconstruction nationale, Enquête nationale sur la situation des enfants et des femmes au Zaïre en 1995, Rapport final (fév. 1996)
Annexe 42
République démocratique du Congo, Document de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté, Deuxième génération, 2011-2015, vol. I (oct. 2011)
Décisions des juridictions congolaises
Annexe 43
Songo Mboyo (MP et PC c. Bokila et consorts), RP 084/2005 (tribunal militaire de garnison de Mbandaka, 12 avr. 2006)
Annexe 44
Waka-Lifumba (MP et PC c. Botuli), RP 134/2007 (tribunal militaire de garnison de Mbandaka, 18 fév. 2007)
Annexe 45
Basele et consorts (MP et PC c. Basele Lutula alias Colonel Thom’s et consorts), RP 167/09 et RMP 944/MBM/09 (tribunal militaire de garnison de Kisangani, 3 juin 2009)
Annexe 46
Kakado (MP et PC c. Kakado Barnaba), RP 071/09, 009/010 et RP 074/010 (tribunal militaire de garnison de Bunia, 9 juillet 2010)
Annexe 47
Maniraguha et Sibomana (MP et PC (400) c. Jean Bosco Maniraguha alias Kazungu et consorts), RP 275/09, 521/10 RMP 581 07 et 1573/KMC/10 (tribunal militaire de garnison de Bukavu, 16 août 2011)
Annexe 48
Kimbanguistes (MP et PC Kumba et consorts-MP et PC c. Mputu Muteba et consorts), RP 11.154/11.155/11.156 (tribunal de grande instance de Kisnsha/Kalamu, 17 déc. 2011)
Annexe 49
Mupoke, affaire également connue sous le nom de Kabala et consorts (MP et 107 PC c. Kabala Mandumba et consorts ; MP et PC c. Kabala Mandumba), RP 708/12 (tribunal militaire de garnison de Bukavu, 15 oct. 2012)
VOLUME III
Rapports
Annexe 50
International Rescue Committee, «Mortalité dans l’est de la République démocratique du Congo : résultats de cinq enquêtes de mortalité réalisées par l’IRC» (mai 2000)
[Annexe 51 non traduite]
Annexe 51
Les Roberts, International Rescue Committee Health Unit, Mortality in Eastern Democratic Republic of the Congo : Results from 11 Surveys (2001)
Annexe 52
République de l’Ouganda, commission judiciaire d’enquête sur les allégations d’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse en République démocratique du Congo, 2001, rapport final (novembre 2002) [extraits]
- 286 -
Annexe 53
Rapport du groupe parlementaire du Parlement britannique sur la région des Grands Lacs et la prévention du génocide (tous partis confondus), «La République démocratique du Congo victime de ses richesses : à qui profite l’exploitation des ressources naturelles ?» (novembre 2002) [extrait]
Annexe 54
International Rescue Committee, «Mortalité en République démocratique du Congo : résultats d’une enquête nationale» (2003)
[Annexes 55 et 56 non traduites]
Annexe 55
International Crisis Group, Ethiopia and Eritrea: War or Peace ?, ICG Africa Report No. 68 (24 sept. 2003)
Annexe 56
Burnet Institute, International Rescue Committee, Mortality in the Democratic Republic of the Congo: Results from a Nationwide Survey (2004)
Annexe 57
Human Rights Watch, «Le fléau de l’or, République démocratique du Congo» (2005) [extraits]
Annexe 58
B. Coghlan, R. Brennan et al., «Mortalité en République démocratique du Congo : enquête nationale», The Lancet, vol. 367, no 9504 (7 janvier 2006)
[Annexe 59 non traduite]
Annexe 59
Democratic Republic of the Congo, Poverty Reduction and Growth strategy Paper (July 2006)
Annexe 60
International Rescue Committee, Burnet Institute, «La mortalité en République démocratique du Congo : une crise au long cours» (2007) [extraits]
[Annexe 61 non traduite]
Annexe 61
L. Wyler, P. Sheikh, International Trade in Wildlife: Threats and U.S. Policy, CRS Report for Congress, RL34395 (22 Aug. 2008)
[Annexe 62 non reproduite : original français]
Annexe 62
A. Lambert, L. Lohlé-Tart, La surmortalité au Congo (RDC) durant les troubles de 1998-2004 : une estimation des décès en surnombre, scientifiquement fondée à partir des méthodes de la démographie (oct. 2008)
Annexe 63
Système d’information de santé et nutrition (HNTS), rapport d’évaluation par les pairs : réexamen de la mortalité imputable au conflit en République démocratique du Congo pour la période 1998-2006 (2009)
Annexe 64
Human Security Report Project (HSRP), «Partie II, Effondrement des coûts de la guerre», Rapport sur la sécurité humaine (2009-2010) [extraits]
[Annexe 65 non reproduite : original français]
Annexe 65
République démocratique du Congo, ministère de la justice et des droits humains, et PNUD, Monitoring judiciaire 2010-2011, «Rapport sur les données relatives à la réponse judiciaire aux cas de violences sexuelles à l’Est de la République démocratique du Congo» (2010-2011)
Annexe 66
Marie Chêne, Transparency International, U4 Expert Answer : Panorama de la corruption et de la lutte anti-corruption en République démocratique du Congo (RDC) (8 oct. 2010)
[Annexes 67 et 68 non reproduites : original français]
Annexe 67
Martin Ekofo Inganya, Avocats sans frontières, La réparation des crimes internationaux en droit congolais (2014)
- 287 -
Annexe 68
Jacques B. Mbokani, Open Society Initiative for Southern Africa (OSISA), La jurisprudence congolaise en matière de crimes de droit international. Une analyse des décisions des juridictions militaires congolaises en application du Statut de Rome (2016)
Publications
Annexe 69
Henry M. Stanley, Dans les ténèbres de l’Afrique, recherche, délivrance et retraite d’Emin Pacha [extraits]
Annexe 70
D. Rice, B. Cooper, «La valeur économique de la vie humaine», American Journal of Public Health, vol. 57, no 11 (nov.1967)
Annexe 71
J. S. Landefeld, E. Seskin, «La valeur économique de la vie humaine : rapprocher théorie et pratique», American Journal of Public Health, vol. 72, no°6 (juin 1982)
[Annexe 72 non reproduite : original français]
Annexe 72
Auguste Maurel, Le Congo de la colonisation belge à l’Indépendance (1992)
[Annexes 73 à 76 non traduites]
Annexe 73
Georges Nzongola-Ntalaja, Washington Office on Africa, “Appendix One: Historical Background, From Leopold to Mobutu”, Zaire : A Nation Held Hostage (1992)
Annexe 74
Koen Vlassenroot, “The Promise of Ethnic Conflict: Militarisation and Enclave-Formation in South-Kivu” in Conflict and Ethnicity in Central Africa (D. Goyvaerts ed., 2000)
Annexe 75
E. Pay & D. Goyvaerts, “Belgium, the Congo, Zaire, and Congo: A Short History of a Very Shaky Relationship” in Conflict and Ethnicity in Central Africa (D. Goyvaerts ed., 2000)
Annexe 76
G. Kiakwama & J. Chevallier, The World Bank, “Nonreformers: Democratic Republic of the Congo”, Aid and Reform in Africa: Lessons from Ten Case Studies (S. Devarajan, D. Dollar, T. Holmgren, eds., 2001)
[Annexe 77 non reproduite : original français]
Annexe 77
F. Missier et O. Vallee, «Du scandale zaïrois au Congo gemmocratique» in Chasse au diamant au Congo/Zaïre (L. Monnier, B. Jewsiewicki, G. de Villers (dir. publ.) (2001)
[Annexes 78 à 81 non traduites]
Annexe 78
Adam Hochschild, “Congo’s Many Plunderers”, Economic & Political Weekly, Vol. 36, No.4 (27 Jan.-2 Feb. 2001)
Annexe 79
K. Hillman Smith, “Status of Northern White Rhinos and Elephants in Garamba National Park, Democratic Republic of Congo, During the Wars” Pachyderm, No. 31 (July_Dec. 2001)
Annexe 80
L. Mubalama, J. J. Mapilanga, “Less Elephant Slaughter in the Okapi Faunal Reserve, Democratic Republic of Congo, with Operation Tango”, Pachyderm, No. 31 (July_Dec. 2001)
Annexe 81
Dennis Farrel, Associated Press, Billings Gazette, African animal auction draws 2.000 (22 June 2002)
- 288 -
[Annexe 82 non reproduite : original français]
Annexe 82
Thierry Vircoulon, «L’Ituri ou la guerre au pluriel», Afrique contemporaine, vol. 2005/3, no°2015 (2005)
[Annexes 83 à 87 non traduites]
Annexe 83
Johan Pottier, “Representations of Ethnicity in the Search for Peace : Ituri, Democratic Republic of Congo”, African Affairs, Vol. 109, No. 434 (27 Nov. 2009)
Annexe 84
E. Kisangani & F. Scott Bob, Historical Dictionary of the Democratic Republic of the Congo (2010)
Annexe 85
Alex Veit, Intervention as Indirect Rule: Civil War and Statebuilding in the Democratic Republic of the Congo (2010)
Annexe 86
François Ngolet, Crisis in the Congo (2011)
Annexe 87
Sarah C. P. Williams, “The Elephant in the Womb”, Science (19 June 2012)
Annexe 88
Dan Fahey, Institut de la Vallée du Rift, «L’Ituri : Or, questions foncière et ethnicité dans le nord-est du Congo». Projet Usalama : comprendre les groupes armés congolais (2013)
Annexe 89
David Van Reybrouck, Congo: Une histoire (2015)
[Annexe 90 non reproduite : original français]
Annexe 90
François Emizet Kisangani, Guerres civiles dans la République démocratique du Congo 1960-2010 (2015)
[Annexe 91 non traduite]
Annexe 91
Sebastian Gatimu, Institute for Security Studies, The true cost of mineral smuggling in the DRC (11 Jan. 2016)
Sources en ligne
[Annexe 92 non traduite]
Annexe 92
IRIN, Special Report on the Ituri Clashes Part II: The Ugandan position (3 Mar. 2000)
Annexe 93
IRIN, «15 312 soldats étrangers se sont déjà retirés, selon l’ONU» (2 oct. 2002)
[Annexes 94 à 98 non traduites]
Annexe 94
M. Mutuli, ed. V. Tan, UNHCR, Uganda counts close to 20,000 new Congolese refugees from Ituri region (19 May 2003)
Annexe 95
M. Mutuli, ed. V. Tan, UNHCR, Congolese march to Uganda: “Soldiers before us, death behind us” (21 May 2003)
Annexe 96
World Health Organization, Verbal Autopsy Standards: 2012 WHO Verbal Autopsy Instrument (2012)
Annexe 97
World Health Organization, Life expectancy, Data by country (6 June 2016)
Annexe 98
OECD Insights, Debate the Issues, Statistical Insights: What does GDP per capita tell us about households’material well-being? (6 Oct. 2016)
Annexe 99
Tim Callen, Fond monétaire international, «Qu’est-ce que le produit intérieur brut ?» (29 juillet 2017)
- 289 -
[Annexe 100 non reproduite : original français]
Annexe 100
Laurent Oussou, MONUSCO, «La Force de la MONUSCO invite les communautés en Ituri à dialoguer pour la paix» (11 août 2017)
[Annexes 101 à 108 non traduites]
Annexe 101
BBC, The Story of Africa, Independence, Case Study : Congo
Annexe 102
Uppsala University, Department of Peace and Research, Definitions: Battle Related Deaths
Annexe 103
FocusEconomics, What is GDP per capita?
Annexe 104
Uppsala University, Department of Peace and Research, About UCDP
Annexe 105
Uppsala University, Department of Peace and Research, One-sided Violence
Annexe 106
Uppsala University, Department of Peace and Research, FAQ, How Are UCDP Data Collected?
Annexe 107
World Wildlife Fund, African elephants
Annexe 108
International Tropical Timber Organization, Biennal Review Statistics
Divers
Annexe 109
Sir Paul Collier et Dr Anke Hoeffler, Oxford University, Evaluation de l’impact de la présence militaire ougandaise en République démocratique du Congo (20 oct. 2017)
[Annexe 110 non traduite]
Annexe 110
Calculated Number of Civilian Deaths between 7 August 1998 and 2 June 2003 (Source: U.N. Mapping Report)
Contre-mémoire de l'Ouganda sur la question des réparations