3 FEBRUARY 2021
JUDGMENT
ALLEGED VIOLATIONS OF THE 1955 TREATY OF AMITY, ECONOMIC RELATIONS, AND CONSULAR RIGHTS (ISLAMIC REPUBLIC OF IRAN v. UNITED STATES OF AMERICA)
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VIOLATIONS ALLÉGUÉES DU TRAITÉ D’AMITIÉ, DE COMMERCE ET DE DROITS CONSULAIRES DE 1955 (RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE)
3 FÉVRIER 2021
ARRÊT
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-23
I. CONTEXTE FACTUEL 24-38
II. COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE DE LA COUR EN VERTU DE L’ARTICLE XXI DU TRAITÉ D’AMITIÉ 39-84
1. Première exception préliminaire d’incompétence : l’objet du différend 42-60
2. Seconde exception préliminaire d’incompétence : les «mesures concernant les pays tiers» 61-83
III. RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE DE L’IRAN 85-96
IV. EXCEPTIONS FONDÉES SUR LES ALINÉAS B) ET D) DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ D’AMITIÉ 97-113
DISPOSITIF 114
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2021
2021
3 février
Rôle général
no 175
3 février 2021
VIOLATIONS ALLÉGUÉES DU TRAITÉ D’AMITIÉ, DE COMMERCE ET DE DROITS CONSULAIRES DE 1955
(RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
Contexte factuel.
Traité d’amitié de 1955 en vigueur à la date du dépôt de la requête Iran étant partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1968 Agence internationale de l’énergie atomique et Conseil de sécurité critiques à l’égard des activités nucléaires de l’Iran Résolutions du Conseil de sécurité sur la question nucléaire iranienne Imposition à l’Iran de «sanctions supplémentaires» liées au nucléaire par les Etats-Unis Plan d’action global commun (le «plan d’action») conclu le 14 juillet 2015 au sujet du programme nucléaire iranien Abrogation, par le décret 13716 du 16 janvier 2016, de certaines «sanctions» américaines liées au nucléaire Mémorandum sur la sécurité nationale du 8 mai 2018 mettant fin à la participation des Etats-Unis au plan d’action Rétablissement par les Etats-Unis de «sanctions» contre l’Iran, ses ressortissants et sociétés en vertu du décret 13846 du 6 août 2018.
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Compétence ratione materiae de la Cour en vertu de l’article XXI du traité d’amitié.
Première exception préliminaire d’incompétence : objet du différend Question de savoir si le différend porte sur l’interprétation et l’application du traité d’amitié ou exclusivement sur le plan d’action Objet du différend devant être déterminé par la Cour sur une base
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objective Attention particulière devant être accordée aux faits que le demandeur invoque à l’appui de sa demande Opposition de points de vue sur la question de savoir si les mesures contestées constituent des violations du traite d’amitié Fait que le différend s’inscrive dans le contexte de la décision des Etats-Unis de se retirer du plan d’action n’excluant pas que ce différend ait trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié Possibilité qu’un différend se rapporte à certains actes entrant dans le champ de plusieurs instruments Cour ne pouvant adhérer à l’argument que l’objet des demandes de l’Iran se rapporte exclusivement au plan d’action et non au traité d’amitié Première exception préliminaire d’incompétence ne pouvant être accueillie.
Seconde exception préliminaire d’incompétence : «mesures concernant les pays tiers» Cour devant rechercher si les actes dont le demandeur tire grief entrent dans les prévisions du traité contenant la clause compromissoire Exception préliminaire relative aux «mesures concernant les pays tiers» ne visant pas l’ensemble des demandes de l’Iran mais seulement la majorité d’entre elles Instance ne prenant pas fin si la Cour devait faire droit à la seconde exception d’incompétence Désaccord entre les Parties sur la pertinence de la notion de «mesures concernant les pays tiers» Désaccord entre les Parties sur le champ d’application territorial et la portée des dispositions du traité dont l’Iran invoque la méconnaissance par les Etats-Unis Certaines mesures contestées n’échappant pas automatiquement au champ d’application du traité d’amitié du simple fait qu’elles visent directement des Etats tiers, leurs ressortissants ou sociétés Seconde exception préliminaire d’incompétence des Etats-Unis ayant trait à la portée de certaines obligations dont se prévaut le demandeur Ladite exception soulevant aussi des questions de droit et de fait qui relèvent du fond Seconde exception préliminaire d’incompétence ne pouvant être accueillie.
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Recevabilité.
Exception préliminaire d’irrecevabilité de la requête de l’Iran : abus de procédure allégué Demande fondée sur une base de compétence valable ne pouvant être rejetée pour abus de procédure que dans des circonstances exceptionnelles Absence de telles circonstances exceptionnelles en l’espèce Exception préliminaire d’irrecevabilité étant rejetée.
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Exceptions fondées sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié.
Alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié n’ayant pas d’incidence sur la compétence de la Cour mais offrant une éventuelle défense au fond Traité d’amitié ne faisant pas obstacle à l’application de mesures «concernant les substances fissiles» en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX Traité ne faisant pas non plus obstacle à
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l’application de mesures qu’un Etat juge nécessaires à la protection de ses «intérêts vitaux … sur le plan de la sécurité» en vertu de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX Décision sur ces points requérant une analyse des questions de droit et de fait qu’il convient d’effectuer au stade de l’examen au fond Moyens tirés de ces dispositions étant impropres à fonder des exceptions préliminaires mais pouvant être présentés au stade du fond Exceptions préliminaires soulevées sur la base des alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié étant rejetées.
ARRÊT
Présents : M. YUSUF, président ; MME XUE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA, CANÇADO TRINDADE, GAJA, MME SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON, CRAWFORD, GEVORGIAN, SALAM, IWASAWA, juges ; MM. BROWER, MOMTAZ, juges ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
En l’affaire relative à des violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955,
entre
la République islamique d’Iran,
représentée par
M. Hamidreza Oloumiyazdi, président du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, professeur associé de droit privé à l’Université Allameh Tabataba’i à Téhéran,
comme agent et avocat ;
M. Mohammad H. Zahedin Labbaf, agent de la République islamique d’Iran auprès du Tribunal des réclamations irano-américaines, directeur du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran à La Haye,
comme coagent et conseil ;
M. Seyed Hossein Sadat Meidani, conseiller juridique au ministère des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
comme agent adjoint et conseil ;
M. Vaughan Lowe, QC, professeur émérite de droit international public (chaire Chichele) à l’Université d’Oxford, membre de l’Institut de droit international, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Alain Pellet, professeur émérite de l’Université Paris Nanterre, ancien président de la Commission du droit international, membre de l’Institut de droit international,
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M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Paris Nanterre, secrétaire général de l’Académie de droit international de La Haye, membre associé de l’Institut de droit international, membre du barreau de Paris, Sygna Partners,
M. Samuel Wordsworth, QC, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, membre du barreau de Paris,
M. Hadi Azari, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, professeur adjoint de droit international public à l’Université Kharazmi à Téhéran,
comme conseils et avocats ;
M. Behzad Saberi Ansari, directeur général chargé des affaires juridiques internationales, ministère des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
S. Exc. M. Alireza Kazemi Abadi, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République islamique d’Iran auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Mohsen Izanloo, adjoint chargé des affaires juridiques, centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, professeur associé de droit à l’Université de Téhéran,
comme conseillers juridiques principaux ;
M. Luke Vidal, membre du barreau de Paris, Sygna Partners,
M. Sean Aughey, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
Mme Philippa Webb, professeure au King’s College de Londres, Twenty Essex Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, membre du barreau de l’Etat de New York,
M. Jean-Rémi de Maistre, doctorant, centre de droit international de Nanterre (CEDIN),
M. Romain Piéri, membre du barreau de Paris, Sygna Partners,
comme conseils ;
M. Seyed Mohammad Asbaghi Namini, directeur par intérim, département des réclamations internationales, centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran,
M. Mahdad Fallah Assadi, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran,
M. Mohsen Sharifi, chef par intérim, département du contentieux et du droit international privé, ministère des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
M. Yousef Nourikia, deuxième conseiller, ambassade de la République islamique d’Iran aux Pays-Bas,
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M. Alireza Ranjbar, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran,
M. Seyed Reza Rafiey, expert juridique, département du contentieux et du droit international privé, ministère des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
M. Soheil Golchin, expert juridique, département du contentieux et du droit international privé, ministère des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
M. Mahdi Khalili Torghabeh, expert juridique, ministère des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
comme conseillers juridiques,
et
les Etats-Unis d’Amérique,
représentés par
M. Marik A. String, conseiller juridique par intérim, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme agent, conseil et avocat (jusqu’au 28 janvier 2021) ;
M. Richard C. Visek, conseiller juridique par intérim, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme agent (à partir du 28 janvier 2021) ;
M. Steven F. Fabry, conseiller juridique adjoint, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme coagent et conseil ;
M. Paul B. Dean, conseiller juridique, ambassade des Etats-Unis d’Amérique aux Pays-Bas,
Mme Lara Berlin, conseillère juridique adjointe, ambassade des Etats-Unis d’Amérique aux Pays-Bas,
comme agents adjoints et conseils ;
Sir Daniel Bethlehem, QC, Twenty Essex Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
Mme Laurence Boisson de Chazournes, professeure de droit international à l’Université de Genève, membre de l’Institut de droit international,
Mme Kimberly A. Gahan, conseillère juridique adjointe, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Lisa J. Grosh, conseillère juridique adjointe, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme conseils et avocats ;
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M. Donald Earl Childress III, conseiller en droit international, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Maegan L. Conklin, conseillère juridique adjointe, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. John D. Daley, conseiller juridique adjoint de deuxième classe, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. John I. Blanck, avocat conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Jonathan E. Davis, avocat conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Joshua B. Gardner, avocat conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Matthew S. Hackell, avocat conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Nathaniel E. Jedrey, avocat conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Robert L. Nightingale, avocat conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Catherine L. Peters, avocate conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. David B. Sullivan, avocat conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Margaret E. Sedgewick, avocate conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme conseils ;
M. Guillaume Guez, assistant, faculté de droit de l’Université de Genève,
M. John R. Calopietro, coordinateur de l’assistance juridique, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Anjail B. Al-Uqdah, assistante juridique, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Katherine L. Murphy, assistante juridique, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Catherine I. Gardner, assistante administrative, ambassade des Etats-Unis d’Amérique aux Pays-Bas,
comme assistants,
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
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1. Le 16 juillet 2018, la République islamique d’Iran (ci-après l’«Iran») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre les Etats-Unis d’Amérique (ci-après les «Etats-Unis») au sujet de violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires signé par les deux Etats à Téhéran le 15 août 1955 et entré en vigueur le 16 juin 1957 (ci-après le «traité d’amitié» ou le «traité de 1955»).
2. Dans sa requête, l’Iran entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et sur le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955.
3. Le 16 juillet 2018, l’Iran a également présenté une demande en indication de mesures conservatoires, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
4. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement des Etats-Unis la requête, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, et la demande en indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement. Il a en outre informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par l’Iran de cette requête et de cette demande.
5. Par lettre en date du 25 juillet 2018, le greffier a également informé tous les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies du dépôt de la requête et de la demande susvisées.
6. Conformément au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut, le greffier a informé les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, et tout autre Etat admis à ester devant la Cour du dépôt de la requête en leur transmettant le texte bilingue imprimé de celle-ci.
7. Le 18 juillet 2018, le greffier a informé les deux Parties que, en application du paragraphe 1 de l’article 24 du Statut, le membre de la Cour de nationalité américaine avait fait part au président de la Cour de son intention de ne pas participer au jugement de l’affaire. Conformément à l’article 31 du Statut et au paragraphe 1 de l’article 37 du Règlement de la Cour, les Etats-Unis ont désigné M. Charles Brower pour siéger en qualité de juge ad hoc en l’affaire.
8. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité iranienne, l’Iran s’est prévalu du droit que lui confère l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire ; il a désigné M. Djamchid Momtaz.
9. Le 23 juillet 2018, le président de la Cour, agissant en vertu des pouvoirs que lui confère le paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement, a adressé au secrétaire d’Etat des Etats-Unis une communication urgente dans laquelle il exhortait le Gouvernement américain à «agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus». Copie de cette lettre a été transmise à l’agent de l’Iran.
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10. Par ordonnance en date du 3 octobre 2018, la Cour, ayant entendu les Parties, a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
«1) Les Etats-Unis d’Amérique, conformément à leurs obligations au titre du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955, doivent, par les moyens de leur choix, supprimer toute entrave que les mesures annoncées le 8 mai 2018 mettent à la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran
i) de médicaments et de matériel médical ;
ii) de denrées alimentaires et de produits agricoles ; et
iii) des pièces détachées, des équipements et des services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections) nécessaires à la sécurité de l’aviation civile ;
2) Les Etats-Unis d’Amérique doivent veiller à ce que les permis et autorisations nécessaires soient accordés et à ce que les paiements et autres transferts de fonds ne soient soumis à aucune restriction dès lors qu’il s’agit de l’un des biens et services visés au point 1) ;
3) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile.» (C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 652, par. 102.)
11. Par ordonnance en date du 10 octobre 2018, la Cour a fixé au 10 avril 2019 et au 10 octobre 2019, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire de l’Iran et du contre-mémoire des Etats-Unis.
12. Dans une lettre en date du 19 février 2019, l’Iran a prié la Cour d’«exercer le pouvoir qu’elle t[enait] de l’article 78 du Règlement pour inviter les Etats-Unis d’Amérique à rendre compte, d’urgence, des dispositions spécifiques qu’ils [avaie]nt prises ou pren[ai]ent … en vue de donner effet à l’ordonnance rendue le 3 octobre 2018».
13. Comme suite à cette communication, la Cour a prié les Etats-Unis de fournir, le 4 juin 2019 au plus tard, des renseignements sur les dispositions prises par eux pour mettre en oeuvre les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 3 octobre 2018, et l’Iran de communiquer, dans le même délai, toute information qu’il pouvait avoir à ce sujet. Les deux Parties ont transmis ces informations dans le délai imparti à cet effet. Par lettres en date du 19 juin 2019, elles ont été informées que la Cour avait pris bonne note de leurs réponses et qu’elle estimait que tout problème ayant trait à la mise en oeuvre des mesures conservatoires pourrait être résolu à un stade ultérieur, si l’affaire venait à être examinée au fond.
14. Par lettre en date du 1er avril 2019, le coagent de l’Iran a prié la Cour de proroger d’un mois et demi le délai pour le dépôt du mémoire, en précisant les raisons de cette demande. Dès réception de cette lettre, le greffier adjoint, se référant au paragraphe 3 de l’article 44 du Règlement, en a fait tenir copie à l’agent des Etats-Unis. Par lettre en date du 5 avril 2019, l’agent des Etats-Unis a indiqué que son gouvernement n’avait pas d’objection à la prorogation de délai sollicitée par l’Iran.
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15. Par ordonnance en date du 8 avril 2019, le président de la Cour a reporté au 24 mai 2019 et au 10 janvier 2020, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire de l’Iran et du contre-mémoire des Etats-Unis. Le mémoire de l’Iran a été déposé dans le délai ainsi prorogé.
16. Le 23 août 2019, dans le délai prescrit au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour du 14 avril 1978 tel que modifié le 1er février 2001, les Etats-Unis ont soulevé certaines exceptions préliminaires (voir paragraphe 38 ci-dessous). En conséquence, par ordonnance en date du 26 août 2019, le président de la Cour, notant que, en vertu du paragraphe 5 de l’article 79 du Règlement, la procédure sur le fond était suspendue, a fixé au 23 décembre 2019 la date d’expiration du délai dans lequel l’Iran pourrait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis. L’Iran a déposé son exposé écrit dans le délai ainsi prescrit et l’affaire s’est trouvée en état pour ce qui est des exceptions préliminaires.
17. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après avoir consulté les Parties, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure et des documents y annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale.
18. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis se sont tenues par liaison vidéo du 14 au 21 septembre 2020, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses :
Pour les Etats-Unis : M. Marik A. String,
Sir Daniel Bethlehem,
Mme Lisa J. Grosh,
Mme Kimberly A. Gahan,
Mme Laurence Boisson de Chazournes.
Pour l’Iran : M. Hamidreza Oloumiyazdi,
M. Vaughan Lowe,
M. Samuel Wordsworth,
M. Jean-Marc Thouvenin,
M. Alain Pellet.
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19. Dans la requête, les demandes ci-après ont été présentées par l’Iran :
«[L]’Iran prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
a) les Etats-Unis d’Amérique, du fait des sanctions du 8 mai et des autres sanctions annoncées qui sont décrites dans la présente requête et qui ciblent l’Iran, les Iraniens et les sociétés iraniennes, ont manqué aux obligations leur incombant envers l’Iran en application des articles IV (paragraphe 1), VII (paragraphe 1), VIII (paragraphes 1 et 2), IX (paragraphe 2) et X (paragraphe 1) du traité d’amitié ;
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b) les Etats-Unis d’Amérique doivent, par les moyens de leur choix, mettre fin sans délai aux sanctions du 8 mai ;
c) les Etats-Unis d’Amérique doivent immédiatement cesser de menacer d’imposer les autres sanctions annoncées qui sont décrites dans la présente requête ;
d) les Etats-Unis d’Amérique doivent veiller à ce que rien ne soit fait pour contourner la décision que la Cour rendra dans la présente affaire et donner une garantie de non-répétition de leurs violations du traité d’amitié ;
e) les Etats-Unis d’Amérique doivent verser à l’Iran, à raison de leur manquement à leurs obligations juridiques internationales, une indemnisation intégrale dont le montant sera déterminé par la Cour à un stade ultérieur de la procédure. L’Iran se réserve le droit de soumettre et de présenter à la Cour en temps utile une évaluation précise du montant de l’indemnisation due par les Etats-Unis d’Amérique.»
20. Au cours de la procédure écrite sur le fond, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de l’Iran dans le mémoire :
«[L]’Iran prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
a) les Etats-Unis, du fait des mesures mises en oeuvre conformément au mémorandum présidentiel en date du 8 mai 2018, ou en lien avec celui-ci, et des autres mesures annoncées, qui ciblent l’Iran, les Iraniens et les sociétés iraniennes, ont manqué aux obligations leur incombant envers l’Iran en application des articles IV (paragraphes 1 et 2), V (paragraphe 1), VII (paragraphe 1), VIII (paragraphes 1 et 2), IX (paragraphes 2 et 3) et X (paragraphe 1) du traité d’amitié ;
b) les Etats-Unis doivent, par les moyens de leur choix, mettre fin sans délai aux mesures mises en oeuvre conformément au mémorandum présidentiel en date du 8 mai 2018, ou en lien avec celui-ci, et aux autres mesures annoncées ;
c) les Etats-Unis doivent immédiatement cesser de menacer d’imposer les autres sanctions annoncées ;
d) les Etats-Unis doivent veiller à ce que rien ne soit fait pour contourner la décision que la Cour rendra dans la présente affaire et donner une garantie de non-répétition de leurs violations du traité d’amitié ;
e) les Etats-Unis doivent verser à l’Iran, à raison de leur manquement à leurs obligations juridiques internationales, une indemnisation intégrale dont le montant sera déterminé par la Cour à un stade ultérieur de la procédure. L’Iran se réserve le droit de soumettre et de présenter à la Cour en temps utile une évaluation précise du montant de l’indemnisation due par les Etats-Unis.»
21. Les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement des Etats-Unis dans les exceptions préliminaires :
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«[L]es Etats-Unis d’Amérique demandent à la Cour de :
a) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme échappant à sa compétence ;
b) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant irrecevables ;
c) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant exclues par l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ;
d) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant exclues par l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ;
e) rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes, quelle que soit la disposition du traité d’amitié invoquée à l’appui, qui ont pour objet des mesures concernant les Etats tiers.»
22. Les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de l’Iran dans l’exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires :
«[L]’Iran prie respectueusement la Cour de :
a) rejeter et écarter les exceptions préliminaires des Etats-Unis d’Amérique ; et de
b) dire et juger que :
i) la Cour a compétence pour connaître de l’intégralité des demandes présentées par l’Iran ; et que
ii) les demandes de l’Iran sont recevables.»
23. Lors de la procédure orale sur les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement des Etats-Unis,
à l’audience du 18 septembre 2020 :
«Pour les raisons exposées à l’audience, et toute autre raison que la Cour pourrait juger appropriée, les Etats-Unis d’Amérique prient la Cour de retenir les exceptions préliminaires soulevées dans leurs écritures et plaidoiries et de refuser de connaître de l’affaire. En particulier, les Etats-Unis d’Amérique prient la Cour de :
a) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme échappant à sa compétence ;
b) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant irrecevables ;
c) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant exclues par l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ;
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d) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant exclues par l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ;
e) rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes, quelle que soit la disposition du traité d’amitié invoquée à l’appui, qui ont pour objet des mesures concernant les Etats tiers.»
Au nom du Gouvernement de l’Iran,
à l’audience du 21 septembre 2020 :
«La République islamique d’Iran prie respectueusement la Cour de :
a) rejeter et écarter les exceptions préliminaires des Etats-Unis d’Amérique ; et de
b) dire et juger que :
i) la Cour a compétence pour connaître de l’intégralité des demandes présentées par l’Iran ; et que
ii) les demandes de l’Iran sont recevables.»
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I. CONTEXTE FACTUEL
24. Dans la présente instance, l’Iran avance que les Etats-Unis ont violé le traité d’amitié, signé par les Parties le 15 août 1955 et entré en vigueur le 16 juin 1957 (voir paragraphe 1 ci-dessus). Il n’est pas contesté par les Parties que, à la date du dépôt de la requête, soit le 16 juillet 2018, le traité d’amitié était en vigueur. Aux termes du paragraphe 3 de l’article XXIII dudit traité, «[c]hacune des Hautes Parties contractantes pourra mettre fin [au] Traité à la fin de la période initiale de dix ans ou à tout moment après l’expiration de cette période, en donnant par écrit à l’autre Haute Partie contractante un préavis d’un an». Par une note diplomatique en date du 3 octobre 2018 adressée au ministère iranien des affaires étrangères par le département d’Etat américain, les Etats-Unis, conformément au paragraphe 3 de l’article XXIII du traité d’amitié, ont «notifi[ié] … qu’ils mett[aient] fin au traité».
25. En ce qui concerne les événements constituant le contexte factuel de l’affaire, la Cour rappelle que l’Iran est partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires du 1er juillet 1968. Aux termes de l’article III de ce traité, tout Etat partie non doté d’armes nucléaires s’engage à accepter des garanties, énoncées dans un accord qui doit être négocié et conclu avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (ci-après l’«AIEA» ou l’«Agence»), à seule fin de vérifier l’exécution des obligations assumées par ledit Etat au titre du traité, «en vue d’empêcher que l’énergie nucléaire ne soit détournée de ses utilisations pacifiques vers des armes nucléaires ou d’autres dispositifs explosifs nucléaires». L’accord entre l’Iran et l’Agence relatif à l’application de
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garanties dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est en vigueur depuis le 15 mai 1974. Dans un rapport en date du 6 juin 2003, le directeur général de l’AIEA déclarait que l’Iran «ne s’[était] pas acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de son accord de garanties en ce qui concerne la déclaration des matières nucléaires, leur traitement et utilisations ultérieurs et la déclaration des installations où ces matières sont entreposées et traitées». Dans sa résolution GOV/2006/14 du 4 février 2006, le conseil des gouverneurs de l’Agence a rappelé les
«nombreux manquements de l’Iran et ses infractions à son obligation de se conformer aux dispositions de son accord de garanties TNP et l’absence de confiance dans le caractère exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien résultant des dissimulations passées des activités nucléaires de ce pays, de la nature de ces activités et d’autres questions découlant de la vérification par l’Agence des déclarations faites par l’Iran depuis septembre 2002»
et a demandé au directeur général de faire rapport sur la question au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies.
26. Le 29 mars 2006, le président du Conseil de sécurité a fait, au nom de ce dernier, une déclaration dans laquelle il faisait part de la vive inquiétude du Conseil face à la décision de l’Iran «de reprendre les activités liées à l’enrichissement, y compris des activités de recherche-développement». Il ajoutait que, comme l’avait souligné le Conseil, il était «particulièrement important que l’Iran rétablisse la suspension complète et durable» de ces activités, cette suspension devant «être vérifiée par l’AIEA».
27. Le 31 juillet 2006, le Conseil de sécurité, agissant en vertu de l’article 40 du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a adopté la résolution 1696 (2006), dans laquelle il notait avec une vive inquiétude que l’Iran avait «décidé de reprendre ses activités liées à l’enrichissement», et exigeait que l’Iran «dans ce contexte … suspende, sous vérification de l’AIEA, toutes ses activités liées à l’enrichissement et au retraitement, y compris la recherche-développement». Le Conseil déclarait en outre son intention, pour le cas où l’Iran n’obtempérerait pas, d’adopter, en vertu de l’article 41 du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, toutes autres mesures qui pourraient être requises «pour persuader l’Iran de se conformer à [sa] résolution et aux exigences de l’AIEA».
28. Le 23 décembre 2006, le Conseil de sécurité, agissant en vertu de l’article 41 du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a adopté la résolution 1737 (2006), dans laquelle il constatait avec une vive inquiétude que, notamment, l’Iran n’avait pas «suspendu intégralement et durablement toutes activités liées à l’enrichissement et au retraitement visées dans la résolution 1696 (2006)». Le Conseil se disait résolu à «donner effet à ses décisions en adoptant des mesures propres à convaincre l’Iran de se conformer à la résolution 1696 (2006) et aux exigences de l’AIEA, et à faire obstacle à la mise au point par l’Iran de technologies sensibles à l’appui de ses programmes nucléaires et de missiles». Ainsi, dans la résolution 1737 (2006), il a décidé que l’Iran devait suspendre «[t]outes activités liées à l’enrichissement et au retraitement, y compris la recherche-développement, sous vérification de l’AIEA» ainsi que «[l]es travaux sur tous projets liés à l’eau lourde, y compris la construction d’un réacteur modéré à l’eau lourde, également sous vérification de l’AIEA». Il a également décidé que tous les Etats devaient prendre les mesures nécessaires pour prévenir la fourniture, la vente ou le transfert de tous articles, matières, équipements, biens et technologies susceptibles de contribuer aux activités de l’Iran en matière nucléaire. Par la suite, le Conseil de sécurité a adopté d’autres résolutions sur la question nucléaire iranienne, à savoir les résolutions 1747 (2007), 1803 (2008), 1835 (2008), 1929 (2010) et 2224 (2015).
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29. Le 26 juillet 2010, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2010/413/PESC et, le 23 mars 2012, le règlement (UE) no 267/2012 concernant «l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran», liées au nucléaire, qui interdit l’exportation d’armes, restreint les opérations financières, impose le gel des avoirs et limite les déplacements de certaines personnes.
30. Les Etats-Unis, au moyen des décrets 13574 du 23 mai 2011, 13590 du 21 novembre 2011, 13622 du 30 juillet 2012, 13628 du 9 octobre 2012 (articles 5 à 7, et 15) et 13645 du 3 juin 2013, ont imposé un certain nombre de «sanctions supplémentaires» liées au nucléaire visant divers secteurs de l’économie iranienne.
31. Le 14 juillet 2015, l’Allemagne, la Chine, les Etats-Unis, la Fédération de Russie, la France et le Royaume-Uni, avec le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ont conclu avec l’Iran le plan d’action global commun (ci-après le «plan d’action») concernant le programme nucléaire iranien. L’objectif déclaré de cet instrument était de garantir la nature exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien et d’entraîner «la levée de toutes les sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations Unies et des sanctions multilatérales ou nationales relatives [audit] programme».
32. Le 20 juillet 2015, par sa résolution 2231 (2015), le Conseil de sécurité a approuvé le plan d’action et appelé instamment à son «application intégrale conformément au calendrier qu’il prévoit». Par la même résolution, le Conseil de sécurité a décidé notamment de lever, sous certaines conditions, un certain nombre de dispositions de ses résolutions antérieures sur la question du nucléaire iranien et a défini les mesures à prendre pour la mise en application du plan d’action. Le texte du plan d’action est reproduit à l’annexe A de la résolution 2231 (2015).
33. Le plan d’action décrit, en particulier, les dispositions à prendre par l’Iran, selon un calendrier arrêté, pour tenir compte des restrictions convenues concernant l’enrichissement de l’uranium et toutes les activités qui y sont liées, ainsi que les modalités de la coopération de l’Iran avec l’AIEA. Il prévoit que soient levées toutes les sanctions imposées respectivement par le Conseil de sécurité et l’Union européenne, et que cesse également l’application de certaines sanctions imposées par les Etats-Unis (décrites à l’annexe II du plan d’action), notamment dans les domaines de la banque et de la finance, des investissements, de l’industrie pétrochimique, de l’énergie, du transport maritime, de la construction navale et automobile, et du commerce de produits. Enfin, le plan d’action contient un «plan d’application» ainsi que des dispositions concernant le règlement des différends. Ces dispositions établissent la procédure à suivre dans l’hypothèse où l’un des participants se plaindrait qu’un autre participant ne respecte pas ses engagements au titre du plan d’action.
34. Le 16 janvier 2016, le président des Etats-Unis a promulgué le décret 13716 par lequel étaient abrogés ou modifiés plusieurs décrets antérieurs portant sur les «sanctions liées au nucléaire» qui avaient été imposées à l’Iran ou à ses ressortissants.
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35. Le 8 mai 2018, le président des Etats-Unis a publié un mémorandum sur la sécurité nationale par lequel il mettait fin à la participation des Etats-Unis au plan d’action et ordonnait le rétablissement des «sanctions qui avaient été levées ou auxquelles il avait été renoncé dans le cadre [dudit] plan d’action». Dans ce mémorandum, le président faisait observer que des forces iraniennes ou appuyées par l’Iran se livraient à des activités militaires dans la région alentour, et que l’Iran continuait d’être un Etat soutenant le terrorisme. Il ajoutait que l’Iran avait publiquement annoncé que l’accès de ses sites militaires serait refusé aux représentants de l’AIEA, et qu’en 2016 il n’avait pas respecté, à deux reprises, les quotas imposés par le plan d’action pour l’accumulation d’eau lourde. Le mémorandum présidentiel concluait qu’il était dans l’intérêt national des Etats-Unis de rétablir les sanctions «aussi rapidement que possible» et «au plus tard dans un délai de 180 jours» à compter de la date qu’il portait.
36. Simultanément, l’Office of Foreign Assets Control (l’autorité américaine chargée du contrôle des avoirs étrangers) du département du trésor américain a annoncé que le rétablissement des «sanctions» se ferait en deux étapes. A l’expiration d’un délai de 90 jours, les Etats-Unis rétabliraient un certain nombre de mesures visant, notamment, les opérations financières, le commerce des métaux, l’importation de tapis et de denrées alimentaires d’origine iranienne et l’exportation vers l’Iran d’aéronefs de transport commercial de passagers et de pièces détachées connexes. A l’expiration d’un délai de 180 jours, les Etats-Unis rétabliraient des mesures supplémentaires.
37. Le 6 août 2018, le président des Etats-Unis a promulgué le décret 13846 qui rétablissait «certaines sanctions» contre l’Iran, ses ressortissants et sociétés. De précédents décrets par lesquels étaient mis en oeuvre les engagements pris par les Etats-Unis dans le cadre du plan d’action étaient abrogés.
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38. Les Etats-Unis ont soulevé cinq exceptions préliminaires. Les deux premières se rapportent à la compétence ratione materiae de la Cour pour connaître de l’affaire sur le fondement du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié. La troisième tend à contester la recevabilité de la requête de l’Iran en raison d’un abus de procédure allégué et pour des motifs d’«opportunité judiciaire». Les deux dernières sont fondées sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié. Bien que, selon le défendeur, elles ne se rapportent ni à la compétence de la Cour ni à la recevabilité de la requête, celui-ci demande qu’il y soit statué avant toute poursuite de la procédure sur le fond.
La Cour commencera par examiner les questions relatives à sa compétence.
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II. COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE DE LA COUR EN VERTU DE L’ARTICLE XXI DU TRAITÉ D’AMITIÉ
39. Les Etats-Unis contestent la compétence de la Cour pour connaître de la requête de l’Iran. Ils soutiennent que le différend soumis à la Cour n’entre pas dans le champ d’application ratione materiae du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié, qui est la base de compétence invoquée par l’Iran, aux termes duquel :
«Tout différend qui pourrait s’élever entre les Hautes Parties contractantes quant à l’interprétation ou à l’application du présent Traité et qui ne pourrait pas être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique sera porté devant la Cour internationale de Justice, à moins que les Hautes Parties contractantes ne conviennent de le régler par d’autres moyens pacifiques.»
40. Selon le défendeur, le différend que l’Iran entend soumettre à la Cour n’entre pas dans le champ d’application de la clause compromissoire précitée pour deux raisons, qui ont, selon lui, un caractère alternatif.
En premier lieu, les Etats-Unis soutiennent que «l’objet véritable de la présente affaire est un différend relatif à l’application du plan d’action, instrument qui est totalement distinct [du traité d’amitié] et qui n’a aucun rapport avec lui». En conséquence, selon le défendeur, le différend que l’Iran cherche à faire trancher par la Cour n’a pas pour objet «l’interprétation ou … l’application du … Traité» au sens du paragraphe 2 de l’article XXI précité.
En second lieu, les Etats-Unis soutiennent que la grande majorité des mesures contestées par l’Iran ne relèvent pas ratione materiae du traité d’amitié, parce que les mesures en question concernent principalement le commerce et les transactions entre l’Iran et des pays tiers, ou leurs sociétés et ressortissants, et non entre l’Iran et les Etats-Unis, ou leurs sociétés et ressortissants.
41. La Cour examinera d’abord la première de ces deux exceptions, qui, si elle était fondée, aurait pour résultat de faire échapper à sa compétence la totalité des demandes de l’Iran, puis, si besoin est, elle se penchera sur la seconde, qui ne vise que la majorité, et non la totalité, des demandes en cause.
1. Première exception préliminaire d’incompétence : l’objet du différend
42. Selon les Etats-Unis, le différend que l’Iran prétend soumettre à la Cour est né de la décision des Etats-Unis, en date du 8 mai 2018, de ne plus participer au plan d’action et de rétablir, en conséquence, les sanctions qu’ils avaient levées en vertu dudit plan. Les Etats-Unis soutiennent que, par sa requête à la Cour, l’Iran cherche en réalité à obtenir la remise en vigueur de la levée des sanctions à laquelle les Etats-Unis avaient procédé lorsqu’ils participaient encore au plan d’action. Le différend porte donc exclusivement sur les décisions prises par les Etats-Unis relativement au plan d’action ; l’affaire est liée à ce dernier de manière inextricable, elle ne présente en revanche aucun rapport réel avec le traité d’amitié.
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43. Les Etats-Unis affirment voir une preuve de ce qui précède dans le libellé de la note diplomatique du 11 juin 2018, par laquelle l’Iran prétend avoir notifié aux Etats-Unis l’existence du différend présentement soumis à la Cour. Dans cette note, relèvent les Etats-Unis, l’Iran se plaint de la «décision illicite du Gouvernement des Etats-Unis, annoncée le 8 mai 2018, de «rétablir toutes les sanctions américaines qui [avaient] été levées ou abandonnées en application du plan d’action»», sans même mentionner le traité d’amitié. Une seconde note de l’Iran en date du 19 juin 2018 est également axée, selon les Etats-Unis, sur et exclusivement sur leur décision de cesser de participer au plan d’action et de rétablir les sanctions précédemment levées.
44. Les Etats-Unis relèvent que l’Iran n’a dénoncé la prétendue illicéité, au regard du traité d’amitié, des mesures qu’il conteste que lorsque celles-ci ont été rétablies par suite du retrait des Etats-Unis du plan d’action, alors que les mesures en question avaient été en vigueur avant l’adoption de ce plan pour certaines depuis des décennies sans que l’Iran en conteste l’imposition au regard du traité d’amitié.
45. Egalement révélateur, selon les Etats-Unis, est le fait que l’Iran ne conteste devant la Cour que la réimposition des sanctions qui avaient été levées en vertu du plan d’action. Le défendeur souligne que le plan d’action prévoyait la suspension ou la suppression des seules «sanctions multilatérales ou nationales relatives au programme nucléaire de l’Iran», et que, par conséquent, les autres mesures visant l’Iran qui avaient été mises en vigueur par les Etats-Unis avant l’adoption du plan d’action ont continué à produire effet pendant la période d’application dudit plan.
46. Tout ce qui précède démontre, selon le défendeur, que l’objet réel du différend se rapporte exclusivement au plan d’action. Selon les Etats-Unis, ce dernier est un arrangement politique multilatéral qui ne crée aucune obligation juridiquement contraignante. De surcroît, il ne comporte aucune clause conférant à la Cour compétence pour connaître d’un différend qui s’élèverait entre deux ou plusieurs de ses participants.
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47. L’Iran rejette les arguments soulevés par les Etats-Unis à l’appui de la première exception préliminaire d’incompétence. Il soutient que le différend qu’il soumet à la Cour a bien pour objet l’interprétation et l’application du traité d’amitié, et qu’il entre donc pleinement dans le champ de la clause compromissoire du traité.
48. Selon l’Iran, sa requête a entièrement et exclusivement trait à des violations du traité d’amitié. Les mesures qu’il conteste constituent des violations du traité d’amitié, qu’elles soient ou non également associées au plan d’action, ou adoptées avec celui-ci en arrière-plan. La question est simplement de savoir si, comme le soutient le demandeur, ces mesures contreviennent au traité, point n’étant besoin de rechercher si elles sont aussi contraires au plan d’action.
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49. L’Iran ajoute que le fait que le plan d’action ne fasse pas référence au règlement des différends par la Cour est dépourvu de pertinence, le différend présentement soumis à la Cour ayant pour objet le respect du traité d’amitié, non du plan d’action. S’il est vrai que le plan d’action comporte un mécanisme spécifique de règlement des différends, rien ne permet de considérer que ce mécanisme aurait pour effet de soustraire à la compétence de la Cour tout différend relatif à des mesures qui, entrant dans le champ d’une clause attribuant compétence à la Cour, seraient également susceptibles d’être rattachées au plan d’action.
50. Enfin, à l’argument des Etats-Unis tiré de ce que l’Iran n’aurait pas contesté l’imposition des mesures litigieuses avant l’adoption du plan ou pendant la négociation ayant conduit à son adoption, le demandeur répond qu’il a bel et bien protesté contre les mesures américaines, qu’il tient pour contraires au droit international. Il ajoute qu’il appartient à chaque Etat de déterminer à quel moment les circonstances justifient qu’il fasse valoir ses droits par la voie judiciaire et non plus seulement par la recherche d’un règlement diplomatique, ce que le demandeur a fait en l’espèce en décidant de porter le présent différend devant la Cour.
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51. La Cour relève que les Parties ne contestent pas qu’il existe entre elles un différend, mais elles divergent sur la question de savoir si ce différend porte sur l’interprétation et l’application du traité d’amitié, comme le soutient l’Iran, ou exclusivement sur le plan d’action, comme l’affirment les Etats-Unis. Dans ce dernier cas, le différend n’entrerait pas dans le champ d’application ratione materiae de la clause compromissoire du traité d’amitié.
52. Ainsi que la Cour l’a constamment rappelé, s’il est vrai que le demandeur doit, conformément au paragraphe 1 de l’article 40 du Statut, lui indiquer ce qui constitue selon lui «l’objet du différend», c’est à elle qu’il appartient de déterminer, compte tenu des conclusions des Parties, quel est l’objet du différend dont elle est saisie (voir Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 447-449, par. 29-32). Comme elle l’a indiqué dans les affaires des Essais nucléaires :
«C’est … le devoir de la Cour de circonscrire le véritable problème en cause et de préciser l’objet de la demande. Il n’a jamais été contesté que la Cour est en droit et qu’elle a même le devoir d’interpréter les conclusions des parties ; c’est l’un des attributs de sa fonction judiciaire.» (Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 262, par. 29 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 466, par. 30.)
53. La détermination par la Cour de l’objet du différend se fait «sur une base objective» (Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 602, par. 26), «en consacrant une attention particulière à la formulation du différend utilisée par le demandeur» (Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 448, par. 30). Pour identifier l’objet du différend, la Cour se fonde sur la requête, ainsi que sur les exposés écrits et
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oraux des parties. Elle tient notamment compte des faits que le demandeur invoque à l’appui de sa demande (Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 602-603, par. 26).
54. Dans la présente espèce, l’Iran cherche en substance, aux termes des conclusions présentées dans sa requête et son mémoire, à obtenir que la Cour déclare que les mesures remises en vigueur en vertu de la décision des Etats-Unis exprimée dans le mémorandum présidentiel du 8 mai 2018 sont contraires à diverses obligations incombant aux Etats-Unis au titre du traité d’amitié, et que soit rétablie en conséquence la situation antérieure à cette décision. Les Etats-Unis contestent que les mesures critiquées constituent des violations du traité d’amitié. Il en résulte une opposition de points de vue qui caractérise un différend portant sur le traité d’amitié.
55. Il est vrai que ce différend a pris naissance dans un contexte politique particulier, celui de la décision des Etats-Unis de se retirer du plan d’action. Mais, comme la Cour a eu l’occasion de le souligner :
«[L]es différends juridiques entre Etats souverains ont, par leur nature même, toutes chances de surgir dans des contextes politiques et ne représentent souvent qu’un élément d’un différend politique plus vaste et existant de longue date entre les Etats concernés. Nul n’a cependant jamais prétendu que, parce qu’un différend juridique soumis à la Cour ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se refuser à résoudre dans l’intérêt des parties les questions juridiques qui les opposent.» (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 20, par. 37.)
56. Le fait que le différend entre les Parties soit né à l’occasion et dans le contexte de la décision des Etats-Unis de se retirer du plan d’action n’exclut pas, par lui-même, que ce différend ait trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié (cf. Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811-812, par. 21). Certains actes peuvent entrer dans le champ de plusieurs instruments et un différend relatif à ces actes peut avoir trait «à l’interprétation ou à l’application» de plusieurs traités ou autres instruments. Pour autant qu’elles puissent constituer des manquements à certaines obligations découlant du traité d’amitié, les mesures que les Etats-Unis ont adoptées après leur décision de se retirer du plan d’action se rapportent à l’interprétation ou à l’application de ce traité.
57. Même s’il était exact, comme l’affirme le défendeur, qu’un arrêt de la Cour faisant droit aux demandes présentées par l’Iran sur le fondement du traité d’amitié aboutirait à rétablir la situation qui existait à l’époque où les Etats-Unis participaient encore au plan d’action, il n’en résulterait pas pour autant que le différend soumis à la Cour par l’Iran porte sur le plan d’action et non sur le traité d’amitié.
58. La Cour prend note de ce que les Etats-Unis ont précisé qu’ils ne prétendent pas que l’existence d’un rapport entre le différend et leur décision de se retirer du plan d’action suffit en elle-même à empêcher la Cour de se déclarer compétente pour connaître des demandes de l’Iran fondées sur le traité d’amitié, ni que la compétence prévue par le traité est exclue pour la seule raison que le différend s’inscrit dans un contexte plus large englobant le plan d’action.
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59. L’argument du défendeur est que l’objet précis des demandes de l’Iran en l’espèce a exclusivement trait au plan d’action et non au traité d’amitié. La Cour ne voit pas comment elle pourrait adhérer à une telle analyse sans dénaturer les demandes de l’Iran, telles que le demandeur les a formulées. Le «devoir de la Cour de circonscrire le véritable problème en cause et de préciser l’objet de la demande» (voir paragraphe 52 ci-dessus) ne lui permet pas de modifier l’objet des conclusions, surtout lorsque celles-ci ont été formulées de manière claire et précise. En particulier, la Cour ne peut pas déduire l’objet du différend du contexte politique dans lequel l’instance a été introduite, plutôt que de se fonder sur ce que le requérant lui demande.
60. Pour les motifs qui précèdent, la Cour ne saurait accueillir la première exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis.
2. Seconde exception préliminaire d’incompétence : les «mesures concernant les pays tiers»
61. Les Etats-Unis soutiennent que, même si l’objet réel du différend était l’application du traité d’amitié et non du plan d’action, la Cour n’aurait pas compétence pour connaître de la grande majorité des demandes de l’Iran, car ces demandes se rapportent à des mesures qui concernent principalement le commerce ou les transactions entre l’Iran et des pays tiers, ou leurs ressortissants et sociétés. Or, selon le défendeur, le traité d’amitié n’est applicable qu’aux échanges commerciaux entre les deux Etats parties, ou leurs ressortissants et sociétés, non aux échanges entre l’un d’entre eux et un Etat tiers, ou leurs ressortissants et sociétés.
62. Selon les Etats-Unis, les mesures mises en vigueur ou rétablies en application du mémorandum du 8 mai 2018 visent dans leur grande majorité le commerce ou les transactions de l’Iran (ou de ses sociétés et ressortissants) avec des pays tiers (ou leurs sociétés et ressortissants). En effet, les mesures visant directement les «personnes relevant de la juridiction des Etats-Unis» (au sens particulier dans lequel cette catégorie de personnes est définie par le plan d’action) et tendant à interdire à de telles personnes d’effectuer certaines opérations avec l’Iran ou des entités iraniennes n’avaient pas été levées par le plan d’action ; elles n’ont donc pas été rétablies par l’effet du mémorandum du 8 mai 2018 et de ses actes d’application. Il en résulte, selon les Etats-Unis, que puisque l’Iran ne conteste devant la Cour que la licéité des «mesures du 8 mai» au regard du traité d’amitié, il tire ainsi grief de mesures qui, dans leur grande majorité, ne touchent pas aux relations commerciales ou financières entre les Etats-Unis et l’Iran, mais entre l’Iran et des pays tiers, ou leurs sociétés et ressortissants. Selon le défendeur, de telles mesures, qu’il qualifie de «mesures concernant les pays tiers», n’entrent pas dans le champ d’application du traité d’amitié.
63. Plus précisément, les Etats-Unis exposent que les mesures en litige peuvent être classées en quatre catégories, selon leur objet : i) la remise en vigueur de certaines dispositions législatives américaines régissant les sanctions qui avaient été levées en application du plan d’action ; ii) la remise en vigueur, par la promulgation du décret 13846, de certains instruments de sanction précédemment abrogés ; iii) la réinscription de certaines personnes sur la liste SDN («liste de personnes physiques ou morales issues de pays spécialement désignés ou visées par le gel d’avoirs») du département du trésor américain ; et iv) la révocation de certaines mesures d’autorisation concernant les tapis, les denrées alimentaires, les aéronefs de transport commercial de passagers ou leurs pièces détachées, ainsi que les activités d’entités étrangères détenues ou contrôlées par une personne physique ou morale américaine.
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Le défendeur soutient que les mesures des trois premières catégories sont des «mesures concernant les pays tiers», qui ne relèvent pas du champ d’application du traité d’amitié. Il précise que sa seconde exception d’incompétence ne vise pas les demandes de l’Iran qui sont relatives aux mesures de la quatrième catégorie.
64. En ce qui concerne les trois premières catégories de mesures, et notamment celles qui consistent dans la remise en vigueur de certaines dispositions législatives régissant les sanctions qui avaient été abandonnées en application du plan d’action, les Etats-Unis soulignent que ce dernier spécifiait que «les sanctions que les Etats-Unis cesseront d’appliquer … conformément à l’engagement pris dans la présente section 4, sont celles qui visent les personnes ne relevant pas de l[eur] juridiction». Le plan d’action précisait en outre qu’«[i]l restera généralement interdit aux personnes relevant de la juridiction des Etats-Unis et aux entités étrangères détenues ou contrôlées par elles d’effectuer des opérations du type qu’autorise le présent plan d’action, à moins d’y être autorisés par le … département du trésor des Etats-Unis». En conséquence, soutiennent les Etats-Unis, abstraction faite de la quatrième catégorie limitée mentionnée au paragraphe 63 ci-dessus, les seules sanctions levées pendant la période d’application du plan d’action étaient celles qui visaient des Etats tiers ou leurs sociétés et ressortissants, et ce sont seulement de telles «mesures concernant des pays tiers» qui ont été rétablies après le 8 mai 2018.
65. Il en va de même, selon le défendeur, des dispositions résultant du décret 13846, qui a remis en vigueur certains décrets antérieurs qui avaient été abrogés ou modifiés dans le cadre de la mise en oeuvre du plan d’action. Les sanctions rétablies par le décret 13846 visent des personnes ne relevant pas de la juridiction des Etats-Unis.
66. Enfin, s’agissant de la réinscription de certaines personnes et de certains biens sur la liste SDN du département du trésor américain, le défendeur souligne que la réinscription sur ladite liste de plus de 400 individus ou entités a principalement touché les ressortissants et sociétés de pays tiers en interdisant à ces ressortissants ou sociétés, sous peine de sanctions, de fournir des biens et des services à des personnes iraniennes inscrites sur la liste.
67. Ayant ainsi caractérisé les mesures contestées par l’Iran dans la présente instance, les Etats-Unis soutiennent que de telles mesures n’entrent dans les prévisions d’aucune des dispositions du traité d’amitié, qui ne contient aucune clause qui imposerait aux Etats-Unis soit de prendre soit de s’abstenir de prendre des mesures à l’égard du commerce ou des transactions entre l’Iran et un pays tiers. En particulier, selon les Etats-Unis, de telles mesures n’entrent dans les prévisions d’aucune des dispositions du traité d’amitié dont l’Iran allègue la violation, à savoir les articles IV (par. 1 et 2), V (par. 1), VII (par. 1), VIII (par. 1 et 2), IX (par. 2 et 3) et X (par. 1).
68. Selon les Etats-Unis, le paragraphe 2 de l’article IV et le paragraphe 1 de l’article V sont expressément limités au comportement à tenir sur le territoire des Etats-Unis. De même, selon le défendeur, c’est à tort que l’Iran affirme que le paragraphe 1 de l’article VII, qui interdit les restrictions en matière de transfert de fonds, pourrait s’appliquer à des mesures américaines touchant les paiements à destination ou en provenance d’un pays tiers, et non pas seulement à destination ou en provenance du territoire iranien.
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69. En ce qui concerne les paragraphes 1 et 2 de l’article VIII, qui énoncent certaines obligations relatives à l’exportation et à l’importation de produits, les Etats-Unis estiment que ces dispositions concernent exclusivement soit des produits d’Iran destinés à l’importation vers le territoire des Etats-Unis, soit des produits des Etats-Unis destinés à l’exportation vers l’Iran. Pour des raisons similaires, les mesures concernant les Etats tiers n’entrent pas, selon les Etats-Unis, dans le champ d’application des paragraphes 2 et 3 de l’article IX, qui imposent à chaque partie d’accorder un certain traitement aux sociétés et ressortissants de l’autre partie s’agissant des questions d’importation ou d’exportation, et en ce qui concerne la capacité des sociétés de souscrire une assurance maritime. Enfin, les Etats-Unis relèvent que le paragraphe 1 de l’article X, selon lequel «il y aura liberté de commerce et de navigation entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes», contient une «limitation territoriale importante» et ne s’applique donc pas aux biens faisant l’objet de transactions intermédiaires avec des pays tiers.
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70. L’Iran récuse la théorie des «mesures concernant les pays tiers» qui sous-tend la seconde exception préliminaire d’incompétence des Etats-Unis. Il s’agit, selon l’Iran, non seulement d’une pure invention du défendeur, mais surtout d’une théorie trompeuse, parce qu’en réalité toutes les mesures américaines en cause dans la présente affaire ciblent précisément l’Iran et ses sociétés ou ressortissants, et non les Etats tiers ou leurs sociétés et ressortissants. L’Iran en veut pour preuve, notamment, la déclaration du département du trésor américain du 5 novembre 2018, qui a qualifié les mesures en cause de «sanctions américaines les plus sévères jamais imposées à l’Iran, qui vont viser des secteurs stratégiques de l’économie iranienne».
71. Prenant l’exemple du paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié, qui protège la «liberté de commerce … entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes», l’Iran souligne qu’il importe peu qu’une entrave à cette liberté prenne la forme du retrait par les Etats-Unis d’une autorisation permettant à une société américaine de vendre des produits à une société iranienne (mesure dont le défendeur ne conteste pas qu’elle entre dans le champ d’application du traité), ou d’une sanction américaine frappant une banque ou une autre entreprise d’un Etat tiers qui empêche la société iranienne de payer ou d’acquérir physiquement les produits vendus par la société américaine (qui serait une soi-disant «mesure concernant un pays tiers»).
72. L’Iran soutient que sa requête repose sur certaines dispositions du traité d’amitié interprétées conformément aux règles codifiées dans la convention de Vienne sur le droit des traités. Le demandeur souligne que le sens ordinaire du texte revêt une importance primordiale et que le contexte doit également être pris en considération. A cet égard, l’Iran admet que certaines des dispositions du traité d’amitié contiennent des limitations territoriales. Mais le fait même que tel soit le cas de certaines dispositions constitue, selon l’Iran, un élément de contexte important aux fins de l’interprétation de celles qui ne comportent pas de semblables limitations, puisque la déduction évidente est que cette absence est délibérée.
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73. Sur la base d’un examen de chacune des dispositions du traité dont il invoque la violation par les Etats-Unis, à savoir selon la requête les articles IV (par. 1), VII (par. 1), VIII (par. 1 et 2), IX (par. 2) et X (par. 1), auxquels s’ajoutent aux termes du mémoire les articles IV (par. 2), V (par. 1) et IX (par. 3), l’Iran invite la Cour à déterminer si, au vu des faits pertinents qu’il allègue, il pourrait exister une violation d’une ou plusieurs de ces dispositions par les mesures américaines qu’il conteste. Selon l’Iran, les «faits pertinents» sont notamment les suivants : le fait que les mesures américaines, y compris celles «concernant les pays tiers», ont pour objet et pour effet de priver les sociétés et ressortissants iraniens de leurs biens et entreprises ou de porter atteinte à ceux-ci à une grande échelle, le fait que les sociétés et ressortissants d’Iran exerçant une activité dans les secteurs essentiels de l’économie iranienne sont délibérément ciblés par les mesures des Etats-Unis et le fait que les sanctions détruisent l’économie et la monnaie de l’Iran, poussant des millions de personnes dans la pauvreté.
74. Passant en revue les diverses dispositions du traité dont il allègue la violation, l’Iran conclut que «les violations du traité de 1955 alléguées par [lui] entrent … dans les prévisions de ce traité et [que], par suite, le différend est de ceux dont [la Cour] est compétente pour connaître ratione materiae par application du paragraphe 2 de l’article XXI», pour reprendre les termes de l’énoncé bien connu de la Cour dans l’affaire des Plates-formes pétrolières.
* *
75. La Cour rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, pour déterminer si elle a compétence ratione materiae au titre d’une clause compromissoire visant les différends concernant l’interprétation ou l’application d’un traité, elle ne peut se borner à constater que l’une des parties soutient qu’il existe un tel différend et que l’autre le nie. Elle doit rechercher si les actes dont le demandeur tire grief entrent dans les prévisions du traité contenant la clause compromissoire. Il peut ainsi se révéler nécessaire d’interpréter les dispositions qui définissent le champ d’application du traité (voir Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 308, par. 46 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16).
76. La Cour constate que l’exception préliminaire relative aux «mesures concernant les pays tiers» ne vise pas l’ensemble des demandes de l’Iran, mais seulement la majorité d’entre elles. En effet, le défendeur a précisé que l’une des quatre catégories entre lesquelles on peut classer, selon lui, les mesures mises en vigueur ou rétablies en vertu du mémorandum présidentiel du 8 mai 2018 (voir paragraphe 63 ci-dessus) échappe à la qualification de «mesures concernant les pays tiers» et n’est donc pas couverte par la seconde exception préliminaire d’incompétence. Il s’agit de la quatrième catégorie, qui est constituée par la révocation de certaines mesures d’autorisation qui, pendant la période de mise en oeuvre du plan d’action, permettaient d’effectuer certaines transactions commerciales ou financières avec l’Iran. Les autorisations en cause, qui ont été supprimées en application du mémorandum du 8 mai 2018, bénéficiaient à des «personnes relevant de la juridiction des Etats-Unis», selon le défendeur, et leur retrait n’est pas couvert par l’exception présentement examinée.
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77. Il en résulte que même si la Cour devait faire droit à la seconde exception d’incompétence et à supposer qu’elle n’accueille aucune des autres exceptions préliminaires, dont chacune vise la totalité des demandes de l’Iran l’instance ne prendrait pas fin. Elle devrait de toute façon se poursuivre sur le fond en ce qui concerne la catégorie de mesures contestées par l’Iran qui n’ont pas, selon les Etats-Unis, le caractère de «mesures concernant les pays tiers».
La Cour note, toutefois, qu’en ce qui concerne cette catégorie les Etats-Unis ont déclaré «se réserver le droit de faire valoir que tout ou partie des demandes de l’Iran ayant pour objet la révocation de certaines mesures d’autorisation ne relèvent pas du champ d’application du traité», au stade ultérieur de la procédure, si la présente instance devait atteindre un tel stade.
78. La Cour relève que les Parties sont en désaccord sur la pertinence de la notion de «mesures concernant les pays tiers», et sur les effets qui devraient résulter de l’application d’une telle notion au cas d’espèce. Alors que selon les Etats-Unis la Cour devrait se déclarer incompétente pour connaître de la plus grande partie des demandes de l’Iran, puisque la grande majorité des mesures critiquées par le demandeur sont dirigées contre des personnes, entreprises ou entités «ne relevant pas de la juridiction des Etats-Unis», l’Iran soutient au contraire que la notion de «mesures concernant les pays tiers» est dépourvue de pertinence. Il faudrait seulement, selon le demandeur, examiner chacune des catégories de mesures en cause afin de déterminer si elles entrent dans le champ d’application des diverses dispositions du traité d’amitié dont il allègue la violation.
79. Les Parties sont, d’autre part, en désaccord sur l’interprétation des dispositions du traité dont l’Iran invoque la méconnaissance par les Etats-Unis, en ce qui concerne leur champ d’application territorial et leur portée. Selon l’Iran, les dispositions qui ne comportent pas de limitation expresse quant à leur champ d’application territorial doivent être généralement interprétées comme applicables aux activités exercées en tout lieu, tandis que selon les Etats-Unis il résulte de l’objet et du but du traité d’amitié que celui-ci ne se rapporte qu’à la protection des activités de commerce et d’investissement d’une Partie, ou de ses ressortissants ou sociétés, sur le territoire de l’autre, ou dans le cadre des échanges entre l’une et l’autre. Par ailleurs, l’Iran soutient que le traité interdit aux Etats-Unis de porter atteinte aux droits qu’il garantit à l’Iran et aux sociétés ou ressortissants iraniens non seulement par des mesures s’appliquant directement à ces ressortissants ou sociétés, ou à des personnes américaines dans leurs relations avec l’Iran, mais aussi par des mesures dirigées en premier lieu contre une tierce partie mais dont la finalité réelle est d’empêcher l’Iran, ses sociétés et ses ressortissants, de bénéficier des droits que le traité leur garantit. Les Etats-Unis contestent ce point de vue.
80. La Cour constate que l’ensemble des mesures dont se plaint l’Iran celles qui ont été mises en vigueur ou rétablies en conséquence du mémorandum présidentiel du 8 mai 2018 visent à affaiblir l’économie iranienne. En effet, sur la base des déclarations officielles des autorités américaines elles-mêmes, l’Iran, ses ressortissants et ses sociétés sont la cible des mesures que le défendeur qualifie de «mesures concernant les pays tiers», tout autant que de celles qui visent directement des entités iraniennes ou des «personnes relevant de la juridiction des Etats-Unis» en vue de leur interdire d’effectuer des transactions avec l’Iran, ses ressortissants ou sociétés.
On ne saurait pour autant en déduire que toutes les mesures en cause sont susceptibles de constituer des manquements aux obligations des Etats-Unis en vertu du traité d’amitié. Ce qui est déterminant à cet égard, c’est de savoir si chacune des mesures ou catégorie de mesures considérées est de nature à porter atteinte aux droits garantis à l’Iran par les diverses dispositions du traité d’amitié dont le demandeur invoque la violation.
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81. Inversement, le fait que certaines mesures contestées qu’elles soient ou non «la grande majorité», comme le soutiennent les Etats-Unis visent directement les Etats tiers, ou des ressortissants ou sociétés d’Etats tiers, ne suffit pas à les faire échapper automatiquement au champ d’application du traité d’amitié. Seul un examen détaillé de chacune des mesures en question, de sa portée et de ses effets concrets peut permettre à la Cour de déterminer si elle affecte l’exécution des obligations des Etats-Unis résultant des dispositions du traité d’amitié invoquées par l’Iran, compte tenu du sens et de la portée de ces diverses dispositions.
82. En somme, la Cour considère que la seconde exception préliminaire des Etats-Unis se rapporte à la portée de certaines obligations dont se prévaut le demandeur dans la présente espèce et soulève des questions de droit et de fait qui relèvent du fond (voir Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 586, par. 63). Si l’affaire devait se poursuivre au fond, c’est à ce stade que de telles questions seraient tranchées par la Cour sur la base des arguments avancés par les Parties.
83. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la seconde exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis ne saurait être accueillie.
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84. La Cour conclut de l’ensemble des motifs précédents qu’elle a compétence ratione materiae pour connaître de la requête de l’Iran sur le fondement du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié de 1955.
III. RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE DE L’IRAN
85. A titre subsidiaire, les Etats-Unis soulèvent une exception préliminaire relative à la recevabilité de la requête du demandeur. Selon eux, l’ensemble des demandes présentées par l’Iran sont irrecevables en ce qu’elles procéderaient d’un abus de procédure et soulèveraient des questions d’«opportunité judiciaire».
86. Le défendeur fait observer que la jurisprudence de la Cour n’offre pas de définition exhaustive de ce qui constitue un abus de procédure, un tel comportement devant s’apprécier à la lumière des circonstances de l’espèce. Les Etats-Unis affirment que, si la notion d’abus de procédure peut certes être rattachée au principe de bonne foi, il n’est pas nécessairement requis d’examiner si l’Etat en cause agit ou a agi de bonne ou de mauvaise foi. Ils rappellent que la Cour peut refuser de statuer en présence d’éléments attestant clairement que le comportement du demandeur procède d’un abus de procédure.
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87. Les Etats-Unis soutiennent que la présente affaire fait apparaître des circonstances exceptionnelles justifiant que la Cour s’en dessaisisse dans son intégralité à raison d’un abus de procédure. Selon eux, l’Iran cherche, par cette instance, à obtenir un «avantage illégitime» relativement à ses activités nucléaires ainsi qu’à exercer «une pression politique et psychologique» à leur égard. Ainsi que pour leur première exception d’incompétence de la Cour, les Etats-Unis font valoir que le différend concerne exclusivement le plan d’action. Ils avancent que, en saisissant la Cour, l’Iran cherche à faire lever les sanctions qui ont été rétablies après avoir été levées antérieurement en application du plan d’action. Ils signalent que les participants au plan d’action ont prévu des mécanismes politiques pour régler l’éventuelle inexécution, par l’un d’entre eux, de ses engagements, mais n’ont pas consenti à la compétence de la Cour pour régler les différends qui pourraient en résulter. Les Etats-Unis affirment que, si la Cour en venait à connaître de l’affaire au fond et à faire droit aux demandes de l’Iran, celui-ci obtiendrait la levée d’un ensemble défini de sanctions liées au nucléaire «qui étaient au coeur du marché conclu dans le cadre du plan d’action». L’Iran pourrait ainsi échapper aux sanctions imposées par les Etats-Unis dans le domaine du nucléaire sans être tenu d’honorer ses propres engagements au titre du plan d’action. Compte tenu de ces circonstances qui, de l’avis du défendeur, sont exceptionnelles, la requête devrait être déclarée irrecevable.
88. En outre, les Etats-Unis soutiennent que la Cour a le pouvoir inhérent de refuser d’exercer sa juridiction afin de préserver l’intégrité de sa fonction judiciaire. De leur point de vue, il serait «raisonnable, nécessaire et indiqué» à cet égard que la Cour déclare l’instance irrecevable. En acceptant de connaître d’une affaire soulevant des questions qui s’enchevêtrent profondément avec le plan d’action, elle pourrait, selon eux, compromettre son intégrité judiciaire. Les Etats-Unis ajoutent que, en permettant à l’Iran d’obtenir la levée des sanctions liées au nucléaire, la Cour se placerait «dans une position incompatible avec sa fonction intrinsèquement judiciaire».
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89. L’Iran souligne que la Cour, lorsqu’elle a été appelée par le passé à examiner des moyens fondés sur un abus de procédure, a conclu qu’un tel abus ne pouvait se produire que dans des circonstances exceptionnelles, qu’elle n’a encore jamais rencontrées. Il ajoute que le seuil à partir duquel peut être établie l’existence d’un abus de procédure est très élevé et ne peut être atteint qu’en présence d’éléments de preuve clairs.
90. En l’espèce, l’Iran soutient qu’il n’existe pas de circonstances exceptionnelles sur la base desquelles la Cour serait fondée à constater un abus de procédure. De son point de vue, il est normal qu’un différend relatif à un traité ait des implications politiques. En réponse aux arguments des Etats-Unis, qui affirment qu’une décision en sa faveur lui conférerait un «avantage illégitime» et que l’affaire porte véritablement sur le plan d’action et non sur le traité d’amitié, l’Iran rappelle que la Cour a déjà été saisie de prétentions analogues dans d’autres instances, où elle a conclu que les circonstances en cause n’étaient pas constitutives d’un abus de procédure. Le demandeur soutient qu’il ne saurait être illégitime de faire valoir des droits qu’il tient d’un traité en vigueur entre le défendeur et lui-même. Il affirme en outre que le simple risque «d’interférer avec l’exécution d’un autre instrument international» ne saurait faire obstacle à l’accès à la justice.
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91. L’Iran soutient également que la Cour, en exerçant sa juridiction en l’espèce, ne compromettrait pas l’intégrité de sa fonction judiciaire. Il fait observer que les Etats-Unis n’ont pas défini les conditions dans lesquelles la Cour devrait déclarer une instance irrecevable pour des considérations d’«opportunité judiciaire». Il avance que, pour que la Cour décide de ne pas exercer sa juridiction, «les circonstances de l’affaire en question doivent être par nature susceptibles [de l’]empêcher d’examiner les points de droit et de fait précis [que soulève l’affaire], ou d’entraver sa capacité d’examen». Selon lui, l’éventuel enchevêtrement du différend avec le plan d’action et la possibilité que lui-même se voie conférer un «avantage illégitime» ne sont pas des raisons valables de mettre en jeu l’intégrité de la procédure judiciaire. L’Iran fait valoir qu’aucune des demandes qu’il présente n’exige de la Cour qu’elle se prononce en droit sur le plan d’action ; ce dernier fait certes partie du contexte factuel, mais il n’a aucune incidence sur l’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire.
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92. L’exception d’irrecevabilité soulevée par les Etats-Unis repose sur l’argument que «les demandes de l’Iran procèdent d’un abus de procédure et engendreraient, s’il y était donné suite, une injustice soulevant de graves questions d’«opportunité judiciaire»», et ce parce que «[l]’Iran invoque le traité [d’amitié] dans une affaire relative à un différend qui concerne exclusivement l’application du plan d’action». La Cour note que les Etats-Unis n’ont pas traité leur exception d’irrecevabilité de la requête de l’Iran lors de la procédure orale, mais qu’ils l’ont néanmoins expressément maintenue.
93. Ainsi que la Cour l’a fait observer dans l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), «[s]eules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que la Cour rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable» (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150). La Cour a précisé qu’il devait y avoir des «éléments attestant clairement» que le comportement du demandeur procède d’un abus de procédure (pour des déclarations allant dans le même sens, voir Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 42-43, par. 113 ; Jadhav (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 433, par. 49).
94. En l’espèce, la Cour a déjà établi que le différend soumis par le demandeur porte sur des manquements allégués aux obligations découlant du traité d’amitié et non sur l’application du plan d’action (voir paragraphe 60 ci-dessus). La Cour a également conclu que la clause compromissoire contenue dans le traité d’amitié permet d’établir valablement sa compétence à l’égard des prétentions du demandeur (voir paragraphe 84 ci-dessus). Si, au stade du fond, elle en venait à conclure qu’il y a effectivement eu manquement à certaines obligations découlant du traité d’amitié, cela n’impliquerait pas d’accorder à l’Iran un quelconque «avantage illégitime» relativement à son programme nucléaire, comme l’affirment les Etats-Unis. Une telle conclusion reposerait sur l’examen, par la Cour, des dispositions conventionnelles qui relèvent de sa compétence.
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95. De l’avis de la Cour, il n’existe pas de circonstances exceptionnelles pouvant justifier de conclure à l’irrecevabilité de la requête de l’Iran pour abus de procédure. En particulier, le fait que le demandeur ait seulement contesté la conformité avec le traité d’amitié des mesures qui avaient été levées dans le cadre du plan d’action puis rétablies en mai 2018, sans invoquer d’autres mesures ayant une incidence sur ses ressortissants et sociétés et lui-même, peut traduire un choix de politique. Cependant, ainsi qu’elle l’a fait observer dans l’affaire relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), la Cour, pour se prononcer, «n’a pas à s’interroger sur les motivations d’ordre politique qui peuvent amener un Etat, à un moment donné ou dans des circonstances déterminées, à choisir le règlement judiciaire» (compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 91, par. 52.). En tout état de cause, si la plupart des demandes de l’Iran concernent les mesures qui avaient été levées dans le cadre du plan d’action puis rétablies par la suite, cela n’indique pas pour autant que la présentation desdites demandes constitue un abus de procédure.
96. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’exception d’irrecevabilité de la requête soulevée par les Etats-Unis doit être rejetée.
IV. EXCEPTIONS FONDÉES SUR LES ALINÉAS B) ET D) DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ D’AMITIÉ
97. Les Etats-Unis soutiennent que l’article 79 (à présent l’article 79bis) du Règlement de la Cour prévoit trois types d’exceptions préliminaires, soit l’exception d’incompétence de la Cour, l’exception d’irrecevabilité de la requête et «toute autre exception sur laquelle le défendeur demande une décision avant que la procédure sur le fond se poursuive». Ils avancent que la Cour a reconnu par le passé qu’une exception pouvait relever de la dernière catégorie et avoir un caractère exclusivement préliminaire même si elle effleurait certains aspects du fond de l’affaire.
98. Les Etats-Unis affirment que, en l’espèce, leurs exceptions fondées sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX, aux termes desquels le traité d’amitié n’empêche pas l’adoption de mesures «concernant les substances fissiles» ou nécessaires à la protection «des intérêts vitaux de [l’Etat concerné] sur le plan de la sécurité», relèvent de cette troisième catégorie d’exceptions prévue à l’article 79 du Règlement de la Cour et ont un caractère exclusivement préliminaire. Le défendeur soutient que les faits qui ont déjà été présentés à la Cour permettent à celle-ci de se prononcer sur ces exceptions sans statuer sur le fond ni préjuger les demandes de l’Iran. Selon les Etats-Unis, même si la Cour, dans sa jurisprudence, a jugé que les exceptions soulevées en vertu du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié constituaient des moyens de défense au fond devant être traités à un stade ultérieur de la procédure, en l’espèce elle devrait les examiner à titre préliminaire, notamment parce que cet examen «peut être dissocié de celui du bien-fondé des demandes de l’Iran». Les Etats-Unis avancent que, «dans l’intérêt de l’équité, de l’économie de procès et de la bonne administration de la justice», la Cour devrait statuer sans attendre sur ces questions.
99. Les Etats-Unis font valoir que les deux exceptions couvrent l’ensemble des demandes de l’Iran, ce qui, selon eux, justifie qu’elles soient tranchées au stade préliminaire de la procédure.
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100. De l’avis des Etats-Unis, toutes les mesures en litige peuvent être considérées comme «liées au nucléaire» ; elles relèvent donc de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié. Le défendeur soutient que, à la lumière du libellé et du contexte de cette disposition, la formule «concernant les substances fissiles» confère à une partie un pouvoir discrétionnaire considérable pour prendre «toute une série de mesures élaborées et adoptées pour contrôler et prévenir la prolifération de substances nucléaires sensibles», et pas seulement des mesures réglementant le commerce direct des substances fissiles.
101. Les Etats-Unis font observer que la présente affaire concerne exclusivement les mesures rétablies le 8 mai 2018, soit celles qui avaient été levées par suite de l’adoption du plan d’action. Ils ajoutent que toutes ces mesures ont été définies par les participants à ce plan, y compris le demandeur, comme des «sanctions … nationales relatives au programme nucléaire de l’Iran». Selon eux, le fait que les mesures aient été rétablies pour des raisons de sécurité qui n’étaient pas toutes liées au nucléaire est sans incidence sur l’application de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX.
102. En outre, les Etats-Unis avancent que les mesures en cause relèvent de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié. Ils affirment que la notion d’intérêts vitaux sur le plan de la sécurité qui figure dans cette disposition est large ; il n’est pas nécessaire que les mesures, pour satisfaire au critère requis, soient prises en réponse à une agression armée ou relativement à des questions que le Conseil de sécurité aurait qualifiées de menace pour la paix et la sécurité internationales. Les Etats-Unis soutiennent qu’il y a lieu d’accorder à l’Etat invoquant l’alinéa d) un «large pouvoir discrétionnaire» pour décider si sa sécurité nationale est en jeu et déterminer les mesures à prendre, et d’attacher une «grande déférence» à la décision ainsi prise.
103. En l’espèce, les Etats-Unis indiquent que, face aux «actes constants de violence et de déstabilisation» de l’Iran, des mesures s’imposaient pour la protection de leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité. La décision de rétablir les sanctions a été prise au plus haut niveau de leur administration, après une évaluation des ambitions nucléaires de l’Iran ainsi que d’autres politiques iraniennes qui étaient préoccupantes pour les Etats-Unis, notamment celles se rapportant au financement du terrorisme.
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104. L’Iran avance que les exceptions soulevées par le défendeur sur le fondement du paragraphe 1 de l’article XX n’entrent pas dans les prévisions de l’article 79 du Règlement de la Cour. Il reconnaît qu’il peut être difficile de classer certaines exceptions préliminaires comme se rapportant à la compétence de la Cour ou à la recevabilité de la requête, mais cela ne signifie pas, selon lui, qu’il existe une «troisième catégorie» d’exceptions préliminaires dans laquelle pourraient entrer celles se rapportant au fond. L’Iran fait valoir que, pour pouvoir être examinée au stade préliminaire, «l’exception doit intrinsèquement concerner la compétence, sans effleurer les questions de substance qui constituent le fond du différend». Il tient pour contradictoire la position des Etats-Unis, qui soutiennent que leurs exceptions, sans avoir d’incidence sur la compétence de la Cour, n’en revêtent pas moins un «caractère préliminaire» ; selon lui, une exception préliminaire ne peut avoir pour objet que d’empêcher la Cour d’exercer sa juridiction. Pour l’Iran, il importe peu,
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pour déterminer la nature des exceptions soulevées, que les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié couvrent l’intégralité de ses prétentions : ces exceptions demeurent un moyen de défense au fond, qu’elles couvrent ou non l’intégralité des demandes.
105. L’Iran avance que la Cour n’a aucune raison de s’écarter des conclusions auxquelles elle est parvenue en l’affaire relative à Certains actifs iraniens, à savoir que «les alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX ne restreignent pas sa compétence mais offrent seulement aux Parties une défense au fond». De plus, il soutient que, pour se prononcer sur les exceptions fondées sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX, la Cour devrait procéder à une analyse factuelle approfondie, laquelle ne peut avoir lieu qu’au stade de l’examen au fond, n’ayant «ni de place ni de pertinence» au stade actuel. En effet, les faits et moyens invoqués à l’appui de ces exceptions sont essentiellement les mêmes que ceux qui sous-tendent le fond de l’affaire. Le demandeur avance que, si la Cour devait se prononcer dès à présent sur les moyens de défense tirés du paragraphe 1 de l’article XX, ses propres droits deviendraient l’objet même de la décision. En outre, il estime que, au stade actuel de la procédure, la Cour ne dispose pas de tous les éléments factuels dont elle aurait besoin pour statuer sur les exceptions fondées sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX.
106. L’Iran fait en outre remarquer que l’alinéa b) doit être interprété à la lumière de l’objet et du but du traité et qu’il ne vise donc que le commerce, l’investissement et les autres activités économiques se rapportant aux substances fissiles. Les mesures liées à l’activité nucléaire au sens large n’entrent pas dans les prévisions de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX. Selon l’Iran, en l’espèce, aucune des mesures en litige ne concerne les substances fissiles ou leurs sous-produits radioactifs.
107. S’agissant de l’alinéa d), l’Iran soutient que les préoccupations des Etats-Unis quant à leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité ne justifiaient pas les mesures qui ont été prises. Le demandeur rappelle que c’est à la Cour qu’il revient d’apprécier la valeur probante des moyens invoqués en défense et de déterminer si les Etats-Unis avaient des motifs raisonnables de juger nécessaire et proportionnée, aux fins de protéger leurs intérêts en matière de sécurité, l’imposition des sanctions en litige. En l’espèce, l’Iran affirme que les mesures rétablies par les Etats-Unis ne sauraient être considérées comme nécessaires à la protection des intérêts vitaux de cet Etat sur le plan de la sécurité. Selon lui, l’invocation par les Etats-Unis de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX est «infondée et abusive».
* *
108. Le paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié est ainsi libellé :
«1. Le présent Traité ne fera pas obstacle à l’application de mesures :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
b) Concernant les substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances et les matières qui sont la source de substances fissiles ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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d) Ou nécessaires à l’exécution des obligations de l’une ou l’autre des Hautes Parties contractantes relatives au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ou à la protection des intérêts vitaux de cette Haute Partie contractante sur le plan de la sécurité.»
109. La Cour rappelle que, en l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), elle a conclu que «le paragraphe 1 d) de l’article XX [du traité d’amitié] ne restrei[gnait] pas sa compétence dans [ladite] affaire, mais offr[ait] seulement aux Parties une défense au fond … le cas échéant» (exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20). Elle a exprimé un point de vue analogue en l’affaire relative à Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 25, par. 45), dans laquelle elle a dit que l’interprétation qu’elle donnait du paragraphe 1 de l’article XX, s’agissant de l’alinéa d), s’appliquait également à l’alinéa c), lequel concerne les mesures «[r]églementant la production ou le commerce des armes, des munitions et du matériel de guerre». Elle a fait observer qu’il n’existait à cet égard «aucune raison pertinente pour … distinguer [l’alinéa c)] de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX» (ibid., p. 25, par. 46). La Cour estime qu’il n’existe pas davantage de raison pertinente pour distinguer l’alinéa b), lequel offre seulement une éventuelle défense au fond.
110. Les Parties ne contestent pas que les moyens tirés de l’article XX du traité d’amitié n’ont pas d’incidence sur la compétence de la Cour ou sur la recevabilité de la requête. Le défendeur avance cependant que les exceptions qu’il fonde sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX peuvent être tenues pour préliminaires au sens de l’article 79 du Règlement de la Cour, en ce qu’elles constituent chacune une «autre exception sur laquelle [il] demande une décision avant que la procédure sur le fond se poursuive». Pour les raisons exposées ci-après, les deux exceptions soulevées par les Etats-Unis sur le fondement des alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX ne peuvent être considérées comme préliminaires. Pour statuer sur ces points, il est nécessaire de procéder à une analyse des questions de droit et de fait qu’il convient d’effectuer au stade de l’examen au fond.
111. Le demandeur soutient que l’alinéa b), qui fait référence aux mesures «[c]oncernant les substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances et les matières qui sont la source de substances fissiles», doit être interprété comme se rapportant uniquement à des mesures telles que celles concernant spécifiquement l’exportation ou l’importation des substances fissiles. Toutefois, selon le défendeur, l’alinéa b) s’applique à toutes les mesures, quelle qu’en soit la teneur, qui visent le programme nucléaire de l’Iran, dès lors qu’elles peuvent toutes être considérées comme visant l’utilisation de substances fissiles. La question de l’interprétation à donner de l’alinéa b) et celle des effets qu’il produit en l’espèce n’ont pas un caractère préliminaire et devront être examinées au stade du fond.
112. Il en va de même des mesures que les Etats-Unis disent avoir prises parce qu’ils les jugeaient «nécessaires … à la protection [de leurs] intérêts vitaux … sur le plan de la sécurité» et dont ils affirment qu’elles entrent par conséquent dans la catégorie énoncée à l’alinéa d). L’examen de l’exception fondée sur ce motif soulèverait la question de l’existence de tels intérêts vitaux sur le plan de la sécurité et pourrait requérir une évaluation du caractère raisonnable et nécessaire des mesures en ce qu’elles ont une incidence sur les obligations découlant du traité d’amitié (voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 117, par. 224). Une telle évaluation ne peut être effectuée qu’au stade de l’examen au fond.
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113. Pour les raisons qui précèdent, les moyens que le défendeur tire des alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ne sauraient fonder des exceptions préliminaires, mais peuvent être présentés au stade du fond. Par conséquent, les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis sur la base de ces dispositions doivent être rejetées.
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114. Par ces motifs,
LA COUR,
1) A l’unanimité,
Rejette l’exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis d’Amérique selon laquelle l’objet du différend ne concerne pas l’interprétation ou l’application du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 ;
2) A l’unanimité,
Rejette l’exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis d’Amérique relative aux mesures qui concernent le commerce ou les transactions entre la République islamique d’Iran (ou ses ressortissants et sociétés) et des pays tiers (ou leurs ressortissants et sociétés) ;
3) Par quinze voix contre une,
Rejette l’exception préliminaire d’irrecevabilité de la requête soulevée par les Etats-Unis d’Amérique ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Brower, juge ad hoc ;
4) Par quinze voix contre une,
Rejette l’exception préliminaire soulevée par les Etats-Unis d’Amérique sur le fondement de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Brower, juge ad hoc ;
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5) A l’unanimité,
Rejette l’exception préliminaire soulevée par les Etats-Unis d’Amérique sur le fondement de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 ;
6) Par quinze voix contre une,
Dit, en conséquence, qu’elle a compétence, en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955, pour connaître de la requête introduite par la République islamique d’Iran le 16 juillet 2018, et que ladite requête est recevable.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Brower, juge ad hoc.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le trois février deux mille vingt et un, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République islamique d’Iran et au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique.
Le président,
(Signé) Abdulqawi Ahmed YUSUF.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
M. le juge TOMKA joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc BROWER joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle en partie concordante et en partie dissidente.
(Paraphé) A.A.Y.
(Paraphé) Ph.G.
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Exceptions préliminaires
Arrêt du 3 février 2021