DISCOURS DE S. EXC. M. ABDULQAWI AHMED YUSUF, PRÉSIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, À L’OCCASION DU SOIXANTE-QUINZIÈME ANNIVERSAIRE DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES
26 juin 2020
Monsieur le président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
1. Je suis très heureux de prendre part aujourd’hui à la commémoration du soixante-quinzième anniversaire de la Charte des Nations Unies, l’un des traités les plus novateurs et avant-gardistes de l’histoire des relations internationales.
2. Cet instrument a jeté les fondements de l’Etat de droit à l’échelle mondiale, interdisant l’emploi de la force dans les relations internationales, établissant le principe de l’égalité de droits des peuples du monde entier et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et obligeant tous les Etats à régler leurs différends par des moyens pacifiques.
3. Evidemment, toutes les dispositions de la Charte sont pertinentes pour le travail de la Cour, mais deux chapitres en particulier sont directement liés à la mission de celle-ci, qui consiste à régler pacifiquement les différends entre Etats. Il s’agit du chapitre VI, qui traite du «règlement pacifique des différends» en général, et du chapitre XIV, intitulé «Cour internationale de Justice», conjugués au Statut de la Cour, lequel est annexé à la Charte.
4. Le chapitre VI de la Charte établit un cadre multilatéral aux fins du règlement pacifique des différends et définit les méthodes à employer, notamment pour leur règlement judiciaire. A cet égard, l’article 36 revêt une importance particulière. Il précise qu’en faisant des recommandations relativement au règlement des différends internationaux, le Conseil doit «tenir compte du fait que, d’une manière générale, les différends d’ordre juridique devraient être soumis par les parties à la Cour internationale de Justice conformément aux dispositions du Statut de [celle-ci]».
5. Aux termes du chapitre XIV de la Charte, la Cour constitue «l’organe judiciaire principal des Nations Unies» et le Statut de la Cour «fait partie intégrante» de la Charte, ce qui distingue la Cour de sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale. Ainsi, dans le cas de la Cour internationale de Justice, tous les Membres des Nations Unies sont automatiquement parties à son Statut.
6. Les dispositions de la Charte relatives à la Cour ont été les premières à recevoir l’entière approbation d’une commission en séance plénière et de la conférence de San Francisco. Selon le président de la Commission IV de la conférence, que ces dispositions aient été adoptées avant toutes les autres était encourageant parce que, je le cite, «il n’y aura[it] de paix, … il n’y aura[it] de véritable fraternité entre les peuples que si nous les fond[ions] sur cette justice dont la Cour sera[it] le symbole» (documents de la conférence des Nations Unies sur l’organisation internationale, San Francisco, 1945, tome XIII, p. 78).
7. Ces dispositions ont fait briller, devant un monde ravagé par la guerre, les lumières du droit et de la justice, et ont offert aux Etats participants la possibilité de substituer aux vicissitudes de la guerre et au règne de la force brutale un système judiciaire fonctionnant dans l’ordre.
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8. Ce système judiciaire est désormais bien implanté dans les relations internationales. Depuis 1945, la Cour a été saisie de 151 affaires contentieuses par des Etats, et a rendu 28 avis consultatifs. Soixante-quatorze Etats ont accepté la juridiction obligatoire de la Cour. En outre, plus de 300 traités disposent que la Cour est compétente aux fins du règlement des différends relatifs à leur interprétation et à leur application. Dix-sept affaires sont actuellement pendantes devant la Cour, faisant intervenir 28 Etats issus des cinq groupes régionaux à l’ONU.
9. Le fait qu’une large partie des Etats accepte le règlement judiciaire des différends par la Cour tient à la qualité du travail de celle-ci au cours des sept dernières décennies. La jurisprudence de la Cour a ouvert de nouvelles perspectives dans les domaines des différends territoriaux et frontaliers, des délimitations maritimes, des relations diplomatiques et consulaires, et du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes. La Cour fait également figure de pionnière s’agissant du règlement des différends relatifs aux grands défis contemporains que sont la défense des droits de l’homme et la protection de l’environnement.
10. En conclusion, Monsieur le président, je voudrais rappeler les propos de M. Nasrat Al-Farsy (Iraq), rapporteur de la Commission IV à la conférence de San Francisco :
«nous sommes réunis ici pour nous efforcer d’établir une Cour internationale de Justice sur une base plus solide. Faisons le voeu que cette Cour réussisse à maintenir le soleil de la justice et à éclairer toutes les nations du monde, sans distinction, quelle que soit leur situation, sur la face du globe.»
11. Soixante-quinze ans plus tard, la Cour fait plus que jamais briller le soleil de la justice et de la primauté du droit sur le monde et offre à tous les Etats la possibilité de régler leurs différends par des moyens pacifiques fondés sur le droit, au lieu d’employer la force brutale.
12. Je vous remercie de votre attention.
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Discours de S. Exc. M. Abdulqawi A. Yusuf, président de la Cour internationale de Justice, à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire de la Charte des Nations Unies