DISCOURS DE S. EXC. M. ABDULQAWI A. YUSUF, PRÉSIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, À L’OCCASION DE LA SOIXANTE-TREIZIÈME SESSION DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
Le 25 octobre 2018
Monsieur le président, Excellences, Mesdames et Messieurs les délégués, Mesdames et Messieurs,
C’est pour moi un honneur de m’adresser, pour la première fois depuis mon élection à la présidence de la Cour en février dernier, à l’Assemblée générale au moment où celle-ci procède à l’examen du rapport annuel de la Cour internationale de Justice. La Cour se félicite de perpétuer ainsi une tradition déjà très ancienne qui lui permet de présenter régulièrement un bref aperçu de son activité judiciaire.
Je me réjouis d’avoir l’occasion de le faire devant une Assemblée réunie sous votre présidence et sous celle de S. Exc. Mme María Fernanda Espinosa Garcés, que je tiens à féliciter chaleureusement pour son élection à la présidence de la soixante-treizième session de cette auguste Assemblée ; mes voeux les plus sincères l’accompagnent dans l’exercice de cette éminente mission.
Entre le 1er août 2017, date du début de la période couverte par le rapport de la Cour, et aujourd’hui, le rôle de cette dernière est demeuré particulièrement rempli, avec 17 affaires contentieuses et une procédure consultative pendantes devant elle ; plusieurs autres affaires ont été réglées au cours de l’année écoulée. Ce fut en effet une période particulièrement chargée et productive.
Au cours de cette même période, la Cour a tenu des audiences dans six affaires. Elle a tout d’abord entendu les plaidoiries des Parties sur les exceptions préliminaires soulevées par la France en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), puis elle a tenu des audiences sur le fond en l’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili). Aux mois de juin et août 2018, la Cour a entendu les plaidoiries des Parties sur deux demandes en indication de mesures conservatoires, présentées successivement dans l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), et dans l’affaire relative à des Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique). En septembre 2018, elle a entendu les exposés oraux des participants à la procédure concernant la demande d’avis consultatif présentée par l’Assemblée générale sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965. Enfin, elle a tenu, il y a de cela quelques semaines, des audiences sur les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis d’Amérique en l’affaire relative à Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique).
Depuis le 1er août 2017, la Cour a en outre rendu quatre arrêts. Le 2 février 2018, elle a rendu deux arrêts sur le fond, le premier sur la question de l’indemnisation en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), et le second dans les affaires jointes relatives à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) et à la Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua). Le 6 juin 2018, la Cour a rendu son arrêt sur les exceptions préliminaires soulevées en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) et, le 1er octobre 2018, elle s’est prononcée en l’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili).
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La Cour a également rendu 17 ordonnances, dont une portait sur la recevabilité des demandes reconventionnelles en l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), et deux ordonnances en indication de mesures conservatoires : la première, dans l’instance susmentionnée introduite par le Qatar contre les Emirats arabes unis ; et la deuxième, dans l’instance introduite récemment par la République islamique d’Iran contre les Etats-Unis d’Amérique au sujet de violations alléguées du traité d’amitié de 1955.
Comme il est d’usage, je vais à présent exposer succinctement le contenu de ces décisions.
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Je commencerai par revenir sur certains aspects des arrêts rendus dans les affaires opposant le Costa Rica et le Nicaragua.
Le 2 février 2018, la Cour a rendu son arrêt sur la question de l’indemnisation en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua). La Cour était notamment appelée à déterminer le montant de l’indemnisation due au Costa Rica à raison des dommages matériels causés, ainsi qu’elle l’avait établi dans son arrêt du 16 décembre 2015, par les activités illicites du Nicaragua sur le territoire costa-ricien. A cet égard, la Cour rappelle que le Costa Rica avait demandé à être indemnisé au titre de deux catégories de dommages : la première était celle des dommages quantifiables que le Nicaragua avait causés à l’environnement en creusant, en 2010 et 2013, deux chenaux (caños) en territoire costa-ricien ; et la seconde concernait les frais et dépenses occasionnés par les activités illicites du Nicaragua.
En ce qui concerne les dommages causés à l’environnement, la Cour a indiqué que l’indemnisation pouvait inclure une indemnité au titre de la dégradation ou de la perte de biens et services environnementaux, et une indemnité au titre de la restauration de l’environnement endommagé, lorsque la régénération risquait de ne pas suffire à rétablir celui-ci en son état antérieur. Elle a conclu en particulier que, en creusant les deux caños, le Nicaragua avait éliminé une grande quantité d’arbres et de végétation, et que ces activités avaient sensiblement entamé la capacité des deux zones touchées de fournir certains biens et services environnementaux (à savoir les arbres et d’autres matières premières (fibres et énergie), les services de régulation des gaz et de la qualité de l’air, ainsi que la biodiversité). La Cour a considéré qu’il convenait, pour estimer les dommages environnementaux, d’appréhender l’écosystème dans son ensemble et a accordé au Costa Rica une indemnité de 120 000 dollars des Etats-Unis à raison de la dégradation ou de la perte de biens et services environnementaux subie par la zone touchée jusqu’à sa reconstitution. Elle a également considéré que le versement d’une indemnité pour certaines mesures de restauration concernant la zone humide était justifié, et a accordé au Costa Rica la somme de 2708,39 dollars des Etats-Unis à ce titre.
La Cour a ensuite abordé la question de l’indemnisation due à raison des frais et dépenses engagés par le Costa Rica en conséquence des activités illicites menées par le Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos, et a conclu que certains de ces frais et dépenses avaient un lien de causalité suffisamment direct et certain avec le comportement illicite du Nicaragua. En particulier, elle a considéré qu’une partie des frais et dépenses engagés par le Costa Rica pour surveiller la zone et empêcher qu’un préjudice irréparable soit causé à l’environnement, notamment au moyen de la construction en 2015 d’une digue destinée à barrer l’un des caños, ouvrait droit à indemnisation. La Cour a donc accordé au Costa Rica 236 032,16 dollars au total pour ce chef de dépenses.
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S’agissant de la demande du Costa Rica relative aux intérêts, il a été conclu que celui-ci n’avait pas droit au versement d’intérêts compensatoires sur le montant de l’indemnité accordée à raison des dommages environnementaux, la Cour ayant déjà tenu pleinement compte de la dégradation ou de la perte de biens et services environnementaux subie pendant la période précédant la reconstitution. Le Costa Rica s’est vu octroyer des intérêts compensatoires sur les frais et dépenses jugés susceptibles d’indemnisation, pour un montant de 20 150,04 dollars. La Cour a également décidé que, en cas de retard, des intérêts moratoires calculés au taux annuel de 6 % courraient sur le montant total de la somme principale.
Le montant total de l’indemnité à verser au Costa Rica s’élevait donc à 378 890,59 dollars, payable par le Nicaragua le 2 avril 2018 au plus tard. A la suite de cet arrêt, le Nicaragua a informé la Cour, par lettre du 22 mars 2018, qu’il avait versé au Costa Rica la totalité de cette somme.
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La Cour a rendu un deuxième arrêt au fond le 2 février 2018, dans les instances jointes portant, respectivement, sur la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) et sur la Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua). Je rappelle que le Costa Rica avait introduit l’instance relative à la Délimitation maritime par requête du 25 février 2014 et celle relative à la Frontière terrestre, par requête du 16 janvier 2017. La Cour avait joint les deux instances par une ordonnance du 2 février 2017.
La Cour a fait observer dans son arrêt que l’affaire relative à la Frontière terrestre soulevait des questions de souveraineté territoriale qu’il convenait d’examiner en premier lieu car elles pouvaient avoir une incidence sur la délimitation maritime dans la mer des Caraïbes. Elle a tout d’abord estimé que la question de la souveraineté sur la côte de la partie septentrionale d’Isla Portillos jouxtant la mer des Caraïbes n’avait pas été tranchée par son arrêt du 16 décembre 2015. Elle a ensuite rappelé que, conformément à l’interprétation exposée dans son arrêt de 2015 concernant le traité de limites de 1858 conclu entre le Costa Rica et le Nicaragua, «le territoire relevant de la souveraineté du Costa Rica s’étend[ait] à la rive droite du cours inférieur du San Juan jusqu’à l’embouchure de celui-ci dans la mer des Caraïbes», mais que, en 2015, il subsistait certaines incertitudes quant à la configuration de la côte d’Isla Portillos. Le rapport des experts désignés par la Cour étant venu entre-temps balayer toutes les incertitudes relatives à la géographie des lieux, la Cour a conclu que le Costa Rica avait souveraineté sur la totalité d’Isla Portillos, à l’exception d’une lagune dénommée Harbor Head et du cordon littoral séparant celle-ci de la mer, sur lesquels la souveraineté a été attribuée au Nicaragua.
La Cour a ainsi jugé que, en établissant et en maintenant un campement militaire sur la plage d’Isla Portillos, le Nicaragua avait violé la souveraineté territoriale du Costa Rica, telle que définie dans l’arrêt, et qu’il devait retirer son campement du territoire costa-ricien. La Cour a considéré que la constatation d’une violation de la souveraineté du Costa Rica et l’injonction faite au Nicaragua de retirer son campement du territoire costa-ricien constituaient une réparation appropriée.
La Cour s’est penchée en second lieu sur l’affaire relative à la Délimitation maritime, en commençant par la délimitation dans la mer des Caraïbes. Au sujet du point de départ de cette délimitation, la Cour a estimé préférable, en raison de la grande instabilité de la côte dans la zone, de retenir un point fixe en mer –– situé sur la ligne médiane à 2 milles marins de la côte –– et de le relier par une ligne mobile au point de la côte costa-ricienne le plus proche, sur la terre ferme, de l’embouchure du fleuve San Juan.
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La Cour a ensuite entrepris la délimitation de la mer territoriale, conformément à l’article 15 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et à sa propre jurisprudence, en procédant en deux étapes : premièrement, elle a tracé une ligne médiane provisoire et, deuxièmement, elle a recherché s’il existait la moindre circonstance spéciale justifiant d’ajuster cette ligne. S’agissant des circonstances spéciales, outre la grande instabilité et l’étroitesse de la flèche littorale proche de l’embouchure du fleuve San Juan, qui l’avaient conduite à adopter la ligne mobile mentionnée à l’instant pour tracer le premier segment de la ligne de délimitation, la Cour a estimé que l’instabilité du cordon littoral séparant la lagune de Harbor Head de la mer des Caraïbes et sa situation, en tant qu’enclave de petite taille en territoire costa-ricien, appelaient également une solution particulière. Relevant que, si l’enclave devait se voir attribuer des eaux territoriales, celles-ci seraient peu utiles au Nicaragua, tout en brisant la continuité de la mer territoriale du Costa Rica, la Cour a décidé que la délimitation de la mer territoriale entre les Parties ne tiendrait pas compte d’un quelconque droit qui découlerait de cette enclave.
La Cour a alors procédé à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental en ayant recours à sa méthode établie, qui compte trois étapes. Premièrement, elle a tracé une ligne d’équidistance provisoire en utilisant des points de base situés sur le contour naturel des côtes des Parties, y compris sur celui de certaines îles nicaraguayennes situées dans la mer des Caraïbes comme les îles du Maïs. Deuxièmement, la Cour a recherché s’il existait des circonstances pertinentes susceptibles de justifier un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire précédemment tracée. Elle a estimé en particulier que, eu égard à leur taille modeste et à la distance importante qui les séparait de la côte continentale, les îles du Maïs ne devaient se voir attribuer qu’un demi-effet. Troisièmement, la Cour s’est assurée que la frontière résultant des deux premières étapes présentait un caractère globalement équitable, vérifiant à cet effet qu’il n’y avait pas de disproportion marquée entre la longueur des côtes pertinentes des Parties et les espaces maritimes qui leur seraient attribués. Dans les circonstances de l’espèce, elle a conclu à l’absence de toute disproportion marquée.
La Cour a ensuite procédé à la délimitation dans l’océan Pacifique. Le Costa Rica et le Nicaragua étant convenus que le point de départ de la frontière maritime dans l’océan Pacifique correspondrait au milieu de la ligne de fermeture de la baie de Salinas, la Cour a fixé le point de départ de sa ligne à cet emplacement.
Comme elle l’avait fait pour la délimitation dans la mer des Caraïbes, la Cour a effectué la délimitation de la frontière dans le Pacifique en deux étapes. Après avoir constaté que les deux Parties avaient retenu les mêmes points de base, elle a décidé de se servir de ces points de base pour tracer la ligne médiane provisoire. Elle a considéré qu’il n’existait aucune circonstance spéciale justifiant un ajustement de cette ligne.
Aux fins de délimiter la zone économique exclusive et le plateau continental, la Cour a là encore suivi la méthode en trois étapes adoptée dans sa jurisprudence. Premièrement, elle a tracé une ligne d’équidistance provisoire en utilisant les points de base retenus par les Parties. Deuxièmement, elle a recherché s’il existait des circonstances pertinentes justifiant d’ajuster cette ligne, et décidé de n’accorder qu’un demi-effet à la péninsule de Santa Elena, située sur la côte costa-ricienne, afin d’éviter une nette amputation des projections côtières du Nicaragua. Troisièmement, la Cour s’est assurée du caractère globalement équitable de la frontière résultant des deux premières étapes en vérifiant qu’il n’y avait pas de disproportion marquée entre la longueur des côtes pertinentes des Parties et les espaces maritimes qui leur seraient attribués. Elle a conclu que la frontière maritime n’entraînait pas de disproportion marquée et permettait d’aboutir à une solution équitable.
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A la suite du prononcé de l’arrêt, le Nicaragua a informé la Cour, par une lettre en date du 14 février 2018, qu’il avait retiré son campement militaire du territoire costa-ricien, comme il était prescrit au point 3 b) du dispositif de l’arrêt.
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Monsieur le président, je vais à présent poursuivre en français :
Le troisième arrêt de la Cour dont je vais vous exposer la teneur a été rendu le 6 juin 2018 ; il portait sur les exceptions préliminaires soulevées par la France dans l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France). Il s’agit d’une instance introduite par la Guinée équatoriale le 13 juin 2016 au sujet d’un différend concernant l’immunité de juridiction pénale du vice-président équato-guinéen, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, ainsi que le statut juridique d’un immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris, dont la Guinée équatoriale prétendait qu’il abritait son ambassade en France. Dans sa requête, la Guinée équatoriale entendait fonder la compétence de la Cour sur l’article 35 de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, ou «convention de Palerme», et sur l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, concernant le règlement obligatoire des différends.
Le 31 mars 2017, la France avait soulevé trois exceptions préliminaires. S’agissant de la première exception préliminaire de la France, relative à la convention de Palerme, la Cour a conclu dans son arrêt que les règles du droit international coutumier régissant les immunités des Etats et de leurs agents n’étaient pas incorporées dans l’article 4 de cette convention. Partant, l’aspect du différend concernant l’immunité invoquée en faveur du vice-président équato-guinéen et l’immunité invoquée en faveur de l’immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris ne se rapportait pas à l’interprétation ou à l’application de la convention de Palerme. La Cour a donc estimé qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur cet aspect du différend. Elle a ensuite relevé que la Guinée équatoriale avait aussi fondé sur la convention de Palerme ses griefs relatifs à la compétence pénale excessive qu’elle reprochait à la France de s’être attribuée pour connaître des «infractions principales» liées au délit de blanchiment d’argent. La Cour a considéré que les violations dont la Guinée équatoriale tirait grief n’étaient pas susceptibles d’entrer dans les prévisions des articles 6 et 15 de la convention de Palerme et qu’elle n’était donc, là encore, pas compétente pour statuer sur cet aspect du différend. En conséquence, la Cour a conclu qu’elle n’avait pas compétence sur la base de la convention de Palerme et a retenu la première exception préliminaire de la France.
La Cour s’est alors penchée sur la deuxième exception préliminaire de la France, qui concernait la compétence au titre du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. La Guinée équatoriale se fondait sur la convention de Vienne pour dénoncer le non-respect par la France de l’inviolabilité de l’immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris, dont elle affirmait qu’il abritait sa mission diplomatique. La Cour a noté que les Parties étaient divisées sur le point de savoir si l’immeuble en cause faisait partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et pouvait donc bénéficier du traitement accordé à pareils locaux par l’article 22 de la convention de Vienne. Elle a conclu que cet aspect du différend entrait dans le champ de la convention et donc qu’elle avait compétence pour connaître du différend relatif au statut de l’immeuble en question, y compris de toute demande relative aux pièces d’ameublement et autres objets se trouvant dans les locaux situés au 42 avenue Foch à Paris. En conséquence, la Cour a rejeté la deuxième exception préliminaire de la France.
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La Cour a enfin examiné la troisième exception préliminaire de la France, selon laquelle le comportement de la Guinée équatoriale constituait un abus de droit, et la saisine de la Cour, un abus de procédure. De l’avis de la Cour, cette exception préliminaire touchait la recevabilité de la requête. La Cour a fait observer qu’un abus de procédure se rapportait à la procédure engagée devant une cour ou un tribunal et pouvait être examiné au stade préliminaire de ladite procédure. Toutefois, elle a ajouté que seules des circonstances exceptionnelles pouvaient justifier qu’elle rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable. Or elle a estimé ne pas être en présence de telles circonstances en l’espèce. S’agissant de l’abus de droit, la Cour a déclaré qu’il ne pouvait être invoqué comme cause d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relevait du fond de l’affaire. Partant, elle a jugé que tout argument relatif à un abus de droit serait examiné au stade du fond. La Cour n’a donc pas jugé la demande de la Guinée équatoriale irrecevable pour abus de procédure ou abus de droit, et a rejeté la troisième exception préliminaire soulevée par la France.
La Cour s’étant, dans son arrêt, déclarée compétente sur la base du protocole de signature facultative à la convention de Vienne, la procédure sur le fond a repris. Par une ordonnance rendue le même jour que son arrêt, à savoir le 6 juin 2018, la Cour a fixé au 6 décembre 2018 la date d’expiration du délai dans lequel la France pouvait soumettre son contre-mémoire.
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Monsieur le président,
J’en viens à présent au quatrième arrêt rendu par la Cour pendant la période qui nous intéresse ; par cet arrêt du 1er octobre 2018, elle a tranché au fond l’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili). Je rappellerai que cette instance avait été introduite le 24 avril 2013 par l’Etat plurinational de Bolivie contre la République du Chili au sujet d’un différend «concernant l’obligation du Chili de négocier de bonne foi et de manière effective avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique».
Dans son arrêt, la Cour, après avoir présenté le contexte historique du différend, a procédé à l’examen systématique des huit fondements juridiques distincts invoqués par la Bolivie à l’appui de sa demande.
Elle a, tout d’abord, examiné l’argument de la Bolivie fondé sur les instruments bilatéraux, concluant qu’aucun de ces instruments n’établissait d’obligation pour le Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. La Cour n’a pas non plus jugé convaincant l’argument selon lequel les déclarations et autres actes unilatéraux du Chili avaient créé une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer. Elle a noté que ces déclarations et actes unilatéraux indiquaient non pas qu’une obligation juridique avait été souscrite par le défendeur, mais que ce dernier était disposé à engager des négociations. Passant à l’examen de l’argument de la Bolivie fondé sur l’acquiescement, la Cour a relevé que celle-ci n’avait fait état d’aucune déclaration qui aurait appelé une réponse ou une réaction du Chili pour empêcher qu’une obligation ne voie le jour. Elle en a conclu que l’acquiescement ne pouvait donc être considéré comme fondant une obligation de négocier un accès souverain de la Bolivie à la mer. La Cour s’est ensuite penchée sur l’argument de la Bolivie fondé sur l’estoppel, concluant que, bien que le Chili ait exprimé à plusieurs reprises la position selon laquelle il était disposé à négocier un accès souverain de la Bolivie à la mer, ces prises de position ne créaient pas une obligation de négocier, car il n’avait pas été démontré que la Bolivie avait modifié sa position à son détriment ou à l’avantage du Chili en se fondant sur ces prises de position. S’agissant de l’argument selon lequel le fait que le
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défendeur ait nié son obligation de négocier et refusé de mener de nouvelles négociations avec la Bolivie avait déçu les «attentes légitimes» de celle-ci, la Cour a conclu que, même s’il était fait référence aux attentes légitimes dans certaines sentences arbitrales concernant des différends en matière d’investissement, il n’en découlait pas qu’il existait en droit international général un principe fondé sur les attentes légitimes qui puisse donner naissance à une obligation.
La Cour a par ailleurs estimé ne pas pouvoir faire droit à l’argument selon lequel une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer pouvait être fondée sur le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ou sur l’article 3 de la Charte de l’Organisation des Etats américains, car ces dispositions prescrivaient seulement aux Etats de régler leurs différends par des moyens ou des procédures pacifiques, sans imposer à cet effet de méthode de règlement spécifique, telle que la négociation. Elle a également examiné l’argument de la Bolivie selon lequel certaines résolutions de l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains confirmaient l’engagement du Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer. Elle n’a pu retenir cet argument, au motif qu’aucune de ces résolutions n’indiquait qu’une obligation de négocier incombait au Chili et que les deux Parties avaient reconnu que les résolutions n’étaient pas contraignantes en tant que telles.
La Cour a, enfin, jugé que, ayant conclu qu’aucun des fondements juridiques invoqués, pris isolément, n’avait établi l’existence d’une quelconque obligation, le fait de les considérer cumulativement ne pouvait modifier ce résultat.
La Cour a ainsi conclu que le Chili n’avait pas contracté d’obligation juridique de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Elle a cependant ajouté et je tiens à le souligner que sa conclusion ne devait pas être comprise comme empêchant les Parties de poursuivre leur dialogue et leurs échanges dans un esprit de bon voisinage, afin de traiter les questions relatives à l’enclavement de la Bolivie, dont la solution était considérée par l’une et l’autre comme relevant de leur intérêt mutuel.
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Monsieur le président,
Je rendrai compte à présent de trois ordonnances autres que de nature procédurale que la Cour a rendues au cours de la période considérée.
Je mentionnerai tout d’abord l’ordonnance sur les demandes reconventionnelles que la Cour a rendue le 15 novembre 2017 en l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie). Je rappellerai que, le 26 novembre 2013, la République du Nicaragua a introduit une instance contre la République de Colombie, alléguant des violations spécifiques des droits souverains et des espaces maritimes qui lui avaient été reconnus par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012. Le 19 décembre 2014, la Colombie a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour. Par un arrêt daté du 17 mars 2016, la Cour a jugé qu’elle avait compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour connaître du différend relatif aux prétendues violations par la Colombie des droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirmait qu’elles lui avaient été reconnues par l’arrêt du 19 novembre 2012.
Dans le contre-mémoire qu’elle a déposé le 17 novembre 2016, la Colombie a présenté quatre demandes reconventionnelles. La première et la deuxième étaient fondées sur le manquement allégué du Nicaragua à l’obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger et de préserver, respectivement, l’environnement marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes et le
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droit des habitants de l’archipel de San Andrés de bénéficier d’un environnement sain, viable et durable ; la troisième concernait la violation alléguée, par le Nicaragua, du droit des pêcheurs artisanaux de l’archipel de San Andrés d’accéder aux bancs où ils avaient coutume de pêcher et d’exploiter ceux-ci ; la quatrième concernait l’adoption par le Nicaragua du décret no 33-2013 du 19 août 2013, qui avait établi des lignes de base droites avec pour effet, selon la Colombie, d’étendre les eaux intérieures et les espaces maritimes nicaraguayens au-delà de ce que permettait le droit international.
Dans son ordonnance, la Cour a commencé par rappeler que, selon le paragraphe 1 de l’article 80 de son Règlement, deux conditions devaient être réunies pour qu’elle puisse connaître d’une demande reconventionnelle en tant que telle, à savoir que la demande en question devait «rel[ever] de sa compétence» et être «en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse».
La Cour a considéré qu’il n’y avait pas de connexité, tant en fait qu’en droit, entre les deux premières demandes reconventionnelles de la Colombie et les demandes principales du Nicaragua. Elle a donc jugé ces deux demandes reconventionnelles irrecevables en tant que telles.
Par ailleurs, la Cour a considéré qu’il existait une connexité factuelle et juridique directe entre les troisième et quatrième demandes reconventionnelles de la Colombie et les demandes principales du Nicaragua. Elle a noté à cet égard que les faits sous-tendant leurs demandes respectives se rapportaient à la même période, à la même zone géographique et étaient de même nature en ce qu’étaient mis en cause des comportements similaires. Elle a en outre estimé que les principes juridiques invoqués par les Parties étaient également similaires et que celles-ci poursuivaient le même but juridique à travers leurs demandes respectives.
La Cour a ensuite jugé que les troisième et quatrième demandes reconventionnelles de la Colombie satisfaisaient à la condition de compétence. Elle a notamment rappelé que, dès lors qu’elle avait établi sa compétence pour connaître d’une affaire, elle avait compétence pour en examiner toutes les phases ; la caducité ultérieure du titre qui lui avait conféré ladite compétence ne pouvait la priver de celle-ci. Dans l’affaire à l’examen, l’extinction, postérieure au dépôt de la requête, du pacte de Bogotá entre les Parties n’avait pas privé la Cour de sa compétence pour connaître des demandes reconventionnelles soulevées par la Colombie sur ce fondement juridictionnel.
La Cour a donc conclu que les troisième et quatrième demandes reconventionnelles présentées par la Colombie étaient recevables comme telles. Elle a en outre prescrit la présentation d’une réplique du Nicaragua et d’une duplique de la Colombie portant sur les demandes des deux Parties et fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces de procédure.
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Monsieur le président,
Comme je l’ai dit précédemment, au cours de la période considérée, la Cour a également rendu deux ordonnances en indication de mesures conservatoires, que je vais présenter brièvement par ordre chronologique.
Le 23 juillet 2018, la Cour a rendu une ordonnance en indication de mesures conservatoires dans l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis).
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Cette affaire avait été introduite le 11 juin 2018 par le Qatar contre les Emirats arabes unis, au sujet de violations alléguées de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée le 21 décembre 1965 (que j’appellerai «la CIEDR»). Dans sa requête introductive d’instance, le Qatar affirmait que, en violation de certains droits garantis par la CIEDR, les Emirats arabes unis avaient interdit l’entrée de leur territoire à tous les Qatariens et expulsé ceux qui s’y trouvaient.
Le même jour, le Qatar avait introduit une demande en indication de mesures conservatoires par laquelle il sollicitait la protection, dans l’attente d’une décision sur le fond de l’affaire, des droits qu’il tient de la CIEDR.
Suivant sa méthode habituelle, la Cour, dans son ordonnance, a d’abord recherché si la clause juridictionnelle contenue dans l’article 22 de la CIEDR lui conférait compétence prima facie pour connaître du fond de l’affaire. Elle a estimé que les actes mentionnés par le Qatar étaient susceptibles de relever du champ d’application ratione materiae de la convention. La Cour a estimé que les éléments dont elle disposait à ce stade de la procédure suffisaient à établir l’existence d’un différend quant à l’interprétation ou à l’application de la CIEDR. Elle a constaté également que les conditions procédurales préalables à sa saisine, telles qu’énoncées à l’article 22 de la CIEDR, étaient remplies. Elle en a conclu que, prima facie, elle avait compétence en vertu dudit article.
La Cour a ensuite examiné les droits dont la protection était recherchée, relevant que les mesures prises par les Emirats arabes unis semblaient cibler uniquement les Qatariens, sans considération de la situation individuelle des personnes concernées, et qu’elles pouvaient constituer des actes de discrimination raciale au sens de la CIEDR. La Cour a conclu que certains au moins des droits revendiqués par le Qatar au titre de l’article 5 de la CIEDR étaient plausibles. Il en est ainsi du droit de se marier et de choisir son conjoint, du droit à l’éducation, ainsi que des droits de circuler librement et d’avoir accès à la justice. La Cour a également conclu qu’il existait un lien entre les droits dont la protection était recherchée et les mesures conservatoires demandées par le Qatar.
La Cour a en outre été d’avis que certains des droits en cause étaient de nature telle que tout préjudice qui leur serait porté pourrait se révéler irréparable et qu’il y avait donc urgence.
La Cour a ainsi conclu que les conditions auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires étaient réunies. Elle a décidé que, pour protéger les droits que le Qatar faisait valoir sur le fond, les Emirats arabes unis devaient veiller à ce que : i) les familles qataro-émiriennes séparées par suite des mesures qu’ils avaient adoptées le 5 juin 2017 soient réunies ; ii) les étudiants qatariens affectés par les mesures adoptées le 5 juin 2017 puissent terminer leurs études aux Emirats arabes unis ou obtenir leur dossier scolaire ou universitaire s’ils souhaitaient étudier ailleurs ; et iii) les Qatariens affectés par les mesures adoptées le 5 juin 2017 puissent avoir accès aux tribunaux et autres organes judiciaires des Emirats arabes unis. La Cour a également appelé les deux Parties à s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant elle ou d’en rendre le règlement plus difficile.
Par une ordonnance rendue le 25 juillet 2018, la Cour a fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par l’Etat du Qatar et d’un contre-mémoire par les Emirats arabes unis.
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Monsieur le président,
Le 3 octobre 2018, la Cour a rendu une deuxième ordonnance en indication de mesures conservatoires, dans l’affaire relative à des Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique).
L’Iran avait introduit le 16 juillet 2018 une procédure contre les Etats-Unis au sujet de violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955 (que j’appellerai «le traité de 1955»). Dans sa requête introductive d’instance, l’Iran affirmait, en particulier, que le différend concernait la décision des Etats-Unis, annoncée le 8 mai 2018, de rétablir des mesures restrictives ciblant, directement ou indirectement, l’Iran et les ressortissants et sociétés iraniens, mesures que les Etats-Unis avaient précédemment décidé de lever dans le cadre du plan d’action global commun à long terme (que j’appellerai le «plan d’action»). Selon le demandeur, ces mesures emportaient violation, par les Etats-Unis, de certaines obligations découlant du traité de 1955, notamment celles qui concernent le traitement juste et équitable, l’interdiction des restrictions en matière de paiements et la liberté de commerce. L’Iran entendait fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut ainsi que sur le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955, cette dernière disposition étant une clause compromissoire par laquelle les Parties avaient accepté de porter devant la Cour tout différend qui les opposerait quant à l’interprétation ou l’application du traité et qu’elles ne pourraient régler de manière satisfaisante par la voie diplomatique, à moins qu’elles n’aient convenu de le régler par d’autres moyens pacifiques.
L’Iran avait également introduit le 16 juillet 2018 une demande en indication de mesures conservatoires.
Dans son ordonnance sur cette demande, la Cour, a commencé par vérifier si les dispositions invoquées par le demandeur semblaient constituer, prima facie, une base susceptible de fonder sa compétence. Elle s’est d’abord assurée qu’un différend existait entre les Parties quant à l’interprétation ou à l’application du traité de 1955. Elle a jugé que les éléments dont elle disposait à ce stade de la procédure suffisaient à établir que les mesures dont l’Iran reprochait l’adoption aux Etats-Unis pouvaient prima facie relever du champ d’application ratione materiae du traité de 1955. La Cour a estimé que la disposition dont se prévalaient les Etats-Unis, selon laquelle il n’est pas interdit aux parties contractantes de prendre certaines mesures visant à protéger leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité, n’excluait pas la compétence qu’elle tenait de la clause compromissoire du traité. Elle a constaté en outre que le différend n’avait pas été réglé de manière satisfaisante par la voie diplomatique et que les Parties n’avaient pas convenu de le régler par d’autres moyens pacifiques. La Cour en a conclu que le traité de 1955 lui conférait, prima facie, compétence pour connaître du différend, pour autant que celui-ci concerne l’interprétation ou l’application dudit traité.
La Cour s’est ensuite penchée sur les droits dont la protection était recherchée. Elle a estimé que les droits revendiqués par l’Iran étaient plausibles dans la mesure où ils étaient fondés sur une interprétation possible du traité de 1955 et sur l’établissement prima facie des faits pertinents, et que l’exercice de certains de ces droits était susceptible d’être entravé par les mesures adoptées par les Etats-Unis.
Parallèlement, la Cour a jugé nécessaire de tenir compte du fait que les Etats-Unis invoquaient le paragraphe 1 de l’article XX du traité de 1955 pour faire valoir leurs intérêts essentiels sur le plan de la sécurité. Elle a relevé que ces intérêts pouvaient avoir une incidence sur certains au moins des droits garantis à l’Iran par le traité de 1955, mais que, tout bien considéré, il n’en allait pas de même pour d’autres. Les droits de l’Iran dont l’exercice pouvait être menacé étaient notamment ceux liés à l’importation et à l’achat de biens nécessaires à des fins humanitaires, tels que les médicaments et le matériel médical, les denrées alimentaires et les
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produits agricoles, ainsi que de biens et services nécessaires à la sécurité de l’aviation civile, tels que les pièces détachées, les équipements et les services connexes nécessaires aux aéronefs civils.
La Cour s’est ensuite penchée sur la question du lien entre les droits revendiqués par l’Iran et les mesures conservatoires sollicitées par celui-ci. Elle a conclu qu’il existait un lien entre certains des droits dont la protection était recherchée et certains aspects des mesures conservatoires demandées. Elle a considéré en outre qu’il existait toujours un risque que les mesures prises par les Etats-Unis aient des conséquences irréparables et qu’il y avait donc urgence.
De l’ensemble de ces considérations, la Cour a conclu que les conditions auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires étaient réunies. Elle a ainsi indiqué les mesures conservatoires suivantes : 1) les Etats-Unis doivent, par les moyens de leur choix, supprimer toute entrave que les mesures annoncées le 8 mai 2018 mettent à la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran i) de médicaments et de matériel médical, ii) de denrées alimentaires et de produits agricoles, et iii) des pièces détachées, des équipements et des services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections) nécessaires à la sécurité de l’aviation civile ; 2) les Etats-Unis doivent veiller à ce que, s’agissant des biens et services visés au point 1), les permis et autorisations nécessaires soient accordés et à ce que les paiements et autres transferts de fonds ne soient soumis à aucune restriction ; et 3) les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile.
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Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les délégués, Excellences, Mesdames et Messieurs,
J’en viens maintenant aux nouvelles affaires qui ont été soumises à la Cour. Outre les deux affaires que je viens de mentionner opposant le Qatar aux Emirats arabes unis, et la République islamique d’Iran aux Etats-Unis d’Amérique , qui ont fait l’objet d’ordonnances en indication de mesures conservatoires, quatre autres procédures contentieuses ont été introduites depuis le 1er août 2017.
Le 29 mars 2018, la République coopérative du Guyana a introduit une instance contre la République bolivarienne du Venezuela au sujet d’un différend concernant «la validité juridique et l’effet contraignant de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899 relative à la frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela». Dans sa requête, le Guyana affirme que la sentence de 1899 portait règlement complet et définitif de toutes les questions intéressant la détermination de la ligne frontière entre la colonie de la Guyane britannique et le Venezuela, mais que, en 1962, celui-ci a pour la première fois contesté cette sentence, la déclarant arbitraire, nulle et non avenue. Selon le Guyana, ce différend demeure pendant. Le Guyana prie donc la Cour de confirmer la validité de la sentence de 1899 et de dire que le Venezuela doit respecter la frontière établie sur le fondement de cette sentence. Le Venezuela a d’emblée contesté la compétence de la Cour pour connaître de cette affaire. Par une ordonnance en date du 19 juin 2018, la Cour a donc décidé que les pièces de la procédure écrite porteraient d’abord sur la question de sa compétence, et a fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire du Guyana et d’un contre-mémoire du Venezuela.
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Deux autres affaires ont été introduites devant la Cour le 4 juillet 2018. Le Royaume de Bahreïn, la République arabe d’Egypte, le Royaume d’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont soumis à la Cour une requête conjointe tendant à faire appel de la décision rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale dans une instance introduite par l’Etat du Qatar contre ces quatre Etats le 30 octobre 2017, en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (ou «convention de Chicago»). Parallèlement, le Royaume de Bahreïn, la République arabe d’Egypte et les Emirats arabes unis ont déposé devant la Cour une autre requête conjointe tendant à faire appel de la décision rendue par le Conseil de l’OACI dans une instance introduite par l’Etat du Qatar contre ces trois Etats le 30 octobre 2017, en vertu de la section 2 de l’article II de l’accord relatif au transit des services aériens internationaux. Le contexte factuel est le même pour ces deux affaires. Il ressort des requêtes que, le Qatar ayant selon eux manqué aux engagements lui incombant en vertu d’un ensemble d’instruments et d’accords dénommés collectivement les accords de Riyad, les demandeurs ont, le 5 juin 2017, adopté des mesures incluant des restrictions de l’espace aérien visant les aéronefs immatriculés au Qatar. Le 30 octobre 2017, celui-ci a introduit contre les pays en question une instance auprès de l’OACI, au motif que ces restrictions aériennes emportaient violation de la convention de Chicago et de l’accord relatif au transit des services aériens internationaux. Des exceptions préliminaires ont été soulevées devant le Conseil de l’OACI, que celui-ci a rejetées par deux décisions du 29 juin 2018. Ce sont ces décisions qui font l’objet d’un appel devant la Cour.
Par ordonnances datées du 25 juillet 2018, la Cour a fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire des demandeurs et d’un contre-mémoire du Qatar, dans chacune des affaires.
Le 28 septembre 2018, l’Etat de Palestine a introduit une instance contre les Etats-Unis d’Amérique à raison d’un différend concernant des violations alléguées de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961. Il est rappelé que, le 5 juillet 2018, la Palestine avait déposé, en application de la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité, une déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour pour le règlement des différends relevant de l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, qui concerne le règlement obligatoire des différends et auquel la Palestine a adhéré le 22 mars 2018. Dans sa requête, la Palestine soutient qu’il découle de la convention de Vienne que la mission diplomatique d’un Etat accréditant doit être établie sur le territoire de l’Etat accréditaire.
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Monsieur le président, Excellences, Mesdames et Messieurs les délégués,
Ainsi s’achève ma brève présentation de l’activité judiciaire soutenue qui a été celle de la Cour durant l’année écoulée. J’aimerais à présent saisir l’occasion de ma présence devant vous pour aborder, dans un esprit de transparence, la question des activités extrajudiciaires que les membres de la Cour peuvent de temps à autre être appelés à mener, notamment dans le domaine de l’arbitrage international. La Cour n’ignore pas que, bien que la Charte leur offre la possibilité de lui confier le règlement judiciaire de leurs différends, des Etats peuvent, pour diverses raisons, souhaiter régler un différend par la voie d’un arbitrage. Ainsi, des membres de la Cour ont à l’occasion été priés de siéger à un tribunal arbitral, parfois pour connaître d’un différend entre Etats et parfois, d’un différend entre un Etat et un investisseur –– ce qui témoigne, bien sûr, de la haute estime en laquelle la communauté internationale tient les membres de la Cour.
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Au fil des ans, la Cour a estimé que, dans certaines circonstances, il était loisible à ses membres de participer à des procédures d’arbitrage. Toutefois, sa charge de travail ne cessant de s’accroître, elle a décidé il y a quelques mois de réexaminer cette pratique et de concevoir des règles claires pour réglementer de telles activités. En conséquence de ce réexamen, les membres de la Cour ont décidé le mois dernier de ne plus accepter, en principe, de prendre part à des arbitrages internationaux. En particulier, ils ont décidé de ne plus participer à des arbitrages opposant un Etat à un investisseur ou à des arbitrages commerciaux. Cela étant, dans l’éventualité où ses membres seraient sollicités, à titre exceptionnel, par un ou plusieurs Etats préférant recourir à l’arbitrage plutôt qu’au règlement judiciaire, la Cour a décidé que, afin de rendre service aux Etats concernés, les juges en question seraient autorisés à prendre part à la procédure d’arbitrage interétatique envisagée, pourvu que les circonstances le justifient. Même dans ce cas exceptionnel, le juge ainsi autorisé ne pourra participer qu’à une procédure arbitrale à la fois. Il devra au préalable en avoir obtenu l’autorisation au moyen du mécanisme établi par la Cour. En revanche, les membres de la Cour refuseront d’être nommés arbitres par un Etat qui serait également partie à une affaire pendante devant la Cour, quand bien même cette affaire et l’arbitrage en question n’auraient aucune incidence l’un sur l’autre. Il est en effet essentiel que l’impartialité et l’indépendance des juges dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires soient irréprochables. Enfin, je ne saurais trop insister sur le fait que toute participation de membres de la Cour à de tels arbitrages entre Etats est strictement subordonnée à la condition que les activités judiciaires des intéressés aient la priorité absolue.
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Monsieur le président,
Je tiens à dire quelques mots encore, avant de conclure, sur une question qui préoccupe la Cour et concerne le Palais de la Paix où, comme vous le savez, se trouvent la principale salle d’audience –– la grande salle de justice –– et les bureaux du Greffe. En 2016, à la suite d’inspections effectuées dans les locaux du Palais, la présence d’amiante a été constatée. Les autorités néerlandaises ont en conséquence décidé que des travaux de grande ampleur devaient être réalisés pour décontaminer totalement le bâtiment et, à cette occasion, le rénover. La Cour croit comprendre que le Palais de la Paix devra être fermé et que son Greffe, y compris sa bibliothèque et ses archives, devront être réinstallés dans d’autres locaux, peut-être pour quelques années. Toutefois, les modalités et le calendrier de ce déménagement d’envergure demeurent quelque peu obscurs. Les autorités néerlandaises ont dit à la Cour que des éclaircissements au sujet du projet de réinstallation lui seraient fournis sans délai afin qu’elle puisse faire en sorte que la période de transition se déroule sans encombre et que les dispositions prises viennent le moins possible perturber son programme de travail chargé. En dépit de ces assurances, la Cour n’en sait toujours pas plus à ce jour. Un tel climat d’incertitude ne l’aide guère à mener à bien ses fonctions judiciaires. Ainsi, la Cour s’attend à être dûment et amplement informée sans retard, dans un très proche avenir.
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Monsieur le président, voilà qui met fin à la première allocution qu’il me soit donné de vous adresser en ma qualité de président de la Cour internationale de Justice. La Cour n’a ménagé aucun effort pour s’acquitter de la noble mission qui est la sienne de favoriser la justice internationale et le règlement pacifique des différends entre Etats. Elle a continué de centrer son attention sur les nombreux aspects complexes du droit international que touchaient les différends très divers portés devant elle. Bien souvent, les questions juridiques épineuses auxquelles elle devait répondre étaient au coeur des préoccupations actuelles de la communauté internationale. La Cour a, à cet égard, une conscience aiguë de sa responsabilité de servir, par ses décisions, l’ensemble des Etats Membres en assurant le respect de la primauté du droit dans les relations internationales.
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Monsieur le président, Excellences, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de m’avoir offert cette possibilité de m’exprimer devant vous aujourd’hui et tiens à adresser à l’Assemblée générale tous mes voeux de succès pour cette soixante-treizième session.
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SPEECH BY H.E. MR. ABDULQAWI A. YUSUF, PRESIDENT OF THE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE, ON THE OCCASION OF THE SEVENTY-THIRD SESSION OF THE UNITED NATIONS GENERAL ASSEMBLY
25 October 2018
Mr. President, Excellencies, Distinguished Delegates, Ladies and Gentlemen,
It is an honour for me to address the General Assembly for the first time since my election as President in February, this year, on the occasion of its examination of the annual report of the International Court of Justice. The Court greatly values this time-honoured tradition which enables us to present a succinct overview of the judicial activities on a regular basis.
I am pleased to have the opportunity to do so at an Assembly meeting under your presidency and the presidency of H.E. Ms María Fernanda Espinosa Garcés. I congratulate her on her election to the presidency of the seventy-third session of this august Assembly and wish her every success in this distinguished office.
Between 1 August 2017 the starting date of the period covered by the Court’s report and today, the Court’s docket has remained extremely full, with 17 contentious cases and one advisory proceeding currently pending before it; a number of other cases having been disposed of in the course of the year. Indeed it has been a particularly busy and productive period.
During this time, the Court has held hearings in six cases. The Court first heard the Parties’ oral arguments on the preliminary objections submitted by France in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France). It then held hearings on the merits in the case concerning Obligation to Negotiate Access to the Pacific Ocean (Bolivia v. Chile). In June and August 2018, the Court heard the Parties’ oral arguments on two requests for the indication of provisional measures submitted, in turn, in the case concerning Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Qatar v. United Arab Emirates) and in the case concerning Alleged Violations of the 1955 Treaty of Amity, Economic Relations, and Consular Rights (Islamic Republic of Iran v. United States of America). In September 2018, the Court heard the oral statements of the Participants in the proceedings on the request for an advisory opinion submitted by the General Assembly in respect of the Legal Consequences of the Separation of the Chagos Archipelago from Mauritius in 1965. Finally, a few weeks ago, it held hearings on the preliminary objections submitted by the United States of America in the case concerning Certain Iranian Assets (Islamic Republic of Iran v. United States of America).
Since 1 August 2017, the Court has also delivered four Judgments. On 2 February 2018, the Court rendered two Judgments on the merits, the first one on the question of the compensation owed in the case concerning Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), and the second one in the joined cases concerning the Maritime Delimitation in the Caribbean Sea and the Pacific Ocean (Costa Rica v. Nicaragua) and the Land Boundary in the Northern Part of Isla Portillos (Costa Rica v. Nicaragua). On 6 June 2018, the Court rendered its Judgment on the preliminary objections in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France) and on 1 October 2018, it gave its ruling in the case concerning Obligation to Negotiate Access to the Pacific Ocean (Bolivia v. Chile).
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The Court has, in addition, issued 17 Orders, among which an Order on the admissibility of counter-claims in the case concerning Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime Spaces in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia), and two Orders indicating provisional measures: first, in the aforementioned case instituted by Qatar against the United Arab Emirates; and secondly, in the recently instituted case between the Islamic Republic of Iran and the United States of America concerning alleged violations of the bilateral Treaty of Amity, Economic Relations, and Consular Rights of 1955.
As is customary, I shall now give a brief analysis of the substance of those decisions.
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I begin by recalling certain elements of the Judgments rendered in the cases opposing Costa Rica and Nicaragua.
On 2 February 2018, the Court rendered its Judgment on the question of compensation in the case concerning Certain Activities Carried Out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua). In particular, the Court was called upon to determine the amount of compensation to be awarded to Costa Rica for material damage caused by Nicaragua’s unlawful activities on Costa Rican territory, as established in the Court’s Judgment of 16 December 2015. In that connection, it is recalled that Costa Rica had claimed compensation for two categories of damage: first, quantifiable environmental damage caused by Nicaragua’s excavation of two channels (caños) on its territory in 2010 and 2013, and, secondly, costs and expenses incurred as a result of Nicaragua’s unlawful activities.
With respect to environmental damage, the Court indicated that compensation could include indemnification for the impairment or loss of environmental goods and services, and payment for the restoration of the damaged environment, when natural recovery might not suffice to return an environment to the state in which it was before the change occurred. The Court found in particular that, in excavating the two caños, Nicaragua had removed many trees and cleared vegetation, and that these activities had significantly affected the ability of the two impacted areas to provide certain environmental goods and services — namely, trees, other raw materials (fibre and energy), gas regulation and air quality services, as well as biodiversity. The Court stated that it was appropriate to approach the valuation of environmental damage from the perspective of the ecosystem as a whole and it awarded Costa Rica the sum of US$120,000 for the impairment or loss of the environmental goods and services of the impacted area in the period prior to recovery. The Court also considered that the payment of compensation for some restoration measures in respect of the wetland was justified, and it awarded Costa Rica the sum of US$2,708.39 for that purpose.
The Court then dealt with Costa Rica’s claims for costs and expenses incurred as a result of Nicaragua’s unlawful activities in the northern part of Isla Portillos, ruling that some of these costs and expenses had a sufficiently direct and certain causal nexus with the wrongful conduct of Nicaragua. In particular, the Court considered that part of the costs and expenses incurred by Costa Rica in monitoring that area, and in preventing irreparable prejudice to the environment, including costs relating to the construction in 2015 of a dyke across one of the caños, were compensable. Thus, the Court awarded Costa Rica a total of US$236,032.16 under this heading.
Turning to Costa Rica’s claim for interest, the Court held that Costa Rica was not entitled to pre-judgment interest on the amount of compensation for environmental damage since the Court had already taken full account of the impairment or loss of environmental goods and services in the period before recovery. Costa Rica was, however, awarded pre-judgment interest on the costs and
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expenses found compensable, in the sum of US$20,150.04. The Court further decided that, in the event of any delay in payment, post-judgment interest would accrue on the principal sum; that interest would be paid at an annual rate of 6 per cent.
The total amount of compensation awarded to Costa Rica was therefore US$378,890.59 to be paid by Nicaragua by 2 April 2018. Following this Judgment, Nicaragua, by letter of 22 March 2018, informed the Court that it had transferred to Costa Rica the total amount of compensation awarded.
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The Court handed down a second Judgment on the merits on 2 February 2018, in the joined cases concerning Maritime Delimitation in the Caribbean Sea and the Pacific Ocean (Costa Rica v. Nicaragua) and Land Boundary in the Northern Part of Isla Portillos (Costa Rica v. Nicaragua). I recall that the proceedings in the Maritime Delimitation case were brought by an Application of Costa Rica on 25 February 2014. The proceedings in the Land Boundary case were brought by an Application of Costa Rica on 16 January 2017. The two cases were joined by an Order of the Court handed down on 2 February 2017.
The Court observed in its Judgment that the Land Boundary case raised issues of territorial sovereignty which were expedient to examine first, because of their possible implications for the maritime delimitation in the Caribbean Sea. The Court first held that the question of sovereignty over the coast of the northern part of Isla Portillos on the Caribbean Sea had not been decided in its Judgment rendered on 16 December 2015. It then recalled that, according to its interpretation of the 1858 Treaty of Limits between Costa Rica and Nicaragua in its 2015 Judgment, “the territory under Costa Rica’s sovereignty extend[ed] to the right bank of the Lower San Juan River as far as its mouth in the Caribbean Sea”. Noting that the report submitted to it by the Court-appointed experts had dispelled all uncertainty about the geography of the area, the Court found that Costa Rica had sovereignty over the whole of Isla Portillos, with the exception of Harbor Head Lagoon and the sandbar separating it from the Caribbean Sea. These latter features were found to be under Nicaragua’s sovereignty.
The Court then held that, by establishing and maintaining a military camp on the beach of Isla Portillos, Nicaragua had violated Costa Rica’s territorial sovereignty as defined in the Judgment, and ruled that the camp had to be removed from Costa Rica’s territory. The Court considered that the declaration of a violation of Costa Rica’s sovereignty and the order addressed to Nicaragua to remove its camp from Costa Rica’s territory constituted appropriate reparation.
The Court next turned to the Maritime Delimitation case, beginning with the delimitation in the Caribbean Sea. With respect to the starting-point for the delimitation, the Court considered it preferable, due to the great instability of the coastline in the area, to select a fixed point at sea two nautical miles from the coast on the median line and connect it by a mobile line to a point on solid land on Coast Rica’s coast which was closest to the mouth of the San Juan River.
The Court delimited the territorial sea, in accordance with Article 15 of the United Nations Convention on the Law of the Sea and with its own jurisprudence, in two stages: first, it drew a provisional median line; secondly, it considered whether any special circumstances existed which justified an adjustment to that line. As to special circumstances, the Court, in particular, stated that the instability of the sandbar separating Harbor Head Lagoon from the Caribbean Sea and its situation as a small enclave within Costa Rica’s territory also called for a special solution. Noting that, should territorial waters be attributed to the enclave, they would be of little use to Nicaragua,
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while breaking the continuity of Costa Rica’s territorial sea, the Court decided that the delimitation in the territorial sea between the Parties would not take into account any entitlement which might result from the enclave.
The Court then proceeded to the delimitation of the exclusive economic zone and the continental shelf, using its established three-stage methodology. First, it drew a provisional equidistance line using base points located on the Parties’ natural coasts, including some Nicaraguan islands in the Caribbean Sea, among others the Corn Islands. Secondly, the Court considered whether there existed relevant circumstances which were capable of justifying an adjustment of the equidistance line provisionally drawn. It found in particular that, in view of their limited size and significant distance from the mainland coast, the Corn Islands should be given only half effect. Thirdly, the Court assessed the overall equitableness of the boundary resulting from the first two stages by checking whether there existed a marked disproportionality between the length of the Parties’ relevant coasts and the maritime areas found to appertain to them. In the circumstances at hand, the Court found that there was no such marked disproportion.
The Court focused next on the delimitation in the Pacific Ocean. Since Costa Rica and Nicaragua had agreed that the starting-point of the maritime boundary in the Pacific Ocean should be the midpoint of the closing line of the Salinas Bay, the Court fixed the starting-point of its delimitation at that location.
As it did for the Caribbean Sea, the Court proceeded to delimit the boundary for the territorial sea in two stages. Having observed that both Parties selected the same base points, the Court decided to use those points to draw the provisional median line. It considered that there were no special circumstances justifying an adjustment to that line.
For the purpose of delimiting the exclusive economic zone and the continental shelf, the Court again followed the three-stage methodology adopted in its jurisprudence. First, it drew a provisional equidistance line, using the base points selected by the Parties. Secondly, it checked for relevant circumstances justifying an adjustment to that line, deciding to give half effect to the Santa Elena peninsula on Costa Rica’s coast in order to avoid a significant cut-off effect on Nicaragua’s coastal projections. Thirdly, the Court assessed the overall equitableness of the boundary resulting from the first two stages by checking whether there existed a marked disproportionality between the length of the Parties’ relevant coasts and the maritime areas found to appertain to them. It found that the maritime boundary did not result in gross disproportionality and achieved an equitable solution.
After the Judgment was rendered, Nicaragua informed the Court, by a letter dated 14 February 2018, that it had removed its military camp from Costa Rica’s territory, in accordance with point 3 (b) of the operative paragraph of the Judgment.
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(And) I will continue, Mr. President, now in French:
Le troisième arrêt de la Cour dont je vais vous exposer la teneur a été rendu le 6 juin 2018 ; il portait sur les exceptions préliminaires soulevées par la France dans l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France). Il s’agit d’une instance introduite
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par la Guinée équatoriale le 13 juin 2016 au sujet d’un différend concernant l’immunité de juridiction pénale du vice-président équato-guinéen, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, ainsi que le statut juridique d’un immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris, dont la Guinée équatoriale prétendait qu’il abritait son ambassade en France. Dans sa requête, la Guinée équatoriale entendait fonder la compétence de la Cour sur l’article 35 de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, ou «convention de Palerme», et sur l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, concernant le règlement obligatoire des différends.
Le 31 mars 2017, la France avait soulevé trois exceptions préliminaires. S’agissant de la première exception préliminaire de la France, relative à la convention de Palerme, la Cour a conclu dans son arrêt que les règles du droit international coutumier régissant les immunités des Etats et de leurs agents n’étaient pas incorporées dans l’article 4 de cette convention. Partant, l’aspect du différend concernant l’immunité invoquée en faveur du vice-président équato-guinéen et l’immunité invoquée, en faveur de l’immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris ne se rapportait pas à l’interprétation ou à l’application de la convention de Palerme. La Cour a donc estimé qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur cet aspect du différend. Elle a ensuite relevé que la Guinée équatoriale avait aussi fondé sur la convention de Palerme ses griefs relatifs à la compétence pénale excessive qu’elle reprochait à la France de s’être attribuée pour connaître des «infractions principales» liées au délit de blanchiment d’argent. La Cour a considéré que les violations dont la Guinée équatoriale tirait grief n’étaient pas susceptibles d’entrer dans les prévisions des articles 6 et 15 de la convention de Palerme et qu’elle n’était donc, là encore, pas compétente pour statuer sur cet aspect du différend. En conséquence, la Cour a conclu qu’elle n’avait pas compétence sur la base de la convention de Palerme et a retenu la première exception préliminaire de la France.
La Cour s’est alors penchée sur la deuxième exception préliminaire de la France, qui concernait la compétence au titre du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. La Guinée équatoriale se fondait sur la convention de Vienne pour dénoncer le non-respect par la France de l’inviolabilité de l’immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris, dont elle affirmait qu’il abritait sa mission diplomatique. La Cour a noté que les Parties étaient divisées sur le point de savoir si l’immeuble en cause faisait partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et pouvait donc bénéficier du traitement accordé à pareils locaux par l’article 22 de la convention de Vienne. Elle a conclu que cet aspect du différend entrait dans le champ de la convention et donc qu’elle avait compétence pour connaître du différend relatif au statut de l’immeuble en question, y compris de toute demande relative aux pièces d’ameublement et autres objets se trouvant dans les locaux situés au 42 avenue Foch à Paris. En conséquence, la Cour a rejeté la deuxième exception préliminaire de la France.
La Cour a enfin examiné la troisième exception préliminaire de la France, selon laquelle le comportement de la Guinée équatoriale constituait un abus de droit, et la saisine de la Cour, un abus de procédure. De l’avis de la Cour, cette exception préliminaire touchait la recevabilité de la requête. La Cour a fait observer qu’un abus de procédure se rapportait à la procédure engagée devant une cour ou un tribunal et pouvait être examiné au stade préliminaire de ladite procédure. Toutefois, elle a ajouté que seules des circonstances exceptionnelles pouvaient justifier qu’elle rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable. Or elle a estimé ne pas être en présence de telles circonstances en l’espèce. S’agissant de l’abus de droit, la Cour a déclaré qu’il ne pouvait être invoqué comme cause d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relevait du fond de l’affaire. Partant, elle a jugé que tout argument relatif à un abus de droit serait examiné au stade du fond. La Cour n’a donc pas jugé la demande de la Guinée équatoriale irrecevable pour abus de procédure ou abus de droit, et a rejeté la troisième exception préliminaire soulevée par la France.
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La Cour s’étant, dans son arrêt, déclarée compétente sur la base du protocole de signature facultative à la convention de Vienne, la procédure sur le fond a repris. Par une ordonnance rendue le même jour que son arrêt, à savoir le 6 juin 2018, la Cour a fixé au 6 décembre 2018 la date d’expiration du délai dans lequel la France pouvait soumettre son contre-mémoire.
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Monsieur le président,
J’en viens à présent au quatrième arrêt rendu par la Cour pendant la période qui nous intéresse ; par cet arrêt du 1er octobre 2018, elle a tranché au fond l’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili). Je rappellerai que cette instance avait été introduite le 24 avril 2013 par l’Etat plurinational de Bolivie contre la République du Chili au sujet d’un différend «concernant l’obligation du Chili de négocier de bonne foi et de manière effective avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique».
Dans son arrêt, la Cour, après avoir présenté le contexte historique du différend, a procédé à l’examen systématique des huit fondements juridiques distincts invoqués par la Bolivie à l’appui de sa demande.
Elle a, tout d’abord, examiné l’argument de la Bolivie fondé sur les instruments bilatéraux, concluant qu’aucun de ces instruments n’établissait d’obligation pour le Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. La Cour n’a pas non plus jugé convaincant l’argument selon lequel les déclarations et autres actes unilatéraux du Chili avaient créé une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer. Elle a noté que ces déclarations et actes unilatéraux indiquaient non pas qu’une obligation juridique avait été souscrite par le défendeur, mais que ce dernier était disposé à engager des négociations. Passant à l’examen de l’argument de la Bolivie fondé sur l’acquiescement, la Cour a relevé que celle-ci n’avait fait état d’aucune déclaration qui aurait appelé une réponse ou une réaction du Chili pour empêcher qu’une obligation ne voie le jour. Elle en a conclu que l’acquiescement ne pouvait donc être considéré comme fondant une obligation de négocier un accès souverain de la Bolivie à la mer. La Cour s’est ensuite penchée sur l’argument de la Bolivie fondé sur l’estoppel, concluant que, bien que le Chili ait exprimé à plusieurs reprises la position selon laquelle il était disposé à négocier un accès souverain de la Bolivie à la mer, ces prises de position ne créaient pas une obligation de négocier, car il n’avait pas été démontré que la Bolivie avait modifié sa position à son détriment ou à l’avantage du Chili en se fondant sur ces prises de position. S’agissant de l’argument selon lequel le fait que le défendeur ait nié son obligation de négocier et refusé de mener de nouvelles négociations avec la Bolivie avait déçu les «attentes légitimes» de celle-ci, la Cour a conclu que, même s’il était fait référence aux attentes légitimes dans certaines sentences arbitrales concernant des différends en matière d’investissement, il n’en découlait pas qu’il existait en droit international général un principe fondé sur les attentes légitimes qui puisse donner naissance à une obligation.
La Cour a par ailleurs estimé ne pas pouvoir faire droit à l’argument selon lequel une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer pouvait être fondée sur le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ou sur l’article 3 de la Charte de l’Organisation des Etats américains, car ces dispositions prescrivaient seulement aux Etats de régler leurs différends par des moyens ou des procédures pacifiques, sans imposer à cet effet de méthode de règlement spécifique, telle que la négociation. Elle a également examiné l’argument de la Bolivie selon lequel certaines résolutions de l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains confirmaient l’engagement du Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la
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mer. Elle n’a pu retenir cet argument, aucune de ces résolutions n’indiquant qu’une obligation de négocier incombait au Chili et que les deux Parties avaient reconnu que les résolutions n’étaient pas contraignantes en tant que telles.
La Cour a, enfin, jugé que, ayant conclu qu’aucun des fondements juridiques invoqués, pris isolément, n’avait établi l’existence d’une quelconque obligation, le fait de les considérer cumulativement ne pouvait modifier ce résultat.
La Cour a ainsi conclu que le Chili n’avait pas contracté d’obligation juridique de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Elle a cependant ajouté et je tiens à le souligner que sa conclusion ne devait pas être comprise comme empêchant les Parties de poursuivre leur dialogue et leurs échanges dans un esprit de bon voisinage, afin de traiter les questions relatives à l’enclavement de la Bolivie, dont la solution était considérée par l’une et l’autre comme relevant de leur intérêt mutuel.
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Monsieur le président,
Je rendrai compte à présent de trois ordonnances autres que de nature procédurale que la Cour a rendues au cours de la période considérée.
Je mentionnerai tout d’abord l’ordonnance sur les demandes reconventionnelles que la Cour a rendue le 15 novembre 2017 en l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie). Je rappellerai que, le 26 novembre 2013, la République du Nicaragua a introduit une instance contre la République de Colombie, alléguant des violations spécifiques des droits souverains et des espaces maritimes qui lui avaient été reconnus par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012. Le 19 décembre 2014, la Colombie a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour. Par un arrêt daté du 17 mars 2016, la Cour a jugé qu’elle avait compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour connaître du différend relatif aux prétendues violations par la Colombie des droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirmait qu’elles lui avaient été reconnues par l’arrêt du 19 novembre 2012.
Dans le contre-mémoire qu’elle a déposé le 17 novembre 2016, la Colombie a présenté quatre demandes reconventionnelles. La première et la deuxième étaient fondées sur le manquement allégué du Nicaragua à l’obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger et de préserver, respectivement, l’environnement marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes et le droit des habitants de l’archipel de San Andrés de bénéficier d’un environnement sain, viable et durable ; la troisième concernait la violation alléguée, par le Nicaragua, du droit des pêcheurs artisanaux de l’archipel de San Andrés d’accéder aux bancs où ils avaient coutume de pêcher et d’exploiter ceux-ci ; la quatrième concernait l’adoption par le Nicaragua du décret no 33-2013 du 19 août 2013, qui avait établi des lignes de base droites avec pour effet, selon la Colombie, d’étendre les eaux intérieures et les espaces maritimes nicaraguayens au-delà de ce que permettait le droit international.
Dans son ordonnance, la Cour a commencé par rappeler que, selon le paragraphe 1 de l’article 80 de son Règlement, deux conditions devaient être réunies pour qu’elle puisse connaître d’une demande reconventionnelle en tant que telle, à savoir que la demande en question devait «rel[ever] de sa compétence» et être «en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse».
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La Cour a considéré qu’il n’y avait pas de connexité, tant en fait qu’en droit, entre les deux premières demandes reconventionnelles de la Colombie et les demandes principales du Nicaragua. Elle a donc jugé ces deux demandes reconventionnelles irrecevables en tant que telles.
Par ailleurs, la Cour a considéré qu’il existait une connexité factuelle et juridique directe entre les troisième et quatrième demandes reconventionnelles de la Colombie et les demandes principales du Nicaragua. Elle a noté à cet égard que les faits sous-tendant leurs demandes respectives se rapportaient à la même période, à la même zone géographique et étaient de même nature en ce qu’étaient mis en cause des comportements similaires. Elle a en outre estimé que les principes juridiques invoqués par les Parties étaient également similaires et que celles-ci poursuivaient le même but juridique à travers leurs demandes respectives.
La Cour a ensuite jugé que les troisième et quatrième demandes reconventionnelles de la Colombie satisfaisaient à la condition de compétence. Elle a notamment rappelé que, dès lors qu’elle avait établi sa compétence pour connaître d’une affaire, elle avait compétence pour en examiner toutes les phases ; la caducité ultérieure du titre qui lui avait conféré ladite compétence ne pouvait la priver de celle-ci. Dans l’affaire à l’examen, l’extinction, postérieure au dépôt de la requête, du pacte de Bogotá entre les Parties n’avait pas privé la Cour de sa compétence pour connaître des demandes reconventionnelles soulevées par la Colombie sur ce fondement juridictionnel.
La Cour a donc conclu que les troisième et quatrième demandes reconventionnelles présentées par la Colombie étaient recevables comme telles. Elle a en outre prescrit la présentation d’une réplique du Nicaragua et d’une duplique de la Colombie portant sur les demandes des deux Parties et fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces de procédure.
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Monsieur le président,
Comme je l’ai dit précédemment, au cours de la période considérée, la Cour a également rendu deux ordonnances en indication de mesures conservatoires, que je vais présenter brièvement par ordre chronologique.
Le 23 juillet 2018, la Cour a rendu une ordonnance en indication de mesures conservatoires dans l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis).
Cette affaire avait été introduite le 11 juin 2018 par le Qatar contre les Emirats arabes unis, au sujet de violations alléguées de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée le 21 décembre 1965 (que j’appellerai «la CIEDR»). Dans sa requête introductive d’instance, le Qatar affirmait que, en violation de certains droits garantis par la CIEDR, les Emirats arabes unis avaient interdit l’entrée de leur territoire à tous les Qatariens et expulsé ceux qui s’y trouvaient.
Le même jour, le Qatar avait introduit une demande en indication de mesures conservatoires par laquelle il sollicitait la protection, dans l’attente d’une décision sur le fond de l’affaire, des droits qu’il tient de la CIEDR.
Suivant sa méthode habituelle, la Cour, dans son ordonnance, a d’abord recherché si la clause juridictionnelle contenue dans l’article 22 de la CIEDR lui conférait compétence prima facie pour connaître du fond de l’affaire. Elle a estimé que les actes mentionnés par le Qatar étaient
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susceptibles de relever du champ d’application ratione materiae de la convention. La Cour a estimé que les éléments dont elle disposait à ce stade de la procédure suffisaient à établir l’existence d’un différend quant à l’interprétation ou à l’application de la CIEDR. Elle a constaté également que les conditions procédurales préalables à sa saisine, telles qu’énoncées à l’article 22 de la CIEDR, étaient remplies. Elle en a conclu que, prima facie, elle avait compétence en vertu dudit article.
La Cour a ensuite examiné les droits dont la protection était recherchée, relevant que les mesures prises par les Emirats arabes unis semblaient cibler uniquement les Qatariens, sans considération de la situation individuelle des personnes concernées, et qu’elles pouvaient constituer des actes de discrimination raciale au sens de la CIEDR. La Cour a conclu que certains au moins des droits revendiqués par le Qatar au titre de l’article 5 de la CIEDR étaient plausibles. Il en est ainsi du droit de se marier et de choisir son conjoint, du droit à l’éducation, ainsi que des droits de circuler librement et d’avoir accès à la justice. La Cour a également conclu qu’il existait un lien entre les droits dont la protection était recherchée et les mesures conservatoires demandées par le Qatar.
La Cour a en outre été d’avis que certains des droits en cause étaient de nature telle que tout préjudice qui leur serait porté pourrait se révéler irréparable et qu’il y avait donc urgence.
La Cour a ainsi conclu que les conditions auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires étaient réunies. Elle a décidé que, pour protéger les droits que le Qatar faisait valoir sur le fond, les Emirats arabes unis devaient veiller à ce que : i) les familles qataro-émiriennes séparées par suite des mesures qu’ils avaient adoptées le 5 juin 2017 soient réunies ; ii) les étudiants qatariens affectés par les mesures adoptées le 5 juin 2017 puissent terminer leurs études aux Emirats arabes unis ou obtenir leur dossier scolaire ou universitaire s’ils souhaitaient étudier ailleurs ; et iii) les Qatariens affectés par les mesures adoptées le 5 juin 2017 puissent avoir accès aux tribunaux et autres organes judiciaires des Emirats arabes unis. La Cour a également appelé les deux Parties à s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant elle ou d’en rendre le règlement plus difficile.
Par une ordonnance rendue le 25 juillet 2018, la Cour a fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par l’Etat du Qatar et d’un contre-mémoire par les Emirats arabes unis.
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Monsieur le président,
Le 3 octobre 2018, la Cour a rendu une deuxième ordonnance en indication de mesures conservatoires, dans l’affaire relative à des Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique).
L’Iran avait introduit le 16 juillet 2018 une procédure contre les Etats-Unis au sujet de violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955 (que j’appellerai «le traité de 1955»). Dans sa requête introductive d’instance, l’Iran affirmait, en particulier, que le différend concernait la décision des Etats-Unis, annoncée le 8 mai 2018, de rétablir des mesures restrictives ciblant, directement ou indirectement, l’Iran et les ressortissants et sociétés iraniens, mesures que les Etats-Unis avaient précédemment décidé de lever dans le cadre du plan d’action global commun à long terme (que j’appellerai le «plan d’action»). Selon le demandeur, ces mesures emportaient violation, par les Etats-Unis, de certaines obligations découlant du traité de 1955, notamment celles qui concernent le traitement juste et équitable, l’interdiction des restrictions en matière de paiements et la liberté de commerce. L’Iran entendait
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fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut ainsi que sur le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955, cette dernière disposition étant une clause compromissoire par laquelle les Parties avaient accepté de porter devant la Cour tout différend qui les opposerait quant à l’interprétation ou l’application du traité et qu’elles ne pourraient régler de manière satisfaisante par la voie diplomatique, à moins qu’elles n’aient convenu de le régler par d’autres moyens pacifiques.
L’Iran avait également introduit le 16 juillet 2018 une demande en indication de mesures conservatoires.
Dans son ordonnance sur cette demande, la Cour, a commencé par vérifier si les dispositions invoquées par le demandeur semblaient constituer, prima facie, une base susceptible de fonder sa compétence. Elle s’est d’abord assurée qu’un différend existait entre les Parties quant à l’interprétation ou à l’application du traité de 1955. Elle a jugé que les éléments dont elle disposait à ce stade de la procédure suffisaient à établir que les mesures dont l’Iran reprochait l’adoption aux Etats-Unis pouvaient prima facie relever du champ d’application ratione materiae du traité de 1955. La Cour a estimé que la disposition dont se prévalaient les Etats-Unis, selon laquelle il n’est pas interdit aux parties contractantes de prendre certaines mesures visant à protéger leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité, n’excluait pas la compétence qu’elle tenait de la clause compromissoire du traité. Elle a constaté en outre que le différend n’avait pas été réglé de manière satisfaisante par la voie diplomatique et que les Parties n’avaient pas convenu de le régler par d’autres moyens pacifiques. La Cour en a conclu que le traité de 1955 lui conférait, prima facie, compétence pour connaître du différend, pour autant que celui-ci concerne l’interprétation ou l’application dudit traité.
La Cour s’est ensuite penchée sur les droits dont la protection était recherchée. Elle a estimé que les droits revendiqués par l’Iran étaient plausibles dans la mesure où ils étaient fondés sur une interprétation possible du traité de 1955 et sur l’établissement prima facie des faits pertinents, et que l’exercice de certains de ces droits était susceptible d’être entravé par les mesures adoptées par les Etats-Unis.
Parallèlement, la Cour a jugé nécessaire de tenir compte du fait que les Etats-Unis invoquaient le paragraphe 1 de l’article XX du traité de 1955 pour faire valoir leurs intérêts essentiels sur le plan de la sécurité. Elle a relevé que ces intérêts pouvaient avoir une incidence sur certains au moins des droits garantis à l’Iran par le traité de 1955, mais que, tout bien considéré, il n’en allait pas de même pour d’autres. Les droits de l’Iran dont l’exercice pouvait être menacé étaient notamment ceux liés à l’importation et à l’achat de biens nécessaires à des fins humanitaires, tels que les médicaments et le matériel médical, les denrées alimentaires et les produits agricoles, ainsi que de biens et services nécessaires à la sécurité de l’aviation civile, tels que les pièces détachées, les équipements et les services connexes nécessaires aux aéronefs civils.
La Cour s’est ensuite penchée sur la question du lien entre les droits revendiqués par l’Iran et les mesures conservatoires sollicitées par celui-ci. Elle a conclu qu’il existait un lien entre certains des droits dont la protection était recherchée et certains aspects des mesures conservatoires demandées. Elle a considéré en outre qu’il existait toujours un risque que les mesures prises par les Etats-Unis aient des conséquences irréparables et qu’il y avait donc urgence.
De l’ensemble de ces considérations, la Cour a conclu que les conditions auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires étaient réunies. Elle a ainsi indiqué les mesures conservatoires suivantes : 1) les Etats-Unis doivent, par les moyens de leur choix, supprimer toute entrave que les mesures annoncées le 8 mai 2018 mettent à la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran i) de médicaments et de matériel médical, ii) de denrées alimentaires et de produits agricoles, et iii) des pièces détachées, des équipements et des services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections) nécessaires à la sécurité de l’aviation civile; 2) les Etats-Unis doivent veiller à ce que, s’agissant
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des biens et services visés au point 1), les permis et autorisations nécessaires soient accordés et à ce que les paiements et autres transferts de fonds ne soient soumis à aucune restriction ; et 3) les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile.
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Mr. President, Distinguished Delegates, Excellencies, Ladies and Gentlemen,
I will now turn to the new cases brought before the Court. In addition to the two cases just referred to between Qatar and the United Arab Emirates, and between the Islamic Republic of Iran and the United States of America in which the Court issued Orders indicating provisional measures, a further four sets of contentious proceedings have been instituted since 1 August 2017.
On 29 March 2018, the Co-operative Republic of Guyana instituted proceedings against the Bolivarian Republic of Venezuela with regard to a dispute concerning “the legal validity and binding effect of the Award Regarding the Boundary between the Colony of British Guiana and the United States of Venezuela, of 3 October 1899”. In its Application, Guyana claims that the 1899 Award was a full and final settlement of all questions relating to the determination of the boundary line between the colony of British Guiana and Venezuela, but that, for the first time in 1962, Venezuela contested the Award as arbitrary and null and void. According to Guyana, this dispute remains ongoing. Guyana thus requests the Court to confirm the validity of the 1899 Award and to order Venezuela to respect the boundary established pursuant to that Award. From the outset, Venezuela has challenged the jurisdiction of the Court to entertain the case. By an Order dated 19 June 2018, the Court decided that the written pleadings in the case should first address the question of its jurisdiction, and it fixed the respective time-limits for the filing of a Memorial by Guyana and a Counter-Memorial by Venezuela.
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Two further sets of proceedings were brought before the Court on 4 July 2018. First, the Kingdom of Bahrain, the Arab Republic of Egypt, the Kingdom of Saudi Arabia and the United Arab Emirates submitted to the Court a joint Application constituting an appeal against the decision rendered by the Council of the International Civil Aviation Organization on 29 June 2018, in proceedings initiated by the State of Qatar against these four States on 30 October 2017 pursuant to Article 84 of the Convention on International Civil Aviation, also known as the Chicago Convention. Second, the Kingdom of Bahrain, the Arab Republic of Egypt and the United Arab Emirates submitted to the Court another joint Application constituting an appeal against the decision rendered by the ICAO Council in proceedings initiated by Qatar against these three States on 30 October 2017 pursuant to Article II, Section 2, of the International Air Services Transit Agreement. The factual background of the two cases is the same. According to the Applications, on 5 June 2017, after Qatar had allegedly failed to abide by its commitments under a series of instruments and undertakings referred to collectively as the Riyadh Agreements, the Applicants adopted measures which included airspace restrictions to aircraft registered in Qatar. On
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30 October 2017, Qatar instituted proceedings against the Applicants before the ICAO, alleging that the airspace restrictions violated the Chicago Convention and the International Air Services Transit Agreement. In these ICAO proceedings, the Applicants raised preliminary objections, which were rejected in two decisions of the ICAO Council rendered on 29 June 2018. These are the two decisions which are being appealed before the Court of Justice.
Orders dated 25 July 2018 in the two cases fixed the respective time-limits for the filing of a Memorial by the Applicants and a Counter-Memorial by Qatar.
On 28 September 2018, the State of Palestine instituted proceedings against the United States of America, with respect to a dispute concerning alleged violations of the Vienna Convention on Diplomatic Relations of 18 April 1961. It is recalled that on 5 July 2018, Palestine had filed a declaration pursuant to Security Council Resolution 9 (1946), whereby it accepted the jurisdiction of the Court for the settlement of disputes under Article I of the Optional Protocol to the Vienna Convention on Diplomatic Relations concerning the Compulsory Settlement of Disputes, to which the State of Palestine acceded on 22 March 2018. In its Application, Palestine contends that it flows from the Vienna Convention that the diplomatic mission of a sending State must be established on the territory of the receiving State.
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Mr. President, Excellencies, Distinguished Delegates,
This completes my summary of the Court’s extensive judicial activities over the last year. I would now like to take the opportunity, in the spirit of transparency, to touch upon the question of extrajudicial activities that Members of the Court occasionally undertake, in particular, in the field of international arbitration. The Court is cognizant of the fact that, while the judicial settlement of disputes offered by the Court is enshrined in the Charter, States may, for several reasons, be interested in settling their disputes by arbitration. In such instances, Members of the Court have sometimes been called upon by States to sit on the arbitral tribunals in question dealing in some cases with inter-State disputes while in others with investor-State disputes a testament, of course, to the high esteem in which the Court’s Judges are held by the international community.
Over the years, the Court has taken the view that, in certain circumstances, its Members may participate in arbitration proceedings. However, in light of its ever-increasing workload, the Court decided a few months ago to review this practice and to set out clearly defined rules regulating such activities. As a result, Members of the Court have come to the decision, last month, that they will not normally accept to participate in international arbitration. In particular, they will not participate in investor-State arbitration or in commercial arbitration. However, in the event that they are called upon, exceptionally, by one or more States that would prefer to resort to arbitration, instead of judicial settlement, the Court has decided that, in order to render service to those States, it will, if the circumstances so warrant, authorize its Members to participate, if authorized, in inter-State arbitration cases. Even in such exceptional cases, a Member of the Court will only participate in one arbitration procedure at a time. Prior authorization must have been granted for that purpose in accordance with the mechanism put in place by the Court. Members of the Court, will, however, decline to be appointed as arbitrators by a State that is a party in a case pending before the Court, even if there is no substantial interference between that case and the case submitted to arbitration. This is essential to place beyond reproach the impartiality and independence of Judges in the
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exercise of their judicial functions. Finally, I cannot stress enough that any participation of Members of the Court in such inter-State arbitrations is subject to the strict condition that their judicial activities take absolute precedence.
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Just briefly before I come to my closing remarks, I would like, Mr. President, to raise an issue that is of concern to the Court regarding the Peace Palace, which, as you know, houses the principal court room the Great Hall of Justice and the offices of the Registry. In 2016, following inspections of the premises, the Peace Palace was found to be contaminated with asbestos. As a result, the Dutch authorities decided that major works should be undertaken to completely decontaminate and, at the same time, renovate the building. The Court understands that it is anticipated that the Peace Palace will have to close and that the Registry of the Court, including the Court’s Library and Archives, will have to be temporarily relocated to other premises for perhaps a few years. However, the Court remains somewhat in the dark as to the modalities and time frame for this large-scale relocation. The Court has been told by the Netherlands’ authorities that details of the proposed relocation plans would be provided without delay, so that it may ensure a smooth transition period, with a minimum of disruption to its busy schedule of work. Despite these assurances, to date, the Court does not have at its disposal any further elements of clarification. This creates an atmosphere of uncertainty which is not conducive to the performance of its judicial functions. Therefore, we trust that ample and adequate information will be received in a timely manner in the very near future.
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This brings, Mr. President, an end to my first address before you as President of the International Court of Justice. The Court has made every endeavour to fulfil the noble mission entrusted to it in terms of the advancement of international justice and the peaceful settlement of disputes between States. It has continued to focus its attention on many complex areas of international law raised by the multifaceted disputes brought before it. Often, these thorny legal issues lie at the heart of the international community’s current concerns. The Court is acutely aware in this connection that, with its rulings, it has a responsibility to serve all Member States by safeguarding respect for the rule of law in international relations.
Mr. President, Excellencies, Ladies and Gentlemen,
I thank you for giving me the opportunity to address you today and I wish this seventy-third Session of the General Assembly every success.
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Discours de S. Exc. M. Abdulqawi A. Yusuf, président de la Cour internationale de Justice, à l'occasion de la soixante-treizième session de l'Assemblée générale des Nations Unies