DISCOURS PRONONCÉ PAR S. EXC. M. LE JUGE ABDULQAWI A. YUSUF, PRÉSIDENT DE
LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, À LA CÉRÉMONIE EN HOMMAGE
À JOSÉ GUSTAVO GUERRERO, LE 16 OCTOBRE 2018
Mesdames et Messieurs,
J’ai le grand plaisir de vous accueillir à la présente cérémonie organisée au Palais de la Paix
pour rendre hommage à José Gustavo Guerrero, qui passa ici même une partie importante de sa vie
en qualité de juge, de vice-président et de président de deux Cours : la Cour permanente de Justice
internationale et la Cour internationale de Justice.
Rares sont ceux, parmi les confrères du juge Guerrero, qui pourraient égaler le travail que
celui-ci a réalisé pour ces deux juridictions, ainsi que pour la cause de la paix et de la justice
internationales. J. Gustavo Guerrero fut l’un des premiers juristes à s’intéresser, au niveau
international, au règlement judiciaire des différends et à jeter les bases qui permettraient de le
mettre en oeuvre et de le développer afin d’instaurer la paix entre les nations. Lorsqu’il rejoignit la
Cour permanente en 1931, la guerre était encore considérée comme un instrument de politique
étrangère et n’était pas totalement interdite par le droit international. Le règlement judiciaire des
différends ne jouait donc qu’un rôle plutôt limité. Cependant, J. Gustavo Guerrero et quelques
autres posèrent ensemble les fondations de ce qui est devenu aujourd’hui l’un des principaux
modes de règlement des différends au niveau international.
Premier Latino-Américain à présider la Cour permanente, J. Gustavo Guerrero fut également
le juge qui exerça le plus longtemps cette fonction en raison des circonstances tragiques de la
seconde guerre mondiale. Ses réalisations dans le domaine judiciaire, ainsi que ses qualités
intellectuelles et de fédérateur, lui permirent de se faire réélire en 1946, cette fois en tant que
premier président de la Cour internationale de Justice nouvellement créée.
Ce remarquable précurseur ne s’en est pas tenu là. Il fut également le premier et seul juge de
la Cour actuelle à avoir été élu président avant d’être vice-président, et le premier à avoir exercé
cette fonction-là deux fois.
Ce parcours exceptionnel et sans précédent s’explique non seulement par la contribution
intellectuelle de J. Gustavo Guerrero, dont le juge Cançado Trindade nous parlera tout à l’heure,
mais aussi par son intégrité, ses remarquables qualités de chef de file et son exceptionnelle capacité
à concilier les membres de la Cour.
Le juge Guerrero a aussi marqué l’histoire en tant qu’architecte du système d’élection,
unique en son genre, des juges de la Cour internationale de Justice. Lors de la session de l’Institut
de droit international qui se tint à Sienne en 1952, il rédigea la résolution intitulée «La composition
de la Cour internationale de Justice». En sa qualité de rapporteur, il recommanda deux
modifications pour améliorer la procédure d’élection des membres de la Cour : premièrement,
séparer cette élection de celles relatives aux autres organes de l’Organisation des Nations Unies et,
deuxièmement, éviter toute communication entre le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale au
moment du vote simultané. Ces derniers ont tous deux appliqué ces recommandations dans leur
pratique électorale, ce qui a permis de renforcer l’intégrité et l’indépendance de la Cour et de ses
travaux.
C’est une source de fierté pour la Cour internationale de Justice de savoir que ce pionnier de
la justice internationale a été son premier président, et de perpétuer son souvenir pour de
nombreuses générations à venir.
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Oui, le juge Guerrero était un guerrier, comme son nom l’indique, mais pas de ceux
qui dévastent et détruisent : lui était un guerrier pour la paix et la justice entre les nations.
Ces jours-ci, El Salvador et ses enfants célèbres ont brillé sous les feux de la rampe
internationale. D’abord l’archevêque Romero à Rome et, aujourd’hui, le juge Guerrero à La Haye.
Nous sommes la Cour mondiale, nous n’avons pas le pouvoir de canoniser comme l’a fait le
pape François il y a deux jours pour un autre Salvadorien exceptionnel, Mgr Óscar Romero, mais il
ne fait aucun doute que J. Gustavo Guerrero, comme dernier président de la Cour permanente et
premier président de la Cour actuelle, restera à jamais dans nos mémoires une figure emblématique
de la justice internationale et un pionnier du règlement pacifique des différends entre les nations. Il
est donc aussi à sa manière un saint, un saint laïc.
Je vous remercie.
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Discours de S. Exc. M. le juge Abdulqawi A. Yusuf, président de la Cour internationale de Justice, à la cérémonie en hommage à José Gustavo Guerrero