COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Document non officiel
Résumé 2018/5
Le 1er octobre 2018
Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili) Résumé de l’arrêt du 1er octobre 2018
Contexte procédural (par. 1-15)
La Cour rappelle que, le 24 avril 2013, le Gouvernement de l’Etat plurinational de Bolivie (ci-après la «Bolivie») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République du Chili (ci-après le «Chili») au sujet d’un différend «concernant l’obligation du Chili de négocier de bonne foi et de manière effective avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique». Le 15 juillet 2014, le Chili a soulevé une exception préliminaire d’incompétence de la Cour. Par son arrêt du 24 septembre 2015, celle-ci a rejeté cette exception préliminaire et jugé qu’elle avait compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour connaître de la requête. Des audiences publiques ont été tenues du 19 au 28 mars 2018.
I. CONTEXTE HISTORIQUE ET FACTUEL (PAR. 16-83)
Compte tenu de l’importance du contexte historique du différend, la Cour commence par examiner certains événements qui ont marqué les relations entre les deux Etats.
1. Evénements et traités antérieurs à 1904, y compris l’accord de cession territoriale de 1895 (par. 19-24)
Le Chili et la Bolivie ont obtenu leur indépendance de l’Espagne en 1818 et 1825, respectivement. A l’époque, la Bolivie possédait un littoral de plus de 400 kilomètres le long de l’océan Pacifique. Le 10 août 1866, les deux Etats ont signé un traité de limites territoriales établissant entre eux une ligne de démarcation et séparant leurs territoires sur la côte Pacifique. Cette ligne frontière a été confirmée dans le traité de limites qu’ils ont signé le 6 août 1874. Le 5 avril 1879, le Chili a déclaré la guerre au Pérou et à la Bolivie, déclenchant ainsi la guerre dite du Pacifique, au cours de laquelle il a occupé le territoire côtier bolivien. Les hostilités entre la Bolivie et le Chili se sont achevées le 4 avril 1884 avec la signature, à Valparaíso, d’une convention d’armistice. Cet instrument prévoyait notamment que le Chili continuerait d’administrer la région côtière de la Bolivie. Le traité de paix signé le 20 octobre 1883 entre le Chili et le Pérou (également dénommé «traité d’Ancón») a officiellement mis fin aux hostilités entre les deux pays. En application de l’article 2 de cet instrument, le second cédait au premier la province côtière de Tarapacá. En application de l’article 3, le Chili resterait en possession des territoires des provinces de Tacna et d’Arica pour une durée de dix ans, au terme de laquelle un plébiscite serait organisé pour déterminer définitivement la souveraineté sur ces territoires. Le 18 mai 1895, la Bolivie et le Chili ont signé trois traités : un traité de paix et d’amitié, un accord de cession territoriale et un
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traité de commerce. Le traité de paix et d’amitié réaffirmait la souveraineté du Chili sur le territoire côtier que celui-ci administrait en application de la convention d’armistice du 4 avril 1884. Dans le cadre de l’accord de cession territoriale, la Bolivie et le Chili convenaient notamment que les territoires de Tacna et d’Arica devaient être cédés à la première si le second acquérait la «souveraineté permanente» sur eux par suite de négociations directes ou du plébiscite prévu par le traité d’Ancón de 1883. Si le Chili n’obtenait pas ces deux territoires, l’article IV de l’accord de cession territoriale disposait qu’il céderait à la Bolivie un territoire défini. Quatre protocoles ont fait suite à ces trois traités. Par un échange de notes en date des 29 et 30 avril 1896, il a été convenu que ces derniers entreraient en vigueur à condition que les congrès respectifs des deux Etats approuvent le protocole relatif à la portée des obligations énoncées dans les traités du 18 mai 1895, qui précisait les obligations contractées par les Parties. Cette condition n’ayant jamais été remplie, ces trois traités ne sont jamais entrés en vigueur.
2. Le traité de paix de 1904 (par. 25)
Le traité de paix et d’amitié du 20 octobre 1904 (ci-après le «traité de paix de 1904») a officiellement mis fin à la guerre du Pacifique entre la Bolivie et le Chili. L’article II de cet instrument reconnaissait la souveraineté «absolue et perpétuelle» du Chili sur le territoire qu’il occupait en application de la convention d’armistice de 1884 et délimitait la totalité de la frontière entre les deux Etats. L’article III prévoyait la construction, aux frais du Chili, d’une voie ferrée entre le port d’Arica et le plateau de La Paz, qui a été inaugurée le 13 mai 1913. Aux termes de l’article VI, le Chili accordait à la Bolivie, «à titre perpétuel, un droit de transit commercial absolu et inconditionnel sur son territoire et dans ses ports situés sur le Pacifique». En application de l’article VII, cette dernière obtenait «le droit d’établir, dans les ports de son choix, des postes douaniers visant à promouvoir ses échanges commerciaux» et désignait à cette fin les ports d’Antofagasta et d’Arica.
3. Les échanges et déclarations intervenus dans les années 1920 (par. 26-46)
A. L’«Acta Protocolizada» de 1920 (par. 26-31)
Le 10 janvier 1920, le ministre bolivien des affaires étrangères et le ministre plénipotentiaire du Chili à La Paz se sont rencontrés, notamment pour examiner les questions concernant l’accès de la Bolivie à la mer, et ont consigné par écrit la teneur de cette série de réunions. Les Parties désignent ce procès-verbal par l’expression «Acta Protocolizada».
B. Les échanges ultérieurs (1920-1925) (par. 32-41)
A partir du mois de novembre 1920, la Bolivie a tenté d’obtenir, par l’entremise de la Société des Nations, la révision du traité de paix de 1904, conformément à l’article 19 du traité de Versailles, aux termes duquel «[l]’Assemblée peut … inviter les Membres de la Société à procéder à un nouvel examen des traités devenus inapplicables». Cette demande a été jugée irrecevable par un comité de juristes au motif que seuls les Etats contractants, et non l’Assemblée, avaient compétence pour modifier les traités. Dans une lettre en date du 8 septembre 1922, le délégué bolivien a informé le Secrétaire général de la Société des Nations que son pays réitérait qu’il s’était réservé le droit de soumettre une demande «de révision ou [d’]examen» du traité de paix de 1904 et que les négociations avec le Chili n’avaient «pas donné de résultats». En 1922 et 1923, parallèlement à ses tentatives en vue de réviser le traité de paix de 1904, la Bolivie a continué de négocier directement avec le Chili afin d’obtenir un accès souverain à l’océan Pacifique. Par une sentence arbitrale de 1925, le président des Etats-Unis d’Amérique, Calvin Coolidge, a énoncé les conditions régissant le plébiscite relatif à Tacna et Arica prévu à l’article 3 du traité d’Ancón.
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C. La proposition Kellogg de 1926 et le mémorandum Matte de la même année (par. 42-46)
Le 30 novembre 1926, le secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique, Frank B. Kellogg, a soumis au Chili et au Pérou une proposition concernant la question de la souveraineté sur les provinces de Tacna et d’Arica. Cette proposition prévoyait que les deux Etats cèdent à la Bolivie, à titre perpétuel, tous les droits, titres et intérêts qu’elles pourraient l’un et l’autre détenir sur les provinces de Tacna et d’Arica, sous réserve de garanties appropriées de protection et de préservation, sans discrimination, des droits personnels et réels de l’ensemble des habitants des deux provinces, quelle que soit leur nationalité. Le 2 décembre 1926, le ministre bolivien des affaires étrangères a adressé au ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique à La Paz une communication l’informant que son pays acceptait pleinement la proposition Kellogg. Par un mémorandum en date du 4 décembre 1926 (connu sous le nom de «mémorandum Matte») adressé au secrétaire d’Etat américain, le ministre chilien des affaires étrangères a indiqué que ladite proposition allait bien au-delà des concessions que son gouvernement était disposé à consentir, puisqu’elle impliquait une cession de territoire chilien. Par un mémorandum en date du 12 janvier 1927, le ministre péruvien des affaires étrangères a informé le secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique que le Gouvernement péruvien n’acceptait pas la proposition des Etats-Unis concernant Tacna et Arica.
4. La réaction de la Bolivie à la conclusion, en 1929, du traité de Lima et de son protocole complémentaire (par. 47-49)
En raison de difficultés touchant à l’exécution de la sentence arbitrale de 1925 entre le Chili et le Pérou qui avait fixé les termes du plébiscite concernant Tacna et Arica prévu à l’article 3 du traité d’Ancón, les deux Etats sont convenus de régler la question de la souveraineté sur ces territoires par voie conventionnelle et non par un plébiscite. Le 3 juin 1929, ils ont conclu le traité de Lima, aux termes duquel ils convenaient que la souveraineté sur le territoire de Tacna revenait au second, et la souveraineté sur le territoire d’Arica, au premier. Dans un protocole complémentaire à cet instrument, ils ont notamment décidé ce qui suit :
«Les Gouvernements du Chili et du Pérou ne pourront, sans accord préalable entre eux, céder à une tierce Puissance la totalité ou une partie des territoires qui, conformément au traité de même date, sont placés sous leur souveraineté respective et ils ne pourront pas non plus, sans remplir cette condition, construire de nouvelles voies ferrées internationales traversant ces territoires.»
Dans un mémorandum adressé au secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique en date du 1er août 1929, le ministre bolivien des affaires étrangères, ayant pris connaissance de ce protocole, a déclaré que ce nouvel accord entre le Chili et le Pérou n’aurait pas pour effet d’amener la Bolivie à renoncer à «[sa] politique visant à recouvrer [sa] souveraineté maritime».
5. L’échange de notes de 1950 (par. 50-53)
A la fin des années 1940, les Parties ont mené d’autres discussions concernant l’accès de la Bolivie à la mer. En particulier, dans une note en date du 28 juin 1948, l’ambassadeur de Bolivie au Chili a rendu compte au ministre bolivien des affaires étrangères de ses échanges avec le président chilien, Gabriel González Videla, au sujet de l’ouverture de ces négociations, en y incluant un projet de protocole contenant la proposition bolivienne. Dans une note du 1er juin 1950, l’ambassadeur de Bolivie au Chili a officiellement proposé au ministre chilien des affaires étrangères d’engager des négociations «en vue de satisfaire au besoin fondamental que représent[ait] pour la Bolivie l’obtention d’un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, et de résoudre ainsi son problème d’enclavement en veillant à ce que les deux peuples bénéficient d’avantages réciproques et à ce que leurs intérêts véritables soient respectés». Dans une note du 20 juin 1950, le ministre chilien des affaires étrangères a répondu que son gouvernement
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acceptait la proposition d’engager des négociations. Les négociations entre les deux Etats n’ont toutefois guère progressé au cours des années suivantes.
6. Le mémorandum Trucco de 1961 (par. 54-59)
Entre 1951 et 1957, les échanges entre les Parties ont essentiellement porté sur l’amélioration des modalités concrètes du régime d’accès de la Bolivie à l’océan Pacifique. Le 10 juillet 1961, ayant appris que celle-ci avait l’intention de soulever la question de son accès à l’océan Pacifique au cours de la conférence interaméricaine qui devait se dérouler la même année, l’ambassadeur du Chili en Bolivie, Manuel Trucco, a remis au ministre bolivien des affaires étrangères un mémorandum, qui allait être dénommé «mémorandum Trucco». Il y était souligné que le Chili était prêt à engager des négociations directes visant à rechercher une formule qui permettrait d’octroyer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, et au Chili d’obtenir une compensation de nature non territoriale. En réponse à ce mémorandum, le ministère bolivien des affaires étrangères a, le 9 février 1962, exprimé
«son consentement plein et entier à entamer dès que possible des négociations directes en vue de satisfaire au besoin national fondamental que constitu[ait] pour la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique qui lui soit propre, en échange de compensations qui, sans être de nature territoriale, bénéficient aux deux pays et prennent en compte leurs véritables intérêts».
Le 15 avril 1962, la Bolivie a rompu ses relations diplomatiques avec le Chili à la suite de l’utilisation par ce dernier des eaux du fleuve Lauca. Le 27 mars 1963, le ministre chilien des affaires étrangères a indiqué que son pays n’était «pas disposé à entamer des pourparlers qui pourraient nuire à la souveraineté nationale ou engendrer une cession territoriale de quelque sorte que ce soit» et nié que le mémorandum Trucco constituât «une note officielle», soulignant qu’il ne s’agissait que d’un «aide-mémoire». Le 3 avril 1963, le ministre bolivien des affaires étrangères a soutenu que l’échange de notes de 1950 constituait un «engagement» des Parties, ce qu’a contesté le Chili dans une lettre qu’il lui a adressée le 17 novembre 1963.
7. Le processus de Charaña (par. 60-70)
Le 8 février 1975, les présidents bolivien et chilien ont signé à Charaña une déclaration commune connue sous le nom de déclaration de Charaña — dans laquelle ils s’engageaient à poursuivre un dialogue à différents niveaux afin de rechercher des mécanismes permettant de résoudre les problèmes vitaux auxquels étaient confrontés les deux pays, notamment l’enclavement de la Bolivie. Dans le cadre de ce dialogue, la Bolivie a proposé, le 26 août 1975, des lignes directrices de négociation. Au mois de décembre de la même année, le Chili a présenté une contre-proposition de lignes directrices, qui incluait une condition d’échange territorial. Par un échange de notes datées des 28 juillet et 11 août 1976, les deux Etats sont convenus d’établir une commission mixte permanente, qui a été créée le 18 novembre de la même année, afin «de débattre de toutes les questions d’intérêt commun aux deux pays». Tout au long de l’année 1976, la Bolivie a confirmé qu’elle était disposée à étudier la possibilité de céder certaines portions de son territoire en échange d’une portion équivalente du territoire chilien. Le 19 décembre 1975, le Chili a demandé au Pérou s’il consentait à la cession territoriale envisagée entre les Parties. En novembre 1976, ce dernier a répondu en formulant une contre-proposition tendant à la création d’une zone de souveraineté tripartite, qui n’a été acceptée ni par le Chili ni par la Bolivie. Le Pérou a toutefois refusé de revenir sur sa position. Le 24 décembre 1976, le président bolivien a annoncé publiquement que, pour que les négociations puissent se poursuivre, il «demand[ait] au Gouvernement chilien de modifier sa proposition en retirant la condition relative à l’échange territorial». Les négociations ont cependant continué tout au long de l’année 1977 sur la base des échanges de 1975. Le 10 juin 1977, les ministres bolivien et chilien des affaires étrangères ont publié une déclaration commune, réaffirmant la nécessité de reprendre les négociations. Dans une lettre du 21 décembre 1977, le président bolivien a informé son homologue chilien que, pour que
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les négociations puissent se poursuivre, de nouvelles conditions devaient être définies afin d’atteindre les objectifs de la déclaration de Charaña, ce qui supposait notamment que soient retirées la condition de l’échange territorial et la proposition du Pérou tendant à établir une zone de souveraineté partagée entre les trois Etats. En janvier 1978, le Chili a fait connaître à la Bolivie que toute négociation restait fondée sur les lignes directrices convenues en décembre 1975. Le 17 mars 1978, la Bolivie a informé le Chili qu’elle suspendait les relations diplomatiques entre les deux Etats, en raison de l’intransigeance du défendeur quant aux conditions de la négociation et de l’absence d’efforts de la part de celui-ci pour obtenir le consentement du Pérou à l’échange de territoires.
8. Les déclarations faites par la Bolivie et le Chili devant l’Organisation des Etats américains et les résolutions adoptées par cette organisation (par. 71-75)
Le 6 août 1975, le Conseil permanent de l’Organisation des Etats américains (ci-après l’«OEA»), dont la Bolivie et le Chili sont des Etats membres, a adopté par consensus la résolution CP/RES. 157, dans laquelle il indiquait que l’enclavement de la Bolivie était un «problème pour le continent tout entier», et que l’ensemble des Etats américains proposaient de contribuer à «la recherche de solutions» conformes aux principes du droit international et à la Charte de l’OEA. Cette résolution a été suivie par 11 autres, adoptées entre 1979 et 1989 par l’Assemblée générale de l’OEA, dans lesquelles était réaffirmée l’importance que revêtaient le dialogue et le fait de trouver une solution au problème de l’accès de la Bolivie à la mer. Le Chili n’a voté en faveur d’aucune de ces 11 résolutions, mais ne s’est pas opposé au consensus à trois reprises, formulant toutefois des déclarations ou explications relatives au contenu et au statut juridique des résolutions adoptées.
9. La «nouvelle approche» de 1986-1987 (par. 76-77)
Après les élections présidentielles boliviennes de juillet 1985, de nouvelles négociations ont eu lieu entre la Bolivie et le Chili, dans le cadre de ce qui a été appelé la «nouvelle approche». En novembre 1986, la reprise des négociations a été signalée à l’Assemblée générale de l’OEA. Lors d’une réunion entre la Bolivie et le Chili, qui s’est tenue du 21 au 23 avril 1987 à Montevideo, en Uruguay, la Bolivie a formulé deux propositions distinctes en vue d’obtenir un accès à l’océan Pacifique, comportant toutes deux la cession d’une portion de territoire chilien. Le 9 juin 1987, le défendeur a rejeté ces deux propositions. Le 17 juin, devant l’Assemblée générale de l’OEA, le représentant de la Bolivie a annoncé la suspension des négociations bilatérales entre les deux Etats par suite de leur incapacité à parvenir à un accord au sujet des propositions que le demandeur avait faites en avril 1987.
10. La déclaration d’Algarve (2000) et l’ordre du jour en 13 points (2006) (par. 78-83)
En 1995, les Parties ont repris leurs discussions. Elles ont instauré un «mécanisme boliviano-chilien de consultation politique» destiné à traiter les questions bilatérales. Le 22 février 2000, les ministres des affaires étrangères des deux pays ont publié un communiqué commun, la «déclaration d’Algarve», dans lequel était prévu un programme de travail incluant, «sans aucune exception, les questions essentielles de la relation bilatérale». Entre 2000 et 2003, les Parties ont mené des discussions concernant une concession que le Chili pourrait accorder à la Bolivie en vue de la création d’une zone économique spéciale pour une période initiale de cinquante ans, mais ce projet a finalement été rejeté par le demandeur. A la suite de divers échanges intervenus dans les années 2005 et 2006, les vice-ministres bolivien et chilien des affaires étrangères ont, le 17 juillet 2006, annoncé un ordre du jour en 13 points, englobant «tous les aspects de la relation bilatérale» entre les Parties, y compris la «question maritime» (point 6). Les sujets inscrits à cet ordre du jour, et en particulier la question maritime, ont été examinés lors des réunions ultérieures du mécanisme boliviano-chilien de consultation politique, et ce, jusqu’en 2010. En 2009 et 2010, les Parties ont évoqué l’hypothèse de la création d’une enclave bolivienne sur la côte chilienne. En janvier 2011,
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elles ont décidé de poursuivre leurs discussions avec l’établissement d’une commission bilatérale de haut niveau. Le 7 février 2011, les ministres bolivien et chilien des affaires étrangères ont publié une déclaration commune, ainsi libellée :
«La commission bilatérale de haut niveau a examiné l’état d’avancement de l’ordre du jour en 13 points, notamment ce qui concerne la question maritime … Les ministres des affaires étrangères ont également défini des projets pour l’avenir qui, compte tenu de l’importance que les deux gouvernements y attachent, devront donner lieu à des résultats rapides, sur la base de propositions concrètes, réalisables et utiles concernant l’ensemble des points inscrits à l’ordre du jour.»
Le 17 février 2011, le président bolivien a demandé au défendeur de formuler «une proposition concrète d’ici au 23 mars [pouvant] servir de base de discussion». Lors d’une réunion tenue le 28 juillet 2011, le président chilien a rappelé à son homologue bolivien les termes de sa proposition, laquelle était fondée sur les trois conditions suivantes : le respect du traité de paix de 1904, la non-cession de souveraineté et la modification de la disposition de la Constitution bolivienne dans laquelle il est fait référence au droit de la Bolivie à un accès à l’océan Pacifique. Compte tenu des positions divergentes des Parties, les négociations ont pris fin.
II. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES (PAR. 84-90)
Avant d’examiner les fondements juridiques invoqués par la Bolivie à l’appui de l’obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique qui, selon elle, incombe au Chili, la Cour analyse le sens et la portée des conclusions du demandeur. Elle rappelle que, dans ses conclusions, qui sont demeurées inchangées depuis la requête, la Bolivie la prie de dire et juger que «le Chili a l’obligation de négocier avec [elle] en vue de parvenir à un accord [lui] octroyant ... un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique». Elle fait observer que, si les Etats sont libres de recourir à des négociations ou d’y mettre fin, ils peuvent accepter d’être liés par une obligation de négocier. Ils sont alors tenus, au regard du droit international, d’engager des négociations et de les mener de bonne foi. En outre, ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de le rappeler, les Etats «ont l’obligation de se comporter de telle manière que la négociation ait un sens, ce qui n’est pas le cas lorsque l’un d’[eux] insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification». Chacun doit «t[enir] raisonnablement compte de l’intérêt de l’autre».
La Cour relève ensuite que les négociations entre Etats peuvent aboutir à un accord réglant le différend qui les oppose, mais que, en général, «l’engagement de négocier n’implique pas celui de s’entendre». Lorsqu’elles définissent une obligation de négocier, les parties peuvent, comme elles l’ont par exemple fait à l’article VI du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, établir une «obligation ... de parvenir à un résultat précis». Les conclusions de la Bolivie pourraient être interprétées comme renvoyant à une obligation de nature analogue. Ainsi que la Cour l’a fait observer dans son arrêt du 24 septembre 2015 sur l’exception préliminaire soulevée par le Chili, la Bolivie «ne lui demande pas de dire qu’elle a droit à un accès souverain à la mer». Ce qu’elle affirme dans ses conclusions, c’est que le défendeur est tenu de négocier «en vue de parvenir à un accord [lui] octroyant ... un accès pleinement souverain». La Cour rappelle que, dans l’arrêt qu’elle a rendu sur l’exception préliminaire du Chili, elle a jugé «que l’objet du différend résid[ait] dans la question de savoir si le Chili a[vait] l’obligation de négocier de bonne foi un accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique». Ainsi qu’elle l’a observé, cette obligation alléguée ne comprend pas d’engagement de parvenir à un accord sur l’objet du différend.
La Cour relève également que l’expression «accès souverain», telle qu’employée dans les conclusions du demandeur, pourrait donner lieu à différentes interprétations. Dans sa réponse à une question posée par un membre de la Cour au terme des audiences consacrées à l’examen de l’exception préliminaire du Chili, la Bolivie a précisé que, pour qu’il y ait accès souverain, le défendeur «d[evait lui] assurer ... un accès à la mer qui lui soit propre et relève de sa souveraineté, conformément au droit international». Dans sa réplique, elle a également précisé que, «[p]our
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qu’un Etat puisse être considéré comme disposant d’un accès souverain, il ne d[evait] pas dépendre de quelque chose ou de quelqu’un pour jouir dudit accès» et que «l’accès souverain [était] un régime qui garanti[ssait] la continuité du territoire bolivien jusqu’à la mer, les conditions de cet accès relevant de l’administration et du contrôle exclusifs, tant juridique que physique, de la Bolivie».
III. LES FONDEMENTS JURIDIQUES ALLÉGUÉS D’UNE OBLIGATION DE NÉGOCIER L’ACCÈS SOUVERAIN DE LA BOLIVIE À L’OCÉAN PACIFIQUE (PAR. 91-174)
La Cour indique que, en droit international, l’existence d’une obligation de négocier doit être établie de la même manière que celle de toute autre obligation juridique. La négociation fait partie de la pratique courante des Etats dans leurs relations bilatérales et multilatérales. Cependant, le fait de négocier une question donnée à un moment déterminé ne suffit pas pour donner naissance à une obligation de négocier. En particulier, pour qu’il y ait obligation de négocier en vertu d’un accord, il faut que les termes employés par les parties, l’objet, ainsi que les conditions de la négociation, démontrent une intention des parties d’être juridiquement liées. Cette intention, à défaut de termes exprès indiquant l’existence d’un engagement juridique, peut être établie sur la base d’un examen objectif de tous les éléments de preuve.
La Cour constate que la Bolivie invoque divers fondements juridiques à l’appui de l’obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique qui, selon elle, incombe au Chili. Elle précise qu’elle recherchera tout d’abord si l’un quelconque des instruments invoqués par le demandeur, notamment les accords bilatéraux, ou les déclarations et autres actes unilatéraux, engendre une telle obligation. Elle examinera ensuite, si nécessaire, les autres fondements juridiques invoqués par le demandeur, à savoir l’acquiescement, l’estoppel et les attentes légitimes. Enfin, elle traitera, le cas échéant, les arguments fondés sur la Charte des Nations Unies et sur la Charte de l’Organisation des Etats américains.
1. Les accords bilatéraux (par. 94-139)
La Cour rappelle que la demande de la Bolivie repose principalement sur l’existence alléguée d’un ou de plusieurs accords bilatéraux qui imposeraient au Chili une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Selon le demandeur, les Parties sont parvenues à des accords qui auraient établi ou confirmé l’obligation de négocier incombant au défendeur. Ces accords allégués sont intervenus à différentes périodes ; ils seront analysés séparément et dans l’ordre chronologique. La Cour observe que, selon le droit international coutumier, tel qu’il est reflété à l’article 3 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, les «accords … qui n’ont pas été conclus par écrit» peuvent également avoir une «valeur juridique». Indépendamment de la forme que les accords peuvent revêtir, il doit en ressortir une intention des parties d’être liées par des obligations juridiques. Cela s’applique également aux accords tacites. A cet égard, la Cour rappelle que les «éléments de preuve attestant l’existence d’un accord tacite doivent être convaincants».
A. Les échanges diplomatiques des années 1920 (par. 98-107)
La Cour commence par examiner les échanges diplomatiques des Parties dans les années 1920, en particulier l’«Acta Protocolizada», c’est-à-dire le procès-verbal de la réunion tenue en janvier 1920 entre le ministre bolivien des affaires étrangères et le ministre plénipotentiaire du Chili à La Paz, ainsi que les échanges auxquels celle-ci a donné lieu. Elle rappelle que, en l’affaire de la Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, elle a jugé que le procès-verbal signé d’une discussion pouvait constituer un accord s’il «énum[érait] les engagements auxquels les Parties [avaient] consenti» et ne «se born[ait] pas à relater des discussions et à résumer des points d’accord et de désaccord». La Cour relève que l’«Acta Protocolizada» n’énumère aucun engagement et ne résume même pas des points d’accord et de désaccord. Qui plus est, il est consigné dans l’avant-dernière clause de ce procès-verbal que le
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ministre bolivien des affaires étrangères a précisé que «les présentes déclarations ne cont[enaient] aucune disposition créant des droits ou obligations pour les Etats dont les représentants [avaient] fait ces déclarations», point que le ministre plénipotentiaire du Chili n’a pas contesté. En conséquence, même si le Chili avait fait une déclaration au sujet d’une obligation de recourir à des négociations, cette déclaration ne se serait pas inscrite dans un accord entre les deux Etats. La Cour relève également que les échanges intervenus entre les Parties postérieurement à l’«Acta Protocolizada» n’indiquent pas non plus l’existence d’un accord dans le cadre duquel le Chili aurait contracté un engagement de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
B. L’échange de notes de 1950 (par. 108-119)
La Cour s’intéresse ensuite à l’échange de notes diplomatiques intervenu en 1950 entre les Parties au sujet de l’accès de la Bolivie à la mer, ainsi qu’au mémorandum Trucco, établi en 1961 par l’ambassadeur du Chili en Bolivie et remis au ministre bolivien des affaires étrangères. Il y est indiqué que les notes échangées en 1950 ne sont pas formulées de la même manière et ne reflètent pas non plus des positions identiques, notamment en ce qui concerne la question cruciale des négociations relatives à l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. L’échange de notes ne saurait donc être considéré comme un accord international. La Cour relève par ailleurs que le mémorandum Trucco ne crée ni ne réaffirme quelque obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
C. La déclaration de Charaña de 1975 (par. 120-127)
En ce qui concerne la déclaration commune signée par les présidents bolivien et chilien à Charaña le 8 février 1975, la Cour indique que son libellé ne traduit pas l’existence d’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique ni ne confirme pareille obligation. L’engagement de «poursuivre le dialogue à différents niveaux afin de rechercher des mécanismes permettant de résoudre … les problèmes vitaux auxquels sont confrontés les deux pays, notamment l’enclavement de la Bolivie», ne peut constituer un engagement juridique de négocier l’accès souverain de cette dernière à la mer, lequel n’est même pas expressément mentionné. La Cour conclut que l’on ne saurait déduire de la déclaration de Charaña ou des déclarations qui ont suivi l’adoption de cet instrument qu’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer incombe au Chili.
D. Les communiqués de 1986 (par. 128-132)
La Cour poursuit en analysant les communiqués publiés par les ministres des affaires étrangères de la Bolivie et du Chili en novembre 1986. Elle rappelle que, dans l’affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), elle a observé qu’il n’existait «pas de règle de droit international interdisant qu’un communiqué conjoint constitue un accord international» et que la question de savoir si un communiqué conjoint constitue un tel accord «dépend[ait] essentiellement de la nature de l’acte et de la transaction dont il [était] fait état». La Cour note que les deux communiqués sont des instruments distincts, ne sont pas libellés dans les mêmes termes et que, de surcroît, aucun d’eux ne fait référence à l’accès souverain de la Bolivie à la mer. En tout état de cause, elle ne relève, dans les deux communiqués qu’invoque le demandeur ou dans le comportement ultérieur des Parties, aucun élément indiquant que le Chili a accepté une obligation de négocier à ce sujet.
E. La déclaration d’Algarve (2000) (par. 133-135)
Quant à la déclaration d’Algarve, publiée le 22 février 2000 par les ministres bolivien et chilien des affaires étrangères, la Cour estime qu’elle ne contient pas d’accord imposant au Chili une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Elle parvient à la
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même conclusion en ce qui concerne un communiqué commun rédigé par les présidents bolivien et chilien le 1er septembre 2000.
F. L’ordre du jour en 13 points (2006) (par. 136-139)
La Cour se penche ensuite sur «l’ordre du jour en 13 points», établi lors d’une réunion du groupe de travail Bolivie-Chili sur les affaires bilatérales tenue en juillet 2006, et rendu public par les vice-ministres des affaires étrangères des deux Etats. Elle relève que la «question maritime» inscrite à cet ordre du jour est une question suffisamment large pour englober celle de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Le bref texte du procès-verbal du groupe de travail portant sur la question maritime indique seulement que les «deux délégations ont fait des rapports succincts des discussions qu’elles ont eues sur la question dans les jours précédents et sont convenues de laisser cette question à l’examen des deux vice-ministres lors de leur rencontre». Comme l’a fait observer le chef de la délégation bolivienne à l’Assemblée générale de l’OEA, «[l]’ordre du jour était considéré comme l’expression de la volonté politique des deux pays d’inclure la question maritime». La Cour estime que la simple mention de la «question maritime» ne peut engendrer une obligation de négocier d’ordre général, et moins encore en ce qui concerne la question spécifique de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
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Sur la base d’un examen de l’argumentation des Parties et des éléments de preuve qu’elles ont produits, la Cour conclut que les instruments bilatéraux invoqués par le demandeur n’établissent pas d’obligation pour le Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
2. Les déclarations et autres actes unilatéraux du Chili (par. 140-148)
En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel des déclarations et autres actes unilatéraux du Chili engendrent une obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique, la Cour note que ceux qui sont invoqués par le demandeur indiquent non pas qu’une obligation juridique ait été souscrite par le défendeur mais que ce dernier était disposé à engager des négociations sur la question de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. A titre d’exemple, le Chili a déclaré qu’il entendait «faire en sorte que la Bolivie obtienne un débouché sur la mer qui lui soit propre» et «prêter l’oreille à toute proposition de la Bolivie visant à mettre fin à l’enclavement de celle-ci». En une autre occasion, il a indiqué avoir «toujours dit qu[’il] entend[ait] examiner, dans le cadre de négociations franches et amicales avec [son] pays frère, les obstacles qui limit[ai]ent le développement de la Bolivie du fait de son enclavement». La formulation de ces textes ne donne pas à penser que le Chili a contracté une obligation juridique de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. S’agissant des circonstances ayant entouré les différentes déclarations du défendeur, la Cour relève également qu’il n’existe aucune preuve d’une intention, de la part de celui-ci, d’assumer une obligation de négocier. Elle en conclut qu’aucun acte unilatéral du Chili invoqué par la Bolivie ne saurait fonder une obligation de négocier l’accès souverain de celle-ci à la mer.
3. L’acquiescement (par. 149-152)
La Cour en vient à l’assertion de la Bolivie selon laquelle le Chili aurait acquiescé à la négociation de son accès souverain à l’océan Pacifique. Elle relève que le demandeur n’a mentionné aucune déclaration qui aurait appelé une réponse ou une réaction du Chili pour empêcher qu’une obligation ne voie le jour. En particulier, le fait qu’il se soit référé dans une
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déclaration, lors de la signature de la CNUDM, à des «négociations destinées à lui permettre de disposer à nouveau souverainement d’un débouché adéquat sur l’océan Pacifique» ne revient pas à avoir affirmé que quelque obligation incombait au Chili à cet égard. L’acquiescement ne saurait donc être considéré comme pouvant fonder une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer.
4. L’estoppel (par. 153-159)
S’agissant de l’affirmation de la Bolivie selon laquelle l’estoppel pourrait fonder l’obligation du Chili de négocier son accès souverain à la mer, la Cour rappelle que des «éléments essentiels [sont] requis pour qu’il y ait estoppel», à savoir «une déclaration qu’une partie a faite à une autre partie ou une position qu’elle a prise envers elle et le fait que cette autre partie s’appuie sur cette déclaration ou position à son détriment ou à l’avantage de la partie qui l’a faite ou prise». Elle constate que, en la présente espèce, les conditions essentielles requises pour qu’il y ait estoppel ne sont pas remplies. Bien que le Chili ait exprimé à plusieurs reprises la position selon laquelle il était disposé à négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique, ces prises de position n’indiquent pas l’existence d’une obligation de négocier. Le demandeur n’a pas prouvé qu’il avait modifié sa propre position à son détriment ou à l’avantage du Chili en se fondant sur les prises de position de celui-ci. En conséquence, l’estoppel ne constitue pas une base juridique permettant de fonder quelque obligation du Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
5. Les attentes légitimes (par. 160-162)
La Cour se penche ensuite sur l’argument de la Bolivie selon lequel le fait que le défendeur ait nié son obligation de négocier et refusé de mener de nouvelles négociations avec elle «déçoit [s]es attentes légitimes». Elle note qu’il est fait référence à cette notion dans certaines sentences arbitrales concernant des différends entre un investisseur étranger et l’Etat hôte dans lesquelles ont été appliquées des dispositions conventionnelles prévoyant un traitement juste et équitable. Il n’en découle cependant pas qu’il existerait en droit international général un principe qui donnerait naissance à une obligation sur la base de ce qui pourrait être considéré comme une attente légitime. Il ne saurait donc être fait droit à l’argument de la Bolivie fondé sur les attentes légitimes.
6. Le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies et l’article 3 de la Charte de l’Organisation des Etats américains (par. 163-167)
La Cour en vient au point de savoir si une obligation de négocier pourrait découler du paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ou de l’article 3 de la Charte de l’Organisation des Etats américains. Elle rappelle que, aux termes du paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, «[l]es Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger». Selon la Cour, cette disposition énonce une obligation générale de régler les différends d’une manière qui préserve la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice, mais n’indique nullement que les parties à un différend seraient tenues de recourir à une méthode de règlement spécifique, telle que la négociation. La Cour conclut que les dispositions de la Charte des Nations Unies ne mettent pas à la charge du Chili une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. S’agissant de la Charte de l’Organisation des Etats américains, elle rappelle que l’alinéa i) de son article 3 dispose que «[l]es différends de caractère international qui surgissent entre deux ou plusieurs Etats américains doivent être réglés par des moyens pacifiques». La Cour ne considère pas non plus que cette disposition pourrait être le fondement juridique d’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer.
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7. Les résolutions de l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains (par. 168-171)
La Cour s’intéresse ensuite à l’argument du demandeur selon lequel 11 résolutions de l’Assemblée générale de l’OEA dans lesquelles était traitée la question de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique confirment l’engagement du Chili de négocier à ce sujet. Elle note qu’aucune de ces résolutions n’indique qu’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique incomberait au Chili. Ces textes se contentaient de recommander aux deux Etats d’engager des négociations sur la question. De plus, ainsi que les deux Parties le reconnaissent, les résolutions de l’Assemblée générale de l’OEA ne sont pas contraignantes en tant que telles et ne peuvent être la source d’une obligation internationale. La participation du Chili au consensus sur l’adoption de certaines résolutions n’implique donc pas qu’il aurait accepté d’être lié par le contenu de ces textes au regard du droit international. Aussi la Cour ne peut-elle déduire du contenu de ces résolutions ou de la position du Chili quant à leur adoption que ce dernier aurait accepté une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
8. La portée juridique des instruments, actes et éléments de comportement considérés cumulativement (par. 172-174)
Enfin, la Cour se penche sur l’argument de la Bolivie selon lequel, même s’il n’existe pas d’instrument, d’acte ou de comportement unique donnant naissance à une obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique, l’accumulation de tous ces éléments peut avoir un «effet décisif» sur l’existence d’une telle obligation. Elle observe que l’argument du demandeur selon lequel les actes successifs du Chili auraient un effet cumulatif repose sur l’hypothèse qu’une obligation peut se faire jour par l’effet cumulatif d’une série d’actes même si elle ne repose pas sur un fondement juridique spécifique. Or, étant donné qu’il ressort de l’analyse de la Cour qu’aucun des fondements juridiques invoqués par le demandeur, pris isolément, n’a donné naissance, pour le Chili, à quelque obligation de négocier l’accès de la Bolivie à l’océan Pacifique, le fait de les considérer cumulativement ne saurait modifier ce résultat. Point n’est besoin pour la Cour de rechercher s’il existait une continuité dans les échanges entre les Parties puisque, si tel était le cas, cela n’établirait en tout état de cause pas l’existence d’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
IV. CONCLUSION GÉNÉRALE QUANT À L’EXISTENCE D’UNE OBLIGATION DE NÉGOCIER UN ACCÈS SOUVERAIN À L’OCÉAN PACIFIQUE (PAR. 175-176)
La Cour observe que les relations entre la Bolivie et le Chili se caractérisent depuis fort longtemps par un dialogue, des échanges et des négociations visant à trouver une solution adéquate à l’enclavement de la Bolivie né de la guerre du Pacifique et du traité de paix de 1904. Elle n’est toutefois pas en mesure de conclure, au vu des éléments qui lui ont été présentés, que le Chili a «l’obligation de négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique». En conséquence, la Cour ne peut pas faire droit aux autres conclusions finales de la Bolivie qui reposent sur l’existence de pareille obligation, à savoir qu’elle dise et juge que le Chili a manqué à cette obligation et qu’il doit s’en acquitter de bonne foi, de manière prompte et formelle. Elle ajoute que sa conclusion ne doit cependant pas être comprise comme empêchant les Parties de poursuivre leur dialogue et leurs échanges dans un esprit de bon voisinage, afin de traiter les questions relatives à l’enclavement de la Bolivie, dont la solution est considérée par l’une et l’autre comme relevant de leur intérêt mutuel. Avec la volonté des Parties, des négociations ayant un sens seront possibles.
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DISPOSITIF (PAR. 177)
LA COUR,
1) Par douze voix contre trois,
Dit que la République du Chili ne s’est pas juridiquement obligée à négocier un accès souverain à l’océan Pacifique pour l’Etat plurinational de Bolivie ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Gevorgian, juges ; M. McRae, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Robinson, Salam, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
2) Par douze voix contre trois,
Rejette en conséquence les autres conclusions finales présentées par l’Etat plurinational de Bolivie.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Gevorgian, juges ; M. McRae, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Robinson, Salam, juges ; M. Daudet, juge ad hoc.
M. le président YUSUF joint une déclaration à l’arrêt ; MM. les juges ROBINSON et SALAM joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente ; M. le juge ad hoc DAUDET joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
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Annexe au résumé 2018/5
Déclaration de M. le président Yusuf
1. Le président Yusuf souscrit aux vues de la Cour sur le fond de l’affaire, qui l’ont conduite à sa décision. Il estime néanmoins que le contexte et les circonstances de la présente espèce appellent certaines observations.
2. Une obligation de négocier, comme toute autre obligation en droit international, ne peut naître que d’un engagement contraignant pris par une partie dans le cadre d’un accord bilatéral ou de manière unilatérale. Or, au vu des éléments de preuve qui ont été versés au dossier, la Cour n’a pas été en mesure d’établir que le Chili s’était juridiquement obligé à négocier un «accès souverain» de la Bolivie à l’océan Pacifique.
3. Il est possible que cette décision ne mette pas fin aux problèmes qui divisent les Parties ou ne permette pas de lever toutes les incertitudes qui pèsent sur leurs relations. De fait, le droit ne saurait prétendre appréhender tous les aspects des différends ou la réalité des relations interétatiques sous toutes leurs formes. Il est ainsi des différends ou des divergences de vues entre Etats qui échappent, de par leur essence même, au règlement judiciaire par l’application du droit.
4. Dans ces conditions, il n’est pas inapproprié que la Cour appelle l’attention des Parties sur la possibilité de rechercher ou de continuer de rechercher d’autres moyens de régler leur différend pour que règnent entre elles la paix et l’harmonie (arrêt, par. 176).
5. Selon le président Yusuf, cela signifie que la Cour a fait ce qu’elle pouvait en tant que juridiction dont la fonction est de dire le droit, mais qu’elle est consciente de ce que les relations entre Etats ne sauraient être limitées à leurs simples aspects juridiques, certains différends pouvant utilement profiter d’autres modes de règlement dont pourraient disposer les parties. Les travaux de la Cour facilitent alors le règlement pacifique des différends au-delà de la sphère strictement juridique.
Opinion dissidente de M. le juge Robinson
Dans l’exposé de son opinion dissidente, le juge Robinson explique pourquoi il a voté contre la conclusion de la Cour selon laquelle la République du Chili ne s’est pas juridiquement obligée à négocier un accès souverain à l’océan Pacifique pour l’Etat plurinational de Bolivie, ainsi que contre le rejet, par la Cour, des autres conclusions finales présentées par le demandeur.
Le juge Robinson estime que le mémorandum Trucco et la réponse de la Bolivie, ainsi que les déclarations de Charaña, ont donné naissance à une obligation juridique incombant au Chili de négocier un accès souverain de la Bolivie au Pacifique.
Selon lui, ces deux séries d’instruments établissent en effet des traités au sens de la convention de Vienne sur le droit des traités (ci-après la «convention de Vienne»), qui imposent au Chili de négocier pareil accès.
Le juge Robinson précise que la question cruciale en l’espèce est de savoir s’il est possible de discerner, dans les échanges entre les Parties, une intention d’être juridiquement lié au regard du droit international ; ce qui importe à cet égard est que cette intention soit établie objectivement à partir du libellé de l’instrument en question et de son contexte ou, comme l’a dit la Cour en l’affaire du Plateau continental de la mer Egée, «des circonstances dans lesquelles [celui-ci] a été élaboré».
De l’avis du juge Robinson, l’expression d’une disposition à négocier peut revêtir le caractère d’une obligation juridique si les circonstances ou le contexte dans lesquels les termes ont été employés établissent l’existence d’une intention d’être juridiquement lié.
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Le juge Robinson est en désaccord avec l’approche suivie par la majorité en ce qui concerne les notes de 1950, et ce, pour les raisons exposées ci-après. La majorité n’a pas examiné de manière approfondie la teneur de ces notes ni les «circonstances» ou le contexte dans lesquels elles ont été rédigées afin de déterminer si elles constituaient un traité au sens de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 de la convention de Vienne. Bien qu’il convienne que les notes de 1950 n’ont pas de valeur contraignante, le juge Robinson considère que c’est parce que la Bolivie n’a pas accepté l’offre de compensation de nature non territoriale du Chili, et non parce qu’elles ne forment pas un échange de notes au sens de l’article 13 de ladite convention. Si les notes diplomatiques de 1950 ne constituent pas un traité, ce n’est pas parce qu’elles ne satisfont pas aux critères définissant un échange de notes classique, mais tout simplement parce que la non-acceptation, par la Bolivie, de la contre-proposition du Chili fait qu’elles sont dépourvues d’un élément essentiel à la conclusion d’un traité, à savoir un consensus ad idem, ou une réciprocité d’engagement entre les Parties quant à la teneur de l’obligation qui leur incombe.
S’agissant du mémorandum Trucco et de la réponse de la Bolivie, le juge Robinson observe que la majorité n’a consacré au premier que peu de temps et n’a en réalité pas du tout examiné la seconde. Il se penche ensuite sur la teneur de ces documents et sur les circonstances dans lesquelles ils ont été établis. Selon lui, l’intention des Parties d’être juridiquement liées ressort, dans le mémorandum Trucco et la réponse de la Bolivie, des éléments suivants :
i) L’accent mis par les deux Parties sur le caractère officiel des négociations.
ii) Le fait que les Parties aient clairement défini l’objet de leurs négociations, à savoir la recherche d’une formule permettant d’octroyer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique.
iii) L’engagement pris par les Parties de mener des «négociations directes», c’est-à-dire ne faisant pas intervenir d’organes régionaux ou internationaux.
iv) L’adoption de l’expression «accès souverain», expression chargée de sens utilisée pour la première fois dans les notes de 1950 et indiquant que le Chili envisageait, à cet effet, de céder un territoire à la Bolivie.
v) La Bolivie ayant accepté, sur l’insistance du Chili, le principe d’une compensation de nature non territoriale, les Parties étaient d’accord sur l’élément le plus important des négociations, à savoir la recherche d’une formule qui permette au demandeur d’obtenir un accès à la mer en échange de pareille compensation pour le défendeur.
Selon le juge Robinson, le mémorandum Trucco ne saurait être lu isolément ; il convient de le lire conjointement avec la réponse de la Bolivie. Dès lors, en omettant d’analyser cette réponse, la majorité a ignoré un tout nouvel élément, à savoir l’acceptation, par le demandeur, de la condition de la compensation, ainsi que l’éventualité que ladite réponse ait mis à la charge du Chili l’obligation juridique contraignante de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer.
Le juge Robinson en conclut que le mémorandum Trucco du 10 juillet 1961 et la réponse de la Bolivie du 9 février 1962 sont deux instruments connexes, dans lesquels les Parties ont manifesté leur intention d’être juridiquement liées et, partant, constituent un traité au sens de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 de la convention de Vienne ; plus précisément, ils constituent deux instruments dans le cadre desquels le Chili a contracté l’obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
Le juge Robinson constate que le Chili a également souscrit à une telle obligation aux termes des déclarations de Charaña de 1975 et 1977.
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Il considère que l’obligation incombant au Chili était de trouver une formule ou solution permettant à la Bolivie de disposer d’un accès souverain à l’océan Pacifique.
Les échanges intervenus entre les Parties au cours de la période allant de 1962 à 2011 montrent que le Chili ne s’est pas acquitté de son obligation et que celle-ci existe encore aujourd’hui.
Par conséquent, la Cour aurait dû, comme le lui demandait la Bolivie, dire que le Chili avait l’obligation juridique de négocier directement avec elle pour trouver une formule ou solution lui permettant de disposer d’un accès souverain à la mer.
Opinion dissidente de M. le juge Salam
Dans son opinion dissidente, le juge Salam exprime son désaccord avec l’arrêt de la Cour sur des aspects essentiels de son analyse de plusieurs pièces présentées par les Parties.
Tout d’abord, faisant remarquer qu’un échange de lettres peut être constitutif d’un accord international créant des droits et obligations pour les Parties en cause, il observe que les notes échangées en 1950 par l’ambassadeur de la Bolivie au Chili et le ministre chilien des affaires étrangères, ont été rédigées par des personnes capables d’engager l’Etat. Selon lui, la note chilienne reprenait l’essentiel des termes de l’engagement proposé par la Bolivie, à savoir «entamer officiellement des négociations directes sur l’octroi à la Bolivie d’un accès souverain à l’océan Pacifique» avec l’objectif d’accorder «des avantages réciproques» aux deux Parties. Le juge Salam souligne en outre la cause qui a conduit le Chili à s’engager et estime que ces points auraient dû amener la Cour à interpréter l’échange de notes comme établissant entre les Parties une obligation de négocier.
Il ajoute que cette interprétation est confirmée par la pratique ultérieure des Parties et en particulier par la référence qui a été faite à la note du 20 juin 1950 par l’ambassadeur du Chili à La Paz dans un mémorandum en date du 10 juillet 1961 adressé au ministre bolivien des affaires étrangères. Dans ce mémorandum, le Chili indique qu’il est toujours «disposé à examiner directement avec la Bolivie, la possibilité de satisfaire» aux aspirations de celle-ci. Puis, la Bolivie y a répondu en exprimant son «consentement plein et entier à entamer dès que possible des négociations directes en vue de satisfaire le besoin national fondamental que constitue pour [elle] un accès souverain à l’océan Pacifique». Le juge Salam conclut que vu les termes employés et le contexte dans lequel ces notes ont été rédigées, cet échange devrait être interprété comme renouvelant l’accord des Parties de 1950 portant sur la négociation.
Ensuite, le juge Salam note que l’obligation du Chili de négocier avec la Bolivie une solution à son enclavement se trouve également confirmée par des déclarations unilatérales du Chili. Il souligne, en l’espèce, la lettre envoyée par le président chilien à son homologue bolivien dans laquelle le premier écrit que son gouvernement «entend promouvoir les négociations en cours visant à satisfaire à l’aspiration du pays frère à obtenir un débouché souverain sur l’océan Pacifique». Rappelant que les déclarations revêtant la forme d’actes unilatéraux peuvent avoir pour effet de créer des obligations juridiques lorsque leur auteur est une personne capable d’engager l’Etat, le juge Salam estime que ces termes traduisent clairement une intention de la part du Chili de respecter son engagement à négocier avec la Bolivie.
Ainsi, de l’avis du juge Salam, les événements qui ont suivi l’échange de notes de 1950 et en particulier le mémorandum Trucco, la déclaration de Charaña, la lettre adressée par le président chilien au président bolivien le 18 janvier 1978, ainsi que la participation du Chili à des cycles de négociation ultérieurs (notamment au cours de la période dite de «la nouvelle approche», ainsi que le mécanisme chiléno-bolivien de consultation politique du début des années 1990, l’ordre du jour en 13 points de juillet 2006 et l’établissement en 2011 d’une commission binationale pour mener
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des négociations au niveau ministériel), constituent un ensemble d’actions dont on peut raisonnablement déduire la persistance d’une obligation entre le Chili et la Bolivie de négocier la question de l’octroi à cette dernière d’un accès souverain à l’océan Pacifique. Il ajoute que l’échec d’un cycle de négociations ne saurait suffire en lui-même à déduire l’extinction d’une telle obligation.
Il aboutit néanmoins à cette conclusion sans se fonder sur les doctrines de l’estoppel, de l’acquiescement et des attentes légitimes, dont il estime que les conditions d’application ne sont pas réunies en l’espèce.
Enfin, il se penche sur la question de la nature et de la portée de l’engagement consenti et rappelle que cet engagement est limité et qu’il ne saurait s’agir d’une obligation de résultat, tel que souvent allégué par la Bolivie.
Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Daudet
La Cour n’a retenu aucun des moyens invoqués par la Bolivie susceptibles selon celle-ci de créer une obligation pour le Chili de négocier un accès souverain à la mer à son profit. Dans son opinion dissidente, le juge ad hoc Daudet considère que, pourtant, trois éléments au moins auraient dû être considérés comme constitutifs d’une telle obligation à savoir l’«Acta Protocolizada» de 1920, l’échange de notes de 1950 et le processus de Charaña des années 1975 à 1978 qu’il analyse successivement. En revanche, comme la Cour, il ne considère pas que d’autres éléments non plus que l’estoppel ou le principe des attentes légitimes invoqués par la Bolivie puissent être retenus.
De manière plus générale, le juge ad hoc Daudet estime que le point de droit essentiel de la décision de la Cour consiste à préserver l’intégrité de la nature juridique de la négociation internationale. Celle-ci, selon la Cour, «fait partie de la pratique courante des Etats dans leurs relations bilatérales et multilatérales». Ce souci de préservation a fondé la position de la Cour voulant qu’un Etat ne puisse être contraint d’entamer une négociation internationale qui ne résulterait pas d’un engagement juridiquement contraignant à le faire mais d’une simple option politique.
Le juge ad hoc Daudet considère qu’en appliquant ce principe au cas d’espèce, la Cour s’est montrée insuffisamment soucieuse de contextualiser la règle de droit en ne prenant pas en compte l’effet cumulatif d’éléments successifs invoqués par la Bolivie et en établissant une distinction excessivement étanche entre obligation juridique et obligation morale ou «politico-diplomatique». Une partie importante de son opinion dissidente analyse en quoi, tout au contraire, un effet cumulatif des éléments juridiques entraîne des effets juridiques.
Quant aux aspects de morale, d’après le juge ad hoc Daudet, ils n’ont pas été pris en compte de manière suffisante par une réflexion plus approfondie sur les effets du principe de bonne foi, qui est aussi un élément fondateur de la négociation internationale. Le juge ad hoc Daudet observe que dans certaines situations la règle juridique et la règle morale se rejoignent, comme il est d’ailleurs normal dans un système de droit dont certains principes sont eux-mêmes issus d’une règle morale. Certes, une simple intention morale de négocier n’est pas une obligation de le faire, mais le juge ad hoc Daudet se demande si, dès lors qu’une intention est répétée au fil des années et souvent par les responsables premiers de l’Etat, la distinction entre la notion morale d’intention et celle, juridique, d’obligation ne devient pas difficilement lisible.
Le juge ad hoc Daudet ajoute qu’il aurait sans doute été utile de plus clairement lever une certaine ambiguïté de la position bolivienne quant à la nature de l’obligation de négocier, notion qui, au demeurant, comporte des particularismes et soulève des interrogations.
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Enfin, le juge ad hoc Daudet salue le fait que la Cour, dans le dernier paragraphe de l’arrêt, ne mette pas un point final à la question de l’accès souverain de la Bolivie à la mer en indiquant que sa décision doit se comprendre comme signifiant que les deux Etats peuvent poursuivre la négociation sur une question qu’ils considèrent eux-mêmes d’intérêt mutuel et que soit ainsi mis fin à ce différend.
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Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili)
Résumé de l’arrêt du 1er octobre 2018