TRADUCTION NON OFFICIELLE
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL
DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
Observations écrites de la République de Maurice
VOLUME I
15 mai 2018
Table des matières
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1
I. Les faits 3
A. L’indépendance était conditionnelle au
‘‘consentement’’ au détachement
8
II. Résumé des observations écrites de Maurice 24
CHAPITRE 2 LA COUR A COMPÉTENCE POUR DONNER L’AVIS CONSULTATIF
DEMANDÉ PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ET IL N’EXISTE
AUCUNE RAISON POUR LA COUR DE REFUSER DE LE FAIRE
28
I. La Cour a compétence pour donner l’avis consultatif
demandé par l’Assemblée générale dans la résolution
71/292
36
II. Il n’existe aucune raison décisive pour que la Cour refuse
de donner l’avis consultatif qui a été demandé
38
A. La demande ne concerne pas un différend
purement bilatéral, et une réponse complète aux
deux questions ne contournerait pas le principe du
consentement au règlement de tels différends
38
B. Les réponses de la Cour aux questions seront utiles
à l’Assemblée générale
53
C. Les questions posées à la Cour n’impliquent pas des
faits volumineux et complexes qui ne pourraient
être établis dans le cadre de la procédure
consultative
58
D. Le principe de l’autorité de la chose jugée ne
s’applique pas en l’espèce
60
CHAPITRE 3 LA DÉCOLONISATION DE MAURICE N’A PAS ÉTÉ VALIDEMENT
MENÉE À BIEN LORS DE L’OCTROI DE L’INDÉPENDANCE À
MAURICE EN 1968
64
I. Introduction 64
II. Le cadre juridique pertinent 66
A. Il existait un droit juridiquement contraignant à
l’autodétermination au moment pertinent
66
B. Le droit à l’autodétermination en droit international
en 1965/1968
74
C. Le Royaume-Uni en tant qu’objecteur persistant 84
D. Le principe de l’intégrité territoriale 92
III. La décolonisation de Maurice n’a pas été validement
menée à bien en 1968
99
A. L’entité d’autodétermination était constituée
par la totalité du territoire de Maurice
99
B. Le droit à l’autodétermination aurait dû être exercé
selon la volonté librement exprimée du peuple du
territoire concerné
107
C. Le ‘‘consentement’’ du Conseil des ministres de
Maurice ne pouvait satisfaire aux exigences de
l’autodétermination
108
D. Les élections générales de 1967 ne pouvaient
satisfaire aux exigences de l’autodétermination
113
E. Maurice n’a pas accepté le détachement après
son indépendance
116
F. La communauté internationale a condamné le
détachement
120
CHAPITRE 4 LES CONSÉQUENCES EN DROIT INTERNATIONAL DU MAINTIEN
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS SOUS L’ADMINISTRATION DE LA
PUISSANCE ADMINISTRANTE
127
I. Introduction 127
II. La réponse à la deuxième question devrait aborder les
conséquences juridiques pour les États aussi bien que
pour l’Assemblée générale
129
A. La demande de l’Assemblée générale que la Cour
traite des ‘‘conséquences en droit international’’
exige une réponse qui aborde toutes les
conséquences, y compris pour les États
132
B. Le texte et le contexte de la résolution 71/292
indiquent qu’il était envisagé d’obtenir l’avis de la
Cour sur les conséquences juridiques pour les États
138
C. Un avis consultatif qui traite des conséquences
juridiques pour les États aiderait l’Assemblée
générale
145
D. La Cour ne devrait pas reformuler la deuxième
question
149
III. Les conséquences juridiques spécifiques du maintien de
l’Archipel des Chagos sous l’administration de la
puissance administrante
157
A. L’administration de l’Archipel des Chagos est un fait
illicite à caractère continu qui doit cesser
immédiatement
157
IV. Les conséquences juridiques dans l’attente de la réalisation
complète de la décolonisation
162
A. La réinstallation des Mauriciens d’origine
chagossienne
162
B. L’obligation d’administrer l’Archipel des Chagos au
mieux des intérêts de Maurice et de sa population
pendant que la décolonisation est menée à bien
174
C. L’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au
maintien de la situation illicite
174
CONCLUSIONS 179
LISTE DES ANNEXES 181
1
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1 Maurice soumet les présentes observations écrites sur les exposés écrits
déposés par d’autres États et l’Union africaine, conformément à l’ordonnance
rendue par la Cour le 17 janvier 2018. Dans ses observations sur les autres exposés
écrits, Maurice ne répètera pas ce qui a été développé dans son propre exposé écrit
du 1er mars 2018. Afin de dissiper tout doute, Maurice maintient entièrement et
s’appuie sur les preuves et les arguments contenus dans cet exposé.
1.2 Dans les présentes observations écrites, Maurice n’entend pas aborder
chacun des points soulevés dans les autres exposés écrits. Elle s’est concentrée sur
les points les plus importants concernant deux domaines : i) la compétence de la
Cour de donner un avis consultatif, et l’opportunité de le faire ; et ii) les points de
droit et de fait relatifs aux deux questions soumises par l’Assemblée générale.
L’absence de commentaire sur d’autres questions soulevées dans d’autres exposés
écrits ne saurait être interprétée comme un accord de la part de Maurice.
***
1.3 Des exposés écrits ont été soumis par 31 États membres des Nations Unies.
Ces Etats proviennent des cinq groupes régionaux des Nations Unies et
représentent une population de plus de quatre milliards de personnes. Parmi ces
États, huit appartiennent au groupe africain;1 six au groupe des États
1 Exposé écrit de la République de Djibouti (1er mars 2018) (ci-après “Exposé écrit de Djibouti”); Exposé écrit du
Royaume du Lesotho (1er mars 2018) (ci-après “Exposé écrit du Lesotho”); Exposé écrit de Madagascar (28 fév. 2018)
(ci-après “Exposé écrit de Madagascar”); Exposé écrit de la République de Maurice (1er mars 2018)
(ci-après “Exposé écrit de Maurice”); Exposé écrit de la République de Namibie (1er mars 2018) (ci-après “Exposé
écrit de la Namibie”); Exposé écrit de la République du Niger (28 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit du Niger”); Exposé
de la République des Seychelles; Exposé écrit présenté par le Gouvernement de la République d’Afrique du Sud
(ci-après “Exposé écrit de l’Afrique du Sud”).
2
d’Asie-Pacifique;2 huit au groupe des États d’Europe occidentale et autres États;3
deux au groupe des États d’Europe orientale;4 et sept au groupe des États
d’Amérique latine et des Caraïbes.5 L’Union africaine a également présenté un
exposé écrit au nom de ses cinquante-cinq États membres, y compris Maurice.6 Le
nombre et l’éventail des États participants, et leur grande diversité, indiquent
clairement que les questions soumises à la Cour par l’Assemblée générale sont
reconnues comme étant d’importance fondamentale pour la communauté
internationale dans son ensemble.
1.4 Maurice souhaite faire trois observations préliminaires en ce qui concerne
les exposés écrits soumis par d’autres États et l’Union africaine.
1.5 D’abord, l’Australie est la seule à contester la compétence de la Cour pour
rendre l’avis consultatif qui a été demandé. Tous les autres États (y compris la
puissance administrante) et l’Union africaine sont d’accord sur le fait qu’il n’y a
aucun obstacle à la compétence de la Cour par rapport aux questions soulevées par
la demande.
2 Exposé écrit de la République populaire de Chine (1er mars 2018) (ci-après “Exposé écrit de la Chine”); Exposé écrit
présenté par la République de Chypre (12 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit de Chypre”); Exposé écrit du
Gouvernement de la République de Corée (28 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit de la République de Corée”); Exposé
écrit de la République de l’Inde (28 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit de l’Inde”); Observations écrites présentées à
la Cour internationale de Justice par la République des Îles Marshall (1er mars 2018) (ci-après “Observations écrites
des Îles Marshall”); Exposé écrit du Gouvernement de la République socialiste du Viet Nam (ci-après “Exposé écrit
du Viet Nam”).
3 Exposé écrit de Gouvernement de l’Australie (27 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit de l’Australie”); Exposé écrit de
la République française; Exposé écrit de l’Allemagne (janvier 2018) (ci-après “Exposé écrit de l’Allemagne”); Exposé
écrit de l’État d’Israël (27 fév. 2018) (ci-après “Exposé de l’État d’Israël”); Exposé écrit présenté à la Cour
internationale de Justice par la Principauté de Liechtenstein (20 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit du Liechtenstein”);
Exposé écrit du Royaume des Pays-Bas (27 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit des Pays-Bas”); Exposé écrit du
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (15 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit du Royaume-Uni”);
Exposé écrit des États-Unis d’Amérique (1er mars 2018) (ci-après “Exposé écrit des États-Unis d’Amérique”).
4 Exposé écrit de la République de Serbie (27 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit de la Serbie”); Exposé écrit de la
Fédération de Russie (27 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit de la Fédération de Russie”).
5 Exposé écrit de la République argentine (1er mars 2018) (ci-après “Exposé écrit de la République argentine”); Exposé
de Belize (30 janvier 2018) (ci-après “Exposé de Belize”); Exposé écrit de la République fédérative du Brésil (1er mars
2018) (ci-après “Exposé écrit du Brésil”); Exposé écrit de la République du Chili (28 fév. 2018) (ci-après “Exposé écrit
du Chili”); Exposé écrit de la République de Cuba (ci-après “Exposé écrit de Cuba”); Exposé écrit de la République du
Guatemala à la Cour internationale de Justice (mars 2018) (ci-après “Exposé écrit du Guatemala”); Exposé écrit de la
République du Nicaragua (1er mars 2018) (ci-après “Exposé écrit du Nicaragua”).
6 Exposé écrit de l’Union africaine (1er mars 2018) (ci-après “Exposé écrit de l’Union africaine”).
3
1.6 En ce qui concerne l’opportunité de donner un avis consultatif, seuls six des
trente-deux exposés écrits contestent expressément la recevabilité de la demande
d’avis consultatif.7 Une très grande majorité des États et l’Union africaine
reconnaissent non seulement que la Cour peut répondre aux deux questions
posées par l’Assemblée générale, mais également qu’elle devrait le faire.
1.7 Deuxièmement, parmi les exposés écrits qui abordent la première question,
seuls deux États (le Royaume-Uni et les États-Unis) soutiennent qu’il n’existait pas
de droit à l’autodétermination en droit international coutumier lorsque l’Archipel
des Chagos fut détaché de Maurice en 1965, ou lorsque Maurice accéda à
l’indépendance en 1968. Tous les autres exposés écrits qui abordent la question
concluent qu’il existait un droit à l’autodétermination à l’époque où l’Archipel des
Chagos fut détaché de Maurice. Et chaque exposé écrit qui applique le cadre
juridique aux faits conclut que le droit à l’autodétermination a été violé, et que par
conséquent la décolonisation de Maurice ne fut pas validement menée à bien – et
ne l’a pas été depuis lors.
1.8 Troisièmement, aucun des exposés écrits ne conteste le principe bien établi
du droit international selon lequel, dans les cas où la décolonisation n’a pas été
menée à bien, elle doit l’être immédiatement. En outre, aucun exposé écrit ne
conteste le principe selon lequel tout État doit s’abstenir d’aider ou d’assister au
maintien de l’administration coloniale, ou de faire obstacle au processus de
décolonisation de quelque manière que ce soit, si la Cour conclut que la
décolonisation n’a pas été validement menée à bien. Enfin, aucun exposé écrit ne
conteste le fait que pendant le peu de temps qui serait nécessaire pour la
réalisation complète de la décolonisation, l’Archipel des Chagos doit être
administré d’une manière qui puisse servir au mieux les intérêts de Maurice et des
Mauriciens.
I. Les faits
1.9 Maurice est d’avis que la Cour dispose de toutes les données factuelles et
juridiques requises pour répondre aux deux questions. Des éléments factuels ont
7 Exposé écrit de l’Australie; Exposé écrit du Chili; Exposé écrit de la République française; Exposé de l’État d’Israël;
Exposé écrit du Royaume-Uni; Exposé écrit des États-Unis d’Amérique.
4
été présentés par plusieurs États et l’Union africaine, y compris des copies certifiées
de documents annexes ayant trait à la décolonisation de Maurice et au
détachement de l’Archipel des Chagos.8 La Cour a également reçu un dossier
complet du Secrétariat des Nations Unies. Selon Maurice, à la lumière des exposés
écrits et du dossier des Nations Unies, les faits sont simples et non controversés, et
ne présentent pas de difficultés réelles pour la Cour.
1.10 La plupart des éléments factuels présentés par Maurice reposent sur des
documents publics provenant des archives de la puissance administrante. Il s’ensuit
qu’il n’existe, entre les États qui ont présenté des éléments factuels, aucun
désaccord sur un grand nombre de questions clés. Parmi celles-ci figure le fait que:
a) Maurice fut une colonie britannique du 3 décembre 1810 au 12 mars
1968;9
b) l’Archipel des Chagos fut administré en tant que dépendance de
Maurice pendant toute la période de la colonisation britannique,
donnant effet à et assurant la continuité de la pratique antérieure de
la France;10
c) avant l’octroi de l’indépendance à Maurice, la puissance administrante
essaya d’obtenir le ‘‘consentement’’ des ministres mauriciens au
détachement de l’Archipel des Chagos;11
d) les ministres mauriciens exprimèrent leur opposition au détachement
lorsque la puissance administrante demanda leur avis;12
8 Voir en particulier l’exposé écrit de Maurice; l’exposé écrit du Royaume-Uni; l’exposé écrit de l’Union africaine;
l’exposé écrit de l’Australie; l’exposé écrit de Djibouti; l’exposé écrit de l’Inde; l’exposé écrit de l’Afrique du Sud;
l’exposé écrit des États-Unis d’Amérique.
9 Exposé écrit de l’Inde, par. 10; Exposé écrit de Maurice, pars. 2.1, 2.13-2.14; Exposé écrit du Royaume-Uni,
pars. 2.10-2.13.
10 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 190; Exposé écrit de l’Australie, par. 7; Exposé écrit de Djibouti, par. 35;
Exposé écrit de l’Inde, pars. 11, 57-59; Exposé écrit de Maurice, pars. 2.15-2.47; Exposé écrit de l’Afrique du Sud,
par. 12; Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 2.17; Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, par. 2.6.
11 Exposé écrit de Djibouti, par. 38; Exposé écrit de Maurice, pars. 3.33-3.38, 3.53-3.58; Exposé écrit du
Royaume-Uni, pars. 3.10-3.11.
12 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 3.10-3.11; Exposé écrit de l’Inde, par. 17; Exposé écrit de Maurice, pars. 3.30,
3.36-3.38, 3.51-3.52.
5
e) le 23 septembre 1965, lors de la conférence constitutionnelle de
Londres au cours de laquelle le statut final de Maurice devait être
déterminé, et moins de cinq heures après une rencontre entre le
Premier ministre de Maurice (Sir Seewoosagur Ramgoolam) et le
Premier ministre britannique (Harold Wilson), trois ministres
mauriciens exprimèrent pour la première fois leur ‘‘accord’’ de
principe au détachement de l’Archipel des Chagos, mais ils le firent
uniquement en raison d’indications claires que l’indépendance ne
serait pas octroyée s’ils n’exprimaient pas leur ‘‘consentement’’;13
f) le 5 novembre 1965, le Conseil des ministres de Maurice, présidé par
le gouverneur britannique, Sir John Rennie, réitéra l’‘‘accord’’ au
détachement de l’Archipel des Chagos;14
g) la puissance administrante détacha l’Archipel des Chagos de Maurice
trois jours plus tard, le 8 novembre 1965, par un décret en conseil,
pour qu’il fasse partie du ‘‘British Indian Ocean Territory’’;15
h) cette nouvelle colonie fut créée en tout hâte, et présentée à l’ONU
comme un fait accompli, afin d’éviter les critiques et d’atténuer la
‘‘pression considérable’’ qu’aurait inévitablement subie le
gouvernement colonial de Maurice pour retirer son ‘‘accord’’ au
détachement;16
i) par la suite, la puissance administrante n’a pas présenté à l’ONU ‘‘un
tableau complet’’ quant au nombre et au statut des personnes vivant
13 Exposé écrit de Djibouti, pars. 37-40; Exposé écrit de l’Inde, pars. 18-19, 50; Exposé écrit de Maurice,
pars. 3.68-3.84; Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 13; Exposé écrit du Royaume-Uni, Annexes 31-33.
14 Exposé écrit de l’Australie, par. 8; Exposé écrit de l’Inde, par. 20; Exposé écrit de Maurice, par. 3.90; Exposé écrit
du Royaume-Uni, par. 3.31.
15 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 3; Exposé écrit de l’Australie, par. 8; Exposé écrit de l’Inde, pars. 16, 21, 23;
Exposé écrit de Maurice, pars. 3.95-3.96; Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 15; Exposé écrit du Royaume-Uni,
par. 2.30; Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, par. 2.6.
16 Exposé écrit de Maurice, pars. 1.12, 3.91; Ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, Note du secrétaire
d’État aux Colonies adressée au Premier ministre, FO 371/184529 (5 nov. 1965), pars. 6-7 (Annexe 70). Les annexes
1 à 200 auxquelles référence est faite dans les présentes observations écrites sont celles qui accompagnaient
l’exposé écrit de Maurice du 1er mars 2018. Maurice a joint en annexe aux présentes observations écrites
trente-cinq autres documents qui sont numérotés de 201 à 235 par souci de commodité.
6
dans l’Archipel des Chagos même après qu’elle eut pris connaissance
des faits pertinents, et elle a abusivement prétendu à la Quatrième
Commission de l’ONU ‘‘que le plus grand soin serait pris’’ pour veiller
à leur bien-être;17
j) par la suite, la puissance administrante expulsa par la force toute la
population de l’Archipel des Chagos entre 1967 et 1973, et ‘‘infligea
un très mauvais traitement aux Chagossiens’’ en faisant preuve d’‘‘un
mépris flagrant pour leurs intérêts’’;18
k) Maurice obtint l’indépendance le 12 mars 1968 sans l’Archipel des
Chagos;19
l) l’étude la plus récente sur la réinstallation commandée par la
puissance administrante a conclu que la réinstallation dans l’Archipel
des Chagos est possible, et 98% des Chagossiens interrogés durant une
consultation publique ont exprimé le souhait de retourner dans ces
îles.20
1.11 En tenant compte du fait que Maurice et la puissance administrante ont
toutes deux présenté un récit historique détaillé, il existe quatre points de
désaccord principaux en ce qui concerne les faits. Contrairement à la position
adoptée par Maurice, la grande majorité des États et l’Union africaine, le
Royaume-Uni affirme que :
a) l’Archipel des Chagos n’était ‘‘pas une partie intégrante de la colonie
de Maurice aux fins de l’application du concept d’‘intégrité territoriale’
énoncé au paragraphe 6’’ de la résolution 1514 (XV);21
17 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 1.5; Exposé écrit du Royaume-Uni, Annexe 14, p. 240, par. 80; Exposé écrit de
Maurice, pars. 1.8, 3.102.
18 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 1.5, 4.3. Voir aussi l’exposé écrit de l’Union africaine, pars. 3, 244; l’exposé
écrit de l’Australie, par. 10; l’exposé écrit du Brésil, par. 26; l’exposé écrit de l’Inde, pars. 53-55; l’exposé écrit de
Maurice, pars. 3.100-3.107; l’exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 17.
19 Exposé écrit de l’Inde, par. 26; Exposé écrit de Maurice, par. 4.3; Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 16; Exposé
écrit du Royaume-Uni, par. 3.40; Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, par. 2.8.
20 Exposé écrit de Maurice, par. 4.58; Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 4.32, 4.35.
21 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.62. (“not an integral part of the Colony of Mauritius for the purpose of the
application of the concept of ‘territorial integrity’ in paragraph 6”).
7
b) l’indépendance de Maurice et le détachement de l’Archipel des
Chagos étaient deux questions distinctes, et la décision de la puissance
administrante d’octroyer l’indépendance à Maurice n’était pas liée à
l’‘‘accord’’ des ministres mauriciens au détachement;22
c) les représentants de Maurice ont librement consenti au détachement
de l’Archipel des Chagos, et/ou les élections générales de 1967
répondaient aux exigences de l’autodétermination;23
d) la réinstallation des Chagossiens n’est pas réalisable et est sujette à
l’accord conclu en 1982, qui impliquait la renonciation par de
nombreux Chagossiens à leurs droits à des réclamations futures
découlant de leur expulsion de l’Archipel des Chagos.24
1.12 Les premier et troisième points (la question de savoir si l’Archipel des Chagos
faisait partie intégrante de Maurice et celle du ‘‘consentement’’) soulèvent des
questions mixtes de fait et de droit, et se rapportent à la première question
soumise par l’Assemblée générale à la Cour. Ils sont traités au chapitre 3.25 Le
quatrième point (ayant trait à la réinstallation des Chagossiens) se rapporte à la
deuxième question de l’Assemblée générale et est traité au chapitre 4.26
1.13 En ce qui concerne le deuxième point, il est surprenant, eu égard aux
éléments présentés à la Cour, que le Royaume-Uni puisse affirmer qu’il ‘‘n’existe
aucun fondement’’ pour dire que l’indépendance de Maurice était conditionnelle
au ‘‘consentement’’ des ministres au détachement.27 La Cour est en présence d’un
important volume de preuves documentaires indiscutables et incontournables qui
montrent le contraire, dont la plupart proviennent des archives et des documents
détenus par la puissance administrante elle-même et qui lui sont donc facilement
accessibles. L’exposé écrit du Royaume-Uni ne fait aucune référence à la plus
22 Ibid., par. 3.8.
23 Ibid., pars. 1.4, 1.23, 3.7-3.8, 3.35-3.37, 3.52.
24 Ibid., par. 4.41.
25 Voir pars. 3.69-3.106 ci-après.
26 Voir pars. 4.112-4.132 ci-après.
27 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.8.
8
grande part de ce matériau. Maurice attend avec intérêt de prendre connaissance
des observations écrites du Royaume-Uni, et en particulier de sa réponse aux
éléments factuels présentés dans le dossier provenant du Secrétariat de l’ONU et
dans l’exposé écrit de Maurice.
A. L’INDÉPENDANCE ÉTAIT CONDITIONNELLE AU ‘‘CONSENTEMENT’’ AU
DÉTACHEMENT
1.14 Parmi les exposés écrits qui abordent la nature du ‘‘consentement’’ des
ministres mauriciens au détachement, tous – sauf celui du Royaume-Uni –
parviennent à la même conclusion que Maurice.28 Par exemple, Djibouti déclare
que ‘‘la pression exercée sur les représentants mauriciens constituait une
contrainte suffisante pour remettre en cause la validité de l’accord prétendument
obtenu’’ et que ‘‘les tentatives du Royaume-Uni d’obtenir le ‘consentement’ des
dirigeants mauriciens étaient malhonnêtes dès le départ.’’29 De même, l’Inde
conclut que les ‘‘documents du Cabinet britannique, au moment du détachement
de l’Archipel des Chagos, révèlent que le Premier ministre, M. Harold Wilson,
informa le Premier ministre mauricien en septembre 1965 qu’une partie du prix
pour l’indépendance était le consentement de Maurice au détachement des
Chagos.’’30
1.15 Les éléments soumis à la Cour indiquent clairement que l’indépendance et
le ‘‘consentement’’ au détachement faisaient partie d’un ‘‘accord d’ensemble’’ qui
ne pouvait être fractionné, offert aux ministres mauriciens lors de la conférence
constitutionnelle de 1965.31 Avant le début de la conférence, un plan fut élaboré
28 Alors que l’exposé écrit des États-Unis n’aborde pas —entre autres— “le rôle du consentement”, il y est dit que
“[n]éanmoins, les États-Unis considèrent que la Cour ne peut résoudre ces questions d’une manière qui appuierait
une conclusion selon laquelle la décolonisation de Maurice n’a pas été validement menée à bien en 1968.”
(“[n]evertheless, the United States believes the Court could not resolve these issues in a manner that would support
a finding that Mauritius’s decolonization was not lawfully completed in 1968.”) Voir l’exposé écrit des États-Unis
d’Amérique, par. 4.6 et note 68 de bas de page, p. 17.
29 Exposé écrit de Djibouti, pars. 37-38. (“the pressure placed on the Mauritian representatives constituted duress
sufficient to undermine the validity of the agreement purportedly reached” and that “[t]he United Kingdom’s
attempts to obtain the ‘consent’ of the Mauritian leadership were disingenuous from the beginning.”)
30 Exposé écrit de l’Inde, par. 50. (“British Cabinet papers, at the time of detachment of the Chagos Archipelago,
reveal that Mr. Harold Wilson, the Prime Minister, informed the Mauritian Premier in September 1965 that part of
the price for independence was Mauritius’ assent to the detachment of the Chagos.”)
31 Exposé écrit de Maurice, pars. 3.68-3.81.
9
selon lequel des discussions sur le détachement se tiendraient ‘‘en parallèle (et
dans un groupe restreint) avec les discussions constitutionnelles, le but étant de
lier les deux en un éventuel accord global.’’32 Pendant la conférence, Edward Peck,
sous-secrétaire d’État adjoint au ministère des Affaires étrangères, écrivait : ‘’Il
semble probable que le détachement des îles devrait être inclus dans un accord
global à la fin des pourparlers constitutionnels.’’33 De même, Anthony Fairclough,
le chef du département Pacifique et Océan Indien au bureau des Colonies,
reconnaissait l’interdépendance des questions : ‘’La partie britannique a essayé de
maintenir la question de l’indépendance qui était le sujet réel de la conférence,
séparée du projet de défense, mais on constata que l’issue de celui-ci dépendait en
partie du premier problème.’’34
1.16 Maurice est accusé d’accorder ‘‘une telle importance à la rencontre
bilatérale entre le Premier ministre britannique et le Premier ministre mauricien le
matin du 23 septembre 1965’’ afin de ‘‘détourner l’attention’’.35 Le Royaume-Uni
fait une brève référence à une note préparée pour le Premier ministre Wilson, dans
laquelle il est mentionné que :
Sir Seewoosagur Ramgoolam viendra vous rencontrer à 10h demain matin.
L’objectif c’est de lui faire peur en lui donnant de l’espoir: l’espoir qu’il
pourrait obtenir l’indépendance : la crainte qu’il ne puisse pas l’obtenir s’il
32 Ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, Minute from E. H. Peck to Mr. Graham: Indian Ocean Islands,
FO 371/184527 (3 sept. 1965), p. 2, par. 2 (sans soulignement dans l’original) (Annexe 52). (“in parallel (and in a
smaller group) with the constitutional talks, the object being to link both up in a possible package deal at the end.”)
33 Secretary of State’s Private Discussion with the Secretary of State for Defence (15 sept. 1965), par. 1 (sans
soulignement dans l’original) (Annexe 55). (“It seems likely that the detachment of the islands may have to be
arranged in a package deal at the conclusion of the Constitutional Talks.”)
34 Defence Facilities in the Indian Ocean (23-24 Sept. 1965), Record of a Meeting with an American Delegation headed
by Mr. Kitchen, on 23 September, 1965, Mr. Peck in the chair, p. 1 (sans soulignement dans l’original) (Annexe 62).
Le bureau des Colonies a été fusionné, le 1er août 1966, avec le bureau des relations avec le Commonwealth pour
devenir le bureau du Commonwealth, qui lui-même a par la suite été fusionné avec le ministère des Affaires
étrangères en octobre 1968, créant ainsi le ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth. (“The British
side had tried to keep the independence issue which the conference was really meant to deal with, separate from
the defence project, but the outcome of the latter was found to depend partly on the former problem.”)
35 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.18. (“such great weight on a bilateral meeting between the British Prime
Minister and the Mauritian Premier on the morning of 23 September 1965” [so as to] “distract attention”).
10
ne se montre pas raisonnable en ce qui concerne le détachement de
l’Archipel des Chagos.36
1.17 Concernant cette note, et la rencontre à laquelle elle se rapporte, un seul
État – le Royaume-Uni – soutient que Maurice ‘‘déforme la nature de cette note
d’information et ce qui s’est réellement passé au cours de cette rencontre.’’37 Cet
État prétend ‘‘qu’un large éventail de questions furent discutées’’ et que l’objectif
principal de la rencontre ‘‘n’était pas ‘de forcer Sir Seewoosagur Ramgoolam à
donner son accord au détachement’ ni ‘de lui faire peur en lui donnant de
l’espoir’.’’38 Cette interprétation des preuves documentaires qui ont été présentées
à la Cour est isolée – et surprenante. Elle est de plus injustifiée au regard de
n’importe quelle appréciation raisonnable des événements.
1.18 D’abord, la note d’information elle-même ne souffre d’aucune ambiguïté.
Elle fut écrite par le secrétaire privé aux Affaires étrangères du Premier ministre,
Sir Oliver Wright, un éminent diplomate ayant près de 20 ans d’expérience, qui a
plus tard officié entre autres en tant que sous-secrétaire d’État adjoint au ministère
des Affaires étrangères et ambassadeur du Royaume-Uni auprès du Danemark, de
l’Allemagne de l’Ouest et des États-Unis. Sir Oliver était la seule autre personne
présente à la rencontre bilatérale entre le Premier ministre Wilson et le Premier
ministre Ramgoolam, et était responsable de la rédaction du compte rendu de la
rencontre. Il est surprenant que l’État en question puisse vouloir contredire
directement son ancien employé et représentant.39
36 Bureau des colonies du Royaume-Uni, Note for the Prime Minister’s Meeting with Sir Seewoosagur Ramgoolam,
Premier of Mauritius, PREM 13/3320 (22 sept. 1965) (sans soulignement dans l’original) (Annexe 59). (“Sir
Seewoosagur Ramgoolam is coming to see you at 10.00 tomorrow morning. The object is to frighten him with hope;
hope that he might get independence; Fright lest he might not unless he is sensible about the detachment of the
Chagos Archipelago.”)
37 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.18. (“distorts the nature of the briefing note and what actually transpired at
the meeting.”)
38 Ibid., pars. 3.20, 3.24. (“a range of matters were discussed” [and that the overriding purpose of the meeting was]
“not ‘to compel Sir Seewoosagur Ramgoolam to agreement to the detachment’ and ‘frighten him with hope’.”)
39 Dans une note distincte, Sir Oliver expliqua que l’objectif de la réunion du Premier ministre avec Sir Seewoosagur
était de permettre au secrétaire aux Colonies “de porter les pourparlers à ébullition le vendredi 24 septembre (‘’to
bring the talks to the boil on Friday, September 24”). Voir Note de J.O. Wright adressée à
J. W. Stacpoole du bureau des Colonies (21 sept. 1965) (Annexe 208).
11
1.19 Deuxièmement, en ce qui concerne le compte rendu de la rencontre, il est
inexact d’insinuer ‘‘qu’un éventail de questions furent discutées’’.40 Les seules
questions de fond qui furent discutées étaient le détachement de l’Archipel des
Chagos et le statut final de Maurice.41 Comme l’ont reconnu les juges Kateka et
Wolfrum dans le cadre de l’Arbitrage concernant l’aire marine protégée des
Chagos, la ‘‘menace [du Premier ministre Wilson] que Ramgoolam puisse rentrer
chez lui sans que l’indépendance soit accordée’’ constituait clairement une
contrainte.42
1.20 Troisièmement, et contrairement à ce qui est affirmé par un État, la
chronologie des événements démontre l’importance de la rencontre entre le
Premier ministre Wilson et le Premier ministre Ramgoolam.43 Dès les premières
consultations en avril et juillet 1965, les ministres mauriciens furent fermes et
résolus dans leur opposition au détachement de l’Archipel des Chagos.44 Cette
opposition fut maintenue pendant la conférence constitutionnelle jusqu’à la
deuxième réunion sur les ‘‘questions de défense’’ tenue le 20 septembre 1965 —
et encore durant cette réunion.45 Lorsque le Premier ministre Ramgoolam
rencontra le Premier ministre Wilson trois jours plus tard, à 10 heures le
23 septembre 1965, le Premier ministre lui dit en des termes non équivoques que :
[E]n théorie, il y avait plusieurs possibilités. Le Premier ministre et ses
collègues pourraient rentrer à Maurice avec ou sans l’indépendance.
S’agissant de la question de défense, Diego Garcia pourrait être détaché soit
par décret en conseil soit avec l’accord du Premier ministre et de ses
collègues. La meilleure des solutions pourrait être l’indépendance et le
40 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.20.
41 Ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, Record of a Conversation between the Prime Minister and the
Premier of Mauritius, Sir Seewoosagur Ramgoolam, at No. 10, Downing Street, at 10 A.M. on Thursday, September
23, 1965, FO 371/184528 (23 sept. 1965) (Annexe 60).
42 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), Opinion dissidente et
concordante du juge James Kateka et du juge Rüdiger Wolfrum, Tribunal constitué conformément à l’annexe VII de
la CNUDM (18 mars 2015) (ci-après “Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos, Opinion dissidente et
concordante (18 mars 2015)”), par. 77 (Dossier No. 409).
43 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.19.
44 Exposé écrit de Maurice, pars. 3.30, 3.36-3.38, 3.51-3.52.
45 Ibid., pars. 3.63-3.66.
12
détachement par accord, même s’il ne pouvait évidemment pas engager le
secrétaire aux Colonies à ce stade.46
1.21 Ce ne fut que quatre heures et demie après cette rencontre que le Premier
ministre Ramgoolam et deux de ses collègues ‘‘consentirent’’ avec réticence au
détachement de l’Archipel des Chagos.47
1.22 Comme le montre clairement l’exposé écrit de Maurice aux paragraphes 3.74
à 3.80, dans les années qui suivirent la rencontre entre le Premier ministre
Ramgoolam et le Premier ministre Wilson, des fonctionnaires, des diplomates et
des politiciens britanniques au plus haut niveau ont reconnu que l’indépendance
n’avait été octroyée à Maurice que sous condition du ‘‘consentement’’ au
détachement. Les ministres mauriciens qui participèrent à la conférence, et la
commission parlementaire spéciale mauricienne sur le détachement de l’Archipel
des Chagos l’ont également reconnu.48
1.23 Dans son exposé écrit, Maurice a renvoyé à huit documents, tous accessibles
au public et provenant des archives du gouvernement britannique, qui
reconnaissent expressément que l’indépendance ne fut octroyée à Maurice qu’à la
condition que les ministres mauriciens ‘‘consentent’’ au détachement.49 De
46 Ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, Record of a Conversation between the Prime Minister and the
Premier of Mauritius, Sir Seewoosagur Ramgoolam, at No. 10, Downing Street, at 10 A.M. on Thursday, September
23, 1965, FO 371/184528 (23 sept. 1965), p. 3 (Annexe 60). (‘‘[I]n theory, there were a number of possibilities.
The Premier and his colleagues could return to Mauritius either with Independence or without it. On the
Defence point, Diego Garcia could either be detached by order in Council or with the agreement of the
Premier and his colleagues. The best solution of all might be Independence and detachment by
agreement, although he could not of course commit the Colonial Secretary at this point.’’)
47 Royaume-Uni, Record of a Meeting Held in Lancaster House at 2.30 p.m. on Thursday 23rd September: Mauritius
Defence Matters, CO 1036/1253 (23 sept. 1965), par. 23 (Annexe 61).
48 Exposé écrit de Maurice pars. 3.75, 4.4-4.14.
49 Ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, Minute from E. H. Peck to Mr. Graham: Indian Ocean Islands,
FO 371/184527 (3 sept. 1965), p. 2, pars. 1-2 (Annexe 52); Secretary of State’s Private Discussion with the Secretary
of State for Defence (15 sept. 1965), par. 1 (Annexe 55); Defence Facilities in the Indian Ocean
(23-24 Sept. 1965), Record of a Meeting with an American Delegation headed by Mr. Kitchen, on 23 September,
1965, Mr. Peck in the chair (Annexe 62); Royaume-Uni, Minute from M. Z. Terry to Mr. Fairclough - Mauritius:
Independence Commitment, FCO 32/268 (14 fév. 1967), par. 4 (Annexe 86); Bureau des Colonies du Royaume-Uni,
Minute from A. J. Fairclough of the Colonial Office to a Minister of State, with a Draft Minute appended for signature
by the Secretary of State for Commonwealth Affairs addressed to the Foreign Secretary, FCO 16/226 (22 mai 1967),
par. 7 (Annexe 89); Royaume-Uni, Comité en charge de la politique de défense et d’outre-mer, Minutes of a Meeting
held at 10 Downing Street, S.W.1., on Thursday, 25th May 1967 at 9:45 a.m., OPD(67) (25 mai 1967), p. 2 (Annexe
90); Lettre de J. N. Allan du haut-commissariat britannique à Port Louis adressée à P. Hunt du département Afrique
13
manière significative, l’exposé écrit du Royaume-Uni ne fait référence à aucun de
ces documents. Il est tout aussi remarquable que le Royaume-Uni n’a produit
aucun document qui contredise directement l’affirmation selon laquelle le Premier
ministre Wilson a menacé le Premier ministre Ramgoolam de ne pas octroyer
l’indépendance à Maurice au cas où le détachement de l’Archipel des Chagos ne
serait pas ‘‘accepté’’.
1.24 Compte tenu de l’affirmation, dans l’exposé écrit du Royaume-Uni, selon
laquelle la décision d’octroyer l’indépendance n’était pas liée au ‘‘consentement’’
au détachement de l’Archipel des Chagos, Maurice a consulté de nouveau les
documents provenant des archives du bureau des Colonies et du ministère des
Affaires étrangères. Cette recherche supplémentaire ne fait que reconfirmer ce qui
a été expliqué dans l’exposé écrit de Maurice. À titre d’exemple, pas moins de huit
documents additionnels confirment clairement que le détachement et
l’indépendance étaient liés, et que la puissance administrante a menacé de refuser
d’octroyer l’indépendance à Maurice, à moins que les ministres ne ‘‘consentent’’
au détachement:
a) Lors d’une réunion du Conseil des ministres tenue le 2 juin 1965, le
secrétaire d’État aux Colonies Greenwood expliqua entre autres au
Premier ministre Wilson qu’‘‘Il faudrait examiner si le détachement
des îles qui sont des dépendances de Maurice … ne devrait pas être
soulevé et faire l’objet d’une décision avant ou pendant la conférence
et dans le cadre de tout accord menant à l’indépendance de
Maurice.’’50
b) Lors d’une réunion du Conseil des ministres quelques heures après la
rencontre entre le Premier ministre Ramgoolam et le Premier ministre
de l’Est, FCO 31/3834 (4 mars 1983), par. 2 a) (Annexe 126); Lettre de M. Walawalkar du département de la
recherche de la section Afrique adressée à P. Hunt du département Afrique de l’Est concernant ‘Mauritian
Agreement to Detachment of Chagos’, FCO 31/3834 (9 mars 1983), par. 2 (Annexe 127). Voir aussi l’exposé écrit de
Maurice, pars. 3.73-3.81.
50 Royaume-Uni, Comité en charge de la politique de défense et d’outre-mer, Minutes of a Meeting held at
10 Downing Street, S.W.1, on Wednesday, 2nd June, 1965, at 10:30 a.m., OPD (65) 28th Meeting (2 juin 1965),
p. 10 (sans soulignement dans l’original) (Annexe 207). (“It would… be necessary to consider whether the
detachment of the Island dependencies from Mauritius… should not be raised and decided either before or during
the conference and as part of any agreement leading to independence for Mauritius.”)
14
Wilson le 23 septembre 1965, le secrétaire d’État aux Colonies
Greenwood informa ses collègues ministres que ‘‘le Parti Mauricien
l’avait informé que vu qu’ils étaient opposés à l’indépendance, ils ne
pouvaient pas consentir au détachement des îles.’’51 Cela fut réitéré
par le gouverneur Rennie en janvier 1967.52
c) À la mi-novembre 1965, le gouverneur Rennie indiqua au secrétaire
d’État aux Colonies Greenwood que:
il y a une forte conviction dans certains milieux, même parmi ceux
qui sont favorables à la Grande-Bretagne, que le gouvernement
britannique et le Parti Travailliste mauricien sont parvenus à un
accord en vertu duquel l’indépendance a été octroyée en
contrepartie pour Diego Garcia. On dit que l’accord a été conclu lors
de la rencontre entre le Premier ministre [de Maurice] et le Premier
ministre [du Royaume-Uni].53
d) En 1967, le sous-secrétaire d’État adjoint aux Affaires du
Commonwealth (Trafford Smith) et le chef du département Pacifique
et Océan Indien au bureau des Colonies (Anthony Fairclough)
confirmèrent que l’indépendance était conditionnelle au
‘‘consentement’’ au détachement. Lors d’une réflexion sur la
51 Royaume-Uni, Comité en charge de la politique de défense et d’outre-mer, Minutes of a Meeting held at
10 Downing Street, S.W.1, on Thursday, 23rd September, 1965, at 4 p.m., OPD (65) 41st Meeting (23 sept. 1965),
p. 5-6 (sans soulignement dans l’original) (Annexe 209). (“the Parti Mauricien had informed him that since they were
opposed to independence they could not agree to the detachment of the islands.”)
52 Rapport de J. Rennie, gouverneur de Maurice, adressé à H. Bowden, secrétaire d’État aux Affaires du
Commonwealth (23 janvier 1967), par. 8 (“Un gouvernement composé de tous les partis fut en fonction de mars
1964 à novembre 1965, lorsque tous les ministres du PMSD démissionnèrent, apparemment à cause des termes de
l’accord concernant les Chagos (British Indian Ocean Territory), mais en réalité pour des raisons politiques locales
résultant de la décision du gouvernement britannique selon laquelle Maurice devrait devenir indépendante.”) (sans
soulignement dans l’original) (Annexe 213). (“An all-party Government held office from March 1964 to November
1965, when the PMSD Ministers resigned, ostensibly over the terms of the Chagos (of British Indian Ocean Territory)
settlement but really for local political reasons arising out of the British Government’s decision that Mauritius should
become independent.”)
53 Lettre de J. Rennie, gouverneur de Maurice, adressée à A. Greenwood, secrétaire d’État aux Colonies,
CO 1036/1253 (15 nov. 1965), p. 2 (sans soulignement dans l’original) (Annexe 211). (“there is a strong belief in
certain quarters, even among those well-disposed to Britain, that there has been a deal between the British
Government and the Mauritius Labour Party in which independence has been granted for the sake of Diego Garcia.
The deal is said to have been arranged when the Premier met the Prime Minister.”)
15
possibilité que le Royaume-Uni revienne sur l’annonce publique du
secrétaire d’État aux Colonies à la fin de la conférence
constitutionnelle de 1965, Trafford Smith conclut que :
les raisons les plus impérieuses qui nous interdisent de remettre en
cause la conférence de 1965 et d’examiner le problème de nouveau
sont 1) qu’il serait pratiquement impossible de réfuter des
accusations de mauvaise foi de la part du gouvernement de Sa
Majesté, en particulier par Sir Seewoosagur Ramgoolam et ses
collègues du Parti travailliste et du Comité d’action musulmane dans
le cadre de l’accord pour le détachement de l’Archipel des
Chagos …54
e) Un document du comité du Cabinet préparé par Anthony Fairclough
explique que :
Il faudrait aussi peut-être attirer l’attention sur un autre élément de
l’entente qui fut conclue en 1965. En même temps que la
conférence constitutionnelle, des négociations entre les ministres
britanniques et mauriciens se sont déroulées en septembre 1965
sur le détachement de l’Archipel des Chagos de Maurice pour qu’il
fasse partie du British Indian Ocean Territory qui fut ultérieurement
établi par décret en conseil en novembre 1965. … Les ministres
mauriciens demandèrent des sommes astronomiques en termes
d’indemnité pour le détachement des Chagos et bien plus que le
gouvernement britannique était prêt à payer. Suite à ces discussions
et à un entretien que Sir Seewoosagur Ramgoolam avait eu avec le
Premier ministre en septembre 1965, il pourrait avoir eu
l’impression qu’il serait prudent pour lui d’accepter l’indemnité
offerte par le gouvernement britannique (3 millions de livres par
54 Note de T. Smith adressée à Sir Arthur Galsworthy (14 fév. 1967) (sans soulignement dans l’original, sauf pour les
mots “de novo”) (Annexe 215). (“the most compelling reasons why we cannot upset the 1965 Conference and look
at the problem de novo are (1) it would be impossible effectively to rebut charges of bad faith on the part of H.M.G.,
especially by Sir S. Ramgoolam and his Labour and M.C.A. colleagues in the context of the agreement to detach the
Chagos Archipelago…”).
16
rapport aux plus de 20 millions de livres que les ministres mauriciens
avaient demandées) s’il espérait obtenir une réponse favorable de
la part du gouvernement britannique concernant sa demande pour
l’indépendance et son souhait d’assurer que l’aide serait disponible
après l’indépendance pour faire face aux menaces internes et
externes à la sécurité. À Maurice, Sir Seewoosagur Ramgoolam fut
inévitablement accusé par la suite, au moment où le Parti Mauricien
démissionna du gouvernement de coalition afin de se joindre à
l’opposition sur la question du montant de l’indemnité pour les
Chagos, d’avoir ‘bradé’ les Chagos à vil prix afin d’obtenir une
décision en faveur de l’indépendance. Avec cela pour toile de fond,
l’importance pour Sir Seewoosagur Ramgoolam des engagements
concernant les menaces internes et externes à la sécurité est
évidente ; sans ceux-là tout ce qu’il pourrait montrer pour avoir
accepté ce qui est considéré au niveau local comme une indemnité
beaucoup trop faible pour les Chagos serait une indépendance pour
laquelle Maurice est en fait mal préparé en termes économiques et
financiers.55
55 Royaume-Uni, OPD Paper, Mauritius Defence Agreement (non daté), par. 9 (sans soulignement dans l’original)
(Annexe 201). (‘‘Attention should also perhaps be drawn to a further element in the bargain which was struck in
1965. Simultaneously with the Constitutional Conference negotiations proceeded in September 1965 between
British and Mauritius Ministers about the separation from Mauritius of the Chagos Archipelago to form part of the
British Indian Ocean Territory which was in due course established by Order in Council in November 1965. … The
Mauritius Ministers demanded astronomical sums by way of compensation for the separation of Chagos and far
more than the British Government was prepared to contemplate. Arising out of these discussions and of an interview
which Sir Seewoosagur Ramgoolam had with the Prime Minister on [sic] September 1965, the former may well have
formed the impression that it would be prudent for him to acquiesce in the compensation offered by the British
Government (£3m. as opposed to the £20+m. which Mauritius Ministers had sought) if he hoped to secure a
favourable response from the British Government over his demand for independence and his wish for an
undertaking that assistance would be available after independence to deal with external and internal security
threats. Certainly Sir Seewoosagur was subsequently accused in Mauritius, at the stage when the Parti Mauricien
resigned from the All-Party Government to go into opposition over the issue of the amount of compensation for
Chagos, of having ‘sold out’ on Chagos far too cheaply in order to get a decision in favour of independence. Against
this background the importance to Sir Seewoosagur of the undertakings in relation to external and internal security
threats is obvious; without them all he would be able to show for having accepted what is regarded locally as far too
little compensation for Chagos would be an independence for which Mauritius is in fact ill equipped economically
and financially.’’) Une autre version de ce document contient des annotations manuscrites comme suit: “Après un
entretien que Sir Seewoosagur Ramgoolam eut avec le Premier ministre le 23 septembre 1965, il accepta l’indemnité
offerte par le gouvernement britannique (3 millions de livres comme une subvention globale directe, contrairement
aux 7 millions de livres par an que les ministres mauriciens avaient initialement demandées). Il est clair qu’une de
17
f) Dans une note en date du 14 février 1967 adressée à M. Fairclough, il
est encore expliqué que :
J’ai été informé que ce fut le Conseil des ministres qui décida que
cet engagement devrait être pris… et qu’en outre, la décision du
gouvernement de Sa Majesté de se prononcer publiquement en
faveur de l’indépendance pour Maurice faisait partie de l’accord
entre notre Premier ministre actuel et le Premier ministre de
Maurice concernant le détachement de certaines dépendances de
Maurice afin qu’elles fassent partie du BIOT.56
g) Lors d’un débat à la Chambre des Lords en 1982, Lord Brockway,
faisant référence à un rapport du Minority Rights Group, déclara:
‘‘Le gouvernement britannique a offert à Maurice son indépendance
mais il ne l’a fait qu’à la condition que Maurice abandonne l’Archipel
des Chagos.’’57
1.25 Plus récemment, un ancien ‘‘commissaire’’ du ‘‘BIOT’’, Nigel Wenban-Smith,
a confirmé ce lien, en faisant sien le point de vue de Jocelyn Chan Low, un éminent
historien mauricien, selon lequel Sir Seewoosagur ‘‘comprenait parfaitement ce qui
était en jeu’’ lorsqu’il rencontra le Premier ministre Wilson le 23 septembre 1965.58
ses raisons [illisible] [sic] était qu’il espérait obtenir une réponse favorable du gouvernement britannique concernant
sa demande d’indépendance”. (“After an interview which Sir Seewoosagur Ramgoolam had with the Prime Minister
on 23rd September 1965, he agreed to accept the compensation offered by the British Government (£3m. as a single
outright grant as opposed to the £7m. p.a. for 20 years which Mauritius Ministers had originally sought). It is clear
that one of his reasons [illegible] so [sic] was that he hoped to secure a favourable response from the British
Government over his demand for independence”). Voir Royaume-Uni, Draft OPD Paper, Mauritius Defence
Agreement (incluant des annotations manuscrites) (non daté), par. 9 (Annexe 202).
56 Royaume-Uni, Minute from M. Z. Terry to Mr. Fairclough - Mauritius: Independence Commitment, FCO 32/268
(14 fév. 1967), par. 4 (sans soulignement dans l’original) (Annexe 86) (‘’I am told that it was a Cabinet decision that
this undertaking should be given… and that in addition H.MG.’s decision to come out publicly in favour of
independence for Mauritius was part of the deal between our own present Prime Minister and the Premier of
Mauritius regarding the detachment of certain Mauritius dependencies for Biot.’’). Voir aussi la note de E. M. Rose
adressée à Sir Burke Trend (20 oct. 1967), par laquelle le secrétaire au Cabinet britannique fut informé que: “La
décision d’octroyer l’indépendance à Maurice fut prise, je pense par l’OPD, en 1965” (Annexe 217). (“The decision
to grant independence to Mauritius was taken, I think by OPD, in 1965”).
57 Chambre des Lords du Royaume-Uni, débat, Diego Garcia: Minority Rights Group Report, vol. 436, cc397-413
(11 nov. 1982), p. 1 (Annexe 225). (“the British Government offered Mauritius its independence but it did so only on
the condition that Mauritius surrendered the Chagos Archipelago.’’)
58 N. Wenban-Smith et M. Carter, Chagos: A History – Exploration, Exploitation, Expulsion (2016), p. 473 (Annexe
235). La préface indique clairement que cette partie du livre est l’oeuvre exclusive de M. Wenban-Smith. Il faut aussi
18
Faisant référence au ‘‘compte-rendu remarquablement équilibré et objectif’’ de
Chan Low, M. Wenban-Smith explique que le détachement des Chagos ‘‘resta non
résolu’’ jusqu’à la rencontre entre le Premier ministre et le Premier ministre Wilson
le 23 septembre 1965, qui a alors ‘‘ouvert la voie à la clôture de la conférence par
Greenwood le lendemain matin avec une annonce invitant les Mauriciens à décider
de l’indépendance à leurs prochaines élections’’.59 Chan Low conclut son
compte-rendu des pourparlers constitutionnels dans les termes suivants :
Une étude des documents concernant la genèse de l’affaire Chagos révèle
les liens étroits entre la décision britannique de se prononcer publiquement
en faveur de l’indépendance de Maurice qui est multiethnique – et
perturbée par des tensions interethniques aggravées par une crise aiguë de
sous-développement – et l’excision de l’Archipel des Chagos. Les autorités
britanniques utilisèrent des manoeuvres adroites et trompeuses pour
exercer un chantage sur Sir Seewoosagur Ramgoolam – qui était à la tête
d’une délégation mauricienne divisée et ayant des alliés peu favorables à
l’indépendance – afin qu’il accepte le démembrement illégal du territoire
mauricien avant l’indépendance.60
1.26 Deux arguments complémentaires peuvent être abordés brièvement.
D’abord, ignorant le matériau documentaire qui vient d’être décrit, l’exposé écrit
noter que Sir Oliver Wright fut consulté par M. Wenban-Smith. Voir ibid., préface, p. vii et p. 477, note 30 de bas de
page.
59 Ibid., p. 472-473. (“opened the way for Greenwood to close the conference the following morning with an
announcement inviting the Mauritians to decide upon independence at their next general elections”).
60 Jocelyn Chan Low, “The Making of the Chagos Affair: Myths and Reality” paru dans EVICTION FROM THE CHAGOS ISLANDS
(S. Evers & M. Kooy eds., 2011), p. 79 (sans soulignement dans l’original) (Annexe 233). (‘’A study of the records
pertaining to the making of the Chagos affair reveals the close links between the British decision to publicly declare
itself in favour of the independence of multi-ethnic Mauritius – bedevilled by inter-ethnic tensions aggravated by an
acute crisis of underdevelopment – and the excision of the Chagos archipelago. The British authorities skilfully and
deceitfully manoeuvred to blackmail Sir Seewoosagur Ramgoolam – heading a divided Mauritian delegation and with
allies lukewarm in their support for independence – into accepting the illegal dismemberment of Mauritian territory
prior to independence.’’) Chan Low explique aussi que: “Selon Sir John Rennie, si Ramgoolam a finalement cédé
Diego Garcia, c’est parce qu’il était convaincu (ou les Britanniques ont brillamment manoeuvré pour qu’il soit
convaincu) que s’il se montrait conciliant sur cette question, le Gouvernement britannique déciderait
éventuellement en faveur de l’indépendance de Maurice à la fin de la conférence constitutionnelle.” Ibid., p. 77 (sans
soulignement dans l’original). (“According to Sir John Rennie, if Ramgoolam finally surrendered Diego Garcia it was
because he had become convinced (or the British had manoeuvred brilliantly to make him convinced) that if he
proved conciliatory on this issue the British Government would finally decide in favour of Mauritius’ independence
at the close of the Constitutional Conference.”)
19
du Royaume-Uni affirme – sans aucun élément à l’appui – que Maurice a ‘‘inventé’’
l’argument selon lequel l’indépendance ne fut octroyée que sous condition du
‘‘consentement’’ au détachement et que ce n’est ‘‘qu’après plusieurs décennies
que Maurice a avancé des arguments juridiques détaillés – en particulier dans le
cadre de la procédure contentieuse engagée contre le Royaume-Uni dans
l’Arbitrage concernant les Chagos – à l’effet que le consentement donné en 1965
au détachement … n’était pas valide pour cause de contrainte ou d’autres
raisons.’’61
1.27 Cela est totalement inexact. Immédiatement après la conférence
constitutionnelle de 1965, le gouverneur Rennie informa le secrétaire aux Colonies
Greenwood de la ‘’forte croyance’’ qu’il y avait eu ‘‘un accord entre le
gouvernement britannique et le Parti travailliste mauricien selon lequel
l’indépendance a été octroyée en échange de Diego Garcia.’’62 Maurice a exposé
clairement qu’elle est persuadée que le ‘‘consentement’’ au détachement avait été
obtenu dans des conditions constituant une contrainte, et a contesté sa validité,
peu après les événements et de manière constante par la suite:
a) En février 1971, le Foreign Office apprit que le gouvernement de
Maurice ‘‘avait l’intention de révoquer l’accord qui avait été conclu par
rapport au BIOT au cours de la période précédant l’indépendance.’’63
61 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 1.4, 3.8, 3.17. (“only after many decades that Mauritius came up with detailed
legal argument – in particular in the contentious proceedings brought against the United Kingdom in the Chagos
Arbitration – to the effect that the consent given in 1965 to detachment… was not valid due to duress or other
reasons.”)
62 Lettre de J. Rennie, gouverneur de Maurice, adressée à A. Greenwood, secrétaire d’État aux Colonies,
CO 1036/1253 (15 nov. 1965), p. 2 (sans soulignement dans l’original) (Annexe 211). (“strong belief” [that there had
been] “a deal between the British Government and the Mauritius Labour Party in which independence has been
granted for the sake of Diego Garcia.”) En outre, en 1981, les États-Unis demandèrent l’avis du ministère des Affaires
étrangères afin d’aider de “réfuter l’allégation faite parfois, selon laquelle étant donné que Maurice était encore une
colonie lorsque Diego Garcia fut détaché, l’accord avec les ministres mauriciens avait été obtenu sous contrainte et
n’est donc pas valide.” (“combat the allegation sometimes made that because Mauritius was still a colony when
Diego Garcia was detached the agreement reached with Mauritian Ministers must have been made under duress
and is therefore not valid.”) Voir le télégramme de Thomson du ministère des Affaires étrangères et du
Commonwealth du Royaume-Uni, département Afrique de l’Est, no 42 (19 janvier 1981) (Annexe 223).
63 Lettre de P.A. Carter adressée à E.G. Le Tocq du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth du
Royaume-Uni, département Afrique de l’Est, FCO 83/18 (5 fév. 1971), par. 2 (Annexe 218).
20
b) Le 26 juillet 1980, le Premier ministre Ramgoolam déclara lors d’une
conférence de presse que :
Après que les représentants des autres partis qui n’étaient en
faveur de l’indépendance eurent quitté la conférence
constitutionnelle de 1965, en tant que chef du gouvernement,
je devais prendre une décision. J’avais à choisir entre
l’indépendance et Diego Garcia. Qu’auriez-vous fait ? J’ai choisi
l’indépendance et la liberté et j’en prends toute la
responsabilité. Maurice acquit un statut et la dignité.64
c) Depuis 1980, des politiciens mauriciens, y compris le Premier ministre
Ramgoolam, ont souvent expliqué et décrit les événements de la
conférence constitutionnelle de 1965.65
d) Dans son rapport en date du 1er juin 1983, la Commission
parlementaire spéciale mauricienne, après avoir entendu sept
ministres mauriciens qui participèrent à la conférence
constitutionnelle de 1965, conclut que ‘‘l’élément de chantage’’ qui
avait prévalu lors des discussions ‘‘remet en question la validité
juridique du détachement.’’66
64 Royaume-Uni, Diego Garcia: Translation of Ramgoolam’s remarks at a press conference (given in Creole) on 26 July
1980 (26 juillet 1980) (Annexe 220). (‘’ After the representatives of the other parties who did not want independence
had walked out of the 1965 constitutional conference, I as head of Government had to take a decision. I had to
choose between independence and Diego Garcia. What would you have done? I opted for independence and
freedom and I take full responsibility for that. Mauritius acquired status and dignity.’’) Voir aussi l’exposé écrit de
Maurice, pars. 4.4-4.16.
65 Voir, par exemple, Assemblée législative de Maurice, Speech from the Throne – Address in Reply: Statement by the
Prime Minister of Mauritius (11 avril 1979), p. 456 (“Nous n’avions pas de choix’’) (‘’We had no choice”) (Annexe
115); Assemblée législative de Maurice, The Interpretation and General Clauses (Amendment) Bill
(No. XIX of 1980), Committee Stage (26 juin 1980), p. 3413 (“Nous n’avions pas de choix!’’) (“We had no choice!”)
(Annexe 117); Assemblée législative de Maurice, Reply to PQ No. B/1141 (25 nov. 1980), p. 4223 (“J’avais une corde
autour du cou. Je ne pouvais pas refuser. Je devais accepter sinon le noeud se serait serré”) (“There was a nook [sic]
around my neck. I could not say no. I had to say yes, otherwise the noose could have tightened”) (Annexe 123). Voir
aussi l’exposé écrit de Maurice, pars. 4.4-4.16.
66 Assemblée législative de Maurice, Report of the Select Committee on the Excision of the Chagos Archipelago,
No. 2 of 1983 (juin 1983), p. 37, par. 52E (Annexe 129). (“[concluded that the] “blackmail element” [which had
prevailed at the talks] “puts in question the legal validity of the excision”). Peu avant la publication du rapport de la
commission parlementaire spéciale mauricienne sur le détachement de l’Archipel des Chagos, le haut-commissaire
britannique à Port Louis avertit le ministère des Affaires étrangères qu’‘’il [était] possible que nous soyons confrontés
21
1.28 Deuxièmement, l’exposé écrit du Royaume-Uni affirme que ‘‘l’allégation de
contrainte’’ faite par Maurice est en contradiction avec ‘‘la chronologie des
événements clés’’, étant donné que le ‘‘consentement’’ des ministres mauriciens
le 23 septembre 1965 fut suivi par une décision du Conseil des ministres le
5 novembre 1965, six semaines après l’annonce publique par le secrétaire aux
Colonies Greenwood qu’il était en faveur de l’indépendance.67
1.29 Comme exposé en détail au chapitre 3 ci-après, le ‘‘consentement’’ du
Conseil des ministres ne peut pas être considéré comme étant la volonté librement
exprimée du peuple de Maurice aux fins de l’autodétermination.68 Le Conseil des
ministres était présidé par le gouverneur Rennie et était composé de l’adjoint au
gouverneur britannique (T.D. Vickers) et de quatorze ministres mauriciens (y
compris le Premier ministre Ramgoolam).69 Treize de ces quatorze ministres
mauriciens étaient présents à la conférence constitutionnelle de 1965.70 Les
à des affirmations embarrassantes concernant le lien entre l’excision de l’Archipel des Chagos et l’engagement du
gouvernement britannique d’accorder l’indépendance à Maurice’’ (“we may well be faced with embarrassing
assertions about the connection between the excision of the Chagos Archipelago and the British Government’s
undertaking to give Mauritius independence.”) Voir la lettre de J. N. Allan du haut-commissariat britannique à Port
Louis adressée à P. Hunt du département Afrique de l’Est, FCO 31/3622 (11 nov. 1982) (Annexe 125). Voir aussi
l’exposé écrit de Maurice, par. 4.11.
67 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 3.8, 3.19, 3.28, 3.35-3.37.
68 Voir pars. 3.76-3.92 ci-après. En vertu de la Constitution de 1964, le gouverneur britannique à Maurice était
habilité à nommer les membres du Conseil des ministres, et le gouverneur, agissant ‘’en toute latitude’’, pouvait
‘’accorder un congé à n’importe quel membre du Conseil des ministres’’. (“acting in his discretion” could “grant leave
of absence from his duties to any member of the Council of Ministers.”) Voir l’exposé écrit du Royaume-Uni, Annexe
10, sections 58, 61, 70. Le secrétaire aux Colonies Greenwood était d’avis qu’une autonomie interne complète
exigerait que le ‘‘gouverneur se retire du Conseil des ministres et que son pouvoir discrétionnaire soit limité à des
questions telles que la défense, les affaires extérieures et la sécurité uniquement’’. (“withdrawal of the Governor
from the Council of Ministers and the limitation on his discretionary powers to such matters as defence, external
affairs and internal security only”). Voir Royaume Uni, Comité en charge de la politique de défense et d’outre-mer,
Mauritius – Constitutional Developments: Note by the Secretary of State for the Colonies, OPD (65) (mai 1965),
par. 8 (Annexe 206). Voir aussi Royaume Uni, Comité en charge de la politique de défense et d’outre-mer, Minutes
of a Meeting held at 10 Downing Street, S.W.1, on Wednesday, 2nd June, 1965, at 10:30 a.m., OPD (65) 28th Meeting
(2 juin 1965), p. 10 (Annexe 207).
69 Exposé écrit du Royaume-Uni, Annexe 10, section 68. Peu après la conférence constitutionnelle de 1965, le Premier
ministre Ramgoolam rencontra des officiels du bureau des Colonies et du ministère des Affaires étrangères, et il
‘’semblait troublé qu’une pleine autonomie interne ne serait introduite qu’après les élections.’’ (“appeared
distressed that full internal self-Government would not be introduced until after [the] election.”). Il fut noté qu’une
des questions qui ‘’préoccupaient’’ le Premier ministre était ‘’celle de présider le Conseil des ministres”. Voir le
télégramme de T. Smith adressé à J. Rennie, gouverneur de Maurice, no 234 (1er oct. 1965) (Annexe 210).
70 Voir Royaume-Uni, Mauritius Constitutional Conference Report (24 sept. 1965), p. 8, List of Those Attending
Conference (Annexe 64). C.f. Assemblée législative de Maurice, Report of the Select Committee on the Excision of
the Chagos Archipelago, No. 2 of 1983 (juin 1983), p. 61, appendice N (Annexe 129). Voir aussi la lettre de R. C.
Masefield adressée, au nom secrétaire d’État aux Affaires intérieures, à J. F. Doble du département de l’information,
22
membres mauriciens du Conseil des ministres ‘‘consentirent’’ au détachement en
raison du fait que le Premier ministre Wilson avait clairement indiqué six semaines
auparavant que c’était une condition préalable à l’octroi de l’indépendance.
1.30 Alors que le secrétaire aux Colonies Greenwood annonçait le 24 septembre
1965 que Maurice devait devenir indépendante ‘‘avant la fin de 1966’’,
l’indépendance ne fut en fait octroyée que le 12 mars 1968.71 Pendant cette
période, l’indépendance demeura incertaine et laissée à la seule discrétion du
gouvernement britannique.72 Comme l’indique clairement le compte-rendu de la
conférence constitutionnelle de 1965, l’octroi de l’indépendance à Maurice
dépendait des conclusions d’une commission électorale, après quoi une date serait
fixée pour des élections générales, et l’Assemblée législative ne pouvait demander
l’indépendance du Royaume-Uni qu’après six mois d’autonomie interne.73 Les
fonctionnaires du bureau des Colonies discutèrent ouvertement de la possibilité
que l’indépendance soit refusée ou différée.74 Six mois seulement avant les
élections de 1967, le chef du département Pacifique et océan Indien au bureau des
Colonies rapporta au sous-secrétaire d’État adjoint aux Affaires du Commonwealth
que:
Comme c’est toujours le cas de nos jours pour toute étude de la situation
mauricienne, les problèmes économiques et financiers sont très
préoccupants et constituent l’aspect le plus déprimant du tableau. Je serais
d’accord avec Melle Terry que, telle qu’apparaît la situation en ce moment,
il serait dans l’intérêt supérieur de Maurice de ne pas accéder à
l’indépendance.75
ministère des affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni (9 août 1982), dans laquelle il est reconnu
qu’il y aurait des “allégations inévitables” selon lesquelles le Conseil des ministres de Maurice ‘’était un groupe de
‘béni-oui-oui’.’’ (“were a group of ‘yes-man’.”) (Annexe 224).
71 Royaume-Uni, Mauritius Constitutional Conference Report (24 sept. 1965), p. 6, par. 20 (Annexe 64).
72 Voir l’exposé écrit de Maurice, pars. 3.40-3.45.
73 Royaume-Uni, Mauritius Constitutional Conference Report (24 sept. 1965), p. 5-6, par. 20 (Annexe 64).
74 Voir, par exemple, la note de A.J. Fairclough adressée à T. Smith, avec en annexe une note sur Considerations
arising from and since the 1965 Constitutional Conference related to the question of Independence
(14 fév. 1967) (Annexe 216); la note de T. Smith adressée à Sir Arthur Galsworthy (14 fév. 1967) (Annexe 215).
75 Note de A. J. Fairclough adressée à T. Smith (7 fév. 1967), par. 4 (sans soulignement dans l’original)
(Annexe 214). (‘’As always these days in any survey of the Mauritius scene, economic problems and financial
23
1.31 À la lumière de ce matériau accablant, ainsi que des éléments contenus dans
son exposé écrit, Maurice ne voit aucune justification plausible à l’affirmation faite
dans l’exposé écrit du Royaume-Uni selon laquelle l’octroi de l’indépendance
n’était pas conditionnel au ‘‘consentement’’ des ministres au détachement.
L’argument invoqué par le Royaume-Uni, selon lequel l’indépendance et le
détachement étaient deux questions entièrement distinctes n’est soutenu par
aucun autre exposé écrit et est en contradiction avec les points de vue exprimés
par ceux qui sont les mieux placés pour savoir ce qui s’est passé durant la
conférence constitutionnelle de 1965, y compris les participants à cette
conférence,76 et des hauts fonctionnaires, des diplomates et des politiciens
britanniques ayant un libre accès aux documents historiques.77
1.32 Comme expliqué dans les chapitres suivants, en l’absence de volonté
librement exprimée du peuple de Maurice, le détachement de l’Archipel des
difficulties loom large and are the most depressing part of the picture. I would agree with Miss Terry that, as the
picture now looks, it would be in Mauritius’ best interests not to proceed to independence.”)
76 Ces participants comprennent le secrétaire aux Colonies Greenwood, le gouverneur Rennie, le sous-secrétaire
d’État adjoint aux Colonies/Affaires du Commonwealth (Trafford Smith) et le chef du département Pacifique et
océan Indien au bureau des Colonies/du Commonwealth (Anthony Fairclough). Voir Royaume-Uni, Comité en charge
de la politique de défense et d’outre-mer, Minutes of a Meeting held at 10 Downing Street, S.W.1, on Wednesday,
2nd June, 1965, at 10:30 a.m., OPD (65) 28th Meeting (2 juin 1965) (Annexe 207); Royaume-Uni, Comité chargé de
la politique de défense et d’outre-mer, Minutes of a Meeting held at 10 Downing Street, S.W.1, on Thursday,
23rd September, 1965, at 4 p.m., OPD (65) 41st Meeting (23 sept. 1965) (Annexe 209); Lettre de
J. Rennie, gouverneur de Maurice, adressée à A. Greenwood, secrétaire d’État aux Colonies du Royaume-Uni,
CO 1036/1253 (15 nov. 1965) (Annexe 211); Rapport de J. Rennie, gouverneur de Maurice, adressé à H. Bowden,
secrétaire d’État aux affaires du Commonwealth (23 janvier 1967), par. 8 (Annexe 213); Note de T. Smith adressée
à Sir Arthur Galsworthy (14 fév. 1967) (Annexe 215); Defence Facilities in the Indian Ocean (23-24 Sept. 1965), Record
of a Meeting with an American Delegation headed by Mr. Kitchen, on 23 September, 1965,
Mr. Peck in the chair (Annexe 62); Bureau des Colonies du Royaume-Uni, Minute from A. J. Fairclough of the Colonial
Office to a Minister of State, with a Draft Minute appended for signature by the Secretary of State for Commonwealth
Affairs addressed to the Foreign Secretary, FCO 16/226 (22 mai 1967), par. 7 (Annexe 89); Royaume-Uni, OPD Paper,
Mauritius Defence Agreement (non daté) (Annexe 201); Royaume-Uni, Draft OPD Paper, Mauritius Defence
Agreement (incluant des annotations manuscrites) (non daté) (Annexe 202).
77 Ces personnes comprennent le secrétaire au Commonwealth Herbert Bowden, le sous-secrétaire d’État adjoint
pour l’Asie et l’Extrême-Orient (Edward Peck), Mme Walawalkar de la section Afrique, département de la recherche
du ministère des Affaires étrangères, et un ancien “commissaire” du “BIOT” (Nigel Wenban-Smith). Voir
Royaume-Uni, Comité en charge de la politique de défense et d’outre-mer, Minutes of a Meeting held at 10 Downing
Street, S.W.1., on Thursday, 25th May 1967 at 9:45 a.m., OPD(67) (25 mai 1967), p. 2 (Annexe 90); Secretary of
State’s Private Discussion with the Secretary of State for Defence (15 sept. 1965), par. 1
(Annexe 55); Lettre de M. Walawalkar de la section Afrique, département de la recherche adressée à P. Hunt du
département Afrique de l’Est sur Mauritian Agreement to Detachment of Chagos, FCO 31/3834 (9 mars 1983),
par. 2 (Annexe 127); N. Wenban-Smith et M. Carter, Chagos: A History – Exploration, Exploitation, Expulsion (2016),
p. 472-473 (Annexe 235).
24
Chagos fut effectué en violation flagrante des principes de l’autodétermination et
de l’intégrité territoriale. Par conséquent, la décolonisation de Maurice demeure
inachevée. Cela entraîne des conséquences juridiques évidentes, dont la moindre
n’est pas l’obligation de mettre fin immédiatement à l’administration de l’Archipel
des Chagos par la puissance administrante.
II. Résumé des observations écrites de Maurice
1.33 Les observations écrites de Maurice comprennent quatre chapitres. Après ce
chapitre introductif, les chapitres 2 à 4 abordent les questions juridiques et
factuelles ayant trait à la compétence de la Cour et aux deux questions soumises
par l’Assemblée générale.
1.34 Le chapitre 2 répond aux points soulevés dans d’autres exposés écrits par
rapport à la compétence de la Cour de répondre aux deux questions formulées dans
la résolution 71/292, et l’opportunité de le faire. Ce chapitre comporte deux
parties: la section I démontre que la Cour a sans aucun doute compétence pour
rendre l’avis consultatif,78 et la section II explique qu’il n’y a aucune raison décisive
pour la Cour de refuser de répondre aux deux questions.79 En particulier, il est clair
qu’un très grand nombre d’États qui ont présenté des exposés écrits reconnaissent
que :
a) les questions posées à la Cour ne concernent pas un simple différend
bilatéral entre deux États;80
b) rendre un avis consultatif n’aurait pas pour effet de contourner le
principe du consentement au règlement judiciaire;81
78 Voir pars. 2.20-2.24 ci-après.
79 Voir pars. 2.25-2.76 ci-après.
80 Voir pars. 2.26-2.51 ci-après.
81 Ibid.
25
c) les réponses de la Cour aux deux questions seront utiles à l’Assemblée
générale (comme elle l’a déjà elle-même indiqué) dans le cadre de son
mandat visant à mettre fin à la colonisation;82
d) la Cour dispose de données factuelles suffisantes pour pouvoir
répondre de manière appropriée et complète aux questions posées
par l’Assemblée générale;83 et,
e) la question ne revêt pas l’autorité de la chose jugée puisque la Cour
n’est pas appelée à se prononcer sur un différend bilatéral impliquant
les mêmes parties et soulevant les mêmes questions, et parce que le
Tribunal dans l’Arbitrage concernant l’aire marine protégée des
Chagos n’a pas abordé ou tranché les questions présentées par
l’Assemblée générale dans la résolution 71/292.84
1.35 Le chapitre 3 aborde les questions factuelles et juridiques relatives à la
première question posée par l’Assemblée générale, à savoir si le processus de
décolonisation de Maurice a été validement mené à bien. En ce qui concerne le
cadre juridique, il existait un droit à l’autodétermination bien établi, incluant un
droit corollaire à l’intégrité territoriale, lorsque l’Archipel des Chagos fut détaché
en 1965 et lorsque Maurice obtint son indépendance en 1968.85 Le droit à
l’autodétermination était contraignant pour la puissance administrante au
moment des faits, et l’exposé écrit du Royaume-Uni ne peut fonder la conclusion
selon laquelle le Royaume-Uni était, ou pourrait être, un objecteur persistant au
regard de ce droit. La règle de l’objecteur persistant ne s’applique pas aux normes
impératives, et en tout état de cause le comportement de la puissance
administrative ne répond pas aux conditions rigoureuses de cette règle.86 Par
conséquent, et en concordance avec la très grande majorité des autres exposés
écrits, il est démontré que la décolonisation de Maurice n’a pas été validement
82 Voir pars. 2.52-2.61 ci-après.
83 Voir pars. 2.62-2.66 ci-après.
84 Voir pars. 2.67-2.73 ci-après.
85 Voir pars. 3.7-3.41, 3.56-3.67 ci-après.
86 Voir pars. 3.42-3.55 ci-après.
26
menée à bien en 1968. En référence à l’ensemble du matériau documentaire
présenté à la Cour, il est établi que :
a) l’Archipel des Chagos était – en droit et en fait – toujours traité comme
faisant partie intégrante de Maurice;87
b) la décision de la puissance administrante de détacher l’Archipel des
Chagos fut prise unilatéralement et irrévocablement, et fut imposée
comme une condition préalable à l’octroi de l’indépendance;88
c) le peuple mauricien, dans son ensemble ou à travers ses
représentants, n’a jamais eu l’occasion de choisir de conserver
l’Archipel;89
d) le fait que conserver l’intégrité territoriale de Maurice ne fut jamais
une option compromet fondamentalement toute tentative de
soutenir que les pourparlers à Londres en 1965, la décision du Conseil
des ministres en novembre 1965 ou les élections générales de 1967
équivalaient à la libre expression de la volonté du peuple mauricien;90
e) aucun référendum ou plébiscite ne fut organisé, contrairement à la
pratique bien établie de l’ONU dans des cas où la division d’un
territoire colonial était envisagée;91 et,
f) Maurice n’a pas ‘‘accepté’’ le détachement de l’Archipel des Chagos
après son indépendance.92
1.36 Le chapitre 4 traite essentiellement de la deuxième question soumise à la
Cour par l’Assemblée générale, concernant les conséquences en droit international
du maintien de l’Archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni. Il
87 Voir pars. 3.69-3.75 ci-après.
88 Voir par. 3.96 ci-après. Voir aussi l’exposé écrit de Maurice, pars. 1.12, 3.18-3.20, 3.46-3.50.
89 Voir pars. 3.76-3.98 ci-après.
90 Ibid.
91 Voir pars. 3.93-3.98 ci-après.
92 Voir pars. 3.99-3.106 ci-après.
27
existe un consensus très net parmi les exposés écrits que les conséquences en droit
international comprennent une obligation :
a) d’achever la décolonisation de Maurice avec effet immédiat;93
b) de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de l’administration
coloniale de Maurice;94 et,
c) pendant la courte période de temps nécessaire pour achever la
décolonisation, d’administrer l’Archipel des Chagos au mieux des
intérêts du peuple mauricien et de prendre toutes les mesures
nécessaires pour assurer le droit au retour des Mauriciens d’origine
chagossienne qui furent contraints d’abandonner leur foyer dans
l’Archipel.95
1.37 Ce chapitre explique également pourquoi la Cour doit répondre à la
deuxième question telle que formulée par l’Assemblée générale sans limite et en
abordant toutes les conséquences juridiques du maintien de l’Archipel des Chagos
sous l’administration de la puissance administrante.96 À cet effet, et eu égard à la
pratique adoptée dans le cas des avis consultatifs précédents, il n’y a pas lieu pour
la Cour de reformuler la deuxième question afin d’éviter de donner un avis sur les
conséquences juridiques pour les États.97
***
1.38 Les présentes observations écrites sont accompagnées d’un volume
d’annexes (numérotées de 201 à 235), comprenant des documents qui peuvent
être utiles à la Cour et qui ne sont pas inclus dans le dossier que le Secrétariat des
Nations Unies a compilé aux fins de la présente demande.
93 Voir pars. 4.89-4.110 ci-après.
94 Voir pars. 4.135-4.143 ci-après.
95 Voir pars. 4.111-4.134 ci-après.
96 Voir pars. 4.10-4.68 ci-après.
97 Voir pars. 4.69-4.88 ci-après.
28
CHAPITRE 2
LA COUR A COMPÉTENCE POUR DONNER L’AVIS CONSULTATIF DEMANDÉ
PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ET IL N’EXISTE AUCUNE RAISON POUR
LA COUR DE REFUSER DE LE FAIRE
2.1 Dans le présent chapitre, Maurice répondra aux points soulevés dans
d’autres exposés écrits par rapport à la compétence de la Cour de donner l’avis
consultatif demandé par l’Assemblée générale dans la résolution 71/292 du 22 juin
2017, et à l’opportunité de l’exercice de cette compétence.
2.2 En ce qui concerne la compétence de la Cour, Maurice note que trente et un
des trente-deux exposés écrits reconnaissent que la Cour a compétence pour
donner l’avis consultatif demandé. La seule exception est l’Australie qui soutient
que même si les questions posées ‘‘concernent ostensiblement la décolonisation,
leur véritable objectif et effet est de solliciter le règlement d’une question de
souveraineté par la Cour.’’98 Cet argument regrettable et peu judicieux, qui crée
des doutes quant à la bonne foi de l’Assemblée générale, ne pourrait priver la Cour
de sa compétence, comme expliqué dans la section I.
2.3 Pour ce qui est de l’opportunité de l’exercice de la compétence de la Cour,
vingt-trois des trente-deux exposés écrits ont conclu qu’il n’existe aucune raison
qui empêcherait la Cour de donner l’avis consultatif demandé et de répondre aux
deux questions. Outre l’Union africaine dont ‘‘les membres considèrent que la
résolution des questions soumises à la Cour constitue une question d’importance
systémique en droit international,’’99 les États qui ont invité la Cour à répondre aux
questions qui lui ont été posées par l’Assemblée générale représentent toutes les
régions du monde:
98 Exposé écrit de l’Australie, par. 21 (sans italique dans l’original). (“ostensibly concern decolonization, their true
purpose and effect is to seek the Court’s adjudication over a question of sovereignty.”)
99 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 9. (“membership considers that the resolution of the questions asked to the
Court constitute a matter of systemic importance in international law,”)
29
Afrique Asie et
Pacifique
Amérique du
Sud et
Amérique
centrale
Europe
Djibouti
Lesotho
Madagascar
Maurice
Namibie
Niger
Seychelles
Afrique du Sud
Inde
Îles Marshall
Vietnam
Argentine
Belize
Brésil
Cuba
Guatemala
Nicaragua
Chypre
Allemagne
Liechtenstein
Pays-Bas
Serbie
2.4 Ce très large soutien au niveau mondial pour que la Cour rende l’avis
consultatif demandé s’explique par le fait que la décolonisation est une question
qui présente un intérêt direct et de longue date pour l’Assemblée générale. Les
exposés écrits traduisent le vaste soutien des États membres à l’adoption de la
résolution 71/292 elle-même : 94 voix pour et seulement 15 contre, avec
65 abstentions. En particulier, cinq États qui s’étaient abstenus lors du vote (la
Chine, l’Allemagne, le Liechtenstein,100 les Pays-Bas101 et la Fédération de Russie)
ont présenté des exposés écrits qui peuvent raisonnablement être considérés
comme étant en faveur de la proposition selon laquelle la Cour devrait donner un
avis consultatif sur les questions posées afin d’aider l’Assemblée générale à
s’acquitter de ses fonctions dans ce domaine.
2.5 Dans la présente procédure, seuls six États soutiennent que la Cour ne
devrait pas répondre aux questions posées. Outre la puissance administrante, ces
100 Le Liechtenstein soutient expressément la compétence de la Cour de répondre aux questions que lui a posées
l’Assemblée générale et l’opportunité de l’exercice de sa compétence dans la présente procédure. Voir l’exposé écrit
du Liechtenstein, par. 18.
101 Les Pays-Bas ont donné des réponses aux deux questions posées par l’Assemblée générale, reconnaissant ainsi
que la Cour a et peut exercer sa compétence en l’espèce. Voir généralement l’exposé écrit des Pays-Bas.
30
États sont l’Australie, le Chili, la France, Israël et les États-Unis. Ces États
soutiennent que les questions ayant trait à la réalisation complète de la
décolonisation de Maurice soulèvent des questions qui portent sur un différend
bilatéral de souveraineté territoriale entre Maurice et le Royaume-Uni et qu’il ne
faudrait de ce fait pas y répondre. Ils font valoir que la résolution 71/292 constitue
une tentative de contourner la règle selon laquelle le consentement des parties à
un tel différend est requis avant qu’une cour ou un tribunal international puisse
exercer sa compétence. L’Australie et les États-Unis semblent exprimer des doutes
quant au fait que l’Assemblée générale porte un réel intérêt à l’objet de sa
demande et que l’avis sollicité lui serait utile.
2.6 Ce n’est, toutefois, pas la position de la Chine, de la Fédération de Russie et
de la Corée du Sud. Chacun de ces États reconnaît que l’Assemblée générale joue
un rôle clé en matière de décolonisation et que les questions posées par la
résolution 71/292 font clairement partie de son mandat. Aucun de ces trois États
n’a invité la Cour à s’abstenir de rendre l’avis demandé. Dans le même temps,
chacun a prié la Cour d’agir avec une certaine prudence quant à sa manière de
procéder. Maurice est sensible à ces points de vue et considère qu’ils méritent une
attention sérieuse, sans qu’ils empêchent la Cour de répondre de manière
complète aux deux questions.
2.7 La Fédération de Russie reconnaît que ‘‘l’autodétermination dans le cadre de
la décolonisation est fermement établie comme faisant partie du mandat de
l’Assemblée générale de l’ONU’’,102 et que ‘‘le processus de décolonisation peut
présenter un intérêt pour l’Assemblée générale en tant qu’institution, vu son
mandat et ses activités dans ce domaine.’’103 La Fédération de Russie reconnaît que
l’avis consultatif peut être rendu si ‘‘[l]’objet de la demande est … d’obtenir de la
Cour un avis que l’Assemblée générale estime utile pour qu’elle puisse s’acquitter
comme il convient de ses fonctions relatives à la décolonisation du territoire.’’104
102 Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 22. (“self-determination in the decolonization context is firmly
established as part of the mandate of the UN General Assembly”).
103 Ibid., par. 25. (“the General Assembly may have an institutional interest in the decolonization process given its
mandate and activities in this sphere.”)
104 Ibid., par. 24. (“[t]he object of the request is to… obtain from the Court an opinion which the General Assembly
deems of assistance to it for the proper exercise of its functions concerning the decolonization of the territory.”)
31
2.8 La Chine convient que ‘‘[l]a Cour, en tant qu’organe judiciaire principal des
Nations Unies, a traité de questions liées à la décolonisation et à
l’autodétermination en plusieurs occasions, et a joué un rôle important dans
l’exercice des fonctions des Nations Unies en matière de décolonisation.’’105 La
Corée du Sud est également d’accord sur le fait que ‘‘l’Assemblée générale est
habilitée à demander un avis consultatif de la Cour sur des questions concernant le
processus de décolonisation … Refuser à l’Assemblée générale la compétence de
demander un avis de la Cour sur de telles questions irait à l’encontre de principes
bien établis et d’une pratique judiciaire de longue date.’’106
2.9 Dans le même temps, ces trois États ont invité la Cour à faire preuve de
prudence en veillant à ce que des différends purement bilatéraux – qui ne
concernent pas la décolonisation, comme en l’espèce – ne soient pas traités par la
Cour par voie de procédure consultative. Comme l’a fait ressortir la Fédération de
Russie, ‘‘Le mandat de l’Assemblée générale des Nations Unies … n’englobe pas des
questions relatives au statut juridique des territoires, sauf celles liées à la
compétence de l’Assemblée générale en ce qui concerne le régime de tutelle et les
questions connexes du système des mandats.’’107 La Cour ne devrait pas, par
conséquent, rendre un avis consultatif sur une question ne relevant pas du mandat
de l’Assemblée générale et qui ‘‘se rattache à un conflit territorial, au sens propre
du terme, entre les États intéressés’’,108 pour lequel ‘‘le consentement d’un État au
règlement d’[un tel] conflit … est toujours nécessaire.’’109
105 Exposé écrit de la Chine, par. 9. (“[t]he Court, as the principal judicial organ of the United Nations, has dealt with
issues related to decolonization and self-determination on a number of occasions, and played an important role in
the performance of the United Nations’ function of decolonization.”)
106 Exposé écrit de la République de Corée, par. 6. (“the General Assembly is entitled to request an advisory opinion
from the Court on issues relating to the process of decolonization. … To deny the General Assembly the competence
to request an opinion of the Court on such matters would run against well-established principles and long-standing
judicial practice.”)
107 Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 5. (“The mandate of the United Nations General Assembly… does
not encompass questions concerning legal status of territories, with exception related to the powers of the Assembly
with respect to the Trusteeship system and related issues of the mandate system.”)
108 Ibid., par. 32 (citant l’avis consultatif sur le Sahara occidental, C.I.J. Recueil 1975 (ci-après “Sahara occidental (avis
consultatif)”), p. 12, par. 43).
109 Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 32. (“the consent of a State to adjudication of [such a] dispute … is
always necessary.”)
32
2.10 De même, la Chine considère que ‘‘tout en donnant un avis juridique afin
d’aider l’Assemblée générale à s’acquitter de ses fonctions en matière de
décolonisation, la Cour devrait continuer à respecter et appliquer le principe du
consentement dans le cas d’un différend purement bilatéral, assurant ainsi que son
avis n’aurait pas pour effet de contourner ou de compromettre ce principe.’’110
Dans le même sens, la Corée du Sud fait observer ‘‘qu’il est nécessaire dans le cadre
d’une procédure consultative d’examiner attentivement l’opportunité de donner
un avis consultatif lorsqu’il existe la possibilité d’enfreindre ou de contourner le
principe du consentement à un règlement judiciaire.’’111
2.11 Maurice prend acte de la préoccupation légitime de ces trois États quant à la
création d’un précédent qui permettrait à des États voisins d’utiliser une procédure
consultative pour régler des ‘‘différends purement bilatéraux’’ sur la souveraineté
territoriale. Tous ces États ont de tels différends avec des États voisins, et aucun
d’entre eux n’a consenti à ce que ces différends soient réglés par la Cour ou tout
autre tribunal international. Selon Maurice (et pour reprendre ce qu’a dit la
Fédération de Russie), ce sont ‘‘des différends territoriaux, au sens propre, entre
des États intéressés,’’ ou ‘‘des différends purement bilatéraux’’ (selon la Chine).
Maurice convient que ces différends ne peuvent faire l’objet de procédures
consultatives. Maurice est aussi d’avis que, pour les raisons exposées ci-après, les
questions posées par l’Assemblée générale en l’espèce ne concernent pas ‘‘un
différend territorial’’ ou un ‘‘différend purement bilatéral’’.
2.12 L’Allemagne a exprimé une préoccupation différente concernant
l’élargissement de la juridiction consultative de la Cour. Même si elle a apporté
expressément son soutien à ce que la Cour rende l’avis consultatif demandé en
l’espèce, elle a proposé que dans sa réponse à la deuxième question, la Cour se
limite aux conséquences juridiques pour l’Assemblée générale et évite de préciser
110 Exposé écrit de la Chine, par. 18 (sans italique dans l’original). (“[w]hile providing legal guidance to assist the
General Assembly in fulfilling its function of decolonization, the Court should continue to uphold and respect the
principle of consent when a purely bilateral dispute is involved, thus to ensure that its opinion should not have the
effect of circumventing or prejudicing this principle.”)
111 Exposé écrit de la République de Corée, par. 12. (“it is necessary in the advisory proceedings to carefully examine
the propriety of giving an advisory opinion when one sees the possibility of infringing upon or circumventing the
principle of consent to judicial settlement.”)
33
les conséquences juridiques pour les États à titre individuel. Maurice traitera de cet
argument au chapitre 4, étant donné qu’il concerne la manière dont la Cour devrait
répondre à la deuxième question.
2.13 Maurice a pris bonne note de tous les exposés écrits, à savoir ceux des quatre
États qui ont exprimé des préoccupations sans s’opposer à ce que la Cour rende un
avis consultatif et des six États qui s’opposent à ce qu’un avis consultatif soit rendu
aussi bien que ceux présentés par l’Union africaine et les vingt autres États qui
soutiennent expressément le fait qu’un avis consultatif soit rendu. Maurice
convient qu’une procédure consultative ne devrait pas servir de prétexte pour
porter des différends purement bilatéraux devant la Cour, notamment des
différends bilatéraux concernant la souveraineté territoriale. Cependant, Maurice
n’a aucun doute que la Cour peut rendre un avis qui répond aux questions de
l’Assemblée générale sur la décolonisation et l’autodétermination et peut, dans sa
réponse à la deuxième question, préciser les conséquences juridiques pour les États
membres aussi bien que pour l’Assemblée générale sans compromettre le principe
selon lequel des différends bilatéraux ne peuvent être tranchés qu’avec le
consentement des parties.
2.14 Comme expliqué en détail ci-après, cela est dû au fait que la question
soumise à la Cour par l’Assemblée générale n’est pas, comme le prétend la
puissance administrante, un différend bilatéral sur la souveraineté territoriale.
Cette affaire concerne la décolonisation et l’autodétermination, et les questions
posées à la Cour portent directement et exclusivement sur ces sujets qui relèvent
clairement de la ‘‘compétence’’ de l’Assemblée générale et ‘‘sont fermement
établies comme faisant partie de son mandat’’, pour citer respectivement
l’Allemagne et la Fédération de Russie.112 Comme la Chine l’a relevé à juste titre, la
Cour a déjà rendu des avis consultatifs sur ces questions et, ce faisant, a ‘‘joué un
rôle important dans l’exercice de la compétence des Nations Unies en matière de
décolonisation.’’113
112 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 48; Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 22 (“are firmly established as
part of the mandate” [of, the General Assembly]).
113 Exposé écrit de la Chine, par. 9. (“played an important role in the performance of the United Nations’ function of
decolonization.”)
34
2.15 Les exposés écrits ont été utiles pour clarifier ces questions et en particulier
le lien entre la décolonisation et un différend purement bilatéral sur les droits
territoriaux. La décolonisation implique nécessairement au moins deux parties (la
puissance administrante et l’ancienne colonie) avec des intérêts directs dans une
zone territoriale définie (l’entité qui est l’objet du processus de décolonisation).
Mais ces seuls facteurs, comme la Fédération de Russie le souligne à juste titre en
se référant à l’affaire du Sahara occidental, ne font pas d’une question de
décolonisation ou d’autodétermination dans le cadre de la décolonisation ‘‘un
conflit territorial, au sens propre du terme.’’114
2.16 Contrairement à ‘‘un conflit territorial, au sens propre du terme,’’ ou, comme
le dit la Chine, ‘‘un différend [territorial] purement bilatéral’’115, il n’y a, en l’espèce,
aucun différend autonome sur le titre juridique sur le territoire. Au contraire, dans
le cadre de la présente procédure, la souveraineté sur l’Archipel des Chagos est
exclusivement dérivée de la question de savoir si la décolonisation a ou non été
validement menée à bien, y est subordonnée et en dépend. Il n’existe aucun
différend distinct que la Cour devra régler en se référant au droit applicable en
matière de souveraineté territoriale. La Cour est uniquement appelée à déterminer
si la décolonisation a été validement menée à bien, et les conséquences juridiques
de la réponse à cette question.
2.17 Contrairement à un différend entre deux États sur le titre à un territoire ou
une formation insulaire contestée, la dimension territoriale en l’espèce sera
pleinement résolue en se référant aux règles du droit international en matière de
décolonisation et d’autodétermination. La Cour n’est, par exemple, pas appelée à
traiter du droit relatif à l’acquisition d’un titre sur un territoire. Au contraire, dans
cette affaire de décolonisation en particulier, la réalisation complète et licite du
processus de décolonisation mettra fin en soi aux questions relatives à la
souveraineté territoriale. En un mot, si la Cour détermine que la décolonisation n’a
pas été validement menée à bien, et que la conséquence juridique en est qu’elle
devra être menée à bien, aucune autre question de titre sur le territoire ne se
114 Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 32 (citant Sahara occidental (avis consultatif), p. 12, par. 43).
115 Exposé écrit de la Chine, par. 18. (“purely bilateral [territorial] dispute”).
35
posera. De même, si la Cour détermine que la décolonisation a été validement
menée à bien en 1968 lorsque Maurice est devenu indépendante, en dépit du
détachement de l’Archipel, il n’y aura pas davantage de problème de titre sur le
territoire à résoudre.
2.18 Outre les préoccupations qu’ils ont exprimées concernant le principe du
consentement, certains des États s’opposant à ce qu’un avis consultatif soit rendu
soutiennent que :
les réponses de la Cour aux questions posées par la résolution 71/292
ne seront pas utiles à l’Assemblée générale dans l’exercice de ses
fonctions, puisqu’elle n’a aucun intérêt réel ou actuel dans les
questions soulevées (Australie et États-Unis);116
les questions requièrent que la Cour traite de faits volumineux et
complexes qui ne se prêtent pas à une détermination dans le cadre de
la procédure condensée qu’est l’exercice de la compétence
consultative de la Cour (Royaume-Uni, Australie et Israël);117 et,
le principe de l’autorité de la chose jugée ne permet pas à la Cour de
rendre un avis consultatif parce qu’elle rouvrirait des questions qui ont
déjà été réglées dans le cadre de l’Arbitrage concernant l’aire marine
protégée des Chagos (Royaume-Uni, Australie, et France).118
2.19 Maurice considère chacune de ces préoccupations comme étant non fondée,
et y répondra dans la section II du présent chapitre.
116 Exposé écrit de l’Australie, par. 31 b); Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, par. 3.23.
117 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 7.11, 7.18 f); Exposé écrit de l’Australie, par. 31 c); Exposé de l’État d’Israël,
par. 3.1.
118 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 7.11, 9.5; Exposé écrit de l’Australie, par. 39; Exposé écrit de la République
française, par. 17.
36
I. La Cour a compétence pour donner l’avis consultatif demandé
par l’Assemblée générale dans la résolution 71/292
2.20 Dans son exposé écrit, Maurice a démontré qu’en l’espèce, les deux
conditions pour l’exercice de la juridiction consultative en vertu de l’article 65,
paragraphe 1 du Statut de la Cour sont remplies.119 Plus précisément, la demande
a été valablement adoptée par l’Assemblée générale, en tant qu’organe dûment
autorisé agissant dans les limites de ses compétences et soulevant des questions
relevant directement de son mandat en matière de décolonisation et elle porte sur
des questions de caractère juridique.120
2.21 Comme indiqué ci-dessus, l’Australie est le seul État à parvenir à une
conclusion différente. Elle ne conteste pas le fait que la demande a été valablement
adoptée par l’Assemblée générale dans le cadre de son mandat en matière de
décolonisation. Elle ne conteste pas non plus que la demande soulève des
questions de caractère juridique. Son seul argument est que les questions
juridiques posées à la Cour ‘‘ne soulèvent pas – et, en fait, occultent – la véritable
question de droit international par rapport à l’Archipel des Chagos pour laquelle
une réponse est demandée.’’121 L’Australie soutient que bien que ces questions
‘‘concernent ostensiblement la décolonisation, leur véritable objectif et effet est
de solliciter le règlement d’une question de souveraineté par la Cour.’’122 Selon
l’Australie, ‘‘[c]’est une question de compétence’’, puisque l’avis demandé est une
‘‘couverture’’ pour d’autres questions.123
2.22 En plus du fait qu’il n’est soutenu par aucun autre État, cet argument n’est
pas convaincant. L’Australie lit dans les questions de l’Assemblée générale sa
propre interprétation subjective des ‘‘questions réelles’’ soulevées par la demande
et accuse l’Assemblée générale de malhonnêteté en soumettant à la Cour une
119 Exposé écrit de Maurice, pars. 5.2-5.17.
120 Ibid.
121 Exposé écrit de l’Australie, par. 21 (sans italique dans l’original). (“do not raise – and, in fact, obscure – the real
issue of international law with respect to the Chagos Archipelago for which an answer is sought.”)
122 Ibid. (“ostensibly concern decolonisation, their true purpose and effect is to seek the Court’s adjudication over a
question of sovereignty.”)
123 Exposé écrit de l’Australie, par. 24. (“[t]his point is jurisdictional,” [because the opinion sought is a] “proxy” [for
other issues.])
37
‘‘question de couverture’’ pour ses ‘‘véritables’’ questions. Pourtant le libellé des
questions soumises à la Cour indique clairement qu’elles appellent des réponses
quant à savoir si la décolonisation a été validement menée à bien en ce qui
concerne Maurice, et quelles conséquences juridiques en découlent si elle n’a pas
été validement menée à bien. Et en effet, c’est ainsi que ces questions ont été
comprises dans la très grande majorité des exposés écrits.124 Le sens ordinaire de
ces questions est concluant et il faut lui donner effet.125
2.23 La Cour a également indiqué que ‘‘[l]orsqu’elle examine quelles sont
‘véritablement les questions’ soulevées, la Cour doit … tenir compte … des
intentions de l’organe demandeur telles qu’elles se dégagent des comptes rendus
des débats dont elle dispose et qui ont conduit à la décision de demander l’avis.’’126
Selon le compte rendu des débats qui ont conduit à la décision de demander un
avis consultatif, l’objectif était d’obtenir un avis de la Cour afin d’aider l’Assemblée
générale à exercer ses fonctions liées à la décolonisation dans le cadre de la Charte
des Nations Unies, et non pour une autre raison. Cela ressort clairement des
nombreuses déclarations faites lors de la présentation du projet de résolution de
l’Assemblée générale, y compris par la République du Congo.127 La demande fut
soutenue par un grand nombre d’États, et il n’appartient pas à l’Australie de
substituer son opinion à celle des autres.
124 Voir généralement, par exemple, l’exposé écrit de l’Union africaine; l’exposé écrit de la République argentine;
l’exposé écrit du Brésil; l’exposé écrit de Chypre; l’exposé écrit de Djibouti; l’exposé écrit du Guatemala; l’exposé
écrit du Liechtenstein; les observations écrites des Îles Marshall; l’exposé écrit de la Namibie; l’exposé écrit du Niger;
l’exposé écrit de la Serbie; l’exposé écrit de l’Afrique du Sud.
125 Voir, par exemple, Service postal polonais à Dantzig, avis consultatif, 1925, C.P.I.J. Série B, No 11, p. 39 (“C’est un
principe fondamental d’interprétation que les mots doivent être interprétés selon le sens qu’ils auraient
normalement dans leur contexte, à moins que l’interprétation ainsi donnée ne conduise à des résultats
déraisonnables ou absurdes.”); Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance
relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (ci-après “Déclaration unilatérale d’indépendance relative au
Kosovo (avis consultatif)”), p. 417, par. 33; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996 (ci-après “Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (avis consultatif)”), p. 237,
par. 16; Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil (ci-après
“Accord entre l’OMS et l’Egypte (avis consultatif)”), p. 87, par. 33.
126 Demande de réformation du jugement no 333 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1987, p. 42, par. 44 (sans italique dans l’original).
127 Exposé écrit de Maurice, pars. 1.20-1.26.
38
2.24 La Cour a clairement compétence pour donner l’avis consultatif demandé par
l’Assemblée générale dans la résolution 71/292.
II. Il n’existe aucune raison décisive pour que la Cour refuse de donner l’avis
consultatif qui a été demandé
2.25 Dans la présente section, Maurice répondra à certaines préoccupations
soulevées dans certains exposés écrits et démontrera que : 1) rendre un avis
consultatif en l’espèce ne contournerait pas le principe du consentement au
règlement judiciaire ; 2) les réponses de la Cour aux questions posées par la
résolution 71/292 aideraient l’Assemblée générale à s’acquitter de ses fonctions
liées à la décolonisation de Maurice; 3) les questions soumises à la Cour
n’impliquent pas des faits volumineux et complexes qui ne pourraient pas être
établis dans le cadre de la procédure consultative ; et 4) le principe de l’autorité de
la chose jugée ne s’applique pas en l’espèce.
A. LA DEMANDE NE CONCERNE PAS UN DIFFÉREND PUREMENT BILATÉRAL, ET
UNE RÉPONSE COMPLÈTE AUX DEUX QUESTIONS NE CONTOURNERAIT PAS
LE PRINCIPE DU CONSENTEMENT AU RÈGLEMENT DE TELS DIFFÉRENDS
2.26 Dans son exposé écrit, Maurice a indiqué que dans les affaires du Sahara
occidental et du Mur, la Cour a décidé que le ‘‘principe du consentement à un
règlement judiciaire n’est pas contourné si i) l’avis consultatif est demandé par
rapport à des questions se situant dans un cadre bien plus large que celui d’un
différend bilatéral; et ii) l’objet de la requête est d’obtenir de la Cour un avis que
l’Assemblée générale estime utile pour pouvoir exercer ses fonctions’’.128
2.27 En s’appuyant sur ce double critère, l’exposé écrit de Maurice a démontré
que la Cour devrait donner l’avis consultatif demandé, étant donné que i) les
128 Voir ibid., par. 5.29 (citant Sahara occidental (avis consultatif), p. 26-27, pars. 38-39); Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (ci-après (“Édification
d’un mur (avis consultatif)”), p. 159, par. 50. (“the principle of consent to judicial settlement is not circumvented if:
(i) the advisory opinion is requested on questions located in a broader frame of reference than a bilateral dispute;
and (ii) the object of the request is to obtain from the Court an opinion which the General Assembly deems of
assistance for the proper exercise of its functions”).
39
questions de l’Assemblée générale concernent la décolonisation d’un territoire qui
constitue un prédicat entraînant des obligations ayant un caractère erga omnes,
relève clairement du mandat de l’Assemblée générale, et n’est pas un différend
territorial bilatéral ; et ii) l’objet de la requête est d’obtenir de la Cour un avis que
l’Assemblée générale estime important pour lui permettre de remplir son mandat
par rapport à la réalisation complète du processus de décolonisation.129
2.28 Le Royaume-Uni, l’Australie, le Chili, Israël, la France et les États-Unis ont
exprimé une opinion minoritaire en sens contraire. Ce faisant, ils n’ont pas examiné
la relation entre la décolonisation, qui relève de la fonction consultative de la Cour,
et un différend territorial purement bilatéral, qui ne relève pas d’une telle fonction.
2.29 Une très grande majorité des exposés écrits appuient les conclusions de
Maurice:130
Au nom de ses 55 États membres, l’Union africaine fait observer que
‘‘l’avis consultatif est demandé par rapport à des questions qui
intéressent tout particulièrement les Nations Unies et s’inscrivent
dans un cadre bien plus large que celui d’un simple différend
bilatéral’’,131 et souligne que l’objet de la requête ‘‘est d’obtenir de la
Cour un avis que l’Assemblée [générale] estime utile pour exercer
comme il convient ses fonctions’’.132
L’Argentine note que ‘‘la question du détachement de l’Archipel des
Chagos de Maurice est une question de décolonisation … qui relève de
129 Exposé écrit de Maurice, pars. 5.18-5.27. Voir aussi Sahara occidental (avis consultatif), p. 27, par. 39; Réserves à
la Convention sur le Génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 19 (“L’objet de la présente demande d’avis est
d’éclairer les Nations Unies dans leur action propre.”)
130 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Union africaine; l’exposé écrit de la République argentine; l’exposé écrit du
Brésil; l’exposé écrit de Chypre; l’exposé écrit de Djibouti; l’exposé écrit du Guatemala; l’exposé écrit du
Liechtenstein; les observations écrites des Îles Marshall; l’exposé écrit de la Namibie; l’exposé écrit du Niger; l’exposé
écrit de la Serbie; l’exposé écrit de l’Afrique du Sud.
131 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 31. (“[t]he advisory opinion is requested on questions which are of particular
concern to the United Nations, and which belong to a broader frame of reference than a simple bilateral dispute”).
132 Ibid., par. 30 (“is to obtain from the Court an opinion, which the [General] Assembly deems of assistance to it for
the proper exercise of its functions”).
40
la compétence de l’Assemblée générale,133 et ne concerne pas une
question ayant un caractère purement bilatéral parce que la
décolonisation ‘‘est une question d’intérêt international.’’134
Pour le Brésil, la requête de l’Assemblée générale ‘‘dépasse le cadre
de toute relation bilatérale, étant donné qu’elle traite de questions qui
‘intéressent directement les Nations Unies.’’’135 Elle concerne la mise
en oeuvre du ‘’droit des peuples à l’autodétermination dans un
contexte colonial’’, une ‘‘obligation erga omnes []… qui s’applique à
tous et à la communauté internationale dans son ensemble.’’136
Chypre conclut que ‘‘la question qui fait l’objet de la présente
demande d’avis consultatif ne peut être considérée seulement comme
une question bilatérale entre Maurice et le Royaume-Uni.’’137 Cela est
dû au fait que ‘‘les questions ayant trait à la décolonisation sont des
sujets appropriés pour un avis consultatif, étant donné le rôle crucial
de l’Assemblée générale dans ce processus, le caractère de jus cogens
de l’autodétermination, et le caractère erga omnes des obligations
relatives à la décolonisation.’’138
Djibouti conclut que ‘‘la question qui fait l’objet de la requête dont la
Cour est saisie concerne le ‘droit des peuples à disposer d’eux-mêmes’
qui ‘est un droit opposable erga omnes’, comme constaté par cette
133 Exposé écrit de la République argentine, pars. 11, 23. (“the question of the separation of the Chagos Archipelago
from Mauritius is a matter of decolonization… fall[ing] within the powers of the General Assembly”).
134 Ibid., par. 29. (“constitutes a matter of international concern.”)
135 Exposé écrit du Brésil, par. 12 (citant Édification d’un mur (avis consultatif), p. 158-159, par. 49). (“transcends the
realm of any bilateral relationship, as it deals with matters that are ‘directly of concern to the United Nations.’”)
136 Exposé écrit du Brésil, par. 12 (citant Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995 (ci-après
“Timor oriental, arrêt”), p. 102, par. 29). (“the right of peoples to self-determination in colonial contexts”, an “erga
omnes obligation[]… owed to all, and to the international community as a whole.”)
137 Exposé écrit de Chypre, par. 26. (“the subject-matter of the present request for an advisory opinion cannot be
regarded as a purely bilateral matter between Mauritius and the United Kingdom.”)
138 Ibid. (“[m]atters pertaining to decolonization are proper subjects for an advisory opinion, given the critical role of
the General Assembly in this process, the jus cogens nature of self-determination, and the erga omnes nature of the
obligations with respect to decolonization.”)
41
Cour’’.139 Par conséquent, les questions soulevées par la demande de
l’Assemblée générale ‘‘ne peuvent pas être considérées seulement
comme une question bilatérale’’, mais intéressent la communauté
internationale dans son ensemble.’’140
Le Guatemala conclut que la présente procédure concerne la
décolonisation, une question juridique – comme d’autres dans le
passé – qui ‘‘se situe dans un cadre bien plus large que celui du
règlement d’un différend particulier et englobe d’autres éléments.’’141
Le Liechtenstein note que les questions posées par l’Assemblée
générale soulèvent ‘‘des enjeux importants concernant le droit à
l’autodétermination,’’142 et que ‘‘même s’il y a un aspect bilatéral
sous-jacent à la question qui est posée à la Cour, la jurisprudence
indique clairement qu’elle devrait rendre un avis consultatif si la
question est ‘regardée comme intéressant directement l’Organisation
des Nations Unies.’’’143 En l’espèce, ‘‘la requête concerne la
décolonisation, une question qui relève de la compétence de base de
l’Assemblée générale.’’144
Les Îles Marshall affirment que les questions n’ont pas ‘‘une
dimension purement bilatérale’’ étant donné qu’elles se situent dans
‘‘un cadre beaucoup plus large’’ englobant ‘‘les aspects multilatéraux
de la décolonisation’’, qui ‘‘présente un intérêt plus général pour les
139 Exposé écrit de Djibouti, par. 22 (citant Timor oriental, arrêt, p. 102, par. 29). (“the subject matter of the request
before the Court concerns the ‘right of peoples to self-determination’, which this Court has found ‘has an erga omnes
character’”).
140 Exposé écrit de Djibouti, par. 22 (citant Édification d’un mur (avis consultatif), par. 49). (“cannot ‘be regarded as
only a bilateral matter’, but [are] instead of concern to the international community as a whole.”)
141 Exposé écrit du Guatemala, par. 25. (“located in a broader frame of reference than the settlement of a particular
dispute and embrace other elements.”)
142 Exposé écrit du Liechtenstein, par. 16. (“important issues relating to the right to self-determination,”)
143 Ibid. (citant Édification d’un mur (avis consultatif), p. 159, par. 49). (“[e]ven if there is an underlying bilateral
aspect to a question that is posed to the Court, the jurisprudence is clear that it should still issue an Advisory Opinion
if the matter is ‘deemed to be directly of concern to the United Nations.’”)
144 Exposé écrit du Liechtenstein, par. 16. (“the request concerns decolonization, a matter that falls within the core
competence of the General Assembly.”)
42
Nations Unies, en particulier pour ‘’les questions et les points
pertinents à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations
Unies’’.145
La Namibie note que ‘‘les questions posées à la Cour se situent dans
un ‘cadre bien plus large que le règlement d’un différend particulier’’’
parce qu’elles concernent la décolonisation. Ce sujet ‘‘relève de la
compétence de l’Assemblée générale des Nations Unies’’ et concerne
‘‘toute la communauté internationale.’’146
Le Niger note qu’étant donné que les questions posées à la Cour
concernent la décolonisation, elles se situent ‘‘‘dans un cadre plus
large que celui d’un règlement d’un différend particulier’’’ et
‘‘intéressent directement l’Organisation des Nations Unies’.’’147
La Serbie affirme que ‘‘les questions liées à la décolonisation ne
peuvent être traitées comme étant d’intérêt bilatéral, mais présentent
un intérêt pour toute la communauté internationale’’ ;148 même si
‘‘[t]ous les différends de ce genre ont une dimension bilatérale’’,
‘‘celui-ci n’est pas un différend purement bilatéral’’ parce qu’il
concerne la ‘‘communauté internationale dans son ensemble.’’149
2.30 Ces exposés écrits, et la grande majorité des exposés écrits, reconnaissent à
juste titre que les questions juridiques découlant du processus de décolonisation
relèvent du mandat des Nations Unies et de l’Assemblée générale parce qu’elles
145 Observations écrites des Îles Marshall, par. 15. (“a purely bilateral dimension” [because they are situated in] “a
much wider framework” [relating to] “multilateral aspects of decolonization”, [which] “is of more general interest
to the United Nations and in particular “to relevant issues and agenda items within the UN General Assembly”.)
146 Exposé écrit de la République de la Namibie (1er mars 2018), p. 2. (“the questions addressed to the Court are
located in a ‘broader frame of reference than the settlement of a particular dispute’” [because they concern
decolonisation. This matter] “fall[s] within the competence of the UNGA” [and concerns] “the entire international
community”).
147 Exposé écrit du Niger, p. 2 (citant Sahara occidental (avis consultatif)).
148 Exposé écrit de la Serbie, par. 25. (“[t]he issues connected with decolonization could not be treated as of a
bilateral concern, but as of concern for the whole international community”).
149 Ibid., par. 26. (“[a]ll disputes of this kind have a bilateral dimension”, “this is not a purely bilateral dispute”
[because it concerns the] “international community as a whole.”)
43
intéressent la communauté internationale dans son ensemble. Elles présentent
inévitablement un aspect bilatéral, en raison de la relation entre la puissance
administrante et le territoire non autonome. Mais cet aspect n’est pas déterminant
et ne donne lieu à aucun différend purement bilatéral pour deux
raisons impérieuses:
Premièrement, le droit à l’autodétermination dans le cadre de la
décolonisation a créé des obligations erga omnes pour le
Royaume-Uni, en tant que puissance administrante, à l’égard de la
communauté internationale dans son ensemble;150
Deuxièmement, la décolonisation relève du mandat de l’Assemblée
générale et intéresse directement les Nations Unies, compte tenu de
leur objectif déclaré de mettre fin au colonialisme. Les questions de
l’Assemblée générale traduisent la nécessité pour l’organe demandeur
d’obtenir un avis consultatif de la Cour pour qu’il puisse exercer
comme il convient ses fonctions relatives à la décolonisation du
territoire.
2.31 La grande majorité des exposés écrits conclut à juste titre que la réponse de
la Cour aux questions de l’Assemblée générale ne contournerait pas le principe du
consentement. L’obligation à l’égard de la communauté internationale prédomine
tout aspect bilatéral et celui-ci ne pourrait prévaloir sur celle-là.
2.32 Cette proposition transparaît dans la jurisprudence de la Cour. Celle-ci
confirme que, même lorsque l’objet d’une requête peut être considéré comme
150 Voir Édification d’un mur (avis consultatif), p. 199, par. 156 (rappelant que “‘[t]out État a le devoir de favoriser,
conjointement avec d’autres États ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de
leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations
Unies à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce principe’”).
Voir aussi ibid., p. 199, par. 155 (“La Cour observera à cet égard qu’au rang des obligations internationales violées
par Israël figurent des obligations erga omnes. Comme la Cour l’a précisé dans l’affaire Barcelona Traction, de telles
obligations, par leur nature même, ‘concernent tous les États’ et, ‘[v]u l’importance des droits en question, tous les
États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés’. … Les
obligations erga omnes violées par Israël sont l’obligation de respecter le droit du peuple palestinien à
l’autodétermination ainsi que certaines des obligations qui sont les siennes en vertu du droit international
humanitaire.”) (italiques dans l’original; soulignement ajouté).
44
ayant un élément bilatéral, ce seul fait n’empêcherait pas la Cour d’exercer sa
juridiction consultative lorsque la question dont la Cour est saisie se situe dans
cadre bien plus large concernant une obligation due à la communauté
internationale dans son ensemble et relevant du mandat de l’organe demandeur.
Cela ressort, par exemple, des affaires du Mur et du Sahara occidental. La ratio
decidendi de ces décisions a été ignorée et présentée de façon erronée dans les
quelques exposés écrits qui ont invité la Cour à ne pas exercer sa compétence en
l’espèce.
2.33 Dans l’affaire du Mur, la question posée par l’Assemblée générale à la Cour
concernait les conséquences juridiques découlant de l’édification du mur construit
par Israël, la puissance occupante, dans le territoire palestinien occupé. Israël
soutenait que ‘‘l’objet de la question posée par l’Assemblée générale [faisait] partie
intégrante du différend israélo-palestinien plus large qui concerne des questions
liées au terrorisme, à la sécurité, aux frontières, aux colonies de peuplement, à
Jérusalem et à d’autres questions connexes’.’’151 Selon Israël, le différend bilatéral
impliquait aussi des affirmations selon lesquelles l’édification du mur ‘‘‘est une
tentative d’annexion du territoire [en Cisjordanie] qui constitue une transgression
du droit international’, et que ‘l’annexion de facto de terres constitue une atteinte
à la souveraineté territoriale et en conséquence au droit des Palestiniens à
l’autodétermination’.’’152 Israël avait souligné qu’il n’avait jamais consenti à ce que
son différend bilatéral avec la Palestine soit réglé par la Cour ou par d’autres formes
de compétence obligatoire.153 Par conséquent, Israël avait soutenu que la Cour
devrait refuser de donner un avis consultatif parce que ‘‘la réponse à la question
soumise à la Cour serait essentiellement équivalente à se prononcer’’ sur les divers
aspects du conflit israélo-palestinien.154
2.34 Le Royaume-Uni soutenait également que l’édification du mur avait ‘‘sans
aucun doute donné lieu à un différend bilatéral entre Israël et la Palestine’’, ‘‘le
151 Édification d’un mur (avis consultatif), p. 157, par. 46.
152 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, Exposé écrit du
Gouvernement d’Israël sur la compétence de la Cour et l’opportunité pour elle de répondre au fond de la requête
(30 janvier 2004), par. 7.6.
153 Ibid., pars. 7.11-7.15.
154 Ibid., par. 7.9.
45
titre au territoire ayant été identifié comme une préoccupation principale’’;155 en
conséquence la Cour devrait refuser d’exercer sa compétence. Le Royaume-Uni
affirmait, comme en l’espèce, que répondre à la question posée à la Cour
‘‘équivaudrait à se prononcer sur une question dans un différend bilatéral,
contournant ainsi l’exigence du consentement à la compétence contentieuse.’’156
2.35 La Cour a rejeté les arguments présentés par Israël et le Royaume-Uni. Tout
en ‘‘pren[ant] acte du fait qu’Israël et la Palestine ont exprimé des vues
radicalement opposées sur les conséquences juridiques de l’édification du mur, sur
lesquelles la Cour a été priée de se prononcer’’,157 la Cour a souligné que l’objet de
la requête de l’Assemblée générale ne pouvait pas ‘‘être considéré seulement
comme une question bilatérale entre Israël et la Palestine.’’158 La Cour a expliqué
que ‘‘compte tenu des pouvoirs et responsabilités de l’Organisation des Nations
Unies à l’égard des questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité
internationales, la Cour est d’avis que la construction du mur doit être regardée
comme intéressant directement l’Organisation des Nations Unies.’’159 Pour cette
raison, la Cour conclut que :
L’objet de la requête dont la Cour est saisie est d’obtenir de celle-ci un avis
que l’Assemblée générale estime utile pour exercer comme il convient ses
fonctions. L’avis est demandé à l’égard d’une question qui intéresse tout
particulièrement les Nations Unies, et qui s’inscrit dans un cadre beaucoup
plus large que celui d’un différend bilatéral. Dans ces conditions, la Cour
estime que rendre un avis n’aurait pas pour effet de tourner le principe du
consentement au règlement judiciaire et qu’elle ne saurait dès lors, dans
l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un avis pour ce
motif.160
155 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (Demande d’un avis
consultatif par l’Assemblée générale), Exposé écrit du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (janvier
2004), p. 21, par. 3.32.
156 Ibid., p. 21, par. 3.31.
157 Édification d’un mur (avis consultatif), p. 158, par. 48.
158 Ibid., p. 158-159, par. 49.
159 Ibid., p. 159, par. 49.
160 Ibid., p. 159, par. 50 (sans soulignement dans l’original).
46
2.36 Aucun juge n’a exprimé une opinion divergente à l’égard de cet aspect de la
décision de la Cour.161
2.37 L’affaire du Mur appuie clairement la proposition selon laquelle l’existence
d’un différend bilatéral ne suffit pas à elle seule à empêcher la Cour de donner un
avis consultatif sur des questions qui se situent dans un cadre de référence plus
large touchant aux préoccupations de la communauté internationale. C’est
précisément cette question que le juge Kooijmans a abordée dans son opinion
individuelle. Il a relevé qu’‘‘[u]ne situation qui présente un intérêt légitime pour la
communauté internationale organisée et un différend bilatéral relatif à cette
même situation peuvent exister en même temps.’’162 Cependant, ‘‘[l]’existence du
différend ne peut priver les organes de la communauté organisée de la compétence
qui leur a été conférée par leurs actes constitutifs.’’163 Rendre un avis dans de telles
circonstances ‘‘n’aurait par conséquent pas pour effet, de la part de la Cour, de
tourner le principe du consentement au règlement judiciaire d’un différend
bilatéral qui existe simultanément.’’164
2.38 La même conclusion s’impose dans le cas présent. Ni le Royaume-Uni ni
aucun autre État qui a demandé à la Cour de refuser d’exercer sa compétence n’a
donné aucune raison pour laquelle le raisonnement de la Cour dans l’affaire du Mur
ne devrait pas s’appliquer à la présente requête de l’Assemblée générale. Ils n’ont
pas soutenu non plus que la Cour avait adopté une approche erronée dans l’affaire
du Mur et que celle-ci devrait être infirmée.
2.39 La décision de la Cour dans l’affaire du Mur était tout à fait cohérente avec
sa décision antérieure dans l’affaire du Sahara occidental. Dans ce dernier cas,
l’Assemblée générale avait, en rappelant la Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et peuples coloniaux (résolution 1514(XV)), demandé à la
161 Le juge Buergenthal fut le seul juge à se dissocier de la décision de la Cour sur la question du pouvoir
discrétionnaire, mais il l’a fait pour une raison qui n’est pas liée au principe du consentement. Selon le juge
Buergenthal, la Cour aurait dû refuser d’exercer sa compétence en raison du manque allégué de renseignements et
d’éléments de preuve nécessaires. Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
occupé, avis consultatif, Opinion individuelle du juge Buergenthal, C.I.J. Recueil 2004, p. 240.
162 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, Opinion
individuelle du juge Kooijmans, C.I.J. Recueil 2004, p. 227, par. 27.
163 Ibid.
164 Ibid.
47
Cour de donner un avis consultatif sur deux questions liées aux efforts de
décolonisation en cours par rapport au Sahara occidental, à savoir si le Sahara
occidental était terra nullius à l’époque de sa colonisation par l’Espagne et, si tel
n’était pas le cas, quels étaient les liens juridiques entre le Sahara occidental et le
Royaume du Maroc et l’entité mauritanienne.
2.40 Au moment de la demande de l’Assemblée générale, il existait un différend
entre l’Espagne et le Maroc concernant la souveraineté territoriale sur le Sahara
occidental. Comme l’a relevé la Cour, ‘‘au moment de l’adoption de la résolution
3292 (XXIX) [demandant un avis consultatif], il paraissait y avoir un différend
juridique relatif au territoire du Sahara occidental entre le Maroc et l’Espagne’’.165
La Cour ajouta que ‘‘les questions posées dans la requête pour avis peuvent être
considérées comme se rattachant à ce différend’’, et que ‘‘l’avis consultatif sollicité
dans cette résolution paraît être demandé ‘au sujet d’une question juridique
actuellement pendante entre deux ou plusieurs États.’’’166
2.41 Le différend juridique entre le Maroc et l’Espagne concernait la
revendication du Maroc sur le Sahara occidental comme faisant partie intégrante
de son territoire national.167 L’Espagne s’opposait à cette revendication ; elle refusa
de consentir à l’invitation du Maroc de soumettre le différend au jugement de la
Cour.168
165 Sahara occidental, avis consultatif, ordonnance du 22 mai 1975, C.I.J. Recueil 1975, p. 7.
166 Ibid., p. 7-8.
167 Sahara occidental (avis consultatif), p. 25, par. 34. Dans une communication adressée au Secrétaire général des
Nations Unies le 10 novembre 1958, l’Espagne déclara: “L’Espagne ne possède pas de territoires non autonomes
puisque ceux qui sont soumis à sa souveraineté en Afrique sont considérés et classés comme provinces espagnoles
conformément à la législation en vigueur.” Sahara occidental (avis consultatif), p. 25, par. 34 (citant une lettre du
Gouvernement espagnol en date du 10 novembre 1958). “Cela a amené le Gouvernement marocain à exprimer ‘ses
plus expresses réserves’ dans une communication adressée au Secrétaire général le 20 novembre 1958 où il indiquait
que le Maroc ‘revendique certains territoires africains actuellement sous contrôle espagnol comme faisant partie
intégrante du territoire national.” Sahara occidental (avis consultatif), p. 25, par. 34 (citant une lettre du
Gouvernement marocain en date du 20 novembre 1958).
168 Le 23 septembre 1974, plusieurs mois avant la demande d’avis consultatif présentée par l’Assemblée générale,
le Maroc proposa à l’Espagne de soumettre conjointement à la Cour un différend énoncé dans les termes suivants:
“Vous prétendez, Gouvernement espagnol, que le Sahara était res nullius. Vous prétendez que c’était une terre ou
un bien qui était en déshérence, vous prétendez qu’il n’y avait aucun pouvoir ni aucune administration établis sur le
Sahara; le Maroc prétend le contraire. Alors demandons l’arbitrage de la Cour internationale de Justice de La Haye
… Elle dira le droit sur titres’.” Sahara occidental (avis consultatif), p. 22, par. 26 (citant une lettre du ministre des
affaires étrangères du Maroc en date du 23 septembre 1974).
48
2.42 Le différend entre le Maroc et l’Espagne sur la souveraineté territoriale était
étroitement lié à la décolonisation et à l’autodétermination du Sahara occidental.
Si le Maroc avait raison – quant au fait que le Sahara occidental relevait de la
souveraineté du Royaume du Maroc à l’époque de la colonisation espagnole – la
conséquence juridique, selon le Maroc, en était donc que le Sahara occidental
devrait être réintégré au Maroc dans le cadre de la réalisation du processus de
décolonisation. Au contraire, si l’Espagne avait raison – quant au fait que le Sahara
occidental ne relevait pas de la souveraineté du Royaume du Maroc à l’époque de
la colonisation espagnole –, afin d’achever le processus de décolonisation, le
peuple du Sahara occidental aurait le droit d’exercer son droit à
l’autodétermination en décidant librement s’il voulait sortir de la colonisation en
tant qu’État souverain indépendant, s’associer librement à un État indépendant, ou
s’intégrer à un État indépendant.169
2.43 La Cour a rendu un avis consultatif dans l’affaire du Sahara Occidental en
dépit de l’opposition de l’Espagne concernant l’opportunité de l’exercice de sa
compétence consultative. L’Espagne affirmait que l’objet de la requête pour avis
consultatif était en substance identique au différend bilatéral qui existait entre elle
et le Maroc par rapport au Sahara occidental; que l’affaire concernait un différend
relatif à l’attribution de la souveraineté territoriale sur le Sahara occidental, et
l’Espagne n’avait pas consenti à ce que ce différend soit soumis à la juridiction
obligatoire de la Cour; et qu’il y avait abus de la compétence consultative de la
Cour afin de contourner le principe du consentement au règlement judiciaire.170
169 Comme l’a fait observer le juge Gros, “[l]’objet de la requête [pour avis consultatif] était d’obtenir l’avis de la Cour
sur une prétention du Gouvernement du Maroc tendant à la réintégration du Territoire dans le territoire national
marocain et sur une prétention parallèle du Gouvernement de la Mauritanie fondée sur la notion d’ensemble
mauritanien au moment considéré, avis consultatif nécessaire avant de poursuivre l’action de décolonisation du
Territoire.” Sahara occidental, avis consultatif, Déclaration du juge Gros, C.I.J. Recueil 1975, p. 75, par. 10.
170 L’Espagne affirma: “[L]’objet du différend dont le Maroc l’a invitée à saisir avec lui la Cour au contentieux et l’objet
des questions sur lesquelles l’avis consultatif est sollicité sont en substance identiques; aussi prétend-elle que l’on a
recouru à la procédure consultative faute d’avoir réussi à porter ces mêmes questions devant la juridiction
contentieuse. Donner l’avis demandé reviendrait donc, selon l’Espagne, à permettre que l’on se serve de la
procédure consultative pour se passer du consentement des États, qui est à la base de la juridiction de la Cour. …
Cette manière de tourner le principe bien établi du consentement à l’exercice de la juridiction internationale
constituerait, dans cette opinion, une raison décisive de refuser de répondre à la requête.” Sahara occidental (avis
consultatif), p. 22-23, par. 27. La deuxième façon dont l’Espagne présenta l’objection tirée du défaut de
consentement fut “de prétendre qu’il s’agit d’un différend territorial et que le consentement d’un État au règlement
49
2.44 La Cour rejeta l’objection de l’Espagne. Elle le fit pour deux raisons
principales (qui ont été ignorées par les États qui ont invité la Cour à refuser
d’exercer sa compétence dans la présente espèce). Premièrement, la Cour souligna
que la requête de l’Assemblée générale contenait ‘‘une disposition concernant
l’application de la résolution 1514 (XV).’’ Par conséquent, la Cour conclut que ‘‘les
questions juridiques dont l’Assemblée générale a[vait] saisi la Cour se situ[aient]
dans un cadre plus large que celui du règlement d’un différend particulier et
englob[ait] d’autres éléments.’’171 Deuxièmement, la Cour releva que l’objet de la
demande d’avis consultatif était ‘‘d’obtenir de la Cour un avis consultatif que
l’Assemblée générale estime utile pour pouvoir exercer comme il convient ses
fonctions relatives à la décolonisation du territoire.’’172 À cet égard, la Cour souligna
que ‘‘[l]e fait que le Maroc a proposé à l’Espagne, qui n’a pas accepté, de soumettre
au jugement de la Cour un différend soulevant des problèmes liés à ceux que pose
la requête ne saurait ni affecter ni diminuer l’intérêt légitime que possède
l’Assemblée générale à obtenir un avis consultatif de la Cour quant à son action
future.’’173
2.45 La même approche est applicable en l’espèce. Premièrement, la demande
d’avis consultatif de l’Assemblée générale par rapport à la décolonisation de
Maurice contient une disposition concernant l’application complète et immédiate
de la résolution 1514 (XV). En effet, en l’espèce, il est demandé spécifiquement à
la Cour de rendre un avis consultatif sur la question de savoir si le processus de
décolonisation de Maurice a été validement mené à bien au regard du droit
international, notamment des obligations évoquées dans la résolution 1514 (XV) et
d’autres résolutions connexes de l’Assemblée générale. Les questions juridiques
dont la Cour a été saisie se situent donc ‘‘dans un cadre bien plus large que celui
d’un différend bilatéral.’’174
judiciaire d’un différend concernant l’attribution de souveraineté est toujours nécessaire.” Sahara occidental (avis
consultatif), pp. 27-28, par. 43.
171 Sahara occidental (avis consultatif), p. 26, par. 38 (sans soulignement dans l’original).
172 Ibid., pp. 26-27, par. 39.
173 Ibid., p. 27, par. 41.
174 Édification d’un mur (avis consultatif), p. 159, par. 50. Voir aussi Sahara occidental (avis consultatif), p. 26,
par. 38.
50
2.46 Deuxièmement, comme dans l’affaire du Sahara occidental, l’objet de la
présente demande d’avis consultatif est ‘‘d’obtenir de la Cour un avis consultatif
que l’Assemblée générale estime utile pour pouvoir exercer comme il convient ses
fonctions relatives à la décolonisation’’ de Maurice.175 L’Assemblée générale
possède sans conteste un intérêt institutionnel direct dans cette question.
2.47 La présente affaire s’éloigne encore davantage d’un différend territorial
purement bilatéral que l’affaire du Sahara occidental. Afin de rendre un avis
consultatif sur la décolonisation dans l’affaire du Sahara occidental, la Cour a
d’abord dû déterminer la validité de la revendication de souveraineté territoriale
du Maroc sur le Sahara occidental. Une telle détermination était nécessaire pour
permettre à la Cour de rendre un avis sur l’achèvement du processus de
décolonisation. Dans le cadre de la présente procédure, c’est l’inverse : la question
de savoir si la décolonisation a été validement menée à bien se pose en premier
lieu et, une fois qu’elle a été tranchée, il n’y a plus de problème territorial à
résoudre. En l’espèce, contrairement à l’affaire du Sahara occidental, la
souveraineté sur l’Archipel des Chagos est fondée sur —et sera entièrement réglée
par— la décision de la Cour sur la question de décolonisation. Il n’existe aucun
motif pour examiner ou trancher séparément une quelconque question de
souveraineté territoriale.
2.48 Qu’ont à dire ceux qui ont invité la Cour à ne pas rendre un avis
consultatif sur l’affaire du Sahara occidental ? Ils ne disent absolument rien sur la
question du ‘‘cadre de référence plus large’’. Au contraire, le Royaume-Uni, les
États-Unis et l’Australie prétendent que dans l’affaire du Sahara occidental, la
demande d’avis consultatif concernait un différend qui était survenu pendant les
travaux de l’Assemblée générale tandis qu’ils affirment que, dans la présente
espèce, le différend est survenu indépendamment dans le cadre des relations
bilatérales.176 Cela est aussi manifestement erroné que dépourvu de pertinence.
Comme l’a expliqué Maurice dans son exposé écrit, les questions donnant lieu à la
175 Sahara occidental (avis consultatif), p. 27, par. 39. Voir aussi Réserves à la Convention sur le Génocide, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 19 (“L’objet de la présente demande d’avis est d’éclairer les Nations Unies dans
leur action propre.”).
176 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 7.17 c); Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, par. 3.22.
51
demande de l’Assemblée générale remontent aux années soixante, bien avant que
Maurice ne devienne indépendante, lorsque l’Assemblée générale traita du
démembrement de Maurice en demandant à la puissance administrante de
s’acquitter de ses obligations en vertu de la Charte de l’ONU et de la résolution
1514 (XV) afin de respecter l’intégrité territoriale de Maurice.177 À cet égard, la
présente affaire est semblable à celle du Sahara occidental.
2.49 Le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Australie tentent d’établir une distinction
avec l’affaire du Sahara occidental en affirmant que cette dernière affaire
concernait des droits de souveraineté sur le territoire contesté à l’époque de la
colonisation, ce qui n’avait aucun effet sur les droits actuels des États par rapport à
ce territoire.178 Cette affirmation ne tient pas compte du fait que, même si la Cour
a dû examiner les titres antérieurs à l’époque de la colonisation et contemporains
à celle-ci, la réponse de la Cour entraînait des conséquences essentielles pour les
droits actuels. Comme l’a noté le juge Gros, ‘‘la réponse de la Cour concerne une
prétention à un droit de réintégration du Territoire dans le moment présent’’
même si ‘‘la première épreuve de ce droit était celle des titres antérieurs à la
colonisation.’’179 Le juge Singh a développé ce point : ‘‘Ces liens juridiques entre le
Sahara occidental et le Maroc ou la Mauritanie dont la Cour a constaté l’existence
au moment de la colonisation espagnole n’étaient pas tels qu’ils puissent justifier
aujourd’hui la réintégration ou la rétrocession du territoire sans consultation de ses
177 Assemblée générale de l’ONU, 20e Session, Question de l’île Maurice, document de l’ONU A/RES/2066(XX)
(16 déc. 1965) (ci-après “Question de l’île Maurice (16 déc. 1965)”) (Dossier No. 146); Assemblée générale de l’ONU,
21e session, Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de la Dominique, de la Grenade, de Guam, des îles
Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, de l’île Maurice, des îles Salomon, des îles Samoa
américaines, des îles Seychelles, des îles Tokélaou, des îles Turks et Caïques, des îles Vierges américaines, des îles
Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de Pitcairn, de Saint-Christophe-et-Nièves et
Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent, document de l’ONU A/RES/2232(XXI) (20 déc. 1966)
(Dossier No. 171); Assemblée générale de l’ONU, 22e session, Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de
la Dominique, de la Grenade, de Guam, des îles Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, de l’île
Maurice, des îles Salomon, des îles Samoa américaines, des îles Seychelles, des îles Tokélaou, des îles Turks et Caïques,
des îles Vierges américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de
Pitcairn, de Saint-Christophe-et-Nièves et Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie, de Saint-Vincent et du
Souaziland, document de l’ONU A/RES/2357 (XXII) (19 déc. 1967) (Dossier No. 198).
178 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 7.18 c); Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, par. 3.29; Exposé écrit de
l’Australie, par. 47 c).
179 Sahara occidental, avis consultatif, déclaration du juge Gros, C.I.J. Recueil 1975, p. 73, par. 6 (sans italique dans
l’original).
52
habitants.’’180 Dans la présente affaire, ceci amène évidemment à conclure que si
la Cour constate que la décolonisation de Maurice n’a pas été validement menée à
bien parce que le Royaume-Uni n’a pas respecté son obligation de ne pas
démembrer le territoire de Maurice sans le consentement librement exprimé de
son peuple en 1965, la conséquence juridique en est que le Royaume-Uni devrait
maintenant poursuivre l’achèvement du processus de décolonisation.
2.50 Les affaires du Sahara occidental et du Mur appuient donc clairement le droit
de la Cour à exercer sa juridiction consultative dans la présente espèce. Comme le
démontre chacune de ces affaires, la Cour n’a pas hésité à rendre un avis ayant une
incidence sur les revendications de souveraineté territoriale d’un État dans les cas
où, comme en l’espèce, le ‘‘différend territorial’’ n’est pas de nature purement
bilatéral, mais s’inscrit dans le cadre plus large de la décolonisation et de
l’autodétermination qui relèvent du mandat de l’Assemblée générale, lorsque l’avis
de la Cour a été demandé par l’Assemblée générale pour l’aider à s’acquitter de ses
fonctions reconnues.
2.51 Dans le présent cas, il est évident qu’il n’incombe pas à la Cour (comme
l’affirme erronément Israël dans son exposé écrit181) d’évaluer des prétentions
concurrentes entre le Royaume-Uni et Maurice à la souveraineté sur un territoire,
comme ce serait le cas dans un différend purement bilatéral par rapport au titre
sur un territoire. Au contraire, il incombe à la Cour de répondre à la question de
savoir si la puissance administrante a validement mené à bien le processus de
décolonisation de Maurice, eu égard au droit en matière d’autodétermination et
de décolonisation. Cette question n’a rien à voir avec celle de savoir quel État a une
180 Sahara occidental, avis consultatif, déclaration du juge Nagendra Singh, C.I.J. Recueil 1975, p. 79 (sans italique
dans l’original). Le juge Singh observa aussi que la réponse de la Cour à la demande de l’Assemblée générale dans
l’affaire du Sahara occidental n’avait pas pour effet de contourner le principe du consentement: “Ce principe
salutaire n’a pas été éludé en l’espèce attendu que la demande d’avis visait à obtenir de la Cour des conseils
juridiques que l’Assemblée générale estimait utiles pour exercer ses fonctions en vue de la décolonisation prochaine
d’un territoire.” Ibid., p. 82.
181 Israël considère que les questions posées par l’Assemblée générale à la Cour “requièrent inévitablement une
évaluation des prétentions concurrentes du Royaume-Uni et de Maurice en ce qui concerne la souveraineté sur le
territoire.” (“inevitably require an assessment of the competing claims of the United Kingdom and Mauritius with
respect to sovereign title over the territory.”) Exposé de l’État d’Israël, par. 3.09 (sans soulignement dans l’original).
53
meilleure prétention à un titre, mais bien avec celle de savoir si la décolonisation
de Maurice a été validement menée à bien.
B. LES RÉPONSES DE LA COUR AUX QUESTIONS SERONT UTILES À L’ASSEMBLÉE
GÉNÉRALE
2.52 L’Australie et les États-Unis soutiennent que, vu ‘‘qu’aucun organe des
Nations Unies n’a considéré Maurice ou sa prétention sur l’Archipel des Chagos
comme relevant du programme de décolonisation des Nations Unies depuis
l’accession de Maurice à l’indépendance,’’182 ‘‘la demande d’un avis consultatif …
ne sera pas utile [à l’Assemblée générale] dans l’accomplissement de ses
fonctions’’.183
2.53 Cet argument est erroné. L’Australie et les États-Unis se trompent en
affirmant que l’Assemblée générale n’a manifesté aucun intérêt pour la
décolonisation de Maurice depuis 1968. Comme l’a démontré Maurice dans son
exposé écrit, depuis son accession à l’indépendance, l’Assemblée générale et
d’autres organes des Nations Unies (y compris le Comité des 24 et le Comité des
droits de l’homme) ont toujours été actifs par rapport aux questions relatives à la
décolonisation de Maurice, notamment le détachement de l’Archipel des Chagos,
la création du ‘’BIOT’’, la construction et le maintien d’installations militaires à
Diego Garcia ainsi que l’expulsion forcée des Chagossiens et l’interdiction de leur
retour.184 Maurice elle-même a soulevé ces questions au sein de l’Assemblée
générale en plus de trente occasions depuis 1980.185 De nombreux exemples – à
travers plus de cinq décennies – figurent dans le dossier préparé par le Secrétariat
de l’ONU et sont présentés dans l’exposé écrit de Maurice.186 On ne voit pas bien
comment l’Australie et les États-Unis peuvent faire de telles affirmations au vu du
182 Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, par. 3.23. (“no U.N. organ has considered Mauritius or its claim to the
Chagos Archipelago as falling within the United Nations’ decolonization agenda since Mauritius gained its
independence in 1968,”)
183 Exposé écrit de l’Australie, par. 31 b). (“the request for an advisory opinion… will not assist [the General Assembly]
in the performance of its functions”).
184 Exposé écrit de Maurice, par. 4.40.
185 Ibid., pars. 4.5, 4.15. Voir aussi République de Maurice, References to the Chagos Archipelago in Annual
Statements Made by Mauritius to the United Nations General Assembly (extracts) (1974-2017) (Annexe 100).
186 Exposé écrit de Maurice, pars. 4.40 a)-4.40 h), 4.41.
54
dossier soumis par les Nations Unies, qui contient presque 6.000 pages et couvre
la période de 1946 à 2017.
2.54 Le dossier montre que l’Assemblée générale a assumé une responsabilité
constante de s’assurer que la décolonisation de Maurice soit validement menée à
bien. En posant à la Cour les deux questions relatives à la décolonisation de
Maurice, l’Assemblée générale a elle-même déterminé qu’elle bénéficierait d’un
avis consultatif de la Cour, comme le montre clairement la résolution 71/292.
L’affirmation selon laquelle l’avis consultatif de la Cour ne serait pas utile à
l’Assemblée générale est dépourvue de tout fondement.
2.55 L’Assemblée générale elle-même est la mieux placée pour déterminer si un
avis consultatif lui serait utile.187 En effet, après avoir rappelé toutes ses résolutions
dans lesquelles elle a invité le Royaume-Uni ‘‘à prendre des mesures efficaces en
vue de la mise en oeuvre immédiate et complète de la résolution 1514 (XV) et à ne
prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait
son intégrité territoriale,’’ l’Assemblée générale a exprimé de manière catégorique
l’opinion selon laquelle les réponses de la Cour aux deux questions lui seraient
utiles dans l’accomplissement de son important mandat visant à assurer
‘‘l’application immédiate et intégrale de la Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.’’188 Cette opinion fut soutenue
par un vote massif des membres. Seuls 15 États membres sur 193 s’y opposèrent.
2.56 Il n’est pas surprenant que la grande majorité des États qui ont présenté des
exposés écrits reconnaissent qu’un avis consultatif de Cour serait utile à
l’Assemblée générale. À titre d’exemple :
187 Voir Sahara occidental (avis consultatif), p. 37, par. 72; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires
(avis consultatif), p. 237, par. 16 (déclarant que l’Assemblée générale est habilitée “à décider elle-même de l’utilité
d’un avis au regard de ses besoins propres”).
188 Assemblée générale de l’ONU, 71e Session, Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les
effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, document de l’ONU A/RES/71/292
(22 juin 2017) (ci-après “Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la
séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 (22 juin 2017)), p. 1 (Dossier No. 7).
55
L’Union africaine note qu’‘‘un avis consultatif est demandé sur des
questions qui intéressent particulièrement les Nations Unies,’’189 et
que l’avis de la Cour serait utile à l’Assemblée générale dans l’exercice
de ses fonctions par rapport à la décolonisation.190
Le Brésil note que les questions soulevées par l’Assemblée générale
‘‘traduisent la profonde préoccupation de la communauté
internationale quant à la nécessité d’une clarification juridique
concernant la portée et l’application d’un ensemble de normes du
droit international – telles que l’intégrité territoriale et le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes – dans le cadre de la
décolonisation.’’191
Chypre note que ‘‘[l]es Nations Unies dans leur ensemble et
l’Assemblée générale en particulier, bénéficieront considérablement
du conseil et des éclaircissements de l’organe judiciaire principal des
Nations Unies par rapport à la licéité du processus de décolonisation
et ses conséquences.’’192
L’Allemagne note que vu que ‘‘l’Assemblée générale a, à maintes
reprises, joué activement un rôle primordial dans le processus de
décolonisation’’, ‘‘le conseil juridique de la Cour pourrait être utile à
l’Assemblée générale par rapport à tout processus de décolonisation
encore inachevé, y compris la situation particulière concernant
l’Archipel des Chagos’’.193
189 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 31. (“[t]he advisory opinion is requested on questions which are of particular
concern to the United Nations,”)
190 Ibid., par. 30.
191 Exposé écrit du Brésil, par. 11. (“reflect a broad concern of the international community regarding the need for
legal clarity with regard to the scope and application of a set of norms of international law – such as territorial
integrity and the right of peoples to self-determination – in the context of decolonization.”)
192 Exposé écrit de Chypre, par. 26. (“[t]he UN, as a whole, and the General Assembly in particular, shall benefit
substantially from the guidance of and clarification by the UN’s principal judicial organ on the legality of the
decolonization process and its consequences.”)
193 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 150. (“the General Assembly has, time and again, actively played its paramount
role in the process of decolonization”, [so that] “[l]egal guidance by the Court could thus assist the General Assembly
56
Le Guatemala note que ‘‘l’Assemblée générale a fait appel à la Cour
pour obtenir ses éclaircissements et son conseil afin qu’elle puisse
s’acquitter de ses propres fonctions.’’194
Le Liechtenstein note que ‘‘les questions posées à la CIJ sont urgentes
et pertinentes, et devraient avoir un effet pratique et contemporain,
eu égard au rôle de l’Assemblée générale dans la supervision de la
décolonisation et également contribuer à l’évolution générale du droit
international.’’195
La Serbie note que ‘‘dans le cas où l’Assemblée générale a invité le
gouvernement du Royaume-Uni ‘à ne prendre aucune mesure qui
démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité
territoriale’ (résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965 de
l’Assemblée générale, réaffirmée par d’autres résolutions,
notamment la résolution 71/292 du 22 juin 2017), rendre [un] avis
consultatif sur les questions soulevées au moment du détachement de
l’Archipel des Chagos en 1965 et qui demeurent encore en suspens …
semble être d’une importance capitale.’’196
2.57 Comme le confirment ces exposés écrits et bien d’autres encore, il ne fait
aucun doute qu’un avis consultatif de la Cour sur les deux questions qui ont été
posées serait utile à l’Assemblée générale pour déterminer la marche à suivre par
rapport à la décolonisation de Maurice.
with regard to any possibly incomplete decolonization processes, including the particular situation concerning the
Chagos archipelago”.)
194 Exposé écrit du Guatemala, par. 26. (“the General Assembly has come to the Court looking for clarity and guidance
in order to discharge its own functions”).
195 Exposé écrit du Liechtenstein, par. 16. (“[t]he questions put to the ICJ are both urgent and relevant, and are likely
to have a practical and contemporary effect in light of the General Assembly’s role in overseeing decolonization as
well as to contribute to the general development of international law.”)
196 Exposé écrit de la Serbie, par. 28. (“[i]n the case where the General Assembly invited the Government of the
United Kingdom ‘to take no action which would dismember the Territory of Mauritius and violate its territorial
integrity’ (UN General Assembly resolution 2066 (XX) of 16 December 1965 reaffirmed by other resolutions, including
resolution 71/292 of 22 June 2017), providing [an] advisory opinion on the issues that arose at the time of separation
of Chagos Archipelago in 1965 and that are still pending… seem[s] to be of paramount importance.”)
57
2.58 En ce qui concerne la première question, les exposés écrits ont confirmé que
des opinions divergentes persistent entre les membres de l’Assemblée générale
quant à la question de savoir si le processus de décolonisation de Maurice a été
effectivement achevé. Le Royaume-Uni et les États-Unis soutiennent qu’il n’existait
aucun droit à l’autodétermination en droit international coutumier au moment
pertinent. Cependant, tous les autres exposés écrits qui traitent de la première
question concluent que le droit à l’autodétermination était bien établi en droit
international lorsque Maurice a été démembrée, et que le droit à
l’autodétermination fut violé dans le cas de Maurice. Par conséquent, sa
décolonisation n’a pas été validement menée à bien en 1968 et n’a pas été
validement achevée à ce jour.197
2.59 Dans ces conditions, la réponse de la Cour à la première question serait utile
puisque la Cour établirait de manière définitive si en droit international, le
processus de décolonisation de Maurice a été ou non validement mené à bien
lorsque l’indépendance fut octroyée à Maurice en 1968. Une réponse de la Cour
faisant autorité sur cette question aiderait l’Assemblée générale à décider si, et
comment, elle devrait continuer à traiter de la situation de l’Archipel des Chagos
dans le cadre de ses responsabilités et de ses fonctions en matière de
décolonisation.
2.60 Si la réponse à la première question est affirmative, la réponse de la Cour à
la deuxième question aiderait l’Assemblée générale à déterminer les conséquences
en droit international du maintien de l’Archipel des Chagos sous l’administration
de la puissance administrante. Comme l’a expliqué la Cour dans l’affaire du
Sud-Ouest africain, ‘‘en qualifiant une situation d’illégale on n’y met pas fin ipso
facto. Ce ne peut être que la première mesure qui s’impose si l’on veut faire cesser
la situation illégale.’’198
2.61 La compréhension des conséquences juridiques tant pour la puissance
administrante que pour les États pourrait aider l’Assemblée générale à s’acquitter
197 Voir chapitre 3 ci-après.
198 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)
nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 (ci-après “Sud-Ouest
africain (avis consultatif)”), p. 52, par. 111.
58
de ses fonctions par rapport à la décolonisation de Maurice. Plus particulièrement,
un avis faisant autorité sur les conséquences juridiques pour la puissance
administrante permettrait à l’Assemblée générale de déterminer quelles mesures
elle pourrait prendre —ou non— pour aider à achever la décolonisation de
Maurice. De même, un avis de la Cour faisant autorité sur ce que les États (et autres
acteurs) devraient faire ou s’abstenir de faire jusqu’à la réalisation complète du
processus de décolonisation de Maurice aiderait l’Assemblée générale à
déterminer dans quelle mesure elle pourrait demander la coopération des États
membres afin de mettre fin à la colonisation de Maurice.
C. LES QUESTIONS POSÉES À LA COUR N’IMPLIQUENT PAS DES FAITS
VOLUMINEUX ET COMPLEXES QUI NE POURRAIENT ÊTRE ÉTABLIS DANS LE
CADRE DE LA PROCÉDURE CONSULTATIVE
2.62 Trois États – l’Australie, Israël et le Royaume-Uni – soutiennent que la Cour
devrait refuser d’exercer sa compétence, vu que les questions posées par
l’Assemblée générale nécessitent le traitement de faits volumineux et complexes
qui ne se prêtent pas à une décision dans le cadre d’une procédure consultative.199
Ce n’est pas un argument convaincant.
2.63 Premièrement, la Cour a précédemment rendu des avis consultatifs dans des
affaires impliquant des faits beaucoup plus complexes et volumineux que dans le
cas présent. Par exemple, dans l’affaire du Sahara occidental, la Cour a dû
examiner, entre autres, quels liens juridiques existaient entre le Royaume du Maroc
et le Sahara occidental à l’époque de la colonisation espagnole de ce territoire.200
Le Maroc prétendait que c’étaient des ‘‘liens de souveraineté’’ qui découlaient de
‘‘sa possession immémoriale du territoire’’ et d’un exercice ininterrompu de
l’autorité.201 Comme preuve de la manifestation de sa souveraineté sur le Sahara
occidental, le Maroc présenta de nombreux documents concernant ses prétendus
199 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 7.11, 7.18 f); Exposé écrit de l’Australie, par. 31 c); Exposé de l’État d’Israël,
par. 3.1.
200 Sahara occidental (avis consultatif), p. 42-56, pars. 90-129.
201 Ibid., p. 42, par. 90.
59
actes d’exercice interne de l’autorité.202 Le Maroc s’appuya également sur certains
traités internationaux censés constituer une reconnaissance par d’autres États de
sa souveraineté sur le Sahara occidental.203 La Cour n’eut aucune difficulté à
examiner ces faits, et le fit en presque cent paragraphes de son avis consultatif. Il
n’y a aucune indication, dans cette affaire ou dans le cas d’autres avis consultatifs,
que la Cour n’ait pas été en mesure de maîtriser des faits volumineux et complexes
qui étaient liés aux questions juridiques posées, ou que quelqu’État ait été lésé par
la façon dont les éléments de preuve furent reçus et analysés par la Cour.
2.64 Deuxièmement, contrairement à l’affaire du Sahara occidental, la présente
affaire n’implique pas une vaste collecte de données ou recherche des faits par
rapport aux prétentions concurrentes à la souveraineté. En effet, la Cour a
suffisamment d’éléments de preuve pour résoudre les questions factuelles en
l’espèce, dont la plupart ne sont pas contestées. La Cour dispose, par exemple, du
volumineux dossier soumis par le Secrétariat de l’ONU à la Cour et qui contient des
informations détaillées sur les questions relatives au processus de décolonisation
de Maurice. La Cour est également en présence du matériau soumis par Maurice,
le Royaume-Uni et d’autres États. Il n’y a aucune indication que les preuves dont la
Cour a besoin pour rendre l’avis consultatif demandé feraient défaut. Le fait que
Maurice ait pu élaborer le présent exposé additionnel, sans avoir à introduire de
nouveaux documents volumineux ou à consacrer de nombreuses pages aux
questions factuelles, confirme que les faits ne devraient poser aucune difficulté à
la Cour.
2.65 Troisièmement, la plupart des faits pertinents sont bien établis et non
contestés.204 Bien sûr, le Royaume-Uni prétend que l’Archipel des Chagos ne faisait
pas partie intégrante de la colonie de Maurice.205 Mais les faits, y compris des
documents juridiques pertinents, ne sont pas contestés, ni difficiles à appréhender.
202 Ibid., p. 42-56, pars. 90-129.
203 Le Maroc invoqua a) certains traités conclus avec l’Espagne, les États-Unis et la Grande-Bretagne entre 1767 et
1861; et b) certains traités de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle par lesquels la Grande-Bretagne, l’Espagne,
la France et l’Allemagne étaient censés avoir reconnu la souveraineté du Maroc sur le territoire revendiqué. Voir
ibid., p. 42-56, pars. 90-129.
204 Voir pars. 1.9-1.32 ci-dessus.
205 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 2.38.
60
C’est sur la conclusion à tirer de ces faits, et non sur l’établissement des faits euxmêmes,
que la Cour devra se pencher. De même, les faits se rapportant au
détachement de l’Archipel des Chagos de Maurice sont en grande partie
incontestés, notamment les circonstances dans lesquelles le ‘‘consentement’’ des
ministres mauriciens fut obtenu en 1965. Ce qui devrait être décidé par la Cour est
principalement une question d’interprétation, et de déterminer si, au vu du dossier,
le droit du peuple mauricien à l’autodétermination a été respecté et la
décolonisation de Maurice a été validement menée à bien.
2.66 Par conséquent, la présente affaire n’est pas semblable à celle de la Carélie
orientale où l’un des États intéressés avait refusé non seulement de participer à la
procédure, mais également de coopérer avec la CPJI et de lui fournir les
renseignements pertinents pour qu’elle puisse répondre à la question qui lui était
posée.206 En l’espèce, au contraire, il ne manque pas de documentation pertinente.
L’argument selon lequel la Cour ne dispose pas des éléments factuels dont elle a
besoin pour rendre un avis consultatif ou selon lequel un État serait privé de la
possibilité de présenter des éléments factuels est donc non fondé.
D. LE PRINCIPE DE L’AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE NE S’APPLIQUE PAS EN
L’ESPÈCE
2.67 Quatre États (l’Australie, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis)
soutiennent que le principe de l’autorité de la chose jugée ne permet pas à la Cour
d’exercer sa compétence dans la présente affaire parce que cela mènerait à revenir
sur des questions déjà décidées dans l’Arbitrage concernant l’aire marine protégée
des Chagos entre Maurice et le Royaume-Uni.207 Cet argument est dépourvu de
tout fondement : le principe de l’autorité de la chose jugée n’est en rien applicable
en l’espèce.
206 Voir le commentaire sur l’affaire de la Carélie orientale dans l’affaire du Sahara occidental (avis consultatif),
p. 28-29 pars. 45-46.
207 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 7.11, 9.5; Exposé écrit de l’Australie, par. 39; Exposé écrit de la République
française, par. 17; Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, pars. 2.10-2.14.
61
2.68 Comme la Cour l’a expliqué, le principe de l’autorité de la chose jugée
s’applique dans des cas où les mêmes parties sollicitent un règlement pour la même
question qui ‘‘a déjà été réglée définitivement’’ entre eux dans le cadre d’une
affaire antérieure.208 Ces éléments n’existent pas en l’espèce.
2.69 Premièrement, la présente affaire n’implique pas les mêmes parties. Au
contraire, la Cour a été saisie d’une demande de l’Assemblée générale sollicitant
un avis consultatif sur des questions juridiques qui se situent dans un cadre plus
large que celui de l’Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos, afin
d’obtenir le conseil de la Cour quant à la marche à suivre par rapport à la
décolonisation.
2.70 Deuxièmement, les questions posées à la Cour n’impliquent pas des
questions qui ont ‘‘déjà été définitivement réglées’’ entre Maurice et le
Royaume-Uni dans le cadre de l’Arbitrage concernant l’aire marine protégée des
Chagos. Plus particulièrement, le Tribunal arbitral a décidé, par une majorité des
voix, qu’il n’avait pas compétence pour déterminer si le détachement de l’Archipel
des Chagos était licite en droit international, ou en conformité avec les obligations
juridiques applicables en matière de décolonisation et d’autodétermination.
2.71 L’Australie et le Royaume-Uni soutiennent qu’en décidant que ‘‘l’accord’’ de
1965 est devenu une question de droit international entre les parties lorsque
Maurice a accédé à l’indépendance, le Tribunal arbitral a résolu ‘‘tous les
problèmes relatifs aux vices du consentement de Maurice’’ à ‘‘l’accord’’ de 1965.209
Ce n’est pas exact. Comme expliqué au chapitre 3 des présentes observations
208 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins
de la côte nicaraguayenne, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016, p. 126, par. 59 (“Il ne suffit pas, pour
l’application de l’autorité de la chose jugée, d’identifier l’affaire en cause, caractérisée par les mêmes parties, le
même objet et la même base juridique, il faut encore déterminer le contenu de la décision dont il convient de
garantir le caractère définitif. La Cour ne saurait se contenter de l’identité des demandes qui lui ont été présentés
successivement par les mêmes parties, elle doit rechercher si et dans quelle mesure la première demande a déjà été
tranchée définitivement.”) (sans soulignement dans l’original); Affaire relative à l’application de la Convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2008, p. 437, par. 76. (“Il n’est pas douteux que les arrêts précités de 2004 ne sont pas revêtus sur ce point – pas
plus que sur aucun autre – de l’autorité de la chose jugée au regard du présent différend, puisqu’ils ont été rendus
dans des affaires différentes et qui ne mettaient pas en présence les mêmes parties, comme cela a déjà été relevé
au plus haut en ce qui concerne un autre aspect de ces arrêts”).
209 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.12; Exposé écrit de l’Australie, par. 39.
62
écrites, le Tribunal arbitral ne s’est nullement prononcé sur la question de savoir si
Maurice a valablement ‘‘consenti’’ au démembrement de son territoire.210 Au
contraire, le Tribunal a pris soin de souligner à l’unanimité que les engagements
pris par le Royaume-Uni à Lancaster House étaient des engagements unilatéraux
contraignants pour le Royaume-Uni. Le Tribunal a conclu qu’étant donné que le
Royaume-Uni a réitéré et réaffirmé ces engagements unilatéraux envers Maurice
après son indépendance, le Royaume-Uni n’était pas en droit d’agir de manière
incompatible avec ces engagements.211 Avec cette conclusion fondée sur le
principe de l’estoppel, il n’y avait pas lieu pour le Tribunal de se prononcer sur la
question de savoir si le ‘‘consentement’’ de Maurice au détachement de l’Archipel
des Chagos avait été obtenu valablement.
2.72 Cette question fut traitée par deux membres du Tribunal seulement, les
juges Kateka et Wolfrum, qui se sont associés à la sentence unanime. Dans leur
opinion séparée, ils ont indiqué que le soi-disant ‘‘consentement’’ des ministres
mauriciens n’était pas juridiquement valable parce qu’il avait, entre autres, été
obtenu par le Royaume-Uni sous la contrainte. Ils n’ont vu aucune contradiction
entre la sentence unanime qui exprimait leurs points de vue et leur opinion
séparée.
2.73 Aucune décision – qu’elle soit finale, contraignante ou autre – n’a donc été
prise quant à la validité du ‘‘consentement’’ de Maurice au détachement de
l’Archipel des Chagos ou à la licéité du processus de décolonisation. Par
conséquent, la sentence du Tribunal arbitral n’a aucun effet de chose jugée qui
empêcherait la Cour de rendre l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale
dans le cadre de la présente procédure.
***
210 Voir pars. 3.79-3.86 ci-après.
211 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), sentence, Tribunal constitué
conformément à l’annexe VII de la CNUDM (18 mars 2015) (ci-après ‘‘Arbitrage concernant l’aire marine protégée
des Chagos, sentence (18 mars 2015)”), par. 448 (Dossier No. 409).
63
2.74 En conclusion, la Cour a compétence pour donner l’avis consultatif demandé
par l’Assemblée générale dans la résolution 71/292 du 22 juin 2017: l’Assemblée
générale est un organe dûment autorisé à demander un avis consultatif à la Cour,
et la requête soulève des questions d’ordre juridique.
2.75 Il n’existe aucune ‘‘raison décisive’’ pour la Cour de refuser d’exercer la
compétence consultative que la Charte et le Statut lui ont conférée. L’exercice par
la Cour de sa compétence consultative ne contournerait pas le principe du
consentement au règlement judiciaire : les questions posées à la Cour se situent
dans un cadre plus large, et l’objet de la demande est d’obtenir de la Cour un avis
que l’Assemblée générale estime utile pour la mise en application complète et
immédiate de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux. Les réponses de la Cour aux questions posées seront utiles à l’Assemblée
générale parce qu’elle a un intérêt réel et constant pour les questions liées à la
décolonisation, à la fois de manière générale et par rapport à Maurice. Les
questions posées à la Cour n’impliquent pas des faits volumineux et complexes qui
ne peuvent être établis dans le cadre d’une procédure consultative. Et le principe
de l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas dans la présente affaire.
2.76 Sur cette base et conformément à la jurisprudence, la Cour doit exercer sa
compétence et rendre l’avis consultatif que l’Assemblée générale a demandé.
64
CHAPITRE 3
LA DÉCOLONISATION DE MAURICE N’A PAS ÉTÉ VALIDEMENT MENÉE À BIEN
LORS DE L’OCTROI DE L’INDÉPENDANCE À MAURICE EN 1968
I. Introduction
3.1 Dans le présent chapitre, Maurice répondra à un certain nombre de points
soulevés dans d’autres exposés écrits par rapport à la première des deux questions
posées par l’Assemblée générale.
3.2 Maurice note que seuls deux des exposés écrits qui abordent la première
question – ceux de la puissance administrante (le Royaume-Uni) et des États-Unis
– soutiennent que le droit à l’autodétermination n’existait pas en droit
international coutumier au moment pertinent. Et un seul exposé écrit – celui du
Royaume-Uni – soutient que sur la base des faits, la décolonisation de Maurice a
validement été menée à bien.212
3.3 Tous les autres exposés écrits qui examinent cette question concluent que le
droit à l’autodétermination était bien établi en droit international lorsque Maurice
fut démembrée. Et tous les autres exposés écrits qui, au départ d’une analyse du
cadre juridique, proposent une réponse à la première question posée par
l’Assemblée générale concluent que le droit à l’autodétermination a été violé dans
le cas de Maurice, avec pour conséquence que sa décolonisation n’a pas été
validement menée à bien en 1968 (et n’a pas été validement achevée à ce jour).
212 Les États-Unis semblent aussi indiquer que la décolonisation de Maurice a validement été menée à bien en 1968,
mais le font sur la base de la logique de leurs arguments juridiques plutôt qu’en se basant sur les faits. Selon les
États-Unis, l’inexistence d’un droit à l’autodétermination en droit international au moment pertinent signifiait qu’il
n’existait aucune condition juridique régissant les modalités selon lesquelles la décolonisation serait achevée, et par
conséquent, n’importe quel transfert de pouvoirs serait suffisant.
65
Pas un seul État ou une seule organisation, à l’exception du Royaume-Uni et des
États-Unis, ne propose une réponse contraire à cette question, en droit ou en fait.
3.4 Au vu de ce consensus très net, les observations de Maurice dans le présent
chapitre se concentreront en particulier sur les exposés écrits du Royaume-Uni et
des États-Unis, référence étant faite, le cas échéant, à d’autres exposés écrits. Par
souci de clarté, Maurice adoptera la même structure que celle du chapitre 6 de son
exposé écrit du 1er mars 2018. Par conséquent, le présent chapitre abordera tout
d’abord le cadre juridique qui s’appliquait au moment du démembrement et de
l’indépendance de Maurice, et répondra en particulier aux arguments que,
contrairement à l’opinion non équivoque d’autres États et de l’Union africaine, le
Royaume-Uni et les États-Unis ont avancés dans leurs exposés écrits, à savoir
a) qu’il n’existait pas de droit à l’autodétermination lors de l’accession de Maurice
à l’indépendance en 1968, et b) que tout droit à l’autodétermination qui aurait pu
exister à cette époque n’interdisait pas le démembrement de Maurice, en
particulier en raison de l’absence d’un droit corollaire à l’intégrité territoriale. Étant
donné la clarté du droit sur cette question, Maurice peut la traiter de manière
relativement brève, en se concentrant sur les points juridiques, historiques et
factuels spécifiques qui ont été soulevés.
3.5 Maurice examinera ensuite l’argument selon lequel le peuple de Maurice ‘‘a
consenti’’ d’une manière ou d’une autre au démembrement, par le biais du Conseil
des ministres en 1965 ou ultérieurement lors des élections générales de 1967. Il
existe également des preuves accablantes du contraire; celles-ci ont fait l’objet
d’un examen détaillé dans l’exposé écrit de Maurice du 1er mars 2018. En résumé,
les éléments de preuve démontrent que :
1) l’Archipel des Chagos a toujours fait partie intégrante de Maurice.
2) la décision de la puissance administrante de détacher l’Archipel des
Chagos fut prise unilatéralement et irrévocablement. À aucun
moment, le peuple mauricien, dans son ensemble ou à travers ses
représentants, n’a eu l’occasion de choisir de conserver l’archipel. Le
choix qui fut offert était l’indépendance (sans l’archipel) ou le maintien
du statut colonial (sans l’archipel).
66
3) le fait que conserver l’intégrité territoriale de Maurice ne fut jamais
une option compromet fondamentalement toute tentative de
soutenir que les pourparlers à Londres en septembre 1965, la décision
du Conseil des ministres en novembre 1965 ou les élections générales
de 1967 équivalaient à la libre expression de la volonté du peuple
mauricien. Il n’aurait pu y avoir une telle expression de volonté que
dans une situation où le peuple pouvait choisir entre a) le
détachement, et b) le maintien de l’intégrité de l’entité territoriale. Un
tel choix ne fut jamais offert.
4) aucun référendum ou plébiscite ne fut organisé, contrairement à la
pratique très courante de l’ONU dans les cas où la division du territoire
était envisagée.
5) les consultations qui furent menées avec les ministres mauriciens en
1965 étaient loin de permettre une libre expression de volonté, telle
que requise par le droit à l’autodétermination. Elles étaient de pure
forme - la puissance administrante, selon ses propres déclarations,
était disposée à effectuer le détachement sans aucun consentement
des ministres – et l’indépendance était conditionnelle au
consentement au détachement.
3.6 Par conséquent, le présent chapitre conclura – comme le font également la
grande majorité des exposés écrits – que la décolonisation de Maurice n’a pas été
validement menée à bien en 1968.
II. Le cadre juridique pertinent
A. IL EXISTAIT UN DROIT JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT À
L’AUTODÉTERMINATION AU MOMENT PERTINENT
1. La position prise dans les autres exposés écrits
3.7 Comme observé plus haut, à l’exception du Royaume-Uni et des États-Unis,
tous les exposés écrits qui abordent la première question : a) concluent qu’il
67
existait un droit juridiquement contraignant à l’autodétermination au moment
pertinent ; et b) ceux qui appliquent ensuite ce cadre juridique aux faits concluent
que ce droit a été violé dans le cas de Maurice et que par conséquent, la
décolonisation de Maurice est inachevée. Dans la présente section, Maurice
résumera brièvement les conclusions pertinentes.
3.8 L’Union africaine considère qu’il ‘‘existait en 1960, et en tout cas en 1965,
lorsque le Royaume-Uni détacha l’Archipel des Chagos de Maurice, un droit
exécutoire des peuples et des territoires colonisés à l’autodétermination et une
obligation correspondante des puissances administrantes de donner effet à ce
droit, comme faisant partie du droit coutumier international.’’213 Le droit à
l’autodétermination est ‘‘intrinsèquement lié à la notion de l’intégrité territoriale,
en ce qu’il ne peut être exercé que par des peuples à l’intérieur d’entités
territoriales spécifiques. Ce qui signifie que l’entité territoriale ne peut être
démembrée préalablement à l’exercice du droit à l’autodétermination par le
peuple de ce territoire.’’214 L’élément essentiel du droit à l’autodétermination est
que ‘‘son application suppose l’expression libre et authentique de la volonté des
peuples intéressés.’’215 Sur la base des faits, l’Union africaine conclut que la
décolonisation de Maurice n’a pas été validement menée à bien.216
3.9 L’Argentine considère que :
1) Une analyse du cadre juridique ‘‘démontre qu’il ne fait aucun doute
que les États ont l’obligation de respecter l’intégrité territoriale non
seulement d’autres États, mais également celle des territoires non
autonomes dans lesquels des peuples n’ont pas encore exercé leur
droit à l’autodétermination. Cela est particulièrement vrai pour les
États qui les administrent. Même si Maurice n’était pas encore
213 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 127. (“there existed by 1960, and in any case in 1965, when the United
Kingdom separated the Chagos Archipelago from Mauritius, an enforceable right to self-determination of colonised
peoples and territories and a correlated obligation of administering powers to give effect to that right, as part of
customary international law.”)
214 Ibid., pars. 130-131. (“intrinsically linked to the notion of territorial integrity, in that it can only be exercised by
peoples within specific territorial units. This, in turn, means that the territorial unit cannot be dismembered prior to
the exercise of the right to self-determination by the people of that territory.”)
215 Ibid., par. 135. (“its application requires free and genuine expression of the peoples concerned.”)
216 Ibid., par. 186.
68
devenue un État souverain et était une colonie en 1965, elle avait et a
toujours droit au respect de son intégrité territoriale. La puissance
administrante n’avait pas le droit de conserver une partie du territoire
d’une de ses colonies au moment de l’octroi de son indépendance.’’217
2) ‘‘Il n’a pas été permis [à Maurice] d’achever [l’exercice de son
autodétermination]: une partie de son territoire fut détachée pour
être maintenue sous le contrôle de la puissance administrante et la
population native du territoire fut déportée vers d’autres régions. La
violation de l’intégrité territoriale de Maurice donna aussi lieu à une
violation de l’obligation de pleinement respecter le droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes.’’218
En conséquence, l’Argentine conclut que le processus de décolonisation de
Maurice n’a pas été entièrement achevé.219
3.10 Belize considère que :
1) ‘‘Le droit à l’autodétermination en droit international coutumier est
reflété dans la Charte des Nations Unies, les résolutions de
l‘Assemblée générale des Nations Unies, d’autres pratiques adoptées
par des États et la jurisprudence de la Cour. C’est donc un droit
opposable à tous et une norme impérative du droit international à
laquelle aucune dérogation n’est permise.’’220 Ce droit ‘‘fut au début
217 Exposé écrit de la République argentine, par. 47. (“demonstrates that it is beyond question that States have the
obligation to respect the territorial integrity not only of other States but also that of the non-self-governing
territories in which peoples still have to exercise their right to self-determination. This is particularly true for those
administering them. Mauritius, even though it had not yet achieved statehood and was still under colonial rule in
1965, was and still is entitled to respect for its territorial integrity. The administering Power did not have the right
to retain part of the territory of one of its colonies at the time of granting it its independence.”)
218 Ibid., par. 49. (“was not permitted to be complete: part of its territory was separated in order to be kept under
the control of the administering Power and the native population of the territory was deported to other areas. The
breach of the territorial integrity of Mauritius led at the same time to a breach of the obligation to fully respect the
right of peoples to self-determination.”)
219 Voir ibid., pars. 67-68.
220 Exposé de Belize, par. 2.1. (“The right to self-determination under customary international law is reflected in the
Charter of the United Nations, in resolutions of the General Assembly of the United Nations, in other State practice,
and in the jurisprudence of the Court. It is an erga omnes right and a peremptory norm of international law from
which no derogation is permitted.”)
69
formulé comme un droit juridique dans les années 1950 et sa
réaffirmation dans de nombreuses résolutions ultérieures et
concordantes de l’Assemblée générale qui ont été adoptées par une
très grande majorité des États indique qu’il reflétait le droit
international coutumier en 1965 lorsque le Royaume-Uni détacha
l’Archipel des Chagos de Maurice.’’221 L’intégrité territoriale est ‘‘un
des aspects essentiels du droit à l’autodétermination.’’222
2) Le droit à l’autodétermination ‘‘interdit à la puissance administrante
de prendre, préalablement à l’exercice du droit à l’autodétermination,
toute mesure qui placerait le peuple intéressé dans une situation qui
ne permettrait pas l’expression libre et authentique de sa volonté en
ce qui concerne son avenir politique. Cela inclut des mesures touchant
le territoire par rapport auquel le droit à l’autodétermination devrait
être exercé, telles que l’excision d’une partie du territoire de l’entité
coloniale, telle qu’envisagée et interdite par la règle reflétée au
paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV). La partition a été acceptée
par les Nations Unies uniquement dans des cas où le maintien de
l’unité territoriale serait contraire aux souhaits librement exprimés du
peuple de cette colonie.’’223
3.11 Le Brésil considère que :
1) ‘‘[L]e droit des peuples coloniaux à disposer d’eux-mêmes était déjà
établi en droit international au moment du détachement de l’Archipel
des Chagos de Maurice par la puissance administrante (le 8 novembre
221 Ibid., par. 2.2. (“began to be articulated as a legal right in the 1950s and its reaffirmation in numerous subsequent
concordant General Assembly resolutions adopted by an overwhelming majority of States indicates that it reflected
customary international law in 1965, when the United Kingdom separated the Chagos Archipelago from Mauritius.”)
222 Ibid., par. 3.3. (“one of the core aspects of the right to self-determination”).
223 Ibid., par. 3.9. (“prohibits the taking by the administering power of any measures prior to the exercise of the right
to self-determination that would put the people in question in a position whereby they would not be able freely and
genuinely to express their will as regards their political future. This includes measures that affect the territory with
respect to which the right to self-determination is to be exercised, such as the severing of part of the territory of the
colonial unit, as contemplated and prohibited by the rule reflected in paragraph 6 of resolution 1514 (XV). Only
where the continued territorial unity of the colony would be contrary to the freely expressed wishes of the people
of that colony has partition been accepted by the United Nations.”)
70
1965). Une grande partie de l’histoire du droit international pendant
cette période se rapportait au droit relatif à l’autodétermination et à
la décolonisation, comme le démontre clairement l’indépendance de
nombreux d’États dans les années 1960. L’indépendance des
nouvelles colonies ne découlait pas de la courtoisie des anciennes
puissances coloniales. Elle était plutôt l’exercice légitime d’un droit
dont l’application devrait ‘mettre fin rapidement à toutes les
situations coloniales.’’’224
2) ‘‘Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a une projection
territoriale: le peuple devrait pouvoir exercer ses droits sur l’ensemble
du territoire. L’intégrité territoriale est donc non seulement un
corollaire de la souveraineté, mais également un corollaire de
l’autodétermination.’’225
3) En conséquence, la décolonisation de Maurice ‘‘n’a pas été validement
menée à bien’’.226
3.12 Cuba considère qu’il y a eu une violation du droit de Maurice à disposer
d’elle-même et à l’intégrité territoriale, et que par conséquent sa décolonisation
n’a pas été validement menée à bien.227
3.13 Djibouti considère que ‘‘le droit à l’autodétermination avait déjà pris forme
avant que l’Archipel des Chagos ne fut détaché en 1965. Les corollaires de ce droit
avaient également pris forme. Tels qu’énoncés dans la Déclaration coloniale, ces
corollaires comprenaient le droit à ‘l’intégrité territoriale’ et le droit des peuples à
224 Exposé écrit du Brésil, par. 18. (“[T]he right of colonial peoples to self-determination was already established in
international law by the time of the excision by the administrative power of the Chagos Archipelago from Mauritius
(8 November 1965). Much of the history of international law during that period dealt with the law of
self-determination and decolonization, as the independence of a number of states in the 1960s clearly demonstrates.
The independence of new colonies did not derive from comity or courtesy of the former colonial powers. It was
rather the due exercise of a right, whose application should lead to ‘bringing all colonial situations to a speedy end’.”)
225 Ibid., par. 20. (“The right of peoples to self-determination has a territorial projection: the people must be able to
exercise their rights over the entire territory. Territorial integrity is therefore not only a corollary of sovereignty but
also a corollary of self-determination.”)
226 Ibid., par. 24. (“was not lawfully completed”).
227 Exposé écrit de Cuba.
71
‘déterminer librement leur statut politique’…’’228 Djibouti conclut qu’en l’espèce, le
droit à l’autodétermination a été violé dans le cas de Maurice, vu qu’aucun
plébiscite ne fut organisé sur la question du détachement229 et, en outre, parce que
‘’même si les dirigeants mauriciens auraient pu donner un consentement valide, un
tel consentement ne fut pas donné. Au contraire, la pression exercée sur les
représentants mauriciens constituait une contrainte suffisante pour compromettre
la validité de l’accord prétendument conclu.’’230 Par conséquent, Djibouti conclut
que la décolonisation de Maurice n’a pas été validement menée à bien.231
3.14 Le Guatemala considère que la décolonisation de Maurice demeure
inachevée, au motif que :
Il y a abondance de preuves que l’Archipel des Chagos faisait partie de
Maurice avant son détachement par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord avant l’octroi de l’indépendance à Maurice. Il y a
également des éléments de preuve suffisants des tentatives du
Royaume-Uni de déguiser ses actions comme étant licites tout en sachant
qu’elles étaient contraires à ce qui était requis par le processus de
décolonisation prescrit par l’ONU, en particulier concernant le principe de
l’intégrité territoriale tel qu’il est consacré dans la Charte des Nations Unies
et la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations Unies.232
3.15 L’Inde considère qu’à travers la résolution 1514 (XV), la communauté
internationale ‘‘a démontré la ferme détermination que tous les pays coloniaux
228 Exposé écrit de Djibouti, par. 33. (“the right to self-determination had already crystalized before the Chagos
Archipelago was excised in 1965. The corollaries of that right had crystalized as well. As expressed in the Colonial
Declaration, those corollaries included the right to ‘territorial integrity’ and the right of peoples to ‘freely determine
their political status’…”).
229 Ibid., par. 36.
230 Ibid., par. 37. (“even if the Mauritian leadership could have given valid consent, no such consent was given. On
the contrary, the pressure placed on the Mauritian representatives constituted duress sufficient to undermine the
validity of the agreement purportedly reached.”)
231 Ibid., par. 42.
232 Exposé écrit du Guatemala, par. 34. (‘‘There is ample evidence that the Chagos Archipelago formed part of
Mauritius before it was severed from it by the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland ahead of
granting independence to Mauritius. There is also sufficient evidence of the United Kingdom’s attempts to disguise
its actions as lawful albeit being aware they were contrary to what was mandated through the United Nations’
guided process of decolonization, especially regarding the principle of territorial integrity as consecrated in the
Charter of the United Nations and United Nations General Assembly Resolution 1514 (XV)’’).
72
ainsi que les territoires sous tutelle et les territoires non autonomes accèdent
immédiatement à une indépendance complète et aient la liberté de construire
leurs propres États nationaux, conformément à la volonté et au souhait librement
exprimés de leur peuples … Tous les pays doivent observer strictement et
résolument les dispositions de la Charte des Nations Unies et de la résolution
(Déclaration) concernant l’égalité et le respect pour les droits souverains et
l’intégrité territoriale de tous les États.’’233 L’Inde conclut que le Royaume-Uni a
violé ces exigences en démembrant le territoire de Maurice, avec pour
conséquence le fait que la décolonisation de Maurice demeure inachevée.234
3.16 Madagascar considère l’Archipel des Chagos comme faisant partie
intégrante du territoire de Maurice.235 Il note que l’Archipel des Chagos fut détaché
en violation du droit international et des résolutions 1514 (XV) et 2066 (XX) ; par
conséquent, la décolonisation de Maurice demeure inachevée.236
3.17 Les Îles Marshall considèrent qu’‘‘une situation dans laquelle un territoire
fut prétendument segmenté – par l’autorité administrante ou autrement à son
profit principal, en serait une dans laquelle la décolonisation est inachevée, puisque
cela ne répondrait pas aux préoccupations de l’Assemblée générale des Nations
Unies.237 Elles considèrent également qu’une ‘‘[a]ttention accrue devrait être
accordée à certains résultats obtenus lors du processus de décolonisation, y
compris ceux pour lesquels il existe une situation d’inégalité évidente entre
l’autorité administrante et les peuples colonisés.’’238
233 Exposé écrit de l’Inde, par. 32. (“demonstrated the strong resolve that all colonial countries and Trust and
Non-Self Governing Territories must be granted forthwith complete independence and freedom to build their own
national states in accordance with the freely expressed will and desire of their peoples… All countries must observe
strictly and steadfastly the provisions of the UN Charter and the resolution (Declaration) concerning equality and
respect for the sovereign rights and territorial integrity of all states.”)
234 Ibid., par. 65.
235 Exposé écrit de Madagascar, p. 2.
236 Ibid., p. 1-2.
237 Observations écrites des Îles Marshall, par. 32. (“[a] situation wherein a territory was allegedly segmented – by
or otherwise for the primary self-benefit of the administering authority, would be one in which decolonization is
incomplete, as this would not address the concerns of the UN General Assembly”).
238 Ibid., par. 33. (“[h]eightened scrutiny should be afforded to certain outcomes achieved during the decolonization
process, including those where there is a clear situation of inequality between the administering authority and
colonized peoples.”)
73
3.18 La Namibie considère que la décolonisation de Maurice n’a pas été
validement menée à bien lors de son accession à l’indépendance en 1968. Le droit
à l’autodétermination était ‘‘fermement établi au moment pertinent’’ ; cela
exigeait le consentement libre et authentique de la population quant à l’avenir du
territoire, ‘‘et ne devrait pas être entravé par la partition ou division arbitraire d’un
territoire’’ avant l’indépendance.239 Le démembrement de Maurice fut effectué en
violation de ce droit, et du droit corollaire à l’intégrité territoriale.240
3.19 Les Pays-Bas ont présenté un exposé détaillé qui va dans le même sens et ne
contredit pas Maurice. Ils concluent ‘‘qu’il existait non seulement une opinio juris
quant au caractère du droit à l’autodétermination en droit international coutumier
pendant les années 1950, mais également une pratique abondante des États’’ et
qu’‘‘en tout état de cause, il paraîtrait que le droit à l’autodétermination au sens
d’un droit des peuples dans un contexte colonial de choisir l’indépendance,
l’association ou l’intégration est devenu une règle du droit international coutumier
au cours des années 1960.’’241 L’exposé écrit des Pays-Bas est examiné plus loin.242
3.20 Le Nicaragua considère que le droit à l’intégrité territoriale a été violé en
raison du démembrement de Maurice et que, par conséquent, la décolonisation de
Maurice demeure incomplète.243
3.21 La Serbie considère que ‘‘[l]’intégrité territoriale d’un pays est une des
valeurs fondamentales de l’ordre juridique et politique international moderne et
une norme impérative du droit international général.’’244 Elle considère que
‘‘l’Archipel des Chagos fut détaché de Maurice par l’ancienne puissance coloniale
239 Exposé écrit de la Namibie, p. 3. (“firmly established at the relevant time”; [this required the free and genuine
consent of the population as to the future of the territory, and] “should not be impeded by the arbitrary partition or
division of a territory”.)
240 Ibid.
241 Exposé écrit des Pays-Bas, pars. 3.7-3.8. (“there was not only opinio juris in regard of the character of the right of
self-determination as a right under customary international law in the course of the 1950s, but also widespread state
practice” [and that] “[i]n any event, it would appear that the right of self-determination in the sense of a right of
peoples in a colonial context to choose either independence, association or integration developed into a rule of
customary international law in the course of the 1960s.”)
242 Voir pars. 3.27-3.29, 3.39, 3.59, et 3.64-3.66 ci-après.
243 Exposé écrit du Nicaragua, par. 13.
244 Exposé écrit de la Serbie, par. 32. (“[t]erritorial integrity of a country is one of the basic values of contemporary
international legal and political order and a peremptory norm of general international law.”)
74
(le Royaume-Uni) préalablement à l’indépendance de Maurice, en violation du
droit international et en particulier en violation de son intégrité territoriale et du
droit à l’autodétermination.’’245 Par conséquent, la décolonisation de Maurice
demeure inachevée.246
3.22 L’Afrique du Sud considère que l’autodétermination est un droit qui ‘‘existait
manifestement au moment de l’indépendance de Maurice en 1968’’, et était une
norme de jus cogens.247 L’autodétermination ‘‘va de pair avec le principe du droit
coutumier à l’intégrité territoriale.248 Et ‘‘dans le cadre de la décolonisation, un tel
territoire devrait nécessairement être l’ensemble du territoire qui était sous régime
colonial et qui inclut l’Archipel des Chagos en l’espèce.’’249 Elle considère que ‘‘le
détachement des îles Chagos … signifie que l’indépendance de Maurice et
l’exercice de la souveraineté sur son territoire sont incomplets, en violation
flagrante d’une règle fondamentale du droit international relative au statut
d’État.’’250
B. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION EN DROIT INTENATIONAL EN 1965/1968
3.23 Les exposés écrits du Royaume-Uni et des États-Unis prétendent qu’il
n’existait aucun droit à l’autodétermination en droit international au moment du
détachement de l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965 ou de l’indépendance
en 1968. Selon le Royaume-Uni, le droit à l’autodétermination n’est devenu
expressément un droit qu’en 1970 avec l’adoption de la Déclaration de l’Assemblée
générale sur les relations amicales (2625 (XXV)).251
245 Ibid., par. 39. (“[e]xcision of the Chagos Archipelago from Mauritius by the former colonial Power (the United
Kingdom) prior to the independence of Mauritius was in violation of international law, particularly in violation of its
territorial integrity and the right to self-determination.”)
246 Ibid., par. 44.
247 Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 63. (“clearly existed by the time of Mauritian independence in 1968”).
248 Ibid., par. 64 (“goes hand in hand with the customary law principle of territorial integrity.”)
249 Ibid. (“[w]ithin the context of decolonization such territory must necessarily be the whole territory that was under
colonial rule and which includes the Chagos Archipelago in the present instance.”)
250 Ibid., par. 65. (“the detachment of the Chagos Islands… means that the independence of Mauritius and the
exercise of sovereignty over its territory is incomplete and in clear violation of a basic international law rule relating
to statehood.”)
251 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.75.
75
3.24 Maurice ne conteste pas le fait que la Déclaration sur les relations amicales
a été une étape importante dans l’évolution du droit relatif à la décolonisation. Elle
convient également que, comme la Déclaration le précise clairement, le droit à
l’autodétermination faisait définitivement partie du droit international coutumier
en 1970. Cependant, contrairement à la position adoptée par le Royaume-Uni et
les États-Unis, Maurice est d’avis que ce droit ne s‘est pas vu subitement doté d’une
autorité juridique avec l’adoption de cette Déclaration, mais avait déjà été établi
comme faisant partie du corpus du droit international coutumier au moment du
détachement de l’Archipel des Chagos en 1965.
3.25 Avant de passer aux éléments de preuve, il convient de noter que le
Royaume-Uni et les États-Unis attachent une importance considérable à l’existence
d’une distinction apparente entre le principe de l’autodétermination, tel que
reconnu parmi les objectifs et les principes de la Charte des Nations Unies, et le
droit à l’autodétermination. La prétendue absence d’une référence explicite à un
‘‘droit’’ à l’autodétermination dans la Charte des Nations Unies (même s’il apparaît
clairement dans le texte français qui fait également foi) les mène à la conclusion
apparente que les autorités administrantes n’avaient aucune obligation d’agir
conformément au principe d’autodétermination dans leur comportement en vertu
des chapitres XI à XIII de la Charte. Une telle interprétation vide en grande partie
ces chapitres de la Charte de leur signification et de leur effet et ce faisant, ne tient
pas compte de la pratique émergente des Nations Unies au cours des années 1950
et 1960.
3.26 En effet, la cause principale de l’opposition à la reconnaissance d’un ‘‘droit’’
à l’autodétermination (par opposition à son existence comme un principe
opérationnel) était qu’il pouvait être perçu comme imposant une obligation aux
autorités administrantes d’entamer immédiatement le processus de
décolonisation, sans tenir compte de la question de savoir si les territoires
concernés étaient prêts à devenir indépendants. Le Royaume-Uni soutient dans son
exposé écrit qu’il considérait que l’autodétermination ‘‘était un principe et non un
droit’’ et que son objection à la reconnaissance d’un droit à l’autodétermination
était motivée par le sentiment que ‘’tous les territoires dépendants’’ n’étaient pas
76
‘‘prêts à choisir leur statut définitif’’.252 Cependant, la position adoptée par Maurice
est qu’étant donné que la question posée ne concerne pas le calendrier de
l’indépendance, il importe peu que l’autodétermination soit décrite comme un
principe ou un droit au moment pertinent. Quelle que soit l’approche, les autorités
administrantes étaient dans l’obligation, établie par la pratique des Nations Unies,
d’agir en conformité avec le droit ou le principe à l’autodétermination dans
l’accomplissement de leurs obligations en vertu du chapitre XI de la Charte des
Nations Unies, et cela comprenait une obligation de ne pas interférer avec
l’intégrité territoriale des territoires non autonomes en l’absence du consentement
libre et entier de la population.
3.27 Comme l’indique l’exposé écrit des Pays-Bas, ‘‘les chapitres XI et XII de la
Charte des Nations Unies sont devenus la toile de fond pour l’évolution de
l’autodétermination, passant de principe à droit positif, dans le domaine de la
décolonisation pendant les deux premières décennies après la création des Nations
Unies.’’253 Même si l’autodétermination n’a pas été mentionnée de façon explicite
dans ces chapitres, la pratique de l’Assemblée générale dans les années qui
suivirent fit clairement apparaître que l’évolution graduelle des territoires non
autonomes vers l’autonomie allait reposer sur le principe de l’autodétermination254
et que ce principe allait finalement devenir un droit au moment de l’adoption de la
Déclaration coloniale (résolution 1514(XV) de l’Assemblée générale) en 1960.
3.28 Comme les Pays-Bas l’affirment dans leur exposé écrit,255 on peut en trouver
la preuve dans la série de résolutions adoptées par l‘Assemblée générale à partir
de 1952. Celles-ci ont affirmé à maintes reprises que les États membres des Nations
Unies étaient tenus de reconnaître et de promouvoir la réalisation du droit à
252 Ibid., par. 8.73 (citant un extrait de l’exposé écrit du Royaume-Uni, Annexe 86). ([not all] “dependent territories”
[were] “ready to choose their eventual status”).
253 Exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.2. (“Chapter XI and Chapter XII of the U.N. Charter became the background for
the evolution of self-determination from a principle into a positive legal right in the field of decolonization in the
first two decades after the establishment of the United Nations’’.)
254 Voir, par exemple, Assemblée générale de l’ONU, 12e session, Recommandations concernant le respect, sur le
plan international, du droit des peuples et des nations à l’autodétermination, document de l’ONU A/RES/1188(XII)
(11 déc. 1957).
255 Exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.5.
77
l’autodétermination des peuples des territoires non autonomes et des territoires
sous tutelle qu’ils administraient.256
3.29 Les Pays-Bas ajoutent que, même si certaines autorités administrantes
étaient opposées à la résolution 1188 (XII), cela n’a pas eu pour effet d’empêcher
l’émergence d’une opinio juris quant au statut coutumier du droit à
l’autodétermination. Comme les Pays-Bas l’expliquent, loin d’être fondée sur
l’inexistence d’un droit à l’autodétermination, l’opposition à la résolution était
simplement fondée sur une préoccupation que ce droit ne soit pas limité aux
territoires non autonomes.257 Les Pays-Bas concluent en rappelant, par
conséquence, ‘‘qu’il existait non seulement une opinio juris quant au caractère du
droit à l’autodétermination en droit international coutumier pendant les années
1950, mais également une pratique abondante des États confirmée par le fait
qu’une trentaine de territoires non autonomes et de territoires sous tutelle
accédèrent à l’indépendance avant l’adoption de la résolution 1514 le 14 décembre
1960’’.258
3.30 Le statut coutumier du droit à l’autodétermination est aussi confirmé par
l’adoption de la résolution 1514 (XV) par l’Assemblée générale en 1960 par 89 voix,
avec seulement 9 abstentions. Aucun État ne vota contre cette résolution.259
3.31 Les États-Unis et le Royaume-Uni soutiennent que la résolution 1514 (XV) de
l’Assemblée générale n’est pas juridiquement contraignante. Même s’il est évident
256 Voir, par exemple, Assemblée générale de l’ONU, 7e session, Droit des peuples et des nations à disposer
d’eux-mêmes, document de l’ONU A/RES/637(VII) (16 déc. 1952); Assemblée générale de l’ONU, 8e session, Facteurs
dont il convient de tenir compte pour décider si un territoire est, ou n’est pas, un territoire dont les populations ne
s’administrent pas encore complètement elles-mêmes, document de l’ONU A/RES/742(VIII) (27 nov. 1953) (Dossier
No. 42); Assemblée générale de l’ONU, 12e session, Recommandations concernant le respect, sur le plan
international, du droit des peuples et des nations à l’autodétermination, document de l’ONU A/RES/1188(XII)
(11 déc. 1957).
257 Exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.6.
258 Ibid., par. 3.7. (“there was not only opinio juris in regard of the character of the right of self-determination as a
right under customary international law in the course of the 1950s, but also widespread State practice reflected in
the fact that some thirty non-self-governing and Trust Territories achieved independence prior to the adoption of
Resolution 1514 on 14 December 1960”).
259 Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 947e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.947 (14 déc. 1960)
(ci-après “Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
(14 déc. 1960)”), par. 34 (Dossier No. 74).
78
que les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas en soi contraignantes, la
Cour a reconnu depuis longtemps qu’elles fournissent non seulement une preuve
de l’opinio juris260 mais ‘‘peuvent, dans certaines circonstances, fournir des
éléments de preuve importants pour établir l’existence d’une règle’’ de droit
international coutumier.261 Elles sont également pertinentes, comme on
l’expliquera en détail ci-après, aux fins de l’interprétation de la Charte des Nations
Unies.262 Par conséquent, comme Dame Rosalyn Higgins a pu le conclure dès 1963,
bien avant les événements en question dans la présente procédure, ‘‘lorsque [la
résolution 1514 (XV)] est considérée conjointement avec l’évolution de la pratique
suivie par les organes des Nations Unies pendant dix-sept ans, elle atteste
largement qu’il existe maintenant un droit juridique à l’autodétermination.’’263
3.32 Les États-Unis essaient de jeter le doute sur les nombreux éléments de
preuve qui étaient déjà disponibles en 1963 et sur le statut coutumier des termes
de la résolution 1514 (XV). Ils le font en se fondant sur les divergences de vues qui
sont apparues dans les débats quant au contenu du droit et au libellé de certaines
clauses.264
3.33 Hormis le fait qu’on peut s’attendre à des divergences de vues sur les forces
et les faiblesses d’un texte juridique rédigé dans un cadre multilatéral, la résolution
1514 (XV) est vraiment remarquable pour la grande unanimité qu’on peut
constater autour de ses principales dispositions. Elle était le résultat d’un projet de
résolution de quarante-trois puissances, rédigé par des États d’Afrique et d’Asie
comme alternative à un projet précédent de même inspiration parrainé par l’URSS,
et fut soutenue par une large majorité d’États membres des Nations Unies.265
260 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis), fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 1986, p. 100, par. 188.
261 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (avis consultatif), p. 253-254, par. 70.
262 Voir pars. 3.40-3.41 ci-après.
263 Rosalyn Higgins, The Development of International Law through the Political Organs of the United Nations (1963),
p. 104 (Annexe 19).
264 Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, chapitre IV, partie D.
265 Assemblée générale de l’ONU, 15e session, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance
aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/L/323 (28 nov. 1960), Add. 1-6
(28 nov.-6 déc. 1960) (Dossier No. 76).
79
3.34 Même les États qui se sont abstenus de voter en faveur de la résolution le
firent tout en soutenant sa teneur générale. Par exemple, le représentant du
Royaume-Uni (Ormsby-Gore) avait indiqué plus tôt dans les débats sur la
résolution, que le Royaume-Uni était ‘’entièrement solidaire’’ avec ses auteurs :
‘’nul ne conteste […] le droit de la population à l’indépendance ; il ne s’agit pas de
savoir si la population sera indépendante ou non. La question est tranchée: elle le
sera. Il s’agit seulement de savoir à quelle date.’’266
3.35 Plus tard, au moment d’expliquer le vote du Royaume-Uni, il insista de
nouveau sur le fait que les objectifs des auteurs du projet de résolution des
quarante-trois puissances (A/L.323 et Add.1-6) ‘‘étaient les mêmes que les nôtres.
En fait, ce sont ceux qui figurent dans la Charte des Nations Unies’’.267 Il fut ensuite
suggéré, que si le Royaume-Uni avait eu l’occasion de faire ‘‘certaines suggestions,
inspirées de notre propre expérience, qui n’auraient aucunement nui à l’objectif
fondamental du projet’’, il aurait été en mesure de l’accepter.268 Aucune des
objections formulées ne concernait le principe énoncé au paragraphe 6, ni l’idée
que le principe de l’autodétermination devrait régir les activités du Royaume-Uni
en tant qu’autorité administrante des territoires sous tutelle et des territoires non
autonomes. Les objections concernaient des questions de calendrier. En effet, le
représentant britannique devait observer : ‘‘Le Royaume-Uni accepte
naturellement sans réserve le principe de libre détermination énoncé par la Charte
elle-même et nous croyons avoir fait, au cours des 15 dernières années, autant que
266 Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 925e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.925 (28 nov. 1960),
p. 983, par. 32; ibid., p. 985, par. 50 (sans soulignement dans l’original) (Dossier No. 56).
267 Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
(14 déc. 1960), p. 1275, par. 47 (Dossier No. 74).
268 Ibid., par. 48. Les principales objections formulées par le Royaume-Uni étaient les suivantes: a) le terme
“domination étrangère” ne devrait pas être utilisé par rapport aux territoires sous tutelle et aux territoires non
autonomes; b) la référence au colonialisme empêchant “le développement de la coopération économique
internationale” ne pouvait s’appliquer aux territoires du Royaume-Uni; c) le paragraphe 3 aurait pu être plus
“constructif”; d) la référence au droit à l’autodétermination n’était pas à sa place; et e) le paragraphe 5 aurait pu
être formulé plus clairement. Les dispositions du paragraphe 6 ne firent l’objet d’aucune objection. Ibid.,
p. 1275, pars. 49, 50, 52, 53.
80
tout autre délégation présente dans cette assemblée pour la mise en oeuvre de ce
principe.’’269
3.36 De la même manière, tout en s’abstenant, les États-Unis exprimèrent
clairement leur soutien à la reconnaissance du droit à l’autodétermination. Ils
déclarèrent tout d’abord que :
Depuis 15 ans que l’Organisation des Nations Unies existe, l’Article 73 a été
appliqué plus rapidement et sur une plus grande échelle que toute autre
disposition de la Charte. Depuis 1946, environ 34 pays, représentant plus de
775 millions d’habitants, ont accédé à l’indépendance. Presque tous sont
Membres de l’Organisation des Nations Unies et ont des représentants dans
cette salle. Pour l’Afrique seule, on ne compte pas moins de 21 États qui ont
connu cette transition et les deux tiers de l’Afrique sont maintenant libres et
indépendants.270
3.37 Ils poursuivirent en condamnant le colonialisme au motif qu’il :
est le fait de dénier le droit à l’autodétermination… Ni le paternalisme le plus
bienveillant dont puisse faire preuve la puissance dominatrice, ni
l’acceptation la plus reconnaissante des avantages de ce paternalisme par
les chefs autochtones ne peuvent répondre aux critères de la Charte ou
satisfaire à l’esprit de notre époque. En réalité, le seul régime colonial qui
puisse satisfaire à ces critères est celui qui s’emploie avec énergie à remettre
le plein exercice du pouvoir à la population autochtone et qui, donc, cherche
à consacrer le plus rapidement possible sa propre disparition.271
269 Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
(14 déc. 1960), p. 1275, par. 53 (Dossier No. 74).
270 Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 937e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.937 (6 déc. 1960),
p. 1158, par. 15 (Dossier No. 68).
271 Ibid., par. 27 (sans soulignement dans l’original).
81
Ils conclurent ensuite que :
L’épreuve déterminante pour l’autorité chargée de l’administration de tout
territoire qui n’a pas encore accédé à l’indépendance consiste à consulter
librement la population, par voie d’élections librement organisées ou par
tout autre moyen également valable d’autodétermination. Cela implique
bien autre chose qu’une cérémonie au cours de laquelle les populations sont
autorisées à ratifier une décision unique, déterminée à l’avance. C’est en
effet un choix réel entre diverses solutions possibles. Telle est l’essence du
principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui est l’un des buts
des Nations Unies.272
Ainsi, loin d’exprimer une objection à l’existence d’un droit à l’autodétermination,
les États-Unis le considérèrent comme un élément intégral de la Charte des Nations
Unies.273
3.38 Aucun autre État n’a exprimé des réserves quant à l’applicabilité du droit à
l’autodétermination aux territoires non autonomes, ni objecté aux dispositions du
paragraphe 6 relatives à l’applicabilité du principe de l’intégrité territoriale à ces
territoires. Même si la résolution telle que formulée exprimait quelques fois des
aspirations,274 cela était uniquement dû au fait que jusqu’alors, les puissances
272 Ibid., p. 1159, par. 27. Alors qu’ils déclarèrent par la suite avoir certaines réserves quant au libellé de la résolution,
ils se contentèrent cependant d’observer que:
Ce qui est clair, toutefois, c’est que cette résolution s’applique au même titre à toutes les régions
du monde qui ne sont pas libres … Elle évoque la liberté par contraste avec la subjugation, la
domination et l’exploitation étrangères. Le texte proclame que tous les peuples ont le droit de
disposer d’eux-mêmes, et il condamne le colonialisme dans toutes ses formes. Les Membres de
l’ONU ne seraient pas fidèles à leur mandat et à leurs responsabilités selon la Charte s’ils
n’examinaient pas le sort de certains peuples auxquels s’appliquent, de toute évidence, les
dispositions de la Charte et celles de la nouvelle résolution.
Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
(14 déc. 1960), p. 1283, par. 145 (sans soulignement dans l’original) (Dossier No. 74).
273 Les objections des États-Unis à la résolution étaient a) qu’elle “insist[ait] … avec force sur l’indépendance
complète comme seul objectif acceptable” et b) que les paragraphes 3, 4 et 5 pouvaient donner lieu à des “erreurs
d’interprétation”. Ibid., pars. 147, 149.
274 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.33.
82
administrantes ne s’étaient pas montrées entièrement disposées à respecter leurs
obligations en vertu de la Charte.275
3.39 Comme l’indiquent les Pays-Bas et comme l’a expliqué Maurice dans son
exposé écrit, la pratique ultérieure de l’Assemblée générale et du Conseil de
sécurité s’est en grande partie alignée sur les dispositions de la Déclaration
coloniale.276 La Déclaration fut à maintes reprises invoquée dans toutes les
résolutions ultérieures se rapportant à la décolonisation, de sorte qu’il ne peut y
avoir aucun doute qu’en 1965, celle-ci était l’expression du droit international
coutumier.
3.40 Au-delà de la question du statut de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée
générale en tant qu’expression du droit international coutumier, il y a en outre de
nombreux éléments qui suggèrent que le but de la résolution était de réitérer et
clarifier les obligations figurant dans la Charte des Nations Unies elle-même. Lors
des débats, plusieurs délégations notèrent non seulement la conformité de la
Déclaration aux dispositions de la Charte,277 ou la manière dont la Déclaration
275 Voir, par exemple, Assemblée générale des Nations Unies, 15e session, 934e séance plénière, point 87 de l’ordre
du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.934
(3 déc. 1960), p. 1127, pars. 125-126 (Brésil) (Dossier No. 65); Assemblée générale des Nations Unies, 15e session,
933e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux, document de l’ONU A/PV.933 (2 déc. 1960) (ci-après “Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi
de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (2 déc. 1960)”), p. 1098, par. 136 (Guatemala) (Dossier No. 64);
Assemblée générale des Nations Unies, 15e session, 929e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.929 (30 nov. 1960) (ci-après
“Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (30 nov.
1960)”), p. 1035, pars. 22-26 (Libye) (Dossier No. 60); Assemblée générale des Nations Unies, 15e session,
928e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux, document de l’ONU A/PV.928 (30 nov. 1960) (ci-après “Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi
de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (30 nov. 1960)”), p. 1027-1028, pars. 84-91 (Yougoslavie)
(Dossier No. 59); Assemblée générale des Nations Unies, 15e session, 945e séance plénière, point 87 de l’ordre du
jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.945
(13 déc. 1960), p. 1256, par. 107 (Chypre) (Dossier No. 72).
276 Exposé écrit de Maurice, pars. 6.20-6.39; Exposé écrit des Pays-Bas, pars. 3.1-3.33.
277 Voir, par exemple, Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux (30 nov. 1960), p. 1025, pars. 66-67 (Pologne) (Dossier No. 59); Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU (30 nov. 1960), p. 1035, par. 26
(Libye) (Dossier No. 60); Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 931e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour:
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.931
(1 déc. 1960), p. 1067, par. 54 (Liberia) (Dossier No. 62).
83
respectait la lettre et l’esprit de la Charte,278 mais également son rôle dans
l’interprétation,279 la concrétisation280 ou la clarification281 de l’application de la
Charte et de ses dispositions.
3.41 Il est constant, dans la jurisprudence de la Cour, que la pratique des organes
des Nations Unies peut constituer un élément de preuve pertinent aux fins de
l’interprétation de la Charte des Nations Unies. Cela a été affirmé dans l’avis
consultatif sur Certaines dépenses,282 et réaffirmé ultérieurement, bien que dans
des contextes différents, dans l’avis consultatif sur la Namibie283 et celui sur
l’Édification d’un mur.284 En l’espèce, il existe des motifs raisonnables pour soutenir
que, quel que soit le statut juridique indépendant du droit à l’autodétermination
en droit international coutumier, la pratique de l’Assemblée générale telle qu’elle
est reflétée par une longue série de résolutions qui remontent à 1960, a confirmé
la pertinence du principe de l’autodétermination aux fins de l’interprétation des
modalités selon lesquelles la pleine autonomie sera octroyée aux territoires non
autonomes en vertu du chapitre XI de la Charte des Nations Unies.
278 Voir, par exemple, Assemblée générale des Nations Unies, 15e session, 930e séance plénière, point 87 de l’ordre
du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.930
(1 déc. 1960), p. 1060, par. 85 (Pérou) (Dossier No. 61); Assemblée générale des Nations Unies,
15e session, 935e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.935 (5 déc. 1960) (ci-après “Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration
sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (5 déc. 1960)”), p. 1139, par. 117 (Malaisie) (Dossier
No. 66); Assemblée générale des Nations Unies, 15e session, 946e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour:
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.946 (14 déc.
1960), p. 1266, par. 11 (Suède) (Dossier No. 73).
279 Voir, par exemple, Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux (30 nov. 1960), p. 1027-1028, pars. 84-91 (Yougoslavie) (Dossier No. 59).
280 Voir, par exemple, Assemblée générale des Nations Unies, 15e session, 932e séance plénière, point 87 de l’ordre
du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.932
(2 déc. 1960), p. 1076, par. 36 (Turquie) (Dossier No. 63).
281 Voir, par exemple, Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux (30 nov. 1960), p. 1042, pars. 99-102 (Tunisie) (Dossier No. 60); Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (2 déc. 1960), p. 1103, par. 182 (Philippines) (Dossier
No. 64).
282 Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962
(ci-après “Certaines dépenses (avis consultatif)”), p. 178-179.
283 Sud-Ouest africain (avis consultatif), p. 22, pars. 21-22.
284 Édification d’un mur (avis consultatif), p. 149-150, pars. 27-28.
84
C. LE ROYAUME-UNI EN TANT QU’OBJECTEUR PERSISTANT
3.42 L’exposé écrit du Royaume-Uni soutient, très brièvement et sans aucune
citation à l’appui, que même si le droit à l’autodétermination existait au moment
pertinent, il ‘‘n’était pas contraignant pour le Royaume-Uni parce qu’il était un
objecteur persistant.’’285
3.43 L’objection persistante est un concept controversé: la doctrine a été
qualifiée d’‘‘exceptionnelle’’ et ses conditions d’application de ‘‘strictes’’.286 Une
telle doctrine ne peut s’appliquer à des normes impératives.287 Comme le
285 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.59 (‘‘would not be binding on the United Kingdom because it was a persistent
objector’’). L’argument de l’objecteur persistant est invoqué à ibid., pars. 8.59-8.61.
286 Commission du droit international, 67e session, Détermination du droit international coutumier: Déclaration du
président du Comité de rédaction, M. Mathias Forteau (29 juillet 2015) (ci-après “Détermination du droit
international coutumier: Déclaration du président du Comité de rédaction, M. Mathias Forteau”), p. 18-19 (“Même
si en plénière, certains membres ont exprimé des doutes quant à la pertinence de la règle de l’objecteur persistant
pour la détermination du droit international coutumier, notant qu’elle semblait plus liée à l’application d’un tel droit,
la majorité était en faveur d’un projet de conclusion sur cette question, vu qu’en pratique, cette règle est
fréquemment invoquée lorsqu’il s’agit de déterminer l’existence d’une règle coutumière. En même temps, compte
tenu du caractère exceptionnel de cette règle, le Comité de rédaction a reconnu qu’il fallait refléter dans le texte
des conditions strictes qu’un État devrait remplir afin de devenir un objecteur persistant.”) (sans soulignement dans
l’original). (“Even though in plenary some members expressed doubt as to the relevance of the persistent objector
rule to the identification of customary international law, noting that it was seemed to be more related to application
of such law, there was a preponderance in favour of a draft conclusion on the matter given the fact that, in practice,
there was often reliance on persistent objector rule in cases where a determination of the existence of a customary
rule is sought. At the same time, considering the exceptional nature of the rule, the Drafting Committee recognised
the need to capture in the text the stringent requirements for a State to become a persistent objector.”)
287 Voir, par exemple, John Tasioulas, “Custom, jus cogens, and human rights”, à paraître dans CUSTOM’S FUTURE:
INTERNATIONAL LAW IN A CHANGING WORLD (20 mars 2015), p. 11 (Annexe 234). Un aspect du ‘’caractère distinct’’ des
normes impératives est que ‘’leur caractère contraignant pour tout État donné est indépendant du fait que cet État
ait accepté la norme en question ou n’y ait pas objecté. En particulier, la ‘règle de l’objecteur persistant’ visant à se
soustraire à l’application d’une loi ne s’applique pas aux normes du jus cogens. Donc, par exemple, les objections
persistantes que l’Afrique du Sud était supposée avoir soulevé aux normes interdisant la discrimination raciale et
l’apartheid étaient juridiquement nulles et non avenues’’. (One aspect of the “distinctive character” of peremptory
norms is that “their binding character for any given state is independent of whether that state has accepted, or failed
to object to, the norm in question. In particular, the ‘persistent objector rule’ for evading a law’s opposability is
inapplicable to jus cogens norms. So, for example, South Africa’s supposed persistent objections to norms prohibiting
racial discrimination and apartheid were legally nugatory”.) La question a été examinée par la CDI qui a indiqué que
‘’l’on ne peut admettre qu’un objecteur persistant puisse tenir une telle norme [du jus cogens] en échec’’. Assemblée
générale de l’ONU, Documents officiels, 62e session, Rapport de la Commission du droit international: 59e session,
document de l’ONU A/62/10 (7 mai-5 juin et 9 juillet-10 août 2007), p. 101. Le rapport de 2015 du Comité de
rédaction note qu’il a eu une discussion ‘’quant à savoir s’il devait y avoir un paragraphe additionnel [dans le projet
de texte sur le droit international coutumier] pour refléter l’impossibilité d’obtenir le statut d’objecteur persistant à
l’égard d’une règle du jus cogens”, mais qu’il a décidé de traiter cette question dans le cadre de ses travaux
concernant le jus cogens. Voir Détermination du droit international coutumier: Déclaration du président du Comité
de rédaction, M. Mathias Forteau, p. 20. Cependant, plusieurs membres de la CDI ont clairement indiqué que la règle
de l’objecteur persistant ne s’applique pas aux normes du jus cogens. Voir Commission du droit international,
85
Royaume-Uni l’a dit dans l’affaire des Pêcheries, ‘‘dans le cas où il s’agit d’un
principe fondamental, la communauté internationale ne reconnaît à aucun État le
droit de se soustraire aux conséquences de ce principe.’’288
3.44 Il est bien établi que le droit à l’autodétermination fait partie de la catégorie
des normes impératives ou des ‘‘principes fondamentaux’’.289 L’argument du
Royaume-Uni doit donc être rejeté dès cette première étape: indépendamment de
la conduite du Royaume-Uni pendant le développement du droit à
l’autodétermination, la nature de ce droit est telle qu’aucun État ne peut prétendre
y être un objecteur persistant, tout comme aucun État ne peut prétendre être un
objecteur persistant à l’interdiction (par exemple) du génocide, de la torture ou de
l’agression. Il est surprenant que le contraire puisse être soutenu par un Etat qui
professe son engagement en faveur de l’état de droit sur le plan international.
3.45 Il n’est donc pas nécessaire de poursuivre l’examen de la conduite du
Royaume-Uni par rapport au droit à l’autodétermination. Même si c’était
juridiquement possible pour le Royaume-Uni ‘‘de se soustraire des conséquences
de ce principe’’,290 l’exposé écrit du Royaume-Uni ne démontre pas son objection
persistante au droit à l’autodétermination. Il incombe à l’État qui souhaite invoquer
la doctrine de l’objecteur persistant de remplir une série de conditions strictes.
68e session, Compte rendu analytique provisoire de la 3316e séance, document de l’ONU A/CN.4/SR.3316 (18 sept.
2016), déclaration de M. Park, p. 14 (M. Park “convient avec le Rapporteur spécial que la doctrine de l’objecteur
persistant n’est pas applicable au jus cogens et estime que toute possibilité en ce sens devrait être catégoriquement
exclue.”); Commission du droit international, 68e session, Compte rendu analytique provisoire de la 3322e séance,
document A/CN.4/SR.3322 (23 juin 2017), déclaration de M. Petrič, p. 5 (“Aux questions de savoir s’il peut exister
un jus cogens régional ou si la règle de l’objecteur persistant peut s’appliquer au jus cogens, M. Petrič répondrait
donc a priori par un non catégorique, mais il n’exclut pas la possibilité que ces questions soient examinées
ultérieurement, comme l’envisage le Rapporteur spécial.”); Ibid., Déclaration de M. Vázquez-Bermúdez, p. 7
(M. Vázquez-Bermúdez “souscrit entièrement … que les normes du jus cogens sont, par leur nature même,
incompatibles avec la doctrine de l’objecteur persistant. On ne saurait concevoir par exemple qu’un État puisse se
soustraire à l’interdiction du génocide ou des crimes contre l’humanité au motif qu’il s’y est opposé de manière
persistante, car cela reviendrait à lui permettre de bafouer les valeurs fondamentales et les intérêts essentiels de la
communauté internationale dans son ensemble sans encourir la moindre conséquence juridique.”)
288 Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), Réplique du Royaume-Uni (28 nov. 1950), Mémoires, Vol. II, p. 429.
289 Voir, par exemple, Commission du droit international, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait
internationalement illicite et commentaires y relatifs (2001), art. 26, par. 5 (“Les critères à appliquer pour identifier
les normes impératives du droit international général sont exigeants … Les normes impératives qui sont clairement
acceptées et reconnues sont les interdictions de l’agression, du génocide, de l’esclavage, de la discrimination raciale,
des crimes contre l’humanité et de la torture, ainsi que le droit à l’autodétermination.”)
290 Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), Réplique du Royaume-Uni (28 nov. 1950), Mémoires, Vol. II, p. 429.
86
Comme énoncé dans le texte des projets de conclusions sur la détermination du
droit international coutumier adoptés par la Commission du droit international:291
1) Lorsqu’un État a objecté à une règle du droit international coutumier
lorsqu’elle était en voie de formation, cette règle n’est pas opposable
audit État aussi longtemps qu’il maintient son objection.292
2) L’objection doit être exprimée clairement, être communiquée aux
autres États et être maintenue de manière persistante.293
3.46 Le Royaume-Uni s’efforce de remplir ces conditions en déclarant qu’il ‘‘a
constamment voté contre ou s’est abstenu lors du vote sur la résolution annuelle
de l’Assemblée générale relative à la mise en application de la résolution 1514 (XV).
Il n’a jamais voté en faveur d’une telle résolution.’’294 Encore une fois, le
291 Commission du droit international, Rapport sur les travaux de la 68e session - Chapitre V: Détermination du droit
international coutumier, document de l’ONU A/71/10 (2016), Conclusion 15.
292 Le rapport de 2015 du comité de rédaction de la CDI indique que “Tel qu’il est maintenant formulé, le paragraphe
1 vise à rendre compte du processus par lequel l’objection à la règle ou à son application est enregistrée pendant
que la règle est en formation, avant qu’elle se cristallise en une règle de droit, et est maintenue ensuite. En
conséquence, le paragraphe 1 dispose que lorsqu’un Etat a objecté à une règle de droit international coutumier
lorsqu’elle était en voie de formation, cette règle n’est pas opposable à l’Etat concerné aussi longtemps qu’il
maintient cette objection. En d’autres termes, il y a un processus en deux étapes suivant lequel dans un premier
temps, reflétant un élément temporel, un Etat doit avoir objecté à la règle ‘lorsqu’elle était en voie de formation’;
une fois que la règle est formée, l’Etat ne sera pas lié par la règle ‘aussi longtemps qu’il maintient son objection’, ce
qui concerne l’émergence de la règle et la continuité de l’objection. L’Etat objectant aura la charge de prouver qu’il
a le droit de bénéficier de la règle de l’objection persistante.” Détermination du droit international coutumier:
Déclaration du Président du comité de rédaction, M. Mathias Forteau, p.19-20 (sans soulignement dans l’original).
293 Le comité de rédaction indique que ‘’Le paragraphe 2, qui est nouveau, vise ensuite à exposer les conditions
strictes auxquelles l’effectivité de l’objection persistante est soumise, telles qu’elles ont été décrites dans le
troisième rapport du Rapporteur spécial. Ce paragraphe exige trois éléments essentiels : a) l’objection doit être
exprimée clairement ; b) l’objection doit être communiquée aux autres Etats, et c) l’objection doit être maintenue
de manière persistante. Le commentaire décrira ce que chacun de ces trois éléments implique. L’objection doit être
exprimée de manière non ambiguë et exprimer clairement la position juridique de l’Etat objectant. Elle peut être
orale ou écrite. L’expression ‘être communiquée aux autres Etats’ est destinée à apporter une certaine flexibilité
quant à la manière par laquelle la position de l’objecteur est communiquée aux Etats concernés. Il est entendu que
la référence au ‘maint[i]e[n] de manière persistante’ signifie, comme l’a noté le Rapporteur spécial dans son
troisième rapport, que l’Etat doit maintenir son objection à la fois de manière persistante et de manière
concordante, à défaut de quoi il pourrait être considéré comme ayant acquiescé à la règle. La condition de
‘persistance’ s’applique à toutes les phases temporelles de la formation et l’existence de la règle. Il a été noté,
cependant, qu’il pouvait être non réaliste d’exiger une constance totale.” Détermination du droit international
coutumier: Déclaration du Président du comité de rédaction, M. Mathias Forteau, p. 20 (sans soulignement dans
l’original).
294 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.61.
87
Royaume-Uni ne présente aucun élément de preuve à l’appui de cette affirmation
et omet de tenir compte de sa conduite dans d’autres contextes. Au paragraphe
3.35 ci-dessus, Maurice a déjà relevé que lors de l’adoption de la résolution 1514
(XV), le représentant du Royaume-Uni avait déclaré très clairement que le
Royaume-Uni ‘‘accepte […] sans réserve le principe de libre détermination énoncé
par la Charte’’.295 Cette déclaration à elle seule remet en question la position du
Royaume-Uni en tant qu’objecteur persistant.
3.47 En fait, le Royaume-Uni a lui-même invoqué en de nombreuses occasions
dans les années 1960 le droit à l’autodétermination dans des différends avec
d’autres États. Durant les discussions sur la question de Gibraltar au sein du Comité
des 24 en 1964 et 1965, le Royaume-Uni a fait référence au ‘‘principe’’ ainsi qu’au
‘‘droit’’ à l’autodétermination à plusieurs reprises:
143. … Il était vraiment ironique non seulement d'entendre le représentant
de l'Espagne accuser la Grande-Bretagne de chercher à tromper les Nations
Unies en s'acquittant des obligations que lui impose la Charte à l'égard de
Gibraltar, mais encore de voir l'Espagne s'efforcer d'annexer la population
de Gibraltar sous le couvert de la résolution 1514 (XV) de l'Assemblée
générale, laquelle proclame précisément le droit de tous les peuples à la libre
détermination.
…
148. Le représentant de l'Espagne s'était également fondé, pour affirmer
que le principe de l'autodétermination ne s'appliquait pas à Gibraltar, sur sa
propre interprétation du paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV); il avait cité
à ce propos l'interprétation que la délégation du Royaume-Uni avait donnée
de ce même paragraphe au Sous-Comité III, à propos des îles Falkland
(A/AC.109/102), et il avait prétendu que le Royaume-Uni était le seul à
soutenir cette interprétation, ce qui était inexact. L'interprétation du
paragraphe 6 de la résolution précitée ne faisait aucun doute: ce paragraphe
se référait aux tentatives qui pouvaient être faites dans l'avenir pour détruire
295 Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
(14 déc. 1960), p. 1275, par. 53 (Dossier No. 74).
88
l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un pays, et ne pouvait être
déformé de manière à justifier les efforts entrepris par un pays pour étendre
sa souveraineté sur de nouveaux territoires en invoquant des différends
vieux de plusieurs siècles. Le paragraphe considéré avait pour objet de
protéger les territoires ou pays coloniaux qui avaient récemment accédé à
l'indépendance, contre les tentatives visant à porter atteinte à leur intégrité
territoriale à un moment où les difficultés de l’accession, prochaine ou
récente, les rendaient moins aptes à se défendre. A cet égard, le
représentant du Royaume-Uni a rappelé que la question de la sécession du
Katanga se posait à l'Assemblée générale en 1960 au moment même de la
préparation, de la discussion et de l'adoption de la résolution 1514 (XV).
149. Contrairement à ce qu’avait prétendu le représentant de l’Espagne,
l’interprétation du paragraphe 6 qui avait été donnée par la délégation du
Royaume-Uni était acceptée par d’autres délégations … En 1960, alors que
le Guatemala cherchait à faire apporter au paragraphe 6 susmentionné des
amendements tendant à accorder aux revendications territoriales la priorité
sur le principe de la libre détermination, la délégation soviétique s’était
prononcée contre lesdits amendements parce qu’ils prévoyaient une
limitation du droit essentiel de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes, ce
qui était en contradiction avec le paragraphe 2 de la déclaration proposée,
laquelle portait à juste titre que tous les peuples ont le droit de libre
détermination (945ème séance plénière, par. 128).296
3.48 À titre d’exemple supplémentaire, le Royaume-Uni fit en 1967 une
proposition, libellée comme suit :297
296 Assemblée générale de l’ONU, 19e session, Rapport du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui
concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document
de l’ONU A/5800/Rev.1 (1964-1965), pars. 143, 146, 148-149 et 151 (sans soulignement dans l’original) (Dossier No.
251).
297 La proposition fut présentée par le Royaume-Uni à la réunion du Comité spécial. Assemblée générale de l’ONU,
24e session, Rapport du Comité spécial des principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les États, document de l’ONU A/7619, Supplément No 19 (1969), p. 51.
89
1. Tout État a le devoir de respecter le principe de l'égalité de droits et de
l'autodétermination des peuples et de l’appliquer à l'égard des peuples
placés sous son autorité, attendu que soumettre des peuples à la
subjugation, à la domination ou à l'exploitation constitue un déni des droits
fondamentaux de l'homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et
oppose un obstacle au progrès de la paix et de la coopération mondiales. Le
principe est applicable dans le cas d'une colonie ou autre territoire non
autonome, d'une zone d'occupation militaire ou d'un territoire sous tutelle
ou, sous réserve des dispositions contenues dans le paragraphe 4 ci-dessous,
dans le cas d'un territoire qui est géographiquement distinct et différent du
point de vue ethnique et culturel du reste du territoire de l'État qui
l'administre.
2. En vertu du principe énoncé ci-dessus: …
b) Tout État doit accorder aux peuples placés sous son autorité, dans l’esprit
de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le droit de déterminer
librement leur statut politique et de poursuivre leur développement social,
économique et culturel sans discrimination de race, de religion ou de
couleur.298
3.49 Encore une fois en ce qui concerne Gibraltar, lorsque le Royaume-Uni vota
contre la résolution 2353 (XXII) (1967) de l’Assemblée générale en séance plénière,
il déclara :
97. … Tout au long des débats de la Quatrième Commission, aussi bien cette
année que les années précédentes, nous avons insisté sur le fait qu'il y a deux
principes fondamentaux que nous ne saurions trahir, en premier, le principe
que l'intérêt du peuple doit être primordial et, en second, que le peuple a le
droit d'exprimer librement ses désirs quant à son avenir. Ces principes nous
298 Ibid. (sans soulignement dans l’original).
90
ont guidés et continueront à nous guider dans notre tâche qui consiste à
assumer nos responsabilités à l'égard des populations des territoires dont
nous sommes responsables. Pendant toute la décolonisation, nous avons eu
recours à la consultation et sollicité l'acquiescement. Nous ne renoncerons
pas à ces principes dans le cas des quelques territoires dépendants dont nous
sommes encore responsables.299
Il ne fait aucun doute que le Royaume-Uni acceptait l’existence du droit à
l’autodétermination.
3.50 Le Royaume-Uni fit la déclaration suivante devant le Comité des 24 en 1967:
36. Il y avait d’autres aspects de la résolution 1514 (XV), outre le paragraphe
6 de la Déclaration, qui peuvent être rappelés. Il a été stipulé que tous les
peuples avaient le droit de disposer d’eux-mêmes et que la sujétion des
peuples à une subjugation étrangère était un déni des droits fondamentaux
de l’homme, et l’importance de la volonté librement exprimée des peuples
des territoires non autonomes a été soulignée. C’était dans ce contexte que
l’on devrait tout d’abord considérer le référendum qui a permis à la
population de Gibraltar d’exprimer leurs vues quant à leurs intérêts par
rapport à une voie possible vers la décolonisation, et deuxièmement, la
proposition espagnole que de telles questions devraient être négociées par
les gouvernements du Royaume-Uni et de l’Espagne.300
3.51 Cela implique une fois encore la reconnaissance de l’existence d’un droit à
l’autodétermination dans le contexte particulier en question. Le Royaume-Uni
demandait en effet que sa conduite concernant la tenue du référendum soit
299 Assemblée générale de l’ONU, 22e session, 1641e séance plénière, Point 23 de l’ordre du jour: Application de la
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.1641
(19 déc. 1967), par. 97 (sans soulignement dans l’original) (Dossier No. 199).
300 Assemblée générale de l’ONU, 22e session, Point 23 de l’ordre du jour: Rapport du Comité spécial chargé d’étudier
la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux, document de l’ONU A/6700/Add.9 (28 nov. 1967), par. 36 (sans soulignement dans l’original).
91
considérée comme une conduite adoptée en vue de la mise en oeuvre de la
résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale.
3.52 En d’autres occasions, le Royaume-Uni a voté en faveur des résolutions se
référant explicitement au droit à l’autodétermination sans formuler aucune
réserve. Cela fut le cas, par exemple, pour la résolution 1803 (XVII) (1962) de
l’Assemblée générale relative à la souveraineté permanente sur les ressources
naturelles.301 Cette résolution fait référence dans son préambule à la souveraineté
permanente sur les richesses et les ressources naturelles comme élément
fondamental du droit à l’autodétermination :
Tenant compte de sa résolution 1314 (XIII) du 12 décembre 1958, par
laquelle elle a créé la Commission pour la souveraineté permanente sur les
ressources naturelles et l’a chargée de procéder à une enquête approfondie
concernant la situation du droit de souveraineté permanente sur les
richesses et les ressources naturelles, élément fondamental du droit des
peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes ...
…
Considérant qu’il est souhaitable de favoriser la coopération internationale
en vue du développement économique des pays en voie de développement
et que les accords économiques et financiers entre pays développés et pays
en voie de développement doivent se fonder sur les principes de l’égalité et
du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes …302
3.53 Le Royaume-Uni ne fit aucun commentaire ni ne formula aucune réserve
concernant l’utilisation du terme ‘‘droit’’ à l’autodétermination lorsque la question
fut débattue en séance plénière ou à la Deuxième Commission.303
301 Assemblée générale de l’ONU, 17e session, 1194e séance plénière, Point 39 de l’ordre du jour: Souveraineté
permanente sur les ressources naturelles, document de l’ONU A/PV.1194 (14 déc. 1962), par. 8 (Dossier No. 134).
302 Assemblée générale de l’ONU, 17e session, Souveraineté permanente sur les ressources naturelles, document de
l’ONU A/RES/1803(XVII) (14 déc. 1962), préambule (sans soulignement dans l’original).
303 Assemblée générale de l’ONU, 17e session, 1194e séance plénière, point 39 de l’ordre du jour: Souveraineté
permanente sur les ressources naturelles, document de l’ONU A/PV.1194 (14 déc. 1962) (Dossier No. 134).
92
3.54 En bref, le dossier montre que même si le Royaume-Uni a occasionnellement
exprimé un certain désaccord avec la reconnaissance d’un droit à
l’autodétermination – quant au moment propice pour son application – il ne l’a
certainement pas fait de manière constante. Cela en lui-même ne lui permet pas
d’être un objecteur persistant à la formation de la règle de droit international
coutumier.
3.55 En effet, comme sa position par rapport à Gibraltar l’indique, il paraît avoir
accepté à tout le moins en 1965 que les dispositions de la résolution 1514 (XV), y
compris ses références à l’autodétermination et à l’intégrité territoriale, étaient
pertinentes aux fins de l’évaluation de sa conduite en tant que puissance
administrante de territoires non autonomes.304
D. LE PRINCIPE DE L’INTÉGRITÉ TERRITORIALE
3.56 Le Royaume-Uni et les États-Unis soutiennent qu’il n’existait en 1965/68
aucune règle de droit international coutumier interdisant des modifications aux
frontières des territoires coloniaux avant leur accession à l’indépendance, et que le
paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV) ne faisait pas partie du droit à
l’autodétermination.305
3.57 Comme indiqué dans l’exposé écrit de Maurice, même avant l’adoption de la
résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en 1960, il existait une pratique selon
laquelle toute tentative visant à ‘‘détruire partiellement ou totalement l’unité
nationale et l’intégrité territoriale’’ d’un territoire non autonome (ou sous tutelle)
sans le consentement librement exprimé de la population serait inadmissible.306 Ce
principe fut incorporé dans le paragraphe 6 du projet de résolution des
quarante-trois puissances (A/L. 323 et Add.1-6) et acquit un soutien considérable
lors des débats.307 L’élément essentiel de ce principe était suffisamment clair: il
304 Voir pars. 3.47-3.51 ci-dessus.
305 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 8.46, 8.55-8.58; Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, pars. 4.34, 4.50,
4.69, 4.73.
306 Voir l’exposé écrit de Maurice, p. 218-220.
307 Voir, par exemple, Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 926e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour:
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.926 (28 nov.
1960), p. 995, par. 71 (Iran) (Dossier No. 57); point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance
93
devrait à la fois interdire la ‘‘division’’ du territoire avant l’indépendance,
contrairement aux aspirations librement exprimées de la population, et empêcher
des interventions à cette même fin après l’indépendance.308 En effet, il serait
difficile de concevoir ce que l’autodétermination pourrait en réalité signifier si elle
ne signifiait pas, à tout le moins, cela.
3.58 L’utilisation du terme ‘‘pays’’ au paragraphe 6 est suffisamment instructive
– il fait clairement ressortir que ce droit n’est pas simplement un droit des ‘‘États’’,
mais s’applique également aux territoires non autonomes et à d’autres soumis à la
domination coloniale. Lors des débats, plusieurs délégations le précisèrent de deux
manières différentes. D’une part, certains parlèrent de l’intégrité territoriale des
‘‘pays coloniaux’’309 – étant entendu que les ‘‘pays coloniaux’’ étaient ceux qui
n’avaient pas encore accédé à l’indépendance. D’autre part, plusieurs délégations
s’opposèrent vivement à la fiction selon laquelle les territoires coloniaux faisaient
aux pays et aux peuples coloniaux (30 nov. 1960), p. 1049, par. 178 (République Arabe Unie) (Dossier No. 60);
Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 930e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi
de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.930 (1er déc. 1960), p. 1059, par. 73
(Pakistan) (Dossier No. 61); Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 933e séance plénière, point 87 de l’ordre du
jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.933
(2 déc. 1960), p. 1102, par. 171 (Équateur) (Dossier No. 64); point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (5 déc. 1960), p. 1136, par. 74 (Népal) (Dossier No. 66); ibid.,
p. 1139, par. 112 (Irlande); Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 945e séance plénière, point 87 de l’ordre du
jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.945
(13 déc. 1960), p. 1249, par. 18 (Somalie) (Dossier No. 72); ibid., p. 1263, par. 179 (Danemark); ibid., p. 1259,
par. 141 (France).
308 Voir, par exemple, Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux (30 nov. 1960), p. 1044, par. 126 (Tunisie) (Dossier No. 60). Une troisième implication soutenue par
plusieurs États (Guatemala, Indonésie, Jordanie, Maroc et Irlande) concerne la possibilité qu’un État indépendant
‘récupère’ son territoire qu’une puissance coloniale continue d’occuper. Voir Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration
sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (5 déc. 1960), p. 1138, par. 103 (Irlande) (Dossier
No. 66); Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 945e séance plénière, point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.945 (14 déc. 1960), p. 1251,
par. 45 (Maroc) (Dossier No. 72); Assemblée générale de l’ONU, 15e session, 946e séance plénière, point 87 de l’ordre
du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/PV.946
(14 déc. 1960), p. 1268, par. 39 (Jordanie) (Dossier No. 73); Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (14 déc. 1960), p. 1271, par. 9 (Indonésie) (Dossier No. 74); ibid.,
p. 1276, par. 64 (Guatemala).
309 Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
(30 nov. 1960), p. 1049, par. 178 (République Arabe Unie) (Dossier No. 60); Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration
sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (5 déc. 1960), p. 1156, par. 74 (Népal) (Dossier
No. 66).
94
partie du territoire des puissances métropolitaines310 – dont la conséquence était
que les puissances métropolitaines ne jouissaient pas du droit de disposer de ce
territoire ou d’intervenir autrement dans ce territoire avant l’accession à
l’indépendance.
3.59 Comme l’indiquent, par exemple, les exposés écrits de Maurice et des
Pays-Bas, la pratique ultérieure démontre que le ‘‘droit à l’autodétermination fut
interprété à la lumière du principe de l’intégrité territoriale, ce qui signifiait que le
démembrement du territoire colonial avant l’indépendance (ou l’intégration ou
l’association) à la suite de la sécession unilatérale d’une partie de la population
coloniale n’était pas acceptée par les Nations Unies et la communauté
internationale dans son ensemble.’’311 Et c’est ce principe qui a inspiré la résolution
2066 (XX) dans laquelle il fut stipulé – avec une clarté absolue – que ‘‘toute mesure
prise par la Puissance administrante pour détacher certaines îles du territoire de
l’île Maurice afin d’y établir une base militaire constituerait une violation de [la
résolution 1514] et en particulier du paragraphe 6 de celle-ci’’.312
3.60 Le Royaume-Uni et les États-Unis insistent sur le fait que le libellé du
paragraphe 6 était ‘‘problématique’’,313 ‘‘hautement politique’’, et formulé en des
310 Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
(30 nov. 1960), p. 1022, pars. 34-35 (Éthiopie) (Dossier No. 59); Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi
de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (30 nov. 1960), p. 1049, pars. 174-177 (République Arabe Unie)
(Dossier No. 60); Point 87 de l’ordre du jour: Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux (2 déc. 1960), p. 1100, par. 156 (Équateur) (ajoutant que “[l]e rapport de mandant à mandataire que
stipule la Charte entre l’Organisation et la puissance administrante crée un ensemble de liens juridiques … en droit
international public, la puissance administrante n’a pas l’exercice de la souveraineté sur les territoires placés sous
son mandat. Elle ne possède sur eux ni droit de propriété, ni droit de souveraineté. La souveraineté implique la
possession d’un ensemble de droits qui est incompatible avec le simple exercice des pouvoirs d’administration. La
souveraineté, dans ce cas, est suspendue jusqu’à la réalisation d’une condition, qui est l’existence d’un
gouvernement autonome. La souveraineté appartient au peuple dont le territoire est sous administration, même
s’il n’en a pas l’exercice, tout comme les biens du pupille appartiennent à ce dernier, bien qu’il ne puisse exercer sur
eux la plénitude de ses droits. La situation juridique des pays dépendants est celle d’États incomplets qui, des trois
éléments constitutifs de l’État moderne, n’en détiennent que deux, à savoir la population et le territoire, et à qui il
manque encore le troisième élément, c’est-à-dire, l’indépendance politique.”) (Dossier No. 64).
311 Exposé écrit de Pays-Bas, par. 3.16 (les italiques sont dans l’original). (“right of self-determination was interpreted
in the light of the principle of territorial integrity, which meant that the fragmentation of the colonial territory before
the realization of independence (or integration or association) as a result of unilateral secession by a segment of the
colonial population was not accepted by the United Nations and the international community at large.”)
312 Question de l’île Maurice (16 déc. 1965) (Dossier No. 146).
313 Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, par. 4.47.
95
termes politiques et non juridiques.314 Ils comparent ensuite la résolution 1514 (XV)
avec la Déclaration ultérieure sur les relations amicales qui, selon eux, reflétait le
droit international coutumier. Par exemple, le Royaume-Uni déclare que :
La Déclaration sur les relations amicales s’est également départie de la
formulation du paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV). Le paragraphe 6
utilise le terme ‘‘pays’’ qui pourrait être interprété comme signifiant un État
souverain ou une entité non étatique telle qu’une province ou un territoire
en période pré-indépendance. La Déclaration sur les relations amicales fait,
au contraire, référence à ‘‘l’intégrité territoriale ou l’unité politique de tout
État souverain et indépendant’, excluant donc l’application de ces
dispositions aux territoires en période pré-indépendance. Les différences
importantes entre la résolution 1514 (XV) et la Déclaration sur les relations
amicales semblent indiquer que celle-ci ne reflétait pas le droit international
coutumier.315
3.61 Ceci constitue une interprétation erronée des dispositions de la Déclaration
sur les relations amicales. Dans son préambule, la résolution stipule, dans des
termes remarquablement semblables à ceux du paragraphe 6 de la résolution 1514
(XV), que :
toute tentative visant à rompre partiellement ou totalement l’unité
nationale et l’intégrité territoriale d’un État ou d’un pays ou à porter atteinte
à son indépendance politique est incompatible avec les buts et les principes
de la Charte.316
314 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.36.
315 Ibid., par. 8.48 (les italiques sont dans l’original). (‘‘The Friendly Relations Declaration also departed from the
language of paragraph 6 of resolution 1514 (XV). Paragraph 6 uses the term ‘country’, which could be taken to mean
a sovereign state or a non-state entity such as a province or a pre-independence territory. The Friendly Relations
Declaration, in contrast, refers to ‘the territorial integrity or political unity of sovereign and independent States’, thus
excluding application of the provision to pre-independence territories. The material differences between resolution
1514 (XV) and the Friendly Relations Declaration strongly suggest that the former did not reflect customary
international law.’’)
316 Assemblée générale de l’ONU, 25e session, Déclaration relative aux principes du droit international touchant les
relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, document de l’ONU
A/RES/2625(XXV) (24 oct. 1970), préambule.
96
La seule différence importante entre les deux textes est l’inclusion des mots ‘‘État’’
et ‘‘indépendance politique’’ dans la Déclaration sur les relations amicales. En
outre, la Déclaration réaffirme ensuite dans son dispositif que:
Tout État doit s’abstenir de toute action visant à rompre partiellement ou
totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un autre État ou d’un
autre pays.317
Loin de se départir des termes de la résolution 1514 (XV) et en particulier du
paragraphe 6 de celle-ci, la Déclaration sur les relations amicales confirme donc
simplement qu’il existait déjà un principe reconnu du droit international coutumier
au moment où elle était en cours d’élaboration.
3.62 Le Royaume-Uni et les États-Unis insistent sur le fait que la pratique des États
dans les années 1950 et 1960 indiquait qu’il n’était pas interdit de modifier les
limites territoriales des territoires non autonomes avant l’indépendance et qu’il
n’existait aucun droit à l’intégrité territoriale.318 À cet égard, ils citent la séparation
du Cameroun sous tutelle britannique et du Ruanda-Urundi, la séparation de la
Jamaïque des îles Caïmanes et des îles Turks et Caïques, les modifications à
l’administration des îles Éparses, et la fusion de la Somalie anglaise et de la Somalie
italienne.
3.63 Il est évident qu’aucun de ces exemples ne justifie leurs arguments. En fait,
tous tendent à confirmer le contraire : les modifications territoriales n’étaient
permises qu’avec le consentement libre et entier de la population concernée. Dans
le cas du Cameroun britannique319, des plébiscites furent organisés préalablement
aux divisions administratives des territoires concernés, et le Ruanda-Urundi fut
divisé avec réticence lorsqu’il apparut que cet arrangement était en accord avec les
voeux exprimés par les populations concernées.320 Dans le cas des îles Turks et
317 Ibid., par. 1.
318 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 8.55-8.58; Exposé écrit des États-Unis d’Amérique, pars. 4.65-4.72.
319 Par la résolution 1350 (XIII) (13 mai 1959), l’Assemblée générale décida d’organiser, sous la surveillance de l’ONU,
des plébiscites séparés dans la partie septentrionale et dans la partie méridionale du Cameroun. Des plébiscites
furent organisés dans les deux territoires les 11 et 12 février 1961 et leurs résultats furent approuvés par la résolution
1608 (XV) de l’Assemblée générale (21 avril 1961).
320 Assemblée générale de l’ONU, 16e session, L’avenir du Ruanda-Urundi, document de l’ONU A/RES/1746(XVI)
(27 juin 1962).
97
Caïques et des îles Caïmanes, une séparation administrative partielle fut effectuée
initialement sur une base consensuelle en 1958321 afin ‘‘d’accroître leur autonomie
au niveau local’’ ;322 elles ne sont devenues séparées de facto qu’après que la
Jamaïque eût décidé de se retirer de la Fédération des Indes Occidentales suite à la
tenue d’un référendum en 1961. Des changements par rapport à l’administration
des îles Éparses n’entraînèrent aucune division (ni déplacement) de la population
puisqu’à l’époque, elles étaient inhabitées ; et la fusion du Somaliland britannique
avec l’ancien territoire du Somaliland sous tutelle italienne survint après
l’indépendance, et non avant. Comme l’indiquait Waldock dans son rapport à la
Commission du droit international, ‘‘ces deux Territoires étaient devenus des États
indépendants avant leur union en tant que la République de Somalie
Démocratique’’.323 Aucun de ces cas ne fournit des éléments pour appuyer
l’argument selon lequel les frontières des territoires non autonomes et des
territoires sous tutelle pouvaient être modifiées par les puissances administrantes
sans le consentement libre et entier de la population locale.
3.64 Il est évident, comme le mentionnent les Pays-Bas dans leur exposé écrit,
que ‘‘[l]’insistance de l’ONU sur la préservation de l’intégrité territoriale d’un
territoire dépendant ou colonial ne constituait pas un obstacle à une partition,‘’
mais ne permettait celle-ci que ‘‘si telle était la volonté claire de la majorité de tous
les habitants du territoire en question.’’324 Les Pays-Bas donnent ensuite des détails
sur cette pratique qui comprenait les îles Ellice,325 le Ruanda-Urundi,326 le
321 Royaume-Uni, Cayman Islands and Turks and Caicos Islands Act 1958 (20 fév. 1958) (Annexe 205).
322 Chambre des Lords du Royaume-Uni, débat, deuxième lecture, Cayman Islands and Turks and Caicos Islands Bill,
vol. 207, cc617-23 (11 fév. 1958), p. 1 (Annexe 204).
323 Commission du droit international, Cinquième rapport sur la succession d’États aux traités, Sir Humphrey Waldock,
Rapporteur spécial, document de l’ONU A/CN.4/256 et Add.1-4 (1972), p. 34, par. 9.
324 Exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.18. (“[t]he United Nations’ insistence on the preservation of the territorial
integrity of a dependent or colonial territory did not form a bar to partition,” [but only allowed the latter] “if that
was the clear wish of the majority of all inhabitants of the territory in question.”)
325 Assemblée générale de l’ONU, 29e session, Question des îles Gilbert et Ellice, document de l’ONU
A/RES/3288(XXIX) (13 déc. 1974).
326 Assemblée générale de l’ONU, 16e session, Avenir du Ruanda-Urundi, document de l’ONU A/RES/1746(XVI)
(27 juin 1962).
98
Cameroun britannique,327 et le Territoire ‘stratégique’ sous tutelle des îles du
Pacifique.328
3.65 Les Pays-Bas concluent à juste titre que ‘‘la partition du territoire colonial
n’était permise que si telle était la volonté claire de la majorité de tous les habitants
du territoire en question. Cette condition relative aux aspirations librement
exprimées par le peuple concerné constitue un principe fondamental dans
l’exercice du droit à l’autodétermination’’.329
3.66 Comme l’a indiqué Maurice dans son exposé écrit,330 et comme l’ont
également confirmé les Pays-Bas,331 ‘‘[d]ans des cas où il était prévu que la
population du territoire colonial opterait pour l’indépendance, les aspirations de la
population étaient normalement déterminées par les processus politiques
habituels du territoire’’.332 Dans tous les autres cas, cependant (comme par
exemple ceux où l’intégration ou l’association pouvait être envisagée), des
standards démocratiques stricts étaient requis pour l’exercice d’un choix libre tel
qu’il pouvait être le mieux établi par le biais d’un référendum ou d’un plébiscite.
Cela était d’autant plus vrai dans les cas où le territoire en question devait être
divisé ou partitionné. En d’autres mots, la division d’un territoire non autonome ne
327 Assemblée générale de l’ONU, 1e session, Approbation des accords de Tutelle, document de l’ONU A/RES/63(I)
(13 déc. 1946); Assemblée générale de l’ONU, 13e session, Avenir du Territoire sous tutelle du Cameroun sous
administration du Royaume-Uni, document de l’ONU A/RES/1350(XIII) (13 mars 1959); Assemblée générale de
l’ONU, 15e session, Avenir du Territoire sous tutelle du Cameroun sous administration du Royaume-Uni, document
de l’ONU A/RES/1608(XV) (21 avril 1961).
328 Voir Conseil de sécurité de l’ONU, 2972e séance, Lettre datée du 7 décembre 1990, adressée au Président du
Conseil de sécurité par la Présidente du Conseil de tutelle, document de l’ONU S/RES/683 (22 déc. 1990); Conseil de
sécurité de l’ONU, Documents officiels, 33e année, Supplément spécial No 1, Rapport du Conseil de tutelle au Conseil
de sécurité concernant le Territoire sous tutelle des îles du Pacifique (24 juin 1977-8 juin 1978), p. 75.
329 Exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.19. (“[p]artition of the colonial territory was only permitted if that was the clear
wish of the majority of all inhabitants of the territory in question. This condition of freely expressed wishes of the
people concerned constitutes a core principle in the exercise of the right of self-determination”).
330 Exposé écrit de Maurice, pars. 6.43-6.44.
331 Exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.29.
332 Ibid. (“[i]n cases where the population of the colonial territory was expected to opt for independence, the wishes
of the people were normally to be established by the usual political processes of the territory”).
99
pouvait être envisagée que conformément à un processus dans lequel tel était le
souhait explicite de la population concernée.
***
3.67 Contrairement à ce qu’affirment le Royaume-Uni et les États-Unis, il est
évident i) qu’il existait un droit à l’autodétermination en droit international
coutumier, comme le témoigne la pratique constante des États datant d’avant
l’adoption de la résolution 1514 (XV), pratique solidement ancrée en 1965, ii) le
Royaume-Uni ne pouvait se considérer comme un objecteur persistant au droit à
l’autodétermination, et iii) les autorités administrantes étaient dans l’obligation de
ne pas s’engager dans des activités visant à détruire partiellement ou totalement
l’intégrité territoriale de territoires non autonomes sauf en accord avec les
aspirations de l’ensemble de la population telles qu’elles pouvaient être établies
dans un référendum ou plébiscite où le vote pouvait être exercé librement.
III. La décolonisation de Maurice n’a pas été validement
menée à bien en 1968
3.68 La position de Maurice concernant les faits a été élaborée dans son exposé
écrit du 1er mars 2018. La présente section traitera des points factuels spécifiques
soulevés dans d’autres exposés écrits, en particulier celui du Royaume-Uni (qui est
le seul État qui soutient dans son exposé écrit qu’à la lumière des faits, la
décolonisation de Maurice a été validement menée à bien en 1968).333
A. L’ENTITÉ D’AUTODÉTERMINATION ÉTAIT CONSTITUÉE PAR LA TOTALITÉ DU
TERRITOIRE DE MAURICE
3.69 Le Royaume-Uni soutient que l’Archipel des Chagos était administré ‘‘de très
loin’’ et ‘‘purement pour des raisons d’ordre administratif’’ comme une
dépendance (ou dépendance mineure) de Maurice, et qu’en tant que tel, il ne
333 Voir note 212 de bas de page ci-dessus.
100
faisait ‘‘pas partie intégrante de la Colonie de Maurice aux fins de l’application de
la notion ‘d’intégrité territoriale’ au paragraphe 6 [de la résolution 1514 (XV)]’’.334
Le Royaume-Uni prétend que cette affirmation est justifiée par le fait que:
L’Archipel des Chagos se situe à 2.150 kilomètres de Maurice. À l’époque
concernée, il était aussi éloigné en termes de liens sociaux, culturels,
politiques et juridiques avec Maurice. C’était une ‘Dépendance mineure’
sans aucune importance économique pour Maurice, sauf en tant que
fournisseur d’huile de coco.335
3.70 Le Royaume-Uni est le seul à décrire l’Archipel des Chagos comme une entité
qui est ‘‘largement distincte de Maurice’’.336 La très grande majorité des exposés
écrits qui abordent les questions de fait reconnaissent que cette affirmation est
erronée sur le plan factuel.337 À titre d’exemple :
1) le Guatemala conclut qu’‘‘il y a suffisamment d’éléments de preuve que
l’Archipel des Chagos faisait partie de Maurice avant d’en être détaché
par le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord avant
l’octroi de l’indépendance à Maurice.’’338
2) L’Inde affirme que ‘‘Les faits historiques indiquent que l’Archipel des
Chagos a fait partie du territoire de Maurice avant, après et pendant
334 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 2.17 et 8.62. ([was administered] “very loosely” [and] “purely as a matter of
convenience” [as a Dependency (or Lesser Dependency) of Mauritius, and that as such it was] “not an integral part
of the Colony of Mauritius for the purpose of the application of the concept of ‘territorial integrity’ in paragraph 6
[of Resolution 1514 (XV)].”)
335 Ibid., par. 8.63. (‘‘the Chagos Archipelago is 2,150 kilometres from Mauritius. At the relevant time they were also
remote in terms of social, cultural, political and legal connections with Mauritius. It was a ‘Lesser Dependency’ with
no economic relevance to Mauritius other than as a supplier of coconut oil’’).
336 Ibid., par. 2.38. (“quite distinct from Mauritius.”)
337 Il ressort parfaitement de la position adoptée par treize États et l’Union africaine (selon lesquels le processus de
décolonisation de Maurice n’a pas été mené à bien) et des éléments de preuve dont dispose la Cour qu’avant son
détachement, l’Archipel des Chagos a été en fait et en droit traité comme faisant partie intégrante du territoire
dépendant de Maurice sous l’administration coloniale britannique. Voir l’exposé écrit de l’Union africaine; l’exposé
écrit de la République argentine; l’exposé de Belize; l’exposé écrit du Brésil; l’exposé écrit de Cuba; l’exposé écrit de
Djibouti; l’exposé écrit du Guatemala; l’exposé écrit de l’Inde; l’exposé écrit de Madagascar; les observations écrites
des Îles Marshall; l’exposé écrit de la Namibie; l’exposé écrit du Nicaragua; l’exposé écrit de la Serbie; l’exposé écrit
de l’Afrique du Sud.
338 Exposé écrit du Guatemala, par. 34 (sans soulignement dans l’original). (“There is ample evidence that the Chagos
Archipelago formed part of Mauritius before it was severed from it by the United Kingdom of Great Britain and
Northern Ireland ahead of granting independence to Mauritius.”)
101
toute la période coloniale. Ces îles sont passés sous l’administration
coloniale britannique en tant que partie du territoire mauricien. ’’339
3) Madagascar fait sien le paragraphe 3 de la résolution sur l’Archipel des
Chagos de l’Union africaine, qui stipule que ‘‘l’archipel des Chagos y
compris Diego Garcia fait partie intégrante de la République de
Maurice’’.340
4) L’Afrique du Sud estime que ‘‘L’Archipel des Chagos fait partie
intégrante de Maurice depuis qu’elle est passée sous l’administration
de la France au 18e siècle. A la suite de la conquête de Maurice par le
Royaume-Uni en 1810, Maurice (y compris l’Archipel des Chagos) fut
officiellement et valablement cédée au Royaume-Uni en 1814. Sous
l’administration coloniale britannique, l’Archipel des Chagos fut
administré en tant que partie intégrante de Maurice.’’341
5) L’Allemagne déclare, sans ambiguïté, que l’Archipel des Chagos ‘‘faisait
partie de Maurice’’ pendant toute la période de la colonisation
britannique.342
3.71 La qualification par la puissance administrante d’une île ou d’un groupe d’îles
comme une ‘‘dépendance’’ ou une ‘‘dépendance mineure’’ de Maurice ne peut
339 Exposé écrit de l’Inde, par. 57 (sans soulignement dans l’original). (‘’The historical facts indicate that the Chagos
Archipelago throughout, pre and post colonial era, has been part of the Mauritian territory. These islands came
under the British colonial administration as part of Mauritian territory.”) L’Inde relève également que l’engagement
du Royaume-Uni de restituer l’Archipel des Chagos à Maurice lorsqu’il ne sera plus nécessaire à des fins de défense
‘‘atteste en lui-même que Maurice a toujours été le pays qui exerce sa souveraineté sur l’Archipel des Chagos et
continue de l’être, peu importe qui, et à quelle fin, utilise ou administre pour le moment ces îles.” ([India also notes
that the U.K.’s commitment to return the Chagos Archipelago to Mauritius when no longer needed for defence
purposes is] “in itself an evidence that Mauritius has been and continues to be the sovereign nation for the Chagos
Archipelago, this being immaterial that by whom and for what purpose these islands are, for the time being, used or
administered.”) Ibid., par. 58.
340 Exposé écrit de Madagascar, p. 2 (sans soulignement dans l’original) (citant Union africaine, 28e session,
Résolution sur l’Archipel des Chagos, Doc. EX.CL/994(XXX), Assembly/AU/Res.1 (XXVIII) (30-31 janvier 2017) (Annexe
190).
341 Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 12 (sans soulignement dans l’original). (“The Chagos Archipelago has been
part of Mauritius since Mauritius came under the control of France in the 18th century. Following the conquest of
Mauritius by the United Kingdom in 1810, Mauritius (including the Chagos Archipelago) was formally and validly
ceded to the United Kingdom in 1814. Under British colonial rule, the Chagos Archipelago was administered as an
integral part of Mauritius.”)
342 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 3. (“formed part of Mauritius”).
102
être déterminante pour ce qui est de leur relation mutuelle.343 C’est la substance
qui compte, et non la forme. En tout état de cause, les éléments présentés à la Cour
démontrent sans aucune ambiguïté que la pratique constante a été de considérer
les dépendances et les dépendances mineures en tant que parties intégrantes de
Maurice. Ainsi, comme expliqué dans l’exposé écrit de Maurice, même si l’Île
Rodrigues était décrite comme une ‘’dépendance’’ de Maurice dans le Traité de
Paris de 1814, elle demeura une partie intégrante du territoire de l’État de Maurice
lors de son accession à l’indépendance.344 De même, Agaléga et Saint Brandon (qui,
comme l’Archipel des Chagos, étaient décrits comme ‘‘dépendances mineures’’
dans une ordonnance de 1904) continuent à faire partie du territoire de Maurice.345
343 Le Royaume-Uni utilise les termes “dépendance” et “dépendance mineure” indistinctement par rapport à
l’Archipel des Chagos. Voir, par exemple, l’exposé écrit du Royaume-Uni, par. 2.13 (“l’Archipel était administré par
le Royaume-Uni comme une dépendance de Maurice”) (“the Archipelago was administered by the United Kingdom
as a Dependency of Mauritius”) et par. 2.1 (“L’Archipel était une dépendance française qui fut cédée par la
Grande-Bretagne en vertu d’un traité en 1814… et était par la suite sous administration britannique en tant que
dépendance mineure de Maurice”) (“The Archipelago was a French Dependency that was ceded to Great Britain by
treaty in 1814… and was thereafter under British administration as a Lesser Dependency of Mauritius”). Cependant,
le deuxième terme (“dépendance mineure”) n’a en fait jamais été défini dans l’exposé écrit du Royaume-Uni. En
juillet 1983, un conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, Christopher Whomersley,
souleva cette question alors qu’il donnait un avis sur le rapport de la commission parlementaire spéciale mauricienne
sur le détachement de l’Archipel des Chagos: “En passant, qu’est-ce qu’une dépendance ‘mineure’? Ce n’est pas un
terme que j’ai vu auparavant, mais peut-être il est utilisé depuis longtemps dans ce contexte.’’ (‘’Incidentally, what
is a ‘Lesser’ Dependency? This is not a term I have encountered before, but perhaps it is blessed by long usage in
this context.”) Voir la note de C.A. Whomersley du ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, conseils
juridiques, adressée à M. Hunt du ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, département Afrique de l’Est
(21 juillet 1983), par. 4 (Annexe 228). La réponse d’un autre fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères était
la suivante: ‘’Pour autant que je sache, nous avons toujours utilisé le terme dépendance ‘mineure’ dans ce contexte,
même si je ne suis pas certain à quel point c’est important pour nous de le faire.’’ (“As far as I am aware, we have
always used the term ‘Lesser’ dependency in this context, although I am not sure how important it is for us to do
so.”) Voir la note de D.I. Campbell du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni,
département Afrique de l’Est, adressée à A. Watts, conseiller juridique adjoint, ministère des Affaires étrangères et
du Commonwealth du Royaume-Uni (26 juillet 1983) (Annexe 229).
344 Exposé écrit de Maurice, par. 2.38.
345 Note du Crown Law Office (non datée) (Annexe 203). Voir l’exposé écrit du Royaume-Uni, p. 28, note 62 de bas
de page (‘’De [décembre 1921] jusqu’à 1965, les dépendances mineures de Maurice comprenaient les îles Chagos,
Agaléga et Saint Brandon.’’). (“From [December 1921] until 1965, the Lesser Dependencies of Mauritius consisted of
the Chagos Islands, Agalega and St. Brandon.”) Voir aussi Royaume-Uni, The Mauritius Independence Order 1968 and
Schedule to the Order: The Constitution of Mauritius (4 mars 1968) (tel qu’amendé, y compris par le Constitution of
Mauritius (Amendment No. 3) Act 1991 du 17 déc. 1991), chapitre XI, section 111(1) (“‘Maurice’ inclut – a) les Îles
de Maurice, Rodrigues, Agaléga, Tromelin, Cargados Carajos et l’Archipel des Chagos, y compris Diego Garcia et toute
autre île comprise dans l’État de Maurice; b) la mer territoriale et l’espace aérien au-dessus de la mer territoriale et
des îles mentionnées au paragraphe a); c) le plateau continental; et d) les lieux qui seront désignés par des
règlements établis par le Premier ministre, sur lesquels Maurice exerce ou pourra exercer des droits”). (“‘Mauritius’
includes – (a) the Islands of Mauritius, Rodrigues, Agalega, Tromelin, Cargados Carajos and the Chagos Archipelago,
including Diego Garcia and any other island comprised in the State of Mauritius; (b) the territorial sea and the air
103
Et après l’indépendance de Maurice, il fut reconnu par un haut fonctionnaire du
ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni et un ancien ‘‘commissaire’’ du
‘‘BIOT’’ que, si l’Archipel des Chagos n’avait pas été détaché, il serait demeuré une
partie du nouvel État mauricien lors de son accession à l’indépendance.346
3.72 Le principe de l’intégrité territoriale en droit international s’applique à toutes
les parties du territoire, indépendamment de la description qui leur est donnée par
la puissance administrante. Le Royaume-Uni lui-même reconnaît qu’‘‘[é]tant donné
que le statut de dépendance était utilisé pour des raisons d’ordre administratif, la
nature de sa relation avec le territoire d’outre-mer qui l’administrait était, par
définition, variable.’’347 Il s’ensuit que l’étendue géographique du territoire de
Maurice doit être déterminée en référence aux preuves juridiques et historiques, y
compris les dispositions constitutionnelles, législatives et administratives ainsi que
les liens sociaux, économiques et culturels.
3.73 Dans sa description de ‘‘l’administration britannique de l’Archipel des Chagos
en tant que dépendance mineure (1814 à 1965)’’348, une période qui couvre pas
moins de 141 années, le Royaume-Uni ne cite que deux textes juridiques et cinq
instruments législatifs. En se basant sur ce relevé très restreint, le Royaume-Uni
affirme de but en blanc que les contacts entre l’Archipel des Chagos et le reste de
Maurice ‘‘étaient minimes’’.349 Et pourtant, les preuves – qui toutes ont toujours
été accessibles au Royaume-Uni – démontrent clairement le lien étroit et
inextricable entre l’Archipel des Chagos et le reste du territoire de Maurice. C’est
une relation qui remonte à plus de deux siècles, depuis le début des établissements
space above the territorial sea and the islands specified in paragraph (a); (c) the continental shelf; and (d) such places
and areas as may be designated by regulations made by the Prime Minister, rights over which are or may become
exercisable by Mauritius”) (Annexe 96).
346 Voir la lettre de W.N. Wenban-Smith du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth adressée à M.J.
Williams, avec un projet, FCO 31/3855 (25 mars 1983), par. 6 (Annexe 128); la note de M. Walawalkar du
département de la recherche de la section Afrique adressée à M. Hewitt, FCO 31/2759 (8 juillet 1980), par. 2 (Annexe
119). Voir aussi l’exposé écrit de Maurice, pars. 2.38-2.39.
347 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 2.15. (“As the status of Dependency was an administrative convenience the
nature of the relationship with its administering overseas territory was, by definition, variable.”)
348 Ibid., chapitre 2, partie C.
349 Ibid., par. 2.17. (‘’was minimal’’).
104
humains à Maurice.350 Le Royaume-Uni passe sous silence une grande partie de ce
matériau.
3.74 Il y a également d’autres questions que l’exposé écrit du Royaume-Uni passe
étonnement sous silence. Le chapitre II prétend aborder l’histoire de l’Archipel des
Chagos, mais ne fait aucune référence aux liens culturels et sociaux entre l’Archipel
des Chagos et Maurice. Plus particulièrement, il n’y a aucune référence aux
Chagossiens, sauf une citation dans laquelle sont mentionnés des chiffres
approximatifs sur la population.351 Le Royaume-Uni prétend exprimer ‘‘de profonds
regrets pour la manière dont les Chagossiens furent traités’’ et reconnaître ‘‘une
indifférence totale pour leurs intérêts’’.352 Pourtant même aujourd’hui, en 2018,
cinquante ans après l’expulsion forcée des Chagossiens, le Royaume-Uni a choisi de
350 Seulement quelques décennies après la colonisation française de l’île principale de Maurice en 1715 (qui
s’appelait alors Île de France), une pénurie de ressources conduisit le représentant local de la Compagnie française
des Indes orientales à identifier l’Archipel des Chagos comme ‘‘important tant comme une région ayant des hautsfonds
et des bancs dangereux qui devraient être correctement identifiés comme source potentielle de chair [de
tortue] reconnu pour son pouvoir supposé de guérir la lèpre’’. (“of importance both as an area of dangerous shoals
and banks which needed to be properly mapped and as the potential source of [tortoise and turtle] meat valued for
its supposed power to combat leprosy.”) Voir N. Wenban-Smith et M. Carter, Chagos: A History - Exploration,
Exploitation Expulsion (2016), p. 30 (Annexe 235). Un marin français, Deschiens de Kérulvay, aurait “effectué
plusieurs visites à l’Archipel des Chagos dans les années 1770 aux fins d’exploration et de cartographie ainsi que
pour exploiter les produits des atolls dans l’intérêt de ses marins et des colons français de l’Île de France. En 1776,
il rapporta avoir créé dans l’archipel un établissement afin de capturer des tortues et de récolter des noix de coco,
dont il fournissait une grande partie à l’Île de France.” (“made several visits to the Chagos archipelago in the 1770s
both for the purpose of exploration and cartography and to exploit the produce of the atolls for the benefit of his
sailors and the French settlers on the Isle of France. In 1776, he records that he set up an establishment there to
capture turtles and to harvest coconuts, of which he delivered a large quantity to the Isle of France.’’) Ibid.,
p. 47-48.
351 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 2.32. Voir aussi David Vine, Island of Shame: The Secret History of the U.S.
Military Base on Diego Garcia (2009), p. 29 (Annexe 151).
352 Voir l’exposé écrit du Royaume-Uni, par. 1.5. (“Le Royaume-Uni admet pleinement qu’il a très mal traité les
Chagossiens au moment de leur expulsion et le regrette vivement. Le Royaume-Uni regrette en outre de ne pas
avoir donné aux Nations Unies dans les années 1960 un tableau complet en ce qui concerne le nombre d’habitants
des deuxième et troisième générations dès que les faits pertinents lui furent connus.”). (“The United Kingdom fully
accepts that it treated the Chagossians very badly at and around the time of their removal and it deeply regrets that
fact. The United Kingdom likewise regrets not putting before the United Nations in the 1960s a complete picture as
to the number of second and third generation inhabitants of the Chagos Archipelago once the relevant facts were
known to it.”); ibid., par. 4.3 (“Le Royaume-Uni a exprimé à maintes reprises, et tient à réitérer, son profond regret
quant à la manière dont les Chagossiens ont été traités. La façon dont la communauté chagossienne fut expulsée
de l’Archipel des Chagos et la manière dont les Chagossiens furent par la suite traités n’étaient pas correctes; il est
admis et fort regrettable qu’au moment de leur expulsion, il y avait une indifférence totale pour leurs intérêts”).
(“The United Kingdom has stated on many occasions, and hereby reiterates, its deep regret for the way that the
Chagossians were treated. The manner in which the Chagossian community was removed from the Chagos
Archipelago, and the way the Chagossians were treated thereafter, was wrong; it is accepted and deeply regretted
that, at and around the time of the removal, there was a callous disregard of their interests”).
105
se taire sur les liens étroits que les Chagossiens avaient – et continuent d’avoir –
avec Maurice. De même, il n’a rien à dire à propos des moyens par lesquels ils
furent expulsés de force de l’Archipel des Chagos. Les questions qui n’ont pas été
abordées par l’exposé écrit du Royaume-Uni comprennent :
1) les liens économiques étroits entre l’Archipel des Chagos et Maurice, y
compris le commerce du guano, du bois et d’autres produits;353
2) les liens sociaux, culturels et de transport étroits entre ceux qui
vivaient dans l’Archipel des Chagos et ceux de l’île principale de
Maurice: la seule façon de se rendre à et de rentrer de l’Archipel des
Chagos était de passer par Maurice;354
3) les décisions judiciaires et arbitrales, internes et internationales, selon
lesquelles l’Archipel des Chagos a toujours fait partie intégrante de
Maurice;355
4) le versement de 3 millions de livres sterling par la puissance
administrante comme indemnité à Maurice à la suite du détachement
de l’Archipel des Chagos;356
5) l’insistance de M. Greenwood, secrétaire aux Colonies, pour obtenir le
‘‘consentement’’ des ministres mauriciens au détachement de
l’Archipel des Chagos;357
6) les implications de l’engagement de ‘‘restituer’’ l’Archipel des Chagos à
Maurice lorsqu’il ne sera plus nécessaire à des fins de défense;358
353 Exposé écrit de Maurice, par. 2.32.
354 Ibid., par. 2.30. Par exemple, le créole parlé par les habitants était semblable à celui parlé dans l’île principale de
Maurice. Voir David Vine, Island of Shame: The Secret History of the U.S. Military Base on Diego Garcia (2009), p. 29
(Annexe 151).
355 Exposé écrit de Maurice, pars. 2.44-2.47.
356 Ibid., pars. 2.34, 3.74, 3.83.
357 Ibid., pars. 3.53-3.58.
358 À la connaissance de Maurice, la seule fois où le Royaume-Uni a abordé cette question est dans une
correspondance entre le haut-commissaire britannique à Maurice et le ‘’commissaire’’ du “BIOT” en 1983-1984.
Dans une lettre datée du 16 décembre 1983, le haut-commissaire britannique à Port Louis rapporta que:
106
7) le fait que la plupart des Chagossiens furent expulsés de force vers
Maurice, et les dispositions juridiques introduites pour qu’ils
deviennent automatiquement des ressortissants mauriciens lors de
l’accession de Maurice à l’indépendance;359
8) Les paiements par la puissance administrante de 650.000 livres sterling
en 1973 et de 4 millions de livres sterling en 1982 à Maurice dans le but
d’indemniser les Chagossiens;360
9) la reconnaissance par la grande majorité des États que l’Archipel des
Chagos fait partie intégrante de Maurice;361
10) des déclarations explicites par des politiciens et fonctionnaires
britanniques au plus haut niveau, notamment à l’effet qu’il était
juridiquement établi que l’Archipel des Chagos faisait partie de Maurice
Les Chagos/BIOT ne sont pas la question d’intérêt principal en ce moment – le pays a déjà suffisamment
à digérer avec l’apothéose de Ramgoolam et les affirmations des ministres, en particulier Sir Gaetan
Duval, selon lesquelles leurs visites à l’étranger avaient en quelque sorte mis fin au chômage. Mais la
question des Chagos ne disparaît jamais complètement et au dîner annuel tenu pour le corps
diplomatique, le gouverneur général m’accula en présence du Premier ministre [Sir Anerood Jugnauth]
en disant qu’il ne pouvait accepter ce qu’avait dit Sir John Thomson dans sa lettre, à savoir que ces îles
étaient administrées par le gouvernement de Maurice pour des raisons d’ordre pratique. S’intéressant
au thème général, M. Jugnauth insinua que notre position sur la souveraineté était illogique en
demandant pourquoi nous restituerions les Chagos à Maurice lorsqu’elles ne seraient plus nécessaires
à des fins de défense. Vu qu’il ne convenait pas d’entamer une discussion approfondie, j’ai rapidement
répondu ‘parce que nous vous aimons’ ; ce qui mit fin à la conversation avec beaucoup de félicitations
et en se tenant par la main. (The Chagos/BIOT are not the principal point of interest at present – the
country has quite enough to digest with the apotheosis of Ramgoolam and the claims by Ministers,
particularly Sir Gaetan Duval, that as a result of their visits abroad, unemployment has somehow been
brought to an end. But the Chagos never entirely disappears and at the annual diplomatic dinner the
Governor General cornered me in the presence of the Prime Minister [Sir Anerood Jugnauth] saying
that he could not agree to the phrase in Sir John Thomson’s letter which said that the islands were
administered for convenience by the Government of Mauritius. Warming to the general theme,
Mr Jugnauth sought to imply that we were illogical in our position on sovereignty by asking why it was
that we were to return the Chagos to Mauritius if no longer needed for defensive purposes. Since this
was not the occasion to enter into a detailed discussion, I quickly replied ‘because we love you’:
collapse of conversation amidst a lot of backslapping and hand-holding.)
Le 10 février 1984, le “commissaire” du “BIOT” donna la réponse suivante: ‘‘vous aviez assurément tous deux raison,
même si votre réponse était une plaisanterie.’’ (“you were surely both right, however jesting your riposte.”) Voir la
lettre de J. N. Allan, haut-commissaire britannique à Port Louis, adressée à W. N. Wenban-Smith, “commissaire” du
“BIOT” (16 déc. 1983) (Annexe 230); la lettre de W. N. Wenban-Smith, “commissaire” du “BIOT”, adressée à J. N.
Allan, haut-commissaire britannique à Port Louis (10 fév. 1984) (Annexe 231).
359 Exposé écrit de Maurice, par. 2.35.
360 Ibid., pars. 4.50-4.51.
361 Ibid., chapitre 4, partie III.
107
et ‘‘appartenait à’’ Maurice, et la nécessité d’indemniser Maurice pour
sa ‘’perte de territoire.’’362
3.75 En tout état de cause, le Royaume-Uni ne traite pas des conséquences de cet
argument pour le droit à l’autodétermination. Si l’Archipel des Chagos ne faisait pas
partie de l’entité d’autodétermination de Maurice, cela voudrait dire qu’il était une
entité séparée d’autodétermination. La population de l’archipel aurait donc dû
avoir un droit distinct à l’autodétermination – qui n’aurait pas pu être exercé à
travers le ‘‘consentement’’ du Conseil des ministres de Maurice ou par le biais des
élections générales à Maurice (puisque, selon cet argument, l’Archipel des Chagos
ne faisait pas partie de Maurice). Le Royaume-Uni échoue singulièrement à
expliquer comment, selon sa vision des faits, la population de l’Archipel des Chagos
a exercé son droit – distinct selon ce point de vue – à l’autodétermination.
B. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION AURAIT DÛ ÊTRE EXERCÉ SELON LA
VOLONTÉ LIBREMENT EXPRIMÉE DU PEUPLE DU TERRITOIRE CONCERNÉ
3.76 Au chapitre 6 de son exposé écrit, Maurice a élaboré les exigences pratiques
du droit à l’autodétermination : l’exigence ultime est que le droit doit être exercé
selon la volonté librement exprimée du peuple du territoire concerné. Maurice
relève que le Royaume-Uni accepte, par principe, ce point et reconnaît que ‘‘[c]e
qui importe c’est que le processus repose sur un choix informé, libre et volontaire
des peuples concernés.’’363
362 Ibid., par. 2.33. Voir aussi Royaume-Uni, Comité en charge de la politique de défense et d’outre-mer, Defence
Interests in the Indian Ocean: Legal Status of Chagos, Aldabra, Desroches, and Farquhar - Note by the Secretary of
State for the Colonies, O.P.D. (65) 73 (27 avril 1965), par. 2 (Annexe 32); Télégramme du ministère des Affaires
étrangères du Royaume-Uni adressé à l’ambassade du Royaume-Uni à Washington, no 3582, FO 371/184523
(30 avril 1965), par. 3 (Annexe 33); Note de Trafford Smith du bureau Colonial du Royaume-Uni adressée à J.A.
Patterson du Trésor, FO 371/184524 (13 juillet 1965) (Annexe 36); Lettre de D. J. Kirkness, PAC.93/892/01 (10 mai
1965), par. 1 (Annexe 35); Télégramme du secrétaire d’État aux Colonies adressé à Maurice et aux Seychelles,
nos 198 et 219, FO 371/184526 (19 juillet 1965), par. 2 ii) (Annexe 37); Memorandum by the U.K. Deputy Secretary
of State for Defence and the Parliamentary Under-Secretary of State for Foreign Affairs on Defence Facilities in the
Indian Ocean, OPD(65)124 (26 août 1965), pars. 1 et 5 c) (Annexe 48).
363 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.22. (“What matters is the process should be based on [an] ‘informed, free
and voluntary choice by the peoples concerned’.”)
108
3.77 La question est de savoir si, dans les faits, le peuple de Maurice a fait un
‘‘choix éclairé, libre et volontaire’’ de démembrer le territoire, de convertir
l’Archipel des Chagos en une nouvelle colonie, et d’en expulser les habitants. Cette
question sera abordée ci-après.
C. LE ‘‘CONSENTEMENT’’ DU CONSEIL DES MINISTRES DE MAURICE NE
POUVAIT SATISFAIRE AUX EXIGENCES DE L’AUTODÉTERMINATION
3.78 L’argument fondamental du Royaume-Uni dans sa tentative de justifier le
détachement est qu’il fut effectué avec le ‘‘consentement’’ des ministres
mauriciens. Le Royaume-Uni semble soutenir que i) les engagements de Lancaster
House étaient un ‘‘accord international’’ ; ii) ce ‘‘consentement’’ n’est pas vicié par
la contrainte au sens des articles 51 et 52 de la Convention de Vienne sur le droit
des traités ; iii) par conséquent, les engagements de Lancaster House constituent
un exercice valide par Maurice de son droit à l’autodétermination. Ces points
seront examinés l’un après l’autre ci-après.
1. Les engagements de Lancaster House
3.79 Le Royaume-Uni prétend que les engagements de Lancaster House sont
devenus un ‘‘accord international’’ lorsque Maurice a accédé à l’indépendance.364
L’argument du Royaume-Uni à cet égard repose principalement sur la conclusion
du Tribunal institué au titre de la CNUDM selon laquelle ‘‘l’indépendance de
Maurice en 1968 a … eu pour effet de porter l’accord global conclu avec les
ministres mauriciens sur le plan international et de transformer les engagements
pris en 1965 en un accord international.’’365
3.80 Il est important de souligner que, selon Maurice, la qualification juridique
des engagements de Lancaster House n’aide pas à répondre à la question centrale
posée par l’Assemblée générale dans sa première question, à savoir si le peuple de
364 Ibid., par. 8.17.
365 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos, sentence (18 mars 2015), par. 425 (Dossier No. 409).
(“[t]he independence of Mauritius in 1968… had the effect of elevating the package deal reached with the Mauritian
Ministers to the international plane and of transforming the commitments made in 1965 into an international
agreement.”)
109
Maurice a fait un ‘‘choix éclairé, libre et volontaire’’ pour consentir au
démembrement de Maurice, à la création d’une colonie distincte comprenant
l’Archipel des Chagos et à l’expulsion de ses habitants. Ce qui importe, c’est de voir
si, eu égard à l’ensemble des circonstances, le consentement éventuel des
ministres mauriciens peut être traité comme la volonté librement exprimée du
peuple de Maurice, en conformité avec les exigences du droit international.
3.81 Pour plusieurs raisons, les conclusions du Tribunal institué au titre de la
CNUDM, au paragraphe 425 de sa sentence, n’aident pas la Cour à répondre à cette
question. Premièrement, deux des arbitres qui se sont associés à la sentence
unanime, les juges Kateka et Wolfrum,366 ont aussi conclu que le peuple de Maurice
n’avait pas consenti valablement au détachement, précisément à cause de la
contrainte qui fut exercée sur ses représentants à Lancaster House.367 Ils ne
constatèrent aucune contradiction entre le point de vue unanime et leurs opinions
séparées. Il est impossible pour le Royaume-Uni d’essayer de se fonder sur le
paragraphe 425 de la sentence pour dire que ‘‘l’accord’’ représentait un exercice
valide par Maurice de son droit à l’autodétermination quand deux des arbitres qui
étaient d’accord avec ce paragraphe – et les seuls arbitres qui exprimèrent une
opinion sur la question de la validité de l’accord – ont soutenu exactement le
contraire.
3.82 Deuxièmement, il est important d’examiner attentivement les conclusions
contenues dans la sentence. La sentence a indiqué que les engagements pris par
le Royaume-Uni à Lancaster House étaient opposables au Royaume-Uni, dans le
sens où il ne pouvait pas agir de façon incompatible avec ceux-ci, comme il l’avait
fait, selon le Tribunal, en déclarant une ‘‘aire marine protégée’’ autour de l’Archipel
des Chagos.368
366 Bien qu’ils se soient dissociés de certains aspects de la sentence, ce n’est pas le cas pour cette question: au
paragraphe 84 de leur opinion dissidente et concordante, ils se réfèrent à l’‘‘accord global revêtu d’une force
obligatoire en droit interne et sanctionné par le droit international à l’indépendance de Maurice.’’ (“package binding
under national law which upon the independence of Mauritius devolved upon the international law level.’’)
Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos, Opinion dissidente et concordante (18 mars 2015), par. 84
(Dossier No. 409).
367 Ibid., pars. 74-77.
368 Voir pars. 2.70-2.72 ci-dessus.
110
3.83 Mais, de manière cruciale, en parvenant à cette conclusion, le Tribunal s’est
fondé sur le fait que ‘‘depuis l’indépendance le Royaume-Uni a réitéré et réaffirmé
les engagements de Lancaster House à maintes reprises.’’369 Par conséquent, selon
le Tribunal, ‘‘la répétition de ses engagements par le Royaume-Uni, et la foi que
Maurice leur a accordé, suffisent à dissiper toute préoccupation quant à
l’éventualité que des vices ayant entaché le consentement de Maurice en 1965
s’opposent à ce que les engagements de Lancaster House lient le Royaume-Uni.’’370
3.84 En d’autres mots, le Tribunal a estimé dans sa sentence unanime qu’au vu
du comportement ultérieur du Royaume-Uni qui a réaffirmé les engagements qu’il
avait pris à Lancaster House, il n’était pas nécessaire d’examiner la validité ou
l’effectivité de ‘‘l’accord’’ initial. Comme observé ci-dessus, les juges Wolfrum et
Kateka ont examiné séparément cette question et conclu que cet ‘‘accord’’ ne
constituait certainement pas un exercice valable du droit à l’autodétermination.371
Les autres arbitres ne se sont pas joints à eux parce qu’ils considéraient que le
Tribunal n’avait pas compétence pour examiner la question.
3.85 En résumé, l’effet de la sentence est donc que la puissance administrante, y
compris dans sa conduite au fil des ans depuis 1968, est liée par les engagements
spécifiques pris dans ‘‘l’accord’’. Cependant, la sentence laisse ouverte la question
de la contrainte, et (en raison de la décision majoritaire concernant la compétence)
n’a exprimé aucune opinion quant à savoir si les exigences de l’autodétermination
ont été satisfaites. Et les deux arbitres qui ont exprimé une opinion sur cette
question ont considéré que ‘‘l’accord’’ ne constituait pas un exercice valide par
Maurice de son droit à l’autodétermination.
3.86 Aucune tentative d’affirmer que Maurice a valablement consenti au
démembrement ne peut, par conséquent, reposer sur la sentence rendue en vertu
369 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos, sentence (18 mars 2015), par. 428 (Dossier No. 409).
(“since independence the United Kingdom has repeated and reaffirmed the Lancaster House Undertakings on
multiple occasions.”)
370 Ibid. (“the United Kingdom’s repetition of the undertakings, and Mauritius’ reliance thereon, suffices to resolve
any concern that defects in Mauritian consent in 1965 would have prevented the Lancaster House Undertakings
from binding the United Kingdom.”)
371 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos, Opinion dissidente et concordante (18 mars 2015),
pars. 74-77 (Dossier No. 409).
111
de la CNUDM, qui n’a pas abordé la question (et ne saurait équivaloir à une res
judicata).372 Finalement, la question se résume à une évaluation du point de savoir
si, compte tenu de toutes les circonstances, on peut considérer que la puissance
administrante a offert à Maurice l’occasion de prendre une décision ‘‘éclairée, libre
et volontaire’’. Ces circonstances seront examinées dans les paragraphes qui
suivent.
2. La question de la contrainte
3.87 Le Royaume-Uni soutient que, vu que les engagements de Lancaster House
équivalaient à un ‘‘accord international’’ et n’étaient pas viciés par la ‘‘contrainte’’
au sens des articles 51 et 52 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, ‘‘en
droit constitutionnel britannique ou en droit international, les représentants de
Maurice qui avaient consenti au détachement n’étaient pas sous la contrainte et
leur consentement était valable.’’373
3.88 Cependant, comme Maurice l’a indiqué précédemment,374 elle n’a jamais fait
valoir un argument relatif à la ‘‘contrainte’’ au sens des articles 51 et 52 de la
372 Voir pars. 2.67-2.73 ci-dessus.
373 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.18. (“under British constitutional law or under international law, the
representatives of Mauritius who agreed to the detachment were not under duress and their consent was valid.”)
374 Voir les arguments de l’un des conseils de Maurice dans le cadre de l’arbitrage institué en vertu de la CNUDM:
“[L]es événements de 1965 ne concernaient pas deux États indépendants. Les négociations n’ont pas eu lieu sur un
plan d’égalité souveraine. Quand nous regardons les événements de 1965, nous examinons les relations entre une
colonie et l’État métropolitain… Quant à ces relations, ce n’était pas le régime juridique de la Convention de Vienne
qui était applicable. Le droit international a développé un régime de protection pour les peuples coloniaux. En vertu
de ce régime de protection, les États métropolitains ne sont pas autorisés à ‘faire peur’ à leurs colonies en leur
donnant l’espoir qu’elles pourront obtenir l’indépendance, ils ne peuvent non plus imposer des conditions qui
compromettent la capacité de leurs colonies de décider de leur avenir politique. En vertu du droit relatif à
l’autodétermination, la position du pouvoir colonial en est une de responsabilité et d’autorité… Nous devons clarifier
le cadre juridique qui est applicable. Notre argument n’est pas fondé sur le fait que le consentement était vicié par
la contrainte telle que définie aux articles 52 et 53. Bien que nous nous en tenons à la proposition selon laquelle le
terme ‘contrainte’ est une description appropriée de ce qui s’est passé, nous n’avons jamais dit que ‘l’accord’ de
1965 était un traité … Selon notre argument juridique, le ‘consentement’ prétendument donné par les ministres
mauriciens ne répondait pas aux exigences du droit relatif à l’autodétermination et était donc vicié. En vertu du
droit relatif à l’autodétermination, et de la garantie de l’intégrité territoriale qui l’accompagne, le peuple de Maurice
avait le droit de décider s’il abandonnait ou non l’Archipel en exprimant librement et véritablement sa volonté. En
vertu du droit relatif à l’autodétermination, le Royaume-Uni avait l’obligation de permettre au peuple de prendre
cette décision librement et de la respecter.” (“[T]he events of 1965 did not concern two independent States. The
negotiations did not take place in the realm of sovereign equality. When we look at the events of 1965, we are
looking at the relations between a colony and its metropolitan State… As to these relations, it is not the legal regime
of the Vienna Convention that applied. International law has developed a protective regime in relation to colonial
peoples. Under this protective regime, metropolitan States are not at liberty to ‘frighten’ their colonies with hope
112
Convention de Vienne sur le droit des traités. Le cadre juridique applicable est celui
de l’autodétermination, et non le droit des traités ; la question pertinente est de
savoir si, compte tenu de toutes les circonstances, le choix offert au peuple
mauricien était libre et volontaire.
3. Les circonstances étaient telles qu’elles ne permettaient pas un choix libre et
équitable aux ministres
3.89 L’exposé écrit du Royaume-Uni tente de réécrire le dossier factuel afin de
convaincre la Cour que les discussions à Lancaster House étaient tout à fait
appropriées et équivalaient à un exercice valide du droit du peuple mauricien à
l’autodétermination. Selon cet argument, le peuple de Maurice, à travers les
ministres mauriciens, a consenti au détachement de l’Archipel des Chagos.
3.90 Cette question impose une analyse du dossier historique des discussions de
Lancaster House et des événements qui y sont liés. La documentation pertinente
est à la disposition de la Cour; elle a fait l’objet d’une analyse détaillée au chapitre
3 de l’exposé écrit de Maurice du 1er mars 2018 et a été abordée au chapitre 1
ci-dessus.375 Cette version des faits n’a pas été contestée par le Royaume-Uni dans
son exposé. En résumé, Maurice estime que les juges Kateka et Wolfrum ont conclu
à juste titre que ‘‘la menace de Wilson à Ramgoolam qu’il pourrait rentrer chez lui
sans l’indépendance équivalait à une contrainte.’’376 Le dossier démontre que
l’indépendance de Maurice était conditionnelle au ‘‘consentement’’ des ministres
of independence, nor are they at liberty to impose terms that compromise an ability to decide on the political future
of the colony. Under the law of self-determination, the position of the colonial power is one of responsibility as well
as authority… We must have clarity as to the applicable legal framework. The basis of our claim is not that consent
was vitiated by duress as identified in Articles 52 and 53. Though we stand by the proposition that the term ‘duress’
provides an apt description of what happened, we have never suggested that the ‘agreement’ of 1965 was a treaty…
Our legal claim is that the ‘consent’ purportedly given by the Mauritian Ministers did not meet the requirements of
the law of self-determination, and is therefore vitiated. Under the law of self-determination with its accompanying
guarantee of territorial integrity, the people of Mauritius had the right to decide whether or not to relinquish the
Archipelago by expressing its free and genuine will. Under the law of self-determination, the United Kingdom had
the obligation to enable the people to make this decision freely and to respect it.”) Arbitrage concernant l’aire marine
protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), Audience sur les questions de compétence et de fond, Tribunal
constitué conformément à l’annexe VII de la CNUDM, transcription (8ème jour) (5 mai 2014), p. 969-970 (Crawford)
(Annexe 171).
375 Voir pars. 1.14-1.32 ci-dessus.
376 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos, Opinion dissidente et concordante (18 mars 2015),
par. 77 (Dossier No. 409). (“Wilson’s threat that Ramgoolam could return home without independence amounts to
duress.”)
113
mauriciens au détachement.377 Les éléments de preuve qui soutiennent cette
affirmation sont accablants et irréfutables. Il n’y a aucun fondement pour affirmer
le contraire.
3.91 Plus fondamentalement, l’exposé écrit du Royaume-Uni n’a pas abordé le
point essentiel, à savoir qu’à aucun moment le Royaume-Uni ne s’est montré
disposé à revoir la décision de détacher l’Archipel des Chagos. Afin qu’il pût exister
la possibilité d’un consentement valable, par le peuple mauricien directement ou à
travers ses représentants, le résultat pour lequel le ‘‘consentement’’ avait été
recherché aurait dû être conditionnel : en d’autres mots, il aurait dû y avoir un
engagement que le détachement n’aurait pas lieu si le peuple mauricien souhaitait
maintenir son territoire intact.
3.92 Mais dans le cas présent, le dossier montre que ‘‘le détachement de
l’Archipel des Chagos était déjà décidé, peu importe que Maurice ait donné son
consentement ou non’’.378 Conserver le territoire de Maurice intact était une
option qui n’avait jamais été présentée, que ce soit aux ministres mauriciens ou au
peuple mauricien directement. L’exposé écrit du Royaume-Uni n’offre aucune
preuve du contraire. Le matériau historique présenté à la Cour demeure
incontesté.
D. LES ÉLECTIONS GÉNÉRALES DE 1967 NE POUVAIENT SATISFAIRE AUX
EXIGENCES DE L’AUTODÉTERMINATION
3.93 Le Royaume-Uni déclare que ‘‘l’argument secondaire de Maurice est que le
consentement au détachement ne pouvait être exprimé qu’à travers un
référendum comme preuve du consentement libre et véritable de la population
concernée.’’379 Cela n’est pas exact. La position de Maurice n’a jamais été qu’en
aucune circonstance, un peuple ne peut exercer son droit à l’autodétermination
377 Voir l’exposé écrit de Maurice, pars. 3.73-3.81. Voir aussi pars. 1.24-1.31 ci-dessus.
378 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos, Opinion dissidente et concordante (18 mars 2015),
par. 76 (Dossier No. 409) (“detachment of the Chagos Archipelago was already decided whether Mauritius gave its
consent or not.”).
379 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.19. (“Mauritius’ secondary argument is that consent to the detachment
could only be expressed through a referendum as evidence of the free and genuine consent of the population
concerned.”)
114
par le biais de ses représentants élus. Cependant, la pratique largement établie des
Nations Unies a été d’organiser un plébiscite ou un référendum dans les situations
où il était question d’une division de l’entité territoriale.380
3.94 En soutenant qu’aucun référendum ou plébiscite n’était nécessaire dans le
cas de Maurice, le Royaume-Uni s’appuie sur la citation suivante :
La pratique constante dans le processus de décolonisation après la Seconde
Guerre mondiale était de s’assurer que l’indépendance avait le soutien du
peuple d’un territoire, soit par référendum ou au moyen d’élections
générales pour lesquelles l’indépendance faisait partie du mandat du parti
victorieux. De cette manière, le principe d’autodétermination fut considéré
comme étant satisfait.381
3.95 Ceci fonde l’argument du Royaume-Uni selon lequel les élections générales
de 1967 à Maurice étaient un moyen supplémentaire, ou peut-être alternatif, par
lequel le peuple de Maurice a exercé son droit à l’autodétermination et consenti
librement au détachement de l’Archipel des Chagos. L’exposé écrit du
Royaume-Uni soutient que ‘‘les élections générales furent remportées par ceux qui
étaient en faveur de l’indépendance et qui avaient consenti au détachement de
l’Archipel des Chagos.’’382 Le Royaume-Uni affirme que les élections ‘‘furent tenues
à un moment où le détachement de l’Archipel des Chagos était de notoriété
publique; les électeurs de Maurice et leurs représentants élus votèrent donc en
faveur de l’indépendance sans l’Archipel des Chagos.’’383
3.96 C’est là un argument surprenant. Le fait que le détachement ‘‘était de
notoriété publique’’ signifiait précisément que les électeurs mauriciens n’avaient
380 Voir l’exposé écrit de Maurice, pars. 6.58-6.60.
381 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.20 (citant I. Hendry, S. Dickson, British Overseas Territory Law (2011)
p. 280). (‘’The consistent practice in the post-Second World War decolonisation process was to ensure that
independence had the support of the people of a territory either by referendum or by means of a general election
at which independence formed part of the winning party’s mandate. In this way the principle of self-determination
was regarded as satisfied.’’)
382 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.15 d). (“the General Election was won by those in favour of independence
and who had agreed to the detachment of the Chagos Archipelago.”)
383 Ibid., par. 3.8 f). (“took place at a time when the detachment of the Chagos Archipelago was a matter of public
record; the Mauritius electorate and their elected representatives thus voted in 1967 for independence without the
Chagos Archipelago.”)
115
pas le choix. Peu après le détachement, les ministres du Parti Travailliste Mauricien
qui était au pouvoir firent des déclarations à l’Assemblée législative, expliquant que
le détachement avait été effectué unilatéralement par la puissance
administrante.384 L’argument du Royaume-Uni tente d’assimiler un fait accompli à
un choix libre. Le choix du peuple mauricien fut précisément le même non-choix
qui avait été proposé aux ministres mauriciens en 1965: devenir indépendant sans
l’Archipel des Chagos ou demeurer une colonie, également sans l’Archipel des
Chagos. Il n’a jamais été question de restituer l’Archipel des Chagos à Maurice au
cas où les partis opposés à l’indépendance auraient remporté les élections
générales de 1967. Comme l’a observé Lord Brockway à la Chambre des Lords en
1980, l’Archipel des Chagos fut détaché de Maurice avant son accession à
l’indépendance, précisément pour que ‘‘la nation ne puisse exprimer une opinion
décisive.’’385
3.97 Les documents de cette époque montrent que les principaux enjeux
des élections de 1967 étaient l’indépendance et les difficultés économiques et
sociales auxquelles Maurice était confrontée.386 L’exposé écrit du Royaume-Uni
reconnaît que le détachement de l’Archipel des Chagos était d’une importance
limitée – voire d’aucune importance – lors des élections de 1967 : ‘‘Il n’y avait
384 Voir, par exemple, Assemblée législative de Maurice, Speech from the Throne – Address in Reply: Statement by
the Prime Minister of Mauritius (11 avril 1979), p. 456 (Annexe 115); Assemblée législative de Maurice, The
Interpretation and General Clauses (Amendment) Bill (No. XIX of 1980), Committee Stage (26 juin 1980), p. 3413
(Annexe 117); Assemblée legislative de Maurice, Reply to PQ No. B/1141 (25 nov. 1980), p. 4223 (Annexe 123).
Assemblée legislative de Maurice, Written Answers to Questions, Diego Garcia — Sale or Hire, No. A/33 (14 déc.
1965) (Annexe 212). Voir aussi l’exposé écrit de Maurice, pars. 4.4-4.16.
385 Chambre des Lords du Royaume-Uni, débat, Diego Garcia: Future, vol. 415, c389 (3 déc. 1980) (Annexe 222).
(“the nation could not take a decisive view”).
386 En janvier 1967, le gouverneur Rennie informa le secrétaire d’État aux Affaires du Commonwealth que
‘’l’indépendance sera l’enjeu principal des élections, et le Premier ministre sait que les électeurs marginaux seront
persuadés par ses adversaires de considérer les présentes difficultés économiques comme un avant-gout de ce qui
résulterait de l’indépendance et comme un témoignage de l’incapacité du présent gouvernement de diriger Maurice
lorsqu’elle sera indépendante.’’ (“The major issue at the elections will be Independence, and the Premier knows
marginal voters will be persuaded by his opponents to see current economic difficulties [as] a foretaste of what
Independence will bring and a demonstration of the incapacity of the present Government to manage an
independent Mauritius.”) Voir le rapport de J. Rennie, gouverneur de Maurice, adressé à H. Bowden, secrétaire d’État
aux Affaires du Commonwealth (23 janvier 1967), par. 7 (Annexe 213).
116
aucune controverse particulière au sujet du détachement lors des élections
générales.’’387 Comme l’a dit l’historien mauricien, Jocelyn Chan Low :
Pour la classe politique mauricienne, face aux tensions ethniques qui avaient
surgi lors des émeutes ethniques et meurtrières et vivant dans un pays
souffrant d’une grave crise de sous-développement, la question de Diego
Garcia et le sort des Ilois revêtaient peu d’importance.388
3.98 Il n’est pas clair que le Royaume-Uni suggère que le peuple de Maurice aurait
pu exprimer sa désapprobation au sujet du détachement en ne votant pas pour les
partis qui avaient consenti au détachement. Une telle prétention est évidemment
absurde, d’autant plus que ces partis étaient également en faveur de
l’indépendance : le peuple mauricien aurait donc dû voter pour le maintien du
statut colonial afin de protester contre le démembrement de son territoire.
E. MAURICE N’A PAS ACCEPTÉ LE DÉTACHEMENT APRÈS SON INDÉPENDANCE
3.99 Le Royaume-Uni soutient que Maurice ‘‘n’a pas contesté la souveraineté du
Royaume-Uni sur l’Archipel des Chagos’’ jusqu’en 1980 et qu’elle ‘‘a accepté le
détachement de l’Archipel des Chagos à maintes reprises.’’389 Il est affirmé que :
L’Archipel des Chagos ne faisait pas partie de la colonie de Maurice le
12 mars 1968, un fait non contesté. La Constitution [de 1968] exclut donc
l’Archipel de Maurice. Maurice ne considérait pas l’Archipel des Chagos
387 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.36. (“There was no particular controversy over detachment during the
General Election”). S’adressant à une réunion du Conseil des ministres peu avant les élections de 1967, le secrétaire
au Commonwealth reconnut que la seule question qui pouvait être soulevée pendant la campagne électorale par
rapport au détachement de l’Archipel des Chagos était l’insuffisance du montant de l’indemnité. Voir Royaume-Uni,
Comité en charge de la politique de défense et d’outre-mer, Minutes of a Meeting held at 10 Downing Street, S.W.1.,
on Thursday, 25th May 1967 at 9:45 a.m., OPD(67) (25 mai 1967), p. 2 (Annexe 90).
388 Jocelyn Chan Low, “The Making of the Chagos Affair: Myths and Reality” paru dans EVICTION FROM THE CHAGOS
ISLANDS (S. Evers & M. Kooy eds., 2011), p. 61 (Annexe 233). (‘’For the Mauritian political class, grappling with ethnic
tensions that flared up in the deadly inter-ethnic rioting, living in a country deep in the throes of an acute crisis of
underdevelopment, the Diego Garcia affair and fate of the Ilois was matter of detail.’’)
389 Exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 3.38 et 5.6. (“did not challenge the United Kingdom’s sovereignty over the
Chagos Archipelago” [until 1980 and that it] “reaffirmed the detachment of the Chagos Archipelago on multiple
occasions.”)
117
comme faisant partie de son territoire, confirmant ainsi, en tant qu’État
souverain, son acceptation de l’Accord de 1965.390
3.100 Ceci est une affirmation quelque peu fallacieuse. Les constitutions
(britanniques) successives du territoire dépendant de Maurice, depuis les Lettres
patentes de 1885 jusqu’à la Constitution de 1964, ont toujours défini Maurice
comme une colonie qui incluait l’Archipel des Chagos.391 Ce ne fut qu’après le
détachement de l’Archipel des Chagos, le 8 novembre 1965, que la puissance
administrante amenda la section 90(1) de la Constitution de 1964 pour exclure
l’Archipel des Chagos de la définition de ‘‘Maurice’’.392 La Constitution de 1968, qui
excluait également l’Archipel des Chagos de la définition de Maurice, fut un
‘‘produit exporté du système de Westminster’’393, imposée à Maurice par la
puissance administrante par le biais du Mauritius Independence Order in Council de
1968.394
3.101 Il n’est pas contesté que pendant les premières années de son
indépendance, Maurice n’insista pas auprès du Royaume-Uni pour la restitution de
l’Archipel des Chagos.395 Afin de comprendre cette période, deux facteurs doivent
être pris en considération :
390 Ibid., par. 3.40. (‘‘The Chagos Archipelago was not part of the colony of Mauritius on 12 March 1968, a fact not in
dispute. The [1968] Constitution thus excluded the Archipelago from Mauritius. Mauritius did not consider the
Chagos Archipelago part of its territory, thus affirming, now as a sovereign State, its acceptance of the 1965
Agreement.’’)
391 Exposé écrit de Maurice, par. 2.16.
392 Ibid., par. 3.96.
393 Exposé écrit du Royaume-Uni, Annexe 21, p. 614 (“product of the Westminster export model factory”).
394 Royaume-Uni, The Mauritius Independence Order 1968 and Schedule to the Order: The Constitution of Mauritius
(4 mars 1968), section 20(4) (Annexe 95).
395 Exposé écrit de Maurice, pars. 4.4-4.5. En répondant à une question, le 8 novembre 1977, à l’Assemblée législative
au nom du Premier ministre, le ministre mauricien des Finances, déclara publiquement que Maurice cherchait à
obtenir la restitution de l’Archipel des Chagos du Royaume-Uni. Il préconisa ‘‘une diplomatie patiente sur le plan
bilatéral et international.’’ (“patient diplomacy at bilateral and international levels.”) Voir Assemblée législative de
Maurice, Diego Garcia – Anglo-American Treaty, No. B/539 (8 nov. 1977), p. 3179 (Annexe 113). Cet engagement
d’obtenir la restitution de l’Archipel des Chagos par la diplomatie sur le plan bilatéral et international fut réitéré par
le Premier ministre le 20 novembre 1979. Voir Assemblée législative de Maurice, Reply to PQ No. B/967 (20 nov.
1979), p. 5025 (Annexe 116).
118
a. l’ensemble des engagements pris par le Royaume-Uni à la conférence
constitutionnelle de 1965 et la foi que Maurice a accordée à ces
engagements ; et
b. la situation socio-économique difficile de Maurice et sa dépendance à
l’égard de la générosité du Royaume-Uni afin de pouvoir sortir du
sous-développement et devenir un État indépendant et viable.
3.102 Concernant le premier point, la puissance administrante a insisté sur le fait
que Maurice est restée silencieuse à propos du détachement. Le 23 septembre
1965 – le jour où les ministres mauriciens ‘‘consentirent’’ au détachement – le
Premier ministre Wilson informa son Cabinet ‘‘qu’il ne serait pas permis au
gouvernement de Maurice de soulever la question, ou d’insister pour la restitution
des îles, de sa propre initiative.’’396 Le Tribunal institué au titre de la CNUDM a
unanimement conclu que ‘‘la retenue dont [Maurice] a fait preuve quant à sa
revendication de souveraineté résulte des engagements donnés par le
Royaume-Uni’’.397 Le Tribunal a considéré qu’il était incontestable que ‘‘sans
l’ensemble des engagements donnés … Maurice aurait fait valoir ses revendications
sur l’archipel plus tôt et plus directement’’.398
3.103 Quant au deuxième point, un rapport soumis par le professeur d’économie
James Meade au gouverneur de Maurice en septembre 1960 reconnaissait que
Maurice représentait une forme extrême d’une économie de monoculture, et que
le sucre représentait 99% de la valeur totale de ses exportations.399 Maurice était
396 Royaume-Uni, Comité en charge de la politique de défense et d’outre-mer, Minutes of a Meeting held at
10 Downing Street, S.W.1, on Thursday, 23rd September, 1965, at 4 p.m., OPD (65) 41st Meeting (23 sept. 1965),
p. 6 (Annexe 209) (“it would not be open to the Government of Mauritius to raise the matter, or press for the return
of the islands, on its own initiative.”).
397 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos, sentence (18 mars 2015), par. 442 (Dossier No. 409).
(“comparatively restrained assertion of its sovereignty claim” [was] “a result of the undertakings given by the United
Kingdom”).
398 Ibid. (“[h]ad the package of undertakings not been given… Mauritius would have asserted its claim to the
Archipelago earlier and more directly”).
399 J. Meade, et al., The Economic and Social Structure of Mauritius (1968). Maurice vendait 60% de son sucre au
Royaume-Uni à un prix convenu, bénéficiant ainsi d’une source stable de revenus tributaire du soutien continu de
l’ancienne puissance administrante. Cette vente était effectuée dans le cadre de l’accord du Commonwealth sur le
sucre qui devait prendre fin avec l’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté économique européenne (‘‘CEE’’) en
1973. Maurice comptait sur un accès préférentiel et un marché garanti dans le cadre d’un nouveau Protocole sucre
à négocier avec le CEE, et avait à s’assurer du soutien du Royaume-Uni afin d’obtenir les meilleurs termes possibles
119
confrontée à un taux de chômage élevé et n’avait que peu de ressources
naturelles.400 Au moment de l’indépendance, elle était ‘‘au bord de la faillite’’.401 La
priorité principale du gouvernement de Maurice après l’indépendance était le
redressement économique et social du pays. Le Premier ministre Ramgoolam se
rendit à Londres au début de 1969 pour chercher de l’aide pour le développement
de Maurice. Des subventions et d’autres formes de financement en provenance du
Royaume-Uni ont joué un rôle important dans le financement des budgets annuels
de Maurice à la fin des années 1960 et au début des années 1970. L’Overseas
Development Administration et la Commonwealth Development Corporation
financèrent des projets à Maurice, tels que le projet d’irrigation des Plaines du Nord
et la construction de l’autoroute M1.402 Le Royaume-Uni a lui-même reconnu ‘‘les
contraintes et tensions résultant de l’approche de l’indépendance ou de son
acquisition récente’’, et les limitations qu’elles imposaient.403
3.104 Lorsque Maurice s’affirma de plus en plus au début des années 1980, les
fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères britannique essayèrent
d’exercer des pressions sur le gouvernement mauricien. Anticipant le discours du
Premier ministre Ramgoolam à l’Assemblée générale de l’ONU le 9 octobre 1980,
lors duquel il réclama le démantèlement du ‘‘BIOT’’,404 les fonctionnaires du
ministère des Affaires étrangères britannique demandèrent des renseignements à
pour ses exportations de sucre. En vertu du Protocole sucre, qui fut signé en 1975, Maurice continua à exporter la
plupart de son sucre vers le Royaume-Uni à un prix garanti. Voir aussi J. Addison et K. Hazareesingh, A New History
of Mauritius (2ème partie de l’extrait) (1993) (Annexe 232).
400 J. Addison et K. Hazareesingh, A New History of Mauritius (2ème partie de l’extrait) (1993), p. 98-100 (Annexe 232).
401 Note de A.J. Fairclough adressée à T. Smith, avec en annexe une note sur Considerations arising from and since
the 1965 Constitutional Conference related to the question of Independence (14 fév. 1967), par. 3(ii) (Annexe 216).
(“state of near-bankruptcy”).
402 Maurice était aussi très dépendant du Royaume-Uni comme source de devises. Plus de 70% de ses recettes
d’exportation provenaient du commerce avec le Royaume-Uni. D’autres formes d’assistance reçues par Maurice du
Royaume-Uni incluaient l’aide alimentaire, la formation des médecins spécialistes, des bourses pour les étudiants
mauriciens pour des études supérieures dans les universités britanniques, et l’appui aux institutions de recherche
telles que le Mauritius Sugar Industry Research Institute.
403 Assemblée générale de l’ONU, 19e session, Rapport du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui
concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document
de l’ONU A/5800/Rev.1 (1964-1965), par. 148 (Dossier No. 251). Voir par. 3.47 ci-dessus.
404 Voir République de Maurice, References to the Chagos Archipelago in Annual Statements Made by Mauritius to
the United Nations General Assembly (extracts) (1974-2017) (Annexe 100). Voir aussi Assemblée générale de l’ONU,
35e session, Déclaration de Sir Seewoosagur Ramgoolam, Premier ministre de Maurice, document de l’ONU
A/35/PV.30 (9 oct. 1980), par. 40 (Dossier No. 269).
120
la mission du Royaume-Uni auprès de l’ONU afin ‘‘d’être en meilleure position de
le prendre au collet lors de son transit par Londres en retournant à Maurice.’’405
3.105 En 1983, le ‘‘commissaire’’ du ‘‘BIOT’’, M. Wenban-Smith, proposa
d’informer Maurice qu’une répétition de sa revendication ‘‘aurait de très sérieuses
répercussions sur nos relations bilatérales.’’406 Se référant à la possibilité de retirer
l’aide à Maurice et de réduire l’achat de sucre, le haut-commissaire britannique à
Maurice suggéra ‘‘qu’il doit y avoir une réelle tentation de recourir au bâton.’’407
3.106 Aucune mesure prise par Maurice depuis son indépendance n’a ‘‘réaffirmé’’
le ‘‘consentement’’ au détachement de l’Archipel des Chagos. Dès la première
occasion où le détachement fut examiné dans le détail par les parlementaires
mauriciens après l’indépendance – en référence aux témoignages oraux et aux
preuves documentaires – ils conclurent sans hésitation ‘‘qu’un choix fut proposé
par l’intermédiaire de Sir Seewoosagur Ramgoolam à la majorité des délégués en
faveur de l’indépendance et qu’une telle attitude ne peut ne pas répondre à la
définition la plus élémentaire du chantage.’’408
F. LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE A CONDAMNÉ LE DÉTACHEMENT
3.107 Au chapitre 4 de son exposé écrit, Maurice a traité de la condamnation du
détachement par la communauté internationale, tant au sein qu’à l’extérieur des
Nations Unies. Dans la présente section, Maurice abordera les observations du
Royaume-Uni sur la résolution 2066 (XX) de l’Assemblée générale, et en particulier
l’affirmation selon laquelle les États membres avaient déjà été informés à ce
405 Lettre de S.H. Innes du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni, département
Afrique de l’Est adressée à J.J. Bevan de la mission britannique auprès de l’ONU à New York (7 oct. 1980)
(Annexe 221). (“be in a better position to collar him as he transits London on his return to Mauritius”).
406 Note de W.N. Wenban-Smith, ‘‘commissaire’’ du ‘‘BIOT’’, adressée à M. Watts, conseiller juridique adjoint,
ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni (15 fév. 1983) (Annexe 226). (“would have
a most severe effect on our bilateral relations.”)
407 Lettre de J.N. Allan, haut-commissaire britannique à Port Louis, adressée à W.N. Wenban-Smith, ‘’commissaire’’
du “BIOT” (10 mars 1983) (Annexe 227). (“There must be a real temptation to use the stick.”)
408 Assemblée législative de Maurice, Report of the Select Committee on the Excision of the Chagos Archipelago,
No. 2 of 1983 (juin 1983), par. 52E (Annexe 129). (“a choice was offered through Sir Seewoosagur to the majority of
delegates supporting independence and which attitude cannot fall outside the most elementary definition of
blackmailing.”) Voir aussi l’exposé écrit de Maurice, par. 4.14.
121
moment du détachement et ne l’avaient pas condamné, ainsi que celle selon
laquelle le libellé de la résolution démontre que l’Assemblée générale ne
considérait pas à l’époque la résolution 1514 (XV) comme étant juridiquement
contraignante.
3.108 L’exposé écrit du Royaume-Uni affirme que Maurice ‘‘se fonde sur la
[résolution 2066 (XX)] pour soutenir qu’il existait une règle contraignante
interdisant le détachement de l’Archipel en 1965’’.409 Le Royaume-Uni ajoute que
la résolution 2066 (XX) ‘‘n’était pas formellement contraignante’’ et qu’elle ne
contient ‘‘aucune condamnation du Royaume-Uni, ni aucune déclaration qu’il a agi
en violation du droit international.’’410 Il prétend que la formulation de la résolution
‘‘confirme que l’Assemblée générale estimait, à l’époque, que la résolution 1514
(XV) elle-même n’était pas juridiquement contraignante.’’411
3.109 Il est difficile de comprendre cette affirmation. Le Royaume-Uni semble
fonder sa position sur l’utilisation des termes ‘‘invite’’ et ‘‘prie’’ adressés à la
puissance administrante dans le dispositif de la résolution. C’est le langage
normalement utilisé par l’Assemblée générale dans de tels textes. En outre, le texte
de la résolution 2066 (XX) contredit directement l’affirmation du Royaume-Uni
selon laquelle l’Assemblée générale considérait la résolution 1514 (XV) comme
n’étant pas juridiquement contraignante. On peut le constater, par exemple, dans:
1) le préambule de la résolution 2066 (XX), dans lequel l’Assemblée
générale note :
avec une profonde inquiétude que toute mesure prise par la
Puissance administrante pour détacher certaines îles du territoire
de l’île Maurice afin d’y établir une base militaire constituerait une
violation de ladite déclaration [sur l’octroi de l’indépendance aux
409 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.49. (“relies on [Resolution 2066 (XX)] to claim that there was a binding rule
prohibiting detachment of the Archipelago in 1965”).
410 Ibid., par. 8.50. (“was not drafted in mandatory terms” [and that it contains] “no condemnation of the United
Kingdom, nor any statement that it has acted in breach of international law.”)
411 Ibid., par. 8.51. (“reaffirms the General Assembly’s own understanding, at the time, that resolution 1514 (XV)
itself was not legally binding.”)
122
pays et aux peuples coloniaux] et en particulier du paragraphe 6 de
celle-ci …412
2) le paragraphe 2 de la résolution, dans lequel l’Assemblée générale
‘‘[r]éaffirme le droit inaliénable du peuple du territoire de l’île Maurice
à la liberté et à l’indépendance, conformément à la résolution 1514
(XV) de l’Assemblée générale’’.413
3) les paragraphes 5 et 6, dans lesquels le Royaume-Uni est invité à faire
rapport au Comité spécial et à l’Assemblée générale sur l’application
de cette résolution, et le Comité spécial est prié de maintenir à l’étude
la situation en ce qui concerne Maurice.
La position de Maurice n’est, évidemment, pas que la résolution 2066 (XX) créait
des obligations juridiques en soi. Ces obligations juridiques – en particulier les
obligations créées par le droit à l’autodétermination et le principe associé de
l’intégrité territoriale – avaient pris forme plusieurs années auparavant et avaient
été évoquées dans la résolution 1514 (XV) qui reflétait clairement, pour
l’Assemblée générale, des obligations contraignantes, comme en témoigne le
libellé de la résolution 2066 (XX).
3.110 Quant au contexte factuel de l’adoption de la résolution 2066 (XX), le
Royaume-Uni soutient que :
le caractère non contraignant de la résolution 2066 (XX) est confirmé par le
fait qu’elle fut adoptée environ cinq semaines après la création du BIOT le
8 novembre 1965 et un mois après que la Quatrième Commission fut
informée par le Royaume-Uni le 16 novembre 1965 de la création du BIOT.414
412 Question de l’île Maurice (16 déc. 1965), préambule (italiques dans l’original, sans soulignement dans l’original)
(Dossier No. 146).
413 Assemblée générale de l’ONU, 15e session, Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux, document de l’ONU A/RES/1514(XV) (14 déc. 1960), par. 2 (italiques dans l’original, sans soulignement
dans l’original) (Dossier No. 55).
414 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.52 (sans soulignement dans l’original). (‘‘The non-mandatory nature of
resolution 2066 (XX) is confirmed by the fact that it was adopted some five weeks after the establishment of the
BIOT on 8 November 1965 and a month after the Fourth Committee had been informed by the United Kingdom on
16 November 1965 of the BIOT’s creation.’’)
123
3.111 Il est important d’examiner le compte rendu de cette réunion de la
Quatrième Commission afin de voir ce dont le Royaume-Uni avait en fait informé
la Commission.415 Selon le compte rendu, le représentant du Royaume-Uni informa
la Commission qu’un processus était en cours pour décider d’un nouveau système
électoral pour Maurice; après quoi, il y aurait des élections générales, et
l’indépendance serait octroyée après une période de six mois de complète
autonomie interne.416 En d’autres mots, l’indépendance était encore à venir. Le
paragraphe suivant vaut la peine d’être lu en entier. Le représentant du
Royaume-Uni ajouta:
Certaines questions ont été soulevées au sujet des plans du Gouvernement
du Royaume-Uni quant à certaines îles de l'océan Indien. Les faits sont les
suivants. Les îles en question sont toutes petites, sont très dispersées dans
l'océan Indien, et ont une population de moins de 1 500 habitants, laquelle,
hormis quelques fonctionnaires et régisseurs de domaines, se compose de
travailleurs originaires de l'île Maurice et des Seychelles, accompagnés de
leur famille et employés dans les plantations de coprah, à l'extraction du
guano et à la pêche aux tortues. Ces îles étaient inhabitées lors de leur
acquisition par le Gouvernement du Royaume-Uni. Elles avaient été
rattachées à l'île Maurice ou aux Seychelles pour de simples raisons de
commodité administrative. Après consultation des gouvernements de l'île
Maurice et des Seychelles, y compris les membres élus de ces derniers et
avec leur accord, de nouvelles dispositions pour l'administration de ces îles
considérées ont été prises le 8 novembre. Ces îles ne seront plus
administrées par les gouvernements précités, mais par un commissaire. Une
indemnisation appropriée sera versée non seulement aux Gouvernements
de l'île Maurice et des Seychelles, mais aussi à toute personne privée ou
entreprise commerciale dont les intérêts seront affectés. On prendra grand
soin du bien-être des quelques habitants de ces îles et des dispositions
415 Assemblée générale de l’ONU, Quatrième Commission, 20e session, 1558e séance, Point 23 de l’ordre du jour:
Application de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU
A/C.4/SR.1558 (16 nov. 1965) (Dossier No. 152); Exposé écrit du Royaume-Uni, Annexe 14.
416 Ibid., par. 79.
124
adéquates à leur intention seront discutées avec les Gouvernements de l'île
Maurice et des Seychelles. Il ne s'agit donc nullement du démembrement
d'unités territoriales naturelles, mais d'une simple réorganisation
administrative librement mise au point avec les gouvernements et les
représentants élus des populations intéressées.417
3.112 Il est difficile de qualifier cette déclaration comme une déclaration dans
laquelle le Royaume-Uni ‘‘informe [la Quatrième Commission] de la création du
BIOT’’, étant donné qu’elle ne fait aucune référence à la création d’une nouvelle
colonie, et qu’elle mentionne encore moins l’appellation ‘‘Territoire britannique de
l’Océan Indien’’. Avec les termes euphémiques utilisés – ‘‘de nouvelles dispositions
pour l’administration de ces îles’’ et ‘’réorganisation administrative’’ – il n’était
guère évident qu’il s’agissait de la création d’une nouvelle colonie. Ni ne fut-il
indiqué que les habitants seraient expulsés de force : l’on ne pouvait le déduire de
l’affirmation selon laquelle ‘‘on prendra grand soin de [leur] bien-être’’. Il n’était
pas non plus évident que ces dispositions devaient être permanentes : cette
déclaration aurait pu facilement laisser entendre que ces dispositions
‘‘administratives’’ prendraient fin lors de l’accession de Maurice à l’indépendance.
3.113 Comme Maurice l’a relevé dans son exposé écrit, l’affirmation selon laquelle
les îles avaient été administrées par Maurice et les Seychelles uniquement pour des
‘‘raisons de commodité administrative’’ avait été proposée par Lord Caradon, le
représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l’ONU à New York, le
9 novembre 1965 comme une ‘‘approche alternative’’ pour contrer ce qu’il
craignait, à savoir qu’il soit généralement reconnu que le détachement constituait
une violation du paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV). Cette ‘‘approche
alternative’’ faisait partie d’une stratégie visant à ‘‘détourner l’attention du statut
du nouveau territoire’’.418
417 Ibid., par. 80 (sans soulignement dans l’original).
418 Télegramme de la mission du Royaume-Uni auprès de l’ONU adressé au ministère des Affaires étrangères du
Royaume-Uni, no 2837 (8 nov. 1965), par. 7 (Annexe 77). (This “alternative line” was strategic, designed to “direct
attention from [the] status of the new territory”). Voir l’exposé écrit de Maurice, par. 4.26.
125
3.114 En septembre suivant, le gouvernement du Royaume-Uni estimait que cette
stratégie de désinformation avait, jusque là, très bien réussi.
Jusqu’à présent, les Nations Unies ont discuté de la question du BIOT
presque uniquement dans le contexte de Maurice. Lors des réunions de la
Quatrième Commission et de l’Assemblée générale l’année dernière, il n’y
eut aucune référence à l’existence du BIOT en tant qu’entité séparée et
plusieurs délégations peuvent ne pas avoir réalisé que le détachement était
un fait accompli.419
3.115 Dans ces conditions, il est extrêmement difficile pour le Royaume-Uni de
soutenir que la Quatrième Commission a dûment été informée de la situation.
Comme le représentant de la Tanzanie le fit remarquer le 24 novembre 1965, la
situation, telle qu’elle avait été présentée par le Royaume-Uni, ‘‘restait confuse’’.420
À mesure que la situation réelle devenait progressivement plus évidente pour les
États membres, les critiques aux Nations Unies se firent de plus en plus acerbes.
Comme l’a résumé Maurice dans son exposé écrit, cela incluait de nombreuses
déclarations par le sous-comité I, le Comité des 24 et l’Assemblée générale,
exprimant toutes l’opinion que le démembrement avait violé la résolution 1514
(XV).421 Mais même au 16 décembre 1965, malgré la désinformation délibérée du
Royaume-Uni, des États membres en savaient ou en soupçonnaient assez pour faire
419 Ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, “Presentation of British Indian Ocean Territory in the United
Nations”, IOC (66)136, FO 141/1415 (8 sept. 1966), par. 13 (soulignement dans l’original) (Annexe 81). (‘’So far, the
United Nations has dealt with the subject of B.I.O.T. almost entirely in the context of Mauritius. In last year’s Fourth
Committee and General Assembly no cognisance was taken of the existence of B.I.O.T. as a separate entity and many
delegations may not then have tumbled to the fait accompli of separation.’’) Voir aussi la dépêche de F. D. W. Brown
de la mission du Royaume-Uni auprès de l’ONU adressée à C. G. Eastwood du bureau des Colonies, no 15119/3/66
(2 fév 1966), par. 3. (“Plusieurs délégations peuvent ne pas avoir réalisé que le détachement était un fait accompli’’)
(“Many delegations may not have tumbled to the fait accompli of separation”) (soulignement dans l’original)
(Annexe 80).
420 Assemblée générale de l’ONU, Quatrième Commission, 20e session, 1566e séance, Points 23, 69 et 70 de l’ordre
du jour, document de l’ONU A/C.4/SR.1566 (24 nov. 1965) (Dossier No. 153). (‘’was still nebulous’’). Voir
aussi l’exposé écrit de Maurice, par. 4.29.
421 Exposé écrit de Maurice, pars. 4.31-4.41.
126
adopter par l’Assemblée générale la résolution 2066 (XX) dans les termes les plus
vigoureux, comme indiqué plus haut.
***
3.116 En conclusion, Maurice, tout comme une très large majorité d’autres États
et l’Union africaine, considère qu’il ne fait aucun doute qu’il existait un droit
à l’autodétermination contraignant et bien établi au moment du détachement de
l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965. Ce droit incluait le droit à l’intégrité
territoriale.
3.117 Pour que ce droit eût pu être respecté dans le cas de Maurice, un choix libre
aurait dû être offert au peuple de Maurice quant à savoir s’il souhaitait que Maurice
devienne un État indépendant et que l’Archipel des Chagos soit détaché afin de
devenir une colonie séparée, avec l’expulsion de ses habitants. Un tel choix ne fut
pas offert, que ce soit lors des discussions de 1965 ou lors des élections générales
de 1967. La puissance administrante n’était, à aucun moment, disposée à
abandonner son projet de démembrement, ou à annuler le démembrement, une
fois effectué. Le choix présenté au peuple mauricien était l’indépendance sans
l’Archipel des Chagos ou le maintien de statut colonial sans l’Archipel des Chagos.
Et, comme le démontrent les documents historiques, ce n’est que la première
option qui fut présentée aux représentants mauriciens à Londres en 1965 dans des
conditions de contrainte.
3.118 Étant donné le non-respect par la puissance administrante de ses obligations
juridiques internationales par rapport à l’autodétermination et à l’intégrité
territoriale, la décolonisation de Maurice n’a pas été menée à bien en 1968 et
demeure inachevée à ce jour.
127
CHAPITRE 4
LES CONSÉQUENCES EN DROIT INTERNATIONAL DU MAINTIEN DE L’ARCHIPEL
DES CHAGOS SOUS L’ADMINISTRATION DE LA PUISSANCE ADMINISTRANTE
I. Introduction
4.1 Dans le présent chapitre, Maurice répondra aux exposés écrits d’autres États
et de l’Union africaine par rapport à la deuxième question posée par l’Assemblée
générale à la Cour. Cette question se lit comme suit:
Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard
des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien
de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne
l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de
réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne?
4.2 Les exposés écrits présentés à la Cour reflètent un consensus très net selon
lequel les conséquences en droit international comprennent:
i) l’obligation d’achever la décolonisation de Maurice avec effet
immédiat.
ii) l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de
l’administration coloniale de Maurice.
iii) pendant la courte période de temps nécessaire pour achever la
décolonisation, a) l’obligation d’administrer l’Archipel des Chagos au
mieux des intérêts de Maurice et de son peuple, et b) l’obligation à ne
pas faire obstacle à la réinstallation des Mauriciens d’origine
chagossienne qui souhaitent retourner dans l’Archipel des Chagos.
128
4.3 Maurice note qu’aucun des exposés écrits, y compris celui du Royaume-Uni,
ne conteste le principe bien établi en droit international selon lequel la
décolonisation devrait être achevée immédiatement au cas où elle n’a pas été
validement menée à bien. Au contraire, les exposés écrits qui traitent de la
question parviennent tous à la conclusion que si la réponse à la première question
posée à la Cour est que la décolonisation n’a pas été validement menée à bien, il
est évident que la réponse à la deuxième question serait que les conséquences en
droit international comprennent l’obligation d’achever le processus de
décolonisation immédiatement.
4.4 Il n’y a aucune raison d’ordre juridique ou pratique pour laquelle cela ne peut
se faire. Au contraire, aucun exposé écrit n’identifie un quelconque obstacle à
l’achèvement immédiat du processus de décolonisation. Aucun exposé écrit, y
compris celui du Royaume-Uni, n’affirme que la décolonisation de Maurice ne peut
être achevée dans un très bref délai. En effet, l’exposé écrit du Royaume-Uni
confirme que l’administration coloniale est minimale, ce qui permettrait de
transférer à Maurice l’administration existante ou de la démanteler, selon le cas,
dans les meilleurs délais.
4.5 De même, aucun exposé écrit ne conteste le principe selon lequel chaque
État devrait s’abstenir de prêter aide ou assistance au maintien de l’administration
coloniale ou de faire obstacle au processus de décolonisation si la Cour estime que
la décolonisation n’a pas été validement menée à bien.
4.6 Finalement, aucun exposé écrit ne conteste le fait que pendant le bref temps
qu’il faudra pour la réalisation complète de la décolonisation, l’Archipel des Chagos
devrait être administré d’une manière qui serve au mieux les intérêts de Maurice
et du peuple mauricien. La grande majorité des exposés écrits ne conteste non plus
la proposition selon laquelle les Mauriciens d’origine chagossienne pourraient être
réinstallés dans l’Archipel.
4.7 La section 2 du présent chapitre expliquera pourquoi la Cour devrait
répondre à la question telle que formulée par l’Assemblée générale qui, par ses
termes explicites, sollicite un avis consultatif qui traite de l’ensemble des
conséquences juridiques du maintien de l’Archipel des Chagos sous
129
l’administration de la puissance administrante. Dans cette section, Maurice
abordera certains points évoqués dans l’exposé écrit de l’Allemagne qui convient
avec Maurice (et la grande majorité des États) que la Cour devrait répondre aux
deux questions qui lui ont été posées, tout en suggérant que la Cour pourrait, dans
sa réponse à la deuxième question, se limiter aux conséquences pour les Nations
Unies en général, et l’Assemblée générale en particulier, et éviter de traiter des
conséquences pour les États à titre individuel. Maurice est respectueusement en
désaccord avec l’Allemagne sur ce point et donnera dans la section 2 les raisons
pour lesquelles la Cour devrait répondre de manière complète à la deuxième
question, y compris par rapport aux conséquences juridiques pour les États à titre
individuel.
4.8 Les sections 3 et 4 aborderont les conséquences juridiques – pour
l’Assemblée générale et les États à titre individuel – qui découleront d’une décision
de la Cour selon laquelle la décolonisation de Maurice n’a pas été validement
menée à bien. La section 3 décrira les conséquences juridiques spécifiques du
maintien de l’Archipel des Chagos sous l’administration de la puissance
administrante, notamment qu’il s’agit d’un acte illicite qui devrait cesser
immédiatement. La section 4 traitera des conséquences juridiques dans l’attente
de la réalisation de la décolonisation complète. Elle accordera une attention
particulière aux conséquences pour l’Assemblée générale et les États en ce qui
concerne la réinstallation des Mauriciens d’origine chagossienne et l’urgente
nécessité d’aborder les conséquences pour les Chagossiens.
4.9 La dernière section présentera les conclusions du présent chapitre.
II. La réponse à la deuxième question devrait aborder les conséquences
juridiques pour les États aussi bien que pour l’Assemblée générale
4.10 La majorité des opinions exprimées dans les exposés écrits demande à la
Cour: i) de répondre à la deuxième question ; et ii) de traiter de toutes les
conséquences juridiques découlant du maintien de l’Archipel des Chagos sous
l’administration de la puissance administrante. À titre d’exemple:
130
4.11 L’Union africaine estime ‘‘que les conditions sont pleinement satisfaites
pour que la Cour réponde aux questions en l’espèce’’.422
4.12 L’Argentine considère que ‘‘[l]’Assemblée générale a compétence pour
demander un avis consultatif et qu’il n’existe aucune raison décisive de ne pas
répondre à la requête’’.423
4.13 Le Brésil estime que ‘‘la Cour a compétence consultative et devrait
l’exercer.’’424
4.14 Cuba ‘‘espère que la Cour internationale de Justice présentera les
conséquences juridiques découlant du non-respect des résolutions
susmentionnées’’.425
4.15 Chypre estime que ‘‘la Cour … a compétence’’ et qu’il ‘‘n’existe aucune
‘raison décisive’ pour que la Cour ne rende pas l’avis consultatif qui lui a été
demandé.’’426
4.16 Djibouti considère que ‘‘la Cour a compétence et devrait exercer son pouvoir
discrétionnaire pour répondre aux questions qui lui ont été posées.’’427
4.17 Le Guatemala ‘‘attend de la Cour qu’elle constate que le maintien de
l’Archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni constitue un acte
illicite continu’’ et estime qu’‘‘il faudra y mettre fin afin de réaliser la décolonisation
complète de Maurice ; et que, par conséquent, l’Archipel des Chagos devra être
422 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 36. (“that the conditions for the Court to answer the questions in casu are
fully met”).
423 Exposé écrit de la République argentine, p. 4. (“[t]he General Assembly has competence to request an advisory
opinion and there are no compelling reasons not to respond to this request”).
424 Exposé écrit du Brésil, par. 14. (“the Court has and should exercise its advisory jurisdiction.”)
425 Exposé écrit de Cuba, p. 2. (“expects that the International Court of Justice presents the legal consequences
derived from the non-compliance with the above-mentioned resolutions”).
426 Exposé écrit de Chypre, par. 30. (“the Court… has jurisdiction” [and there] “are no ‘compelling reasons’ why the
Court should not render the advisory opinion which has been requested of it.”)
427 Exposé écrit de Djibouti, par. 5. (“the Court has jurisdiction and should exercise its discretion to answer the
questions before it.”)
131
rendu au contrôle et à la souveraineté de Maurice car c’est le seul moyen de
restaurer son intégrité territoriale.’’428
4.18 Le Lesotho estime que ‘‘la Cour a compétence pour répondre aux questions
qui lui ont été posées et qu’elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour le
faire.’’429
4.19 Le Liechtenstein considère que ‘‘la Cour a compétence pour répondre aux
questions précitées et qu’il n’existe aucune raison décisive pour la Cour de refuser
de rendre un avis consultatif.’’430
4.20 La Namibie estime que ‘‘la Cour a compétence pour répondre aux questions
qui lui ont été posées et qu’elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour le
faire.’’431
4.21 Le Nicaragua ‘‘considère que la Cour a compétence pour rendre un avis
consultatif en réponse aux questions soumises par l’Assemblée générale dans la
résolution 71/292 et qu’il n’existe aucune raison qui empêche la Cour de donner
l’avis demandé.’’432
4.22 Le Niger estime que ‘‘la Cour est compétente pour répondre aux questions
qui lui ont été posées et doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour ce faire.’’433
428 Exposé écrit du Guatemala, par. 36. (“expects the Court to find that the continued administration of the Chagos
Archipelago by the United Kingdom constitutes a continued wrongful act” [and considers that] “it must be brought
to an end in order to attain a complete decolonization of Mauritius; and that, consequently, the Chagos Archipelago
must return immediately to Mauritius control and sovereignty as the only means to restore its territorial integrity.”)
429 Exposé écrit du Lesotho, p. 2. (“the Court has jurisdiction to answer the questions that have been referred to it,
and it should exercise its discretion to do so.)
430 Exposé écrit du Liechtenstein, par. 18. (“the Court has jurisdiction to answer the above-referenced questions and
there are no compelling reasons for the Court to decline to give an advisory opinion.”)
431 Exposé écrit de la Namibie, p. 2. (“[t]he Court has jurisdiction to answer the questions that have been referred to
it, and it should exercise its discretion to do so.”)
432 Exposé écrit du Nicaragua, par. 5. (“considers that the Court has jurisdiction to give the advisory opinion in
response to the questions submitted by the General Assembly under Resolution 71/292, and that there are no
reasons that prevent the Court from giving the requested opinion.”)
433 Exposé écrit du Niger, p. 2.
132
4.23 La Serbie considère que ‘‘la Cour a compétence pour donner [l]’avis
consultatif demandé et qu’il n’existe aucune raison pour qu’elle refuse d’exercer sa
compétence.’’434
4.24 L’Afrique du Sud ‘‘estime que la Cour devrait exercer son pouvoir
discrétionnaire afin de rendre un avis consultatif à l’Assemblée générale.’’435
4.25 Le Vietnam ‘‘demande à la Cour de rendre des avis consultatifs en réponse
aux questions adoptées par l’Assemblée générale dans la résolution 71/292.’’436
4.26 Aucun de ces exposés écrits n’indique que la réponse de la Cour à la
deuxième question ne devrait pas aborder l’ensemble des conséquences juridiques
pour l’Assemblée générale et les États.
4.27 En dépit de cette opinion largement partagée, Maurice relève que
l’Allemagne a suggéré qu’en répondant à la deuxième question, la Cour devrait se
limiter aux conséquences juridiques pour l’Assemblée générale uniquement et ne
devrait pas aborder les conséquences juridiques pour les États.437 Selon Maurice, il
n’existe aucune raison pour la Cour de reformuler la résolution 71/292 afin
d’exclure toutes les conséquences identifiées par l’Assemblée générale comme
devant être abordées, y compris les conséquences juridiques pour les États.
A. LA DEMANDE DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE QUE LA COUR TRAITE DES
‘‘CONSÉQUENCES EN DROIT INTERNATIONAL’’ EXIGE UNE RÉPONSE QUI
ABORDE TOUTES LES CONSÉQUENCES, Y COMPRIS POUR LES ÉTATS
4.28 La portée d’un avis consultatif devrait concorder avec ‘‘les termes mêmes de
la question.’’438 Comme l’a expliqué la Cour à maintes reprises, ‘‘lorsqu’elle rend
434 Exposé écrit de la Serbie, par. 48. (“the Court has jurisdiction to give [the] requested advisory opinion and that
there is no reason to decline to exercise its jurisdiction.”)
435 Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 58. (“submits that the Court should exercise its discretion in favour of
providing an advisory opinion to the General Assembly.”)
436 Exposé écrit du Viet Nam, par. 6. (“requests the Court to give advisory opinions in response to the questions
adopted by the General Assembly in resolution 71/292.”)
437 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 155.
438 Régime douanier entre l’Allemagne et l’Autriche (Protocole du 19 mars 1931), avis consultatif du 5 septembre
1931, C.P.J.I. Série A./B. No 41, p. 51-52.
133
son avis, la Cour est en principe liée par le libellé des questions formulées dans la
requête.’’439
4.29 Dans l’avis consultatif sur le Kosovo, la Cour a noté que lorsque l’Assemblée
générale et le Conseil de sécurité ont ‘‘sollicité son avis sur les conséquences
juridiques d’une action,’’ ils ‘‘ont formulé leur question de sorte que cet aspect soit
expressément indiqué.’’440 En l’espèce, c’est précisément ce qu’a fait l’Assemblée
générale dans la résolution 71/292, demandant expressément à la Cour d’expliquer
‘‘les conséquences en droit international … du maintien de l’archipel des Chagos
sous l’administration’’ de la puissance administrante.441
4.30 Telle qu’elle est libellée, la demande sollicite un avis consultatif sur
l’ensemble des conséquences, y compris pour les États. Dans la procédure
consultative relative au Mur, il avait été demandé à la Cour ce qui suit:
Quelles sont en droit les conséquences de I'édification du mur qu’Israël,
puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien
occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce
qui est exposé dans le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles
et des principes du droit international, notamment la quatrième convention
de Genève de 1949 et les résolutions consacrées à la question par le Conseil
de sécurité et l'Assemblée générale?442
4.31 Israël objecta à la question au motif qu’elle ‘‘ne précis[ait] pas si les
conséquences juridiques que la Cour [était] priée d’examiner concern[aient]
‘l’Assemblée générale ou quelque autre organe des Nations Unies’, les ‘Etats
439 Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif du
7 juin 1955, C.I.J. Recueil 1955, p. 184, par. 41. Voir aussi, par exemple, Demande de réformation du jugement no 273
du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, p. 349, par. 47; Sud-Ouest africain –
Procédure de vote, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1955, p. 71-72; Compétence de l’Assemblée pour l’admission aux
Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 7 (“[L]a question telle qu’elle est posée implique qu’il y a dans
ce cas absence de recommandation. La Cour est donc appelée uniquement à déterminer si l’Assemblée générale
peut décider l’admission d’un État quand le Conseil de sécurité ne lui a présenté aucune recommandation”).
440 Déclaration d’indépendance relative au Kosovo (avis consultatif), p. 423, par. 51.
441 Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de
l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965 (22 juin 2017), p. 2 (sans italique dans l’original) (Dossier No. 7).
442 Édification d’un mur (avis consultatif), p. 139, par. 1 (sans italique dans l’original).
134
Membres de l’Organisation des Nations Unies’, ‘Israël’, la ‘Palestine’ ou ‘certaines
des entités précitées, ou quelque autre entité’.’’443
4.32 D’autres États adoptèrent une position différente, relevant que l’Assemblée
générale avait demandé un avis consultatif sur toutes ‘‘les conséquences
juridiques’’ de l’édification du mur. Par exemple, la Jordanie nota qu’
[e]n exerçant sa compétence en la présente espèce, la Cour souhaitera sans
doute avoir présents à l’esprit un certain nombre d’éléments qui sont
explicites dans la question soumise à la Cour pour avis consultatif ou
découlent des termes qui y sont employés:
[L]a demande recherche un avis consultatif de la Cour sur ‘les
conséquences’ ‘en droit’ de l’édification de ce mur, et en couvre donc
toutes conséquences juridiques sans exception, quels que soient les
États, entités, organisations ou personnes concernés par ces
conséquences.444
4.33 La Cour a suivi cette approche et traité des conséquences juridiques pour
toutes les entités pertinentes, y compris les États à titre individuel.445
443 Ibid., p. 152, par. 36.
444 Demande d’avis consultatif sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
occupé, exposé écrit présenté par le Royaume hachémite de Jordanie (30 janvier 2004), p. 45,
par. 5.36. Voir aussi Audience publique tenue le lundi 23 février 2004, à 15 heures, au Palais de la Paix, sur les
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (Demande d’avis consultatif
soumise par l’Assemblée générale des Nations Unies), Compte rendu (2004), p. 22, pars. 35-36 (“[U]n … point a été
évoqué, à savoir le fait qu’à la différence de la question posée à la Cour dans l’affaire de la Namibie, où l’interrogation
portait sur les conséquences pour les États, la question posée en l’espèce ne contenait aucune précision de cette
sorte. Je considère, quant à moi, que cela n’a rien d’inhabituel. Tant le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte que
le paragraphe 1 du Statut de la Cour définissent les questions juridiques à poser à la Cour sans les assortir d’aucune
condition et dans les termes les plus larges possibles. On ne trouve nulle part de prescriptions concernant
l’expression ‘toute question juridique’ utilisée à ce propos, et de telles prescriptions ne pourraient que porter
atteinte à la compétence conférée à la Cour par la Charte et par son propre Statut. Une telle approche n’est pas
fondée juridiquement et ne ferait que rendre la Cour otage de la terminologie, lui refusant la possibilité de jouer le
rôle qui lui revient, ce rôle étant, comme elle l’a elle-même précisé dans l’affaire du Détroit de Corfu, ‘d’assurer
l’intégrité du droit international’”) (italiques dans l’original) (citant Détroit de Corfu, fond, C.I.J. Recueil 1949, p. 35).
445 Voir, par exemple, Édification d’un mur (avis consultatif), p. 200, par. 159.
135
4.34 L’intention de l’Assemblée générale d’obtenir, par le biais de la résolution
71/292, un avis qui traite de l’ensemble des conséquences juridiques est affirmée
très clairement par son utilisation de l’article défini dans cette expression: ‘‘les
conséquences en droit international,’’ une construction qui, comme l’a statué la
Cour à maintes reprises, révèle l’exhaustivité. Par exemple, dans l’affaire de la
Composition du Comité de la Sécurité maritime, la Cour était appelée à interpréter
l’article 28 a) de la Convention portant création de l’Organisation
intergouvernementale consultative de la Navigation maritime qui dispose:
Le Comité de la Sécurité maritime se compose de quatorze Membres élus
par l'Assemblée parmi les Membres, gouvernements des pays qui ont un
intérêt important dans les questions de sécurité maritime. Huit au moins de
ces pays doivent être ceux qui possèdent les flottes de commerce les plus
importantes.446
4.35 Le juge Spencer demanda lors des audiences:
Quelle importance doit-on donner à l’article défini dans l’expression ‘the
largest ship-owning nations’ ?447
4.36 La réponse des États-Unis expliquait que l’article défini signifiait que tous les
huit États qui possédaient les flottes de commerce les plus importantes devraient
être inclus dans le Comité au lieu d’un sous-groupe indéterminé de ces huit États:
[L]’importance à attacher à l’article défini ‘the’ dans la clause ‘eight shall be
the largest ship-owning nations’ est que l’utilisation de l’article défini rend le
groupe précis et exclut toute flexibilité ou manque de précision.448
446 Composition du Comité de la Sécurité maritime de l’Organisation intergouvernementale consultative de la
Navigation maritime, avis consultatif du 8 juin 1960, C.I.J. Recueil 1960 (ci-après “ Comité de la Sécurité maritime
(avis consultatif)”), p. 154 (sans italique dans l’original). (‘’the largest ship-owning nations’’)
447 Audiences publiques tenues au Palais de la Paix, La Haye, du 26 avril au 4 mai et le 8 juin 1960, Composition du
Comité de la Sécurité maritime de l’Organisation intergouvernementale consultative de la Navigation maritime
(Demande d’avis consultatif), Exposés oraux (1960), p. 419 (italique dans original) (‘’ceux qui possèdent les flottes
de commerce les plus importantes’’).
448 Ibid., p. 438 (sans soulignement dans l’original; italiques dans original).
136
4.37 De même, le Panama nota:
L’importance à attacher à l’article défini ‘the’ dans l’expression ‘the largest
ship-owning nations’ est l’importance normalement attaché à l’article défini
’the’ qui se réfère à quelque chose de défini et non à quelque chose de
vague.449
4.38 La Cour adopta cette approche:
[L]a présence dans le texte anglais original de l'article défini ‘the’, qui sera
maintenu dans chaque projet et que l'on retrouvera dans l'article 28 a), a une
importance qu'on ne saurait négliger. Il est évident que ce mot a été inséré
de propos délibéré…. Cette détermination de maintenir la prédominance des
pays possédant les marines de commerce les plus puissantes s’exprime dans
l’article 28 a) dont les termes écartent la possibilité d’une interprétation qui
permettrait à l’Assemblée de refuser d’élire au Comité un ou plusieurs des
huit pays possédant les flottes de commerce les plus importantes.450
4.39 L’interprétation de la fonction de l’article défini reflète l’approche adoptée
depuis longtemps par la Cour et sa prédécesseure. Dans l’affaire des Navires de
guerre polonais, il fut demandé à la CPJI de déterminer ‘‘si ‘les décisions
pertinentes’ du Conseil de la Société des Nations et du Haut-Commissaire
conf[éraient] [certains] droits et attributions à la Pologne, quant à l’accès et au
stationnement de [ses navires de guerre].’’451 La Cour statua que cette expression
ne pouvait être ‘‘limitée aux décisions prises soit par le Conseil, soit par le
Haut-Commissaire, dans l’exercice des pouvoirs que leur confèrent l’article 103,
alinéa 2, du Traité de Versailles et l’article 39 de la Convention de Paris.’’452 Au
contraire, la Cour était tenue de ‘‘considér[er] que la phrase était destinée à viser
449 Ibid., p. 437 (sans soulignement dans l’original; italiques dans original).
450 Comité de la Sécurité maritime (avis consultatif), p. 161, 164-65.
451 Accès et stationnement des navires de guerre polonais dans le port de Dantzig, avis consultatif, 1931, C.P.J.I. Série
A/B, No 50, p. 145-146 (sans italique dans l’original).
452 Ibid.
137
toutes décisions auxquelles pourrait arriver le Conseil et qui lieraient les Parties
intéressées.’’453
4.40 De même, dans l’affaire du Différend territorial entre la Libye et le Tchad, la
Cour a interprété l’article 3 du traité d’amitié et de bon voisinage entre la
République française et le Royaume-Uni de Libye. Cet article dispose:
Les deux Hautes Parties contractantes reconnaissent que les frontières
séparant les territoires de la Tunisie, de l’Algérie, de l’Afrique occidentale
française et de l’Afrique équatoriale française d’une part, du territoire de la
Libye d’autre part, sont celles qui résultent des actes internationaux en
vigueur à la date de la constitution du Royaume Uni de Libye, tels qu’ils sont
définis dans l’échange de lettres ci-jointes (annexe I).454
4.41 La Libye affirmait que ses frontières avec les États intéressés n’avaient pas
toutes été réglées. Cependant, la Cour rejeta cette affirmation au motif que
l’article défini indique l’exhaustivité:
La Cour estime que l’article 3 du traité de 1955 avait pour but de régler toutes
les questions de frontière, et pas seulement certaines d’entre elles. … Dans
l’expression ‘‘les frontières séparant les territoires…’’, l’usage de l’article
défini s’explique par la volonté de viser toutes les frontières séparant la Libye
des territoires voisins dont la France assumait les relations internationales.455
453 Ibid., p. 146 (sans italique dans l’original). Voir aussi, par exemple, Compétence de l’Organisation internationale
du Travail pour réglementer accessoirement le travail personnel du patron, avis consultatif, 1926, C.P.J.I. Série B,
No 13, p. 12 (“[L]a question soumise à la Cour est générale et ne vise pas une branche d’industrie en particulier”);
Interprétation de la Convention de 1919 concernant le travail de nuit des femmes, avis consultatif, 1932, C.P.J.I. Série
A/B, No 50, p. 373, 375; Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue polonaise
dans le territoire de Dantzig, avis consultatif, 1932, C.P.J.I. Série A/B, No 44, p. 40 (“La tâche de [la Cour] est
d’interpréter le texte tel qu’il est, en prenant en considération tous éléments de documentation qui sont à sa
disposition.”)
454 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994 (ci-après “Différend territorial
(arrêt)”), p. 20-21, par. 39 (traduction du greffe de la Cour) (sans soulignement dans l’original).
455 Différend territorial (arrêt), p. 24, par. 48 (sans soulignement et italique dans l’original).
138
4.42 Conformément à cette pratique en matière d’interprétation et d’application
de l’article défini, il convient d’interpréter l’expression ‘‘les conséquences
juridiques’’ comme exprimant l’intention de l’Assemblée générale de se référer à
toutes les conséquences juridiques. Par contre, lorsque l’avis de la Cour n’avait pas
été sollicité pour l’ensemble des conséquences juridiques, l’expression fut modifiée
par des mots qui imposaient expressément des limites. Ainsi, dans l’affaire du
Sud-Ouest africain, la demande d’avis consultatif du Conseil de sécurité était, selon
ses termes, limitée aux ‘‘conséquences juridiques pour les États.’’456 La réponse de
la Cour fut, par conséquent, étroitement circonscrite aux conséquences pour les
États uniquement; elle ne traita pas des conséquences pour les Nations Unies ou
toute autre entité ou acteur.457 La résolution 71/292 ne contient aucune
formulation semblable ayant pour effet de modifier la demande et de limiter l’avis
demandé aux conséquences juridiques pour l’Assemblée générale uniquement.
B. LE TEXTE ET LE CONTEXTE DE LA RÉSOLUTION 71/292 INDIQUENT QU’IL
ÉTAIT ENVISAGÉ D’OBTENIR L’AVIS DE LA COUR SUR LES CONSÉQUENCES
JURIDIQUES POUR LES ÉTATS
4.43 Des références aux obligations juridiques des États figurent dans tout le texte
de la résolution 71/292. Par exemple, le préambule rappelle la résolution 1514
(XV) dont le paragraphe 6 énonce que toute tentative ‘’visant à détruire
partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est
incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.’’458
4.44 Le paragraphe 7 de la résolution 1514 (XV) prévoit que:
Tous les États doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de
la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de
456 Sud-Ouest africain (avis consultatif), p. 17, par. 1 (sans italique dans l’original).
457 Ibid., p. 58, par. 133. Voir aussi, par exemple, Certaines dépenses (avis consultatif), p. 159 (rejetant l’interprétation
proposée du mot “budget” comme étant limitée au “budget administratif” car si cela avait été envisagé, le mot
‘administratif’ aurait été inclus”).
458 Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de
l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965 (22 juin 2017), p. 1 (Dossier No. 7).
139
l’homme et de la présente Déclaration sur la base de l’égalité, de la
non-ingérence dans les affaires intérieures des États et du respect des droits
souverains et de l’intégrité territoriale de tous les peuples.459
4.45 Le caractère central des obligations juridiques des États pour l’avis
consultatif demandé, notamment celles concernant la puissance administrante, est
aussi reflété dans la référence faite dans le préambule à la résolution 2066 (XX).
Celle-ci dispose que:
toute mesure prise par [le Royaume-Uni] pour détacher certaines îles du
territoire de l’île Maurice afin d’y établir une base militaire constituerait une
violation de [la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale]…460
De même, la résolution 2232 (XXI), à laquelle référence est faite dans le préambule,
exprime une profonde préoccupation devant:
les renseignements contenus dans le rapport du Comité spécial concernant
la persistance de politiques visant notamment à la destruction de l’intégrité
territoriale de certains de ces territoires et à l’établissement, par les
puissances administrantes, de bases et d’installations militaires en violation
des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale.461
Une autre résolution à laquelle référence est faite dans le préambule, la résolution
2357 (XXII), invite ‘‘les puissances administrantes à appliquer sans retard les
459 Assemblée générale des Nations Unies, 15e session, Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux
peuples coloniaux, document de l’ONU A/RES/1514 (XV) (14 déc. 1960), par. 7 (sans italique dans l’original) (Dossier
No. 55). Voir aussi, par exemple, Assemblée générale de l’ONU, 65e session, Cinquantième anniversaire de la
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/RES/65/118
(10 déc. 2010), pars. 7-8; Assemblée générale de l’ONU, 71e session, Application de la Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/RES/71/122 (6 déc. 2016).
460 Question de l’île Maurice (16 déc. 1965) (sans italique dans l’original) (Dossier No. 146).
461 Assemblée générale de l’ONU, 21e session, Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de la Dominique, de
la Grenade, de Guam, des îles Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, de l’île Maurice, des îles
Salomon, des îles Samoa américaines, des îles Seychelles, des îles Tokélaou, des îles Turks et Caïques, des îles Vierges
américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de Pitcairn, de Saint-
Christophe-et-Nièves et Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent, document de l’ONU
A/RES/2232(XXI) (20 déc. 1966) (sans italique dans l’original) (Dossier No. 171).
140
résolutions pertinentes de l’Assemblée générale’’, y compris les résolutions 1514
(XV), 2066 (XX) et 2232 (XXI).462
4.46 Les résolutions précitées de l’Assemblée générale donnent des
éclaircissements sur le contenu de l’avis consultatif demandé; chacune d’elles est
mentionnée dans les questions posées par l’Assemblée générale à la Cour. La
première question demande si la décolonisation de Maurice a été ‘‘validement
mené[e] à bien … au regard du droit international, notamment des obligations
évoquées dans les résolutions 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du
16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre
1967’’.463 La deuxième question est liée à la première, et demande: ‘‘Quelles sont
les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations
évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des
Chagos sous l’administration’’ de la puissance administrante.464
4.47 Bien que le texte de la résolution 71/292 soit concluant,465 sa genèse
confirme l’intention de l’Assemblée générale d’obtenir un avis sur toutes les
462 Assemblée générale de l’ONU, 22e session, Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de la Dominique, de
la Grenade, de Guam, des îles Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, de l’île Maurice, des îles
Salomon, des îles Samoa américaines, des îles Seychelles, des îles Tokélaou, des îles Turks et Caïques, des îles Vierges
américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de Pitcairn, de
Saint-Christophe-et-Nièves et Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie, de Saint-Vincent et du Souaziland,
document de l’ONU A/RES/2357 (XXII) (19 déc. 1967), par. 3 (sans italique dans l’original) (Dossier No. 198). Le
préambule de la résolution 71/292 prend également note des nombreuses résolutions sur l’Archipel des Chagos
adoptées par l’Organisation de l’Unité africaine et l’Union africaine et par le Mouvement des pays non alignés. Ces
résolutions mettent en exergue les obligations juridiques des États, y compris la puissance administrante et les
membres de la communauté internationale en général, par rapport au maintien de l’Archipel des Chagos sous
l’administration de la puissance administrante. Voir, par exemple, Organisation de l’Unité africaine, Conférence des
chefs d’État et de gouvernement, 17ème session ordinaire, Résolution sur Diego Garcia, AHG.Res.99(XVII) (1-4 juillet
1980) (“DEMAND[ANT] que Diego Garcia soit restitué sans conditions à Maurice”) (Annexe 118); Organisation de
l’Unité africaine, Conseil des ministres, 74e session ordinaire, Décision sur l’Archipel des Chagos, y compris Diego
Garcia, CM/Dec.26(LXXIV) (5-8 juillet 2001), par. 1 (“INVIT[ANT] le Royaume-Uni à mettre fin à son occupation
continue et illégale de l’Archipel des Chagos et à le restituer à Maurice, permettant ainsi de compléter le processus
de décolonisation”) (Annexe 144); Mouvement des pays non alignés, Extracts from Selected Non-Aligned Movement
Declarations (1964-2012), p. 14 (“Les chefs d’État ou de gouvernement ont réaffirmé que l’Archipel des Chagos, y
compris Diego Garcia, fait partie intégrante du territoire souverain de la République de Maurice. À cet égard, ils ont
de nouveau invité l’ancienne puissance coloniale à s’engager dans les meilleurs délais dans un dialogue constructif
avec Maurice afin de permettre à Maurice d’exercer sa souveraineté sur l’Archipel des Chagos.”) (Annexe 21).
463 Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de
l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965 (22 juin 2017), p. 2 (Dossier No. 7).
464 Ibid. (sans italique dans l’original).
465 Voir, par exemple, Service postal polonais à Dantzig, avis consultatif, 1925, C.P.J.I. Série B, p. 39 (“C’est un principe
fondamental d’interprétation que les mots doivent être interprétés selon le sens qu’ils auraient normalement dans
141
conséquences juridiques, y compris pour les États.466 Le mémoire explicatif
transmis par Maurice au Secrétaire général des Nations Unies le 14 juillet 2016 et
qui a été diffusé à tous les États membres, a exposé que la demande se rapporte
au maintien par la puissance administrante d’une administration coloniale illicite
en violation de ses obligations en droit international:
Dans sa résolution 2066 (XX) de 1965, consacrée exclusivement à Maurice,
l’Assemblée générale a appelé l’attention sur l’obligation qui incombait à la
Puissance administrante de prendre des mesures efficaces en vue de la mise
en oeuvre immédiate et complète de la résolution 1514 (XV) et invité ‘‘la
Puissance administrante à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le
territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale’’. L’Assemblée
générale a adopté d’autres résolutions sur cette question en 1966 et 1967.467
4.48 Quant aux ‘‘bénéfices d’un avis consultatif’’, le mémoire a indiqué comment
l’avis consultatif aiderait l’Assemblée générale et ses États membres à aborder le
maintien de l’administration illicite de la puissance administrante :
En 2010, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’adoption de sa
résolution 1514 (XV), l’Assemblée générale s’est dite profondément
préoccupée de constater que, cinquante ans après l’adoption de la
Déclaration, le colonialisme n’avait pas encore été totalement éliminé. Elle a
en outre déclaré ‘‘que la persistance du colonialisme sous toutes ses formes
et dans toutes ses manifestations [était] incompatible avec la Charte des
Nations Unies, la Déclaration et les principes du droit international’’ et
leur contexte, à moins que l’interprétation ainsi donnée ne conduise à des résultats déraisonnables ou absurdes.”)
Voir aussi Déclaration d’indépendance relative au Kosovo (avis consultatif), p. 417, par. 33; Licéité de la menace ou
de l’emploi d’armes nucléaires (avis consultatif), p. 237, par. 16; Accord entre l’OMS et l’Egypte (avis consultatif),
p. 87, par. 33.
466 Comme le reconnaît l’Allemagne, “la motivation de l’auteur d’un projet de résolution visant à soumettre une
demande d’avis consultatif à la Cour” est d’une “pertinence particulière en vue de déterminer le contenu, la
signification et la portée d’une telle demande.” Exposé écrit de l’Allemagne, par. 8 (citant avec approbation
Déclaration d’indépendance relative au Kosovo (avis consultatif), p. 424, par. 53) (“the underlying intention of the
sponsor of a draft resolution aiming to submit a request for an advisory opinion to the Court” is of “particular
relevance in determining the content, meaning and scope of such request.”)
467 Assemblée générale de l’ONU, Demande d’inscription d’une question à l’ordre du jour provisoire de la soixante et
onzième session, document de l’ONU A/71/142 (14 juillet 2016), par. 4 (Dossier No. 1).
142
considéré qu’il ‘‘incomb[ait] à l’Organisation de continuer à oeuvrer
activement pour la décolonisation et de redoubler d’efforts pour diffuser le
plus largement possible les informations relatives à la décolonisation en vue
de mobiliser encore davantage l’opinion publique internationale en faveur
d’une décolonisation complète’’.
Compte tenu du rôle actif qu’elle a vocation à jouer dans le processus de
décolonisation, l’Assemblée générale a toujours une responsabilité en ce qui
concerne l’achèvement de la décolonisation de Maurice. Afin de s’en
acquitter, le meilleur moyen dont elle dispose est d’engager des
consultations, des négociations et d’autres initiatives avec les États
directement concernés par la question de l’archipel des Chagos, dans le but
de résoudre ce différend de façon pacifique et ordonnée. Pour mener à bien
cette mission, elle tirerait avantage d’un avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de
l’archipel des Chagos de Maurice, intervenue en 1965 au moment de la
décolonisation.
L’avis de l’organe judiciaire principal de l’ONU serait également bénéfique
aux États Membres. Faire appel à la Cour internationale de Justice
permettrait en outre à l’Assemblée générale de montrer qu’elle est résolue
à mener à bien la mission qui lui a été confiée par les États Membres, à savoir
l’achèvement du processus de décolonisation.468
4.49 Les déclarations faites à l’appui de la résolution 71/292 confirment
également l’intention d’obtenir un avis consultatif sur les conséquences juridiques
pour les États. Le Brésil a relevé comment un avis consultatif qui traiterait des
conséquences juridiques pour les États serait utile à la communauté internationale:
La décolonisation constitue l’une des tâches inachevées de l’ONU et est, par
conséquent, une question qui concerne la communauté internationale dans
son ensemble. L’Assemblée générale a un rôle crucial à jouer pour faire
468 Ibid., pars. 6-8 (sans italique dans l’original).
143
avancer le processus de décolonisation. L’un des outils à sa disposition, tel
qu’énoncé dans la Charte des Nations Unies, est de demander à la Cour
internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique.
Voter pour cette résolution ne revient pas à appuyer une interprétation
particulière de la question sous-jacente. Cela revient à demander au
principal organe juridique de l’ONU de fournir par l’intermédiaire d’un avis
non contraignant, les éléments juridiques qui peuvent guider toutes les
parties en vue d’un règlement définitif de cette question.469
4.50 L’Angola a repris cet argument, soulignant dans sa déclaration en faveur de
la résolution 71/292 comment un avis consultatif aurait des conséquences pour les
États et rappelant, à cet égard, les efforts de l’Union africaine ‘‘visant à parachever
la décolonisation de Maurice et à permettre à cet État d’exercer effectivement son
autorité sur l’Archipel des Chagos.’’470
4.51 L’intention de l’Assemblée générale d’obtenir un avis consultatif qui traite des
conséquences juridiques pour les États est aussi confirmée par les exposés écrits
des États qui ont présenté et soutenu la résolution 71/292.
4.52 On relèvera en particulier l’Union africaine dont les cinquante-cinq États
membres appartiennent presque tous au groupe africain de l’ONU qui a présenté
la résolution 71/292. L’Union africaine note que:
la Cour est invitée à traiter des conséquences juridiques du maintien de
l’Archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni, en termes de
responsabilité internationale de l’État auteur de l’acte illicite et de celle
d’autres États et des Nations Unies.471
4.53 Cette interprétation de l’intention de la deuxième question est partagée
dans bon nombre des exposés écrits qui demandent à la Cour d’exposer les
conséquences juridiques pour les États. A titre d’exemple:
469 Ibid. (sans italique dans l’original).
470 Ibid., p. 10 (sans italique dans l’original).
471 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 211 (sans italique dans l’original). (‘’the Court is invited to address the legal
consequences of the continued administration of the Chagos Archipelago by the United Kingdom, in terms of
international responsibility arising out of the wrongdoing State and that of other States and the United Nations.’’)
144
4.54 L’Argentine considère que ‘‘[l]a puissance administrante a l’obligation de
mettre fin immédiatement à la situation illégale résultant du détachement de
l’Archipel des Chagos de Maurice’’ et que ‘‘[t]ous les États sont tenus à ne pas
reconnaître cette situation illégale’’.472
4.55 Belize estime que ‘‘[l]es conséquences en droit international du maintien de
l’Archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni seraient donc que le
Royaume-Uni serait tenu de mettre fin immédiatement à son administration de
l’Archipel des Chagos et de le restituer à Maurice.’’473
4.56 Le Brésil considère que ‘‘la puissance administrante est tenue de mettre fin
immédiatement aux faits illicites continus résultant du détachement de l’Archipel
des Chagos de Maurice, y compris le dépeuplement des îles’’.474
4.57 Djibouti estime que le Royaume-Uni ‘‘‘est tenu de retirer’ son administration
de l’Archipel des Chagos ‘immédiatement’’’ et que ‘‘les États tiers sont tenus de ne
pas prêter aide ou soutien au Royaume-Uni par rapport à son administration de
l’Archipel des Chagos’’, mais ‘‘sont [plutôt] tenus de promouvoir positivement le
processus de décolonisation en facilitant le transfert de l’administration à
Maurice.’’475
4.58 La Namibie considère que ‘‘[l]e processus de décolonisation doit être achevé
dans les meilleurs délais’’ et que ‘‘les États ont l’obligation de a) s’abstenir de prêter
assistance au comportement illicite, notamment en ne reconnaissant ou n’aidant
472 Exposé écrit de la République argentine, par. 68 c). (“[t]he administering Power has the obligation to put an
immediate end to the illegal situation created by the separation of the Chagos Archipelago from Mauritius” and that
“[a]ll States are under the obligation not to recognize th[at] illegal situation”).
473 Exposé de Belize, par. 4.5. (“[t]he consequences arising under international law from the continued
administration by the United Kingdom of the Chagos Archipelago would therefore be that the United Kingdom would
be under an obligation to cease forthwith its administration of the Chagos Archipelago and return it to Mauritius.”)
474 Exposé écrit du Brésil, par. 28 f). (“the administering power has an obligation to immediately put an end to the
continuing wrongful acts generated by the excision of the Chagos Archipelago from Mauritius, including the
depopulation of the islands”).
475 Exposé écrit de Djibouti, par. 50 (italiques dans l’original). (“is ‘under obligation to withdraw’ its administration
from the Chagos Archipelago ‘immediately’” [and that] “third States… are obligated not to assist or support the
United Kingdom in its administration of the Chagos Archipelago”, but rather are “obligated to affirmatively promote
the decolonization process by facilitating the transfer of administration to Mauritius.”)
145
pas ou en ne tirant pas parti de la situation illicite; et b) d’aider les Nations Unies à
mettre fin immédiatement à ce comportement illicite.’’476
4.59 Le Nicaragua considère qu’‘‘afin que le Royaume-Uni respecte ses
obligations internationales, il devra mettre fin à la situation illicite et fournir les
moyens de mener un programme de réinstallation dans l’Archipel des Chagos pour
les ressortissants de Maurice, en particulier ceux d’origine chagossienne.477
4.60 La Serbie estime qu’‘‘il apparaît nécessaire que la Cour rende un avis
consultatif sur les questions posées par l’Assemblée générale et donne ainsi des
directives juridiques non seulement à l’Assemblée générale, mais aussi à d’autres
organes de l’ONU et aux États membres.’’478
4.61 L’Afrique du Sud estime que ‘‘la première conséquence de la non-réalisation
complète de la décolonisation de Maurice est l’obligation de l’autorité
administrante d’achever la décolonisation de Maurice.’’479
C. UN AVIS CONSULTATIF QUI TRAITE DES CONSÉQUENCES JURIDIQUES POUR
LES ÉTATS AIDERAIT L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
4.62 L’Allemagne a indiqué qu’un avis consultatif qui expliquerait les
conséquences juridiques pour les États pourrait ne pas être utile aux travaux de
l’Assemblée générale. Toutefois, la très grande majorité des États qui ont présenté
un exposé écrit ont pris une position différente. En premier lieu, la décision de
l’Assemblée générale de solliciter un avis consultatif qui traiterait des
conséquences juridiques pour les États n’a rien d’exceptionnel. Des demandes
476 Exposé écrit de la Namibie, p. 4. (“[t]he decolonisation process shall be promptly completed” [and that] “States
have an obligation to (a) refrain from assisting the unlawful conduct, through inter alia not recognizing, benefiting,
or rendering assistance to the illegal situation; and (b) assist the UN to bring the unlawful conduct to an immediate
end.”)
477 Exposé écrit du Nicaragua, par. 14. (“[f]or the United Kingdom to comply with its international obligation it must
bring the unlawful situation to an end and provide the means to implement a programme for the resettlement on
the Chagos Archipelago of its nationals, in particular those of Chagossian origin.”)
478 Exposé écrit de la Serbie, par. 4. (“it seems necessary for the Court to give an opinion on the questions posed by
the General Assembly and thus provide legal guidelines not only to the General Assembly but to the other UN organs
and Member States.”)
479 Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 92. (“the first consequence of the non-completion of the decolonization of
Mauritius is the obligation on the administrating authority to complete the decolonization of Mauritius.”)
146
antérieures ont sollicité des avis sur de telles obligations juridiques et la Cour leur
a donné une réponse.480 La raison en est simple: une compréhension des
obligations juridiques des États clarifierait les mesures qui doivent être prises,
notamment en ce qui concerne des questions de calendrier et pourrait ainsi aider
l’Assemblée générale à s’acquitter de ses responsabilités sur le plan pratique. En
effet, la Cour ‘‘a toujours considéré que ce n’était pas à elle, mais à l’organe
demandant l’avis qu’il appartient de déterminer si celui-ci était nécessaire au bon
exercice des fonctions de cet organe.’’481
4.63 En l’espèce, un avis consultatif sur les conséquences juridiques pour les États
aiderait l’Assemblée générale à s’acquitter de ses responsabilités. La Charte des
Nations Unies confère ‘‘à l’Assemblée générale une compétence à l’égard de
‘toutes questions ou affaires’ entrant dans le cadre de la Charte.’’482 Comme l’a
expliqué l’exposé écrit de Maurice, les questions relatives à l’autodétermination –
et, en particulier, la décolonisation – entrent tout à fait dans le cadre de la Charte
et ainsi dans la compétence de l’Assemblée générale.483 L’avis de la Cour guiderait
l’Assemblée générale dans l’exercice de sa compétence en ce qui concerne, par
480 Voir, par exemple, Article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne (Frontière entre la Turquie et l’Iraq), avis
consultatif, 1925, C.P.J.I. Série B, No 12, p. 6-7, 19, 31-33 (donnant un avis au Conseil de la Société des Nations sur la
question de savoir si la Turquie et le Royaume-Uni pouvaient prendre part au vote du Conseil sur la détermination
des frontières entre la Turquie et l’Irak); Délimitation de la frontière entre la Pologne et la Tchécoslovaquie (Question
de Jaworzina), avis consultatif, 1923, C.P.J.I. Série B, No 8, p. 57 (donnant au Conseil un avis selon lequel “la question
de la délimitation de la frontière entre la Pologne et la Tchécoslovaquie a[vait] été résolue”).
481 Déclaration d’indépendance relative au Kosovo (avis consultatif), p. 417, par. 34. Voir aussi, par exemple,
Édification d’un mur (avis consultatif), p. 163, par. 62; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (avis
consultatif), p. 237, par. 16. Par exemple, dans l’affaire de l’Interprétation des traités de paix, l’Assemblée générale
posa une question “pour être à même d’apprécier ce qui peut être fait à l’avenir.” En réponse, la Cour indiqua que
la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie étaient “tenues d’exécuter les clauses” de certains articles relatifs au
‘’règlement des différends.” Interprétation des traités de paix, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950,
p. 77.
482 Édification d’un mur (avis consultatif), p. 145, par. 17 (citant la Charte des Nations Unies (1945), art. 10).
483 Exposé écrit de Maurice, pars. 4.40-4.41, 5.2-5.17, 6.8-6.39. Voir aussi Timor oriental, arrêt, p. 102, par. 29 (“Le
principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans la
jurisprudence de la Cour…; il s’agit là d’un des principes essentiels du droit international contemporain.”) En effet,
l’article 1 de la Charte stipule que l’un des “buts des Nations Unies” est de “développer entre les nations des relations
amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer
d’eux-mêmes.” Charte des Nations Unies (1945), art. 1. Voir aussi, par exemple, Charte des Nations Unies (1945),
art. 55. L’Assemblée générale ne pourrait pas atteindre cet objectif si on l’empêche d’obtenir un avis de la Cour sur
ce que ce principe exige des “nations.”
147
exemple, l’application de la Déclaration coloniale par rapport à la réalisation
complète de la décolonisation de Maurice.
4.64 Dans l’affaire du Mur, où l’avis demandé avait abordé le droit à
l’autodétermination et son application parmi un éventail de questions, l’avis de la
Cour avait examiné ‘‘les conséquences juridiques’’ pour les États.484 La Cour l’avait
fait même si son avis fut ‘‘donné à l’Assemblée générale et non à un État ou une
entité déterminés.’’485 Comme l’a expliqué la Cour dans l’affaire du Sud-Ouest
africain où l’avis demandé concernait les conséquences juridiques pour les États
uniquement: ‘‘Il s’agit d’une requête présentée par un organe des Nations Unies, à
propos de ses propres décisions, en vue d’obtenir de la Cour un avis juridique sur
les conséquences et les incidences de ces décisions.’’486 Cela s’applique mutatis
mutandis également aux résolutions de l’Assemblée générale concernant la
décolonisation, auxquelles référence est faite dans la résolution 71/292.
4.65 En effet, il serait étrange que la Cour n’expose pas les conséquences
juridiques pour les États au cas où elle établirait que la décolonisation de Maurice
n’a pas été validement menée à bien. Comme l’avait expliqué la Cour dans l’affaire
du Sud-Ouest africain, ‘‘en qualifiant une situation d’illégale on n’y met pas fin ipso
facto. Ce ne peut être que la première mesure qui s’impose si l’on veut faire cesser
la situation illégale.’’487 Par conséquent, la Cour avait souligné que ‘‘[c]e serait une
interprétation insoutenable d’affirmer’’ que, lorsqu’une déclaration d’illégalité a
été faite, les Etats ‘‘sont libres de ne faire aucun cas de l’illégalité ni même des
violations du droit qui en résultent.’’488 Au contraire, ‘‘[e]n présence d’une situation
internationalement illicite de cette nature, on doit pouvoir compter sur les
Membres des Nations Unies pour tirer les conséquences de la déclaration faite en
leur nom.’’489
484 Voir, par exemple, Édification d’un mur (avis consultatif), p. 197, par.148; ibid., p. 199-200, pars. 154, 159.
485 Ibid., p. 164, par. 64.
486 Sud-Ouest africain (avis consultatif), p. 24, par. 32.
487 Ibid., p. 52, par. 111.
488 Ibid., p. 52, par. 112.
489 Ibid.
148
4.66 À la lumière de ces éléments, la Cour avait indiqué que si elle s’abstenait
d’exposer les conséquences juridiques pour les États, cela compromettrait ses
fonctions judiciaires:
Placée en face d’une telle situation, la Cour ne s’acquitterait pas de ses
fonctions judiciaires si elle ne déclarait pas qu’il existe une obligation, pour
les Membres des Nations Unies en particulier, de mettre fin à cette situation.
À propos d’une de ses décisions, par laquelle elle avait déclaré qu’une
situation était contraire à une règle du droit international, la Cour a dit:
‘‘Cette décision entraîne une conséquence juridique, celle de metre fin à une
situation irrégulière.’’490
4.67 C’est exactement le même raisonnement qui s’impose en l’espèce. Si la
décolonisation n’a pas été validement menée à bien, il en découlerait une
obligation (ou des obligations) de mettre fin à cette situation illicite; cette
obligation (ou ces obligations) incomberai(en)t nécessairement à l’État (ou aux
États) qui sont les mieux placés à mettre fin à cette situation illicite. Il incomberait
également à d’autres États des obligations concomitantes de ne pas prêter aide ou
assistance au maintien de cette situation. La cessation de la situation illicite ne
peut intervenir dans le vide, mais seulement lorsque des mesures pratiques et
effectives seront prises par l’État ou les États qui sont responsables du maintien de
cette situation. Il serait artificiel de dissocier les conséquences d’une
décolonisation inachevée des États qui sont les mieux placés pour mettre fin à cette
situation et de les limiter à l’Assemblée générale uniquement. Cela ne prescrirait
pas les mesures les plus évidentes pour mettre fin à la situation illicite et ne
donnerait pas une réponse aux questions posées par l’Assemblée générale.
4.68 C’est particulièrement le cas, étant donné le caractère erga omnes et
fondamental des droits évoqués dans les questions de l’Assemblée générale,
490 Ibid., p. 54, par. 117 (citant C.I.J. Recueil 1951, p. 82). Il n’existe aucun fondement pour conclure que l’Assemblée
générale avait l’intention d’empêcher la Cour d’exercer ses fonctions en tant qu’organe juridique principal des
Nations Unies. Comme la Cour l’a indiqué à maintes reprises: “On ne doit pas supposer que l’Assemblée générale
ait … entendu lier ou gêner la Cour dans l’exercice de ses fonctions judiciaires”. Certaines dépenses (avis consultatif),
p. 157; Déclaration d’indépendance relative au Kosovo (avis consultatif), p. 425, par. 54.
149
notamment celui à l’autodétermination. Contrairement à l’Allemagne, les Pays-Bas
ont invité la Cour à répondre à la deuxième question de manière complète et à
donner une réponse qui traiterait des conséquences pour les États à titre individuel.
Selon les Pays-Bas, la raison en est qu’‘‘étant donné le caractère impératif du droit
à l’autodétermination, une violation grave de ce droit oblige tous les États à ne pas
reconnaître la situation résultant de cette violation et à ne pas prêter aide ou
assistance au maintien de la situation résultant de la violation grave de ce droit.’’491
Maurice partage cette opinion.
D. LA COUR NE DEVRAIT PAS REFORMULER LA DEUXIÈME QUESTION
4.69 Par conséquent, la Cour ne devrait pas reformuler la deuxième question de
manière à ne pas donner un avis sur les conséquences juridiques pour les États. Il
n’existe aucune raison pour la Cour de le faire.
4.70 Il incombe à la Cour de répondre aux questions telles que formulées par
l’Assemblée générale. Comme l’a expliqué un commentateur:
Il appartient à l’organe demandeur de formuler la question. C’est cet organe
qui en a la responsabilité politique et juridique. En tant qu’organe judiciaire,
la Cour ne devrait pas, par l’exercice de pouvoirs fondé sur des opinions
quant à ce qui est convenable et approprié et qui sont de ce fait de nature
politique, donner l’impression qu’il y a des ‘‘manipulations’’, ce qui serait
difficile à concilier avec les fonctions judiciaires et l’intégrité de la Cour. La
Cour ne peut se saisir d’une affaire d’avis consultatif. Ceci étant, elle ne
devrait non plus choisir la question qui semble la plus appropriée à la Cour.
Une telle action empièterait sur la compétence de l’organe politique,
491 Exposé écrit des Pays-Bas, par. 4.10. (“given the peremptory character of the right of self-determination, a serious
breach of the right of self-determination obliges all States not to recognize the situation created as a result of that
breach and not to render aid or assistance in maintaining the situation created as a result of the serious breach of
that right.”)
150
s’apparenterait à une autosaisine et exposerait la Cour à des critiques à
propos de ses opinions politiques.492
4.71 La Cour a constamment adopté cette approche. Par exemple, dans l’affaire
du Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial, la Malaisie
soutenait que l’avis consultatif de la Cour devrait être plus restreint que la question
posée à la Cour par le Conseil économique et social.493 Cependant, le Secrétaire
général affirmait que: ‘‘Il n’appartient pas aux Nations Unies ni à aucun des États
participant dans cette procédure de redéfinir ou de restreindre la portée d’[une]
question juridique.’’494 La Cour a accepté cet argument. Elle a estimé qu’‘‘[i]l
appartient au Conseil – et non à un État Membre ou au Secrétaire général –
d’arrêter les termes d’une question qu’il souhaite poser.’’495 Par conséquent, la
Cour a refusé de restreindre la portée de son avis et ‘’[a répondu] à la question telle
que formulée par le Conseil.’’496
4.72 L’Allemagne souhaite que la Cour rende un avis qui réponde à la deuxième
question (aussi bien qu’à la première), mais d’une manière qui éviterait de donner
lieu ‘‘à une situation où la présente procédure pourrait être considérée comme
ayant pour objet l’audition et le règlement d’un différend bilatéral.’’497Maurice est
sensible aux préoccupations exprimées par l’Allemagne à cet égard, comme elle
l’est à celles de la Fédération de Russie et de la Chine. La réponse est toute simple:
492 Robert Kolb, The International Court of Justice (2013), p. 1080 (italiques dans l’original). (‘‘The formulation of the
question is a matter for the requesting organ. It is that organ which has the political and legal responsibility for it.
The Court, as a judicial body, must not, through the exercise of powers based on judgments as to what is convenient
and appropriate, and which in that sense are political ones, give the impression of “manipulations” that would be
difficult to reconcile with the judicial function and the Court’s judicial integrity. The Court cannot seise itself of an
advisory opinion case. That being so, neither ought it to select the question which seems, to the Court the most
appropriate one. To do so is to encroach upon the political organ’s jurisdiction, fringes on self-seisin, and exposes
the Court to criticism of its political judgments.’’)
493 Audience publique tenue le jeudi 10 décembre 1998, à 10 heures, au Palais de la Paix, en l’affaire du Différend
relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme (Requête pour avis
consultatif), Compte rendu (1998), p. 48.
494 Ibid., p. 17.
495 Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1999, p. 81, par. 36.
496 Ibid., p. 81, par. 37.
497 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 30. (“way in which the current proceedings might be understood, namely as
having as their object the hearing and adjudication of a bilateral dispute.”)
151
la question soumise à la Cour par l’Assemblée générale n’est pas un différend
bilatéral. Maurice réitère, tout comme chacun de ces États, qu’elle souscrit
pleinement au principe du consentement comme fondement du règlement de tout
différend bilatéral et s’oppose à l’utilisation de la compétence consultative de la
Cour afin de contourner ce principe solennel. Mais, en même temps, il est évident
qu’en répondant aux deux questions de manière complète, la Cour ne dérogerait
en aucune façon à ce principe, ni n’ouvrirait la porte à une telle dérogation à
l’avenir.
4.73 Comme cela est expliqué plus en détail dans le chapitre 2 ci-dessus, les
questions posées par l’Assemblée générale concernent la décolonisation, qui
relève indiscutablement de son mandat et à laquelle elle a été étroitement et
directement associée pendant plus d’un demi-siècle. En outre, dans le cadre de
cette procédure et contrairement à un différend concernant un titre juridique ou
historique sur un territoire, la réponse aux questions posées par l’Assemblée
générale disposera de toutes les autres questions. La réponse de la Cour à la
première question et ses conclusions sur le point de savoir si la décolonisation a
été validement menée à bien, déterminerait en soi si la puissance administrante ou
Maurice a le droit d’agir en souverain sur l’Archipel des Chagos et d’exercer la
souveraineté.
4.74 Par conséquent, l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire pour
répondre aux questions qui lui ont été posées dans la résolution 71/292 – telles
qu’elles sont formulées – ne serait pas préjudiciable au principe du consentement.
La Cour n’a pas hésité à rendre un avis dans le cadre d’autres procédures
consultatives qui avaient une dimension territoriale ou même lorsque son avis avait
une incidence sur les revendications de souveraineté de certains États, comme
dans l’affaire du Sahara occidental. Ces avis n’ont pas dérogé du principe selon
lequel le consentement est nécessaire pour l’exercice de la compétence par
rapport à des questions territoriales qui ne sont pas liées à la question de
décolonisation et qui pourraient être qualifiées de différends territoriaux
bilatéraux. L’avis de la Cour sur la question de savoir si la décolonisation de Maurice
a été validement menée à bien ou sur les conséquences juridiques qui
152
découleraient pour les États et l’Assemblée générale du constat que ferait la Cour
ne dérogerait non plus à ce principe.
4.75 Même si la Cour peut reformuler des questions qui présentent des défauts
importants, telles que celles qui sont vagues498 ou incorrectement formulées499, ou
lorsque la reformulation est nécessaire afin de donner effet à la ‘‘véritable question
juridique’’ que l’organe demandeur avait clairement l’intention de poser,500 les
affaires dans lesquelles la Cour l’a fait sont rares et présentaient des particularités
qui ne sont pas en cause en l’espèce.
4.76 Par exemple, dans l’affaire de l’Interprétation de l’accord gréco-turc, la CPJI
avait été contrainte de formuler une question (plutôt que de reformuler la
question) parce que la lettre qui avait transmis la demande d’avis consultatif ‘‘ne
définissa[it] pas d’une manière exacte la question sur laquelle son opinion [était]
sollicitée.’’ 501 La Cour avait donc à ‘‘dégage[r] et formule[r] en termes précis [la]
question, afin, notamment d’éviter de se prononcer sur des points de droit au sujet
desquels le Conseil ou la Commission n’ont pas eu l’intention d’obtenir son avis.’’502
4.77 Dans l’affaire du Sud-Ouest africain – Procédure de vote, la Cour avait noté
que ‘‘la rédaction des textes anglais et français [était] légèrement différente’’ et
avait décidé de privilégier la ‘‘version française’’ parce qu’elle para[issait] exprimer
498 Déclaration d’indépendence relative au Kosovo (avis consultatif), p. 423, par. 50. (“De même, lorsque la question
posée était peu claire ou vague, la Cour l’a clarifiée avant de donner son avis.”) Voir aussi Demande de réformation
du jugement no 273, p. 348 (constatant que la question, “considérée en elle-même, apparai[ssait] à la fois mal posée
et vague”).
499 Déclaration d’indépendence relative au Kosovo (avis consultatif), p. 423, par. 50. (“La Cour rappelle que, par le
passé, elle s’est écartée du libellé de la question qui lui était posée lorsque celle-ci n’était pas correctement
formulée”).
500 Accord entre l’OMS et l’Egypte (avis consultatif), p. 88, par. 35. Voir aussi, par exemple, Déclaration
d’indépendence relative au Kosovo (avis consultatif), p. 425, par. 50; Admissibilité de l’audition de pétitionnaires par
le Comité du Sud-Ouest africain, avis consultatif du 1er juin 1956, C.I.J. Recueil 1956, p. 25 (concluant que “l’expression
‘en accordant des audiences à des pétitionnaires’ a[vait] trait aux personnes qui ont présenté des pétitions écrites
au Comité du Sud-Ouest africain conformément au Règlement de ce dernier” parce que c’était ce qu’elle
“considér[ait]” comme l’intention de l’organe demandeur); Demande de réformation du jugement
no 273 (avis consultatif), p. 348, par. 46 (constatant que “les procès-verbaux et le rapport de [l’organe demandeur]
permett[aient] de douter que, telle qu’elle se présente, [la question] correspond[ait] vraiment aux intentions qui
animaient le Comité quand celui-ci a[vait] saisi la Cour,” ce qui avait amené la Cour à s’efforcer “de dégager ce qui
lui para[issait] être l’intention véritable” de la demande).
501 Interprétation de l’accord gréco-turc du 1er décembre 1926, avis consultatif, 1926, C.P.J.I. Série B, No 16,
p. 14.
502 Ibid.
153
avec plus de précision l’intention de l’Assemblée générale quand elle a présenté la
question à la Cour pour avis.’’503
4.78 Dans l’affaire du Kosovo, la Cour avait simplement confirmé que la question
de l’Assemblée générale ne pouvait préjuger la réponse de la Cour.504 Plus
précisément, la question faisait référence aux ‘‘institutions provisoires
d’administration autonome du Kosovo’’, même si le fait ‘‘[q]ue ce soient
effectivement les institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo
qui aient prononcé la déclaration d’indépendance est un point qui a été contesté
par un certain nombre de participants à la présente procédure’’.505 Étant donné
que ‘‘l’identité des auteurs de la déclaration d’indépendance’’ pouvait ‘‘avoir une
incidence sur la réponse à la question de la conformité au droit international de
cette déclaration’’, la Cour a estimé qu’il ‘‘serait incompatible avec le bon exercice
de sa fonction judiciaire que la Cour considère ce point comme ayant été tranché
par l’Assemblée générale.’’506
4.79 La décision de la Cour dans l’affaire de la Demande de réformation du
jugement no 273 du Tribunal administratif des Nations Unies n’offre pas davantage
de fondement pour une reformulation de la deuxième question. L’avis consultatif
était fondé sur l’article 11 du statut du Tribunal administratif qui permet à la Cour
de rendre un avis consultatif sur quatre motifs possibles de contestation par
rapport à une décision du tribunal.507 Les débats du Comité qui demanda l’avis
consultatif indiquaient clairement son intention de solliciter un avis de la Cour sur
seulement deux de ces motifs: erreur de droit et excès de compétence.508 Même si
la question ne faisait pas expressément référence à ces deux motifs, la Cour avait
compris que telle était l’intention du Comité. Par conséquent, son avis traita de ces
deux motifs uniquement.509
503 Sud-Ouest africain – Procédure de vote, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1955, p. 72.
504 Déclaration d’indépendance relative au Kosovo (avis consultatif), p. 424, par. 52.
505 Ibid.
506 Ibid.
507 Demande de réformation du jugement no 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1982, p. 349, par. 47.
508 Ibid., p. 348-350, pars. 46-48.
509 Ibid., p. 349-350, par. 48. Dans l’affaire de la Demande de réformation du jugement no 333 du Tribunal
administratif des Nations Unies, la Cour avait noté que, même si une demande avait été faite au Comité sur les
154
4.80 La décision de la Cour dans l’affaire de l’Interprétation de l’accord du 25 mars
1951 entre l’OMS et l’Egypte n’offre elle aussi aucun fondement pour une
reformulation de la deuxième question. Dans cette affaire, les questions posées à
la Cour étaient ‘‘formulées uniquement en fonction de la section 37’’ de l’accord
en question.510 Cependant, afin de pouvoir rendre l’avis demandé, il était
nécessaire pour la Cour d’examiner un ensemble de ‘‘principes et [de] règles
juridiques’’ plus large pour ‘‘rester fidèle aux exigences de son caractère judiciaire
dans l’exercice de sa compétence consultative.’’511
4.81 La Cour expliqua que:
[U]ne réponse incomplète à des questions comme celles de la requête peut
non seulement être inefficace mais induire réellement en erreur sur les
règles juridiques qui régissent le sujet examiné par l'organisation requérante.
Aussi la Cour ne pourrait-elle s'acquitter convenablement de I'obligation qui
lui incombe en l'espèce si, dans sa réponse à la requête, elle ne prenait pas
en considération tous les aspects juridiques pertinents du sujet sur lequel
portent les questions.512
4.82 Au contraire, dans le cas présent, la réponse de la Cour à la deuxième
question ne serait ‘‘incomplète’’ que si elle s’abstenait d’expliquer les
conséquences pour les États.513
4.83 En outre, la Cour ne reformule pas une question afin de contourner
l’intention manifeste de l’Assemblée générale. C’est pourquoi l’avis de la Cour sur
le Mur a répondu de manière complète à la question que lui a posée l’Assemblée
quatre motifs prévus à l’article 11, “s’agissant du motif d’après lequel le tribunal aurait outrepassé sa juridiction ou
sa compétence ou de celui d’après lequel le Tribunal aurait commis, dans la procédure, une erreur essentielle ayant
provoqué un mal-jugé, le Comité a décidé que la demande de réformation ne reposait pas sur des bases sérieuses ”.
La Cour avait conclu par conséquent “qu’elle n’avait pas à s’occuper de ces motifs, que ce soit en reformulant la
question qui lui est posée ou de toute autre manière, puisqu’on ne peut pas dire que le Comité ait eu l’intention ou
le désir de demander un avis à la Cour sur ces points.” Demande de réformation du jugement no 333 du Tribunal
administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1987, p. 43, par. 44.
510 Accord entre l’OMS et l’Egypte (avis consultatif), p. 88, par. 35.
511 Ibid.
512 Ibid.
513 Voir pars. 4.65-4.68 ci-dessus.
155
générale, notamment en donnant une réponse qui traite des conséquences
juridiques pour les États.
4.84 La présente requête pour avis consultatif, dans laquelle l’Assemblée
générale a utilisé un libellé pratiquement identique, n’est pas différente. La
question a ‘‘un objectif clair’’514 qui est reflété dans la manière dont l’Assemblée
générale a formulé la question: celui de déterminer les conséquences juridiques
pour toutes les entités pertinentes, y compris les États, du maintien de l’Archipel
des Chagos sous l’administration de la puissance administrante.
4.85 Aucune des raisons évoquées pour distinguer l’avis consultatif sur le Mur du
cas présent n’est convaincante.
4.86 Premièrement, il est suggéré que la référence à un autre instrument juridique
(la quatrième convention de Genève) dans la requête de l’Assemblée générale
‘‘signifiait que l’Assemblée générale avait voulu faire une référence spécifique aux
obligations des États tiers en vertu de l’art. 1 … à laquelle la Cour avait aussi fait
allusion dans son avis consultatif.’’515 Cependant, cela ne pouvait être la raison pour
laquelle la décision de la Cour a traité des conséquences juridiques pour les États,
étant donné que l’avis consultatif ne s’est pas limité à expliquer les conséquences
juridiques pour les États en vertu de l’article 1. Au contraire, la Cour a traité de
toute l’étendue des conséquences juridiques pour les États et notamment, de
façon particulièrement pertinente pour le cas présent, les conséquences juridiques
pour les États par rapport à l’autodétermination. Par ailleurs, comme exposé
ci-dessus, la présente requête pour avis consultatif contient aussi des références
explicites à plusieurs normes juridiques internationales – les résolutions 1514 (XV),
2066 (X), 2232 (XXI) et 2357 (XXII) de l’Assemblée générale – qui énoncent des
obligations juridiques qui s’appliquent aux États.
514 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (avis consultatif), p. 238, par. 20.
515 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 111. (“implied that the General Assembly had thereby also wanted to make
specific reference to obligations of third States arising under Art. 1… to which the Court accordingly then also alluded
in its advisory opinion.”)
156
4.87 Deuxièmement, il est soutenu que la décision de la Cour de traiter des
conséquences juridiques pour les États peut s’expliquer par le fait que ‘‘le territoire
palestinien occupé … est une question d’intérêt direct et spécifique aux Nations
Unies et relevant de son domaine de compétence, presque depuis la création de
l’organisation.’’516 Cependant, il en va de même pour les questions liées à la
décolonisation de Maurice, à laquelle les Nations Unies se sont intéressées depuis
1947 au moins.517 En outre, l’implication de l’Assemblée générale dans le
détachement de l’Archipel des Chagos par la puissance administrante date de 1965,
comme en témoigne le dossier étoffé soumis par le secrétariat des Nations
Unies.518 L’implication significative de longue date des Nations Unies dans cette
question a été décrite en détail au chapitre 6 de l’exposé écrit de Maurice.
4.88 En résumé, l’Assemblée générale a clairement manifesté son intention
d’obtenir un avis consultatif qui traite de toutes les conséquences juridiques
découlant du maintien de l’Archipel des Chagos sous l’administration de la
puissance administrante, y compris les conséquences juridiques pour les États.
Cette intention ressort clairement du libellé de la résolution 71/292 et de sa genèse
ainsi que des exposés écrits des auteurs de la résolution et de ceux qui l’ont
soutenue. Compte tenu de la pratique antérieure de la Cour, il est difficile de voir
sur quelle base la deuxième question pourrait être reformulée afin d’exclure de la
réponse de la Cour les conséquences juridiques pour les États. Cela ne mènerait
qu’à donner à l’Assemblée générale une réponse incomplète aux questions qu’elle
a posées. Cela n’aurait aucun effet utile et serait incompatible avec les fonctions
judiciaires de la Cour.
516 Ibid., par. 113. (“the occupied Palestinian territory… constitutes a question of direct and specific relevance to the
United Nations, falling within the scope of its responsibility, almost since the organization’s inception.”)
517 Secrétaire général de l’ONU, Transmission par les Membres des renseignements visés par l’article 73 (e) de la
Charte: résumé des renseignements transmis par le gouvernement du Royaume-Uni (Première partie) – Maurice,
document de l’ONU A/319 (16 juillet 1947), p. 3.
518 Exposé écrit de Maurice, par. 1.13.
157
III. Les conséquences juridiques spécifiques du maintien de l’Archipel des
Chagos sous l’administration de la puissance administrante
A. L’ADMINISTRATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS EST UN FAIT ILLICITE À
CARACTÈRE CONTINU QUI DOIT CESSER IMMÉDIATEMENT
4.89 Maurice a expliqué dans son exposé écrit que le défaut, par la puissance
administrante, de mener à bien sa décolonisation constitue un acte illicite qui
perdure jusqu’à ce jour et que, par conséquent, il faudra restaurer intégralement
la légalité par la réalisation complète et immédiate du processus de décolonisation.
Ce processus ne sera achevé que lorsque l’administration coloniale se sera retirée
complètement, que Maurice pourra exercer ses pleins droits de souveraineté et
que la puissance administrante reconnaîtra la souveraineté de Maurice sur
l’archipel.519
4.90 Maurice relève qu’aucun des exposés écrits ne s’oppose au principe général
selon lequel lorsque la décolonisation n’a pas été validement menée à bien, cela
entraîne comme conséquence juridique la nécessité de mener à bien la
décolonisation. Plusieurs exposés écrits affirment expressément ce principe. À
titre d’exemple:
4.91 L’Union africaine considère que ‘‘[l]e Royaume-Uni est tenu en droit
international général de … mener à bien le processus de décolonisation de
Maurice’’.520
4.92 L’Argentine estime que ‘‘[l]a puissance administrante a l’obligation de
poursuivre de bonne foi et sans aucune condition des négociations avec Maurice
afin de rendre effective la fin de la situation illicite’’.521
4.93 Belize considère que si le détachement de l’Archipel des Chagos n’avait pas
permis au peuple mauricien d’exercer librement son droit à l’autodétermination,
519 Voir l’exposé écrit de Maurice, par. 7.3 1).
520 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 258 e). (“[t]he United Kingdom is obliged under general international law
to… complete the process of decolonization of Mauritius”).
521 Exposé écrit de la République argentine, par. 68 b). (“[t]he administering Power has the obligation to pursue
negotiations in good faith and without conditions with Mauritius in order to render effective the termination of the
illegal situation”).
158
le Royaume-Uni ‘‘aurait l’obligation de mettre fin immédiatement à son
administration de l’Archipel des Chagos et de le restituer à Maurice.’’522
4.94 Le Brésil estime que ‘‘la puissance administrante devra poursuivre de bonne
foi des négociations afin de mener à bien le processus de décolonisation de
Maurice, eu égard aux décisions de l’Assemblée générale dans le domaine de la
décolonisation.’’523
4.95 La Chine note que la Déclaration sur les relations amicales ‘‘dispose que ‘tout
État a le devoir de favoriser … la réalisation du principe de l’égalité de droits des
peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions
de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations Unies à s’acquitter des
responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce
principe, afin de … mettre rapidement fin au colonialisme’’’.524
4.96 Djibouti considère que ‘‘[l]e maintien de l’Archipel des Chagos sous
l’administration du Royaume-Uni est un acte illicite continu auquel il faut mettre
fin immédiatement.’’525
4.97 Le Guatemala ‘‘attend de la Cour qu’elle constate que le maintien de l’Archipel
des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni est un acte illicite continu’’ et
soutient qu’il ‘‘faut y mettre fin pour mener à bien la décolonisation de
Maurice’’.526
522 Exposé du Belize, par. 1.5. (“would have an obligation to cease forthwith administration of the Chagos Archipelago
and return it to Mauritius.”)
523 Exposé écrit du Brésil, par. 28 g). (“the administering power shall pursue negotiations in good faith to conclude
the decolonization process of Mauritius, taking into account the determinations made by the General Assembly in
the realm of decolonization.”)
524 Exposé écrit de la Chine, par. 8. (“stipulates that, ‘every State has the duty to promote … realization of the principle
of equal rights and self-determination of peoples, in accordance with the provisions of the Charter, and to render
assistance to the United Nations in carrying out the responsibilities entrusted to it by the Charter regarding the
implementation of the principle, in order … to bring a speedy end to colonialism’”).
525 Exposé écrit du Djibouti, par. 54. (“[t]he United Kingdom’s continued administration of the Chagos Archipelago
constitutes a continuing wrongful act that must be brought to an immediate end.”)
526 Exposé écrit du Guatemala, par. 36. (“expects the Court to find that the continued administration of the Chagos
Archipelago by the United Kingdom constitutes a continued wrongful act” [and submits that] “it must be brought to
an end in order to attain a complete decolonization of Mauritius”).
159
4.98 L’Inde note que l’Assemblée générale ‘‘a proclamé solennellement la
nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous
toutes ses formes et dans toutes ses manifestations’’.527
4.99 Madagascar fait siens “[l]es points no 2 et no 3 de la Résolution
Assembly/AU/Res.1 (XXVIII) adoptée par la Conférence de l’Union à l’issue de sa
28ÈME session ordinaire qui s’est tenue à Addis-Abeba les 30 et 31 janvier 2017,” et
soutient que “le point no 3 réaffirme que ‘l’archipel des Chagos y compris Diego
Garcia fait partie intégrante du territoire de la République de Maurice et que la
décolonisation de la République de Maurice ne sera complète tant qu’elle n’aura
pas exercé sa pleine souveraineté sur l’archipel des Chagos’”. 528
4.100 La Namibie estime que ‘‘[l]e processus de décolonisation devra être
rapidement mené à bien sous la supervision de l’ONU.’’529
4.101 Le Nicaragua considère qu’‘‘afin de respecter son obligation internationale,
le Royaume-Uni doit mettre fin à la situation illicite’’.530
4.102 La Serbie estime qu’il ‘‘faut mettre fin à la violation persistante de la
souveraineté, de l’intégrité territoriale et du droit à l’autodétermination de
Maurice.’’531
4.103 L’Afrique du Sud considère que ‘‘le Royaume-Uni est tenu de mener à bien
la décolonisation de Maurice’’.532
4.104 Il convient de souligner que l’exposé écrit du Royaume-Uni ne conteste pas
la proposition selon laquelle une décolonisation qui n’a pas été validement menée
à bien doit être achevée rapidement. Le Royaume-Uni affirme plutôt que la
527 Exposé écrit de l’Inde, par. 61. (“solemnly proclaimed the necessity of a speedy and unconditional end of
colonialism in all its forms and manifestations”).
528 Exposé écrit de Madagascar, p. 2.
529 Exposé écrit de la Namibie, p. 4. (“[t]he decolonisation process shall be promptly completed, under the
supervision of the UN.”)
530 Exposé écrit du Nicaragua, par. 14. (“[f]or the United Kingdom to comply with its international obligation it must
bring the unlawful situation to an end”).
531 Exposé écrit de la Serbie, par. 45. (“[c]ontinuing violation of Mauritius’ sovereignty, territorial integrity and
self-determination must be brought to an end.”)
532 Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 85. (“there is an obligation on the United Kingdom to complete the
decolonization of Mauritius”).
160
décolonisation de Maurice a été validement menée à bien,533 une conclusion qui
n’est pas correcte pour les raisons évoquées au chapitre 3 ci-dessus.534
4.105 Ce consensus n’est pas surprenant. Il est clair en droit international que:
i) une ‘‘violation d’une obligation internationale par le fait de l’État ayant un
caractère continu s’étend sur toute la période durant laquelle le fait continue et
reste non conforme à l’obligation internationale’’;535 ii) maintenir illégalement une
administration coloniale est un ‘‘fait illicite continu’’;536 iii) un État responsable d’un
tel fait internationalement illicite a l’obligation ‘‘d’y mettre fin si ce fait
continue’’;537 et, iv) au cas où le maintien d’une administration coloniale est illicite,
elle doit être ‘‘retiré[e] immédiatement.’’538
4.106 Par conséquent, la Cour, dans son avis consultatif relatif au Sud-Ouest
africain, a jugé sans équivoque que ‘‘[l]’Afrique du Sud, à laquelle incombe la
responsabilité d’avoir créé et prolongé une situation qui, selon la Cour, a été
valablement déclarée illégale, est tenue d’y mettre fin. Elle a donc l’obligation de
retirer son administration du territoire de la Namibie.’’539 L’avis consultatif a aussi
clairement indiqué que l’Afrique du Sud était tenue de retirer ‘‘immédiatement’’540
son administration.
4.107 Maurice a démontré dans son exposé écrit qu’il n’existe aucun obstacle à la
réalisation complète et immédiate de sa décolonisation et que la décolonisation a
souvent été complétée en moins d’une année, même lorsque le processus était
plus complexe qu’il ne l’est dans le cas de l’Archipel des Chagos.541 Il n’existe
presque pas d’administration à transférer. Cela est dû aux restrictions imposées par
533 Voir l’exposé écrit du Royaume-Uni, pars. 9.4-9.21 (abordant la question b) sur l’hypothèse que l’‘’Accord’’ de
1965 était valide, mais n’affirmant pas qu’aucune mesure ne serait nécessaire si la décolonisation n’a pas été
validement menée à bien).
534 Voir pars. 3.68-3.115 ci-dessus.
535 Commission du droit international, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite et commentaires y relatifs (2001), art. 14(2).
536 Ibid., Commentaire de l’art. 14, par. 3 (faisant référence au “maintien par la force d’une domination coloniale”
comme un “fait illicite continu”).
537 Ibid., art. 30 a).
538 Voir, par exemple, Sud-Ouest africain (avis consultatif), p. 58, par. 133.
539 Ibid., p. 54, par. 118.
540 Ibid., p. 58, par. 133.
541 Voir l’exposé écrit de Maurice, chapitre 7, section III, partie B.
161
la puissance administrante à l’entrée dans l’archipel, à l’absence totale d’activité
commerciale, industrielle ou agricole, et à une présence administrative minimale
de la puissance administrante dans l’archipel: celle-ci gouverne l’archipel en grande
partie depuis Londres avec un budget annuel global de 446.000 livres sterling
allouées à l’‘‘Administration’’ pendant la dernière année fiscale pour laquelle des
renseignements sont disponibles.542
4.108 Par ailleurs, Maurice a montré dans son exposé écrit que toute modification
juridique qui pourrait s’avérer nécessaire pour faciliter la décolonisation pourrait
être effectuée rapidement: le ‘‘commissaire’’ de la puissance administrante
possède les pleins pouvoirs pour promulguer, amender et appliquer les lois et
règlements, et tout changement constitutionnel peut être effectué par un simple
décret en conseil en vertu de la prérogative royale.543 Il existe peu de législation qui
devrait être modifiée et presque pas de personnel à relocaliser. Rien dans l’exposé
écrit du Royaume-Uni met en doute le fait que la décolonisation pourrait être
achevée en moins d’une année. Au contraire, le Royaume-Uni admet que son
administration est ‘‘exceptionnellement restreinte’’,544 et est constituée d’une
poignée de fonctionnaires seulement, dont aucun ne réside dans l’Archipel des
Chagos, et qui sont appuyés par une petite équipe d’agents locaux.545
4.109 En outre, l’exposé écrit du Royaume-Uni confirme que la présence d’une
base militaire à Diego Garcia ne constitue pas un obstacle à la réalisation complète
et immédiate de la décolonisation. Le Royaume-Uni admet que Maurice a fait une
‘‘déclaration claire’’ qui donne des ‘‘assurances selon laquelle elle a l’intention de
maintenir la base militaire à Diego Garcia’’ et que les ‘‘‘arrangements de sécurité
[existants] resteront en place’’’546
542 Voir Royaume-Uni, “British Indian Ocean Territory Ordinance No. 1 of 2016: An ordinance to make provision for
the expenditure of public funds between 1 April 2016 and 31 March 2017” (30 juin 2016), p. 1 (Annexe 180). Voir
aussi l’exposé écrit de Maurice, pars. 7.17-7.21.
543 Exposé écrit de Maurice, pars. 7.17-7.21.
544 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.4.
545 Ibid., par. 2.36. Plus précisément, le Royaume-Uni mentionne que l’administration comprend un commissaire, un
commissaire adjoint, un administrateur (qui est aussi le directeur des pêches), des administrateurs adjoint et
assistant, un directeur et conseiller juridique principal, un agent pour l’environnement et un conseiller scientifique
en chef. Ibid.
546 Ibid., par. 9.8.
162
4.110 En bref, rien dans les exposés écrits ne met en doute la position exprimée
par Maurice dans son exposé écrit, à savoir que le maintien de l’Archipel des Chagos
sous l’administration de la puissance administrante est un fait illicite continu qui
doit cesser. Cela exige le retrait immédiat de l’administration coloniale existante,
un processus qui peut et qui devrait être achevé dans les meilleurs délais.
IV. Les conséquences juridiques dans l’attente de la réalisation
complète de la décolonisation
4.111 Maurice a expliqué dans son exposé initial que, pendant la courte période de
temps entre l’avis consultatif rendu par la Cour et l’achèvement immédiat de la
décolonisation, la puissance administrante est tenue ‘‘de donner effet au ‘principe
de la primauté des intérêts des habitants [de Maurice]’ et d’‘accepte[r] comme une
mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure du possible leur
prospérité’.’’547
A. LA RÉINSTALLATION DES MAURICIENS D’ORIGINE CHAGOSSIENNE
4.112 Cette question est de la plus haute importance internationale. Avant
l’achèvement immédiat de la décolonisation, la puissance administrante ne devrait
pas entraver les efforts de Maurice de mettre en oeuvre un programme pour la
réinstallation des Mauriciens d’origine chagossienne qui ont été illégalement
expulsés par la puissance administrante et pour assurer l’accès d’autres citoyens
mauriciens à l’Archipel des Chagos conformément au droit mauricien.548
4.113 Maurice a précédemment exposé les faits concernant l’expulsion de force de
la population entière de l’Archipel des Chagos par la puissance administrante.549
Maurice a aussi décrit les tentatives du Royaume-Uni de dissimuler le caractère
547 Exposé écrit de Maurice, par. 7.43 (citant la Charte des Nations Unies (24 oct. 1945), art. 73).
548 Voir l’exposé écrit de Maurice, pars. 7.42-7.61.
549 Voir ibid., pars. 3.100-3.107. En ce qui concerne la réaction à l’expulsion forcée des Chagossiens, voir aussi ibid.,
pars. 4.49-4.61.
163
illégal de l’expulsion, de même que les regrets tardifs et insuffisants qu’il a exprimés
au sujet des conditions dans lesquelles les habitants ont été expulsés.550
4.114 Les expériences vécues par cinq Chagossiens sont exposées ci-après. Tous
ces Chagossiens et les membres de leur famille ont expulsés de force par la
puissance administrante des îles de l’Archipel où ils habitaient. Tous ont toujours
souhaité retourner dans l’archipel et le souhaitent encore, mais n’ont pas pu le
faire.
Rosemond Samynaden
‘‘Je suis né le 29 août 1936 à Bodham Salomon et j’ai passé mon enfance
dans l’Archipel des Chagos jusqu’à mon départ pour Maurice à l’âge de
16 ans. Quand je suis retourné dans l’Archipel des Chagos en 1967 à l’âge de
31 ans, la vie était exactement comme auparavant. Elle était paisible et belle.
Ma famille et moi-même ont ensuite été déportés à Maurice. M. Todd et
M. Moulinie avaient informé les personnes vivant à Peros Banhos que nous
devions quitter l’île. On nous a dit que nous devions quitter l’Archipel des
Chagos parce que toutes les îles allaient être fermées. Nous ne pouvions pas
apporter nos bagages. Nous pouvions seulement apporter un matelas et une
boîte dans laquelle nous avions mis nos vêtements. C’est un malheur pour
moi d’être encore en vie à 81 ans – j’aurai bientôt 82 ans – je suis encore
vivant, mais je ne peux pas retourner dans l’Archipel des Chagos. Si j’ai
l’occasion de retourner dans l’Archipel des Chagos, je le ferai sans la moindre
hésitation. Je commencerai à me préparer immédiatement. Même si je ne
peux plus travailler comme dans le passé, j’ai suffisamment de connaissances
et d’expérience que je pourrai partager avec les autres. Je peux encore aller
pêcher et je peux cuisiner. Je connais très bien les îles. Mon épouse
m’accompagnera. Mes enfants ont également dit qu’ils voudraient vivre
550 Voir, par exemple, l’exposé écrit de Maurice, pars. 1.8, 7.48-7.49; Arbitrage concernant l’aire marine protégée
des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), audience sur les questions de compétence et de fond, Tribunal constitué
conformément à l’annexe VII du CNUDM, transcription (1er jour) (22 avril 2014), p. 43:21-23 (Annexe 169).
164
dans l’Archipel des Chagos. Nous devons conserver notre culture et nos
traditions. Je voudrais mourir un jour paisiblement dans l’Archipel des
Chagos.’’
Marie Liseby Elysé
‘‘Je suis née le 24 juillet 1953 à Peros Banhos. J’ai eu une enfance très
heureuse là-bas. Un jour, on nous a subitement demandé de participer à une
réunion. On nous a dit que nous ne pouvions plus rester là-bas parce que le
Royaume-Uni avait pris l’Archipel des Chagos. Les gens n’étaient pas
contents. Beaucoup de personnes étaient en colère ce jour-là. Nous étions
désemparés. Le bateau qui venait de Maurice pour livrer les marchandises
avait cessé de venir. Pendant environ six mois ou plus, nous n’avions plus de
riz, de farine, de l’huile, de lait… Les enfants ont commencé à être malades,
beaucoup avaient des nausées et il y avait une pénurie de médicaments. J’ai
pris le dernier navire qui est arrivé à Peros Banhos en 1973. Nous ne
pouvions même pas prendre nos animaux domestiques. Nous avions
l’impression d’assister à un enterrement et en même temps nous étions en
train de mourir. Des gens hurlaient de désespoir. Beaucoup pleuraient. Tout
le monde était triste et avait très peur. Nous étions dans le noir dans un
navire bondé. Nous avons dû tout laisser derrière nous et nous ne savions
pas ce que l’avenir nous réservait. Il nous a fallu quatre jours pour arriver à
Maurice. On nous a simplement laissé là-bas. Étant enceinte de quatre mois
à cette époque, le voyage était insupportable pour moi. Quand j’ai accouché
cinq mois plus tard, mon bébé est décédé après quinze à vingt minutes. Je
me sens encore coupable d’avoir perdu mon bébé car j’avais peur que je ne
pourrais m’occuper de lui convenablement, étant donné le traumatisme que
j’avais subi pendant ma grossesse. Avant, la vie était si paisible et calme et
nous n’avions à nous inquiéter de rien. Si quelqu’un me dit que je pourrai
retourner dans l’Archipel des Chagos, je prendrai immédiatement mes effets
personnels et retournerai dans l’archipel. Mes enfants n’hésiteront pas à se
rendre dans l’Archipel des Chagos. Ils ont dit qu’ils m’accompagneront.’’
165
Marie Janine Sadrien
‘‘Je suis née le 30 août 1956 dans l’Île de Bodham à Salomon. Ma mère avait
treize enfants. Ils sont tous nés dans l’Archipel des Chagos. Nous menions
une vie heureuse au paradis. En 1966, ma tante a eu des problèmes
cardiaques et je l’ai accompagnée à Maurice pour qu’elle se fasse soigner.
Nous avions laissé la plupart de nos effets personnels à la maison parce que
nous pensions que nous allions bientôt retourner à Bodham. Dès que ma
tante fut rétablie et se sentait mieux, elle décida que nous devions retourner
à Salomon. Cependant, en 1968, on a dit à ma tante que les îles allaient être
fermées et que nous ne pouvions pas retourner dans l’Archipel des Chagos.
Nous étions si tristes car nous voulions vraiment retourner là-bas. Notre
ancienne vie nous manquait. Ce fut un choc. C’était extrêmement difficile
d’accepter le fait que nous n’allions pas retrouver notre maison. Si
aujourd’hui, on me dit qu’il y a un navire au port qui est prêt à nous emmener
dans l’Archipel des Chagos pour que nous puissions vivre là-bas pour
toujours, je n’hésiterai pas à partir. Je prendrai mes effets personnels et
partirai immédiatement. Parfois, quand je dors et je pense à la vie heureuse
que nous menions à Salomon, je pleure. Je voulais élever mes enfants là-bas
et leur apprendre ce que signifie une vie simple et belle. Maurice est belle
mais mon coeur est à Salomon. Si on ne m’avait pas empêchée de retourner,
je serais toujours dans l’Archipel des Chagos. J’ai passé les jours les plus
heureux de ma vie à Salomon. Ce qui me maintient en vie, ce sont les
souvenirs de Salomon.’’
Marie Mimose Furcy
‘‘Je suis née le 7 juin 1955 à Peros Banhos dans l’Île du Coin. Ma vie était
belle. Ma famille comptait six enfants. Nous n’étions pas pauvres. Nous
avions suffisamment de moyens pour mener une vie vraiment agréable. En
1967, ma soeur s’est blessée et elle a dû aller à Maurice pendant 6 mois pour
se faire soigner. Mon père nous avait dit que nous ne devions pas prendre
nos effets personnels car nous allions bientôt revenir. Je me souviens encore
166
qu’il a fermé la porte, l’a verrouillée et a mis la clé de la maison dans sa
poche. Nous ne savions pas que nous ne pourrions jamais utiliser la clé à
nouveau. Mon père est décédé sans avoir pu à nouveau ouvrir la porte de
notre maison. Ma soeur est décédée quelques mois après notre arrivée à
Maurice. Ma mère est partie voir la personne qui était responsable de la liste
de ceux qui voulaient se rendre dans l’Archipel des Chagos afin de nous faire
inscrire pour le prochain voyage. Il lui a dit qu’il ne pouvait pas nous inscrire
parce qu’on fermait les îles. Ma mère a pleuré. Ma vie a changé du jour au
lendemain.’’
Rosemonde Berthin
‘‘Je suis née à Salomon dans l’Île de Bodham le 19 octobre 1954. Nous étions
une famille de dix enfants. J’avais six frères et trois soeurs. Ils sont tous nés
à Salomon, sauf ma plus jeune soeur qui est née à Peros Banhos. Ma famille
remonte à plusieurs générations, car mes arrière-arrière-grands-parents
maternels et paternels sont nés dans l’Archipel des Chagos. Je suis retournée
à Maurice en 1972 car Salomon a été fermée cette année-là. Le dernier
enfant qui est né à Salomon est mon fils. Il est né en mai 1972. Pourquoi le
Royaume-Uni nous permet-il de seulement visiter l’Archipel des Chagos?
Nous sommes arrivés là-bas tôt le matin et sommes partis à trois heures
l’après-midi. Entretemps, d’autres s’amusent là-bas. Quand je suis partie en
2006, j’ai vu que plusieurs tentes avaient été montées et je suis surprise que
d’autres peuvent en profiter sans limite et que je ne peux même pas vivre
dans mon île natale. Je ne veux pas visiter l’Archipel des Chagos. Je ne suis
pas une visiteuse. C’est ma maison et j’ai le droit de vivre là-bas pour
toujours. Je voudrais tenir la main de mes petits-enfants et les emmener
dans ma maison. J’ai quatorze petits-enfants et ils sont tous enthousiastes à
l’idée d’aller vivre dans l’Archipel des Chagos. Si aujourd’hui on me dit que
nous pouvons retourner là-bas, je retournerai sans aucune hésitation.’’
167
4.115 Aucun exposé écrit n’a contesté ces faits ou essayé de justifier le traitement
des Chagossiens par le Royaume-Uni. En effet, le Royaume-Uni admet qu’ils ont été
maltraités: ‘‘Le Royaume-Uni admet entièrement qu’il a traité très mal les
Chagossiens au moment de leur expulsion et le regrette profondément.’’551
Cependant, en dépit de cette expression de regrets, la puissance administrante
continue à refuser de permettre aux Mauriciens d’origine chagossienne de
retourner dans l’Archipel. Presque tous les exposés écrits qui ont abordé la
deuxième question conviennent avec Maurice que les conséquences juridiques
incluent l’élimination des obstacles à la réinstallation des Chagossiens. A titre
d’exemple:
4.116 L’Union africaine soutient que ‘‘le maintien de l’Archipel des Chagos sous
l’administration du Royaume-Uni, notamment en ce qui concerne l’impossibilité
dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour
ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne, constitue un fait
internationalement illicite ayant plusieurs conséquences en droit international’’.552
4.117 L’Argentine considère que ‘‘les décisions et les faits menant au détachement
de l’Archipel des Chagos de Maurice, avec l’expulsion de ses habitants et
l’interdiction de leur retour, constituent également une violation des droits
fondamentaux des ressortissants mauriciens.’’553
4.118 Le Brésil soutient que ‘‘l’article 13(2) de la Déclaration universelle des droits
de l’homme stipule que ‘toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris
le sien, et de revenir dans son pays’’’554 et que ‘‘[l]e fait que la puissance
551 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 1.5. (“The United Kingdom fully accepts that it treated the Chagossians very
badly at and around the time of their removal and it deeply regrets that fact.”)
552 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 258 c). (“[t]he continued administration by the United Kingdom of the
Chagos Archipelago, including with respect to the inability of Mauritius to implement a programme for the
resettlement on the Chagos Archipelago of its nationals, in particular those of Chagossian origin, constitutes an
internationally wrongful act with several consequences under international law”).
553 Exposé écrit de la République argentine, par. 60. (“the decisions and facts leading to the separation of the Chagos
Archipelago from Mauritius, while deporting its inhabitants and preventing their return, also amounts to a breach
of fundamental human rights of Mauritian nationals.”)
554 Exposé écrit du Brésil, par. 27. (“Article 13(2) of the Universal Declaration of Human Rights determines that
‘everyone has the right to leave any country, including his own, and to return to his country’”).
168
administrante a empêché la réinstallation des Chagossiens dans l’archipel constitue
une violation de ce droit.’’555
4.119 Cuba souligne ‘‘le droit des citoyens mauriciens qui ont été déplacés de force
par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de retourner dans
l’archipel.’’556
4.120 La Namibie estime que Maurice devrait ‘‘pouvoir mener un programme pour
la réinstallation dans l’Archipel des Chagos des nationaux [mauriciens], en
particulier ceux d’origine chagossienne.’’557
4.121 Le Nicaragua soutient qu’‘‘afin de respecter son obligation internationale, le
Royaume-Uni doit mettre fin à la situation illicite et fournir les moyens pour la mise
en oeuvre d’un programme pour la réinstallation dans l’Archipel des Chagos des
nationaux [mauriciens], en particulier ceux d’origine chagossienne.’’558
4.122 La Serbie considère que ‘‘[t]out fait internationalement illicite implique des
conséquences juridiques’’ et que ‘‘[d]ans le cas d’espèce … il y a une urgente
nécessité de permettre à ceux qui ont été expulsés de l’Archipel des Chagos d’y
retourner.’’559
4.123 L’Afrique du Sud affirme que ‘‘la négation continue du droit des Chagossiens
de retourner dans leurs foyers constitue un fait internationalement illicite qui
555 Ibid. (“[t]he fact that the administering power has been preventing the resettlement of Chagossians in the
archipelago constitutes a violation of that right.”
556 Exposé écrit de Cuba, p 1-2. (“right to return to the Archipelago of the Mauritian citizens forcibly displaced by the
United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland.”)
557 Exposé écrit de la Namibie, p. 4. (“be able to implement a programme for the resettlement in the Chagos
Archipelago of [Mauritius’] nationals, in particular those of Chagossian origin.”)
558 Exposé écrit du Nicaragua, par. 14. (“[f]or the United Kingdom to comply with its international obligation it must
bring the unlawful situation to an end and provide the means to implement a programme for the resettlement on
the Chagos Archipelago of [Mauritius’] nationals, in particular those of Chagossian origin.”)
559 Exposé écrit de la Serbie, par. 45. (“[a]ny internationally wrongful act involves legal consequences”, and that “[i]n
the concrete case… there is an urgent need to be allowed for those who were expelled from Chagos Archipelago to
return.”)
169
engendre une responsabilité juridique, qu’il faut y remédier et pour lequel des
réparations peuvent s’avérer nécessaires.’’560
4.124 Seuls deux exposés écrits ont exprimé des opinions contraires. Cependant,
comme indiqué ci-après, les arguments qu’ils invoquent pour encourager la Cour à
ne pas traiter des obligations juridiques se rapportant à la réinstallation des
nationaux mauriciens d’origine chagossienne ne sont pas convaincants et sont sans
fondement.
4.125 L’Allemagne soutient que la Cour ne devrait pas donner une réponse ‘‘à la
question de savoir quelles réparations, le cas échéant, s’ensuivraient de possibles
violations du droit international, en particulier en ce qui concerne la question de la
réinstallation possible des Chagossiens.’’561 Mais l’Allemagne reconnaît aussi
que ‘‘la motivation de l’auteur d’un projet de résolution’’562 est ‘‘particulièrement
importante pour déterminer le contenu, la signification et la portée d’[une]
requête.’’563 Étant donné que l’Assemblée générale a expressément demandé à la
Cour d’aborder les conséquences juridiques ‘‘en ce qui concerne l’impossibilité
dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour
ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne’’,564 il est difficile de voir
sur quelle base la Cour pourrait s’abstenir de traiter de cette question.
4.126 Il n’est pas surprenant que l’Assemblée générale ait expressément demandé
l’avis de la Cour sur la réinstallation des Chagossiens. L’Assemblée générale a traité
de la maltraitance des Chagossiens pendant des décennies, notamment dans le
560 Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 98 b). (“the continuing denial of the right of return to their homes of
Chagossians constitutes an international wrongful act for which responsibility and liability exists, which must be
reversed, and for which reparations may be required.”).
561 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 155 iii) b). (“to the question of which remedies, if any, would follow from any
possible violations of international law, especially with regard to the question of the possible resettlement of the
Chagossians.”)
562 Ibid., par. 8. (“the underlying intention of the sponsor of a draft resolution”).
563 Ibid. (citant, avec approbation, Déclaration d’indépendance relative au Kosovo (avis consultatif), par. 53).
(“particular relevance in determining the content, meaning and scope of such [a] request.”)
564 Assemblée générale de l’ONU, 71e session, Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les
effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, document de l’ONU A/RES/71/292
(22 juin 2017), p. 2 (Dossier No. 7).
170
cadre de ses travaux en matière de décolonisation. Cela ressort très clairement du
dossier soumis par le secrétariat des Nations Unies.
4.127 Par exemple, en 1983, le déplacement forcé des Chagossiens a été discuté
lors de la 38e session de l’Assemblée générale dans le cadre de l’examen du rapport
du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de
la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.565
Le sort des Chagossiens a aussi fait l’objet de discussions en 1987 et 1988.566 Depuis
les années 1980, la question des Chagossiens a figuré à plusieurs reprises à l’ordre
du jour de l’Assemblée générale.567 Les mauvais traitements qui leur ont été infligés
565 Assemblée générale de l’ONU, 38e session, 85e séance plénière, Point 18 de l’ordre du jour: Application de la
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, document de l’ONU A/38/PV.85
(6 déc. 1983), par. 146 (Dossier No. 279). Voir aussi la lettre du représentant permanent de Maurice auprès des
Nations Unies adressée au Président de l’Assemblée générale, document de l’ONU A/38/711 (5 déc. 1983),
p. 1 (Dossier No. 280).
566 Assemblée générale de l’ONU, 42e session, procès-verbal provisoire de la 32e séance, Débat général [9], document
de l’ONU A/42/PV.32 (9 oct. 1987), p. 48-50 (Dossier No. 282); Assemblée générale de l’ONU,
43e session, procès-verbal provisoire de la 28e séance, Débat général [9], document de l’ONU A/43/PV.28
(12 oct. 1988), p. 39-40 (Dossier No. 283).
567 Voir, par exemple, Assemblée générale de l’ONU, 52e session, 17e séance plénière, Allocution de M. Emomali
Rahmonov, Président de la République de Tadjikistan, document de l’ONU A/52/PV.17 (30 sept. 1997), p. 14
(abordant le besoin d’assistance par rapport à l’expulsion forcée des Chagossiens) (Dossier No. 289); Assemblée
générale de l’ONU, 53e session, 11e séance plénière, Ouragan dans la République dominicaine, document de l’ONU
A/53/PV.11 (23 sept. 1998), p. 10 (notant le souhait des Chagossiens de retourner dans l’Archipel des Chagos)
(Dossier No. 290); Assemblée générale de l’ONU, 54e session, 18e séance plénière, Point 9 de l’ordre du jour: Débat
général, document de l’ONU A/54/PV.18 (30 sept. 1999), p. 12 (idem) (Dossier No. 291); Assemblée générale de
l’ONU, 55e session, 28e séance plénière, Point 9 de l’ordre du jour: Débat général, document de l’ONU A/55/PV.28
(22 sept. 2000), p. 16 (idem) (Dossier No. 293); Assemblée générale de l’ONU, 56e session, 46e séance plénière,
Allocution de M. Glafcos Clerides, Président de la République de Chypre, document de l’ONU A/56/PV.46 (11 nov.
2001), p. 15 (notant la violation des droits fondamentaux des Chagossiens) (Dossier No. 294); Assemblée générale
de l’ONU, 57e session, 4e séance plénière, Point 119 de l’ordre du jour: Barème des quotes-part pour la répartition
des dépenses des Nations Unies, document de l’ONU A/57/PV.4 (13 sept. 2002), p. 21 (exprimant du soutien pour
les Chagossiens demandant réparation) (Dossier No. 296); Assemblée générale de l’ONU, 58e session, 10e séance
plénière, Allocution de M. Domitien Ndayizeye, Président de la République du Burundi, document de l’ONU
A/58/PV.10 (24 sept. 2003), p. 27 (idem) (Dossier No. 298); Assemblée générale de l’ONU, 59e session, 14e séance
plénière, Allocution de M. Anote Tong, Président de la République de Kiribati, document de l’ONU A/59/PV.14
(28 sept. 2004), p. 19 (idem) (Dossier No. 300); Assemblée générale de l’ONU, 60e session, 13e séance plénière,
Allocution de M. Pierre Nkurunziza, Président de la République du Burundi, document de l’ONU A/60/PV.13 (19 sept.
2005), p. 11 (idem) (Dossier No. 302); Assemblée générale de l’ONU, 61e session, 16e séance plénière, Allocution de
M. Mikheil Saakashvili, Président de la Géorgie, document de l’ONU A/61/PV.16 (22 sept. 2006), p. 13 (idem) (Dossier
No. 304); Assemblée générale de l’ONU, 63e session, 16e séance plénière, Point 8 de l’ordre du jour: Débat général,
document de l’ONU A/63/PV.16 (29 sept. 2008), p. 38 (idem) (Dossier No. 308); Assemblée générale de l’ONU,
64e session, Lettre datée du 28 septembre 2009 du Représentant permanent du Royaume-Uni de Grande-Bretagne
et d’Irlande du Nord auprès des Nations Unies adressée au Président de l’Assemblée générale, document de l’ONU
A/64/480 (28 sept. 2009), p. 2 (idem) (Dossier No. 311); Assemblée générale de l’ONU, 65e session, 21e séance
171
ont aussi été régulièrement abordés dans d’autres organes de l’ONU, notamment
le Conseil des droits de l’homme et le Comité pour l’élimination de la discrimination
raciale.568 Par conséquent, la demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale
sur la réinstallation des Chagossiens relève clairement de son mandat et de ses
préoccupations. Aucun exposé écrit n’a prétendu le contraire.
plénière, Point 8 de l’ordre du jour: Débat général, document de l’ONU A/65/PV.21 (28 sept. 2010), p. 31 (faisant
référence aux obstacles à la réinstallation des Chagossiens) (Dossier No. 312); Assemblée générale de l’ONU,
70e session, 25e séance plénière, Point 8 de l’ordre du jour: Débat général, document de l’ONU A/70/PV.25 (2 oct.
2015), p. 15-16 (se référant à l’expulsion illégale des Chagossiens) (Dossier No. 318); Assemblée générale de l’ONU,
71e session, 17e séance plénière, Allocution de M. Bujar Nishani, Président de la République d’Albanie, document de
l’ONU A/71/PV.17 (23 sept. 2016), p. 38 (idem) (Dossier No. 320); Assemblée générale de l’ONU, 71e session,
88e séance plénière, Point 87 de l’ordre du jour: Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur
les effets juridiques de la séparation de l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965, document de l’ONU A/71/PV.88
(22 juin 2017) (Dossier No. 6).
568 Voir, par exemple, Assemblée générale de l’ONU, 28e session, Rapport du Comité spécial chargé d’étudier la
situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux, Vol. IV, document de l’ONU A/9023/Rev.1 (1975), p. 6(b)(5) (condamnant l’expulsion des Chagossiens)
(Dossier No. 329); Assemblée générale de l’ONU, Conseil des droits de l’homme, 8e session, Rapport du Groupe de
travail sur l’Examen périodique universel, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, document de
l’ONU A/HRC/8/25 (23 mai 2008), p. 14, par. 47 (question de la République de Corée concernant les droits des
Chagossiens) (Dossier No. 338); Assemblée générale de l’ONU, Conseil des droits de l’homme, 25e session, Rapport
du Groupe de travail sur l’Examen périodique universel, Maurice, document de l’ONU A/HRC/25/8
(23 déc. 2013), par. 66 (recommandant le retour des Chagossiens) (Dossier No. 343); Commission des droits de
l’homme, Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, 52e session, 23e séance,
Compte rendu analytique, document de l’ONU E/CN.4/Sub.2/2000/SR.23 (30 mai 2001), pars. 7, 9, 16, 19
(commentant l’expulsion forcée) (Dossier No. 348); Commission des droits de l’homme, Sous-commission de la
promotion et de la protection des droits de l’homme, 53e session, Compte rendu analytique de la 17e séance,
document de l’ONU E/CN.4/Sub.2/2001/SR.17 (18 fév. 2002), par. 55 (idem) (Dossier No. 349); Commission des
droits de l’homme, Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, 56e session, Compte
rendu analytique de la 7e séance, document de l’ONU E/CN.4/Sub.2/2004/SR.7 (6 juillet 2005), par. 29 (ONG
commentant l’expulsion forcée) (Dossier No. 356); Commission des droits de l’homme, Sous-commission de la
promotion et de la protection des droits de l’homme, 51e session, 23e séance, Droits de l’homme des peuples
autochtones: Rapport du Groupe de travail sur les populations autochtones sur sa dix-septième session, document
de l’ONU E/CN.4/Sub.2/1999/19 (12 août 1999), par. 63 (faisant référence au souhait des Chagossiens de retourner
dans l’Archipel des Chagos) (Dossier No. 360); Assemblée générale de l’ONU, 66e session, Rapport du Comité pour
l’élimination de la discrimination raciale relatif à ses 78e et 79e sessions, document de l’ONU A/66/18 (2011),
p. 115(12) (exprimant des préoccupations au sujet de l’interdiction aux Chagossiens de retourner dans l’Archipel des
Chagos) (Dossier No. 374); Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Rapports soumis par les États
parties en application de l’article 9 de la Convention – 15e à 19e rapports périodiques des États parties devant être
soumis en 2009: Maurice, document de l’ONU CERD/C/MUS/15-19 (16 mai 2012), par. 16 (idem) (Dossier No. 377);
Comité des droits de l’homme de l’ONU, Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article
40 du Pacte – Cinquièmes rapports périodiques des États parties attendus en 2010: Maurice, document de l’ONU
CCPR/C/MUS/5 (23 mai 2016), pars. 8, 10 (idem) (Dossier No. 402); Comité contre la torture, 46e session,
998e séance, Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention:
Troisième rapport périodique de Maurice, document de l’ONU CAT/C/SR.998 (19 mai 2011), par. 4 (référence au
droit au retour et à des indemnités des Chagossiens) (Dossier No. 403).
172
4.128 L’exposé écrit du Royaume-Uni fait erreur en indiquant qu’‘‘afin de pouvoir
examiner la question, la Cour aura probablement besoin de disposer de
renseignements sur l’existence et la faisabilité d’un programme de réinstallation
que Maurice pourrait avoir pour ses nationaux et les intentions sous-jacentes’’.569
4.129 De tels renseignements ne sont pas nécessaires pour que la Cour puisse
rendre un avis. La deuxième question indique clairement que la demande d’avis
consultatif recherche l’avis de la Cour sur les conséquences juridiques se
rapportant à ‘‘l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice [de] mener’’ un
programme de réinstallation, parce que la décolonisation n’a pas été menée à bien,
et non pour d’autres raisons. Il appartiendra à Maurice de déterminer en temps
opportun les détails de tout plan visant à mener un programme de réinstallation,
avec l’aide de l’Assemblée générale au vu de son expérience dans ce domaine.
Néanmoins, les questions du coût et de la faisabilité de la réinstallation ne sont pas
pertinentes pour l’examen par la Cour de la question des droits et des principes
applicables. Elles n’empêcheraient certainement pas la puissance administrante de
s’acquitter de son obligation de ne pas faire obstacle aux efforts de réinstallation
entrepris par Maurice durant la période précédant la réalisation complète de la
décolonisation.
4.130 En tout état de cause, il est faux de prétendre que la réinstallation n’est pas
réalisable. Dès 1980, le ministère des Affaires étrangères britannique avait reconnu
que la réinstallation des Chagossiens serait possible lorsque l’Archipel des Chagos
serait restitué à Maurice. ‘‘[L]orsque l’Archipel des Chagos ne sera plus nécessaire
à des fins de défense, il sera cédé à Maurice, permettant ainsi aux anciens habitants
de retourner dans l’archipel s’ils le souhaitent’’.570 En outre, l’étude sur la
réinstallation la plus récente commandée par la puissance administrante, réalisée
par KPMG, a conclu qu’il n’existe aucun obstacle juridique fondamental à la
réinstallation et que les impacts environnementaux possibles peuvent être
569 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.9. (“[i]n order to be able to consider the Question, the Court would
presumably need to have information on the existence, feasibility of, and intentions behind any resettlement
programme that Mauritius might have for resettling its nationals”).
570 Note de C.C.D. Haswell du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni, département
Afrique de l’Est adressée à M. Wallace et M. Robson (30 juin 1980), p. 2 (Annexe 219).
173
attenués. Le rapport reconnaît que la pêche artisanale et le développement de
plantations de cocotiers, de même que la possibilité de développer un tourisme
haut de gamme et l’écotourisme offrent des possibilités de revenus.571
4.131 Le Royaume-Uni prétend que l’accord conclu en 1982 implique que les
Chagossiens ont renoncé à leur droit à la réinstallation dans l’Archipel des
Chagos.572 Cependant, cet accord, qui concerne les droits privés des individus, n’a
aucune incidence sur le droit de Maurice d’élaborer et de mettre en oeuvre un
programme de réinstallation. Il ne peut exonérer la puissance administrante,
conformément à ses obligations en vertu de l’article 73, de son obligation de ne
prendre aucune mesure qui ferait obstacle aux efforts de réinstallation. En effet,
interpréter l’accord privé comme un obstacle à la réinstallation serait incompatible
avec l’article 103 de la Charte des Nations Unies qui dispose qu’‘‘[e]n cas de conflit
entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte
et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières
prévaudront.’’573
4.132 En tout état de cause, dans la mesure où cet accord privé peut être interprété
comme une renonciation à des droits, cette renonciation ne s’appliquerait i) qu’à
la catégorie de personnes couvertes par l’accord ; et ii) qu’aux personnes qui l’ont
signé. Le Royaume-Uni admet que certains Chagossiens n’en sont pas signataires
et ne sont donc pas liés par ses dispositions.574
571 Le Royaume-Uni exagère largement les coûts potentiels de la réinstallation. L’étude de KPMG estime que les
coûts d’investissement s’élèveraient entre 65,4 millions de livres sterling (répartis sur trois ans) et 423,3 millions de
livres sterling (répartis sur six ans) afin de mener un plan de réinstallation pour 50 à 1.500 Chagossiens. Voir l’exposé
écrit du Royaume-Uni, Annexe 55, p. 8, 94. En décidant de ne pas permettre la réinstallation, surtout pour des raisons
de coût, le Royaume-Uni a rejeté ces chiffres et estimé que la réinstallation de cinquante Chagossiens pendant une
période de dix ans coûterait 202,1 millions de livres sterling (soit 4,04 millions de livres sterling par personne). Cela
inclut la somme de 92 millions de livres sterling pour des ‘‘coûts [non spécifiés] liés à la sécurité’’, notamment les
‘‘autorisations de sécurité’’. Exposé écrit du Royaume-Uni, Annexe 59, p 7-9.
572 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.10
573 Charte de l’ONU (1945), art. 103.
574 Maurice note que l’accord s’applique uniquement aux Chagossiens qui sont à Maurice. Voir l’exposé écrit du
Royaume-Uni, Annex 50, art. 4. On ne voit pas clairement si les 12 Chagossiens non-signataires cités par le
Royaume-Uni sont tous les Chagossiens qui ont refusé de signer les renonciations ou seulement ceux qui “sont allés
directement au bureau de la Sécurité sociale pour toucher [la] somme finale.” Voir l’exposé écrit du Royaume-Uni,
par. 9.10; Chagos Islanders v. The Attorney General [2003] EWHC 2222 (QB) (9 oct. 2003), par. 80. Le nombre réel
peut donc être plus élevé.
174
B. L’OBLIGATION D’ADMINISTRER L’ARCHIPEL DES CHAGOS AU MIEUX DES
INTÉRÊTS DE MAURICE ET DE SA POPULATION PENDANT QUE LA
DÉCOLONISATION EST MENÉE À BIEN
4.133 Maurice a précédemment indiqué que pendant la période avant que la
décolonisation ne soit menée à bien, la puissance administrante doit consulter
Maurice et coopérer avec celle-ci pour qu’entre autres, dès que l’avis consultatif
sera rendu: ‘‘a) l’Archipel des Chagos soit administré de manière à promouvoir le
bien-être économique du peuple mauricien ; b) Maurice bénéficie d’un accès à ses
ressources naturelles ; c) l’environnement de l’Archipel des Chagos soit pleinement
protégé ; d) Maurice participe à l’autorisation, la supervision et la réglementation
de la recherche scientifique sur et autour de l’archipel ; e) Maurice puisse présenter
ses demandes à la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies
en ce qui concerne l’archipel ; et f) Maurice puisse procéder à une délimitation des
frontières maritimes de l’archipel avec les Maldives’’.575
4.134 Maurice relève qu’aucun exposé écrit présenté à la Cour ne conteste que ces
conséquences juridiques s’appliquent pendant la période précédant l’achèvement
immédiat de la décolonisation.
C. L’OBLIGATION DE NE PAS PRÊTER AIDE OU ASSISTANCE AU MAINTIEN DE LA
SITUATION ILLICITE
4.135 Dans son exposé initial, Maurice a expliqué que le maintien de l’Archipel des
Chagos sous l’administration de la puissance administrante entraîne des
conséquences juridiques pour les États tiers et les organisations internationales, y
compris les Nations Unies. Ces conséquences découlent du caractère erga omnes
575 Exposé écrit de Maurice, par. 1.42 vi). Voir aussi ibid., pars. 7.42-7.61. (“(a) the Chagos Archipelago is
administered in a manner which promotes the economic well-being of the Mauritian people; (b) Mauritius is
afforded access to its natural resources; (c) the environment of the Chagos Archipelago is fully protected; (d)
Mauritius participates in the authorisation, oversight and regulation of scientific research in and around the
Archipelago; (e) Mauritius is allowed to make submissions to the U.N. Commission on the Limits of the Continental
Shelf in regard to the Archipelago; and (f) Mauritius is able to proceed to a delimitation of the Archipelago’s maritime
boundaries with the Maldives”).
175
du droit à l’autodétermination. Elles exigent que les États tiers et les organisations
internationales i) ne prêtent aide ou assistance au maintien de la situation qui nie
le droit à l’autodétermination;576 et ii) contribuent de manière positive à
l’achèvement immédiat de la décolonisation.577
4.136 Maurice note qu’aucun exposé écrit ne conteste ces principes généraux du
droit international. Au contraire, plusieurs exposés soutiennent qu’ils s’appliquent
en l’espèce. A titre d’exemple:
4.137 L’Union africaine considère que ‘‘la Cour devrait suivre sa pratique
constante, et donc indiquer que tous les États ont l’obligation : a. de ne pas
reconnaître la situation illicite créée par le détachement de l’Archipel des Chagos
de Maurice et le maintien de l’archipel sous l’administration britannique ; b. de ne
pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ; et c. de coopérer par
des moyens licites afin de mettre fin à cette situation illicite.’’578
4.138 L’Argentine estime que ‘‘[t]ous les États sont tenus de ne pas reconnaître la
situation illicite résultant du détachement de l’Archipel des Chagos de Maurice et
de ne pas prêter aide ou assistance’’.579
4.139 Djibouti considère que ‘‘les États tiers et les organisations internationales
sont tenus de ne pas prêter aide ou assistance au Royaume-Uni par rapport à son
administration de l’Archipel des Chagos’’ et qu’‘‘[i]ls sont également tenus de
favoriser positivement le processus de décolonisation en facilitant le transfert de
son administration à Maurice’’.580
576 Ibid., par. 7.64.
577 Ibid., par. 7.66.
578 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 250. (“the Court should follow its consistent practice, and, thus, indicate
that all States have the obligation: a. not to recognise the illegal situation created by the separation of the Chagos
Archipelago from Mauritius and the continued British administration of the former; b. not to render aid or assistance
in maintaining that situation; and c. to cooperate through lawful means in order to bring that illegality to an end.”)
579 Exposé écrit de la République argentine, para. 68 c). (“[a]ll States are under the obligation not to recognize the
illegal situation resulting from the separation of the Chagos Archipelago from Mauritius and not to render aid or
assistance”).
580 Exposé écrit de Djibouti, par. 50 (italiques dans l’original). (“third States and international organizations are
obligated not to assist or support the United Kingdom in its administration of the Chagos Archipelago,” [and that]
176
4.140 La Namibie considère que ‘‘les États ont l’obligation de a) s’abstenir de
prêter assistance au comportement illicite, notamment en ne reconnaissant ou
n’aidant pas ou en ne tirant pas parti de la situation illicite; et b) d’aider les Nations
Unies à mettre fin immédiatement à ce comportement illicite.’’581
4.141 L’Afrique du Sud estime que ‘‘[l]’Assemblée générale des Nations Unies a
une obligation continue de mener à bien le processus de décolonisation de Maurice
et qu’un avis consultatif de la Cour lui serait utile pour s’acquitter de cette
fonction.’’582 Elle considère également qu’‘‘[e]n donnant l’avis et peu importe sa
teneur, la Cour contribuera aussi à la compréhension juridique d’une question
importante du droit international que la communauté internationale est tenue de
promouvoir, et à éliminer les conséquences tragiques du colonialisme et à
promouvoir les droits de l’homme.’’583
4.142 Ces points de vue sont clairement corrects. Comme l’a déclaré la Cour dans
son avis consultatif sur le Sud-Ouest africain, les Etats membres des Nations Unies
ont ‘‘l’obligation de reconnaître l’illégalité et le défaut de validité du maintien de la
présence sud-africaine en Namibie. Ils sont aussi tenus de n’accorder à l’Afrique du
Sud, pour son occupation de la Namibie, aucune aide ou assistance quelle qu’en
soit la forme’’.584
“[t]hey are further obligated to affirmatively promote the decolonization process by facilitating the transfer of
administration to Mauritius”).
581 Exposé écrit de la Namibie, p. 4. (“States have an obligation to (a) refrain from assisting the unlawful conduct,
through inter alia not recognizing, benefiting, or rendering assistance to the illegal situation; and (b) assist the UN to
bring the unlawful conduct to an immediate end.”)
582 Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 96. (“[t]he United Nations General Assembly has a continuing obligation to
complete the process of decolonization of Mauritius, and to fulfil this function, it would benefit from an advisory
opinion from the Court.”)
583 Ibid. (“[t]he Court will, by giving the opinion and notwithstanding the outcome, also contribute to the legal
understanding of a very important international law issue that the international community is obliged to advance,
and contribute to the eradication of tragic consequences of colonialism and advancement of human rights.”)
584 Sud-Ouest africain (avis consultatif), p. 54, par. 119. La Cour a indiqué que l’obligation de “non-reconnaissance
de l’administration sud-africaine” de la Namibie “ne devrait pas avoir pour conséquence de priver le peuple namibien
des avantages qu’il peut tirer de la coopération internationale.” Ibid., p. 56, para. 125.
177
4.143 L’avis consultatif de la Cour sur le Mur a rappelé que ‘‘[t]out État a
l’obligation de favoriser, conjointement avec d’autres États ou séparément, la
réalisation du principe [du] … droit [des peuples] à disposer d’eux-mêmes,
conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations
Unies, à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui
concerne l’application de ce principe…’.’’585 Par conséquent, la Cour a souligné
qu’‘‘[i]l appartient … à tous les États de veiller, dans le respect de la Charte des
Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant
de la construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à
l’autodétermination.’’586
***
4.144 En conclusion, la deuxième question demande à la Cour de donner son avis
sur les conséquences en droit international découlant du maintien de l’Archipel des
Chagos sous l’administration de la puissance administrante, y compris les
conséquences juridiques pour les États.
4.155 Rien, dans aucun exposé écrit, ne contredit le fait que:
1) le maintien de l’Archipel des Chagos sous l’administration de la
puissance administrante est un acte illicite continu auquel il doit, et
peut, être mis fin immédiatement.
2) pendant la brève période précédant l’achèvement immédiat du
processus de décolonisation, la puissance administrante ne devrait
prendre aucune mesure qui entraverait les efforts de Maurice de
réinstaller d’urgence ses nationaux d’origine chagossienne dans
l’Archipel des Chagos.
585 Édification d’un mur (avis consultatif), p. 199, para. 156.
586 Ibid., p. 200, par. 159.
178
3) la puissance administrante est tenue de consulter Maurice et coopérer
avec celle-ci pour entre autres a) promouvoir le bien-être
économique du peuple mauricien ; b) donner accès à Maurice aux
ressources naturelles de l’Archipel des Chagos ; c) assurer que
l’environnement de l’Archipel des Chagos soit pleinement protégé ;
d) permettre à Maurice de participer à l’autorisation, la supervision et
la réglementation de la recherche scientifique sur et autour de
l’archipel ; e) permettre à Maurice de présenter ses demandes à la
Commission des limites du plateau continental des Nations Unies en
ce qui concerne l’archipel ; et f) permettre à Maurice de procéder à
une délimitation des frontières maritimes de l’archipel avec les
Maldives.
4) les États tiers et les organisations internationales ont l’obligation de
ne pas reconnaître la situation illicite existante ou de ne pas prêter
assistance à la puissance administrante à la maintenir. Au contraire, ils
sont tenus positivement de contribuer à la réalisation complète et
définitive de la décolonisation de Maurice.
179
Conclusions
Pour les motifs énoncés dans son exposé écrit du 1er mars 2018 et élaborés
davantage dans les présentes observations écrites, Maurice soutient ce qui suit :
1) La Cour a compétence pour rendre l’avis consultatif qui lui a été demandé et
il n’y a aucune raison pour qu’elle refuse d’exercer cette compétence;
2) En raison de la séparation de l’Archipel des Chagos de Maurice, le processus
de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien en
conformité avec le droit international lorsque l’indépendance lui fut
octroyée en 1968, et n’a pas été achevé à ce jour; et
3) En ce qui concerne les conséquences, le droit international exige que:
a) le processus de décolonisation de Maurice soit achevé immédiatement,
y compris par la fin de l’administration de l’Archipel des Chagos par le
Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, afin que Maurice
puisse exercer sa souveraineté sur la totalité de son territoire;
b) Maurice puisse mettre en oeuvre avec effet immédiat un programme
pour la réinstallation sur l’Archipel des Chagos de ses ressortissants, en
particulier ceux d’origine chagossienne;
c) aucun État ne prête une aide ou assistance qui entraverait la réalisation
complète du processus de décolonisation;
d) les Nations Unies, et en particulier l’Assemblée générale, prennent
toutes les mesures nécessaires en vue de permettre la réalisation
complète du processus de décolonisation sans plus tarder.
4) En outre, la Cour est invitée à rendre un avis sur toute mesure de réparation
ou sur d’autres mesures qui pourraient s’avérer nécessaire au vu de
l’ensemble des circonstances.
15 mai 2018
Dheerendra Kumar Dabee G.O.S.K., S.C.
Solicitor-General de Maurice
180
Attestation
Je certifie que les copies des documents annexés aux présentes observations
écrites sont conformes aux documents originaux.
15 mai 2018
Dheerendra Kumar Dabee G.O.S.K., S.C.
Solicitor-General de Maurice
181
LISTE DES ANNEXES
VOLUME II
ANNEXES
Annexe 201 Royaume-Uni, OPD Paper, Mauritius Defence Agreement
(non daté)
Annexe 202 Royaume-Uni, Draft OPD Paper, Mauritius Defence Agreement
(incluant des annotations manuscrites) (non daté)
Annexe 203 Note du Crown Law Office (non datée)
Annexe 204 Chambre des Lords du Royaume-Uni, deuxième lecture, Cayman
Islands and Turks and Caicos Islands Bill, vol. 207, cc617-23
(11 fév. 1958)
Annexe 205 Royaume-Uni, Cayman Islands and Turks and Caicos Islands Act
1958 (20 fév. 1958)
Annexe 206 Royaume-Uni, Comité en charge de la politique de défense et
d’outre-mer, Mauritius – Constitutional Developments: Note by the
Secretary of State for the Colonies, OPD (65) (mai 1965)
Annexe 207 Royaume-Uni, Comité en charge de la politique de défense et
d’outre-mer, Minutes of a Meeting held at 10 Downing Street,
S.W.1, on Wednesday, 2nd June, 1965, at 10:30 a.m., OPD (65) 28th
Meeting (2 juin 1965)
Annexe 208 Note de J.O. Wright adressée à J.W. Stacpoole du bureau des
Colonies (21 sept. 1965)
182
Annexe 209 Royaume-Uni, Comité en charge de la politique de défense et
d’outre-mer, Minutes of a Meeting held at 10 Downing Street,
S.W.1, on Thursday, 23rd September, 1965, at 4 p.m., OPD (65) 41st
Meeting (23 sept. 1965)
Annexe 210 Télégramme de T. Smith adressé à J. Rennie, gouverneur de
Maurice, no 234 (1er octobre 1965)
Annexe 211 Lettre de J. Rennie, gouverneur de Maurice, adressée à
A. Greenwood, secrétaire d’État aux Colonies du Royaume-Uni,
CO 1036/1253 (15 nov. 1965)
Annexe 212 Assemblée législative de Maurice, Written Answers to Questions,
Diego Garcia – Sale or Hire, No. A/33 (14 déc. 1965)
Annexe 213 Rapport de J. Rennie, gouverneur de Maurice, adressé à
H. Bowden, secrétaire d’État aux Affaires du Commonwealth
(23 janvier 1967)
Annexe 214 Note de A.J. Fairclough adressée à T. Smith (7 fév. 1967)
Annexe 215 Note de T. Smith adressée à Sir Arthur Galsworthy (14 fév. 1967)
Annexe 216 Note de A.J. Fairclough adressée à T. Smith, avec en annexe une
note sur Considerations arising from and since the 1965
Constitutional Conference related to the question of Independence
(14 fév. 1967)
Annexe 217 Note de E.M. Rose adressée à Sir Burke Trend (20 oct. 1967)
Annexe 218 Lettre de P.A. Carter adressée à E.G. Le Tocq du ministère des
Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni,
département Afrique de l’Est, FCO 83/18 (5 fév. 1971)
Annexe 219 Note de C.C.D. Haswell du ministère des Affaires étrangères et du
Commonwealth du Royaume-Uni, département Afrique de l’Est
adressée à M. Wallace et M. Robson (30 juin 1980)
183
Annexe 220 Royaume-Uni, Diego Garcia: Translation of Ramgoolam’s remarks
at a press conference (given in Creole) on 26 July 1980 (26 juillet
1980)
Annexe 221 Lettre de S.H. Innes du ministère des Affaires étrangères et du
Commonwealth du Royaume-Uni, département Afrique de l’Est
adressée à J.J. Bevan de la mission britannique auprès de l’ONU à
New York (7 oct. 1980)
Annexe 222 Chambre des Lords du Royaume-Uni, débat, Diego Garcia: Future,
vol. 415, cc389-90 (3 déc. 1980)
Annexe 223 Télégramme de Thomson adressé au ministère des Affaires
étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni, département
Afrique de l’Est, no 42 (19 janvier 1981)
Annexe 224 Lettre de R.C. Masefield adressée, au nom du secrétaire d’Etat aux
Affaires intérieures, à J.E. Doble du département de l’information,
ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth du
Royaume-Uni (9 août 1982)
Annexe 225 Chambre des Lords du Royaume-Uni, débat, Diego Garcia: Minority
Rights Group Report, vol. 436, cc.397-413 (11 nov. 1982)
Annexe 226 Note de W.N. Wenban-Smith, ‘‘commissaire’’ du ‘‘BIOT’’, adressée
à M. Watts, conseiller juridique adjoint, ministère des Affaires
étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni
(15 fév. 1983)
Annexe 227 Lettre de J.N. Allan, haut-commissaire britannique à Port Louis,
adressée à W.N. Wenban-Smith, ‘‘commissaire’’ du ‘‘BIOT”
(10 mars 1983)
184
Annexe 228 Note de C.A. Whomersley, service juridique du ministère des
Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni,
adressée à M. Hunt du ministère des Affaires étrangères et du
Commonwealth du Royaume-Uni, département Afrique de l’Est
(21 juillet 1983)
Annexe 229 Note de D.I. Campbell du ministère des Affaires étrangères et du
Commonwealth du Royaume-Uni, département Afrique de l’Est,
adressée à A. Watts, conseiller juridique adjoint, ministère des
Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni
(26 juillet 1983)
Annexe 230 Lettre de J.N. Allan, haut-commissaire britannique à Port Louis,
adressée à W.N. Wenban-Smith, ‘‘commissaire’’ du ‘‘BIOT’’
(16 déc. 1983)
Annexe 231 Lettre de W.N. Wenban-Smith, ‘‘commissaire’’ du ‘‘BIOT’’, adressée
à J.N. Allan, haut-commissaire britannique à Port Louis (10 fév.
1984)
Annexe 232 J. Addison et K. Hazareesingh, A New History of Mauritius
(2ème partie de l’extrait) (1993)
Annexe 233 Jocelyn Chan Low, ‘‘The making of the Chagos Affair: Myths and
Reality’’, paru dans EVICTION FROM THE CHAGOS ISLANDS
(S. Evers & M. Kooy eds, 2011)
Annexe 234 John Tasioulias, ‘‘Custom, jus cogens, and human rights’’, à paraître
dans CUSTOM’S FUTURE: INTERNATIONAL LAW IN A CHANGING WORLD
(20 mars 2015)
Annexe 235 N. Wenban-Smith et M. Carter: Chagos: A History – Exploration,
Exploitation, Expulsion (2016)
Observations écrites de Maurice