Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL
DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DU GUATEMALA
Mai 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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I. COMPÉTENCE, RECEVABILITÉ ET OPPORTUNITÉ JUDICIAIRE .................................................... 1
II. LE GUATEMALA ET LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION ........................................................ 2
III. L’AUTODÉTERMINATION ET L’ARCHIPEL DES CHAGOS ........................................................... 3
IV. LES QUESTIONS ......................................................................................................................... 4
1. Conformément à l’ordonnance du 17 janvier 2018 rendue par la Cour, la République du
Guatemala présente les observations écrites suivantes dans le cadre de la procédure relative à la
demande d’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de
Maurice en 1965.
2. Conformément à la lettre circulaire n° 150097 en date du 5 mars 2018, outre la
République du Guatemala, trente et un (31) autres participants ont présenté des exposés écrits.
3. La République du Guatemala a donc l’honneur de présenter ses observations écrites dans
le plus grand respect de l’efficacité procédurale.
I. COMPÉTENCE, RECEVABILITÉ ET OPPORTUNITÉ JUDICIAIRE
4. Après avoir scrupuleusement examiné chaque exposé écrit, la République du Guatemala
n’a trouvé aucune raison justifiant qu’elle présente de nouveaux arguments concernant la
compétence et la recevabilité de la demande d’avis consultatif en sus de ceux qu’elle a fournis dans
son exposé écrit du 1er mars 2018.
5. Si maints arguments présentés par d’autres participants concernent bien les questions de la
compétence, de la recevabilité et de l’opportunité judiciaire, et que dans plusieurs autres exposés
écrits certains participants préconisent que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire afin de ne
pas répondre1 à la demande de l’Assemblée générale des Nations Unies, la République du
Guatemala affirme toutefois, comme elle l’a exprimé dans son exposé écrit, que la Cour sera
convaincue que les conditions établissant qu’elle a compétence pour répondre à la demande d’avis
consultatif sur la base de la résolution 71/292 sont remplies. Dans le même temps, et compte tenu
également des points déjà présentés dans les exposés écrits sur la question de la liberté
d’appréciation, la Cour jugera qu’il n’y a aucune raison décisive pour qu’elle exerce son pouvoir
discrétionnaire afin de ne pas donner son avis consultatif et que, encore une fois, comme elle n’a
jamais cessé de le faire, elle assumera son rôle consultatif en qualité d’organe judiciaire principal
de l’Organisation des Nations Unies.
1 Voir, par exemple, exposés écrits du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, d’Israël, des
Etats-Unis d’Amérique, de l’Australie, du Chili, de la République de Corée, etc.
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II. LE GUATEMALA ET LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION
6. Dans son exposé écrit du 1er mars 2018, la République du Guatemala a indiqué clairement
qu’elle formulerait uniquement des remarques d’ordre général et préliminaire sur les éléments de
fond que recouvrent les deux questions soulevées par la demande, se réservant le droit de
développer ses arguments sur ces questions dès qu’elle en ressentirait la nécessité, et qu’elle
fournirait de nouvelles informations au stade des observations écrites. La République du Guatemala
soumet donc les informations ci-après, étant entendu que celles-ci concernent uniquement la
présente demande d’avis consultatif.
7. Depuis 1945, le Guatemala a toujours pris activement position dans le domaine du droit à
l’autodétermination. En raison des sensibilités qui se manifestent depuis son émancipation de
plusieurs siècles de domination coloniale, le Guatemala a fait preuve de toute la diligence voulue
lors de l’émergence et durant toute l’évolution de ce droit. Fort d’une telle histoire, le Guatemala se
trouve, selon lui, dans une position privilégiée pour débattre de la présente situation.
8. Membre fondateur de l’Organisation des Nations Unies et participant actif aux
négociations menées autour de la Charte des Nations Unies à la conférence de San Francisco, le
Guatemala a contribué à l’émergence du droit à l’autodétermination dans le système onusien. Ce
droit, tel qu’il est énoncé au paragraphe 2 de l’article 1 et à l’article 55 de la Charte, allait devenir
l’un des piliers du processus de décolonisation.
9. Il est vrai que, avant l’adoption de la Charte, l’autodétermination n’était pas considérée
comme une règle de droit pleinement acceptée, mais était qualifiée de «principe de justice et de
liberté, énoncée en des termes vagues et généraux»2, qu’il ne fallait pas considérer «comme une
règle positive du droit des gens»3, et à laquelle un ancien président de la Cour, dans ses premiers
écrits, a refusé d’accorder un caractère pleinement juridique, la décrivant comme un «principe
essentiellement politique»4. Cependant, dès l’adoption susmentionnée de la Charte des
Nations Unies, la notion d’autodétermination est née et est devenue une règle du droit international.
10. En 1945, le Guatemala s’était montré particulièrement actif dans les négociations qui
s’étaient tenues lors de la Commission II, puis pour établir le régime de tutelle. Depuis lors, le
Guatemala a continué de diriger une attention toute particulière à la portée du droit à
l’autodétermination, ainsi qu’en témoignent ses différentes interventions5.
11. Quelques années plus tard, en 1960, le Guatemala a apporté une fois de plus sa
contribution en soutenant l’adoption de la résolution 1514 (XV). Il a voté en faveur de la résolution
avec 88 autres Etats. Lors des débats qui ont précédé ce vote, le Guatemala a réaffirmé la position
qu’il avait prise en 1945 en proposant de modifier le paragraphe 6 du projet de résolution6.
2 Résolution du Conseil de la Société des Nations du 24 juin 1921, treizième session.
3 Antonio Cassese, Self-Determination of People, a legal reappraisal, Cambridge University Press, p. 28.
4 R.Y. Jennings, The Acquisition of Territory in International Law, Manchester University Press, p. 96.
5 Documents de la conférence des Nations Unies sur l’organisation internationale, San Francisco, 1945, vol. X,
p. 477-499.
6 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/L.325.
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12. Les rédacteurs de ce projet ont garanti au Guatemala que le paragraphe 6 couvrait déjà
entièrement les idées sous-jacentes à sa proposition. Lesdites garanties une fois consignées7, le
Guatemala a retiré la modification qu’il avait proposée et a voté en faveur de la résolution8. Ces
garanties ont résisté à l’épreuve du temps, au point que plusieurs des Etats qui avaient poussé le
Guatemala à abandonner la modification qu’il avait proposée ont recouru plus tard dans l’histoire à
son interprétation au moment de revendiquer à nouveau les territoires sous domination coloniale,
les ont réintégrés à leur territoire et ont ainsi retrouvé leur intégrité territoriale.
13. Ainsi qu’il l’a exprimé dans son exposé écrit, le Guatemala a fait apparaître sa position
d’autant plus clairement dans l’affaire relative à l’avis consultatif concernant le Sahara occidental
dont a été saisie la Cour, lorsque, dans l’exposé écrit présenté dans cette affaire, il a repris sa
première interprétation du paragraphe 6 de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux9.
14. De par ses actes, le Guatemala n’a cessé de s’efforcer d’éviter que le droit à
l’autodétermination ne devienne une arme. Cet emploi abusif a été évoqué par des spécialistes du
droit public, dans des affaires de déstabilisation interne et externe de pays et de gouvernements,
dans des affaires de fragmentation d’Etats, de sécession artificielle, et d’entrave à la restitution de
territoires soumis illicitement au colonialisme par des pays impérialistes sous prétexte des
conséquences de l’autodétermination. Le Guatemala a affirmé que l’intégrité territoriale des Etats
ne pouvait se permettre d’être mise en péril par une mise en oeuvre malintentionnée du principe de
l’autodétermination : «le principe d’autodétermination d’une nation a été invoqué pour détruire
l’intégrité souveraine d’Etats et il menace même à présent nombre d’entre eux»10.
15. La situation de l’archipel des Chagos ne relève d’aucune des catégories susmentionnées.
III. L’AUTODÉTERMINATION ET L’ARCHIPEL DES CHAGOS
16. L’histoire de l’archipel des Chagos11 ne laisse aucun doute quant au droit de Maurice de
recouvrer l’intégralité du territoire qui le constituait à l’époque coloniale. Du territoire inhabité
qu’il était à l’occupation hollandaise, en passant par la colonisation française puis britannique,
jusqu’à l’accession, pour finir, à une indépendance motivée par l’autodétermination, mais à une
réserve près : la perte de l’archipel des Chagos.
17. Jusqu’à sa séparation, l’archipel des Chagos n’a jamais été perçu comme une unité
distincte et n’a jamais été administré comme telle dans la pratique. Par conséquent, les allégations
selon lesquelles il aurait accédé à une existence distincte ou constituerait une entité séparée12 du fait
qu’on le qualifie de «dépendance» devraient être rejetées.
18. Avant même que le monde n’assiste à la cristallisation du droit à l’autodétermination, il
n’existait aucun doute quant à l’étendue du territoire de Maurice, qui comprenait bien entendu
7 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/PV.1945, p. 1271.
8 Ibid., p. 1273-1274.
9 Sahara occidental, avis consultatif, exposé écrit du Gouvernement du Guatemala, 11 mars 1975.
10 Jamie Trinidad, Self-Determination in Disputed Colonial Territories, Cambridge University Press 2018, p. 11.
11 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, exposé écrit de Maurice.
12 Ibid., exposé écrit du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, par. 2.12-2.29.
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l’archipel des Chagos, ni quant à son traitement en tant qu’unité distincte. Aucun autre Etat n’a
contesté ces faits ou ne s’est opposé à cet argument.
19. C’est alors (au moment de l’émergence et de la cristallisation du droit à
l’autodétermination) et compte tenu de cette étendue-là (l’intégralité du territoire colonial de
Maurice) que Maurice aurait dû constituer une unité dotée du droit à l’autodétermination,
comprenant notamment l’archipel des Chagos, et que tout démembrement de cette unité aurait dû
représenter un acte à l’encontre du processus de décolonisation. Car tel était bien le cas.
20. La résolution 2066 (XX) indique clairement que la séparation de l’archipel des Chagos a
été effectuée à rebours de la résolution 1514 (XV) et du processus de décolonisation tel qu’il avait
été prescrit : aucune autre raison, droit ou litige pendant valable ne pourrait expliquer la séparation
de l’archipel des Chagos si ce n’est la négation du droit de Maurice à l’autodétermination dans tous
ses aspects.
21. Des documents britanniques de l’époque, émis avant, pendant et après la séparation,
donnent un aperçu clair de la compréhension que la puissance coloniale avait de ses propres actions
et du contraste net entre ces actions et les règles en vigueur concernant la décolonisation. Toute
qualification devient superflue lorsqu’on voit avec quelle clarté et quelle transparence ces
documents en expriment les actions, les motivations et les objectifs.
22. Hier comme aujourd’hui, l’archipel des Chagos a toujours fait partie intégrante du
territoire de Maurice, de même que les Chagossiens ont toujours fait partie intégrante du peuple
mauricien. L’expulsion par la force des Chagossiens de l’archipel montre d’autant plus clairement
que leur bien-être, tel que garanti par l’article 73 de la Charte des Nations Unies, n’a pas été pris en
compte, et que l’expression libre et authentique de la volonté des peuples13 (chagossien et
mauricien) n’a pas été assurée ni respectée.
IV. LES QUESTIONS
23. Aux fins de s’acquitter de sa fonction consultative, sans empiéter sur son rôle exécutif, la
Cour doit répondre aux points qui lui sont présentés dans les questions, dans l’optique d’orienter et
d’aider l’Assemblée générale à s’acquitter de ses propres tâches.
24. Par conséquent, s’agissant de la première question, l’élément sur lequel l’Assemblée
générale demande un avis concerne le point précis de savoir si, dans le cas de Maurice, le processus
de décolonisation prescrit par la résolution 1514 (XV) et les résolutions pertinentes, principes et
normes applicables qui se sont ensuivis, a été (validement) mené à bien ou pas, compte tenu de la
séparation de l’archipel des Chagos en 1965.
25. Ainsi qu’elle l’a déclaré dans son exposé écrit, la République du Guatemala est
convaincue que la Cour répondra par la négative à la question posée, en s’appuyant sur l’analyse
des principes, normes, instruments et faits pertinents, et notamment, en premier lieu, sur le
maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni. Avant sa séparation et
jusque lors, l’archipel (à savoir son territoire et sa population) a toujours fait partie intégrante du
territoire colonial de Maurice.
13 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, par. 55.
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26. Compte tenu de la grande renommée des auteurs de l’opinion individuelle et dissidente
dans l’Arbitrage concernant les Chagos, le Guatemala demande respectueusement à la Cour de
prêter attention aux conclusions qui y ont été formulées concernant la séparation de l’archipel des
Chagos et l’expulsion, par la force, des Chagossiens14.
27. S’agissant de la seconde question, le Guatemala souhaiterait se référer à son exposé écrit
dans lequel il compte que la Cour considérera que le maintien de l’archipel des Chagos sous
l’administration du Royaume-Uni est un acte illicite qui persiste depuis qu’il est séparé de Maurice,
se poursuit encore aujourd’hui, et se poursuivra jusqu’à ce que le Royaume-Uni restitue enfin
l’archipel des Chagos à Maurice.
28. La Cour jugera certainement qu’une réponse négative à la première question produira de
nouvelles conséquences en droit international. Il lui est bien sûr loisible de les préciser davantage,
tout en gardant à l’esprit que sa réponse est également destinée à l’Assemblée générale, qu’elle a
pour rôle d’aider à s’acquitter de ses propres tâches.
29. Pour les motifs qui précèdent, le Guatemala tient respectueusement à présenter à la Cour
les arguments suivants :
a) La Cour devrait conclure qu’elle a compétence pour connaître de la demande d’avis consultatif
présentée dans la résolution 71/292 de l’Assemblée générale.
b) La Cour devrait conclure qu’il n’y a aucune raison décisive justifiant qu’elle use de son pouvoir
discrétionnaire pour refuser de rendre l’avis consultatif demandé.
c) La Cour devrait conclure que, en 1968, en raison de la séparation de l’archipel des Chagos et du
maintien de celui-ci sous l’administration du Royaume-Uni, la décolonisation de Maurice n’a
pas été validement menée à bien.
d) La Cour devrait conclure que le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du
Royaume-Uni constitue un acte illicite qui se perpétue et auquel il doit être mis fin grâce à la
restitution immédiate de l’archipel des Chagos à Maurice, ce qui permettrait à celle-ci de
retrouver son intégrité territoriale.
L’ambassadeur,
représentante de la République du Guatemala,
(Signé) Gladys Marithza RUIZ SÁNCHEZ DE VIELMAN.
___________
14 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), Cour permanente
d'arbitrage, opinion individuelle et dissidente de MM. les juges Kateka et Hoffmann, https://pcacases.com/web/
sendAttach/1570.
Observations écrites du Guatemala