Observations écrites de l'Union africaine

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169-20180515-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15245
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL
DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
ORDONNANCE DU 14 JUILLET 2017
ORDONNANCE DU 17 JANVIER 2018
OBSERVATIONS ÉCRITES DE L’UNION AFRICAINE
SUR LES AUTRES EXPOSÉS ÉCRITS
(PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 66
DU STATUT DE LA COUR)
15 mai 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
PARTIE I. REMARQUES PRÉLIMINAIRES................................................................................... 1
I. Introduction .............................................................................................................................. 1
II. La pertinence limitée des faits en l’espèce ............................................................................... 2
III. Des éléments probants confirment que le processus de décolonisation de Maurice a été
considéré comme illicite et incomplet en droit international coutumier .................................. 4
PARTIE II. LA COUR EST COMPÉTENTE POUR DONNER L’AVIS CONSULTATIF
DEMANDÉ ................................................................................................................................... 8
I. Introduction .............................................................................................................................. 8
II. Il n’existe pas de raisons décisives qui empêchent la Cour de donner l’avis consultatif
demandé .................................................................................................................................. 9
A. L’Assemblée générale n’entend pas établir de droits territoriaux ...................................... 9
B. L’avis demandé ne tourne pas le principe du consentement au règlement judiciaire ....... 13
C. La requête ne porte pas sur un différend bilatéral ............................................................. 14
D. La procédure consultative est faite pour trancher des points de fait complexes et
litigieux ............................................................................................................................. 17
E. L’avis aidera l’Assemblée générale dans l’exercice de ses fonctions .............................. 19
Conclusion : il conviendrait que la Cour n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire de
ne pas donner d’avis consultatif ........................................................................................ 22
PARTIE III. LES QUESTIONS SONT CLAIRES ET LIÉES L’UNE À L’AUTRE ET IL
CONVIENDRAIT D’Y RÉPONDRE PLEINEMENT ............................................................... 24
I. Le champ d’application de la requête .................................................................................... 24
II. Les questions sont claires et n’ont pas à être reformulées ..................................................... 25
A. Le principe : la Cour reformulera une question uniquement en tant que de besoin
(in claris non fit interpretatio) .......................................................................................... 25
B. Les questions sont spécifiques et appropriées .................................................................. 30
III. Les questions posées à la Cour sont clairement liées l’une à l’autre et il convient que la
Cour réponde intégralement aux deux questions ................................................................... 32
PARTIE IV. LA SÉPARATION ILLICITE DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE
MAURICE CONSTITUAIT UNE VIOLATION DU DROIT À
L’AUTODÉTERMINATION ET À L’INTÉGRITÉ TERRITORIALE DE MAURICE ........... 35
I. Introduction ............................................................................................................................ 35
- ii -
II. L’existence du droit à l’autodétermination en droit international coutumier en 1965 ........... 35
III. Le droit à l’autodétermination était et demeure intrinsèquement lié au droit à
l’intégrité territoriale .............................................................................................................. 39
IV. La décolonisation de Maurice n’a pas été validement menée à bien en 1968 ...................... 47
V. Il conviendrait que la Cour ait recours à une perspective globale pour établir les
conséquences juridiques du maintien de l’administration illicite de l’archipel des
Chagos .................................................................................................................................. 51
PARTIE V. CONCLUSIONS ET ARGUMENTATION FINALE .................................................. 57
___________
PARTIE I
REMARQUES PRÉLIMINAIRES
I. INTRODUCTION
1. L’Union africaine a l’honneur de faire tenir à la Cour, conformément au paragraphe 4 de
l’article 66 du Statut et aux ordonnances de la Cour en date des 14 juillet 2017 et 17 janvier 2018,
ses observations écrites sur les autres exposés écrits (ci-après les «observations écrites») eu égard
aux questions posées à la Cour sollicitant son avis consultatif concernant les Effets juridiques de la
séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, en application de la
résolution A/RES/71/292 de l’Assemblée générale des Nations Unies1. Ladite résolution a été
adoptée à une large majorité des voix des Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies.
2. L’exposé écrit de l’Union africaine en date du 1er mars 2018 et les présentes observations
écrites constituent ensemble la position de l’Union africaine et de ses Etats membres, soit 55 pays
africains2, sur les questions posées dans la requête3. L’Union maintient, et joint aux présentes à titre
de référence, ses écritures qui complètent et concluent son exposé écrit.
3. L’Union africaine fait observer qu’une large majorité des Etats ayant présenté des exposés
écrits relatifs aux deux questions ont adopté des vues identiques à celles de l’Union. Il est
également noté que les Etats qui n’ont pas traité du fond ont tout de même félicité l’Assemblée
générale pour ses travaux sur la décolonisation.
4. De fait, des 31 Etats ayant déposé des écritures, 21 se prononcent en faveur de la
compétence de la Cour pour donner un avis consultatif sur les questions posées par l’Assemblée
générale dans sa requête4. Pris ensemble, ils représentent plus des deux tiers des Etats ayant déposé
des exposés écrits dans la présente procédure consultative.
5. S’opposant à cette large majorité, seule une minorité d’Etats a fait valoir que la Cour
n’était pas compétente pour donner un avis sur les questions posées par l’Assemblée générale5. Il
convient de noter qu’au sein même de ce groupe d’Etats, certains n’ont pas du tout abordé la
question de la décolonisation en droit international6. Seuls deux d’entre eux, le Royaume-Uni et les
1 Résolution 71/292 de l’Assemblée générale, «Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice
sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965» (Nations Unies,
doc. A/RES/71/292 du 22 juin 2017) (la «résolution 71/292»), dossier no 7. Dans les présentes observations écrites, les
termes «séparation» et «détachement» sont utilisés indifféremment.
2 Afrique du Sud, Algérie, Angola, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cabo Verde, Cameroun, Comores,
Congo, Djibouti, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Gabon, Gambie, Guinée, Guinée équatoriale, Guinée-Bissau, Kenya,
Lesotho, Libéria, Libye, Madagascar, Malawi, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie, Mozambique, Namibie, Niger, Nigéria,
Ouganda, République arabe sahraouie démocratique, République centrafricaine, République de Côte d’Ivoire, République
démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan,
Swaziland, Tanzanie, Tchad, Togo, Tunisie, Zambie et Zimbabwe.
3 Assembly/AU/Dec.684 (XXX), décision sur l’archipel des Chagos, janvier 2018.
4 Afrique du Sud, Argentine, Belize, Brésil, Chypre, Cuba, Djibouti, Guatemala, Iles Marshall, Inde, Lesotho,
Liechtenstein, Madagascar, Maurice, Namibie, Nicaragua, Niger, Pays-Bas, Serbie, Seychelles et Viet Nam.
5 Australie, Etats-Unis, France, Israël, République de Corée et Royaume-Uni.
6 Australie, France, Israël et République de Corée.
- 2 -
Etats-Unis, ont nié l’existence du droit à l’autodétermination au moment de la séparation de
l’archipel des Chagos de Maurice7.
6. Quelques Etats ont invité la Cour à faire preuve de prudence pour établir sa compétence en
l’espèce ou s’interrogent quant à la compétence de la Cour pour donner l’avis demandé.
Néanmoins, les Etats concernés sont clairement favorables au droit à l’autodétermination et à la
nécessité de mener à bien la décolonisation de Maurice8.
7. La présente procédure vient s’ajouter aux nombreuses autres relatives à la décolonisation
en application de la Charte des Nations Unies dont la Cour connaît depuis sa création et auxquelles
elle a apporté des contributions historiques. Il est escompté, dans cette dernière vague de
décolonisation, compte tenu du peu d’affaires encore pendantes, que la Cour adopte en l’espèce une
position juridique qui fera date et confortera les décisions historiques dans lesquelles elle a
confirmé le droit international en matière de décolonisation.
II. LA PERTINENCE LIMITÉE DES FAITS EN L’ESPÈCE
8. Le contexte historique de la présente procédure, fourni notamment dans le dossier, ainsi
que par Maurice et le Royaume-Uni (les deux pays les plus au fait de l’histoire coloniale de
l’archipel des Chagos), est utile en ce qu’il indique qu’à l’instar des Français avant eux, les
Britanniques ont administré l’archipel des Chagos comme une dépendance de Maurice, considérant
l’archipel comme partie intégrante de Maurice sans interruption tout au long de la période de
domination coloniale. Le Royaume-Uni l’a d’ailleurs pleinement reconnu en déclarant que
l’archipel des Chagos serait restitué à Maurice s’il n’était plus nécessaire à des fins de défense9.
9. Ainsi, l’archipel des Chagos était relié et administré juridiquement comme partie
intégrante de Maurice jusqu’à ce qu’il en soit séparé par décret-loi (Order in Council) le
8 novembre 196510.
10. Pour autant, les récits factuels détaillés fournis par Maurice et par le Royaume-Uni
permettent de replacer l’affaire dont est saisie la Cour dans un contexte historique, d’identifier et
d’établir la date critique à laquelle il convient d’apprécier la situation juridique, et de confirmer que
l’archipel a de fait été séparé de Maurice en 1965 avant qu’elle n’obtienne son indépendance en
1968. Tous les autres arguments factuels et historiques présentent un intérêt relatif quant à l’objet
de la présente procédure.
11. Afin de lever toute ambiguïté, il est rappelé ici que la Cour ne se préoccupe pas d’établir
une «date critique» au sens donné à ce terme dans les différends territoriaux ; en effet, dans les
questions, il n’est pas demandé à la Cour de se prononcer sur des titres juridiques concurrents
relatifs à l’archipel des Chagos, comme le laissent entendre certains Etats dans leurs exposés écrits.
Elle a uniquement à se soucier d’identifier la période du contexte historique dans laquelle la
7 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.31 à 8.33, 8.41 et 8.46 ; et exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.32, 4.42,
4.47, 4.49 et 4.67.
8 Allemagne, Chili, Chine et Russie.
9 Voir par exemple l’exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.14.
10 Exposé écrit de Maurice, par. 2.15 et passim.
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requête place les questions dont est saisie la Cour et des réponses à apporter à ces questions, ainsi
que la Cour l’a fait observer par le passé dans ses avis consultatifs11.
12. L’Union africaine est d’avis que seul un fait principal, indéniable et incontesté, importe à
la Cour pour rendre son avis dans la présente procédure relative à la séparation de l’archipel des
Chagos de Maurice.
13. La requête est très précise à cet égard et toute autre interprétation serait incompatible
avec les termes clairs de son libellé. En effet, la question a), dans la partie qui nous intéresse, se lit
comme suit : «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a
obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son
territoire.» (Les italiques sont de nous.) La locution «à la suite de» dans son sens ordinaire indique
que la présente procédure devrait porter sur la «séparation de l’archipel des Chagos de Maurice», ni
plus, ni moins.
14. Ce que la Cour est en premier lieu invitée à établir est la question de savoir si la
«séparation» en question, avant l’octroi à Maurice de l’indépendance, était conforme au droit
international. La Cour est ensuite invitée à établir les conséquences juridiques de la présence
continue du Royaume-Uni à Chagos, en raison de ladite «séparation». La Cour ne devrait pas
s’encombrer d’une analyse des faits survenus ex post facto, c’est-à-dire après la séparation de
l’archipel des Chagos, qui n’ont que peu d’intérêt pour clarifier les questions de droit en jeu en
l’espèce. C’est une évidence puisque le mandat consultatif de la Cour prévoit qu’elle donne des
conseils juridiques sur des questions juridiques posées par l’Assemblée générale12.
15. De toute évidence, cela ne revient pas à dire que toute autre information factuelle
concernant le statut juridique à d’autres moments avant ou après la période de 1965 à 1968 n’ait
aucune pertinence aux fins de la présente procédure. Pour autant, cela signifie bien que pareilles
informations factuelles sont pertinentes uniquement en tant qu’elles font partie du «même ensemble
factuel complexe»13 que la question/la réalité de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice
en 1965.
16. En d’autres termes, la Cour ne devrait se préoccuper que des faits qui, de façon
indissociable, intrinsèque et extrinsèque, ont trait à la «séparation de l’archipel des Chagos de
Maurice» en 1965.
17. L’Union africaine ne souscrit pas à la vue de certains Etats selon laquelle il est possible
d’établir une analogie entre la présente procédure consultative et les questions factuellement
11 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975 (ci-après, «avis consultatif sur le Sahara occidental»),
p. 38, par. 76.
12 La Cour a relevé que «des questions «libellées en termes juridiques et soul[evant] des problèmes de droit
international ... sont, par leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit»»(Conformité au droit
international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II),
p. 403 (ci-après, «avis consultatif sur le Kosovo») ; et avis consultatif sur le Sahara occidental, par. 15).
13 L’Union africaine emprunte cette locution du droit tel qu’il a été codifié par la Cour. Cf. Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J Recueil 1997, p. 243 ; Plates-formes pétrolières
(République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998,
C.I.J Recueil 1998, p. 190 ; et Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
c. Ouganda), demandes reconventionnelles, ordonnance du 29 novembre 2001, C.I.J Recueil 2001 (II), p. 660.
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chargées soulevées dans l’avis consultatif sur le Sahara occidental14. Dans cet avis antérieur, les
questions dont était saisie la Cour exigeaient un examen factuel approfondi.
18. Une lecture rapide des questions posées à la Cour par la résolution 3292 (XXIX) de
l’Assemblée générale dans le cadre de l’avis consultatif sur le Sahara occidental fait ressortir
d’emblée la nécessité profonde et inévitable d’un examen factuel et historique à part entière. Les
questions se lisaient comme suit :
«I. Le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) était-il, au moment de
la colonisation par l’Espagne, un territoire sans maître (terra nullius) ?
Si la réponse à la première question est négative,
II. Quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc
et l’ensemble mauritanien ?» 15
A ce titre, les questions soulevaient des problématiques factuellement chargées de droit
international public, parmi lesquelles la question de savoir si le territoire, sous réserve de l’avis
consultatif, était terra nullius au moment de sa colonisation et quels étaient les liens juridiques
entre ce territoire et le Maroc et la Mauritanie.
19. Il n’est certainement pas judicieux de tenter d’établir une analogie entre les questions
soulevées dans les deux cas, la différence étant visible à l’oeil nu. En l’espèce, les questions sont
ainsi définies en termes juridiques et quasiment dépourvus de base factuelle, ainsi qu’il a déjà été
expliqué dans l’exposé écrit de l’Union africaine et dans les paragraphes ci-dessus.
20. En conséquence, la Cour est invitée à ne pas s’attarder sur les considérations factuelles et
historiques plus longtemps qu’elles ne le méritent et à passer à l’étape suivante, à savoir l’examen
juridique des questions juridiques soulevées dans la requête. Après tout, la Cour a dit qu’elle
pouvait
«être priée de donner un avis consultatif sur des questions de droit qui n’appellent
aucun prononcé ... [sur des droits et obligations existants, sur leur naissance, leur
modification, leur extinction ou encore sur les pouvoirs d’organes internationaux]
mais peuvent s’inscrire dans le cadre de problèmes plus larges, dont la solution peut
mettre en jeu de tels points»16.
III. DES ÉLÉMENTS PROBANTS CONFIRMENT QUE LE PROCESSUS DE DÉCOLONISATION DE
MAURICE A ÉTÉ CONSIDÉRÉ COMME ILLICITE ET INCOMPLET EN
DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER
21. Dans son exposé écrit, l’Union africaine a souligné que, en pratique, le processus de
décolonisation de Maurice avait toujours été considéré comme incomplet et illicite en droit
international coutumier.
14 Voir, par exemple, l’exposé écrit d’Israël, par. 3.1 et 3.21 et suiv. ; et l’exposé écrit de l’Australie, par. 55 et
suiv.
15 Avis consultatif sur le Sahara occidental, par. 75.
16 Ibid., par. 19.
- 5 -
22. Les résolutions adoptées par l’Assemblée générale entre 1965 et 1967 témoignent en
premier lieu de la pratique condamnant le processus illicite et inachevé de décolonisation de
Maurice en droit international coutumier :
i) Résolution 2066 (XX) de l’Assemblée générale en date du 16 décembre 1965 : «Invite la
Puissance administrante à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de
l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale»17.
ii) Résolution 2232 (XXI) de l’Assemblée générale en date du 20 décembre 1966 :
«Réitère sa déclaration selon laquelle toute tentative visant à détruire
partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires
coloniaux et à établir des bases et des installations militaires dans ces territoires est
incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de la
résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale»18.
23. Ainsi que la Cour l’a souligné dans les affaires relatives au Plateau continental de la mer
du Nord, la pratique à laquelle il est essentiel de s’intéresser pour résoudre un problème de droit
international est celle des «Etats intéressés»19. Il ne fait aucun doute que les Etats intéressés en
l’espèce sont, en tout premier lieu, les Etats africains, puis les Etats qui ont souffert du colonialisme
(et sont pour la plupart membres du Mouvement des pays non alignés).
24. Il conviendrait que la Cour tienne compte du corpus important de pratique développé par
les Etats africains, en tant que membres de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), puis de
l’Union africaine, ainsi que par le Mouvement des pays non alignés. La résolution dans laquelle
figure la requête prend note, dans la partie qui nous intéresse :
«des résolutions sur l’archipel des Chagos adoptées par l’Organisation de l’unité
africaine et l’Union africaine depuis 1980 et, tout récemment, à la vingt-huitième
session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine tenue à Addis-Abeba les 30 et
31 janvier 2017, ainsi que des résolutions adoptées sur le même sujet par le
Mouvement des pays non alignés depuis 1983 et, dernièrement, à la dix-septième
Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays non alignés, tenue sur l’île
Margarita (République bolivarienne du Venezuela) du 13 au 18 septembre 2016, en
particulier de la vive inquiétude qui y est exprimée au sujet de l’expulsion forcée de
17 Dossier no 146, résolution 2066 (XX) de l’Assemblée générale, Question de l’île Maurice, 16 décembre 1965,
par. 4.
18 Résolution 2232 (XXI) de l’Assemblée générale, Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de la
Dominique, de la Grenade, de Guam, des îles Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, de l’île
Maurice, des îles Salomon, des îles Samoa américaines, des îles Seychelles, des Tokélaou, des îles Turques-et-Caïques,
des îles Vierges américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de
Pitcairn, de Saint-Christophe-et-Nièves et Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent,
20 décembre 1966 (ci-après la «résolution 2232 (XXI)»), par. 4. Voir aussi dossier no 198, résolution 2357 (XXI) de
l’Assemblée générale, Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de la Dominique, de la Grenade, de Guam, des
îles Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, de l’île Maurice, des îles Salomon, des îles Samoa
américaines, des îles Seychelles, des îles Tokélaou, des îles Turks et Caïques, des îles Vierges américaines, des îles
Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de Pitcairn, de Saint-Christophe-et-Nièves et
Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent, 19 décembre 1967 (ci-après la «résolution 2357»),
par. 4.
19 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 42, par. 73.
- 6 -
tous les habitants de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord»20.
25. L’Union africaine n’a eu de cesse de déplorer «l’occupation permanente et illégale par le
Royaume-Uni de l’archipel des Chagos, ce faisant, privant la République de Maurice de l’exercice
de sa souveraineté sur l’archipel et rendant la décolonisation de l’Afrique incomplète»21 (les
italiques sont de nous). Il existe pléthore d’éléments de preuve d’une pratique constante, à l’échelle
des deux organisations panafricaines, s’agissant du processus illicite et incomplet de décolonisation
de Maurice.
26. Dès 1980, dans une résolution, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a déclaré que
Diego Garcia «a[vait] toujours été partie intégrante de Maurice» et qu’elle devrait être
«inconditionnellement retournée à Maurice»22. Toujours en 1980, l’OUA dénonçait la
«militarisation de Diego Garcia» et prenait acte de ce que «Diego Garcia n’avait pas été cédé à la
Grande-Bretagne»23. L’OUA a continué de se dire préoccupée de ce «que l’archipel des Chagos
était unilatéralement illégalement séparé … en violation de la résolution 1514 de l’Assemblée
générale des Nations Unies»24. Par la suite, l’Union africaine n’a eu de cesse de rappeler que la
séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 était contraire au droit international et aux
résolutions pertinentes de l’Assemblée générale, dont la résolution 1514, en faisant également
référence aux résolutions 2232 (XXI) et 2357 (XXII)25. L’Union a appelé le Royaume-Uni «à
mettre fin immédiatement à son occupation illégale de l’archipel des Chagos afin de permettre à
Maurice d’exercer effectivement sa souveraineté sur ledit archipel»26 (les italiques sont de nous) et
déclaré que «la décolonisation de la République de Maurice ne sera[it pas] complète tant qu’elle
n’aura pas exercé sa pleine souveraineté sur l’archipel des Chagos»27. En outre, dans la déclaration
de Malabo du sommet Afrique-Amérique du Sud, les signataires ont noté «avec une grave
inquiétude le fait que, malgré l’opposition forte de la République de Maurice, le Royaume-Uni
prétendait établir une «zone marine protégée» autour de l’archipel des Chagos, en violation du droit
international et empêchant par ailleurs la République de Maurice d’exercer sa souveraineté sur
l’archipel et le droit au retour des citoyens mauriciens déplacés de force de l’archipel par le
Royaume-Uni»28. Lors de son dernier sommet, tenu en janvier 2018, l’Assemblée a rappelé que la
situation de l’archipel devrait être appréciée à la lumière des résolutions 2232 (XXI) et 2357
(XXII), dans lesquelles il est réitéré que «toute tentative visant à détruire partiellement ou
20 Dossier no 7, résolution 71/292, sixième alinéa du préambule.
21 Résolution sur l’archipel des Chagos, Assembly/AU/Res.l (XXV), juin 2015 (ci-après, «résolution sur
l’archipel des Chagos de juin 2015»), troisième alinéa du préambule (les italiques sont de nous).
22 Résolution relative à Diego Garcia, AHG/Res.99 (XVII), juillet 1980 (ci-après, «résolution relative à
Diego Garcia»), premier alinéa du préambule et paragraphe 3 du dispositif.
23 Résolution relative à Diego Garcia, alinéas 1, 2, 4 et 5 du préambule.
24 Decision on Chagos Archipelago, AHG/Dec.159 (XXXVI), juillet 2000, par. 1.
25 Assembly/AU/Dec.331 (XV), décision sur la souveraineté de la République de Maurice sur l’archipel des
Chagos, juillet 2010, par. 1 ; Assembly/AU/Res.1 (XVI), résolution, janvier 2011, premier alinéa du préambule ;
Assembly/AU/Res.1(XXV), résolution sur l’archipel des Chagos, juin 2015, premier alinéa du préambule ; et décision sur
l’archipel des Chagos, janvier 2018, deuxième alinéa du préambule.
26 Décision sur la souveraineté de la République de Maurice sur l’archipel des Chagos, par. 1.
27 Assembly/AU/Res.1 (XXVIII), résolution sur l’archipel des Chagos, janvier 2017, troisième alinéa du
préambule.
28 Troisième sommet Afrique-Amérique du Sud, déclaration de Malabo, février 2013, par. 28.
- 7 -
totalement … l’intégrité territoriale des territoires coloniaux [dans le processus de
décolonisation] … est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.»29
27. Dans la même optique que la tendance dégagée par les deux organisations panafricaines,
il existe un corpus d’éléments tout aussi riche produit par d’autres organisations et groupements
d’Etats. A titre d’exemple, le Mouvement des pays non alignés a confirmé que l’archipel des
Chagos avait été illégalement séparé de Maurice et s’est dit gravement préoccupé de «l’exercice du
droit au retour de ressortissants mauriciens qui avaient été déplacés de force de l’archipel par le
Royaume-Uni»30. De même, le Groupe des 77 et la Chine ont indiqué dans plusieurs déclarations
que la séparation des Chagos constituait une violation du droit international et que «[l]’incapacité
de régler [des] questions de décolonisation et de souveraineté compromettrait gravement le
développement et les capacités et perspectives économiques des pays en développement»31.
28. A la connaissance de l’Union africaine, le Royaume-Uni n’a jamais réagi à ces
condamnations de l’Union africaine, du Mouvement des pays non alignés ou du Groupe des 77 et
de la Chine.
29. Toutes les considérations précitées confortent la position de l’Union africaine selon
laquelle le détachement de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 comme le maintien de
l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni sont contraires au droit international.
30. Dans les présentes observations écrites, l’Union africaine montrera d’abord que la Cour
est compétente pour donner l’avis consultatif qui lui est demandé et qu’il n’existe aucune raison
décisive l’empêchant de le faire (partie II). Ensuite, l’Union africaine expliquera que les deux
questions posées par l’Assemblée générale dans sa requête sont claires et liées l’une à l’autre et
qu’il convient d’y répondre pleinement (partie III). L’Union africaine souligne que la séparation
illégale des Chagos de Maurice est une violation à la fois du droit à l’autodétermination et de
l’intégrité territoriale de Maurice et que, par voie de conséquence, il conviendrait que la Cour ait
recours à une perspective globale quant aux conséquences juridiques découlant de la séparation
illégale et du maintien de l’archipel des Chagos sous administration (partie IV).
29 Dossier no 171, résolution 2232 (XXI), par. 4 ; dossier no 198, résolution 2357 (XXII), par. 4.
30 Voir Mouvement des pays non alignés, 17th Mid-Term Ministerial Meeting of the Non-Aligned Movement.
Final Document: Chagos Archipelago (26-29 mai 2014), par. 307-309 ; Mouvement des pays non alignés, 17th Summit
of Heads of State and Govemment of the Non-Aligned Movement, Final Document: Chagos Archipelago
(17-18 septembre 2016), par. 336-337 ; Chair of the Coordinating Bureau of the Non-Aligned Movement Political
Declaration of New York (20 septembre 2017), par. 17.
31 Voir dossier no 466, conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, treizième session,
déclaration ministérielle du Groupe des 77 et de la Chine à l’occasion de la treizième session de la conférence (extrait)
(23 avril 2012) ; ministres des affaires étrangères des Etats membres du Groupe des 77, déclarations ministérielles
adoptées aux trente-sixième et trente-septième réunions des ministres des affaires étrangères des Etats membres du
Groupe des 77 (28 septembre 2012 et 26 septembre 2013) ; Groupe des 77 et Chine, sommet des chefs d’Etat et de
gouvernement du Groupe des 77, déclaration : «For a New World Order for Living Well» (14-15 juin 2014) ; Groupe
des 77 et Chine, 38e réunion annuelle des ministres des affaires étrangères, déclaration ministérielle (26 septembre
2014) ; dossier no 471, Groupe des 77 et Chine, quatorzième session, déclaration ministérielle du Groupe des 77 et de la
Chine à l’occasion de la quatorzième session de la conférence, TD/507 (17-22 juillet 2016) ; Groupe des 77 et Chine,
40e réunion annuelle des ministres des affaires étrangères, déclaration ministérielle (23 septembre 2016) ; et Groupe
des 77 et Chine, 41e réunion annuelle des ministres des affaires étrangères, déclaration ministérielle (22 septembre 2017).
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PARTIE II
LA COUR EST COMPÉTENTE POUR DONNER
L’AVIS CONSULTATIF DEMANDÉ
I. INTRODUCTION
31. Certains Etats se sont opposés à la compétence de la Cour pour connaître de la requête.
Selon eux, la requête ne satisfait pas aux critères visés à l’article 65 du Statut de la Cour, puisque la
requête ne formule pas en termes précis les questions juridiques sur lesquelles l’avis de la Cour est
demandé, mais un ersatz de ces questions32, et que l’Assemblée générale a soit outrepassé ses
pouvoirs, soit agi sans compétence aucune33.
32. Ces Etats, parmi d’autres, ont également maintenu que même si la Cour venait à conclure
à sa compétence, la question se poserait de savoir s’il conviendrait qu’elle exerce son pouvoir
discrétionnaire de ne pas donner l’avis consultatif demandé en l’espèce sur le fondement de
«l’opportunité judiciaire», puisque les «circonstances de l’espèce justifieraient l’exercice par la
Cour du pouvoir discrétionnaire –– que lui confère l’article 65 de son Statut –– de refuser de
donner suite à la demande»34. Ils invitent la Cour à ne pas donner l’avis consultatif, parce qu’il
existe plusieurs «raisons décisives» pour elle de ne pas le faire, parmi lesquelles le fait que «la
demande dont la Cour est saisie constitue une contestation fondamentale de l’intégrité des
procédures consultatives de cette instance... [et que] la décision de rendre un avis sur le fond
porterait atteinte à la fonction consultative de la Cour et contournerait le droit des Etats de
déterminer eux-mêmes les moyens de régler pacifiquement leurs différends.»35 (Les italiques sont
de nous.)
33. Les raisons données par les partisans de pareille attitude négative peuvent être
regroupées et formulées comme suit :
i) l’Assemblée générale n’a pas le droit d’établir le statut juridique de territoires ;
ii) l’avis demandé aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu
d’autoriser que les différends le concernant fassent l’objet d’un règlement judiciaire sans
son consentement ;
iii) la requête concerne un différend survenu indépendamment dans le cadre de relations
bilatérales ;
iv) la procédure consultative n’est pas faite pour trancher des points de fait complexes et
litigieux, compte tenu de l’absence de procédure contradictoire et des protections qu’offre
une procédure contentieuse ;
v) l’avis n’aidera pas l’Assemblée générale dans l’exercice de ses fonctions, puisqu’elle
n’exerce aucune attribution de fond à l’égard de l’archipel des Chagos ; et, en
conséquence,
32 Voir par exemple l’exposé écrit du Australie, par. 4.
33 Voir par exemple l’exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 29.
34 Exposé écrit d’Israël, par. 1.4.
35 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 5.1.
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vi) il conviendrait que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner d’avis
consultatif.
34. Pareils arguments malvenus sont étudiés et réfutés tour à tour.
35. Toutefois, afin de lever toute ambiguïté, l’Union africaine n’avance pas que les
prérogatives de la Cour sont entravées ou empêchées, bien que ses compétences ou l’opportunité de
rendre l’avis demandé n’aient pas été mises en doute. La Cour a dit sans ambiguïté que
«quoique l’on n’ait pas soulevé dans les exposés et observations soumis à la Cour en
la présente instance les questions de savoir si la Cour a compétence pour rendre un
avis et s’il est opportun qu’elle le fasse, la Cour les examinera tour à tour»36 (les
italiques sont de nous).
II. IL N’EXISTE PAS DE RAISONS DÉCISIVES QUI EMPÊCHENT LA COUR
DE DONNER L’AVIS CONSULTATIF DEMANDÉ
36. Il a été avancé que des «raisons décisives» empêchaient la Cour de donner l’avis
consultatif demandé pour plusieurs raisons qui sont réfutées ci-après37.
37. Or, la Cour ne peut arbitrairement refuser de donner un avis ; elle ne peut le faire que si
«les circonstances de l’espèce sont telles qu’elles doivent la déterminer à ne pas répondre à une
demande d’avis»38.
A. L’Assemblée générale n’entend pas établir de droits territoriaux
38. Il a été avancé qu’il existe un différend de longue date entre le Royaume-Uni et Maurice
concernant l’archipel des Chagos, pour ce qui est de la souveraineté39, et que l’Assemblée générale
a outrepassé ses pouvoirs en demandant l’avis consultatif de la Cour en ce qu’elle n’a pas le droit
d’établir le statut juridique de territoires, puisque l’affaire dont est saisie la Cour porte sur un
différend territorial40. En conséquence, la Cour ne serait pas compétente pour répondre à pareille
requête41. Or, cet argument est invalide pour les motifs abordés ci-après.
39. Certes, l’un des objectifs premiers de l’Union africaine est de «défendre la souveraineté,
l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses Etats membres»42, tout comme l’Organisation de
36 Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif,
C.I.J Recueil 1973, p. 171, par. 13 (ci-après, «avis consultatif sur la réformation du jugement no 158»).
37 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 7.12-7.21.
38 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72 (ci-après, «avis consultatif sur l’Interprétation des traités de paix (première
phase)»).
39 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 5.3-5.18.
40 Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 29 ; exposé écrit de la France, par. 6 ; et exposé écrit de la
République de Corée, par. 21.
41 Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 29. Voir aussi exposé écrit de la France, par. 15 ; exposé écrit de
la République du Chili, par. 4 ; et exposé écrit de la République de Corée, par. 21.
42 Acte constitutif de l’Union africaine en date du 11 juillet 2000, article 3, litt. b).
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l’unité africaine avant elle. Et de fait, c’est en cette qualité et avec cette intention que
l’Union africaine participe à la présente procédure. Toutefois, dire pourquoi et sur quoi
l’Assemblée générale formule sa demande est un tout autre argument.
40. Ainsi, l’Union africaine fait valoir que la question de la séparation de l’archipel des
Chagos de Maurice relève de la décolonisation43. A ce titre, la présente procédure ne relève ni
d’une revendication de souveraineté ni d’un différend territorial, ainsi qu’il sera démontré dans la
partie IV des présentes observations écrites. Nombre d’Etats l’ont confirmé44. Y compris parmi les
quelques exposés écrits qui soulèvent la question d’un différend bilatéral entre Maurice et le
Royaume-Uni comme raison pour la Cour de ne pas donner d’avis, certains se sont bien gardés de
caractériser le différend comme touchant à la souveraineté45.
41. En conséquence, considérer que la requête vise à établir le statut juridique de territoires
et à régler un différend relatif à la souveraineté est fallacieux, en ce qu’il n’est pas demandé à la
Cour dans les questions qui lui sont posées de se prononcer au sujet de titres juridiques concurrents
sur l’archipel des Chagos.
42. Premièrement, la raison d’être de la requête est d’obtenir de la Cour un avis que
l’Assemblée générale estime utile pour lui permettre d’exercer ses fonctions comme il se doit
concernant la décolonisation d’un territoire.
43. Les questions, telles qu’elles sont formulées dans la requête, ne relèvent pas d’un
différend territorial entre les Etats intéressés au sens propre du terme, en ce qu’elles n’appellent pas
à se prononcer sur des droits territoriaux existants ou sur une souveraineté existante sur un territoire
et ne véhiculent pas pareil sous-entendu. Elles confirment que l’Assemblée générale n’a jamais
considéré la question des Chagos comme touchant à un différend relatif à la souveraineté, mais
plutôt comme une question de décolonisation, fruit d’une violation de l’intégrité territoriale de
Maurice et d’une violation du droit du peuple mauricien, y compris des personnes d’origine
chagossienne, d’exercer son droit à l’autodétermination conformément au droit international tel
qu’il s’appliquait déjà en 1965.
44. La Cour n’est pas saisie d’une question portant sur la validité des titres territoriaux
présumés, mais de la vérification de l’achèvement juridique d’un processus juridique (la
décolonisation) et de ses conséquences. Les points soulevés par l’Assemblée générale traduisent
une préoccupation globale de la communauté internationale quant à la nécessité d’une clarté
juridique sur la portée et l’application d’un ensemble de règles de droit international dans le
contexte de la décolonisation, dont l’intégrité territoriale et le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes.
45. Le Royaume-Uni l’a d’ailleurs confirmé, en affirmant très clairement ce qui suit :
«Il apparaît que la demande d’avis a été rédigée en prenant soin d’éviter toute
mention expresse de la souveraineté, et cette demande n’invite pas expressément la
43 Voir exposé écrit de l’Argentine, par. 11 ; et exposé écrit du Brésil, par. 11.
44 Voir exposé écrit de l’Argentine, par. 11 ; exposé écrit de Djibouti, par. 22 ; exposé écrit du Guatemala,
par. 24 ; exposé écrit des Iles Marshall, par. 16 ; exposé écrit de Maurice, par. 1.38 ; et exposé écrit de l’Afrique du Sud,
par. 45.
45 Voir, par exemple, exposé écrit de la Chine, par. 13.
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Cour à émettre un avis sur la question de savoir auquel des deux Etats revient la
souveraineté, et sur celle de savoir lequel devrait la conserver ou l’acquérir et, dans ce
dernier cas, à partir de quand»46.
46. Même la seconde partie du paragraphe, qui suit celle précitée, dans laquelle le
Royaume-Uni indique que
«[n]éanmoins, il est fort difficile de voir dans ce texte autre chose qu’une
demande faite à la Cour de donner son avis sur ces points, qui font l’objet d’un
contentieux de longue date, y compris en répondant à la question b) relative aux
conséquences juridiques du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du
Royaume-Uni»47,
ne modifie pas la vue selon laquelle la requête ne concerne pas la souveraineté, en ce qu’elle a trait
aux effets du non-respect du droit international (qui emporte des conséquences), tels qu’abordés
relativement au sens de la question b) et du lien qui l’unit à la question a) plus loin dans les
présentes.
47. En conséquence, l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale entend fournir à
celle-ci l’avis juridique nécessaire sur un dossier relevant de sa compétence et de son intérêt, à
savoir l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux et la protection de leur droit
inaliénable à la souveraineté, à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale, en particulier aux fins de
la pleine application de la résolution 1514 (XV).
48. De fait, ainsi qu’il a déjà été avancé dans l’exposé écrit de l’Union africaine,
l’Assemblée générale, dans sa résolution 1514, se disait «[c]onvaincue que tous les peuples ont un
droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire
national»48. Et, par voie de conséquence, l’Assemblée a formulé une mise en garde : «Toute
tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un
pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.»49
49. La clarté de pareils convictions et commandements de l’Assemblée générale confirme
bien que la requête ne porte pas sur un différend relatif à la souveraineté territoriale, mais sur
l’incidence que peuvent avoir les questions d’intégrité territoriale sur le droit à l’autodétermination
et comment elles peuvent constituer «par une conséquence nécessaire»50 une violation du droit
international.
50. Dans ce contexte, l’Union africaine conteste toutes les affirmations selon lesquelles, par
exemple, «[e]n réalité, l’Assemblée générale demande à la Cour de statuer sur un différend bilatéral
préexistant entre le Royaume-Uni et Maurice au sujet de la souveraineté sur l’archipel des
46 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 1.20.
47 Loc. cit.
48 Dossier no 55, résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, «Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux
pays et aux peuples coloniaux» (Nations Unies, doc. A/RES/1514(XV) du 14 décembre 1960) (ci-après
«résolution 1514 (XV)»), préambule.
49 Ibid., par. 6. «L’emploi du terme «pays» au paragraphe 6 est plus large que celui des termes «Etats» ou «Etats
Membres» et copie l’emploi du terme «pays coloniaux» dans l’intitulé de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance
aux pays et aux peuples coloniaux». Voir exposé écrit de l’Argentine, par. 40.
50 Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J Recueil 1949, p. 182.
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Chagos»51, ou que le différend bilatéral préexistant «né entre le Royaume-Uni et Maurice au début
des années 1980 au sujet de la souveraineté sur l’archipel des Chagos et de questions connexes est
au coeur des questions posées par l’Assemblée générale»52. C’est là une caractérisation erronée de
la teneur de la requête. Pareil sujet ne relevait pas du mandat de l’Assemblée générale, qui n’a
jamais eu l’intention de traiter de ces points présumés.
51. La question au coeur de la présente requête est celle de savoir si le Royaume-Uni pouvait,
en vertu du droit international, tel qu’exprimé dans les résolutions pertinentes de l’Assemblée
générale, séparer les Chagos de Maurice en 1965, avant d’octroyer à Maurice son indépendance en
1968. Il ne s’agit pas d’un différend relatif à la souveraineté, mais bien des pouvoirs de l’autorité
administrante sur un territoire colonial, de la constatation de l’intégrité territoriale et de la manière
dont la violation par cette autorité de l’intégrité territoriale affecte l’exercice du droit à
l’autodétermination, ainsi qu’il sera démontré dans la partie IV des présentes observations écrites.
En droit international coutumier, l’autorité administrante n’a ni le pouvoir ni le droit de démembrer
le territoire qu’elle administre. En conséquence, le Royaume-Uni a outrepassé ses pouvoirs.
52. Il en découle que la présente procédure vise à répondre à la question de savoir en quoi le
détachement de l’archipel des Chagos en 1965, qui constitue une violation de l’intégrité territoriale
de Maurice (ainsi qu’il a déjà été souligné dans l’exposé écrit de l’Union africaine), n’est pas
conforme au droit international, et en particulier aux résolutions pertinentes de l’Assemblée
générale. Il n’est tout simplement pas question de se prononcer en l’espèce sur un quelconque
différend, et certainement pas sur un différend relatif à la souveraineté.
53. En d’autres termes, les actes et/ou omissions des deux parties à l’égard des Chagos en
1965 et par la suite relèvent pleinement des intérêts plus généraux de la communauté internationale
dans son ensemble (représentée par l’Assemblée générale) en ce qui concerne la décolonisation. Ils
ne s’inscrivent pas dans un différend relatif à la souveraineté entre Maurice et le Royaume-Uni.
54. Même à considérer l’éventualité d’un différend bilatéral entre Maurice et le
Royaume-Uni, ce qui n’est pas le cas, l’Union africaine estime important de souligner que ce n’est
pas pareil différend bilatéral relatif à la souveraineté qui a conduit à une violation du droit de la
décolonisation, mais bien l’inverse. La violation du droit à l’autodétermination et à l’intégrité
territoriale –– droit dont les Etats ont pour obligation de garantir le bon exercice –– s’est cristallisée
sous la forme d’un différend bilatéral, qui se recoupe avec un sujet de préoccupation multilatéral,
motivant la requête.
55. Même à qualifier la situation de différend territorial, ce qui n’est là encore pas le cas,
cela n’empêche pas la Cour d’exercer sa compétence en l’espèce, en ce que le détachement de
l’archipel des Chagos en 1965 révèle non seulement l’existence d’un différend relatif à la
souveraineté territoriale, mais également son inscription dans un contexte plus général, à savoir le
processus de décolonisation, sujet de préoccupation international53.
51 Exposé écrit de l’Australie, par. 5.
52 Ibid., par. 59.
53 Exposé écrit de l’Argentine, par. 29. Pareille préoccupation internationale se traduit, par exemple, par l’intérêt
affiché de l’Union africaine, du Mouvement des pays non alignés, du Groupe des 77 et de la Chine ; du Groupe des Etats
d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ; et du sommet Afrique-Amérique du Sud. Voir l’exposé écrit de Cuba, p. 1, et
l’exposé écrit de Maurice, par. 4.1.
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B. L’avis demandé ne tourne pas le principe du consentement
au règlement judiciaire
56. Il a été avancé que l’Assemblée générale ne saurait exercer sa prérogative de demander
l’avis consultatif de la Cour en outrepassant ses pouvoirs pour régler le statut juridique d’un
territoire en contournant l’accord des parties à un différend territorial54. On a fait valoir que
l’Assemblée générale, agissant à la demande de Maurice, entend tourner le consentement
obligatoire des parties en sollicitant l’avis consultatif de la Cour, alors que le Royaume-Uni et
Maurice, dans les déclarations respectives qu’ils ont déposées en application du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour, ont exclu tous les différends juridiques entre eux de la compétence
contentieuse de la Cour55. En conséquence, s’il est rendu, l’avis demandé n’aurait pas pour effet de
tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu d’autoriser que les différends le concernant
fassent l’objet d’un règlement judiciaire sans son consentement56.
57. A l’appui de pareils arguments, la jurisprudence de la Cour a été invoquée, en particulier
les avis consultatifs sur le Statut de la Carélie orientale et sur le Sahara occidental57.
58. Dès lors, avant de traiter la question de l’existence alléguée d’un différend bilatéral entre
Maurice et le Royaume-Uni, et son incidence potentielle sur l’admissibilité du recours par
l’Assemblée générale à la fonction consultative de la Cour, il convient de s’interroger d’abord sur
la question de savoir si le consentement des Etats est requis pour que cette fonction soit exercée.
59. Le fait que certains Etats, dont le Royaume-Uni, aient voté contre la
résolution A/RES/71/292 par laquelle la requête a été adoptée, au motif qu’ils ne consentaient pas à
la présente procédure, ne constitue pas une raison décisive empêchant la Cour de donner son avis
consultatif58.
60. De fait, la Cour a affirmé à plusieurs repris que son avis «est donné … non aux Etats,
mais à l’organe habilité pour le lui demander» (les italiques sont de nous)59. Elle a indiqué qu’en
devenant partie à la Charte des Nations Unies et au Statut de la Cour, un Etat donne déjà son
consentement à l’exercice par la Cour de sa compétence consultative60.
54 Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 29.
55 Exposé écrit de l’Australie, par. 14 f.
56 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 7.1 et suiv. ; exposé écrit des Etats-Unis, par. 2.21 et 3.3 ; exposé écrit
d’Israël, par. 36, 3.17 et suiv. ; exposé écrit de la Chine, par. 15 ; et exposé écrit de la France, par. 7 et 15.
57 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5, p. 27 (ci-après, «avis consultatif sur
la Carélie orientale») ; et avis consultatif sur le Sahara occidental, p. 32-33, par. 25, faisant référence à l’avis consultatif
sur l’Interprétation des traités de paix (première phase), par. 71.
58 Il ressort du compte rendu que 94 Etats Membres ont voté pour la résolution et 15 ont voté contre.
59 Avis consultatif sur l’Interprétation des traités de paix (première phase) ; et Licéité de la menace ou de
l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I) (ci-après, «avis consultatif sur les armes
nucléaires»), p. 235, par. 14.
60 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 (ci-après, «avis
consultatif sur la Namibie»), p. 23, par. 31.
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61. La Cour a également confirmé «qu’aucun Etat … n’a qualité pour empêcher que soit
donné suite à une demande d’avis dont les Nations Unies, pour s’éclairer dans leur action propre,
auraient reconnu l’opportunité»61.
62. En résumé, la Cour n’a nul besoin du consentement d’un quelconque Etat pour donner un
avis consultatif.
63. Or, telle n’est pas la question ; les Etats qui ont ainsi protesté se préoccupent en réalité du
consentement à la résolution des différends bilatéraux. Ainsi qu’il sera démontré ci-après, la
requête ne porte pas sur un différend bilatéral.
C. La requête ne porte pas sur un différend bilatéral
64. L’Union africaine ne partage pas la vue selon laquelle la présente procédure porte sur un
différend bilatéral. D’emblée, l’Union africaine tient à rappeler ce qu’a énoncé la Cour dans l’avis
consultatif sur la Namibie : «[l]e fait que … pour répondre à la question qui lui est soumise, la Cour
puisse avoir à se prononcer sur des questions juridiques au sujet desquelles les vues [des parties
intéressées] s’opposent radicalement ne suffit pas à transformer la présente affaire en un différend
et n’entraîne pas l’application des articles 82 et 83 du Règlement … Presque toutes les procédures
consultatives ont été marquées par des divergences de vues entre Etats sur des points de droit; si les
opinions des Etats concordaient, il serait inutile de demander l’avis de la Cour.»62 (Les italiques
sont de nous.) Ainsi, la Cour estime que le contexte politique controversé de la question ne justifie
pas qu’elle refuse de donner l’avis consultatif demandé.
65. L’allégation selon laquelle il existerait un différend bilatéral a été étayée au titre de deux
notions distinctes : l’origine et la caractérisation.
66. S’agissant de l’origine du différend, il a été avancé que l’on a demandé à la Cour de se
prononcer sur un différend bilatéral préexistant entre le Royaume-Uni et Maurice au sujet de la
souveraineté sur l’archipel des Chagos et de questions connexes63, et que la requête porte sur un
différend bilatéral de longue date survenu «indépendamment, dans le cadre de relations
bilatérales»64 (c’est-à-dire, indépendamment de l’Assemblée générale), par référence à la requête
pour avis consultatif sur le Sahara occidental65. Dans cette procédure antérieure, la Cour avait jugé
qu’il existait en effet une controverse juridique «mais … qui a[vait] surgi lors des débats de
l’Assemblée générale et au sujet de problèmes traités par elle»66 et non d’une controverse née
«indépendamment, dans le cadre de relations bilatérales»67.
61 Avis consultatif sur l’Interprétation des traités de paix, première phase, p. 71 ; voir aussi Applicabilité de la
section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J
Recueil 1989, p. 177, p. 188-189.
62 Avis consultatif sur la Namibie, p. 24, par. 34.
63 Exposé écrit de l’Australie, par. 5 ; exposé écrit de la France, par. 15 ; et exposé écrit du Chili, par. 4.
64 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 1.18 et aussi 5.3 et 5.22.
65 Avis consultatif sur le Sahara occidental, p. 25, par. 34
66 Loc. cit.
67 Avis consultatif sur le Sahara occidental, p. 25, par. 34.
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67. Il a été avancé que, à l’inverse des cas où la Cour a décidé de donner un avis consultatif
malgré l’existence d’un différend bilatéral de fond, parce que la position juridique des parties ne
saurait être mise en péril par les réponses de la Cour, «l’avis consultatif sollicité en l’espèce aurait
pour conséquence de compromettre les positions juridiques du Royaume-Uni et de Maurice dans
leur différend relatif à la souveraineté sur l’archipel des Chagos»68. En particulier, il a été avancé
que, pour répondre à la question b), la Cour devrait se heurter directement au point de droit
litigieux de fond entre le Royaume-Uni et Maurice, à savoir qu’il s’agit d’un différend concernant
les droits actuels des parties, qui n’a pas encore été tranché et qui a trait uniquement au différend
bilatéral existant69.
68. La présente requête trouve son origine dans les activités de l’Assemblée générale
relatives à la décolonisation et en est une conséquence directe. En l’espèce, la nature du différend a
été largement exploitée par des Etats désireux d’entraver l’exercice par la Cour de ses obligations à
l’égard de l’Assemblée générale. Certes, il existe un différend. Tout processus de décolonisation
qui n’est pas mené conformément au droit international conduit nécessairement à des différends
entre l’ancienne puissance coloniale et l’Etat nouvellement indépendant. La séparation des Chagos
de Maurice a créé un fait accompli qui risquait d’engendrer un ensemble de désaccords entre le
Royaume-Uni et Maurice. Et c’est ce qui s’est produit. Or, ces désaccords ne sont pas uniquement
nés indépendamment du cadre des relations bilatérales entre les deux pays en question. A l’instar
de n’importe quel différend, qui naît dans un contexte restreint avant de grandir et de s’inscrire
dans un contexte plus large, le différend en question est né à l’époque de l’indépendance de
Maurice vis-à-vis du Royaume-Uni, avant de s’inscrire dans un contexte multilatéral plus large, en
particulier au sein des Nations Unies et des deux organisations panafricaines successives.
69. Le fait qu’il soit au départ né dans un contexte bilatéral ne l’empêche pas de devenir un
sujet de préoccupation pour d’autres entités ; ainsi, pour la communauté internationale représentée,
entre autres, par l’Organisation des Nations Unies, l’Organisation de l’unité africaine et
l’Union africaine, il ne s’agit pas d’un «différend bilatéral». Ce qui importe est que l’Assemblée
générale elle-même (dont émane la demande) ne l’ait pas considéré comme tel. Le simple fait que
l’Assemblée générale ait fait mention dans sa requête de sa résolution 65/119 du 10 décembre
2010, dans laquelle elle déclarait la période 2011-2020 «Troisième Décennie internationale de
l’élimination du colonialisme», et de sa résolution 71/122 du 6 décembre 2016, dans laquelle elle
appelait à la mise en oeuvre immédiate et intégrale de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance
aux pays et aux peuples coloniaux, confirme que l’Assemblée générale considère la question de la
décolonisation de l’archipel des Chagos comme un sujet de préoccupation et d’intérêt
internationaux.
70. Prétendre qu’il s’agit «d’une question strictement bilatérale, vu que le consentement dont
il s’agit est consigné dans l’accord bilatéral de 1965 et a été réitéré dans les échanges qui ont eu
lieu ensuite entre le Royaume-Uni et Maurice, aussi bien avant qu’après l’accession de celle-ci à
l’indépendance»70, c’est s’éloigner du contexte global et véritable et le modifier.
68 Exposé écrit de l’Australie, par. 48.
69 Loc. cit.
70 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 1.18.
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71. Il a également été avancé que la requête était née d’un «différend bilatéral»71, à titre de
caractérisation. Ainsi, la Cour a été priée par certains Etats de se prononcer sur l’incidence de
l’existence d’un différend bilatéral sur l’objet de la requête pour avis consultatif. Sur ce point, la
jurisprudence de la Cour est abondante72.
72. L’objet de la requête de l’Assemblée générale ne peut être considéré comme relevant
uniquement d’une question bilatérale entre le Royaume-Uni et Maurice. Compte tenu des
prérogatives et des responsabilités des Nations Unies dans les questions se rapportant à la
décolonisation et à ses conséquences en droit international, telles que celles nées du maintien de
l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni, celles-ci doivent être considérées
comme concernant directement les Nations Unies. La responsabilité des Nations Unies sur ce point
trouve son origine dans la Charte et dans les résolutions pertinentes de l’Organisation, ainsi que
dans le jus cogens, dont rendent compte les traités internationaux et le droit international
coutumier.
73. Dans le cadre institutionnel des Nations Unies, pareille responsabilité s’est manifestée
par l’adoption de nombreuses résolutions et par la création de plusieurs organes subsidiaires au sein
de l’Organisation, établis spécialement pour accompagner la mise en oeuvre de la décolonisation.
74. Dès lors, peu importe qu’il existe ou non un différend bilatéral entre le Royaume-Uni et
Maurice concernant les questions posées à la Cour en l’espèce, la Cour comprendra qu’il est
possible qu’un même dossier existe simultanément en tant que sujet de préoccupation pour la
communauté internationale et en tant que différend bilatéral entre deux Etats. Il s’ensuit que
répondre à une question qui fait naître des positions antagonistes entre deux Etats sur le sujet dont
est saisie la Cour, ne présente pas nécessairement le caractère d’une décision portant règlement
d’un différend bilatéral ; il s’agit d’une demande tendant à préciser le droit applicable, ce que la
Cour ne s’est jamais retenue de faire73.
75. De surcroît, il importe de noter que soulever la question d’un différend bilatéral existant
est un contre-argument classique formulé par la partie s’opposant à la compétence de la Cour en
matière consultative. Pour autant, la Cour a toujours été vigilante quant à l’invalidité de pareil
argument visant à l’empêcher de donner son avis, tant qu’elle a établi sa compétence sur une
question juridique dont la saisit un organe autorisé des Nations Unies.
76. Dans une description particulièrement analogue au cas de l’espèce, la Cour a dit, dans
son avis consultatif sur l’édification d’un mur, que :
[l]’objet de la requête dont la Cour est saisie est d’obtenir de celle-ci un avis que
l’Assemblée générale estime utile pour exercer comme il convient ses fonctions.
L’avis est demandé à l’égard d’une question qui intéresse tout particulièrement les
Nations Unies, et qui s’inscrit dans un cadre bien plus large que celui d’un différend
bilatéral. Dans ces conditions, la Cour estime que rendre un avis n’aurait pas pour
effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire et qu’elle ne
71 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 30 ; exposé écrit des Etats-Unis, par. 2.2 et suiv. ; exposé écrit d’Israël,
par. 1.5 ; et exposé écrit de la France, par. 9; exposé écrit de la République de Corée, par. 21 ; et exposé écrit de la
Fédération de Russie, par. 32.
72 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I) (ci-après «avis consultatif sur l’édification d’un mur»), p. 158-159, par. 48 à 50 ; et avis consultatif sur la
Namibie, p. 24, par. 34.
73 Voir l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, opinion individuelle du juge Koroma, p. 204, par. 3.
- 17 -
saurait dès lors, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un
avis pour ce motif.»74 (Les italiques sont de nous.)
77. Ce qui est advenu dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, à la lumière de la
jurisprudence accumulée pendant la durée d’exercice des deux cours mondiales, sur les questions
de compétence en matière consultative et d’opportunité, est que la Cour a conclu que l’existence
d’un différend bilatéral ne saurait l’empêcher de donner l’avis consultatif qui lui est demandé.
78. La Cour est même allée jusqu’à expliquer que «[l]’existence, en arrière-plan, d’un
différend et de parties que l’avis de la Cour peut affecter ne modifie cependant pas le caractère
consultatif de la fonction de la Cour, consistant à répondre aux questions qui lui sont posées»75 (les
italiques sont de nous).
79. Il s’ensuit qu’il ne peut être porté préjudice à l’intérêt légitime de l’Assemblée générale à
obtenir un avis sur sa propre action future par l’existence potentielle d’une question de droit, voire
d’un différend, en souffrance entre les Etats et qui soulève des points liés à ceux figurant dans la
requête pour avis consultatif. Certains des Etats qui se sont opposés à la compétence de la Cour en
l’espèce ont même reconnu que, certes, les différends bilatéraux et les points à l’ordre du jour à
l’ONU se recoupaient dans de nombreux cas76. Pareille existence parallèle d’un différend entre au
moins deux Etats et d’une situation, dont l’organe politique des Nations Unies a été saisi, ne
modifie pas le caractère consultatif de la mission de la Cour ni ne l’empêche de répondre aux
questions qui lui sont posées.
D. La procédure consultative est faite pour trancher des points
de fait complexes et litigieux
80. Il a été avancé que la procédure consultative n’était pas faite pour trancher des points de
fait complexes et litigieux, compte tenu de l’absence de procédure contradictoire et des protections
qu’offre une procédure contentieuse77. Il a également été avancé que, faute d’informations
suffisantes, il conviendrait que la Cour refuse de donner un avis consultatif78.
81. Or, il a déjà été expliqué plus haut que les récits historiques fournis dans le cadre de la
présente procédure, qu’ils se trouvent dans le dossier (établi en application du paragraphe 2 de
l’article 65 du Statut de la Cour) ou dans les exposés écrits de certains Etats, ne sauraient avoir
d’autre finalité pour la Cour que d’identifier et d’établir la date critique et de confirmer le fait que
l’archipel a été de fait détaché de Maurice. Si tous les autres arguments factuels et historiques
peuvent importer pour la préservation des droits de Maurice ou du Royaume-Uni dans le cadre de
leurs échanges bilatéraux futurs, ils présentent un intérêt tout relatif quant à l’objet de l’avis
consultatif.
82. Il convient de rappeler que la Cour, dans son avis consultatif sur le Sahara occidental,
s’était vu «fourni[r] une très abondante documentation à l’appui des faits» par les Etats et par le
74 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 159, par. 50.
75 Avis consultatif sur la réformation du jugement no 158, p. 171, par. 14.
76 Par exemple, exposé écrit de la République de Corée, par. 12.
77 Exposé écrit d’Israël, par. 3.1 et 3.21 à 3.24 ; et exposé écrit de l’Australie, par. 55 à 58.
78 Exposé écrit de l’Australie, par. 56.
- 18 -
Secrétaire général des Nations Unies. La Cour «[a] consid[éré] en conséquence qu’elle dispos[ait]
de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour être à même de se prononcer
judiciairement sur les faits qui [étaient] pertinents aux fins de son avis consultatif et dont elle
a[vait] besoin pour répondre aux deux questions posées dans la requête»79. Dans l’avis consultatif
sur l’édification d’un mur, la Cour a relevé qu’elle avait à sa disposition «un dossier volumineux
soumis par le Secrétaire général, ainsi que les informations soumises par de nombreux Etats80.
83. La Cour n’a pas conclu que les éléments factuels et chargés d’histoire disponibles en
cette affaire justifieraient qu’elle ne donne pas son avis au motif que la fonction consultative n’était
pas faite pour examiner les renseignements pertinents.
84. En outre, pareille question relative aux éléments de preuve et à leur suffisance reste du
ressort de la Cour. La Cour elle-même a fait observer que «la question de savoir si les éléments de
preuve dont elle dispose sont suffisants pour donner un avis consultatif doit être tranchée dans
chaque cas particulier»81. Voilà ce qui est escompté de la Cour en l’espèce, si elle venait à décider
qu’il lui faudrait aller plus loin qu’établir la date critique ou la réalité du détachement de l’archipel
des Chagos.
85. La suffisance des éléments de preuve dépendra in fine de ce que la Cour estimera
suffisant pour se prononcer sur les points de droit, ce qui lui est demandé dans le cadre de sa
fonction consultative, et non ce qui est nécessaire aux fins du règlement d’un différend bilatéral.
86. Lorsqu’il a été question de modifier le Règlement de la Cour permanente, en réponse à
une proposition du juge Anzilotti, pour autoriser la présence de juges nationaux dans des
procédures consultatives lorsque la question posée à la Cour avait trait à un différend effectif entre
au moins deux Etats, le juge Weiss, alors vice-président de la Cour, a noté que «[l]a pratique de la
Cour a été d’établir en matière de procédure une grande analogie entre les affaires pour arrêt et les
affaires pour avis consultatif»82. Le comité désigné par la Cour pour étudier la proposition du
juge Anzilotti en septembre 1927 a noté que, son Statut ne prévoyant pas de fonction consultative,
la Cour permanente «a assimilé la procédure consultative à la procédure contentieuse». «[L]es
résultats obtenus ont abondamment justifié cette attitude»83. La Cour a expliqué que,
«Le Statut ne mentionne pas les avis consultatifs, mais laisse à la Cour le soin
de régler entièrement sa procédure en cette matière. La Cour, dans l’exercice de ses
pouvoirs, a délibérément et intentionnellement assimilé la procédure consultative à la
procédure contentieuse ; et les résultats obtenus ont abondamment justifié cette
attitude. Le prestige dont peut jouir la Cour actuellement, en tant que tribunal
judiciaire, est dans une large mesure dû à l’importance de son activité consultative et à
la façon judiciaire dont elle a réglé cette activité. En réalité, lorsqu’en fait il se trouve
des parties en présence, il n’y a qu’une différence purement nominale entre les affaires
contentieuses et les affaires consultatives. La différence principale réside dans la façon
dont l’affaire est introduite devant la Cour, et même cette différence peut
79 Avis consultatif sur le Sahara occidental, p. 29, par. 47.
80 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 161-162, par. 57.
81 Ibid., p. 161, par. 56.
82 Quatrième rapport annuel de la Cour permanente de justice internationale, C.P.J.I., série E no 4 (ci-après,
Quatrième rapport annuel de la C.P.J.I., p. 69-70.
83 Rapport du comité nommé le 2 septembre 1927, reproduit dans le Quatrième rapport annuel de la C.P.J.I.,
p. 72.
- 19 -
virtuellement disparaître, comme ce fut le cas dans l’affaire des décrets de
naturalisation en Tunisie et au Maroc. De la sorte, l’opinion selon laquelle les avis
consultatifs n’ont pas force obligatoire est plutôt théorique que réelle.»84 (Les italiques
sont de nous.)
E. L’avis aidera l’Assemblée générale dans l’exercice de ses fonctions
87. Il a été argué que la Cour ne devrait répondre aux questions qui lui sont posées que si
elles sont pertinentes pour les travaux de l’Assemblée générale85 et qu’en tout état de cause, l’avis
n’aiderait pas l’Assemblée générale dans l’exercice de ses fonctions, puisqu’elle n’accomplit
aucune attribution de fond à l’égard de l’archipel des Chagos. En d’autres termes, l’Assemblée
générale n’a pas un intérêt suffisant dans le sujet de l’avis86. Il a été expliqué que rien dans le
libellé de la résolution A/RES/71/292 n’indique que l’avis de la Cour «est requis pour éclairer
l’Assemblée générale dans l’exercice de ses responsabilités en rapport avec la décolonisation ou au
titre de questions relatives à l’archipel des Chagos»87. Il a été avancé que, parce que le sujet de la
souveraineté sur les Chagos «n’a jamais été examiné activement par l’Assemblée générale au
travers de quelque résolution que ce soit», l’Assemblée n’a pas un intérêt suffisant88.
88. La Cour a également été priée d’interpréter la requête qui lui est soumise, en conciliant
les intérêts de l’Assemblée générale à soumettre un quelconque point de droit nécessaire à
l’exercice de ses fonctions propres et la protection des intérêts des personnes affectées par la
procédure en question89.
89. D’emblée, il convient de noter que la Charte confère à l’Assemblée générale un très large
pouvoir pour ce qui est de débattre de sujets relevant des activités des Nations Unies, dont les
questions relatives à la paix internationale lato sensu. Après tout, n’est-il pas exact qu’en vertu du
premier paragraphe de l’article 96 de la Charte, l’Assemblée générale «peut demander à la Cour
internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique»90 ? Le vaste champ
d’application de cet article rend compte de la compétence très large de l’Assemblée générale en
vertu des articles 10, 11 et 13 de la Charte et, partant, de la quasi-totale liberté de l’Assemblée de
demander un avis à la Cour. La Cour a également fait observer que l’article 10 de la Charte a
conféré à l’Assemblée une compétence relative à «toutes questions ou affaires» relevant de la
Charte et que le paragraphe 2 de l’article 11, en particulier, lui donne compétence sur des
«questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales dont elle aura été
saisie par l’une quelconque des Nations Unies» et pour formuler des recommandations sous
certaines conditions visées dans lesdits articles91.
84 Loc. cit.
85 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 120.
86 Exposé écrit de l’Australie, par. 50 à 54.
87 Ibid., par. 53.
88 Ibid., par. 54.
89 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 94.
90 Charte des Nations Unies, 24 octobre 1945, Recueil des traités (RTNU), vol. 1, p. XVI, art. 96, par. 1 (les
italiques sont de nous).
91 Avis consultatif sur les armes nucléaires, p. 232, par. 11 ; et avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 144,
par. 14.
- 20 -
90. La résolution 71/292 a été rédigée dans le contexte général des prérogatives et des
politiques que l’Assemblée générale tire de la Charte en ce qui concerne la décolonisation des
territoires non autonomes. La résolution confirmait tout particulièrement le lien entre la requête et
les fonctions et intérêts de l’Assemblée générale. Dans les alinéas du préambule, il était notamment
indiqué ce qui suit :
«Ayant à l’esprit sa résolution 65/118 du 10 décembre 2010 sur le cinquantième
anniversaire de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux, réaffirmant qu’il incombe à l’Organisation de continuer à oeuvrer
activement pour la décolonisation et relevant que celle-ci n’est pas encore accomplie,
Rappelant sa résolution 65/119 du 10 décembre 2010, dans laquelle elle a
proclamé la période allant de 2011 à 2020 troisième Décennie internationale de
l’élimination du colonialisme, et sa résolution 71/122 du 6 décembre 2016, dans
laquelle elle a demandé l’application immédiate et intégrale de la Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux»92 (les italiques sont de
nous).
91. Il ressort clairement de ces quelques paragraphes, parmi beaucoup d’autres, que
l’Assemblée générale n’agissait pas comme courroie de transmission ou intermédiaire, pour une
quelconque partie ou un quelconque pays, comme l’a fait par exemple le Conseil de la Société des
Nations lorsqu’il a demandé l’avis de la Cour permanente en l’affaire de la Carélie orientale ; en
l’espèce, l’Assemblée générale formule la requête pour son propre compte, parce qu’elle a une
mission à accomplir en matière de décolonisation.
92. En tout état de cause, il est avancé que les questions pratiques, les enjeux et les coûts
associés à la réinstallation des Chagossiens dans l’archipel des Chagos ne devraient pas intéresser
la Cour en l’espèce. La Cour a déjà dit succinctement que
«[d]e toute manière, il n’appartient pas à la Cour de dire dans quelle mesure ni jusqu’à
quel point son avis devra influencer l’action de l’Assemblée générale. La fonction de
la Cour est de donner un avis fondé en droit, dès lors qu’elle a abouti à la conclusion
que les questions qui lui sont posées sont pertinentes, qu’elles ont un effet pratique à
l’heure actuelle et que par conséquent elles ne sont pas dépourvues d’objet ou de
but.»93
93. La Cour a pris acte de ce qu’il ne lui appartient pas de prétendre décider de la question de
savoir si l’Assemblée générale a besoin d’un avis consultatif pour s’acquitter de ses fonctions.
«L’Assemblée générale est habilitée à décider elle-même de l’utilité d’un avis au regard de ses
besoins propres.»94
94. Elle a récemment reconfirmé sa position selon laquelle «la compétence consultative a
pour finalité de permettre aux organes de l’Organisation des Nations Unies et à d’autres institutions
92 Dossier no 7, résolution 71/292, quatrième et cinquième alinéas du préambule.
93 Avis consultatif sur le Sahara occidental, p. 37, par. 73.
94 Avis consultatif sur les armes nucléaires, p. 237, par. 16.
- 21 -
autorisées d’obtenir des avis de la Cour qui les aideront dans l’exercice futur de leurs fonctions»95
(les italiques sont de nous).
95. En tout état de cause, dans l’exercice de ses fonctions, la Cour (en tant qu’organe
principal de l’Organisation) est pleinement indépendante des autres organes des Nations Unies et
n’est aucunement obligée ou préoccupée de rendre un arrêt ou un avis qui serait politiquement
acceptable. Sa fonction est, pour reprendre les termes de l’article 38 du Statut, «de régler
conformément au droit international».
96. Sur le fond, et gardant à l’esprit que les deux questions doivent être envisagées dans le
contexte du processus de décolonisation dans son ensemble, il est rappelé que la Cour elle-même a
déclaré que «[l]e droit à l’autodétermination laisse à l’Assemblée générale une certaine latitude
quant aux formes et aux procédés selon lesquels ce droit doit être mis en oeuvre»96 (les italiques
sont de nous). Au fil des années, l’Assemblée a de fait recouru à plusieurs formes et procédés à sa
disposition, en particulier les possibilités offertes par le chapitre VIII de la Charte des
Nations Unies.
97. A cet égard, il convient de rappeler le lien fonctionnel entre l’Assemblée générale et
l’Union africaine, fondé sur le chapitre VIII de la Charte, qui encourage «tous [les] efforts pour
régler d’une manière pacifique, par le moyen desdits accords ou organismes [régionaux], les
différends d’ordre local»97. Dans le cadre de cette formule, l’Organisation des Nations Unies (par la
voie de son Assemblée et de son Conseil) et l’Union africaine ont fait la promotion de leurs valeurs
respectives et se sont prêté main-forte dans leurs actions respectives, autant que faire se peut. De
fait, l’Assemblée a apporté de précieuses contributions en complément des travaux de
l’Organisation de l’unité africaine et de l’Union africaine dans la décolonisation de l’Afrique. Il est
inutile de rappeler à la Cour les nombreuses décisions de l’Organisation de l’unité africaine et de
l’Union africaine qu’elle a à sa disposition, dans lesquelles les deux organisations ont fait
explicitement référence aux résolutions pertinentes de l’Assemblée générale, notamment sur
l’affaire des Chagos, mettant ainsi en valeur les travaux de l’Assemblée. L’Union africaine fait
aussi activement office de partenaire régional des Nations Unies, entre autres, dans le cadre de sa
gestion des opérations de maintien de la paix dans différentes régions d’Afrique98.
98. Il ressort de ce qui précède que l’Union africaine, en tant qu’organisation régionale, aide
l’Assemblée générale dans la réalisation de leur but commun qu’est la décolonisation complète de
l’Afrique, Maurice comprise.
99. De fait, l’Assemblée générale est libre de recourir à l’Union africaine comme moyen de
se passer des conclusions de la Cour dans l’avis consultatif escompté. Toujours dans ce contexte, la
95 Avis consultatif sur le Kosovo, p. 421, par. 44.
96 Avis consultatif sur le Sahara occidental, p. 36, par. 71.
97 Charte des Nations Unies, par. 2, art. 52.
98 Par exemple, la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et la reconfiguration en deux étapes de la
Mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD). En application de la résolution 2349
(2017) du Conseil de sécurité des Nations Unies, le Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale
(BRENUAC) et le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) ont continué d’effectuer
des visites conjointes dans les pays victimes des actions de Boko Haram afin d’évaluer la situation et de proposer un
appui supplémentaire aux efforts engagés par les Etats membres de la Commission du bassin du lac Tchad. Dans sa
résolution 2320 (2016), le Conseil de sécurité a reconnu le rôle important que joue l’Union africaine dans la prévention et
le règlement des conflits sur le continent africain, ainsi que dans les activités de médiation.
- 22 -
Cour, tout en se prononçant sur tous les effets possibles du maintien de l’archipel des Chagos sous
l’administration du Royaume-Uni, doit recenser l’ensemble des entités touchées, dont les
organisations internationales, parmi lesquelles l’Union africaine.
100. Il n’y a pas de raison pour qu’un organe autorisé des Nations Unies, tel que
l’Assemblée générale, ne puisse pas, également, être guidé par les recommandations d’autres
organisations internationales concernées.
Conclusion : il conviendrait que la Cour n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire
de ne pas donner d’avis consultatif
101. Dans les sections précédentes, il a été expliqué qu’il n’y a pas de raisons décisives
empêchant la Cour de donner l’avis consultatif demandé.
102. Or, de façon surprenante, pareils arguments opposés à l’engagement de la Cour ont été
poussés plus loin : même s’il existait des éléments de preuve suffisants pour permettre qu’un avis
soit donné, l’opportunité judiciaire pourrait néanmoins imposer à la Cour de refuser d’exercer sa
compétence consultative, si pareil exercice s’avérait inéquitable vis-à-vis d’un Etat donné ou s’il
était incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour99.
103. Or, pour les raisons énoncées dans son exposé écrit et dans les présentes observations
écrites, l’Union africaine est convaincue que la Cour est compétente pour connaître de la requête
pour avis consultatif, qu’il n’y a pas de raisons décisives empêchant la Cour de donner l’avis
consultatif demandé et, partant, que la Cour devrait répondre aux questions qui lui sont soumises.
104. Il a déjà été affirmé dans l’exposé écrit que le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte
et le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour suffisent à établir la compétence de
l’Assemblée générale pour demander à la Cour un avis consultatif et la compétence de cette
dernière à donner l’avis demandé.
105. Une fois que la Cour aura établi sa compétence, elle n’exercera son pouvoir
discrétionnaire de ne pas donner d’avis consultatif que s’il existe des «raisons décisives» de le
faire. La Cour a indiqué à maintes reprises qu’une réponse à une requête pour avis consultatif ne
devrait pas, en principe, être refusée et que seules des raisons décisives justifieraient un tel refus100.
D’ailleurs, à ce jour, elle n’a jamais refusé de donner un avis consultatif qui lui était demandé en
faisant usage de son pouvoir discrétionnaire. Elle n’a jamais rejeté une requête pour avis
consultatif recevable qui émanait d’un organe autorisé.
106. Dans le seul cas où la Cour a refusé de donner un avis consultatif, elle estimait ne pas
avoir la compétence requise. La Cour permanente a trouvé son principal motif de refus en amont, à
savoir dans l’incompétence du Conseil à se saisir de la question. Il s’agissait d’un cas a fortiori
pour la Cour. Son refus était principalement fondé, contrairement à ce qui est parfois allégué, sur
l’absence de consentement de la Russie à la procédure consultative proprement dite. De fait, la
99 Exposé écrit de l’Australie, par. 36.
100 Voir, par exemple, Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1956, p. 86 ; avis consultatif sur la Namibie, p. 27, par. 41 ; avis consultatif sur les armes
nucléaires, p. 234, par. 14 ; et avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 164, par. 65.
- 23 -
Cour a dit qu’il n’était «pas besoin» de régler «le point de savoir si des questions pour avis
consultatif, pour autant qu’elles se réfèrent à des points de fait actuellement en litige entre deux
nations, devraient être soumises à la Cour sans le consentement des parties»101. Telle n’était pas la
question.
101 Avis consultatif sur la Carélie orientale, p. 24, par. 27.
- 24 -
PARTIE III
LES QUESTIONS SONT CLAIRES ET LIÉES L’UNE A L’AUTRE
ET IL CONVIENDRAIT D’Y RÉPONDRE PLEINEMENT
107. Les deux questions posées à la Cour par l’Assemblée générale sont, l’une et l’autre, très
claires et très détaillées, et le lien qui les unit est évident. A ce titre, il convient de répondre
pleinement aux deux questions, ainsi que l’Union africaine l’a déjà expliqué dans son exposé écrit.
Ce point sera développé plus en détail ci-après.
I. LE CHAMP D’APPLICATION DE LA REQUÊTE
108. Outre les tentatives visant à inciter la Cour à refuser d’exercer sa compétence, il a été
avancé que, dans l’hypothèse où elle se déclarerait compétente et où elle considérerait que la
décolonisation du territoire en question n’avait pas encore été validement menée à bien, la Cour
«devrait se borner à étudier les conséquences juridiques pour les Nations Unies en général, et
l’Assemblée générale en particulier, susceptibles de découler de la poursuite de l’administration du
territoire en question par le Royaume-Uni»102 (en italique dans l’original), ainsi que pour le
«Comité spécial de la décolonisation» de l’Assemblée générale103.
109. Non seulement la Cour a été invitée à répondre de façon très restreinte concernant les
conséquences juridiques, mais elle a également été priée de «s’abstenir de s’interroger sur les
remèdes éventuels qui pourraient faire suite à des violations du droit international susceptibles
d’avoir été commises par les Etats impliqués, en particulier concernant la question de la
réinstallation des Chagossiens»104 (les italiques sont de nous). Faisant fi des termes mêmes de la
requête, il a été avancé que «nul ne saurait présumer que l’Assemblée générale les avait à l’esprit
lorsque, en tant qu’organe désireux d’obtenir conseil quant à ses travaux futurs», elle a formulé la
présente requête pour avis consultatif105.
110. Afin de réfuter ces arguments et de replacer comme il se doit le champ d’application de
l’avis consultatif demandé à la Cour dans l’optique d’une «requête», il est impératif de s’intéresser
aux termes de celle-ci, qui fixent le champ d’application de l’avis demandé. En conséquence, il
importe d’emblée de préciser sur quoi porte la présente procédure et ce sur quoi elle ne porte pas,
puis d’envisager le caractère adéquat des deux questions et le lien qui les unit l’une à l’autre.
111. Les questions visent à clarifier le point de savoir si la décolonisation de Maurice a été
validement menée à bien au regard du droit international, et à énoncer les conséquences juridiques,
en droit international, découlant du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du
Royaume-Uni. Il s’agit, nécessairement et par définition, de questions juridiques au sens de la
Charte, du Statut, et de la jurisprudence même de la Cour. Elles concernent les aspects juridiques
internationaux d’un ensemble de faits, à savoir, la compatibilité d’un processus de décolonisation
avec le droit international, en ce compris la Charte des Nations Unies, les résolutions pertinentes de
l’ONU et les décisions de l’Organisation de l’unité africaine et de l’Union africaine. Au surplus, la
Cour est priée de donner un avis quant aux conséquences juridiques, en droit international, du
102 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 143.
103 Ibid., par. 146.
104 Ibid., par. 147.
105 Loc. cit.
- 25 -
maintien sous l’administration d’un Etat Membre des Nations Unies des territoires d’un autre Etat
Membre.
112. A ce titre, pareilles questions entraînent l’interprétation de normes internationales,
tâche judiciaire s’il en est. Pour reprendre les termes employés par la Cour, les questions soumises
par l’Assemblée générale ont été «libellées en termes juridiques et soul[evant] des problèmes de
droit international … [elles sont] par leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse
fondée en droit»106 ; il s’agit donc, sans ambages, de questions de nature juridique107.
113. En contradiction avec la position par trop restrictive exposée plus haut,
l’Union africaine estimait dans son exposé écrit que la Cour, dans sa réponse aux questions qui lui
étaient soumises dans la requête, devrait établir les conséquences pour le Royaume-Uni et pour
tous les autres Etats et organisations internationales et, en particulier, pour les Nations Unies et
l’ensemble de ses organes, et prononcer les mesures de réparation correspondantes qui
s’imposeraient108. Sur les plans juridique et pratique, il conviendrait dès lors que la Cour éclaire
l’Assemblée générale quant aux modalités de suivi de ses travaux relatifs à la décolonisation de
Maurice sous tous ses angles juridiques et ce, avant tout, en se prononçant sur les responsabilités de
tous les acteurs concernés et en prenant les mesures qui conviennent pour s’acquitter des
obligations que lui impose la Charte.
II. LES QUESTIONS SONT CLAIRES ET N’ONT PAS À ÊTRE REFORMULÉES
A. Le principe : la Cour reformulera une question uniquement en
tant que de besoin (in claris non fit interpretatio)
114. Il a été avancé que la Cour avait laissé entendre, dans de précédents avis consultatifs,
qu’on ne devrait pas présumer que l’Assemblée générale souhaite obtenir des réponses à des
questions juridiques, à moins qu’elle n’y fasse expressément référence dans sa requête109. Il a en
outre été avancé qu’on ne peut présumer que l’Assemblée générale voulait demander à la Cour de
lui donner «une réponse complète concernant le statut du territoire en question et les conséquences
juridiques pour les Etats de mesures prises en liaison avec celui-ci»110 ; dans le cas contraire, il eût
fallu que l’Assemblée le dise clairement111. Il a également été argué, de façon spéculative, que
l’Assemblée générale avait choisi de ne pas formuler pareille demande, mais qu’elle avait
«seulement souhaité être éclairée sur les modalités d’exercice de ses propres compétences en vertu
des chapitres XI et XIII de la Charte des Nations Unies, sans demander à la Cour de lui répondre
quant à de possibles conséquences juridiques pour des Etats»112, puisque le texte de la requête ne
fait pas référence aux conséquences susceptibles de résulter, pour des Etats, de la poursuite de
l’administration de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni113 (en italique dans l’original).
106 Avis consultatif sur le Sahara occidental, p. 18, par. 15 (les italiques sont de nous).
107 Ibid. ; et avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 153, par. 37.
108 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 258.
109 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 120.
110 Ibid., par. 124.
111 Ibid., par. 124.
112 Loc. cit.
113 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 132.
- 26 -
115. Après avoir invité la Cour à interpréter, voire à reformuler les questions, pour mieux les
restreindre, il a été avancé que la Cour ne devrait pas adopter une interprétation large des questions,
contrairement à ce qu’elle avait fait dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, étant donné
que cet avis se fondait sur les circonstances particulières de la situation et qu’il n’est pas
comparable au cas d’espèce concernant l’archipel des Chagos114.
116. Il s’agit là, tel que cet argument est présenté, d’une lecture de la requête et d’une
appréciation de la fonction consultative de la Cour de façon générale très restrictives et
présomptueuses. Pareil argument vise à priver l’Assemblée générale d’éléments importants de
considérations juridiques et pratiques demandés dans le cadre de l’avis.
117. Afin de justifier pareille approche, il a été souligné que la Cour permanente ne s’était
pas penchée sur des questions sur lesquelles on ne pouvait présumer que l’organe demandeur ait
escompté l’avis de la Cour. Elle l’a pourtant fait alors même qu’il pouvait être difficile de discerner
l’intention de l’organe demandeur115. Dès lors, il a été avancé que la Cour devait chercher et
identifier la «véritable question» qui lui avait été posée116 ; comme si les questions n’étaient pas
claires telles qu’elles avaient été formulées.
118. Elément central à l’appui de cette position, la précédente Cour a été citée pour avoir
déclaré qu’elle117 :
«considère que, ladite lettre [demandant l’avis de la Cour] ne définissant pas d’une
manière exacte la question sur laquelle son opinion est sollicitée, il est indispensable
qu’elle dégage et formule en termes précis cette question, afin, notamment, d’éviter de
se prononcer sur des points de droit au sujet desquels le Conseil ou la Commission
n’ont pas eu l’intention d’obtenir son avis.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C’est en exprimant de cette manière la question visée … , et dans le cadre de
cette formule, que la Cour donnera suite à la demande d’avis qui lui a été présentée. Il
s’ensuit que, pour autant que les points débattus par les Gouvernements intéressés
dépasseraient le cadre de la question ainsi libellée, la Cour ne saurait s’en occuper.»118
(Les italiques sont de nous.)
119. La citation ainsi extraite de l’avis consultatif relatif à l’Interprétation de l’accord
gréco-turc du 1er décembre 1926 (protocole final‚ article IV) ne s’accompagnant pas des faits de
l’espèce et des clarifications du contexte ayant conduit la Cour à ces affirmations est trompeuse,
lorsqu’elle est fournie dans le cadre de la présente requête.
120. Les points auxquels la Cour avait été confrontée, in casu, n’avaient absolument rien à
voir avec les points soulevés par la présente requête et ne s’y appliquent à aucun égard. En
114 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 115.
115 Ibid., par. 76.
116 Ibid., par. 77.
117 Loc. cit.
118 Interprétation de l’accord gréco-turc du 1er décembre 1926 (protocole final‚ article IV), avis consultatif, 1928,
C.P.J.I série B no 16, p. 14 et 16.
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conséquence, se pencher de plus près sur les faits relatifs à cet avis antérieur révélera à quel point
l’affaire en question est différente et peu représentative.
121. L’affaire en question portait sur des divergences d’interprétation de l’article IV du
protocole final de l’accord d’Athènes, qui disposait que toutes «questions de principe présentant
quelque importance» qui pourraient surgir au sein de la Commission mixte pour l’échange des
populations grecques et turques seraient soumises à l’arbitrage du président du Tribunal arbitral
gréco-turc. Les divergences d’interprétation portaient sur les conditions de recours à l’arbitre.
122. La Commission mixte a alors saisi la Cour permanente, par l’entremise du Conseil de la
Société des Nations, pour un avis consultatif quant à l’interprétation de l’article en question, en tant
qu’il concernait les conditions de pareil recours119. Dès lors, le Conseil a adopté une résolution
faisant référence à la lettre du 4 février 1928, adressée au Secrétaire général de la Société des
Nations par le président de la Commission mixte, par laquelle le Conseil demandait l’avis
consultatif de la Cour concernant la question soulevée dans ladite lettre, quant à l’interprétation de
l’article IV en ce qui concerne les conditions de recours à l’arbitre120.
123. La Cour permanente nota que des divergences d’interprétation touchant les conditions
du recours à l’arbitre, dont il était question dans la «lettre» du président de la Commission mixte,
s’étaient fait jour. Les membres de la Commission mixte avaient soutenu des points de vue
différents au sujet de la formule des communications dans lesquelles la Commission avait à
consigner les noms des personnes admises au bénéfice de l’accord. Les membres grecs avaient
suggéré de régler le différend par voie d’arbitrage121. Le président de la Commission mixte ayant
demandé à la Commission de se prononcer sur le point de savoir si le différend soulevé constituait
une «question de principe présentant quelque importance» et surgissant à propos des attributions de
la Commission, les membres grecs exprimèrent l’opinion que les deux Etats signataires de l’Accord
et du protocole avaient seuls qualité pour faire appel à l’arbitre (qui avait déjà été saisi par le
Gouvernement hellénique de l’affaire) ; d’un autre côté, les membres turcs déclarèrent qu’un
recours à l’arbitre sans une décision de la Commission était contraire aux accords en vigueur122.
Dès lors, la question des conditions du recours au protocole final ayant, par la suite, fait l’objet de
nouvelles discussions au sein de la Commission mixte, elle décida de demander au Conseil de la
Société des Nations de solliciter l’avis consultatif123. La Commission avait estimé que les
«procès-verbaux de ses séances», au cours desquelles la question avait été débattue, refléteraient
suffisamment les doutes surgis dans son sein au sujet de l’application de l’article IV124.
124. Pour se prononcer, la Cour rappela le paragraphe 2 de l’article 72 de son Règlement,
selon lequel «la requête pour avis formule en termes précis la question sur laquelle l’avis de la
Cour est demandé». Elle nota que la demande «se born[ait] à se référer à la lettre … adressée … au
Secrétaire général de la Société des Nations» (les italiques sont de nous) en vue d’obtenir un avis
consultatif sur les «conditions du recours à l’arbitre» visé à l’article IV. Elle considéra que, la
«lettre» ne définissant pas d’une manière exacte la question sur laquelle son opinion était sollicitée,
119 Interprétation de l’accord gréco-turc du 1er décembre 1926 (protocole final‚ article IV), avis consultatif, 1928,
C.P.J.I série B no 16, p. 5.
120 Loc. cit.
121 Interprétation de l’accord gréco-turc du 1er décembre 1926 (protocole final‚ article IV), avis consultatif, 1928,
C.P.J.I série B no 16, p. 10, par. 9.
122 Ibid., p. 10 et suiv.
123 Ibid., p. 11, par. 20.
124 Ibid., p. 12, par. 27.
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«il [était] indispensable qu’elle dégage et formule en termes précis cette question, afin, notamment,
d’éviter de se prononcer sur des points de droit au sujet desquels le Conseil ou la Commission
n’[avaie]nt pas eu l’intention d’obtenir son avis»125.
125. Dès lors, la Cour fit observer qu’elle devait constater que les conditions du recours à
l’arbitre se trouvaient nettement définies par les termes mêmes de l’article IV du protocole final, en
sorte que sur ce point aucune divergence d’opinions n’était à présumer. Pour la Cour, il ne faisait
aucun doute que c’est seulement sous réserve de ces quatre conditions visées à l’article IV que le
président du Tribunal arbitral mixte pouvait être saisi126. Après avoir examiné les documents, ainsi
que les pièces des parties, la Cour conclut que les divergences avaient trait non aux conditions
imposées à la soumission d’une question à l’arbitre, mais au point de savoir à qui il appartient de
décider si ces conditions se trouvent réunies, et par qui une question peut être soumise à l’arbitre127.
126. La Cour décida ensuite de «remanier la question qui lui avait été présentée afin de
pouvoir y répondre» en formulant les points sur lesquels son opinion était sollicitée128. Telle est la
raison qui explique la dernière partie de la citation figurant au paragraphe 122 supra selon laquelle
«C’est en exprimant de cette manière la question visée ..., et dans le cadre de
cette formule, que la Cour donnera suite à la demande d’avis qui lui a été présentée. Il
s’ensuit que, pour autant que les points débattus par les Gouvernements intéressés
dépasseraient le cadre de la question ainsi libellée, la Cour ne saurait s’en
occuper.»129 (Les italiques sont de nous.)
127. Ce qui frappe dans le passage de l’avis de la Cour cité au paragraphe 122 plus haut est
que la situation dont elle avait à connaître était totalement différente du cas de l’espèce. La Cour
reconnaissait que la «lettre» sollicitant son avis ne définissait pas d’une manière exacte la question
sur laquelle son avis était sollicité, par nette opposition à la présente requête.
128. Outre ce qui précède, les autres instances citées aux fins d’inciter la Cour à reformuler
les questions de manière restrictive correspondaient à des cas très spécifiques de questions par trop
obscures ou générales, ayant principalement trait au fonctionnement et aux procédures de
l’Assemblée générale ou du Conseil de sécurité130, en particulier entre les Nations Unies d’une part,
et l’ancien territoire sous mandat du Sud-Ouest africain/Namibie d’autre part.
129. Il ne peut être exprimé en de meilleurs termes ce que le juge De Castro a déclaré en
relation avec des allégations analogues :
«Pour contester la validité d’une résolution, on ne peut se borner à soutenir qu’il
est possible de trouver une meilleure interprétation; on ne pourra la critiquer que si
125 Interprétation de l’accord gréco-turc du 1er décembre 1926 (protocole final‚ article IV), avis consultatif, 1928,
C.P.J.I série B no 16, p. 14, par. 36.
126 Ibid., p. 15, par. 38.
127 Ibid., par. 38.
128 Ibid., p. 16, par. 40.
129 Ibid., p. 14 et 16.
130 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 78-82.
- 29 -
l’on montre l’impossibilité absolue de trouver une raison quelconque, même
discutable, sur laquelle fonder l’interprétation favorable à la validité.»131
130. Certes, dans sa pratique antérieure, la Cour a parfois interprété, clarifié et reformulé les
questions dont elle était saisie. Or, la Cour elle-même a expliqué la raison d’être de pareil exercice
et en a fixé les limites, lorsqu’elle a dit :
«La Cour peut interpréter les termes de la requête et préciser la portée des
questions qui y sont posées. Elle peut aussi tenir compte de tous les éléments se
rapportant à ces questions qui peuvent lui être nécessaires pour se former une
opinion.»132
131. Ces principes directeurs que la Cour a elle-même fixés élargissent en réalité sa capacité
à rechercher et à appréhender en «ten[ant] compte de tous les éléments se rapportant à ces
questions». Le fait que la Cour «[soit] en principe liée par le libellé des questions formulées dans la
requête»133 n’y enlève rien. Il s’agit d’un énoncé explicatif, qui ne fait qu’affirmer l’évidence, à
savoir ne pas s’éloigner des questions posées. Il est un corollaire naturel à la fonction consultative
ou contentieuse de la Cour (et de n’importe quelle autre juridiction).
132. Au surplus, ce qui importe réellement pour la Cour, c’est la vérification. La Cour a
souligné que «pour rester fidèle aux exigences de son caractère judiciaire dans l’exercice de sa
compétence consultative, elle doit rechercher quelles sont véritablement les questions juridiques
que soulèvent les demandes formulées dans une requête»134. Dans la présente requête, les deux
questions ont été libellées de sorte que les conséquences juridiques recherchées sont expressément
énoncées.
133. Dans des affaires antérieures, la Cour s’est éloignée du libellé de la question qui lui était
posée lorsque celle-ci n’était pas correctement formulée, ou lorsque la Cour a constaté, «en
examinant le contexte de la demande, que celle-ci ne mettait pas en évidence les «points de
droit … véritablement … en jeu»»135 (les italiques sont de nous). De même, lorsque la question
posée était mal définie ou vague, la Cour l’a clarifiée avant de donner son avis136.
134. Il a également été indiqué à la Cour que «en l’absence d’indication contraire dépourvue
d’ambiguïté»137, on ne pouvait présumer que l’Assemblée générale voulait empêcher ou restreindre
le pouvoir de la Cour de reformuler les questions dont elle était saisie138. Or, cet argument soulève
trois difficultés.
131 Avis consultatif sur la Namibie, opinion individuelle de M. De Castro, p. 185.
132 Avis consultatif sur la réformation du jugement no 158, p. 184, par. 41.
133 Loc. cit.
134 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980,
p. 88, par. 35.
135 Voir, par exemple, ibid., par. 35.
136 Avis consultatif sur la réformation du jugement no 158, p. 348-350, par. 46-48.
137 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 91.
138 Ibid.
- 30 -
135. Premièrement, en arguant d’une «indication contraire», on tente de renverser la charge
de la preuve sur l’Assemblée et non sur la partie qui formule l’argument, ce qui n’est pas tenable en
droit. Deuxièmement, l’Union africaine ne laisse pas entendre, comme aucun autre Etat ne l’a fait
en l’espèce, que quiconque empêche ou restreint la Cour de reformuler les questions dont elle est
saisie. Troisièmement, c’est précisément pour cette raison, et pour d’autres, que l’Assemblée
générale a rédigé les questions de manière à ce qu’elles n’aient pas besoin d’être d’abord
reformulées, ainsi qu’il est expliqué plus avant dans ce qui suit.
B. Les questions sont spécifiques et appropriées
136. Après avoir abordé plus haut les propositions visant à restreindre la fonctionnalité de la
Cour, ainsi que les considérations et approches théoriques et méthodologiques employées par la
Cour dans l’exercice de sa fonction judiciaire, en particulier dans les avis consultatifs, il convient à
présent de s’interroger sur le point de savoir si les questions posées dans la présente requête exigent
une reformulation par la Cour, en tant qu’elles ne seraient pas spécifiques ou appropriées.
137. Il a été avancé que «la requête en l’espèce ne comporte aucune référence aux
conséquences juridiques pour les Etats, ce qui cadre parfaitement avec la genèse de sa rédaction
telle que rappelée plus haut. Elle répond également aux intentions sous-jacentes de ses principaux
soutiens qui n’étaient intéressés que par les conséquences, d’un point de vue pratique, des
conclusions de la Cour pour les travaux de l’Assemblée générale. A la différence de précédentes
demandes, celle en l’espèce a un caractère relativement limité et une portée réduite»139. Il a été
affirmé que, parce que la résolution A/RES/71/292, contrairement à ce qui s’était passé dans l’avis
consultatif sur l’édification d’un mur, ne précisait pas les Etats ou autres entités concernés, la Cour
devait d’abord interpréter la question b), qui porte sur les conséquences, afin de décider si elle
devait établir les conséquences pour d’autres entités que l’Assemblée proprement dite. A l’appui de
cet argument, il a été avancé que, parce que la question posée à la Cour dans l’avis consultatif sur
l’édification d’un mur faisait spécifiquement mention de la convention de Genève relative à la
protection des personnes civiles en temps de guerre de 1949, il était sous-entendu que l’Assemblée
générale avait ainsi souhaité faire spécifiquement référence aux obligations d’Etats tiers découlant
de l’article premier de la convention en question140.
138. Or, il est avancé que la mission de la Cour en l’espèce a été facilitée par la manière dont
l’Assemblée générale a posé les questions et que la Cour n’a pas à emprunter la voie qui lui est
suggérée.
139. Indépendamment de la question de savoir si l’Assemblée avait énuméré les entités pour
lesquelles le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni emportait
des conséquences, qu’il s’agisse d’Etats, de l’ONU ou d’autres organisations internationales, la
Cour doit se prononcer sur toutes les conséquences possibles et recenser toutes les entités affectées
et les obligations qui en découlent pour elles, ainsi qu’il sera démontré dans la partie IV des
présentes observations écrites. Il convient immédiatement de rappeler ici que la Charte «a défini la
position des Membres par rapport à l’organisation en leur prescrivant de lui donner pleine
assistance dans toute action entreprise par elle (art. 2, par. 5) … en autorisant l’Assemblée générale
à leur adresser des recommandations»141. Il va sans dire que les principes et les buts des
139 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 121.
140 Ibid., par. 111.
141 Avis consultatif sur la Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, p. 178.
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Nations Unies doivent être respectés par tous ses organes, y compris par l’Assemblée générale et, à
tout le moins, par la Cour, ainsi que par chacun des Etats Membres.
140. Les questions, chacune prise isolément, font des références expresses distinctes au
«droit international». Pareilles références indiquent que la Cour doit rendre son avis en tenant
compte de la pleine mesure de ce droit ; c’est le cas pour le droit positif (objectif) (en tant que cadre
de la pratique de relations internationales stables et organisées) applicable, tout autant que pour les
sujets de droit (ses destinataires, c’est-à-dire, le Royaume-Uni, tous les autres Etats et organisations
internationales).
141. Lorsque, dans la question a), il a été demandé à la Cour de se prononcer sur la question
de savoir si «[l]e processus de décolonisation a[vait] … été validement mené à bien … au regard du
droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions … de l’Assemblée
générale» (les italiques sont de nous), il était évident qu’on lui demandait de procéder à une analyse
juridique en deux plans, sur le plan du droit international général et sur le plan des résolutions
pertinentes spécifiques de l’Assemblée générale.
142. De fait, il ressort d’analyses grammaticales et textuelles simples de la syntaxe de la
question a) que l’adverbe «notamment» renvoyait à une partie (à savoir, les résolutions) du tout à
prendre en compte (à savoir, le droit international général). A ce titre, pareille formule n’est pas
mutuellement exclusive ; une réponse doit être apportée sur les deux plans.
143. Le même raisonnement analytique s’applique également à la question b). L’adverbe
«notamment» a délibérément été employé deux fois, en sus de l’expression idiomatique «en
particulier», qui signifie spécifiquement (ce qui laisse également entendre une partie d’un tout).
Dès lors, la question a été déployée de façon télescopique, faisant passer l’étude menée par la Cour
d’un plan à l’autre. En demandant quelles sont «les conséquences en droit international, y compris
au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées», du maintien de l’archipel
des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni, «notamment en ce qui concerne l’impossibilité
dans se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en
particulier ceux d’origine chagossienne» (les italiques sont de nous), il est demandé à la Cour de
prendre la pleine mesure des conséquences au regard du droit positif applicable et pour les sujets du
droit (c’est-à-dire, le Royaume-Uni, tous les autres Etats et organisations internationales).
144. Après tout, la Cour avait déclaré sans réserves que
«rien dans l’article 96 de la Charte ni dans l’article 65 du Statut de la Cour n’impose
que les réponses aux questions soient destinées à aider l’organe sollicitant l’avis
consultatif dans son activité future et n’exige que cet organe soit aussi celui qui lui
donne effet»142 (les italiques sont de nous).
Dès lors, la Cour a reconnu une responsabilité à d’autres entités, outre l’Assemblée générale, qui
est «l’organe demandeur».
145. Ce qui rend cette déclaration de la Cour particulièrement importante et intéressante pour
le présent débat est qu’il s’agit d’une déclaration générale de la Cour, sans lien avec les
142 Avis consultatif sur la réformation du jugement no 158, p. 75, par. 22.
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particularités de l’avis consultatif dans le cadre duquel elle a été faite, la position de la Cour sur les
points particuliers de l’affaire ayant été exposée plus haut dans le texte de l’avis.
146. Les deux questions posées par l’Assemblée générale dans la présente requête satisfont à
tous les critères fixés par la Cour elle-même et sont aussi précises et juridiques que possible. Elles
n’exigent absolument aucune reformulation. De surcroît, elles ont été formulées de sorte à être liées
l’une à l’autre, ainsi qu’il est expliqué plus avant dans la section suivante.
III. LES QUESTIONS POSÉES À LA COUR SONT CLAIREMENT LIÉES L’UNE À L’AUTRE ET
IL CONVIENT QUE LA COUR RÉPONDE INTÉGRALEMENT AUX DEUX QUESTIONS
147. Il a également été suggéré que si la Cour venait à répondre à la première question, elle
devrait toutefois faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour s’abstenir de répondre à la
seconde. La raison avancée en était que la question b) «est obscure et très générale»143.
148. Or, après avoir démontré et conclu que la question b), à l’instar de la question a), était
claire et ne nécessitait aucune reformulation, conformément aux principes établis par la
jurisprudence des deux cours mondiales, il est désormais temps de montrer que les deux questions
sont liées l’une à l’autre et qu’il convient d’y répondre intégralement.
149. Pour autant, afin de lever toute ambiguïté, il convient de rappeler que rien dans le
Règlement ou la jurisprudence de la Cour ne laisse entendre que, pour répondre à plusieurs
questions, il soit nécessaire que les questions soient liées l’une à l’autre ; il se trouve que tel est le
cas dans la présente requête. En tout état de cause, la Cour doit répondre à toute question qui lui est
posée, ainsi qu’il a été longuement expliqué.
150. Dans chaque procédure, qu’elle soit contentieuse ou consultative, la première question
qui se pose pour la Cour est la suivante : qu’est-ce qui est demandé ? En l’espèce, dès le début de la
procédure, il est apparu que l’Assemblée générale demandait à la Cour de lui donner un avis sur
des questions juridiques précises, comme expliqué précédemment. Il est demandé à la Cour de
donner son avis quant à la question de savoir si la décolonisation de Maurice a été validement
menée à bien à la lumière du démembrement de l’archipel des Chagos et quant aux conséquences,
en droit international, de pareil démembrement. La mission de la Cour a été facilitée par la manière
dont l’Assemblée générale a posé les questions.
151. Les deux questions posées à la Cour sont ainsi formulées qu’une réponse à la seconde
question n’est nécessaire que s’il est répondu à la première question par la négative.
152. La première question se lit comme suit :
a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice
a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des
Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des
obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du
14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre
1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?» (les italiques sont de nous).
143 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.15 et 9.21.
- 33 -
153. L’analyse textuelle de la question a) en dit long. Elle a été formulée au passé, puisque la
requête situait précisément la question dans le contexte de la période où «Maurice a obtenu son
indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire» et,
partant, il est clair que ce libellé doit être interprété par référence à cette date (critique).
154. Au surplus, la locution «au regard du droit international» renvoie aux obligations
premières, c’est-à-dire, à ce que les Etats sont tenus de faire en droit international. Le fait que cette
locution soit placée après l’affirmation sur l’événement objet de la question et son contexte
temporel peut uniquement signifier que l’événement (qu’il ait eu lieu ou non) est bien régi par le
droit international qui, en tant que régime juridique, emporte des conséquences.
155. L’effet cumulatif des deux observations, textuelle et contextuelle, est qu’il y aura des
conséquences à compter de la date critique, si la réponse est négative ; et il conviendrait qu’elle le
soit.
156. La seconde question se lit comme suit :
«b) Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des
obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de
l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne
l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de
réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne?»
157. La question a) est suivie de la conjonction «et» et la question b) est précédée de la
même conjonction … «Et» est un mot grammatical qui indique le lien. En conséquence, on ne peut
concevoir que l’Assemblée générale ait pensé un instant qu’il était donné à la Cour le choix, dans la
résolution A/RES/71/292 de décider ne pas répondre à la seconde question si elle le souhaitait ; si
la Cour avait à le faire, elle aurait sans aucun doute ses propres raisons judiciaires. Or, faute d’un
tel choix, elle devra y répondre.
158. De surcroît, les rédacteurs de la requête étaient bien conscients de ce que la question b)
sur les conséquences était indissociablement liée à la question a), en ce qu’il s’agissait d’un
corollaire au point fondamental de la question a) ; si la décolonisation de Maurice n’avait pas été
validement menée à bien à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au
regard du droit international, alors il y avait des conséquences à en tirer, ainsi que formulé à la
question b).
159. Partant, s’il est répondu à la question a) par la négative, ce qui signifie que le
Royaume-Uni a bien continué d’administrer l’archipel des Chagos, la Cour devra se prononcer sur
les «conséquences en droit international … du maintien … sous l’administration», ainsi qu’il est
demandé dans la question b) et qu’il sera démontré dans la partie IV des présentes observations
écrites.
160. Les deux questions doivent être considérées séparément et tour à tour et il convient d’y
répondre intégralement.
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161. Compte tenu de ce qui précède, il est avancé que la Cour devrait répondre aux questions
qui lui sont posées dans la présente requête. Les faits à l’origine de la requête, les éléments
pratiques incontournables et la conception juridique dépourvue d’ambiguïté des deux questions
méritent la pleine attention de la Cour et une réponse tout aussi complète.
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PARTIE IV
LA SÉPARATION ILLICITE DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE
CONSTITUAIT UNE VIOLATION DU DROIT À L’AUTODÉTERMINATION
ET À L’INTÉGRITÉ TERRITORIALE DE MAURICE
I. INTRODUCTION
162. Il ressort des exposés écrits soumis à la Cour trois points décisifs concernant la
question a) sur laquelle l’Assemblée générale a demandé l’avis consultatif de la Cour :
i) premièrement, la question de savoir si le droit à l’autodétermination faisait partie du droit
international coutumier au moment de la séparation de l’archipel des Chagos en 1965 et de
l’indépendance de Maurice en 1968 ;
ii) deuxièmement, la question de savoir si le droit à l’autodétermination fait naître une
obligation corrélative de la part des Etats administrant les territoires non autonomes de
permettre l’exercice de pareil droit au sein de l’unité territoriale dans son intégralité ; et
iii) troisièmement, la question de savoir si la séparation par le Royaume-Uni de l’archipel des
Chagos de Maurice en 1965, avant l’obtention par Maurice de son indépendance en 1968,
constituait une violation du droit à l’autodétermination du peuple mauricien.
163. La position de l’Union africaine au sujet de ces points est la suivante :
i) premièrement, le droit à l’autodétermination était fermement établi en droit international
coutumier dès la fin des années 1950 ;
ii) deuxièmement, le droit à l’autodétermination est indissociablement lié au principe
d’intégrité territoriale ;
iii) troisièmement, la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice a empêché le peuple de
Maurice, en ce compris les Chagossiens, d’exercer son droit à l’autodétermination au sein
de l’unité territoriale concernée ; et
iv) quatrièmement, le processus de décolonisation n’a pas été validement mené à bien lorsque
Maurice a obtenu son indépendance en 1968.
II. L’EXISTENCE DU DROIT À L’AUTODÉTERMINATION EN
DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER EN 1965
164. Pour répondre à la question b), la Cour doit répondre à celle de savoir si le droit à
l’autodétermination existait en tant que droit légal en droit international coutumier en 1965, au
moment de la séparation de l’archipel des Chagos, et en 1968, lors de l’indépendance de Maurice.
L’Union africaine a déjà consacré de longues pages de son exposé écrit à démontrer que le droit à
l’autodétermination faisait partie du droit international coutumier dès la fin des années 1950 et,
partant, était un droit légal au moment de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice. Pour
ce faire, elle s’est fondée, en sus de la doctrine en droit international, sur une pratique foisonnante
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des Etats, sur des résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, ainsi que sur la
jurisprudence de la Cour de céans144.
165. Des Etats ayant délibéré du statut coutumier du droit à l’autodétermination en 1965 et
1968, la majorité partage la vue de l’Union africaine selon laquelle le droit à l’autodétermination
était déjà fermement établi en droit international coutumier en 1965145. Ils sont résolument
convaincus que la résolution 1514 (XV) rend compte des règles de droit international coutumier
existantes à la date de son adoption146.
166. La position opposée est soutenue par le Royaume-Uni et les Etats-Unis, qui ont avancé
que le droit à l’autodétermination n’était pas figé en droit international coutumier en 1960, au
moment de l’adoption de la résolution 1514147. Le Royaume-Uni, en particulier, a expliqué que
dans des résolutions de l’Assemblée générale et autres instruments internationaux ultérieurs, «[le]
principe … a été développé … , [mais qu’] aucun ne l’a transformé en un «droit»»148 (les italiques
sont de nous). Or, cette affirmation contredit certaines positions expresses adoptées auparavant par
le Royaume-Uni. A titre d’exemple, dans la procédure consultative sur le Kosovo, le Royaume-Uni
a affirmé sans équivoque que «[l]e principe d’autodétermination a[vait] été clairement exprimé
comme un droit de tous les pays et peuples coloniaux par la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée
générale»149 (les italiques sont de nous).
167. Par ailleurs, s’exprimant devant le Conseil de sécurité sur la question relative à la
situation des Iles Falkland (Malvinas), le Royaume-Uni a déclaré ce qui suit :
«182. Il est vrai que, pendant les années 1960, nous estimions que
l’autodétermination était un principe et non un droit. Cependant, en 1966, les deux
Pactes internationaux ... furent adoptés. ...
183. Le Royaume-Uni a ratifié ces deux Pactes … En outre, en 1970,
l’Assemblée générale a adopté par consensus  et le Royaume-Uni a participé à ce
consensus  la résolution 2625 (XXV) où figure la Déclaration relative aux principes
du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les
Etats …
Non seulement mon pays a approuvé le droit à l’autodétermination au sens de la
Charte, des Pactes et de cette déclaration mais nous avons fait beaucoup plus encore
pour pouvoir réfuter l’accusation selon laquelle nous sommes la puissance coloniale
par excellence. Depuis l’adoption de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale
à la fin de 1960 contenant la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et
144 Exposé écrit de l’Union africaine, partie III.
145 Sur les 11 Etats qui se sont intéressés à la question du statut du droit international coutumier à l’époque
concernée, neuf sont d’avis que le droit à l’autodétermination était fermement établi en droit international coutumier en
1965. Voir les exposés écrits de l’Afrique du Sud, de l’Argentine, du Belize, du Brésil, de Djibouti, du Guatemala, de
Maurice, de la Namibie et des Pays-Bas.
146 Exposé écrit de l’Argentine, par. 48 ; exposé écrit du Belize, par. 3.7 ; exposé écrit du Brésil, par. 17 ; exposé
écrit de Djibouti, par. 31 et 32 ; exposé écrit de Maurice, par. 6.29 et 6.32 ; exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.4 ; exposé
écrit du Nicaragua, par. 8 et 9 ; et exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 63.
147 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 88.24, 8.31 et 8.65 et suiv. ; et exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.22, 4.29
et 4.31.
148 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.66.
149 Exposé écrit du Royaume-Uni dans Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance du Kosovo (requête pour avis consultatif), par. 5.21. Voir aussi l’exposé écrit du Belize, par. 3.7.
- 37 -
aux peuples coloniaux, nous avons conduit pas moins de 28 Etats à l’indépendance
souveraine, qui sont devenus Membres de l’Organisation des Nations Unies.»150
168. Le Royaume-Uni a également fait valoir que la teneur du «principe de l’égalité de droits
des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes», tel qu’il est reconnu au paragraphe 2 de
l’article premier de la Charte des Nations Unies, n’était pas définie par celle-ci151. Or, ainsi que
l’Union africaine l’a déjà affirmé152, il convient de noter que la version française du paragraphe 2
de l’article premier de la Charte des Nations Unies, qui fait tout autant foi que la version anglaise,
fait référence au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes :
«Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du
principe de l’égalité de droits des peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes, et
prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde.» [En français
dans le texte.] (Les italiques sont de nous.)
169. Par ailleurs, le Royaume-Uni a fait valoir que les résolutions de l’Assemblée générale
sur la décolonisation adoptées dans les années 1960 «n’avaient pas force obligatoire et ne
procédaient d’aucune obligation de droit international»153. Or, pareille généralisation néglige
l’importance des résolutions de l’Assemblée générale, en tant que preuve déclarative d’une
pratique internationale concernant l’existence d’un droit à l’autodétermination en droit international
coutumier.
170. De surcroît, le processus de décolonisation d’un nombre important de territoires non
autonomes au cours des années 1950 et au début des années 1960, contemporain à l’adoption des
résolutions précitées de l’Assemblée générale, vient témoigner d’une large acceptation par les
puissances administrantes de l’existence d’un droit à l’autodétermination en droit international154.
De fait, trente territoires non autonomes et territoires sous tutelle ont obtenu leur indépendance
avant l’adoption de la résolution 1514 et 19 pays entre 1960 et 1965155.
171. En outre, les résolutions des années 1950 et 1960 portant sur la décolonisation faisaient
systématiquement et expressément référence au droit à l’autodétermination156. Dès 1950, la
résolution 421 (V) de l’Assemblée générale faisait référence au droit des peuples et des nations à
disposer d’eux-mêmes157. Deux ans plus tard, il était décidé par la résolution 545 (VI), adoptée en
1952, que «les Etats … qui assument la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes,
150 Conseil de sécurité, Documents officiels, trente-septième année, 2366e séance, 25 mai 1982, New York,
S/PV.2366, par. 182 et 183.
151 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.66.
152 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 81. Voir aussi l’exposé écrit du Belize, par. 2.3, et l’exposé écrit de
Maurice, par. 6.22.
153 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.69.
154 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 97 et 98. Voir aussi l’exposé écrit du Brésil, par. 13, l’exposé écrit de
Maurice, par. 6.33, et l’exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.7.
155 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 97 et 98.
156 Voir par exemple, l’exposé écrit du Belize, par. 2.5 à 2.12, et l’exposé écrit de Maurice, par. 6.23 à 6.29.
157 Résolution 421 (V) de l’Assemblée générale, «Projet de pacte international relatif aux droits de l’homme et
mesures de mise en oeuvre : travaux futurs de la Commission des droits de l’homme» (Nations Unies,
doc. A/RES/421 (V) du 4 décembre 1950), par. 6.
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doivent contribuer à assurer l’exercice [du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes],
conformément aux Buts et Principes des Nations Unies»158.
172. A titre d’exemple, la résolution 1188 (XII) de l’Assemblée générale, adoptée en 1957,
prévoyait en termes clairs et obligatoires que les Etats Membres étaient dans l’obligation de
contribuer à assurer et faciliter l’exercice du droit à l’autodétermination par les peuples coloniaux.
Elle se lisait comme suit :
a) [que l]es Etats Membres, dans leurs relations mutuelles, aient dûment égard au droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes ;
b) [que l]es Etats Membres qui assument la responsabilité d’administrer des territoires non
autonomes contribuent à assurer et à faciliter l’exercice du droit précité par les peuples de ces
Territoires159.
173. Dans des résolutions adoptées ultérieurement, l’Assemblée générale a continué
d’affirmer l’existence d’un droit à l’autodétermination160.
174. L’Union africaine prend note de l’observation formulée par les Pays-Bas selon laquelle
la principale préoccupation des Etats qui s’étaient abstenus était moins l’utilisation du terme
«droit» dans le contexte du droit à l’autodétermination que le risque que ce droit ne se limite pas
aux populations de territoires non autonomes161. Au moment de l’adoption de la résolution 1514 en
1960, toute opposition à l’affirmation continue par l’Assemblée générale du droit à
l’autodétermination avait fait long feu162.
175. Par ailleurs, le Royaume-Uni et les Etats-Unis font valoir que l’historique des
négociations de l’article premier commun au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels révèle une
absence de consensus parmi les Etats Membres quant à l’existence, à la signification et à la portée
d’un droit à l’autodétermination qui continuait d’exister à la date d’adoption des pactes en 1966163.
Les Etats-Unis ont fait observer que, pendant le processus de rédaction, le Royaume-Uni avait voté
en faveur de la suppression du projet d’article premier164. Or, le Royaume-Uni s’est en fin de
compte abstenu lors du vote final sur l’adoption du projet d’article premier165. Le projet
158 Résolution 545 (V) de l’Assemblée générale, «Insertion dans le Pacte ou les Pactes internationaux relatifs aux
droits de l’homme d’un article sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» (Nations Unies, doc. A/RES/545 (VI) du
5 février 1952), par. 1.
159 Résolution 1188 (XII) de l’Assemblée générale, «Recommandation concernant le respect, sur le plan
international, du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes» (Nations Unies, doc. A/RES/1188 (XII) du
11 décembre 1957) (ci-après «résolution 1188»), adoptée par 54 voix pour, zéro voix contre et 13 abstentions,
paragraphe 1 du dispositif, litt. a) et b).
160 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 93.
161 Exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.6.
162 Voir, par exemple, exposé écrit de Maurice, par. 6.27.
163 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.70 ; et exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.37-4.39.
164 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.37.
165 Assemblée générale, «Projets de pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme», rapport de la
Troisième Commission (Nations Unies, doc. A/3077 du 8 décembre 1955) (ci-après, «rapport de la Troisième
Commission de l’Assemblée générale»), par. 74.
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d’article premier a été approuvé en novembre 1955 par la Troisième Commission de l’Assemblée
générale, par 41 voix pour et zéro voix contre, avec 17 abstentions166.
176. Les divergences d’opinions entre les Etats qui considéraient l’autodétermination comme
un principe politique et ceux qui considéraient qu’il s’agissait d’un droit légal furent résolues au
début des négociations167. Il appert du Rapport de la Troisième Commission de l’Assemblée
générale que certains Etats craignaient que l’article premier n’impose aux puissances coloniales des
obligations plus lourdes que celles de la Charte proprement dite, en tant que les territoires non
autonomes se verraient octroyer immédiatement, plutôt que progressivement, le droit à
l’indépendance168.
177. Par ailleurs, les Etats-Unis ont fait valoir que la pratique des Etats pendant les années
1950 et 1960 n’était pas suffisamment abondante ni quasi uniforme pour confirmer une acceptation
générale de l’existence du droit à l’autodétermination en droit international en se fondant sur le fait
que, dans certains cas, le statut d’un territoire non autonome avait changé «sans que l’on ait tenté
au préalable de vérifier les souhaits librement exprimés des habitants»169. Or, à l’inverse de
l’interprétation de la pratique des Etats avancée par les Etats-Unis, et ainsi que Maurice l’a noté de
façon exhaustive, dans la majorité des cas concernant des territoires non autonomes, des plébiscites
ou des élections ont été organisés ou encadrés par les Nations Unies avant que ces territoires
n’obtiennent leur indépendance ou soient rattachés à d’autres Etats170.
178. Dès lors, il ne fait aucun doute que le droit à l’autodétermination faisait partie du droit
international coutumier au moment de l’adoption de la résolution 1514 et que sa teneur, sa
signification et sa portée coutumières étaient dépourvues d’ambiguïté au moment critique de la
séparation de l’archipel des Chagos en 1965 et de l’indépendance de Maurice en 1965.
179. L’évolution du principe d’autodétermination en un droit à la fin des années 1950 était
indissociablement liée au processus de décolonisation. Ainsi que la Cour l’a affirmé, la
résolution 1514 est devenue «la base du processus de décolonisation»171.
III. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION ÉTAIT ET DEMEURE INTRINSÈQUEMENT LIÉ
AU DROIT À L’INTÉGRITÉ TERRITORIALE
180. Le Royaume-Uni a affirmé que les formulations du principe d’autodétermination ne
disent rien du territoire dans lequel vit le peuple concerné172. Cette affirmation est incorrecte.
181. Ainsi qu’il est souligné dans l’exposé écrit de l’Union africaine, à la date critique, le
droit à l’autodétermination était intrinsèquement lié au principe d’intégrité territoriale, en ce que
dans le contexte de la décolonisation, un peuple ne pouvait exercer son droit qu’au sein d’une unité
166 Loc. cit.
167 Exposé écrit de Maurice, par. 6.24.
168 Rapport de la Troisième Commission de l’Assemblée générale, par. 30.
169 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.71.
170 Exposé écrit de Maurice, par. 6.44.
171 Avis consultatif sur le Sahara occidental, p. 32, par. 57.
172 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.28.
- 40 -
territoriale173. En droit international coutumier, un peuple ne peut exercer son droit à
l’autodétermination qu’au sein d’un territoire. La résolution 1514 l’avait déjà confirmé174. C’est
également la position de la majorité des Etats qui se sont exprimés dans le cadre de la présente
procédure175.
182. Le lien entre autodétermination et intégrité territoriale, en ce qu’il a trait au fait que la
définition du terme peuple était fondée sur le territoire dans lequel il vivait, ainsi qu’il a été
expliqué à juste titre, est le suivant :
«dans le contexte de la décolonisation, le droit à l’autodétermination s’appliquait à
l’ensemble des habitants d’un territoire colonial et non aux minorités, aux groupes
ethniques ni à des segments de la population de ce territoire. La définition du titulaire
du droit à l’autodétermination ou «droit de décolonisation» était donc avant tout
territoriale.»176
183. Corollaire du fait que le droit à l’autodétermination devait être exercé au sein d’une
unité territoriale donnée, l’unité en question ne pouvait être démembrée avant l’exercice d’un tel
droit177. Ce principe était clairement énoncé dans le célèbre paragraphe 6 de la résolution 1514
(XV), qui prévoyait que : «Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité
nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la
Charte des Nations Unies.»178 (Les italiques sont de nous.)
184. Or, contre l’avis de la majorité des Etats prenant part à la procédure en cours179, le
Royaume-Uni et les Etats-Unis ont maintenu que le paragraphe 6 en question ne rendait pas compte
d’une règle de droit international coutumier en 1965180. Ils ont fait valoir qu’il n’existait pas
d’interprétation uniforme du sens dudit paragraphe ou de pratique uniforme des Etats la
confirmant181.
185. Le Royaume-Uni a soutenu que le libellé du paragraphe 6 était «tout au plus la
déclaration d’une politique, et non un texte juridique»182. Les Etats-Unis comme le Royaume-Uni
donnent à entendre que le libellé avait trait à l’intégrité territoriale des Etats nouvellement
173 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 135-157.
174 Dossier no 55, résolution 1514 (XV), par. 6.
175 Exposé écrit de l’Argentine, par. 38-45 ; exposé écrit du Belize, par. 3.1-3.13 ; exposé écrit du Brésil, par. 20-
24 ; exposé écrit de Maurice, par. 6.50, alinéa 3 ; exposé écrit de Djibouti, par. 35-42 ; et exposé écrit de la Namibie,
par. 3.
176 Exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.17.
177 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 142-157.
178 Dossier no 55, résolution 1514 (XV), par. 6.
179 Voir, par exemple, exposé écrit de l’Argentine, par. 38-45 ; exposé écrit du Belize, par. 3.1-3.13 ; exposé écrit
du Brésil, par. 20-24 ; exposé écrit de Maurice, par. 6.50, alinéa 3 ; exposé écrit de Djibouti, par. 35-42 ; exposé écrit de
la Namibie, par. 3 ; et exposé écrit du Nicaragua, par. 9.
180 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.31-8.61 ; et exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.47-4.72.
181 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.37-8.46 ; et exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.47-4.49.
182 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.36.
- 41 -
indépendants, en se fondant sur des observations formulées par l’Indonésie, l’Iran, le Pakistan, la
Tunisie et Chypre en 1960183.
186. Or, une analyse minutieuse conduit à des conclusions différentes. Premièrement, rien
dans le libellé du paragraphe 6 ne laisse penser qu’il s’agit d’une déclaration politique, et non
juridique. De fait, les termes du paragraphe 6 sont purement juridiques. Le libellé renvoie aux
concepts juridiques d’«unité nationale» et d’«intégrité territoriale», ainsi qu’à un traité
international, en l’occurrence «la Charte des Nations Unies».
187. En réalité, le Royaume-Uni contredit ses propres positions. Le 7 décembre 1967, lors
des débats de la Quatrième Commission sur la mise en oeuvre de la résolution 1514, le
Royaume-Uni a souligné l’importance du principe d’intégrité territoriale au paragraphe 6, en
déclarant ce qui suit :
«L’expression «intégrité territoriale», telle qu’elle est employée au paragraphe 6
du dispositif de la résolution 1514 (XV), s’entend de l’intégrité et de l’indivisibilité
d’un territoire qui formait un tout sous une administration antérieure : par exemple
l’ancien Congo belge, le Kenya, etc. C’est le concept que l’Organisation de l’unité
africaine (OUA) a eu la sagesse d’accepter, en reconnaissant toutes les frontières
coloniales antérieures, aussi absurdes qu’elles soient.»184
188. Deuxièmement, il est évident que l’interdiction de toute tentative visant à «détruire
partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays», ainsi qu’énoncée
au paragraphe 6, s’appliquait aux territoires coloniaux avant leur indépendance. L’Argentine a
parfaitement expliqué que :
«Au paragraphe 6, l’ajout des mots «ou d’un autre pays» pour compléter la
mention «d’un autre Etat» est révélateur et doit avoir une signification. Ces mots
donnent nécessairement à entendre que la référence à un autre Etat n’était pas
suffisante. Le contexte montre que ce qui se trouvait à la base même de la
résolution 1514 (XV) était la fin du colonialisme sous toutes ses formes. Dans certains
cas, la victime du colonialisme du fait de la destruction de l’intégrité territoriale peut
être un Etat, mais dans de nombreux autres cas il peut s’agir de «pays et peuples
coloniaux». En effet, l’objet et le but de la résolution étaient de mettre fin à tous les
griefs générés par la persistance du colonialisme. Le titre de la résolution lui-même
élimine toute prétention à considérer que le mot «pays» est employé au paragraphe 6
comme un synonyme «d’Etat» : «déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays
et aux peuples coloniaux». Il est indubitable que les Etats souverains n’ont pas besoin
de se voir octroyer l’indépendance.»185
189. Dès lors, les observations de l’Indonésie, de l’Iran, du Pakistan, de la Tunisie et de
Chypre, sur lesquelles se fondent le Royaume-Uni et les Etats-Unis n’étayent pas l’argument de ces
deux Etats selon lequel le paragraphe 6 de la résolution 1514 ne s’appliquait pas aux territoires non
autonomes avant leur indépendance. Aucune de ces observations n’exclut expressément
l’application du paragraphe 6 aux territoires non autonomes avant leur indépendance. Tout au
183 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.40-8.45 ; et exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.47-4.50.
184 Dossier no 201, Quatrième Commission, compte-rendu analytique, 1741e séance, jeudi 7 décembre 1967,
11 heures (Nations Unies, doc. A/C.4/SR.1741), par. 31.
185 Exposé écrit de l’Argentine, par. 40.
- 42 -
mieux, elles pourraient étayer un argument selon lequel le paragraphe 6 s’appliquait aussi à pareils
territoires, après l’obtention de leur indépendance.
 Les observations de l’Indonésie n’indiquent en rien que le paragraphe 6 ne s’appliquait pas aux
territoires non autonomes avant leur indépendance186. Elles concernent la rétention de la
Nouvelle-Guinée néerlandaise/Irian occidental par les Pays-Bas après l’indépendance de
l’Indonésie. Cette rétention avait eu lieu avant l’indépendance de l’Indonésie, en 1949, lorsque
les Pays-Bas ont séparé la Nouvelle-Guinée néerlandaise du reste de l’Indonésie. Les
observations de l’Indonésie ont été formulées après l’indépendance du pays.
 Les observations de l’Iran ne font pas particulièrement référence au paragraphe 6 de la
résolution 1514. Il n’y est jamais affirmé que le paragraphe ne s’appliquait pas aux territoires
non autonomes avant leur indépendance187.
 Les observations du Pakistan n’étayent guère le fait que le paragraphe 6 s’applique aux
territoires non autonomes après l’obtention de leur indépendance188.
 Les observations de la Tunisie ne concernent pas du tout le paragraphe 6. Elles font référence,
entre autres, aux désordres causés par la Belgique au Congo au lendemain de l’indépendance
186 Dossier no 67, procès-verbal de la 936e séance plénière de l’Assemblée générale (quinzième session), tenue le
lundi 5 décembre 1960 à 20 h 30 (Nations Unies, doc. A/PV.936), par. 55. La première observation sur laquelle se
fondent le Royaume-Uni et les Etats-Unis fait référence à la notion d’intégrité territoriale aux paragraphes 4, 6 et 7 de la
résolution 1514 (et non au seul paragraphe 6), notant ce qui suit :
«En outre, il nous paraît tout spécialement important que cette déclaration vise à prévenir toute
tentative pour provoquer un démembrement total ou partiel de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale
d’un pays. Aux paragraphes 4, 6 et 7, il est déclaré expressément que l’intégrité du territoire national des
peuples qui ont accédé à l’indépendance sera respectée. Ainsi, par ce texte, on rejette toutes les activités
coloniales d’où naissent des différends tels que celui de l’Irian occidental, qui oppose l’Indonésie aux
Pays-Bas. Ce texte rejette donc catégoriquement la politique coloniale des Pays-Bas qui invoque
abusivement, comme je l’ai déjà souligné le droit sacré des peuples à disposer d’eux-mêmes afin de
maintenir le colonialisme en Irian occidental, c’est-à-dire dans une région qui est partie intégrante de
notre territoire national.»
Dossier no 74, procès-verbal de la 947e séance plénière de l’Assemblée générale (quinzième session), tenue le
lundi 14 décembre 1960 à 15 heures (Nations Unies, doc A/PV.947), par. 9. La seconde observation sur laquelle se
fondent le Royaume-Uni et les Etats-Unis confirme que le paragraphe 6 de la résolution s’applique à une situation de
destruction de l’intégrité territoriale ou de l’unité nationale après l’indépendance, mais n’exclut pas son application avant
l’indépendance du pays :
«Lors de la rédaction de ce document, ma délégation a été l’un des auteurs du paragraphe 6, et, en
insérant ce texte dans le projet de résolution, nous pensions au maintien du colonialisme néerlandais en
Irian occidental (Nouvelle-Guinée néerlandaise), qui à notre avis constitue une atteinte à l’unité nationale
et à l’intégrité territoriale de notre pays.»
187 Dossier no 57, procès-verbal de la 926e séance plénière de l’Assemblée générale (quinzième session), tenue le
lundi 28 novembre 1960 à 15 heures (Nations Unies, doc A/PV.926), par. 71. Le passage pertinent se lit comme suit :
«Les Etats Membres, et à plus forte raison les anciennes puissances administrantes, doivent, de
plus, se retenir de toute atteinte visant à la dislocation partielle ou totale de l’unité nationale et de
l’intégrité territoriale d’un pays. Ainsi, il serait souhaitable que, dans la déclaration sur la fin du
colonialisme, tous les Etats Membres réitèrent solennellement leur engagement, proclamé par la Charte
des Nations Unies, de ne jamais violer la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale d’un autre Etat,
sous quelque forme que ce soit.»
188 Dossier no 61, procès-verbal de la 930e séance plénière de l’Assemblée générale (quinzième session), tenue le
jeudi 5 décembre 1960 à 10 h 30 (Nations Unies, doc A/PV.930), par. 73. Le passage pertinent se lit comme suit :
«De peur que nos collègues ne puissent être enclins à penser qu’en n’assortissant ces impératifs
d’aucun éclaircissement, nous aurions ainsi négligé les exigences qu’imposent la stabilité et la sécurité
internationales, nous signalons les dispositions du paragraphe 6, qui prévoit une garantie contre toute
tentative visant à porter atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale d’un pays.»
- 43 -
de ce dernier et concluent que les puissances coloniales doivent s’engager à respecter
l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale des nouveaux Etats189.
 Enfin, les observations de Chypre renvoient plus généralement au fait que le paragraphe 6 a
trait à la politique coloniale du «diviser pour mieux régner». Rien n’indique qu’elles fassent ou
non référence à la destruction partielle ou totale de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale
d’un pays avant ou après son indépendance190.
190. Dans la mesure où pareilles observations étayent un argument selon lequel le
paragraphe 6 s’appliquait aux territoires non autonomes, après l’obtention de leur indépendance,
l’Union africaine ne voit aucun problème à une telle interprétation du paragraphe 6. Elle fait valoir
que le paragraphe 6 était suffisamment général pour porter sur l’intégrité territoriale de territoires
non autonomes avant et après leur indépendance.
191. Troisièmement, les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, ainsi
que la pratique des Etats, dans les années qui ont suivi l’adoption de la résolution 1514, ne laissent
aucun doute quant au fait que le paragraphe 6 empêchait tout Etat de démembrer une unité
coloniale, avant l’exercice du droit à l’autodétermination et qu’il s’agissait d’une règle de droit
international coutumier en 1965. Nombre de résolutions de l’Assemblée générale, adoptées peu
après la résolution 1514, confortent le fait que le paragraphe 6 préservait l’intégrité territoriale des
territoires coloniaux191. Ainsi, la résolution 1573 (XV) sur la question algérienne, adoptée quelques
jours après la résolution 1514, se lisait comme suit :
«Prenant note que les deux parties intéressées ont accepté le droit de libre
détermination comme base pour la solution du problème algérien,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Convaincue que tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à
l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2. Reconnaît la nécessité impérieuse de garanties adéquates et efficaces pour
assurer que le droit de libre détermination sera mis en oeuvre avec succès et avec
justice sur la base du respect de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Algérie»192
(les italiques sont de nous).
192. Un an après l’adoption de la résolution 1514, l’Assemblée générale, par la
résolution 1654 (XVI), se disait préoccupée de ce que, «contrairement aux dispositions du
paragraphe 6 de la Déclaration, des actes visant à détruire partiellement ou totalement l’unité
189 Dossier no 60, procès-verbal de la 929e séance plénière de l’Assemblée générale (quinzième session), tenue le
mercredi 30 novembre 1960 à 15 heures (Nations Unies, doc A/PV.929), par. 126.
190 Dossier no 72, procès-verbal de la 945e séance plénière de l’Assemblée générale (quinzième session), tenue le
mardi 13 novembre 1960 à 15 heures (Nations Unies, doc. A/PV.945), par. 93. L’observation se lit comme suit : «Cela
est essentiel pour contrebalancer les conséquences de la politique qui consiste à «diviser pour régner», qui est souvent le
triste héritage du colonialisme et qui en prolonge les funestes effets jusque dans l’avenir.»
191 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 154-175. Voir aussi, par exemple, l’exposé écrit de Maurice, par. 6.51-
6.55, l’exposé écrit des Îles Marshall, par. 20, et l’exposé écrit du Belize, par. 3.5-3.6.
192 Résolution 1573 (XV) de l’Assemblée générale, «Question algérienne» (Nations Unies, doc. A/RES/1573
(XV) du 19 décembre 1960), neuvième et onzième alinéas du préambule et paragraphe 2 du dispositif.
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nationale et l’intégrité territoriale sont encore perpétrés dans certains pays en voie de
décolonisation»193 (les italiques sont de nous).
193. De nouveau, un mois après la publication de la résolution 1654, la résolution 1724
(XVI) sur la question algérienne rappelait que le droit à l’autodétermination devait être mis en
oeuvre dans le respect de l’intégrité territoriale de l’Algérie :
«Rappelant en outre sa résolution 1573 (XV) du 19 décembre 1960, par laquelle
elle a reconnu le droit du peuple algérien à la libre détermination et à l’indépendance,
la nécessité impérieuse de garanties adéquates et efficaces pour assurer que le droit de
libre détermination sera mis en oeuvre avec succès et avec justice sur la base du
respect de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Algérie et le fait que l’Organisation
des Nations Unies a la responsabilité de contribuer à ce que ce droit soit mis en oeuvre
avec succès et avec justice,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Invite les deux parties à reprendre les négociations en vue de mettre en oeuvre le
droit du peuple algérien à la libre détermination et à l’indépendance dans le respect de
l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Algérie.»194
194. L’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ont adopté pas moins de 22 résolutions,
avalisant le principe consacré au paragraphe 6 de la résolution 1514 selon lequel l’intégrité
territoriale des unités coloniales avant l’indépendance doit être respectée195. Elles concernaient le
Sud-Ouest africain196, le Bassoutoland, le Betchouanaland et le Souaziland197, Oman198, Aden199,
Nauru200, la Guinée équatoriale201, Gibraltar202, l’archipel des Comores203, la Côte française des
Somalis (Djibouti)204, et 26 territoires non autonomes, dont Maurice205.
193 Résolution 1654 (XVI) de l’Assemblée générale, «La situation en ce qui concerne l’application de la
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux», (Nations Unies, doc. A/RES/1654(XVI)
du 27 novembre 1961), sixième alinéa du préambule.
194 Résolution 1724 (XVI) de l’Assemblée générale, «Question algérienne» (Nations Unies,
doc. A/RES/1724(XVI) du 20 décembre 1961), septième alinéa du préambule.
195 Exposé écrit de Maurice, par. 6.55.
196 Assemblée générale, dix-huitième session, «Question du Sud-Ouest africain» (Nations Unies,
doc. A/RES/1899 (XVIII) du 13 novembre 1963) ; Assemblée générale, vingtième session, «Question du Sud-Ouest
africain» (Nations Unies, doc. A/RES/2074 (XX) du 17 décembre 1965) ; Assemblée générale, cinquième session
extraordinaire, «Question du Sud-Ouest africain» (Nations Unies, doc. A/RES/2248(S-V) du 19 mai 1967); Assemblée
générale, vingt-deuxième session, «Question du Sud-Ouest africain» (Nations Unies, doc. A/RES/2372 (XXII) du
12 juin 1968) (adoptée par 96 voix pour et 2 voix contre, avec 18 abstentions) ; Conseil de sécurité, «La situation en
Namibie» (Nations Unies, doc. S/RES/264 du 20 mars 1969) (adoptée par 13 voix pour et zéro voix contre, avec
2 abstentions) ; Conseil de sécurité, «La situation en Namibie» (Nations Unies, doc. S/RES/269 du 12 août 1969)
(adoptée par 11 voix pour et zéro voix contre, avec 4 abstentions).
197 Assemblée générale, dix-septième session, «Question du Bassoutoland, du Betchouanaland et du Souaziland»
(Nations Unies, doc. A/RES/1817 (XVII) du 18 décembre 1962) ; Assemblée générale, vingtième session, «Question du
Bassoutoland, du Betchouanaland et du Souaziland» (Nations Unies, doc. A/RES/1954 (XVII) du 16 décembre 1965).
198 Assemblée générale, vingt-deuxième session, «Question d’Oman» (Nations Unies, doc. A/RES/2302 (XXII)
du 12 décembre 1967) ; Assemblée générale, vingt et unième session, «Question d’Oman» (Nations Unies,
doc. A/RES/2238 (XXI) du 20 décembre 1966).
199 Assemblée générale, vingt et unième session, «Question d’Aden» (Nations Unies, doc. A/RES/2183 (XXI) du
12 décembre 1966).
200 Assemblée générale, vingt-deuxième session, «Question du Territoire sous tutelle de Nauru» (Nations Unies,
doc. A/RES/2347 (XXI) du 19 décembre 1967).
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195. Ce qui est remarquable concernant ces résolutions est qu’elles ont été adoptées i) avant
le détachement de l’archipel des Chagos de Maurice ; ii) avant l’indépendance de Maurice ; ou
iii) juste après celle-ci.
196. Il ressort en outre de la pratique des Etats au cours de la période concernée qu’il existait
un principe de droit international coutumier selon lequel l’intégrité territoriale des unités coloniales
devait être respectée afin que le peuple puisse exercer son droit à l’autodétermination.
197. Les Etats-Unis soutiennent qu’aucune pratique uniforme des Etats n’existait à cet
égard206. A l’appui de leur argument, ils se fondent sur i) la décolonisation des Cameroons
britanniques et du Ruanda-Urundi qui, selon eux, ont chacun été «divisés en deux» et ont emprunté
une voie différente vers l’indépendance ; ii) la décolonisation de la Jamaïque, dans le cadre de
laquelle la Jamaïque a été séparée des îles Caïmanes et des îles Turques et Caïques, mais a
conservé l’autorité sur les deux territoires, qui n’ont pas accédé à l’indépendance en même temps
que la Jamaïque et sont restés des territoires non autonomes distincts ; iii) la situation de plusieurs
territoires non autonomes, qui «ont choisi un autre statut» que l’indépendance ; et iv) la situation de
plusieurs territoires non autonomes, dont le statut a changé «sans que l’on ait tenté au préalable de
vérifier les souhaits librement exprimés des habitants»207.
198. Une fois encore, pareille affirmation est incorrecte. Ainsi qu’il a été démontré, il existait
en 1965 un principe de droit international coutumier selon lequel l’intégrité territoriale de l’unité
coloniale devait être maintenue jusqu’au libre exercice du droit à l’autodétermination.
199. A cet égard, l’Union africaine fait observer que la plupart des exemples sur lesquels se
fondent les Etats-Unis pour soutenir une supposée pratique contraire des Etats (c’est-à-dire, des
Etats ayant renoncé à leur droit à l’intégrité territoriale) sont manifestement dénués de pertinence.
Le fait que certains territoires non autonomes aient librement choisi un autre statut que
l’indépendance, ou que d’autres aient accédé à l’indépendance sans tenter de s’assurer du souhait
librement exprimé du peuple du territoire, ne contredit pas le fait que l’intégrité territoriale de
l’unité coloniale devait être maintenue jusqu’au libre exercice du droit à l’autodétermination.
Pareilles observations ne traitent que des trois exemples liés à la question en jeu, à savoir le
Ruanda-Urundi, les Cameroons britanniques et la Jamaïque.
200. Ainsi que Maurice l’a souligné à juste titre, les seules exceptions au principe selon
lequel un nouvel Etat est formé de la totalité de l’ancien territoire non autonome sont intervenues
201 Assemblée générale, vingt et unième session, «Question de la Guinée équatoriale» (Nations Unies,
doc. A/RES/2230 (XXI) du 20 décembre 1966) ; Assemblée générale, vingt-deuxième session, «Question de la Guinée
équatoriale» (Nations Unies, doc. A/RES/2355 (XXII) du 19 décembre 1967).
202 Assemblée générale, vingt-deuxième session, «Question de Gibraltar» (Nations Unies, doc. A/RES/2353
(XXII) du 19 décembre 1967).
203 Assemblée générale, vingt-huitième session, «Question de l’archipel des Comores» (Nations Unies,
doc. A/RES/3161 (XXVIII) du 14 décembre 1973) ; Assemblée générale, vingt-neuvième session, «Question de
l’archipel des Comores» (Nations Unies, doc. A/RES/3291 (XXIX) du 13 décembre 1974).
204 Assemblée générale, trentième session, «Question de la Côte française des Somalis» (Nations Unies,
doc. A/RES/3480 (XXX) du 11 décembre 1975).
205 Dossier no 171, résolution 2232 (XXI) ; dossier no 198, résolution 2357 (XXII).
206 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.65-4.72.
207 Ibid., par. 4.69-4.72
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dans des situations où le maintien de l’intégrité de l’unité s’avérait impossible en raison de
troubles208. C’est précisément ce qui s’est passé s’agissant du Ruanda-Urundi209. L’Assemblée
générale a fait référence au fait que les efforts engagés pour maintenir l’unité du Ruanda-Urundi
n’avaient pas abouti. Il convient néanmoins de rappeler que toutes les résolutions antérieures de
l’Assemblée générale avaient insisté sur le fait que le Ruanda-Urundi devrait accéder à
l’indépendance «en tant qu’Etat unique, uni et composite»210.
201. Lorsque se posait la question de savoir si l’intégrité territoriale devait être modifiée (par
union ou par sécession), l’ONU encadrait les plébiscites presque toujours organisés en pareil cas211.
De fait, tel fut le cas s’agissant des Cameroons britanniques212, l’exemple même dont se prévalent
les Etats-Unis.
202. En outre, ainsi que le reconnaissent les Etats-Unis, les îles Turques et Caïques et les îles
Caïmanes ont eu la possibilité d’obtenir leur indépendance et ont choisi par un vote de rester des
colonies du Royaume-Uni en 1962213.
203. Enfin, l’Union africaine fait observer que le Royaume-Uni a invoqué la règle de
«l’objecteur persistant» et a fait valoir, à titre subsidiaire, que «[m]ême s’il y avait eu dans les
années 1960 un «droit» coutumier à l’intégrité territoriale dont auraient joui les peuples des
territoires non autonomes, ce «droit» n’aurait pas été opposable au Royaume-Uni, parce que
celui-ci l’avait systématiquement contesté»214. Le Royaume-Uni a affirmé qu’il avait considéré
certains éléments de la résolution 1514 comme inacceptables, dont les termes du paragraphe 6 se
rapportant à l’intégrité territoriale d’un pays215.
204. Or, ainsi qu’il a été expliqué plus haut, le Royaume-Uni a auparavant réaffirmé en 1967
que «l’intégrité et … l’indivisibilité d’un territoire qui formait un tout sous une administration
antérieure» constituaient un «principe essentiel»216. Par ailleurs, le Royaume-Uni ne semble pas
s’être opposé à l’existence d’un droit à l’autodétermination à la date concernée. Au contraire, le
Royaume-Uni semble s’être préoccupé de ce que le droit à l’autodétermination risquait d’être
208 Exposé écrit de Maurice, par. 6.58, faisant référence à la question du Ruanda-Urundi dans Assemblée
générale, seizième session, «Avenir du Ruanda-Urundi» (Nations Unies, doc. A/RES/1746 (XVI) du 27 juin 1962)
(ci-après, «résolution 1746 (XVI)»).
209 Loc. cit.
210 Loc. cit.
211 Exposé écrit de Maurice, par. 6.58-6.60.
212 Assemblée générale, treizième session, «Avenir du Territoire sous tutelle du Cameroun sous administration du
Royaume-Uni» (Nations Unies, doc. A/RES/1350 (XIII) du 13 mars 1959) ; et Assemblée générale, quatorzième session,
«Avenir du Territoire sous tutelle du Cameroun sous administration du Royaume-Uni : organisation d’un nouveau
plébiscite dans la partie septentrionale du Territoire» (Nations Unies, doc. A/RES/1473 (XIV) du 12 décembre 1959).
213 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.68.
214 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.59-8.61 et 8.71.
215 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.61.
216 Exposé écrit du Belize, par. 3.7, faisant référence au dossier no 201, Quatrième Commission, compte-rendu
analytique, 1741e séance, op. cit., par. 31.
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interprété comme imposant aux puissances administrantes l’obligation d’accorder immédiatement
l’indépendance aux territoires non autonomes217.
205. En tout état de cause, la doctrine reconnaît couramment qu’une fois qu’une règle de
droit international coutumier est établie, un Etat ne peut se soustraire unilatéralement aux
obligations imposées par pareille règle.
206. En tant que territoire non autonome, on pouvait s’attendre à ce que Maurice bénéficiât
des protections prévues par la Charte. S’il n’a pas été forcément évident lors de la rédaction de la
Charte que le principe d’autodétermination s’appliquait aux territoires non autonomes, la Cour,
dans son premier avis consultatif sur la Namibie, a reconnu que
«l’évolution ... du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il
est consacré par la Charte des Nations Unies, a fait de l’autodétermination un principe
applicable à tous ces territoires. La notion de mission sacrée a été confirmée et
étendue à tous les «territoires dont les populations ne s’administrent pas encore
complètement elles-mêmes» (art. 73). Il est clair que ces termes visaient les territoires
sous régime colonial.»218 (Les italiques sont de nous.)
IV. LA DÉCOLONISATION DE MAURICE N’A PAS ÉTÉ VALIDEMENT
MENÉE À BIEN EN 1968
207. Ni le Royaume-Uni ni les Etats-Unis n’ont cherché à établir que, pendant la
décolonisation de Maurice, le Royaume-Uni avait respecté le droit à l’autodétermination, en ce
compris le droit à l’intégrité territoriale. Ils se sont contentés de faire valoir que la résolution 2066
ne procédait pas d’une obligation impérative219. Les Etats-Unis ont en outre soutenu que des Etats
étaient en net désaccord avec les termes employés dans le cadre des résolutions 2332 (XXI) et
2357 (XXII), laissant entendre que, dès lors, elles ne représentaient pas l’opinio juris à l’époque220.
Ainsi qu’il a été clarifié dans l’exposé écrit de l’Union africaine, pareille affirmation est incorrecte.
208. L’Union africaine a fait valoir que la décolonisation de Maurice n’avait pas été
validement menée à bien, en ce que l’unité territoriale concernée par l’autodétermination, Maurice,
en ce compris l’archipel des Chagos, avait été démembrée avant l’indépendance de Maurice sans
que soit recherché le libre consentement de la population dans son ensemble221. En témoignent la
résolution 2066 de l’Assemblée générale, qui fait expressément référence à la violation par le
Royaume-Uni du droit à l’autodétermination et à l’intégrité territoriale de Maurice, ainsi que les
résolutions 2232 et 2357, qui ont également trait au droit à l’autodétermination et à son corollaire,
l’intégrité territoriale222. Nombre d’Etats étaient du même avis223.
217 Rapport du groupe de travail de haut niveau sur la question de la ratification des pactes internationaux relatifs
aux droits de l’homme, 1er août 1974, annexe D, par. 5, annexe 86 à l’exposé écrit du Royaume-Uni. Voir aussi exposé
écrit de Maurice, par. 6.40.
218 Avis consultatif sur la Namibie, p. 31, par. 52.
219 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.49-8.54 ; et exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.55-4.57.
220 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.57-4.58.
221 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 129-198.
222 Ibid., par. 158-175.
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209. La résolution 2066 employait un langage obligatoire s’agissant du détachement de
l’archipel des Chagos. Il y était noté avec une vive préoccupation que toute mesure prise par le
Royaume-Uni pour établir une base militaire contrevenait à la résolution 1514 (XV)224. La
résolution confirmait en outre que «le [Royaume-Uni] n’[av]ait pas appliqué complètement la
résolution 1514», invitait le Royaume-Uni «à prendre des mesures efficaces en vue de la mise en
oeuvre immédiate et complète de la résolution 1514» et lui demandait de «ne prendre aucune
mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale»225.
210. Les résolutions 2232 et 2357 ont été adoptées sans aucune voix contre. Ce seul élément
remet en question l’affirmation des Etats-Unis selon laquelle des Etats étaient fortement en
désaccord avec la formulation relative à l’intégrité territoriale dans les résolutions 2232 et 2357. Si
leur désaccord avait été aussi fort que l’avancent les Etats-Unis, les Etats concernés, dont le
Royaume-Uni et les Etats-Unis eux-mêmes, auraient voté contre.
211. Dans sa résolution 2232, adoptée en 1966, l’Assemblée générale rappelait les
résolutions 1514 (XV) et 206 (XX) et réitérait «sa déclaration selon laquelle toute tentative visant à
détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires
coloniaux et à établir des bases et des installations militaires dans ces territoires est incompatible
avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de la résolution 1514 (XV) de
l’Assemblée générale»226.
212. La résolution réaffirmait «le droit inaliénable des peuples de ces territoires à
l’autodétermination et à l’indépendance» et invitait «les puissances administrantes à appliquer sans
retard les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale»227.
213. Le Royaume-Uni ne s’est pas conformé à la résolution 2232 (XXI). Dix jours après
l’adoption de la résolution par l’Assemblée générale, le 30 décembre 1966, le Royaume-Uni a
conclu un accord bilatéral avec les Etats-Unis, par voie d’échange de notes, en vue de rendre
disponible à des fins de défense le Territoire britannique de l’océan Indien228.
214. Ce fait n’a pas échappé à l’attention du Comité spécial. Le 5 décembre 1967, le Comité
spécial a communiqué son sixième rapport, dans lequel il affirmait expressément qu’il avait de
nouveau invité le Royaume-Uni «à restituer à Maurice … les îles qui en avaient été détachées en
violation de son intégrité territoriale et de s’abstenir d’y établir des installations militaires»229.
223 Exposé écrit de l’Argentine, par. 48-51 ; exposé écrit du Belize, par. 4.1-4.2 ; exposé écrit du Brésil, par. 23 et
24 ; exposé écrit de Djibouti, par. 35-42 ; exposé écrit de l’Inde, par. 57-65 ; exposé écrit de Maurice, par. 6.62-6.108 ;
exposé écrit de la Namibie, p. 3 ; exposé écrit du Nicaragua, par. 10-13 ; et exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 78.
224 Dossier no 146, résolution 2066 (XX), cinquième alinéa du préambule.
225 Ibid., quatrième alinéa du préambule et par. 3 et 4.
226 Dossier no 171, résolution 2232 (XXI), par. 4.
227 Ibid., par. 2 et 3.
228 «Echange de notes constituant un accord entre le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique en vue de rendre disponible à des fins de défense le
Territoire britannique de l’océan Indien (signé et entré en vigueur le 30 décembre 1966, RTNU, vol. 15 (1967)).
229 Dossier no 254, rapport du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, vingt-deuxième session, 1967,
Nations Unies, doc. A/6700/Rev.1 (Partie III), p. 37.
- 49 -
215. En outre, un certain nombre de membres du Comité ont expressément condamné le
non-respect par le Royaume-Uni de ses obligations en vertu de la résolution 2066230, le représentant
indien déclarant expressément que le démembrement de l’archipel des Chagos de Maurice
constituait une «violation claire de la résolution 2066 (XX) de l’Assemblée générale»231.
216. Peu après la communication par le Comité spécial de son sixième rapport, la Quatrième
Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies s’est de nouveau réunie pour débattre de
la mise en oeuvre de la résolution 1514 (XV)232. Au cours de ces débats, un certain nombre de
délégués ont condamné les agissements du Royaume-Uni concernant Maurice et l’archipel des
Chagos233. A la clôture de séance, la Quatrième Commission a adopté le projet de
résolution A/C.4/L.899, avant de le recommander à l’Assemblée générale234. Le texte de cette
résolution correspond à ce qui allait devenir la résolution 2357 (XXII) de l’Assemblée générale.
217. La résolution 2357 rappelait, entre autres, les résolutions 1514 (XV), 2066 (XX) et
2232 (XXI), et renvoyait au sixième rapport du Comité spécial, notamment au chapitre relatif à
Maurice. Dans cette résolution, l’Assemblée générale se disait profondément préoccupée par
«les renseignements contenus dans le rapport du Comité spécial concernant la
persistance de politiques visant notamment à la destruction de l’intégrité territoriale de
certains de ces territoires et à l’établissement, par les puissances administrantes, de
bases et d’installations militaires en violation des résolutions pertinentes de
l’Assemblée générale»235.
218. La résolution réaffirmait également «le droit inaliénable des peuples de ces territoires à
l’autodétermination et à l’indépendance». En outre, elle invitait les «puissances administrantes à
appliquer sans retard les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale et réitérait «sa déclaration
selon laquelle toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et
l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à établir des bases et des installations militaires
dans ces territoires est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et
de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale»236.
219. En conséquence, s’agissant des faits intéressant la question a) sur le point de savoir si la
décolonisation de Maurice a été validement menée à bien, il est avancé :
230 Dossier no 254, rapport du Comité spécial, vingt-deuxième session, op. cit., p. 48 (représentant de la Pologne)
et p. 49 (représentant de la Bulgarie).
231 Dossier no 254, rapport du Comité spécial, vingt-deuxième session, p. 48.
232 Dossier no 201, Quatrième Commission, 1741e séance, op. cit. ; dossier no 202, Quatrième Commission,
compte rendu analytique, 1750e séance, jeudi 14 décembre 1967, 16 h 5 (Nations Unies, doc. A/C.4/SR.1750) ; dossier
no 203, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1751e séance, vendredi 15 décembre 1967, 11 heures
(Nations Unies, doc. A/C.4/SR.1751) ; dossier no 204, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1752e séance,
vendredi 15 décembre 1967, 15 h 25 (Nations Unies, doc. A/C.4/SR.1752) ; dossier no 205, Quatrième Commission,
compte rendu analytique, 1755e séance, samedi 16 décembre 1967, 15 h 30 (Nations Unies, doc. A/C.4/SR.1755).
233 Dossier no 204, Quatrième Commission, 1752e séance, op. cit., par. 3 (représentant de l’Inde) et 82 à 84
(représentant de la Pologne).
234 Dossier no 205, Quatrième Commission, 1755e séance, op cit., p. 562 ; dossier no 200, rapport de la Quatrième
Commission, «Application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux —
Territoires n’ayant pas été examinés séparément» (Nations Unies, doc. A/7013 du 18 décembre 1967), p. 15 et 22 à 24.
235 Dossier no 198, résolution 2357 (XXII), sixième alinéa du préambule.
236 Ibid., premier, deuxième et cinquième alinéas du préambule et par. 2 à 4.
- 50 -
i) que l’unité concernée par la décolonisation était le territoire de Maurice dans son
intégralité, en ce compris l’archipel des Chagos,
ii) que les Nations Unies ont reconnu le territoire de Maurice dans son intégralité comme
l’unité concernée par l’autodétermination,
iii) que la décision de la puissance administrante de démembrer Maurice avant l’indépendance
n’avait pas d’effet sur l’unité concernée par l’autodétermination, qui demeurait le territoire
de Maurice dans son intégralité,
iv) que le droit à l’autodétermination devait être exercé selon la volonté librement exprimée
du peuple du territoire concerné,
v) que le détachement de l’archipel des Chagos a été mené en secret sans la moindre tentative
de s’assurer des vues du peuple de Maurice, et
vi) que «l’accord» du Conseil des ministres de Maurice ne pouvait satisfaire aux critères de
l’autodétermination, en ce que Maurice n’avait de fait aucun choix237.
220. Sur ce tout dernier point, c’est-à-dire l’accord de 1965, il convient de se poser la
question de savoir comment une colonie peut assumer, sous l’autorité d’une puissance coloniale et
si elle a été menacée, d’accepter soit le détachement d’une partie de son territoire, soit de demeurer
indéfiniment une colonie. L’Union africaine ne demande pas à la Cour d’examiner la validité de
l’accord de 1965, puisque celui-ci ne relève pas de la question qui lui est posée. Au contraire,
l’exploitation de pareil accord devrait être limitée aux faits nécessaires pour s’assurer que les
représentants de Maurice ou le peuple des Chagos n’ont pu exercer ni leur libre volonté ni leur
droit à l’autodétermination en 1965.
221. L’Union africaine prie respectueusement la Cour de conclure que la décolonisation de
Maurice n’a pas été validement menée à bien, en ce que l’unité territoriale concernée par
l’autodétermination, Maurice, en ce compris l’archipel des Chagos, a été démembrée avant
l’indépendance de Maurice sans que soit recherché le libre consentement de la population dans son
ensemble. En d’autres termes, il conviendrait que la Cour réponde à la question par la négative.
222. Il ressort de ce qui précède qu’il ne saurait exister de différend relatif à la souveraineté
ou de différend territorial entre Maurice et le Royaume-Uni alors que l’un d’entre eux, le
Royaume-Uni en l’espèce, n’a jamais eu le moindre titre sur un territoire et n’aurait pu même
revendiquer de titre sur un territoire. Les titre territoriaux ne peuvent être acquis que conformément
au droit international général. Aucun Etat ne peut acquérir un titre sur un territoire qu’il n’a pas
administré conformément au droit international. Au surplus, aucun Etat ne peut se prévaloir d’un
droit sur un territoire, et sur le peuple qui y est attaché, alors qu’il a violé le droit à
l’autodétermination dudit peuple en l’empêchant de se prononcer sur le futur statut de son
territoire. Tel est exactement ce qui s’est passé dans le cas de l’archipel des Chagos.
223. Les maximes nemo auditur propriam turpitudinem allegans et ex injuria jus non oritur
sont des principes généraux de droit régulièrement reconnus par la Cour dans sa propre
jurisprudence et dont il convient de tenir compte en l’espèce238. En application de ces maximes, un
Etat ne peut dériver un droit de sa propre faute ou d’un fait internationalement illicite. Comme
237 Exposé écrit de Maurice, par. 6.62-6.108.
238 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 76, par. 133.
- 51 -
démontré par l’Union africaine, et par d’autres Etats, en l’espèce, le détachement de l’archipel des
Chagos en 1965 a constitué et constitue encore à ce jour un fait internationalement illicite, dont le
Royaume-Uni ne saurait dériver le moindre droit, et encore moins un titre territorial qui lui
permettrait de qualifier l’affaire existant entre Maurice et le Royaume-Uni de question relative à la
souveraineté (territoriale).
V. IL CONVIENDRAIT QUE LA COUR AIT RECOURS À UNE PERSPECTIVE GLOBALE POUR
ÉTABLIR LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DU MAINTIEN DE L’ADMINISTRATION
ILLICITE DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS
224. Compte tenu de ce qui précède, la position de l’Union africaine au sujet de la
question b) peut être résumée comme suit :
i) Du fait du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni, le
Royaume-Uni a violé, et continue de violer, plusieurs obligations internationales distinctes
de nature erga omnes (qui, à ce titre, s’appliquent à Maurice), parmi lesquelles : i) le
respect du droit à l’autodétermination du peuple mauricien ; ii) l’obligation de s’abstenir
de tout acte violant l’intégrité territoriale ou l’unité nationale de Maurice ; et iii) les droits
fondamentaux des nationaux mauriciens, en particulier ceux d’origine chagossienne239.
ii) Le manquement par un Etat à des obligations internationales n’exempte pas l’Etat
concerné de s’acquitter de pareilles obligations240.
iii) Le Royaume-Uni est dans l’obligation de de mener à bien le processus de décolonisation
de Maurice, de faire cesser sans délai la situation illicite et d’octroyer pleinement
réparation à Maurice.
iv) Les Etats tiers et les organisations internationales sont dans l’obligation d’aider à
l’achèvement de la décolonisation de Maurice et de s’abstenir d’aider le Royaume-Uni à
maintenir l’archipel des Chagos sous son administration et à maintenir la situation illicite
actuelle.
225. Ainsi qu’il a déjà été indiqué dans les présentes observations écrites, l’Union africaine
prend note des arguments du Royaume-Uni selon lesquels la question b) est «vague et formulée en
des termes imprécis»241. L’Union africaine est d’avis qu’au contraire, la question b) est claire. La
question vise les conséquences juridiques découlant d’une situation de fait particulière. Ainsi qu’il
est énoncé au paragraphe 151 des présentes observations écrites, pour répondre à cette question, la
Cour devra se prononcer sur la question a), en l’occurrence celle de savoir si le processus de
décolonisation de Maurice a été validement mené à bien, et sur la question de savoir si des
conséquences juridiques découlent en droit international du maintien de l’archipel des Chagos sous
l’administration du Royaume-Uni. Dès lors, comme ce fut le cas par le passé242, la Cour de céans
est priée d’identifier les principes juridiques pertinents et de donner un avis sur la manière dont
pareils principes devraient être appliqués.
239 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 217.
240 Ibid., par. 219.
241 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.4.
242 Avis consultatif sur les armes nucléaires, p. 234, par. 13 ; et avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 154,
par. 38.
- 52 -
226. L’Union africaine a déjà répondu aux arguments selon lesquels la Cour devrait
interpréter la question b) de façon restrictive de sorte à s’en tenir aux «questions pertinentes pour
l’Assemblée générale dans le contexte du processus global de décolonisation», sans examiner les
conséquences juridiques susceptibles de résulter pour des Etats243. On a fait valoir que, si
l’Assemblée générale avait souhaité que la Cour se penche sur les conséquences juridiques pour
des Etats, elle n’aurait pas manqué de le dire expressément244. Au surplus, il a été avancé qu’en
accord avec sa jurisprudence, il conviendrait que la Cour prenne en compte les confirmations faites
par les Etats qui ont soutenu la requête que «la seule intention de l’Assemblée générale était, en
présentant cette demande, de s’informer des paramètres juridiques nécessaires pour orienter ses
travaux»245.
227. Pareille lecture des déclarations politiques faites avant, pendant ou après l’adoption de
la résolution 71/292 est, une fois encore, par trop littérale et restrictive et revient à faire dire
beaucoup à autrui. Quand bien même, pareilles allégations n’indiquent pas les termes exacts dans
lesquels de telles déclarations restrictives ont été formulées et la référence au fait d’orienter les
travaux de l’Assemblée générale elle-même ne saurait dévoiler une intention selon laquelle
l’Assemblée souhaiterait obtenir un avis qui ne peut être appliqué par aucune partie à part elle.
228. Au surplus, l’Allemagne a distingué les questions de l’espèce de celle posée en l’affaire
de l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, sur le fondement de ce que ladite question faisait
spécifiquement mention de la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles
en temps de guerre de 1949, laissant ainsi entendre que l’Assemblée générale avait souhaité faire
spécifiquement référence aux obligations d’Etats tiers en vertu de la convention en question246. Or,
l’Union africaine fait valoir qu’il appartient à la Cour d’établir pour quelles entités naissent des
conséquences juridiques en l’espèce. Dès lors, l’Union africaine rappelle les conclusions de la Cour
dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur selon lesquelles :
«la Cour considère que la question qui lui a été posée quant aux conséquences
juridiques de la construction du mur n’est pas de nature abstraite et que c’est en outre
à elle qu’il appartiendrait de déterminer à l’égard de qui ces conséquences devraient
être précisées»247 (les italiques sont de nous).
229. Par ailleurs, les questions de décolonisation, d’autodétermination et d’intégrité
territoriale sont d’intérêt non seulement pour les Nations Unies, mais également pour tous les Etats
et pour les organisations internationales intéressées, agissant par l’entremise de l’Assemblée
générale ou par un autre moyen. C’est ce dont rend compte la question b) qui renvoie aux
conséquences en droit international, «y compris au regard des obligations évoquées dans les
résolutions susmentionnées». Sur ce point, l’Union africaine rappelle que la résolution 1514 invite
tous les Etats à observer les dispositions de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration
universelle des droits de l’homme et de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux. En application du paragraphe 7 de son dispositif :
«Tous les Etats doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de la
Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la
présente Déclaration sur la base de l’égalité, de la non-ingérence dans les affaires
243 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 131 et 132.
244 Ibid., par. 133.
245 Ibid., par. 134.
246 Ibid., par. 111.
247 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 155, par. 40.
- 53 -
intérieures des Etats et du respect des droits souverains et de l’intégrité territoriale de
tous les peuples.»248
230. En outre, l’Union africaine rappelle la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale
relative à la Déclaration relatives aux principes du droit international touchant les relations
amicales, selon laquelle :
«Tout Etat a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres Etats ou
séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit
à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider
l’Organisation des Nations Unies à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées
la Charte ce qui concerne l’application de ce principe.»249
231. Les résolutions de l’Assemblée générale qui réaffirment la résolution 1514 et traitent de
l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
étaient adressées à «tous les Etats», ainsi qu’aux Etats administrants. Ainsi, la résolution 72/111
(2017) de l’Assemblée générale se lit comme suit :
«12. Demande à tous les Etats, en particulier les puissances administrantes, ainsi
qu’aux institutions spécialisées et aux autres organismes des Nations Unies, de donner
effet, dans leurs domaines de compétence respectifs, aux recommandations du Comité
spécial relatives à l’application de la Déclaration et des autres résolutions pertinentes
de l’Organisation ;250
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
16. Prie instamment tous les Etats, agissant directement ou dans le cadre des
institutions spécialisées et autres organismes des Nations Unies, d’apporter, si
nécessaire, une aide morale et matérielle aux peuples des territoires non
autonomes.»251
232. Par ailleurs, ainsi que l’a déjà avancé l’Union africaine, les obligations internationales
ayant trait à l’autodétermination sont erga omnes et, partant, concernent tous les Etats252. Ainsi que
la Cour de céans l’a affirmé dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur :
«La Cour observera à cet égard qu’au rang des obligations internationales
violées par Israël figurent des obligations erga omnes. Comme la Cour l’a précisé dans
l’affaire de la Barcelona Traction, de telles obligations, par leur nature même,
«concernent tous les Etats» et, «[v]u l’importance des droits en cause, tous les Etats
peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient
protégés» (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, deuxième phase,
arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33). Les obligations erga omnes violées par
248 Dossier no 55, résolution 1514 (XV), par. 7.
249 Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, «Déclaration relative aux principes du droit international
touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies»
(Nations Unies, doc A/RES/2625 (XXV) du 24 octobre 1970) (ci-après, «résolution 2625 (XXV)»), par. 1.
250 Résolution 72/111 (2017) de l’Assemblée générale, «Application de la Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux» (Nations Unies, doc. A/RES/72/111 du 15 décembre 2017) (ci-après,
«résolution 72/111 (2017)»), par. 12.
251 Résolution 72/111 (2017), par. 16.
252 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 217.
- 54 -
Israël sont l’obligation de respecter le droit du peuple palestinien à
l’autodétermination ainsi que certaines des obligations qui sont les siennes en vertu du
droit international humanitaire.»253
233. Il a été suggéré que, pour répondre à la question b), la Cour devrait formuler un avis sur
la question de savoir si le Royaume-Uni ou Maurice détiennent actuellement la souveraineté sur
l’archipel des Chagos et que ce point obligerait la Cour à examiner l’ensemble des échanges
bilatéraux entre les deux Etats avant et après l’indépendance de Maurice en 1968254. Or,
l’Union africaine fait valoir qu’au contraire, traiter de la question de la souveraineté et des
échanges bilatéraux entre les deux Etats avant et après l’indépendance de Maurice n’est pas
nécessaire pour se prononcer sur la question posée.
234. Dans la question b), il est demandé à la Cour de céans d’examiner les conséquences
juridiques du non-achèvement du processus de décolonisation (si la Cour en juge ainsi) et du
maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni. Les questions de
souveraineté ou les échanges bilatéraux entre les deux Etats n’ont aucun intérêt pour la question de
la teneur de la responsabilité internationale du Royaume-Uni née de sa commission d’un fait
internationalement illicite ou d’actes dus à son incapacité à mener validement à bien la
décolonisation et à son maintien de l’administration des Chagos. En outre, ainsi qu’il a été
largement expliqué, la question b), telle qu’elle est posée, ne tourne pas l’obligation de consentir au
règlement judiciaire international d’un litige, comme l’avance le Royaume-Uni255.
235. Il a également été avancé que
«[p]our être en mesure d’examiner la question b), la Cour aura probablement besoin
d’informations sur l’existence, la faisabilité et les objectifs de tout programme que
Maurice pourrait avoir conçu pour la réinstallation sur l’archipel de ses nationaux, «y
compris … ceux d’origine chagossienne»»256.
Or, il est soumis que pareille position va à l’encontre des principes mêmes de la responsabilité de
l’Etat, en ce que l’examen des conséquences juridiques d’un fait internationalement illicite se limite
aux obligations de l’Etat responsable257. Les intentions de l’Etat lésé ne sont pas pertinentes et,
partant, n’ont pas à être examinées.
236. Sur ce point, le Royaume-Uni fait valoir que la Cour ne devrait pas chercher à revenir
sur les conclusions du Tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII à la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer et que «[ces conclusions] continueraient de s’imposer de même
[aux Parties] si la Cour émettait un avis contraire ou différent sur les droits et obligations
réciproques des deux Etats»258. En particulier, le Royaume-Uni a fait référence à son engagement,
dans le cadre de l’accord de 1965, de restituer l’archipel des Chagos à Maurice lorsqu’il ne serait
253 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 199, par. 155.
254 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.5.
255 Loc. cit.
256 Ibid., par. 9.9.
257 Le texte des projets d’articles et les commentaires y afférents sont reproduits dans Annuaire de la Commission
du droit international 2001, vol. II (deuxième partie) (Nations Unies, doc. A/CN.4/SER.A/ 2001/Add.1 (Part 2),
p. 30-143.
258 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.14.
- 55 -
plus nécessaire à des fins de défense259, et à la conclusion selon laquelle un tel engagement
donnerait à Maurice un intérêt quant à l’état dans lequel l’archipel des Chagos serait restitué260.
237. Pareille position du Royaume-Uni n’est pas tenable. Conclure que le Royaume-Uni est
responsable de la commission d’un fait internationalement illicite continu et, en conséquence, qu’il
est dans l’obligation de faire cesser sans délai la situation illicite et d’octroyer pleinement
réparation à Maurice pour le préjudice causé ne serait pas contradictoire avec les conclusions du
tribunal arbitral. Il est rappelé que la décision du tribunal portait sur la nature des droits de
Maurice, en vertu de l’accord de 1965. Le tribunal a conclu, entre autres :
«1) que l’engagement pris par le Royaume-Uni de garantir que les droits de pêche dans
l’archipel des Chagos demeureraient acquis à Maurice dans la mesure du possible
est juridiquement contraignant en ce qu’il a trait à la mer territoriale ;
2) que l’engagement pris par le Royaume-Uni de restituer l’archipel des Chagos à
Maurice lorsqu’il ne serait plus nécessaire à des fins de défense est juridiquement
contraignant ; et
3) que l’engagement pris par le Royaume-Uni de préserver le bénéfice des
éventuelles ressources minières ou pétrolières découvertes dans l’archipel des
Chagos ou à proximité pour Maurice est juridiquement contraignant»261.
238. Dès lors, les obligations du Royaume-Uni et de Maurice, en application de la sentence
prononcée par le tribunal arbitral, ne sont pas en conflit avec l’obligation imposée au Royaume-Uni
de mener à bien le processus de décolonisation et ne devraient pas y faire obstacle. L’obligation
imposée au Royaume-Uni de céder l’archipel des Chagos à Maurice lorsqu’il ne sera plus
nécessaire à des fins de défense ne serait pas violée par la restitution de l’archipel des Chagos à
Maurice avant que l’archipel ne soit plus nécessaire à ces fins. De surcroît, Maurice a fait
clairement savoir à plusieurs reprises au Royaume-Uni et aux Etats-Unis qu’«elle reconnaît
l’existence de la base militaire à Diego Garcia, et accepte son fonctionnement futur en conformité
avec le droit international262. En conséquence, dans ces circonstances, l’existence de la base
militaire n’offre aucun fondement pour retarder l’achèvement immédiat de la décolonisation263.
239. Par ailleurs, le Royaume-Uni a fait valoir que les conclusions du tribunal arbitral
constituaient les conséquences juridiques à son égard s’agissant du maintien de l’archipel des
Chagos sous l’administration du Royaume-Uni264. Or, cette affirmation est incorrecte.
240. Pareil argument part du principe que le processus de décolonisation a été validement
mené à bien en 1968. Or, ainsi qu’expliqué plus haut, le processus de décolonisation n’a pas été
validement mené à bien. Dès lors, les conséquences juridiques pour le Royaume-Uni, s’agissant du
maintien de l’archipel des Chagos sous son administration, sont celles qui découlent d’un fait
internationalement illicite, telles que visées dans la deuxième partie des articles de la Commission
259 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.12, litt. a).
260 Ibid., par. 9.12, litt. d).
261 Chagos Arbitration Award, par. 547 B), (dispositif), Cour permanente d’arbitrage, 18 mars 2015 (ci-après,
«sentence arbitrale relative aux Chagos»).
262 Exposé écrit de Maurice, par. 7.22.
263 Loc. cit.
264 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 9.13.
- 56 -
du droit international sur la responsabilité de l’Etat. De manière générale, pareilles conséquences
juridiques diffèrent des conclusions du tribunal arbitral, qui portent sur la nature des droits de
Maurice, en vertu des engagements pris par le Royaume-Uni dans le cadre de l’accord de 1965,
ainsi qu’il a déjà été expliqué.
241. L’Union africaine estime qu’il convient de noter que le tribunal arbitral de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) a conclu que «l’engagement [du
Royaume-Uni] de restituer l’archipel des Chagos à Maurice donne à Maurice un intérêt dans des
décisions importantes se rapportant aux éventuels usages futurs de l’archipel»265, et que «l’intérêt
de Maurice ne réside pas simplement dans la restitution in fine de l’archipel des Chagos, mais
également dans l’état dans lequel l’archipel sera restitué»266. Maurice a souligné, à juste titre, que :
«afin d’aider à mettre fin immédiatement à la colonisation de manière ordonnée, la puissance
administrante est tenue de consulter Maurice et de coopérer avec elle sur toutes les questions
d’administration et d’exercice de droits souverains»267.
265 Sentence arbitrale relative aux Chagos, par. 298.
266 Loc. cit.
267 Exposé écrit de Maurice, par. 7.45 et suiv.
- 57 -
PARTIE V
CONCLUSIONS ET ARGUMENTATION FINALE
242. L’Union africaine a démontré, par le biais de son exposé écrit du 1er mars 2018 et des
présentes observations écrites, la mesure dans laquelle elle se préoccupe de la décolonisation
complète de l’Afrique, notamment par le règlement pacifique et par la voie juridique de la question
de l’archipel des Chagos dans tous ses aspects. Elle a également expliqué le détachement/la
séparation illicite de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, par la puissance administrante, le
Royaume-Uni. Cette situation a conduit à la violation des droits inaliénables du peuple mauricien, y
compris la population chagossienne, à l’autodétermination et à l’intégrité territoriale qui, lors de la
séparation des Chagos, faisaient déjà partie du droit international régissant le processus de
décolonisation. Ces droits relevaient du droit international coutumier au moment de la séparation
de l’archipel des Chagos.
243. Les mots du juge Ammoun, dans son opinion individuelle en l’avis consultatif sur la
Namibie, sont particulièrement pertinents :
«S’il est une «pratique générale» pouvant, de façon incontestable, créer le droit
aux termes de l’article 38, paragraphe 1 b), du Statut de la Cour, c’est bien celle que
constitue l’action consciente des peuples eux-mêmes luttant avec
détermination … pour affirmer … le droit de libre disposition … En sorte qu’on doive
reconnaître que le droit de libre disposition des peuples, avant d’être inscrit dans les
chartes non octroyées mais enlevées de haute lutte, avait d’abord été écrit
douloureusement, avec le sang des peuples, dans la conscience enfin réveillée de
l’humanité. Et sans ces mêmes peuples … qui ont afflué, depuis la deuxième guerre
mondiale, dans la nouvelle organisation internationale, première organisation de
caractère universaliste, aurait-on enregistré ce nombre imposant de déclarations et de
résolutions qui ont traduit dans le droit et imposé aux rapports internationaux rénovés
les grands principes qu’ils avaient contribué à consacrer ?»268 (Les italiques sont de
nous.)
244. Selon le droit coutumier de l’autodétermination, tel qu’il était déjà applicable en 1965,
le Royaume-Uni n’avait aucun droit de séparer l’archipel des Chagos de Maurice avant d’octroyer
à Maurice l’indépendance. Il n’appartient pas au Royaume-Uni de faire valoir qu’il possédait le
moindre titre territorial sur les Chagos à la date en question qui lui aurait permis d’exercer la
souveraineté sur l’archipel.
245. Le Royaume-Uni n’a respecté ni le droit à l’autodétermination du peuple de Maurice ni
l’intégrité territoriale de Maurice, y compris de la population chagossienne, lorsqu’il a procédé
unilatéralement au détachement des Chagos. Aucun prétendu accord ultérieur entre le
Royaume-Uni et les autorités de Maurice ne peut changer le fait que le détachement était contraire
au droit international coutumier.
246. Ainsi qu’il a été démontré par l’Union africaine et par nombres d’autres Etats en
l’espèce, le détachement de l’archipel des Chagos en 1965 a constitué et constitue encore à ce jour
un fait internationalement illicite, dont le Royaume-Uni ne saurait dériver le moindre droit, et
268 Avis consultatif sur la Namibie, opinion individuelle de M. Ammoun, p. 74, par. 5.
- 58 -
encore moins un titre territorial qui lui permettrait de qualifier l’affaire existant entre Maurice et le
Royaume-Uni de question relative à la souveraineté (territoriale).
247. De l’avis de l’Union africaine, l’accord du 5 novembre 1965, par la voie duquel le
Conseil des ministres de Maurice a convenu du détachement par le Gouvernement britannique de
l’archipel des Chagos en contrepartie de certains engagements, et sur lequel se fonde largement le
Royaume-Uni pour justifier un soi-disant titre territorial sur les Chagos, est nul et non avenu en
droit international général, ainsi qu’il procède de l’article 53 de la convention de Vienne sur le droit
des traités de 1969, puisque le Royaume-Uni a manifestement violé le droit du peuple de Maurice,
y compris de la population chagossienne, à exercer pleinement son droit à l’autodétermination
conformément au droit international. Le droit du peuple à exercer l’autodétermination relève du
jus cogens, ainsi qu’il est mentionné dans l’exposé écrit de l’Union africaine269 et dans les
remarques préliminaires des présentes observations écrites.
248. Le fait que le Royaume-Uni ait largement axé la question sur la caractérisation de
l’autodétermination en dit très long. Il suffit de rappeler les propos du Représentant permanent du
Royaume-Uni s’exprimant devant le Conseil de sécurité sur la question relative à la situation dans
les Îles Falkland (Malvinas)270, ou la position adoptée par le Royaume-Uni dans la procédure
consultative relative au Kosovo271, pour confirmer que le Royaume-Uni partageait en réalité les
vues de la communauté internationale dans son ensemble en matière d’autodétermination.
249. Il est rappelé à la Cour son prononcé dans l’avis consultatif sur le Sahara occidental,
dans lequel elle a souligné que «[c]et avis est requis pour aider l’Assemblée générale à définir la
politique de décolonisation qu’elle adoptera à l’avenir»272 (les italiques sont de nous).
L’Union africaine est convaincue que la Cour jouera un rôle décisif pour clarifier et consolider le
droit international applicable en matière de décolonisation.
250. Pour les raisons mentionnées dans son exposé écrit et dans les présentes observations
écrites, l’Union africaine soutient respectueusement que la Cour devrait répondre aux questions qui
lui sont posées par l’Assemblée générale comme suit :
a) La Cour est compétente pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans
sa résolution A/RES/71/292 du 22 juin 2017 et devrait répondre aux deux questions qui lui sont
posées ;
b) Le processus de décolonisation n’a pas été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu
son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire
et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de
l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232
(XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ;
c) Le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni, notamment en ce
qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de
269 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 69.
270 Conseil de sécurité, séance du 25 mai 1982 (Nations Unies, doc. S/PV.2366, par. 182 et 183).
271 Exposé écrit du Royaume-Uni dans Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance du Kosovo (requête pour avis consultatif), par. 5.21. Voir aussi l’exposé écrit du Belize, par. 3.7.
272 Avis consultatif sur le Sahara occidental, p. 68, par. 161.
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réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne, constitue un fait
internationalement illicite ayant plusieurs conséquences en droit international ;
d) Le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni constitue une
violation des obligations internationales reflétées dans les résolutions pertinentes mentionnées
au paragraphe b) ci-dessus, en tant qu’il viole plusieurs règles fondamentales de droit
international, et en particulier :
i) le droit du peuple mauricien, en particulier des personnes d’origine chagossienne, à
l’autodétermination ;
ii) l’inviolabilité de l’intégrité territoriale des Etats ;
iii) le respect de la souveraineté de l’Etat ;
iv) les résolutions contraignantes, pertinentes et applicables des Nations Unies ;
v) les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; et
vi) les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels.
e) Le Royaume-Uni est tenu, en vertu du droit international général :
i) de mener à bien le processus de décolonisation de Maurice ;
ii) de mettre fin sans délai à son administration de l’archipel des Chagos ;
iii) de procéder à une restitutio in integrum en restituant l’archipel des Chagos à Maurice ; et
iv) d’octroyer une indemnisation, tenant compte du préjudice matériel tout autant que moral
subi par le peuple mauricien, et en particulier la population d’origine chagossienne.
f) Tous les Etats et organisations internationales, et en particulier l’Organisation des
Nations Unies et l’ensemble de ses institutions, sont dans l’obligation de coopérer et de prendre
les mesures qui s’imposent afin d’inciter le Royaume-Uni à se conformer aux obligations
énoncées aux litt. d) et e) ci-dessus.
g) Tous les Etats et organisations internationales, et en particulier l’Organisation des
Nations Unies et l’ensemble de ses institutions, sont dans l’obligation de s’abstenir de coopérer
avec le Royaume-Uni en vue de maintenir l’archipel des Chagos sous son administration et de
maintenir la situation illicite actuelle.
251. Compte tenu de ce qui précède, l’Union africaine invite respectueusement la Cour à
faire, à tout le moins, une déclaration dans le dispositif de son avis consultatif selon laquelle le
Royaume-Uni a manqué à ses obligations internationales à l’égard de Maurice et de son peuple, en
particulier la population d’origine chagossienne, de sorte à fournir une forme acceptable de
satisfaction.
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252. Enfin, l’Union africaine invite respectueusement la Cour à recommander à l’Assemblée
générale de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect par le Royaume-Uni de
son avis consultatif.
*
* *
78. L’Union africaine se réserve le droit de répondre à d’autres arguments présentés par
d’autres Etats au cours de la procédure orale, ou de toute autre manière que la Cour est susceptible
d’ordonner.
L’ambassadeur,
conseillère juridique de l’Union africaine,
(Signé) Namira NEGM.
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Observations écrites de l'Union africaine

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