Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15080
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE DE NAMIBIE
1er mars 2018
[Traduction du Greffe]
Excellence,
J’ai l’honneur de présenter, en liaison avec la procédure indiquée en référence ci-dessus, un exposé écrit de la République de Namibie, dans les délais fixés par la Cour à cet effet.
Il convient de rappeler que, le 22 juin 2017, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies a adopté la résolution 71/292, par laquelle elle demandait à la Cour de rendre un avis consultatif sur les deux questions suivantes :
1) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?» ;
2) «Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
Compétence et recevabilité
La Cour est compétente pour répondre aux questions qui lui ont été adressées et il conviendrait qu’elle use en ce sens de son pouvoir discrétionnaire.
Les questions lui ont dûment été soumises par l’Assemblée générale des Nations Unies, qui est habilitée à ce faire. La résolution 71/292 a été adoptée à la majorité requise des membres présents et votants, conformément à l’article 85 du Règlement intérieur de l’Assemblée générale (94 voix contre 15). Les deux questions posées sont de nature juridique, ainsi que requis par le Statut de la Cour internationale de Justice (article 65, par. 1). Elles sont claires et précises, et les questions de fait qu’elles mettent en jeu se prêtent à une décision de la Cour.
En outre,
a) les questions adressées à la Cour relèvent de la compétence de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui a été amenée à traiter de l’indépendance de Maurice dans le cadre de sa mission de décolonisation, et conformément à la résolution 1514 (XV) (1960) ;
b) elles se situent dans «un cadre plus large que celui du règlement d'un différend particulier et englobent d'autres éléments», qui «ne visent pas seulement le passé mais concernent aussi le présent et l’avenir» et «intéress[ent] directement l’Organisation des Nations Unies» (Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 26, par. 38 ; Conséquences juridiques de 1’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 159, par. 49) ;
c) la résolution soulève des questions générales, de nature à intéresser la communauté internationale dans son ensemble, imposant à la Cour d’appliquer les résolutions de l’Assemblée générale sur la décolonisation et d’autres obligations internationales pertinentes, afin d’aider l’organe qui l’a saisie à remplir sa mission décolonisatrice ;
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d) l’importance qu’attache la communauté internationale aux questions soulevées par l’Assemblée générale des Nations Unies est perceptible dans un certain nombre de résolutions adoptées par des organisations internationales, notamment l’Organisation de l’unité africaine/Union africaine, le Mouvement des pays non alignés ainsi que le Groupe des 77 et de la Chine.
Question 1
Le processus de décolonisation n’a pas été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, du fait de la séparation unilatérale de l’archipel des Chagos du territoire mauricien opérée dans le plus grand secret par la puissance administrante, le 8 novembre 1965.
Il convient de rappeler, à cet égard, que :
a) le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était alors (c’est-à-dire, au milieu des années 1960) fermement établi, de même que le rôle des Nations Unies en matière de supervision du processus de décolonisation ;
b) il supposait, s’agissant de déterminer l’avenir d’un territoire, le consentement libre et véritable de la population concernée (tel qu’exprimé à l’occasion d’un référendum ou plébiscite) ;
c) aucune partition ou division territoriale arbitraire opérée avant l’indépendance ne devait en compromettre l’exercice ;
d) le territoire de Maurice a été amputé de l’archipel des Chagos par la puissance administrante sans consultation du peuple mauricien ;
e) parce que son territoire avait été démembré avant qu’il n’accède à l’indépendance, le peuple mauricien n’a pu, en 1968, exercer effectivement son droit à l’autodétermination, et le droit connexe de Maurice à l’intégrité de son territoire a été violé ;
f) ainsi, la décolonisation de Maurice n’a-t-elle pas été validement menée à bien en 1968 et demeure-t-elle inachevée. Cette situation internationalement illicite perdure à ce jour.
Question 2
En ce qui concerne les conséquences, le droit international exige que le processus de décolonisation de Maurice soit mené à terme sans retard.
Cette ultime étape est nécessaire pour permettre à Maurice d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire et de mettre en oeuvre un programme de réinstallation de ses ressortissants, et en particulier ceux d’origine chagossienne, dans l’archipel des Chagos.
Le processus de décolonisation doit être mené à bien rapidement, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies.
Les Etats ont l’obligation a) de ne pas contribuer au comportement illicite, en s’abstenant de reconnaître une situation non conforme au droit, d’en tirer avantage ou d’y concourir ; et b) d’aider l’Organisation des Nations Unies à mettre immédiatement fin au comportement illicite.
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La République de Namibie se réserve le droit de compléter ces remarques en présentant des observations écrites sur les exposés écrits d’autres Etats Membres de l’Organisation, dans le respect du calendrier fixé par la Cour, ainsi que de participer, le moment venu, à toute audience de la haute juridiction.
Veuillez accepter, Excellence, l’expression de ma plus haute considération.
La députée,
vice-premier ministre et
ministre des relations internationales
et de la coopération,
(Signé) Mme Netumbo NANDI-NDAITWAH.
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Exposé écrit de la Namibie