Exposé écrit de l'Afrique du Sud

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169-20180301-WRI-12-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15059
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE SUD-AFRICAINE
1er mars 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION .......................................................................................................................... 1
II. RAPPEL DES FAITS .................................................................................................................... 3
III. COMPÉTENCE DE LA COUR .................................................................................................. 5
Conditions requises pour l’exercice de la compétence ................................................................. 5
Satisfaction des conditions de la compétence ............................................................................... 5
Objections possibles à la compétence ........................................................................................... 6
Dimension politique ...................................................................................................................... 7
Question d’ordre interne ............................................................................................................... 8
Affaire de nature contentieuse ...................................................................................................... 9
Res judicata ................................................................................................................................ 12
Pouvoir discrétionnaire de la Cour d’exercer sa compétence ..................................................... 13
Conclusion sur la compétence ..................................................................................................... 14
IV. EXPOSÉ DU DROIT................................................................................................................. 16
Considérations générales ............................................................................................................. 16
Question 1 : autodétermination et intégrité territoriale ............................................................... 16
Question 2 : Les effets de la violation de l’intégrité territoriale sur les droits de l’homme ........ 21
Question 3 : Conséquences en droit international ....................................................................... 22
V. CONCLUSION ........................................................................................................................... 24
I. INTRODUCTION
1. Le 22 juin 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, à la 88e séance de sa soixante et onzième session, la résolution 71/292 dans laquelle elle a décidé de demander à la Cour internationale de Justice (ci-après la «Cour»), conformément à l’article 65 de son Statut, de donner un avis consultatif sur les questions suivantes :
a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?» ;
b) «Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
2. Le Secrétaire général des Nations Unies a transmis cette résolution à la Cour sous couvert d’une lettre en date du 23 juin 2017, reçue par la Cour le 28 juin 2017. Par lettres datées du 28 juin 2017, le Greffier de la Cour a ensuite notifié la requête pour avis consultatif à tous les Etats admis à ester en justice devant la Cour conformément au paragraphe 1 de l’article 66 du Statut de la Cour.
3. La Cour, par ordonnance du 14 juillet 2017, a décidé que l’Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres susceptibles de fournir des renseignements sur les questions posées à la Cour en vue de l’avis consultatif, pourraient présenter des exposés écrits sur les questions soumises à la Cour, conformément au paragraphe 2 de l’article 66 du Statut, au plus tard le 30 janvier 2018, et que les Etats et organisations qui auraient présenté des exposés écrits pourraient soumettre des observations écrites sur les autres exposés écrits reçus par la Cour, conformément au paragraphe 4 de l’article 66 du Statut, au plus tard le 16 avril 2018.
4. La question au coeur de la procédure est celle de la décolonisation, et plus particulièrement le point de savoir si le processus de décolonisation de Maurice est achevé. Le colonialisme est une séquelle archaïque d’un ancien ordre mondial selon lequel certains peuples avaient plus de valeur que d’autres. L’achèvement de la décolonisation est une question particulièrement urgente et fondamentale dans l’ordre juridique international actuel.
5. L’Organisation des Nations Unies a reconnu que le processus de décolonisation n’était pas achevé et que ce point demeurait une question brûlante à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations Unies1. Il incombe à tous les Etats, en coopération avec les Nations Unies, de ne rien négliger pour éliminer de façon permanente tous les vestiges du colonialisme dans la famille des nations.
1 Voir la résolution A/RES/72/110 du 7 décembre 2017 de l’Assemblée générale des Nations Unies et les travaux de la Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation (Quatrième Commission).
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6. Le droit à l’autodétermination est, en droit international, un droit de l’homme fondamental, qui n’a pas encore été pleinement réalisé2. Il tire son origine du paragraphe 2 de l’article 1 et dans l’article 55 de la Charte des Nations Unies, ainsi que d’autres grands instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme3. Le droit à l’autodétermination est considéré comme un droit relevant du jus cogens, et la pratique des Etats, s’ajoutant à une multitude de résolutions des Nations Unies, renforce son importance en tant que question contemporaine dans les relations et le droit internationaux4. Le droit à l’autodétermination figure en outre au coeur des fonctions principales de l’Organisation des Nations Unies, ainsi qu’en témoignent l’article 2 du chapitre I ainsi que les chapitres XI, XII et XIII de la Charte des Nations Unies.
7. La persistance du colonialisme et ses conséquences tragiques — le déni du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes mais aussi les effets de ce déni sur les droits de l’homme fondamentaux de chaque personne touchée par le colonialisme — incitent l’Afrique du Sud à prier instamment la Cour d’exercer ses pouvoirs de manière à soutenir le mouvement en faveur de l’élimination des derniers vestiges du colonialisme et de la protection de ceux qui sont laissés pour compte en raison des injustices du colonialisme. De l’avis de l’Afrique du Sud, les réponses que donnera la Cour aux questions dont elle est saisie aideront considérablement l’Assemblée générale en particulier, mais aussi les Nations Unies dans leur ensemble, à traiter ce dossier avec davantage de certitude et de détermination.
8. Lorsque sont décelées des violations apparemment persistantes des droits de l’homme, la Cour peut donner une impulsion essentielle pour éradiquer ces violations et permettre à la communauté internationale de protéger les personnes que le colonialisme rend vulnérables.
9. La République sud-africaine se considère comme un partisan actif et ferme de la réalisation pleine et entière de la décolonisation de tous les peuples et, ayant lui-même fait l’expérience du processus de décolonisation, le Gouvernement de la République sud-africaine a décidé de présenter un exposé écrit sur cette question à la Cour. L’Afrique du Sud, elle-même ancienne colonie et pays dont la population a été victime d’abus des droits de l’homme du fait tant du colonialisme que de l’apartheid, est directement intéressée à contribuer à l’élimination du colonialisme et à la réalisation par tous les peuples de leur droit à disposer d’eux-mêmes.
10. Après la présente introduction, l’exposé comprend un rappel des faits historiques sur lesquels s’appuie l’Afrique du Sud et des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale des Nations Unies, une évaluation de la compétence de la Cour, un bref exposé du droit tel que l’interprète l’Afrique du Sud, et une conclusion.
2 Voir la résolution A/RES/72/110 du 7 décembre 2017 de l’Assemblée générale des Nations Unies ; Dugard J., International Law, a South African Perspective, 4e éd., 2011 ; Juta, p. 100, qui indique que le droit à l’autodétermination a été reconnu comme une norme du droit international et décrit comme l’un des principes essentiels du droit international contemporain, et que la Cour internationale de Justice lui reconnaît un caractère erga omnes.
3 Ainsi, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981.
4 Voir la partie IV du présent exposé. Voir également, la Déclaration des Nations Unies relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies figurant dans la résolution 2625 (XXV) de 1970 de l’Assemblée générale des Nations Unies.
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II. RAPPEL DES FAITS
11. L’exposé de l’Afrique du Sud se fonde sur des faits qui peuvent être facilement vérifiés en se reportant aux publications et aux documents officiels des Nations Unies, et auprès d’autres organisations, cours ou tribunaux respectés5.
12. L’archipel des Chagos fait partie de Maurice depuis que Maurice est passé sous le contrôle de la France au XVIIIe siècle. Après sa conquête par le Royaume-Uni en 1810, Maurice (y compris l’archipel des Chagos) a été officiellement et validement cédé au Royaume-Uni en 1814. Sous le régime colonial britannique, l’archipel des Chagos a été administré comme partie intégrante de Maurice.
13. Des conférences constitutionnelles sur le statut de Maurice se sont tenues en 1955, 1958, 1961 et 1965, période qui a précédé l’indépendance en 1968. Le 23 septembre 1965, en même temps que la conférence de 1965, s’est tenue à Lancaster House à Londres une réunion au cours de laquelle les représentants du Royaume-Uni et de Maurice seraient convenus de «séparer» l’archipel des Chagos, et certains engagements auraient été pris par le Royaume-Uni à l’égard de cette séparation.
14. Selon ces engagements, le Royaume-Uni acceptait de verser à Maurice une indemnisation, en sus de celle versée aux propriétaires terriens et des frais de réinstallation des personnes touchées dans l’archipel des Chagos ; Maurice continuait de jouir de droits de pêche ; les îles seraient un jour rendues à Maurice si les installations situées sur l’île n’étaient plus nécessaires à des fins de défense, et les bénéfices tirés des ressources minières ou pétrolières qui pourraient être découvertes reviendraient à Maurice.
15. En 1965, le Royaume-Uni a séparé l’archipel des Chagos de Maurice et créé le «Territoire britannique de l’océan Indien», comprenant l’archipel des Chagos, dans le cadre du processus général d’octroi de l’indépendance à Maurice.
16. Maurice a obtenu l’indépendance en 1968, mais sans que son intégrité territoriale d’avant 1965 soit maintenue. L’archipel des Chagos est resté séparé aux fins déclarées de défense pendant et après l’indépendance, et les principales installations de défense ont été louées aux Etats-Unis d’Amérique par le Royaume-Uni aux termes d’un bail qui court actuellement jusqu’en 2036.
17. La population civile tout entière de l’archipel des Chagos (appelés «Chagossiens» ou «Ilois») a été déplacée de force des îles à la fin des années 1960 et/ou au début des années 1970, et il n’y a actuellement aucun habitant civil permanent sur ces îles, leur présence étant toujours exclue par la présence militaire des Etats-Unis et du Royaume-Uni.
18. Le 14 décembre 1960, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 1514 (XV) connue sous l’appellation de «Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux» (ci-après la «Déclaration»), conformément aux pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés par les chapitres XI à XIII de la Charte des Nations Unies. Dans la Déclaration, l’Assemblée générale reconnaît le droit de libre détermination de tous les peuples et le respect universel des droits de l’homme et des libertés fondamentaux. Elle reconnaît également le
5 Les documents communiqués par le Secrétariat des Nations Unies ont été consultés à l’adresse http://www.icj- cij.org/en/case/169.
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rôle important des Nations Unies comme moyen d’aider le mouvement vers l’indépendance et le désir de mettre fin au colonialisme dans toutes ses manifestations. La Déclaration confirme que l’Assemblée générale est convaincue que tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national, et que la sujétion des peuples à la domination et à l’exploitation constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales. Le respect de l’intégrité territoriale est réitéré à plusieurs reprises dans la Déclaration et toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays dans le cadre de la décolonisation est jugée incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.
19. Le 16 décembre 1965, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 2066 (XX) sur la question de l’île Maurice et d’autres îles composant le territoire de Maurice (y compris l’archipel des Chagos), dans laquelle l’Assemblée a rappelé la Déclaration et noté avec inquiétude que toute mesure prise par la puissance administrante pour détacher certaines îles (l’archipel des Chagos) du territoire de l’île Maurice afin d’y établir une base militaire contreviendrait à la Déclaration. L’Assemblée générale a, en outre, expressément invité la puissance administrante à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de Maurice et violerait son intégrité territoriale.
20. Rappelant que le Royaume-Uni avait détaché l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, le 20 décembre 1966, la résolution 2232 (XXI), dans laquelle elle se disait profondément préoccupée par les politiques visant à détruire l’intégrité territoriale de certains territoires incluant Maurice par l’établissement de bases et d’installations militaires, en violation des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale. Celle-ci a réaffirmé le droit inaliénable des peuples de ces territoires (y compris Maurice) à l’autodétermination et à l’indépendance et elle a réitéré sa déclaration selon laquelle toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à établir des bases et des installations militaires dans ces territoires était incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration.
21. Le 19 décembre 1967, peu avant l’accession de Maurice à l’indépendance en 1968, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 2357 (XXII) sur la question de l’île Maurice (entre autres) dans laquelle, après avoir rappelé à nouveau ses résolutions précédentes, elle a noté sa profonde préoccupation face aux renseignements qui lui étaient soumis sur la poursuite, par les puissances administrantes, de politiques visant notamment à la destruction de l’intégrité territoriale de certains territoires et à l’établissement de bases et d’installations militaires en violation des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale. L’Assemblée générale, s’alignant de près sur le texte de la résolution 2232 (XXI), réaffirmait le droit inaliénable des peuples des territoires mentionnés, notamment Maurice, à l’autodétermination et à l’indépendance, et réitérait sa déclaration selon laquelle toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à y établir des bases et des installations militaires était incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration.
22. Le 18 mars 2015, un tribunal établi par la Cour permanente d’arbitrage (ci-après le «Tribunal») dans l’affaire opposant la République de Maurice et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, conformément à la partie XV et à l’annexe VII de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, a jugé, s’agissant du fond du litige entre les parties, «que l’engagement du Royaume-Uni de garantir que les droits de pêche dans l’archipel des Chagos resteraient ouverts à Maurice dans la mesure du possible est juridiquement
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contraignant en ce qui concerne la mer territoriale» ; «que l’engagement du Royaume-Uni de rendre l’archipel des Chagos à Maurice lorsqu’il ne serait plus nécessaire à des fins de défense est juridiquement contraignant» ; et «que l’engagement du Royaume-Uni de préserver les avantages découlant de tout minerai ou pétrole découvert dans l’archipel des Chagos ou à proximité pour Maurice est juridiquement contraignant»6. Selon l’opinion dissidente et concordante présentée dans la même affaire — quoique cette opinion ne soit pas contraignante — «[la] séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 témoigne d’un mépris complet envers l’intégrité territoriale de Maurice de la part du Royaume-Uni, qui était la puissance coloniale».7
III. COMPÉTENCE DE LA COUR
Conditions requises pour l’exercice de la compétence
23. Les conditions qui doivent être remplies pour que la Cour ait compétence à l’égard d’une demande d’avis consultatif et les facteurs à prendre en considération pour statuer sur la compétence sont énoncés dans les principales sources de droit international suivantes :
a) le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice, qui dispose que la compétence de la Cour s’étend à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies, et le paragraphe 6 de cet article, qui confère à la Cour le pouvoir de statuer sur tout différend concernant sa compétence ;
b) le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour, qui dispose que la Cour ne peut examiner que des questions juridiques et exige que la requête émane d’un organe ou d’une institution autorisé à demander un avis en vertu de la Charte des Nations Unies ;
c) l’article 96 de la Charte des Nations Unies, aux termes duquel l’Assemblée générale peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique.
24. Pour résumer, l’organe doit être autorisé à demander l’avis consultatif et la demande doit porter sur une question juridique (par opposition à une question politique).
Satisfaction des conditions de la compétence
25. Le 22 juin 2017, l’Assemblée générale a adopté, par 94 voix contre 15 et 65 abstentions, la résolution 71/292 demandant à la Cour un avis consultatif dans la présente affaire, qui concerne la décolonisation. La question de la décolonisation relève sans contredit du mandat de l’Assemblée générale, conformément à l’article 16 et aux chapitres VI à VIII de la Charte des Nations Unies.
26. Les deux questions posées à la Cour par l’Assemblée générale (et qui sont citées ci-dessus dans la partie I du présent exposé) sont des questions juridiques auxquelles il doit être répondu en se référant au droit international, même si des questions factuelles ou politiques peuvent devoir être tranchées au cours de leur examen.
27. L’Afrique du Sud estime que l’Assemblée générale des Nations Unies est compétente pour demander à la Cour, en vertu de la Charte des Nations Unies, un avis consultatif sur une
6 Chagos Marine Protected Area Arbitration (Mauritius v. United Kingdom), Cour permanente d’arbitrage, affaire no 03/2011, p. 215.
7 Ibid., Opinion dissidente et concordante, p. 22-23, par. 91.
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question qui relève de sa compétence et de sa responsabilité ; que les questions posées sont des questions juridiques ; et que la Cour, en tant qu’organe judiciaire principal des Nations Unies, est compétente pour donner un avis consultatif qui aidera l’Assemblée générale des Nations Unies à examiner la question.
Objections possibles à la compétence
28. Des Etats contesteront probablement la compétence de la Cour pour l’un ou l’autre des motifs suivants :
a) la question est de nature politique et doit être résolue bilatéralement entre les Etats concernés ;
b) il s’agit d’une question d’ordre interne qui ne relève pas des pouvoirs des Nations Unies ;
c) il s’agit d’une question de nature contentieuse (il peut être soutenu à ce propos que les questions renvoyées à la Cour en l’espèce concernent une question juridique ou un différend bilatéral actuellement pendant entre deux ou plusieurs Etats, ou qu’un Etat intéressé n’a pas consenti au règlement d’un différend qui l’oppose à un autre Etat) et la demande d’avis consultatif vise à tourner les obstacles à la compétence liés à une procédure contentieuse ;
d) les questions ou le litige sous-jacents doivent être considérés comme ayant valeur de res judicata.
29. Un Etat pourrait encore soutenir que la présente affaire concerne une situation dans laquelle la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas exercer sa compétence. Or, toutes les objections possibles à la compétence de la Cour ont été abondamment traitées par elle dans sa jurisprudence. L’Afrique du Sud soutient, pour les motifs exposés ci-après, qu’aucun de ces arguments ne trouve à s’appliquer dans l’affaire dont est maintenant saisie la Cour.
30. La devancière de la Cour, la Cour permanente de Justice internationale, a dit qu’elle devait refuser de donner un avis si le fait de répondre à la question qui lui était posée revenait à trancher un différend entre Etats, car cela irait à l’encontre de l’exigence de consentement au règlement des différends entre Etats8. La Cour permanente a refusé de donner un avis consultatif dans l’affaire du Statut de la Carélie orientale parce que la question concernait un différend entre la Russie et la Finlande9. Cependant, c’est là un événement isolé, car la Cour a très rarement refusé d’exercer sa compétence lorsqu’elle a été saisie d’une demande d’avis consultatif.
31. La Cour a eu plusieurs fois l’occasion de connaître de questions qui pouvaient être contentieuses, politiques ou liées à des questions d’ordre interne. Cependant, pour résumer, la Cour a nuancé l’affaire de la «Carélie orientale» à plusieurs reprises en la distinguant des affaires dont elle était saisie10. En l’affaire de la «Namibie (Sud-Ouest africain)» qui concernait l’Afrique du Sud, la Cour a noté que l’Etat qui soulevait une objection à la compétence était Membre des Nations Unies et participait aux débats de l’Organisation (à la différence de la Russie dans l’affaire de la «Carélie orientale») et que le but de la requête n’était pas de régler un différend, mais d’aider
8 Dugard, op. cit., p. 468.
9 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I., série B no 5, p. 7.
10 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; Sahara occidental, C.I.J. Recueil 1975, p. 23-29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), par. 46-50.
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les Nations Unies à prendre des décisions sur les questions juridiques à l’égard desquelles l’organe politique qui demandait l’avis était préoccupé par sa propre fonction11.
32. Selon l’Afrique du Sud, la demande d’avis consultatif en la présente affaire vise le même but, c’est-à-dire aider les Nations Unies et non pas régler un différend. Une recension plus complète des affaires où la Cour a traité de questions potentiellement contentieuses dans des avis consultatifs est présentée dans la partie III, mais l’on signalera que la Cour s’est constamment écartée de l’affaire de la «Carélie orientale». En fait, la Cour a réitéré l’avis selon lequel une requête pour avis consultatif ne devrait pas, en principe, être rejetée12.
Dimension politique
33. Lors de l’avis consultatif du 28 mai 1948 en l’affaire relative aux «conditions d’admission d’un Etat aux Nations Unies»13, il a été soutenu que la question dont était saisie la Cour n’était pas une question juridique, mais une question politique. En cette affaire, la Cour a été incapable d’attribuer un caractère politique à une requête qui, formulée en termes abstraits, l’invitait à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire14 en lui confiant l’interprétation d’une disposition conventionnelle. La Cour a dit qu’elle ne se préoccupait pas des motifs qui avaient pu inspirer la requête et qu’elle ne devait pas non plus examiner les vues exprimées au Conseil de sécurité sur les différentes affaires traitées par le Conseil15. En conséquence, la Cour s’est déclarée compétente. La Cour s’est également appuyée sur le fait qu’aucune disposition ne l’empêchait d’exercer sa compétence à l’égard de l’article 4 de la Charte des Nations Unies. La Cour a jugé que sa fonction dans l’affaire était de nature interprétative et relevait de l’exercice normal de ses pouvoirs judiciaires16.
34. Dans l’avis consultatif donné en l’affaire relative aux «armes nucléaires» le 8 juillet 199617, la Cour a fait observer qu’elle avait déjà eu l’occasion d’indiquer que des questions «libellées en termes juridiques et soul[evant] des problèmes de droit international ... sont, par leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit ... [et] ont en principe un caractère juridique)»18. Elle a jugé que la question qui lui était posée par l’Assemblée générale était effectivement une question juridique, étant donné qu’elle était invitée à se prononcer sur la compatibilité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires avec les principes et les règles pertinents du droit international. A cette fin, la Cour devait identifier les principes et les règles existants, les interpréter et les appliquer à la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires, répondant ainsi à la question posée en se fondant sur le droit. Le fait que cette question ait également des aspects politiques — ce qui est le cas de tant d’autres questions qui se posent dans la vie internationale — ne suffisait pas à lui enlever son caractère de «question juridique» et à «priver la
11 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la Résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 23-24.
12 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71; Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 19; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962, p. 155.
13 Conditions de l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 57.
14 Ibid., p. 61.
15 Ibid.
16 Ibid.
17 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226.
18 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, par. 13-15.
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Cour d’une compétence qui lui est expressément conférée par son Statut». La nature politique des motifs pouvant être à l’origine de la demande ou les conséquences politiques éventuelles de l’avis n’avaient pas davantage de pertinence pour établir la compétence de la Cour de donner un tel avis19.
35. Dans son avis consultatif relatif à la «construction d’un mur» du 9 juillet 200420, la Cour a jugé qu’elle ne pouvait accepter le point de vue selon lequel elle n’avait pas compétence du fait du caractère politique de la question posée21. Comme l’indique sa longue jurisprudence sur ce point, la Cour a jugé que le fait qu’une question juridique ait également des aspects politiques ne suffisait pas à lui enlever son caractère juridique et à priver la Cour de la compétence qui lui est expressément conférée par le Statut, et la Cour ne peut refuser d’admettre le caractère juridique d’une question qui l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire22. La Cour a conclu en conséquence qu’elle avait compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution.
36. Dans son avis consultatif en l’affaire du «Kosovo» du 22 juillet 201023, la Cour a rappelé que, comme elle l’avait souligné à maintes reprises, le fait qu’une question ait des aspects politiques ne suffisait pas à la priver de son caractère de question juridique24. La Cour a ajouté que, quels que soient ses aspects politiques, elle ne saurait refuser de répondre aux éléments juridiques d’une question qui l’invitait à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir l’appréciation d’un fait au regard du droit international. La Cour a dit clairement qu’en examinant la question de savoir si elle était saisie d’une question juridique pour déterminer sa compétence, elle ne se préoccupait pas de la nature politique des mobiles qui auraient inspiré la requête ni des implications politiques éventuelles de l’avis qu’elle donnerait.25.
37. L’Afrique du Sud estime que le fait qu’il puisse effectivement y avoir des conséquences politiques dans la présente affaire entre le Royaume-Uni et Maurice, ou entre une organisation internationale et un Etat, ou quelque autre conséquence politique, n’empêche pas la Cour d’exercer sa compétence.
Question d’ordre interne
38. Pour revenir à l’avis consultatif rendu le 30 mars 1950 en l’affaire relative à l’«Interprétation des traités de paix»,26 la Cour s’est d’abord demandé à cette occasion si le paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, qui interdit aux Nations Unies d’intervenir dans des
19 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, par. 13.
20 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136.
21 Ibid., p. 162, par. 58.
22 Ibid., p. 155, par. 41.
23 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 403.
24 Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 172, par. 14.
25 Conditions de l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 61 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par. 13.
26 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 65.
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affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat, l’empêchait de donner un avis dans cette affaire. La Cour a noté, d’une part, que l’Assemblée générale avait justifié son examen de la question en s’appuyant sur l’article 55 de la Charte, qui dispose que les Nations Unies favoriseront le respect universel et effectif des droits de l’homme et, d’autre part, que la requête pour avis n’invitait pas la Cour à traiter des violations alléguées des dispositions des traités concernant les droits de l’homme. L’objet de la requête était uniquement, selon la Cour, d’obtenir des éclaircissements de nature juridique sur l’applicabilité de la procédure de règlement des différends prévue dans les traités pertinents27. L’interprétation des termes d’un traité à cette fin ne pouvait pas être considérée comme une question relevant essentiellement de la compétence intérieure d’un Etat, étant donné qu’il s’agissait d’une question de droit international qui de par sa nature même relevait de la compétence de la Cour.
39. Au vu de la jurisprudence, l’Afrique du Sud soutient que la présente question ne peut être considérée comme une affaire d’ordre interne et que ce motif ne saurait être invoqué pour empêcher la Cour d’exercer sa compétence.
Affaire de nature contentieuse
40. Toujours dans l’avis consultatif qu’elle a rendu le 30 mars 1950 en l’affaire de l’«Interprétation des traités de paix»28, la Cour s’est demandé si le fait que la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie avaient exprimé leur opposition à la procédure consultative ne devait pas l’amener, par application des principes régissant le fonctionnement des organes judiciaires, à refuser de répondre à la question. La Cour a dit qu’une procédure contentieuse se concluant par un arrêt et une procédure consultative étaient deux choses différentes. Elle a jugé qu’elle avait le pouvoir d’examiner si, dans chaque affaire, les circonstances étaient de nature à l’amener à refuser de répondre à la requête. Dans cette affaire, la Cour a affirmé que les Etats ne pouvaient empêcher la production d’un avis consultatif dont les Nations Unies, pour s’éclairer dans leur action propre, auraient reconnu l’opportunité29 et la Cour n’était pas invitée à se prononcer sur le fond de ces différends.
41. En l’affaire concernant la «Namibie (Sud-Ouest africain)»30, des objections ont été soulevées à la compétence de la Cour. Dans son avis consultatif du 21 juin 1971, la Cour a répondu à ces objections. Elle a noté que le Gouvernement sud-africain estimait qu’elle ne devait pas donner l’avis consultatif demandé, au motif que la question était en réalité de nature contentieuse parce qu’elle concernait un différend existant entre l’Afrique du Sud et d’autres Etats. La Cour a jugé qu’elle avait été priée d’examiner une requête présentée par un organe des Nations Unies dans le but d’obtenir un avis juridique sur les conséquences de ses propres décisions. Le fait que, pour donner sa réponse, la Cour puisse avoir à se prononcer sur des questions de droit sur lesquelles des points de vue divergents existaient entre l’Afrique du Sud et les Nations Unies ne transformait pas cette affaire en un différend entre Etats31. Par conséquent, la Cour a également jugé inutile d’appliquer l’article 83 de son Règlement selon lequel, si un avis consultatif est demandé sur une question juridique «actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats», l’article 31 du Statut
27 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
28 Ibid., p. 65.
29 Ibid., p. 71 et 77.
30 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16.
31 Ibid., p. 24, par. 34.
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concernant les juges ad hoc est applicable. La Cour n’a vu aucune raison de refuser de répondre à la requête pour avis consultatif en cette affaire.
42. Dans son avis consultatif du 16 octobre 1975 en l’affaire du Sahara occidental, la Cour a examiné sa compétence32 :
a) S’appuyant sur le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, la Cour a dit qu’elle pouvait donner un avis consultatif sur toute question juridique à la demande de tout organe dûment autorisé. La Cour a noté que l’Assemblée générale des Nations Unies était dûment fondée à demander un tel avis en vertu du paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies et que les deux questions qui lui étaient posées étaient libellées en termes juridiques et soulevaient des problèmes de droit international. La Cour a dit que les questions avaient en principe un caractère juridique, même si elles présentaient également des aspects de fait et même si elles n’invitaient pas la Cour à se prononcer sur des droits et des obligations existants. La Cour a dit qu’elle était compétente pour connaître de la requête.
b) Dans la même affaire et à propos de la question de savoir s’il était approprié que la Cour donne un avis consultatif, la Cour a noté que l’Espagne avait soulevé une série d’objections tendant à démontrer, selon elle, que le prononcé d’un avis consultatif en l’espèce serait incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour33. L’Espagne, se référant en premier lieu au fait qu’elle n’avait pas donné son consentement à ce que la Cour statue sur les questions qui lui avaient été soumises, soutenait que les questions posées portaient sur un point essentiellement identique à l’objet d’un différend concernant le Sahara occidental que le Maroc, en septembre 1974, l’avait invitée à soumettre conjointement à la Cour, proposition qu’elle avait rejetée. L’Espagne faisait valoir que la compétence consultative était donc utilisée pour tourner le principe selon lequel la Cour n’a compétence pour régler un différend qu’avec le consentement des parties. L’Espagne soutenait également que l’affaire concernait un différend relatif à l’attribution de la souveraineté territoriale sur le Sahara occidental et que le consentement des Etats était toujours nécessaire pour statuer sur de tels différends.
c) Examinant ces arguments, la Cour a indiqué que l’Assemblée générale, tout en notant qu’une controverse juridique sur le statut du Sahara occidental s’était fait jour au cours de ses débats, n’avait pas pour but de saisir la Cour d’un différend ou d’une controverse juridique en vue de son règlement pacifique ultérieur, mais avait demandé un avis consultatif qu’elle estimait utile pour pouvoir exercer ses fonctions relatives à la décolonisation du territoire34, et que par conséquent la position juridique de l’Espagne ne pouvait être compromise par les réponses de la Cour aux questions posées. La Cour a dit en outre que ces questions ne l’invitaient pas à se prononcer sur des droits territoriaux existants.
d) La Cour a aussi examiné les résolutions adoptées par l’Assemblée générale sur la question, de la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, à la résolution contenant la requête pour avis consultatif. Elle a conclu que le processus de décolonisation envisagé par l’Assemblée générale respecterait le droit des populations du Sahara occidental de déterminer leur statut politique futur par la libre expression de leur volonté. Ce droit à l’autodétermination, qui n’est pas modifié par la requête pour avis consultatif et constitue un élément de base des questions posées à la Cour, laisse à
32 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12, mais aussi par. 14-22.
33 Ibid., par. 23-74.
34 Ibid., p. 21, par. 23; p. 26-27, par. 38; p. 72, par. 4.
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l’Assemblée générale une certaine latitude quant aux formes et aux procédés selon lesquels ce droit doit être mis en oeuvre35.
e) En conséquence, l’avis consultatif fournirait à l’Assemblée des éléments juridiques pertinents lorsqu’elle poursuivrait l’examen du problème auquel faisait allusion la résolution demandant l’avis consultatif. De plus, la Cour n’a trouvé aucune raison décisive pour refuser de répondre aux deux questions qui lui étaient posées dans la requête.
43. Pour revenir à l’avis consultatif du 9 juillet 2004 en l’affaire relative à l’«édification d’un mur»36, il avait été soutenu devant la Cour qu’elle ne devait pas exercer sa compétence dans cette affaire parce que la requête concernait un différend entre Israël et la Palestine à l’égard duquel Israël n’avait pas accepté la compétence de la Cour.
a) Selon cet argument, l’objet de la question de l’Assemblée générale faisait «partie intégrante du différend israélo-palestinien plus large qui concerne des questions liées au terrorisme, à la sécurité, aux frontières, aux colonies de peuplement, à Jérusalem et à d’autres questions connexes». La Cour a fait observer que le défaut de consentement à la juridiction contentieuse de la Cour de la part des Etats intéressés était sans effet sur la compétence de celle-ci pour donner un avis consultatif37, mais elle a rappelé sa jurisprudence sur la question de savoir si le défaut de consentement d’un Etat intéressé pouvait rendre le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour — par exemple si le fait d’accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’y consent pas.
b) S’agissant de la requête pour avis consultatif dont elle était saisie, la Cour a pris acte du fait qu’Israël et la Palestine avaient exprimé des vues radicalement opposées sur les conséquences juridiques de la conduite d’Israël, sur laquelle la Cour était priée de se prononcer dans son avis. Cependant, comme la Cour l’avait elle-même noté auparavant, «[p]resque toutes les procédures consultatives ont été marquées par des divergences de vues». De plus, la Cour n’estimait pas que l’objet de la requête de l’Assemblée générale puisse être considéré seulement comme une question bilatérale entre Israël et la Palestine. Compte tenu des pouvoirs et responsabilités de l’Organisation des Nations Unies à l’égard des questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, la Cour a été d’avis que la construction du mur devait être regardée comme intéressant directement l’Organisation des Nations Unies en général et l’Assemblée générale en particulier. La responsabilité de l’Organisation à cet égard trouvait également son origine dans le mandat et dans la résolution relative au plan de partage de la Palestine. Cette responsabilité a été décrite par l’Assemblée générale comme «une responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale)». L’objet de la requête dont la Cour était saisie était d’obtenir de celle-ci un avis que l’Assemblée générale estimait utile pour exercer comme il convient ses fonctions. L’avis était demandé à l’égard d’une question qui intéressait tout particulièrement les Nations Unies, et qui s’inscrivait dans un cadre bien plus large que celui d’un différend bilatéral38. Dans ces circonstances, la Cour a estimé que rendre un avis n’aurait pas pour effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire et qu’elle ne saurait dès lors, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un avis pour ce motif.
35 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 36, par. 71.
36 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136.
37 Ibid., p. 158.
38 Ibid., p. 158, par. 50.
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c) La Cour est ensuite passée à l’examen d’un autre argument avancé pour étayer la thèse selon laquelle elle devait refuser d’exercer sa compétence, à savoir qu’un avis consultatif de la Cour sur la licéité du mur et les conséquences juridiques de sa construction pourrait faire obstacle à un règlement politique négocié du conflit israélo-palestinien. Plus particulièrement, il était soutenu qu’un tel avis pourrait porter atteinte à la «feuille de route», qui prescrivait à Israël et à la Palestine le respect d’un certain nombre d’obligations au cours des différentes phases qui y étaient prévues. La Cour a fait observer qu’elle n’ignorait pas que la «feuille de route», qui avait été entérinée par le Conseil de sécurité, constituait un cadre de négociation visant au règlement du conflit israélo-palestinien, mais que l’influence que pourrait avoir son avis sur ces négociations n’apparaissait cependant pas de façon évidente. La Cour a jugé qu’elle ne pouvait considérer ce facteur comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence.
44. Pour revenir à l’avis consultatif rendu par la Cour le 22 juillet 2010 en l’affaire du «Kosovo»39, la Cour a d’abord examiné si elle avait compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale. La Cour s’est reportée au paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut et a noté que l’Assemblée générale était autorisée à demander un avis consultatif par l’article 96 de la Charte des Nations Unies. La Cour a également rappelé le paragraphe 1 de l’article 12 de la Charte des Nations Unies qui dispose que «[t]ant que le Conseil de sécurité remplit, à l’égard d’un différend ou d’une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la … Charte, l’Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande». La Cour a fait observer, comme elle avait déjà eu l’occasion de le faire, qu’«[u]ne requête pour avis consultatif ne constitue pas en soi une «recommandation» de l’Assemblée générale «sur [un] différend ou [une] situation»»40. En conséquence, la Cour a dit que, si l’article 12 pouvait limiter la portée des mesures ouvertes à l’Assemblée générale après avoir reçu l’avis de la Cour, il ne limitait pas en soi l’autorisation de demander un avis consultatif, qui est conférée à l’Assemblée par le paragraphe 1 de l’article 96. La Cour a noté que la question posée par l’Assemblée générale portait sur la question de savoir si la déclaration d’indépendance dont il y est question est «conforme au droit international». Une question demandant expressément à la Cour si une action donnée est ou non compatible avec le droit international paraît certainement être de nature juridique. Dans cette affaire, la Cour a jugé qu’elle avait compétence pour donner un avis consultatif en réponse à la requête de l’Assemblée générale.
45. L’Afrique du Sud estime que le fait qu’il puisse exister des questions de nature contentieuse (y compris le fait que les questions concernent une question juridique effectivement pendante entre des Etats, ou qu’un Etat intéressé n’a pas accordé son consentement) n’empêche pas la Cour d’exercer sa compétence compte tenu des éléments ci-dessus.
Res judicata
46. L’expression res judicata41 signifie qu’une question soumise à la Cour a été réglée de façon définitive et sans possibilité de révision dans le cadre d’une procédure concernant la même question générale. Il est possible d’envisager, en l’espèce, le cas de res judicata, vu la décision rendue par le Tribunal le 18 mars 2015 en l’affaire opposant la République de Maurice au
39 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), par. 18-28.
40 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 148, par. 25.
41 Brownlie, Principles of Public International Law, 7e éd., 2008, Oxford, p. 473.
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Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, introduite en vertu de l’annexe VII de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 198242.
47. En cette affaire, le Tribunal a décidé à l’unanimité qu’en créant une aire marine protégée autour de l’archipel des Chagos, le Royaume-Uni avait enfreint ses obligations au titre de certains articles de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, à raison d’un engagement pris par le Royaume-Uni. Le Tribunal a jugé en outre que l’engagement de rendre l’archipel des Chagos à Maurice était contraignant au regard du droit international43.
48. Bien que deux arbitres aient déclaré dans une opinion dissidente et concordante que «l’excision» de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 manifestait «un mépris complet de l’intégrité territoriale de Maurice de la part du Royaume-Uni»44, la majorité a refusé d’exercer la compétence du tribunal sur la question concernant la séparation de l’archipel des Chagos et ses conséquences juridiques45.
49. Le Tribunal n’a pas examiné la question de l’achèvement de la décolonisation à propos de questions qui touchaient expressément la décolonisation, l’autodétermination, l’intégrité territoriale et les conséquences de la séparation au regard du droit international. En conséquence, la décision du Tribunal ne peut être invoquée à l’appui de l’argument de res judicata pour exclure la compétence de la Cour.
Pouvoir discrétionnaire de la Cour d’exercer sa compétence
50. Le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut confère à la Cour un pouvoir discrétionnaire, à savoir qu’elle peut rendre un avis consultatif sur toute question juridique à la demande de tout organe autorisé par la Charte des Nations Unies à présenter une telle requête ou présentée en conformité avec ladite Charte46.
51. Il faut interpréter l’article 65 conjointement avec l’article 68 du Statut, aux termes duquel dans l’exercice de ses attributions consultatives, la Cour s’inspire en outre des dispositions du Statut qui s’appliquent en matière contentieuse, dans la mesure où elle les reconnaît applicables, et avec le paragraphe 2 de l’article 102 du Règlement de la Cour, selon lequel la Cour doit examiner avant tout si la demande d’avis consultatif a trait ou non à une question juridique actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats lorsqu’elle applique le Statut et le Règlement.
52. Si l’avis consultatif demandé a trait à une question juridique effectivement pendante entre deux ou plusieurs Etats, les droits énoncés à l’article 31 du Statut concernant les juges ad hoc doivent être accordés à l’Etat intéressé et le règlement relatif à cet article s’applique. Ce faisant, le
42 Chagos Marine Protected Area Arbitration (Mauritius v. United Kingdom), Cour permanente d’arbitrage, affaire no 03/2011.
43 Chagos Marine Protected Area Arbitration (Mauritius v. United Kingdom), Cour permanente d’arbitrage, affaire no 03/2011, par. 448 et 547.
44 Ibid. Voir l’opinion dissidente et concordante de MM. les juges Kateka et Wolfrum, par. 91.
45 Ibid., par. 221.
46 Sur la nature discrétionnaire du pouvoir de la Cour, voir Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72 ; Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 19 ; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962, p. 155.
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Statut prévoit expressément la possibilité d’une procédure consultative qui peut également être contentieuse et prévoit des garanties pour sauvegarder les intérêts des Etats éventuellement intéressés.
53. Il découle du pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par l’article 65 du Statut que celle-ci peut décider dans certains cas de refuser d’exercer sa compétence. Les cas où un arrêt serait dénué d’objet ou de but ou serait éloigné de la réalité ou impossible à appliquer effectivement ont été considérés comme des cas où la Cour ne devrait pas exercer sa compétence, y compris en matière consultative47. La Cour a également indiqué que les raisons doivent être décisives pour qu’elle n’exerce pas sa compétence48.
54. S’agissant du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’exercer sa compétence, la Cour a noté, en l’affaire relative aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, que l’argument avait été avancé qu’elle devait refuser d’exercer sa compétence en raison de certains aspects particuliers de la demande de l’Assemblée générale qui rendraient l’exercice de la compétence de la Cour peu approprié et incompatible avec sa fonction judiciaire49. La Cour a d’abord rappelé que le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, qui dispose que «[l]a Cour peut donner un avis consultatif… » devait être interprété comme signifiant que la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif même si les conditions de la compétence sont remplies. La Cour était consciente du fait que sa réponse à une demande d’avis consultatif «représente sa participation aux activités de l’Organisation et en principe ne devrait pas être refusée». Ainsi, étant donné ses responsabilités en tant qu’«organe judiciaire principal des Nations Unies» (article 92 de la Charte des Nations Unies), la Cour ne devrait, en principe, pas refuser de donner un avis consultatif, et seules des «raisons décisives» devraient l’amener à le faire50.
Conclusion sur la compétence
55. L’Afrique du Sud soutient que la Cour a le pouvoir d’exercer sa compétence sur les questions juridiques qui lui sont soumises par l’Assemblée générale des Nations Unies. Pour les raisons exposées ci-dessus, le fait que des conséquences politiques, des aspects d’ordre interne ou des questions de nature contentieuse puissent y être liés n’empêche pas, selon elle, la Cour d’exercer sa compétence.
56. Si la Cour estime qu’une question de nature contentieuse susceptible de toucher un Etat est en cause, il lui appartient d’invoquer les articles 65 et 68 de son Statut et le paragraphe 2 de l’article 102 de son Règlement et d’adapter la procédure en conséquence. Même si la Cour constate que l’avis consultatif concerne une question juridique actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats, il lui suffit d’invoquer les droits prévus à l’article 31 (du Statut) concernant les juges ad hoc, mais la Cour n’en est pas pour autant privée de compétence et rien ne lui interdit de l’exercer.
47 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 271 et Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 476-477 ; Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 30.
48 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 235.
49 Ibid., p. 156 à 164, par. 43-65.
50 Ibid., p. 156, par. 44.
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57. L’arrêt du Tribunal ne fait pas des questions posées res judicata et il n’existe pas de raison décisive pour que la Cour refuse de donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale. La Cour a déclaré à plusieurs occasions que, bien que son pouvoir de donner des avis consultatifs au titre de l’article 65 de son Statut soit discrétionnaire, seules des raisons décisives justifieraient qu’elle refuse d’accéder à une telle demande. L’Afrique du Sud soutient que la demande susmentionnée ne présente à la Cour aucun motif de cette nature.
58. Pour les raisons exposées ci-dessus, l’Afrique du Sud estime que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale.
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IV. EXPOSÉ DU DROIT
Considérations générales
59. Si l’objet principal des questions transmises à la Cour par l’Assemblée générale des Nations Unies concerne la décolonisation et les effets juridiques de l’inachèvement de ce processus, les principes juridiques sous-jacents sont de nature transversale et couvrent plusieurs domaines du droit international.
60. Selon l’Afrique du Sud, la décolonisation trouve son fondement dans la nécessité de donner effet au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes — droit relevant du jus cogens — conformément à la Déclaration. Sans droit à l’autodétermination, la décolonisation ne peut être réalisée. De même, l’autodétermination est de peu de valeur sans le respect du droit à l’intégrité territoriale reconnu à l’Etat décolonisé par le droit international coutumier. Par suite du non-respect de l’intégrité territoriale de Maurice, le peuple mauricien a été privé de l’exercice complet de son droit à l’autodétermination sur son propre territoire.
61. L’Afrique du Sud n’abordera pas dans son exposé toutes les questions dont est saisie la Cour, mais elle souhaite mettre l’accent sur les points suivants :
a) Sur la question 1, la situation juridique en ce qui concerne les questions d’autodétermination, d’indépendance, de souveraineté et d’intégrité territoriale (en tant qu’aspect de la décolonisation) et les effets du non-respect de l’intégrité territoriale.
b) Sur la question 2, des observations générales sur la responsabilité de l’Etat et les réparations prévues par le droit international.
Question 1 autodétermination et intégrité territoriale
62. Le droit à l’autodétermination constitue un droit fondamental du droit international. Il est indissolublement lié aux concepts d’indépendance et de souveraineté, caractéristiques fondamentales de l’Etat qui ne peuvent être exercées que sur une base territoriale. En tant que concept politique, l’autodétermination est apparue après la Première guerre mondiale dans les traités relatifs à la protection des minorités, dans le système des mandats51 et dans les revendications d’autodétermination des nations après l’implosion des empires austro-hongrois et ottoman52. Le concept d’autodétermination a ensuite été inscrit dans la Charte des Nations Unies. Le paragraphe 2 de l’article premier de la Charte dispose que l’un des buts de l’Organisation est de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, tandis que l’article 55 traite des manières dont l’Organisation doit créer les conditions nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes. L’inclusion du concept d’autodétermination dans la Charte en tant que principe et non en tant que droit juridique, cependant, marque le début d’un processus qui a mené à la cristallisation d’un droit juridiquement exécutoire :
51 Shaw, M.N., International Law, 7e éd., Cambridge University Press, 2014, p. 183.
52 Pedersen, S., The Guardians: The League of Nations and the Crisis of Empire, Oxford University Press, 2017, p. 400.
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«Bien que l’autodétermination soit mentionnée dans la Charte «seulement» en tant que «principe» et non en tant que droit juridique, son apparition dans un instrument conventionnel établissant une organisation internationale ayant vocation à composition universelle était une étape très importante dans l’évolution de l’autodétermination vers le statut de droit positif en droit international»53.
L’article premier commun du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels confirme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce droit a de plus été confirmé dans maintes résolutions des Nations Unies, au premier rang desquelles figurent la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale sur la Déclaration d’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale sur la Déclaration relative aux principes du droit international concernant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies.
63. Selon Shaw, même s’il existe une certaine incertitude sur la question de savoir si le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était un droit juridique lors de son inclusion dans la Charte, la pratique ultérieure au sein des Nations Unies depuis 1945 a établi «le statut juridique de ce droit en droit international»54 et l’existence d’un tel droit lors de l’adoption de la résolution 1514 (XV)55 en 1960 et des pactes internationaux en 1966. En conséquence, l’autodétermination en tant que droit juridique susceptible de violation existait clairement au moment de l’indépendance de Maurice en 1968. De plus, tant la Cour56 que la Commission du droit international57 ont affirmé que l’autodétermination était un droit relevant du jus cogens.
64. L’Afrique du Sud fait en outre valoir à la Cour que le droit à l’autodétermination va de pair avec le principe du droit coutumier relatif à l’intégrité territoriale. L’Afrique du Sud estime qu’obtenir le droit à l’autodétermination — et en conséquence réaliser l’indépendance — serait sans valeur en l’absence d’un territoire où réaliser ce droit. Dans le cadre de la décolonisation, ce territoire doit nécessairement être l’ensemble du territoire qui relevait du régime colonial et qui inclut l’archipel des Chagos dans la présente instance58.
65. En effet, lorsque l’intégrité territoriale d’un Etat ou son territoire sont violés, ce fait limite nécessairement et en conséquence enfreint le droit des peuples concernés à disposer d’eux-mêmes. Non seulement pareille violation porte atteinte à la capacité du peuple de réaliser son droit à l’autodétermination, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, mais elle a également pour conséquence que l’indépendance et la souveraineté s’exercent sur une base territoriale incomplète.
53 Raic, D., Statehood and the Law of Self-Determination, thèse de doctorat, University of Leiden, 2002, p. 200.
54 Shaw, 7e éd., op. cit., p. 183-184.
55 Voir, «The Magna Carta of Decolonization», in Strydom, H. (dir. de publ.), International Law, Oxford University Press, 2016, p. 50.
56 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 3 ; voir également l’opinion individuelle du juge Ammoun, p. 301-304, par. 11.
57 Conclusions des travaux du Groupe d’étude sur la fragmentation du droit international: difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, par. 33, disponible à l’adresse http://legal.un.org/ilc/texts/instruments/english/draft_articles/1_9_20… (consulté le 16 janvier 2018) ;voir également, Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 90, où la Cour a dit qu’ «il n’y a rien à redire à l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est développé à partir de la Charte et de la pratique de l’Organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga omnes», , et que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est l’«un des principes essentiels du droit international contemporain», p. 102.
58 Charte des Nations Unies, art. 1, par. 2 et art. 2, par. 4.
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Le droit international est clair sur ce point : Shaw note que «… la caractéristique primordiale de l’Etat est son indépendance», ce qui, en droit international, comporte des droits et des devoirs, notamment le droit de l’Etat d’exercer sa juridiction sur son territoire et sa population permanente59. Le juge Huber, dans l’arbitrage des Iles de Palmas, a estimé que «l’indépendance à l’égard d’une portion du monde est le droit d’exercer sur ce territoire, à l’exclusion d’un autre Etat, les fonctions étatiques»60. Maurice ne peut exercer sa juridiction et ses fonctions étatiques sur les îles Chagos à l’exclusion d’un autre Etat ; la séparation des îles Chagos signifie donc que l’indépendance de Maurice et l’exercice de la souveraineté sur son territoire sont incomplets, et elle représente une violation claire d’une règle fondamentale du droit international concernant la nature de l’Etat. En outre, l’illicéité de la séparation des îles Chagos de Maurice ne rentre dans aucune des exceptions prévues par le droit international permettant à un Etat étranger de maintenir des droits sur le territoire d’un autre Etat (concession, servitude61, condominium, administration internationale) ; les îles Chagos ne sont pas non plus un protectorat ou un Etat protégé62.
66. Il convient de souligner que le principe de l’intégrité territoriale est également lié de façon inextricable au principe de la décolonisation. Comme le dit la Déclaration : «[…] tous les peuples ont un droit inaliénable à …l’intégrité de leur territoire national» et plus loin : «l’intégrité [du territoire national des peuples dépendants] sera respectée» et «[t]oute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies».
67. Le droit à l’intégrité territoriale est reconnu par le droit international coutumier. Ce fait a été reconnu par l’Assemblée générale des Nations Unies dans nombre de résolutions ainsi que par la Cour et par plusieurs Etats Membres des Nations Unies dans des mémoires présentés à la Cour.
a) Parmi d’autres, la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, la Déclaration relative aux principes du droit international concernant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, confirme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et, dans le cadre qui nous occupe, confirme le devoir des Etats de s’abstenir d’actions visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale de tout autre Etat ou pays. Les principes consacrés par cette résolution sont ensuite déclarés «principes de base du droit international»63 et la Cour a confirmé qu’ils font partie du droit international coutumier, notamment en l’affaire du Kosovo 64;
b) La Cour a déclaré en l’affaire du Détroit de Corfou que «[e]ntre Etats indépendants, le respect de la souveraineté territoriale est l’une des bases essentielles des rapports internationaux»65 ;
c) Au cours de la procédure concernant la demande d’avis consultatif présentée à la Cour en l’affaire du «Kosovo», de nombreux Etats Membres des Nations Unies, notamment la Confédération helvétique, l’Egypte, l’Espagne, la République populaire de Chine, la
59 Shaw, 7e éd., op. cit., p. 153-154.
60 Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (1928), vol. II, p. 838.
61 O’Brien, J., International Law, Cavendish Publishing, 2001, p. 220.
62 Shaw, 7e éd., op. cit., p. 157-167.
63 Résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 de l’Assemblée générale, par. 3.
64 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), par. 80.
65 Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 35.
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République slovaque, la Roumanie, le Royaume-Uni et la Russie, ont exprimé l’avis que le principe d’intégrité territoriale faisait partie du droit international coutumier66.
68. L’Organisation des Nations Unies a déclaré que la séparation de l’archipel des Chagos du reste du territoire constituait une violation de l’intégrité territoriale de Maurice et une violation de la Déclaration, et ce dès 1965, dans la résolution 2066 (XX) de l’Assemblée générale relative à la question de l’île Maurice, datée du 16 décembre 1965. L’Assemblée générale a également déclaré dans deux résolutions, la résolution 2232 (XXI) et la résolution 2357 (XXII) que
«toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à établir des bases et des installations militaires dans ces territoires est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de la Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale.»
69. L’intention de l’autorité colonisatrice de séparer l’archipel des Chagos de Maurice afin d’installer une base militaire sur Diego Garcia ressort clairement des documents historiques et a été reconnue comme un fait par les tribunaux du Royaume-Uni. En l’affaire Regina v. Secretary of State for the Foreign and Commonwealth Office, Ex parte Bancoult,67 le juge Gibbs, dans son opinion concordante, a déclaré :
«[i]l ne fait aucun doute que les buts du [décret de 1965 relatif au Territoire britannique de l’océan Indien qui a séparé l’archipel des Chagos de Maurice] étaient de faciliter l’utilisation de Diego Garcia comme base militaire stratégique et de limiter l’utilisation et l’occupation de cette île et d’autres îles situées dans ce territoire dans la mesure nécessaire pour assurer l’efficacité et la sécurité de la base».68
70. S’agissant de la violation du droit à l’intégrité territoriale, la Cour a décrit, en l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Mali)69, le principe qui sous-tend le maintien de l’intégrité territoriale dans le cadre de la décolonisation, à savoir le principe de l’uti possidetis, comme l’un des plus importants principes de droit. La Cour a décrit comme suit le principe de l’uti possidetis : «Ce principe ne revêt pas pour autant le caractère d’une règle particulière, inhérente à un système déterminé de droit international. Il constitue un principe général, logiquement lié au phénomène de l’accession à l’indépendance, où qu’il se manifeste.»70 Son but évident est d’éviter que l’indépendance et la stabilité des nouveaux Etats ne soient mises en danger par des luttes fratricides nées de la contestation des frontières après le retrait de la puissance administrante.
71. Le principe de l’uti possidetis peut être défini comme le concept selon lequel «les Etats émergeant de la dissolution d’une entité plus grande héritent des frontières correspondant aux limites administratives qui existaient au moment de l’indépendance».71 L’uti possidetis a été décrit
66 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 403 ; voir les exposés écrits de l’Egypte (3e partie, par. 51, et 4e partie, par. 64), de la Confédération helvétique (par. 58), de la Roumanie (3e partie, par. 63 et 72), de la République slovaque (partie B), de la République populaire de Chine (partie II, par. a)), de l’Espagne (partie II), de la Fédération de Russie (partie III) et du Royaume-Uni (chap. 5, par. 5.8).
67 Regina v. Secretary of State for the Foreign and Commonwealth Office, Ex parte Bancoult (2001), Q.B. 1067.
68 Ibid., p. 1106.
69 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 565.
70 Ibid., p. 565, par. 20.
71 Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law, 8e éd., p. 238.
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pour la première fois comme un «principe» de droit dans les opinions dissidentes des juges Armand-Ugon et Moreno Quintana dans l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice en l’affaire de la Souveraineté sur certaines terres frontalières (Belgique/Pays-Bas) en 195972.
72. Bien qu’il n’ait été reconnu pour la première fois par la Cour qu’en 1959, le principe de l’uti possidetis a évolué et a été constamment mis en application depuis le début du XIXe siècle73. Ce principe a d’abord été appliqué en Amérique hispanique à l’époque de la décolonisation des Etats hispano-américains et il a ensuite été appliqué en Afrique au cours du processus de décolonisation du continent africain.
73. Le caractère général et intertemporel du principe de l’uti possidetis a été souligné par la Cour elle-même en l’affaire du Différend frontalier, lorsqu’elle a souligné que l’application de ce principe dans le contexte africain ne pouvait être considérée comme une pratique contribuant à la formation graduelle d’un principe de droit international coutumier, mais bien comme l’application en Afrique d’une règle de portée générale74.
74. En conséquence, le principe de l’uti possidetis était déjà établi comme règle générale de droit international à l’époque de la décolonisation de Maurice et de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice.
75. En conséquence, quelles qu’aient été les frontières avant la colonisation, à l’époque de la décolonisation ces frontières devaient rester inchangées. En l’espèce, l’Afrique du Sud avancera que Maurice a été administré tant par la France que par le Royaume-Uni comme une unité territoriale comprenant l’archipel des Chagos. A l’époque de la décolonisation, le territoire légitime du nouvel Etat indépendant de Maurice comprenait l’archipel des Chagos.
76. Le droit international prévoit bien une exception au principe de l’uti possidetis, à savoir le cas où il existe un accord entre les Etats pour s’écarter de ce principe. La commission d’arbitrage établie par la conférence sur la Yougoslavie, dans son avis no 2 de 1992, a dit que quelles que soient les circonstances, le droit à l’autodétermination ne doit pas comporter de changement aux frontières existant à l’époque de l’indépendance sauf lorsque les Etats concernés en conviennent autrement» (les italiques sont de nous)75.
77. Il y aurait apparemment désaccord sur les faits à propos de la validité en droit international de l’accord conclu entre le Royaume-Uni et Maurice en 1965 concernant la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice. L’Afrique du Sud ne dispose pas d’informations de première main sur la manière dont cet accord a été conclu et ne peut donc aider la Cour à déterminer si l’exception au principe de l’uti possidetis pourrait s’appliquer en l’espèce. Selon l’Afrique du Sud, cette question doit être examinée par les Etats qui ont accès à l’information qui aiderait la Cour à faire cette évaluation.
72 Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 240 et 255 respectivement. Voir aussi l’opinion dissidente de M. le juge Armand-Ugon, p. 233.
73 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 565, par. 20-21.
74 Ibid., p.565, par. 21.
75 Conference on Yugoslavia Arbitration Commission: Opinions on Questions Arising from the Dissolution of Yugoslavia, 31 I.L.M 1488 (1992), opinion no 2 , par. 1.
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78. L’Afrique du Sud soutient donc que le détachement de l’archipel des Chagos de Maurice a été effectué en violation du principe de l’uti possidetis et viole les droits de Maurice à l’autodétermination.
Question 2 Les effets de la violation de l’intégrité territoriale sur les droits de l’homme
79. Bien au-delà de l’incidence que le fait de ne pas avoir décolonisé l’archipel des Chagos a eue sur le droit à l’autodétermination de Maurice, l’incidence sur les droits de l’homme des personnes est le plus clairement visible dans le déplacement forcé par le Royaume-Uni de l’ensemble de la population civile chagossienne entre 1965 et 197376.
80. La situation de la population chagossienne est unique en ce que l’expulsion des habitants de l’archipel des Chagos, pour la plupart vers Maurice, a commencé en 1965, à une époque où Maurice était encore une colonie du Royaume-Uni, et ne s’est terminée qu’en 1973 ; l’archipel des Chagos était alors séparé et continuait d’être administré par le Royaume-Uni après l’indépendance de Maurice en 1968. Les expulsions ont donc d’abord eu lieu entre une partie du territoire et une autre et, à la fin, de ce territoire par-delà une frontière internationale (même si la légitimité de cette frontière peut être contestée en l’espèce).
81. Le droit international des droits de l’homme condamne sans équivoque les déplacements forcés de populations. Le paragraphe 1 de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme garantit le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur des frontières d’un Etat, tandis que l’article 12 dispose que nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance. Selon le paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence, et le paragraphe 4 du même article dispose que nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays.
82. La Cour européenne des droits de l’homme, en l’affaire Chypre c. Turquie77 — affaire qui a des points communs avec l’affaire dont est saisie la Cour — a jugé entre autres que le déplacement forcé des ressortissants chypriotes grecs résultant des opérations militaires turques dans le nord de Chypre en juillet et en août 1974 et le refus de la Turquie d’autoriser les personnes déplacées à regagner leur domicile, en n’autorisant les visites que sous des restrictions très strictes, constituaient une violation de l’article 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme78. Il convient de noter que, examinant les mêmes faits, la Commission européenne des droits de l’homme n’a pas établi de distinction entre le cas où des personnes étaient déplacées au sein du même territoire et celui où elles étaient déplacées entre des territoires différents lorsqu’elle a jugé que le refus d’autoriser les personnes déplacées à rentrer dans leurs foyers constituait une violation de la Convention européenne des droits de l’homme79.
76 Nauvel, C.A., «A Return from Exile in Sight – The Chagossians and their Struggle», Northwestern University Journal of International Human Rights, vol. 5, 2006, p. 96-100.
77 Affaire Chypre c. Turquie, requête no 2578/94, arrêt du 10 mai 2001, disponible à l’adresse https://hudoc.echr.coe.int/eng#{"itemid":["001-59454"]} (consulté le 15 janvier 2018).
78 Ibid., par. 175.
79 Affaire Chypre c. Turquie, requêtes no 6780/74 et 6950/75, European Human Rights Reports, vol. 4, p. 519-520.
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83. L’Afrique du Sud a elle aussi dû faire face à de fortes critiques et condamnations internationales en raison de sa politique d’apartheid consistant à déplacer par la force la population noire d’une partie de l’Afrique du Sud vers une autre pour atteindre ses objectifs discriminatoires du point de vue racial80. Forte de son expérience passée, l’Afrique du Sud ne peut que se rallier aux tribunaux et organisations qui ont estimé que le déplacement forcé de personnes, que ce soit à l’intérieur d’un territoire ou par-delà des frontières internationales, constituait une violation continue du droit international des droits de l’homme.
84. L’Afrique du Sud est d’avis que pareille violation des droits de l’homme des personnes de descendance chagossienne qui ont subi les effets de la politique de déplacement forcé du Royaume-Uni à l’égard de l’archipel des Chagos constitue un préjudice continu qui peut ouvrir la voie à une demande de réparations supplémentaires dans le contexte actuel, ainsi qu’il est expliqué plus loin.
Question 3 Conséquences en droit international
85. Les conséquences en droit international du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni sont que le processus de décolonisation n’est pas achevé. Le maintien de cette administration a un effet «domino» dans la sphère des droits de l’homme, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, et dans le domaine de la responsabilité de l’Etat comme on le verra plus loin. Cependant, une conséquence distincte — et la plus cruciale — est que le Royaume-Uni a l’obligation de mener à bien la décolonisation de Maurice et que Maurice a un droit concomitant de voir son droit à l’autodétermination et à l’intégrité territoriale réalisé et respecté.
86. Bien qu’il s’agisse en l’espèce d’un avis consultatif et non pas d’un différend entre Etats, la conclusion que le Royaume-Uni aurait commis une violation des droits de l’homme peut toujours engager la responsabilité de cet Etat à raison de ladite violation. Nul n’est besoin que la Cour formule une conclusion spécifique dans le cadre d’un différend pour que la responsabilité de l’Etat soit engagée ou puisse être affirmée dans un avis consultatif. En droit international, chaque fois qu’un Etat commet un fait internationalement illicite à l’encontre d’un autre Etat, comme ce peut être le cas en l’espèce, la responsabilité internationale de l’Etat fautif peut être engagée81.
87. La responsabilité de l’Etat est en jeu s’il existe une obligation juridique internationale entre deux Etats, si un fait ou une omission, attribuable à un Etat, viole cette obligation juridique internationale et peut être imputé(e) à l’Etat responsable, et s’il résulte de ce fait ou de cette
80 Voir, entre autres, résolution 2775 (XXVI) de l’Assemblée générale du 29 novembre 1971, partie E ; résolution A/RES/38/39 de l’Assemblée générale du 5 décembre 1983, par. 11 ; et résolution A/RES/39/72 de l’Assemblée générale du 13 décembre 1984, par. 4.
81 Shaw, M.N., International Law, 6e éd., Cambridge University Press, 2008, p. 778; Annuaire de la CDI, 1972, vol. II, p. 169-170.
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omission une perte ou un dommage. Lorsqu’une obligation internationale est enfreinte, des réparations peuvent être exigées82.
88. Les réparations peuvent prendre la forme de restitution, d’indemnisation ou de satisfaction, séparément ou conjointement, envers l’Etat lésé de la part de l’Etat responsable83. Dans le cas où le préjudice comporte la violation grave d’une norme impérative du droit international (jus cogens), comme le maintien du colonialisme par la force en violation du droit à l’autodétermination garanti par le jus cogens, ce préjudice peut être considéré comme un préjudice extraordinaire84.
89. L’Afrique du Sud soutient qu’il découle clairement de la violation du droit à l’autodétermination et du principe de l’intégrité territoriale que la décolonisation de Maurice doit être parachevée.
90. S’agissant des violations de normes internationales relatives aux droits de l’homme, l’Afrique du Sud prie la Cour de se reporter aux observations finales du Comité des droits de l’homme des Nations Unies sur les rapports présentés par le Royaume-Uni le 29 octobre 2001, où le Royaume-Uni reconnaissait que l’interdiction faite aux Chagossiens qui avaient quitté le territoire ou en avaient été expulsés d’y retourner était illégale. Le Comité des droits de l’homme a également encouragé le Royaume-Uni à s’efforcer de faciliter en pratique l’exercice par les Chagossiens de leur droit au retour dans leur territoire en envisageant de les indemniser pour le fait que ce droit leur avait été refusé pendant une longue période85.
91. En outre, le 30 juillet 2008, dans ses observations finales sur les rapports présentés par le Royaume-Uni, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a noté à nouveau que le Royaume-Uni devait veiller à ce que les Chagossiens puissent exercer leur droit de retour sur leur territoire et devait envisager de les indemniser pour leur avoir nié ce droit pendant une longue période, mais en tenant dûment compte des indemnisations déjà versées86.
92. Selon l’Afrique du Sud, la première conséquence de l’inachèvement de la décolonisation de Maurice est l’obligation pour l’autorité administrante de mener à bonne fin cette décolonisation. L’Afrique du Sud fait également valoir que des réparations appropriées au regard du droit international doivent être envisagées à raison des violations du droit international subies par Maurice et par la population chagossienne.
82 Affaire des biens britanniques au Maroc espagnol (Espagne c. Royaume-Uni), Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. II, p. 615 (1923) ; Usine de Chorzów, C.P.J.I., Série A no 17, 1928, p. 47-48 ; Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 4 et 23; articles 1 et 2 des Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat ; Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7 et 80; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), par. 460; M/V Saiga (no 2), ILR, vol. 120, p. 143 et 199.
83 Article 34 des Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat.
84 Shaw, 6e éd., op cit., p. 807.
85 Nations Unies, «Observations finales du Comité des droits de l’homme, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord», doc. CCPR/CO/73/UK (2001), par. 38.
86 Ibid., doc. CCPR/CO/73/GBR/6 (2008), par. 22.
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V. CONCLUSION
93. Dans la présente affaire, la Cour donnera un avis consultatif sur une question qui se situe au carrefour des questions de décolonisation, d’autodétermination, d’indépendance, de souveraineté, d’intégrité territoriale et de droits de l’homme, à une époque où la communauté internationale, s’efforçant de surmonter une histoire tragique, tourne ses espoirs et ses aspirations vers un avenir où tous les Etats seront véritablement égaux et où tous les vestiges du colonialisme auront été supprimés et corrigés de façon permanente.
94. Dans l’espoir d’un tel avenir, l’Afrique du Sud fait valoir que le processus de décolonisation de l’ancienne colonie de Maurice n’a pas été mené à bien, ce qui a entraîné une violation des droits à l’autodétermination et à l’intégrité territoriale. Les Nations Unies ont, à juste titre, consacré beaucoup d’énergie et d’attention à cette question depuis de nombreuses années et la Cour, en tant qu’organe judiciaire principal des Nations Unies, ne peut que faire tous les efforts possibles — dans le cadre du droit — pour aider les Nations Unies à rechercher une solution décisive à cette question.
95. La présente instance est d’autant plus importante que la violation des droits des Etats et des droits de l’homme des personnes est continue et que la communauté internationale attend de la Cour qu’elle exerce ses pouvoirs de manière à soutenir le mouvement en faveur de l’élimination des derniers vestiges du colonialisme et de la protection de ceux qui n’ont pas voix au chapitre en raison des injustices du colonialisme.
96. L’Assemblée générale des Nations Unies a l’obligation continue de mener à bien le processus de décolonisation de Maurice et elle bénéficierait, dans l’exécution de cette fonction, d’un avis consultatif de la Cour. En donnant son avis — et quel que soit le résultat — la Cour contribuera également à la compréhension juridique d’une question de droit international très importante que la communauté internationale est tenue de faire progresser, et contribuera à l’élimination des conséquences tragiques du colonialisme et à l’avancement des droits de l’homme.
97. L’Assemblée générale des Nations Unies est compétente pour poser la question à la Cour, et la Cour a compétence pour y répondre. Les incidences politiques, les questions d’ordre interne ou de nature contentieuse n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence, et aucune raison décisive ne l’oblige à refuser de donner un avis consultatif sur des questions juridiques relatives à des problèmes qui ne peuvent être considérés comme res judicata. En conséquence, la Cour doit exercer sa compétence dans la présente affaire.
98. Pour les motifs exposés dans la partie IV ci-dessus, l’Afrique du Sud estime que la Cour doit dire et juger que :
a) le processus de décolonisation de Maurice n’avait pas été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, après que l’archipel des Chagos eut été séparé de Maurice ;
b) les conséquences du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord sont notamment que la colonisation illicite continue
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de l’archipel des Chagos (nonobstant le droit de Maurice à disposer pleinement de lui-même y compris au sens territorial) et le déni continu aux Chagossiens de leur droit de retour dans leurs foyers constituent un fait internationalement illicite emportant responsabilité, qui doit être redressé et à l’égard duquel des réparations peuvent être exigées.
Au nom du Gouvernement de la République sud-africaine,
(Signé) [Illisible]
Le 1er mars 2018.
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Exposé écrit de l'Afrique du Sud

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