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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE L’UNION AFRICAINE
1er mars 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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PARTIE I. REMARQUES PRÉLIMINAIRES................................................................................... 1
I. INTRODUCTION ....................................................................................................................... 1
II. INTÉRÊT DE L’UNION AFRICAINE DANS LA PROCÉDURE CONSULTATIVE DEVANT LA COUR ................................................................................................................................ 2
III. PORTÉE DE LA DEMANDE ....................................................................................................... 5
PARTIE II. LA COUR EST COMPÉTENTE POUR DONNER L’AVIS CONSULTATIF DEMANDÉ ................................................................................................................... 7
I. INTRODUCTION ....................................................................................................................... 7
II. L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE EST AUTORISÉE À DEMANDER L’AVIS CONSULTATIF ................... 7
III. CARACTÈRE «JURIDIQUE» DES QUESTIONS POSÉES ............................................................... 8
IV. OBLIGATION POUR LA COUR DE DONNER L’AVIS DEMANDÉ ................................................. 8
PARTIE III. LA DÉCOLONISATION DE MAURICE N’A PAS ÉTÉ VALIDEMENT MENÉE À TERME LORSQUE CET ETAT A ACCÉDÉ À L’INDÉPENDANCE EN 1968 ................................................................................... 11
I INTRODUCTION ..................................................................................................................... 11
II. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION FAISAIT PARTIE DU DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER À L’ÉPOQUE DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE .............................................................................................................................. 11
A. Le droit international coutumier .................................................................................... 12
B. Les résolutions de l’Assemblée générale ....................................................................... 13
C. Pratique de l’OUA en relation avec la résolution 1514 ................................................. 16
D. Pratique des Etats dans les années 1950 et après l’adoption de la résolution 1514 ............................................................................................................... 16
E. Décisions de la Cour ...................................................................................................... 19
F. Décisions de la Cour de Justice de l’Union européenne ................................................ 20
G. Consensus au sein de la doctrine.................................................................................... 20
III. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION A ÉTÉ VIOLÉ PENDANT LE PROCESSUS DE DÉCOLONISATION DE MAURICE ........................................................................................... 22
A. Portée du droit à l’autodétermination ............................................................................. 23
B. Résolutions adoptées par l’Assemblée générale pendant le processus de décolonisation de Maurice ............................................................................................. 26
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C. Résolutions et décisions de l’OUA/Union africaine sur la décolonisation de Maurice .......................................................................................................................... 30
IV. LE PROCESSUS DE DÉCOLONISATION DE MAURICE ÉTAIT ILLÉGAL ET INCOMPLET AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL ............................................................................... 32
PARTIE IV. CONSÉQUENCES EN DROIT INTERNATIONAL DU MAINTIEN DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS SOUS L’ADMINISTRATION DU ROYAUME-UNI ........................................................................................................ 35
I. OBSERVATIONS GÉNÉRALES ................................................................................................ 35
II. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DU MAINTIEN DE L’ADMINISTRATION DES CHAGOS POUR LE ROYAUME-UNI ....................................................................................................... 38
A. Devoir continu du Royaume-Uni de s’acquitter des obligations qu’il a violées ............ 38
B. Cessation et non-répétition ............................................................................................ 39
C. Réparation et restitution ................................................................................................. 41
D. Compensation à Maurice et à ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne .................................................................................................................. 42
E. Satisfaction ..................................................................................................................... 43
III. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DU MAINTIEN DE L’ADMINISTRATION DES CHAGOS POUR D’AUTRES ETATS ET ORGANISATIONS INTERNATIONALES ......................................... 44
PARTIE V. CONCLUSIONS ET ARGUMENTATION FINALE .................................................. 47
___________
PARTIE I REMARQUES PRÉLIMINAIRES
I. INTRODUCTION
1. C’est un grand honneur pour l’Union africaine que de fournir, pour la première fois depuis sa création, des informations à la Cour internationale de Justice (ci-après la «Cour») et d’exprimer son point de vue sur une demande d’avis consultatif. Dans le présent exposé écrit, l’Union africaine présente ses observations préliminaires et son argumentation initiale sur les questions soumises à la Cour concernant les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, conformément à la résolution A/RES/71/292 de l’Assemblée générale des Nations Unies (ci-après l’«Assemblée générale»).
2. L’Union africaine a été l’un des initiateurs de la résolution A/RES/71/292. Elle a pleinement appuyé les efforts déployés par le Gouvernement de la République de Maurice (ci-après «Maurice») visant à faire adopter ce texte par l’Assemblée générale. Ce soutien se reflète, entre autres, dans la résolution de l’Assemblée de l’Union africaine AU/Res. 1 (XXVIII), en date des 30 et 31 janvier 2017, dans laquelle cet organe décide :
«d’appuyer pleinement l’action engagée par le Gouvernement de la République de Maurice au niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies en vue d’assurer l’achèvement de la décolonisation de la République de Maurice et de permettre à la République de Maurice d’exercer effectivement sa souveraineté sur l’Archipel des Chagos, y compris Diego Garcia»1.
3. Le sort tragique des Chagossiens a été scellé en 1965, lorsque l’archipel qu’ils habitaient a été séparé de Maurice par la puissance administrante de l’époque, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ci-après le «Royaume-Uni»). Trois ans plus tard, en 1968, Maurice a accédé à l’indépendance, mais l’archipel des Chagos a conservé son statut de colonie britannique et ses habitants la nationalité britannique.
4. Cette situation, qui persiste jusqu’à aujourd’hui, est contraire au droit international.
5. Le Royaume-Uni n’a jamais pris la moindre mesure pour remédier à cette situation, malgré les appels répétés de la communauté internationale l’enjoignant de respecter le droit des gens et de mettre fin à ce que l’on pourrait qualifier de tragédie humaine.
6. Pendant cinquante ans, l’Assemblée générale, l’Union africaine et sa devancière, l’Organisation de l’Unité africaine (l’«OUA»), ont adopté un certain nombre de résolutions et de décisions appelant le Royaume-Uni à respecter le droit international et à mettre fin à la colonisation continue de l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia.
1 Pièce jointe UA-12, résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XXVIII), résolution sur l’archipel des Chagos, janvier 2017, par. 6. Dans le présent exposé écrit, la mention «pièce jointe UA» désigne des pièces soumises par l’Union africaine en même temps que ledit exposé, tandis que la mention «dossier no» désigne des documents remis à la Cour par le Secrétariat des Nations Unies dans le cadre de la présente procédure.
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7. Le 22 juin 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé d’aller plus loin en adoptant la résolution A/RES/71/292 demandant à la Cour de rendre un avis consultatif sur les questions suivantes :
«a) Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?» ; et
«b) Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?».
8. Dans son ordonnance no 169 en date du 17 janvier 2018, la Cour a décidé que l’Union africaine était susceptible de fournir des renseignements sur ces questions dans le délai fixé.
9. Le présent exposé écrit expose les vues de l’Union africaine dont les membres considèrent que le fait de répondre aux questions posées par la Cour revêt une importance systémique en droit international.
II. INTÉRÊT DE L’UNION AFRICAINE DANS LA PROCÉDURE CONSULTATIVE DEVANT LA COUR
10. L’Union africaine, créée le 11 juillet 2000 par l’adoption de son Acte constitutif signé à Lomé, au Togo (ci-après l’«Acte constitutif»), est un organisme régional au sens de l’article 52 du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies (ci-après la «Charte»). L’Union regroupe cinquante-cinq Etats africains, dont Maurice.
11. L’Union africaine a un intérêt direct dans cette procédure consultative, car la situation dans l’archipel des Chagos a un impact direct et préjudiciable sur l’un de ses Etats membres, à savoir Maurice.
12. De plus, l’un des principaux objectifs de l’Union est de compléter la décolonisation du continent africain.
13. En vertu de l’article 3 de son Acte constitutif, «[l]es objectifs de l’Union sont : … défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance des Etats membres»2.
2 Pièce jointe UA-1, Acte constitutif de l’Union africaine, en date du 11 juillet 2000, art. 3.
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14. L’Union africaine, lors de la célébration du cinquantième anniversaire de l’OUA, a réitéré son engagement continu «à achever le processus de décolonisation en Afrique, à protéger le droit à l’autodétermination des peuples africains encore sous domination coloniale»3.
15. A cet égard, l’Union africaine poursuit le même objectif que sa devancière, l’OUA, comme indiqué dans le préambule de son Acte constitutif, lequel rappelle que «l’Organisation de l’Unité africaine a joué un rôle déterminant et précieux dans la libération du continent [et] l’affirmation d’une identité commune»4.
16. L’OUA a été établie le 25 mai 1963, à Addis-Abeba. Le préambule de sa Charte insiste sur la nécessité de «sauvegarder et [de] consolider l’indépendance et la souveraineté durement conquises, ainsi que l’intégrité territoriale de nos Etats, et à combattre le néocolonialisme sous toutes ses formes»5.
17. Les paragraphes c) et d) de l’article 2 de cet instrument confirment que, parmi les «objectifs» de l’Union, figurent spécifiquement les activités suivantes :
«c) Défendre la souveraineté [des Etats africains], leur intégrité territoriale et leur indépendance ;
d) Eliminer sous toutes ses formes le colonialisme de l’Afrique»6.
18. De 1963 à 2000, l’OUA a placé la décolonisation, l’indépendance et l’autodétermination tout en haut de son programme.
19. Pendant la première conférence des chefs d’Etat et de gouvernements africains indépendants, tenue à Addis-Abeba du 22 au 25 mai 1963, la décolonisation a été la première question de fond inscrite à l’ordre du jour de l’OUA. L’Organisation a rappelé que ses membres «ont le devoir d’appuyer dans leur lutte pour la liberté et l’indépendance les peuples d’Afrique qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance»7. Elle a également déclaré «que les puissances coloniales qui imposent, par la force, des colons aux postes de direction de l’Etat et de l’administration de ces territoires commettent une violation flagrante des droits inaliénables qui sont ceux des habitants légitimes de ces territoires»8.
20. Dix-huit ans plus tard, sous l’égide de l’OUA, a été adoptée à Nairobi le 27 juin 1981 la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après la «CADHP»), dont le préambule confirme que les Etats africains sont «[c]onscients de leur devoir de libérer totalement l’Afrique
3 Pièce jointe UA-10, déclaration de l’Assemblée AU/Decl.3 (XXI), déclaration solennelle sur le cinquantième anniversaire de l’OUA/Uamai 2013, par. B i).
4 Pièce jointe UA-1, Acte constitutif de l’Union africaine, op. cit., préambule, par. 4.
5 Pièce jointe UA-2, Charte de l’OUA en date du 25 mai 1963, préambule, par. 6.
6 Pièce jointe UA-2, Charte de l’OUA, op. cit., art. II c) et art. II d).
7 Pièce jointe UA-4, résolution CIAS/Plen.2/Rev.2, Résolution sur la décolonisation, mai 1963, préambule, par. 3.
8 Pièce jointe UA-4, résolution CIAS/Plen.2/Rev.2, op. cit., par. 1.
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dont les peuples continuent à lutter pour leur indépendance véritable et leur dignité et s’engagent à éliminer le colonialisme [et] le néocolonialisme»9.
21. De plus, l’article 20 de la même CADHP souligne le «droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination» de chaque peuple africain et le droit pour celui-ci de «détermine[r] librement son statut politique … d’assure[r] son développement économique et social selon la voie qu’il a librement choisie»10. Selon le même instrument, «[l]es peuples colonisés ou opprimés ont le droit de se libérer de leur état de domination en recourant à tous moyens reconnus par la Communauté internationale»11. Plus important encore, la CADHP reconnaît que «[t]ous les peuples ont droit à l’assistance des Etats parties à la présente Charte, dans leur lutte de libération contre la domination étrangère, qu’elle soit d’ordre politique, économique ou culturel.»12 En représentant ses membres dans ces procédures, c’est exactement ce que fait l’Union africaine.
22. L’objectif de la décolonisation demeure aussi valable aujourd’hui, en 2018, pour l’UA qu’il l’était en 1963 pour l’OUA.
23. L’Union africaine a en outre démontré de manière spécifique, en adoptant un certain nombre de résolutions et de décisions, l’importance que revêtent à ses yeux les questions juridiques soulevées par le statut de l’archipel des Chagos.
24. Ainsi, dans sa déclaration solennelle adoptée pour le cinquantième anniversaire de l’OUA/UA, l’Union africaine a réitéré «[son] appel pour mettre fin rapidement à l’occupation illégale de l’archipel des Chagos»13.
25. De même, la résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XXVIII) condamnait l’occupation illicite de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni et dénonçait «l’excision illégale de l’Archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, du territoire de Maurice par l’ancienne puissance coloniale, avant l’indépendance de Maurice, en violation du droit international et des résolutions [de l’ONU]»14.
26. La dernière session de l’Assemblée de l’Union africaine, tenue les 28 et 29 janvier 2018, a adopté la décision AU/Dec.684 (XXX) dans laquelle elle déplore «la poursuite de l’occupation illégale par le Royaume-Uni de l’archipel des Chagos qui fait partie intégrante de la République de Maurice et sur lequel la République de Maurice ne peut exercer effectivement sa souveraineté»15.
9 Pièce jointe UA-3, Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (adoptée le 27 juin 1981, OUA doc. CAB/LEG/67/3 rev. 5, 21 I.L.M. 58 (1982), entrée en vigueur le 21 octobre 1986) (ci-après la «CADHP»), préambule, par. 8.
10 Pièce jointe UA-3, CADHP, op. cit., art. 20 1).
11 Pièce jointe UA-3, CADHP, op. cit., art. 20 2).
12 Pièce jointe UA-3, CADHP, op. cit., art. 20 3).
13 Pièce jointe UA-10, déclaration de l’Assemblée AU/Decl.3 (XXI), op. cit., par. B ii).
14 Pièce jointe AU-12, résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XXVIII), résolution sur l’archipel des Chagos, janvier 2017, préambule, par. 2.
15 Pièce jointe UA-13, décision de l’Assemblée AU/Dec.684 (XXX), décision sur l’archipel des Chagos, janvier 2018, par. 2.
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27. L’Assemblée a également invité le Royaume-Uni «à mettre rapidement un terme à son occupation illégale de l’archipel des Chagos, en vertu des principes bien établis du droit international et des décisions pertinentes de l’OUA/UA ainsi que des décisions pertinentes des Nations Unies»16.
28. Dans la même décision, l’Assemblée de l’Union africaine a pris note de l’adoption à une large majorité de la résolution A/RES/71/292 demandant à la présente Cour de rendre l’avis consultatif17.
29. En soumettant le présent exposé écrit, l’Union africaine souhaite aider la Cour à déterminer et à interpréter les règles du droit international relatives à la décolonisation et à l’autodétermination et, ce faisant, à trancher les deux questions interdépendantes posées aux juges.
III. PORTÉE DE LA DEMANDE
30. L’objet de la demande formulée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 71/292 est d’obtenir de la Cour un avis considéré comme susceptible de l’aider à exercer correctement ses fonctions.
31. Les demandes d’avis consultatif visent des questions jugées particulièrement préoccupantes par les Nations Unies et portant sur une controverse juridique dépassant le cadre d’un simple différend bilatéral18.
32. La Cour est priée de répondre à deux questions : premièrement, déterminer si la décolonisation de Maurice a été validement menée à bien, compte tenu de la séparation de l’archipel des Chagos et, deuxièmement, énumérer les effets, en droit international, de ladite séparation.
33. En tant que telles, les questions posées par l’Assemblée générale sont intimement liées. Elles sont interdépendantes, complémentaires et forment un tout.
34. La Cour a déjà répondu à des questions interdépendantes similaires. Par exemple, dans l’avis consultatif sur l’Edification d’un mur qui avait pourtant trait à une seule question, elle a clairement indiqué qu’elle devait d’abord évaluer si la construction du mur constituait une violation du droit international avant de pouvoir déterminer les conséquences juridiques découlant de cette construction :
«En l’espèce, si l’Assemblée générale prie la Cour de dire «[q]uelles sont en droit les conséquences» de la construction du mur, l’emploi de ces termes implique nécessairement de déterminer si cette construction viole ou non certaines règles et certains principes de droit international. Il est donc clair que la Cour est tout d’abord
16 Pièce jointe UA-13, décision de l’Assemblée AU/Dec.684 (XXX), op. cit., par. 9.
17 Pièce jointe UA-13, décision de l’Assemblée AU/Dec.684 (XXX), op. cit., par. 5.
18 Voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004 (I) (ci-après «Edification d’un mur»), p. 157 à 159, par. 47 à 49.
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invitée à déterminer si ces règles et principes ont été violés et le demeurent du fait de la construction du mur selon le tracé projeté. »19
35. En l’espèce, la Cour est invitée à procéder à un exercice analogue. Elle est invitée à déterminer, en premier lieu, si le processus de décolonisation de Maurice a été validement achevé, avant de déterminer les effets juridiques du maintien de l’administration de Maurice par le Royaume-Uni. Dans une certaine mesure, sa tâche devrait être facilitée par la manière dont l’Assemblée générale a posé les questions.
36. L’Union africaine soutient respectueusement que les conditions permettant à la Cour de répondre aux questions en l’espèce sont pleinement remplies.
37. Comme nous aurons l’occasion de le démontrer, une fois que la Cour a établi sa compétence, elle ne peut refuser discrétionnairement de rendre l’avis consultatif sollicité qu’en présence de «raisons décisives»20. A ce jour, elle n’a jamais fait usage de cette faculté21.
38. L’Union africaine soumet respectueusement que la même condition restrictive s’applique à la présente procédure consultative.
39. L’Union africaine désire que la question des Chagos soit tranchée sous tous ses aspects dans le cadre d’une résolution globale, juste et durable, conformément au droit international.
40. Dans le présent exposé écrit, l’Union africaine fera valoir : que la Cour est compétente pour donner l’avis demandé par l’Assemblée générale (partie II) et que le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien au regard du droit international (partie III), avant de souligner les effets juridiques — sous l’angle du droit international général —de cette situation illégale (partie IV).
19 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 154, par. 39.
20 Ibid., op. cit., p. 156, par. 44 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I) (ci-après «Armes nucléaires»), p. 234-235, par. 14. Voir le paragraphe 53 ci-dessous.
21 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., et Armes nucléaires, avis consultatif, op. cit. La seule fois où elle a refusé de donner un avis consultatif, la Cour a invoqué l’absence de la compétence requise voir loc. cit.
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PARTIE II LA COUR EST COMPÉTENTE POUR DONNER L’AVIS CONSULTATIF DEMANDÉ
I. INTRODUCTION
41. La compétence consultative de la Cour est régie par l’article 65 de son Statut, aux termes duquel «[l]a Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis.»22 (Les italiques sont de nous.)
42. En ce qui concerne l’application de cette disposition, la Cour a précisé :
«Toutefois, pour que la Cour ait compétence, il faut que l’avis consultatif soit demandé par un organe dûment habilité à cet effet conformément à la Charte, qu’il porte sur une question juridique et que, sauf dans le cas de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, cette question se pose dans le cadre de l’activité de cet organe.»23
43. Il ne fait aucun doute que les deux conditions préalables à l’émission d’un avis consultatif, à savoir une demande émanant d’un organe dûment autorisé et portant sur une question d’ordre juridique, sont remplies en l’espèce, comme indiqué ci-dessous.
II. L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE EST AUTORISÉE À DEMANDER L’AVIS CONSULTATIF
44. En vertu de l’article 96 1) de la Charte, l’Assemblée générale (de même que le Conseil de sécurité), «peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique» (les italiques sont de nous)24. Le champ d’application étendue de cette disposition reflète la compétence très large de l’Assemblée générale, en vertu des articles 10, 11 et 13 de la Charte des Nations Unies, et donc la liberté quasi totale dont jouit cet organe pour demander un avis à la Cour. La Cour voudra bien également observer que l’article 10 de la Charte confère à l’Assemblée générale le droit de discuter de «toutes questions ou affaires» entrant dans le champ d’application de cet instrument et que son article 11, paragraphe 2, l’autorise spécifiquement à discuter de «toutes questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales dont elle aura été saisie par l’un quelconque des Membres des Nations Unies», ainsi qu’à faire des recommandations en la matière sous certaines conditions25.
45. Toutes ces règles ont été confirmées par la Cour elle-même dans l’avis consultatif sur les Armes nucléaires fréquemment cité26. La Cour a également clairement réitéré cette position dans son avis consultatif important sur l’Edification d’un mur27.
22 Nations Unies, Statut de la Cour internationale de Justice, 18 avril 1946, art. 65.
23 Demande de réformation du jugement no 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, p. 333-334, par. 21.
24 Nations Unies, Charte des Nations Unies, 24 octobre 1945, Recueil des traités, vol. 1, p. XVI, art. 96 1).
25 Ibid., op. cit., art. 10 et 11 2).
26 Armes nucléaires, avis consultatif, op. cit., p. 232, par. 11.
27 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 144, par. 14.
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46. Nul ne saurait donc contester que l’Assemblée générale est autorisée à demander le présent avis consultatif. L’affaire de l’archipel des Chagos a retenu l’attention active de l’Assemblée pendant plusieurs dizaines d’années avant de faire l’objet d’une demande d’avis de la Cour. Toute objection tendant à faire valoir qu’elle irait au-delà de sa compétence en demandant un avis consultatif serait sans fondement.
III. CARACTÈRE «JURIDIQUE» DES QUESTIONS POSÉES
47. L’Assemblée générale demande un avis consultatif à la Cour sur des questions juridiques. Lesdites questions visent à déterminer si la décolonisation de Maurice a été validement menée à terme au regard du droit international et à établir les effets juridiques, en droit international, du maintien de l’administration de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni.
48. Il s’agit là, nécessairement et par définition, de questions juridiques au sens de la Charte, ainsi que du Statut et de la jurisprudence de la Cour. Ces questions visent les aspects juridiques internationaux d’une série de circonstances et plus précisément la question de savoir si le processus de décolonisation a été mené conformément au droit international et notamment à la Charte des Nations Unies, ainsi qu’aux résolutions pertinentes des Nations Unies, de l’OUA et de l’UA. De plus, la Cour est priée de donner son avis sur les effets juridiques, en droit international, du maintien de l’administration des territoires d’un Membre des Nations Unies par un autre Membre.
49. Ces questions impliquent également l’interprétation de normes internationales, c’est-à-dire une tâche essentiellement judiciaire. Pour reprendre la formule de la Cour elle-même, les questions soumises par l’Assemblée générale «ont été libellées en termes juridiques et soulèvent des problèmes de droit international … [par leur] nature même susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit». Il s’agit par conséquent de questions revêtant un caractère juridique tranché28.
50. Le fait que la Cour puisse être appelée à établir des faits précis afin d’évaluer leur importance juridique relève de sa fonction judiciaire traditionnelle et ne remet pas en cause le caractère juridique des questions posées dans la demande29.
51. En résumé, la demande d’avis consultatif formulée par l’Assemblée générale satisfait les conditions énoncées à l’article 65 du Statut de la Cour et de l’article 96 1) de la Charte à la fois ratione personae (puisque l’Assemblée générale est un organe dûment autorisé) et ratione materiae (puisque la demande porte sur une question juridique). Par conséquent, la Cour est invitée à rendre l’avis consultatif demandé.
IV. OBLIGATION POUR LA COUR DE DONNER L’AVIS DEMANDÉ
52. La Cour est «l’organe judiciaire principal des Nations Unies»30. A ce titre, ses avis consultatifs constituent l’essentiel de sa contribution et de sa participation aux travaux de l’Organisation des Nations Unies.
28 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15 ; et Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 153, par. 37.
29 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 (ci-après «Namibie»), p. 27, par. 40 ; Sahara occidental, avis consultatif, op. cit., p. 19, par. 16-17.
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53. Les avis consultatifs ont pour objet d’aider les organes ou institutions des Nations Unies dans l’accomplissement de leur mandat et de leur fournir les principes et règles du droit international nécessaires à leur action. La Cour a toujours été effectivement consciente du fait que sa réponse à une demande d’avis consultatif «constitue sa participation à l’action de l’organisation et que, en principe, elle ne devrait pas être refusée»31. Pour elle, par conséquent, seules «des raisons décisives» pourraient justifier son refus de donner son opinion concernant une demande relevant de sa compétence32.
54. De plus, pour déterminer l’existence éventuelle de telles raisons décisives, la Cour ne doit pas tenir compte de l’historique de la question. Citons à ce propos l’avis consultatif sur les Armes nucléaires :
«dès lors que l’Assemblée a demandé un avis consultatif sur une question juridique par la voie d’une résolution qu’elle a adoptée, la Cour ne prendra pas en considération, pour déterminer s’il existe des raisons décisives de refuser de donner cet avis, les origines ou l’histoire politique de la demande, ou la répartition des voix lors de l’adoption de la résolution»33.
55. L’activité consultative de la Cour fait partie intégrante de sa fonction judiciaire. La différence entre une faculté et une fonction tient à ce que la faculté constitue un pouvoir, qui peut être exercé ou non, conservé ou abandonné, tandis qu’une fonction conjugue un pouvoir avec une charge ou une obligation d’exercice dans la poursuite d’un but spécifique. Ce distinguo s’applique aussi bien à la fonction consultative qu’à la fonction contentieuse de la Cour et ne vise pas exclusivement la première. A supposer que la Cour ait pour fonction de se prononcer sur le droit (et c’est le cas), elle n’a que deux moyens de s’exprimer : en rendant un arrêt ou en donnant un avis consultatif34. Dès lors que la Cour accepte la demande de saisine, l’obligation pour elle de rendre l’avis est aussi contraignante que celle de rendre un arrêt dans une affaire contentieuse.
56. La Cour a en outre affirmé sans ambiguïté que, nonobstant les aspects politiques d’une question, elle ne peut refuser d’éclaircir ses aspects juridiques et, ce faisant, de s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir, en l’espèce, l’appréciation d’un acte au regard du droit international35.
57. La Cour a également précisé que, pour déterminer sa compétence en vérifiant le caractère juridique de la question posée, elle ne tient pas compte de la nature politique des motifs ayant
30 Charte des Nations Unies, op. cit., art. 92.
31 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78-79, par. 29 ; Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 156, par. 44 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II) (ci-après «Kosovo»), p. 416, par. 30.
32 Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1956, p. 86 ; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962, p. 155 ; Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 156, par. 44 ; Armes nucléaires, avis consultatif, op. cit., p. 235, par. 14.
33 Armes nucléaires, avis consultatif, op. cit., p. 237, par. 16.
34 Selon Manley Hudson : «la Cour elle-même conçoit sa compétence consultative comme une fonction judiciaire et exerce ladite compétence dans le cadre des limites inhérentes à toute action judiciaire». M. Hudson, The Permanent Court of International Justice, 1920-1942: A Treatise. (New York : The Macmillan Company, 1943), p. 511.
35 Kosovo, avis consultatif, op. cit., p. 415, par. 27.
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inspiré la demande de saisine ou les implications politiques éventuelles de l’avis qu’elle pourrait rendre36.
58. L’objectif de la compétence consultative de la Cour est de permettre aux organes de l’Organisation des Nations Unies et aux autres organes autorisés d’obtenir de la Cour des avis qui les aideront à exercer leurs fonctions à l’avenir.
59. Enfin, la Cour ne doit pas déterminer, ni même se préoccuper des mesures que l’Assemblée générale pourrait souhaiter prendre après avoir reçu l’avis, ni de l’impact de ce dernier sur lesdites mesures37. La Cour ne devrait pas essayer de prévoir la ligne de conduite qu’adoptera l’organe requérant après avoir reçu son avis, dès lors que la demande de saisine a été correctement formulée.
60. La Cour a déjà eu l’occasion d’expliquer sa manière de procéder dans des avis consultatifs antérieurs notamment en déclarant qu’elle «examinera simplement les questions qui se posent, sous tous leurs aspects, en appliquant les règles de droit appropriées en la circonstance»38.
61. C’est exactement ce que la Cour est invitée à faire en l’instance, en l’absence de raisons décisives pour elle de refuser de donner son avis à l’Assemblée.
62. Il ne fait aucun doute que l’Assemblée générale a un intérêt légitime à obtenir des réponses à ses questions.
63. Une fois convaincue que la demande d’avis consultatif émane d’un organe ou d’une institution ayant compétence ratione personae pour la formuler, et qu’elle a été formulée dans le cadre de la compétence ratione materiae de cet organe ou institution, la Cour donne l’avis demandé.
64. La Cour a contribué à faire valoir les droits découlant de la décolonisation, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’autodétermination. Par conséquent, dans le cas peu probable où elle refuserait de répondre aux deux questions posées dans la résolution A/RES/71/292, se démarquant ainsi de ses positions bien connues, la Cour se doterait d’un nouveau statut sui generis pour Maurice et cet Etat serait condamné pour toujours à jouir de ses droits d’une manière conditionnelle, alors que les sujets de droit international sont soumis à la règle générale.
36 Kosovo, avis consultatif, op. cit., p. 415, par. 27.
37 Ibid., op. cit., p. 421, par. 44.
38 Armes nucléaires, avis consultatif, op. cit., p. 237, par. 15.
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PARTIE III LA DÉCOLONISATION DE MAURICE N’A PAS ÉTÉ VALIDEMENT MENÉE À TERME LORSQUE CET ETAT A ACCÉDÉ À L’INDÉPENDANCE EN 1968
I. INTRODUCTION
65. La première question posée par l’Assemblée générale dans sa demande de saisine de la Cour se lit comme suit :
«Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?»
66. L’Union africaine suggère de répondre par la négative à cette question. Le processus de décolonisation a été incomplet et ne saurait par conséquent être considéré comme validement mené à terme au regard du droit international. Le démembrement de Maurice par le Royaume-Uni a constitué une violation du droit international dans la mesure où il portait atteinte au droit à l’autodétermination du peuple mauricien, y compris les Chagossiens. Ce droit reste violé jusqu’à aujourd’hui en raison du maintien de l’administration de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni.
II. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION FAISAIT PARTIE DU DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER À L’ÉPOQUE DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE
67. L’analyse de l’évolution du principe d’autodétermination des peuples et territoires coloniaux entre 1945 et le vote de la résolution 1514 (XV) (ci-après la «résolution 1514 (XV)» ou la «résolution 1514») en 1960 suggère qu’il existait, en vertu du droit international général, un droit à l’autodétermination à l’époque de l’adoption de cet instrument. Ce droit légitime a généré une obligation correspondante pour les puissances administrantes de lui donner effet.
68. Les règles du droit international applicables au processus de décolonisation ont été élaborées dans le contexte de la formulation et de la mise en oeuvre du droit à l’autodétermination. Ce dernier constitue la réponse du droit international au colonialisme. Chaque fois qu’il est fait mention de la «décolonisation», le mot «autodétermination» est rappelé concomitamment, que ce soit par les organisations internationales, et en particulier les Nations Unies, par la Cour dans ses conclusions ou par les spécialistes dans leurs ouvrages de doctrine.
69. Nul ne saurait désormais contester que le droit des peuples à l’autodétermination exprimé pour la première fois au XIXe siècle est un principe cardinal du droit international moderne et à ce titre constitue une norme péremptoire (jus cogens). En raison de son caractère erga omnes, ledit droit confère l’obligation correspondante à l’ensemble des Etats et des organisations internationales de le faire respecter.
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70. La principale question en l’espèce est de savoir si le droit à l’autodétermination était applicable à Maurice pendant le processus ayant mené à son indépendance, notamment au moment où le Royaume-Uni a détaché l’archipel des Chagos du territoire mauricien en 1965. En d’autres termes, le droit à l’autodétermination faisait-il partie du droit international coutumier à la date critique ?
71. L’Assemblée générale a déjà en fait répondu sur ce point. Sa première question telle qu’elle a été posée à la Cour traduit clairement sa conviction qu’un droit à l’autodétermination et des obligations correspondantes visant à lui donner effet existaient, en droit international coutumier, pendant le processus de décolonisation de Maurice entre 1965 et 1968.
72. Comme nous aurons l’occasion de l’expliquer plus loin en détail, les cinq résolutions mentionnées dans la première question lesquelles ont toutes été adoptées pendant la période pertinente attestaient de l’existence de ce droit et de son applicabilité au processus de décolonisation de Maurice.
73. L’Union africaine invite donc la Cour à confirmer que l’Assemblée générale a raison, qu’un droit à l’autodétermination existait à la date critique et qu’il était donc applicable au processus de décolonisation à Maurice.
A. Le droit international coutumier
74. Le droit international coutumier découle d’une pratique étatique fréquente, uniforme et acceptée comme étant le droit, comme indiqué au paragraphe 1, alinéa b), de l’article 38 du Statut de la Cour.
75. Une série de résolutions traduit la transformation de ce qui n’était initialement qu’une opinio juris en règle de droit international coutumier. Cette analyse a été confirmée par la présente Cour dans son avis consultatif sur les Armes nucléaires :
«les résolutions de l’Assemblée générale, même si elles n’ont pas force obligatoire, peuvent parfois avoir une valeur normative. Elles peuvent, dans certaines circonstances, fournir des éléments de preuve importants pour établir l’existence d’une règle ou l’émergence d’une opinio juris. Pour savoir si cela est vrai d’une résolution donnée de l’Assemblée générale, il faut en examiner le contenu ainsi que les conditions d’adoption ; il faut en outre vérifier s’il existe une opinio juris quant à son caractère normatif. Par ailleurs, des résolutions successives peuvent illustrer l’évolution progressive de l’opinio juris nécessaire à l’établissement d’une règle nouvelle.»39 (Les italiques figurent dans l’original.)
76. Il est également bien établi qu’une résolution de l’Assemblée générale peut à elle seule créer une norme de droit international coutumier. Pour qu’il en soit ainsi, la résolution doit démontrer clairement l’intention de l’Assemblée générale d’établir un principe de droit
39 Armes nucléaires, avis consultatif, op. cit., p. 254-255, par. 70.
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international coutumier et d’obtenir l’appui unanime (ou quasi unanime) des Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies40.
B. Les résolutions de l’Assemblée générale
77. L’analyse des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale révèle qu’un droit exécutoire à l’autodétermination existait en droit international coutumier lorsque la résolution 1514 a été votée en 1960. Cette résolution reflétait l’état du droit international au moment de son adoption.
78. S’il a fallu attendre les années 1950 pour que l’Assemblée générale fasse de l’autodétermination un droit légitime, ce concept était déjà mentionné dans la Charte des Nations Unies en 1945.
79. Le paragraphe 2 de l’article premier de la Charte prévoit en effet que l’un des objectifs de l’Organisation est de renforcer entre les nations des relations amicales «fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes»41.
80. Ce concept est repris dans l’article 55 de la Charte qui fait référence à la promotion de certains objectifs dans le domaine de la coopération économique et sociale internationale «[e]n vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes»42.
81. Il convient de noter que la version française du paragraphe 2 de l’article premier de la Charte [telle qu’elle est mentionnée ci-dessus] énonce un «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» (les italiques sont de nous) ; la version anglaise se contente de mentionner un «principe» et se lit comme suit : «To develop friendly relations among nations based on respect for the principle of equal rights and self-determination of peoples, and to take other appropriate measures to strengthen universal peace.» (Les italiques sont de nous.)
82. En 1950, dans sa résolution 421 V), l’Assemblée générale a explicitement mentionné le droit des peuples et des nations à l’autodétermination43.
83. En février 1952, elle a adopté par 42 voix pour, 7 voix contre et 5 abstentions la résolution 545 (VI), dans laquelle elle relève que le droit des peuples et des nations à l’autodétermination avait déjà été reconnu comme un droit fondamental44.
40 International Law Association, London Conference, 2000, Final Report of Committee on Formation of Customary (General) International Law, Statement of Principles Applicable to the Formation of General Customary International Law (2000), p. 61-65.
41 Charte des Nations Unies, op. cit., paragraphe 2 de l’article premier.
42 Ibid., op. cit., art. 55.
43 Résolution de l’Assemblée générale 421 V) du 4 décembre 1950, «Projet de pacte international relatif aux droits de l’homme et mesures de mise en oeuvre : travaux futurs de la Commission de droits de l’homme» [A/RES/421 (V)].
44 Résolution de l’Assemblée générale 545 (VI) du 5 février 1952, «Insertion dans le Pacte ou les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme d’un article sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» [A/RES/545 (VI)].
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84. Plus tard, la même année, l’Assemblée générale a adopté la résolution 637 (VII) qui appelle impérativement les Etats Membres des Nations Unies à reconnaître et à promouvoir la réalisation du droit à l’autodétermination des peuples et des territoires coloniaux :
«Les Etats Membres de l’Organisation doivent reconnaître et favoriser la réalisation, en ce qui concerne les populations des territoires non autonomes et des Territoires sous tutelle placée sous leur administration, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.»45 (Les italiques sont de nous.)
85. Des résolutions analogues ont été adoptées en 1953 [résolution 738 (VIII)] et en 1954 [résolution 833 (IX)].
86. Par exemple, la résolution 738 (VIII) du 28 novembre 1953 demandait à la Commission des droits de l’homme d’accorder la priorité aux recommandations visant le respect international du droit à l’autodétermination46.
87. D’elle-même, dans le contexte de l’élaboration de la résolution 833 (IX) du 4 décembre 1954, l’Assemblée générale avait examiné les projets de pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme qui lui avaient été transmis par le Conseil économique et social47. Il était suggéré d’introduire dans les deux textes le même article premier48 mentionnant explicitement le droit à l’autodétermination et l’obligation correspondante pour les Etats parties aux pactes de promouvoir le droit à l’autodétermination dans les territoires non autonomes et sous tutelle49. Cet article premier des projets de pacte (conservé quasiment tel quel dans la version définitive) se lisait comme suit :
«1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel …
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3. Les Etats parties au présent Pacte qui sont chargés de l’administration de territoires non autonomes et de Territoires sous tutelle sont tenus de contribuer à assurer dans ces territoires l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes,
45 Résolution de l’Assemblée générale 637 (VII) du 16 décembre 1952, «Droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes» [A/RES/637 (VII)], par. 2.
46 Résolution de l’Assemblée générale 738 (VIII) du 28 novembre 1953, «Droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes» [A/RES/738 (VIII)], par. 3.
47 Résolution de l’Assemblée générale 833 (IX) du 4 décembre 1954, «Projets de pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme» [A/RES/833 (IX)] ; Nations Unies, Commission des droits de l’homme, rapport de la dixième session au Conseil économique et social ou Nations Unies, Conseil économique et social, Documents officiels : dix-huitième session, Supplément no 7 (E/2573 ; E/CN.4/705 d’avril 1954), annexes I, II et III ; Nations Unies, Conseil économique et social, Documents officiels : Dix-huitième session, Résolutions, Supplément no 1 (E/2654 du 15 août 1954), p. 8, résolution 545B.
48 Commission des droits de l’homme, rapport de la dixième session, op. cit., p. 62, 65 et 66.
49 Assemblée générale des Nations Unies, projet de pacte international relatif aux droits de l’homme, rapport du troisième comité (A/3077 du 8 décembre 1955).
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conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.»50 (Notes de bas de page omises.)
88. En 1955, le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, dans un document de travail relatif aux négociations portant sur la rédaction des pactes, a clairement constaté que l’Assemblée générale avait déjà reconnu le droit à l’autodétermination des peuples et des nations et entendait maintenant imposer aux Etats l’obligation de promouvoir et de respecter ledit droit. Le résumé pertinent du document de travail se lit comme suit :
«L’Assemblée générale, principal organe de la collectivité internationale, a déjà reconnu le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes ; il y a donc lieu maintenant de rédiger un article pertinent par lequel les États s’imposeraient l’obligation solennelle de favoriser et de respecter l’exercice de ce droit.»51
89. La résolution 1188 (XII) adoptée deux ans plus tard, en 1957, par 54 voix pour, zéro voix contre et 13 abstentions énonçait clairement en termes contraignants l’obligation pour les puissances coloniales de promouvoir et de faciliter l’exercice du droit à l’autodétermination par les peuples coloniaux. Le premier paragraphe de son dispositif se lisait comme suit : «[Les] Etats Membres qui assument la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes contribuent à assurer et à faciliter l’exercice du droit précité par les peuples de ces territoires.»52 (Les italiques sont de nous.)
90. Ce texte a ouvert la voie à la résolution 1514 (XV), dans laquelle l’Assemblée générale a adopté par 89 voix pour, zéro voix contre et 9 abstentions, la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux qui proclamait le droit à l’autodétermination des peuples coloniaux en termes non équivoques : «Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel.»53
91. La résolution dénonce la colonisation en tant que violation des droits fondamentaux des peuples coloniaux. Son premier paragraphe se lit comme suit :
«La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales.»54 (Les italiques sont de nous.)
92. Son paragraphe 5 impose aux puissances coloniales l’obligation de donner effet au droit à l’autodétermination :
50 Assemblée générale des Nations Unies, rapport du troisième comité, op. cit., p. 20 (notes de bas de page omises).
51 Voir, par exemple, projet de pacte international relatif aux droits de l’homme, annotation préparée par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, doc. A/2929 (1er juillet 1955), annexe 15.
52 Résolution de l’Assemblée générale 1188 (XII), «Recommandations concernant le respect, sur le plan international, du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes» [A/RES/1188 (XII)] du 11 décembre 1957, par. 1 b).
53 Dossier no 55, résolution de l’Assemblée générale 1514 (XV), «Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux» [A/RES/1514 (XV)] du 14 décembre 1960 (ci-après la «résolution 1514 (XV)», par. 2.
54 Dossier no 55, résolution 1514 (XV), op. cit., par. 1.
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«Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs voeux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes.»55 (Les italiques sont de nous.)
93. Depuis, la quasi-totalité des résolutions de l’Assemblée générale proclamant le droit à l’autodétermination mentionne explicitement la résolution 151456 et renforce l’opinion que cet instrument reflète l’état du droit international coutumier concernant cette question.
C. Pratique de l’OUA en relation avec la résolution 1514
94. En sa qualité d’entité activement impliquée dans la décolonisation, l’OUA a reconnu elle aussi la valeur normative en droit international général de la résolution 1514 (XV) dans une série de résolutions adoptées par sa propre Assemblée.
95. L’une des premières résolutions adoptées pendant la première conférence de l’OUA note expressément qu’«un transfert des pouvoirs à des minorités de colons constituerait une violation des dispositions de la résolution 1514 (XV) des Nations Unies sur l’indépendance»57.
D. Pratique des Etats dans les années 1950 et après l’adoption de la résolution 1514
96. Les mesures prises par les puissances administrantes, en ce qui concerne les territoires non autonomes et les territoires sous tutelle au cours des années 1950 et peu après l’adoption de la résolution 1514, montrent qu’elles considéraient le droit à l’autodétermination comme un droit exécutoire en vertu du droit international coutumier.
97. Entre 1950 et 1960, jusqu’à l’adoption de la résolution 1514 le 14 décembre 1960, quelque 30 territoires non autonomes et sous tutelle ont accédé à l’indépendance : le Bénin, le Burkina Faso, la Birmanie, le Cambodge, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Ghana, la Guinée, l’Inde, l’Indonésie, le Laos, la Libye, Madagascar, la Malaisie, le Mali, le
55 Dossier no 55, résolution 1514 (XV), op. cit., par. 5.
56 Par exemple les résolutions 1064 (XI), 1568 (XV), 1579 (XV), 1596 (XV), 1065 (XV), 1626 (XVI), 1650 (XVI), 1724 (XVI), 1742 (XVI), 1746 (XVI), 1747 (XVI), 1807 (XVII), 1819 (XVII), 1897 (XVIII), 1913 (XVIII), 1949 (XVIII), 1954 (XVIII), 2063 (XX), 2107 (XX), 2184 (XX), 2183 (XXI), 2185 (XXI), 2226 (XXI), 2354 (XXII), 2379 (XXIII), 2383 (XXIII), 2428 (XXIII), 2983 (XXVII), 3162 (XXVIII) et 3292 (XXIX).
57 Organisation de l’Unité africaine, résolution adoptée par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays indépendants africains tenus à Addis-Abeba, Ethiopie, du 22 au 25 mai 1963, p. 2, CIAS/Plen.2/Rev.2, par. 3. Les paragraphes 1 et 2 de cet instrument se lisent comme suit : «[la Conférence au Sommet des Pays indépendants africains] est convenue unanimement que ses membres concerteront et coordonneront leurs efforts et leur action dans ce domaine [celui de la décolonisation] et, à cette fin, a décidé de prendre les mesures ci-après : 1. DECLARE que les puissances coloniales qui imposent, par la force, des colons aux postes de direction de l’état et de l’administration de ces territoires commettent une violation flagrante des droits inaliénables qui sont ceux des habitants légitimes de ces territoires ; 2. INVITE les puissances coloniales à prendre les mesures nécessaires pour assurer l’application immédiate de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, et insiste sur le fait que leur obstination à conserver en Afrique des colonies ou des semi-colonies constituent une menace pour la paix du continent.» (Les majuscules figurent dans l’original.)
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Maroc, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, les Philippines, la République démocratique du Congo, le Sénégal, la Somalie, le Soudan, le Sri Lanka, le Tchad, le Togo et la Tunisie58.
98. De même, entre 1960 et 1965, au cours des cinq années ayant suivi l’adoption de la résolution 1514, 19 pays supplémentaires ont, eux aussi, accédé à l’indépendance : l’Algérie, le Burundi, Chypre, la Gambie, la Jamaïque, le Kenya, le Koweït, le Malawi, les Maldives, Malte, l’Ouganda, la République centrafricaine, le Rwanda, les Samoa, la Sierra Leone, Singapour, la Tanzanie, Trinité-et-Tobago et la Zambie59.
99. De même, le fait que les Etats Membres de l’ONU sont convenus de mettre en place un mécanisme pour donner effet à la résolution 1514 démontre bien qu’ils considéraient le droit à l’autodétermination comme exécutoire en vertu du droit international.
100. En particulier, moins d’un an après l’adoption de la résolution 1514, l’Assemblée générale a adopté à l’unanimité (avec 97 voix pour, zéro voix contre et 4 abstentions) la résolution 1654 (XVI) créant le Comité spécial chargé de suivre l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples colonisés60. Ce comité, généralement désigné par la suite sous l’appellation «C24», disposait de pouvoirs importants en matière de supervision de la mise en oeuvre de la résolution 1514, y compris celui d’organiser des missions de visite dans les territoires non autonomes et de recueillir sur place des informations et des pétitions auprès de particuliers ou de groupes. Il était en outre habilité à adopter des résolutions pour examen par la Quatrième Commission de l’Assemblée générale et, en fin de compte, par l’Assemblée générale elle-même61.
101. De même, l’Assemblée générale62 et le Conseil de sécurité63 ont adopté au cours des années ayant suivi l’adoption de la résolution 1514 une série d’autres résolutions appelant au respect des dispositions d’icelles et condamnant les manquements des puissances administrantes.
102. Il convient notamment de signaler l’adoption par l’Assemblée générale de la résolution 1803 (XVII) du 14 décembre 1962 «Souveraineté permanente sur les ressources naturelles». Le préambule de cet instrument mentionne explicitement la souveraineté permanente sur les richesses et les ressources naturelles en tant qu’«élément fondamental du droit des peuples
58 Voir The United Nations and Decolonisation, «Trust and Non-Self-Governing Territories» (1945-1999), à l’adresse http://www.un.org/fr/decolonization/nonselfgov.shtml (page web consultée pour la dernière fois le 10 février 2018).
59 Loc. cit.
60 Résolution de l’Assemblée générale 1654 (XVI) du 27 novembre 1961, «La situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux» [A/RES/1654 (XVI)].
61 Résolution 1654 (XVI), op. cit., par. 4 à 6.
62 Voir, par exemple, la résolution de l’Assemblée générale 1810 (XVII) du 17 décembre 1962, «La situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux» [A/RES/1810 (XVII)], par. 4 ; la résolution de l’Assemblée générale 1956 (XVIII) du 11 décembre 1963, «La situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux» [(A/RES/1956 (XVIII)], préambule, par. 5 et 7 ; la résolution de l’Assemblée générale 1979 (XVIII) du 17 décembre 1963, «Question du Sud-ouest africain» [A/RES/1979 (XVIII)], par. 1.
63 Résolution 163 du Conseil de sécurité des Nations Unies «Question relative à l’Angola» (doc. S/4835, 9 juin 1961) ; résolution 180 du Conseil de sécurité des Nations Unies, «Question relative aux territoires administrés par le Portugal» (doc. S/5380, 31 juillet 1963) ; résolution 183 du Conseil de sécurité des Nations Unies «Question relative aux territoires administrés par le Portugal» (doc. S/5380, 31 juillet 1963), par. 3.
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et des nations à disposer d’eux-mêmes»64. Le recours à cette formulation dans la résolution atteste qu’il existait déjà, au moment de l’adoption de ce texte, une opinio juris consolidée selon laquelle le droit à l’autodétermination fait partie du droit international coutumier.
103. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la résolution 2625 (XXV) «négociée» entre 1962 et 1970 et intitulée «Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies» se contente de codifier un principe s’étant imposé de longue date en droit international coutumier lorsqu’il mentionne le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination :
«En vertu du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout Etat a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte.»65 (Les italiques sont de nous.)
104. La même résolution précise également que :
«Le territoire d’une colonie ou d’un autre territoire non autonome possède, en vertu de la Charte, un statut séparé et distinct de celui du territoire de l’Etat qui l’administre ; ce statut séparé et distinct en vertu de la Charte existe aussi longtemps que le peuple de la colonie ou du territoire non autonome n’exerce pas son droit à disposer de lui-même conformément à la Charte et, plus particulièrement, à ses buts et principes.»66
105. Enfin, la dernière partie de la résolution 2625 (XXV) confirme le caractère fondamental du droit à l’autodétermination :
«[L’Assemblée générale] déclare en outre que les principes de la Charte qui sont inscrits dans la présente Déclaration constituent des principes fondamentaux du droit international et demande en conséquence à tous les Etats de s’inspirer de ces principes dans leur conduite internationale et de développer leurs relations mutuelles sur la base du respect rigoureux desdits principes.»67 (Les italiques sont de nous.)
106. Le fait que le droit à l’autodétermination fasse partie intégrante de la pratique des Etats dans les années 1960 est illustré par Lowe qui souligne que
«l’idée du droit des colonies à l’indépendance avait été largement acceptée dans les années 1960, en particulier au Royaume-Uni ... En 1960, la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale avait assimilé la soumission des peuples à l’assujettissement, la
64 Résolution de l’Assemblée générale 1803 (XVII) du 14 décembre 1962, «Souveraineté permanente sur les ressources naturelles» [A/RES/1803 (XVII)], par. 2 du préambule.
65 Résolution de l’Assemblée générale 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, «Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies» (A/RES/2625 (XXV)] (ci-après la «résolution 2625 (XXV)»), annexe, par. 1, principe 5, par. 1.
66 Résolution 2625 (XXV), op. cit., annexe, par. 1, principe 5, par. 6.
67 Ibid., op. cit., annexe, par. 3.
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domination et l’exploitation par des étrangers à un déni fondamental des droits de l’homme et affirmé le droit de tous les peuples à l’autodétermination.»68
E. Décisions de la Cour
107. La Cour a approuvé le principe d’autodétermination et le droit connexe, tels qu’ils sont formulés dans la résolution 1514.
108. Dans son avis consultatif sur la Namibie de 1971, elle mentionnait déjà spécifiquement la résolution comme une «étape importante» de l’évolution du droit international relatif aux territoires non autonomes69.
109. En 1975, dans son avis consultatif sur le Sahara occidental, la Cour s’était fondée sur le droit à l’autodétermination des peuples coloniaux. Elle mentionnait la résolution 1514 comme base du processus de décolonisation70 en faisant observer que : « Le principe d’autodétermination en tant que droit des peuples et son application en vue de mettre fin rapidement à toutes les situations coloniales sont énoncés dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale.»71
110. De nouveau, dans son avis consultatif sur le Sahara occidental, la Cour a fait allusion à l’obligation corrélative des puissances administrantes de donner effet au droit à l’autodétermination : «l’application du droit à l’autodétermination suppose l’expression libre et authentique de la volonté des peuples intéressés» et «[l]a validité du principe d’autodétermination, défini comme répondant à la nécessité de respecter la volonté librement exprimée des peuples»72.
111. Dans son arrêt rendu le 30 juin 1995 en l’affaire du Timor oriental, la Cour a estimé que :
«Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans la jurisprudence de la Cour … ; il s’agit là d’un des principes essentiels du droit international contemporain.»73 (Les italiques sont de nous.)
«l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est développé à partir de la Charte et de la pratique de l’Organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga omnes»74 (les italiques sont de nous).
112. De plus, dans son avis consultatif sur l’Edification d’un mur, la Cour a relevé que le principe d’autodétermination des peuples a été consacré par la Charte des Nations Unies et confirmé par la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, en vertu de laquelle «[t]out Etat a
68 V. Lowe, International Law (Oxford University Press, 2007), chap. 3, p. 57.
69 Namibie, avis consultatif, op. cit., p. 31, par. 52.
70 Sahara occidental, avis consultatif, op. cit., p. 32, par. 57.
71 Ibid., op. cit., p. 31, par. 55.
72 Ibid., op. cit., p. 31 et 33, par. 55 et 59.
73 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
74 Loc. cit.
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le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait [les peuples mentionnés dans cette résolution] de leur droit à l’autodétermination»75.
F. Décisions de la Cour de Justice de l’Union européenne
113. Dans au moins deux de ses arrêts, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a reconnu que le principe d’autodétermination faisait partie intégrante du droit international coutumier.
114. Dans Council v Front Polisario, la CJUE, à propos de la jurisprudence de la Cour, a clairement reconnu le caractère coutumier du principe d’autodétermination :
«A cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que le principe coutumier d’autodétermination rappelé, notamment, à l’article premier de la Charte des Nations Unies est, ainsi que la Cour internationale de Justice l’a énoncé aux points 54 à 56 de son avis consultatif sur le Sahara occidental, un principe de droit international applicable à tous les territoires non autonomes et à tous les peuples n’ayant pas encore accédé à l’indépendance. Il constitue, en outre, un droit opposable erga omnes ainsi qu’un des principes essentiels du droit international.»76 (Les italiques sont de nous.)
115. Plus récemment, dans son arrêt du 27 février 2018, la CJEU a réaffirmé que le principe d’autodétermination, tel qu’il est énoncé à l’article premier de la Charte des Nations Unies, fait partie des «règles de droit international général»77.
G. Consensus au sein de la doctrine
116. Une majorité d’universitaires, y compris ceux qui ont écrit au début des années 1960, considèrent qu’un droit à l’autodétermination exécutoire faisait partie du droit international général lorsque la résolution 1514 a été adoptée.
117. La juge Higgins, dès 1963, notait que la Déclaration doit être interprétée comme reflétant les souhaits et les croyances de l’ensemble des Membres de l’Organisation des Nations Unies. Elle soulignait que le droit à l’autodétermination est considéré comme un droit légitime, exécutoire ici et maintenant78.
118. D’autres sources de la même période mentionnent le droit à l’autodétermination tel qu’il est énoncé dans la Déclaration comme un droit exécutoire.
75 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 171 et 172, par. 88.
76 CJUE, arrêt du 21 décembre 2016, Council v. Front Polisario, C-104/16 P, EU:C:2016:973, par. 88.
77 CJUE, arrêt du 27 février 2018, The Queen, on the application of Western Sahara Campaign UK v. Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs and Secretary of State for Environment, Food and Rural Affairs, C-266/16, par. 63.
78 R. Higgins, «The Development of International Law Through the Political Organs of the UN» (Oxford University Press (1963)), p. 100-101.
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119. Ainsi, Abi-Saab écrivait en 1962 :
«L’attitude des nouveaux Etats indépendants peut être très peu conventionnelle à cet égard. Pour eux, le principe d’autodétermination règne en maître. Il tient une place prépondérante parmi les autres règles et aspects techniques du droit international. Les Etats concernés l’ont utilisé avec succès aux Nations Unies, malgré une forte résistance et l’invocation de la clause de juridiction interne par les puissances coloniales.»79 (Les italiques sont de nous.)
120. De même, Castañeda mentionne la résolution 1514 comme «l’interprétation moderne du principe d’autodétermination rendue par l’organe le plus représentatif de la communauté internationale, sur la base des tendances politiques et des événements survenus depuis la signature de la Charte». Il souligne que la résolution 1514 «ne reflète pas seulement le changement opéré ; elle symbolise et concrétise une nouvelle conception politico-juridique : la dénonciation et la fin définitives du colonialisme»80.
121. Lachs a également déclaré que la résolution comble le fossé en matière d’autodétermination entre la conjoncture au moment de l’adoption de la Charte et la situation au moment de l’adoption de la Déclaration81.
122. De plus, en 1963, certains membres de la Commission du droit international mentionnaient déjà le droit à l’autodétermination comme une règle du jus cogens82.
123. Ce point de vue a également été adopté par les universitaires de nombreuses années après la publication de la résolution 1514.
124. Abi-Saab, en 1977, notait que la résolution 1514 «a[vait] clairement révélé la conviction juridique de la communauté internationale dans son ensemble sur les différentes composantes du principe d’autodétermination»83.
125. Selon Crawford, ce principe a acquis en droit international un statut quasi constitutionnel, comparable à celui de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la Charte elle-même84.
79 G. Abi-Saab, «The Newly Independent States and the Rules of International Law: An Outline», (1962) 8 Howard L.J. (2) 95, p. 112.
80 J. Castaneda, «Legal effects of United Nations Resolutions» (New York, Columbia University Press, (1969), p. 105.
81 M. Lachs, «The right of self-determination (169)», in : Collected Courses of the Hague Academy of International Law, The Hague Academy of International Law (Brill, Boston (1980), publié pour la première fois en ligne en 1980).
82 Nations Unies, Annuaire de la Commission du droit international (1963), vol. I, comptes rendus analytiques de la quinzième session (6 mai-12 juillet 1963), doc. A/CN.4/SER.A/1963, p 155.
83 G. Abi-Saab, «Wars of National Liberation and the Development of Humanitarian Law», in Akkerman, Van Krieken and Pannenborg (dir. publ.), «Declarations on principles, A Quest for Universal Peace» (Liber Röling) [Sijthoff, Leyden, (1977)], p. 372.
84 J. Crawford, «The Creation of States in International Law» (2e édition, Clarendon Press (2006)), p. 604 (mentionnant la résolution 1514 (XV) comme un instrument ayant atteint un statut quasi constitutionnel).
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126. Shaw, en 1986, a attribué l’évolution du droit à l’autodétermination à une série d’initiatives globales progressives poursuivies par l’Assemblée générale à partir du début des années 1950, lesquelles ont été renforcées par l’application dudit droit dans des situations spécifiques85.
127. Par conséquent, il existait en 1960, et a fortiori en 1965 au moment où le Royaume-Uni a séparé l’archipel des Chagos de Maurice, un droit exécutoire à l’autodétermination des peuples et des territoires colonisés, ainsi qu’une obligation correspondante pour les puissances administrantes de donner effet audit droit en tant qu’élément du droit international coutumier.
128. Maurice était incontestablement un territoire non autonome auquel le droit s’appliquait et, par conséquent, le Royaume-Uni avait l’obligation de lui donner effet puisque le régime de décolonisation du droit international s’applique a fortiori à un territoire dont le peuple n’est pas parvenu à l’autodétermination.
III. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION A ÉTÉ VIOLÉ PENDANT LE PROCESSUS DE DÉCOLONISATION DE MAURICE
129. La séparation de l’archipel des Chagos de Maurice avant son indépendance constituait une violation du droit à l’autodétermination du peuple mauricien, y compris les Chagossiens.
130. Le droit à l’autodétermination est un droit dévolu aux peuples. Il implique pour eux la liberté de déterminer leur statut politique interne et leur statut externe. Il est intrinsèquement lié à la notion d’intégrité territoriale, en ce sens qu’il peut être exercé seulement par des peuples à l’intérieur d’unités territoriales spécifiques.
131. Ce postulat implique à son tour que l’unité territoriale ne saurait être défaite avant l’exercice du droit à l’autodétermination par la population vivant sur cette unité.
132. Ce principe a été réitéré dans de multiples résolutions et décisions, examinées ci-après, de l’Assemblée générale, de l’OUA et de l’Union africaine, y compris des textes portant spécifiquement sur la situation dans l’archipel des Chagos. Ces instruments indiquaient clairement que la séparation de l’archipel pendant le processus de décolonisation de Maurice, peu avant son indépendance, constituait une violation du droit à l’autodétermination.
133. Dans sa première question à la Cour, l’Assemblée générale mentionne spécifiquement lesdites résolutions et plus particulièrement la résolution 2066 (XX). Il est donc implicite, dès la première question, que l’Assemblée générale considère la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice avant son indépendance comme une violation du droit à l’autodétermination du peuple mauricien.
134. L’Union africaine invite la Cour à confirmer que l’Assemblée générale affirme à juste titre que la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice avant l’indépendance de Maurice était
85 M. Shaw, «Title to territory in Africa: international legal issues» (Clarendon Press (1986)), p. 88-89. Voir également A. Cassese, «Self-Determination of Peoples» (Cambridge University Press (1995)), p. 70 ; J. Crawford, «Brownlie’s Principles of Public International Law» [8e édition, Oxford University Press (2012)], p. 646 ; P. Daillier et A. Pellet, «Droit international public» [7e édition, LGDJ (2002)], p. 519-520.
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contraire au droit international, en ce qu’elle constituait une violation du droit à l’autodétermination du peuple mauricien, y compris les Chagossiens.
A. Portée du droit à l’autodétermination
135. Le principe selon lequel son application exige une expression libre et authentique de la volonté des peuples concernés constitue une caractéristique essentielle du droit à l’autodétermination.
136. Ce principe a été posé par le paragraphe 2 de la résolution 1514 selon lequel, en vertu du droit à l’autodétermination, les peuples «déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel» et il a été confirmé par la Cour dans l’avis consultatif sur le Sahara occidental86.
137. Il signifie en outre que les peuples doivent avoir le libre choix de devenir un Etat indépendant, de s’associer librement à un Etat indépendant préexistant ou de s’intégrer dans un Etat préexistant87.
138. Dans le contexte de la décolonisation, le droit à l’autodétermination a été accordé aux peuples de tous les territoires de type colonial.
139. Le paragraphe 2 de la résolution 1514 (XV) mentionnait le droit de tous les peuples à l’autodétermination, tandis que son paragraphe 5 énonçait l’obligation de prendre des mesures immédiates
«dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs voeux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté entière»88 (les italiques sont de nous).
140. La même résolution 1541 (XV) définissait dans son principe IV «un territoire non autonome» comme «un territoire géographiquement séparé et ethniquement ou culturellement distinct du pays qui l’administre»89. Ce principe est complété par le principe V, en vertu duquel une fois établi le caractère géographiquement, ethniquement ou culturellement distinct à première vue
86 Sahara occidental, avis consultatif, op. cit., p. 32, par. 55.
87 Dossier no 78, Assemblée générale, résolution 1541 (XV) du 15 décembre 1960, «Principes qui doivent guider les Etats Membres pour déterminer si l’obligation de communiquer des renseignements, prévue à l’alinéa e) de l’article 73 de la Charte, [A/RES/1541 (XV)] [ci-après la «résolution 1541 (XV)»], annexe, principe VI ; dossier no 42, Assemblée générale, résolution 42 (VIII) du 27 novembre 1953, «Facteurs dont il convient de tenir compte pour décider si un territoire est, ou n’est pas, un territoire dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes» [A/RES/742 (VIII)], par. 6.
88 Dossier no 55, résolution 1514 (XV), op. cit., par. 2.
89 Dossier no 78, résolution 1541 (XV), op. cit., principe IV.
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du territoire considéré, d’autres éléments peuvent entrer en ligne de compte, notamment son état de «subordination politique»90.
141. Le fait que le droit à l’autodétermination s’appliquait à tous les territoires de type colonial a été confirmé en ces termes par la Cour dans son avis consultatif sur la Namibie :
«l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations Unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires. La notion de mission sacrée a été confirmée et étendue à tous ces territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes (art. 73). II est clair que ces termes visaient les territoires sous régime colonial. Manifestement, la mission sacrée continuait à s’appliquer aux territoires placés sous le mandat de la Société des Nations auxquels un statut international avait été conféré antérieurement. Une autre étape importante de cette évolution a été la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux [résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960] applicable à tous les peuples et à tous les territoires «qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance».»91
142. De plus, le droit à l’autodétermination était applicable à tous les habitants d’un territoire colonial à l’intérieur de cette unité territoriale.
143. Cette application du droit à l’autodétermination à l’intérieur d’unités territoriales spécifiques se fondait sur le principe de l’intégrité territoriale, tel qu’il était énoncé dans le préambule de la résolution 1514 en ces termes : «Convaincue que tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national…»92 (Les italiques sont de nous.)
144. Le même principe était réaffirmé au paragraphe 6 de la résolution : «Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.»93
145. Dugard, agissant à l’époque en qualité de rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël, a plus récemment reformulé le principe comme suit : «Le droit à l’autodétermination est étroitement lié à la notion de souveraineté territoriale. Un peuple ne peut exercer son droit à l’autodétermination qu’à l’intérieur d’un territoire donné.»94
146. Le principe a été repris à leur compte par plusieurs spécialistes du droit international public, dont Crawford pour qui le principe d’autodétermination «n’est pas un droit applicable à
90 Dossier no 78, résolution 1541 (XV), op. cit., principe V.
91 Namibie, avis consultatif, op. cit., p. 31, par. 52.
92 Dossier no 55, résolution 1514 (XV), op. cit., par. 11.
93 Dossier no 55, résolution 1514 (XV), op. cit., par. 6.
94 Rapport du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, M. John Dugard, sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, soumis conformément à la résolution 1993/2 A de la Commission, 8 septembre 2003, E/CN.4/2004/6, par. 15.
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n’importe quel groupe de personnes désirant accéder à l’indépendance politique ou à l’autonomie gouvernementale. ... Il ne s’applique de plein droit qu’une fois l’unité d’autodétermination délimitée.»95
147. Enfin, le fait que le droit à l’autodétermination est exercé par des peuples à l’intérieur d’une unité coloniale signifiait que cette dernière ne pouvait pas être démembrée avant l’indépendance.
148. L’interdiction du démembrement des unités coloniales par la puissance administrante avant l’indépendance résulte du paragraphe 6 de la résolution 1514 : «Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.»96
149. Au cours des débats sur la rédaction du paragraphe 6, de nombreux délégués ont clairement indiqué qu’ils interprétaient le paragraphe 6 comme une interdiction de démembrement des territoires non autonomes avant leur indépendance.
150. Ainsi, l’Irlande, après avoir notamment invoqué, comme d’autres Etats, le paragraphe 6, a déclaré que «[c]es paragraphes énoncent des principes précis, qui ne sont assortis d’aucune limitation de temps ou de lieu …»97 (les italiques sont de nous). Pour Chypre, le paragraphe 6 était «essentiel pour contrebalancer les conséquences de la politique qui consiste à «diviser pour régner», qui est souvent le triste héritage du colonialisme et qui en prolonge les funestes effets jusque dans l’avenir»98.
L’Iran, la République arabe unie, la Bolivie, le Népal et l’Indonésie ont exprimé des opinions semblables99.
151. Même le Royaume-Uni a reconnu qu’«[i]l [était] d’une importance capitale pour la paix et la prospérité future de l’Afrique que les pays de ce continent préservent leur intégrité»100 (les italiques sont de nous).
95 J. Crawford, «The Creation of States», op. cit., p. 127.
96 Dossier no 55, résolution 1514 (XV), op. cit., par. 6.
97 Dossier no 66, Assemblée générale, compte rendu, quinzième session, 935e réunion plénière, lundi 5 décembre 1960, 15 heures (A/PV.935), par. 104.
98 Dossier no 72, Assemblée générale, compte rendu, quinzième session, 945e réunion plénière, mardi 13 décembre 1960, 15 heures (A/PV.945), par. 92-93.
99 Dossier no 57, Assemblée générale, compte rendu, quinzième session, 926e réunion plénière, lundi 28 novembre 1960, 15 heures (A/PV.926), par. 52, 71 (représentant de l’Iran) ; dossier no 60, Assemblée générale, compte rendu, quinzième session, 929e réunion plénière, mercredi 30 novembre 1960, 15 heures (A/PV.929), par. 178-179 (représentant de la RAU) ; dossier no 64, Assemblée générale, compte rendu, quinzième session, 933e réunion plénière, vendredi 2 décembre 1960, 16 heures (A/PV.933), par. 169-172 (représentant de la Bolivie) ; dossier no 66, compte rendu, quinzième session, 935e réunion plénière, 5 décembre 1960, 15 heures (A/PV.935), par. 72-74 (représentant du Népal) ; dossier no 67, compte rendu, quinzième session, 936e réunion plénière, lundi 5 décembre 1960, 20 h 30 (A/PV.936), par. 55 (représentant de l’Indonésie).
100 Dossier no 56, Assemblée générale, compte rendu, quinzième session, 925e réunion plénière, lundi 28 novembre 1960, 10 h 30 (A/PV.925), par. 47.
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152. La raison d’être de l’interdiction tenait à ce que le droit à l’autodétermination doit être exercé à l’intérieur d’une unité territoriale. En d’autres termes, il ne peut pas fonctionner correctement si l’unité concernée a été démembrée avant l’indépendance101.
153. Au cours des débats sur le paragraphe 6, certains délégués ont également semblé considérer que l’interdiction aurait pour avantage d’empêcher une partie du territoire non autonome, en particulier la partie la plus riche, de négocier un accord séparé avec l’ancienne puissance coloniale102.
154. Cette interdiction de démembrer les unités coloniales avant leur indépendance a été approuvée à plusieurs reprises par une série de résolutions de l’ONU, adoptées à une large majorité après la résolution 1514.
155. Par exemple, peu de temps après l’adoption de la résolution 1514, l’Assemblée générale a reconnu «la nécessité impérieuse de garanties adéquates et efficaces pour assurer que le droit de libre détermination sera mis en oeuvre avec succès et avec justice sur la base du respect de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Algérie»103.
156. En 1961, l’Assemblée générale a exprimé dans la résolution 1654 (XVI) les vives craintes que lui inspirent des actes contraires aux dispositions du paragraphe 6 de la résolution 1514 visant à la rupture partielle ou totale de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale et commis dans le cadre du processus de décolonisation104.
157. Aux fins de l’exercice du droit à l’autodétermination, le peuple mauricien était le peuple de l’unité coloniale concernée. Cependant, ladite unité a été démembrée avant qu’il ait pu exercer son droit à l’autodétermination en violation des modalités d’exercice de ce droit.
B. Résolutions adoptées par l’Assemblée générale pendant le processus de décolonisation de Maurice
158. Entre 1965 et 1968, après la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice, mais avant l’indépendance de cette dernière, l’Assemblée générale a réitéré dans diverses résolutions adoptées à une large majorité et sans voix contre l’interdiction de démembrement des unités coloniales avant l’indépendance. Plusieurs de ces textes constatent spécifiquement l’illégalité au regard du droit international de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice.
159. La Cour a considéré, dans le contexte de la résolution 2145 (XXI) relative à l’illégalité du mandat de l’Afrique du Sud sur le Sud-Ouest africain, que les résolutions de l’Assemblée
101 D. Raic, «Statehood and the law of self-determination» (Kluwer Law International Law (2002)), p. 304.
102 R. Clark, «The decolonization of East Timor and the United Nations Norms on self-determination and aggression», 7 Yale J. World PUB. ORD. 2. 30 (1980), p. 30.
103 Assemblée générale, résolution 1573 (XV) du 19 décembre 1960, «Question algérienne» [A/RES/1573 (XV)], par. 2. Voir aussi Assemblée générale, résolution 1724 (XVI) du 20 décembre 1961, «Question algérienne» [A/RES/ 1724 (XVI)].
104 Dossier no 101, Assemblée générale, résolution 1654 (XVI) du 27 novembre 1961, «La situation en ce qui concerne l’application de la «Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux»» [A/RES/1654 (XVI)] (ci-après la «résolution 1654 (XVI)»), préambule, par. 6.
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générale peuvent prendre des décisions sur la légalité d’une situation et viser à l’exécution de certaines dispositions :
«Elle n’a pas ainsi tranché des faits, mais décrit une situation juridique. II serait en effet inexact de supposer que, parce qu’elle possède en principe le pouvoir de faire des recommandations, l’Assemblée générale est empêchée d’adopter, dans des cas déterminés relevant de sa compétence, des résolutions ayant le caractère de décisions ou procédant d’une intention d’exécution.»105
160. Le 16 décembre 1965, l’Assemblée générale a adopté la résolution 2066 (XX) par 89 voix pour, zéro voix contre et 18 abstentions106.
161. Cette résolution vise spécifiquement la situation de Maurice «et des autres îles qui composent le territoire de l’île Maurice». Elle condamne toute mesure prise par le Royaume-Uni «pour détacher certaines îles du territoire de l’île Maurice afin d’y établir une base militaire …» en tant que violation de la résolution 1514 (XV), et plus particulièrement de son paragraphe 6, et, ipso facto, en tant qu’acte contraire aux objectifs et aux buts des Nations Unies107. La résolution confirme en outre que «le [Royaume-Uni] n’[a] pas appliqué complètement la résolution 1514», invite le Royaume-Uni «à prendre des mesures efficaces en vue de la mise en oeuvre immédiate et complète de la résolution 1514» et l’appelle également «à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale»108.
162. Pendant le processus ayant abouti à l’adoption de cette résolution, plusieurs Etats se sont adressés au Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (ci-après le «Comité spécial»)109 et à la Quatrième Commission de l’Assemblée générale (ci-après la «Quatrième Commission») pour leur signifier que la séparation des îles Chagos de Maurice serait une violation du droit international.
163. Plusieurs Etats ont appelé le Comité spécial à dénoncer les plans du Royaume-Uni visant l’établissement, en concertation avec les Etats-Unis, d’une base militaire sur l’île de Diego Garcia110.
164. Par exemple, la Tanzanie a assimilé les actions du Royaume-Uni à l’établissement d’une nouvelle colonie et les a condamnées comme étant non seulement contraires à la
105 Namibie, avis consultatif, op. cit., p. 50, par. 105.
106 Dossier no 148, Assemblée générale, compte rendu, vingtième session, 1398e réunion plénière, jeudi 16 décembre 1965,15 heures (A/PV.1398), p. 9.
107 Dossier no 146, Assemblée générale, résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965, «Question de l’île Maurice» [A/RES/2066 (XX)] (ci-après la «résolution 2066 (XX)»), préambule, par. 5.
108 Dossier no 146, Assemblée générale, résolution 2066, op. cit., préambule, par. 4, et par. 3-4.
109 Le Comité spécial était notamment chargé d’examiner l’application de la résolution 1514 : dossier no 101, résolution 1654 (XVI), op. cit.
110 Dossier no 251, rapport du Comité spécial chargé de suivre l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples colonisés, dix-neuvième session, 1964-1965 (A/5800/Rev.1), p. 349-350 (représentant de l’URSS), p. 351 (représentants de la Pologne et de la Syrie).
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résolution 1514, mais aussi aux principes généraux du droit international111. Des craintes similaires ont été exprimées par Cuba, l’Inde, l’Argentine, la Bulgarie et le Venezuela112. Dix-sept Etats membres de l’OUA ont parrainé la résolution 2066 (XX) de l’Assemblée générale113.
165. A la suite de l’adoption de la résolution, le Comité spécial a souligné le non-respect par le Royaume-Uni des résolutions 1514 et 2066, notamment en ce qui concerne le respect de l’intégrité territoriale de Maurice.
166. La résolution 2232 (XXI), adoptée à une large majorité et sans voix contre114 le 20 décembre 1966, rappelle les résolutions 1514 (XV) et 2066 (XX), et réitère la
«déclaration de l’[Assemblée générale] selon laquelle toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à établir des bases et des installations militaires dans ces territoires est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale»115.
167. Elle réaffirme «le droit inaliénable des peuples de ces territoires à l’autodétermination et à l’indépendance» et invite «les puissances administrantes à appliquer sans retard les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale»116.
168. Dans le cadre de la déclaration et de la réaffirmation indiquées ci-dessus, la résolution mentionne également et approuve le chapitre du cinquième rapport du Comité spécial consacré à Maurice117.
111 Dossier no 151, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1557e réunion, mardi 16 novembre 1965, 10 h 55 (A/C.4/SR.1557), par. 49-50. Voir aussi dossier no 153, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1566e réunion, mercredi 24 novembre 1965, 11 heures (A/C.4/SR.1566), par. 2.
112 Dossier no 152, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1558e réunion, mardi 16 novembre 1965, 15 heures (A/C.4/SR.1558), par. 4 (représentant de Cuba) ; dossier no 153, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1566e réunion, mercredi 24 novembre 1965, 11 heures (A/C.4/SR.1566), par. 5-6 (représentant de l’Inde) ; dossier no 154, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1570e réunion, vendredi 26 novembre 1965, 15 h 20 (A/C.4/SR.1570), par. 2 (représentant de l’Argentine), par. 27 (représentant de la Bulgarie) et par. 36 (représentant du Venezuela).
113 Dossier no 149, rapport de la Quatrième Commission, «Application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux : rapports du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux chapitres relatifs aux Territoires n’ayant pas été examinés séparément» (A/6160 du 13 décembre 1965), p. 6.
114 La résolution 2232 (XXI) a été adoptée par 94 voix pour, zéro voix contre et 24 abstentions dossier no 172, procès-verbal de la 1500e séance plénière de l’Assemblée générale (vingt et unième session), tenue le mardi 20 décembre 1966 à 10 h 30 (A/PV.1500), p. 12.
115 Dossier no 171, Assemblée générale, résolution 2232 (XXI) du 20 décembre 1966, «Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de la Dominique, de la Grenade, de Guam, des îles Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, de l’île Maurice, des îles Salomon, des îles Samoa américaines, des îles Seychelles, des îles Tokélaou, des îles Turks et Caïques, des îles Vierges américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de Pitcairn, de Saint-Christophe-et-Nièves et Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent» (A/RES/2232 (XXI) (ci-après la «résolution 2232 (XXI)»), préambule, par. 1 à 3 et par. 2 à 4.
116 Ibid., op. cit., préambule, par. 1-3, et par. 2-4.
117 Ibid., op. cit., préambule, par. 2 et par. 1.
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169. Le Royaume-Uni ne s’est pas conformé à la résolution 2232 (XXI). Dix jours après l’adoption de cet instrument par l’Assemblée générale le 30 décembre 1966, il a conclu avec les Etats-Unis (sous la forme d’un échange de notes) un accord bilatéral sur la disponibilité aux fins de défense du Territoire britannique de l’océan Indien118.
170. Ce fait n’a pas échappé à l’attention du Comité spécial. Le 5 décembre 1967, celui-ci a transmis son sixième rapport dans lequel il déclare explicitement avoir de nouveau appelé le Royaume-Uni à «restituer à Maurice … les îles en ayant été détachées en violation de son intégrité territoriale et [à] renoncer à ses projets d’établissement d’installations militaires sur lesdites îles»119.
171. De plus, un certain nombre de représentants ont explicitement condamné le manquement du Royaume-Uni aux obligations qui lui incombent en vertu de la résolution 2066120, le représentant indien allant même jusqu’à affirmer expressément que le démembrement des îles Chagos de Maurice constitue une violation claire de la résolution 2066 (XX) de l’Assemblée générale121.
172. Peu après la transmission par le Comité spécial de son sixième rapport, la Quatrième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies s’est de nouveau réunie pour discuter de la mise en oeuvre de la résolution 1514 (XV)122. Au terme de ces discussions, plusieurs représentants ont condamné la ligne de conduite adoptée par le Royaume-Uni en ce qui concerne Maurice et les îles Chagos123. A la fin de la réunion, la Quatrième Commission a adopté le projet de résolution A/C.4/L.899 et recommandé à l’Assemblée générale de l’adopter124. Le texte de cet instrument constitue les prémisses de la résolution 2357 de l’Assemblée générale.
173. La résolution 2357 (XXII), adoptée à une large majorité et sans voix contre125 le 19 décembre 1967, rappelait notamment les résolutions 1514 (XV), 2066 (XX) et 2232 (XXI) et
118 «Exchange of Notes between the Government of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and the Government of the United States of America concerning the Availability for Defence Purposes of the British Indian Ocean Territory» (échange de notes signé et entré en vigueur le 30 décembre 1966), Recueil des traités, n° 15 (1967).
119 Dossier no 254, rapport du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, vingt-deuxième session, 1967 (A/6700/Rev.1 (Part III), p. 37.
120 Dossier no 254, rapport du Comité spécial, vingt-deuxième session, op. cit., p. 48 (représentant de la Pologne) et p. 49 (représentant de la Bulgarie).
121 Dossier no 254, rapport du Comité spécial, vingt-deuxième session, op. cit., p. 48.
122 Dossier no 201, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1741e séance, jeudi 7 décembre 1967, 11 heures (A/C.4/SR.1741) ; dossier no 202, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1750e séance, jeudi 14 décembre 1967, 16 h 5 (A/C.4/SR.1750) ; dossier no 203, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1751e séance, vendredi 15 décembre 1967, 11 heures (A/C.4/SR.1751) ; dossier no 204, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1752e séance, vendredi 15 décembre 1967, 15 h 25 (A/C.4/SR.1752) ; dossier no 205, Quatrième Commission, compte rendu analytique, 1755e séance, samedi 16 décembre 1967, 15 h 30 (A/C.4/SR.1755).
123 Dossier no 204, Quatrième Commission, 1752e réunion, op. cit., par. 3 (représentant de l’Inde) et 82-84 (représentant de la Pologne).
124 Dossier no 205, Quatrième Commission, 1755e séance, op. cit., p. 562 ; dossier no 200, rapport de la Quatrième Commission, «Application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux Pays et aux Peuples Coloniaux — Territoires n’ayant pas été examinés séparément» (A/7013 du 18 décembre 1967), p. 15 et 22-24.
125 La résolution 2357 (XXII) a été adoptée par 86 voix pour, zéro voix contre et 27 abstentions voir le dossier no 199, procès-verbal de la 1641e séance plénière de l’Assemblée générale (vingt-deuxième session), tenue le mardi 19 décembre 1967 à 15 heures (A/PV.1641), p. 14.
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mentionnait le sixième rapport du Comité spécial, y compris le chapitre consacré à Maurice. Dans cette résolution, l’Assemblée générale faisait part des graves préoccupations que lui inspirent
«les renseignements contenus dans le rapport du Comité spécial concernant la persistance de politiques visant notamment à la destruction de l’intégrité territoriale de certains de ces territoires et à l’établissement, par les autorités administratives de bases et d’installations militaires en violation des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale».
174. Elle réaffirmait «le droit inaliénable des peuples de ces territoires à l’autodétermination et à l’indépendance».
175. Elle invitait en outre «les puissances administrantes à appliquer sans retard les résolutions de l’Assemblée générale» ; et réitérait la déclaration de l’
«[Assemblée générale] que toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à établir des bases et des installations militaires dans ces territoires est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale»126.
C. Résolutions et décisions de l’OUA/Union africaine sur la décolonisation de Maurice
176. Dès 1980, l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OUA a adopté une résolution sur Diego Garcia dans laquelle elle souligne le fait que cette île a toujours fait partie intégrante de Maurice et exige qu’elle lui soit rendue inconditionnellement127.
177. En 2000 — soit la dernière année avant qu’elle ne devienne l’Union africaine l’OUA a adopté la décision AHG/Dec.159 (XXXVI) (ci-après la «décision sur l’archipel des Chagos») dans laquelle elle déplore que l’archipel des Chagos a été unilatéralement et illégalement détaché par la puissance coloniale de Maurice avant son indépendance en violation de la résolution 1514 des Nations Unies128.
178. Certaines décisions subséquentes de l’Assemblée de l’Union africaine sont allées plus loin et ont systématiquement souligné le fait que le détachement de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 était contraire au droit international et aux résolutions pertinentes de l’Assemblée générale, y compris la résolution 1514.
126 Dossier no 198, Assemblée générale, résolution 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 «Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de la Dominique, de la Grenade, de Guam, des îles Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, de l’île Maurice, des îles Salomon, des îles Samos américaines, des îles Seychelles, des îles Tokélaou, des îles Turks et Caïques, des îles Vierges américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles- Hébrides, de Pitcairn, de Saint-Christophe-et-Nièves et Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent et du Swaziland» (A/RES/2357 (XXII) (ci-après la «résolution 2357 (XXII)»), préambule, par. 1, 2 et 5, et par. 2 à 4.
127 Pièce jointe UA-5, résolution AHG/Res.99 (XVII), résolution relative à Diego Garcia, juillet 1980, préambule, par. 1 et 3.
128 Pièce jointe UA-6, décision AHG/Dec.159 (XXXVI), décision sur l’archipel des Chagos, juillet 2000, par. 1.
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179. En 2010, la décision de l’Assemblée AU/Dec.331 (XV) a réaffirmé que
«l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, qui avait été illégalement retirée du territoire de Maurice par l’ancienne puissance coloniale en violation des résolutions des Nations Unies 1514 (XV) du 14 décembre 1960 et 2066 (XX) du 16 décembre 1965, lesquelles interdisent aux puissances coloniales de démembrer les territoires coloniaux avant de leur accorder l’indépendance, fait partie intégrante du territoire de la République de Maurice…»129.
180. En 2011, l’Assemblée de l’Union africaine, lors de sa seizième session ordinaire tenue à Addis-Abeba, a adopté la résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XVI) («Décision de la souveraineté de la République de Maurice sur l’archipel des Chagos») rappelant que
«l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, qui avait été illégalement retirée du territoire de Maurice par l’ancienne puissance coloniale en violation des résolutions des Nations Unies 1514 (XV) du 14 décembre 1960 et 2066 (XX) du 16 décembre 1965, lesquelles interdisent aux puissances coloniales de démembrer les territoires coloniaux avant de leur accorder l’indépendance.»130
181. En 2015, l’Assemblée de l’Union africaine a adopté la résolution AU/Res.1 (XXV) (ci-après la «Résolution sur l’archipel des Chagos») dans laquelle elle dénonce une fois de plus
«l’occupation illégale de l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, du territoire de Maurice par le Royaume-Uni, l’ancienne puissance coloniale, avant l’indépendance de Maurice, en violation du droit international et des résolutions 1514 (XV) du 14 décembre 1960 et 2066 (XX) du 16 décembre 1965 des Nations Unies, qui interdisent aux puissances coloniales de démanteler les territoires coloniaux avant leur accession à l'indépendance, ainsi que des résolutions 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 des Nations Unies»131.
182. La même résolution renvoie à la déclaration de Malabo adoptée lors du troisième sommet Afrique/Amérique du Sud en 2013132 selon laquelle :
«l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, illégalement excisé du territoire de Maurice par l’ancienne puissance coloniale, en violation des résolutions des Nations Unies 1514 (XV) du 14 décembre 1960 et 2066 (XX) du 16 décembre 1965, faisait partie intégrante du territoire souverain de la République de Maurice. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont également signalé leur grave préoccupation de noter que, malgré la forte opposition de la République de Maurice, le Royaume-Uni avait l’intention de créer une «zone marine protégée» autour de l’archipel des Chagos, empêchant encore davantage l’exercice par la République de Maurice de sa souveraineté et de son intégrité territoriale sur l’archipel des Chagos, conformément à la résolution 2066 (XX) de l’Assemblée générale de l’ONU ainsi qu’au droit au retour
129 Pièce jointe UA-7, décision de l’Assemblée AU/Dec.331 (XV), «Décision sur la souveraineté de la République de Maurice sur l’archipel des Chagos», juillet 2010, par. 1.
130 Pièce jointe UA-8, résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XVI), résolution sur l’archipel des Chagos, janvier 2011, préambule, par. 1.
131 Pièce jointe UA-11, résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XXV), résolution sur l’archipel des Chagos, juin 2015, préambule, par. 1.
132 Pièce jointe UA-11, résolution sur l’archipel des Chagos, op. cit., préambule, par. 4 ii).
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des citoyens mauriciens que le Royaume-Uni avait évacués de l’archipel par la force.»133
183. Enfin, lors de sa dernière session en janvier 2018, l’Assemblée de l’Union africaine a adopté sa décision AU/Dec.684 (XXX) rappelant
«[l]es résolutions 1514 (XV) du 14 décembre 1960 et 2066 (XX) du 16 décembre 1965 des Nations Unies par rapport à la poursuite de l’occupation illégale par le Royaume-Uni de l’archipel des Chagos qui fait partie intégrante de la République de Maurice et sur lequel la République de Maurice ne peut exercer effectivement sa souveraineté»134.
IV. LE PROCESSUS DE DÉCOLONISATION DE MAURICE ÉTAIT ILLÉGAL ET INCOMPLET AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL
184. Le Royaume-Uni a démembré le territoire de Maurice avant son indépendance en séparant l’île de Chagos du territoire de Maurice en violation du droit international coutumier tel qu’il était notamment inscrit dans la résolution 1514.
185. Le droit à l’autodétermination du peuple de Maurice, y compris les Chagossiens n’a pas été exercé à l’intérieur de l’unité territoriale pertinente. Comme souligné par l’Assemblée générale pendant le processus de décolonisation de Maurice, cette attitude constituait une violation patente du droit à l’autodétermination du peuple de Maurice, y compris les Chagossiens.
186. Nul doute par conséquent que le processus de décolonisation de Maurice a été incomplet et donc illégal au regard du droit international.
187. Ce processus de décolonisation incomplet a également entraîné la violation de l’intégrité territoriale de Maurice au mépris total des règles et principes fondamentaux consacrés par la Charte des Nations Unies.
188. Les résolutions et décisions de l’OUA et de l’Union africaine mentionnées plus haut ont systématiquement qualifié la séparation de l’archipel des Chagos en 1965 non seulement de violation du droit à l’autodétermination du peuple de Maurice, y compris les Chagossiens, mais également de violation de l’intégrité territoriale de Maurice.
189. Par exemple, mentionnant explicitement l’un des principes fondamentaux de l’OUA (à savoir «le respect de la souveraineté de l’intégrité territoriale de chaque Etat»), l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OUA a dénoncé, en 1980, la «militarisation de Diego Garcia» et reconnu que «Diego Garcia n’avait pas été cédé à la Grande-Bretagne»135. Selon l’Assemblée, Diego Garcia «a toujours fait partie intégrante de Maurice».
133 Pièce jointe UA-9, troisième sommet Afrique-Amérique du Sud, déclaration de Malabo, février 2013, par. 28.
134 Pièce jointe UA-13, décision de l’Assemblée AU/Dec.684 (XXX), op. cit., préambule, par. 2.
135 Pièce jointe UA-5, résolution AHG/Res.99 (XVII) sur Diego Garcia, juillet 1980, préambule, par. 2, 4 et 5.
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190. La violation de l’intégrité territoriale de Maurice empêche celle-ci d’exercer sa souveraineté sur l’archipel des Chagos, lequel fait pourtant intégralement partie de son territoire. En 2010, l’Assemblée de l’Union africaine, par sa décision AU/Dec.331 (XV) a expressément appelé le Royaume-Uni «à mettre fin immédiatement à son occupation illégale de l’archipel des Chagos afin de permettre à Maurice d’exercer effectivement sa souveraineté sur ledit archipel»136 (les italiques sont de nous).
191. Par conséquent, le processus de décolonisation incomplet de Maurice est contraire au droit à l’autodétermination et au principe de respect de la souveraineté des Etats137, ainsi qu’à son corollaire, le principe de respect de l’intégrité territoriale138. Certaines décisions de l’Assemblée de l’Union africaine ont souligné ce lien inextricable entre le droit à l’autodétermination, le principe de la souveraineté des Etats et le principe de l’intégrité territoriale. Par exemple, il est affirmé dans la résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XXVIII) que «l’Archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, fait partie intégrante du territoire de la République de Maurice et que la décolonisation de la République de Maurice ne sera pas complète tant qu’elle n’aura pas exercé sa pleine souveraineté sur l’archipel des Chagos»139 (les italiques sont de nous).
192. Durant le dernier sommet tenu en janvier 2018, l’Assemblée de l’UA a adopté la décision AU/Dec.684 (XXX) rappelant que la situation de l’archipel des Chagos doit aussi être évaluée au regard des résolutions 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Ces deux résolutions rappellent que «toute destruction de l’intégrité territoriale des territoires coloniaux dans le processus de décolonisation serait contraire à la Charte des Nations Unies»140.
193. Au vu de ce qui précède, il n’est donc pas surprenant que l’Assemblée de l’Union africaine ait constamment déploré «l’occupation permanente et illégale par le Royaume-Uni de l’Archipel des Chagos, ce faisant, privant la République de Maurice de l’exercice de sa souveraineté sur l’Archipel et rendant la décolonisation de l’Afrique incomplète»141 (les italiques sont de nous).
194. Ce n’est pas seulement l’Afrique dans son ensemble qui pâtit de l’occupation illégale par le Royaume-Uni de l’archipel des Chagos ; cette situation malheureuse, qui perdure au mépris du droit à l’autodétermination du peuple mauricien, entrave également l’exercice par les Chagossiens de leurs droits fondamentaux tels que définis dans le droit international.
136 Pièce jointe UA-7, décision de l’Assemblée AU/Dec.331 (XV), décision sur la souveraineté de la République de Maurice sur l’archipel des Chagos, juillet 2010, par. 1.
137 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p 14 (ci-après «Nicaragua»), p. 111, par. 212.
138 Nicaragua, op. cit., p. 128, par. 251.
139 Pièce jointe UA-12, résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XXVIII), résolution sur l’archipel des Chagos, janvier 2017, préambule, par. 3.
140 Dossier no 171, résolution 2232 (XXI), op. cit. ; dossier no 198, résolution 2357 (XXII), op. cit.
141 Pièce jointe UA-11, résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XXV), résolution sur l’archipel des Chagos, juin 2015, préambule, par. 3.
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195. La résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale explique déjà clairement que
«soumettre des peuples à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangère constitue une violation [du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes] ainsi qu’un déni des droits fondamentaux de l’homme, et est contraire à la Charte»142 (les italiques sont de nous).
196. Ces normes ont été à juste titre rappelées par le Comité des droits de l’homme dans son observation générale no 12 (article premier : Droit à l’autodétermination) :
«Conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies, l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît à tous les peuples le droit de disposer d’eux-mêmes. Ce droit revêt une importance particulière, parce que sa réalisation est une condition essentielle de la garantie et du respect effectif des droits individuels de l’homme ainsi que de la promotion et du renforcement de ces droits. C’est pour cette raison que les Etats ont fait du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, dans les deux Pactes, une disposition de droit positif, qu’ils ont placée, en tant qu’article premier, séparément et en tête de tous les autres droits énoncés dans ces Pactes.»143 (Les italiques sont de nous.)
197. Le processus de décolonisation illégal et incomplet de Maurice ne constitue pas seulement une violation du droit à l’autodétermination, tel qu’il est garanti par le droit international coutumier, mais porte également atteinte aux droits fondamentaux des générations présentes et futures de Chagossiens. Les habitants de l’archipel des Chagos sont en effet fondés, en vertu du droit international, à jouir de leurs droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels tels qu’ils sont définis dans les deux pactes, à savoir celui relatif aux droits civils et politiques et celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En particulier, les intéressés devraient jouir du droit de «disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles» et ne devraient en aucun cas se voir «privé[s] de [leurs] propres moyens de subsistance»144.
198. La tragédie humaine des Chagossiens, hommes, femmes et enfants, qui a débuté au moment de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice, ne pourra prendre fin qu’au prix de la décolonisation complète de Maurice, conformément au droit international. L’Union africaine est convaincue que la Cour tiendra dûment compte de la dimension humaine du maintien de l’administration illégale des Chagos par le Royaume-Uni.
142 Assemblée générale, résolution 2625 (XXV), op. cit., annexe, par. 1, principe 5.
143 Comité des droits de l’homme (CDH), Pacte international relatif aux droits civils et politiques, observation générale no 12 : article premier (Droit à l’autodétermination), 13 mars 1984, par. 1.
144 Observation générale n° 12, op. cit., par. 5.
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PARTIE IV CONSÉQUENCES EN DROIT INTERNATIONAL DU MAINTIEN DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS SOUS L’ADMINISTRATION DU ROYAUME-UNI
199. La deuxième question sur laquelle l’Assemblée générale a demandé un avis consultatif à la Cour dans sa résolution A/RES/71/292 se lit comme suit :
«b) Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
200. Avant de traiter des conséquences juridiques en tant que telles, l’Union africaine souhaite faire des observations générales sur la deuxième question. Elle évoquera ensuite successivement les conséquences juridiques du maintien de l’administration pour le Royaume-Uni et pour d’autres Etats et organisations internationales.
I. OBSERVATIONS GÉNÉRALES
201. La question posée à l’alinéa b) de la résolution A/71/292 de l’Assemblée générale appelle deux observations d’ordre général.
202. Premièrement, il convient d’apprécier cette question par rapport à l’objet spécifique d’une demande d’avis consultatif, à savoir le désir de guider les organes des Nations Unies dans leur action et de leur communiquer les éléments de droit nécessaires. La saisine de la Cour ne vise pas à obtenir qu’un différend potentiel entre des parties spécifiques soit tranché par la Cour.
203. L’objet des avis consultatifs a été décrit par la Cour elle-même dans l’affaire relative à l’Edification d’un mur :
«les avis consultatifs servent à fournir aux organes qui les sollicitent les éléments de caractère juridique qui leur sont nécessaires dans le cadre de leurs activités. Dans son avis sur les Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Cour a observé : «L’objet de la présente demande d’avis est d’éclairer les Nations Unies dans leur action propre.» (C.I.J Recueil 1951, p. 19.)»145
204. L’avis «est donné par la Cour non aux Etats, mais à l’organe habilité pour le lui demander»146.
145 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 162, par. 60.
146 Interprétation des traités de paix, op. cit., p. 71.
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205. Comme la Cour n’a pas manqué de le souligner à plusieurs reprises, il n’est pas approprié d’aborder les points soulevés dans les questions d’une manière qui «équivaudrait en substance à trancher le différend entre les parties»147.
206. Ce cadre permet à la Cour de remplir la mission qui lui est conférée par le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies et le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, sans «tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant»148.
207. Dans les circonstances spécifiques de la procédure en cours, il se peut que les Etats directement concernés, leurs nationaux ou d’autres acteurs concernés aient déjà prétendu traiter certaines des conséquences de la situation qui prévaut dans l’archipel des Chagos149.
208. Toutefois, dans sa réponse à la question, la Cour est invitée à se concentrer sur les principes juridiques généraux en jeu.
209. L’Assemblée générale a demandé à la Cour d’indiquer «[q]uelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord».
210. Par conséquent, la Cour est priée d’identifier les conséquences de l’application des obligations internationales «au regard» des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale, à savoir les obligations découlant du droit international comme le droit à l’autodétermination, y compris l’interdiction de toute tentative de démembrement du territoire d’un pays colonial et de tout acte violant l’intégrité territoriale d’un tel pays ainsi que la garantie du respect des droits fondamentaux de l’homme.
211. Deuxièmement, la Cour est invitée à déterminer les effets juridiques du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni au regard de la responsabilité de l’Etat auteur du fait illicite et de celle des autres Etats et des Nations Unies.
212. Dans son avis consultatif sur l’Edification d’un mur, la Cour a insisté sur le fait que, pour apprécier les effets juridiques d’une situation, elle doit déterminer si celle-ci constitue une violation du droit international :
«En l’espèce, si l’Assemblée générale prie la Cour de dire «[q]uelles sont en droit les conséquences» de la construction du mur, l’emploi de ces termes implique
147 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5, p. 29.
148 Sahara occidental, avis consultatif, op. cit., p. 25, par. 33.
149 Par exemple, comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, les sommes versées par le Royaume-Uni à Maurice en 1973 et 1982 étaient censées couvrir les frais de réinstallation des Chagossiens (en 1973) et régler les revendications de tous les habitants de l’île (en 1982) ; voir Cour européenne des droits de l’homme, Chagos Islanders v. the United Kingdom, décision du 11 décembre 2012, requête no 35622/04, par. 11-12 (disponible uniquement en anglais). L’Union africaine ne prend pas parti concernant la position de ces paiements au regard du droit international.
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nécessairement de déterminer si cette construction viole ou non certaines règles et certains principes de droit international.»150
213. Ayant «constaté que l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé étaient contraires à diverses obligations internationales d’Israël»151, la Cour a examiné ensuite les conséquences juridiques de cette conduite au regard de la responsabilité internationale. Elle a tenu à établir une distinction entre les conséquences pour l’Etat auteur de l’acte illicite et les conséquences pour les autres Etats et pour les Nations Unies «[v]u la nature et l’importance des droits et obligations en cause»152.
214. En l’espèce et pour les raisons décrites plus haut153, le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été légalement mené à terme en raison de la séparation de l’archipel des Chagos du territoire mauricien.
215. La Cour est maintenant invitée à évaluer les conséquences juridiques de cette violation. Compte tenu de l’importance et du caractère fondamental des obligations en jeu, il ne fait aucun doute que la situation fait naître des conséquences juridiques pour le Royaume-Uni en sa qualité d’Etat auteur du fait internationalement illicite — ainsi que pour la communauté internationale dans son ensemble.
216. L’Union africaine estime que le droit applicable à la détermination des conséquences juridiques découlant de l’administration illégale de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni est codifié dans les articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite adoptés par la Commission du droit international en 2001 (les «articles de la CDI»). Pour rédiger ces derniers, la CDI a beaucoup puisé dans la jurisprudence de la Cour et de sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale, comme le démontre amplement le commentaire du texte154. A plusieurs reprises depuis 2001155, la Cour a elle-même mentionné ces dispositions dans des affaires relatives à la responsabilité de l’Etat. La Cour a également suivi (implicitement) la structure de la deuxième partie des articles («Contenu de la responsabilité internationale de l’Etat») lorsqu’elle a identifié les conséquences juridiques découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé156. L’Union africaine suivra donc la même approche pour analyser lesdites conséquences.
150 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 154, par. 39 ; voir aussi op. cit., p. 164, par. 68.
151 Ibid., op. cit., p. 197, par. 147.
152 Ibid., op. cit., p. 200, par. 159.
153 Voir la partie III plus haut.
154 Le texte des projets d’articles et des commentaires y afférents est reproduit dans l’Annuaire de la Commission du droit international 2001, vol. II (partie II), A/CN.4/SER.A/ 2001/Add.1 (Part 2), p. 30-143 (ci-après les «Articles et commentaires de la CDI»).
155 Voir notamment Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 43 (ci-après «Répression du crime de génocide») ; Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p.14 ; Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 99 (ci-après «Immunités juridictionnelles de l’Etat»).
156 Voir Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 197-200, par. 149-160.
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II. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DU MAINTIEN DE L’ADMINISTRATION DES CHAGOS POUR LE ROYAUME-UNI
217. Il ressort de la partie III du présent exposé écrit que le maintien de l’administration de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni viole et continue de violer un certain nombre d’obligations internationales distinctes revêtant un caractère opposable à tous et pesant sur le Royaume-Uni, notamment : i) le respect du droit à l’autodétermination du peuple mauricien ; ii) l’interdiction de toute tentative de démembrement du territoire mauricien ; iii) l’obligation de s’abstenir de tout acte violant l’intégrité territoriale ou l’unité nationale de Maurice ; et iv) la garantie du respect des droits fondamentaux des nationaux mauriciens et notamment des Chagossiens.
218. Par conséquent, la responsabilité internationale revenant au Royaume-Uni à raison de tels actes comporte un certain nombre de conséquences juridiques.
A. Devoir continu du Royaume-Uni de s’acquitter des obligations qu’il a violées
219. Le Royaume-Uni est d’abord et avant tout tenu de se conformer aux obligations qu’il a violées, dans le cadre du maintien de son administration de l’archipel des Chagos. L’article 29 des articles de la CDI prévoit en effet que : «Les conséquences juridiques d’un fait internationalement illicite prévues dans la présente partie n’affectent pas le maintien du devoir de l’Etat responsable d’exécuter l’obligation violée.»157
220. Partant, même si le Royaume-Uni a commis des violations des obligations internationales dans le cadre de son administration illégale et continue de Chagos, il reste lié par ces obligations.
221. Lesdites obligations englobent le devoir pour le Royaume-Uni de donner effet au droit à l’autodétermination.
222. Ce droit a été confirmé à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice et pendant l’administration illégale de cet archipel par le Royaume-Uni. Par exemple, le paragraphe 3 de l’article premier, commun au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tous deux adoptés en 1966, se lit comme suit :
«Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.»158
157 Articles et commentaires de la CDI, op. cit., art. 29.
158 Assemblée générale des Nations Unies, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 999, p. 171, art. 1 3) ; Assemblée générale des Nations Unies, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 993, p. 3, art. 1 3). Maurice et le Royaume-Uni sont tous deux parties aux Pactes depuis 1976.
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223. L’obligation légale correspondante pour les Etats de donner effet à ce droit a également été réaffirmée à plusieurs reprises. Par exemple, le Comité des droits de l’homme dans son observation générale sur l’article 1 a fait valoir que :
«le paragraphe 3 revêt une importance particulière en ce sens qu’il impose des obligations précises aux Etats parties, non seulement à l’égard de leurs peuples, mais aussi à l’égard de tous les peuples qui n’ont pas pu exercer leur droit à l’autodétermination, ou qui ont été privés de cette possibilité. … Il s’ensuit que tous les Etats parties doivent prendre des mesures positives pour faciliter la réalisation et le respect du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes. Ces mesures positives doivent être conformes aux obligations qui incombent aux Etats en vertu de la Charte des Nations Unies et du droit international : en particulier, les Etats doivent s’abstenir de toute ingérence dans les affaires intérieures d’autres Etats et, ainsi, de compromettre l’exercice du droit à l’autodétermination. Les rapports doivent contenir des renseignements sur l’exécution de ces obligations et les mesures prises à cette fin.»159
224. Compte tenu de la spécificité et de l’importance des obligations en jeu, le Royaume-Uni est juridiquement tenu de tout mettre en oeuvre pour permettre au peuple mauricien, en ce compris les Chagossiens, de réaliser pleinement son droit à l’autodétermination et, partant, de régler librement et définitivement le statut territorial de l’archipel des Chagos.
225. Une partie des décisions adoptées par l’Assemblée de l’Union africaine appelait spécifiquement le Royaume-Uni à s’acquitter de son devoir continu d’honorer les obligations internationales qu’il a violées pendant le maintien de son administration illégale de l’archipel des Chagos. Par exemple, en 2015, l’Assemblée de l’UA a adopté la décision AU/Res.1 (XXV) dans laquelle elle
«[e]xhorte le Royaume-Uni, en attendant la rétrocession de l’archipel des Chagos à la République de Maurice en vue de son contrôle effectif, à ne prendre aucune mesure ou décision pouvant affecter les intérêts de la République de Maurice sans la participation préalable de celle-ci»160 (les italiques sont de nous).
226. Plus récemment, la dernière session de l’Assemblée de l’Union africaine tenue les 28 et 29 janvier 2018 a adopté la décision AU/Dec.684 (XXX) dans laquelle elle renouvelle «son attachement à la résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965 des Nations Unies qui réaffirme le droit inaliénable du peuple mauricien à la liberté» et invite le Gouvernement britannique «à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de Maurice et violerait son intégrité territoriale»161 (les italiques sont de nous).
B. Cessation et non-répétition
227. Outre l’obligation de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du droit à l’autodétermination, le Royaume-Uni a l’obligation de mettre fin à son comportement illicite, lié au maintien de l’administration de l’archipel des Chagos. Comme l’a déclaré la Cour :
159 Observation générale No 12, op. cit., par. 6.
160 Pièce jointe UA-11, résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XXV), résolution sur l’archipel des Chagos, juin 2015, par. 5.
161 Pièce jointe UA-13, décision de l’Assemblée AU/Dec.684 (XXX), op. cit., par. 3.
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«En vertu du droit international général en matière de responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, qu’exprime sur ce point l’article 30 a) des articles de la Commission du droit international relatifs à ce sujet, l’Etat responsable d’un tel fait a l’obligation d’y mettre fin si ce fait présente un caractère continu.»162
228. L’article 30, cité par la Cour, prévoit que : «L’Etat responsable du fait internationalement illicite a l’obligation : a) [d]’y mettre fin si ce fait continue.»163
229. A propos de cette obligation spécifique, la CDI a expliqué que :
«La cessation a pour fonction de mettre fin à une violation du droit international et de préserver la validité et l’efficacité de la règle primaire sous-jacente. L’obligation de cessation qui incombe à l’Etat responsable sert ainsi à protéger aussi bien l’intérêt de l’Etat ou des Etats lésés que ceux de la communauté internationale dans son ensemble à préserver l’Etat de droit et à s’appuyer sur lui.»164 (Les italiques sont de nous.)
230. Cette obligation s’étend à tous les actes, matériels ou immatériels, commis par le Royaume-Uni dans le cadre du maintien de son administration de l’archipel des Chagos. Dans son avis consultatif sur l’Edification d’un mur, la Cour a en effet précisé que :
«L’ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés en vue de [l’]édification [du mur] et de la mise en place du régime qui lui est associé doivent immédiatement être abrogés ou privés d’effet, sauf dans la mesure ou de tels actes, en ayant ouvert droit à indemnisation ou à d’autres formes de réparation au profit de la population palestinienne, demeurent pertinents dans le contexte du respect, par Israël, [de ses] obligations.»165
231. Il n’existe par conséquent aucune raison de s’écarter de cette conclusion en ce qui concerne l’obligation pour le Royaume-Uni de cesser l’administration, en violation de ses obligations internationales, de l’archipel des Chagos.
232. L’Etat responsable est également tenu «[d’]offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées si les circonstances l’exigent» en vertu de l’article 30 b) des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat. Le commentaire de cette disposition explique que de telles assurances ou garanties «sont le plus souvent demandées lorsque l’Etat lésé a des raisons de penser que le simple retour à la situation préexistante ne le protège pas de manière satisfaisante»166. Par conséquent, l’Union africaine fait valoir qu’il appartient à Maurice de déterminer si la demande d’assurances ou de garanties serait justifiée dans les circonstances actuelles.
162 Immunités juridictionnelles de l’Etat, op. cit., p. 153, par. 137.
163 Articles et commentaires de la CDI, op. cit., art. 30.
164 Ibid., op. cit., art. 30, commentaire, par. 5.
165 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 198, par. 151.
166 Articles et commentaires de la CDI, op. cit., art. 30, commentaire, par. 9.
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C. Réparation et restitution
233. Il est bien établi en droit international, comme indiqué par la Cour dans son avis consultatif sur l’Edification d’un mur, que l’Etat auteur du fait illicite «a l’obligation de réparer tous les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales concernées»167.
234. Comme indiqué dans l’arrêt de principe rendu par la Cour permanente de Justice internationale en l’affaire relative à l’Usine de Chorzów, «la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis»168.
235. Afin de parvenir à cet objectif en tenant compte «des circonstances concrètes de chaque affaire ainsi que de la nature exacte et de l’importance du préjudice»169, on peut être amené à combiner plusieurs formes de réparation comme l’a expliqué la CDI :
«Il ressort aussi clairement de l’article 34 qu’il ne peut y avoir réparation intégrale, dans des cas particuliers, qu’en associant différentes formes de réparation. Par exemple, le rétablissement de la situation qui prévalait avant la violation peut ne pas suffire à constituer une réparation intégrale si le fait illicite a causé un dommage matériel supplémentaire (par exemple, un préjudice découlant de la perte d’usage du bien saisi de façon illicite). Pour effacer toutes les conséquences du fait illicite, il peut donc être nécessaire de faire jouer toutes les formes de réparation ou certaines d’entre elles, en fonction du type et de l’ampleur du préjudice qui a été causé.»170
236. Le paragraphe 1 de l’article 31 des articles de la CDI porte spécifiquement sur ce principe : «L’Etat responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite.»171
237. L’article 34, pour sa part, se lit comme suit :
«Formes de la réparation :
La réparation intégrale du préjudice causé par le fait internationalement illicite prend la forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction, séparément ou conjointement …»172
238. Dans les circonstances particulières du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni, nul doute que la réparation intégrale devrait revêtir la forme de la restitution complète de cet archipel à Maurice. Conformément à sa pratique telle qu’elle se reflète dans bon nombre de ses résolutions et de décisions (ou de résolutions et décisions de sa devancière l’OUA), l’Union africaine estime que le Royaume-Uni doit «mettre immédiatement fin
167 Édification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 198, par. 152.
168 Usine de Chorzów (Allemagne c. Pologne), arrêt, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47.
169 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 59, par. 119.
170 Articles et commentaires de la CDI, op. cit., art. 34, commentaire, par. 2.
171 Ibid., op. cit., art. 31 1).
172 Ibid., op. cit., art. 34.
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à son occupation illégale de l’archipel des Chagos» (les italiques sont de nous) et faciliter «la rétrocession immédiate et inconditionnelle de l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, sous le contrôle effectif de la République de Maurice»173 (les italiques sont de nous).
D. Compensation à Maurice et à ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne
239. Il arrive que la restitution doive être accompagnée de mesures de compensation au titre du préjudice matériel et moral. Par exemple, dans son avis consultatif sur l’Edification d’un mur, la Cour a déclaré qu’Israël est :
«tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale en vue de l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé. Au cas où une telle restitution s’avérerait matériellement impossible, Israël serait tenu de procéder à l’indemnisation des personnes en question pour le préjudice subi par elles. De l’avis de la Cour, Israël est également tenu d’indemniser, conformément aux règles du droit international applicables en la matière, toutes les personnes physiques ou morales qui auraient subi un préjudice matériel quelconque du fait de la construction de ce mur.»174 (Les italiques sont de nous.)
240. Dans son arrêt rendu au fond en l’affaire Diallo, la Cour a expliqué :
«Au vu des circonstances propres à l’espèce, en particulier du caractère fondamental des obligations relatives aux droits de l’homme qui ont été violées et de la demande de réparation sous forme d’indemnisation présentée par la Guinée, la Cour est d’avis que, outre la constatation judiciaire desdites violations, la réparation due à la Guinée à raison des dommages subis par M. Diallo doit prendre la forme d’une indemnisation.»175 (Les italiques sont de nous.)
241. Il ne fait aucun doute que le caractère fondamental des obligations violées par le Royaume-Uni, au cours du processus incomplet de décolonisation et de la poursuite de l’administration de l’archipel des Chagos, appelle une mesure de compensation. Ainsi, compte tenu des circonstances ayant conduit à la présente demande, le Royaume-Uni devrait accorder une indemnisation adéquate, non seulement à Maurice, mais aussi à toutes les personnes physiques et morales ayant subi un préjudice matériel et moral du fait de son comportement fautif. Une telle extension de l’indemnisation aux personnes physiques ou morales et pas seulement à l’Etat lésé a été clairement envisagée par la Cour dans le passage de l’avis consultatif sur l’Edification d’un mur cité ci-dessus.
242. De plus, la violation du droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles en sa qualité de «principe du droit international coutumier»176 inscrit dans la résolution de l’Assemblée générale 1803 (XVII) du 14 décembre 1962 a probablement causé un préjudice
173 Pièce jointe UA-11, résolution de l’Assemblée AU/Res.1 (XXV), résolution sur l’archipel des Chagos, juin 2015, par. 4 et 6.
174 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 198, par. 153.
175 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 691, par. 161.
176 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 251, par. 244.
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réparable. Dans sa résolution 3175 (XXVIII) du 17 décembre 1973 relative à la souveraineté permanente sur les ressources nationales dans les territoires arabes occupés, l’Assemblée générale a confirmé :
«le droit des Etats et des peuples arabes dont les territoires sont sous occupation israélienne à la restitution des ressources naturelles des territoires occupés et à une pleine indemnisation pour l’exploitation, la spoliation et les dommages dont elles ont fait l’objet, ainsi que pour l’exploitation et la manipulation des ressources humaines de ces territoires»177 (les italiques sont de nous).
243. Un droit analogue à compensation appartient à Maurice et à son peuple à titre de réparation du préjudice souffert en raison de la décolonisation incomplète du pays et du maintien de l’administration illégale de l’archipel des Chagos.
244. Enfin et surtout, dans la procédure actuelle, le déplacement de la population chagossienne de l’archipel et, plus tard, l’interdiction de retour sur le territoire sont susceptibles d’avoir causé des dommages aux Chagossiens et à leurs biens. Dans ce contexte, une mesure de réinstallation à supposer même qu’elle soit possible ne suffirait pas à réparer les dommages causés aux Chagossiens et à leurs biens. Une mesure supplémentaire d’indemnisation, couvrant à la fois le préjudice matériel et moral subi, serait donc nécessaire en l’espèce. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples reconnaît ce principe et maintient que «selon le droit international, tant le préjudice matériel que le préjudice moral doivent être réparés»178.
245. En résumé, la Cour devrait rappeler les normes du droit international général énoncées dans la résolution 3281 (XXIX) des Nations Unies («Charte des droits et devoirs économiques des Etats») en vertu desquelles les Etats pratiquant une politique de coercition comme le colonialisme «sont économiquement responsables envers les pays, territoires et peuples en cause»179.
E. Satisfaction
246. Enfin, l’Union africaine est d’avis que la Cour devrait rechercher si le préjudice subi par les Mauriciens, en particulier ceux d’origine chagossienne, serait entièrement réparé par le biais de la restitution et de l’indemnisation. A titre subsidiaire, conformément à l’article 37 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, il peut s’avérer nécessaire de prévoir que la satisfaction «consister[a] en une reconnaissance de la violation, une expression de regrets, des excuses formelles ou toute autre modalité appropriée»180. Compte tenu du caractère et de l’importance des droits en jeux, cette option pourrait sembler pertinente. A tout le moins, il semblerait qu’une déclaration, incluse dans le dispositif de l’avis consultatif selon laquelle le Royaume-Uni serait déclaré comme ayant manqué à ses obligations envers Maurice, son peuple et ses nationaux, en
177 Assemblée générale, résolution 3175 (XXVIII) du 17 décembre 1973, «Souveraineté permanente sur les ressources nationales dans les territoires arabes occupé» [A/RES/3175 (XXVIII)], par. 3.
178 Ayants droit de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise Ilboudo & le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso, requête no 013/2011, arrêt sur les réparations, 5 juin 2015, par. 26.
179 Assemblée générale, résolution 3281 (XXIX) du 12 décembre 1974, «Charte des droits et devoirs économiques des Etats» [A/RES/3281 (XXIX)], art. 16.
180 Articles et commentaires de la CDI, op. cit., art. 37 2).
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particulier ceux d’origine Chagossienne constituerait effectivement une «forme appropriée»181 de satisfaction.
III. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DU MAINTIEN DE L’ADMINISTRATION DES CHAGOS POUR D’AUTRES ETATS ET ORGANISATIONS INTERNATIONALES
247. Dans son avis consultatif sur l’Edification d’un mur, la Cour ne s’est pas limitée à énoncer les conséquences des violations du droit international commises par l’Etat auteur du fait illicite. Elle a également évalué les conséquences juridiques «qui en découlent pour les autres Etats et, le cas échéant, pour l’Organisation des Nations Unies»182. Elle a fait observer à ce propos que :
«au rang des obligations internationales violées par Israël figurent des obligations erga omnes. Comme la Cour l’a précisé dans l’affaire de la Barcelona Traction, de telles obligations, par leur nature même, «concernent tous les Etats» et, «[v]u l’importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés» (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33).»183 (Les italiques figurent dans l’original.)
248. Parmi les obligations concernées figure celle de respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, lequel constitue «un des principes essentiels du droit international contemporain» et «un droit opposable à tous»184. Comme indiqué dans la partie III du présent exposé écrit, la même obligation s’applique dans le contexte de la procédure actuelle. Par conséquent, l’Union africaine ne voit aucune raison pour que la Cour, dans sa réponse à la question b), s’écarte des conclusions auxquelles elle était parvenue dans l’avis consultatif sur l’Edification d’un mur.
249. Ces conclusions s’énonçaient comme suit :
«Vu la nature et l’importance des droits et obligations en cause, la Cour est d’avis que tous les Etats sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. Ils sont également dans l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. Il appartient par ailleurs à tous les Etats de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination.»185
250. Dans le cadre de la procédure actuelle, l’Union africaine estime que la Cour devrait suivre sa pratique constante et, par conséquent, indiquer que tous les Etats ont obligation :
a) de ne pas reconnaître la situation illégale créée par la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice et par le maintien de l’administration britannique sur ledit archipel ;
181 Répression du crime de génocide, op. cit., p. 234, par. 463. Voir aussi Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 35-36.
182 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 197, par. 148.
183 Ibid., op. cit., p. 199, par. 155.
184 Timor oriental, op. cit., p. 102, par. 29.
185 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 200, par. 159.
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b) de ne prêter ni aide ni assistance au maintien de cette situation ; et
c) de coopérer par des moyens légaux de manière à faire cesser cette violation du droit international.
251. Une telle approche aurait également le mérite d’être conforme au droit international général tel qu’il se reflète dans la résolution 2625 (XXV), laquelle prévoit notamment que :
«Tout Etat a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres Etats ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations Unies à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce principe, afin de :
a) favoriser les relations amicales et la coopération entre les Etats ; et
b) mettre rapidement fin au colonialisme en tenant dûment compte de la volonté librement exprimée des peuples intéressés…»186 (Les italiques sont de nous.)
252. Les conséquences identifiées ci-dessus sont en fait analogues à celles énumérées dans le principe exprimé à l’article 41 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat187. Cette disposition énumère les conséquences particulières d’une grave violation des obligations conférées par les normes contraignantes du droit international (jus cogens). A supposer que l’autodétermination relève désormais du jus cogens (et c’est le cas), les conséquences de la séparation illégale des Chagos et des actes d’administration de l’archipel qui en découlent pourraient concerner d’autres domaines que celui de la responsabilité de l’Etat. En particulier, en vertu des articles 53 et 64 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités188, tout traité en conflit avec le droit à l’autodétermination du peuple mauricien devrait être considéré comme nul et non avenu.
253. Enfin, l’article 42 des articles sur la responsabilité des organisations internationales adoptés par la Commission du droit international en 2011189 étend à ces entités les conséquences particulières énumérées à l’article 41 des articles de la même CDI sur la responsabilité de l’Etat. Bien que formellement limitées aux violations graves des obligations du jus cogens commises par les organisations internationales, les conséquences énumérées à l’article 42 peuvent certainement s’étendre à la réaction de ces organisations, dans les limites des fonctions qu’elles tiennent de leurs instruments constitutifs et mandats respectifs, face aux violations desdites obligations par les Etats.
254. Le commentaire de l’article 42 se fonde en fait sur les conclusions énoncées par la Cour dans le dispositif de l’avis consultatif sur l’Edification d’un mur :
«[L]’Organisation des Nations Unies, et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, doit, en tenant dûment compte du présent avis consultatif,
186 Résolution 2625 (XXV), op. cit., annexe, par. 1, principe 5.
187 Immunités juridictionnelles de l’Etat, op. cit., p. 140, par. 93.
188 Nations Unies, Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Recueil des traités, vol. 1155, p. 331. Le Royaume-Uni et Maurice sont parties à la convention de Vienne sur le droit des traités depuis le 25 juin 1971 et le 18 janvier 1973, respectivement.
189 Assemblée générale, résolution 66/100 du 9 décembre 2011, «Responsabilité des organisations internationales» [A/RES/66/100], annexe.
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examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé.»190
255. Dans les limites de son mandat, l’Union africaine coopérera avec tous les acteurs impliqués, de manière à mettre fin à une situation allant à l’encontre de l’un de ses objectifs premiers et affectant durablement l’un de ses Etats membres.
190 Edification d’un mur, avis consultatif, op. cit., p. 202, par. 163. Voir aussi Assemblée générale, résolution 66/100, op. cit., art. 42, commentaire, par. 6.
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PARTIE V CONCLUSIONS ET ARGUMENTATION FINALE
256. Dans le présent exposé écrit, l’Union africaine a démontré à quel point elle est attachée à la décolonisation complète de l’Afrique et notamment à une solution pacifique et juridique à la question de l’archipel des Chagos sous tous ses aspects.
257. Guidée par le dictum de la Cour dans l’avis consultatif sur le Sahara occidental («Cet avis est requis pour aider l’Assemblée générale à définir la politique de décolonisation qu’elle adoptera à l’avenir.»191 (Les italiques sont de nous.)), l’Union africaine est convaincue que la Cour jouera un rôle décisif dans la clarification et la consolidation du droit international applicable à la décolonisation.
258. Pour les raisons mentionnées dans le présent exposé écrit, l’Union africaine soutient respectueusement que la Cour devrait répondre comme suit aux questions lui ayant été soumises par l’Assemblée générale :
a) La Cour est compétente pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution A/RES/71/292 du 22 juin 2017.
b) Le processus de décolonisation de Maurice n’avait pas été validement mené à terme lorsque cet Etat a accédé à l’indépendance en 1968, en raison de la séparation préalable de l’archipel des Chagos de Maurice et de l’état du droit international, y compris les obligations énoncées aux résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967.
c) Le maintien de l’administration par le Royaume-Uni de l’archipel des Chagos et l’interdiction concomitante faite à Maurice de mettre en oeuvre un programme de repeuplement de l’archipel des Chagos par des nationaux mauriciens, en particulier d’origine chagossienne, constituent un fait internationalement illicite ayant plusieurs conséquences en droit international.
d) Le maintien de l’administration par le Royaume-Uni de l’archipel des Chagos constitue une violation des obligations internationales reflétées dans les résolutions pertinentes mentionnées à l’alinéa b) ci-dessus, dans la mesure où il viole plusieurs règles fondamentales du droit international et notamment :
i) le droit du peuple mauricien, en particulier les personnes d’origine chagossienne, à l’autodétermination ;
ii) l’inviolabilité de l’intégrité territoriale des Etats ;
iii) le respect de la souveraineté des Etats ;
iv) les résolutions contraignantes, pertinentes et applicables des Nations Unies ;
v) les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; et
vi) les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
191 Sahara occidental, avis consultatif, op. cit., p. 68, par. 161
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e) Le Royaume-Uni est tenu, en vertu du droit international général, de :
i) compléter le processus de décolonisation de Maurice ;
ii) cesser immédiatement d’administrer l’archipel des Chagos ;
iii) procéder à une restitutio in integrum en rendant l’archipel des Chagos à Maurice ; et
iv) accorder une compensation couvrant à la fois le préjudice matériel et moral causé au peuple de Maurice et en particulier aux personnes d’origine chagossienne.
f) Tous les Etats et organisations internationales, et en particulier l’Organisation des Nations Unies et tous ses organes, ont le devoir de coopérer et de prendre les mesures appropriées afin d’inciter le Royaume-Uni à se conformer aux obligations énoncées ci-dessus aux alinéas d) et e).
g) Tous les Etats et organisations internationales, et en particulier l’Organisation des Nations Unies et tous ses organes, ont le devoir de s’abstenir de coopérer avec le Royaume-Uni en vue du maintien de son administration de l’archipel des Chagos et de la pérennisation de la situation illégale actuelle.
259. Compte tenu de ce qui précède, l’Union africaine invite respectueusement la Cour à faire, au minimum, dans le dispositif de son avis consultatif, une déclaration selon laquelle le Royaume-Uni a manqué à ses obligations internationales envers Maurice et son peuple, en particulier les personnes d’origine chagossienne, de manière à accorder une forme appropriée de satisfaction aux intéressés.
260. Enfin, l’Union africaine invite respectueusement la Cour à recommander à l’Assemblée générale de prendre toutes les mesures requises pour garantir le respect par le Royaume-Uni de son avis consultatif.
L’ambassadeur,
conseillère juridique,
Union africaine,
(Signé) Mme Namira NEGM.
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Exposé écrit de l'Union africaine