Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15081
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT PRÉSENTÉ PAR LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA
1er mars 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. Introduction ............................................................................................................................... 1
II. Compétence et recevabilité ......................................................................................................... 1
III. La demande ............................................................................................................................... 2
A. Question A ............................................................................................................................. 2
B. Question B ............................................................................................................................. 4
IV. Conclusions ............................................................................................................................... 4
I. INTRODUCTION
1. Le 15 juin 2017, la République du Congo a soumis, au nom du groupe des Etats d’Afrique Membres de l’Organisation des Nations Unies, le projet de résolution A/71/L.73 intitulé Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 (ci-après la Demande d’avis consultatif sur l’archipel des Chagos).
2. Au cours de sa soixante et onzième session (le 22 juin 2017), l’Assemblée générale a adopté la résolution 71/292 relative à la Demande d’avis consultatif sur l’archipel des Chagos. Dans cette résolution, l’Assemblée générale a décidé, comme l’y autorise l’article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice, au titre de l’article 65 de son Statut, de rendre un avis consultatif sur les questions suivantes :
a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?» ;
b) «Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?».
3. Le 14 juillet 2017, la Cour a rendu une ordonnance par laquelle elle invitait l’Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres à présenter des exposés écrits sur les questions qui lui avaient été soumises en relation avec la Demande d’avis consultatif sur l’archipel des Chagos. Dans la même ordonnance, elle fixait au 30 janvier 2018 la date d’expiration du délai dans lequel des exposés écrits pourraient lui être présentés, et au 16 avril 2018 celui dans lequel les Etats ou organisations qui auraient soumis un tel exposé pourraient présenter des observations écrites sur les autres exposés écrits. Le 17 janvier 2018, la Cour a rendu une nouvelle ordonnance par laquelle elle prorogeait jusqu’au 1er mars 2018 et au 15 mai 2018, respectivement, la date d’expiration du délai pour le dépôt de l’ensemble des exposés écrits et de la présentation, par les Etats et organisations ayant soumis un exposé, d’observations écrites sur les autres exposés1. L’exposé écrit du Nicaragua est présenté dans les délais ainsi impartis.
II. COMPÉTENCE ET RECEVABILITÉ
4. Le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour prévoit que celle-ci «peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis». Ainsi, pour pouvoir connaître de la demande qui lui est présentée par l’Assemblée générale dans la résolution 71/292, la Cour doit s’assurer que a) la requête émane bien d’un organe dûment autorisé
1 Dans la même ordonnance, la Cour indiquait que l’Union africaine était susceptible de fournir des renseignements sur la question soumise à la Cour pour avis consultatif.
par la Charte à la soumettre ; et que b) les questions énoncées dans la résolution susmentionnée sont de nature juridique2, au sens de l’article 96 de la Charte et de l’article 65 du Statut.
a) Le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies prévoit que «[l]’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique». Non seulement cette disposition autorise l’Assemblée générale à demander un avis consultatif, mais elle précise encore clairement que la seule autre condition est que la question soit de nature juridique.
b) En ce qui concerne le caractère juridique des questions, la Cour a expliqué que des questions «libellées en termes juridiques et soul[evant] des problèmes de droit international … [étaient], par leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit»3. Les questions contenues dans la Demande d’avis consultatif sur l’archipel des Chagos satisfont à cette condition. La question A a trait au processus de décolonisation au regard du droit international et la question B, aux conséquences en droit international du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ci-après le «Royaume-Uni»). Il ne fait aucun doute que ces deux questions sont de nature juridique et qu’elles sont susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit.
5. Ainsi le Nicaragua, Etat dont l’attachement au droit international est profond, considère-t-il que la Cour est compétente pour rendre un avis consultatif en réponse aux questions présentées par l’Assemblée générale dans la résolution 71/292, et qu’il n’existe aucune raison de nature à l’empêcher de donner suite à la requête.
III. LA DEMANDE
A. Question A
«Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?»
6. L’un des principaux buts de la Charte des Nations Unies est le développement entre les nations de relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes4. Ce but ne peut être atteint que si l’Organisation et ses Membres s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale de tout Etat5. L’Assemblée générale a également adopté
2 Voir Demande de réformation du jugement n° 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, p. 333-334, par. 21.
3 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15.
4 Charte des Nations Unies, art. 1, par. 2, et 55.
5 Ibid., art. 2, par. 4
plusieurs résolutions6 destinées à faire appliquer le principe du respect de l’intégrité territoriale des Etats, et appelant les puissances administrantes à procéder sans délai à la décolonisation.
7. C’est dans cette perspective que la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, résolution 1514 (XV), reconnaissait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans le contexte de la décolonisation, ainsi que «la nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations»7. La déclaration précise en outre que «[l]a sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales», et que «[t]oute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies»8.
8. Dans le sillage de la résolution 1514 (XV), et pleinement consciente du droit des peuples à l’autodétermination et à l’intégrité territoriale, l’Assemblée générale a adopté, en 1970, la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies de 1970 (résolution 2625 (XXV))9, qui soulignait la nécessité de «[m]ettre rapidement fin au colonialisme»10.
9. Le principe d’intégrité territoriale est une clef de voûte du processus de décolonisation. Les Nations Unies n’ont cessé d’affirmer que
«toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à établir des bases et des installations militaires dans ces territoires [était] incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale»11.
10. En l’espèce, le Royaume-Uni, avant d’accorder l’indépendance à Maurice en 1968, a détaché l’archipel des Chagos du reste du territoire mauricien pour créer le «Territoire britannique de l’océan Indien», contrevenant ainsi à l’obligation internationale lui incombant de respecter l’intégrité territoriale et l’unité de Maurice.
11. Le 16 décembre 1965, l’Assemblée générale a adopté la résolution 2066 (XX) ; elle déclarait regretter que le Royaume-Uni n’ait «pas appliqué complètement la résolution 1514 (XV)» en ce qui concerne Maurice, et notait «avec une profonde inquiétude que toute mesure prise par la Puissance administrante [c’est-à-dire, le Royaume-Uni] pour détacher certaines îles du territoire de
6 Résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967.
7 Les italiques sont de nous.
8 Les italiques sont de nous.
9 Résolution 2625 (XXV).
10 La résolution 2625 prévoit que, «[e]n vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout État a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte».
11 Résolutions 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967. Voir également, résolution 1514 (XV) et résolution 2625 (XXV) ; les italiques sont de nous.
l’île Maurice afin d’y établir une base militaire constituerait une violation de ladite déclaration [la résolution 1514 (XV)] et en particulier du paragraphe 6 de celle-ci»12. Eu égard au non-respect de la résolution 1514 (XV) par le Royaume-Uni, l’Assemblée générale invitait celui-ci «à prendre des mesures efficaces en vue de la mise en oeuvre immédiate et complète de [cette] résolution» et «à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait [ainsi] son intégrité territoriale»13.
12. Il est notoire14 que le Royaume-Uni ne s’est, à ce jour, conformé ni à l’obligation lui incombant de rétablir l’intégrité territoriale de Maurice, ni à l’ensemble de ses obligations en vertu de la résolution 1514.
13. Le Royaume-Uni ayant violé l’intégrité territoriale de Maurice en en détachant l’archipel des Chagos pour créer un «Territoire britannique de l’océan Indien», la République du Nicaragua considère que le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien à ce jour.
B. Question B
«Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
14. Ainsi qu’indiqué précédemment, la République du Nicaragua considère que le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien. La conséquence inéluctable au regard du droit international en est, selon lui, qu’il doit être mis fin immédiatement à cette situation illicite et que Maurice doit retrouver la pleine souveraineté sur l’archipel des Chagos. Pour se mettre en conformité avec ses obligations internationales, le Royaume-Uni doit faire cesser la situation illicite et fournir les moyens de mettre en oeuvre un programme de réinstallation pour les nationaux mauriciens dans l’archipel des Chagos, en particulier de ceux d’origine chagossienne.
IV. CONCLUSIONS
15. Pour les motifs énoncés dans le présent exposé écrit, la République du Nicaragua prie la Cour de conclure que :
a) au regard du droit international, et notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966, et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967, le processus de
12 Le paragraphe 6 est rédigé ainsi : «Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.»
13 Résolution 2066 (XX) ; les italiques sont de nous.
14 Voir Cour permanente d’arbitrage, Différend concernant l’«aire marine protégée» en relation avec l’archipel des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), opinion dissidente et opinion concordante de MM. les juges James Kateka et Rüdiger Wolfrum, par. 91, p. 23.
décolonisation de Maurice n’a, à ce jour, pas été validement mené à bien, en raison d’un démembrement partiel de son territoire ; et que
b) la conséquence en droit international est qu’il doit être mis fin immédiatement à la situation illicite et que Maurice doit retrouver la pleine souveraineté sur l’archipel des Chagos.
La Haye, le 1er mars 2018.
Le représentant de la République du Nicaragua,
(Signé) Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
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Exposé écrit du Nicaragua