Exposé écrit du Brésil

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169-20180301-WRI-02-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15064
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRATIVE DU BRÉSIL
1er mars 2018
[Traduction du Greffe]
INTRODUCTION
1. Conformément aux ordonnances de la Cour internationale de Justice en date des
14 juillet 2017 et 17 janvier 2018, la République fédérative du Brésil a l’honneur de présenter son
exposé écrit afin de fournir des renseignements intéressant la procédure consultative relative aux
Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965.
2. Le 22 juin 2017, à la 88e séance de sa soixante et onzième session, l’Assemblée générale
des Nations Unies a adopté la résolution 71/292, par laquelle elle a demandé à la Cour de donner
un avis consultatif sur les questions suivantes :
a) «Le processus de décolonisation avait-il été validement mené à bien lorsque
Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de
l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international,
notamment des obligations évoquées dans les résolutions 1514 (XV) du
14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du
20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 de l’Assemblée
générale ?»
b) «Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des
obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de
l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne
et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle
se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux,
en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
3. Le Brésil a voté pour la résolution susmentionnée et a prononcé la déclaration suivante
après son adoption :
«Le Brésil a voté pour la résolution 71/292. Nous continuons d’encourager
toutes les parties concernées à rester véritablement engagées dans un dialogue et
attachées au règlement pacifique de cette question.
La décolonisation constitue l’une des tâches inachevées de l’ONU et est, par
conséquent, une question qui concerne la communauté internationale dans son
ensemble. L’Assemblée générale a un rôle crucial à jouer pour faire avancer le
processus de décolonisation. L’un des outils à sa disposition, tel qu’énoncé dans la
Charte des Nations Unies, est de demander à la Cour internationale de Justice un avis
consultatif sur toute question juridique.
Voter pour cette résolution ne revient pas à appuyer toute interprétation
particulière de la question sous-jacente. Cela revient à demander au principal organe
juridique de l’ONU de fournir, par l’intermédiaire d’un avis non contraignant, les
éléments juridiques qui peuvent mener toutes les parties à régler définitivement cette
question.» (A/71/PV.88.)
4. C’est fort de sa longue tradition au service du droit international et de son plein
engagement en faveur du multilatéralisme que le Brésil a décidé de soumettre le présent exposé
écrit. A travers sa participation à la présente procédure consultative, il réitère la confiance qu’il
place dans la Cour internationale de Justice en tant qu’organe judiciaire principal des
Nations Unies. Le Brésil souhaite également contribuer à la clarification du droit international sur
certains aspects relatifs à la décolonisation et à l’autodétermination, qui sont au coeur des questions
- 2 -
posées par l’Assemblée générale. Le Brésil n’envisage pas la présente procédure comme relevant
d’un différend bilatéral ni ne cherche par le présent exposé à mettre en cause un quelconque Etat.
5. Le présent exposé s’articule autour de cinq parties : i) considérations relatives à la
compétence et à l’opportunité judiciaire ; ii) droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ;
iii) intégrité territoriale ; iv) expulsion forcée des habitants de l’archipel des Chagos (ci-après les
«Chagossiens») ; et v) conclusion.
I. CONSIDÉRATIONS RELATIVES À LA COMPÉTENCE ET À
L’OPPORTUNITÉ JUDICIAIRE
6. La Cour peut «donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de
tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à
ses dispositions à demander cet avis»1. L’Assemblée générale est manifestement fondée à lui
demander de rendre des avis consultatifs «sur toute question juridique», comme le prévoit
l’article 96 de la Charte des Nations Unies2.
7. S’agissant de déterminer si la question posée revêt un caractère juridique, la Cour a
considéré qu’«une question qui [l’]invite expressément à dire si une certaine action est conforme ou
non au droit international est assurément une question juridique»3. La présente demande possède un
tel caractère puisqu’elle l’invite à établir si un processus de décolonisation a été «validement mené
à bien» et à clarifier les «conséquences en droit international» qui découlent de la présente
situation. Les questions soulevées par l’Assemblée générale sont «libellées en termes juridiques»,
«soulèvent des problèmes de droit international» et sont, «par leur nature même, susceptibles de
recevoir une réponse fondée en droit»4, satisfaisant ainsi aux conditions requises pour qu’une
question revête un caractère juridique.
8. A la lumière de ce qui précède, le Brésil considère que toutes les conditions nécessaires à
l’exercice de la fonction consultative de la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’article 65 sont
remplies.
9. Dans une procédure consultative, la Cour, après avoir établi sa compétence, conserve le
pouvoir discrétionnaire de décider de l’exercer ou non. Elle a néanmoins précisé qu’«en principe,
elle ne dev[ait] pas … refuse[r]»5 de donner un avis consultatif, à moins que des «raisons
décisives»6 ne justifient un tel refus. En effet, «[s]a réponse [à une demande d’avis consultatif]
1 Paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour internationale de Justice.
2 Selon l’article 96 de la Charte des Nations Unies, «[l]’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité peut
demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique». Voir également Demande
de réformation du jugement no 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982,
p. 333-334, par. 21.
3 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 414-415, par. 25.
4 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15.
5 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234-235,
par. 14. Voir aussi Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 19.
6 Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1956, p. 86 («Malgré le caractère permissif de l’article 65 du Statut relatif aux avis consultatifs, il faudrait
des raisons décisives pour déterminer la Cour à opposer un refus …»).
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constitue une participation de la Cour, elle-même «organe des Nations Unies» à l’action de
l’Organisation»7. La résolution de l’Assemblée générale 71/292 a été adoptée à la majorité requise
 et écrasante  des membres présents et votants. En y donnant suite, la Cour participera donc à
une action essentielle de l’Organisation des Nations Unies, dont le rôle dans le processus de
décolonisation est reconnu de longue date8.
10. Le Brésil considère par ailleurs qu’il n’existe pas de raison décisive interdisant à la Cour
de répondre aux deux questions posées dans la résolution 71/292. Il importe de souligner que la
Cour n’a jamais refusé d’exercer sa compétence consultative en invoquant le motif de l’opportunité
judiciaire. Comme cela a déjà été précisé9, seule la Cour permanente de Justice internationale a, en
une occasion, décidé de ne pas exercer sa compétence. Cependant, elle l’a fait, au seul motif que la
question qui lui était posée concernait un Etat qui n’avait pas adhéré au Statut de la Cour
permanente, n’était pas membre de la Société des Nations et refusait en outre de prendre part à la
procédure10. Ce précédent ne trouve nullement à s’appliquer en l’espèce, puisque tous les Etats
concernés sont parties à la Charte et au Statut et, partant, ont «donné d’une manière générale [leur]
consentement à l’exercice par la Cour de sa juridiction consultative»11.
11. Lors de l’adoption de la résolution 71/292, certains Etats Membres ont fait valoir dans
leur déclaration que les questions posées étaient de nature bilatérale et que, partant, un avis
consultatif aurait pour effet de tourner le principe du consentement à l’exercice par la Cour de sa
compétence en matière contentieuse. De fait, comme la Cour l’a elle-même signalé, «le défaut de
consentement d’un Etat intéressé peut, dans certaines circonstances, rendre le prononcé d’un avis
consultatif incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour»12. Cette mise en garde vaut en
particulier pour les questions revêtant un caractère strictement bilatéral, sans rapport avec les
pouvoirs et responsabilités des Nations Unies. Le Brésil estime que tel n’est pas le cas des
questions soulevées par l’Assemblée générale en l’espèce. Celles-ci témoignent du souci général de
la communauté internationale d’obtenir un éclairage juridique sur la portée et l’application d’un
ensemble de normes de droit international  telles que l’intégrité territoriale et le droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes  dans le contexte de la décolonisation.
12. La Cour a affirmé par le passé que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans le
contexte colonial créait des obligations erga omnes13, opposables à tous et à la communauté
internationale dans son ensemble. Le droit à l’autodétermination dans le contexte de la
décolonisation a été reconnu dans plusieurs résolutions des Nations Unies14, dans des déclarations
7 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
8 Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, 14 décembre 1960 ; résolution 1654 (XVI) de l’Assemblée
générale portant création du Comité spécial sur la décolonisation, 27 novembre 1961.
9 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p 234-235,
par. 14.
10 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5.
11 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 23-24, par. 30. Dans cet avis consultatif, la Cour a
établi une distinction analogue à celle appliquée dans l’affaire relative au Statut de la Carélie orientale (ibid.) : «[L]e fait
que la Société des Nations n’avait pas compétence pour traiter d’un différend impliquant des Etats non membres qui
refusaient son intervention a été pour la Cour une raison décisive de s’abstenir de répondre.»
12 Ibid., p. 24-25, par. 32-33.
13 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
14 Voir, par exemple, résolutions 1514 (XV) et 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies.
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multilatérales15, voire dans les propres décisions de la Cour16. Il apparaît donc clairement que la
présente demande dépasse le simple cadre d’une relation bilatérale, dans la mesure où elle traite de
questions «intéressant directement les Nations Unies»17.
13. De même que dans l’affaire relative à l’Edification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, l’exercice de la compétence consultative n’a pas, dans ces conditions, «pour
effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire et [la Cour] ne saurait dès lors,
dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un avis pour ce motif»18. En tant
qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, la Cour s’est dûment employée
à répondre aux demandes d’avis consultatif dont elle était saisie afin d’éclairer et d’appuyer
l’Organisation dans l’examen de questions juridiques. Elle a une nouvelle fois l’occasion
d’apporter sa précieuse contribution à l’étude d’une question qui intéresse de longue date
l’Assemblée générale19 et qui n’a rien perdu de son actualité20.
14. A la lumière de ce qui précède, le Brésil estime que la Cour a compétence consultative en
l’espèce et qu’elle devrait exercer cette compétence.
II. DROIT DES PEUPLES À DISPOSER D’EUX-MÊMES
15. Dans l’examen des questions posées par l’Assemblée générale et des normes de droit
international applicables, le droit des peuples coloniaux à disposer d’eux-mêmes ressort comme un
élément central. Il constitue du point de vue du Brésil une norme impérative du droit international.
16. Le principe d’autodétermination figure expressément parmi les «buts des Nations Unies»
énoncés au paragraphe 2 de l’article 1 de la Charte. Il convient de souligner que la version française
(qui fait également foi) parle de «droit» des peuples à disposer d’eux-mêmes.
17. L’Assemblée générale en a reconnu le caractère normatif à plusieurs reprises et, en
particulier, dans la résolution 1514 (XV)  la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays
et aux peuples coloniaux (ci-après «déclaration de 1960») , adoptée sans vote contraire. Celle-ci
précise que «tous les peuples ont le droit de libre détermination» (paragraphe 2). La Cour a
15 Voir, par exemple, déclaration et programme d’action de Vienne (2003), I, 2.
16 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 ; affaire relative
à la Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 655, par. 9.
17 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du
9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158-159, par. 49.
18 Ibid. p. 159, par. 50.
19 Résolutions 2066 (XX), 2232 (XXI) et 2357 (XXII) de l’Assemblée générale.
20 Voir, par exemple, déclaration ministérielle du groupe des 77 et de la Chine à l’occasion de la quatorzième
session de la CNUCED (TD/507), 22 juillet 2016 ; déclaration adoptée à la trente-septième réunion annuelle des
ministres des affaires étrangères du groupe des 77, tenue à New York le 26 septembre 2013 ; résolution sur l’archipel des
Chagos, EX.CL/901(XXVII) (AU/Res. I (XXV)), 14-15 juin 2015 ; Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de
l’Union africaine, déclaration sur le 50e anniversaire, Addis-Abeba, 26 mai 2013, p. 3.
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également reconnu ce caractère normatif dans sa jurisprudence21, estimant qu’il «s’agit d’un des
principes essentiels du droit international contemporain»22.
18. Il ne fait aucun doute, dès lors, que le droit à l’autodétermination dans le contexte
colonial fait aujourd’hui partie du droit international coutumier. En outre, le Brésil estime que le
droit des peuples coloniaux à disposer d’eux-mêmes était déjà établi en droit international au
moment de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice par la puissance administrante
(le 8 novembre 1965). Les questions d’autodétermination et de décolonisation étaient alors au coeur
du développement du droit international, avec l’accession à l’indépendance d’un certain nombre de
pays au cours des années 1960. Ces colonies ne durent pas leur indépendance nouvellement acquise
à la courtoisie des anciennes puissances coloniales mais à l’exercice légitime d’un droit dont
l’application devait permettre de «mettre fin rapidement à toutes les situations coloniales»23.
19. L’autodétermination est un droit collectif dont les titulaires  les «peuples»  peuvent
dès lors être difficiles à identifier. La difficulté est moindre dans le contexte de la décolonisation,
où le principe de l’uti possidetis a donné lieu à une pratique constante tendant à distinguer les
«peuples» selon les frontières des anciennes colonies. Le rattachement de l’archipel des Chagos à
Maurice remonte au moins au XVIIIe siècle, époque à laquelle l’île Maurice était soumise au
régime colonial français. Ainsi, au moment du processus de décolonisation, les habitants de
l’archipel faisaient partie intégrante du peuple mauricien, titulaire unique du droit à
l’autodétermination.
III. INTÉGRITÉ TERRITORIALE
20. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes possède une projection territoriale : les
peuples doivent pouvoir exercer leur droit sur l’intégralité du territoire. L’intégrité territoriale est
donc un corollaire non seulement de la souveraineté mais également de l’autodétermination.
L’Assemblée générale a reconnu ce principe lorsqu’elle a explicité ainsi certains aspects relatifs à
l’autodétermination dans la déclaration de 1960 :
i) «il sera mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de
quelque sorte qu’elles soient, dirigées contre les peuples dépendants, pour
permettre à ces peuples d’exercer pacifiquement et librement leur droit à
l’indépendance complète, et l’intégrité de leur territoire national sera
respectée» (paragraphe 4) ;
ii) «toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale
et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les
principes de la Charte des Nations Unies» (paragraphe 6).
21. La Déclaration de 1960 précise en outre que le «transfer[t d]e tous pouvoirs aux peuples
de ces territoires»  autrement dit le processus de décolonisation  doit notamment s’effectuer
«sans aucune condition ou réserve» et «conformément à l[a] volonté et à [aux] voeux librement
21 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31-32,
par. 52-53 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 31-33, par. 54-59 ; Timor oriental (Portugal
c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 90, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le
territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 171-172, par. 88.
22 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 90, par. 29.
23 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 31, par. 55.
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exprimés» de ces peuples. Il s’ensuit que toute modification concernant les frontières d’un territoire
non autonome ne peut être valablement effectuée qu’avec le consentement libre et réel des peuples
concernés. Comme l’a écrit le juge Hardy Dillard, «c’est la population qui détermine le destin du
territoire et non l’inverse»24.
22. Le 16 décembre 1965, l’Assemblée générale a adopté la résolution 2066 (XX), dans
laquelle elle
«not[ait] avec une profonde inquiétude que toute mesure prise par la Puissance
administrante pour détacher certaines îles du territoire de l’île Maurice afin d’y établir
une base militaire constituerait une violation de l[a D]éclaration [sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux] et en particulier du paragraphe 6
de celle-ci» (cinquième paragraphe du préambule).
En outre, l’Assemblée générale «invit[ait] la Puissante administrante à ne prendre aucune mesure
qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale». La résolution
fut adoptée par 89 voix pour, dont celle du Brésil, 18 absentions et aucune voix contre. La
résolution 2066 (XX) exprime la position claire de l’organe le plus représentatif de l’Organisation
des Nations Unies sur la licéité du détachement de l’archipel des Chagos.
23. Le lien entre autodétermination et intégrité territoriale s’établit à un point précis dans le
temps, à savoir avant toute ingérence illicite vis-à-vis du territoire ou de la population. Le
démembrement susmentionné n’était pas conforme au droit international et le passage du temps
n’apporte aucun remède à un tel acte. Il ne saurait être considéré comme ayant créé un «fait
accompli» au titre du principe général ex iniuria ius non oritur. Le principe de l’autodétermination
permettait au peuple mauricien d’exercer librement ses droits sur l’intégralité du territoire qui lui
appartenait avant le démembrement  y compris, donc, l’archipel des Chagos.
24. A la lumière de ce qui précède, le Brésil considère que la décolonisation de Maurice n’a
pas été validement menée à bien et qu’elle demeure inachevée à ce jour.
IV. L’EXPULSION FORCÉE DES CHAGOSSIENS
25. Le droit international applicable à la décolonisation interdit aux puissances
administrantes de «bouleverse[r] la composition démographique» des territoires sous domination
coloniale, au motif qu’un tel acte pourrait «être un obstacle majeur à l’exercice véritable du droit à
l’autodétermination et à l’indépendance par les habitants de ces territoires» (extraits du
paragraphe 8 de la résolution 35/118 de l’Assemblée générale, laquelle reflète le droit international
coutumier). Le Brésil comprend que cette interdiction couvre non seulement l’afflux d’immigrants
et de colons venus de l’extérieur mais aussi la dépopulation. Le traitement réservé aux habitants de
l’archipel des Chagos après le détachement de Maurice est donc pertinent au regard de la seconde
question adressée à la Cour.
26. La séparation de l’archipel des Chagos de Maurice et la création du «territoire
britannique de l’océan Indien» ont été le prélude à un processus de dépopulation, qui s’est déroulé
de 1968 à 1973. Les Chagossiens ont été expulsés de force vers d’autres pays. Ils n’ont pas été
autorisés à se réinstaller dans l’archipel, ni n’ont reçu de compensation adéquate. De plus, la
24 Opinion individuelle de M. le juge Dillard, p. 122, dans l’affaire relative au Sahara occidental.
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puissance administrante a créé une aire marine protégée autour de l’archipel, et ainsi rendu
difficilement envisageable le retour de la population autochtone25.
27. Le paragraphe 2 de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
dispose que «[t]oute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans
son pays». En empêchant la réinstallation des Chagossiens dans l’archipel, la puissance
administrante viole ce droit.
V. CONCLUSION
28. Pour les raisons exposées ci-dessus, le Brésil considère que :
a) la Cour a compétence consultative en l’espèce et qu’elle devrait exercer cette
compétence ;
b) le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était établi en droit international au
moment de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice ;
c) le peuple mauricien a été empêché d’exercer pleinement son droit à
l’autodétermination puisqu’une partie de son territoire est restée sous le contrôle de
la puissance administrante.
___________
25 Aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), tribunal arbitral constitué en vertu de
l’annexe VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, sentence, 18 mars 2015.

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