Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15070
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DEMANDE PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES D’UN AVIS
CONSULTATIF DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
SUR «LES EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS
DE MAURICE EN 1965»
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
1er MARS 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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CHAPITRE I Introduction ................................................................................................................... 1
CHAPITRE II Contexte : La nature du différend bilatéral .................................................................. 2
CHAPITRE III En l’espèce, des raisons décisives justifieraient le refus de la Cour de donner
l’avis demandé .............................................................................................................................. 8
A. Le Statut de la Cour ne confère pas à celle-ci de compétence consultative pour statuer
sur des différends entre Etats ................................................................................................... 9
B. Selon la jurisprudence de la Cour, la fonction consultative ne devrait pas servir à
trancher des différends entre Etats ......................................................................................... 10
C. La Cour devrait refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale, dans la
mesure où celle-ci appelle au règlement d’un différend territorial bilatéral entre
Maurice et le Royaume-Uni et où ce dernier n’a pas donné son consentement ..................... 12
CHAPITRE IV Considérations relatives aux questions posées à la Cour ........................................... 16
A. Les questions posées dans la résolution relatives à la saisine devraient être clarifiées
afin que la Cour puisse les trancher ....................................................................................... 17
B. La politique de décolonisation de l’Assemblée générale est distincte de l’existence ou
de l’absence d’une obligation juridique spécifique au moment considéré ............................. 19
C. Pour répondre aux questions posées, la Cour devrait déterminer si une nouvelle règle
de droit international était apparue au moment considéré ..................................................... 20
D. Jusqu’à la fin des années 1960, aucune règle de droit international coutumier
pouvant être interprétée comme interdisant l’établissement du Territoire
britannique de l’océan Indien n’avait émergé ................................................................... 23
1. Avant la résolution 1514, aucune opinio juris ne soutenait un droit légal
international à l’autodétermination ................................................................................... 23
2. La résolution 1514 ne reflète pas une opinio juris sur un droit à l’autodétermination
ou à l’intégrité territoriale en faveur des territoires non autonomes ................................. 27
3. Cette absence d’opinio juris a persisté jusqu’à la fin des années 1960 .............................. 31
4. La pratique des Etats n’a été ni fréquente ni tout à fait uniforme jusqu’à la fin des
années 1960 au moins ....................................................................................................... 35
CHAPITRE V Conclusion ................................................................................................................. 41
CHAPITRE I
INTRODUCTION
1.1. Dans son ordonnance en date du 14 juillet 2017, la Cour a invité l’Organisation des
Nations Unies et ses Etats Membres à présenter des exposés écrits sur les questions qui lui ont été
soumises par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 71/292 du 22 juin 2017.
Les Etats-Unis apprécient l’occasion qui leur est donnée de formuler des observations sur ces
questions et de faire part de leurs préoccupations concernant l’examen par la Cour de la demande
d’avis consultatif émanant de l’Assemblée générale.
1.2. Les Etats-Unis ont voté contre la résolution de l’Assemblée générale demandant à la
Cour de rendre un avis consultatif, car ils considèrent que les questions soulevées concernent un
différend territorial bilatéral entre Maurice et le Royaume-Uni à propos de la souveraineté sur
l’archipel des Chagos1. Les Etats-Unis estiment que le cas d’espèce soulève de graves questions
concernant l’opportunité de recourir à la compétence consultative de la Cour eu égard au principe
fondamental selon lequel aucun Etat ne peut être obligé de soumettre malgré lui ses différends à un
règlement judiciaire. Or il est clair que le Royaume-Uni, l’une des parties au différend bilatéral, n’a
pas donné son consentement2.
1.3. Le présent exposé commence, au chapitre II, par décrire brièvement le contexte dans
lequel il convient de comprendre la résolution de l’Assemblée générale relative à la saisine de la
Cour.
1.4. Le chapitre III identifie les raisons décisives pour lesquelles la Cour ne devrait pas
rendre un avis consultatif en l’espèce. La principale tient à ce que le fait de rendre pareil avis
reviendrait à tourner le principe fondamental selon duquel aucun Etat ne peut être obligé de
soumettre ses différends à un règlement judiciaire sans son consentement.
1.5. Le chapitre IV commence par recenser plusieurs facteurs que la Cour devra considérer
au cas où elle déciderait d’examiner les questions mentionnées, y compris la formulation
problématique de ces dernières. Le chapitre IV démontre ensuite l’absence en 1965 de toute règle
de droit international rendant illégal l’établissement du Territoire britannique de l’océan Indien
(British Indian Ocean Territory). Ces considérations corroborent la thèse selon laquelle, en raison
de leur objet, les questions mentionnées ne sauraient être valablement soumises à la juridiction
consultative de la Cour.
1.6. Le chapitre V conclut l’exposé en invitant respectueusement la Cour à refuser de donner
l’avis demandé.
1 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale A/71/PV.88 (22 juin 2017) [dossier n° 6], p. 13. Le
présent exposé utilise le terme «archipel des Chagos» pour désigner le groupe d’îles constituant le Territoire britannique
de l’océan Indien.
2 Voir ibid., p. 11.
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CHAPITRE II
CONTEXTE : LA NATURE DU DIFFÉREND BILATÉRAL
2.1. Les Etats-Unis prévoient que Maurice et le Royaume-Uni fourniront à la Cour des
éléments retraçant l’historique de leur différend concernant la souveraineté sur l’archipel des
Chagos. Ils n’ont donc pas l’intention de dresser ici un aperçu factuel complet.
2.2. Le présent chapitre vise plutôt à décrire le contexte dans lequel la résolution de
l’Assemblée générale relative à la saisine de la Cour doit être comprise. Cette analyse permettra de
conclure que la demande d’avis consultatif concerne le différend territorial opposant de longue date
les deux Etats et qu’elle vise en réalité à contraindre la Cour à statuer sur une revendication de
souveraineté déjà défendue par Maurice dans d’autres instances.
2.3. L’Assemblée générale, dans sa résolution 71/292, a demandé à la Cour de rendre un avis
consultatif sur les questions suivantes :
a) Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son
indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au
regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de
l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965,
2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?
b) Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations
évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous
l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce
qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de
réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?
2.4. Les Etats-Unis ont voté contre l’adoption de cette résolution parce qu’il y a lieu de
craindre qu’elle soulève des questions qu’il est inopportun de traiter dans le cadre d’un avis
consultatif. Comme ils ont eu l’occasion de s’en expliquer pendant le débat devant l’Assemblée
générale :
«En maintenant le projet de résolution, Maurice cherche à invoquer la
compétence de l’avis consultatif de la Cour non pas aux fins prévues, mais plutôt pour
contourner le manque de compétence de la Cour en matière de contentieux sur cette
question purement bilatérale … Alors que Maurice tente de présenter cela comme un
problème de décolonisation qui concerne la communauté internationale, il s’agit
pleinement d’un différend territorial bilatéral, et le Royaume-Uni n’a pas consenti à la
compétence de la Cour internationale de Justice … La fonction consultative de la Cour
internationale de Justice n’était pas destinée à régler les différends entre Etats.»3
2.5. En fait, l’origine de cette demande de saisine concerne une revendication de
souveraineté entre Etats et plus précisément entre Maurice et le Royaume-Uni formulée pour
la première fois plus de dix ans après l’accession de Maurice à l’indépendance en 1968.
3 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale A/71/PV.88 (22 juin 2017) [dossier n° 6], p. 13. Le
présent exposé utilise le terme «archipel des Chagos» pour désigner le groupe d’îles constituant le Territoire britannique
de l’océan Indien, p. 13.
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2.6. Le Royaume-Uni exerce sa souveraineté sur l’archipel des Chagos de manière continue
depuis le XIXe siècle. Pendant l’essentiel de cette période, il a administré ces îles en tant que
sous-dépendance de la colonie britannique de Maurice. En novembre 1965, les dispositions
administratives applicables ont été revues, et le Royaume-Uni administre désormais l’archipel des
Chagos en tant que Territoire britannique de l’océan Indien.
2.7. En 1966, les Etats-Unis ont conclu un accord bilatéral avec le Royaume-Uni concernant
l’établissement d’installations militaires communes aux deux pays dans le Territoire britannique de
l’océan Indien4. Cet accord a été modifié, mais il est toujours en vigueur aujourd’hui. Au fil des
années, les deux pays ont également conclu des accords supplémentaires5. L’accord de 1966 et ses
suppléments ont été enregistrés auprès de la Section des traités de l’ONU conformément à
l’article 102 de la Charte et publiés dans le Recueil des traités des Nations Unies6.
2.8. En 1968, lorsque Maurice a obtenu son indépendance, l’archipel des Chagos se trouvait
hors de ses frontières territoriales. Plus d’une décennie plus tard, Maurice a commencé à
revendiquer la souveraineté sur l’archipel, notamment dans ses déclarations annuelles à l’ouverture
de l’Assemblée générale7.
2.9. Compte tenu de l’existence des installations militaires communes du Territoire
britannique de l’océan Indien, Maurice a fait valoir à plusieurs reprises sa revendication territoriale
auprès des Etats-Unis qui ont clairement reconnu dans ces discussions la souveraineté du
Royaume-Uni sur le Territoire britannique de l’océan Indien. Cela dit, les Etats-Unis apprécient
beaucoup les relations chaleureuses qu’ils entretiennent avec Maurice et le Royaume-Uni et ont
encouragé les deux parties au différend à régler la question sur une base bilatérale.
2.10. Avant cette demande d’avis consultatif, Maurice a également poursuivi sa
revendication de souveraineté à l’encontre du Royaume-Uni par des voies juridiques, notamment
en cherchant à obtenir que l’affaire soit tranchée dans le cadre d’une procédure contentieuse. Il
convient de noter en particulier que Maurice a cherché à saisir la Cour d’un différend contentieux
4 Agreement Concerning the Availability of Certain Indian Ocean Islands for the Defense Purposes of Both
Governments (ci-après l’«accord de 1966»), United States-United Kingdom, 30 décembre 1966, 18 U.S.T. 28, T.I.A.S.
6196, 603 U.N.T.S. 273.
5 L’accord de 1966 a été modifié les 22 et 25 juin 1976 (27 U.S.T. 3448, T.I.A.S. 8376), ainsi que le
16 novembre 1987 (1576 U.N.T.S. 179). Il a été complété par un accord conclu en 1972 (Agreement Concerning a
Limited United States Naval Communications Facility on Diego Garcia, British Indian Ocean Territory,
24 octobre 1972, 866 U.N.T.S. 302), lui-même remplacé par un accord de 1976 (Agreement Concerning a United States
Naval Support Facility on Diego Garcia, British Indian Ocean Territory, 25 février 1976, 27 U.S.T. 315, T.I.A.S. 8230,
1018 U.N.T.S. 372). L’article 11 de l’accord de 1966 prévoit que, en l’absence d’un préavis de résiliation, l’accord
continuera à produire ses effets, au-delà de la période initiale de 50 ans, pendant encore 20 ans. En 2016, le Royaume-Uni
et les Etats-Unis se sont entretenus au sujet de l’importance que revêt encore aujourd’hui la base qu’ils partagent. Aucune
des deux parties n’ayant donné un préavis de résiliation, l’accord devrait rester en vigueur jusqu’en 2036.
6 L’accord de 1966 a été enregistré auprès des Nations Unies le 22 août 1967 ; les deux accords supplémentaires
susmentionnés ont été enregistrés respectivement le 11 avril 1973 et le 27 juillet 1976. L’accord de 1987 a été enregistré
le 24 août 1990.
7 Voir, par exemple, les dossiers nos 269 à 321.
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avec le Royaume-Uni8. Ce dernier a refusé de consentir à cette procédure pour régler le différend,
préférant engager des négociations bilatérales directes.
2.11. En 2010, Maurice a engagé une procédure arbitrale contre le Royaume-Uni en vertu de
l’annexe VII à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982. Cette
procédure constitue l’articulation la plus complète à ce jour de sa revendication de souveraineté.
Maurice prétendait posséder la souveraineté sur l’archipel des Chagos et ne reconnaissait aucun
fondement juridique aux droits de souveraineté revendiqués par le Royaume-Uni9. Maurice a
également tenté d’obtenir qu’il soit déclaré que «le Royaume-Uni n’est pas un «Etat côtier» au sens
de la Convention de 1982» et que «seul Maurice est habilité à déclarer une zone économique
exclusive en vertu de la Partie V de la Convention de 1982»10.
2.12. Pour étayer sa thèse, Maurice a fait valoir que «l’excision illégale de l’archipel des
Chagos par le Royaume-Uni avant l’indépendance de Maurice ne confère pas à celui-ci le droit
d’être considéré comme «l’Etat côtier» par rapport à l’archipel...»11. Et Maurice d’ajouter :
«Le détachement de l’archipel des Chagos était avant tout contraire au droit de
Maurice à l’autodétermination. Ce droit et l’obligation de le reconnaître
constitue une norme fondamentale du droit international inscrite dans la Charte des
Nations Unies, dans les résolutions de l’Assemblée générale qui l’interprètent et
l’appliquent, dans le droit et la pratique des organes de l’ONU et dans le droit
international coutumier.»12
A l’appui de cet argument, Maurice a invoqué les mêmes résolutions de l’Assemblée générale que
celles citées dans la demande d’avis consultatif dont la Cour est saisie.
2.13. Le tribunal arbitral, dans sa sentence en date du 18 mars 2015, a reconnu qu’il existait
un différend territorial entre Maurice et le Royaume-Uni au sujet de l’archipel des Chagos, mais a
jugé qu’il n’avait pas compétence pour trancher un tel différend13. Il s’est en revanche déclaré
compétent pour se prononcer sur le caractère contraignant de l’accord intervenu avant
l’indépendance de Maurice entre le Royaume-Uni et les représentants politiques de Maurice
concernant le détachement de l’archipel des Chagos14.
8 Voir, par exemple, Chagos Marine Protected Area Arbitration (Mauritius v. United Kingdom) [ci-après
l’«Arbitrage relatif à l’aire marine protégée des Chagos»], C.P.A. affaire n° 2011-03 (Cour permanente d’arbitrage,
2015), réplique du Royaume-Uni, par. 6.26 [disponible uniquement en anglais]. Dans le même ordre d’idées, la
déclaration du Royaume-Uni reconnaissant obligatoire la juridiction de la Cour exclut tout différend avec le
gouvernement d’un autre pays qui est ou qui a été membre du Commonwealth (Déclarations d’acceptation de la
juridiction obligatoire : Royaume-Uni, disponible à l’adresse : http://www.icj-cij.org/fr/declarations/gb).
9 Arbitrage relatif à l’aire marine protégée des Chagos, voir plus haut la note de bas de page 8, mémoire de la
République de Maurice, par. 2.1, 6.36 («[d]ans la mesure où, comme l’avons démontré, l’excision de l’archipel Chagos
de Maurice était nulle, le Royaume-Uni ne saurait se fonder sur son acte illégal de démembrement de Maurice pour
fonder sa revendication du statut «d’Etat côtier» pour ce qui est de l’archipel»).
10 Ibid., notification d’arbitrage, par. 11.
11 Ibid., mémoire de Maurice, par. 6.2.
12 Ibid., mémoire de Maurice, par. 6.10.
13 Ibid., sentence arbitrale, par. 207 à 221 ; voir également ibid., par. 230.
14 Ibid., sentence arbitrale, par. 425
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2.14. Après cette tentative infructueuse d’arriver à ses fins au moyen d’un arbitrage rendu
dans le cadre de la CNUDM, Maurice a engagé une procédure consultative devant la présente
Cour. En juillet 2016, il a demandé qu’une nouvelle question soit inscrite à l’ordre du jour de
l’Assemblée générale, sous la rubrique «Promotion de la justice et du droit international», afin
d’obtenir un avis consultatif de la Cour15. Le procès-verbal des débats organisés par le Parlement
mauricien avant, pendant et après l’ajout du nouveau point à l’ordre du jour des travaux des
Nations Unies révèle clairement que le but recherché par Maurice en demandant un avis consultatif
est de faire avancer sa revendication de souveraineté16.
2.15. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les deux questions soumises à la Cour, à
l’initiative de Maurice, constituent un avatar de sa revendication antérieure de souveraineté.
2.16. Même si ces questions portent sur le processus politique de «décolonisation» et que le
mot «souveraineté» n’est pas employé, il est difficile, voire impossible, de les comprendre comme
soulevant une question autre que celle de savoir lequel de Royaume-Uni ou de Maurice détient la
souveraineté sur l’archipel des Chagos. La question a) mentionne «la séparation de l’archipel des
Chagos» de Maurice en 1965 et touche ainsi au coeur de la revendication mauricienne de
souveraineté. A supposer que des doutes subsistent en raison de la formulation retenue pour la
question a), ils sont rapidement dissipés à la lecture de la question b), laquelle se rapporte aux
effets juridiques «du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord». Il est difficile de discerner comment la Cour pourrait
examiner les effets juridiques sans avoir statué sur la souveraineté. En effet, la question b) fait
explicitement référence à un programme de l’île Maurice visant à réinstaller ses nationaux sur
l’archipel des Chagos, une prérogative réservée à l’Etat souverain.
2.17. Par conséquent, il est clair que les questions sont conçues pour aborder directement des
sujets au coeur du différend territorial bilatéral sur la souveraineté.
(«L’indépendance de Maurice en 1968 … a eu pour effet de porter l’accord global conclu avec les
ministres mauriciens au niveau international et de transformer les engagements pris en 1965 en un accord
international. En échange du détachement de l’archipel des Chagos, le Royaume-Uni a souscrit une série
d’engagements concernant ses futures relations avec Maurice. Une fois Maurice devenue indépendante et
l’archipel des Chagos maintenu sous la souveraineté du Royaume-Uni, les Parties ont pu être considérées
comme remplissant les conditions requises pour donner effet à l’accord de 1965 et, par leur conduite, ont
réaffirmé l’application de cet instrument dans leurs relations mutuelles.»).
15 Demande d’inscription d’une question à l’ordre du jour provisoire de la soixante et onzième session, demande
d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de
Maurice en 1965, lettre en date du 14 juillet 2016, adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de
Maurice auprès de l’Organisation des Nations Unies, doc. A/71/142 (14 juillet 2016) [dossier n° 1].
16 Voir, par exemple, Mauritian Parliamentary Debates of Feb. 26, 2015, 6th National Assembly (Debate n° 5,
1st Session), disponible en anglais à l’adresse : http://mauritiusassembly.govmu.org/English/hansard/Documents/2015/
hansard0515.pdf, p. 12 (interrogé pendant un débat parlementaire sur la question de savoir si le Gouvernement mauricien
envisageait de nouvelles initiatives aux Nations Unies, y compris devant l’Assemblée générale ou un autre organe, pour
faire aboutir sa revendication de souveraineté, le premier ministre avait déclaré : «Certainement, nous y travaillons. Nous
réfléchissons à la position que nous devrions adopter et nous voulons que la question de la souveraineté soit résolue une
fois pour toutes») ; Mauritian Parliamentary Debates of May 17, 2016, 6th National Assembly (Debate no 7, 1st Session),
disponible en anglais à l’adresse : http://mauritiusassembly.govmu.org/English/hansard/Documents/2016/
hansard0716.pdf, p. 12 et 13, 15 et 16, 18 (à propos des préparatifs et de l’objet de la demande d’avis consultatif de cette
Cour) ; Mauritian Parliamentary Debates of Nov. 29, 2016, 6th National Assembly (Debate no 34, 1st Session), disponible
en anglais à l’adresse : http://mauritiusassembly.govmu.org/English/hansard/Documents/2016/hansa…, p. 14 et
15 (s’agissant des discussions tenues entre des représentants de Maurice et du Royaume-Uni à la suite de l’ajout de ce
point à l’ordre du jour de l’Assemblée générale, le premier ministre mauricien avait déclaré : «J’ai dit très clairement que
nous voulons la souveraineté, nous voulons la restitution de notre territoire et les discussions porteront là-dessus et sur
rien d’autre.»).
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2.18. Le procès-verbal des débats de l’Assemblée générale sur la résolution relative à la
saisine de la Cour et les explications de vote révèlent notamment que les Etats Membres de
l’Organisation des Nations Unies considèrent généralement que l’objet de la demande est de tenter
de trouver une solution au différend bilatéral sur la souveraineté entre Maurice et le Royaume-Uni.
Les déclarations de la plupart des orateurs qu’ils aient voté pour ou contre ou bien qu’ils se
soient abstenus montrent qu’il en est bien ainsi.
2.19. Par exemple, en présentant le projet de résolution qui devait déboucher sur la demande
d’avis consultatif, le représentant du groupe des Etats d’Afrique17 a brossé un tableau clair du
différend bilatéral sur la souveraineté, en expliquant comme suit le processus ayant conduit
l’Assemblée générale à examiner la question :
le point intitulé «Demande d’un avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les
effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965» a été ajouté à
l’ordre du jour de l’Assemblée générale en 2016, à la demande de Maurice ;
l’initiative de Maurice visait à «compléter sa décolonisation et [à] exercer effectivement sa
souveraineté sur l’archipel des Chagos» ;
le Royaume-Uni avait demandé un délai pour examiner ce point de l’ordre du jour ;
grâce à l’intervention du président de l’Assemblée générale, un accord avait pu être trouvé
entre Maurice et le Royaume-Uni en vue de reporter l’examen de ce point à juin 2017, de
manière à laisser le temps aux deux Etats de parvenir à une solution ; et
l’absence de «progrès entre les parties» avait conduit l’Assemblée générale à examiner ce point
de l’ordre du jour18.
2.20. Dans son allocution favorable à l’adoption de la résolution, le représentant des nonalignés
a déclaré que les chefs d’Etat et de gouvernement de son mouvement :
«[savaient] que le Gouvernement de la République de Maurice [était] résolu à prendre
toutes les mesures nécessaires pour affirmer l’intégrité territoriale de la République de
Maurice et sa souveraineté sur l’archipel des Chagos en vertu du droit international,
[et que] les chefs d’Etat et de gouvernement [avaient] décidé d’appuyer ces mesures,
en particulier celles que pourrait prendre à cet égard l’Assemblée générale»19.
2.21. Les Etats qui ont voté contre la résolution relative à la saisine de la Cour, ou qui se sont
abstenus, ont également considéré que la demande d’avis consultatif avait trait au différend
bilatéral sur la souveraineté ; ils ont évoqué le principe fondamental du droit international selon
17 Quatre Etats africains n’ont pas pris part au vote.
18 A/71/PV.88, voir plus haut la note de bas de page 1, p. 5 (les italiques sont de nous).
19 Ibid., p. 9. Seuls 94 Etats ayant voté en faveur de la saisine de la Cour s’agissant du différend relatif à la
souveraineté, on peut conclure qu’une partie des membres du mouvement des non-alignés (qui regroupe environ
125 pays) n’a pas voté pour l’adoption de la résolution. Ibid., p. 17 et 18.
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lequel un Etat ne peut être contraint de soumettre ses différends à un règlement judiciaire20, ou ont
instamment prié les parties de résoudre le problème dans un cadre bilatéral21.
2.22. La réticence de nombreux Etats à ce que la Cour soit saisie de ce différend territorial
bilatéral dans le cadre d’une procédure consultative, en particulier lorsque l’une des parties au
différend s’y oppose, se reflète dans le décompte des voix : 94 Etats se sont prononcés pour,
15 contre et 65 se sont abstenus22. Dix-neuf Etats n’ont pas pris part au vote. En d’autres termes, au
moment du vote, plus de la moitié des Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies
n’appuyaient pas la demande d’avis consultatif.
20 Voir A/71/PV.88, p. 17 (France : «Un litige de souveraineté entre Etats, comme c’est le cas en l’espèce,
devrait, au demeurant, se régler en respectant le principe de consentement des Etats à être jugés») ; ibid., p. 16 (Croatie :
«En ce qui concerne les différends bilatéraux entre Etats, nous pensons qu’il convient d’appliquer le droit international
comme il se doit et d’utiliser les instances appropriées pour les régler … C’est la raison pour laquelle que nous allons
voter contre le projet de résolution… et continuerons de soutenir la poursuite de pourparlers directs et de bonne foi entre
Maurice et le Royaume-Uni sur toutes les questions en suspens …») ; ibid., p. 18 (Allemagne : «A notre sens, le différend
entre Maurice et le Royaume-Uni est un différend à caractère bilatéral … Nous prenons note toutefois que l’une des
parties au différend a expressément refusé d’impliquer la Cour internationale de Justice dans cette question, ce qui est
conforme au Statut de la Cour.») ; Ibid., p. 19 (Suède : «Les différends bilatéraux relatifs à la souveraineté devraient être
traités conformément à l’article 36 du Statut de la Cour.») ; d., p. 20 (Canada : «[m]ais l’efficacité des travaux de la Cour
est tributaire du principe fondamental selon lequel le règlement des affaires contentieuses entre Etats par la Cour
internationale de Justice exige le consentement des deux parties. Nous sommes d’avis que demander le renvoi d’une
affaire contentieuse entre Etats par l’intermédiaire du pouvoir de l’Assemblée générale de solliciter des avis consultatifs
contourne ce principe fondamental …») ; ibid., p. 18 (Australie : «[i]l n’est pas approprié de demander à la Cour de
rendre un avis consultatif pour déterminer les droits et les intérêts d’Etats découlant d’un contexte spécifique»).
21 Ibid., p. 18 (Chine : «La Chine appelle les pays concernés à poursuivre leurs efforts de bonne foi et à continuer
de mener des consultations et des négociations bilatérales…») ; ibid., p. 19 (Mexique : «La solution à cette affaire doit en
fait être trouvée au niveau bilatéral.») ; (Indonésie : «Afin de veiller à ce qu’une issue heureuse puisse être trouvée via
des négociations … ma délégation s’est abstenue…») ; ibid., p. 21 (Myanmar : «Les négociations bilatérales en cours
sont le meilleur moyen d’éviter l’affrontement et d’apporter à Maurice et au Royaume-Uni une solution mutuellement
acceptée.»).
22 Ibid., p. 17 et 18.
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CHAPITRE III
EN L’ESPÈCE, DES RAISONS DÉCISIVES JUSTIFIERAIENT LE REFUS
DE LA COUR DE DONNER L’AVIS DEMANDÉ
3.1. Il est bien établi que la Cour est compétente, en vertu du paragraphe 1 de l’article 65 de
son Statut, pour rendre un avis consultatif à la demande de l’Assemblée générale «sur toute
question juridique»23.
3.2. La Cour, même lorsque sa compétence est établie, jouit du pouvoir discrétionnaire de
refuser de rendre un avis consultatif24. Elle a notamment reconnu que «[l]e pouvoir discrétionnaire
de répondre ou non à une demande d’avis consultatif vise à protéger l’intégrité de la fonction
judiciaire de la Cour»25. A cet égard, et en dépit de cette compétence consultative par ailleurs large, la
Cour et sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale (ci-après la «Cour permanente»),
ont reconnu les limites inhérentes à leur caractère judiciaire.26 La Cour a non seulement le pouvoir de
refuser de donner un avis, mais également «l’obligation de s’assurer, chaque fois qu’elle est saisie
d’une demande d’avis, de l’opportunité d’exercer sa fonction judiciaire»27.
3.3. Les Etats-Unis reconnaissent que la Cour, consciente de ses responsabilités en qualité
d’organe judiciaire principal des Nations Unies, admet elle-même qu’elle devrait refuser de donner
un avis consultatif seulement en présence de «raisons décisives»28. La Cour a indiqué que l’absence
de consentement d’un Etat intéressé pourrait s’analyser en une raison décisive de ce type si le fait
de répondre à une demande d’avis consultatif reviendrait à tourner le principe selon lequel un Etat
n’est pas tenu de permettre que ses différends soient soumis à un règlement judiciaire sans son
consentement29.
3.4. La présente affaire s’inscrit parfaitement dans les circonstances mêmes envisagées par la
Cour, de sorte qu’il est difficile de voir comment celle-ci pourrait exercer sa compétence
consultative sans tourner le principe fondamental du consentement au règlement judiciaire.
23 Voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé [ci-après
«Edification d’un mur»], avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136, par. 14. La Cour doit se pencher en premier lieu
sur le point de savoir si elle a compétence pour donner l’avis demandé et vérifier s’il est possible de répondre aux
questions mentionnées en se fondant sur le droit international.
24 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo [ci-après
«Kosovo»], avis consultatif, Recueil C.I.J. 2010 (II), p. 403, par. 29.
25 Ibid..
26 Statut de la Carélie orientale [ci-après «Carélie orientale»], avis consultatif, 1923, C.P.I.J., Série B n° 5, p. 29
(«La Cour, étant une Cour de Justice, ne peut pas se départir des règles essentielles qui dirigent son activité de tribunal,
même lorsqu’elle donne des avis consultatifs.») ; Interprétation des traités de paix, avis consultatif : C.I.J. Recueil 1950,
p. 71 («L’obligation de la Cour de répondre à une demande d’avis comporte toutefois certaines limites.») ; Sahara
occidental, avis consultatif ; C.1.J. Recueil 1975, p. 12, par. 23 («la Cour internationale de Justice, de même que la Cour
permanente de Justice internationale, a toujours suivi le principe selon lequel, en tant que corps judiciaire, elle doit rester
fidèle aux exigences de son caractère judiciaire, même lorsqu’elle rend des avis consultatifs.»).
27 Edification d’un mur, voir plus haut la note de bas de page 23, avis consultatif, par. 45 ; se référer aussi à
Kosovo, voir plus haut la note de bas de page 24, avis consultatif, par. 31.
28 Edification d’un mur, voir plus haut la note de bas de page 23, avis consultatif, par. 44.
29 Voir, par exemple, Sahara occidental, se reporter plus haut à la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 32
et 33 ; Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1989, p. 177, par. 37 et 38 ; Edification d’un mur, voir plus haut la note de bas de page 23,
avis consultatif, par. 47.
- 9 -
3.5. Le présent chapitre est divisé en trois sections. La section A explique que la Cour ne
jouit pas d’une compétence consultative pour statuer sur des différends entre Etats. La section B
analyse la jurisprudence de la Cour en vertu de laquelle la fonction consultative ne devrait pas
servir à trancher des différends entre Etats. La section C explique que la Cour devrait refuser de
répondre à la demande de l’Assemblée générale en l’espèce, puisque la résolution relative à sa
saisine appelle en fait au règlement d’un différend bilatéral sur la souveraineté entre Maurice et le
Royaume-Uni et que ce dernier n’a pas donné son consentement.
A. Le Statut de la Cour ne confère pas à celle-ci de compétence
consultative pour statuer sur des différends entre Etats
3.6. La compétence consultative de la Cour se limite à examiner «toute question juridique» à
la demande d’un organe ou d’une institution autorisé des Nations Unies30. Ce libellé reflète
l’intention délibérée des rédacteurs du Statut de la Cour d’opter pour une formulation de la
disposition établissant la compétence consultative plus étroite que ne l’était la disposition
équivalente du Statut de la Cour permanente de Justice internationale.
3.7. L’article 14 du Pacte de la Société des Nations autorisait la Cour permanente à donner
des avis consultatifs «sur tout différend ou tout point, dont la saisira le Conseil ou l’Assemblée»31.
Comme l’un des principaux commentateurs n’a pas manqué de le faire remarquer, cette
formulation envisageait deux types d’avis distincts : l’un concernant les «différends» et l’autre les
«questions»32.
3.8. Les rédacteurs des dispositions définissant la compétence consultative de la Cour
actuelle ont toutefois rapidement abandonné la formule «tout différend ou tout point» au profit
d’une formule plus restrictive, à savoir «toute question juridique»33.
3.9. Les mêmes rédacteurs ont également rejeté plusieurs propositions qui auraient étendu le
droit de demander un avis consultatif aux Etats agissant seuls ou de concert avec d’autres34. Le
30 Statut de la Cour internationale de Justice, paragraphe 1 de l’article 65.
31 Pacte de la Société des Nations, art. 14.
32 S. Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920–2005, 276 (4e édition, 2006) ; voir aussi
K. Oellers-Frahm, Chapter XIV The International Court of Justice : Article 96, in The Charter of the United Nations : a
commentary, 1897, p. 1978 (B. Simma et al., sous la dir. de, 3e édition, 2012) (expliquant que l’objet de l’article 14 du
Pacte de la Société des Nations «était de créer, dans le cadre de la Société des Nations, un moyen supplémentaire et
souple de règlement pacifique des différends, moins contraignant que les arrêts rendus dans les affaires litigieuses entre
Etats, mais se rapportant aussi en premier lieu à des controverses entre Etats.»).
33 Voir conférence des Nations Unies sur l’organisation internationale, rapport du rapporteur (Nasrat Al-Farsy,
Iraq) du Comité 1 de la Quatrième Commission chargée d’établir d’une part les textes appelés à former le chapitre X de
la Charte relatif à la Cour internationale de Justice et, d’autre part, un projet de statut de la Cour à annexer à la Charte,
13 U.N. Conf. on Int’l Org. 381 (1945), p. 385 à 386 (expliquant que le comité chargé de préparer le projet de chapitre X
de la Charte relatif à la Cour internationale de Justice, ainsi que le Statut d’icelle, avait proposé de conférer le pouvoir de
faire des demandes d’avis consultatif à la fois à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité : «Non seulement
l’Assemblée générale, mais aussi le Conseil de Sécurité pourront demander à la Cour de donner un avis consultatif sur les
questions juridiques») ; S. Rosenne, voir plus haut la note de bas de page 32, p. 63 («contrairement à ce qui était le cas
dans l’article 14 du Pacte de la Société des Nations, la compétence consultative [de la Cour internationale de Justice] fait
l’objet de dispositions séparées et distinctes de celles visant le règlement des différends…») ; Interprétation des traités de
paix, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif (opinion individuelle du juge Azevedo), par. 9,
«Aujourd’hui, aucune mention n’est faite des «différends». Dès le premier texte, on se réfère seulement à des «questions»
juridiques.»).
- 10 -
comité officieux interallié, un groupe d’experts chargés de faire des recommandations sur la
structure et les fonctions de la future Cour internationale de Justice, avait expliqué en ces termes la
raison pour laquelle il lui paraissait inopportun de permettre à un Etat individuel de demander un
avis consultatif :
«Etant donné que les décisions de la Cour font autorité, les requêtes ex parte
offriraient un moyen à l’Etat concerné d’imposer indirectement une espèce de
compétence obligatoire au reste du monde.»35
3.10. Les Etats ayant adhéré à la Charte des Nations Unies et au Statut de la Cour
internationale de Justice ont accepté en principe le pouvoir qu’a la Cour de rendre un avis
consultatif sur «toute question juridique» à la demande d’un organe ou d’une institution autorisé de
l’Organisation des Nations Unies. Mais ils l’ont fait en étant persuadés de l’existence d’une
démarcation claire entre la compétence consultative de la Cour, d’une part, et sa compétence
contentieuse, d’autre part.
3.11. Ces Etats s’attendaient en outre à ce que la Cour préserve et protège son caractère
judiciaire, notamment en appliquant les garanties judiciaires nécessaires, telles que le principe
fondamental du consentement au règlement judiciaire. Les Etats n’avaient pas l’intention
d’introduire par le biais de la compétence consultative de la Cour un substitut non contraignant à la
compétence contentieuse de la Cour fondée sur le consentement. Pour ce faire, il aurait fallu
soumettre les Etats à un règlement de leurs différends bilatéraux sans leur consentement et sans les
garanties procédurales habituelles correspondantes36.
B. Selon la jurisprudence de la Cour, la fonction consultative ne devrait pas
servir à trancher des différends entre Etats
3.12. Il est un principe fondamental selon lequel aucun Etat ne peut être obligé d’autoriser
que les différends auxquels il est partie soient soumis à un règlement judiciaire sans son accord
préalable37. Tant la Cour actuelle que sa devancière ont examiné l’application de ce principe dans
le contexte des avis consultatifs. Dans l’affaire relative à la Question de la Carélie orientale, la Cour
permanente de Justice internationale avait estimé ne pas pouvoir exercer sa compétence
consultative parce que la question posée «concern[ait] directement le point essentiel du conflit
entre la Finlande et la Russie» et que «[ré]pondre à la question équivaudrait en substance à trancher
34 S. Rosenne, voir plus haut la note de bas de page 32, p. 280, Report of the Informal Inter-Allied Committee on
the Future of the Permanent Court of International Justice (1945) [ci-après «Inter-Allied Committee Report»], réédité in
39 Am. J. Int’l L. Supp. (1945) 1, 22, par. 71. Le comité officieux interallié a également souligné plusieurs limitations
judiciaires importantes applicables à la Cour, notamment le fait que celle-ci devra refuser de laisser la procédure d’avis
consultatif devenir le moyen de rouvrir des questions déjà tranchées par les tribunaux judiciaires et aussi de se prononcer
sur des questions de droit interne lorsque celles-ci relèvent exclusivement de la compétence des tribunaux nationaux.
Ibid., par. 73.
35 Inter-Allied Committee Report, voir plus haut la note de bas de page 34, par. 71 (les italiques sont de nous).
36 Ces garanties procédurales incluent la capacité pour les Etats de soulever des exceptions préliminaires à la
compétence de la Cour ou à la recevabilité de la demande (article 79 du Règlement de la Cour) et d’être consultés par le
président de la Cour sur les questions de procédure (ibid., article 31). En outre, les Etats disposent généralement de
beaucoup plus de temps pour préparer et présenter des observations écrites et orales à la Cour dans le cadre d’une
procédure contentieuse.
37 Voir, par exemple, Or monétaire pris à Rome en 1943, Question préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 19
et 32 («Statuer sur la responsabilité internationale [d’un Etat] sans son consentement serait agir à l’encontre d’un principe
de droit international bien établi et incorporé dans le Statut, à savoir que la Cour ne peut exercer sa juridiction à l’égard
d’un Etat si ce n’est avec le consentement de ce dernier») ; Sahara occidental, voir plus haut note de bas de page 26, avis
consultatif, par. 33 («[l]e pouvoir discrétionnaire que la Cour tient de l’article 65, par. 1, du Statut fournirait des moyens
juridiques suffisants pour assurer le respect du principe fondamental du consentement à la juridiction.»).
- 11 -
un différend entre les parties»38. La Cour actuelle a confirmé à plusieurs reprises l’applicabilité du
principe aux procédures consultatives, notamment récemment dans son avis consultatif sur les
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé39.
3.13. C’est dans l’affaire relative à l’Interprétation des traités de paix conclus avec la
Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie (où la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie contestaient la
compétence consultative de la Cour en l’espèce), que la Cour s’est intéressée pour la première fois
au point essentiel de savoir si elle peut rendre un avis consultatif en l’absence du consentement des
Etats intéressés40. En l’occurrence, elle a confirmé le principe fondamental du consentement au
règlement judiciaire et souligné la validité persistante de l’expression de ce principe tel qu’énoncé
dans l’affaire relative à la Question de la Carélie orientale, tout en distinguant les faits de l’espèce :
«Dans l’opinion de la Cour, les circonstances de la présente espèce sont
profondément différentes de celles devant lesquelles la Cour permanente de Justice
internationale s’est trouvée dans l’affaire du statut de la Carélie orientale (avis n° 5),
affaire où la Cour permanente de Justice internationale a déclaré qu’il lui était
impossible d’exprimer un avis, estimant que la question qui lui avait été posée, d’une
part, concernait directement le point essentiel d’un différend actuellement né entre
deux Etats de sorte qu’y répondre équivaudrait en substance à trancher un différend
entre les parties…
Ainsi qu’il a été dit, la présente demande d’avis concerne uniquement
l’applicabilité à certains différends de la procédure de règlement instituée par les
traités de paix, et il est permis d’en conclure qu’elle ne touche assurément pas le fond
même de ces différends…
Il en résulte que la position juridique des parties à ces différends ne saurait à
aucun degré être compromise par les réponses que la Cour pourrait faire aux
questions qui lui sont posées.»41
3.14. Comme le juge Azevedo n’a pas manqué de le souligner dans son opinion individuelle,
«[l]a raison maîtresse qui avait permis d’annuler un des termes du Pacte le refus de
se servir de la fonction consultative pour trancher un véritable litige en l’absence de la
volonté des parties intéressées subsiste avec beaucoup de force, car c’est le seul
moyen d’éviter un détournement de cette fonction»42.
3.15. Vingt-cinq ans plus tard, dans son avis consultatif sur le Sahara occidental, la Cour a
de nouveau confirmé le principe fondamental du consentement au règlement judiciaire en tant que
38 Question de la Carélie orientale, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, p. 28 et 29. Même si
la Cour a fait remarquer depuis que l’affaire relative à la Question de la Carélie orientale présentait des caractéristiques
uniques du fait que la Russie n’était pas membre de la Société des Nations, cette distinction ne porte pas atteinte à
l’application continue du principe en tant que limite à la compétence consultative de la Cour.
39 Edification d’un mur, voir plus haut la note de haut de page 23, avis consultatif, par. 46 et 47. Se reporter
également à Sahara occidental, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 33 ; Interprétation des
traités de paix, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, p. 71 et 72.
40 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, voir plus haut la note de
bas de page 26, avis consultatif, p. 70.
41 Ibid., p. 72 (les italiques sont de nous).
42 Ibid., avis consultatif (opinion individuelle du juge Azevedo), par. 9.
- 12 -
limite à sa fonction consultative43. Citant son avis consultatif sur l’Interprétation des traités de paix
conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, elle a souligné que le défaut de
consentement, même s’il ne constitue pas un obstacle à sa compétence, «pourrait l’amener à ne pas
émettre d’avis si, dans les circonstances d’une espèce donnée, des considérations tenant à son
caractère judiciaire imposaient un refus de répondre»44. Et la Cour d’expliquer :
«Ainsi le défaut de consentement d’un Etat intéressé peut, dans certaines
circonstances, rendre le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec le caractère
judiciaire de la Cour. Tel serait le cas si les faits montraient qu’accepter de répondre
aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre
un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant. Si une telle situation
devait se produire, le pouvoir discrétionnaire que la Cour tient de l’article 65,
paragraphe 1, du Statut fournirait des moyens juridiques suffisants pour assurer le
respect du principe fondamental du consentement à la juridiction.»45
3.16. La Cour a réaffirmé cette position à plusieurs reprises, notamment pour la dernière fois
en juillet 2004 dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur
dans le territoire palestinien occupé46. Dans son raisonnement permettant de conclure que répondre
à la demande d’avis en l’espèce n’aurait pas pour effet de tourner le principe du consentement au
règlement judiciaire, elle a souligné que «l’avis [était] demandé à l’égard d’une question qui
intéresse tout particulièrement les Nations Unies, et qui s’inscrit dans un cadre bien plus large que
celui d’un différend bilatéral»47.
3.17. Il convient de remarquer, à l’instar du juge Owada, que répondre à une requête serait
incompatible avec la fonction judiciaire de la Cour dès lors qu’une telle démarche «revient … à
statuer sur l’objet même du différend bilatéral»48.
C. La Cour devrait refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale,
dans la mesure où celle-ci appelle au règlement d’un différend
territorial bilatéral entre Maurice et le Royaume-Uni
et où ce dernier n’a pas donné son consentement
3.18. Lorsqu’on applique sa jurisprudence aux circonstances de la présente demande, il
devient difficile de percevoir comment répondre aux questions posées serait compatible avec le
caractère judiciaire de la Cour.
3.19. Il ne fait aucun doute qu’un différend territorial bilatéral oppose Maurice au Royaume-
Uni concernant la souveraineté sur l’archipel des Chagos49 et que les questions mentionnées dans la
résolution malgré certaines précautions de pure forme visent directement le coeur dudit
différend.
43 Sahara occidental, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 32.
44 Ibid..
45 Ibid., par. 33.
46 Edification d’un mur, voir plus haut la note de bas de page 23, avis consultatif, par. 47 ; se référer aussi à
Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, voir plus
haut la note de bas de page 29, avis consultatif, par. 37 et 38.
47 Edification d’un mur, voir la note de haut de page 23, avis consultatif, par. 50.
48 Ibid. (opinion individuelle du juge Owada), par. 13.
49 Voir, plus haut, par. 2.13.
- 13 -
3.20. La demande ne concerne pas seulement ou indirectement le différend territorial
bilatéral entre Maurice et le Royaume-Uni sur le fond, mais aussi certains éléments centraux de
celui-ci. Si l’on considère l’historique du différend bilatéral tel qu’il est décrit plus haut au
chapitre II, il apparaît clairement que les questions posées reflètent une tentative de la part de
Maurice de présenter sa revendication de souveraineté déjà avancée dans d’autres enceintes
sous un nouvel habillage. En fait, les questions posées à la Cour «concern[ent] directement le point
essentiel d’un différend actuellement né entre» Maurice et le Royaume-Uni, «de sorte qu’y
répondre équivaudrait en substance à trancher un différend entre les parties»50.
3.21. De plus, comme l’a observé la Cour dans son avis consultatif sur le Sahara occidental,
l’«origine et la portée du différend … présentent de l’importance quand il s’agit d’apprécier, du
point de vue de l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire» les conséquences du défaut
de consentement d’un Etat51. Il convient de noter à cet égard que Maurice a fait valoir pour la
première fois sa revendication de souveraineté contre le Royaume-Uni en tant que différend entre
Etats plus de dix ans après son accession à l’indépendance52.
3.22. Contrairement aux demandes présentées dans les affaires relatives au Sahara
occidental et aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
occupé, le différend entre Maurice et le Royaume-Uni n’a pas surgi lors des débats de l’Assemblée
générale et n’a aucun lien avec les problèmes traités par cette dernière53. L’Assemblée générale
avait examiné et adopté une résolution relative à l’archipel des Chagos avant l’accession de
Maurice à l’indépendance54. Cependant, lorsque la demande d’adhésion de Maurice à
l’Organisation des Nations Unies fut présentée au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale des
Nations Unies pour examen en 1968, il n’y eut aucun débat, aucune mention de l’étendue
territoriale de l’Etat nouvellement indépendant de Maurice, ni même aucune suggestion relative au
caractère «incomplet» de la décolonisation de Maurice55.
3.23. Maurice a commencé à poursuivre sa revendication de souveraineté bilatéralement en
198056, soit 12 ans après son indépendance, et l’a portée depuis devant divers organes des
Nations Unies57. A la connaissance des Etats-Unis, cependant, aucun organe de l’Organisation des
Nations Unies après l’accession de ce pays à l’indépendance en 1968 n’a jamais considéré
50 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, voir plus haut la note de
bas de page 26, avis consultatif, p. 72.
51 Sahara occidental, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 42.
52 Voir plus haut, par. 2.5.
53 Sahara occidental, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 34 ; Edification d’un mur, voir
plus haut la note de bas de page 23, avis consultatif, par. 47.
54 Voir la résolution 2066 (XX) de l’Assemblée générale, question de l’île Maurice, Nations Unies,
doc. A/RES/2066 (XX) (16 décembre 1965) [dossier n° 146]. Cette résolution est analysée plus bas aux paragraphes 4.54
à 4.57.
55 Nations Unies, doc. S/PV.1414 (18 avril 1968) [dossier n° 261] ; Nations Unies, doc. A/PV.1643 (24 avril
1968) [dossier n° 264].
56 Chagos Marine Arbitration, voir plus haut la note de bas de page 8, sentence arbitrale, par. 209.
57 Voir, par exemple, débat général, lettre en date du 5 décembre 1983, adressée au président de l’Assemblée
générale par le représentant permanent de Maurice auprès de l’Organisation des Nations Unies (A/38/711 du 8 décembre
1983) [dossier n° 280] ; prévention de la discrimination, lettre adressée le 14 août 2001 au président de la
Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme par la Mission permanente du Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord auprès de l’Office des Nations Unies à Genève (E/CN.4/Sub.2/2001/38 du
15 août 2001) [dossier n° 352] ; Examen périodique universel, lettre adressée le 16 avril 2008 au président du Conseil des
droits de l’homme par l’ambassadeur et représentant permanent de Maurice, (A/HRC/8/G/3 du 30 avril 2008) [dossier
n° 336].
- 14 -
que Maurice ou sa revendication de l’archipel des Chagos relevaient du programme de
décolonisation des Nations Unies. Ceci jusqu’à ce que la demande d’avis consultatif soit inscrite à
l’ordre du jour de l’Assemblée générale le 16 septembre 201658.
3.24. Le fait que l’Assemblée générale des Nations Unies ne se soit pas intéressée à cette
question pendant des décennies après l’accession de Maurice à l’indépendance et qu’un nouveau
point à l’ordre du jour de cet organe ait dû être créé en 2016 afin de pouvoir examiner cette
demande de saisine permet de douter qu’une réaction de sa part était «nécessaire dans le cadre de
[ses] activités»59.
3.25. Il est parfaitement clair que Maurice a sollicité un avis consultatif pour faire valoir sa
revendication de souveraineté à l’encontre du Royaume-Uni après avoir tenté sans succès d’obtenir
gain de cause devant d’autres instances60. Les opinions exprimées par nombre d’Etats Membres
pendant le débat de l’Assemblée générale consacré à la demande d’avis consultatif abondent dans
ce sens61.
3.26. Le caractère central du différend bilatéral pour la demande d’avis consultatif est
également apparu clairement dans la décision de l’Assemblée générale d’inscrire la demande à son
ordre du jour, étant entendu que l’examen de la demande serait reporté à l’année suivante afin que
les parties au différend puissent poursuivre leurs efforts en vue de régler celui-ci au niveau
bilatéral62.
3.27. Les Etats-Unis comprennent que la Cour, pour décider s’il est pertinent de rendre un
avis consultatif, n’est pas disposée à tenir compte de la motivation des Etats cherchant à obtenir de
l’Assemblée générale qu’elle formule une demande de saisine. Cette pratique découle du fait
qu’une demande est formulée par l’Assemblée générale en tant qu’entité et non par des Etats
individuels. Toutefois, il peut s’avérer important, pour déterminer si les questions posées sont au
coeur d’un différend bilatéral, d’examiner l’objet de la demande d’avis consultatif présentée par
l’Assemblée générale. En l’espèce, il est essentiel de reconnaître que la demande a été largement
comprise non seulement par les Etats, mais aussi par l’organe demandeur, ainsi qu’en
58 Voir Nations Unies, doc. A/71/PV.2 (16 septembre 2016) [dossier n° 3], p. 6.
59 Edification d’un mur, voir la note de haut de page 23, avis consultatif, par. 60 («Comme il ressort de la
jurisprudence de la Cour, les avis consultatifs servent à fournir aux organes qui les sollicitent les éléments de caractère
juridique qui leur sont nécessaires dans le cadre de leurs activités.»). Même si la Cour n’a jamais estimé qu’un organe
demandeur n’avait pas un intérêt suffisant dans l’affaire pour mériter une réponse, plusieurs juges ont estimé, sur la base
du dossier, que tel était le cas dans l’affaire Kosovo (voir la note de bas de page 24) ; lire notamment l’opinion
individuelle du juge Bennouna, par. 19 et 20 (D’ailleurs «il n’y a pas eu de véritable débat sur la question du statut du
Kosovo» quand l’Assemblée générale lors de l’adoption de la résolution demandant un avis consultatif, et déclaré que
«[On] peut se demander, dès lors, si la demande d’avis … est compatible avec les fonctions de la Cour en tant qu’organe
judiciaire, telles qu’elles ont été définies par la Charte des Nations Unies et par le Statut de cette juridiction») ; ibid..
(déclaration du juge Tomka), par. 2 et 5 (selon lequel la Cour aurait dû refuser de répondre à la demande de l’Assemblée
générale dans la mesure notamment où celle-ci n’avait pas suffisamment intérêt à recevoir un avis consultatif et relevant à
ce propos qu’un nouveau point avait dû être inscrit à cette fin à l’ordre du jour de cet organe).
60 Voir plus haut, par. 2.10 à 2.17.
61 Voir plus haut, par. 2.18 à 2.22.
62 A/71/PV.88, voir plus haut la note de bas de page 1, p. 5 (Congo : «La question a été inscrite par consensus par
l’Assemblée générale à son ordre du jour à la suite d’un accord entre Maurice et le Royaume-Uni, facilité par le président
de l’Assemblée générale, tendant à ce que, à la demande du Royaume-Uni, l’examen de la question soit reporté jusqu’en
juin 2017 afin de permettre à la délégation concernée de parvenir à une solution en ce qui concerne l’achèvement de la
décolonisation de Maurice.»).
- 15 -
témoignent ses propres actions comme un effort visant à solliciter l’aide de la Cour pour régler
un différend territorial bilatéral pendant.
3.28. Cette enquête est particulièrement opportune lorsque, comme nous le verrons au
chapitre IV ci-dessous, les questions posées ne sont pas formulées de façon adéquate et qu’il
convient de préciser les questions juridiques réellement en jeu63. Comprendre l’objet de la demande
de l’Assemblée générale aiderait à éclairer cette détermination et, partant, à discerner le type d’avis
sollicité. Les déclarations faites par les membres de l’Assemblée générale dans le cadre de
l’adoption de la résolution relative à la saisine de la Cour, ainsi que les mesures prises par l’organe
demandeur lui-même, constituent une aide importante à cet effet.
3.29. Dans l’exercice de la compétence consultative de la Cour en l’espèce, un examen plus
attentif s’impose parce que le différend porte sur la souveraineté territoriale. En effet, la Cour a
souligné l’importance de cet examen dans son avis consultatif sur le Sahara occidental, lorsque, à
propos de l’absence de consentement de l’Espagne, elle a déclaré «[l]e problème qui se pose entre
le Maroc et l’Espagne au sujet du Sahara occidental ne concerne pas le statut juridique du territoire
à l’heure actuelle …», et noté que les questions posées dans la requête «ne se rattachent pourtant
pas à un conflit territorial … entre les Etats intéressés»64. En l’espèce, avant de faire droit à la
demande de l’Assemblée générale, la Cour a tenu à vérifier que «la requête pour avis consultatif
n’appelle pas de sa part un prononcé sur des droits territoriaux existants ni sur la souveraineté sur
un territoire»65.
3.30. En revanche, les questions posées en l’espèce invitant à examiner aujourd’hui la
validité de l’exercice de la souveraineté du Royaume-Uni sur l’archipel des Chagos, il serait
difficile d’obtenir une réponse qui ne reviendrait pas à statuer sur l’objet même du différend
concernant la souveraineté territoriale entre Maurice et le Royaume-Uni66.
3.31. Permettre que le processus d’avis consultatif soit utilisé pour régler des différends
territoriaux cinquante ans après l’établissement des limites, comme c’est le cas ici – pourrait
ouvrir la porte au règlement d’un certain nombre de ces différends sans le consentement des parties
intéressées. Cette tentative de contourner l’absence de compétence contentieuse de la Cour sur une
question bilatérale crée un précédent potentiellement dangereux et pourrait conduire à la
banalisation du règlement des différends bilatéraux par le biais de demandes d’avis consultatifs de
l’Assemblée générale, quand bien même les Etats directement intéressés n’auraient pas consenti à
un règlement judiciaire par la Cour.
3.32. En résumé, les Etats-Unis estiment que le différend soumis à la Cour par l’Assemblée
générale, tel qu’il ressort des deux questions, n’est pas un sujet approprié pour un avis consultatif.
La demande de l’Assemblée générale invite la Cour à statuer sur un différend territorial bilatéral
sous la forme d’une demande d’avis consultatif. La fonction consultative de la Cour n’a pas pour
but d’offrir une porte dérobée aux Etats qu’ils agissent seuls ou avec l’appui d’autres Etats
pour porter des différends litigieux devant la Cour. Il est difficile de voir comment une réponse à
cette demande pourrait éviter de tourner le principe fondamental du consentement au règlement
judiciaire. Conformément à la jurisprudence de la Cour et pour protéger l’intégrité de sa fonction
judiciaire, les Etats-Unis demandent à la Cour de ne pas exercer sa compétence sur cette question.
63 Voir plus bas, par. 4.8 à 4.17.
64 Sahara occidental, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 42 et 43.
65 Ibid., par. 43.
- 16 -
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS RELATIVES AUX QUESTIONS POSÉES À LA COUR
4.1. Pour les raisons évoquées au chapitre III, la Cour devrait s’abstenir de connaître de ce
différend bilatéral entre Maurice et le Royaume-Uni. Le présent chapitre recense certains des points
que la Cour serait tenue d’examiner si elle envisageait de répondre aux questions posées.
4.2. La section A explique pourquoi les questions telles qu’elles sont formulées ne
correspondent pas à des investigations que la Cour pourrait valablement mener. Par exemple, la
question a) préjuge certaines réponses. Par conséquent, au minimum, la Cour serait d’abord tenue
de préciser les sujets qu’elle devrait ou ne devrait pas aborder.
4.3. La section B fournit ensuite un contexte pertinent pour interpréter les questions, d’abord
en examinant brièvement la politique de décolonisation de l’Assemblée générale dans les
années 1960, puis en expliquant que cette politique est distincte de la question de savoir si une
obligation juridique spécifique s’opposait à la création du Territoire britannique de l’océan indien
en 1965.
4.4. La section C examine les principes pertinents pour déterminer le droit matériel
applicable à la question a). Il convient de noter que la Cour devrait examiner le droit tel qu’il était
au moment des événements pertinents, il y a plus de 50 ans.
4.5. La section D explique pourquoi, à l’époque, aucune obligation légale ne pouvait être
opposée à la création du Territoire britannique de l’océan Indien. Même si la résolution 1514 (XV)
a été interprétée comme ayant trait à l’ajustement des frontières coloniales, ni cet instrument ni les
autres résolutions citées dans la question a) n’ont été corroborés par une pratique fréquente et
pratiquement uniforme des Etats découlant d’une obligation juridique (opinio juris).
4.6. Avant d’aborder ces sections, les Etats-Unis aimeraient formuler quelques remarques
liminaires. La question a) semble inviter la Cour à tirer des conclusions sur un large éventail de
points liés au différend bilatéral entre Maurice et le Royaume-Uni. Il s’agit notamment : du rôle du
consentement des représentants élus de Maurice ; de la confirmation par Maurice, après son
accession à l’indépendance, de l’accord de 1965 reflétant ledit consentement ; et de l’applicabilité
de la doctrine de l’uti possidetis dans ces circonstances67. Les Etats-Unis ne comptent pas examiner
ces points dans le présent exposé68.
66 Voir ibid. ; Edification d’un mur, voir plus haut la note de bas de page 23, avis consultatif (opinion individuelle
du juge Owada), par. 13.
67 Affaire du différend frontalier, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 554, par. 23 (le principe de l’uti possidetis vise à
assurer le respect des limites territoriales «au moment de l’accession à l’indépendance» même lorsque ces limites ne sont
que des «délimitations entre divisions administratives… relevant toutes de la même souveraineté»). Voir aussi, par
exemple, acte constitutif de l’Union africaine, 11 juillet 2000, 2158 U.N.T.S. 33, art. 4 b) («L’Union africaine fonctionne
conformément aux principes suivants : … Respect des frontières existant au moment de l’accession à
l’indépendance…»).
68 Néanmoins, les Etats-Unis pensent que la Cour ne saurait être en mesure de résoudre ces questions en
parvenant à la conclusion que la décolonisation de Maurice n’a pas été validement menée à bien en 1968.
- 17 -
4.7. Si, toutefois, comme les Etats-Unis le démontrent plus loin, le droit international
n’interdisait pas la création du Territoire britannique de l’océan Indien, la réponse à la question a)
serait que le processus de décolonisation de Maurice a été légalement achevé en 1968. Une telle
réponse éviterait de devoir répondre à la question b).
A. Les questions posées dans la résolution relative à la saisine devraient
être clarifiées afin que la Cour puisse les trancher
4.8. Il est bien établi que la Cour est libre de déterminer si les questions dont elle est saisie
n’ont pas été formulées de manière adéquate ou si la demande d’avis consultatif ne reflète pas «les
points de droit ... véritablement ... en jeu»69. De ce point de vue, les deux questions posées à la Cour
mériteraient des clarifications. Comme expliqué au chapitre II70, bien que présentées comme des
questions relevant du droit international et de la décolonisation, elles reprennent en réalité sous
un autre habillage la revendication territoriale bilatérale de Maurice sur l’archipel des Chagos.
4.9. Pour aborder la question a), il serait nécessaire dans un premier temps d’identifier les
points de droit véritablement en jeu. Rappelons que la question se lit comme suit :
«a) Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice
a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des
Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des
obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du
14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre
1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre1967 ?»
4.10. Premièrement, nul ne saurait contester que la décolonisation de Maurice a pris fin le
jour de son accession à l’indépendance le 12 mars 1968. Maurice a été admise aux Nations Unies le
24 avril 196871. Depuis cette date, elle n’apparaît plus sur la liste des territoires surveillés par le
comité spécial des Nations Unies sur la décolonisation72.
4.11. D’autre part, la question, à première vue, sollicite un avis sur la licéité du «processus
de décolonisation». La décolonisation est un processus politique qui met fin à une relation
coloniale entre un Etat et un territoire. Pour savoir si ledit processus a été «validement» mené à
bien en ce qui concerne Maurice, la Cour devrait déterminer si, à l’époque, des obligations
juridiques internationales réglementant la question pesaient sur le Royaume-Uni.
69 Kosovo, voir plus haut la note de bas de page 24, avis consultatif, par. 50 (citant Interprétation de l’accord du
25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 89, par. 35).
70 Voir plus haut les par. 2.15 à 2.22.
71 Résolution de l’Assemblée générale 2371 (XXII), admission de Maurice en tant qu’Etat Membre de
l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. A/RES/2371 (XXII) (24 avril 1968) [dossier n° 263]. Voir aussi le
rapport de 1969 du comité spécial chargé de suivre l’application de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays
et aux peuples colonisés («Comité des 24»), Nations Unies, doc. A/7623.Rev.1 (1969) [ci-après «le rapport de 1969 du
comité spécial sur la décolonisation»], par. 146 (dans lequel le comité spécial note que Maurice a accédé à
l’indépendance l’année précédente et ne figure donc plus dans son rapport).
72 Voir, par exemple, le rapport de 1969 du comité spécial sur la décolonisation, note de bas de page 71 ; The
Situation with Regard to the Implementation of the Declaration on the Granting of Independence to Colonial Countries
and Peoples, United Nations Yearbook 1969, p. 627 et 628 [ci-après U.N. Yearbook 1969] (rapport dans lequel Maurice
ne figure pas parmi les territoires étudiés par le comité spécial sur la décolonisation).
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4.12. Dans le cadre de cette vérification, la Cour devrait distinguer les efforts déployés par
l’Assemblée générale au cours des années 1960 pour promouvoir les objectifs politiques de la
décolonisation, d’une part, de l’existence d’obligations juridiques spécifiques pesant sur les Etats
administrants, d’autre part. Comme souvent, les efforts politiques ont précédé les réalités
juridiques73.
4.13. Troisièmement, la question semble suggérer que la date juridiquement pertinente est
1968, date à laquelle Maurice est devenue indépendante, alors que le titre de la résolution relative à
la saisine de la Cour mentionne «la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965»74. De
plus, la question a) demande si le processus de décolonisation de Maurice a été «validement mené
à bien … à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos [de Maurice] …»75 survenue en 1965.
Les Etats-Unis analysent donc la question comme invitant à s’interroger sur le fait de savoir si
l’établissement du Territoire britannique de l’océan Indien par le Royaume-Uni en 1965 était
interdit par le droit international.
4.14. Quatrièmement, la question a), telle qu’elle est formulée, cherche indûment à préjuger
de la réponse juridique76. Ceci, parce qu’elle suggère que les résolutions de l’Assemblée générale
citées tiennent compte d’obligations juridiques internationales liant le Royaume-Uni et qui auraient
contrarié l’établissement du Territoire britannique de l’océan Indien. Pourtant, comme l’a expliqué
la Cour dans son avis consultatif sur la Conformité au droit international de la déclaration
unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, lorsqu’une affaire est susceptible d’influer sur la
réponse à la question posée, «[I]l serait incompatible avec le bon exercice de sa fonction judiciaire
que la Cour considère ce point comme ayant été tranché par l’Assemblée générale».77
4.15. Compte tenu de ces considérations, les «points de droit véritablement en jeu»78 dans la
question a) visent directement le coeur du différend bilatéral pendant. Plus précisément, Maurice a
fait valoir récemment que la séparation en 1965 de l’archipel des Chagos en tant que sousdépendance
de la colonie de Maurice était illégale en ce qu’elle violait le droit à
l’autodétermination du peuple mauricien. Maurice a affirmé que le Royaume-Uni était
juridiquement tenu de respecter ce droit en 1965 et qu’il lui était interdit de créer le Territoire
britannique de l’océan Indien en l’absence de consentement exprimé librement par le peuple
mauricien. Maurice a également soutenu que le peuple n’avait pas exprimé librement ses souhaits
avant que le Royaume-Uni n’établisse le Territoire britannique de l’océan Indien en 1965 et que
l’archipel des Chagos fait donc partie du territoire mauricien79.
73 Voir ci-dessous les paragraphes 4.18 à 4.22.
74 Résolution de l’Assemblée générale 71/292, demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur
les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, Nations Unies, doc. A/RES/71/292
(22 juin 2017) [dossier n° 7] (les italiques sont de nous).
75 Ibid., question a) (les italiques sont de nous).
76 La question b) semble, elle aussi, préjuger de la réponse à la question a) en supposant l’existence de
«conséquences» en droit international du «maintien» de l’administration du Royaume-Uni du Territoire britannique de
l’océan Indien. Ibid., question b). Voir aussi plus haut, par. 2.16.
77 Kosovo, voir plus haut la note de bas de page 24, avis consultatif, par. 52.
78 Ibid., par. 50.
79 Voir plus haut, par. 2.11 et 2.12. Se référer aussi, par exemple, à Chagos Marine Arbitration, voir plus haut la
note de bas de page 8, Memorial of Mauritius, par. 6.10, 6.34 et 6.35 ; ibid., Hearing on Jurisdiction and the Merits,
24 avril 2014, p. 242 à 249 ; ibid., 5 mai 2014, p. 970.
- 19 -
4.16. A supposer que la Cour réponde aux questions posées malgré le caractère bilatéral du
différend, elle devrait prendre conscience que les arguments de Maurice ne représentent pas
fidèlement l’état du droit international au moment considéré, comme il est expliqué ci-après. Même
si la Cour estimait devoir prolonger la période pertinente jusqu’en 1968, l’analyse et la réponse
seraient les mêmes, comme il est indiqué aux sections C et D, parce qu’aucune règle de droit
pertinente ne s’était encore cristallisée entre 1965 et 1968.
4.17. Ainsi, la réponse appropriée à la question a) peut être formulée comme suit : le
processus de décolonisation de Maurice a été valablement achevé en 1968, après l’établissement du
Territoire britannique de l’océan Indien. Répondre par l’affirmative à la question a) éviterait de
devoir répondre à la question b), qui porte sur les conséquences juridiques.
B. La politique de décolonisation de l’Assemblée générale est distincte
de l’existence ou de l’absence d’une obligation juridique
spécifique au moment considéré
4.18. Au cours des années 1950 et 1960, l’Assemblée générale a activement encouragé la
décolonisation et l’Organisation des Nations Unies a accueilli bon nombre de nouveaux Etats
Membres. Pendant plusieurs décennies, l’Organisation des Nations Unies, les Etats administrants et
les peuples des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle ont élaboré différentes
solutions adaptées à la situation particulière de chaque territoire.
4.19. Ce dialogue international capital était centré sur la question de savoir comment
interpréter les mentions faites dans la Charte au principe d’autodétermination80 dans le contexte de
la décolonisation.
4.20. Les Etats-Unis ont participé activement à ce dialogue et considèrent l’avancement de la
décolonisation comme l’une des grandes réussites du XXe siècle. En fait, les Etats-Unis défendent
depuis longtemps l’autodétermination comme principe directeur des relations internationales. Il y a
100 ans, le président Woodrow Wilson articulait les principes de l’autodétermination en
14 points81. S’adressant à l’Assemblée générale en 1961, le président John F. Kennedy s’était
engagé à témoigner «la sympathie et le soutien du peuple des Etats-Unis» à «la marée
ininterrompue d’autodéterminations» et à participer activement «à la transition rapide et pacifique
des Nations du statut de colonie à celui de partenaires égaux».82 Au fur et à mesure qu’une pléthore
80 Charte des Nations Unies, articles 1 2) et 55.
81 Woodrow Wilson, président des Etats-Unis, «Address to Joint Session of the Two Houses of Congress» (Jan. 8,
1918), in Rights and Duties of States, Digest of int’l law (Whiteman), «Self-Determination», p. 38, 42 et 43 (1965)
(exposant les 14 points).
82 John F. Kennedy, discours prononcé par le président des Etats-Unis à New York devant l’Assemblée générale
des Nations Unies (25 septembre 1961) [traduction non officielle], disponible en anglais à l’adresse :
http://www.presidency.ucsb.edu/ws/?pid=8352. Voir, notamment, le procès-verbal de la 1061e séance de l’Assemblée
générale, Nations Unies, doc. A/PV.1061 (22 novembre 1961) [dossier n° 114] où le représentant des Etats-Unis évoque
le soutien politique apporté à l’autodétermination par son pays «en sa qualité de première nation des temps modernes à
passer de la domination coloniale à l’indépendance»).
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d’Etats nouvellement décolonisés rejoignait les rangs des Nations Unies, les Etats-Unis les
accueillaient systématiquement comme des partenaires souverains et à part entière83.
4.21. Dans son avis consultatif sur le Sahara occidental en 1975, la Cour a noté les efforts
déployés depuis 1960 pour établir une série de «principes de base qui régissent la politique de
décolonisation de l’Assemblée générale»84. Aujourd’hui, la plupart des Etats, y compris les Etats-
Unis, reconnaissent incontestablement que les peuples des territoires non autonomes jouissent d’un
droit international légal à l’autodétermination, lequel inclut l’indépendance comme l’une des
options possibles en matière de statut politique85.
4.22. La Cour n’est toutefois pas invitée à se prononcer sur la politique historique de
l’Assemblée générale ou sur l’état actuel du droit. Au contraire, pour répondre à la question a), la
Cour devrait plutôt examiner si un nouveau droit et une obligation correspondante s’étaient
cristallisés en vertu du droit international en 1965, ce qui aurait interdit l’établissement du
Territoire britannique de l’océan Indien par le Royaume-Uni. Comme nous le verrons plus loin, la
genèse des faits ne corrobore pas une telle conclusion, malgré un appui généralisé à la politique de
décolonisation.
C. Pour répondre aux questions posées, la Cour devrait déterminer
si une nouvelle règle de droit international était
apparue au moment considéré
4.23. Pour pouvoir examiner la question a), la Cour devrait se référer au droit tel qu’il
existait au moment considéré. Comme elle l’a expliqué, «pour dégager le sens d’une notion
juridique dans un contexte historique, il faut tenir compte de la manière dont cette notion était
comprise à l’origine dans le contexte»86. Dans ses efforts visant à déterminer si une notion juridique
spécifique était interprétée comme englobant une obligation légale contraignante, la Cour devrait
examiner la pratique de l’Etat concerné à l’époque87, sans s’attacher à la manière dont une notion
juridique a pu éventuellement évoluer plus tard88.
83 Voir, par exemple, Nations Unies, doc. A/PV.937 (6 décembre 1960), par. 12 (Etats-Unis : «Lorsqu’une
ancienne colonie .devient une nation nouvelle, nous nous rappelons instinctivement nos origines et notre réaction est celle
d’une joie sincère.») ; voir également Jewel Lafontant, U.S. Representative, déclaration devant la Troisième Commission
de l’Assemblée générale des Nations Unies (23 novembre 1972), in 67 Dep’t of State Bulletin 740 (1972), p. 740
(analogue).
84 Sahara occidental, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 60. Se référer aussi à Kosovo,
voir plus haut la note de bas de page 24, avis consultatif, par. 79 ; Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt de la CIJ.
Recueil 1995, p. 90, par. 29 ; Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) [ci-après «Namibie»], C.I.J. Recueil 1971, p. 16,
par. 52.
85 Voir, par exemple, l’exposé écrit du Japon dans l’affaire Conformité au droit international de la déclaration
unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, p. 4 (17 avril 2009) et l’exposé écrit de la Fédération de Russie dans la
même affaire, par. 80 et 81 (16 avril 2009). Hors du contexte colonial, cependant, les Etats nourrissent des «réponses
radicalement différentes» sur l’autodétermination comme la Cour l’a reconnu dans son avis consultatif sur le Kosovo et
comme en témoignent les exposés écrits des Etats dans cette procédure (Kosovo, voir la note de bas de page 24, avis
consultatif, par. 82).
86 Sud-Ouest africain, deuxième phase, arrêt, Recueil C.I.J. 1966, p. 6, par. 16. Sahara occidental, voir plus haut
la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 79.
87 Sahara occidental, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 80.
88 Sud-Ouest africain, voir plus haut la note de bas de page 86, deuxième phase, arrêt, par. 16.
- 21 -
4.24. Ainsi, la Cour devrait vérifier l’état du droit international en 1965 au moment de la
création du Territoire britannique de l’océan Indien en s’attachant aux deux sources pertinentes, à
savoir : 1) le droit des traités ou 2) le droit international coutumier89.
4.25. Comme indiqué plus haut90, Maurice a fait valoir ailleurs qu’un droit pertinent et
spécifique à l’autodétermination avait fait son apparition dans le droit international, lequel aurait dû
empêcher les mesures prises par le Royaume-Uni pour établir le Territoire britannique de l’océan
Indien. Toutefois, ni le droit conventionnel ni le droit international coutumier ne prévoyaient une
telle règle en 1965 ou même en 1968 (année de l’accession de Maurice à l’indépendance).
4.26. Tout d’abord, aucun traité en vigueur à l’époque n’établissait un droit à
l’autodétermination de nature à frapper d’interdiction légale la création du Territoire britannique de
l’océan Indien. Bien que la Charte contienne des obligations juridiques selon lesquelles les Etats
administrants sont tenus de s’acquitter de leurs obligations à l’égard des territoires non
autonomes91, elle ne réglemente pas et n’impose même pas leur processus de décolonisation92. En
outre, bien qu’elle mentionne «le principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à
disposer d’eux-mêmes» dans ses buts et principes93, elle ne précise aucune des applications de ce
principe dans le domaine de la décolonisation94. Les pactes internationaux relatifs aux droits de
l’homme énoncent, quant à eux, un droit à l’autodétermination pour «tous les peuples» et font
obligation aux Etats parties, y compris ceux qui administrent des territoires non autonomes ou sous
tutelle, de promouvoir et de respecter ledit droit95. Mais quelles que fussent les implications que ces
dispositions ont pu avoir par la suite pour la décolonisation, ces traités n’ont été adoptés qu’en
1966 et ne sont entrés en vigueur qu’en 1976.
4.27. Deuxièmement, il n’existait aucune règle de droit international coutumier établissant
un droit à l’autodétermination qui aurait frappé d’interdiction légale la création du Territoire
britannique de l’océan Indien. Une nouvelle règle de ce type aurait supposé l’existence à l’époque
d’une pratique étatique fréquente et pratiquement uniforme accompagnée d’une opinio juris. Dans
l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark)
89 Statut de la Cour internationale de Justice, article 38 1) a)–b). Le présent exposé ne saurait en aucune manière
être interprété comme exprimant l’opinion des Etats-Unis sur l’applicabilité des «principes généraux du droit reconnus
par les nations civilisées». Ibid., article 38 1) c).
90 Voir plus haut, par. 4.15.
91 Charte des Nations Unies, articles 73 et 74. Ces articles composent le chapitre XI de la Charte intitulé
«Déclaration relative aux territoires autonomes».
92 En revanche, le chapitre XII de la Charte obligeait les Etats exerçant une tutelle, à «favoriser … l’évolution
progressive [des territoires sous tutelle] vers la capacité à s’administrer eux-mêmes ou l’indépendance» compte tenu «des
aspirations librement exprimées des populations intéressées», ibid., article 76 b). De plus, à la différence du chapitre XII,
le chapitre XI n’établit pas un mécanisme institutionnel des Nations Unies chargé de superviser la gestion par les
puissances administrantes des territoires non autonomes, au-delà de l’obligation pour celles-ci de communiquer des
renseignements «de nature technique» relatifs aux conditions économiques, sociales et de l’instruction, ibid., article 73 e).
Voir aussi U. Fastenrath, Chapitre XI Declaration Regarding Non-Self-Governing Territories: Article 73, in The Charter
of the United Nations: a commentary, 1829, p. 1830 et 1831 (Bruno Simma et al., sous la dir. de, 3e édition 2012)
(comparaison entre les chapitres XI et XII).
93 Charte des Nations Unies, voir plus haut la note de bas de page 80, article 1 2). Voir aussi ibid., article 55.
94 Comme expliqué plus bas (voir par. 4.33 et 4.34), au cours des négociations, les Etats ne sont pas parvenus à se
mettre d’accord sur une application spécifique du principe d’autodétermination énoncé dans la Charte.
95 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, 999 U.N.T.S. 171, articles 1 1) et
1 3) [citation à l’article 1 1)] ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966,
993 U.N.T.S. 3, articles 1 1) et 1 3) (même langage). Les divergences profondes apparues entre les Etats à propos de cette
disposition au cours des négociations sont analysées plus bas aux paragraphes 4.35 à 4.40.
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(République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), la Cour a fixé le critère permettant de déterminer
l’existence d’une règle de droit international coutumier :
«… deux conditions doivent être remplies. Non seulement les actes considérés doivent
représenter une pratique constante, mais en outre ils doivent témoigner, par leur nature
ou la manière dont ils sont accomplis, de la conviction que cette pratique est rendue
obligatoire par l’existence d’une règle de droit. … Les Etats intéressés doivent donc
avoir le sentiment de se conformer à ce qui équivaut à une obligation juridique. Ni la
fréquence ni même le caractère habituel des actes ne suffisent.»96
La Cour, dans le même arrêt, a explicité les notions de pratique constante et d’opinio juris en ces
termes :
«il demeure indispensable que dans ce laps de temps, aussi bref qu’il ait été, la
pratique des Etats, y compris ceux qui sont particulièrement intéressés, ait été
fréquente et pratiquement uniforme dans le sens de la disposition invoquée et se soit
manifestée de manière à établir une reconnaissance générale du fait qu’une règle de
droit ou une obligation juridique est en jeu»97.
4.28. Rien ne permet de traiter les résolutions citées dans la question a) comme des
instruments légalement contraignants pour les Etats Membres98. Pour que la Cour soit amenée à
conclure que les résolutions citées dans la question a) reflétaient des règles de droit international
coutumier, il faudrait établir l’existence à l’époque d’une pratique fréquente et pratiquement
uniforme que les Etats auraient suivie avec le sentiment de respecter l’obligation légale d’agir
conformément aux principes énoncés dans lesdites résolutions99.
4.29. Comme nous l’expliquons dans le reste du présent chapitre, les résolutions citées dans
la question a) ne révèlent pas une convergence d’opinions entre les Etats, et encore moins une
opinio juris, sur des règles juridiques internationales établissant un droit à l’autodétermination qui
auraient frappé d’interdiction légale la création du Territoire britannique de l’océan Indien. La
pratique des Etats ne présentait pas non plus le degré d’uniformité requis, que ce soit dans les
années ayant précédé l’adoption de la résolution 1514 ou jusqu’à la fin des années 1960. Les
résolutions pertinentes ne reflétaient pas des règles de droit international alors en vigueur, et leur
adoption n’a pas non plus donné naissance à de telles règles.
96 Affaire du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République
fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, Recueil C.I.J. 1969, p. 44, par. 77 (les italiques sont de nous).
97 Ibid., par. 74 (les italiques sont de nous).
98 Hormis quelques exceptions inapplicables en l’espèce, les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas
contraignantes. Voir, par exemple, les articles 10, 11, 13 et 14 de la Charte des Nations Unies (qui définissent les
pouvoirs de l’Assemblée en matière de recommandations).
99 Voir Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1996, p. 226, par. 70 ; affaire du Plateau continental de la mer du Nord, voir plus haut la note de bas de page 96,
arrêt, par. 77.
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D. Jusqu’à la fin des années 1960, aucune règle de droit international
coutumier pouvant être interprétée comme interdisant
l’établissement du Territoire britannique de
l’océan Indien n’avait émergé
4.30. Comme indiqué plus haut dans la section A, la question a) se réfère à tort aux
«obligations évoquées» dans la résolution 1514 intitulée «Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux» telle qu’elle a été adoptée en 1960. Ce texte
proclamait entre autres que «[t]ous les peuples ont le droit de libre détermination»100 et que «[d]es
mesures immédiates seront prises» dans les territoires non autonomes «pour transférer tous
pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur
volonté et à leurs voeux librement exprimés … afin de leur permettre de jouir d’une indépendance
et d’une liberté complètes»101. La résolution 1514 faisait suite à plusieurs autres résolutions
consacrées à l’autodétermination adoptées par l’Assemblée générale depuis 1952.
4.31. Des passages de la résolution 1514 sont aujourd’hui interprétés comme articulant
certains des éléments fondamentaux du droit à l’autodétermination, tel que ce dernier s’est
développé par la suite. Néanmoins, la résolution elle-même ne reflétait pas le droit international
coutumier ni au moment de son adoption ni à la fin des années 1960.
1. Avant la résolution 1514, aucune opinio juris ne soutenait un droit légal international à
l’autodétermination
4.32. Les débats internationaux tenus au cours des 15 années précédant l’adoption de la
résolution 1514 ont mis en lumière des divergences dans la manière dont les membres de la
communauté internationale abordaient l’autodétermination et la décolonisation.
4.33. Au cours des négociations menées dans le cadre de la rédaction de la Charte des
Nations Unies en 1945, plusieurs Etats ont d’abord exprimé des préoccupations au sujet de
propositions visant à inclure une disposition sur l’autodétermination, craignant qu’une telle
disposition ne suscite des troubles civils et des revendications sécessionnistes102. L’inclusion finale
du principe d’autodétermination dans les articles 1 2) et 55 de la Charte ne révèle pas une
convergence d’opinions sur l’une quelconque des obligations spécifiques découlant de cette
notion103.
4.34. Les articles de la Charte qui énoncent des obligations à l’égard des Etats administrants
à savoir ceux figurant aux chapitres XI, XII et XIII ne mentionnent pas l’autodétermination
et, comme indiqué plus haut, ne contiennent pas d’exigences relatives à l’indépendance des
100 Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux
peuples coloniaux, Nations Unies, doc. A/RES/1514 (XV) (14 décembre 1960) [dossier n° 55].
101 Ibid., par. 5.
102 A. Cassese, Self-determination of peoples: a legal reappraisal, 39–40 (1995) ; voir aussi par exemple,
Conférence des Nations Unies sur l’organisation internationale, procès-verbal sommaire de la sixième session du Comité
I/1 ci-après «le Rapport de 1945 du Comité I/1], 6 U.N. Conf. on Int’l Org 296 (1945) (notant la position de certaines
délégations selon laquelle le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes «n’était compatible avec les buts de la
Charte» que dans la mesure où il appliquait, pour les peuples, le droit de s’administrer eux-mêmes, mais non le droit de
sécession).
103 A. Cassese, voir plus haut la note de bas de page 102, p. 38 à 43 (citant notamment le débat du Premier
Comité de la Première Commission de la Conférence de San Francisco, 14 et 15 mai et 11 juin 1945) ; se reporter aussi,
par exemple, au Rapport de 1945 du Comité I/1, voir plus haut la note de bas de page 102, p. 455.
- 24 -
territoires non autonomes104. Ces omissions ne sont pas le fruit du hasard : aucun consensus n’avait
pu être dégagé entre les Etats en faveur d’obligations contraignantes risquant de limiter la
souveraineté territoriale des Etats administrants sur les territoires non autonomes105, y compris des
obligations qui interdiraient aux Etats administrants de modifier les limites administratives.
4.35. Les discussions sur l’autodétermination autour des négociations des pactes relatifs aux
droits de l’homme de 1950 à 1955 ont été «caractérisées par des divergences d’opinions
fondamentales»106. En 1950, l’Union soviétique avait proposé d’inclure un «droit» à
l’autodétermination107. Plusieurs Etats s’étaient déclarés favorables à cette idée108. D’autres s’y
étaient opposés par crainte d’encourager la sécession et d’élargir excessivement la portée du
droit109.
4.36. Dans sa résolution 545 (VI) de 1952 (adoptée avec 47 voix pour, 7 contre et
5 abstentions), l’Assemblée générale a opté en faveur de l’inclusion d’un article relatif à
104 Voir plus haut, par. 4.26.
105 Voir aussi, par exemple, R. Higgins, Problems and Process: International Law and how we use it, 111, (1994)
(dans laquelle l’auteur analyse l’évolution de la Charte et déclare :
«Il existait certainement des devoirs reconnus comme s’imposant aux puissances coloniales à l’égard des
peuples qu’elles gouvernaient cependant, à l’époque, lesdits devoirs n’incluaient pas clairement celui
d’accorder l’indépendance. L’hypothèse commune selon laquelle la Charte des Nations Unies garantit
l’autodétermination au sens actuel du terme participe en fait d’une réécriture rétrospective de l’histoire.»)
106 M. Nowak, U.N. Covenant on civil and political rights: CCPR Commentary 10 (2e édition 2005).
107 Draft First International Covenant on Human Rights and Measures of Implementation, Union of Soviet
Socialist Republics: Amendments to Joint Draft Resolution Submitted by Brazil, Turkey and United States (A/C.3/L.75),
Nations Unies, doc. A/C.3/L.96 (6 novembre 1950), p. 2.
108 A. Cassese, voir plus haut note de bas de page 102, p. 48 et 49. Après la proposition soviétique, l’Assemblée
générale a adopté, lors d’un vote contesté, une résolution appelant la future Commission des droits de l’homme à étudier
les voies et moyens de garantir aux peuples et nations le droit de disposer d’eux-mêmes dans le cadre de son projet de
pacte international relatif aux droits de l’homme. Résolution 421 (V) de l’Assemblée générale, Projet de pacte
international relatif aux droits de l’homme et mesures de mise en oeuvre : travaux futurs de la Commission de droits de
l’homme, Nations Unies, doc. A/RES/421 (V) (4 décembre 1950), par. 6 ; Nations Unies, doc. A/PV.317
(4 décembre 1950), par. 170 (adoptée avec 38 voix pour, sept voix contre et 12 abstentions).
109 Voir, par exemple, Projet de pacte international relatif aux droits de l’homme, annotation préparée par le
Secrétaire Général, Nations Unies, doc. A/2929 (1er juillet 1955), ch. IV, par. 3 (dans lequel celui-ci exprime notamment
la crainte que l’autodétermination constitue un principe politique, mais pas un droit légal) ; Nations Unies,
doc. A/C.3/SR.400 (23 janvier 1952), par. 19 (dans lequel l’Australie avance cet argument) ; Nations Unies,
doc. A/C.3/SR.399 (23 janvier 1952), par. 27 (dans lequel la France qualifie l’autodétermination de «droit politique») ;
Nations Unies, doc. A/C.3/SR.312 (13 novembre 1950), par. 5 (dans lequel le Nicaragua avance que l’autodétermination
relève d’une question purement nationale et politique et échappe au champ d’application des droits de l’homme) ;
Nations Unies, doc. A/C.3/SR.361 (7 décembre 1951), par. 13 (dans lequel la Belgique fait valoir qu’«il est impossible de
parler du droit à l’autodétermination sans prévoir également le droit de sécession.» [traduction non officielle]). Plusieurs
Etats ont fait valoir qu’un droit collectif ne serait pas à sa place dans un traité sur les droits individuels. Voir, par
exemple, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.400, plus haut, par. 30 (Turquie : «Le concept d’autodétermination lui-même
sortirait affaibli d’une classification dans laquelle il figurerait dans la catégorie des droits conçus pour définir les relations
entre les Etats souverains et les individus relevant de leur juridiction.» [traduction non officielle] ; voir également, entre
autres, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.401 (24 janvier 1952), par. 27 (Royaume-Uni) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.400,
voir plus haut, par. 15 (Canada) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.398 (22 janvier 1952), par. 40 (Pays-Bas) ;
Nations Unies, doc. A/C.3/SR.367 (12 décembre 1951), par. 8 (Nouvelle-Zélande) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.309
(9 novembre 1950), par. 62 (France).
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l’autodétermination dans les deux pactes et précisé plusieurs éléments matériels pertinents110. Il
s’agit de la première résolution de l’Assemblée contenant la formule «droit des peuples et nations à
disposer d’eux-mêmes»111.
4.37. Le débat s’est poursuivi pendant trois autres années au cours desquelles bon nombre
d’Etats ont continué de faire part de leurs doutes112. Certains étaient d’avis que tout droit à
l’autodétermination devait s’appliquer non seulement aux peuples coloniaux, mais aussi à ceux qui
étaient opprimés au sein des Etats par leur propre gouvernement113. D’autres prônaient la
suppression pure et simple de la disposition114. De nombreuses délégations, de toutes les régions du
monde, s’était déclarées favorables au report d’un vote sur cette disposition en raison des
110 Résolution 545 (VI) de l’Assemblée générale, insertion dans l’un et/ou l’autre des deux Pactes internationaux
relatifs aux droits de l’homme d’un article sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Nations Unies,
doc. A/RES/545(VI) (5 février 1952) ; Nations Unies, doc. A/PV.375 (5 février 1952), par. 83 (dépouillement du vote en
plénière sans appel nominal résolution complète, telle qu’amendée pour simplifier une demande de
recommandations adressée à la Commission des droits de l’homme) ; voir aussi ibid., par. 70 à 82 (votes disputés sur
chaque élément de la résolution). Au sein du Troisième Comité, les résultats du vote s’établissaient comme suit : 33 voix
pour, neuf voix contre et dix abstentions. Nations Unies, doc. A/C.3/SR.403 (25 janvier 1952), par. 58 (vote avec appel
nominal). Les pays ayant voté «non» étaient l’Australie, la Belgique, le Canada, les Etats-Unis, la France, la Nouvelle-
Zélande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Turquie ; les pays s’étant abstenus étaient le Chili, la Chine, la Colombie,
Cuba, le Danemark, l’Equateur, Israël, la Norvège, le Pérou et la Suède. Après l’annonce des résultats du vote, la Chine a
qualifié la résolution de texte défectueux tant sur la forme que sur le fond, ibid., par. 65. La Colombie est convenue qu’il
s’agissait d’un document peu solide tant dans la forme que sur le fond, ibid., par. 82. Quant à Cuba, il a qualifié le texte
de la résolution de confus et incohérent, ibid., par. 71.
111 Résolution 545 (IV) de l’Assemblée générale, voir plus haut la note de bas de page 110, par. 1. Au sein du
Troisième Comité, la disposition de la résolution 545 appelant à l’inclusion de cette formule dans les pactes a été adoptée
avec 36 voix pour, 11 voix contre et 12 abstentions. L’Australie, la Belgique, le Brésil, le Canada, le Danemark, les Etats-
Unis, la France, le Luxembourg, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont voté «non», tandis que
l’Argentine, la Chine, la Colombie, le Costa Rica, le Honduras, l’Islande, Israël, la Norvège, la Suède, la Turquie,
l’Uruguay et le Venezuela se sont abstenus ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.403, voir plus haut la note de bas de
page 110, par. 78.
112 Voir, par exemple, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.647 (28 octobre 1955), par. 1 (dans lequel la Grèce constate
un profond désaccord entre les Etats) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.650 (2 novembre 1955), par. 13 (dans lequel
l’Equateur craint que la disposition telle qu’elle est formulée soulève de grandes difficultés) ; Nations Unies,
doc. A/C.3/SR.649 (1er novembre 1955), par. 6 (dans lequel la Turquie affirme que ses craintes sont telles qu’elle n’est
pas en mesure d’accepter l’inclusion de l’article) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.648 (31 octobre 1955), par. 1 à 5 (dans
lequel la Colombie critique différents aspects du projet). Plusieurs Etats avaient notamment fait valoir que les obligations
prévues demeureraient vagues faute de définition de termes clés comme «peuples» et «autodétermination». Voir, par
exemple, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.649, plus haut, par. 5 (Turquie) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.646
(27 octobre 1955), par. 5 à 7 (Pakistan) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.643 (25 octobre 1955), par. 9 (Belgique) ;
Nations Unies, doc. A/C.3/SR.641 (21 octobre 1955), par. 18 (Suède). D’aucuns ont estimé que l’insertion d’un droit
collectif dans un traité visant des droits individuels serait inapproprié. Se référer notamment à Nations Unies,
doc. A/C.3/SR.650, voir plus haut, par. 20 (Equateur) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.645 (27 octobre 1955), par. 1
(Canada) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.644 (26 octobre 1955), par. 3 (Danemark). D’autres ont tenu à établir une
distinction entre le principe d’autodétermination et un droit légal. Voir, par exemple, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.647
(28 octobre 1955), par. 18 (Australie) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.642 (24 octobre 1955), par. 11 (Royaume-Uni).
113 Voir notamment : E. Roosevelt, représentante des Etats-Unis à l’Assemblée générale des Nations Unies, The
Universal Validity of Man’s Right to Self-Determination (18 novembre 1952), in 27 Dep’t of State Bulletin 917 (1952),
p. 919 (discours devant le Troisième Comité) ; voir également Nations Unies, doc. A/C.3/SR.447 (18 novembre 1952),
par. 30 (résumé de la position des Etats-Unis). Se reporter également à Nations Unies, doc. A/C.3/SR.644, voir plus haut
la note de bas de page 112, par. 2 (Danemark) ; Nations Unies, doc. A/C.3/SR.642, voir plus haut la note de bas de page,
par. 2 (Chine).
114 Projet de pacte international relatif aux droits de l’homme, rapport du Troisième Comité, Nations Unies,
doc. A/3077 8 décembre 1955), par. 47 (Brésil, Australie, Pays-Bas, Royaume-Uni).
- 26 -
divergences de vues persistantes. Cette proposition de report avait échoué de peu à réunir la
majorité requise115.
4.38. Après des votes disputés sur chacun des éléments116, le Troisième Comité a adopté
l’article premier des pactes en 1955 par 33 voix pour, 12 voix contre et 13 abstentions117, malgré
l’absence de consensus sur cette disposition. Le Danemark, par exemple, a regretté que celle-ci soit
vague, imparfaite et non conforme aux exigences d’un instrument légal censé avoir des effets
opposables et contraignants en droit international118. Le Liban a admis que l’article premier aurait
besoin d’améliorations119. Le Pakistan avait le sentiment qu’il laissait beaucoup à désirer120 et Cuba
estimait qu’il méritait d’être examiné plus avant121.
4.39. L’article premier et ses ambiguïtés sont restés substantiellement inchangés jusqu’à ce
que l’Assemblée générale adopte les pactes en 1966122. Les discussions entre Etats autour de
l’adoption de ces instruments n’ont d’ailleurs pas permis de lever lesdites ambiguïtés.
4.40. En tant que tels, les pactes n’ont pas suffi à prouver l’existence d’une règle de droit
international coutumier pendant la période concernée (c’est-à-dire en 1965 ou, au plus tard, en
1968). De plus, comme indiqué plus haut123, ces instruments ne sont pas entrés en vigueur avant
1976, de sorte qu’ils ne relevaient pas encore du droit conventionnel à l’époque.
115 Nations Unies, doc. A/C.3/SR.676 (29 novembre 1955), par. 14 (la proposition de rejet du report a fini par
prévaloir avec 28 voix pour, 25 voix contre et 5 abstentions). Les Etats en faveur du report incluaient, notamment, le
Brésil, la Birmanie, la Chine, la Colombie, Cuba, l’Ethiopie, le Honduras, le Liban, le Libéria, Panama, le Paraguay et la
Turquie. La liste des Etats s’étant abstenus s’établit comme suit : Bolivie, Iran, Israël, République dominicaine et
Venezuela.
116 Nations Unies, doc. A/C.3/SR.676, voir plus haut la note de bas de page 115, par. 17 à 26.
117 Ibid., par. 27. Les Etats ayant voté «non» étaient l’Australie, la Belgique, le Canada, les Etats-Unis, la France,
le Luxembourg, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Turquie. La liste des
Etats s’étant abstenus s’établit comme suit : Brésil, Birmanie, Chine, Cuba, Danemark, Ethiopie, Honduras, Islande, Iran,
Israël, Panama, Paraguay et République dominicaine.
118 Ibid., par. 33 ; voir également, entre autres, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.677 (30 novembre 1955), par. 13,
24 (dans lequel les Pays-Bas et la France expriment des craintes et Nations Unies, doc. A/C.3/SR.676, voir plus haut la
note de bas de page 115, par. 42 (dans lequel la Nouvelle-Zélande exprime des craintes analogues) ; Nations Unies,
doc. A/C.3/SR.677, voir plus haut, par. 9 (dans lequel la Norvège qualifie l’article 1 de disposition défectueuse tant dans
la forme que sur le fond). Voir aussi ibid. par. 8 (dans lequel la Norvège se refuse à l’idée d’énoncer un principe politique
dans des pactes relatifs aux droits individuels) ; ibid., par. 6 et 17 (dans lequel le Luxembourg et la Suède expriment des
craintes analogues).
119 Nations Unies, doc. A/C.3/SR.676, voir plus haut la note de bas de page 115, par. 34.
120 Ibid.., par. 39.
121 Ibid., par. 35.
122 Résolution 2200 (XXI) de l’Assemblée générale, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, Nations Unies, doc. A/RES/2200 (XXI) (16 décembre 1966) ;
Nations Unies, doc. A/C.3/SR.1451 (7 décembre 1966), partie A, par. 8 et 9 (votes à l’unanimité au sein du Troisième
Comité) ; Nations Unies, doc. A/PV.1496 (16 décembre 1966), par. 58 et 59 (votes à l’unanimité au sein de l’Assemblée
générale).
123 Voir plus haut le par. 4.26.
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4.41. Les autres résolutions de l’Assemblée générale en faveur de l’autodétermination,
comme la résolution 637 (VII) (1952)124 ou la résolution 1188 (XII) (1957)125, ne traduisent pas
non plus un consensus de fond sur des obligations juridiques contraignantes.
2. La résolution 1514 ne reflète pas une opinio juris sur un droit à l’autodétermination
ou à l’intégrité territoriale en faveur des territoires non autonomes
4.42. La résolution 1514 a été introduite en novembre 1960126. Ses rédacteurs ont
volontairement limité le contenu de ces textes à des déclarations de principe en évitant d’énoncer
des dispositions spécifiques applicables127. Il ressort des débats de l’Assemblée générale en séance
plénière que les Etats Membres voyaient dans la résolution un instrument représentant un objectif à
124 Résolution 637 (VII) de l’Assemblée générale, Droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes,
Nations Unies, doc. A/RES/637 (VII) (16 décembre 1952). Les opinions sur la résolution 637 étaient «très divergentes»,
Droits de l’homme : Recommandations relatives au respect, sur le plan international, du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes, rapport de la Troisième Commission, Nations Unies, doc. A/2309 (13 décembre 1952), par. 8. Certains
Etats, par exemple, déploraient que la résolution ne prenne pas en considération les «conditions particulières de chaque
territoire», ibid., par. 9. D’autres dénonçaient l’absence de définition claire des termes «peuple», «nation» et «droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes», ibid., par. 10. Plusieurs Etats ont voté «non» ou se sont abstenus. Nations Unies,
doc. A/PV.403 (16 décembre 1952), par. 210 (adoption de la résolution 637, partie A, avec 40 voix pour, 14 voix contre
et 6 abstentions (celles de l’Equateur, d’Israël, du Nicaragua, du Paraguay, de la Thaïlande et de la Turquie) ; voir aussi,
notamment, ibid., par. 149 (dans lequel la déléguée des Etats-Unis, Eleanor Roosevelt, explique qu’elle a dû voter «non»
– même si «le Gouvernement et le peuple des Etats-Unis reconnaissent sans réserve le principe du droit des peuples et
des nations à disposer d’eux-mêmes» – car le texte de la résolution laisse beaucoup à désirer).
125 Résolution 1188 (XII) de l’Assemblée générale, Recommandations concernant le respect sur le plan
international, du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes, Nations Unies, doc. A/RES/1188 (XII)
(11 décembre 1957), par. 1 a)–b) (appelant les Etats administrant des territoires non autonomes «à contribuer à assurer
l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» et «aient dûment égard» «au dit droit» dans leurs «relations
mutuelles»). Au cours des négociations, les Etats avaient exprimé des opinions divergentes quant à la nature juridique et
à la portée de l’autodétermination. Recommandations concernant le respect, sur le plan international, du droit des peuples
et des nations à disposer d’eux-mêmes, Rapport du Troisième Comité, Nations Unies, doc. A/3775 (9 décembre 1957),
par. 13. La résolution a été adoptée avec 13 abstentions. Nations Unies, doc. A/PV.727 (11 décembre 1957), par. 87
(adoption de la résolution 1188 avec 65 voix pour, zéro voix contre et 13 abstentions).
126 Nations Unies, doc. A/PV.926 (28 novembre 1960) [dossier n° 57], par. 9 (introduction par le Cambodge d’un
projet de résolution).
127 Voir Nations Unies, doc. A/PV.946 (14 décembre 1960) [dossier n° 73], par. 46 (Iran : «Nous avons essayé,
dans le texte qui vous est soumis, d’exposer aussi clairement que possible les principes que nous voulions
défendre ... Nous n’avons pas voulu, pour des raisons aisément concevables et qui dérivent des conditions particulières à
chaque Etat, préciser la nature de l’application de ces principes.»).
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atteindre, en l’occurrence l’achèvement de la décolonisation, plutôt qu’un document énonçant des
obligations contraignantes comme celles contenues dans la Charte elle-même128.
4.43. Les Etats Membres, y compris les Etats-Unis, ont exprimé un soutien politique et moral
quasi absolu aux idéaux qui sous-tendent la résolution129. Mais des Etats ont soulevé à plusieurs
reprises des préoccupations au sujet de son libellé ambigu, suggestif, inexact ou autrement
problématique, certains allant jusqu’à conclure que le texte était contraire à la Charte130. Les Etats
administrants se sont aussi vivement opposés à la formulation et ont laissé entendre qu’ils ne
respecteraient pas les obligations leur incombant en vertu de la Charte131.
4.44. Dans ce contexte de soutien politique général, mais de fortes divergences quant au
fond, la résolution 1514 a été adoptée avec 89 voix contre 0, avec 9 abstentions 132. De nombreux
128 Voir, par exemple, Nations Unies, doc. A/PV.944 (13 décembre 1960) [dossier n° 71], par. 135 (dans lequel
l’Inde fait valoir que, dans la résolution, «il n’est pas question de récrimination, il n’est pas question de reporter la
responsabilité sur qui que ce soit, sinon sur les Nations Unies dans leur ensemble») ; Nations Unies, doc. A/PV.929
(30 novembre 1960) [dossier n° 60], par. 92 (dans lequel la Colombie se déclare en faveur de la résolution «en adoptant
non pas un esprit de reproche ce que font certains ici mais, bien au contraire, dans la noble intention de faire un pas
de plus sur le chemin menant à la liberté de l’homme») ; Nations Unies, doc. A/PV.935 (5 décembre 1960) [dossier
n° 66], par. 125 (dans lequel la Malaisie explique que le but de la résolution est «d’aider et d’accélérer» la vague de
décolonisations déjà amorcée) ; Nations Unies, doc. A/PV.933 (2 décembre 1960) [dossier n° 64], par. 81 (Australie :
«Cette déclaration est différente de la Charte. La Charte est un traité ; elle est rédigée avec rigueur... [Le] document qui
nous est soumis ne peut aller plus loin que la Charte, ni outrepasser les pouvoirs de l’Assemblée ; il exprime plutôt en
termes généraux des aspirations admises par tous.») ; ibid., par. 118 (Israël : «Nous voterons en sa faveur [celle de la
résolution] et nous en appuierons les aspirations») (les italiques sont de nous) ; Nations Unies, doc. A/PV.932
(2 décembre 1960) [dossier n° 63], par. 12 (Nouvelle-Zélande : «Ce que l’on s’est proposé en rédigeant ce texte, ce n’est
pas d’élaborer un traité dont chaque disposition devrait être pesée minutieusement par tous les pays qui envisageraient
d’y adhérer … c’est de mettre au point une déclaration dont l’objet est plutôt de formuler et de traduire fidèlement des
idéaux et des principes d’application universelle…») ; Nations Unies, doc. A/PV.929, voir plus haut la note de bas de
page 128, par. 25 (dans lequel la Libye décrit le projet de déclaration comme «destiné à exprimer la volonté de tous les
peuples de la terre de voir mettre définitivement fin au colonialisme») (les italiques sont de nous) ; Nations Unies,
doc. A/PV.928 (30 novembre 1960) [dossier n° 59], par. 17 (dans lequel l’Ethiopie décrit la résolution comme «la
confirmation d’idéaux et de principes»).
129 Voir, par exemple, Nations Unies, doc. A/PV.947 (14 décembre 1960) [dossier n° 74], par. 142 (Etats-Unis :
«L’appui que nous donnons à la liberté à sa source dans les convictions profondes du peuple américain. C’est pourquoi
nous avons accueilli favorablement la résolution présentée par 43 délégations qui nous semblait avoir pour objectif la
réalisation des libertés humaines au sens le plus large.»).
130 Se reporter par exemple à Nations Unies, doc. A/PV.947, voir plus haut la note de bas de page 129, par. 47 et
48 (Royaume-Uni : «[N]ous aurions voulu pouvoir voter en faveur de la déclaration ... Mais, devant une question d’une
aussi grande importance, nous avons cru nécessaire d’examiner de très près le libellé de la résolution. Or, nous avons dû
conclure, non sans regret, qu’à certains égards sa rédaction ne nous permettait pas de l’appuyer») ; ibid., par. 144 (Etats-
Unis : «[L]a résolution présente des difficultés dans sa rédaction et dans sa conception … [qui] nous ont empêchés
d’appuyer le texte, qui nous a paru démentir certaines dispositions évidentes de la Charte des Nations Unies.») ;
Nations Unies, doc. A/PV.945 (13 décembre 1960) [dossier n° 72], par. 171 à 179 (dans lequel le Danemark cite
plusieurs exemples de dispositions de la résolution qui gagneraient à être clarifiées).
131 Se reporter par exemple à Nations Unies, doc. A/PV.947, voir plus haut, note de bas de page 129, par. 9 à 52
(dans lequel le Royaume-Uni affirme respecter scrupuleusement la Charte dans la manière dont il administre ses
territoires restants et s’insurge contre les passages de la résolution insinuant le contraire) ; Nations Unies, doc. A/PV.945,
voir plus haut, note de bas de page 130, par. 142 (dans lequel la France insiste sur le fait qu’elle reconnaît et respecte les
obligations que lui impose la Charte et s’oppose aux remontrances implicites contenues dans le projet) ; Nations Unies,
doc. A/PV.932, voir plus haut la note de bas de page 128, par. 13 (Nouvelle Zélande : «Pour prendre sa place parmi les
grands documents de l’ONU, cette déclaration doit aussi être d’une équité scrupuleuse et ne pas attribuer aux puissances
administrantes des motifs et des intentions qui sont l’antithèse de leur politique établie et qui sont démenties par les
résultats qu’elles ont déjà obtenus.»).
132 Nations Unies, doc. A/PV.947, voir plus haut la note de bas de page 129, par. 34.
- 29 -
Etats qui ont voté en faveur de cette proposition l’ont fait en dépit des craintes exprimées133 et
seulement après avoir soigneusement délimité la portée de leur soutien. Ces Etats ont tenu à
souligner que la résolution met largement l’accent sur la décolonisation en général et non sur des
mécanismes particuliers de mise en oeuvre134.
4.45. Plusieurs Etats ayant voté pour le texte ont également réaffirmé que leur interprétation
de la résolution ne prévoyait pas de nouvelles obligations juridiques autres que celles déjà énoncées
dans la Charte135. Ainsi, une partie d’entre eux ont interprété la phrase «[d]es mesures immédiates
seront prises … pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires» comme signifiant que
les Etats administrants ne devraient pas retarder indûment la mise en oeuvre de leurs obligations,
découlant de la Charte, en matière de renforcement progressif de l’autonomie gouvernementale136.
4.46. Le paragraphe 2 qui énonce «un droit à l’autodétermination» a suscité des craintes dans
la mesure où ledit droit n’avait pas encore été défini sous une forme universellement acceptable137.
4.47. Le paragraphe 6 s’est révélé lui aussi problématique. Il prévoit que «[t]oute tentative
visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est
incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies». Les Etats ont exprimé
133 Voir ibid., par. 60 (Pays-Bas : «Notre accord avec les principes énoncés dans le projet de résolution ne signifie
pas que nous acceptions sans réserve sa rédaction.») ; Nations Unies, doc. A/PV.946 voir plus haut la note de bas de
page 127, par. 12 (dans lequel la Suède exprime des craintes analogues) ; Nations Unies, doc. A/PV.945, voir plus haut la
note de bas de page 130, par. 188 (dans lequel l’Autriche exprime son intention de voter en faveur du projet de résolution
tout en déclarant : «Pour être tout à fait francs, nous devons cependant reconnaître que nous éprouvons certaines
appréhensions quant à l’opportunité de quelques expressions employées dans la déclaration, à certaines revendications et
à certaines procédures envisagées»).
134 Se reporter par exemple à Nations Unies, doc. A/PV.935, voir plus haut la note de bas de page 128, par. 134
(Chine : «J’espère que les présents débats démontreront leur utilité en hâtant partout la fin du colonialisme. Toutefois, je
suis certain qu’ils ne remplaceront pas, qu’ils ne pourront pas remplacer, une étude systématique des questions coloniales
concrètes.») ; Nations Unies, doc. A/PV.933, voir plus haut la note de bas de page 128, par. 92 à 94 (Japon : «Il serait
donc déraisonnable, peut-être, de s’attendre à ce que cette déclaration puisse être mise en oeuvre, de manière à la fois
automatique et uniforme dans tous les territoires du monde.»).
135 Voir par exemple, plus haut dans la note de bas de page 127, Nations Unies, doc. A/PV.946, par. 16 (Suède :
«Nous estimons [que le projet de déclaration] énonce des objectifs généraux et ne constitue pas un acte législatif qui
imposerait aux Etats Membres des obligations juridiques immédiates et qui serait destiné être appliqué à la lettre.») ;
Nations Unies, doc. A/PV.935, voir plus haut la note de bas de page 128, par. 134 (Chine : «Si le but du présent débat est
de nous aider à obtenir l’approbation générale des principes relatifs au colonialisme, il ne nous semble pas
particulièrement nécessaire ... Les principes relatifs au colonialisme ont tous été solennellement inscrits dans la Charte
des Nations Unies, que nous sommes juridiquement et moralement tenus de respecter.»).
136 Se reporter par exemple à Nations Unies, doc. A/PV.945, voir plus haut la note de bas de page 130, par. 178
(Danemark : «D’après les déclarations faites par les auteurs de la résolution, il semble donc admis que le sens des mots
«des mesures immédiates seront prises» est que nous poursuivrons notre marche vers l’objectif envisagé sans nous laisser
arrêter par des obstacles inutiles...») ; Nations Unies, doc. A/PV.936 (5 décembre 1960) [dossier n° 67], par. 21 (Islande :
«La délégation islandaise désire souligner l’importance des mots «mesures immédiates», lesquels
signifient que l’indépendance ne saurait surgir comme la foudre mais uniquement à l’issue d’une
évolution et d’un développement progressif. Cette formule, à nos yeux, doit être comprise comme
imposant le début immédiat de cette évolution et les premières mesures censées être prises sans délai.»
[traduction non officielle]).
137 Se reporter par exemple à Nations Unies, doc. A/PV.947, voir plus haut la note de bas de page 129, par. 53
(Royaume-Uni :
«Toutefois, l’Assemblée n’aura pas oublié les difficultés qui ont surgi à propos de la discussion du projet
des Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme et lorsqu’il s’est agi de trouver une définition
universellement acceptable du droit de libre détermination. Ces difficultés n’ont pas encore été
complètement résolues par l’Assemblée, et nous croyons qu’il aurait été préférable de ne pas tenter de le
faire maintenant, dans un contexte assez différent.»).
- 30 -
divers points de vue sur le sens de cette formule et sur la pertinence de l’intégrité territoriale dans le
processus de décolonisation. Certains d’entre eux ont considéré le paragraphe 6 comme une
réaffirmation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte, tandis que d’autres ont souligné que les
Etats nouvellement indépendants pouvaient prétendre à l’intégrité territoriale138.
4.48. Vers la fin des négociations, le Guatemala a proposé d’insérer, immédiatement après le
paragraphe 6 rédigé de manière à exclure tout droit à l’autodétermination pour le peuple des
territoires contestés, une formule qui lui permettrait d’appuyer sa revendication de souveraineté sur
le Honduras britannique (Belize)139. Il a accepté de retirer son amendement après que l’Indonésie,
qui avait également affirmé sa souveraineté sur le territoire non autonome de l’Irian occidental, lui
a assuré que le libellé du paragraphe 6 reflétait ses préoccupations140. Les Pays-Bas ont rejeté
l’interprétation de l’Indonésie comme incompatible avec la référence du paragraphe 2 au droit de
«tous les peuples» à l’autodétermination141.
4.49. Le paragraphe 6 a été adopté sans qu’il y ait d’interprétation commune quant à sa
signification.
138 Voir par exemple, Nations Unies, doc. A/PV.930 (1er décembre 1960) [dossier n° 61], par. 73 (Pakistan :
«De peur que nos collègues ne puissent être enclins à penser qu’en n’assortissant ces impératifs d’aucun
éclaircissement, nous aurions ainsi négligé les exigences qu’imposent la stabilité et la sécurité
internationales, nous signalons les dispositions du par. 6 qui prévoit une garantie contre toute tentative
visant à porter atteinte à l’unité nationale et à 1’intégrité territoriale d’un pays.») ;
Nations Unies, doc. A/PV.926, voir plus haut la note de bas de page 126, par. 71 (Iran :
«Les Etats Membres, et à plus forte raison les anciennes puissances administrantes, doivent, de plus, se
retenir de toute atteinte visant à la dislocation partielle ou totale de l’unité nationale et de l’intégrité
territoriale d’un pays. Ainsi, il serait souhaitable que, dans la déclaration sur la fin du colonialisme, tous
les Etats Membres réitèrent solennellement leur engagement, proclamé par la Charte des Nations Unies,
de ne jamais violer la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale d’un autre Etat, sous quelque forme
que ce soit.») ;
Nations Unies, doc. A/PV.929, voir plus haut la note de bas de page 128, par. 126 (Tunisie :
«il faut que les puissances colonisatrices s’engagent résolument à s’abstenir de toute action de nature à
provoquer des désordres dans les pays libérés, à éviter toute tentative de créer des difficultés aux
nouveaux gouvernements, à respecter honnêtement l’indépendance, la souveraineté, aussi bien que
l’intégrité territoriale des nouveaux Etats.»).
139 La modification proposée aurait consisté à insérer après le paragraphe 6 la phrase suivante : «Le principe
d’autodétermination des peuples ne saurait en aucun cas porter atteinte au droit à l’intégrité territoriale d’un Etat ou à son
droit à récupérer son territoire.» [traduction non officielle], Declaration on the Granting of Independence to Colonial
Countries and Peoples, Guatemala: Amendments to the Draft Resolution Contained in Document A/L.323 and Add.1-6,
Nations Unies, doc. A/L.325 (7 décembre 1960) (les italiques sont de nous) ; se reporter aussi par exemple à
Nations Unies, doc. A/PV.933, voir plus haut la note de bas de page 128, par. 133 et 134 (dans lequel le Guatemala
exprime son désir de voir le Royaume-Uni lui rendre le Honduras britannique (Belize) au nom de son intégrité
territoriale).
140 Se reporter à Nations Unies, doc. A/PV.947, voir plus haut la note de bas de page 129, par. 9 à 11 (dans lequel
l’Indonésie explique, en sa qualité de coauteur de la résolution, qu’elle a inséré le paragraphe 6 dans le projet de
résolution en ayant le problème de l’Irian occidental en tête) ; ibid., par. 64 (dans lequel le Guatemala retire son
amendement sur la base de la déclaration indonésienne et «étant entendu que les droits qu’il cherche à sauvegarder
seraient dûment protégés par le paragraphe 6»). Se reporter aussi à Nations Unies, doc. A/PV.946, voir plus haut la note
de bas de page 127, par. 31 (dans lequel l’Afghanistan explique que l’amendement du Guatemala est couvert par le
paragraphe 6) ; ibid., par. 54 (dans lequel l’Iran exprime des vues analogues). En ce qui concerne l’Irian, voir plus bas la
note de bas de page 180.
141 Se reporter à Nations Unies, doc. A/PV.947, voir plus haut la note de bas de page 129, par. 62 (dans lequel les
Pays-Bas confirment leur interprétation du paragraphe 6 comme une simple réaffirmation de l’article 2, paragraphe 4, de
la Charte). L’Union soviétique a, elle aussi, estimé que l’amendement du Guatemala limiterait indûment l’applicabilité du
paragraphe 2 de la résolution 1514. Se reporter à Nations Unies, doc. A/PV.945, voir plus haut, note de bas de page 130,
par. 128.
- 31 -
4.50. La Cour a également reconnu que la résolution 1514 marquait une «étape importante»
dans l’évolution du droit international relatif aux territoires non autonomes142. Néanmoins, bien que
ce texte ait pu fournir un fondement essentiel à la politique de décolonisation de l’Assemblée
générale, il ne reflétait pas l’acceptation par les Etats de nouvelles obligations juridiques
internationales relatives au processus de décolonisation ou à l’ajustement des frontières coloniales
pendant la période de l’administration coloniale.
3. Cette absence d’opinio juris a persisté jusqu’à la fin des années 1960
4.51. Dans les années 1960, l’Assemblée générale a adopté des résolutions sur la
décolonisation à un rythme croissant. Les Etats ont également entamé six années de négociations
sur un texte qui allait être finalement adopté en 1970 sous le nom de déclaration relative aux
principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats
conformément à la Charte des Nations Unies («déclaration sur les relations amicales»). Cette
déclaration contient une section importante sur l’autodétermination qui diffère matériellement de la
résolution 1514. Bien que certaines de ces résolutions fassent référence à la résolution 1514, leur
contenu et les conditions de leur adoption n’indiquent pas que les Etats Membres ont accepté les
principes de la résolution 1514 comme articulant des normes du droit international.
4.52. En 1960, le lendemain de l’adoption de la résolution 1514, l’Assemblée générale a
adopté la résolution 1541 (XV) par 69 voix pour, 2 voix contre et 21 abstentions143. Alors que la
première se concentrait uniquement sur l’indépendance et appelait les Etats administrants à prendre
des mesures immédiates pour transférer tous les pouvoirs «sans aucune condition ni réserve», la
seconde reconnaît qu’un territoire non autonome peut s’associer librement ou s’intégrer à un Etat
indépendant dans le cadre de processus démocratiques parfois longs à mettre en place144. Les Etats
n’ont pas analysé, et encore moins tenté de concilier, les incohérences entre ces deux résolutions145.
4.53. L’année suivante, l’Assemblée générale a adopté la résolution 1654 (XVI) par 97 voix
pour, zéro voix contre et quatre abstentions146. Ce texte crée un comité spécial chargé «d’étudier
l’application de la déclaration [la résolution 1514], de formuler des suggestions et des
recommandations quant aux progrès réalisés et à la mesure dans laquelle la déclaration est mise en
142 Sahara occidental, voir plus haut la note de bas de page 26, avis consultatif, par. 56 (citant le paragraphe 52 de
l’avis consultatif Namibie, voir plus haut, note de bas de page 84).
143 U.N Doc. A/PV.948 (15 décembre 1960) [dossier n° 79], par. 88.
144 Résolution 1541 (XV) de l’Assemblée générale, Principes qui doivent guider les Etats Membres pour
déterminer si l’obligation de communiquer des renseignements, prévue à l’alinéa e) de l’article 73 de la Charte, leur est
applicable ou non, Nations Unies, doc. A/RES/1541 (XV) (15 décembre 1960) [dossier n° 78], annexe, principes VI–IX.
145 Le Quatrième Comité, qui a rédigé la résolution 1541, était au courant des négociations en cours sur la
résolution 1514 et a poursuivi ses négociations sur plusieurs résolutions concernant des territoires spécifiques tout en
étant persuadé qu’elles ne seraient pas soumises à l’Assemblée générale tant qu’une décision n’aurait pas été prise sur la
résolution 1514. Informations émanant de territoires non autonomes, Diffusion, dans les territoires non autonomes,
d’informations sur l’Organisation des Nations Unies, participation des territoires non autonomes aux travaux de
l’Organisation des Nations Unies et des institutions spécialisées, moyens d’étude et de formation offerts par les Etats
Membres aux habitants des territoires non autonomes, rapport du Quatrième Comité, Nations Unies, doc. A/4650
(14 décembre 1960), par. 12. Le 15 décembre 1960, l’Assemblée générale s’est saisie de ces résolutions du Quatrième
Comité, y compris la résolution 1541, en vue de leur examen. Se reporter à U.N Doc. A/PV.948, voir plus haut la note de
bas de page 143, par. 46 à 112.
146 Nations Unies, doc. A/PV.1066 (27 novembre 1961) [dossier n° 117], par. 149.
- 32 -
oeuvre et de faire rapport à l’Assemblée générale»147. Lors des débats précédant l’adoption de la
résolution, des Etats Membres ont fait remarquer que, même si la décolonisation représente un
objectif important, le processus spécifique qu’elle doit revêtir pour un territoire donné n’est pas et
ne devrait pas être uniforme148.
4.54. La question a) mentionne trois résolutions de l’Assemblée générale en plus de la
résolution 1514 : la résolution 2066 (XX), la résolution 2232 (XXI) et la résolution 2357 (XXII).
Tous ces textes ont été adoptés au milieu des années 1960. Eux non plus ne reflètent pas une
obligation juridiquement contraignante qui aurait frappé d’interdiction légale la création du
Territoire britannique de l’océan Indien.
4.55. En vertu de la résolution 2066, «toute mesure prise par la Puissance administrante pour
détacher certaines îles du territoire de l’île Maurice afin d’y établir une base militaire constituerait
une violation de ladite déclaration [résolution 1514] et en particulier du paragraphe 6 de celleci
»149. De plus, ce texte « [i]nvite la Puissance administrante à ne prendre aucune mesure qui
démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale»150.
4.56. Ce libellé ne représente pas l’articulation d’une obligation légale contraignante.
Premièrement, la résolution 2066 affirme que le détachement de l’archipel des Chagos serait
contraire à une autre résolution non contraignante de l’Assemblée générale et non à une obligation
distincte découlant du droit international151.
4.57. Deuxièmement, cette interprétation du paragraphe 6 de la résolution 1514 ne traduit
pas un consensus au sein du Quatrième Comité152 ou de l’Assemblée générale. Au sein de cette
147 Résolution de l’Assemblée générale 1654 (XVI), La situation en ce qui concerne l’application de la
déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, Nations Unies, doc. A/RES/1654 (XVI)
(27 novembre 1961) [dossier n° 101], par. 4. Selon le Pakistan, l’un des auteurs de la résolution, cette dernière visait à
établir au sein des Nations Unies un mécanisme permettant de «hâter le processus de décolonisation» Nations Unies,
doc. A/PV.1061, voir plus haut, note de bas de page 82, par. 14.
148 Se reporter par exemple à Nations Unies, doc. A/PV.1061, voir plus haut, note de bas de page 82, par. 11
(Pakistan : «Il faut considérer le cas de chaque territoire dépendant en tenant compte des conditions et circonstances qui
lui sont particulières.») ; ibid., par. 93 (dans lequel l’Iran exprime une opinion analogue) ; ibid., par. 131 à 133 (dans
lequel les Etats-Unis relèvent que «[l]a nature de cette action des Nations Unies doit nécessairement être variable selon
les situations qui se présenteront et qui, nous l’avons vu, seront radicalement différentes pour des territoires différents» et
citent des exemples) (citation au paragraphe 131) ; ibid., par. 175 à 177 (dans lequel la Nouvelle-Zélande pointe
également des différences entre les territoires et souligne la nécessité de développer la capacité de ces derniers avant de
permettre d’opter pour l’indépendance ou pour un autre statut) ; Nations Unies, doc. A/PV.1066, voir plus haut la note de
bas de page 146, par. 9 (dans lequel le Mexique fait valoir que «l’octroi de l’indépendance [ne saurait] être une opération
mécanique, automatique, survenant à une date fixée d’avance, identique dans tous les cas et réalisée toujours dans les
mêmes conditions» et que la situation dans les territoires dépendants restants «peut être extrêmement variée et il n’est pas
possible de suivre la même marche dans tous les cas») ; ibid., par. 137 (Salvador : «[I]l est indéniable en effet que les
populations de ces territoires ne sont pas toutes en état d’accéder à la pleine autonomie, encore moins à la pleine
indépendance.»).
149 Nations Unies, doc. A/RES/2066 (XX), voir plus haut, note de bas de page 54, par. 5.
150 Ibid., par. 4.
151 Comme indiqué plus haut, les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas contraignantes, sauf
circonstances exceptionnelles inapplicables en l’espèce. Voir plus haut la note de bas de page 98.
152 Voir par exemple, Nations Unies, doc. A/C.4/SR.1570 (26 novembre 1965) [dossier n° 154], par. 6 (dans
lequel le Danemark déclare : «La délégation danoise n’est pas convaincue que les mesures envisagées par la Puissance
administrante, en complet accord avec le Gouvernement de l’île Maurice, en ce qui concerne certaines petites îles de
l’océan Indien soient en contradiction avec la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale») ; ibid., par. 18 (dans
lequel le Royaume-Uni exprime des vues analogues) ; ibid., par. 30 (adoption avec 77 voix pour, 0 voix contre et
17 abstentions au sein du Quatrième Comité).
- 33 -
dernière, les résolutions 2066, 2232 et 2357 ont été adoptées avec, respectivement, 18, 24 et
27 abstentions153. Comme indiqué précédemment154, cette interprétation n’était pas partagée par
tous les Etats au moment de l’adoption de la résolution 1514.
4.58. Les Etats se sont notamment déclarés en désaccord sur le libellé relatif à l’intégrité
territoriale dans le contexte de l’adoption des résolutions 2232 et 2357. L’Assemblée a voté
séparément sur le paragraphe 4 de la résolution 2232 qui «réitère» que les tentatives visant à
détruire l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux, ainsi qu’à établir des
bases et des installations militaires dans ces territoires, sont incompatibles à la fois avec la
résolution 1514 et avec les principes de la Charte. Dix-huit Etats ont voté contre et 27 se sont
abstenus155. Lorsque le même paragraphe du dispositif de la résolution 2357 a été soumis à un vote
séparé, il a obtenu 16 voix contre et 16 abstentions156.
4.59. Il convient de noter qu’après l’indépendance de Maurice et sa demande d’adhésion à
l’ONU, aucune objection aux arrangements pris dans le cadre du Territoire britannique de l’océan
Indien n’a été soulevée à l’Assemblée générale157. Par la suite, Maurice n’est plus apparue sur la
liste des territoires non autonomes158.
4.60. Pendant le demi-siècle qui a suivi, à la connaissance des Etats-Unis, ni le Comité
spécial de la décolonisation ni l’Assemblée générale n’ont examiné une autre résolution concernant
le Territoire britannique de l’océan Indien avant que l’Assemblée générale ne se penche sur la
demande dont la Cour est maintenant saisie159.
153 Nations Unies, doc. A/PV.1398 (16 décembre 1965) [dossier n° 148], par. 110 (résolution 2066 adoptée
avec 89 voix pour, 0 voix contre et 18 abstentions sans appel nominal) ; Nations Unies, doc. A/PV.1500 (20 décembre
1966) [dossier n° 172], par. 110 (résolution 2232 adoptée avec 93 voix pour, 0 voix contre et 24 abstentions par appel
nominal) ; Nations Unies, doc. A/PV.1641 (19 décembre 1967) [dossier n° 199], par. 150 (résolution 2357 adoptée
avec 86 voix pour, 0 voix contre et 27 abstentions par appel nominal).
154 Comme indiqué plus haut aux paragraphes 4.47 à 4.49, les Etats ont exprimé diverses opinions sur la
signification du paragraphe 6.
155 Nations Unies, doc. A/PV.1500, voir plus haut la note de bas de page 153, par. 109. Les Etats qui ont voté
«non» concernant le paragraphe relatif à l’intégrité territoriale sont : l’Afrique du Sud, l’Australie, la Belgique, le
Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la France, la Grèce, l’Islande, le Japon, le Luxembourg, la Nouvelle-Zélande, la
Norvège, les Pays-Bas, les Philippines, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède. Ceux qui se sont abstenus sont :
l’Argentine, l’Autriche, la Bolivie, le Brésil, la Chine, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, l’Equateur, la Finlande, le
Guatemala, Haïti, l’Iran, l’Irlande, Israël, l’Italie, les îles Maldives, le Laos, Madagascar, le Nicaragua, le Paraguay, le
Pérou, la République dominicaine, le Salvador, la Thaïlande, la Turquie, l’Uruguay et le Venezuela. Le texte du projet de
résolution figure dans le document de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux,
territoires n’ayant pas été examinés séparément, rapport de la Quatrième Commission, Nations Unies, doc. A/6628
(19 décembre 1966) [dossier n° 173], p. 9 et 10.
156 Nations Unies, doc. A/PV.1641, voir plus haut la note de bas de page 153, par. 149. Les Etats qui ont voté
«non» concernant le paragraphe relatif à l’intégrité territoriale sont : l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le
Danemark, les Etats-Unis, la Grèce, l’Islande, le Japon, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Nouvelle Zélande, les
Philippines, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède. Ceux qui se sont abstenus sont : la Bolivie, le Brésil, la Chine, le
Costa Rica, le Dahomey, la Finlande, la France, les îles Maldives, l’Irlande, Israël, l’Italie, la Malaisie, le Malawi, la
Norvège, le Panama, et la Turquie. Le texte du projet de résolution figure dans le document de la déclaration sur l’octroi
de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, Territoires n’ayant pas été examinés séparément, Rapport de la
Quatrième Commission, Nations Unies, doc. A/7013 (18 décembre 1967) [dossier n° 200], p. 22 et 23.
157 Voir généralement Nations Unies, doc. A/PV.1643, voir plus haut la note de bas de page 55.
158 Voir par exemple, le rapport 1969 du Comité spécial de la décolonisation, voir plus haut la note de bas de
page 71; U.N. Yearbook 1969, voir plus haut la note de bas de page 72, p. 627 et 628.
159 Voir plus haut, par. 3.23.
- 34 -
4.61. Bien que la période postérieure à l’accession de Maurice à l’indépendance ne soit pas
directement pertinente pour l’examen de la question a) contrairement à la résolution mise à la Cour,
il convient de noter que les Etats n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord sur un droit à
l’autodétermination jusqu’à la fin des années 1960 au moins. En 1964, les Etats ont commencé à
négocier le texte adopté en 1970 sous le nom de déclaration sur les relations amicales160.
Contrairement à celles ayant abouti à l’adoption de la résolution 1514, les discussions autour de la
déclaration sur les relations amicales se sont déroulées de manière méthodique et ont duré plus de
six ans161. Autre différence, ladite déclaration a été adoptée par consensus162.
4.62. Au cours des négociations, plusieurs Etats ont fait pression en faveur d’un libellé
différent des formulations analogues de la résolution 1514163. L’appel inconditionnel de cette
dernière en faveur de l’indépendance a été remplacé par une phrase expliquant clairement que le
choix du statut indépendance, libre association, intégration, ou «tout autre statut politique»
doit être librement décidé par le peuple de chaque territoire164. Et même si la déclaration sur les
relations amicales reprend le passage de la résolution 1514 appelant à mettre «rapidement» fin au
colonialisme, elle s’oppose à l’appel lancé par la même résolution en faveur d’un transfert
immédiat de tous les pouvoirs aux territoires non autonomes.
4.63. La déclaration sur les relations amicales a également introduit de nouveaux éléments
qui ne figuraient pas dans la résolution 1514. Elle prévoit notamment que le territoire d’une colonie
ou d’un autre territoire non autonome possède un statut séparé et distinct de celui de l’Etat qui
l’administre. Elle introduit aussi «une clause de sauvegarde» visant à interdire des actions qui
menaceraient l’intégrité territoriale d’un Etat souverain «se conduisant conformément au principe
de l’égalité de droit et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes … et doté ainsi d’un
160 Voir la résolution 1815 (XVII) de l’Assemblée générale, examen des principes du droit international touchant
les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, Nations Unies,
doc. A/RES/1815 (XVII) (18 décembre 1962), par. 2 (décision d’entreprendre une étude des principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats) ; la résolution 1966 (XVIII) de l’Assemblée
générale, Examen des principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats
conformément à la Charte des Nations Unies, Nations Unies, doc. A/RES/1966 (XVIII) (16 décembre 1963), par. 1
(établissement d’un comité spécial chargé de mener cette étude) ; P-H. Houben, Principles of International Law
Concerning Friendly Relations and Co-operation Among States, 61 Am. J. Int’l. L. 703, 704 (1967) (Ledit comité spécial
a tenu sa première session en1964).
161 «Vu l’importance du sujet et ses aspects techniques», l’Assemblée générale recommandait aux Etats Membres
du Comité spécial «de s’y faire représenter par des juristes», résolution de l’Assemblée générale 1966, voir plus haut la
note de bas de page 160, par. 2.
162 Nations Unies, doc. A/PV.1883 (24 octobre 1970), par. 8.
163 Les rapports pertinents du Comité spécial sur les relations amicales font état de propositions divergentes
concernant la formulation de l’autodétermination et de profonds désaccords sur certains aspects de la question. Une partie
de ces désaccords ont persisté presque jusqu’à l’adoption de la déclaration en octobre 1970. Voir rapport de 1966 du
Comité spécial sur les relations amicales, Nations Unies, doc. A/6230 (27 juin 1966), par. 456 à 521 ; rapport de 1967 du
Comité spécial sur les relations amicales, Nations Unies, doc. A/6799 (26 septembre 1967), par. 171 à 235 ; rapport de
1968 du Comité spécial sur les relations amicales, Nations Unies, doc. A/7326 (1968), par. 135 à 203 ; rapport de 1969
du Comité spécial sur les relations amicales, Nations Unies, doc. A/7619 (1969), par. 137 à 92 ; rapport de 1970 du
Comité spécial sur les relations amicales, Nations Unies, doc. A/8018 (1970), par. 61 à 78.
164 De ce point de vue, il nous ramène à la résolution 1541 et ajoute une formule «fourre-tout» à la fin. Voir aussi,
plus haut, par. 4.52 ; voir aussi, entre autres, R. H. Gimer, U.S. Representative, «Statement to the General Assembly»
(24 septembre 1970), in 63 Dep’t of State Bulletin 623 (1970), p. 626 (se félicitant de ce que l’énoncé dans cette liste
finale des différentes options concernant l’interprétation de cette règle correctement formulée) ; voir aussi Nations Unies,
doc. A/C.6/SR.1190 (24 septembre 1970), par. 25 (résumant les vues américaines).
- 35 -
gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race,
de croyance ou de couleur»165.
4.64. En fait, la résolution 1514 n’est même pas mentionnée dans la déclaration sur les
relations amicales. Au vu des différences matérielles entre les deux textes, il est encore plus
difficile de conclure que la résolution 1514 reflète une opinio juris concernant l’existence d’un
droit légal international à l’autodétermination lequel aurait été applicable à l’établissement du
Territoire britannique de l’océan Indien en 1965 dans la mesure où les Etats sont restés
manifestement en désaccord sur des éléments clés de l’autodétermination jusqu’à la fin des
années 1960.
4. La pratique des Etats n’a été ni fréquente ni tout à fait uniforme jusqu’à la fin des
années 1960 au moins
4.65. Les sections qui précèdent révèlent l’absence de preuves démontrant une opinio juris
selon laquelle les principes énoncés dans ou attribués par certains à la résolution 1514 constituaient
des obligations légales. Cette absence en soi oblige à conclure que le droit international coutumier
n’interdisait pas la création du Territoire britannique de l’océan Indien. Fait important, toutefois,
l’autre condition préalable à une règle de droit international coutumier fait également défaut : il
n’existait pas de pratique étatique fréquente et pratiquement uniforme pendant la période
considérée166.
4.66. Pour démontrer une pratique des Etats à l’appui de la proposition selon laquelle une
interprétation particulière de la résolution 1514 refléterait le droit international, il faudrait prouver
que les Etats agissaient pratiquement uniformément et conformément à ce principe au moment
pertinent. Bien que les circonstances factuelles de chaque situation de décolonisation fussent
différentes, la pratique des Etats dans les années 1950 et 1960 divergeait matériellement de
certaines des principales dispositions de la résolution 1514, souvent avec l’approbation ou
l’acquiescement des Nations Unies. Ces différences montrent à quel point il serait anhistorique
d’interpréter cette résolution comme reflétant fidèlement l’émergence de règles claires et
juridiquement contraignantes.
4.67. Quelques exemples illustrent cette absence de pratique étatique fréquente et
pratiquement uniforme. Plusieurs territoires ont modifié leurs frontières avant ou après leur
accession à l’indépendance, et ces changements n’ont pas été jugés incompatibles avec le
paragraphe 6 de la résolution 1514 relatif à l’intégrité territoriale167. Ainsi, les territoires sous
tutelle des Cameroons britanniques et du Ruanda-Urundi ont été divisés en deux et chaque partie a
pris un chemin différent vers l’indépendance. Les décisions pertinentes concernant le statut de ces
165 Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, déclaration relative aux principes du droit international
touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies,
Nations Unies, doc. A/RES/25/2625 (24 octobre 1970), annexe, «The Principle of Equal Rights and Self-Determination
of Peoples», par. 7.
166 Voir Plateau continental de la mer du Nord, voir plus haut la note de bas de page 95, arrêt, par. 74.
167 Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, voir plus haut la note de bas de page 100, par. 6 («Toute
tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible
avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.»).
- 36 -
territoires ont été prises avant et après l’adoption de la résolution 1514 et ont été entérinées par les
Nations Unies168.
4.68. Quelques années avant l’indépendance de la Jamaïque, le Royaume-Uni a imposé des
changements administratifs à cette colonie en l’amputant des îles Caïmanes et des îles Turques et
Caïques169. Malgré cette amputation, la Jamaïque a conservé son autorité sur les deux territoires, à
des degrés divers, jusqu’en 1962170. Lorsque la Jamaïque a opté pour l’indépendance en 1962, les
deux territoires ont réaffirmé leur volonté de rester des colonies britanniques171. L’Organisation des
Nations Unies a admis la Jamaïque en tant qu’Etat Membre, et a par la suite traité les îles Caïmanes
et les îles Turques et Caïques comme des territoires non autonomes distincts172. Ni l’Organisation
des Nations Unies ni ses Etats Membres ne se sont apparemment plaints que la séparation de ces
territoires de la Jamaïque et le maintien de leur statut de territoire britannique étaient incompatibles
avec la résolution 1514 du Conseil de sécurité.
168 En 1959, les Nations Unies avaient recommandé que des plébiscites séparés soient organisés dans la partie
septentrionale et dans la partie méridionale du Cameroun sous administration du Royaume-Uni, afin de déterminer les
aspirations des habitants du territoire, résolution 1350 (XIII) de l’Assemblée générale , avenir du territoire sous tutelle du
Cameroun sous administration du Royaume-Uni, Nations Unies, doc. A/RES/1350 (XIII) (13 mars 1959), par. 1. Les
électeurs dans chaque région n’ont reçu le choix qu’entre rejoindre le Nigéria ou rejoindre la République du Cameroun.
Résolution 1473 (XIV) de l’Assemblée générale, avenir du territoire sous tutelle du Cameroun sous administration du
Royaume-Uni : organisation du plébiscite dans la partie septentrionale du territoire, Nations Unies, doc. A/RES/1473
(XIV) (12 décembre 1959), par. 3 ; résolution 1352 (XIV) de l’Assemblée générale, avenir du territoire sous tutelle du
Cameroun sous administration du Royaume-Uni : organisation du plébiscite dans la partie méridionale du territoire,
Nations Unies, doc. A/RES/1352 (XIV) (16 octobre 1959), par. 2. Les électeurs du nord ont choisi de rejoindre le
Nigéria, et les électeurs du sud de rejoindre le Cameroun. Résolution 1608 (XV) de l’Assemblée générale, avenir du
territoire sous tutelle du Cameroun sous administration du Royaume-Uni, Nations Unies, doc. A/RES/1608 (XV)
(21 avril 1961). A aucun moment les Nations Unies n’ont offert à la population de l’ensemble du territoire la possibilité
de prendre une décision en tant que groupe homogène ou d’opter pour l’indépendance comme territoire unifié.
L’Assemblée générale a conclu que ces plébiscites reflétaient les désirs de la population du territoire et mettaient fin à
l’Accord de tutelle, ibid., par. 3. En ce qui concerne le Ruanda-Urundi, l’Assemblée générale avait recommandé
initialement que le territoire devienne indépendant sous la forme d’un seul et même Etat ; résolution 1743 (XVI) de
l’Assemblée générale, question de l’avenir du Ruanda-Urundi, Nations Unies, doc. A/RES/1743 (XVI) (23 février 1962),
par. 7. Cependant, après examen d’un rapport décrivant les réalités politiques sur le territoire, l’Assemblée a approuvé la
division du territoire et l’émergence de deux Etats souverains et indépendants : le Rwanda et le Burundi. Résolution 1746
(XVI) de l’Assemblée générale, avenir du Ruanda-Urundi, Nations Unies, doc. A/RES/1746(XVI) (27 janvier 1962),
par. 2. Ce faisant, elle a abrogé sa résolution 1514, ibid.., par. 8.
169 I; Hendry & S; Dickson, British Overseas Territories Law, 312, 344 (2011) (citant le Cayman Islands and
Turks and Caicos Islands Act 1958, 6 & 7 Eliz. 2 c. 13 (Royaume-Uni).
170 Ibid., p. 312, 344 (entre 1959 et 1962, les îles Caïmanes ont été «gouvernées depuis la Jamaïque» et les îles
Turques et Caïques dirigées par un administrateur placé lui-même «sous l’autorité du gouverneur de la Jamaïque»).
171 Voir, par exemple, «Turks, Caicos No Longer Share Governor», Sunday Gleaner (Jamaica), 27 mai 1962,
p. 1, disponible à l’adresse : https://newspaperarchive.com/kingston-gleaner-may-27-1962-p-1/ (faisant part de la
décision prise par l’Assemblée législative des îles Turques et Caïques de réaffirmer son désir de rester sous
administration britannique en qualité de colonie après l’accession à l’indépendance de la Jamaïque) ; Information from
Non-Self-Governing Territories: Summaries of Information Transmitted Under Article 73 e) of the Charter of the United
Nations: Report of the Secretary-General : Caribbean and Western Atlantic Territories: Cayman Islands, Nations Unies,
doc. A/5080/Add.12 (27 avril 1962), p. 4 (dans son rapport communiqué en vertu de l’article 73 e) de la Charte des
Nations Unies, le Royaume-Uni a mentionné la décision unanime de l’assemblée législative Imane de rester sous
administration britannique) ; «Cayman Islands to Seek Internal Self- Government», Daily Gleaner (Jamaica),
22 janvier 1962, p. 2, disponible à l’adresse : https://newspaperarchive.com/kingston-gleaner-jan-22-1962-p-2/ (citant
cette résolution dans laquelle il est notamment déclaré : «Le souhait des îles Caïmanes est de poursuive leur association
actuelle avec le Royaume-Uni.»).
172 Voir, par exemple, la résolution 1750 (XVII) de l’Assemblée générale, admission de la Jamaïque à l’ONU,
Nations Unies, doc. A/RES/1750(XVII) (18 septembre 1962) ; résolution de l’Assemblée générale 2069 (XX), question
d’Antigua, des Bahamas, de la Barbade, de Bermudes, de la Dominique, de la Grenade, de Guam, des îles Caïmanes, des
îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, des îles Salomon, des îles Samoa américaines, des îles Seychelles, des îles
Tokelaou, des îles Turques et Caïques, des îles Vierges américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de
Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de Pitcairn, de Sainte-Hélène, de Saint-Kitts-et-Nevis et Anguilla, de Sainte-Lucie et de
Saint-Vincent, Nations Unies, doc. A/RES/2069 (XX) (16 décembre 1965) (y compris les îles Turques et Caïques et les
îles Caïmanes parmi d’autres territoires non autonomes dans une résolution omnibus sur la décolonisation).
- 37 -
4.69. Ces exemples montrent que, même si la résolution 1514 a été interprétée comme
traitant de l’ajustement des frontières coloniales, elle ne l’a pas fait d’une manière reflétant la
pratique des Etats, ni avant ni après l’adoption de la résolution 1514.
4.70. La pratique des Etats différait sensiblement du libellé ambitieux de la résolution 1514
sur d’autres points. Par exemple, en dépit de l’appel lancé par ce texte en faveur de l’indépendance
comme unique issue pour tous les territoires sous tutelle et non autonomes173, plusieurs territoires
avant et après l’adoption de la résolution 1514 ont choisi un autre statut. La communauté
internationale s’est félicitée des résultats ou y a consenti. Parmi ces territoires figurent l’Alaska
(1959), Hawaï (1959) et Porto Rico (1952)174, ainsi que le Togoland britannique (1956)175 et les îles
Mariannes du Nord (1976)176.
4.71. De plus, malgré la déclaration contenue dans la résolution 1514 selon laquelle «[t]ous
les peuples ont le droit de libre détermination» en vertu duquel «ils déterminent librement leur
statut politique»177, dans plusieurs cas le statut politique d’un territoire non autonome a changé sans
que l’on ait tenté au préalable de vérifier les souhaits librement exprimés des habitants. Citons par
173 En vertu de la résolution 1514 : «[d]es mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les
territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous
pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve…» ; résolution 1514 (XV) de l’Assemblée
générale, voir plus haut la note de bas de page 100, par. 5 ; voir aussi ibid., par. 4 (mentionnant le droit des peuples
dépendants «à l’indépendance complète»).
174 Tous ces territoires ont choisi de s’intégrer aux Etats-Unis, après quoi l’Assemblée générale les a retirés de la
liste des territoires non autonomes, résolution 1469 (XIV) de l’Assemblée générale, cessation, en ce qui concerne
l’Alaska et Hawaii, de la communication des renseignements visés à l’alinéa 73 de la Charte, Nations Unies,
doc. A/RES/1469 (XIV) (12 décembre 1959), par. 4 ; résolution de l’Assemblée générale 748 (VIII), cessation de la
communication des renseignements visés à l’article 73 e) de la Charte : Porto-Rico, Nations Unies, doc. A/RES/748
(VIII) (27 novembre 1953), par. 6. Pour une analyse des notifications par les Etats-Unis aux Nations Unies concernant les
décisions relatives à l’autodétermination, respectivement, de l’Alaska, de Hawaï et de Porto Rico, voir Digest of Int’l Law
(Whiteman), 1963, p. 390 à 406.
175 En 1956, l’Assemblée générale avait appelé à l’organisation d’un plébiscite dans le Togo sous administration
britannique afin de donner aux habitants le choix entre l’union à la Côte d’Or (ancienne colonie britannique limitrophe
venant d’accéder à l’indépendance) et le maintien du régime de tutelle. L’indépendance ne faisait pas partie des options
proposées ; résolution 944 (X) de l’Assemblée générale, question de l’unification du Togo ; avenir du territoire sous
tutelle du Togo sous administration britannique, Nations Unies, doc. A/RES/944 (X) (15 décembre 1955), par. 2. Après
qu’une majorité a opté pour l’intégration, l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé l’union du territoire du
Togo sous administration britannique à la Côte d’Or ; voir résolution de l’Assemblée générale 1044 (XI), avenir du Togo
sous administration britannique, Nations Unies, doc. A/3905 (13 décembre 1956), par. 4, par. 1.
176 Voir notamment S.C. Res. 683 (1990), Nations Unies, doc. S/RES/683(1990) (22 décembre 1990), par. 7
(dans lequel le Conseil de sécurité se déclare convaincu que les populations des îles Mariannes «ont librement exercé leur
droit à l’autodétermination» en approuvant le statut établissant un commonwealth) ; U.S. Public Law 94-241
(24 mars 1976) (dans lequel le Congrès des Etats-Unis approuve le «Covenant to Establish a Commonwealth of the
Northern Mariana Islands» [pacte visant l’établissement d’un Commonwealth sur les îles Mariannes du Nord) ; ibid.,
par. 4 (où il est indiqué que ledit pacte a été approuvé à l’unanimité par la législature du district des îles Mariannes, le
20 février 1975, et par 78,8 % du peuple des îles Mariannes du Nord dans le cadre d’un plébiscite organisé le
17 juin 1975»).
177 Résolution de l’Assemblée générale 1514 (XV), voir la note de bas de page 100, par. 2 (les italiques sont de
nous).
- 38 -
exemple les anciens territoires portugais de Goa, Daman, Diu (1961)178 et São João Batista de
Ajuda (1961)179 ; l’ancien territoire néerlandais de l’Irian occidental (1962)180 et l’ancien territoire
espagnol d’Ifni (1969)181. Il convient également de signaler le rattachement en 1952 de l’Erythrée à
178 Le 18 décembre 1961, les forces militaires indiennes se sont emparées de Goa, Damao et Diu ;
Pritam T. Merani, The Goa Dispute, 14 J. Pub. L. 142 (1965), p. 166. Pendant une réunion du Conseil de sécurité
convoquée pour discuter de la plainte du Portugal concernant la violation de la Charte par l’Inde coupable d’avoir utilisé
la force contre un territoire souverain portugais, certains Etats ont appelé à l’évaluation des désirs librement exprimés des
peuples des territoires. Nations Unies, doc. S/PV.988 (18 décembre 1961), par. 14 (l’Equateur affirmant que les peuples
des territoires non autonomes «doivent déterminer librement s’ils désirent s’unir à tel ou tel Etat, ou acquérir la qualité
d’Etats indépendants) ; ibid., par. 30 (le Chili soulignant que le Portugal et l’Inde devraient tous les deux tenir compte de
la volonté des habitants des territoires). L’Inde a répondu que l’autodétermination n’est pas nécessaire dans certains cas,
sans toutefois expliquer comment une telle interprétation serait compatible avec la mention dans la résolution 1514 du
droit de «tous les peuples» à l’autodétermination, ibid., par. 84 et 85. La majorité du Conseil de sécurité a soutenu une
résolution appelant l’Inde à se retirer et les deux parties à négocier un règlement pacifique ; cependant, cette résolution
s’est heurtée au veto de l’Union soviétique. ibid., par. 129. L’année suivante, Goa, Daman et Diu ont été retirés de la liste
des territoires non autonomes. Comparer la résolution de l’Assemblée générale 1542 (XV), communication des
renseignements visés à l’article 73 e de la Charte, Nations Unies, doc. A/4684 (15 décembre 1960), par. 1 (identifiant
«Goa et dépendance ou Etat de l’Inde» comme des territoires non autonomes administrés par le Portugal) et le rapport du
Comité spécial pour les territoires administrés par le Portugal, Nations Unies, doc. A/5160 (25 août 1962), par. 6 (qui
constate que «Goa et ses dépendances n’étaient plus placées sous l’administration du Portugal, ayant été réunis
à… l’Inde» [traduction non officielle] et décidant que ce territoire ne relève plus du mandat du Comité).
179 São João Batista de Ajuda a été intégré au Bénin. Se reporter au rapport du Comité spécial pour les territoires
administrés par le Portugal, voir plus haut la note de bas de page 178, par. 6 [indiquant que São João Batista de Ajuda a
été nationalement uni au Dahomey (Bénin)].
180 Après l’indépendance de l’Indonésie, les Pays-Bas ont administré l’Irian occidental comme un territoire non
autonome distinct, malgré la revendication territoriale de l’Indonésie voir, par exemple, Nations Unies,
doc. A/C/1/SR.726 (23 novembre 1954), par. 79 à 93 ; The Question of West Irian (West New Guinea), United Nations
Yearbook 1957, p. 77 et 78. Les Pays-Bas ont fait valoir que le statut politique du territoire devrait être décidé par le
peuple de l’Irian occidental ; ibid., par. 78. En 1961, les Pays-Bas ont proposé d’étudier la possibilité d’organiser un
plébiscite, mais l’idée n’a pas remporté un soutien suffisant ; voir «The Situation with Regard to the Implementation of
the Declaration on the Granting of Independence to Colonial Countries and Peoples, Netherlands New Guinea,
Netherlands» : projet de résolution, Nations Unies, doc. A/L.354 (9 octobre 1961), par. 2. En fin de compte, les parties
sont convenues de transférer l’administration sans vérifier au préalable les désirs du peuple de l’Irian occidental. Accord
entre la République d’Indonésie et le Royaume des Pays-Bas concernant la Nouvelle-Guinée occidentale (Irian
occidental), 15 août 1962, 437 U.N.T.S. 292. L’Assemblée générale a conclu que «les Gouvernements de l’Indonésie et
des Pays-Bas ont réglé leur différend» dans le cadre d’un règlement pacifique ; résolution 1752 (XVII) de l’Assemblée
générale, accord entre la République d’Indonésie et le Royaume des Pays-Bas concernant la Nouvelle-Guinée occidentale
(Irian occidental), Nations Unies, doc. A/RES/1752(XVII) (21 septembre 1962), par. 1 et 2. Nations Unies,
doc. A/PV.1127 (21 septembre 1962), par. 197 (adoptée avec 89 voix pour, 0 voix contre et 14 abstentions). Il a fallu
attendre 1969 pour que les désirs des habitants de l’Irian occidental soient évalués dans le cadre d’un processus leur
laissant uniquement la possibilité de rester au sein de l’Indonésie ou de couper les liens avec elle. Voir «Agreement (with
Annex) Concerning West New Guinea (West Irian)», voir plus haut, article XVIII c). La résolution de l’Assemblée
notant la préférence du vote pour le maintien de l’Indonésie a recueilli 30 abstentions, plusieurs Etats exprimant des
préoccupations quant aux éléments antidémocratiques du vote. Voir la résolution 2504 (XXIV) de l’Assemblée générale,
accord entre la République d’Indonésie et le Royaume des Pays-Bas concernant la Nouvelle-Guinée occidentale (Irian
occidental), Nations Unies, doc. A/RES/2504 (XXIV) (19 novembre 1969). Nations Unies, doc. A/PV.1813
(19 novembre 1969), par. 182 (adoptée avec 84 voix pour, 0 voix contre et 30 abstentions) ; voir aussi, par exemple,
par. 13 (dans lequel le Gabon demande notamment : «Pourquoi n’a-t-on pas adopté le principe «à chacun une voix» ?») ;
ibid., par. 31 (dans lequel le Togo exprime des doutes sur la compatibilité du vote avec la résolution 1514 et se demande
«si ce qui s’est passé en Irian occidental a vraiment été un choix libre de la population») ; ibid., par. 63 et 64, 147 (dans
lesquels la Zambie et la République démocratique du Congo expriment des préoccupations concernant le vote).
181 Ifni a été intégré au Maroc. Voir renseignements émanant des territoires non autonomes communiqués en
vertu de l’article 73 e) de la Charte, rapport du Secrétaire général, Nations Unies, doc. A/7753 (7 novembre 1969), p. 2 de
l’annexe (notant qu’Ifni a été restitué par l’Espagne au Maroc en vertu d’un traité).
- 39 -
l’Ethiopie au sein d’une fédération, sur recommandation de l’Assemblée générale182, et la
suppression unilatérale par l’Ethiopie en 1962 de l’autonomie dont jouissait l’Erythrée, sans
opposition manifeste de l’Organisation des Nations Unies183.
4.72. Ces exemples illustrent quelques-unes des façons dont le statut des territoires non
autonomes et des territoires sous tutelle a évolué au cours des années 1950 et 1960 d’une manière
incompatible avec les principes énoncés ou attribués par certains à la résolution 1514. La
décolonisation est un processus politique complexe mis en oeuvre de plusieurs manières. Ces
exemples illustrent également les raisons pour lesquelles considérer l’établissement du Territoire
britannique de l’océan Indien comme illégal pourrait remettre en question la légalité et la stabilité
des frontières politiques établies pour nombre d’autres anciennes colonies ayant acquis leur
indépendance grâce à un processus de décolonisation.
*
* *
4.73. Le présent chapitre s’est concentré sur les raisons pour lesquelles il serait anhistorique
d’attribuer un caractère juridiquement contraignant au principe de l’autodétermination dans les
années 1960 et de l’appliquer au processus de décolonisation ayant abouti à l’indépendance de
Maurice en 1968. En particulier :
il n’y avait, en 1965 ou 1968, aucun traité en vigueur établissant une nouvelle règle
juridiquement contraignante de droit international qui aurait interdit la création du Territoire
britannique de l’océan Indien ;
au regard du droit international coutumier, pendant toute la période pertinente en l’espèce,
aucune opinio juris ne pouvait être considérée comme établissant une nouvelle règle interdisant
l’établissement du Territoire britannique de l’océan Indien ;
les résolutions de l’Assemblée générale relatives à la décolonisation ne reflétaient aucun
consensus, ni en matière de droit international ni en matière de règles spécifiques de
décolonisation, y compris en ce qui concerne les frontières territoriales ; et
la pratique réelle des Etats en matière de décolonisation, y compris les changements apportés
182 Résolution 390 (V) de l’Assemblée générale, Erythrée : rapport de la Commission des Nations Unies pour
l’Erythrée ; rapport de la Commission intérimaire de l’Assemblée générale sur le rapport de la Commission des
Nations Unies pour l’Erythrée, Nations Unies, doc. A/RES/390 (V) (2 décembre 1950), par. A.1 («l’Erythrée constituera
une unité autonome, fédérée avec l’Ethiopie sous la souveraineté de la couronne d’Ethiopie») ; Résolution 617 (VII) de
l’Assemblée générale, Erythrée : rapport du commissaire des Nations Unies en Erythrée, Nations Unies, doc. A/RES/617
(VII) (17 décembre 1952), par. 1 (se félicitant de l’établissement de la fédération). L’Assemblée générale a adopté la
résolution 390 malgré des preuves contradictoires concernant la question de savoir si le peuple de l’Erythrée désirait
s’unir avec l’Ethiopie ou l’indépendance, comme l’attestent les désaccords entre les cinq membres d’une commission
établie pour vérifier les aspirations des Erythréens. Voir rapport de la Commission des Nations Unies pour l’Erythrée,
Nations Unies, doc. A/1285 (8 juin 1950), par. 132 (dans lequel les commissaires birman, norvégien et sud-africain ont
conclu ensemble : «il n’est pas improbable de penser qu’une majorité d’Erythréens soit favorable à l’association politique
avec l’Ethiopie» tout en admettant que «[l]a situation en Erythrée ne permet pas, toutefois, de dresser des chiffres
exacts») ; voir également le paragraphe 173 (dans lequel le commissaire norvégien conclut séparément que «la grande
majorité de la population de l’Erythrée est en faveur d’une telle réunion») et également, le paragraphe 205 (dans lequel
les commissaires guatémaltèque et pakistanais concluent qu’une majorité désire l’indépendance).
183 Voir B. H. Selassie, Self-Determination in Principle and Practice: The Ethiopian–Eritrean Experience, 29
Colum. Hum. Rts. l. Rev. 91, 115–17 (1997).
- 40 -
aux limites territoriales avant l’indépendance, n’était ni fréquente ni pratiquement uniforme.
En conséquence, les résolutions de l’Assemblée générale mentionnées dans la question a)
doivent être comprises comme des étapes vers l’élaboration d’un consensus international plus
large, et non comme le reflet du droit international prévalant à l’époque.
4.74. Il convient toutefois de répéter que, pour répondre aux questions posées, la Cour
devrait également examiner divers points d’ordre juridique propres au différend pendant entre
Maurice et le Royaume-Uni concernant la souveraineté sur l’archipel des Chagos. Il s’agit
notamment, mais pas exclusivement, de points tels que le rôle du consentement des représentants
élus de Maurice et la réaffirmation de cet accord par Maurice après l’accession à l’indépendance.
Ces sujets purement bilatéraux, ainsi que d’autres points de désaccord entre Maurice et le
Royaume-Uni, viennent étayer l’argument selon lequel la présente espèce ne devrait pas être
soumise à la compétence consultative de la Cour.
4.75. Si la Cour devait néanmoins décider d’examiner les questions soulevées dans la
résolution relative à sa saisine, les Etats-Unis estiment que l’absence de toute obligation
nouvellement établie en vertu du droit international en 1965 qui aurait interdit la création du
Territoire britannique de l’océan Indien fournit en soi un motif suffisant pour répondre à la
question a) par l’affirmative, à savoir que la création de cette structure était licite. Cet argument à
son tour permettrait de ne pas répondre à la question b).
- 41 -
CHAPITRE V
CONCLUSION
5.1. Comme indiqué plus haut, la demande dont la Cour est saisie constitue une contestation
fondamentale de l’intégrité des procédures consultatives de cette instance et du maintien de la
distinction critique entre sa compétence consultative et contentieuse. Les Etats-Unis estiment que la
décision de rendre un avis sur le fond porterait atteinte à la fonction consultative de la Cour et
contournerait le droit des Etats de déterminer eux-mêmes les moyens de régler pacifiquement leurs
différends.
5.2. Les Etats-Unis reconnaissent que, dans le cadre de ses procédures consultatives
préalables, la Cour n’a pas jugé nécessaire d’exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au
paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut pour refuser une demande de saisie. Toutefois, dans sa
jurisprudence concernant les avis consultatifs, la Cour a exposé des circonstances qui pourraient
justifier un tel refus. Ces circonstances sont clairement réunies en l’espèce. En particulier :
il s’agit là essentiellement d’un différend bilatéral pendant qui concerne la souveraineté sur un
territoire ;
l’une des parties à ce différend, le Royaume-Uni, n’a pas consenti au règlement judiciaire du
différend par la Cour ;
les questions juridiques réellement en jeu sont directement liées à l’objet principal du
différend ; et
répondre aux questions équivaudrait essentiellement à trancher le différend entre les parties.
5.3. Par conséquent, il est difficile de voir comment la Cour pourrait traiter les questions
posées par l’Assemblée générale des Nations Unies sans méconnaître le principe fondamental selon
lequel un Etat ne saurait être obligé de consentir à ce que les différends auxquels il est partie soient
soumis à un règlement judiciaire sans son consentement. En effet, il est difficile d’imaginer une
instance dans laquelle l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire de refuser une saisine
serait aussi clairement justifié.
5.4. Pour les raisons exposées plus haut, les Etats-Unis prient respectueusement la Cour de
refuser de rendre l’avis demandé.
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Exposé écrit des Etats-Unis d'Amérique