Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15065
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE DU CHILI
28 février 2018
[Traduction du Greffe]
1. La Cour internationale de Justice a été saisie d’une demande d’avis consultatif par le biais de la résolution 71/292, adoptée le 22 juin 2017 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette demande contient deux questions, libellées comme suit :
a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?» ;
b) «Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
2. Par ordonnance du 14 juillet 2017, la Cour a fixé au 30 janvier 2018 la date d’expiration du délai dans lequel des exposés écrits sur la demande pourraient lui être présentés conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son Statut. Par ordonnance du 17 janvier 2018, elle a décidé de proroger ce délai jusqu’au 1er mars. Faisant suite à ces ordonnances, la République du Chili a estimé utile de soumettre les présentes observations à la Cour, sans préjudice des importantes questions juridiques soulevées dans cette procédure. Elle tient également à rappeler qu’elle s’est abstenue lors du vote sur la résolution 71/292 du 22 juin 2017.
3. Conformément à la position qu’il avait déjà adoptée sur le document final du XVIIe sommet du Mouvement des pays non alignés, tenu au Venezuela les 17 et 18 septembre 2016, le Chili a réitéré sa position à l’égard de la déclaration du Bureau de coordination sur le point 87 à l’ordre du jour de la soixante et onzième session de l’Assemblée générale des Nations Unies et s’est abstenu de voter sur la résolution 71/292.
4. Si le Chili s’est abstenu, c’est parce qu’il n’est pas pleinement convaincu que la demande d’avis consultatif constitue le cadre approprié pour examiner l’ensemble des questions posées à la Cour. Si certaines d’entre elles ont trait à la nature et à la portée de certaines résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies et intéressent à ce titre la communauté internationale dans son ensemble, d’autres portent sur le différend territorial bilatéral qui oppose Maurice et le Royaume-Uni et devrait être réglé par des moyens adéquats.
5. Le Chili sait que la demande d’avis consultatif concerne un différend territorial opposant actuellement Maurice et le Royaume-Uni, lequel ne reconnaît pas la compétence de la Cour à cet égard, ce qui ne prive pas en soi celle-ci de sa compétence dans le cadre d’une procédure consultative. Cependant, il est aussi essentiel de prendre en considération le fait que ce défaut de consentement des Parties à la compétence contentieuse de la Cour peut, dans certains cas, être de nature à convaincre celle-ci qu’il existe des «raisons décisives» de ne pas répondre à la question dont elle est saisie dans le cadre d’une demande d’avis consultatif. En 1975, la Cour a fait une déclaration en ce sens, en l’affaire du Sahara occidental, rappelant1 qu’elle avait :
1 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 32-33.
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«reconnu que le défaut de consentement pou[vait] l’amener à ne pas émettre d’avis si, dans les circonstances d’une espèce donnée, des considérations tenant à son caractère judiciaire imposaient un refus de répondre. Bref, le consentement d’un Etat intéressé conserve son importance non pas du point de vue de la compétence de la Cour mais pour apprécier s’il est opportun de rendre un avis consultatif.
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Tel serait le cas si les faits montraient qu’accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant.»
6. D’autre part, il ne fait nul doute que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un principe normatif fermement établi, en particulier par la déclaration 1514 (XV). En outre, ce principe a été rappelé dans l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que dans l’article premier du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, datant tous deux de 1966.
7. Le Chili tient à rappeler qu’il a voté en faveur des résolutions 1514 (XV), 2066 (XX), 2232 (XXI) et 2357 (XXII). Il soutient depuis toujours le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le processus de décolonisation promu par l’Assemblée générale des Nations Unies dans ces résolutions. Il demeure à ce jour un partisan inconditionnel de ce processus là où il n’a pas encore été mené à bien.
8. Pour ces motifs, tout en soutenant avec force le processus de décolonisation à laquelle Maurice est en droit de prétendre et le plein achèvement de celui-ci conformément au droit international, le Chili a déjà fait connaître sa position selon laquelle, en raison de sa nature et de sa portée, le différend bilatéral qui oppose actuellement le Royaume-Uni et Maurice devrait être réglé par d’autres moyens conformes au droit international.
9. Sur la base de ces analyses, il est affirmé par le présent exposé écrit que, l’avis consultatif étant une procédure appropriée pour traiter des questions d’ordre juridique intéressant la communauté internationale, celles qui sont d’ordre purement bilatéral entre deux Etats souverains devraient l’être par les moyens adéquats et refléter le consentement des parties concernées.
L’ambassadeur du Chili,
(Signé) María Teresa Infante CAFFI.
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Exposé écrit du Chili