Exposé écrit de l'Australie

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169-20180227-WRI-06-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15062
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT
DU GOUVERNEMENT AUSTRALIEN
27 février 2018
[Traduction du Greffe]
1. Par sa résolution 71/292 du 22 juin 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies
(l’«Assemblée générale») a demandé à la Cour internationale de Justice (la «Cour») de donner un
avis consultatif sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en
1965, et plus particulièrement sur les questions suivantes :
a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son
indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au
regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de
l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232
(XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?» ;
b) «Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations
évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous
l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce
qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de
réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
2. Les observations suivantes sont présentées par le Gouvernement australien conformément
aux ordonnances en date des 14 juillet 2017 et 17 janvier 2018 par lesquelles la Cour a fixé les
délais dans lesquels des exposés écrits sur ces questions pouvaient lui être présentés par
l’Organisation des Nations Unies, ses Etats Membres et l’Union africaine.
RÉSUMÉ
3. Pour les raisons détaillées dans le présent exposé, il ne convient pas que la Cour rende
l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale.
4. En premier lieu, la requête de l’Assemblée générale ne formule pas en termes précis les
questions juridiques sur lesquelles l’avis de la Cour est effectivement demandé, mais les pose de
manière indirecte. En conséquence, ces questions ne sont pas conformes aux prescriptions de
l’article 65 du Statut de la Cour (le «Statut») et ne relèvent donc pas de sa compétence.
5. En deuxième lieu, à supposer même que la Cour soit compétente, il convient qu’elle use
de son pouvoir discrétionnaire pour refuser de rendre l’avis sollicité, et ceci pour plusieurs raisons.
En réalité, l’Assemblée générale demande à la Cour de statuer sur un différend bilatéral préexistant
entre le Royaume-Uni et Maurice au sujet de la souveraineté de l’archipel des Chagos et de
questions connexes. Le prononcé d’un avis consultatif dans ces conditions serait incompatible avec
le principe fondamental selon lequel le Royaume-Uni et Maurice doivent donner leur consentement
avant qu’une cour ou un tribunal quelconque, y compris la Cour, puisse se prononcer sur un
différend bilatéral les opposant. La Cour doit en outre refuser de rendre l’avis consultatif demandé
car il n’assistera pas l’Assemblée générale dans le cadre de ses activités, étant donné que cette
dernière ne s’acquitte d’aucune fonction majeure en rapport avec l’archipel des Chagos. Enfin, la
Cour ne peut être assurée de disposer d’éléments factuels suffisants pour examiner comme il se doit
les questions qui lui sont soumises.
6. Compte tenu de la position de l’Australie selon laquelle la Cour doit refuser de rendre
l’avis consultatif qui lui est demandé, le présent exposé n’abordera pas le fond des questions
soumises à la Cour.
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CONTEXTE
7. En 1814, dans le cadre du Traité de Paris, l’archipel des Chagos, situé dans le nord de
l’océan Indien, a été officiellement cédé au Royaume-Uni, qui l’a administré à partir de ce
moment-là en tant que dépendance de Maurice.
8. En 1965, le Royaume-Uni et le Conseil des ministres de Maurice ont négocié les
Engagements de Lancaster House, qui détaillent les modalités de l’indépendance de Maurice. Dans
le cadre de ce processus, l’archipel des Chagos a été détaché de Maurice1 le 8 novembre 1965, avec
l’accord préalable du Conseil des ministres de Maurice, un certain nombre de conditions devant
être remplies par le Royaume-Uni. L’archipel a ensuite été administré par le Royaume-Uni en tant
que partie du Territoire britannique de l’océan Indien.
9. En 1966, le Royaume-Uni est convenu de permettre aux Etats-Unis d’Amérique d’utiliser
Diego Garcia, la plus grande île de l’archipel des Chagos, à des fins de défense pendant une
période initiale de 50 ans. Le Royaume-Uni s’est engagé à céder Diego Garcia à Maurice une fois
que l’île ne serait plus nécessaire à ces fins.
10. En 1968, Maurice a officiellement obtenu son indépendance du Royaume-Uni et a été
retiré de la liste des territoires non autonomes des Nations Unies. De 1968 à 1973, l’ensemble des
résidents de l’archipel des Chagos ont été déplacés vers Maurice et le Royaume-Uni, qui a effectué
plusieurs paiements en faveur de Maurice pour faciliter ce processus.
11. En 2016, l’accord conclu en 1996 entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique au
sujet de Diego Garcia a été prorogé de 20 ans.
12. Entre 1968 et 1980, Maurice «n’a pas soulevé la question de l’archipel des Chagos à des
tribunes publiques ou dans des communications diplomatiques»2. Toutefois, à partir de 1980,
Maurice a commencé à affirmer sa souveraineté sur l’archipel. Il en a résulté un différend juridique
entre le Royaume-Uni et Maurice au sujet de la souveraineté sur l’archipel des Chagos et des
circonstances de son détachement de Maurice, ceci recouvrant l’interprétation et l’application des
Engagements de Lancaster House3.
13. Ce différend bilatéral opposant le Royaume-Uni et Maurice depuis plusieurs dizaines
d’années s’est traduit par une série de procédures juridiques devant des cours et tribunaux aussi
bien internationaux que nationaux. Il convient ici de mentionner la procédure devant un Tribunal
arbitral constitué sous le régime de l’annexe VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer de 19824 (Arbitrage des Chagos). Une majorité des juges du Tribunal a refusé d’examiner
1 British Indian Ocean Territory Order 1965 (S.I. 1965 N° 1920), modifié par British Indian Ocean Territory
(Amendment) Order 1968 (S.I. 1968 N° 111), à l’annexe 1.
2 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos (La République de Maurice et le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) (Sentence) (18 mars 2015) https://files.pca-cpa.org/pcadocs/MUUK%
2020150318%20Award.pdf>, par. 100 (Nations Unies, dossier n° 409).
3 Ibid., par. 209 et 210.
4 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ouverte à la signature le 10 décembre 1982, 1833 RTNU 3
(entrée en vigueur le 16 novembre 1994).
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trois des quatre demandes de Maurice au motif qu’elles mettaient en jeu des questions de
souveraineté sur l’archipel des Chagos pour lesquelles le Tribunal n’avait pas compétence5.
14. Dans leurs déclarations respectives déposées au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut, le Royaume-Uni et Maurice excluent tous les différends juridiques les opposant de la
compétence contentieuse de la Cour. Il est donc manifeste que cette dernière ne peut statuer sur le
différend exposé ci-dessus dans l’exercice de sa compétence en matière de contentieux.
15. A la demande de Maurice, l’Assemblée générale cherche maintenant à contourner la
prescription du consentement des parties pour demander à la Cour de rendre un avis consultatif.
16. En votant contre la résolution 71/292 de l’Assemblée générale sollicitant l’avis de la
Cour, l’Australie a rappelé sa position de longue date selon laquelle il n’est pas approprié de
demander à la Cour de rendre un avis consultatif pour déterminer les droits et les intérêts d’Etats
découlant d’un contexte spécifique, en l’occurrence un différend bilatéral sur la souveraineté6. Ce
point de vue est largement partagé7.
COMPÉTENCE DE LA COUR
17. Le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut établit la compétence consultative de la Cour. Il
dispose que la Cour «peut donner un avis consultatif sur toute question juridique» à la demande
d’un organe habilité à le demander par la Charte des Nations Unies. L’article 96 de la Charte
complète cette disposition en autorisant l’Assemblée générale à demander à la Cour un avis
consultatif «sur toute question juridique». Le fait que seules certaines organisations internationales
publiques puissent solliciter un avis consultatif montre bien que la compétence consultative de la
Cour existe pour lui permettre de donner des éléments d’orientation à ces organisations, qui
n’auraient pas accès à la Cour autrement8.
18. La référence à des «questions juridiques» au paragraphe 1 de l’article 65 limite la
compétence consultative de la Cour. Celle-ci a conclu que «[s]i une question n’est pas juridique, la
Cour n’a pas de pouvoir discrétionnaire en la matière : elle doit refuser de donner l’avis qui lui est
demandé»9. La formulation adoptée au paragraphe 1 de l’article 65 du Statut est plus restrictive que
5 Arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos (La République de Maurice et le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) (Sentence) (18 mars 2015) <https://files.pca-cpa.org/pcadocs/MUUK%
2020150318%20Award.pdf> (Nations Unies, dossier n° 409).
6 Par exemple, dans l’affaire du Mur, l’Australie a déclaré qu’«[a]utoriser pareille utilisation de la procédure
consultative de la Cour pour passer outre à cette règle [relative au consentement] a des incidences lourdes pour l’adhésion
des Etats aux traités et est manifestement contraire à l’opportunité judiciaire». Conséquences juridiques de l’édification
d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, exposé écrit du Gouvernement australien,29 janvier
2004, p. 8, par. 15.
7 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/71/PV.88 (22 juin 2017), p. 18
(Nations Unies, dossier n° 6). Quinze Etats au total ont, tout comme l’Australie, voté contre la résolution. Par ailleurs,
65 Etats se sont abstenus, dans bien des cas pour des motifs faisant écho à ceux de l’Australie et mettant en particulier
l’accent sur l’importance de la résolution bilatérale de tels différends.
8 «Les organisations internationales publiques (gouvernementales) ne peuvent en tant que telles être parties à
aucun procès devant la Cour. En revanche, une procédure particulière, dite procédure consultative, est ouverte à ces
organisations et à elles seules». Cour internationale de Justice, Compétence en matière consultative <http://www.icjcij.
org/fr/competence-en-matiere-consultative>.
9 Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1962, p. 155.
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celle de l’article 14 du Pacte de la Société des Nations, qui accordait à la Cour permanente de
Justice internationale le pouvoir de «donner […] des avis consultatifs sur tout différend ou tout
point, dont [elle serait] saisi[e]» (les italiques sont de nous). Elle est plus restrictive non seulement
parce que la compétence consultative de la Cour ne s’étend pas à un avis sur «tout différend», mais
aussi parce qu’elle est limitée à des «questions juridiques» plutôt qu’à de simples «questions»10. En
conséquence, les différends purement factuels ne relèvent pas de la compétence consultative de la
Cour11.
19. Le paragraphe 2 de l’article 65 du Statut contribue à déterminer le type de «question
juridique» relevant de la compétence consultative de la Cour, puisqu’il impose de soumettre «une
requête écrite qui formule, en termes précis, la question sur laquelle l’avis de la Cour est demandé»
(les italiques sont de nous). Il s’ensuit que les «questions juridiques» pouvant faire l’objet d’une
demande d’avis consultatif sont des questions pouvant être formulées «en termes précis».
20. On peut admettre que la référence à des «questions juridiques» n’ait pas toujours été
interprétée de manière restrictive. C’est ainsi qu’une question «vis[ant] les conséquences juridiques
d’une situation de fait donnée, compte tenu des règles et des principes du droit international», étant
une question «libellée en termes juridiques» et «susceptible de recevoir une réponse fondée en
droit» a été considérée comme une «question juridique» au sens de l’article 65 du Statut12. En
outre, la Cour a accepté qu’une «question qui présente à la fois des aspects de droit et de fait n’en
est pas moins une question juridique» au sens de l’article 65 du Statut et de l’article 96 de la Charte
des Nations Unies13.
21. La Cour a toutefois relevé que «pour rester fidèle aux exigences de son caractère
judiciaire dans l’exercice de sa compétence consultative, elle doit rechercher quelles sont
véritablement les questions juridiques que soulèvent les demandes formulées dans une requête»14.
En l’espèce, ce qui s’oppose à l’exercice, par la Cour, de sa compétence, c’est que les «questions
juridiques» qui lui sont posées ne soulèvent pas voire escamotent la véritable question de droit
international sur l’archipel des Chagos à laquelle une réponse est demandée. Si les questions posées
concernent apparemment la décolonisation, elles ont en réalité pour but et pour effet de demander à
la Cour de statuer sur une question de souveraineté. Or, c’est là un différend de longue date entre le
Royaume-Uni et Maurice. Bien que les questions soient libellées sous forme de «questions
juridiques» relatives à la décolonisation, la requête constitue en réalité une tentative de porter ce
différend devant la Cour, ainsi qu’il ressort clairement des éléments suivants (dont la liste n’est pas
exhaustive) :
10 Voir Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005 (Martinus Nijhoff, 2006), vol. I,
p. 285 et 288 ; Simma et al, The Charter of the United Nations: A Commentary (Oxford University Press, 3e édition,
2013), vol. II, p. 1978 et 1979 ; Zimmermann et al, The Statute of the International Court of Justice: A Commentary
(Oxford University Press, 2e édition, 2012), p. 1673.
11 Voir Kolb, The International Court of Justice, (Hart, 2013), p. 1068.
12 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 153, par. 37 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15.
13 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 19, par. 17.
14 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980,
p. 88, par. 35.
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a) L’aide-mémoire adressé par Maurice à l’Assemblée générale en mai 2017 dans lequel il est
indiqué que la requête vise à «permettre à Maurice d’exercer sa pleine souveraineté sur
l’archipel des Chagos».15
b) Un communiqué de presse du Gouvernement de Maurice en date du 31 octobre 2017 portant sur
une rencontre à Port-Louis entre le Premier ministre mauricien et le président et dirigeant du
Groupe des réfugiés des Chagos, M. Louis Olivier Bancoult, et qui indique que la réunion «a eu
pour thème principal les efforts conjoints déployés à la Cour internationale de Justice pour que
Maurice puisse effectivement exercer sa souveraineté sur l’archipel des Chagos». 16
c) En présentant la résolution 71/292, le représentant du Congo, intervenant au nom des Etats
africains Membres des Nations Unies, a déclaré que cette démarche avait été entreprise par les
Etats africains pour «permettre à un Etat qui est membre de l’Union africaine et de l’ONU
d’exercer sa pleine souveraineté sur l’archipel des Chagos»17.
22. Une requête pour avis consultatif comprenant des questions ayant trait en apparence à un
sujet donné, mais portant en réalité sur un autre, ne relève pas de la compétence consultative de la
Cour. Dans un tel cas de figure, on ne trouve pas de formulation «en termes précis», voire même
pas de formulation du tout, de la «question juridique» sur laquelle l’avis de la Cour est sollicité.
23. A la différence d’autres affaires dans lesquelles la Cour a pu interpréter, «voire
reformuler» des questions mal posées ou vagues18, une telle solution n’est pas envisageable en
l’espèce, étant donné qu’aucune reformulation de questions relatives à la décolonisation ne saurait
englober la question de fond sur laquelle l’avis de la Cour est demandé19.
24. C’est bien de compétence qu’il s’agit ici, étant donné que l’exercice de la compétence
consultative de la Cour dépend des termes des questions qui lui sont soumises. Lorsqu’une requête
pour avis consultatif ne formule pas les questions juridiques sur lesquelles l’avis de la Cour est
effectivement demandé (mais les pose de manière indirecte), la compétence de la Cour n’est pas
engagée. La Cour ne peut légitimement reformuler les questions puisqu’elle ne peut être certaine
que l’Assemblée générale aurait demandé l’avis consultatif si les véritables questions juridiques
avaient été mises en évidence. De fait, c’est peut-être une réticence à poser expressément la
«véritable question juridique»20 qui explique que les questions soumises en l’espèce l’aient été de
manière à traiter de décolonisation plutôt que de souveraineté.
15 Gouvernement de la République de Maurice, aide-mémoire en date de mai 2017 en rapport avec le point 87 de
l’ordre du jour de la soixante et onzième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, par. 1 et 2, annexe 2.
16 Gouvernement de la République de Maurice, Prime Minister Meets Chagos Refugees Group Leader on
Advisory Opinion Request (31 octobre 2017) <http://www.govmu.org/English/News/Pages/Prime-Minister-meets-
Chagos-Refugees-Group-Leader-on-advisory-opinion-request-procedure.aspx>, annexe 3.
17 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/71/PV.88 (22 juin 2017), p. 5
(Nations Unies, dossier n° 6) (les italiques sont de nous).
18 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 154, par. 38.
19 Dans Interprétation de l’accord gréco-turc du 1er décembre 1926, avis consultatif, 1928 C.P.J.I. (série B) n° 16
p. 14, la Cour a reconnu qu’il n’est pas toujours possible de reformuler la question lorsqu’aucune question précise ne lui a
été soumise.
20 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 88
et 89, par. 35 et 36.
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25. Dans ces conditions, les questions posées ne sont pas conformes à l’article 65 du Statut
et, partant, la Cour n’est pas compétente.
POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DE LA COUR DE DONNER
UN AVIS CONSULTATIF
26. Si la Cour conclut qu’elle est compétente, la question se pose de savoir si elle doit
exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser de rendre l’avis consultatif sollicité en l’espèce.
27. En son paragraphe 1, l’article 65 du Statut prévoit que la Cour «peut donner un avis
consultatif» (les italiques sont de nous). Ce libellé montre clairement que la compétence
consultative est discrétionnaire. Dans cette logique, la Cour a maintes fois reconnu qu’il pouvait
être opportun pour elle de «ne pas répondre» à une demande d’avis consultatif21, et qu’elle
«possède à cet égard un large pouvoir d’appréciation»22.
28. La Cour n’a pas recensé de manière exhaustive les facteurs régissant l’exercice de ce
pouvoir d’appréciation, se contentant de déclarer qu’elle ne refusera de donner un avis consultatif
que s’il existe «des raisons décisives» pour ce faire23. Cette formulation ne contribue pas à
déterminer les facteurs qui, pris individuellement ou dans leur ensemble, constituent des «raisons
décisives». Comme l’a indiqué le juge Bennouna dans l’affaire du Kosovo, la Cour a évoqué des
«raisons décisives» «sans […] préciser ce qu’elle entend par là»24. Dans la même affaire, le
juge Keith a remarqué que l’«[e]xercice du pouvoir discrétionnaire … ne devrait pas … être
indûment entravé par une formule telle que «raisons décisives»25.
29. Dans l’affaire de la Namibie, le juge Fitzmaurice a déclaré que la Cour avait le droit
avéré de «refuser purement et simplement de donner suite à une demande d’avis consultatif si elle
estime, pour des raisons suffisantes, qu’il ne serait ni séant ni opportun de le faire»26. Si cette
21 Voir, par exemple, Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21, par. 23 ; Conformité au droit
international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II),
p. 416, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44. Compte tenu du caractère établi du pouvoir discrétionnaire, la déclaration dans
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 235, par. 14, et dans
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44, selon laquelle la Cour «ne devrait pas, en principe, refuser de donner un avis
consultatif» doit manifestement être comprise comme signifiant que la Cour ne devrait pas refuser de donner un tel avis,
à moins qu’elle n’ait de bonnes raisons de le faire.
22 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
23 Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1956, p. 86. Voir également Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud
en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1971, p. 27, par. 41 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 30.
24 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 501, par. 5 (opinion dissidente de M. le juge Bennouna).
25 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 483, par. 5 (opinion individuelle de M. le juge Keith).
26 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 303, par. 12.
(opinion dissidente de M. le juge Fitzmaurice).
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formulation reconnaît utilement la portée du pouvoir discrétionnaire, elle ne donne une fois encore
guère d’indications sur les facteurs déterminant son application.
30. On trouve les éléments d’orientation les plus clairs à cet égard dans l’affaire du Mur, où
la Cour, ayant fait référence à la formulation des «raisons décisives», a toutefois reconnu avoir
«l’obligation de s’assurer, chaque fois qu’elle est saisie d’une demande d’avis, de l’opportunité
d’exercer sa fonction judiciaire»27. Comme l’a expliqué le juge Owada dans la même affaire :
«la Cour doit examiner la question de la compétence et, en particulier celle de
l’opportunité judiciaire, proprio motu au besoin, pour apprécier non seulement si elle
est fondée en droit à exercer sa compétence en tant qu’organe judiciaire dans le
contexte précis de l’espèce, mais aussi en quoi il est opportun pour elle de le faire du
point de vue de la politique judiciaire.»28
31. En quoi «l’opportunité judiciaire» peut-elle amener la Cour à refuser de donner un avis
consultatif, que ce soit pour des motifs relevant du droit ou de la politique judiciaire ? Sans
prétendre à l’exhaustivité, l’Australie soutient que l’opportunité judiciaire impose une telle
démarche dans les cas de figure suivants :
a) répondre à la demande serait incompatible avec la nécessité fondamentale du consentement des
Etats pour un règlement judiciaire des différends en droit international, laquelle constitue le
socle sur lequel repose l’autorité de la Cour ;
b) la requête pour avis consultatif est présentée par un organe des Nations Unies dans des
circonstances telles que, s’il était rendu, ledit avis n’assisterait pas l’organe en question dans
l’exercice de ses fonctions ; ou
c) la Cour ne peut être certaine de disposer de suffisamment d’informations factuelles lui
permettant d’examiner dûment la question, et tenter de répondre dans ces circonstances pourrait
être source d’iniquité pour les parties et serait incompatible avec le caractère judiciaire de la
Cour.
Ces considérations sont examinées tour à tour ci-dessous.
a) Absence de consentement
La nécessité fondamentale du consentement
32. Le principe clé sur lequel se fonde le règlement des différends internationaux est qu’un
Etat ne peut être obligé à se soumettre à aucune forme de résolution des différends, y compris
27 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 157, par. 45 (les italiques sont de nous). Voir également Conformité au droit international de la
déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 29, où la
Cour déclare que ce pouvoir discrétionnaire vise «à protéger l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour et sa nature en
tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies» ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 332, par. 1 (opinion dissidente de M. le juge Oda) (se référant à des
raisons «d’opportunité et de réserve judiciaires»).
28 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 260 et 261, par. 2 (opinion individuelle de M. le juge Owada).
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devant la présente Cour, sans y donner son consentement (nécessité fondamentale du
consentement)29.
33. Dans l’affaire du Statut de la Carélie orientale, la Cour permanente de Justice
internationale a invoqué la nécessité fondamentale du consentement pour refuser d’user de son
pouvoir discrétionnaire de rendre un avis consultatif au sujet de ce qui était un différend bilatéral30.
Elle a agi ainsi alors même que la compétence consultative qui lui était conférée par l’article 14 du
Pacte de la Société des Nations n’était pas circonscrite aux seules «questions juridiques», mais
s’appliquait également expressément aux «différends»31. Il a ultérieurement été établi que l’affaire
du Statut de la Carélie orientale était un cas à part car la Russie n’était pas Membre de la Société
des Nations à l’époque32. Toutefois, si la non-appartenance de la Russie à la Société des Nations
explique pourquoi le consentement de la Russie était absent, c’est le défaut de consentement en tant
que tel, et non pas sa raison, qui sous-tend le refus de la Cour de rendre un avis consultatif33. Il
convient donc d’interpréter l’affaire du Statut de la Carélie orientale comme établissant que la
Cour doit refuser d’exercer sa compétence consultative si cela est incompatible avec la nécessité
fondamentale du consentement. Comme l’a observé la Cour permanente de Justice internationale :
«Il est bien établi en droit international qu’aucun Etat ne saurait être obligé de
soumettre ses différends avec les autres Etats soit à la médiation, soit à l’arbitrage, soit
enfin à n’importe quel procédé de solution pacifique, sans son consentement…. La
soumission d’un différend, [que la Russie aurait] avec un Etat Membre de la Société
des Nations, aux méthodes de règlement prévues par le Pacte, ne saurait résulter que
de [son] consentement. Or, le consentement de la Russie n’a jamais été donné… Par
conséquent, la Cour se voit dans l’impossibilité d’exprimer un avis sur un différend de
cet ordre»34.
34. Et de poursuivre :
«La question posée à la Cour n’est pas de droit abstrait, mais concerne
directement le point essentiel du conflit entre la Finlande et la Russie, et il ne peut y
être répondu qu’à la suite d’une enquête sur les faits qui sont à la base de l’affaire.
Répondre à la question équivaudrait en substance à trancher un différend entre les
parties. La Cour, étant une Cour de Justice, ne peut pas se départir des règles
29 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B n° 5, p. 27 ; Sahara occidental, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12, par. 25, 32 et 33, renvoyant à Interprétation des traités de paix conclus avec la
Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 65, par. 71. Voir également
Aust, Handbook of International Law (Cambridge University Press, 2e édition, 2010), p. 396 ; Crawford, Brownlie’s
Principles of Public International Law (Oxford University Press, 8e édition, 2012), p. 718 ; Shaw, International Law
(Cambridge University Press, 7e édition, 2014), p. 733.
30 Il importe de noter que la Cour permanente de Justice internationale confirme le principe «bien établi» selon
lequel «aucun Etat ne saurait être obligé de soumettre ses différends avec les autres Etats soit à la médiation, soit à
l’arbitrage, soit enfin à n’importe quel procédé de solution pacifique, sans son consentement» : voir Statut de la Carélie
orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B n° 5, p. 27.
31 Voir Simma et al, The Charter of the United Nations : A Commentary (Oxford University Press, 3e édition,
2013), vol. II, p. 1978 (Oellers-Frahm).
32 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 23, par. 31 ;
Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 23 et 24 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 235 et 236, par. 14.
33 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B n° 5, p. 27 et 28. Voir également
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 262 et 263, par. 6 et 7 (opinion individuelle de M. le juge Owada).
34 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B n° 5, p. 27 et 28.
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essentielles qui dirigent son activité de tribunal, même lorsqu’elle donne des avis
consultatifs.» 35
35. Dans l’affaire du Sahara occidental, la Cour a catégoriquement confirmé la pertinence de
la nécessité fondamentale du consentement au regard de son pouvoir discrétionnaire de donner ou
non un avis consultatif. Elle a déclaré que :
«[l]e défaut de consentement pourrait l’amener à ne pas émettre d’avis si, dans les
circonstances d’une espèce donnée, des considérations tenant à son caractère judiciaire
imposaient un refus de répondre… Ainsi le défaut de consentement d’un Etat intéressé
peut, dans certaines circonstances, rendre le prononcé d’un avis consultatif
incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour. Tel serait le cas si les faits
montraient qu’accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon
lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il
n’est pas consentant. Si une telle situation devait se produire, le pouvoir
discrétionnaire que la Cour tient du paragraphe 1 de l’article 65 du Statut fournirait
des moyens juridiques suffisants pour assurer le respect du principe fondamental du
consentement à la juridiction.» 36
36. La Cour reconnaît par là même sans ambiguïté que, dans les circonstances où le
prononcé d’un avis consultatif «aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est
pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant», elle doit
refuser de rendre ledit avis. Procéder autrement serait incompatible avec le caractère judiciaire de
la haute juridiction.
37. Ce principe a été cité dans des décisions ultérieures de la Cour37. Il demeure essentiel
aujourd’hui, compte tenu notamment des efforts déployés de plus en plus fréquemment par les
Etats demandeurs pour requalifier les différends afin de contourner les limites en matière de
compétence posées par les Etats défendeurs. La nécessité fondamentale du consentement est
particulièrement impérative dans le cas de différends territoriaux. Comme l’a déclaré l’Espagne à la
Cour dans l’affaire du Sahara occidental, «le consentement d’un Etat au règlement judiciaire d’un
différend concernant l’attribution de la souveraineté territoriale est toujours nécessaire»38. Si la
Cour a implicitement souscrit à cet argument, elle a toutefois observé que «[l]es questions posées
dans la requête ne se rattachent pourtant pas à un conflit territorial, au sens propre, entre les Etats
intéressés» et estimé que «la requête pour avis consultatif n’appelle pas de sa part un prononcé sur
des droits territoriaux existants ni sur la souveraineté sur un territoire»39.
38. Ceci est pertinent en l’espèce, car la Cour ne peut répondre à la question b) sans se
prononcer sur un conflit territorial opposant le Royaume-Uni et Maurice au sujet de la souveraineté
territoriale sur l’archipel des Chagos.
35 Ibid. p. 28 et 29 (les italiques sont de nous).
36 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 32 et 33 (les italiques sont de nous).
37 Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1989, p. 191, par. 37 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158, par. 47.
38 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 27 et 28, par. 43.
39 Ibid.
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39. Enfin, le Tribunal arbitral a statué sur certains aspects du différend opposant le
Royaume-Uni et Maurice dans l’Arbitrage des Chagos. Il semble que les arguments que Maurice
va avancer en cherchant à obtenir des réponses spécifiques aux questions soumises à la Cour soient
incompatibles avec les décisions contraignantes déjà rendues lors de l’arbitrage40. Ceci soulève des
questions particulièrement critiques au sujet de l’opportunité judiciaire, étant donné qu’il est
demandé à la Cour d’appliquer sa compétence consultative non pas simplement au mépris de la
nécessité fondamentale du consentement, mais aussi d’une manière qui tournerait une décision
existante ayant force obligatoire pour le Royaume-Uni et Maurice.
Contournement de la compétence contentieuse de la Cour
40. Dans un ordre d’idée très proche, tant sur le plan du droit que de la politique judiciaire, la
Cour ne doit pas autoriser le recours à sa compétence consultative pour tourner le caractère
facultatif de sa compétence contentieuse.
41. Les déclarations respectives du Royaume-Uni et de Maurice au titre du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour ne confèrent pas à cette dernière la compétence de statuer sur les
différends juridiques pouvant surgir entre ces deux Etats. Dans sa déclaration d’acceptation au titre
du paragraphe 2 de l’article 36, déposée le 22 février 2017 et qui met à jour et remplace les
déclarations précédentes, le Royaume-Uni accepte la juridiction de la Cour «en ce qui concerne
tous les différends nés après le 1er janvier 1987», en excluant toutefois «tout différend avec le
gouvernement d’un autre pays qui est ou qui a été membre du Commonwealth»41. De même, la
déclaration de Maurice au titre du paragraphe 2 de l’article 36, déposée le 23 septembre 1968
exclut de son acceptation de la juridiction de la Cour «les différends avec le gouvernement d’un
autre pays membre du Commonwealth britannique de nations, différends qui seront réglés selon
une méthode convenue entre les parties ou dont elles conviendront»42.
42. En vertu de ces déclarations, le différend persistant entre le Royaume-Uni et Maurice,
tous deux membres du Commonwealth, au sujet de la souveraineté sur l’archipel des Chagos ne
relève pas de la compétence contentieuse de la Cour. L’absence de compétence contentieuse de la
Cour ne peut être surmontée par le biais d’un avis consultatif sollicité par l’Assemblée générale.
Comme l’a remarqué le juge de Castro dans l’affaire du Sahara occidental :
«Il semble cependant évident qu’il y a une raison décisive de refus lorsque la demande
d’avis consultatif implique que la fonction consultative de la Cour est utilisée pour
tourner la difficulté que présente le caractère facultatif de la procédure
contentieuse»43.
40 A titre d’exemple, dans l’Arbitrage des Chagos, le Tribunal arbitral a examiné la valeur juridique de l’Accord
de 1965 conclu entre le Royaume-Uni et Maurice au sujet du détachement de l’archipel des Chagos en échange d’une
indemnité et d’une série d’engagements détaillés. Il a conclu «qu’au moment où Maurice a accédé à l’indépendance,
l’Accord de 1965 a pris effet entre les Parties au regard du droit international» et que toute préoccupation quant à
l’éventualité que des vices aient entaché le consentement de Maurice à cet égard étaient dissipés (Arbitrage des Chagos
(Sentence) (18 mars 2015), par. 428. Voir également par. 424 à 427). La déclaration prononcée par le représentant de
Maurice (M. Jugnauth) immédiatement avant l’adoption de la résolution 71/92 de l’Assemblée générale des Nations
Unies le 22 juin 2017 est révélatrice de l’intention de Maurice de réexaminer, dans la présente procédure, la décision
contraignante du Tribunal arbitral selon laquelle l’Accord de 1965 fait partie du droit international. Ce faisant,
M. Jugnauth a suggéré plusieurs causes de nullité dont la contrainte, le défaut de compétence juridique et des violations
des règles impératives du droit international. (A/71/PV.88, p. 6 à 9) (Nations Unies, dossier n° 6).
41 Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Déclaration en application de l’article 36 2) du
Statut, déposée le 22 février 2017.
42 Maurice, Déclaration en application de l’article 36 2) du Statut, déposée le 23 septembre 1968.
43 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 143 (opinion individuelle de M. le juge de Castro).
- 11 -
43. S’il a un rapport étroit avec le principe de l’absence de consentement abordé ci-dessus, le
fait que le prononcé d’un avis consultatif en l’espèce aurait pour conséquence de tourner le
caractère facultatif de la compétence contentieuse de la Cour constitue un motif supplémentaire
pour que cette dernière ne donne pas suite à la demande qui lui est faite. Ce motif est
particulièrement impérieux lorsque les Etats en conflit ont expressément exclu une catégorie
spécifique de différends de leur acceptation générale de la compétence contentieuse de la Cour.
Dans un tel cas de figure, la question va au-delà de l’absence de consentement à la compétence (qui
est en soi fondamentale), étant donné que le prononcé de l’avis consultatif constituerait une remise
en cause du refus exprès des deux parties de laisser la Cour statuer sur des différends les opposant.
44. De surcroît, rendre un avis consultatif en l’espèce ne fera qu’encourager le renvoi
d’autres différends bilatéraux devant la Cour par le truchement de requêtes en avis consultatif
soumises par l’Assemblée générale. Pour des raisons d’économie judiciaire, et afin de protéger sa
fonction judiciaire, la Cour ne doit pas donner un tel encouragement. Comme l’a déclaré le juge
Bennouna dans l’affaire du Kosovo, si elle avait refusé de rendre un avis consultatif, la Cour aurait
pu porter un coup d’arrêt à toutes les autres «demandes […] d’avis que des organes politiques
pourraient être tentés, à l’avenir, de lui adresser et protéger par là même l’intégrité de sa fonction
judiciaire»44.
Autres précédents
45. Nonobstant le principe fondamental du consentement, il est déjà arrivé à la Cour de
rendre un avis consultatif en dépit de l’existence d’une controverse d’ordre juridique connexe entre
les Etats concernés. Toutefois, pour les raisons exposées ci-dessous, ces affaires ne remettent pas
en cause l’importance de la nécessité fondamentale du consentement pour que la Cour puisse
exercer son pouvoir discrétionnaire de rendre un avis consultatif. Dans ces affaires, la Cour
confirme au contraire cette nécessité fondamentale, mais renvoie à des caractéristiques
spécifiques  qui ne sont pas présentes en l’espèce  expliquant pourquoi un avis consultatif a pu
être dûment rendu sans porter atteinte à cette nécessité fondamentale.
46. Les affaires examinées ci-dessous concordent donc avec l’argument de l’Australie selon
lequel l’opportunité judiciaire impose à la Cour de refuser d’exercer sa compétence consultative
dans les circonstances de l’espèce, car toute autre approche serait incompatible avec les fondements
consensuels de l’autorité de la Cour et la contraindrait à déroger au principe de la nécessité
fondamentale du consentement régissant, en droit international, une intervention judiciaire dans le
règlement de différends.
47. Dans plusieurs affaires, la Cour a décidé qu’il était opportun qu’elle rende un avis
consultatif en dépit de l’existence d’un différend bilatéral sous-jacent, au motif que la «position
juridique des parties [aux] différends ne saurait à aucun degré être compromise par les réponses
que la Cour pourrait faire aux questions qui lui sont posées»45. La Cour a indiqué qu’il pouvait en
être ici pour plusieurs raisons :
a) L’avis portait sur la procédure de règlement du différend et non sur le fond.
Dans l’affaire des Traités de paix, il a été demandé à la Cour de rendre un avis consultatif sur la
désignation de représentants aux commissions, prévues par les traités, chargées du règlement de
44 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 500, par. 3 (opinion dissidente de M. le juge Bennouna).
45 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
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différends découlant des traités de paix conclus respectivement entre la Bulgarie, la Hongrie et
la Roumanie, d’une part, et les Puissances alliées d’autre part. La Cour a estimé qu’un avis
rendu sur cette question concernait uniquement la procédure de règlement des différends. Cela
«ne touche assurément pas le fond même de ces différends» susceptibles d’être soumis
ultérieurement aux commissions prévues par les traités46. En substance donc l’avis demandé
portait sur une question spécifique ayant un rapport fortuit avec un différend existant, sans pour
autant en être l’objet.
b) L’avis portait sur l’applicabilité de la convention de manière générale, et non sur son
application à un différend en particulier.
Dans l’affaire de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, la Cour a
constaté que «la présente procédure, vu sa nature et son objet, vise… à demander un avis sur
l’applicabilité d’une partie de la convention générale, et non à porter un différend devant la
Cour en vue de son règlement»47. En rendant son avis, la Cour s’est penchée sur une question
juridique abstraite et a pris bien soin d’éviter le différend concret «entre l’Organisation des
Nations Unies et la Roumanie au sujet de l’application de la convention générale»48.
c) L’avis ne concernait pas les droits actuels de la partie non consentante.
Dans l’affaire du Sahara occidental, la Cour a observé que le problème qui lui était soumis
concernait les droits du Maroc sur le Sahara occidental au moment de sa colonisation, et non les
droits que possédait la Puissance administrante (l’Espagne) au moment de l’audience49. Pour
cette raison, la Cour a conclu que «[l]e règlement de ce problème sera sans effet sur les droits
que l’Espagne possède actuellement en tant que Puissance administrante»50. En conséquence, le
fait que l’Espagne n’ait pas consenti au règlement de ce différend n’empêchait pas la Cour de
rendre un avis consultatif, étant donné que ledit avis n’avait aucune incidence sur les droits de
l’Espagne.
d) La question juridique sous-jacente a déjà été tranchée.
Dans l’affaire de la Namibie, le Conseil de sécurité avait déjà adopté une résolution déclarant
illégal le maintien de la présence de l’Afrique du Sud en Namibie et invité les Etats à agir en
conséquence. Dans ces conditions, l’objet de la requête pour avis consultatif était d’éclairer le
Conseil de sécurité dans ses futures actions en rapport avec la Namibie (voir paragraphe 52 cidessous).
La requête n’avait pas «trait à un différend juridique actuellement pendant entre deux
ou plusieurs Etats»51, étant donné que le Conseil de sécurité s’était déjà prononcé sur ledit
différend.
e) La requête s’inscrivait dans un cadre plus large que celui d’un simple différend bilatéral
individuel.
46 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72 (les italiques sont de nous).
47 Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1989, p. 190, par. 35 (les italiques sont de nous).
48 Ibid. p. 191, par. 38.
49 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 27, par. 42.
50 Ibid.
51 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 24, par. 32
(les italiques sont de nous).
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Dans l’affaire du Mur, la Cour a relevé que l’avis demandé portait sur une question qui
«s’inscri[vai]t dans un cadre bien plus large que celui d’un différend bilatéral»52. C’est pour
cette raison que la Cour a conclu que rendre un avis n’aurait pas «pour effet de tourner le
principe du consentement au règlement judiciaire» et qu’elle ne saurait dès lors user de son
pouvoir discrétionnaire pour refuser de donner un avis pour ce motif53. Il est manifeste qu’elle
reconnaît ainsi toute l’importance du consentement dans l’exercice de son pouvoir de rendre ou
non un avis consultatif.
48. A la différence des affaires résumées ci-dessus, l’avis consultatif sollicité en l’espèce
aurait pour conséquence de compromettre les positions juridiques du Royaume-Uni et de Maurice
dans leur différend relatif à la souveraineté sur l’archipel des Chagos. En répondant à la question b)
la Cour devra aborder directement la question juridique de fond faisant l’objet du différend entre le
Royaume-Uni et Maurice (voir affaires des Traités de paix, et de la Convention sur les privilèges et
immunités des Nations Unies), différend qui concerne les droits actuels des parties54 (voir affaire du
Sahara occidental), qui n’a pas encore été tranché (voir affaire de la Namibie), et qui porte
spécifiquement sur le seul différend bilatéral existant (voir affaire du Mur).
49. Les circonstances mises en évidence dans chacun des précédents cités au paragraphe 47
ne valent pas en l’espèce. Il n’existe donc aucune raison pour tempérer ou déroger à la
jurisprudence de longue date selon laquelle l’opportunité judiciaire impose à la Cour de refuser de
rendre l’avis consultatif qui lui est demandé, afin de respecter le principe fondamental du
consentement des Etats qui constitue la base du règlement judiciaire des différends en droit
international.
b) L’objet de l’avis consultatif ne présente pas un intérêt suffisant pour l’Assemblée générale
50. Dans l’écrasante majorité des affaires pour lesquelles un avis consultatif est sollicité par
l’Assemblée générale, l’intérêt de cette dernière est manifeste et il n’est pas nécessaire de le
mentionner expressément dans la demande. C’est la raison pour laquelle la Cour a pu déclarer dans
l’avis qu’elle a rendu dans l’affaire du Mur :
«Comme il ressort de la jurisprudence de la Cour, les avis consultatifs servent à
fournir aux organes qui les sollicitent les éléments de caractère juridique qui leur sont
nécessaires dans le cadre de leurs activités» 55.
51. C’est le fait qu’un avis consultatif soit sollicité pour «éclairer les Nations Unies dans leur
action propre»56 qui a amené la Cour a déclarer qu’il faut des «raisons décisives» pour l’amener à
52 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 159, par. 50.
53 Ibid.
54 La question b) évoque le «maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni» (les
italiques sont de nous).
55 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 162 et 163, par. 60 (les italiques sont de nous).
56 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 19.
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refuser de donner un avis consultatif, étant donné que l’exercice de sa compétence consultative
correspond à sa propre participation aux activités de l’organisation57.
52. L’importance que la Cour attache à l’exercice de cette fonction l’a amenée à exercer son
pouvoir discrétionnaire pour rendre un avis consultatif alors même que la question était en relation
avec un différend existant58. Toutefois, ceci ne s’est produit que dans des affaires où l’avis de la
Cour était sollicité non pas pour que soit statué sur le différend, mais pour éclairer les
Nations Unies dans l’exercice de leurs propres fonctions. Par exemple :
a) Dans l’affaire des Réserves à la convention sur le génocide, la Cour a rejeté une objection à
l’exercice de sa compétence consultative au motif que «[l]’objet de la présente demande d’avis
est d’éclairer les Nations Unies dans leur action propre»59.
b) Dans l’affaire du Sahara occidental, la Cour a conclu qu’«[i]l existe dans la présente affaire une
controverse juridique mais c’est une controverse qui a surgi lors des débats de l’Assemblée
générale et au sujet de problèmes traités par elle. Il ne s’agit pas d’une controverse née
indépendamment, dans le cadre de relations bilatérales»60.
c) Dans l’affaire de la Namibie, la Cour a de nouveau invoqué ce motif, en soulignant que le
préambule de la résolution du Conseil de sécurité sollicitant l’avis indiquait expressément
«qu’un avis consultatif de la Cour internationale de Justice serait utile au Conseil de sécurité
pour continuer à examiner la question de la Namibie et pour la réalisation des objectifs
recherchés par le Conseil»61.
d) Enfin, dans l’affaire du Mur, la Cour a déclaré que «[l]’objet de la requête dont la Cour est
saisie est d’obtenir de celle-ci un avis que l’Assemblée générale estime utile pour exercer
comme il convient ses fonctions. L’avis est demandé à l’égard d’une question qui intéresse tout
particulièrement les Nations Unies, et qui s’inscrit dans un cadre bien plus large que celui d’un
différend bilatéral»62. Cet intérêt tout particulier s’est concrétisé par «l’adoption de nombreuses
résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale» sur la question63.
53. A la différence des affaires résumées ci-dessus, l’avis consultatif sollicité en l’espèce
n’assisterait pas les Nations Unies dans le cadre de leur action (ce qui est généralement le motif
invoqué par la Cour pour conclure qu’une demande d’avis n’est «pas dépourvue[] d’objet ou de
but»64). L’intérêt de l’Assemblée générale n’est donc pas manifeste. Par ailleurs, rien dans le libellé
57 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
58 Il s’agit d’un facteur qui vient s’ajouter à ceux qui sont exposés au paragraphe 47 et définissent les conditions
dans lesquelles la Cour peut rendre un avis en dépit de l’existence d’un différend bilatéral.
59 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1951, p. 19.
60 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 34 ; voir également Conséquences
juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158,
par. 47.
61 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 24, par. 32
(les italiques sont de nous).
62 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 159, par. 50.
63 Ibid. p. 159, par. 49.
64 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 20, par. 20, et p. 37, par. 73.
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de la résolution 71/292 n’indique que l’avis de la Cour est requis pour éclairer l’Assemblée
générale dans l’exercice de ses responsabilités en rapport avec la décolonisation, ou au titre de
questions relatives à l’archipel des Chagos (voir l’affaire de la Namibie)65. S’il est vrai que les
questions posées à la Cour ont été formulées à travers le prisme de la décolonisation, la juge
Higgins a cependant observé dans l’affaire du Mur que «[l]’objet de la requête n’[était] pas
d’obtenir un avis sur les fonctions de décolonisation de l’Assemblée, mais de pouvoir plus tard, sur
la base de l’avis rendu par la Cour, exercer ses pouvoirs en vue du règlement du différend ou de la
controverse»66.
54. En l’espèce, ni le Conseil de sécurité ni l’Assemblée générale ne sont actuellement saisis
de questions relatives à l’archipel des Chagos (que ce soit dans le contexte de la décolonisation ou
autrement) (voir les affaires de la Namibie et du Mur). Au contraire, bien que le différend bilatéral
entre le Royaume-Uni et Maurice au sujet de la souveraineté sur l’archipel des Chagos ait débuté
au commencement des années 1980, le sujet n’a jamais été examiné activement par l’Assemblée
générale au travers de quelque résolution que ce soit67. Dans ces conditions, la question faisant
l’objet de la demande ne présente pas, pour l’Assemblée générale, un intérêt justifiant l’exercice
par la Cour de son pouvoir discrétionnaire pour répondre à la demande (d’autant plus qu’agir de la
sorte reviendrait à empiéter sur un différend bilatéral préexistant et enfreindrait le principe
fondamental du consentement). Comme l’a remarqué le juge Keith dans son opinion dans l’affaire
du Kosovo :
«En l’absence d’un tel intérêt, l’avis — dont le but doit être de fournir à
l’organe qui le sollicite les éléments de caractère juridique nécessaires à l’exercice de
ses activités — n’a pas de raison d’être. En conséquence, il n’y a pas de raison pour
que la Cour coopère, et ce qu’on appelle parfois son devoir de répondre disparaît» 68.
c) Conséquences en matière de procédure et d’administration de la preuve
55. La dernière raison pour laquelle «l’opportunité judiciaire» impose à la Cour d’user de
son pouvoir discrétionnaire pour refuser de donner un avis consultatif réside dans l’inadaptation au
traitement sur le fond d’un différend entre Etats des règles de procédure et de présentation de la
preuve de la procédure consultative. La Cour risque de ne pas disposer d’informations suffisantes
pour examiner la question comme il se doit.
65 La lettre, datée du 14 juillet 2016, du Représentant permanent de Maurice auprès de l’Organisation des Nations
Unies, demandant l’inscription à l’ordre du jour provisoire de l’Assemblée générale d’une question concernant une
demande d’avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée
générale, doc. A/71/142) (Nations Unies, dossier n° 1) avançait que l’Assemblée générale tirerait avantage d’un avis
consultatif de la Cour pour mener à bien la mission que lui attribuait Maurice. Toutefois, les avantages mis en avant par
Maurice ne se retrouvent pas dans le libellé de la résolution 71/292 (Nations Unies, dossier n° 7).
66 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 210, par. 12 (opinion individuelle de Mme la juge Higgins). Dans l’affaire du Sahara occidental, la Cour a fait
référence aux mêmes circonstances, mais conclu qu’elles ne s’appliquaient pas en l’espèce. Voir Sahara occidental, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 26 et 27, par. 39.
67 Il a seulement été soulevé par Maurice au cours du débat général annuel.
68 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 489, par. 16 (opinion individuelle de M. le juge Keith).
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56. La Cour a convenu depuis longtemps qu’il lui faut déterminer au cas par cas si elle
dispose d’éléments de preuve suffisants pour rendre un avis consultatif, la question étant :69
«de savoir si la Cour dispose de renseignements et d’éléments de preuve suffisants
pour être à même de porter un jugement sur toute question de fait contestée et qu’il lui
faudrait établir pour se prononcer d’une manière conforme à son caractère judiciaire».
57. Si la Cour ne dispose pas de renseignements suffisants, elle devrait refuser de donner
suite à la demande d’avis consultatif70. Dans l’affaire du Mur par exemple, les juges Buergenthal et
Owada se sont dit préoccupés par l’insuffisance des faits sur lesquels la Cour a fondé ses
conclusions, et qui peut avoir débouché sur une injustice pour les parties au différend bilatéral
sous-jacent71.
58. Même s’il existe des éléments de preuve suffisants pour permettre le prononcé d’un avis
consultatif, l’opportunité judiciaire peut malgré tout imposer à la Cour de refuser d’exercer sa
compétence consultative si cet exercice risque de s’avérer inéquitable pour un Etat particulier ou
«incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour»72. En particulier :
a) Dans une procédure contentieuse, chaque partie a la possibilité, au cours de la phase orale de la
procédure, de présenter des arguments détaillés à l’appui de sa cause et de répondre aux
arguments de la partie adverse. Ce processus est important car il permet de recenser les
éléments fondamentaux pour le règlement du différend et de circonscrire les questions sur
lesquelles les parties s’opposent : or, la procédure consultative ne permet guère d’arriver à ce
résultat. C’est en partie pour cette raison que l’opportunité judiciaire impose à la Cour, dans
l’exercice de sa compétence consultative, de s’abstenir de déroger aux conclusions du Tribunal
d’arbitrage dans l’Arbitrage des Chagos, procédure contentieuse ayant un caractère obligatoire
pour le Royaume-Uni et Maurice.
b) Dans une procédure consultative, si la Cour ne dispose pas d’informations suffisantes pour
trancher une question d’ordre factuel spécifique, elle ne peut se rabattre sur des considérations
relatives à la charge de la preuve, comme c’est le cas dans une procédure contentieuse73. Or, ce
risque est bien réel en l’espèce, étant donné que le différend opposant le Royaume-Uni et
Maurice porte notamment sur les relations bilatérales entre le Royaume-Uni et le Conseil des
ministres de Maurice depuis le milieu des années 1960.
69 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 28 et 29, par. 46, cité favorablement dans
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2004 (I), p. 161, par. 56.
70 Voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 161, par. 56, indiquant que Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B
n° 5, p. 28, en constitue un exemple (ce qui est exact, même s’il s’agissait d’une raison secondaire, puisqu’elle était
présentée comme une «autre raison péremptoire» pour refuser de répondre).
71 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 240 à 246 (déclaration de M. le juge Buergenthal) ; p. 267 à 231, par. 20 à 30 (opinion
individuelle de M. le juge Owada).
72 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33.
73 Greenwood, «Judicial Integrity and the Advisory Jurisdiction of the International Court of Justice» dans Gaja
and Stoutenburg (éditions), Enhancing the Rule of Law Through the International Court of Justice (Brill Nijhoff,
2014), p. 68 et 69.
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d) Résumé des considérations soumises à l’appréciation de la Cour
59. En résumé :
 Le différend juridique bilatéral né entre le Royaume-Uni et Maurice au début des années 1980
au sujet de la souveraineté sur l’archipel des Chagos et de questions connexes est au coeur des
questions posées par l’Assemblée générale. Le Royaume-Uni et Maurice n’ont pas donné leur
consentement pour que la Cour règle ce différend. Dans ces conditions, le prononcé de l’avis
consultatif demandé en l’espèce irait à l’encontre du principe fondamental reconnu dans
l’affaire du Sahara occidental (et précédemment par la Cour permanente de Justice
internationale dans l’affaire du Statut de la Carélie orientale) selon lequel un Etat n’est pas
tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant, ce qui rendrait
ledit prononcé incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour. En vérité, si ce principe
n’est pas appliqué pour faire obstacle au prononcé d’un avis consultatif en l’espèce, on voit mal
dans quelles circonstances il pourrait l’être.
 L’objet de l’avis demandé ne présente pas un intérêt suffisant pour l’Assemblée générale étant
donné qu’il ne l’assistera dans l’exercice d’aucune de ses fonctions.
 On ne retrouve en l’espèce aucun des éléments ayant précédemment incité la Cour à user de
son pouvoir discrétionnaire pour rendre un avis consultatif dans des affaires où il existe un
recoupement entre l’objet de l’avis demandé et un différend préexistant opposant des Etats qui
n’ont pas donné leur consentement au règlement de leur différend par la Cour.
CONCLUSION
Pour les raisons indiquées dans le présent exposé, l’Australie prie respectueusement la Cour
de refuser de rendre l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution 71/292
du 22 juin 2017.
Le 27 février 2018,
Le représentant de l’Australie,
(Signé) M. W. M. CAMPBELL Q.C.
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CERTIFICATION
Je certifie par la présente que les annexes jointes au présent exposé sont des copies
conformes des documents reproduits ici.
Le 27 février 2018,
Le représentant de l’Australie,
(Signé) M. W. M. CAMPBELL Q.C.
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LISTE DES ANNEXES
Annexe 1 British Indian Ocean Territory Order 1965 (S.I. 1965 N° 1920), modifié
par British Indian Ocean Territory (Amendment) Order 1968 (S.I. 1968
N° 111).
Annexe 2 Gouvernement de la République de Maurice, Aide-mémoire établi en
mai 2017 en rapport avec le point 87 de l’ordre du jour de la soixante-etonzième
session de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Annexe 3 Gouvernement de la République de Maurice, Prime Minister Meets
Chagos Refugees Group Leader on Advisory Opinion Request (31 octobre
2017).
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Exposé écrit de l'Australie

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