COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Document non officiel
Résumé 2018/3
Le 6 juin 2018
Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France)
Historique de la procédure (par. 1-22)
La Cour commence par rappeler que, le 13 juin 2016, la Guinée équatoriale a déposé une
requête introductive d’instance contre la France au sujet d’un différend ayant trait à
«l’immunité de juridiction pénale du second vice-président de la République de
Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat
[M. Teodoro Nguema Obiang Mangue], ainsi qu[’au] statut juridique de l’immeuble
qui abrite l’Ambassade de Guinée équatoriale en France, tant comme locaux de la
mission diplomatique que comme propriété de l’Etat».
Dans sa requête, la Guinée équatoriale entend fonder la compétence de la Cour, d’une part,
sur l’article 35 de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée du
15 novembre 2000 (ci-après la «convention de Palerme») et, d’autre part, sur l’article premier du
protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques
concernant le règlement obligatoire des différends, du 18 avril 1961 (ci-après le «protocole de
signature facultative à la convention de Vienne»).
La Cour rappelle en outre que, suite au dépôt par la Guinée équatoriale le 29 septembre 2016
d’une demande en indication de mesures conservatoires, elle a, par ordonnance en date du
7 décembre 2016, prié la France, «dans l’attente d’une décision finale en l’affaire», de
«prendre toutes les mesures dont elle dispos[ait] pour que les locaux présentés comme
abritant la mission diplomatique de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris
jouissent d’un traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de
Vienne sur les relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité».
La Cour rappelle enfin que, le 31 mars 2017, la France a soulevé des exceptions
préliminaires à la compétence de la Cour.
CONTEXTE FACTUEL (PAR. 23-41)
La Cour explique que, à partir de 2007, des associations et des personnes privées ont déposé
des plaintes auprès du procureur de la République de Paris à l’encontre de certains chefs d’Etat
africains et de membres de leurs familles, pour des détournements allégués de fonds publics dans
leur pays d’origine, dont les produits auraient été investis en France. L’une de ces plaintes, déposée
le 2 décembre 2008 par l’association Transparency international France, a été déclarée recevable
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par la justice française et une information judiciaire a été ouverte des chefs de «recel de
détournement de fonds publics», «complicité de recel de détournement de fonds publics, complicité
de détournement de fonds publics, blanchiment, complicité de blanchiment, abus de biens sociaux,
complicité d’abus de biens sociaux, abus de confiance, complicité d’abus de confiance et recel de
chacune de ces infractions». La Cour observe que l’enquête diligentée a notamment porté sur le
mode de financement de biens mobiliers et immobiliers acquis en France par plusieurs personnes,
dont M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, fils du président de la Guinée équatoriale, qui était à
l’époque ministre d’Etat chargé de l’agriculture et des forêts de la Guinée équatoriale. Les
investigations ont plus particulièrement concerné les modalités d’acquisition par
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue de divers objets de très grande valeur et d’un immeuble
sis au 42 avenue Foch à Paris. En 2011 et 2012, cet immeuble a fait l’objet d’une saisie pénale
immobilière et divers objets s’y trouvant ont été saisis après que la justice française eut conclu que
son acquisition avait été financée en tout ou en partie par le produit des infractions visées par
l’instruction et que son véritable propriétaire était M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. La
Guinée équatoriale a systématiquement protesté contre ces actions, alléguant qu’elle avait
préalablement acquis l’immeuble en question et qu’il faisait partie des locaux de sa mission
diplomatique en France.
La Cour note que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, qui est devenu le 21 mai 2012
second vice-président de la Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat, a
protesté contre les mesures prises à son encontre et invoqué à plusieurs reprises l’immunité de
juridiction dont il estimait pouvoir jouir compte tenu de ses fonctions. Il a toutefois été mis en
examen par la justice française en mars 2014. Les recours judiciaires de l’intéressé contre cette
mise en examen ont tous été rejetés, de même que les protestations diplomatiques de la
Guinée équatoriale. Au terme de l’enquête, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue qui avait été
nommé vice-président de la Guinée équatoriale chargé de la défense nationale et de la sécurité de
l’Etat en juin 2016 a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour y être jugé pour
des infractions liées au délit de blanchiment d’argent qu’il aurait commises en France entre 1997 et
octobre 2011.
La Cour observe que les audiences sur le fond devant le tribunal correctionnel de Paris se
sont tenues du 19 juin au 6 juillet 2017. Le 27 octobre 2017, le tribunal a rendu son jugement, par
lequel il a déclaré M. Teodoro Nguema Obiang Mangue coupable des infractions qui lui étaient
reprochées. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans, assortie d’un sursis, ainsi
qu’à une peine d’amende de 30 millions d’euros, également assortie de sursis. Le tribunal a en
outre ordonné la confiscation de l’ensemble des biens saisis dans le cadre de l’information
judiciaire et de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris ayant déjà fait l’objet d’une saisie pénale
immobilière. S’agissant de la confiscation de cet immeuble, le tribunal, se référant à l’ordonnance
en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 7 décembre 2016, a dit que
«la procédure pendante devant [la Cour internationale de Justice] rend[ait] impossible non pas le
prononcé d’une peine de confiscation mais l’exécution par l’Etat français d’une telle mesure». A la
suite du prononcé du jugement, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a fait appel de sa
condamnation devant la Cour d’appel de Paris. Cet appel ayant un effet suspensif, aucune mesure
n’a été prise pour mettre à exécution les peines prononcées à l’encontre de l’intéressé.
OBJET DU DIFFÉREND (PAR. 48-73)
La Cour relève que le différend qui oppose les Parties découle des procédures pénales
engagées en France contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, et que, lorsque la
Guinée équatoriale a, le 13 juin 2016, déposé sa requête devant la Cour, celles-ci étaient en cours
devant les juridictions françaises. Les faits de l’affaire et les conclusions des Parties indiquent qu’il
existe plusieurs demandes distinctes sur lesquelles les vues des Parties s’opposent et qui constituent
l’objet du différend. Par commodité, ces demandes sont décrites au regard des bases de compétence
que la Guinée équatoriale invoque pour chaque demande.
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Demandes formulées par la Guinée équatoriale sur le fondement
de la convention de Palerme
La Cour note que l’aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque la
convention de Palerme comme base de compétence concerne différentes demandes sur lesquelles
les Parties ont présenté des vues divergentes dans leurs écritures et plaidoiries. Les Parties
s’opposent, premièrement, sur le fait de savoir si, en conséquence des principes de l’égalité
souveraine et de la non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats, tels que visés à
l’article 4 de ladite convention, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, en tant que vice-président de
la Guinée équatoriale chargé de la défense nationale et de la sécurité de l’Etat, jouit de l’immunité
de juridiction pénale étrangère. Deuxièmement, leurs vues divergent sur la question de savoir si, en
conséquence des principes visés dans cette même disposition, l’immeuble sis au 42 avenue Foch à
Paris jouit de l’immunité des mesures de contrainte. Troisièmement, elles sont en désaccord sur la
question de savoir si, en établissant sa compétence sur les infractions principales associées à
l’infraction de blanchiment d’argent, la France a outrepassé sa compétence pénale et manqué à
l’obligation conventionnelle lui incombant en vertu de l’article 4 de la convention de Palerme, lu
conjointement avec les articles 6 et 15 de cet instrument.
La Cour indique qu’elle recherchera si cet aspect du différend entre les Parties est
susceptible d’entrer dans les prévisions de la convention de Palerme, et si, par suite, il est de ceux
dont elle est compétente pour connaître sur le fondement de cette convention.
Demandes formulées par la Guinée équatoriale sur le fondement
de la convention de Vienne
La Cour observe en outre que l’aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale
invoque le protocole de signature facultative à la convention de Vienne comme base de compétence
concerne deux demandes sur lesquelles les Parties ont présenté des vues divergentes. La première
est celle de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris fait partie des locaux de la mission
de la Guinée équatoriale en France et peut donc bénéficier du traitement accordé à pareils locaux
par l’article 22 de la convention de Vienne. Les Parties sont également en désaccord sur la question
de savoir si les mesures prises par les autorités françaises à l’égard de l’immeuble emportent
violation par la France des obligations lui incombant en vertu de l’article 22. La Cour indique
qu’elle recherchera si cet aspect du différend entre les Parties est susceptible d’entrer dans les
prévisions de la convention de Vienne et si, par suite, il est de ceux dont elle est compétente pour
connaître au titre du protocole de signature facultative à ladite convention.
PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE EN VERTU
DE LA CONVENTION DE PALERME (PAR. 74-119)
A titre préliminaire, la Cour note que l’article 35 de la convention de Palerme énonce
certaines conditions de nature procédurale auxquelles les Etats parties sont tenus de satisfaire avant
de pouvoir la saisir d’un différend. Ces Etats doivent ainsi s’efforcer de régler le différend par voie
de négociation pendant une période raisonnable puis, si l’un d’eux en fait la demande, soumettre ce
différend à l’arbitrage et s’employer à organiser celui-ci dans un délai de six mois à compter de la
date de cette demande. La Cour considère qu’il a été satisfait à ces conditions.
La Cour indique qu’elle examinera d’abord l’article 4 afin de déterminer si la demande
formulée par la Guinée équatoriale concernant les immunités des Etats et de leurs agents entre dans
les prévisions de cet article. A moins que la Cour ne conclue que tel est le cas, l’aspect du différend
opposant les Parties au sujet des immunités invoquées à l’égard du vice-président équato-guinéen
et de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que bien d’Etat ne saurait être considéré
concerner l’interprétation ou l’application de la convention de Palerme.
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La Cour précise qu’elle examinera ensuite l’argument de la Guinée équatoriale selon lequel
la France aurait violé l’article 4 de la convention en n’exécutant pas les obligations qu’elle tient de
celle-ci concernant l’incrimination du blanchiment d’argent et l’établissement de sa compétence à
l’égard de cette infraction (en vertu des articles 6 et 15) d’une manière compatible avec les
principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention, tels que visés à l’article 4. La Cour
recherchera si les actes accomplis par la France dont la Guinée équatoriale tire grief sont
susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention de Palerme. A moins que la Cour ne
conclue que tel est le cas, l’aspect du différend opposant les Parties au sujet de la compétence
excessive que la France se serait attribuée ne saurait être considéré concerner l’interprétation ou
l’application de la convention de Palerme.
La violation alléguée des règles relatives aux immunités
des Etats et de leurs agents par la France
La Cour commence par rappeler que, conformément au droit international coutumier, tel que
reflété aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne sur le droit des traités, les dispositions de la
convention de Palerme doivent être interprétées de bonne foi suivant le sens ordinaire de leurs
termes lus dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de ladite convention. Pour
confirmer le sens ainsi établi, éliminer une ambiguïté, un point obscur ou éviter un résultat
manifestement absurde ou déraisonnable, il peut être fait appel à des moyens complémentaires
d’interprétation, comme les travaux préparatoires de la convention et les circonstances dans
lesquelles celle-ci a été conclue.
La Cour se penche ensuite sur l’article 4 de la convention de Palerme qui dispose ce qui
suit :
«Protection de la souveraineté
1. Les Etats Parties exécutent leurs obligations au titre de la présente
[c]onvention d’une manière compatible avec les principes de l’égalité souveraine et de
l’intégrité territoriale des Etats et avec celui de la non-intervention dans les affaires
intérieures d’autres Etats.
2. Aucune disposition de la présente [c]onvention n’habilite un Etat Partie à
exercer sur le territoire d’un autre Etat une compétence et des fonctions qui sont
exclusivement réservées aux autorités de cet autre Etat par son droit interne.»
La Cour estime que le paragraphe 1 de l’article 4 impose une obligation aux Etats parties et
qu’il n’est ni un préambule ni la simple formulation d’un but général. Toutefois, l’article 4 n’est
pas indépendant des autres dispositions de la convention. Son but est de garantir que les Etats
parties à la convention s’acquittent de leurs obligations conformément aux principes de l’égalité
souveraine, de l’intégrité territoriale des Etats et de la non-intervention dans les affaires intérieures
d’autres Etats. La Cour note que cette disposition ne fait nullement référence aux règles du droit
international coutumier, en ce compris celles de l’immunité de l’Etat, qui découlent de l’égalité
souveraine, mais au principe même de celle-ci. L’article 4 se contente de renvoyer à des principes
généraux du droit international. La Cour estime que, pris dans son sens ordinaire, le paragraphe 1
de l’article 4 n’impose pas aux Etats parties, par sa référence à l’égalité souveraine, l’obligation de
se comporter d’une manière compatible avec les nombreuses règles de droit international qui
protègent la souveraineté en général, ainsi que toutes les conditions dont ces règles sont assorties.
S’agissant du contexte, elle relève qu’aucune des dispositions de la convention de Palerme ne se
rapporte expressément aux immunités des Etats et de leurs agents. En ce qui concerne l’objet et le
but de la convention, la Cour constate que l’interprétation de l’article 4 avancée par la
Guinée équatoriale, selon laquelle les règles coutumières relatives aux immunités des Etats et de
leurs agents seraient incorporées dans la convention en tant qu’obligations conventionnelles, est
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sans rapport avec l’objet et le but déclarés de la convention, tels qu’énoncés en son article premier,
qui sont de promouvoir la coopération afin de prévenir et de combattre plus efficacement la
criminalité transnationale organisée.
La Cour conclut que, suivant son sens ordinaire, l’article 4, lu dans son contexte et à la
lumière de l’objet et du but de la convention, n’incorpore pas les règles du droit international
coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs agents. Cette interprétation est confirmée
par les travaux préparatoires de la convention de Palerme.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que les règles du droit international
coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs agents ne sont pas incorporées dans
l’article 4. En conséquence, l’aspect du différend opposant les Parties au sujet de l’immunité
invoquée en faveur du vice-président équato-guinéen et de l’immunité de toute mesure de
contrainte invoquée en faveur de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que bien d’Etat
ne concerne pas l’interprétation ou l’application de la convention de Palerme. Dès lors, la Cour n’a
pas compétence pour connaître de cet aspect du différend. La Cour note que sa conclusion selon
laquelle les règles du droit international coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs
agents ne sont pas incorporées dans l’article 4 est sans préjudice de l’applicabilité de ces règles.
La compétence excessive que la France se serait attribuée
De l’avis de la Cour, pour apprécier si la France agissait en application de la convention
lorsqu’elle a pris des mesures contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, il convient de noter que
la convention de Palerme reconnaît que la définition des infractions et des règles juridiques et
procédures y afférentes relève du droit interne de l’Etat qui exerce les poursuites. Conformément à
ce principe général, la convention aide à coordonner, mais ne régit pas, les mesures prises par les
Etats parties dans l’exercice de leur compétence nationale. Ce qui relève de l’application de la
convention est donc limité.
La Cour en vient ensuite à la question de la compétence excessive que la France se serait
attribuée à l’égard des infractions principales du blanchiment d’argent. Elle note que, selon
l’alinéa h) de l’article 2 de la convention de Palerme, l’expression «infraction principale» désigne
«toute infraction à la suite de laquelle un produit est généré, qui est susceptible de devenir l’objet
d’une infraction définie à l’article 6 de la présente [c]onvention». Le paragraphe 2 de l’article 6
impose aux Etats parties l’obligation de «s’efforce[r]» de conférer le caractère d’infraction pénale,
tel que visé au paragraphe 1, à «l’éventail le plus large d’infractions principales», en ce compris les
infractions commises à l’extérieur du territoire relevant de leur compétence. Cette obligation est
circonscrite par l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 6. Aux termes de celui-ci, une infraction
principale commise à l’extérieur du territoire relevant de la compétence d’un Etat partie doit
nécessairement se rapporter à un acte constitutif d’une infraction pénale en vertu du droit interne de
l’Etat où il a été commis, et qui constituerait en outre une infraction pénale en vertu du droit interne
de l’Etat partie prenant des mesures en application de l’article 6 s’il avait eu lieu sur son territoire.
La Cour fait observer que l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 6 ne concerne pas la
question de savoir si un individu a commis une infraction principale à l’étranger, mais celle,
préalable et distincte, de savoir si l’acte prétendument commis à l’étranger est constitutif d’une
infraction pénale en vertu du droit interne de l’Etat où il a été commis. Elle note également que
cette même disposition n’envisage pas la compétence exclusive de l’Etat sur le territoire duquel une
telle infraction a été commise. Il appartient à chaque Etat partie d’adopter des mesures pour
incriminer les infractions visées par la convention conformément à l’article 6, et pour incriminer
notamment «l’éventail le plus large» d’infractions principales commises à l’intérieur et à l’extérieur
du territoire relevant de sa compétence. Il appartient de même à chaque Etat partie d’adopter les
mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard des infractions visées par la convention,
en vertu de l’article 15. Pareille approche est conforme au principe énoncé au paragraphe 6 de cet
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article, qui dispose que, «[s]ans préjudice des normes du droit international général», la convention
de Palerme n’exclut pas l’exercice de toute compétence pénale établie par un Etat partie
conformément à son droit interne.
En conséquence, la Cour constate que les violations que la Guinée équatoriale reproche à la
France ne sont pas susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention de Palerme, et
notamment de ses articles 6 et 15, et que, partant, elle n’a pas compétence pour connaître de
l’aspect du différend concernant la compétence excessive que la France se serait attribuée.
Ayant analysé l’aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque la
convention de Palerme comme base de compétence, la Cour conclut que celui-ci n’est pas
susceptible d’entrer dans les prévisions de cette convention. En conséquence, la Cour n’a pas
compétence au titre de la convention de Palerme pour connaître de la requête de la
Guinée équatoriale et doit retenir la première exception préliminaire soulevée par la France. Du fait
de sa conclusion concernant la première exception préliminaire, la Cour estime que point n’est
besoin pour elle de déterminer plus avant le champ ou le contenu des obligations des Etats parties
au titre de l’article 4 de la convention de Palerme.
DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE EN VERTU DU PROTOCOLE
DE SIGNATURE FACULTATIVE À LA CONVENTION DE VIENNE
(PAR. 120-138)
La Cour rappelle que l’aspect du différend entre les Parties, à l’égard duquel la
Guinée équatoriale invoque le protocole de signature facultative à la convention de Vienne comme
base de compétence, porte sur la question de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris fait
partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et s’il peut, par suite, bénéficier
du traitement prévu par l’article 22 de la convention de Vienne. Il porte également sur le point de
savoir si les mesures prises par les autorités françaises à l’égard de cet immeuble emportent
violation par la France de l’obligation lui incombant en vertu dudit article. La Guinée équatoriale
entend fonder la compétence de la Cour sur l’article premier du protocole de signature facultative à
la convention de Vienne.
La Cour rappelle également que, en vertu des articles II et III du protocole de signature
facultative à la convention de Vienne, les parties à un différend relatif à l’interprétation ou à
l’application de la convention de Vienne peuvent convenir, dans un délai de deux mois après
qu’une partie a notifié à l’autre qu’il existe à son avis un différend, d’adopter, au lieu du recours à
la Cour internationale de Justice, une procédure d’arbitrage ou de conciliation. Une fois ce délai
écoulé, chaque partie peut, par voie de requête, saisir la Cour du différend.
La Cour observe que, si la Guinée équatoriale a proposé à la France de recourir à la
conciliation ou à l’arbitrage, celle-ci ne s’est pas déclarée prête à étudier cette proposition et a
même expressément indiqué qu’elle ne pouvait y donner suite. Les articles II et III du protocole de
signature facultative à la convention de Vienne n’affectent donc en rien une éventuelle compétence
de la Cour au titre de l’article premier de celui-ci.
Afin d’établir sa compétence pour connaître de cet aspect du différend, la Cour doit
déterminer si celui-ci est relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention de Vienne,
comme l’exigent les dispositions de l’article premier du protocole de signature facultative à ladite
convention. Elle doit, pour ce faire, analyser les dispositions pertinentes de la convention de
Vienne en appliquant les règles du droit international coutumier en matière d’interprétation des
traités.
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La Cour note que l’article premier, alinéa i), de la convention de Vienne commence par cette
phrase : «Aux fins de la présente [c]onvention, les expressions suivantes s’entendent comme il est
précisé ci-dessous». Cette disposition ne fait donc que définir ce que désigne l’expression «locaux
de la mission», utilisée plus loin, à l’article 22. Sont considérés comme des «locaux de la mission»,
au titre de la convention de Vienne, les bâtiments ou parties de bâtiment qui, quel qu’en soit le
propriétaire, sont «utilisés aux fins de la mission» diplomatique, y compris la résidence du chef de
la mission.
La Cour relève ensuite que l’article 22 de la convention de Vienne assure un régime
d’inviolabilité, de protection et d’immunité aux «locaux d[’une] mission [diplomatique]» en faisant
obligation à l’Etat accréditaire, notamment, de s’abstenir de pénétrer dans de tels locaux sans le
consentement du chef de la mission, et d’empêcher que lesdits locaux soient envahis ou
endommagés, ou la paix de la mission troublée, par ses agents. Il garantit en outre que les locaux de
la mission, leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport
de la mission, ne puissent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure
d’exécution.
Selon elle, dès lors qu’il existe, comme en l’espèce, des positions divergentes sur la question
de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, dont la Guinée équatoriale prétend qu’il est
«utilisé [aux] fins de sa mission diplomatique», peut être considéré comme «locaux de la mission»
et, partant, s’il convient ou non de lui accorder la protection prévue par l’article 22, il y a lieu de
considérer que cet aspect du différend est «relatif à l’interprétation ou à l’application de la
convention de Vienne», au sens de l’article premier du protocole de signature facultative à ladite
convention. La Cour estime donc que cet aspect du différend entre dans le champ de la convention
de Vienne et qu’elle a compétence pour en connaître au titre de l’article premier du protocole de
signature facultative à cette convention.
La Cour doit ensuite déterminer l’étendue de sa compétence. Si elle a jugé qu’un demandeur
ne pouvait, en cours d’instance, formuler une demande nouvelle qui aurait pour effet de modifier
l’objet du différend initialement porté devant elle, la Cour n’est pas convaincue que la
Guinée équatoriale ait agi de la sorte lorsqu’elle a présenté son argumentation concernant les biens
mobiliers saisis au 42 avenue Foch à Paris. Elle observe qu’aux termes du paragraphe 3 de
l’article 22 de la convention de Vienne, les locaux de la mission, mais aussi «leur ameublement et
les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission», ne peuvent faire
l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution. Elle en déduit que toute
demande de la Guinée équatoriale relative aux biens mobiliers se trouvant dans les locaux du
42 avenue Foch à Paris et fondée sur la violation alléguée de l’immunité dont jouirait cet immeuble
relève de l’objet du différend, et que, partant, la Cour est compétente pour en connaître. En
conséquence, la Cour conclut qu’elle a compétence pour se prononcer sur l’aspect du différend
relatif au statut de l’immeuble en tant que locaux diplomatiques, compétence qui inclut toute
demande relative aux pièces d’ameublement et autres objets se trouvant dans les locaux du
42 avenue Foch à Paris. La deuxième exception préliminaire soulevée par la France doit donc être
rejetée.
TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : ABUS DE PROCÉDURE
ET ABUS DE DROIT (PAR. 139-152)
La Cour rappelle que, dans ses exceptions préliminaires, la France conteste la compétence de
la Cour au motif, notamment, que le comportement de la Guinée équatoriale procède d’un abus de
droit et que la saisine de la Cour constitue un abus de procédure. A l’audience, la France a fait
valoir que, peu importe que la Cour considère son argumentation relative à l’existence d’un abus de
droit et de procédure comme une exception d’incompétence ou d’irrecevabilité, elle devrait refuser
de connaître du différend au fond. Pour ce qui est de l’abus de droit, la France mentionne des
incohérences contenues dans les correspondances et déclarations de la Guinée équatoriale,
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concernant la date d’acquisition par celle-ci de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris et l’usage
auquel il était destiné. S’agissant de l’abus de procédure, la France prétend que la requête par
laquelle la Guinée équatoriale a saisi la Cour constitue un abus de cette nature en ce qu’elle a été
formée «en l’absence manifeste de toute voie de droit et en vue de couvrir des abus de droit
commis par ailleurs».
Ayant conclu qu’elle n’avait pas compétence au titre de la convention de Palerme, la Cour
précise qu’elle n’examinera l’exception soulevée par la France qu’au regard de la convention de
Vienne.
La Cour est d’avis que la troisième exception préliminaire de la France doit être qualifiée
d’exception d’irrecevabilité de la requête. C’est d’ailleurs ce qui est reflété dans les conclusions
finales de la France, qui font référence non seulement à l’incompétence de la Cour, mais également
à l’irrecevabilité de la requête.
Se fondant sur sa jurisprudence et sur celle de sa devancière, la Cour observe qu’un abus de
procédure se rapporte à la procédure engagée devant une cour ou un tribunal et peut être examiné
au stade préliminaire de ladite procédure. En la présente affaire, la Cour ne considère pas que la
Guinée équatoriale, qui a établi une base de compétence valable, devrait voir sa demande rejetée à
un stade préliminaire s’il n’existe pas d’éléments attestant clairement que son comportement
pourrait procéder d’un abus de procédure. Or, pareils éléments n’ont pas été présentés à la Cour.
Seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que la Cour rejette pour abus de
procédure une demande fondée sur une base de compétence valable. La Cour estime ne pas être en
présence de telles circonstances en l’espèce.
En ce qui concerne l’abus de droit invoqué par la France, il reviendra, selon la Cour, à
chacune des Parties d’établir les faits ainsi que les moyens de droit qu’elle entend faire prévaloir au
stade du fond de l’affaire. La Cour est d’avis que l’abus de droit ne peut être invoqué comme cause
d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relève du fond de l’affaire. Tout
argument relatif à un abus de droit sera examiné au stade du fond de la présente affaire.
Pour ces raisons, la Cour n’estime pas devoir déclarer irrecevable pour abus de procédure ou
abus de droit la présente demande de la Guinée équatoriale. La troisième exception préliminaire
soulevée par la France doit par conséquent être rejetée.
CONCLUSIONS GÉNÉRALES (PAR. 153)
La Cour conclut qu’elle n’a pas compétence en vertu de la convention de Palerme pour
connaître de la requête de la Guinée équatoriale. Elle se déclare par ailleurs compétente au titre du
protocole de signature facultative à la convention de Vienne pour connaître des conclusions de la
Guinée équatoriale afférentes au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que
locaux diplomatiques, sa compétence incluant toute demande relative aux pièces d’ameublement et
autres objets se trouvant dans les locaux susmentionnés. Enfin, la Cour ne juge pas la requête de la
Guinée équatoriale irrecevable pour abus de procédure ou abus de droit.
DISPOSITIF (PAR. 154)
Par ces motifs,
LA COUR,
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1) Par onze voix contre quatre,
Retient la première exception préliminaire soulevée par la République française, selon
laquelle la Cour n’a pas compétence sur la base de l’article 35 de la convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée ;
POUR : M. Yusuf, président ; MM. Owada, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade,
Mme Donoghue, MM. Gaja, Bhandari, Crawford, Gevorgian, Salam, juges ;
CONTRE : Mme Xue, vice-présidente ; Mme Sebutinde, M. Robinson, juges ; M. Kateka,
juge ad hoc ;
2) A l’unanimité,
Rejette la deuxième exception préliminaire soulevée par la République française, selon
laquelle la Cour n’a pas compétence sur la base du protocole de signature facultative à la
convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des
différends ;
3) Par quatorze voix contre une,
Rejette la troisième exception préliminaire soulevée par la République française, selon
laquelle la requête est irrecevable pour abus de procédure ou abus de droit ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Owada, Abraham, Bennouna,
Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian,
Salam, juges ; M. Kateka, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Donoghue, juge ;
4) Par quatorze voix contre une,
Déclare qu’elle a compétence, sur la base du protocole de signature facultative à la
convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des
différends, pour se prononcer sur la requête déposée par la République de Guinée équatoriale le
13 juin 2016, en ce qu’elle a trait au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que
locaux de la mission, et que ce volet de la requête est recevable.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Owada, Abraham, Bennouna,
Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian,
Salam, juges ; M. Kateka, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Donoghue, juge.
Mme la vice-présidente XUE, Mme la juge SEBUTINDE, M. le juge ROBINSON et
M. le juge ad hoc KATEKA joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune ;
M. le juge OWADA joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ABRAHAM joint à l’arrêt l’exposé de
son opinion individuelle ; Mme la juge DONOGHUE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
dissidente ; MM. les juges GAJA et CRAWFORD joignent une déclaration à l’arrêt ;
M. le juge GEVORGIAN joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.
___________
Annexe au résumé 2018/3
Opinion dissidente commune de Mme la vice-présidente Xue, Mme la juge Sebutinde,
M. le juge Robinson et M. le juge ad hoc Kateka
Dans l’exposé de leur opinion dissidente commune, Mme la vice-présidente Xue,
Mme la juge Sebutinde, M. le juge Robinson et M. le juge ad hoc Kateka exposent les raisons pour
lesquelles ils ont voté contre le point 1) du paragraphe 154 de l’arrêt de la Cour. Selon eux, le
présent différend constitue un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention
des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (ci-après dénommée la
«convention de Palerme»), en tant qu’il a trait à des poursuites engagées contre un haut
fonctionnaire (le vice-président) d’un Etat partie à la convention sur le territoire d’un Etat étranger
lui aussi partie à la convention, laquelle, au paragraphe 1 de son article 4, fait expressément
référence au principe de «l’égalité souveraine» des Etats, une notion qui recouvre nécessairement
les questions liées à l’immunité des Etats étrangers.
Les juges minoritaires expliquent ne pas pouvoir s’associer à la décision de la Cour pour
quatre raisons. Premièrement, la majorité n’a pas reconnu l’empire exercé de manière générale par
les obligations énoncées au paragraphe 1 de l’article 4 de la convention de Palerme.
Deuxièmement, le principe de «l’égalité souveraine» des Etats visé au paragraphe 1 de l’article 4
occupe une fonction distincte dans le régime établi par la convention et vient s’ajouter aux deux
autres principes inscrits dans cet article, à savoir les principes de l’intégrité territoriale des Etats et
de la non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats. Troisièmement, les juges
minoritaires contestent la conclusion de la majorité selon laquelle les questions liées aux immunités
alléguées du vice-président de la Guinée équatoriale et de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris
n’entrent pas dans les prévisions de la convention de Palerme, une conclusion qui tend selon eux à
priver l’expression «égalité souveraine» des Etats de l’effet qu’il convient de lui donner et n’est pas
conforme aux règles pertinentes de l’interprétation des traités. Quatrièmement, ils regrettent que la
Cour n’ait pas délimité précisément l’objet du présent différend, une tâche dont elle a pourtant
déclaré dans de précédentes affaires qu’elle faisait partie intégrante de sa fonction judiciaire.
De l’avis des juges minoritaires, le différend porte sur le point de savoir si, en engageant des
poursuites contre le vice-président de la Guinée équatoriale pour l’infraction de blanchiment
d’argent, et en prenant des mesures de contrainte visant l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris,
que la Guinée équatoriale considère comme un bien de l’Etat, la France a agi dans le respect des
principes de l’égalité souveraine des Etats, de leur intégralité territoriale et de la non-intervention
dans les affaires intérieures d’autres Etats.
Les quatre juges invoquent notamment un arrêt antérieur rendu par la Chambre de la Cour en
l’affaire de l’Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie) pour faire valoir
que, aux fins de l’interprétation et de l’application du paragraphe 1 de l’article 4 de la convention
de Palerme, il y a lieu de considérer que, en l’absence de termes exprès dénotant clairement une
intention de ne pas suivre les règles coutumières relatives aux immunités des Etats étrangers, ces
règles demeurent applicables par l’effet de la référence contenue dans cette disposition à «l’égalité
souveraine» des Etats.
Les quatre juges soulignent en outre que l’objet et le but de la convention consistent à
favoriser la coopération en vue de faire obstacle à la criminalité transnationale organisée et qu’ils
sont liés au principe de l’égalité souveraine des Etats. C’est par le respect mutuel de ce principe, et
des règles relatives aux immunités des Etats qui en découlent, que peuvent être créées et assurées
les conditions nécessaires à une mise en oeuvre efficace du système de coopération que la
convention vise à établir et à concrétiser aux fins de la lutte contre la criminalité transnationale
organisée. Partant, les quatre juges conviennent que le paragraphe 1 de l’article 4 donne naissance à
une obligation générale exerçant un empire sur les autres obligations contractées par les Etats
parties dans le cadre de la convention de Palerme.
- 2 -
A l’appui de leur point de vue, les quatre juges relatent la genèse du principe de l’égalité
souveraine depuis son inclusion dans l’article 2 de la Charte des Nations Unies, puis dans la
déclaration de 1970 relative aux relations amicales, et mettent l’accent sur la relation intrinsèque
qui unit ce principe aux règles régissant les immunités des Etats étrangers. Cette relation a été
reconnue par la Cour dans sa décision sur les Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne
c. Italie ; Grèce (intervenant)) ainsi que par la Cour européenne des droits de l’homme dans
l’affaire Al-Adsani c. Royaume-Uni. Dans le cas particulier de la convention de Palerme, les juges
minoritaires estiment que l’existence d’une telle relation entre les règles coutumières régissant les
immunités des Etats étrangers et le principe de l’égalité souveraine est avérée par les travaux
préparatoires de la convention, lors desquels il fut expressément déclaré que «la convention
n’a[vait] pas pour objet d’imposer des restrictions aux règles régissant l’immunité diplomatique ou
l’immunité des Etats, ainsi que celle des organisations internationales».
Les quatre juges se réfèrent également à d’autres instruments internationaux renfermant des
dispositions similaires voire identiques à l’article 4 de la convention de Palerme, à savoir la
convention des Nations Unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances
psychotropes, la convention internationale de 1997 pour la répression des attentats terroristes à
l’explosif, la convention internationale de 1999 pour la répression du financement du terrorisme et
la convention des Nations Unies contre la corruption de 2003.
Les juges minoritaires précisent ensuite comment l’empire du principe de l’égalité
souveraine consacré à l’article 4 influe sur la manière dont les Etats parties à la convention de
Palerme exécutent leurs obligations conventionnelles, et comment il vient ainsi limiter leur liberté
d’action lorsqu’ils adoptent et mettent en oeuvre leur législation interne.
Les quatre juges reviennent par ailleurs sur l’argument de la Guinée équatoriale selon lequel
la présente affaire concerne l’interprétation et l’application de l’article 4 de la convention de
Palerme, lu conjointement avec plusieurs autres dispositions de la convention, à savoir les
articles 6, 11, 12, 14, 15 et 18. Ils constatent qu’un différend existe entre les Parties à l’égard de
chacune de ces dispositions, lue à la lumière de l’article 4, étant donné qu’elles ont des vues
divergentes sur l’ensemble de ces questions. Qui plus est, l’applicabilité des règles coutumières
relatives aux immunités des Etats étrangers coule de source lorsque le principe de l’égalité
souveraine visé à l’article 4 est dûment interprété. Les quatre juges ajoutent que la référence, faite
au paragraphe 6 de l’article 15, aux «normes du droit international général» peut être lue comme
incluant lesdites règles coutumières relatives aux immunités. Un Etat prétendant exercer sa
compétence à l’égard d’infractions incriminées dans son droit interne en application de la
convention ne saurait agir au mépris de ces normes largement reconnues du droit international
général.
Ainsi, à rebours des conclusions de la Cour, les quatre juges estiment qu’un différend relatif
à l’interprétation ou à l’application de la convention a vu le jour entre les Parties et que la Cour
avait compétence. Ils auraient donc été partisans de conclure que la Cour était compétente pour
connaître du différend en vertu de la convention de Palerme. Ils font observer en conclusion que
l’exposé de leur opinion dissidente ne renferme que leurs vues sur la compétence de la Cour en
l’espèce et ne laisse nullement entrevoir leurs vues sur le fond de la procédure instituée contre
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue par les autorités françaises.
Déclaration de M. le juge Owada
S’il souscrit à tous les points du dispositif énoncés au paragraphe 154 de l’arrêt, le
juge Owada tient à exposer ses vues concernant a) la pertinence de l’article 4 de la convention de
Palerme à l’égard des violations d’autres dispositions de cet instrument reprochées à la France et
b) le traitement réservé à la troisième exception préliminaire de la défenderesse, fondée sur l’abus
de droit allégué.
- 3 -
Tout en partageant la conclusion formulée dans l’arrêt selon laquelle les règles du droit
international coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs agents ne sont pas incorporées
dans l’article 4 de la convention de Palerme, le juge Owada estime que cet article demeure
pertinent aux fins de l’interprétation des autres dispositions de ladite convention, notamment les
articles 6, 8, 9 et 15. Dans cette optique, il parvient à la conclusion que les actes que la
Guinée équatoriale reproche à la France n’entrent pas dans le champ des dispositions en question,
lues conjointement avec l’article 4, celles-ci concernant essentiellement, selon lui, l’établissement
par les Etats parties, dans leurs systèmes juridiques internes respectifs, de leur compétence pénale
pour connaître des infractions, et non l’exercice effectif de cette compétence dans des cas concrets.
S’agissant de la troisième exception préliminaire soulevée par la France, le juge Owada
précise les raisons pour lesquelles, selon lui, la Cour n’a pas choisi de déclarer que l’exception
fondée sur l’abus de droit allégué n’avait pas un caractère exclusivement préliminaire, ainsi que le
prévoit le paragraphe 9 de l’article 79 de son Règlement. De son point de vue, la défenderesse a fait
valoir que, étant viciée sur des points de droit essentiels, la demande de la Guinée équatoriale ne
saurait être considérée comme une «demande valable». Le juge Owada estime que pareille
exception n’est pas de nature «préliminaire» et ne peut donc entrer dans le cadre du mécanisme des
exceptions préliminaires visé à l’article 79 du Règlement de la Cour. Dès lors, il était impossible
pour la Cour de conclure, conformément au paragraphe 9 de l’article 79, que l’exception de la
France relative à l’abus de droit présumé n’avait pas un caractère exclusivement préliminaire.
Opinion individuelle de M. le juge Abraham
Dans son opinion individuelle, le juge Abraham indique que, s’il a voté en faveur de tous les
points du dispositif de l’arrêt, il est néanmoins en désaccord avec le raisonnement suivi par la Cour
pour conclure que le différend à elle soumis n’entre pas dans le champ ratione materiae de
l’article 4 de la convention de Palerme et, par suite, n’entre pas dans les prévisions de la clause
compromissoire de l’article 35 de cet instrument.
En effet, le juge Abraham est d’avis que, si la Cour a eu raison de conclure que «les règles
du droit international coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs agents ne sont pas
incorporées dans l’article 4», elle aurait pu et dû parvenir à cette conclusion sans faire aucune
distinction entre les règles relatives aux immunités et les autres règles du droit international
coutumier qui découlent des principes de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale et de la
non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats énoncés à l’article 4, paragraphe 1, de la
convention de Palerme. Le juge Abraham estime que, plutôt que de concentrer son raisonnement,
comme elle l’a fait aux paragraphes 92 à 102 de l’arrêt, sur les règles du droit international
coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs agents, la Cour aurait dû conclure que
l’article 4 n’incorpore dans la convention aucun des principes auxquels il se réfère, ni aucune règle
de droit international coutumier qui en découle.
Pour le juge Abraham, l’article 4 est, dans son ensemble, une clause de sauvegarde, qui ne
vise ni à créer des obligations de nature conventionnelle à la charge des Etats parties, ni à
incorporer par référence des règles préexistantes de droit coutumier à la convention. Cet article vise
plutôt à indiquer que rien dans la convention ne déroge aux règles du droit international coutumier
qui se rapportent à certains principes fondamentaux qu’il énonce. Selon le juge Abraham, cette
interprétation du paragraphe 1 de l’article 4 est étayée tant par le but et l’objet de la convention, tels
qu’énoncés à l’article premier de celle-ci, que par la lecture de l’article 4 dans son ensemble. Cette
interprétation est en outre confirmée par les travaux préparatoires de la convention des
Nations Unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants, dont certaines dispositions ont inspiré
l’article 4 de la convention de Palerme. Le juge Abraham relève que, si la Cour avait retenu
l’interprétation de l’article 4 qu’il croit juste, elle aurait rejeté par une motivation plus brève et
moins douteuse le chef de demande de la Guinée équatoriale selon lequel la France aurait
également violé cet article en attribuant à ses juridictions pénales une compétence excessive, par la
- 4 -
manière dont elle a incriminé dans son droit interne l’infraction de blanchiment et dont elle a défini
la compétence de ses juridictions pour en connaître.
Opinion dissidente de la Mme la juge Donoghue
La juge Donoghue a voté contre les alinéas 3) et 4) du paragraphe 154. Elle convient que la
Cour a compétence, au titre du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les
relations diplomatiques, pour connaître de la demande de la Guinée équatoriale concernant
l’immeuble sis au 42 avenue Foch, mais estime que cette demande est irrecevable.
La juge Donoghue considère que la troisième exception préliminaire de la France soulève
une grave question celle de savoir si le comportement adopté par la Guinée équatoriale en tant
que base lui permettant de faire valoir certains droits revêt une nature telle que la Cour ne devrait
pas exercer sa compétence pour déterminer si la demanderesse possède ces droits. Il s’agit là d’une
question de recevabilité qui aurait dû être traitée au stade actuel de la procédure et qui n’appelle pas
de décision sur l’existence desdits droits, laquelle est une question de fond. Les faits pertinents ne
sont pas contestés ; ils sont évidents au vu des documents soumis à la Cour par la
Guinée équatoriale, notamment les déclarations officielles des représentants de cet Etat.
Selon la juge Donoghue, il existe des éléments attestant clairement la chronologie des
mesures prises par la Guinée équatoriale à l’égard de l’immeuble sis au 42 avenue Foch, ainsi que
leur but. S’il est donné effet à ces mesures, un bien immobilier situé sur le territoire français et
ayant appartenu à un particulier faisant l’objet de poursuites sera protégé de toute action des
autorités françaises en tant que locaux de la mission jouissant de l’inviolabilité et «ne [pouvant]
faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution» au titre de l’article 22
de la convention de Vienne. Le président de la Guinée équatoriale a bien précisé que les mesures
prises par la demanderesse visaient à faire face aux difficultés rencontrées par son fils, un objectif
personnel résolument contraire à celui de cet instrument. Rien n’indique que les fonctions
diplomatiques de la Guinée équatoriale étaient menacées par les mesures des autorités françaises.
La juge Donoghue estime qu’il existe des éléments démontrant de manière concluante la nature du
comportement que la demanderesse a adopté en tant que base pour faire valoir certains droits
devant la Cour. Elle considère que, pour préserver l’intégrité de sa fonction judiciaire, la Cour ne
devrait pas lui permettre de l’utiliser en vue de continuer à agir ainsi et, partant, qu’elle aurait dû
déclarer la requête irrecevable.
Déclaration de M. le juge Gaja
L’arrêt ne précise pas que la question de la propriété de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à
Paris n’est pas couverte par le protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les
relations diplomatiques. Les dispositions pertinentes de cet instrument ne laissent pas entendre que
l’Etat accréditant, dès lors qu’il a utilisé un immeuble aux fins d’une mission diplomatique, aurait
le droit de continuer à le faire indéfiniment. La propriété des locaux est susceptible de changer au
cours du temps. Les questions relatives à la propriété des immeubles utilisés aux fins d’une mission
sont régies par le droit interne de l’Etat hôte.
Déclaration de M. le juge Crawford
Le juge Crawford partage la conclusion formulée dans l’arrêt de la Cour selon laquelle
l’article 4 de la convention de Palerme n’incorpore pas les règles du droit international coutumier
relatives aux immunités des Etats et de leurs agents. Il convient également que l’argument de la
Guinée équatoriale fondé sur la compétence exclusive doit être écarté. Selon lui, la Cour n’est donc
pas, à proprement parler, tenue de déterminer si le paragraphe 1 de l’article 4 donne effet juridique,
- 5 -
aux fins de l’application de la convention de Palerme, aux principes du droit international
coutumier qui y sont visés.
Il a toutefois été avancé que le paragraphe 1 de l’article 4 serait une simple clause «sans
préjudice» n’imposant pas aux Etats parties l’obligation d’agir conformément aux principes de
l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale et de la non-intervention. Le juge Crawford ne
souscrit pas à cette interprétation. De son point de vue, le paragraphe 1 de l’article 4 énonce bien
une obligation, car non seulement il est rédigé sous forme d’injonction («Les Etats Parties
exécutent leurs obligations…»), mais les notions d’égalité souveraine, d’intégrité territoriale et de
non-intervention sont des principes juridiques établis dont le contenu est précisément défini.
Le juge Crawford examine la genèse de l’article 4 de la convention de Palerme et celle de
l’article 2 de la convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de
1988 dont l’article 4 est la transposition. Il fait valoir que les travaux préparatoires de ces deux
dispositions tendent à confirmer la conclusion qui découle du libellé même du paragraphe 1 de
l’article 4, à savoir que celui-ci impose expressément une obligation aux Etats parties.
Opinion individuelle de M. le juge Gevorgian
Dans son opinion individuelle, le juge Gevorgian précise sa position concernant certains
éléments du raisonnement qui sous-tend les conclusions de la Cour.
La préoccupation principale du juge Gevorgian se rapporte aux conséquences de
l’interprétation que la Cour fait de l’article 4 de la convention de Palerme et par laquelle elle
conclut à son absence de compétence ratione materiae pour connaître des violations des immunités
des Etats et de leurs agents supposément commises par la France.
Le juge Gevorgian souligne que la compétence de la Cour est fondée sur le paragraphe 2 de
l’article 35 de la convention de Palerme, disposition qui, comme toute autre clause
compromissoire, se limite à la substance du traité auquel elle se réfère. En l’espèce, la question
centrale est de savoir si une telle clause juridictionnelle autorise la Guinée équatoriale à invoquer
les immunités des Etats et de leurs agents devant la Cour. Si, dans le présent arrêt, il est répondu à
cette question par la négative, cette conclusion repose toutefois sur le postulat que l’«article 4 [de la
convention de Palerme] n’incorpore pas les règles du droit international coutumier relatives aux
immunités des Etats et de leurs agents». Selon le juge Gevorgian, la référence à l’égalité souveraine
que l’on trouve à l’article 4 de la convention de Palerme visait notamment à protéger pareilles
immunités, mais elle n’entre pas dans les prévisions des dispositions couvertes par la clause
compromissoire.
Le juge Gevorgian estime par ailleurs que la portée de la clause compromissoire n’est pas
aussi large que le prétend la demanderesse. Compte tenu de la nature générale des principes de
l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale et de la non-intervention mentionnés à l’article 4 de la
convention de Palerme, l’incorporation de toutes les règles coutumières englobées dans ces
principes pourrait avoir pour effet de tourner le principe de consentement à la compétence de la
Cour.
Enfin, le juge Gevorgian insiste sur le fait que l’arrêt de la Cour ne saurait être lu comme
compromettant de quelque manière que ce soit les obligations relatives à la protection des
immunités qui s’imposent aux Etats parties à la convention de Palerme, y compris celles incombant
à certains hauts fonctionnaires tels que les chefs d’Etat, les chefs de gouvernement et les ministres
des affaires étrangères. Selon lui, ces obligations sont réaffirmées au paragraphe 102 du présent
arrêt.
___________
Résumé de l'arrêt du 6 juin 2018