Contre-mémoire de la République française

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129-20040511-WRI-01-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
.Affaire relative à
Certaines procédures pénales engagées en France
(République du Congo c. France)
CONTRE-MEMOIRE DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE
11 MAI 2004
TABLE DES MATIERES
Introduction
1
CHAPITRE 1 : EXPOSE DES FAITS
4
Section 1 -Les éléments qui ont conduit à l'émission du réquisitoire introductif d'instance
4
§ 1 - La plainte du 7 décembre 2001
4
§ 2 - La transmission de la plainte et 1' enquête préliminaire
6
§ 3 - Le réquisitoire introductif d'instance
8
Section 2 -Les développements pertinents intervenus en France depuis le 23 janvier 2002
9
§ 1 -Les actes d'instruction visant le général Dabira
9
§ 2- La demande d'audition du Président Sassou Nguesso
11
§ 3 - Les développements survenus depuis le dépôt du mémoire de la République du Congo
12
Section 3 - Les développements intervenus au sein de la République du Congo
13
§ 1- Le développement de l'information judiciaire ouverte à Brazzaville
13
§ 2- L'adhésion de la République du Congo à la convention contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
16
CHAPITRE 2: LA PRETENDUE VIOLATION DU PRINCIPE SELON LEQUEL UN ETAT NE PEUT
EXERCER SON POUVOIR SUR LE TERRITOIRE D'UN AUTRE ÉTAT ET DU PRINCIPE DE L'EGALITE
SOUVERAINE
17
Section 1 - Le droit international général permet à la France d'exercer sa juridiction pénale
dans les procédures qui donnent lieu au présent litige
18
§ 1 -Les conséquences du principe de l'égalité souveraine
19
Al Les règles du droit international reflétées par l'arrêt de la Cour permanente de Justice
internationale dans l'affaire du Lotus
19
BI La nécessité pour le demandeur de démontrer l'existence d'une règle prohibitive
22
11
§ 2 - L'existence d'une règle reconnaissant à l'Etat le droit d'établir sa compétence pénale
pour les infractions concernées
26
Al La spécificité des infractions concernées
26
1) Des infractions qui sont des delicta juris gentium
26
2) Des infractions dont le caractère international justifie une répression universelle
31
a) Les rapports entre droit conventionnel et droit international coutumier
31
b) Les lois et la pratique des Etats
34
c) La position d'organes internationaux
37
BI La condition de présence de l'auteur des actes reprochés sur le territoire de l'Etat qui exerce
les poursuites
39
Section 2 - En tout état de cause, la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, à laquelle le Congo est
partie, oblige la France à établir la compétence de ses tribunaux pénaux pour connaître de
situations telles que celle qui donne lieu au présent litige
42
§ 1 -Les dispositions de la Convention sont destinées à accroître l'efficacité de la lutte contre
la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le monde
entier
43
§ 2- L'adhésion de la République du Congo à la Convention
45
Al L'effet immédiat de l'adhésion
45
BI L'effet ratione temporis de la Convention
47
Section 3 - Les procédures pénales engagées en France ne méconnaissent ni un prétendu
principe de subsidiarité ni la règle « non bis in idem »
50
§ 1 - La « compétence universelle » ne présente pas un caractère nécessairement subsidiaire
50
Al La « subsidiarité » et le droit international coutumier
51
BI La « subsidiarité » et la convention contre la torture
54
§ 2 - La règle « non bis in idem » est sans pertinence aucune dans la présente affaire
59
Al La règle « non bis in idem » en droit international public
59
BI La règle « non bis in idem » en droit français
60
lU
CHAPITRE 3: LA PRETENDUE VIOLATION DES IMMUNJTES DE JURIDICTION DE CERTAINS
OFFICIELS CONGOLAIS
64
Section 1 -L'immunité de juridiction dont peut se prévaloir la République du Congo n'a pas
la portée que lui attribue la partie requérante
64
§ 1 - Le réquisitoire introductif du Procureur de la République ne porte atteinte à aucune
immunité dont le Congo pourrait se prévaloir
65
Al La portée du réquisitoire du 23 janvier 2002
65
BI La portée des immunités invoquées par le Congo au regard du réquisitoire du 23 janvier 2002
69
§ 2 - Seul le Chef de l'État congolais est couvert par une immunité de juridiction
75
Al Le Congo ne peut invoquer aucune immunité au bénéfice de MM. Adoua, Dabira et Oda
76
BI Le Congo peut invoquer une immunité de juridiction en faveur du Chef de l'État
79
Section 2- Aucune atteinte n'a été portée à l'immunité de M. Sassou Nguesso
80
§ 1. Le réquisitoire introductif du procureur de la République de Meaux ne porte pas atteinte à
l'immunité de juridiction du Président de la République du Congo
§ 2. L'invitation à témoigner adressée au Président de la République du Congo
ne porte pas atteinte à son immunité de juridiction
Al La jurisprudence applicable au Président de la République française
BI Le chef d'un État est un représentant de cet État
Conclusions
Annexes
81
84
85
86
89
COUR INTERNA TI ON ALE DE JUSTICE
Affaire relative à Certaines procédures pénales engagées en France
INTRODUCTION
(République du Congo c. France) ·
CONTRE-MEMOIRE DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE
11 mai 2004
1. Par lettre en date du 9 décembre 2002, le greffier de la Cour internationale de Justice a
informé le ministre français des Affaires étrangères que la République du Congo avait
introduit, le même jour, une requête contre la République française, au motif que celle-ci
aurait, en premier lieu,
« [violé le] principe selon lequel un État ne peut, au mépris du principe de
l'égalité souveraine entre tous les Membres de l'Organisation des Nations
Unies, proclamé par l'article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies,
exercer son pouvoir sur le territoire d'un autre État,
en s'attribuant unilatéralement une compétence universelle en matière pénale
et en s'arrogeant le pouvoir de faire poursuivre et juger le ministre de
l'intérieur d'un État étranger à raison de prétendues infractions qu'il aurait
commises à l'occasion de l'exercice de ses attributions relatives au maintien de
l'ordre public dans son pays»
et, en second lieu,
« [violé] l'immunité pénale d'un chef d'État étranger- coutume internationale
reconnue par la jurisprudence de la Cour».
2. Par cette requête, la Congo a prié la Cour
«de dire que la République française devra faire annuler les actes d'instruction
et de poursuite accomplis par le procureur de la République près le tribunal de
grande instance de Paris, le procureur de la République près le tribunal de
grande instance de Me:aux et les juges d'instruction de ces tribunaux».
Il a également indiqué qu'il entendait fonder la compétence de la Cour en l'espèce sur le
consentement que pourrait dormer la France en applica1ion de l'article 38, paragraphe 5, du
Règlement de la Cour.
2
3. Par lettre datée du 8 avril 2003 adressée au greffier de la Cour, le ministre français des
affaires étrangères a indiqué que la France acceptait la compétence de la Cour pour connaître
de la requête congolaise en application de l'article 38, paragraphe 5, du Règlement. Il a
également tenu à apporter les précisions suivantes :
« [L ]'article 2 du traité de coopération du 1er janvier 197 4 entre la République
française et la République populaire du Congo, auquel se réfère cette dernière
dans sa requête introductive d'instance, ne constitue pas une base de
compétence de la Cour pour connaître de la présente affaire.
La présente acceptation de la compétence de la Cour ne vaut qu'aux fins de
l'affaire, au sens de l'article 38, paragraphe 5 précité, c'est-à-dire pour le
différend qui fait l'objet de la requête et dans les strictes limites des demandes
formulées par la République du Congo».
4. Par une ordonnance du 17 juin 2003, la Cour a refusé de faire droit à la demande en
indication de mesures conservatoires que le Congo avait formulée concomitamment au dépôt
de sa requête, en soulignant notamment qu'elle n'apercevait en l'occurrence aucun« risque de
préjudice irréparable qui justifierait l'indication d'urgence de mesures conservatoires» 1

5. Par une ordonnance du 11 juillet 2003, la Cour a fixé au 11 décembre 2003 et au 11
mai 2004 respectivement, les dates d'expiration des délais pour le dépôt du mémoire de la
République du Congo et du contre-mémoire de la République française.
6. Dans la conclusion du mémoire qu'elle a déposé le 4 décembre 2003, la République
du Congo
« demande à la Cour de dire que la République française devra, par les voies de
droit appropriées selon son droit interne, [ ... ] mettre à néant le réquisitoire
introductif du procureur de la République près le tribunal de grande instance de
Meaux en date du 23 janvier 2002 et faire cesser la procédure pénale qu'il a
engagée».
7. Après avoir brièvement exposé les faits pertinents de l'espèce (chapitre 1er), la
République française examinera successivement, dans le cadre du présent contre-mémoire, la
prétendue violation du principe selon lequel un État ne peut exercer son pouvoir sur le
1 Affaire relative à Certaines procédures pénales engagées en France (République du Congo c. France),
demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 17 juin 2003, par. 36.
3
territoire d'un autre État et du principe de l'égalité souveraine (chapitre 2) puis la prétendue
violation des immunités de juridiction de certains officiels congolais (chapitre 3 ).
CHAPITRE 1
EXPOSE DES FAITS
1.1. Aux termes de l'article 49 du Règlement de la Cour,
« 1. Le mémoire contient un exposé des faits sur lesquels la demande est
fondée[ ... ].
2. Le contre-mémoire contient: la reconnaissance ou la contestation des
faits mentionnés dans le mémoire ; le cas échéant, un exposé additionnel des
faits [ ... ] ».
4
1.2 A certains égards, 1' exposé des faits qui ouvre le mémoire de la République du Congo
prend les traits d'une présentation incomplète, souvent orientée voire, parfois, erronée. Il
importe dès lors de préciser les conditions dans lesquelles a été décerné, le 23 janvier 2002, le
réquisitoire introductif d'instance, qui constitue, selon la République du Congo, «la pièce
capitale de la présente procédure devant la Cour » 2 (section 1 ). Il convient également d'établir
la nature et la portée exactes des actes de procédure qui ont été accomplis en France depuis
cette date (section 2). Il est, enfin, nécessaire d'évoquer, dans la mesure du possible, les
développements qui se sont produits au sein de la République du Congo, que celle-ci a parfois
omis de présenter de façon adéquate ou exhaustive dans son mémoire (section 3).
Section 1 - Les éléments qui ont conduit à l'émission du réquisitoire introductif
d'instance
1.3. La clarté de 1' exposé invite à évoquer successivement la plainte déposée le 7 décembre
2001 (§ 1), sa transmission et l'enquête préliminaire qui s'en est suivie (§2) puis le
réquisitoire introductif du 23 janvier 2002 (§ 3).
§ 1 -La plainte du 7 décembre 2001
1.4. Le 7 décembre 2001, trois organisations non gouvernementales - la Fédération
internationale des droits de l'homme, l'Observatoire congolais des droits de l'homme et la
Ligue des droits de 1 'homme - ont déposé auprès du procureur de la République près le
2 Mémoire, p. 12.
5
Tribunal de grande instance de Paris une plainte pour« crimes contre l'humanité, disparitions
et tortures», mettant en cause Messieurs Denis Sassou Nguesso, président de la République
du Congo, Pierre Oba, ministre de l'intérieur, Norbert Dabira, inspecteur général des armées
et Blaise Adoua, général commandant la garde présidentielle3
. Cette plainte comportait un
exposé des faits qui l'ont motivée ainsi que des précisions sur leur imputabilité. Pour fonder la
compétence du juge français, les plaignants invoquaient notamment l'article 689-1 du code de
procédure pénale, lequel dispose :
«En application des conventions internationales visées aux articles suivants,
peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en
France, toute personne qui s'est rendue coupable hors du territoire de la
République de l'une des infractions énumérées par ces articles. Les
dispositions du présent article sont applicables à la tentative de ces infractions,
chaque fois que celle-ci est punissable».
Les plaignants s'appuyaient également sur l'article 689-2 du même code, aux termes duquel:
«Pour l'application de la convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10
décembre 1984, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à
l'article 689-1 toute personne coupable de tortures au sens de l'article 1er de la
Convention ».
La République française a déposé son instrument de ratification de la Convention de New
York le 18 février 1986. La République du Congo a adhéré à cette même Convention le 30
juillet 20034

1.5. Dans son mémoire, la République du Congo allègue que le document déposé par les
trois organisations non gouvernementales constituerait une « dénonciation», et non une
plainte au sens où ce mot est employé aux fins de la procédure pénale française. Le requérant
n'explique cependant pas en quoi cette distinction, dont l'importance ne lui était apparue ni
dans sa requête ni lors des audiences relatives à la demande en indication de mesures
conservatoires5
, pourrait présenter un quelconque intérêt dans l'instance qu'il a initiée. Pour
sa part, la République française n'en aperçoit aucun.
3 Annexes 1 et 2 du mémoire de la République du Congo.
4 Annexe 1, v. infra par. 1.32. Sur les effets de cette adhésion aux fins de la présente instance, v. infra Chapitre 2,
pars. 2.64 à 2.74.
6
1.6. En droit français, il existe certes une distinction entre les plaintes et les dénonciations,
qui a pu être explicitée comme suit :
«[la dénonciation] est l'acte par lequel un tiers, qui n'a pas été lui-même
victime de l'infraction, la porte à la connaissance des autorités de police ou de
justice; elle s'oppose alors à la« plainte», qui est une dénonciation émanant
de la victime elle-même » 6
.
Cette dissociation n'emporte cependant pas de conséquences quant aux suites qui peuvent être
données à ces actes. Selon 1' article 40 du code de procédure pénale en effet, dans sa rédaction
en vigueur à la date considérée
« Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et
apprécie la suite à leur donner. Il avise le plaignant du classement de 1' affaire
ainsi que la victime lorsque celle-ci est identifiée».
Dans le cas d'une plainte comme dans celui d'une dénonciation, le procureur de la
République demeure donc libre d'apprécier l'opportunité des poursuites. Lorsque le plaignant
décide de se constituer «partie civile», en revanche, l'action publique doit nécessairement
être mise en mouvemene. Telle n'est assurément pas l'hypothèse qui pourrait être considérée
dans la présente instance, puisque les trois organisations non gouvernementales n'ont pas
cherché à assortir d'une constitution de partie civile ce qu'elles ont elles-mêmes qualifié de
«plainte »8
. Dès lors, la France n'aperçoit pas de raison qui conduirait, à ce stade de la
procédure, à abandonner la terminologie initialement adoptée par le Congo, que la Cour a
d'ailleurs fait sienne dans son ordonnance rendue en la présente affaire le 17 juin 2003 9
.
§ 2- La transmission de la plainte et l'enquête préliminaire
1.7. Dans son mémoire, le requérant marque un certain étonnement devant la «célérité»,
sinon la « précipitation», avec laquelle le ministère public aurait réagi, de façon «tout à fait
inhabituelle», au dépôt de la plainte des trois organisations non gouvemementales10
. Une telle
5 La requête et les plaidoiries de la partie congolaise évoquent « 1me plainte pour crime contre l'humanité et
torture» (v. notamment la requête,« III- Exposé des faits», la plaidoirie de M0 VERGES (CR 2003/20, 28 avril
2003, p. 12) et celle de M. DECOCQ (CR 2003/22, 29 avri12003, p. 11).
6 G. STEFANI, G. LEVASSEUR, B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, Paris, 18ème éd., 2001, p. 360.
7 Sous réserve des obstacles de droit prévus par l'article 86, avant-dernier alinéa. Sur la constitution de partie
civile, v. les articles 85 et s. du code de procédure pénale.
8 Neuf personnes se sont, en revancht:, constituées parties civiles de puis l'ouverture de l'information judiciaire.
9 Ordonnance sur la demande en indkation de mesure conservatoire, pars. 10, 11 et 13.
10 Mémoire de la République du Congo, p. 10.
7
réprobation, même implicite, de la diligence dont ont pu faire preuve les organes compétents
pourra paraître curieuse ; elle est, surtout, infondée. Loin de trahir une quelconque intention
malveillante ou menaçante, la succession des actes accomplis immédiatement après le dépôt
de la plainte s'inscrit en effet dans le cadre courant de la procédure pénale française.
1.8. Il en va notamment ainsi de la transmission de la plainte au procureur de la
République près le tribunal de grande instance de Meaux par le «soit transmis» du 7
décembre 2001. Selon les informations dont il pouvait disposer, y compris dans la plainte
elle-même, le procureur de la République de Paris a constaté qu'une seule des personnes
nommément visées par les plaignants était susceptible de se trouver sur le territoire français.
Le général Dabira possède eri effet une résidence à Villeparisis (Seine-et-Marne), commune
qui se trouve dans le ressort territorial du tribunal de Meaux. Selon l'article 693 du code de
procédure pénale, la juridiction compétente pour connaître des faits considérés est celle du
lieu où réside le prévenu, celle de sa dernière résidence connue ou celle du lieu où il est
trouvé. Conformément à cette disposition, le procureur de la République de Paris devait donc,
ainsi qu'ill' a fait, transmettre la plainte sans délai à son homologue de Meaux.
1.9. Les réquisitions aux fins d'extension de compétence émises par le procureur de la
République de Meaux le 8 décembre 2001 et 1 'enquête préliminaire à laquelle il a fait
procéder n'appellent pas de plus amples développements, tant elles s'inscrivent également
dans le cadre habituel du déroulement de la procédure pénale. En vertu de 1 'article 18, alinéa
4, du code de procédure pénale, la première est nécessaire lorsque le ministère public estime
utile de faire procéder à 1' audition de personnes qui ne se trouvent pas dans le ressort
territorial de sa juridiction. Tel était le cas des deux témoins expressément mentionnés dans
les réquisitions aux fins d'extension de compétence. L'enquête préliminaire à laquelle les
officiers de police judiciaire ont procédé sur les instructions du procureur s'avère, quant à
elle, essentielle lorsque ce dernier est saisi, comme dans le cas présent, d'une plainte sans
constitution de partie civile relative à des allégations d'infractions graves. Elle permet en effet
de fournir au ministère public les éléments sur la base desquels il pourra apprécier la suite
qu'il convient de donner à la plainte. En l'occurrence, c'est notamment sur le fondement des
résultats de cette enquête que le procureur de la République de Meaux a décidé de saisir le
juge d'instruction par le réquisitoire introductif d'instance du 23 janvier 2002.
8
§ 3- Le réquisitoire introductif d'instance
1.1 O. Dans le cadre de son exposé des faits, la République du Congo consacre peu de
développements au réquisitoire introductif d'instance délivré le 23 janvier 2002, qui constitue,
selon lui, « la pièce capitale de~ la présente procédure devant la Cour » 11
• Il est vrai que cet
acte est, par son objet comme par son contenu, en tous points conforme aux prescriptions que
comporte le code de procédure pénale à cet égard.
1.11. Il convient ainsi de rappeler qu'en vertu de 1' article 79 de ce code, « 1' instruction
préparatoire est obligatoire en matière de crime». Dès lors qu'il estime que les éléments
portés à sa connaissance justifient la poursuite de la procédure, le procureur de la République
doit donc ouvrir une information judiciaire, en saisissant le juge d'instruction de ces faits
constitutifs d'infractions graves. Tel est l'objet du réquisitoire introductif d'instance délivré
par le substitut du procureur de la République de Meaux le 23 janvier 2002.
1.12. Aux termes de l'article 80 du code de procédure pénale, le réquisitoire introductif
d'instance doit préciser les infractions présumées qui font l'objet de la saisine du juge
d'instruction. En l'espèce, le réquisitoire du 23 janvier 2002 mentionne les faits suivants :
«crimes contre l'humanité :pratique massive et systématique
d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition
de la torture ou d'actes inhumains, pour des motifs idéologiques
et en exécution d'un plan concerté contre un groupe de population
civile ».
L'article 80 dispose également que « [l]e réquisitoire peut être pns contre personne
dénommée ou non dénommée». Le choix qui a été fait en l'occurrence d'ouvrir l'information
judiciaire «contre X» fera l'objet d'une analyse approfondie dans le cadre de ce contremémoire12.
Aux fins du présent exposé, il suffit de rappeler qu'en agissant de la sorte, le
procureur de la République de Meaux a signifié qu'il ne lui était pas possible, au vu des
informations dont il disposait, d'identifier et d'énumérer les personnes auxquelles les faits
considérés pouvaient être attribués. Dans un tel cas de figure, c'est au juge d'instruction qu'il
appartient d'identifier, éventueilement, les auteurs des infractions dont il a été saisi.
11 Ibid., p. 12 (souligné dans le texte).
12 V. infra Chapitre 3, pars. 3.6 à 3.15.
9
Section 2 - Les développements pertinents intervenus en France depuis le 23 janvier
2002
1.13. A l'occasion des audiences relatives à la demande en indication de mesure
conservatoire formulée par la République du Congo, la République française a pu porter à la
connaissance de la Cour les principaux développements de l'information judiciaire ouverte
par le réquisitoire du 23 janvier 2002 ainsi que les règles de droit interne pertinentes 13
• Il ne
lui apparaît donc pas nécessaire d'exposer de nouveau ces divers éléments, si ce n'est pour
préciser la présentation fournie par la partie congolaise tant en ce qui concerne les actes
accomplis envers le général Dabira (§ 1) qu'au sujet de la demande d'audition du Président
Sassou Nguesso (§ 2). Il importe également de présenter à la Cour, ainsi que le permet
l'article 49 du Règlement de celle-ci, un «exposé additionnel des faits» intervenus depuis le
dépôt du mémoire de la République du Congo, pour autant que ceux-ci puissent avoir un
intérêt aux fins de l'instance(§ 3).
§ 1- Les actes d'instruction visant le général Dabira
1.14. Ainsi que 1 'exposé des faits de la partie requérante le manifeste par son silence, aucun
acte d'instruction n'avait été accompli à l'encontre de MM. Oba et Adoua à la date du dépôt
du mémoire de la République du Congo (ni ne l'a été, d'ailleurs, depuis cette date). Seul le
général Dabira a été visé par l'information judiciaire conduite par les juges d'instruction de
Meaux14
.
1.15. Dans le cadre d'une commission rogatoire délivrée par les juges d'instruction le 16
mai 2002, les officiers de police judiciaire mandatés par les juges d'instruction ont placé le
général Dabira en garde à vue et l'ont entendu en tant que témoin le 23 mai 2002. A l'issue de
cette audition, il a été convoqué pour être entendu comme «témoin assisté», c'est-à-dire en
tant que personne « contre laquelle il existe des indices rendant vraisemblable qu'elle ait pu
participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont le juge
13 V. notamment la plaidoirie de M. ABRAHAM du 28 avril2003 (CR 2003/21, pars. 24-31 et 41-46).
14 Ainsi que le prévoit l'article 83 du code de procédure pénale« [l]orsque la gravité ou la complexité de l'affaire
le justifie», le président du tribunal de grande instance de Meaux a décidé, le 4 février 2002, d'adjoindre un
second juge d'instruction au juge initialement chargé de l'informationjudiciaire.
10
d'instruction est saisi »15
• Au terme de cette seconde audition, le 8 juillet 2002, les juges
d'instruction ont informé le général Dabira qu'il serait convoqué le 11 septembre 2002 pour
être mis en examen. Aux termes de l'article 80-1, premier alinéa, du code de procédure
pénale,
«A peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les
personnes ·à 1' encontre: desquelles il existe des indices graves ou concordants
rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme
complice, à la commission des infractions dont il est saisi ».
La mise en examen peut ainsil être définie comme 1' acte par lequel le juge notifie à une
personne qu'elle fait officiellement l'objet de poursuites ; cette personne bénéficie alors des
droits de la défense et peut, notamment, être assistée d'un avocat et accéder au dossier de la
procédure.
1.16. Le 9 septembre 2002, le général Dabira a fait sav01r au chargé d'affaires de
l'ambassade de France au Congo qu'il avait reçu des «instructions formelles de [s]on
gouvernement», l'empêchant de se présenter devant les juges d'instruction de Meaux. Afin
d'étayer son refus de déférer à la convocation, le général Dabira faisait valoir, d'une part,
qu'il n'avait pas à« [s]e justifier dans le cadre de [s]es fonctions devant une juridiction autre
que celle de [s]on pays, à moins d'une commission rogatoire internationale» ; il invoquait,
d'autre part, l'application du principe non bis in idem16
.
1.17. Constatant cette situation, le juge d'instruction a délivré, le 16 septembre 2002, un
mandat d'amener à l'encontre du général Dabira. En exécution de ce mandat, qui constitue,
selon 1' article 122 du code de procédure pénale, « 1' ordre donné par le juge à la force publique
de conduire immédiatement la personne à l'encontre de laquelle il est décerné devant lui», les
officiers de police judiciaire de la Section de Recherches de Paris se sont présentés, le 25
septembre, au domicile du général Dabira à Villeparisis, où l'épouse de celui-ci les a informés
que son mari se trouvait à Brazzaville. Sur les instructions du juge de Meaux, les officiers
chargés d'exécuter le mandat ont alors inscrit monsieur Dabira au fichier des personnes
recherchées. Il convient par ailleurs de noter que le «procès-verbal de perquisition et de
recherches infructueuses » dressé à cette occasion, co-signé par Madame Dabira, ne
15 Art. 113-2 du code de procédure pénale. Le témoin assisté a le droit d'être assisté par un avocat, il n'a pas à
rcrêter serment et ne peut être placé sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire.
6 Annexe II. Sur la nature et la portée du principe non bis in idem, v. infra Chapitre 2, pars. 2.94 à 2.105.
11
mentionne aucun trouble particulier, contrairement à ce que paraît alléguer la République du
Congo dans son exposé des faits 17

1.18. Le 15 janvier 2004, le magistrat instructeur a délivré, à l'encontre du général Dabira,
un mandat d'arrêt visant les infractions de tortures et de crimes contre l'humanité. A la
différence du mandat d'amener, le mandat d'arrêt, qui donne ordre à la force publique «de
rechercher la personne à 1' encontre de laquelle il est décerné et de la conduire à la maison
d'arrêt »18
, peut être diffusé au plan international. Tel est le cas du mandat délivré à l'encontre
du général Dabira, qui a fait l'objet d'une diffusion par le biais d'Interpol et du système de
Schengen (SIS) le 26 mars 2004.
§ 2- La demande d'audition du Président Sassou Nguesso
1.19. Ainsi que la République française a déjà eu l'occasion de l'indiquer19
, aucun acte de
procédure n'a été accompli à l'encontre du Président Sassou Nguesso. Il est vrai qu'à deux
reprises, les 18 décembre 2002 et 19 février 2003, les magistrats instructeurs de Meaux ont
exprimé le souhait de recevoir son témoignage. Mais, par dérogation au droit commun, une
telle demande doit nécessairement répondre à des conditions spécifiques, qui s'appliquent à
1 'ensemble des titulaires de charges publiques représentant leur État au plan international et,
partant, aux chefs d'État étrangers.
1.20. Ainsi que le prévoit l'article 656 du code de procédure pénale en effet,
«La déposition écrite d'un représentant d'une puissance étrangère est
demandée [par le juge d'instruction] par l'entremise du ministre des affaires
étrangères. Si la demande est agréée [c'est-à-dire acceptée par son
destinataire], cette déposition est reçue par le premier président de la cour
d'appel ou par le magistrat qu'il aura délégué».
En d'autres termes, un chef d'État étranger n'est nullement tenu de déférer à la demande de
témoignage qui lui est communiquée par la voie diplomatique. Son refus de témoigner ne
saurait donc être pénalement sanctionné, par contraste à ce que prévoit le code pénal dans les
situations de droit commun20

17 Me' mor.r e, p. 16 .
18 Art. 122, al. 5, du code de procédure pénale.
19 V. par exemple la plaidoirie de M. ABRAHAM du 28 avril2003 (CR 2003/21, par. 45).
20 V. l'art. 434-15-1 du code pénal.
12
1.21. En l'espèce, et comme cela sera ultérieurement développë1
, c'est à raison que les
magistrats instructeurs ont fondé leur demande d'audition du Président Sassou Nguesso sur
l'article 656 du code de procédure pénale. Au surplus, il convient de rappeler que cette
demande n'a pas été transmise à son destinataire.
§ 3- Les développements survenus depuis le dépôt du mémoire de la République du Congo
1.22. Outre l'émission et la diffusion internationale d'un mandat d'arrêt à l'encontre du
général Dabira22
, la République française estime utile de porter à la connaissance de la Cour
certains faits qui se sont produits après la date de dépôt du mémoire de la République du
Congo, dans l'ordre chronologique de leur survenance.
1.23. Agissant sur commlSSlon rogatoire des magistrats instructeurs, la Section de
Recherches de Paris a demandé au ministère des affaires étrangères, le 4 février 2004, de bien
vouloir lui indiquer si certaines personnes, au nombre desquelles figurait monsieur Oba, « se
trouv[a]ient actuellement en France dans le cadre d'une mission officielle de la République du
Congo et bénéfici[a]ient à ce titre d'une accréditation diplomatique». Sollicitée par ce
ministère, l'ambassade de la République du Congo en France a précisé qu'à la différence des
autres personnes mentionnées dans la requête de l'officier de police judiciaire, monsieur Oba
était «de passage à Paris en mission d'État »23
• Sur le fondement de cette information, le
ministère des affaires étrangères a indiqué à la Section de Recherches que monsieur Oba se
trouvait en mission officielle en France et à ce titre y jouissait d'une immunité en vertu du
droit international coutumier24

1.24. Le 26 mars 2004, le magistrat instructeur a délivré une comm1sswn rogatoire
internationale aux autorités helvétiques afin de se faire remettre un certain nombre de
documents et procéder à l'audition de plusieurs représentants du Haut Commissariat aux
Réfugiés, dont le siège se trouve à Genève.
21 V. infra Chapitre 3, pars. 3.60 à 3.63.
22y . supra par. 1.18.
23 Annexe III.
24 Ibidem.
13
1.25. Saisi par le procureur de la République de Meaux d'une requête en annulation de
certains actes accomplis dans le cours de l'instruction, le Président de la chambre de
l'instruction de la Cour d'appel a ordonné, le 8 avril 2004, la suspension de l'information
judiciaire ouverte le 23 janvier 2002, tant que cette requête ne serait pas examinée. Cette
décision, qui ne met pas fin à l'instruction et n'équivaut pas à un dessaisissement des
magistrats chargés de conduire celle-ci, permettra de préciser l'étendue de la saisine de ces
derniers.
Section 3- Les développements intervenus au sein de la République du Congo
1.26. Dans son mémoire, la République du Congo ne fournit qu'un exposé partiel de
l'information judiciaire ouverte à Brazzaville, sur laquelle elle entend pourtant fonder sa
demande de cessation de la procédure pénale engagée en France (§ 1 ). De manière tout aussi
inexplicable, elle passe également sous silence son adhésion à la convention du 10 décembre
1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
intervenue le 30 juillet 2003 (§ 2).
§ 1 -Le développement de 1 'information judiciaire ouverte à Brazzaville
1.27. Dans son exposé des faits, la République du Congo reproduit la substance d'une lettre
en date du 9 septembre 2002, par laquelle le procureur de la République près le tribunal de
grande instance de Brazzaville faisait part à son homologue de Meaux de l'utilité de faire
cesser la procédure engagée en France, en raison d'un «grave problème de conflit de
compétence entre deux juridictions appartenant à deux États souverains »25
. A l'appui de son
argumentation, le Procureur indiquait que le ministre de la justice congolais avait demandé au
ministère public« de requérir l'ouverture d'une information contre X des chefs d'enlèvements
et de disparitions de personnes». Il ajoutait ensuite :
« Par un réquisitoire introductif en date du 29 août 2000, le Procureur de la
République a effectivement requis l'ouverture d'une information des chefs
susdits. Le Doyen des juges d'instruction au Tribunal de Grande Instance de
25 Mémoire, p. 15 ; la lettre est reproduite comme « revendication de compétence » en annexe 7 au mémoire de
la République du Congo.
14
Brazzaville a ainsi été saisi de ces faits et a déjà accompli, à ce jour, plusieurs
d
,. . 26 actes mstruct10n » .
1.28. La présentation qui est faite de ce document dans le mémoire de la République du
Congo appelle plusieurs remarques. D'une part, la «lettre circonstanciée »27 qu'évoque le
requérant ne précise nullement lla nature et le résultat des «actes d'instruction» accomplis par
le juge de Brazzaville. Pourtant, cette lettre a été adressée au procureur de la République de
Meaux plus de deux ans après la date d'ouverture d'une information judiciaire au Congo,
indiquée dans le même documt~nt. D'autre part, il ne saurait être avéré, à la seule lecture de
cette lettre, que le magistrat instructeur de Meaux a été effectivement saisi « des mêmes
faits »28 que son homologue de Brazzaville. La lettre du 9 septembre 2002 évoque
uniquement, en effet, les chefs «d'enlèvements et de disparitions de personnes» et ne
mentionne pas les faits de torture, sur lesquels l'information judiciaire a été ouverte à Meaux
le 23 janvier 200229
. Enfin, et de manière particulièrement paradoxale au vu de ces
imprécisions notables, la République du Congo passe entièrement sous silence le contenu de
plusieurs documents pertinents qu'elle a adressés à la Cour le 21 mai 200330
.
1.29. La lecture de ces documents permet pourtant de comprendre, à défaut de combler, les
lacunes de l'exposé congolais. En admettant au nombre des «actes d'instruction» les
réquisitoires délivrés par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de
Brazzaville, il apparaît ainsi qu'au 21 mai 2003, la République du Congo n'a pu fournir à la
Cour que trois éléments entrant dans le cadre de l'information judiciaire menée sur son
territoire. Le premier est le «réquisitoire à fin d'infomter » du 29 août 2000, qu'évoque le
Procureur de la République de Brazzaville dans sa lettre à son homologue de Meaux. Le
deuxième est un document intitulé« réquisition supplétif» [sic], daté du Il novembre 2002 et
signé par le même procureur. Le troisième est une commission rogatoire délivrée le 2 octobre
2002 par le Doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Brazzaville au
juge d'instruction de Kinshasa (République démocratique du Congo). Ces deux derniers
documents étant postérieurs à la date de la « revendication de compétence » adressée au
procureur de la République de Meaux, les« actes d'instruction» qui auraient été accomplis au
26 Ibidem.
27 Me' mor.r e, p. 15 .
28 Ibidem.
29 V. supra par. 1.12.
30 Pour rappel, ces documents sont reproduits à l'annexe IV du présent contre-mémoire.
15
Congo entre l'ouverture de l'information judiciaire, le 29 août 2000, et le 9 septembre 2002
demeurent inconnus de la République française autant que de la Cour.
1.30. De surcroît, l'affirmation selon laquelle les magistrats instructeurs de Brazzaville et de
Meaux auraient été saisis «des mêmes faits» n'est pas corroborée par un examen attentif des
documents que la République du Congo a fournis à la Cour. Il est vrai que la commission
rogatoire délivrée le 2 octobre 2002 par le Doyen des juges d'instruction de Brazzaville
comporte un premier visa rédigé comme suit :
«Vu la procédure d'instruction suivie contre X ... ,
des chefs d'assassinat, tortures, crimes contre l'humanité, viols»
Toutefois, ce visa ne paraît pas refléter fidèlement l'étendue de la saisine du juge
d'instruction, telle que celle-ci a été effectuée par le biais du réquisitoire introductif du 29
août 2000. Bien que la copie de ce dernier document fournie par la République du Congo soit
difficilement lisible, il apparaît clairement que le terme« torture» n'est employé que dans le
cadre d'un énoncé des faits n'entrant pas dans les prévisions de la loi 21-99 du 20 décembre
1999, portant amnistie des faits de guerre découlant des guerres civiles de 1993-1994, 1997 et
1998-1999. En revanche, la torture n'est nullement mentionnée parmi les infractions sur
lesquelles l'information judiciaire est ouverte, puisque la requête elle-même est rédigée
comme suit:
«qu'il plaise à Monsieur le Doyen des juges d'instruction, informer par toutes
voies de droit contre X sur qui pèsent des présomptions graves de viol et
d'assassinat».
Les faits de torture ne sont pas davantage mentionnés dans le document intitulé « réquisition
supplétif», signé le 11 novembre 2002 par le procureur de la République de Brazzaville.
Celui-ci se contente en effet de requérir du magistrat instructeur qu'il étende le champ de son
information à des
« présomptions graves de violations du secret professionnel et de non
assistance à personne en danger ».
1.31. A ce jour, la République française n'a donc connaissance d'aucun élément substantiel
susceptible de corroborer le postulat selon lequel les juges d'instruction auraient été saisis, à
16
Brazzaville et à Meaux, des mêmes faits, et ce, nonobstant les conclusions de droit qui
pourraient être éventuellement tirées de cette affirmation, si elle était avérée31
.
§ 2 - L'adhésion de la République du Congo à la convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
1.32. Dans son mémoire, la République du Congo omet inexplicablement de mentionner
qu'elle a adhéré, le 30 juillet 2003, à la convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984. Cette
adhésion, qui a pris effet le 29 août 2003, revêt pourtant, de manière indubitable, une
importance cruciale aux fins de la présente procédure32

***
1.3 3. Avant de procéder à 1' examen de droit qu' appe !lent les arguments présentés par la
République du Congo dans sa requête et son mémoire, la République française entend réfuter
de la manière la plus ferme les allégations auxquelles se livre le requérant en conclusion de
son exposé des faits. Dans le cadre des relations bilatérales, marquées par l'amitié et la
coopération, qu'elles entretiennent avec leurs homologues congolaises, les autorités politiques
françaises n'ont jamais laissé entendre, de quelque m:mière que ce soit, qu'elles seraient
«convaincues du bien fondé de la demande congolaise». Cette affirmation, qui ne repose sur
aucun élément factuel, est dénuée de toute véracité.
31 V. infra Chapitre 2, pars. 2.75s.
32 V. infra Chapitre 2, pars. 2.64 à 2.74.
CHAPITRE 2
LA PRETENDUE VIOLATION DU PRINCIPE SELON LEQUEL
UN ETAT NE PEUT EXERCER SON POUVOIR SUR LE TERRITOIRE D'UN AUTRE ÉTAT
ET DU PRINCIPE DE L'EGALITE SOUVERAINE
17
2.1. Le premier moyen invoqué par la République du Congo dans son mémoire porte sur
l'exercice par la France de sa compétence pénale dans les affaires en question. Ce premier
moyen est subdivisé en deux branches, l'une relative à la compétence des juridictions
françaises en matière de crimes contre l'humanité, l'autre à leur compétence en matière de
torture. L'argumentation de la première branche porte à la fois sur le droit français et sur le
droit international général. Celle de la seconde porte, semble-t-il, surtout sur le droit
conventionnel. Une telle présentation des arguments juridiques du demandeur appelle deux
remarques préliminaires.
2.2. La première remarque concerne la partie relative au cnme contre l'humanité. Le
mémoire entend démontrer qu'il n'existe pas en droit français de titre de compétence
universelle pour les crimes contre l'humanité. La France ne conteste pas que la compétence
du juge français en l'espèce est fondée sur l'article 689-2 du Code de procédure pénale et vise
par conséquent des faits de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains et
dégradants, étant entendu que ceci est sans préjudice de la qualification juridique qui est
donnée, conformément au droit français, à de tels faits.
2.3. La seconde remarque vise la partie du mémoire relative à la torture. La République du
Congo s'appuie essentiellement, dans cette partie, sur ]a Convention du 10 décembre 1984
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Bien que le
mémoire reste silencieux sur ce point, ceci est probablement dû au fait que la République du
Congo est désormais partie à ladite Convention. On 1;omprendrait mal, sans cela, que le
demandeur invoque les dispositions de cette convention. Le Gouvernement français en déduit
que, du point de vue du demandeur, la Convention du 10 décembre 1984 est applicable dans
les relations juridiques entre lui-même et la France. Tel est également 1' avis du Gouvernement
français.
18
2.4. Dans un souci de répondre de manière complète aux arguments juridiques soulevés ou
susceptibles de l'être à propos de l'exercice par la France de sa compétence pénale dans les
affaires concernées, trois points seront successivement abordés. Il sera tout d'abord démontré
que le comportement des autorités françaises respecte parfaitement les règles du droit
international général relatives aux compétences de l'Etat (Section 1). En effet, celles-ci ne
l'empêchent nullement d'exercer sa compétence à l'encontre d'un ressortissant étranger pour
les infractions concernées, y compris lorsque les faits ont eu lieu à l'étranger, du moment que
l'auteur est trouvé sur son territoire. De plus, et en tout état de cause, l'Etat français est tenu
d'établir sa compétence pour connaître de tels faits en vertu de la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 1 0 décembre 1984, dont les
dispositions sont applicables au présent litige (Section 2). Enfin, l'un des points soulevés dans
le mémoire de la République du Congo portant sur l'articulation des compétences pénales
entre plusieurs Etats susceptibles de connaître des mêmes faits, il convient de s'interroger sur
les éventuelles règles de droit international en ce domaine, aussi bien au titre du droit
coutumier que du droit conventionnel (Section 3).
Section 1 - Le droit international général permet à la France d'exercer sa juridiction
pénale dans les procédures qui donnent lieu au présent litige
2.5. Au regard du droit international général, la France a le droit d'exercer sa compétence
pour connaître d'actes tels que ceux qui sont reprochés à M. Dabira, ressortissant congolais,
même lorsqu'ils l'ont été à l'étranger et contre des étrangers, à la condition que l'auteur soit
présent sur son territoire. Ceci résulte tout d'abord d'une présomption en faveur de la liberté
de l'Etat, qui suppose que le demandeur démontre l'existence d'une règle prohibitive
contraire. Telles sont les véritables conséquences du principe de l'égalité souveraine(§ 1). De
plus, le Gouvernement français est en mesure de démontrer qu'il existe en droit international,
à tout le moins, une règle spécifique reconnaissant à 1 'État le droit d'établir une telle
compétence pour les infractions concernées(§ 2).
19
§ 1- Les conséquences du principe de l'égalité souveraine
2.6. Contrairement à ce que soutient l'Etat requérant, le principe de l'égalité souveraine ne
s'oppose nullement à l'exercice par la France de sa compétence dans l'affaire faisant l'objet
du litige. L'arrêt de la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du Lotus, sur
lequel s'appuie le demandeur33
, démontre tout au contraire l'existence d'une large liberté en
ce domaine, du moment qu'aucun acte de contrainte n'est accompli au-delà du territoire
étatique. Par conséquent, il revient au demandeur de démontrer l'existence d'une règle de
droit international prohibitive qui viendrait limiter cette liherté, corollaire de la souveraineté.
Al Les règles du droit international reflétées par 1' arrêt de la Cour permanente de Justice
internationale dans 1' affaire du Lotus
2.7. Le mémoire de la République du Congo assimile abusivement les règles du droit
international appliquées dans 1' arrêt du Lotus à un principe de territorialité qui serait exclusif
de tout autre titre de compétence. L'arrêt du Lotus lui-même condamne une telle confusion
dans le passage suivant :
« S'il est vrai que le principe de la territorialité du droit pénal est à la base de
toutes les législations, il n'en est pas moins vrai que toutes ou presque toutes
ces législations étendent leur action à des délits commis hors du territoire, et
cela d'après des systèmes qui changent d'Etat en Etat. La territorialité du droit
pénal n'est donc pas un principe absolu du droit international et ne se confond
aucunement avec la souveraineté territoriale. »34
2.8. La source de la confusion provient du fait que le mémoire omet de distinguer entre la
compétence exécutive et la compétence normative de l'Etat, cette dernière couvrant à la fois
la compétence législative et la compétence juridictionnelle. Cette distinction est pourtant
essentielle, car elle emporte des effets différents quant à la mise en oeuvre du principe de
l'égalité souveraine, ce que la Cour permanente a parfaitement mis en évidence dans son arrêt
du 7 septembre 1927.
33 Me' mm.r e, p. 27 .
34 C.P.J.I., affaire du Lotus, Série A, lrl0 9, p. 19.
20
2.9. En ce qui concerne la compétence exécutive tout d'abord, le principe de territorialité
joue effectivement de manière exclusive, c'est-à-dire qu'il interdit à l'Etat tout «exercice de
sa puissance», c'est-à-dire tout acte de contrainte, accompli sur le territoire d'un autre Etat35
.
C'est également en ce sens que, dans la sentence du 4 avril 1928 dans l'affaire de l'île de
Palmas, l'arbitre Max Huber énonce le principe selon lequel «l'Etat a compétence exclusive
( ... )en ce qui concerne son propre territoire »36

2.10. Or, dans l'affaire à propos de laquelle la République du Congo a saisi la Cour
internationale de Justice, la France n'a à aucun moment violé ce principe de territorialité. Il
importe en effet de souligner qu'aucun exercice de la compétence exécutive de l'Etat français
n'a eu lieu sur le territoire d'un autre Etat. L'unique acte de contrainte effectivement exécuté
a été le placement en garde à vue de M. Dabira, le 23 mai 2002, dans les locaux de la
gendarmerie de Claye-Souilly, à la suite de son interpellation à Villeparisis, c'est-à-dire sur le
sol français. Par ailleurs et plus généralement, lorsque les besoins d'une procédure supposent
que certains actes soient accomplis à l'étranger, les autorités judiciaires françaises ont recours
aux mécanismes classiques de la coopération judiciaire entre Etats, fondés sur le
consentement de l'Etat requis et sur le strict respect de sa souveraineté. La commission
rogatoire internationale ou la demande d'extradition entrent dans ce cadre. Il en va de même
du mandat d'arrêt qui, s'il a vocation à être exécuté à l'étranger, doit alors s'inscrire dans le
cadre d'une procédure d'entraide judiciaire. Quant au mandat d'amener, il n'est exécutoire
que sur le territoire de la République française.
2.11. En ce qui concerne la compétence normative, le principe de l'égalité souveraine, qui
traduit la juxtaposition des souverainetés, produit des effets entièrement différents. Selon la
Cour permanente de Justice internationale:
«Loin de défendre d'une manière générale aux Etats d'étendre leurs lois et leur
juridiction à des personnes, des biens et des actes hors du territoire, [le droit
international] leur laisse, à cet égard, une large liberté, qui n'est limitée que
dans quelques cas par des règles prohibitives ; pour les autres cas, chaque Etat
reste libre d'adopter les principes qu'il juge les meilleurs et les plus
convenables. »37
35 C.P.J.I., affaire du Lotus, Série A, n°9, p. 18.
36 Recueil des sentences arbitrales, t. II, p. 838.
37 C.P.J.I., Série A, n°9, p. 19.
21
Cette large liberté de l'Etat, qui est un corollaire de sa souveraineté, explique la grande variété
des systèmes juridiques nationaux. Seule l'existence d'une règle de droit international venant
limiter les compétences législatives et juridictionnelles étatiques pourrait renverser la
présomption en faveur de la liberté de l'Etat. Bien que consciente des «inconvénients qui
dérivent de pareille variété» dans la pratique, la Cour permanente n'en a pas moins tranché en
droit une question de principe, de manière parfaitement conforme au principe de
souveraineté38

2.12. La suite de l'arrêt porte plus spécifiquement sur la matière pénale. Quelles que soient
les particularités de celle-ci, le principe tel qu'il vient d'être exposé est également appliqué en
ce domaine. Lorsqu'il s'agit de contester la conformité au droit international d'une loi pénale
à portée extraterritoriale, il est toujours nécessaire de rechercher, soit dans une convention soit
dans une règle coutumière, une règle limitative et non une règle habilitante39
. Comme le
souligne très nettement l'arrêt, «en deçà de ces limites, le titre à la juridiction [que l'Etat]
exerce se trouve dans sa souveraineté »40
.
2.13. Si, par comparaison avt::c 1' époque où 1' arrêt du Lotus a été rendu, il existe sans doute
aujourd'hui davantage de règles de droit international propres à la matière pénale, il reste
nécessaire d'établir de quelle façon ces règles opèrent dans chaque situation où plusieurs Etats
sont susceptibles d'exercer le:ur compétence. Cette recherche doit être faite de manière
précise, conformément à la méthode suggérée par la Cow- permanente elle-même :
«la recherche doit se faire au moyen d'un examen de précédents présentant
une analogie étroite avec le cas d'espèce; car c'est seulement dans les
précédents de cette nature que pourrait se manifester, le cas échéant,
l'existence d'un principe général applicable à l'espèce. »41
Cette méthode est également celle qui est prônée par la doctrine ayant étudié la notion de
juridiction étatique42
. A défaut de règle spécifique, le principe de liberté en matière de
38 Ibid., p. 19.
39 Ibid., spécialement pp. 20-21.
40 Ibid., p. 19.
41 Ibid., p. 21.
42 Elle parvient alors à la conclusion que le principe d'universalité est applicable en matière de crimes
internationaux. V. notamment F.A. MANN, «The Doctrine of Jurisdiction in International Law», Recueil des
cours de l'Académie de droit international, 1964-1, t. 111, p. 82; C. Bl.AKESLEY, «Extraterritorial
Jurisdiction », in M. Cherif BASSIOUNI (ed.), International Criminal Law, vol. II (Procedural and Enforcement
Mechanisms), Transnational Publishers Inc., Ardsley, New York, 2nd éd., 1999, pp. 39-40.
22
compétence normative 1' emporte nécessairement puisque, comme le souligne la Cour
permanente, « les limitations de 1' indépendance des Etats ne se présument ( ... ) pas » 43

2.14. Les principes du droit international tels qu'interprétés par la jurisprudence sont donc
particulièrement clairs. A défaut d'une démonstration pertinente de 1' existence d'une règle
spécifique concernant une situation donnée, il existe une présomption en faveur du respect par
l'Etat du droit international, du moment que celui-ci exerce ses compétences législative et
juridictionnelle en limitant les effets contraignants de leur exercice à son propre territoire.
BI La nécessité pour le demandeur de démontrer l'existence d'une règle prohibitive
2.15. La République du Congo étant la partie demanderesse dans la présente affaire, il lui
incombe d'apporter la preuve d'une violation du droit international imputable à la France.
Sans cela, le principe actori incumbit probatio, selon lequel la partie qui soutient une
proposition doit la démontrer, ne serait pas respecté44
• Cette règle probatoire vaut non
seulement en matière de fait, mais également en matière de droit. Elle est singulièrement
renforcée dans le présent litige, dans la mesure où il s'agit de démontrer l'existence d'une
règle prohibitive, renversant la présomption selon laquelle le titre de compétence se trouve
dans la souveraineté.
2.16. Or, force est de constater que le mémoire ne cherche guère à démontrer l'existence
d'une règle qui interdirait à la France d'exercer sa compétence pénale pour les actes reprochés
à M. Dabira. Les rares arguments du demandeur, soit sont extrêmement généraux et non
rapportés aux faits de l'espèce, soit sont entachés d'erreurs de compréhension ou
d'interprétation des textes cités.
2.17. Tout d'abord, la seule mention du principe de l'égalité souveraine ne saurait être
considérée comme une démonstration. Outre son caractère lapidaire, elle n'apporte aucun
argument juridique substantiel par rapport au droit appliqué à l'époque du Lotus. L'égalité
souveraine, qui figure indéniablement à l'article 2 de la Charte des Nations Unies, est en
43 C.P.J.I., Série A, n°9, p. 18. V. également C.P.J.I., Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc,
Série B, n°4, pp. 23-24 (avis consultatif du 7 février 1923).
44 J.C. WITENBERG, « Onus Probandi devant les juridictions arbitrales», R.G.D.J.P., 1951, p. 324;
Mojtaba KAzAZI, Burden of Proof and Related Issues - A Study on Evidence Before International Tribunats,
23
réalité l'un des principes fondamentaux les plus anciens du droit international, qui existait
bien avant l'arrêt du Lotus et qui, d'une certaine manière, constitue un présupposé du droit
international lui-même. La solution de la Cour permanente constituait justement une
application de ce principe. Il faudrait par conséquent démontrer que des règles plus précises
relatives à la matière pénale existent dans le droit international contemporain, règles qui
viendraient restreindre la liberté des Etats dans des situations analogues à celle qui fait 1 'objet
du présent litige.
2.18. Les autres arguments invoqués par la République du Congo reposent sur des erreurs. Il
a déjà été expliqué plus haut en quel sens il convient de comprendre le principe de
territorialité du point de vue du droit international45
. L'Etat requérant ajoute que, dans l'arrêt
du Lotus, «la Cour permanente admit l'existence d'une telle règle coutumière», c'est-à-dire
d'une règle qui «en la circonstance» aurait autorisé la Turquie à exercer sa compétence46
.
Une telle affirmation est tout simplement fausse. Le Congo inverse complètement le
raisonnement de la Cour permanente. Celle-ci est partie du présupposé que, pour limiter la
liberté de la Turquie, il faudrait qu'existe une règle spécifique. Elle conclut qu'une telle règle
n'existait ni dans le droit conventionnel, ni dans le droit coutumier. C'est donc à défaut, et
non en raison, d'une règle coutumière spécifique applicable «en la circonstance» que la
Cour admet l'exercice par la Turquie de sa compétence pénale à propos de faits d'abordage
survenus en haute mer entre un navire français et un navire turc, dont des ressortissants turcs
furent victimes47
.
2.19. Tout aussi fausse est l'interprétation donnée par la République du Congo de l'opinion
individuelle de M. le Juge Guillaume dans l'affaire du Mandat d'arrêt du 11 avril 200rf8

Conformément à la méthode exposée supra49
, l'ensemble du raisonnement conduit dans
l'opinion a porté sur la recherche de précédents présentant l'analogie la plus étroite avec la
situation concernée. Ladite situation était la «compétence universelle par défaut», c'est-àdire
la compétence en l'absenc:e de l'auteur sur le territoire de l'Etat qui exerce sa juridiction
pénale pour des faits commis à l'étranger par un étranger. Telle était exactement, en matière
Kluwer Law International, pp. 137-138 et 221s.; H.W.A. THIRLWAY, «Evidence Before International Courts
and Tribunats», in R. BERNHARD (ed.), Encyclopedia of Public International Law, vol. 1, 1981, p. 59.
45 § § 2.7-2.12.
46 Me'm or.r e, p. 27 .
47 C.P.J.I., Série A, n°9, pp. 22-31, et notamment p. 31 : «Il y a donc lieu de constater qu'aucun principe de droit
international( ... ) ne s'oppose à l'exercice des poursuites pénales dont il s'agit.>>
48 Mémoire, p. 27, citant le§ 4 de l'opinion individuelle du Président Guillaume.
24
de compétence, la partie problématique de la loi belge du 16 juin 1993, modifiée par la loi du
1 0 février 1999, qui était examinée. Or, la loi française diffère très nettement de la loi belge
applicable à l'époque, puisqu'elle pose une condition de présence de l'auteur sur le territoire
français au moment du déclenchement des poursuites. Il ne s'agit donc nullement de
«compétence universelle par défaut». La loi française est d'ailleurs citée, dans l'opinion en
question, comme se distinguant de la loi belge et est présentée, sous cet angle, de manière
positive50
.
2.20. Le Congo admet même implicitement que la loi française est parfaitement conforme
au droit international, lorsqu'il fait référence à la loi belge du 16 juin 199351
• Celle-ci est
critiquée car elle permettait :
«le déclenchement d'une action publique par la seule constitution de partie
civile auprès d'un juge d'instruction, même en l'absence des personnes
poursuivies, même contre des personnes qui pourraient se prévaloir d'une
immunité. »52
Contrairement à ce qui est suggéré par un raccourci de rédaction, la Cour internationale de
Justice, dans son arrêt du 14 février 2002 relatif à l'affaire du Mandat d'arrêt du 11 avril
2000, n'a pas «donné raison à la RDC » à propos de la compétence pénale des juridictions
belges53
, puisque la question avait été écartée par les parties au litige et que la Cour s'est
prononcée uniquement sur les immunités. Il est cependant exact que la loi contestée a fait
l'objet d'une révision peu après que l'arrêt a été rendu, y compris sur le sujet de la
compétence. Le Congo, après avoir vivement critiqué l'état du droit antérieur, conclut son
analyse historique de la législation belge de la façon suivante :
49 § 2.13.
«Une nouvelle loi du 5 avril 2003 a ramené la Belgique au droit commun:
désormais, la plainte n'est recevable que si l'infraction a été commise en
Belgique, si l'auteur présumé est belge ou se trouve en Belgique, si la victime
est belge ou réside en Belgique depuis trois ans. »54
50 Au§ 12 de l'opinion individuelle du Président Guillaume.
51 Mémoire, pp. 26-27.
52 Mémoire, p. 26 (italiques ajoutés).
53 Ibid.
54 Ibid., pp. 26-27 (italiques ajoutés).
25
Il s'agit là d'un exposé des différents titres de compétence alternatifs énumérés par la loi
belge révisée, que la République du Congo présente en réalité de manière incomplète car la
compétence universelle par défaut restait possible avec différentes restrictions procédurales55
.
De plus, cette loi d'avril 2003 a été à nouveau modifiée par une loi du 7 août 2003 56
. Toutes
ces approximations importent à vrai dire assez peu ici. Le point essentiel et particulièrement
remarquable est que la République du Congo considère la loi du 5 avril 2003 comme un
retour au « droit commun », à partir du moment où un lien avec la Belgique existait, ce lien
pouvant être - selon les termes mêmes du mémoire - le fait que « 1' auteur présumé ( ... ) se
trouve en Belgique». Ce« droit commun» correspond parfaitement à la façon dont la France
envisage l'exercice de sa compétence pénale.
2.21. La République du Congo n'a donc pas rempli la tâche qui lui incombe en tant que
demandeur de démontrer l'existence d'une règle prohibitive. Elle l'a même si peu fait que
l'on est en droit de se demander si elle n'a en réalité pas admis la pertinence de la position
française. De son côté, le Gouvernement français peut aisément démontrer 1' existence dans le
droit international contemporain d'une règle qui, au minimum, lui reconnaît le droit d'exercer
sa compétence pénale pour la catégorie d'infractions dont relèvent aussi bien la torture que le
crime contre l'humanité. Du point de vue du Gouvernement français, une telle démonstration
va au-delà de ce que les principes applicables en matière de preuve exigent de lui. Néanmoins,
ce faisant, il entend coopérer pleinement avec la Cour dans sa mission de recherche des règles
de droit applicables à l'espèce.
55 Loi modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international
humanitaire et l'article 144ter du Code judiciaire, Moniteur Belge, 7 mai 2003, Article 7 :
« (L.2003-04-23, art.5 ; En vigueur: 07-05-2003)
§ 1. Sous réserve d'un dessaisissement prononcé dans un des cas prévus aux paragraphes suivants, les
juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions prévues à la présente loi, indépendamment du
lieu où celles-ci auront été commises et même si l'auteur présumé ne se trouve pas en Belgique.!
L'action publique ne pourra toutefois être engagée que sur réquisition du procureur fédéral lorsque :1
1 o l'infraction n'a pas été commise sur le territoire du Royaume ;1
2° l'auteur présumé n'est pas belge ;1
3° l'auteur présumé ne se trouve pas sur le territoire du Royaume et!
4° la victime n'est pas belge ou ne réside pas en Belgique depuis au moins trois ans.
( ... ) ))
Il en résulte a contrario que la procédure pénale de droit commun est applicable -notamment la constitution de
partie civile- pour les différentes hypothèses auxquelles l'énumération fait référence.
56 Loi relative aux violations graves du droit international humanitaire, Moniteur Belge, 7 août 2003. Son article
18 (article l2bis nouveau du titre préliminaire du Code de procédure pénale) maintient la possibilité d'exercer la
compétence universelle à certaines conditions.
26
§ 2- L'existence d'une règle reconnaissant à l'Etat le droit d'établir sa compétence pénale
pour les infractions concernées
2.22. Les infractions dont il est question dans l'affaire faisant l'objet du présent litige
entrent dans la catégorie des crimes du droit des gens (delicta juris gentium). De ce fait, la
France est indéniablement en droit d'exercer sa compétence pour les actes visés, quel que soit
leur lieu de commission et quelle que soit la nationalité de leur(s) auteur(s) ou de leur(s)
victime(s). Toutefois, la présence de l'individu soupçonné d'avoir commis de telles
infractions sur son territoire est une condition de 1' existence de cette compétence. Cette
condition a été satisfaite en 1' espèce.
Al La spécificité des infractions concernées
1) Des infractions qui sont des delictajuris gentium
2.23. De nombreuses infractions sont aujourd'hui définies internationalement. Outre celles
qui figurent dans des conventions internationales en matière pénale, il est admis que certaines
résultent également du droit coutumier. Au sein de cet ensemble, il convient de réserver une
place particulière aux infractions qui constituent des atteintes graves aux valeurs
fondamentales de la communauté des Etats et mettent en cause la dignité de la personne
humaine. Elles peuvent être décrites comme des « infractions internationales par nature >P.
Leur commission fait l'objet d'une réprobation universelle et leur répression est, par
conséquent, organisée de manière universelle. Le crime contre 1 'humanité tout comme le
crime de torture en font aujourd'hui partie, de même, notamment, que le génocide et certains
actes de terrorisme58
.
2.24. La spécificité de telles infractions a été relevée par la Cour internationale de Justice, à
propos du génocide, dans son avis du 28 mai 1951 sur les Réserves à la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide. Raisonnant à partir du droit conventionnel,
la Cour en a tiré des conséquences importantes sur le plan du droit international général :
57 Claude LOMBOIS, Droit pénal international, Dalloz, 2ème éd., 1979.
58 Antonio CASSESE, International Criminal Law, Oxford University Press, 2003, pp. 23-25 ;
Victoria ABELLAN HONRUBIA, «La responsabilité internationale de l'individu», R. C.A.D.I., 1999, t. 180, p. 294.
«Les ongmes de la Convention révèlent l'intention des Nations Unies de
condamner et de réprimer le génocide comme 'un crime de droit des gens'
impliquant le refus du droit à l'existence de groupes humains entiers, refus qui
bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l'humanité, et
qui est contraire à la fois à la morale et à l'esprit et aux fins des Nations Unies
(résolution 96 (I) de l'Assemblée générale, 11 décembre 1946). Cette
conception entraîne une première conséquence: les principes qui sont à la base
de la Convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme
obligeant les Etats même en dehors de tout lien conventionnel. Une deuxième
conséquence est le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide
et de la coopération nécessaire 'pour libérer 1 'humanité d'un fléau aussi
odieux' (préambule de la Convention). »59
27
2.25. Une intention comparable, c'est-à-dire une intention liée au principe d'humanité et aux
fins des Nations Unies, se retrouve dans le cas de la Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984. Ainsi, le
préambule mentionne « la reconnaissance des droits égaux et inaliénables de tous les
membres de la famille humaine » et « la dignité inhérente à la personne humaine » 60
• Il
rattache la Convention aux «principes proclamés dans la Charte des Nations Unies» et à son
article 55, en vertu desquels «les Etats sont tenus ( ... ) d'encourager le respect universel et
effectif des droits de 1 'homme: et des libertés fondamentales » 61
. Il rappelle 1' existence de
plusieurs instruments internationaux antérieurs, à ponée universelle, qui proscrivent de
manière absolue la torture : l'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme,
1' article 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques, la Déclaration sur la
protection de toutes les persmmes contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants du 10 décembre 197562
• De plus, la Convention a été adoptée par
l'Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1984 - jour anniversaire de
l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme- par consensus63
. La volonté
d'organiser la répression sur 1~: plan international ne fait aucun doute puisque l'essentiel des
articles de la première partie porte sur la matière pénale, que ce soit pour définir les actes de
torture ou pour poser des obligations en matière de compétence et de procédure pénale64

59 C.I.J., avis du 28 mai 1951, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de
~én.ocide, ~ecueil, 1951, p. 23.
2eme et 3eme alinéa du préambule.
61 2ème et 4ème alinéa du préambule.
62 sème et 6ème alinéa du préambule.
63 Résolution 39/46 de l'Assemblée générale des Nations Unies.
64 On trouve également des dispositions sur les mesures administratives et les droits des victimes.
28
2.26. Reflet de cette nature particulière, les règles portant interdiction des violations graves
des droits fondamentaux de la personne humaine engendrent des obligations erga omnes. On
peut à cet égard rappeler la position exprimée par la Cour dans son arrêt du 5 février 1970
dans 1' affaire de la Barcelona Traction :
« 33. ( ... ) Une distinction essentielle doit en particulier être établie entre les
obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble
et celles qui naissent vis-à-vis d'un autre Etat dans le cadre de la protection
diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats.
Vu l'importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés
comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ; les
obligations dont il s'agit sont des obligations erga omnes.
34. Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international
contemporain, de la mise hors la loi des actes d'agression et du génocide mais
aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la
personne humaine, y compris la protection contre la pratique de 1' esclavage et
1a d1' scn.m m. at1. 0n rac1. a 1e . ( . . . ) »6 5
2.27. La torture constitue à l'évidence un tel cas de violation grave des «droits
fondamentaux de la personne humaine ». Sa forte stigmatisation dans le droit international
contemporain apparaît notamment à la lecture des conventions de protection des droits de
l'homme, puisque l'interdiction de la torture y fait toujours partie des normes auxquelles il est
impossible de déroger66
. La communauté internationale des Etats manifeste ainsi son
attachement à des «considérations élémentaires d'humanité »67
. Par ailleurs, le droit
international humanitaire érige également les actes de torture en infraction lorsqu'ils sont
commis dans le contexte d'un conflit armé et, ainsi que le relève le Congo68
, dans le cadre
d'une attaque généralisée ou systématique contre une population civile. La qualification
juridique appropriée peut devenir alors, dans un cas, le crime de guerre et, dans 1' autre, le
crime contre l'humanité. Ceci confirme, si besoin en était, que l'interdiction de la torture est
non seulement une obligation erga omnes69
, mais est devenue un principe intransgressible du
droit international coutumier70

65 C.I.J., arrêt du 5 février 1970, Barcelona Traction (Belgique c. Espagne), Recueil, 1970, §§ 33-34 de l'arrêt.
66 Articles 4 §2 et 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques ; article 3 et 15 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; articles 5 et 27 § 2 de la
Convention américaine des droits de l'homme; article 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples.
67 C.I.J., arrêt du 9 avrill949, Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie) (fond), Recueil, 1949, p. 22.
68. Me'm 01. re, p. 31 .
69 En ce sens, Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, jugement, Le Procureur c. Anto Furundzija,
n°IT-95-1711-T, 10 décembre 1998, § 153.
70 Sur la notion et les critères retenus par la Cour: avis du 8 juillet 1996 sur la Licéité de la menace ou de
l'emploi d'armes nucléaires, Recueil, 1996, p. 257, au§ 79.
29
2.28. Il est dès lors particulièrement inacceptable de tenter d'établir, comme le fait le
demandeur71
, une distinction selon que l'acte est commis ou non dans le cadre du «maintien
de l'ordre public». Accepter un tel raisonnement reviendrait à vider de toute substance les
règles du droit international, car il y a de fortes chances pour que les auteurs d'actes de torture
ou constitutifs d'un crime contre l'humanité s'abritent derrière une fonction de «maintien de
l'ordre public» et même l'utilisent pour commettre l'infraction. Une telle «excuse» est
d'ailleurs exclue par l'article 1er, paragraphe 1, de la Convention du 10 décembre 198472

2.29. Le Congo tente à ce propos d'établir une analogie entre la présente affaire et certains
arrêts rendus par la Cour de justice des Communautés européennes73
. Un tel parallèle est fort
peu convaincant. Il est tout d'abord étrange et même déplacé de comparer la liberté de
circulation des marchandises en Europe, aussi éminent que soit ce principe dans l'ordre
juridique communautaire, à l'interdiction de la torture, qui fait partie des normes les plus
fondamentales du droit international et résulte du nécessaire respect de la dignité humaine. De
plus, les arrêts cités sont des arrêts en manquement vistmt le comportement d'un Etat et se
prononçant sur la responsabilité internationale de cet Etat au regard du droit communautaire.
Cela n'a rien à voir avec les procédures conduites devant le juge français et qui font l'objet du
présent litige. Celles-ci concernent la responsabilité pénale de certains individus et non la
responsabilité de la République du Congo. Le fait que de telles infractions aient pu être
commises par des agents exerçant une fonction de maintien de l'ordre ne vaut nullement
exonération de responsabilité, que ce soit en droit interne ou en droit international. Les règles
du droit international pénal traduisent justement l'idée d'une responsabilité pénale
individuelle incluant les agents publics. Selon les principes de Nuremberg, « [l]a situation
officielle des accusés ( ... ) ne sera considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme un
motif de diminution de peine »74
. Ce principe a été entériné par l'Assemblée générale des
71 Mémoire, pp. 34-35.
72 «Aux fins de la présente Convention, le terme 'torture' désigne tout acte par lequel une douleur ou des
souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne ( ... ) par un agent de
la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son
consentement exprès ou tacite. »
73 Mémoire, pp. 34-35, § 29.
74 Article 7 du Statut du Tribunal militaire international, annexé aux Accords de Londres du 8 août 1945. V.
également le Jugement du T.M.I. de Nuremberg, Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal
militaire international, textes officiels en langue française, tome I, Documents officiels, Nuremberg, 194 7,
p. 235.
30
Nations Unies et par la Commission du droit international des Nations Unies75
. Il figure dans
les statuts des juridictions pénales internationales, au titre des principes de la responsabilité
pénale internationale 76
, et dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, compte tenu de la définition de l'infraction posée77
• Il fait.
indéniablement partie du droit international général.
2.30. Le mémoire de la République du Congo entretient en réalité la confusion entre la
notion de responsabilité pénale des individus et celle d'immunité internationale. Il conclut
ainsi son argumentation par une invitation «à reconnaître au ministre de l'intérieur, pour les
faits qui ressortissent à 1' exercice de ses fonctions de maintien de 1' ordre public, une
immunité analogue à celle dont bénéficie, pour d'autres raisons, le ministre des affaires
étrangères » 78
. Le problème qui est soulevé ne concerne donc pas la compétence en matière
pénale, mais l'étendue des immunités internationales. Or, le fait que certains individus
bénéficient d'une immunité internationale ne fait pas disparaître leur responsabilité, ne seraitce
que parce que l'Etat dont ils sont les représentants a toujours la faculté de lever une telle
immunité. La question des immunités sera examinée plus loin dans ce contre-mémoire79
. On
se limitera ici à relever que le passage se termine curieusement par une revendication
d'immunité limitée au seul ministre de l'intérieur, ce qui contredit la généralité de
l'argumentation qui précède80
.
2.31. Le droit international contemporain établit donc clairement que la commission d'un
acte de torture est toujours proscrite, quel que soit le contexte, et constitutive d'une infraction
internationale (delicta juris gentium)81
• Les droits et obligations pouvant être attachés à cette
règle au titre du droit international sont des droits et obligations erga omnes82
. Tout Etat a par
conséquent un intérêt juridique à assurer la répression des actes de torture.
75 Résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies des 3 et 95 (1) des 13 février et 11 décembre 1946;
Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 2ème session, 5 juin-29 juillet 1950
(Principe III).
76 Article 7 § 2 du Statut du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie; article 6 § 2 du Statut du
Tribunal pénal international pour le Rwanda, article 27 du Statut de la Cour pénale internationale.
77 v . supra, § 2 .2 8 .
78 Me' mor.r e, p. 35 .
79 V. infra, Chapitre 3.
80 Mémoire, pp. 34-35, § 29.
81 V. également les paragraphes suivants.
82 V., mutatis mutandis, à propos du génocide, l'arrêt de la C.I.J. du 11 juillet 1996, Application de la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) (exceptions
préliminaires), § 31 : « les droits et les obligations consacrés par la Convention sont des droits et des obligations
erga omnes. »
31
2) Des infractions dont le caractère international justifie une répression universelle
2.32. La caractère international de l'infraction implique qu'aucun Etat ne saurait contester le
droit d'un autre Etat d'établir sa compétence pour en assurer la répression, quel que soit le
lieu de commission ou la nationalité des personnes impliquées, dès lors qu'il existe un certain
lien de rattachement avec l'État de la juridiction. Comme le soulignait la Cour internationale
de Justice dans son avis du 28 mai 1951 à propos du génocide, une des conséquences de la
nature de l'infraction est «le caractère universel à la fois de la condamnation ( ... ) et de la
coopération nécessaire( ... ) »83
. L'existence d'une telle règle spécifique du droit international
coutumier apparaît au travers : a) des rapports entre droit conventionnel et droit coutumier ; b)
des lois et de la pratique des Etats; c) de la position d'organes internationaux.
a) Les rapports entre droit conventionnel et droit international coutumier
2.33. Le besoin de coopération au niveau international explique le nombre aujourd'hui élevé
de conventions internationales qui définissent des infrac1ions et qui reconnaissent le droit ou
établissent l'obligation pour les Etats d'ajouter d'autres titres de compétence aux compétences
territoriale et personnelle. Elles font dans certains cas appel à ce que la République du Congo
nomme, à la suite d'une partie importante de la doctrine, «compétence universelle »84
. En
réalité, une telle expression ne: figure pas dans les conventions en question. Il s'agit d'une
facilité de langage, peut-être contestable85
, qui désigne une obligation, mise à la charge des
Etats, et dont le contenu est une alternative consistant soit à extrader soit à poursuivre les
auteurs trouvés sur leur territoire86
. Une telle disposition figure dans les conventions
suivantes : Convention de Genève du 20 avril 1929 pour la répression du faux-monnayage
(article 9), Convention du 26 juin 1936 pour la répression du trafic illicite des drogues
nuisibles (article 8), Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la
capture illicite d'aéronefs (article 4), Convention unique du 30 mars 1961 sur les stupéfiants
(article 36), Convention de Vienne du 21 février 1971 sur les substances psychotropes (article
22), Convention de Montréal du 23 septembre 1971 pour la répression d'actes illicites dirigés
83 C.I.J., avis du 28 mai 1951, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de
~énocide, Recueil, 1951, p. 23.
4 Mémoire, pp. 25s.
85 V. infra, § 2.52.
86 V. à ce propos infra,§ 2.54.
32
contre la sécurité de l'aviation civile (article 5), Convention des Nations Unies du 14
décembre 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant
d'une protection diplomatique (article 3), Convention européenne du 27 janvier 1977 pour la
répression du terrorisme (article 6), Convention de 1' 0. U .A. du 3 juillet 1977 sur 1' élimination
du mercenariat en Afrique (article 8), Convention de Vienne du 26 octobre 1979 sur la
protection physique des matières nucléaires (article 8), Convention de New York du 17
décembre 1979 contre la prise d'otages (article 5), Convention des Nations Unies du 10
décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants (article 5), Convention inter-américaine du 9 décembre 1985 pour la prévention et
la répression de la torture (article 12), Convention de Rome du 10 mars 1988 pour la
répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime (article 6), Convention
européenne du 4 novembre 1988 sur la protection de 1' environnement par le droit pénal
(article 5), Convention des Nations Unies du 4 décembre 1989 contre le recrutement,
l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires (article 9), Convention des Nations
Unies du 9 décembre 1994 sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel
associé (article 3), Convention du 15 décembre 1997 pour la répression des attentats
terroristes à l'explosif (article 6), Convention internationale du 9 décembre 1999 pour la
répression du financement du terrorisme (article 7), Convention des Nations Unies du 15
novembre 2000 contre la criminalité transnationale organisée (article 15). La République du
Congo est d'ailleurs partie à un certain nombre d'entre elles, comme la Convention de
Montréal de 1971 et, désormais, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants.
2.34. Le trait caractéristique de ces instruments conventionnels est d'obliger les Etats parties
à établir dans leur droit interne les titres de compétence décrits. Or, faire apparaître
conventionnellement une obligation pour les Etats parties d'établir tel ou tel titre de
compétence suppose qu'ils aient au préalable le droit de le faire en vertu du droit international
général. Le nombre extrêmement élevé de ratifications et d'adhésions à ces conventions
démontre de surcroît une reconnaissance du caractère coutumier du droit d'exercer les
compétences visées.
2.35. Si telle n'avait pas été le présupposé des Etats parties, il eût été nécessaire de poser le
droit aussi bien que l'obligation en termes de réciprocité et de subordonner l'exercice de la
compétence au fait qu'un autre ou que d'autres États, concernés par l'infraction ratione loci
33
ou ratione personae, étaient également parties à la convention. Or aucune de ces conventions
ne comporte de clause de ce genre, et ce pour une raison assez évidente. Subordonner
l'exercice de la compétence d'un Etat à l'accord de l'Etat du lieu de commission de
l'infraction et/ou à l'accord de l'Etat de nationalité de l'auteur de l'infraction, voire
éventuellement à l'accord de l'Etat de nationalité des victimes eût été contraire à la finalité
même de ces conventions, qui est de favoriser la répression des crimes les plus graves. Cela
eût été de plus peu compatible avec le caractère erga omnes des obligations qu'il s'agit de
faire respecter, tous les Etats ayant un «intérêt juridique» au respect de ces obligations87

L'absence de disposition relative à la réciprocité à propos des titres de compétence démontre
donc que le droit des Etats d'établir de telles compétences était, au moment de l'adoption de
ces instruments, considéré comme présent dans le droit international coutumier. Le but de ces
conventions est de transformer le droit que chaque Etat tire du droit international général en
une obligation.
2.36. Pour s'en tenir à la Convention contre la torture et les autres traitements cruels,
inhumains ou dégradants, le préambule précise que les Etats parties se sont montrés
« [d]ésireux d'accroître l'efficacité de la lutte contre la torture et les autres peines ou
traitement cruels, inhumains ou dégradants dans le monde entier». L'expression «dans le
monde entier» exclut de toute évidence l'idée d'une condition implicite de réciprocité. Les
travaux préparatoires font également apparaître la vocation universelle de la Convention, y
compris dans ses aspects répressifs :
« les deux éléments importants du projet de convention sont le régime de
juridiction universelle 1;!t le mécanisme d'application. L'intérêt du premier tient
à ce que les responsables de tortures peuvent être poursuivis où qu'ils se
trouvent. Il importe que la responsabilité d'enquèter sur les plaintes faisant état
de tortures et d'engager des poursuites incombe à la communauté
internationale. » 88
2.37. Il convient de relever que la République du Congo n'a jamais fait d'objection
concernant les principes sur lesquels la Convention est fondée. Tout au contraire, l'attitude
des autorités congolaises, antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la Convention vis-àvis
de la République du Congo, a toujours été favorable à celle-ci. Ainsi, dans le rapport
présenté en 1997 par la République du Congo devant le Comité des droits de 1'h omme, au
87 C.I.J., arrêt du 5 février 1970, Barcelona Traction, Recueil, 1970, § 34 de l'arrêt.
88 Nations Unies, Commission des droits de l'homme, 40ème session, cloc. E/CN.4/1984/SR.34.
34
titre de ses obligations résultant du Pacte international sur les droits civils et politiques, il est
précisé que la nouvelle constitution congolaise du 15 mars 1992 comprend désormais une
disposition relative à l'interdiction de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou
dégradants (article 16), ce qui doit permettre l'adhésion à la Convention89
. Par la suite, une loi
autorisant 1' adhésion a été adoptée par le Conseil national de transition et promulguée par le
Président de la République du Congo le 15 août 1999. Enfin, le 30 juillet 2003, alors que la
présente procédure devant la Cour internationale de Justice était déjà engagée, la République
du Congo a adhéré à la Convention sans émettre de réserve ni faire de déclaration.
b) Les lois et la pratique des Etats
2.38. Anticipant ou s'inscrivant dans la tendance encouragée par les conventions précitées,
de très nombreux Etats ont adopté des lois nationales pour assurer la répression des crimes
internationaux indépendamment de leur lieu de commission ou de la nationalité des personnes
impliquées. Ces lois ne se limitent cependant pas aux infractions définies
conventionnellement, mais couvrent également des violations graves du droit international de
nature coutumière. Cela est particulièrement vrai pour le crime contre l'humanité, dont
l'article 7 du Statut de la Cour pénale internationale fournit aujourd'hui une définition. De
telles oeuvres législatives sont non seulement l'indice d'une pratique répandue, mais
également d'une opinio juris émanant des différents législateurs et relative au fait que le droit
international ne les empêche nullement d'adopter de telles règles de compétence en matière
pénale90
. Aucune d'entre elles ne fait apparaître de restriction en termes de réciprocité.
2.39. L'un des exemples les plus anciens est le Code pénal éthiopien de 1957. Son article
17 § 1 a) prévoit que les juridictions éthiopiennes pourront poursuivre toute personne ayant
commis, à 1 'étranger, « an offence against international law or an international offence
specified in Ethiopian legislation, or an international treaty or a convention to which
Ethiopia has adhered »91
• La disposition permet ainsi l'incrimination par renvoi au droit
international coutumier comme conventionnel. Semblable technique est également utilisée en
relation avec le principe d'universalité par El Salvador (article 10 du Code pénal de 1998), ou
89 Doc. CCPR/C/63/Add.5, 5 mai 1997, § 20.
90 Et ce d'autant plus que, dans nombre de cas, le législateur national entendait transposer en droit interne les
règles du droit international relatives aux infractions concernées.
91 Cité et commenté par Philippe GRA VEN, An Introduction to Ethiopian Penal Law (Arts. 1-84 Penal Code),
Faculty of Law Haile Selassie I University, Addis Abeba, Oxford University Press, 1965, p. 46.
35
encore par la Géorgie (articles 5 et 6 du Code pénal de 1999). D'autres Etats énumèrent ou
définissent dans le droit interne les infractions concernées, comme les Pays-Bas, ou mêlent les
deux techniques comme l'Espagne (article 23-4 de la Loi organique sur le pouvoir judiciaire)
ou le Ghana (article 56 (4) du Courts Act). D'une manière générale, on observe que tous les
grands systèmes de droit sont représentés: common law (Royaume-Uni), droit romanogermanique
(article 6 du Code pénal allemand), droit chinois (article 9 du Nouveau Code
pénal chinois de 1997), droit islamique (article 8 du Code pénal iranien). Les informations
fournies par les Etats au Comité contre la torture font apparaître que plus de 80 Etats ont la
possibilité, en vertu de leur droit interne, d'exercer des poursuites pour des actes de torture
commis à l'étranger par des étrangers contre des étrangers92
.
2.40. Certaines juridictions étatiques ont eu l'occasion de mettre en oeuvre le pnnc1pe
d'universalité, notamment en matière de crimes contre l'humanité. La motivation s'appuie
alors sur la nature de l'infraction. Un tel raisonnement a été tenu par la Cour de district de
Jérusalem dans son jugement du 12 décembre 1961 dans la célèbre affaire Eichmann:
« The abhorent crimes defined in this Law are not crimes under Israel law
a/one. These crimes, which struck at the whole of mankind and shocked the
conscience of nations, are grave offences against the law of nations itself
(de1icta juris gentium). Therefore, so far from international law negating or
limiting the jurisdiction of countries with respect to such crimes, international
law is, in the absence of an International Court, in need of the judicial and
legislative organs of every country to give effects to its criminal interdictions
and to bring the criminals to trial. The jurisdiction to try crimes under
international law is universal. »93
L'analyse de la Cour de district de Jérusalem a été confirmée par l'arrêt du 29 mai 1962 de la
Cour suprême d'Israël94
.
92 Ce paragraphe ainsi que les suivants s'appuient notamment sur Antonio CASSESE et Mireille DELMAS-MARTY
(dir.), Juridictions nationales et crimes internationaux, Presses universitaires de France, Paris, 2002, vi-673p., et
sur l'étude réalisée par Amnesty International, Universal Jurisdiction: The Duty of States to Enact and
Implement Legislation, AI index: lOR 53/002-018/2001, September 2001 (CD-Rom), principalement à partir
des informations transmises par les Etats dans leurs rapports périodiques aux organes internationaux de contrôle
mis en place par traité. V. également les textes et décisions disponibles sur le site du Comité international de la
Croix-Rouge: www.icrc.org.
93 Traduction anglaise in International Law Reports, vol. 36, pp. 5-276, pour le passage cité, p. 26 (§ 12).
94 Traduction anglaise in International Law Reports, vol. 36, pp. 277-342, pour le passage cité, p. 287 : « The
State of Israel therefore was entitled, pursuant to the princip le of universal jurisdiction and in the capa city of a
guardian of international law and an agent for its enforcement, to tl y the appelant. »
36
2.41. Aux Etats-Unis, une Cour d'appel fédérale, saisie d'une demande en habeas corpus à
propos d'une procédure d'extradition engagée contre M. Demjanjuk, a été amenée à
s'interroger sur le titre de juridiction fondé sur l'universalité. Dans son arrêt du 31 octobre
1985, après avoir cité la Section 404 du Restatement (Third) of the Foreign Relations Law of
the United States qui admet expressément un tel titre de manière à punir « certain offenses
recognized by the community of nations as of univers al concern, such as piracy, slave trade,
attacks on or hijacking of aircraft, genocide, war crimes, and perhaps terrorism », elle
déclare:
« This 'universality principle' is based on the assumption that sorne crimes are
so universally condemned that the perpetrators are the ennemies of al! people.
Therefore, any nation which has custody of the perpetra tors may punish them
according to its law applicable to such offenses. »95
2.42. Tout aussi clairement, la Cour suprême canadienne, dans son arrêt du 24 mars 1994
dans 1' affaire Finta, estime que :
« The principle of universality permitted a state to exercise jurisdiction over
criminal acts committed by non-nationals against non-nationals wherever they
took place if the offence constituted an attack on the international legal arder.
In addition, there were acts which were crimes under international law which
could be punished by any state which had custody of the accused. »96
2.43. Sur le même fondement, des procès ont été menés en divers pays dans les années
1990. En novembre 1994, un Musulman bosniaque a été condamné au Danemark pour des
crimes commis dans un camp de prisonnier en Bosnie97
. De 1997 à 1999, quatre Serbes de
Bosnie ont été condamnés en Allemagne pour des crimes commis en ex-Yougoslavie contre
des Musulmans bosniaques pour crimes de guerre98
. En juillet 1997, un cas semblable a
abouti à un acquittement en Suisse pour insuffisance de preuve99
. Des ressortissants rwandais
95 International Law Reports, vol. 79, p. 545 (Demjanjuk v. Petrovsky).
96 International Law Reports, vol. 104, p. 287.
97 V. Rafaëlle MAISON, «Les premiers cas d'application des dispositions pénales des Conventions de Genève par
les juridictions internes», European Journal of International Law 1 Journal européen de droit international,
1995, vol. 6, n°2, pp. 260-263.
98 Affaire Djaji, Bayerisches Oberlandesgericht, jugement du 23 Mai 1997, 3 StR 20/96; affaire Jorgi,
Oberlandesgericht Düsseldorf, jugement du 6 septembre 1997, confirmé par la Cour suprême fédérale, jugement
du 30 avril 1999, 3 StR 215/98; affaire Sokolovi, Oberlandesgericht Düsseldorf, jugement du 29 novembre
1999, confirmé par la Cour suprême fédérale, jugement du 21 février 2001, 3 StR 372/00; affaire Kuslji,
Bayerisches Oberlandesgericht, jugement du 15 décembre 1999, confirmé par la Cour suprême fédérale le 21
février 2001, 3 StR 244/00.
99 Affaire G., Tribunal militaire de division 1, Lausanne, 18 avril 1997, et Tribunal militaire de cassation, 5
septembre 1997. V. American Journal of International Law, 1997, vol. 92, p. 78.
37
ont été condamnés en Suisse et en Belgique pour des crimes commis lors du génocide
rwandais 100

2.44. Bien que n'ayant pas abouti à un procès, l'affaire Pinochet est certainement la plus
connue en matière de torture. Pour s'en tenir aux procédures qui se sont déroulées au
Royaume-Uni, où se trouvait Augusto Pinochet, la décision de la Chambre des Lords du 24
mars 1999 constitue un précéde:nt important101
• Lord Browne-Wilkinson, lisant le résumé de
la position des lords, a considéré que :
« the basic proposition common ta ail, save Lord Goff of Chieveley, is that
torture is an international crime over which international law and the parties
ta the Torture Convention have given universal jurisdiction ta al! courts
wherever the torture occurs. »
Les six juges majoritaires admettent tous que la nature particulière de l'infraction en droit
international justifie la compétence des juridictions anglaises comme espagnoles.
2.45. Les juridictions néerlandaises se sont également penchées sur un cas de torture, dans
l'affaire Bouterse102
. La Cour d'appel d'Amsterdam a estimé que, dès 1982, date à laquelle les
faits avaient été commis au Surinam, le droit international coutumier donnait compétence aux
Etats pour exercer une « compétence extraterritoriale (universelle)».
c) La position d'organes internationaux
2.46. Le Conseil de sécurité des Nations Unies s'est montré favorable au mécanisme aut
dedere aut judicare, incitant le:s Etats à y recourir ou à y souscrire dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme. C'est ainsi que dans sa résolution 1333 (2000), il rappelle «les
conventions internationales pertinentes contre le terrorisme et, en particulier, l'obligation
qu'ont les parties à ces instruments d'extrader ou de poursuivre les terroristes» ; il réaffirme
100 Pour la Suisse : affaire Fugence Niyonteze, Tribunal militaire de division 2, Lausanne, jugement du 30 avril
1999, modifié par le Tribunal militaire d'appelle 26 mai 1999, appel confirmé par le Tribunal de cassation le 27
avril 2001. Pour la Belgique: affaire Higanirio, Ntezimana, Mukangango et Kizito, Cour d'assises de
l'arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, 8 juin 2001.
101 Chambre des Lords (Comité de 7 juges), Regina v. Bartle and the Commissioner of Police for the Metropolis
and Others Ex Parte Pinochet - Regina v. Evans and Another and the Commissioner of Police and Others Ex
Parte Pinochet, jugement du 24 mars 1999
102 Cour d'appel d'Amsterdam, 5ème chambre, 20 novembre 2000, requêtes no R 971163/12Sv et R 971176112Sv.
La Cour suprême, par sa décision elu 18 septembre 200 1, a cependant exigé que 1' auteur soit présent sur le
territoire néerlandais. V. infra, § 2.53.
38
également que « la répression du terrorisme international est essentielle pour le maintien de la
paix et de la sécurité internationales». Dans la résolution 1373 (2001), il demande« à tous les
Etats » de « devenir dès que possible partie aux conventions et protocoles internationaux
relatifs au terrorisme, y compris la Convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme en date du 9 décembre 1999 », cette dernière comportant un tel
mécanisme.
2.4 7. En matière de violation des droits fondamentaux de la personne humaine,
l'Organisation des Nations Unies a donné l'exemple. Le 6 juin 2000, le Représentant spécial
du Secrétaire général des Nations Unies, à la tête de l'Administration transitoire des Nations
Unies au Timor oriental, a établi par ordonnance des formations juridictionnelles spéciales
(panels) disposant d'une «compétence universelle» pour connaître de certaines catégories
d'infractions graves103
• Les infractions concernées sont le génocide, le crime contre
l'humanité, les crimes de guerre, la torture 104
. Si ces juridictions sont matériellement de nature
interne, leur acte constitutif est formellement international, puisqu'il a été adopté par un
organe subsidiaire des Nations Unies, sur le fondement de la résolution 1272 (1999) du
Conseil de sécurité des Nations Unies.
2.48. La jurisprudence du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie doit également
être mentionnée. En effet, dans le jugement du 10 décembre 1998 concernant l'accusé
Anto Furundzija, une Chambre de première instance a très nettement pris position en faveur
de l'universalité·de la répression en matière de torture :
«De surcroît, à l'échelon individuel, à savoir celui de la responsabilité pénale,
il semblerait que l'une des conséquences de la valeur de jus cogens reconnue à
l'interdiction de la torture par la communauté internationale fait que tout Etat
est en droit d'enquêter, de poursuivre et de punir ou d'extrader les individus
accusés de torture, présents sur son territoire. En effet, il serait contradictoire,
d'une part, de restreindre, en interdisant la torture, le pouvoir absolu qu'ont
normalement les Etats souverains de conclure des traités et, d'autre part,
d'empêcher les Etats de poursuivre et de punir ceux qui la pratiquent à
l'étranger. Ce fondement juridique de la compétence universelle ·des Etats en
matière de torture confirme et renforce celui qui, de l'avis d'autres juridictions,
découle du caractère par essence universel du crime. On a estimé que les
crimes internationaux étant universellement condamnés quel que soit 1' endroit
où ils ont été commis, chaque Etat a le droit de poursuivre et de punir les
103 Ordonnance du 6 juin 2000, Doc. UNTAET/REG/2000/15, § 2.1 et 2.2.
104 Les infractions sont défmies dans les sections 4 à 7 de l'ordonnance 2000115.
auteurs de ces crimes .. Comme le dit de façon générale la Cour suprême
d'Israël dans l'affaire Eichmann, de même qu'une juridiction des Etats-Unis
dans l'affaire Demjaniuk, "c'est le caractère universel des crimes en question
(c'est-à-dire des crimes internationaux) qui confère à cha~ue Etat le pouvoir de
traduire en justice et de punir ceux qui y ont pris part.". » 1 5
39
Sans qu'il soit utile que la Cour internationale de Justice s'interroge sur la valeur juridique de
la norme interdisant la torture, force est de constater que celle-ci constitue aujourd'hui un
principe intransgressible du droit international coutumier106
• Un tel constat renforce l'idée
d'une nécessaire internationalisation de la répression. Elle place la torture au même niveau de
réprobation que les infractions graves au droit international humanitaire, lesquelles peuvent
être définies comme celles des violations du droit international humanitaire qui impliquent un
droit pour les Etats d'établir leur compétence quel que soit le lieu de commission ou la
nationalité des auteurs de 1 'infraction.
2.49. En conclusion, le droit international aussi bien que de nombreux droits internes
admettent 1 'idée selon laquelle la nature internationale de certaines infractions implique que
tout Etat ait le droit d'en assurer la répression. Une limite est cependant très généralement
posée: la présence de l'auteur des actes reprochés sur le territoire de l'Etat qui met en oeuvre
sa compétence dite «universelle». Cette restriction marque un point d'équilibre entre le
nécessaire respect de la souveraineté pénale de chaque Etat et le besoin d'une coopération
internationale efficace et raisonnée. Elle permet aussi de prendre en considération 1' existence
d'un lien particulier avec 1 'Etat qui exerce les poursuites.
BI La condition de présence de l'auteur des actes reprochés sur le territoire de l'Etat qui
exerce les poursuites
2.50. En l'absence d'un titre de compétence fondé sur le lieu de commission de l'infraction
(compétence territoriale), ou sur la nationalité des personnes impliquées (compétence
personnelle), ou sur une atteinte aux intérêts propres de l'Etat (compétence réelle), le lieu où
se trouve l'auteur engendre un lien avec l'Etat de la juridiction qui justifie l'exercice de sa
compétence pénale.
105 T.P.I.Y., jugement, Le Procureur c. Anto Furundzija, n°IT-95-17!1-T, 10 décembre 1998, § 156. Le jugement
a été confirmé en appel (T .P .I.Y ., arrêt, Le Procureur c. Anto Furundzija, n°IT -95-17 /1-A, 21 juillet 2000).
106 V. supra, para. 2.27.
40
2. 51. Il serait en effet cuneux que le droit international empêche un Etat d'exercer des
poursuites contre un individu qui se trouve sur son propre territoire et dont il y a des raisons
sérieuses de penser qu'il a commis un crime de droit international. La violation des valeurs
fondamentales de la communauté des Etats constitue par définition un trouble à l'ordre public
de chacune de ses composantes. Il en va tout particulièrement ainsi lorsque l'Etat a défini
l'infraction à la fois en commun avec ses pairs dans l'ordre international et dans son ordre
juridique interne. En l'occurrence, les actes reprochés à M. Dabira constitueraient, s'ils étaient
établis, des infractions aussi bien au regard du droit international que du droit français. Tel est
le fondement de la compétence exercée par les autorités judiciaires françaises dans cette
affaire.
2.52. Compte tenu de cet élément de rattachement au territoire, il n'est pas certain que
l'expression «compétence universelle» soit des plus appropriées, même si elle est plus
commode d'utilisation107
• Dans les opinions jointes à l'arrêt du 14 février 2002 dans l'affaire
du Mandat d'arrêt du 11 avril 2000, plusieurs juges de la Cour ont estimé qu'il ne s'agissait
pas là de compétence universelle stricto sensu, en déclarant à ce propos :
« By the loose language the latter has come to be referred to as 'universal
jurisdiction ', though this is really an obligatory territorial jurisdiction over
persans, a lb ez.t z.n re la tz.o n to acts commz.t te d e ls ewh ere. »1 08
Cette analyse rejoint celle de la doctrine qui préfère parler d'un titre de compétence fondé sur
le forum deprehensionis et insiste sur la présence de l'auteur sur le territoire109
• L'expression
de « compétence universelle » devrait dès lors être réservée au titre de compétence établi en
dehors de tout lien avec l'Etat du for, y compris le lien constitué par la présence de l'auteur
sur son territoire. La véritable compétence universelle est une compétence inconditionnée,
absolue. Or, ce cas de figure ne correspond nullement aux circonstances du présent litige,
puisque la loi française pose la condition de présence de l'auteur sur le territoire de la
République pour que la juridiction française puisse connaître de faits constitutifs d'une
infraction internationale commis à l'étranger, par des étrangers, contre des étrangers. Ce
107 C'est par commodité que l'on emploiera, ci-après, à propos de la loi française, l'expression de «compétence
universelle », en la plaçant toutefois entre guillemets.
108 Joint Separate Opinon of Judges Higgins, Kooijmans and Buergenthal, § 41.
109 Henri DONNEDIEU DE VABRES, Les principes modernes du droit pénal international, Sirey, Paris, 1928,
pp. 135-136; M. CherifBASSIOUNI, « Universal Jurisdiction for International Crimes - Historical Perspectives
and Contemporary Practice », Virginia Journal of International Law, vol. 42,No.1, Fall2001, pp. 136-137.
41
faisant, la loi française s'inscrit dans le «droit commun>>, pour reprendre les termes utilisés
par la République du Congo dans son mémoire 110
.
2.53. Si l'on analyse la pratique des Etats, il est loisible de constater que la condition de
présence sur le territoire est toujours requise, soit parce qu'elle est expressément posée par la
loi, soit parce qu'elle est affirmée par le juge. Ainsi, dans l'affaire Bouterse, la Cour suprême
néerlandaise a fait apparaître une condition de présenee sur le territoire pour que la loi
néerlandaise soit applicable 111
. De ce point de vue, la loi helge du 16 juin 1993 constituait une
exception puisqu'elle permettait des poursuites in absentia, ce à quoi la loi d'août 2003 a mis
un terme.
2.54. Surtout, cette condition figure dans les conventions internationales organisant la
répression des violations graves du droit international, au travers de 1' alternative a ut dedere
aut prosequi. Celle-ci constitue de toute évidence un affinement technique appréciable, aussi
bien en termes de précision des titres de compétence étatiques que d'efficacité de la
coopération internationale. Si l'Etat a le choix entre extrader ou poursuivre, quelle que soit la
façon dont ce choix s'exerce, c'est qu'il est potentiellement en situation d'être saisi d'une
demande d'extradition par un autre Etat, donc que l'individu suspecté se trouve sur son
territoire. Il existe différentes modalités de mise en oeuvre de l'alternative en fonction des
régimes conventionnels112
. Mais, dans tous les cas, l'alternative présuppose: 1/ que l'auteur
de l'acte est présent sur le territoire de l'Etat qui s'engage à l'extrader ou à le poursuivre; 2/
que l'Etat a en tout état de cause un titre de compétence en matière pénale du moment que
l'individu est trouvé sur son territoire, sans quoi l'alternative serait réduite à l'une de ses
branches.
2.55. La loi française est parfaitement conforme à la tendance indiquée par les conventions
internationales et la pratique comparable des Etats : elle ne prévoit pas la compétence
universelle absolue. L'article 689-1 du Code de procédure pénale dispose que 1 'auteur doit
être présent sur le territoire français pour que les autorités judiciaires françaises soient
compétentes aux fins de déclencher des poursuites, d<ms l'hypothèse où les actes ont été
commis à l'étranger et où ni l'auteur ni les victimes n'ont la nationalité française. Cette
110 v . supra, para. 2 .20.
111 V. supra, para. 2.45.
112 Pour la torture, v. infra, pars. 78-79.
42
disposition a été parfaitement respectée dans 1' affaire dont la Cour a à connaître, puisque M.
Dabira, qui a une résidence en France, y séjournait au moment où le juge d'instruction a été
saisi.
2.56. Ainsi, la République du Congo n'est nullement fondée à contester l'attitude des
autorités judiciaires françaises au regard du droit international général. Ceci étant, quand bien
même il serait fait abstraction du droit reconnu à la France par la coutume internationale, la
France pourrait invoquer les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, qui lui font obligation
d'établir sa compétence lorsque l'auteur d'un acte de torture est trouvé sur son territoire.
Section 2 - En tout état de cause, la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, à laquelle le Congo
est partie, oblige la France à établir la compétence de ses tribunaux pénaux pour
connaître de situations telles que celle qui donne lieu au présent litige

2.57. La Convention est applicable au présent litige, comme l'admet le requérant lui-même.
Sans cela, on ne voit pas pourquoi d'importants développements lui seraient consacrés dans le
mémoire113
. Il est dès lors nécessaire de présenter avec exactitude les droits et les obligations
en résultant en matière de compétence pénale pour les Etats qui, comme la France, sont
parties(§ 1). D'autre part, l'adhésion de la République du Congo à la Convention constitue un
élément nouveau par rapport aux phases précédentes de la procédure engagée devant la Cour
internationale de Justice; il convient d'en préciser les effets(§ 2).
113 Mémoire, pp. 30-33.
43
§ 1 - Les dispositions de la Convention sont destinées à accroître l'efficacité de la lutte
contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans
le monde entier
2.58. La torture, telle qu'envisagée par la Convention, est une violation fondamentale des
droits des individus dont la commission ou la tentative de commission engendre la
responsabilité pénale individuelle. En vertu de l'article 4, doivent être constitutifs d'une
infraction dans le droit pénal des Etats parties «tous les actes de torture». Les dispositions de
la Convention portant sur les titres de compétence étatiques sont à relier aux infractions
auxquelles cet article fait référence.
2.59. L'objet principal de la Convention est l'établissement de titres de compétence
étatiques de manière à lutter efficacement contre la torture. La Convention oblige les Etats
parties à établir certains titres de compétences en droit interne et en précise certaines
modalités d'exercice. Selon l'article 5 § 1, tout Etat partie est tenu d'établir sa compétence
lorsque l'infraction a été commise sur «tout territoire sous [sa] juridiction ou à bords
d'aéronefs ou de navires immatriculés dans cet Etat» (article 5 § 1 a), et lorsque «l'auteur
présumé de l'infraction est un ressortissant dudit Etat» (article 5 § 1 b). Lorsque la victime
est ressortissante de l'Etat, celui-ci a la faculté d'établir sa compétence (article 5 § 1 c ). Une
autre obligation apparaît à l'article 5 § 2, directement pertinent dans l'affaire faisant l'objet du
litige devant la Cour, lorsque «l'auteur présumé [desclites infractions] se trouve sur tout
territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne 1' extrade pas ». Il ne s'agit pas là d'une
compétence universelle inconditionnée, mais d'un mécanisme de type aut dedere aut
prosequi, que l'Etat est tenu d''établir dans son droit interne. La branche de l'alternative aut
prosequi rend indispensable l'établissement en droit interne d'une compétence pénale pour les
actes de torture commis par des étrangers, à l'étranger, contre des étrangers, du moment que
l'auteur se trouve sur un territoire placé sous la juridiction de l'Etat partie. La France satisfait
à cette obligation grâce aux articles 689, 689-1 et 689-2 de son code de procédure pénale.
2.60. Il convient encore de noter que la Convention contre la torture comprend une
disposition qui permet d'aller au-delà des titres de compétence envisagés aux paragraphes 1 et
2 de l'article 5 et reconnaît la liberté juridictionnelle de l'Etat. Selon l'article 5 § 3, « [l]a
présente Convention n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois
44
nationales». Une telle clause est d'ailleurs classique et figure dans d'autres conventions en
matière pénale114

2.61. L'alternative aut dedere aut prosequi constitue de toute évidence un élément central
du dispositif répressif. En effet, 1' obligation correspondante est singulièrement renforcée par
l'article 7 § 1 qui précise les modalités de mise en oeuvre de l'article 5. L'Etat où l'auteur
présumé d'un acte de torture est «découvert» a l'obligation de soumettre l'affaire «à ses
autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale», s'il ne l'extrade pas. Cette
disposition est particulièrement remarquable car elle met l'accent sur le rôle de l'Etat sur le
territoire duquel l'auteur de l'acte se trouve. Elle met en évidence l'objectif principal de la
Convention qui est de permettre une répression efficace de la torture en évitant que ses
auteurs ne trouvent un asile territorial.
2.62. Par ailleurs, l'article 7 § 2 renvme à la procédure nationale applicable à «toute
infraction de droit commun de caractère grave» pour l'exercice des titres de compétence dont
l'article 5 prévoit ou autorise l'établissement. Dans l'affaire concernée, la procédure s'est
déroulée conformément aux dispositions du code de procédure pénale français.
2.63. Les obligations conventionnelles, que ce soit au titre de l'article 5 ou au titre de
1' article 7, pèsent sur tout Etat partie, indépendamment de la participation à la Convention
d'autres Etats potentiellement compétents dans la même affaire. Ceci est conforme aussi bien
à la logique de la responsabilité pénale individuelle qu'à l'objet de la Convention, et aucune
disposition de la Convention ni aucun passage des travaux préparatoires ne suggère qu'il
doive en aller autrement. La France, en exerçant sa compétence dans l'affaire qui fait l'objet
du litige soumis à la Cour internationale de Justice, a donc agi dans le cadre des droits et
obligations résultant de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres traitements
cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984. Cela estd'autant plus certain que la
Convention est également applicable dans les relations réciproques entre la France et la
République du Congo, en raison de l'adhésion de celle-ci à la Convention.
114 V. notamment l'article 3 § 3 de la Convention de Tokyo du 14 septembre 1963 relative aux infractions et
certains autres actes commis à bord des aéronefs.
45
§ 2- L'adhésion de la République du Congo à la Convention
2.64. L'instrument d'adhésion de la République du Congo à la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a été déposé le 30 juillet 2003
auprès du Secrétaire général des Nations Unies. Conformément à son article 27 § 2, la
Convention est entrée en vigm:ur à l'égard de la République elu Congo le 29 août 2003.
L'adhésion a eu, à partir de cette date, un effet immédiat la rendant applicable au présent
litige. Qui plus est, en raison de son contenu, la Convention a un effet ratione temporis qui
couvre l'intégralité de la procédure menée en France. La République du Congo ne saurait
donc contester l'exercice par la France d'une comp~tence en matière pénale qui est
parfaitement conforme aux droits et obligations résultant d'une Convention par laquelle elle
est également liée.
Al L'effet immédiat de 1 'adhésion
2.65. Le droit des traités prévoit qu'un traité produit des effets vis-à-vis d'un Etat partie à
partir du moment où il entre en vigueur à son égard115
. La Convention du 10 décembre 1984
comporte une disposition spécifique à ce propos, l'article 27 § 2, qui prévoit une entrée en
vigueur« le trentième jour après la date du dépôt par cet Etat de son instrument de ratification
ou d'adhésion». L'adhésion congolaise a donc pris effet le 29 août 2003.
2.66. Or, l'affaire engagée en France et qui fait l'ob_1et du présent litige devant la Cour
internationale de Justice s'est poursuivie au-delà du 29 août 2003 et est toujours en cours. La
présence de M. Dabira sur le territoire français au moment de 1 'engagement des poursuites a
permis une saisine régulière du juge d'instruction, dont la compétence continue d'être établie.
Les autorités judiciaires françaises mettent ainsi en oeuvre la procédure pénale de droit
commun en matière d'infractions de caractère grave, conformément à l'article 7 § 2 de la
Convention116
• L'enquête menée par le juge d'instruction français vise toujours des actes de
torture commis sur le territoire congolais et continue à s'appuyer sur un titre de compétence
reconnu dans la Convention du 10 décembre 1984. La Convention contre la torture et autres
115 Article 24 § 3 de la Convention de Vienne sur le droit des traités entre Etats du 23 mai 1969, qui reflète sur ce
point l'état du droit coutumier.
16 V. supra, para. 2.62.
--~-------------- --- -- ----- ~ ---- -
46
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fait donc partie du droit applicable au
différend.
2.67. Ce constat d'évidence risque cependant d'être troublé par la présentation biaisée faite
par le demandeur des moyens de la requête, qui dépendraient d'un «point de droit»
préalable 117
• En effet, le mémoire tente de réduire la procédure en cours au réquisitoire
introductif du Procureur de la République 118
• La procédure serait ainsi figée à un moment
précisément situé dans le temps, de manière à en faire un instantané, alors que par définition
une procédure judiciaire s'inscrit dans une certaine durée- d'ailleurs non encore bornée quant
à son terme. Ceci ne correspond du reste absolument pas à la façon dont le litige a été présenté
devant la Cour internationale de Justice par le demandeur lui-même dans la requête déposée
au Greffe le 9 décembre 2002. L'objet du différend, quant au premier moyen, porte sur le titre
de compétence pénale au regard du droit international, non sur tel ou tel acte de procédure.
Les termes de la requête peuvent être rappelés :
« 1 °) Violation du principe selon lequel un Etat ne peut, au mépris du principe
de l'égalité souveraine entre tous les membres de l'Organisation des Nations
Unies, proclamé par l'article 2, § 1, de la Charte des Nations Unies, exercer son
pouvoir sur le territoire d'un autre Etat,
en s'attribuant unilatéralement une compétence universelle en
matière pénale
et en s'arrogeant le pouvoir de faire poursuivre et juger le ministre
de l'intérieur d'un Etat étranger à raisons de prétendues infractions qu'il aurait
commises à l'occasion de l'exercice de ses attributions relatives au maintien de
1' ordre public dans son pays ; »
C'est bien le titre de compétence, ou le «pouvoir» de l'Etat, qui est l'objet du litige.
D'ailleurs, après la partie intitulée «Nature et portée du réquisitoire introductif du 23 janvier
2002 », le mémoire présente constamment le premier moyen comme une contestation de la
« compétence universelle » 119

2.68. S'agissant d'une contestation du titre de compétence exercé par les juridictions
françaises à 1' occasion de certaines affaires, la procédure menée en France doit être prise en
considération dans son unité. De ce point de vue, le problème de droit est identique à celui
117 Me' mor.r e, p. 21 .
118 Mémoire, pp. 21-25.
119 V. l'intitulé des paragraphes 20 (p. 25), 21 (p. 26), 21 (sic, p. 27), 23 (p. 28), 24 (p. 30), 27 (p. 33).
47
examiné par la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du Lotus. La Cour
permanente avait alors déclaré :
« La violation éventuelle des principes du droit international aurait consisté
dans l'exercice de poursuites pénales contre le lieutenant Demons. Il ne s'agit
donc pas d'un acte particulier de ces poursuites - tel que l'ouverture d'une
instruction criminelle, l'arrestation, la détention préventive ou le jugement
rendu par la Cour criminelle de Stamboul-, mais bien du fait de l'exercice de
la juridiction pénale turque comme tel. »120
Si l'on devait analyser chaque acte de procédure de manière isolée, il ne s'agirait plus d'un
litige entre deux Etats sur l'exercice des compétences étatiques, mais soit d'un litige relatif à
l'application du droit français par le juge français, soit d'un litige résultant de la protection
diplomatique exercée par la République du Congo en faveur d'un de ses ressortissants. On
rappellera, quant à ce dernier point, que la procédure n'en est qu'au stade de l'instruction et
que les voies de recours internes n'ont pas été épuisées par M. Dabira. La République du
Congo 1' admet d'ailleurs 121
.
2.69. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants doit donc être appliquée de manière à déterminer les droits et obligations des
parties au différend devant la Cour internationale de Justice. Cela est d'autant plus vrai que la
Convention a, en raison de son contenu, un effet ratione temporis couvrant l'ensemble des
faits.
BI L'effet ratione tempo ris de la Convention
2. 70. Une distinction claire doit être faite entre la question de la date à laquelle un traité
entre en vigueur et celle des effets dudit traité dans le temps 122
. La première porte sur le traité
en tant qu'acte juridique, la seconde sur le contenu du traité en tant que norme juridique.
L'article 28 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, intitulé «non-rétroactivité des
traités», vise ce second aspect et pose une présomption quant aux effets ratione temporis
d'un traité. Mais il ne concerne que certaines des situations juridiques possibles :
12° C.P.J.I., Série A, arrêt n°9, p. 12.
121 M"e m01.r e, p. 25 .
122 V. notamment Sir Gerald FITZMA1JRICE, The Law and Procedure of the International Court of Justice, Vol. 1,
Grotius Publications Ltd, 1986 (rééd. Cambridge University Press, 1993), p. 388.
« A moins qu'une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par
ailleurs établie, les dispositions d'un traité ne lient pas une Partie en ce qui
concerne un acte ou fait antérieur à la date d'entrée en vigueur de ce traité au
regard de cette Partie ou une situation qui avait cessé d'exister à cette date.»
48
2.71. Le problème de droit soulevé dans le présent litige quant au premier moyen, à savoir la
compétence des autorités judiciaires françaises, ne constitue ni un acte ou fait précisément
situé dans le temps, ni une situation qui a« cessé d'exister» ; il s'agit d'une situation continue
en cours 123
. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants ne contient elle-même pas de disposition à ce sujet. Par ailleurs, il est admis
que la rétroactivité - en réalité plus apparente que réelle en l'espèce, puisqu'il s'agit d'un
effet immédiat sur les procédures en cours qui naît avec 1' entrée en vigueur - peut résulter
implicitement de l'objet du traité. L'arrêt du 30 août 1924 de la Cour permanente de Justice
internationale dans 1' affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine est un précédent bien
connu en ce sens124
. Dans le silence du traité quant à ses effets sur les situations continues en
cours au moment de son entrée en vigueur, il convient de prendre en considération son objet
et son but.
2.72. Le but de la Convention du 10 décembre 1984 est de protéger la« dignité inhérente à
la personne humaine » et, pour ce faire, « d'accroître 1' efficacité de la lutte contre la torture et
les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le monde entier » 125
.
L'ensemble du dispositif conventionnel doit être interprété à l'aune de cet objectif. Le
raisonnement tenu par la Cour internationale de Justice dans son avis du 28 mai 1951 sur les
Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide peut à cet
égard servir de guide :
« La Convention a été manifestement adoptée dans un but purement humain et
civilisateur. ( ... ) Dans une telle convention, les Etats contractants n'ont pas
d'intérêts propres ; ils ont seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui
de préserver les fins supérieures qui sont la raison d'être de la convention. Il en
résulte que l'on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d'avantages
ou de désavantages individuels des Etats, non plus que d'un exact équilibre
contractuel à maintenir entre les droits et les charges. La considération des fins
123 Sur ces différents cas, Paul TAVERNIER, Recherches sur l'application dans le temps des actes et des règles en
droit international public (Problèmes de droit intertemporel ou de droit transitoire), L.G.D.J., 1970, pp. 289s. ;
Max SORENSEN, «Le problème du droit dit intertemporel dans l'ordre international», Annuaire de l'Institut de
droit international, 1973, vol. 55, pp. 35-47.
124 C.P.J.I., Série A, n°2, p. 35.
125 3ème et 7ème alinéas du préambule.
supérieures de la Convention est, en vertu de la volonté commune des parties,
le fondement et la mesure de toutes les dispositions qu'elle renferme. »126
49
Pour ces mêmes raisons, la Cour a désormais compétence pour assurer l'application de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitemen1s cruels, inhumains ou dégradants à
l'ensemble des faits faisant l'objet du présent litige.
2.73. Qui plus est, les dispositions de la Convention concernées portent sur une question de
compétence juridictionnelle. De telles dispositions impliquent par nature un effet ratione
temporis couvrant l'ensemble des affaires en cours au moment de l'entrée en vigueur. La
Cour permanente de Justice internationale a posé en principe que sa propre compétence était
établie pour les différends concernant des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de l'acte qui
confère cette compétence127
. On ne voit pas pour quelle raison l'effet ratione temporis d'une
convention internationale conférant un titre de compétence devrait être différent lorsque le
titre est exercé par une juridiction interne plutôt que par une juridiction internationale. On
observe également qu'il est communément admis, dans le cas des traités d'extradition, que
ceux-ci sont applicables aux procédures visant des crimes commis avant leur entrée en
vigueur128
• Ceci est particulièrement pertinent pour le titre de compétence résultant de l'article
5 § 2 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, puisque 1' alternative a ut dedere a ut prosequi mêle étroitement compétence et
extradition.
2. 7 4. La Convention du 10 décembre 1984 est donc applicable aux relations juridiques entre
la France et la République du Congo. La compétence des autorités judiciaires françaises au
titre du droit conventionnel en 1est d'autant moins contestable. Il convient toutefois de rappeler
qu'à défaut d'une telle obligation, la France dispose de toutes manières du droit d'établir sa
compétence dans une telle hypothèse, conformément au droit international général.
126 C.I.J., avis du 28 mai 1951, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, Recueil, 1951, p. 23.
127 C.P.J.I, Concessions Mavromma.tis en Palestine, Série A, n°2, p. 35; C.P.J.I., Phosphates du Maroc, Série
AIB, n°77, p. 24.
128 Paul TAVERNIER, op. cit., pp. 187-189; Max SORENSEN, op. cit., p. 42.
·----·----· -- --·-----------·------------
50
Section 3 - Les procédures pénales engagées en France ne méconnaissent ni un prétendu
principe de subsidiarité ni la règle « non bis in idem »
2.75. Le paragraphe 27 du mémoire de la République du Congo entend traiter, selon ses
propres termes, du « caractère subsidiaire de la compétence universelle en matière de
tortures», cependant que le paragraphe 28 est intitulé «non respect par l'autorité judiciaire
française du principe de subsidiarité ». Au titre du premier de ces deux paragraphes,
l'argument de la République du Congo évoque de façon sommaire ce qu'il appelle «le
mécanisme de la convention contre la torture » ; au paragraphe suivant, il fait reproche à
1' autorité judiciaire française de ne pas avoir tenu compte de la procédure engagée près le
tribunal de première instance de Brazzaville, dont il avait été informé par une lettre du 9
septembre 2002.
Le demandeur confond ainsi deux questions, distinctes quoique souvent corrélées: d'une part,
celle de la subsidiarité, souvent attribuée en doctrine à 1' exercice de la « compétence
universelle»; d'autre part, celle du jeu éventuel de la règle« non bis in idem», interdisant le
dédoublement de jugements relatifs aux mêmes faits.
S'agissant en réalité de deux questions parfaitement distinctes, il y a lieu de traiter
successivement de l'une puis de l'autre.
§ 1 - La « compétence universelle » ne présente pas un caractère nécessairement
subsidiaire
2.76. Contrairement à ce que suggère le très bref paragraphe 27 du mémoire congolais, la
question de la« subsidiarité » qui s'attache à l'exercice de la« compétence universelle» ne se
limite pas à l'examen de la convention de New York de 1984 contre la torture. Le droit
spécial constitué par cet instrument conventionnel ne s'apprécie, notamment quant à sa
signification et à sa portée, qu'à raison de son apport aux règles pertinentes existant déjà en
droit international général. Il faut donc, ici encore, partir de 1' état du droit international
coutumier, pour examiner, ensuite, en quoi ce dernier se trouve complété ou modifié par les
dispositions de la convention de 1984.
51
Al La « subsidiarité » et le droit international coutumier
2.77. Comme il a été analysé à la section précédente du présent chapitre, le droit coutumier
en matière d'exercice de la compétence judiciaire à l'égard d'infractions commises à
l'étranger sur et par des étrangers ne comporte aucune interdiction de principe. Il s'analyse
simplement en termes de droits ou de facultés, non en tenues d'obligation d'établissement ou
d'exercice d'une telle compétence. Comme on l'a vu, c'est ce qu'atteste, en particulier, la
jurisprudence de la Cour permanente de justice internationale dans l'affaire du Lotus129
:
s'agissant de la compétence normative, par opposition à la compétence exécutoire, l'arrêt
atteste que chaque Etat dispose d' «une large liberté, qui n'est limitée que dans quelques cas
par des règles prohibitives »130
: seules sont susceptibles d'être poursuivies par un autre Etat
que celui de leur nationalité les personnes ne bénéficiant pas d'une immunité de juridiction,
liée à leur statut, condition pleinement remplie par la France dans la présente affaire 131
; ne
sont susceptibles de poursuites en application de la « compétence universelle » que certains
types d'infractions, suffisamment graves pour porter attemte aux droits et intérêts reconnus à
et par tous les Etats, ainsi qu'il en est de la pratique de la torture ; enfin, l'existence d'un lien
de rattachement suffisant entn: l'Etat auteur des poursuites et la personne supposée être
l'auteur des crimes concernés doit être établie. La présence de la personne supposée être
l'auteur des crimes sur le territoire de l'Etat au moment où celui-ci entame des poursuites
contre elle constitue à cet égard un lien suffisant. Cette condition était réalisée au moment du
déclenchement des poursuites à l'encontre du Général Dabira.
2.78. Il en résulte que la «compétence universelle >l ne peut généralement jouer aussi
aisément que celles susceptibles d'être mises en oeuvre par l'Etat sur le territoire duquel les
crimes ont été commis ou par celui dont l'auteur de ces crimes a la nationalité, lesquels
peuvent agir de façon inconditionnée.
Pour autant, en droit international général, conditionnelle, la « compétence universelle » n'est
pas pour autant «supplétive». En effet, si les conditions précédentes sont respectées, comme
c'est le cas en l'espèce, le droit international général autorise l'exercice concurrent de
compétences judiciaires exercées par deux Etats à 1' égard des mêmes personnes ayant commis
les mêmes faits.
129 V. supra, pars. 2. 7 à 2.14.
13° C.P.J.I. Série A, n°9, p. 19.
131 V. infra, pars. 3.33 à 3.47.
52
Ainsi, par exemple, d'actions judiciaires concurremment engagées, d'une part, par l'Etat du
«locus delicti commissi » ou par celui de la nationalité active, et, d'autre part, par un autre
Etat qui ne serait pas nécessairement celui de la nationalité passive.
2.79. Comment, dès lors, organiser au m1eux l'exercice de compétences concurrentes?
Force est ici de constater que le droit international général, abordant la matière en termes de
droits oufacultés d'exercice de la compétence judiciaire et non d'obligation, ne comporte pas
de règle faisant nécessairement. ou automatiquement passer, par exemple, l'exercice des
compétences de l'Etat du lieu de l'infraction avant celui de la compétence d'un autre Etat
dont 1' action satisferait par ailleurs les exigences posées par le droit positif.
En ce sens, on peut dire qu'il ne découle nullement du droit international coutumier un
quelconque «principe de subsidiarité » venant s'ajouter aux conditions précédemment
décrites pour ouvrir droit à la mise en oeuvre de la« compétence universelle».
2.80. On chercherait vainement, en particulier, un fondement solide en droit coutumier à une
norme qui prendrait une forme vérifiant l'adage «primo dedere seconda prosequi ». C'est
même notamment pour cette raison d'absence de règle applicable à l'articulation des
compétences pénales exercées parallèlement dans différents pays que s'est développé un
réseau dense de conventions, bilatérales ou multilatérales, réglementant les conditions
d'extradition d'une personne d'un pays vers un autre. La matière de l'extradition ne s'inscrit
pas, d'ailleurs, seulement dans le champ du droit conventionnel. Elle résulte également du jeu
combiné des droits nationaux respectifs des Etats concernés 132
.
2.81. Dans la pratique internationale, ce que l'on peut tout au plus constater, sur le plan du
fait et non du droit, est la chose suivante: l'Etat du lieu de l'infraction ou celui de la
nationalité de l'auteur se trouve souvent, en pratique, dans une situation plus favorable pour
mener à bien une action pénale à 1' encontre de la personne dont ils ont des raisons de penser
qu'elle a commis un crime présentant les caractères de gravité précédemment décrits. C'est
notamment le cas pour ce qui concerne la réunion des moyens de preuve.
Cette commodité des poursuites explique que les Etats autres que l'Etat du lieu de l'infraction
ou que celui de la nationalité active préfèrent souvent extrader la personne appréhendée sur
132 V. notamment G. Gilbert, Aspects of Extradition Law, Nijhoff, Dordrecht, 1991, XIII-282 p.; Y. Dinstein,
«Sorne Reflections on Extradition», German Yearbook of International Law, 1993, pp. 46-59.
53
leur territoire vers l'un de ces Etats, plutôt que de la soumettre à une procédure pénale devant
leurs propres tribunaux.
Il n'y a cependant là aucune obligation; du moins en droit coutumier, c'est-à-dire en
l'absence d'obligation conventionnelle, un Etat peut parfaitement refuser une extradition, sans
pour autant se rendre coupable d'un fait illicite. La pratique est surabondante à cet égard.
C'est ainsi que le Royaume-Uni, notamment, refuse souvent, en l'absence de convention
d'extradition le liant à un Etat déterminé, de déférer à la demande émanant de celui-ci
lorsqu'il lui demande l'extradition d'un individu particulier. Nul, à l'égard d'une telle
pratique, n'a pourtant jamais songé à invoquer la violation du droit international coutumier.
C'est à la République du Congo qu'il appartiendrait d'apporter la preuve du contraire quant à
la situation du droit international positif; or, elle ne se risque même pas, dans son mémoire, à
seulement évoquer les données du droit coutumier en la matière. Ainsi, les seules obligations
qui pèsent sur un Etat pour exercer sa «compétence universelle» sont-elles celles rappelées
plus haut133
.
On ne doit, en d'autres termes, pas confondre, en droit international général conditionnalité et
subsidiarité d'une action s'appuyant sur une« compétence universelle».
2.82. Une question toute différente, confondue, à tort, par le mémoire du Congo avec la
précédente, est celle de savoir si et dans quelle mesure 1,~ jeu de la règle « non bis in idem »
trouverait à s'appliquer, en fonction d'une situation déterminée. Cependant, comme on le
verra plus loin, dans le second paragraphe de cette même section, ce problème ne touche pas à
la priorité d'exercice d'une compétence judiciaire par rapport à une autre mais au principe, de
droit matériel, selon lequel les auteurs des mêmes faits ne sauraient être jugés deux fois.
2.83. Pour en rester à l'examen spécifique de la question de la « subsidiarité » de la «
compétence universelle », il convient donc à présent de se tourner vers le droit conventionnel,
et, spécifiquement, celui constitué par la convention de New York de 1984 ; ceci, afin de voir
si, contrairement au droit coutumier, cette convention établit quant à elle une « subsidiarité »
de la « compétence universelle» dont elle prévoit l'établissement par les États parties, par
rapport à celle que sont susceptibles d'exercer, de façon inconditionnée, l'Etat du territoire ou
celui de l'auteur de l'infraction ..
54
BI La « subsidiarité » et la convention contre la torture
2.84. Concernant l'exercice des compétences judiciaires, on a déjà vu plus haut134 que la
disposition établissant 1' obligation la plus déterminante se trouve à 1' article 5. Il établit
d'abord que tout Etat partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins
de connaître des actes de torture dans deux séries de situations, que 1' on peut résumer comme
suit: a) quand l'infraction a été commise sur son territoire ou dans toute zone ou véhicule
placés sous sa juridiction ; b) quand 1' auteur présumé de 1' acte de torture est son ressortissant
(ou, s'il le juge approprié, si la victime de ces actes est son ressortissant). Ceci ne veut pas
dire pour autant que l'Etat partie n'est pas compétent à l'égard d'infractions commises hors de
son territoire et par un auteur présumé qui n'est pas son ressortissant. Dans de tels cas, le droit
coutumier continue à jouer; et, comme on l'a vu, il permet l'exercice des poursuites aux
conditions rappelées.
De plus, il existe une disposition spécifique dans la convention qui oblige l'Etat partie à
établir la« compétence universelle» de ses tribunaux. L'article 5.2 mérite en effet à cet égard
une attention particulière. Il fait obligation à tout Etat partie de prendre :
« les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître
desdites infractions dans le cas où l'auteur présumé de celles-ci se trouve sur
tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne 1' extrade pas ( ... ) ».
2.85. S'agissant de l'analyse de l'article 5 de la convention contre la torture, la République
du Congo tente une ébauche d'argument juridique. D'après son mémoire, c'est dans cet
article, et plus précisément à son paragraphe premier, que l'on devrait trouver le témoignage
du caractère « subsidiaire » de la « compétence universelle » à 1' égard des crimes visés par la
convention. Le mémoire s'exprime en ces termes :
« Compétence subsidiaire : l'Etat sur le territoire duquel l'auteur de
l 'irifraction se trouve doit l'extrader ou engager des poursuites à son encontre,
mais les Etats les plus directement intéressés restent ceux qui sont énumérés
'au paragraphe premier de l'article 5 ', c'est-à-dire l'Etat dont la victime est
un ressortissant, l'Etat sur le territoire duquel/es faits ont été commis. » 135
.
133 v . supra, me"m e secti.o n, § 3 .
134 V. supra, section précédente, § 1.
135 Mémoire de la République du Congo, p. 33, paragraphe 27.
55
2.86. Le mémoire du demandeur fait ainsi implicitement référence à l'article 7 de la
convention contre la torture. C'est lui, en effet, qui détennine les conditions d'exercice de la
règle conventionnelle « aut dedere aut prosequi » dont on sait qu'on la trouve dans nombre de
conventions relatives à la lutte contre différents crimes frappant les intérêts communs à tous
les Etats. Plusieurs de ces instruments, mais pas tous, touchent à la lutte contre différentes
formes de terrorisme136

Il n'est pas nécessaire de se livrer ici à une réflexion abstraite sur la question de savoir si une
alternative établit par définition la parité entre les deux branches qui la composent ou si 1' on
pourrait, en certains cas, considérer qu'elle va plus loin, pour énoncer un ordre de priorité.
Certaines considérations peuvent sans doute amener à penser que plusieurs des conventions
instituant un tel système ont été conçues dans l'idée implicite d'une priorité d'action laissée à
l'Etat du lieu de l'infraction ou de la nationalité active.
2.87. Toujours est-il qu'en l'~~spèce, il convient de se concentrer sur la seule convention de
1984 contre la torture, telle qu'elle découle de la volonté de ses promoteurs. Or, la volonté des
Parties est vérifiable notamment dans les commentaire5 autorisés de la convention137
, mais
plus encore, dans ses travaux préparatoires.
A l'égard des auteurs supposés d'actes de torture mis en détention provisoire sur le territoire
d'un Etat membre dont ces individus n'ont pas la nationalité, l'article 7 reconduit l'option
classique : soit extrader, soit juger138

L'article 7.1 doit être ici interprété en relation avec l'article 5.2 dont on a vu plus haut139 qu'il
fait obligation aux Etats parties de doter leurs tribunaux de la compétence nécessaire pour
connaître des actes de tortures dans les cas autres que ceux cités à l'article 5.1 (compétence
territoriale, nationalité active et, le cas échéant, passive).
136 V. notamment la convention de: La Haye du 16 décembre 1970 élaborée au sein de l'Organisation de
l'Aviation civile internationale pour la répression de la capture illicite d'aéronefs ; la convention de Montréal du
23 septembre 1971 pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile ; la convention
de New York du 14 décembre 1973 sur la prévention et la répressiOn des infractions dirigées contre les agents
diplomatiques; la convention de New York du 17 décembre 1979 concernant la prise d'otages; la convention de
Vienne du 3 mars 1980 sur la protection physique des matières nucléaires; le protocole de Montréal du 24
février 1988 relatif à certaines violences commises dans les aéroports ; la convention de Rome du 10 mars 1988
pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime ; le protocole du 10 mars 1988
concernant la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental .
137 V. notamment le commentaire en ce sens de J. Herman Burgers et H. Danelius, The United Nations
Convention against Torture- A Handbook on the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or
Degrading Treatment or Punishment, Dordrecht/Boston/ London, 1988, p. 133 et 137 ; M.Henzelin, Le principe
de 1 'universalité en droit pénal international -Droit et obligations pour les Etats de poursuive et juger selon le
principe de l'universalité, He1bing & Lichtenhahn, Bâle/Genève/M1mich, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 349.
138 Concernant l'extradition, l'article 8 prévoit une extension atitomltique à tout traité ayant cet objet et passé par
un Etat partie à la convention contre la torture l'option que cette dernière institue à l'article 7.
56
2.88. C'est la combinaison de ces deux dispositions qui rend possible l'exercice de la
compétence dite «universelle» sans que rien n'indique son prétendu caractère subsidiaire
dans aucune disposition de la convention.
L'article 7 confirme également, ainsi que l'indiquait déjà l'article 5 paragraphe 3, que
l'exercice de la compétence pénale de l'Etat partie à l'égard de l'individu qu'il décide de
juger se fait dans le cadre de la législation pénale nationale140
.
Ainsi que l'indique la lettre même de l'article 7, paragraphe premier, cette disposition offre
une liberté d'option entre les deux possibilités offertes à 1 'Etat sur le territoire duquel il a
découvert l'auteur présumé d'un acte de torture 141
. Cet article veut offrir un véritable choix à
l'Etat concerné; il ne lui dicte pas un ordre de priorités mais ille laisse libre, soit d'extrader,
soit de poursuivre, en fonction de ce qu'il jugera le plus opportun, compte tenu, notamment,
de 1' identité du pays demandant 1' extradition et de la qualité de la personne du tortionnaire
présumé, selon qu'il est ou non un agent de cet État (et sous réserve, naturellement, des règles
spéciales figurant dans d'éventuelles conventions d'extradition applicables entre les deux
États).
2.89. Si l'on doutait que cette lecture de l'article 7 fût la bonne, on trouverait confirmation
de sa pertinence dans la consultation des travaux préparatoires. Il en ressort en effet, pour
reprendre les termes du rapport de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies
. ' . 142 sur sa quarantleme sesswn que :
« les deux éléments importants du projet de convention sont le regzme de
juridiction universelle et le mécanisme d'application. L'intérêt du premier tient
à ce que les responsables de tortures peuvent être poursuivis où qu'ils se
trouvent. Il importe que la responsabilité d'enquêter sur les plaintes faisant
état de tortures et d'engager des poursuites incombe à la communauté
internationale ».
139 Cf . supra par. 2.87.
140 V., à cet égard, la remarque faite par les juges Higgins, Kooijmans et Buergenthal au paragraphe 38 de leur
opinion commune sous l'arrêt précité du 14 février 2002.
141 Aucun des éléments que comporte cette disposition comme, du reste, tout le reste de la convention ne
mentionne, ne suggère ou n'implique, au cas où une Partie contractante engagerait des poursuites à l'égard d'un
étranger, une autorisation préalable concédée par 1 'Etat de nationalité de cet individu, qu'il soit un Etat partie ou
non. V. Doc. E/CN.4/1982/WG.2/WP.5 et E/CNA/1983/63, p. 6 et 7.
142 E/CN./1984/SR.34, p. 17.
57
Ainsi, l'objectif prioritaire de la convention est-il de garantir que les crimes de torture, où
qu'ils aient été commis, y compris dans des Etats non parties à la convention, ne restent pas
. .
tmpums.
2.90. A ce titre, les rédacteurs de la convention voulaient que l'Etat partie sur le territoire
duquel l'auteur du crime de torture était arrêté puisse avoir la possibilité de refuser
l'extradition. Tel est le cas, en particulier, lorsque celle-ci est sollicitée par l'Etat sur le
territoire duquel l'acte ou les actes de tortures ont eu lieu. S'il s'avère, notamment, que la
personne en cause est un agent de cet Etat et a agi en cette qualité lors de la perpétration des
actes qui lui sont reprochés, l'extradition pourra sembler inopportune et, par conséquent,
refusée. La crainte des promoteurs de la convention était en effet que, dans un tel cas, les
organes judiciaires de l' Etat qui demande son rapatriement soient peu soucieux de poursuivre
diligemment l'instrument d'une politique décidée ou tolérée souvent à un échelon élevé de sa
propre hiérarchie gouvernementale. C'est ce qui ressort notamment du rapport du groupe de
travail sur le projet de convention de 1984143
.
2.91. En tout état de cause, l'idée d'une priorité de compétence conférée à l'Etat du territoire
du crime ou à celui de la nationalité active, (souvent iden1iques en pratique, comme c'est ici le
cas) a été explicitement refusée lors des débats préparatoires.
Les délégations de l'Argentine et de la Chine, la première avec netteté, la seconde de façon
plus nuancée, avaient en effe:t manifesté au sein du groupe de travail constitué par la
Commission des droits de l'homme, lors de la session allant du 24 au 31 janvier 1983, leur
opposition au principe de la compétence dite« universelle».
Pour tenter de trouver un moyen terme entre les positions en présence, celle des partisans et
celles des opposants à la « compétence universelle », la délégation brésilienne avait alors
proposé de ne donner compétence à l'Etat sur le territoire duquel avait été arrêté l'auteur
présumé de l'infraction que« si l'extradition n'[était] pas demandée dans les 60 jours par les
catégories d'Etat citées à l'article 5.1 ou si l'extradition [~tait] refusée».
Or, cette solution a été repoussée.
Il est ainsi confirmé que l'article 7 de la convention ne subordonne pas l'exercice éventuel de
la« compétence universelle» à l'échec d'une démarche préalable d'extradition de l'individu
143 Commission des droits de l'homm.e- 40ème session E/CN.4/1984/63,p. 5 et E/CNA/1984/72. V. Burgers and
Danelius, The UN Convention against torture : A Handbook on the Convention against Torture and Other Cruel,
Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, op.cit. supra, p. 85. On notera que la Chine a retiré son
opposition au principe de la« compétence universelle» en 1984. V. Doc. E/CNA/1983/63, p. 6 et 7.
58
concerné vers l'Etat du territoire ou celui de la nationalité de l'auteur de l'infraction. Entre les
deux termes, ou extrader ou poursuivre, il y a relation d'équivalence; pas de priorité du
premier sur le second. A fortiori, en l'absence de toute demande d'extradition, la convention
n'exige aucunement que l'État sur le territoire duquel se trouve l'auteur présumé s'abstienne
d'engager ou de poursuivre une procédure pénale pour la seule raison qu'une procédure a été
engagée, en raison des mêmes faits, par l'État du lieu de l'infraction ou celui de la nationalité
du suspect. En d'autres termes, la convention contre la torture n'établit pas la subsidiarité de
la« compétence universelle ».
2.92. La rédaction de la convention confirme enfin que ses auteurs partent d'un présupposé,
résultant du droit coutumier: il n'y a nulle nécessité à ce que l'Etat du locus delicti commissi
ou celui de la nationalité de la personne poursuivie soient parties à la convention pour que le
système qu'elle établit puisse fonctionner. La participation de tels Etats n'eût été nécessaire
qu'en partant de l'idée que ces Etats ont en principe une sorte de droit exclusif à exercer leur
compétence à l'égard des personnes soupçonnées d'avoir commis le crime de torture. Or, ceci
ne résulte nullement du droit international général, ainsi qu'il a été démontré plus haut.
Le système conventionnel aboutit finalement, en plus de l'acquis issu du droit coutumier, à
assurer que tous les Etats membres prendront les dispositions nécessaires pour que ce qui
n'était qu'une faculté de poursuite soit renforcé par une série d'obligations dont le jeu
combiné aura pour conséquence de rendre plus effective, par un Etat partie ou par l'autre, la
punition des auteurs d'actes de tortures.
2.93. On peut, en tout cas, s'agissant de la« subsidiarité » souvent attribuée à l'exercice de
la «compétence universelle» constater que ce caractère n'est ni fondé en droit coutumier ni
dans le système établi par la convention de 1984 contre la torture. Dans le premier cas, il est
exact que l'Etat du lieu de l'infraction et celui de la nationalité active (parfois, celui de la·
nationalité passive) bénéficient d'un avantage de fait, lié à la facilité plus grande qu'ils auront
de mener une action judiciaire à l'encontre du tortionnaire présumé. Dans le second cas, il
résulte de la lettre de l'article 7 combinée à celle de l'article 5.2 et confirmée par l'examen
des travaux préparatoires que les promoteurs de la convention ont précisément entendu laisser
la possibilité à l'Etat ayant arrêté l'auteur des actes incriminés de refuser son extradition vers
son Etat de nationalité ou celui sur lequel la torture a eu lieu.
59
§ 2 -La règle « non bis in idem » est sans pertinence aucune dans la présente affaire
2.94. On constatera ci-après que la règle doit être à la fois examinée en droit international
public et dans le droit du pays au sein duquel elle pourrait être amenée à jouer, en
1' occurrence le droit français.
A! La règle « non bis in idem » en droit international public
2.95. Ainsi qu'il a été rappelé plus haut, le mémoire de la République du Congo,
commettant une erreur de droit, établit une confusion entre la prétendue « subsidiarité » de la
« compétence universelle» qu'il veut voir dans le texte de la convention contre la torture et
l'application de la règle «non bis in idem». Cette confusion peut s'expliquer par le fait qu'à
première vue, 1' exercice prétendument subsidiaire de cette compétence et .celui de la règle
précitée peuvent apparaître comme deux moyens d'établir une priorité des poursuites en
faveur de l'Etat du lieu de commission de l'infraction ou de la nationalité de son auteur.
2.96. En réalité, on doit constater, non seulement, comme il a été vu plus haut, que la
prétendue « subsidiarité » de cette compétence n'existe n[ en droit coutumier ni dans celui de
la convention contre la torture, mais que, de toute façon, la« ratio legis » de l'une et l'autre
règle, si jamais l'on considérait que la première existe, es1 totalement distincte.
Dans un cas, il s'agirait d'établir une hiérarchie procédurale des Etats appelés à exercer des
poursuites.
Dans l'autre, celui du jeu de la règle «non bis in idem », il s'agit de garantir un droit de la
personne; son titulaire est l'auteur de l'infraction lui-même. Ainsi que l'atteste le paragraphe
7 de 1' article 14 du Pacte international sur les droits civils et politiques :
«nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il
a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la
loi et à la procédure pénale de chaque pays. »
2.97. Il résulte de la formulation conventionnelle de la règle «non bis in idem» dans le
Pacte des Nations Unies précité que, si l'on voulait voir dans ladite règle un principe général,
ce qui a pu être défendu en doctrine, il resterait que son application variera, au cas par cas, en
fonction des données de la loi nationale applicable.
60
Au demeurant, il paraît difficile, précisément en raison de la variabilité de ses conditions
d'application, d'y voir un principe général de droit, voire un principe général de droit
international pénal. Sans qu'il soit besoin, en l'occurrence, de trop s'appesantir sur ce point,
on relèvera d'ailleurs, fût-ce à titre d'indice, que si la règle est bien recensée dans le Statut de
Rome établissant la Cour pénale internationale à son article 20, elle n'a pas été classée parmi
les « principes généraux de droit pénal », qui vont de 1' article 22 à 1' article 31 inclus.
2.98. Il est, par conséquent, plus rigoureux de s'en tenir au contenu de la règle tel qu'il est
établi dans le texte de l'article 14.7 du Pacte précité, auquel la République du Congo comme
la France sont parties.
On constatera alors que la règle « non bis in idem » ne vise pas le simple déclenchement
d'une procédure. Elle reste, au contraire, subordonnée à l'adoption d'un« jugement définitif»
dans un Etat. Or, on sait qu'en 1' espèce, aucun jugement définitif n'a été rendu à 1' encontre du
général Dabira ou, d'ailleurs, de toute autre personne ayant participé aux mêmes faits, par une
juridiction congolaise, quelle qu'elle soit.
Qui plus est, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a interprété l'article 14
paragraphe 7 du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques précité comme
s'appliquant aux juridictions d'un même Etat144
. Il faut par conséquent en conclure que, même
au cas de jugement définitif du général Dabira dans la République du Congo pour les mêmes
faits que ceux qui lui sont reprochés devant une juridiction française, il n'y aurait pas lieu à
application de la règle « non bis in idem » au sens du droit international conventionnel, ni, a
fortiori, sur le fondement du droit international coutumier.
BI La règle « non bis in idem » en droit français
2.99. La règle en cause existe bien en droit français. A cet égard, ce dernier va, dans une
large mesure, bien au-delà des ~xigences du droit international dans la mesure où en certains
cas, il tient compte de jugements prononcés en matière pénale à l'étranger. Elle ne peut
cependant jouer qu'à des conditions très précises. En tout état de cause, la seule existence
d'une procédure engagée devant le tribunal de première instance de Brazzaville ne saurait
avoir d'effet sur celle qui est parallèlement menée en France à propos des mêmes faits. On
reprendra ci-après ces différents points.
61
2.1 00. En premier lieu, le droit français admet le jeu de la règle mais dans des conditions très
précises. Ainsi, la règle «non bis in idem» ne s'applique pas lorsque les faits ont été commis
sur le territoire français ou sont réputés l'avoir été. Ceci résulte des articles 113-2 à 113-5 du
code pénal. A cet égard, la jurisprudence a eu l'occasion de rappeler qu'aucune disposition de
droit interne n'interdit de poursuivre, devant les juridictions françaises, une personne
condamnée à l'étranger, pour un crime ou un délit commis sur le territoire de la République
française 145
• Ce principe s'applique lorsque la France a une compétence personnelle active
(auteur français pour des faits commis à l'étranger) ou passive (victime française pour des
faits commis à l'étranger), ainsi que l'attestent les articles 113-6, 113-7 et 113-9 du code
pénal.
2.101. Quoi qu'il en soit, l'article 113-10 du code pénal ne fait aucune référence à la règle
«non bis in idem». Elle n'a pas vocation à s'appliquer en cas de compétence réelle (cas
d'infractions commises à l'étranger et touchant aux intérêts fondamentaux de la nation). La
France est alors indifférente aux jugements rendus à l'étranger lorsque ses intérêts
fondamentaux ont été mis en cause.
2.102. En revanche, en cas de «compétence universelle», telle que visée à l'article 689 du
code de procédure pénale, !"autorité de la chose jugée à l'étranger s'oppose bien à
l'engagement ou à la poursuite d'une procédure pénale en France, en application de l'article
692 du code de procédure pénale.
Tel pourrait sans doute être le: cas dans un avenir indéterminé, s'agissant des faits faisant
l'objet d'une procédure en cours devant le juge d'instruction de Meaux.
2.103. A cet égard, les conditions à satisfaire en droit français sont les suivantes:
a) tout d'abord, ainsi que la Chambre criminelle de la Cour de cassation l'a rappelé, sur la
base de 1' article 692 du code de procédure pénale précité, des décisions rendues par des
juridictions étrangères n'ont l'autorité de la chose jugée que lorsqu'elles concernent des faits
commis en dehors du territoire de la République146
;
b) ensuite, l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée aux tribunaux français que s'il y a
une identité entre les faits poursuivis à l'étranger et ceux poursuivis en France;
144 CDH, constatation n° 204/1986 du 2 novembre 1987.
145 Cour de Cassation, chambre criminelle, 17 mars 1999-bul/ crim. 11° 44.
146 Cour de Cassation, chambre criminelle. 3 déc 1998- bull crim n°3 31.
--··-·----········ ---···-·---
62
c) de plus, ainsi que l'atteste un jugement de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en
date du 17 octobre 1889147
, la décision étrangère doit être un jugement. De simples poursuites
entreprises à l'étranger ne suffisent pas pour que soit abandonnée en France une procédure
portant sur les mêmes faits ;
d) enfin, on s'accorde généralement sur le fait que le jugement étranger doit présenter un
caractère définitif. Une jurisprudence ancienne avait considéré que seuls les jugements
contradictoires étrangers pouvaient avoir un caractère définitif, en écartant les décisions
rendues par contumace ou par défaut148
. Il convient en réalité de se déterminer par rapport à la
seule législation du pays dans laquelle la décision a été rendue pour apprécier son caractère
définitif149
.
2.104. D'autres considérations s'ajoutent à celles qui précèdent pour conditionner le jeu de la
règle «non bis in idem ». Bien que rien en droit interne ne le mentionne expressément, la
doctrine considère en effet généralement que le juge national doit s'assurer que la sentence
étrangère émane d'un tribunal qui était compétent au regard du droit international.
Ainsi, Donnedieu de Vabre précisait-il déjà, en 1928, dans Les principes modernes du droit
pénal international150
:
« il ne s'agit pas de rechercher si, parmi les tribunaux de l'Etat étranger, celui
qui a rendu le jugement était qualifié, à cet effet. Cette question qui touche à
l'organisation judiciaire de l'Etat étranger a été résolue souverainement par
lui. Quant à la régularité de la sentence étrangère, au point de vue des formes,
le juge l'appréciera suivant la loi de l'Etat au nom de qui cette sentence a été
rendue.
En revanche, ce juge étant, pour ce qui le concerne, gardien de l'ordre
international, vérifie la compétence générale du tribunal étranger. Il s'assure
que cette compétence avait son fondement juridique soit dans le lieu de
l'infraction, soit dans la nationalité de son auteur, soit tout au moins dans la
présence du délinquant sur le territoire. Si aucune des conditions n'est
remplie, il déniera, de son point de vue, toute existence juridique à la sentence
étrangère ».
2.105. En conclusion de la présente section, on doit ainsi constater que les paragraphes 27 et
28 du mémoire de la République du Congo traitent avec légèreté de deux questions
juridiquement distinctes qu'ils confondent abusivement. Ils en traitent au demeurant en
147 Cour de Cassation, chambre criminelle, 17 oct. 1889, bull.crim.n° 312
148 Cour de Cassation, chambre criminelle, 21 décembre 1861- bull.crim. n° 282.
149 V. C. Lombois- Droit pénal international Dalloz 2e édition, 1979, n°398.
150 Paris, Sirey, 1928, p. 316.
63
méconnaissance du droit positif, tant international qu'interne, qu'il s'agisse de la question dite
de la « subsidiarité » de 1' exercice de la « compétence universeÜe » ou de 1' application de la
règle «non bis in idem ». Cette dernière, en particulier, pourrait peut-être un jour trouver à
s'appliquer, non pas du tout en vertu du droit international, mais sur le fondement exclusif du
droit interne français. Tel serait du moins le cas si les conditions requises par le droit interne,
en particulier quant au caractèn:: définitif du jugement rendu à 1' étranger à propos des mêmes
faits, étaient effectivement réunies.
Tel n'est en aucune sorte le cas actuellement. S'il est à vérifier que la procédure pendante
devant le tribunal de première instance de Brazzaville porte bien sur les mêmes faits que ceux
qui font l'objet de la procédure engagée devant le juge de Meaux, il est en tout cas patent que
cette procédure n'a encore abouti à aucunjugement et, a fortiori, à aucun jugement définitif.
***
2.1 06. Il résulte des développements qui précèdent que :
i) La France, en exerçant sa compétence dans 1' affaire qui fait 1' objet du
litige soumis à la Cour internationale de Justice, a agi dans le cadre des droits
et obligations résultant de la Convention des Nations Unies contre la torture et
autres traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984,
convention à laquelle la République du Congo est également partie ;
ii) cet Etat n'est donc pas fondé à contester l'attitude des autorités
judiciaires françaises au regard du droit international conventionnel ;
iii) il n'est pas davantage fondé à le faire au regard du droit international
général qui, en tout état de cause et indépendamment même de la Convention,
reconnaît le droit de la France d'agir ainsi ,
iv) la France, en exerçant sa compétence dans l'affaire qui fait l'objet du
litige soumis à la Cour, n'a méconnu ni un prétendu principe de subsidiarité ni
la règle « non bis in idem ».
64
CHAPITRE 3
LA PRETENDUE VIOLATION DES IMMUNITES DE JURIDICTION DE CERTAINS OFFICIELS CONGOLAIS
3.1. Le second moyen invoqué par la République du Congo à l'appui de sa requête porte
sur« la violation de l'immunité d'un chef d'État étranger reconnue par la jurisprudence de la
Cour »151
. Ce moyen est repris aux pages 35 à 39 du mémoire.
3.2. La République française s'interroge toutefois sur la portée exacte que l'État
demandeur entend donner à ce moyen : apparemment invoqué en faveur du seul chef de l'État
congolais, il n'en est pas moins également mentionné furtivement à propos du ministre de
l'intérieur auquel, selon le Congo, devrait être reconnue «une immunité analogue [à] celle
dont bénéficie, pour d'autres raisons, le ministre des affaires étrangères »152
. Par souci de
répondre aussi complètement que possible à 1' argumentation du demandeur, la France
examinera donc dans un premi1~r temps la portée de l'immunité de juridiction sous un angle
général (section 1) puis, dans un second temps, elle montrera qu'aucune atteinte n'a été portée
à l'immunité de M. Sassou Nguesso (section 2).
Section 1 - L'immunité de juridiction dont peut se prévaloir la République du Congo
n'a pas la portée que lui attribue la partie requérante
3.3. Si l'on suit le raisonnement de l'État demandeur, bien qu'il fût dirigé «contre X», le
réquisitoire du procureur de la République de Meaux du 21 janvier 2002153
, visait en réalité
l'ensemble des personnes mentionnées dans la plainte de la Fédération internationale des
Ligues de droits de l'homme des 5 et 7 décembre 2001 154 du fait qu'il a «saisi le juge
d'instruction des faits dénoncés et placé les personnes visées dans la situation où, pouvant
demander à n'être entendues par le juge d'instruction qu'en qualité de témoins assistés, elles
151 Requête, p. 6.
152 Requête, p. 6 et mémoire, p. 35.
153 Annexe VI-7 au mémoire.
154 Annexes VI-l et VI-2 au mémoire.
65
étaient considérées comme suspectes d'avoir participé à ces faits »155
• Tel serait le cas de
MM.
-Denis Sassou Nguesso, Président de la République du Congo;
- Pierre Oba, Ministre de l'Intérieur, de la sécurité publique et de l'administration du
territoire ;
-Norbert Dabira, Inspecteur général des armées; et
- Blaise Adoua, Général, Commandant de la garde républicaine, dite garde
présidentielle.
3.4. En réalité, de ces quatre personnes, seul le chef de l'État congolais peut prétendre
bénéficier de l'immunité de juridiction invoquée par le demandeur, qui ne saurait, en
particulier, s'étendre au ministre de l'intérieur(§ 2). Au demeurant, le réquisitoire introductif
contre X n'a pas porté atteinte aux immunités dont le Congo pourrait se prévaloir(§ 1).
§ 1 - Le réquisitoire introductif du Procureur de la République ne porte atteinte à aucune
immunité dont le Congo pourrait se prévaloir
3.5. Selon le Congo, qui ne met en cause aucun autre élément de la procédure, le
réquisitoire introductif du 23 janvier 2002 «est la pièce capitale de la présente procédure
devant la Cour. C'est lui qui est à la base des violations du droit international commises par
l'autorité judiciaire de la République francaise au préjudice de la République du Congo.
Toutes celles qui ont suivi en découlent »156
• Il convient donc de s'interroger sur la portée de
cet acte (A.) afin de déterminer si, d'une manière quelconque, il est susceptible de porter
atteinte à des immunités intemationalement reconnues (B.).
N La portée du réquisitoire du 23 janvier 2002
3.6. Comme l'indique l'État demandeur, il résulte de l'article 80 du code français de
procédure pénale qu'un tel réquisitoire «est l'acte par lequel le procureur de la République
155 Mémoire, p. 24.
156 Mémoire, p. 12, souligné dans le texte.
..
66
met en mouvement l'action publique devant le juge d'instruction »157
. Au regard des éléments
dont il dispose, le procureur de la République peut choisir d'ouvrir une information judiciaire
contre personne dénommée ou contre personne non dénommée (dans ce dernier cas, on dit
alors que l'information judiciaire est ouverte contre« X») .
3.7. Si le procureur de la République estime que les éléments dont il dispose permettent
d'incriminer un ou plusieurs mis en cause, il choisira d'ouvrir une information judiciaire
contre personne dénommée. Si en revanche, il estime que les éléments à charge sont encore
insuffisants pour mettre nommément une personne en cause, il choisira d'ouvrir une
information judiciaire contre «X». Comme le rappelle la doctrine, «en ce qui concerne les
personnes à l'encontre de qui la poursuite va se trouver engagée, la ministère public n'est tenu
de les indiquer que dans la mesure où les renseignements déjà réunis permettent de les
connaître et de leur imputer les: faits »158
• Dans la présente affaire, c'est ce parti qu'a pris le
magistrat du parquet.
3.8. Au demeurant, ce choix est sans incidence sur les droits dont se prévaut la République
du Congo. En effet, le juge d'instruction, qu'il soit saisi d'un réquisitoire introductif contre
personnes dénommées ou contre X est d'abord saisi de faits. On dit qu'il est saisi in rem et il
lui appartient d'instruire, c'est à dire d'enquêter, sur les faits qui ont été portés à sa
connaissance par le procureur de la République, sur l'ensemble de ces faits, mais uniquement
sur ces faits.
3.9. Comme l'écrivent d'éminents spécialistes, « [l]a poursuite est en effet dirigée (et le
JUge d'instruction se trouve saisi) in rem et non in personam. Il appartiendra au juge
d'instruction de mettre en examen ( ... )toute personne i l'encontre de laquelle apparaissent
des indices graves ou concordants de participation aux faits dont le juge est saisi »159
. Il peut
en outre «informer sur tous les faits dont il est saisi (et ce à l'égard de toute personne que
l'informationfera découvrir), mais uniquement sur ces faits-là »160
• Ce n'est donc qu'une fois
l'instruction menée à son terme qu'il est possible de déterminer quelle est ou quelles sont les
personnes susceptibles d'être mises en examen; seuls les décisions de mise en examen et les
157 Mémoire, p. 21. .
158 Gaston Stefani, Georges Levasseur et Bernard Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 18eme éd, 2001, p. 547, par.
622.
159 Ibid., p. 547, par. 622- italiques dans le texte; v. aussi p. 575, par. 651.
160 Ibid., p. 575, par. 651- italiques ajoutés.
67
mandats (d'amener, de dépôt, d'arrêt ou de comparution) délivrés au cours de la procédure
d'instruction doivent préciser l'identité de la personne à l'encontre de laquelle ils sont
décemés161 et constituent de ce fait la mise en cause d'une personne déterminée. La mise en
examen (qui a remplacé 1' ancienne inculpation afin de mieux préserver la présomption
d'innocence162
) est, en quelque sorte, un pouvoir propre du juge d'instruction163
. Encore
convient-il de noter que, même dans ce cas, la personne mise en examen est « présumée
innocente » 164
.
3.1 O. Cette règle de la seule saisine in rem est valable dès lors que les faits ont été commis
sur le territoire national ou chaque fois que le magistrat instructeur entend mettre en cause un
ressortissant français. Dans ces deux cas de figure le juge peut mettre en examen toute
personne à 1' encontre de laquelle il existe des indices grave ou concordants rendant
vraisemblables qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission
des infractions dont il est saisi (article 80-1 du CPP). En revanche, quand bien même le juge a
compétence au regard des faits, sa saisine doit être complétée quant aux personnes visées par
l'instruction toutes les fois que les faits dont a à connaître le magistrat instructeur touchent à
la question de la «compétence universelle». En effet, en application des dispositions des
articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale, les juridictions françaises ne sont
compétentes pour connaître de faits de torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, au sens de la convention de New York du 10 décembre 1984,
commis à l'étranger, par des étrangers, sur des étrangers, qu'à la condition que l'intéressé mis
en cause se trouve sur le territoire français.
3.11. Aussi, le magistrat instructeur n'est-il compétent pour instruire à l'encontre d'un
ressortissant étranger, dans un cadre de «compétence universelle», qu'à la double condition
qu'il soit saisi d'une part des faits prétendument commis par la personne en cause et, d'autre
part, dans le cas où cette personne n'est présente sur le territoire français que depuis une date
postérieure au réquisitoire introductif, de réquisitions complémentaires du parquet 1' autorisant
à instruire contre la personne en cause, à l'image de ce qui est prévu aux articles 80 et 82 du
161 V. les articles 113-8, 116 et 123 du code de procédure pénale.
162 Article 116 du code de procédure pénale.
163 Cf. l'article 176 du Code de procédure pénale : «Le juge d'instruction examine s'il existe contre la personne
mise en examen des charges constitutives d'une infraction, dont il détermine la qualification juridique».
164 Cf. l'article 137 du code de procédure pénale.
68
code de procédure pénale lorsque le juge d'instruction découvre des faits nouveaux qui
n'entrent pas dans le champ de sa saisine initiale.
3.12. Il apparaît donc qu'en dehors du général Dabira, qui se trouvait en France au moment
des réquisitions initiales, toute mise en cause qui résul1erait de 1 'enquête diligentée par le
magistrat instructeur d'un autre ressortissant congolais, qui se trouverait sur le territoire
français, ne pourrait donner lieu à une mise en examen par le juge d'instruction qu'à la
condition que le procureur de la République de Meaux délivre à ce magistrat un réquisitoire
supplétif.
3.13. Si, au cours de l'instruction, qui, contrairement à ce qui se produit dans d'autres
systèmes juridiques, est menée« à charge et à décharge »165
, le juge d'instruction découvre
un obstacle à la poursuite de la procédure à l'égard d'une personne, notamment si celle-ci
bénéficie d'une immunité de juridiction, il est tenu de le constater par une ordonnance
motivée166
• En outre, dans le cas où des réquisitions supplétives nominatives seraient
nécessaires167
, le procureur de la République ne pourrait délivrer celles-ci à l'encontre d'une
personne bénéficiant d'une immunité, dans la mesure où il existerait un obstacle de droit
empêchant la poursuite des invc~stigations au sens de 1 'article 86 du code de procédure pénale
qui autorise un procureur de la République à ne pas ouvrir d'information judiciaire lorsque,
pour des causes affectant 1' action publique, les faits ne peuvent légalement comporter une
poursuite (on dit qu'il prend alors des réquisitions aux fins de non informer).
3.14. En outre, tous les actes faits au cours de la procédure d'instruction sont susceptibles de
recours et peuvent faire l'objet d'une annulation totale oupartielle168

3.15. Il résulte de ces constatations que le réquisitoire introductif du procureur de la
République de Meaux :
- ne saurait faire grief à quiconque puisque, comme tout réquisitoire il saisit le juge
d'instruction in rem et non in personam, des faits sur lesquels une instruction peut être
165 Article 81 du code de procédure pénale: «Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les
actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge».
166 Ibid., p. 576, par. 652.
167 V. supra, par. 3.11.
168 Cf. l'article 174 du code de procédure pénale; v. aussi l'article 182, qui prévoit que l'ordonnance de renvoi
peut être partielle.
69
engagée et, en aucune manière, ne met en accusation des personnes (même lorsqu'elles sont
expressément mentionnées dans l'acte, ce qui n'est du reste pas le cas en l'espèce);
- dirigé contre X, ne met en cause aucune personne et ne saurait porter atteinte aux
intérêts juridiques de personne, y compris, cela va de soi, de la République du Congo ;
- ne préjuge aucunement des personnes qui, ultérieurement, pourraient être
poursuivies, ce qu'il appartient au juge d'instruction de déterminer au cours de ses
investigations, lesquelles nécessiteront un réquisitoire supplétif, dans les cas où il y aurait lieu
de mettre en cause des personnes poursuivies dans le cadre de la « compétence universelle »
et qui n'étaient pas présentes en France à la date du réquisitoire introductif;
En outre, ce n'est que si, au cours de l'instruction, le juge découvre un obstacle à la
poursuite de la procédure (notamment une immunité) à l'égard d'une personne, qu'il lui
appartient de le déclarer par une ordonnance motivée.
BI La portée des immunités invoquées par le Congo au regard du réquisitoire du 23 janvier
3.16. Pour tenter d'échapper aux conséquences de ces constatations, le Congo fait valoir les
arguments suivants :
1° le visa des pièces jointes dans le réquisitoire introductif équivaut à une analyse de
celles-ci et, dès lors, celles-ci déterminent l'objet et l'étendue de la saisine du juge
d'instruction 169
· '
2° une fois le juge d'instruction saisi, la saisine est irrévocable et, sauf à utiliser les
voies de droit propres à corriger une erreur éventuelle, le procureur de la République ne peut
restreindre ultérieurement son étendue 170
;
3° le procureur de la République serait tenu de ne pas requérir l'ouverture d'une
information si certaines des personnes mises en cause bénéficient d'une immunité171
; et
4° les personnes qui sont visées par une plainte devraient être regardées comme visées
par l'information et peuvent être entendues en tant que témoins assistés, ce qui les rendrait
suspectes d'avoir participé aux infractions en cause172
.
t69Me. mor.r e, p. 22 .
r7oMe. mot.r e, p. 23 .
t7r Me' mor.r e, p. 22 .
172 Mémoire, pp. 23-24.
70
3.17. Outre qu'elle repose sur certaines erreurs techniques- ou sur des «adresses» de
présentation qui ne peuvent faire illusion -, cette argumentation est viciée par deux erreurs de
raisonnement fondamentales.
3.18. En premier lieu, toute l'argumentation de la Répuhlique du Congo est sous-tendue par
un postulat erroné, selon lequel le réquisitoire du procureur de la République de Meaux
donnerait mission au juge d'instruction d'enquêter sur les agissements de personnes
déterminées. Or, comme cela a été expliqué ci-dessus (A.), en matière de «compétence
universelle», les deux éléments de la compétence du juge, à savoir la saisine in rem et la
saisine in personam doivent être: combinées.
3.19. Le juge d'instruction est d'abord saisi de faits, et ce sont ces faits qui délimitent son
champ de compétence. En outre:, il a pu s'estimer compétent s'agissant du seul cas du général
Dabira, puisque celui-ci était présent dans le ressort judiciaire de Meaux au moment de
1' engagement des poursuites pénales par le procureur de la République, seule hypothèse dans
laquelle des poursuites peuvent être dirigées contre des ressortissants étrangers au titre de la
«compétence universelle».
3.20. En revanche, comme cela est rappelé ci-dessus 173
, le magistrat instructeur ne pourrait
instruire à l'encontre d'un autre ressortissant congolais qu'à la double condition que ce
dernier se trouve sur le territoire national et que le juge d'instruction ait obtenu du procureur
de la République de Meaux un réquisitoire supplétif nominatif visant expressément le
nouveau mis en cause. On ne saurait soutenir que les mentions de noms dans la plainte simple
initialement déposée, et qui c:oncemaient des personnes qui ne se trouvaient pas sur le
territoire national, suffisent à rendre le magistrat instructeur compétent pour instruire contre
ces personnes. En l'absence de réquisitoire suppléti1~ le magistrat instructeur n'a pas
compétence à leur égard.
3.21. En second lieu, le raisonnement de la République du Congo escamote une donnée
juridique essentielle. L'État demandeur semble prétendre que, dans la mesure où des
personnes sont visées dans une plainte, elles ne peuvent être entendues qu'en qualité de mis
en examen ou de témoins assistés. Il en tire la conclusion que l'étendue de la saisine du
173 Pars. 3.10 à 3.12.
71
magistrat instructeur est sans limite et méconnaît les règles relatives aux immunités 174

Toutefois, s'il est vrai que l'article 113-2 du code de procédure pénale prévoit qu'une
personne nommément visée dans une plainte simple peut être entendue comme témoin assisté,
et que, devant le juge d'instruction, elle est obligatoirement entendue en cette qualité si elle en
fait la demande, le Congo oublie un préalable indispensable : ces dispositions ne sont
applicables qu'à la condition que le magistrat instructeur soit compétent pour instruire à
l'encontre de la personne mise en cause. En outre, même saisi d'un réquisitoire supplétif
contre personne dénommée, le magistrat instructeur resterait libre, au regard des éléments du
dossier, de choisir de la mettre en examen ou de la faire bénéficier des dispositions
protectrices en matière de droits de la défense du statut de témoin assisté.
3.22. En outre, il est juridiquement infondé de soutenir, comme le fait le Congo175
, que le
magistrat du parquet ne pouvait ouvrir une information judiciaire dès lors qu'une des
personnes visées par la plainte simple pouvait se prévaloir d'une immunité reconnue tant par
la coutume internationale qu'en droit interne français. Sans doute, la plainte visait-elle le
Président Sassou Nguesso, mais le procureur de la République de Meaux n'a pas ouvert une
information judiciaire contre ce dernier, ce qui eût été critiquable tant au regard des règles de
rattachement territorial en matière de «compétence universelle» qu'en ce qui concerne les
règles relatives à l'immunité. En revanche, il n'existait aucun obstacle de droit empêchant
l'exercice de l'action publique à l'égard du seul protagoniste étranger visé par la plainte se
trouvant sur le territoire national au moment de l'ouverture de l'information judiciaire, le
général Dabira; dès lors, rien n'empêchait le parquet de décider la mise en mouvement de
l'action publique le 22 janvier 2002.
3.23. Il est important de souligner que le juge d'instruction n'a jamais instruit à l'encontre
du Président Sassou Nguesso, ce qu'il aurait pu faire si l'on suit le raisonnement, erroné, de la
République du Congo176
• Celui-ci aboutirait à des résultats totalement inacceptables. À le
suivre, il suffirait qu'une plainte vise, parmi beaucoup d'autres, une personne couverte par
une immunité pour qu'aucune instruction ne puisse être menée. Il en résulterait une sorte
«d'immunité par contagion», toutes les personnes impliquées dans un fait illicite auquel une
174 Mémoire, p. 24, par.19.
175 Mémoire, p. 24, par. 19.
176 Mé mor.r e, p. 2 4, par. 19.
72
personne bénéficiant d'une immunité pourrait avoir pris part se trouveraient alors à l'abri de
toute enquête et de toute poursuite. Tel ne saurait, assurément, être le droit.
3.24. Certes, le procureur de la République n'est pas tenu de donner obligatoirement suite à
une plainte (si elle n'est pas assortie de constitution de partie civile), mais il doit assurer
l'application de la loi pénale177 et il ne saurait certainementpas s'abstenir de déclencher des
poursuites pour la seule raison que certaines des personnes mentionnées dans la plainte ne
pourraient pas être poursuivies ~:n raison de leur immunité.
3.25. Comme l'écrit Sir Arthur Watts:« ... the grant ofimmunity ta a head of State [does
not} necessarily mean that the proceedings may not go alzead ; it means simply that they may
not continue as regards that parti cu/ar defendant, who is not subject ta the jurisdiction of the
forum State 's courts. If there are other defendants, it will be a separate question whether
there is any bar to the continuation of the proceedings against them » 178

3.26. Au bénéfice de ces observations, et pour répondre plus précisément à l'argumentation
avancée par le Congo179
, il convient de noter que:
1 °) S'il est exact que le visa des pièces jointes dans le réquisitoire introductif
peut entraîner la détermination de l'objet et de l'étendue de la saisine in rem du juge
d'instruction, cet élément relatif aux faits doit être complété par les éléments relatifs à la
compétence du magistrat instructeur en matière de « compétence universelle » au regard du
critère de rattachement territorial.
2°) S'il est exact que la saisine du juge d'instruction par un réquisitoire
introductif est irrévocable, elle ne présume en rien de la compétence du magistrat instructeur
en matière de « compétence universelle », s'agissant des ressortissants étrangers susceptibles
d'être mis en cause.
3°) Il est, en revanche, juridiquement inexact d'affirmer que le procureur de la
République était dans l'impossibilité d'ouvrir une information judiciaire au motif que des
177 Cf. les articles 31 et 35 du code de procédure pénale.
178 Sir Arthur Watts, « The Legal Position in International Law of Heads of States, Heads of Govemments and
Foreign Ministers », R.C.A.D.I. 1994--III, vol. 247, p. 54.
179 Par. 16, supra.
73
personnes visées par la plainte bénéficiaient d'une immunité. Dès lors qu?au moins une
personne susceptible d'être poursuivie se trouvait sur le territoire national et ne bénéficiait
d'aucune immunité, le procureur de la République était en droit d'ouvrir une information
judiciaire.
4°) Il n'est pas davantage exact de soutenir que les personnes visées par une
plainte devraient ou pourraient être regardées comme suspectes d'avoir participé aux
infractions en cause sous prétexte qu'elles sont susceptibles d'être entendues en qualité de
témoin assisté. Elles ne pourraient en effet être entendues à ce titre qu'à la condition que le
magistrat instructeur soit compétent à leur endroit.
3.27. À cet égard, le Congo fait erreur en suggérant que l'éventualité d'être entendu en tant
que témoin assisté pourrait porter atteinte à de possibles immunités. Il est en effet de
jurisprudence constante que la Cour se prononce sur des faits, non sur des virtualités : « La
fonction de la Cour est de dire le droit, mais elle ne peut rendre des arrêts qu'à l'occasion de
cas concrets dans lesquels il existe, au moment du jugement, un litige réel impliquant un
conflit d'intérêts juridiques entre les parties »180
• Cette sage position doit d'autant plus trouver
application en la présente espèce que, comme la France l'a souligné ci-dessus, si, en cours
d'instruction, le juge d'instruction estimait devoir enquêter sur des faits attribuables à des
ressortissants étrangers qui ne se trouvaient pas sur le territoire français au moment du
réquisitoire introductif initial, il devrait obtenir un réquisitoire supplétif nominatif et que le
procureur de la République ne pourrait le délivrer si la personne en cause bénéficie
d'immunités ou ne se trouve pas sur le territoire français. Il pourrait aussi, de sa propre
initiative, constater qu'il n'y a pas lieu à instruire en raison des immunités en question.
3.28. Il convient en effet de relever que l'éventualité sur laquelle se fonde l'État demandeur
n'est nullement vérifiée: au moment de la requête du Congo devant la Cour internationale de
Justice et jusqu'à la date à laquelle le présent contre-mémoire est rédigé, seul le général
Dabira a été entendu en tant que témoin assisté. Or, comme la France le montrera ci-après (§
2), celui-ci ne bénéficie d'aucune immunité dans le cadre de la présente affaire. En ce qui
180 C.I.J., arrêt du 2 décembre 1963, Cameroun septentrional, Rec. 1963, pp. 33-34; v. aussi l'opinion
individuelle de Sir Gerald Fitzmaurice jointe à cet arrêt, ibid., p. 99 ou C.P.J.I., arrêt du 13 septembre 1928,
Usine de Chorz6w (demande en indemnité- fond), série A, n° 17, p. 57 ou C.I.J., arrêts du 20 décembre 1974,
Essais nucléaires, Rec. 1974, p. 272, par. 59, et p. 477, par. 62 ou du 25 septembre 1997, Projet GabéikovoNagymaros,
Rec. 1997, pp. 41-45, pars. 53-56; 6 novembre 2003, Plates-formes pétrolières, par. 93.
74
concerne la seule personne au nom de laquelle le Congo pourrait exiger le respect d'une
immunité de juridiction, le Président Sassou Nguesso, non seulement aucun acte de ce genre
n'a été pris, mais encore l'action menée par les juges d'instruction montre sans ambiguïté
qu'ils sont pleinement conscients que l'immunité dont il bénéficie le met en principe à l'abri
d'un tel acte181

3.29. La thèse de la République du Congo est du reste contradictoire et paradoxale. Selon
elle, du seul fait que leur nom serait mentionné dans 1me plainte visée par le réquisitoire
introductif, les personnes concernées seraient «tenues pour suspectes d'avoir participé aux
infractions en cause »182
• Non seulement ceci n'est pas exact: une telle« suspicion»" ne peut
naître qu'une fois l'enquête menée; mais encore la thèse congolaise aboutirait aux résultats
suivants:
- du seul fait de refus4;:r de prendre un réquisitoire introductif, le procureur de la
République manifesterait sa conviction que la ou les personnes protégées par l'immunité ont
commis les actes dénoncés ;
- du même coup, il donnerait crédit à la plainte et ce en 1' absence de toute instruction
crédible, neutre et objective.
3.30. La position de l'État demandeur est d'autant plus insoutenable qu'elle mésestime la
portée des immunités qui peuvent être reconnues en vertu du droit international. Comme la
Cour l'a rappelé avec force dans son arrêt du 14 février 2002 :
« . . . 1' immunité de juridiction dont bénéficie un ministre des affaires étrangères en
exercice ne signifie pas: qu'il bénéficie d'une impunité au titre des crimes qu'il aurait
pu commettre, quelle que soit leur gravité. Immunité de juridiction pénale et
responsabilité pénale individuelle sont des concepts nettement distincts. Alors que
l'immunité de juridiction revêt un caractère procédural, la responsabilité pénale touche
au fond du droit. L'immunité de juridiction peut certes faire obstacle aux poursuites
durant un certain temps ou à 1' égard de certaines infractions ; elle ne saurait exonérer
la personne qui en bénéficie de toute responsabilité pénale » 183

181 V. infra, pars. 3.55-3.56 et 3.66-3.73.
182 Mémoire, p. 23.
183 Par. 62.
75
Bien que la Cour eût strictement limité la portée de son arrêt au cas d'espèce qui lui était
soumis184
, ces constatations valent pour toutes les immunités, quelles que soient les personnes
qui peuvent s'en prévaloir.
3.31. Dès lors, l'immunité dont jouit une personne investie de fonctions officielles la met,
sans aucun doute, à 1' abri de poursuites, mais non de « suspicions » : si celles-ci se trouvent
fondées, elle peut, dans les conditions admises par le droit international185
, être appelée à
répondre de ses actes.
3.32. Quoi qu'il en soit, comme la France l'a montré, le réquisitoire introductif du 23 janvier
2002 ne pouvait faire naître et n'a fait naître aucune suspicion à l'encontre de quiconque. A
fortiori, il n'est pas constitutif de poursuites ou d'accusation. Il n'a pu porter et n'a porté
aucune atteinte à d'éventuelles immunités dont le Congo pourrait se prévaloir.
§ 2- Seul le Chef de l'État congolais est couvert par une immunité de juridiction
3.33. Selon le Congo, les procédures pénales contestées concerneraient quatre personnes au
prétexte que celles-ci sont nommément désignées dans la plainte qui est à 1' origine du
réquisitoire introductif du procureur de la République de Meaux du 23 janvier 2003. Comme
il a été rappelé ci-dessus186
, il s'agit du Président de la République, M. Sassou Nguesso, du
ministre de l'intérieur, le général Oba, de l'inspecteur général des armées, le général Norbert
Dabira et du commandant de la garde républicaine, le général Blaise Adoua.
3.34. Outre que ces mentions n'équivalent nullement à des poursuites187 et que, parmi ces
quatre personnes, seul M. Dabira a fait l'objet d'actes de procédure le visant à titre personnel,
il convient de relever que le Congo ne fait, dans la partie juridique de ses développements,
aucune mention ni de M. Adoua, ni de M. Dabira. Il reste que ceux-ci se trouvent, en ce qui
concerne la question des immunités, dans la même situation que M. Oba, dont le demandeur
184 Cf. le paragraphe 41 de l'arrêt: « Aux fins de la présente affaire, seules l'immunité de juridiction pénale et
l'inviolabilité d'un ministre des affaires étrangères en exercice doivent être examinées par la Cour».
185 V. ibid., par. 61; v. aussi infra, pars. 3.43-3.47.
186 Par. 3.3.
187 V. § 1 supra.
76
affirme furtivement qu'il doit se voir « reconnaître ( ... ) pour les faits qui ressortissent à
1' exercice de ses fonctions de maintien de 1' ordre public une immunité analogue à celle dont
bénéficie, pour d'autres raisons, le ministre des affaires étrangères » 188
. La même
argumentation peut donc s'appliquer à ces trois personnes (A.).
3.35. En revanche, les règles qui leur sont applicables diffèrent de celles qui doivent trouver
application en ce qui concerne M. Sassou Nguesso, Président de la République congolaise,
qui, à ce titre, doit bénéficier de l'immunité reconnue aux chefs d'État étrangers (B.).
Al Le Congo ne peut invoquer aucune immunité au bénéfice de MM. Adoua, Dabira et Oda
3.36. Malgré le caractère elliptique de l'argumentation de la République du Congo en ce qui
concerne l'immunité qui devrait être reconnue au ministre de l'intérieur, qui tient en un bref
paragraphe189 et est liée au moyen relatif à la compétence universelle, il semble que celle-ci
fait implicitement référence au raisonnement de la Cour dans l'affaire relative au Mandat
d'arrêt du 11 avril 2000, qui a donné lieu à l'arrêt du 14 février 2002.
3.37. Aux termes de cette décision,
« En droit international coutumier, les immunités reconnues au ministre des
affaires étrangères ne lui sont pas accordées pour son avantage personnel, mais
pour lui permettre de s'acquitter librement de ses fonctions pour le compte de
l'État qu'il représente. Afin de déterminer l'étendue de ces immunités, la Cour
devra donc d'abord examiner la nature des fonctions exercées par un ministre
des affaires étrangères ».
Puis, ayant posé ce principe, la Cour détaille les fonctions très particulières d'un ministre des
affaires étrangères :
«Celui-ci assure la direction de l'action diplomatique de son gouvernement et
le représente généralement dans les négociations internationales et les réunions
intergouvernementales. Les ambassadeurs et autres agents diplomatiques sont
appelés à exercer leurs: fonctions sous son autorité. Ses actes sont susceptibles
de lier l'État qu'il représente, et un ministre des affaires étrangères est
considéré, au titre des fonctions qui sont les siennes, comme doté des pleins
pouvoirs pour agir au nom de l'État (voir par exemple l'alinéa a) du
188 Mémoire, p. 35.
189 Reproduit ci-dessus, par. 3.34.
paragraphe 2 de 1' article 7 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités). Dans l'exercice de ses fonctions, il est fréquemment appelé à se
déplacer à 1' étranger et doit dès lors être en mesure de le faire librement dès
que la nécessité s'en fait sentir. Il doit également demeurer en liaison constante
avec son gouvernement ainsi qu'avec les missions diplomatiques que celui-ci
entretient dans le monde entier, et pouvoir à tout moment communiquer avec
les représentants d'autres États. La Cour fait en outre observer qu'un ministre
des affaires étrangères, responsable de la conduite des relations de son État
avec tous les autres États, occupe une position qui fait qu'à l'instar du chef de
l'État et du chef du gouvernement il se voit reconnaître par le droit
international la qualité de représenter son État du seul fait de 1' exercice de sa
fonction. Il n'a pas à présenter de lettres de créance : tout au contraire, c'est
généralement lui qui décide des pouvoirs à conférer aux agents diplomatiques
et qui contresigne leurs lettres de créance. Enfin, c'est auprès du ministère des
affaires étrangères que les chargés d'affaires sont accrédités».
77
Ce sont ces considérations, très exclusivement centrées sur les fonctions particulières du
ministre des affaires étrangères, qui ont conduit la Cour à conclure :
« que les fonctions d'un ministre des affaires étrangères sont telles que, pour
toute la durée de sa charge, il bénéficie d'une immunité de juridiction pénale et
d'une inviolabilité totales à l'étranger. Cette immunité et cette inviolabilité
protègent l'intéressé contre tout acte d'autorité de la part d'un autre État qui
ferait obstacle à l'exercice de ses fonctions »190

3.38. Ces considérations ne sont transposables ni à un ministre de l'intérieur, ni à un chef de
la garde républicaine, ni à un inspecteur général des armées. Pas davantage qu'un ministre de
1' éducation nationale, ces personnes ne sont « exposées à des déplacements fréquents à
l'étranger »191
• Aucune de ces personnalités n'est, en principe, appelée à représenter l'État
congolais à 1' étranger, ni ne bénéficie, du fait de sa fonction, du droit de conclure des traités
internationaux ou d'une quelconque dispense de présenter des pleins pouvoirs dans le cadre
de négociations internationales.
3.39. Sans doute n'est-il pas exclu que l'une ou l'autre puisse participer à une mission
diplomatique spéciale, voire la mener - encore que, compte tenu des fonctions qui sont les
leurs, il est peu probable que cette situation se présente fréquemment; et le Congo ne le
prétend d'ailleurs pas. Mais, de toute manière, dans cette hypothèse, les personnes concernées
bénéficieraient de la règle posée à l'article 21, paragraphe 2, de la Convention de New York
190 Ibid., pars. 53 et 54.
191 Cf. C.I.J., ordonnance du 8 décembre 2000, Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (demande en indication de
mesures conservatoires), Rec. 2000, p. 201, par. 72.
78
du 8 décembre 1969 sur les missions spéciales, à laquelle ni le Congo ni la France ne sont
parties, mais qui n'en reflète pas moins le droit coutumier applicable en la matière192
. Aux
termes de cette disposition :
« Le chef de gouvernement, le ministre des affaires étrangères et les autres
personnalités de rang élevé, quand ils prennent part à une mission spéciale de
l'État d'envoi, jouissent dans l'État de réception ou dans un État tiers, en plus
de ce qui est accordé par la présente convention, des facilités, privilèges et
immunités reconnus par le droit international».
3.40. La France ne conteste nullement que ces immunités lui seraient opposables dans
l'hypothèse où l'une des trois personnalités concernées viendraient à prendre part à une
mission spéciale. Dans ce cas, mais dans ce cas seulement, elles devraient bénéficier des
immunités qui s'attachent à la qualité de représentant de l'État. Mais il s'agit là d'une
situation exceptionnelle et dont ni la requête, ni le mémoire congolais ne prétendent qu'elle
fait l'objet de la présente affaire. À la différence de la République démocratique du Congo
dans l'affaire du Mandat d'arrêt 193
, le demandeur en la présente espèce n'allègue en effet pas
que les procédures pénales litigieuses entravent de quelque manière que ce soit l'action
diplomatique du Congo ou la conduite de ses relations internationales.
3.41. Bien au contraire, l'État requérant estime, expressément, que ces procédures, dans la
mesure en tout cas où elles visent le ministre de l'intérieur, auraient un effet sur« le maintien
de l'ordre public» au Congo194
• C'est là toute la différence avec l'affaire qui a donné lieu à
l'arrêt de 2001 : il s'agissait alors d'un mandat d'arrêt dont la simple menace d'exécution à
l'étranger compromettait l'exereice, par le ministre des affaires étrangères de la R.D.C., de ses
fonctions internationales ; il s'agit ici d'un réquisitoire introductif, dirigé contre «X», et dont
on ne voit pas, de toute manière, en quoi il pourrait porter atteinte à 1 'exercice, par le ministre
de l'intérieur du Congo, de ses fonctions en matière de maintien de l'ordre public qui, par
définition, ne peuvent s'exercer que sur le territoire congolais et non à l'extérieur de ses
frontières.
3.42. Mutatis mutandis, le même raisonnement est transposable au général Adoua, chef de la
garde républicaine, et au général Dabira, inspecteur général des armées, étant entendu que,
192 Cf. Sir Arthur Watts, «The Legal Position in International Law of Heads of States, Heads of Governments
and Foreign Ministers », R. C.A.D.I. 1994-III, vol. 247, p. 38.
193 V. l'arrêt prée. du 14 février 2002,, pars. 63-64.
79
s'agissant de ce dernier, il n'est pas contesté qu'il a, à la suite de sa présence temporaire en
France (en l'absence de toute mission officielle), fait l'objet de l'annonce de sa mise en
examen puis d'un mandat d'arrêt. Mais de tels actes ne se heurtent à aucune objection de
nature juridique puisque l'intéressé ne peut se prévaloir d'aucune immunité tenant à ses
fonctions.
BI Le Congo peut invoquer une immunité de juridiction en faveur du Chef de l'État
3.43. Comme l'Agent de la République française l'a déclaré lors de l'examen de la demande
en indication de mesure conservatoire de la République du Congo :
« Conformément au droit international, le droit français consacre le principe de
l'immunité des chefs d'État étrangers. ( ... ) Il n'existe pas de règles écrites
découlant d'une législation relative aux immunités des États et de leurs
représentants. C'est la jurisprudence des tribunaux français qui, se référant au
droit international coutumier et procédant à son application directe, a affirmé
avec clarté et avec force le principe de ces immunités »195
.
3.44. La Cour a pris note de ces déclarations dans son ordonnance du 17 juin 2003 196 et le
Congo constate à son tour, dans son mémoire, que, « [l]a République française ayant fait
connaître par son agent que le droit français reconnaît pleinement le principe de l'immunité
des chefs d'État étrangers, ce point est hors contestation »197
.
3.45. Sauf à constater que ce principe, pleinement accepté par la France, aurait été violé- ce
qui n'est pas le cas 198
- il n'existe donc pas de différend sur ce point entre les Parties : à la
différence de MM. Adoua, Dabira et Oda, M. Sassou Nguesso bénéficie, du fait de ses hautes
fonctions, d'une immunité de juridiction pénale, absolue en l'absence de traité contraire.
3.46. La chambre criminelle de la Cour de cassation a fait application récemment du
«principe de l'immunité de juridiction des chefs d'État étrangers en exercice» dans son arrêt
du 13 mars 2001. À cette occasion, la plus haute juridiction française de l'ordre judiciaire a
194 Mémoire, p. 34.
195 CR 2003/21, 28 avril 2003, p. 15, par. 32; v. aussi la plaidoirie du professeur Alain Pellet:« Une chose doit
être claire d'emblée : la France ne nie en aucune manière que le président Sassou Nguesso bénéficie, en tant que
chef d'un État étranger, 'd'immunités de juridiction, tant civiles que pénales'» (ibid., p. 24, par. 13).
196 Par. 13.
197Me' mor•r e p. 35 .
198 V. section 2 ci-dessous.
80
rappelé que «la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'État en exercice
puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties
concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger »199

Applicable au Chef de l'État libyen - que concerne l'arrêt de 2001 -, ce principe l'est
évidemment tout autant au Président de la République du Congo.
3.47. Comme l'a souligné l'Agent de la République française devant la Cour:
« . . . il ressort avec beaucoup de clarté de cette décision que les juridictions
françaises font application de la coutume intemationale et, en particulier, du
principe coutumier quil reconnaît aux chefs d'État étrangers une immunité de
juridiction et d'exécution. Il n'est pas sans importance de rappeler que notre
Cour de cassation a fait application de ce principe coutumier avant même que
votre Cour ne se prononce solennellement sur la question dans l'arrêt qu'elle a
rendu le 14 février 2002 dans l'affaire du Mandat d'arrêt, puisque le
raisonnement retenu par vous dans cette affaire à propos d'un ministre des
affaires étrangères vaut à fortiori pour un chef d'État. Il apparaît ainsi de façon
évidente que le juge français, qui reconnaissait déjà le principe de l'immunité
des chefs d'État étrangers, l'appliquera à l'avenir d'autant plus fermement qu'il
a été réaffirmé avec force par la Cour internationale »200
.
Section 2- Aucune atteinte n'a été portée à l'immunité de M. Sassou Nguesso
3.48. Malgré une brève allusion à l'immunité dont béneficierait le général Oba201
, le second
moyen du Congo, fondé sur une prétendue violation de l'immùnité d'un chef d'État étranger,
ne concerne que M. Sas sou N guesso, Président de la République du Congo202

3.49. Dans sa requête, l'État demandeur se fondait déJà sur ce moyen, à l'appui duquel il
invoquait principalement l'arrêt rendu par la Cour en 2002 dans l'affaire du Mandat
d 'arrêr03
. Par contraste, le mémoire congolais ne mentionne plus la jurisprudence de la Cour
internationale de Justice et se fonde exclusivement sur deux arrêts rendus par la Cour de
199 Cour de cassation, chambre criminelle, Sections réunies, S. O.S Attentats et B. Castelnau d'Essenault (ciaprès:
«affaire Kadhafi»), Bull. no 64, p. 218 - annexe V au mémoire; v. aussi les conclusions de l'avocat
général, M. Launay reproduites in annexe V.
200 CR 2003/21, p. 16, par. 33.
201 V. supra, par. 3.34.
202 Ibid. pp. 35-39.
203 Requête pp. 7-8.
·-·-·-·--···-·· ---------------·-·---------- ---
81
cassation française respectivement le 13 mars 2001 relativement à l'immunité de juridiction
reconnue au Chef de l'État libyen204 et le 10 octobre de la même année au sujet des effets de
l'immunité dont bénéficie le Président de la République française205
• Cette inflexion
s'explique probablement par le fait que la République du Congo a réalisé qu'il n'existait pas
de divergence de vues entre les parties quant à l'applicabilité du principe de l'immunité de
juridiction des chefs d'État étrangers.« En revanche», comme elle l'écrit à juste titre,« c'est
sur la question de savoir s'il a été respecté par les autorités françaises en l'espèce qu'elle
s'oppose à la position de la République française »206

3.50. Ce moyen se décompose en deux branches. En premier lieu, l'État demandeur fait
valoir qu'il aurait été porté atteinte à l'immunité de M. Sassou Nguesso du fait que
l'ouverture d'une information contre X ait été requise à la suite d'une plainte visant celui-ci
nommément(§ 1). En second lieu, les juges d'instruction auraient «manifesté leur intention
d'instruire à la charge de SE le Président de la République du Congo en tentant de recueillir sa
déposition écrite par une utilisation illégale de la procédure prévue par l'article 656 du code
de procédure pénale»(§ 2).
§ 1 - Le réquisitoire introductif du procureur de la République de Meaux ne porte pas
atteinte à l'immunité de juridiction du Président de la République du Congo
3.51. Il ne paraît pas utile de s'attarder longuement sur la première branche du moyen.
Comme la France l'a montré ci-dessus207
, par lui-même un réquisitoire introductif n'est pas
susceptible de porter atteinte à l'immunité de quiconque. Pour tenter d'établir le contraire, le
Congo invoque deux arguments.
3.52. En premier lieu, il fait valoir que l'interdiction de décerner un réquisitoire contre
personne non dénommée alors que le chef d'État a été nommément visé par une plainte
figurant au nombre des pièces jointes à ce réquisitoire serait justifiée par le fait que «cette
personne, qui peut exiger de n'être entendue par le juge d'instruction qu'en qualité de témoin
204 V. note 199, supra.
205 Cour de cassation, chambres réunies, Bull. n° 206, p. 660.
206 Mémoire p. 36.
207 Section 1, § 1.
82
assisté, est, de ce fait, officiellement suspecte »208
. Outre les raisons générales qui s'opposent
à un tel raisonnement209
, celui-ci est particulièrement mal fondé s'agissant d'un chef d'État
étranger que le droit français met à l'abri de tout risque d'être obligé de témoigner dans
quelque procédure que ce soit.
3.53. Il résulte en effet des dispositions du premier alinéa de l'article 656 du code français
de procédure pénale que :
« La déposition écrite d'un représentant d'une puissance étrangère est
demandée par l'entremise du ministre des affaires étrangères. Si la demande est
agréée, cette déposition est reçue par le premier président de la cour d'appel ou
par le magistrat qu'il aura délégué».
3.54. Sous réserve de l'applicabilité de cette disposition- que la France établira de manière
plus précise ci-après210
-, il apparaît donc que tous les représentants d'un État étranger (y
compris et en premier lieu son chef) sont soumis à un régime dérogatoire du droit commun.
Celui-ci ne saurait donc fournir un argument à l'appui de la thèse congolaise : en admettant
même que le seul fait de pouvoir exiger d'être entendu à titre de témoin assisté fasse peser sur
la personne concernée une quelconque «suspicion» - ce que la France conteste
formellement211 -,il n'en saurait être question en l'espèce et aucun acte d'instruction n'a été
pris qui puisse donner à pense:r le contraire : pour rechercher le témoignage de M. Sassou
Nguesso, les juges d'instruction ont agi en vertu de l'article 656 du code de procédure pénale
et nullement de l'article 113-2 de ce même code. Ce faisant, les juges chargés de l'instruction,
loin de violer l'immunité de juridiction du chef de l'État congolais ont, au contraire, manifesté
leur conviction qu'il devait en bénéficier.
3.55. Le second argument de la partie demanderesse n'est pas mieux fondé. Selon le Congo,
l'interdiction de délivrer h! réquisitoire contesté résulterait « implicitement mais
nécessairement » de 1' arrêt de principe rendu par la chambre criminelle de la Cour de
cassation dans l'affaire Kadhajl212
• Selon le Congo:
208 Mémoire p. 36.
209 V. supra, pars. 3.27 à 3.32.
210 Pars. 3.64-3.71.
211 v . supra, 1'b 1'd .
212 Mémoire, p. 36.
«Il est capital d'observer que, dans cette affaire, aucun acte de poursuite ou
d'instruction visant nommément le chef de l'État libyen n'avait été accompli
avant que le procureur de la République ne prenne ses réquisitions de non
informer. Seule la plainte avec constitution de partie civile le dénommait. Or,
en présence d'une telle plainte, le procureur de la République pouvait fort bien
ne décerner qu'un réquisitoire introductif contre X et rien n'obligeait le juge
d'instruction à mettre en examen le chef d'État en cause, qu'il pouvait se
contenter d'entendre comme témoin assisté » 213

83
3.56. Sur ce dernier point, il faut noter que la partie congolaise fait erreur: contrairement à
ce qu'elle affirme à tort, pas plus que dans l'affaire Kadhafi, il n'est ici question ni de mettre
en examen le chef d'État en cause, ni de l'entendre comme témoin assisté- simplement parce
que ceci n'est pas possible en droit français 214

3.57. Au surplus et surtout, cette présentation, pour adroite qu'elle soit, ne peut occulter les
grandes différences existant entre les faits de 1' affaire Kadhafi et ceux de la présente espèce. Il
convient en particulier de noter que la plainte avec constitution de partie civile dont il
s'agissait dans l'affaire Kadhafi visait exclusivement le chef de l'État libyen215
; comme
l'immunité qe principe de celui-ci ne faisait aucun doute, la seule incertitude concernait la
question de savoir si l'une des exceptions au principe de l'immunité était applicable; la Cour
de cassation a-tranché par la négative216
• Les circonstances de la présente espèce sont toutes
différentes : d'une part, la plainte a été déposée sans constitution de partie civile; d'autre part,
elle vise d'autres personnes que le chef de l'État congolais ce qui a d'importantes
conséquences217

3.58. Contrairement à ce qu'affirme la République du Congo, on ne saurait donc «lire cet
arrêt comme impliquant que la seule existence d'une plainte (avec constitution de partie civile
ou non, peu importe) visant nommément un chef d'État étranger interdit au procureur de la
République de requérir d'informer, même contre X »218
• Il établit tout au plus que, lorsqu'une
plainte vise exclusivement un chef d'État étranger, la décision du procureur de ne pas prendre
de réquisitoire introductif n'est pas juridiquement contestable si, du moins, aucune exception
à l'immunité de juridiction du chef d'État concerné ne peut être invoquée.
213 Ibid., p. 37.
214 V. supra, pars. 3.52 et 3.53.
215 V. les conclusions précitées (note 199) de l'avocat général M. Launay, in annexe V.
216 v. l' arre't pre.e ., z"b z"d .
217 V. supra, pars. 3.22 à 3.24.
21SMe. mor•r e, p. 37 .
84
3.59. En la présente espèce, la situation est inverse à celle prévalant dans l'affaire Kadhafi:
il ne s'agit pas d'un refus d'adopter un réquisitoire introductif visant nommément un chef
d'État étranger mais de la décision d'en prendre un ·~ontre X; la plainte initiale (sans
constitution de partie civile) ne mentionne M. Sassou Nguesso que parmi d'autres personnes
qui, pour leur part, ne bénéficient pas de l'immunité de juridiction.
§ 2 - L'invitation à témoigner adressée au Président de la République du Congo ne porte
pas atteinte à son immunité de}uridiction
3.60. Selon le Congo, «il serait interdit au juge d'instruction d'entendre le chef de l'État
[congolais] comme témoin assisté »219
• Cette affirmation n'est pas contestable. Mais ce n'est
pas du tout de cela qu'il s'agit: M. Sassou Nguesso n'a pas été entendu comme témoin
assisté; il n'est pas prévu qu'il le soit et il ne pourrait l'être puisque, conformément aux
dispositions de l'article 656 du code de procédure pénale, les représentants d'une puissance
étrangère ne peuvent qu'être invités à faire une déposition écrite et ils ne sont nullement tenus
de déférer à cette invitation.
3.61. Pour cette même raison, l'idée selon laquelle le recours à la procédure de l'article 656
«constituerait une tentative de fraude au droit qu'a une personne visée nommément par une
plainte d'exiger de n'être entendue par le juge d'instruction qu'en tant que témoin assisté »220
est dénuée de tout fondement. Les représentants des puissances étrangères relèvent d'une
problématique toute différente: contrairement aux ressortissants français et aux étrangers ne
représentant pas leur pays221
, ils n'ont aucune obligation de témoigner; et leur refus de donner
suite à une demande de déposition écrite qui peut leur être adressée par le juge d'instruction
par l'entremise du ministre des affaires étrangères n'a aucune conséquence. Il s'agit là,
assurément, d'une protection au moins équivalente à celle résultant de l'article 113-2.
219 Ibidem.
220 Mémoire, p. 38.
221 Cf. l'article 109 du code de procédure pénale; v. infra, par. 3.66.
85
3.62. En outre, en la présente occurrence, le Congo est d'autant moins fondé à invoquer une
violation de l'immunité de juridiction du Président Sassou Nguesso que, s'il est exact que les
juges d'instruction saisis du dossier ont adressé au ministre français des affaires étrangères
une demande tendant à recueillir la déposition écrite de celui-ci, le ministre n'a donné, de
l'aveu du Congo lui-même, «aucune suite à cette demande »222

3.63. L'État demandeur invoque cependant deux autres arguments à l'appui de la seconde
branche de son second moyen. D'une part, il se réclame d'une jurisprudence concernant le
Président de la République française qu'il serait possible d'appliquer par analogie aux chefs
d'État étrangers (A.). D'autre part, il se fonde sur une raison, qu'il présente comme
«péremptoire »223
, consistant à dire qu'un chef d'État «n'est pas 'un représentant' d'une
puissance étrangère au sens de l'article 656 [du code de procédure pénale], il est l'organe
suprême de cette puissance »224 (B.). Ni l'un, ni l'autre de ces arguments ne saurait emporter
la conviction.
N La jurisprudence applicable au Président de la République française
3.64. Le Congo invoque, avec une certaine insistance225
, un arrêt de l'assemblée plénière de
la Cour de cassation en date du 10 octobre 2001, aux termes duquel:
« le Président de la République [française] ne peut, pendant la durée de son
mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou
renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit
commun; ( ... ) il n'est pas davantage soumis à l'obligation de comparaître en
tant que témoin prévue par l'article 101 du code de procédure pénale, dès lors
que cette obligation est assortie par l'article 109 dudit code d'une mesure de
contrainte par la force publique et qu'elle est pénalement sanctionnée »226

3.65. Selon l'État demandeur, «ce qui vaut pour le président de la République vaut, par
analogie, pour les chefs d'État étrangers »227
• La France nourrit, pour le moins, des doutes
sérieux quant à la possibilité de procéder par analogie: les motifs de l'immunité d'un chef
d'État au regard du droit interne d'une part, du droit international d'autre part ne sont pas
222 Mémoire, p. 17.
223 Ibid., p. 38.
224 Ibidem.
225 Ibid., pp. 37-38.
226 10 octobre 2001, Bull. ll0 206, p. 660.
227 Me' mor.r e, p. 38 .
86
identiques ; au surplus, les règles constitutionnelles prévoient en général des procédures
spéciales permettant la poursuite du chef de l'État lorsque celui-ci manque gravement aux
devoirs de sa charge ou commet des crimes graves228
.
3.66. Il n'est cependant pas utile d'entrer dans ce débat. Il résulte en effet des termes mêmes
de l'arrêt précité que l'impossibilité de recueillir le témoignage du Président de la République
française tient à ce que, en vertu de 1' article 109 du code de procédure pénale, le refus d'un
témoin de comparaître, «est assorti( ... ) d'une mesure de contrainte par la force publique et
qu'[il] est pénalement sanctiormé ( ... ) ». Or tel n'est pas le cas d'un refus de témoigner
opposé par une personne à laquelle une demande a été adressée en vertu de l'article 656 du
même code: elle se borne à ouvrir une faculté de témoigner que le représentant de l'État
étranger demeure entièrement libre de décliner; et un tel refus n'est assorti d'aucune sanction
pénale et d'aucune mesure de contrainte229
.
3.67. Ce mécanisme, qui repose sur l'entière liberté de la personne à laquelle la demande est
adressée, est pleinement compatible avec les dispositions du paragraphe 2 de 1' article 31 de la
Convention de Vienne du 18 avril 1961 :
«L'agent diplomatique n'est pas obligé de donner son témoignage».
Il s'en déduit, conformément à l'interprétation généralement admise, que s'il n'est pas obligé
de donner son témoignage, rien, en revanche, n'interdit de le lui demander230
.
BI Le chef d'un État est un représentant de cet État
3.68. Pour tenter d'échapper aux conséquences de cette analyse, le Congo invoque une
raison qu'il qualifie de «péremptoire» et qui tiendrait à ce qu'un chef d'État étranger ne
serait pas «un représentant» d'une puissance étrangère, mais «l'organe suprême de cette
puissance » 231

228 Pour la France, v. l'article 68 de la Constitution.
229 V. supra, pars. 3.53-3.54.
230 V. Jean Salmon, Manuel de droit diplomatique, Bruylant, Bruxelles, 1994, pp. 319-320.
23IMe' mor. re, p. 38 .
87
3.69. La France ne conteste nullement qu'un chef d'État en est l'organe suprême. Mais cette
qualité n'exclut nullement qu'il représente l'État dont il est le chef; bien au contraire, c'est en
cette qualité qu'ille représente. Et s'il n'est pas douteux que les dispositions de l'article 656
sont applicables aux membres des missions diplomatiques et à certains membres d'un poste
consulaire, il n'en résulte pas qu'elles ne soient pas applicables à un chef d'État (ou à un
ministre des affaires étrangères) d'une puissance étrangère.
3.70. Telle est du reste la pratique constante des autorités judiciaires françaises, en parfaite
cohérence avec le droit international. Ainsi dans ses conclusions dans 1' affaire Kadhafi,
l'avocat général Launay, après avoir rappelé que « [l]e régime juridique de l'immunité de
juridiction des chefs d'État étrangers s'identifie, dans ses grandes lignes, à celui prévu par la
Convention de Vienne du 18 avril 1961 au bénéfice du personnel diplomatique », a justifié
cette immunité par« l'identification de PÉtat à son représentant »232
. De même, dans l'affaire
du Mandat d'arrêt, la Cour a «fait observer qu'un ministre des affaires étrangères,
responsable de la conduite des relations de son État avec tous les autres États, occupe une
position qui fait qu'à l'instar du chef de l'État ou du chef du gouvernement il se voit
reconnaître par le droit international la qualité de représenter son État du seul fait de sa
fonction » 233
.
3.71. Cette qualification s'impose avec d'autant plus de force en l'espèce que le problème
posé à la Cour n'est pas de savoir si les juges d'instruction ont fait une application correcte
des dispositions de l'article 656 du code français de procédure pénale- la Cour n'est pas juge
de l'interprétation et de l'application du droit français234
- mais si la demande des juges
d'instruction français, formulée en application de cette disposition et que le ministre des
affaires étrangères n'a pas transmise au Président Sassou Nguesso, est conforme ou non au
droit international et si elle porte atteinte à l'immunité de juridiction dont celui-ci bénéficie.
De l'avis de la République française, la réponse à cette question est indiscutablement négative
pour l'ensemble des raisons exposées ci-dessus.
232 Conclusions précitées, note 199, annexe V.
233 Arrêt du 14 février 2002, par. 53. V. aussi, par exemples, l'article 7, paragraphe 2.a) de la convention de
Vienne de 1969 sur le droit des traités, l'article 21 de la convention de 1969 sur les missions spéciales ou
1' article 1er de la convention de 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes
jouissant d'une protection internationale.
234 Cf. C.P.J.I., arrêt du 25 mai 1926, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, série A, n° 7, p. 19;
avis consultatif du 4 février 1932, Traitement des nationaux polonais à Dantzig, série A/B, n° 44, p. 24.
88
***
3.72. Au terme de cet examen, il apparaît que le second moyen invoqué pour la République
du Congo ne peut qu'être rejeté:
il le réquisitoire du procureur de la République du 23 janvier 2002 n'a pas eu pour
effet - et n'aurait pu avoir pour effet - d'établir la compétence du juge d'instruction de
Meaux pour instruire à 1' égard de ressortissants congolais ne se trouvant pas sur le territoire
français au moment de son adoption en 1' absence de réquisitoire supplétif nominatif délivré
ultérieurement ;
ii/ M. Dabira, seule personne visée par la plainte - à laquelle renvoie le réquisitoire du
23 janvier 2002 - à se trouver en territoire français à cette date ne bénéficie d'aucune
immunité de juridiction ;
iii/ il en va de même de MM. Oba et Adoua, qui, en tout état de cause, ne pourrait faire
l'objet d'actes d'instruction que si le procureur de la République prenait un réquisitoire
supplétif nominatif dans l'hypothèse où ils seraient présents en France hors du cadre d'une
mission diplomatique officielle ; au surplus, les demandes de la République du Congo en ce
qui les concerne sont sans objet en ce qu'elles visent une situation purement éventuelle;
iv/ en revanche, la République française ne conteste pas que le Président Sassou
Nguesso bénéficie des immunités reconnues aux chefs d'État étrangers qui, dans les
circonstances de l'espèce, sont absolues;
v/ il n'y a nullement été porté atteinte par l'invitation à témoigner adressée par les
juges d'instruction au Ministère français des Affaires étrangères, et à laquelle, en vertu de
règles claires du code français de procédure pénale, M. Sassou Nguesso n'aurait eu, de toute
manière, aucune obligation de donner suite si elle lui était parvenue.
CONCLUSIONS
Pour les raisons exposées dans le présent mémoire, la République française
prie la Cour internationale de Justice de bien vouloir rejeter les demandes de la République du
Congo.
Paris le 11 mai 2004,
~~~.
Agent de la République française
Annexe I
Annexe II
Annexe III
Annexe IV
Annexe V
ANNEXES
Notification de 1' adhésion du Congo à la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants du 10 décembre 1984 (31 juillet 2003)
- Lettre du Général de brigade Norbert Dabira au Chargé d'Affaire
de 1' Ambassade de France au Congo (9 septembre 2002)
- Instruction du Ministre Délégué à la Présidence de la République
du Congo, Chargé de la Défense nationale (9 septembre 2002)
- Note verbale de l'Ambassade de la République du Congo en
France (5 février 2004)
- Lettre du Chef adjoint du Protocole du Ministère français des
Affaires étrangères à M. Cook, officier de police judiciaire (5
février 2004)
Documents transmis à la Cour intemationale de Justice par l'agent
de la République du Congo (21 mai 2003)
Conclusions de 1 'A v oc at général dans 1' affaire Procureur général
près la Cour d'appel de Paris c/ Association SOS Attentats et
Mme Béatrice de Boery ép. Castelnau d'Essenault («affaire
Kadhafi ») (27 février 2001)

Document file FR
Document Long Title

Contre-mémoire de la République française

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